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Vasile Dospinescu
I.1.1. Sémantiquement, chaque terme du couple de mots cités plus haut, le verbe comme le nom
dérivé, signifie pertinemment le même concept : existence, action, état, changement d’état et
sentiment. Cependant les verbes se différencient des noms en cela qu’ils inscrivent par eux-mêmes,
à travers des formes spécialisées, les mêmes concepts dans le temps présent, passé ou futur : il
souffre / sa souffrance actuelle ; il a souffert / sa souffrance passée ; il souffrira / sa souffrance
future.
I.1.2. Morphologiquement, le verbe se distingue du nom en cela qu’il se conjugue, c’est-à-dire qu’il
prend des formes composées d’un radical et de désinences, qui, à des degrés différents et de façon
inégale dans les deux codes – oral et écrit, inscrivent le procès (états ou actions : cf. Tesnière, 1976 :
61)1 dans une époque, dans une durée et le rattachent à un groupe-sujet, nom, nominal, pronom de
telle ou telle personne, singulier ou pluriel :
Un homme frappe depuis des heures à une porte. Des voisins étonnés le regardent faire
sans mot dire. Personne n’avait frappé à cette porte avant lui. Il frappera encore
demain. Les mêmes voisins le regarderont, mais ils n’oseront lui demander quoi que ce
soit.
Les formes frappe, avait frappé, frappera s’opposent l’une à l’autre comme présent, passé, futur,
tandis que frappe et regardent s’opposent comme singulier et pluriel, etc. D’autres oppositions
formelles servent à marquer la personne (Je frappe / tu frappes… / nous frappons… / ils frappent),
1 « Les procès sont les états ou les actions par lesquels les substantifs manifestent leur existence, par ex. est, dort, dîne, fait, etc. Les
mots pleins exprimant l’idée d’un procès sont appelés verbes. » (Tesnière, 1976 : 61).
le mode (il frapperait à la porte : conditionnel), la voix (il a été frappé par la beauté du paysage :
passif).
Différents dans leur forme, le nom et le verbe, ce dernier à flexion beaucoup plus riche, sont,
pour cette raison même, aptes à assumer certains emplois, plus précisément à occuper certaines
places dans la proposition.
I.1.3. Syntaxiquement, le verbe est le centre de la phrase : « le pivot », « le nœud des nœuds »,
« la clef de voûte de la phrase », « le noyau syntaxique », etc. sont autant d’appellations, plus ou
mois techniques, voire même métaphoriques qui focalisent toutes sur le rôle primordial de la
fonction verbale dans la constitution de la phrase, sur la place centrale du verbe, placé, le plus
souvent, sauf licence grammaticale, au cœur même de la phrase minimale, dans une position
dominante (régissante)2. Projetés sur le plan de la syntaxe structurale, le procès, les acteurs et les
circonstances du drame de Tesnière s’appellent respectivement verbes, actants et circonstants.
Communiquer un événement se traduit sur le plan linguistique par le choix d’un verbe (c’est le
verbe qui “fait” l’événement), d’un ou de plusieurs groupes nominaux (actants sujet, objet,
bénéficiaire, etc.) et de groupes adverbiaux, adverbes ou groupes nominaux équivalents
(circonstants de temps, de lieu, de cause, de manière, etc.).
Ainsi dans :
Le matin, dans le salon, souriant, Alain offrait des orchidées à sa femme,
le “drame” est déclenché par le verbe offrir exprimant un procès, qui engage trois acteurs : un
actant-sujet, Alain, un actant-objet, des orchidées, enfin un actant-bénéficiaire, à sa femme, et
qui se passe dans certaines circonstances exprimées par : un circonstant de temps, le matin, un
circonstant de manière, souriant, enfin un circonstant de lieu, dans le salon. Actants et
circonstants convergeant vers le verbe, “suscités” en quelque sorte par le procès exprimé par le
verbe, avec lequel ils entretiennent des rapports plus ou moins étroits, sont tous dominés
sémantiquement et syntaxiquement par le nœud verbal, avec toutefois, un lien bien plus lâche pour
les circonstants (cf. infra les compléments de phrase ou dans Dospinescu, 1998, Tout (ou presque)
sur le groupe nominal en français contemporain : 273-276) qu’on peut supprimer sans que, pour
autant, la phrase cesse d’exister, bien qu’elle devienne plus pauvre “informationnellement” parlant :
Alain offrait des orchidées à sa femme.
Voici, sous forme d'arbre, une représentation de cette proposition (minimale) organisée autour
du verbe et dominée par lui (le trait en pontillé marque bien le lien syntaxique, bien plus lâche, entre
le verbe et les circonstants) :
2 « Le nœud verbal, que l’on trouve au centre de la plupart de nos langues européennes, exprime tout un petit drame. Comme un
drame en effet, il comporte obligatoirement un procès, et le plus souvent des acteurs et des circonstances (Tesnière, 1976 : 102).
1
offrait
On voit bien, sur cet arbre, la hiérarchie des connexions qui relient les termes de la phrase, la
position dominante du verbe, le nœud des nœuds, la clef de voûte de la structure phrastique.
La grammaire générative-transformationnelle (cf. Chomsky, 1969) voit dans le verbe le centre,
le noyau du syntagme verbal, lequel est dominé par une unité syntaxique supérieure, la phrase
noyau, dont il est, sur un pied d’égalité avec le syntagme nominal sujet, le constituant immédiat (le
deuxième, si l’on tient compte de l’ordre de la règle de réécriture de la phrase noyau) :
SV → Aux + V + SN
V → Vtr + SN / Vintr…
L’énoncé : Le matin, dans le salon, souriant, Alain offrait des orchidées à sa femme sera segmenté
en SN (sujet), Alain, le thème de la phrase, et en SV, offrait des orchidées à sa femme, qui en est le
prédicat, propos, rhème ou commentaire du thème, et qui est formé de V offrait + SN2 des
orchidées + SN3 à sa femme. Les autres circonstants — le matin, dans le salon, souriant — sont
dominés par la phrase, l’unité syntaxique supérieure, non pas par le verbe. Voici l’arbre de cette
phrase dans la conception de la grammaire générative-transformationnelle, où SN 2 et SN3 sont,
comme on voit, sous la dépendance directe du verbe tandis que les syntagmes prépositionnels —
SP1, SP2, SP3 —, mis entre parenthèses, sont facultatifs (c’est-à-dire qu’ils peuvent être supprimées
sans que la phrase noyau cesse d’exister) :
SN1 SV
Alain offrait des orchidées à sa femme (souriant) (le matin) (dans le salon)
Du point de vue d’une linguistique énonciative, on ne saurait manquer de faire valoir le rôle –
tout aussi prééminent – du verbe qui est, à chacune de ses actualisations, celui qui effectue la
2
prédication en même temps qu’il accomplit l’ancrage pragmatique 3 de celle-ci dans la situation de
communication.
En mettant ensemble les trois critères – sémantique, morphologique et syntaxique, nous dirons,
pour finir, que le nom et le verbe se distinguent en tant que classe morpho-syntaxique par les traits
suivants :
▪ les morphèmes flexionnels qu’ils mettent en jeu : genre et nombre pour le nom (voir
Dospinescu, 1998 : 48-74), personne, temps, mode, voix, et même nombre et genre (cf. le
participe passé, surtout dans le code écrit) pour le verbe ;
▪ par leur fonctionnement syntagmatique (les places qu’ils occupent dans la phrase, la
▪ par la fonction énonciative, que seul le verbe (même non réalisé, il est toujours sous-
Tests
Définition du verbe
7. Dans la phrase : Jeanne offre le cadeau à son ami, dans une atmosphère très sympa,
selon les principes de la syntaxe structurale, à son ami est :
a) un circonstant
b) un actant-sujet
c) un actant-bénéficiaire
4
a) le thème
b) le rhème
c) le circonstant
UNITÈ 2
Le verbe subit, pour passer du dictionnaire dans le discours, des modifications formelles plus
ou moins importantes de façon à ancrer le procès qu’il exprime dans le temps par rapport à
l’énonciateur, à le rapporter à la personne et au nombre de l’actant-sujet, enfin de façon à marquer
le mode du procès donné pour sûr, possible, probable et le type de communication établie entre
l’énonciateur et l’énonciataire – statut de l’énoncé : assertif, impératif, interrogatif, etc., ainsi que
l’attitude interprétative du locuteur au sujet de son propre dire.
L’ensemble des formes que revêt le verbe selon la personne, le temps (et l’aspect), le mode et
la voix (active, passive, pronominale, impersonnelle) constitue sa conjugaison. Toute forme
conjuguée est analysable, grosso modo, en deux segments :
dictionnaire) ;
5
⮚ et un morphème grammatical, porteur de l’information grammaticale (temps, personne,
L’union du morphème lexical avec le morphème grammatical peut se présenter comme une
structure continue, compacte, et c’est le cas des formes simples : (nous) monterons, ou bien comme
une structure discontinue, dispersée, et c’est le cas des formes composées du verbe : (nous) sommes
montés. Voici une représentation graphique de cette analyse :
Dans les formes simples sont unis le morphème du radical et le morphème désinentiel, toujours
postposé, tandis que dans les formes composées les auxiliaires être ou avoir sont, en tant que
morphèmes, préposés et disjoints, porteurs de l’information grammaticale (mode, temps, personne
et nombre) en relation avec l’affixe désinentiel, conjoint et postposé au morphème lexical (mont-é-
s). Dans les formes simples (nous monterons) les constituants se succèdent conformément au
schéma : personne + morphème lexical + morphème désinentiel (information grammaticale :
6
personne, nombre, mode, temps), tandis que dans les formes composées (nous sommes montés)
nous assistons à une succession différente, plus complexe aussi : personne + morphème
grammatical (information grammaticale : personne, nombre, mode, temps) + morphème lexical +
morphème(s) désinentiel(s), indice(s) catégoriel(s) d’aspect : accompli, de genre et de nombre dans
le seul code écrit.
Nous signalons simplement ici l’existence, dans certaines régions, de formes surcomposées
( cf. L.B.U., pp. 610-612) : j’ai mangé → j’ai eu mangé ; il avait mangé → il avait eu mangé :
Quand il l’ont eu fait mourir, ils se sont mis à partir… (Giono)
7
assailli, sorti), 3. -u (lu, bu, vu, voulu), ou en consonne4 : 4. -s (acquis, mis, pris), 5. -t (fait, écrit,
confit).
Enfin, avec des verbes tels aller, haïr, voir, croire, venir, valoir, pouvoir, etc., l’analyste se
heurtera, dans ses efforts de classification, à l’évidence d’un noyau dur de verbes irréguliers, qui
débordent les frontières des trois conjugaisons traditionnelles malgré la régularité relative des
désinences de temps. Et que faire donc, en outre, de ce qu’on appelle des « irréguliers » des
« irréguliers » à l’intérieur de la même “famille” : dire, redire font (vous) dites, redites ;
contredire, médire, interdire, etc. font bande à part : (vous) contredisez, médisez, interdisez ; quant
à maudire, il passe dans le camp de finir (vous maudissez) en quittant sa famille, avec laquelle il ne
conserve plus qu’un seul et dernier lien : le participe passé maudit, e.
4 ... dans le code écrit au masculin et dans le code oral au féminin. A l’oral le masculin se termine toujours en voyelle.
5 Voir l’article trait du DL (Dictionnaire de linguistique) qui donne une vue aussi succincte que pertinente sur les traits inhérents et
les traits contextuels (pp. 491-493).
8
peut attirer un syntagme nominal objet direct [+ aliment], ou par métaphore [– aliment], tels du
pain, un bout de viande, de la confiture, beaucoup d’essence, toute ma soirée, etc. :
Alain mange du pain. – Ma chatte a mangé de la confiture. – Le soir je mange un bout
de viande. – Ma voiture mange beaucoup d’essence. – Les histoires d’Alain ont
carrément mangé toute ma soirée.
A lire attentivement ces exemples, nous retrouvons à peu près toute la combinatoire sémantico-
syntaxique de manger. En ouvrant un dictionnaire, nous découvrirons que cette combinatoire
comporte également des structures telles : manger qqn. des yeux, où ce même verbe développe une
deuxième latitude combinatoire, à savoir, le trait de sous-catégorisation stricte [+ SP], réalisé par
des yeux, ce qui se solde, au niveau sémantique, par un sens nouveau /regarder avidement/. De
même, manger un bébé de baisers signifie /couvrir un bébé de baisers/. C’est dire que les traits
inhérents et les traits contextuels, ou sémantique et syntaxe, interagissent en s’impliquant les uns les
autres dans le processus de production du sens. Un changement intervenu dans le statut sémantique
(sujet [+ animé] ► [- animé] entraînant objet [+ aliment] ►aliment]), annule, par exemple, telle
latitude combinatoire (tel trait contextuel) : on dit toujours très bien Alain mange, mais jamais Ma
voiture mange. Avec un sujet [– animé], le verbe manger exige un objet explicite : Le poële mange
beaucoup de bois. On pourrait continuer indéfiniment à jouer sur les compatibilités /
incompatibilités des traits inhérents avec les traits contextuels dans le cas d’un lexème comme
manger. Il suffit, pour en mesurer toute l’importance, d’ouvrir les dictionnaires (par exemple, le
Dictionnaire du français contemporain, véritable « dictionnaire de phrases », qui met en évidence
la construction des mots à travers l’interdépendance des formes et des sens) et voir comment le
comportement syntactico-sémantique est en quelque sorte préprogrammé par des indications
explicites du genre : [sujet nom de personne], [sujet nom de chose], [objet nom de personne], [objet
nom de chose], etc., définissant des classes sémantiques et syntaxiques à la fois, et présidant aux
contraintes combinatoires de chaque verbe et à l’engendrement de ses différentes significations
contextuelles.
Dans ce qui suit nous présentons les principaux traits inhérents et contextuels du verbe français 6
dans le but – pédagogique par excellence – d’initier à une “lecture” grammaticale efficace de la
construction verbale en français de nos jours.
10
● verbes de matière : argenter, bétonner, laquer, zinguer, etc.
● verbes de manière (les façons de faire de l’agent indiqué par le radical verbal : annôner,
● verbes de mouvement, dans leur grande diversité due au grand nombre de sèmes spatiaux
psychologique, de perception, etc. – d’un actant sujet qui la subit en tant que siège de cette
activité suscitée par des facteurs plutôt extérieurs) : aimer, détester, craindre, désirer,
11
comprendre, réfléchir, écouter, entendre, sonner, humer, sentir, goûter, toucher, caresser,
etc. (voir aussi Dospinescu, 2000 : 82-88).
12
par une séquence verbale formée du verbe prédicatif devenir ou se faire suivi d’un adjectif (ou
un substantif) : Le temps s’adoucit ►Le temps devient (se fait) plus doux. L’enfant grandit
►L’enfant devient (se fait) plus grand. La crème épaissit ►La crème devient (se fait) plus
épaisse. On a l’impression d’avoir rapetissé… (Tharaud, in Petit Robert) ►On a l’impression
d’être devenu (s’être fait) plus petit…
La construction devenir (se faire) + groupe nominal à article zéro exprime au présent le
changement en cours (transformation relative, acquisition progressive de certaines qualités, qui
définiront un état nouveau) : Il devient (se fait) pilote de formule 1, et, à un temps passé au trait (+
perfectif), la même expression dénote l’état acquis (aboutissement d’une transformation totale, d’un
devenir radical) : Il est devenu (s’est fait) pilote de formule 1. C’est ce qui fait que, une fois que le
résultat est acquis, et donc l’état est assumé par le sujet du devenir, le nom en position de prédicat
peut prendre l’article et même un adjectif qualificatif : Il est devenu un (grand) pilote de formule
1!
Les verbes éventifs forment une classe sémantique très riche et, théoriquement, ouverte. La
chaîne dérivative [dérivation suffixale : maigre + -ir + maigrir, ou parasynthétique : en- + canaille
+ -er (s')encanailler] qui engendre des verbes éventifs est de la forme : Adjectif ► Verbe
transitif Verbe pronominal (réfléchi ou réciproque)►Verbe intransitif éventif : blanc ►
blanchir (du linge) se blanchir (/ se discluper, s’innocenter /)►blanchir (de
rage) ;►jeune►rajeunir (un vieillard)►se rajeunir (/ se faire passer plus jeune qu’on est /)
►rajeunir (Vous rajeunissez, Madame !), ou bien de la forme : Adjectif / Nom ►Verbe transitif
►se + Verbe (transitif) éventif ►Verbe (intransitif) éventif : lourd ►alourdir ►s'alourdir ;
caramel ►caraméliser (du sucre) ►se caraméliser ; graisse ► engraisser (des
volailles)►s’engraisser (de la sueur du peuple)►engraisser (/grossir, prendre de l’embonpoint/)
etc.
8 Bien que le Petit Robert (1989) ne le signale pas, l’emploi [+ intr.] de déprimer (= affaiblir physiquement ou moralement) est d’un
usage très vivant : On déprime plus ou moins, mais on déprime ! Cela nous fait nuancer certaines affirmations péremptoires et dire
que si les verbes transitifs sont censés (en langue) ne pas ignorer la construction intransitive, le discours, avec ses contraintes et
besoins expressifs, est toujours là, pour “forcer” la langue à concéder certaines libertés. Autrement dit, l’ “inhérence” des traits
sémantiques et syntaxiques est une loi que le discours sait enfreindre, souvent avec élégance, au bénéfice de la langue même !
9 Cf. tomber, qui, dans le vocabulaire des sports (Lutte), signifie comme transitif /vaincre l’adversaire en le faisant tomber sur le
dos/, a développé un sens familier dans tomber sa veste (= l’enlever précipitamment ) et un sens populaire dans tomber une femme (la
séduire).
10 Voir l’article aspect dans le D.L.
11 Pour le détail du fonctionnement de l’aspect en français contemporain, voir infra L’aspect verbal ou Dospinescu, 2000 : 191.
14
Alain court, il court depuis des heures… Tout à coup, son cœur faiblit : il s’arrête net,
attend un moment, puis il se remet à marcher lentement.
Les verbes en gras sont des verbes duratifs (ou bien « cursifs », « imperfectifs », « non-
terminatifs », « non-conclusifs », appellations qui parlent d’elles-mêmes). En voici d’autres : aimer,
bavarder, circuler, chasser, chercher, demeurer, détester, dormir, durer, espérer, essayer, habiter,
haïr, jalouser, languir, lire, manger, marcher, nager, pleurer, parler, penser, ranger, posséder,
pourchasser, quêter, travailler, voyager, etc. :
Le sénateur Dupont allongeait le pas car Wolf marchait vite. (Vian)
Les verbes [– duratif], à l’opposé des verbes duratifs, dénotent des procès plutôt ponctuels,
ayant une limite interne qui coïncide presque avec le moment du déclenchement de l’action. Ce sont
des « procès à terme fixe ». C’est pourquoi, d’ailleurs, on les appelle aussi « ponctuels »,
« momentanés », « perfectifs », « conclusifs », « terminatifs » : accomplir, accourir, achever,
allumer, apparaître, arriver, casser, couper, comprendre, disparaître, entrer, finir, fermer, foncer,
jaillir, jeter, interrompre, lancer, mourir, naître, ouvrir, tomber, trouver, voir, etc. (voir notes de
bas de page 23 et 24 dans Dospinescu, 2000 : 94) :
Sur l’écran, on voyait qu’elles dormaient. Wolf poussa la porte. […] Wolf laissa tomber
ses vêtements à ses pieds. Lazuli battit avec un lacet de soulier et arracha tout. (Vian)
Test A
Sémantique du verbe
8. Parmi les séries ci-dessous choisissez celle qui comporte le trait [-duratif] :
a) achever, allumer, casser
b) aimer, courir, bavarder
c) entrer, marcher, penser
Test B
Sémantique du verbe
8. Parmi les séries ci-dessous choisissez celle qui comporte le trait [+duratif] :
a) achever, allumer, casser
b) aimer, courir, bavarder
c) entrer, marcher, penser
9. Parmi les séries ci-dessous choisissez celle qui comporte le trait [+ inchoatif] :
a) achever, allumer, casser
b) débuter, arracher, tomber
c) déclencher, amorcer, entamer
10. Parmi les séries ci-dessous choisissez celle qui comporte le trait [-itératif] :
a) achever, allumer, casser
b) tournoyer, aboyer, mordiller
c) gazouiller, finir, mourir
UNITÈ 4
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IV. Syntagmatique du verbe : le groupe verbal
19
veut dire que le lexème verbal, symbolisé par [Aux —], comporte le trait sémantique [+ animé] et
les traits syntaxiques SNsujet à gauche et SPobjet à droite13.
Le groupe verbal (dorénavant, SV) est le deuxième constituant immédiat de la phrase minimale
dont l’analyse se réécrit en : P → SN + SV. Le SV, qui se réécrit : SV → V + Dt, est donc le
symbole du groupe verbal constitué d’un verbe, le centre ou le noyau du groupe, et d’un ou
plusieurs déterminants (compléménts d’objet), dont les réalisateurs en surface peuvent être ∅, un
groupe nominal, ou plusieurs, et même toute une proposition (complétive). Le verbe peut, sous
certaines conditions (verbes sans déterminants, ou intransitifs, verbes à déterminants prédictables), à
lui seul constituer le groupe verbal (SV → V) : [Alain]SN [bluffe]SV ; [Alain]SN [mange]SV, puis [il]SN
[part]SV.
Les frontières du groupe verbal sont traçables et reconnaissables aux procédures suivantes :
♦ substitution d’un seul élément à la séquence verbe + objet(s), mais pas à la séquence sujet
+ verbe : Alain raconte des histoires énormes à ses amis → Alain déraisonne ; mais : Alain
raconte des histoires énormes à ses amis → ? ? ? des histoires énormes à ses amis ;
que » sur tout le groupe verbal : Alain ne fait que raconter des histoires énormes à ses
amis ;
♦ le groupe verbal est, dans son intégralité, représentable par les proformes verbales dans
♦ enfin, il faut dire que si le sujet pose le thème de la phrase, le groupe verbal (SV), lui, pose
le rhème (le « prédicat » ou le « propos »), qui représente ce qui est dit ou nié du thème.
13 Voir, pour plus de détails, le DL, pp. 491-492. Voir aussi « Règles de sous-catégorisation et traits lexicaux du verbe », dans
J.Dubois et F. Dubois-Charlier, 1970 : 84 – 92.
20
Le rhème prend la forme, sauf les cas de lien copulatif ou de prédication incomplète (omission
de la copule, du rhème ou du thème), d’un syntagme verbal divisible en un noyau – obligatoire,
donc incontournable ! –, le verbe (V) et un syntagme nominal sous toutes ses formes, y compris ses
équivalents pronominaux et propositionnels : Alain raconte des histoires. Alain raconte des
histoires à ses amis. Tpron→ Alain leur raconte des histoires . Tpron → Alain leur en raconte.Alain
sait raconter des histoires. Il sait que ses amis aiment beaucoup ça. Les séquences en italique sont
des syntagmes verbaux, constitués d’un verbe (en gras) et de déterminants ou compléments (en
italique) réalisés par des noms, des pronoms, des infinitifs – forme nominale du verbe – et par toute
une proposition.
Mais, généralement, le verbe peut aussi être accompagné d’un ou de plusieurs éléments —
obligatoires ou facultatifs —, rendus tels soit par le contexte proprement linguistique (le statut
syntaxique du verbe et ses « valences » combinatoires) ou par le contexte extralinguistique, ou
situation d’énonciation, avec toutes ses contraintes culturelles, idéologiques, psychologiques, etc.
Ainsi, donc, le verbe peut-il être “caractérisé”, “quantifié” par des adverbes, ou expressions
équivalentes, modificateurs directs : Alain raconte bien / vite / lentement / beaucoup /
affreusement / à merveille / avec plein de charme…(des histoires très marrantes). Le statut
syntaxique du lexème verbal « raconter », c’est-à-dire le nombre et la nature des déterminants qu’il
peut prendre dans le discours, est “négociable” (et négocié toujours en fonction des repères
énonciatifs) par le locuteur dans l’acte même d’énonciation. C’est dans le jeu de choix relativement
contraints entre règles syntagmatiques et traits sémantiques, dans ces subtils “marchandages” entre
exigences syntaxiques et requis sémantiques que l’énonciateur affirme sa liberté d’expression
créative. C’est ce qui rend possible que l’on puisse dire, par exemple, « Pierre tue le temps », bien
que le verbe « tuer » comporte le trait de sélection syntagmatique [+ transitif direct] et le trait
sémantique [+ animé].
Aussi nous faut-il retenir que les différentes classes de verbes, établies à partir des
compatibilités syntactico-sémantiques, sont autant de schémas de construction du syntagme verbal
et que les lexèmes verbaux, loin d’y rester enfermés, peuvent s’en évader pour assumer des
fonctionnements “non-conformistes”, adaptés à la grande variété des situations de communication.
rôles actanciels réalisés par des compléments, dits d’objet direct si reliés sans le truchement
d’une préposition (construction transitive directe) : Pierre cache la vérité. – Il va gagner
14 Sur tous ces semi-auxiliaires, et sur bien d’autres, voir des commentaires (sémantiques) et de nombreux exemples dans Grevisse,
LBU, 1969, § 655, p. 596602.
22
Paris à moto, et d’objet indirect si reliés au verbe au moyen d’une préposition
(construction transitive indirecte) : Pierre pardonne à son ami. – Le directeur doit aller à
Paris. Après certains verbes, ces compléments peuvent aussi être réalisés par toute une
proposition (complétive : Je crois / me demande que / si Pierre viendra. Je m’attends à ce
que Pierre vienne, etc., ou un infinitif : Pierre comptait venir) ;
♦ transitive à double complémentation (et même triple pour quelques verbes : acheter,
vendre, traduire, etc.) lorsque le verbe appelle deux compléments, l’un direct et l’autre
indirect, que certaines grammaires appellent aussi, quand ils se présentent dans cet ordre,
objet premier et objet second : Alain indique la route (objet premier) à son ami (objet second) ;
♦ attributive lorsque le verbe instaure, entre son sujet ou son complément d’objet et un autre
terme (dit attribut, réalisé le plus souvent par un syntagme nominal ou adjectival), un
rapport d’équivalence, d’identité ou d’appartenance, marqué aussi, le plus souvent, par le
phénomène de l’accord : Alain est devenu un très bon acteur. Sa carrière a été / s’annonce
brillante. Je trouve impressionnant son dernier rôle.
IV.2.2. La construction verbale dans le discours
Au niveau de la dynamique du discours cependant, les verbes transitifs comportent deux
constructions particulières, l’une qu’on appelle construction absolue, c’est-à-dire sans complément
d’objet explicite (Alain cherche toujours), et l’autre construction à objet interne, complément qui
reproduit, de manière apparemment tautologique, la signification du verbe qu’il accompagne (Il vit
sa vie). Les verbes intransitifs à leur tour peuvent parfois prendre un complément d’objet
(Indifférent à tout, le jeune homme allait son chemin). Dans tous les cas, de construction absolue et
d’objet interne, avec les verbes transitifs ou intransitifs, toutes sortes d’effets de sens sont à prévoir :
si l’on peut dire que Pierre lit / écrit (‘sait lire / écrire’) ou qu’il mange (‘en ce moment’, ‘est
occupé à manger’, ‘mange de nouveau après sa longue maladie’), dire que Pierre boit, c’est plus
qu’un effet de sens anodin, c’est, tout bêtement, le traiter d’alcoolique. Toutes les fois que le
locuteur “s’empare” de la langue pour en faire un usage plus ou moins subjectif, plus ou moins
original, les définitions, comme les classifications ou les règles grammaticales, vacillent. Cela arrive
dans ces registres de la langue qui sont le plus marqués par la subjectivité envahissante du locuteur,
le français parlé, familier, argotique, populaire, ou dans le parler autrement indomptable, spontané
et imprévisible du poète (voir d’autres explications et exemplifications dans Dospinescu, 2000 :
107-110).
Avant de présenter les traits contextuels des verbes français, nous reprenons dans un tableau
récapitulatif (cf. Riegel, Pellat et Rioul, 1994 : 219) les principaux types de construction verbale du
23
français : « le tableau suivant présente les principales constructions du verbe dans la phrase de
base : (TR = transitive ; INT = intransitve ; DIR = directe ; IND = indirecte ; ADC = (transitive) à
deux compléments ; ATC = (transitive) à trois compléments ; ATTR = attributive) » :
Constructi
GV Complémentation
on
+
INT Pas de complément
Il récidivera
+ GN
TR DIR Complément direct
Il a lu la lettre.
+ GP
TR IND Complément indirect
Il ressemble à son frère.
+ GN + GP
Complément direct
Il confie son argent à la banque.
Complément indirect
ADC
Complément indirect
+ GP1 + GP2 + Complément indirect
V Il a parlé de notre projet à ses associés.
24
Le critère de la nécessité du/des déterminant/s oppose les verbes en verbes à déterminants
obligatoires (compléments de verbe : objets ou circonstants), dominés par le nœud verbal, et
verbes à déterminants facultatifs (compléments de phrase : toutes sortes de circonstants), dominés
par le nœud propositionnel.
L’opposition syntaxique déterminant obligatoire /vs/ déterminant facultatif ne couvre pas
l’opposition sémantique objet /vs/ circonstant, car les circonstants peuvent, fonction du sémantisme
du verbe, être :
♦ obligatoires, autrement dit, “prévus” en structure profonde et toujours réalisés en surface : aller
à / dans / chez N [+ situation locale], se diriger vers N [+ situation locale], habiter / à / dans /
chez N [+ situation locale], etc. ;
de N [+ situation locale]), arriver (à / de N [+ situation locale]), etc. On peut en dire autant des
compléments d’objet, direct et indirect : Il fait des bêtises (*Il fait) /vs/ Il lit des romans (Il lit) –
Il se joint au groupe (*Il se joint) /vs/ Il rêve de voyages (Il rêve).
Il y a donc une première classe de verbes français qui, afin de bâtir l’édifice de la phrase et
d’actualiser pleinement leur/s sens, sont censés pouvoir se faire déterminer par un ou deux
compléments, construits de façon directe ou indirecte, compléments d’objet, conjoints, obligatoires,
essentiels, et alors la langue leur octroie le privilège d’une transitivité “congénitale” (transmise par
la langue), ils sont donc transitifs “de naissance” : Alain arrose les fleurs, parle à sa petite amie et
songe déjà à leur avenir commun. S’y rattachent également les verbes qui se font obligatoirement
déterminer par un circonstant : Alain va à Paris – Il habite dans un beau quartier – Il s’est joint à
nous. C’est bien là la grande classe des verbes déterminés, ou transitifs.
D’autres sont tenus à bâtir et soutenir à eux seuls l’édifice de la phrase, faculté qu’ils héritent
toujours de la langue, et si parfois ils s’entourent de toutes sortes de circonstants (compléments de
phrase, ajouts facultatifs, secondaires, disjoints), c’est pour y ajouter de nouveaux éléments
d’architecture, autant de développements qui ne changent rien à la structure de base : la preuve en
est qu’on peut les supprimer sans nuire “fondamentalement” à l’édifice : Alain bouge (beaucoup)
(autour des parterres), va et vient, s’avance et recule (lestement) (sur les petits sentiers), (de
temps à autre) s’immobilise et sourit (à sa compagne). C’est la grande classe des verbes non-
déterminés, plus unanimement connus sous le nom de verbes intransitifs.
Cependant, dès qu’ils quittent le domaine de la langue, les uns comme les autres se disputent la
place et les privilèges concédés par la langue : ainsi dans Ce soir, au dîner, Alain va bien arroser, le
transitif arroser (des fleurs) prend des allures de verbe intransitif, et, dans Il va reculer son départ
25
pour Paris, l’intransitif reculer se donne volontiers un objet et se déclare transitif, tout en prenant la
place de différer, d’ajourner ou bien de retarder. Nous n’y voyons que les avatars syntactico-
sémantiques que font subir aux verbes des deux premières classes les contraintes des contextes
linguistique et situationnel et le savoir-faire énonciatif du locuteur.
Enfin, il y a une troisième classe de “verbes”, dont le rôle, beaucoup moins glorieux, est de
mettre comme un signe = entre un sujet (ou un objet direct) et une qualité, un aspect, un statut, une
localisation que celui-ci peut temporairement prendre, “verbes” que l’on réunit sous le vocable de
verbes copule et dont le déterminant s’appelle attribut du sujet ou de l’objet.
La configuration syntagmatique du groupe verbal français est donc sous-tendue par trois
concepts-catégories :
- détermination transitive : présence obligatoire d’au moins un SN-objet dans la structure
profonde, même si, en fonction du contexte, il est réalisé par en surface ;
- détermination circonstancielle ou intransitive : absence de SN-objet dans la structure
profonde, même si, en fonction du contexte, il est réalisé en surface, présence
obligatoire d’un SP / SAdv-circonstant en structure sous-jacente et en surface : les verbes
comme aller, habiter, etc., ou présence facultative d’un nombre – en théorie illimité – de
SP / SAdv-circonstants) ;
- et détermination attributive ou attributivité : présence obligatoire, en profondeur et en
surface, d’un SN / SP / SAdj / SAdv-attribut : Alain est travailleur / un bon jardinier / dans
le jardin / ici).
Enfin, rappelons que ces catégories, tout en s’opposant, s’attirent ou même se combinent,
suivant les aléas de l’acte et de la situation d’énonciation, pour engendrer, au niveau du discours,
une combinatoire syntagmatique souple, qui fait la vivacité syntaxique (avec des répercussions
toujours importantes sur le plan sémantique) de la construction verbale en français de nos
jours (voir aussi Dospinescu, 2000 : 111-113). C’est donc la présence actuelle, “matérielle”,
dirions-nous, des actants objets – unique, double et même triple –, et des circonstants obligatoires
qui fonde le statut syntactico-sémantique du verbe.
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intégrant les spécifications qui pourraient être exprimées par des compléments : ronfler, éternuer,
bailler, tousser, récidiver, agoniser, boursicoter [= jouer à la bourse], cabotiner, jeûner, etc. »
(G.M.F. : 221).
Les principaux verbes non déterminés relèvent des classes sémantiques suivantes (cf. Cristea,
1979) :
courir, chanceler, déménager, danser, disparaître, s’enfuir, entrer, flâner, jaillir, louvoyer,
marcher, naviguer, partir, ramper, reculer, revenir, sortir, survenir, tomber, venir,
voyager, zigzaguer, etc. ;
● verbes d’état [+ manière d’être] / [+ changement] : décéder, exister, mourir, naître, vivre,
etc. ;
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IV.3.2.1. Verbes [+ déterminé] : [+ transitif], [+ direct] : l’objet direct
C’est le cas des verbes à deux actants, un sujet et un seul objet, se combinant avec deux
syntagmes nominaux :
On l’appelle objet direct parce qu’il se construit sans préposition : Alain demande sa paye, mais
aussi avec préposition devant un infinitif ou une subordonnée-objet, tout en restant
pronominalisable par le / ça ou en : Alain demande à être payé ► Il le demande / Il demande ça –
Alain boit du vin / de ce vin / de mon meilleur vin ► Il en boit – Alain demande qu’on lui
obéisse / à ce qu’on lui obéisse Il le demande / Il demande ça). Postposé au verbe, sauf les cas
d’emphase, où, placé en tête de la proposition, il est réalisé une deuxième fois, par reprise
pronominale (p. ex. : Ce livre, je l’ai acheté pour moins que rien), l’objet direct peut :
- entrer dans une transformation passive (L’enfant dessine le serpent Tpassive Le serpent est
dessiné par l’enfant) ;
- être toujours pronominalisable par le / la / les (pour les noms [+ défini], actualisés par un
article défini, ou démonstratif, ou possessif) et par le pronom en (pour les noms [– défini], [–
comptable], actualisés par des indéfinis et des partitifs) ;
- répondre toujours à la question « qu’est-ce que ? » pour les noms [ animé], [– humain] et
« qui est-ce que ? » pour les noms [+ humain] ;
- subir la relativisation par que (Il a bu une bière glacée : elle l’a rendu malade Trel La
bière qu’il a bue l’a rendu malade) ;
- enfin, subir la transformation de nominalisation (Alain définit correctement le phonème
Tnominalisation La définition correcte du phonème par Alain : l’objet direct le phonème
devient complément du nom centre définition, représentant la nominalisation du verbe
définit). Tout verbe qui présente au moins trois des caractéristiques ci-dessus est sûrement
transitif direct (voir maintes exceptions dans Dospinescu, 2000 : 118, note 20).
Voici maintenant une petite liste de verbes aux traits contextuels [+ déterminé], [+ transitif], [+
direct], définissant ce qu’on appelle par tradition les verbes transitifs directs : abattre, absorber,
accorder, actionner…, baisser, briser…, cacher, caresser, capter, caser, cesser, cerner, contenter,
consommer, corrompre…, détruire, dédommager, démolir, dompter,… éblouir, étourdir, emmener,
écouter, énerver, étonner, exécuter…, fâcher, faire, façonner, fournir, fustiger…, gaver, garer,
gérer, goûter, gripper, grouper…, harceler, heurter, hospitaliser…, imposer, impressionner,
impulser, incarcérer, inciser, infester, inviter, introduire…, jeter, juger…, kidnapper, libérer, lacer,
lâcher, laisser, lambrisser, lénifier…, manger, marier, masquer, mettre, moudre, mumifier …,
narguer, narrer, nettoyer…, offrir, orner, ôter, ouvrir…, parer, peser, piller, poser, prendre…,
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savourer, serrer, servir, soumettre, soutenir, suspendre…, tasser, tenter, tondre…, vanter, viser,
voir…:
Arrivés à la tombée du jour, nous avons écouté, près du pope en chasuble d’or, trois
jeunes religieuses, debout devant un lutrin pivotant, alterner des psaumes et des litanies.
L’église, déserte, s’enfonçait dans la nuit. Jamais voix plus pures n’ont illuminé des
ténèbres. (Dominique Fernandez)
Postposé au verbe, précédé presque toujours par une préposition invariable, pronominalisable par
lui / leur ou à lui, à elle / à eux, à elles et en / y (pour les seuls noms [– humain], du moins en
français littéraire écrit), n’acceptant pas d’être tourné par le passif (voir la note 24), le complément
d’objet indirect répond à la question Prép + quoi / qui est-ce que ? Tels sont les critères auxquels
on reconnaît le COI :
Alain pense à ses amis roumains, oui, il pense souvent à eux. – Alain réfléchit à son
cours, il y pense presque tous les jours. – Alain parle beaucoup de ses étudiants et de ses
étudiantes, il parle souvent d’eux et, parfois, il se souvient d’elles aussi. Il s’occupe aussi
bien de leurs recherches et, chaque fois qu’il y pense, il en parle avec de la sympathie.
Nombreux sont les verbes qui construisent leur actant objet avec une préposition. En voici
quelques exemples :
● à : les verbes qui introduisent leur objet avec cette préposition présentent la particularité de
♦ verbes [+ lui / leur], qui représentent leur objet par lui / leur en antéposition : appartenir,
15 « On opposera ainsi la lecture « holistique » et immédiate de la relation du verbe au complément direct à la lecture partitive et
médiate de sa relation au complément indirect dans les couples de constructions : habiter[= occuper] un appartement / habiter dans
un appartement […] (GMF :225).
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♦ verbes [+ à lui / elle / eux / elles], dont l’objet indirect est pronominalisable par à + lui /
elle / eux / elles, placé après le verbe, ou encore par y, suivant l’opposition sémantique [+
humain] / [ humain] : aboutir, accéder, se conformer, se confier, se fier, se heurter,
s’intéresser, mener, s’opposer, participer, penser, réfléchir, songer, se soustraire, etc. :
Alain aimait beaucoup Solange : il songeait à elle tous les soirs. Il comptait l’emmener
en voyage : il y songeait très sérieusement depuis déjà des mois.
♦ contre : s’abriter contre un mur, buter contre un obstacle, s’écraser contre un arbre, lutter
♦ dans : consister dans un refus, s’enfoncer dans la nuit, s’empêtrer dans des explications
pénibles, s’engager dans une action risquée, s’immiscer / s’ingérer dans les affaires
d’autrui, s’impliquer dans une action caritative, s’infiltrer dans un réseau de résistance,
s’introduire dans la vie de quelqu’un, etc. ;
♦ sur : s’apitoyer sur son propre sort, compter sur son autorité, déboucher sur une impasse,
se précipiter sur sa chance, se pencher sur un sujet douloureux, se ruer sur l’or, sauter sur
l’occasion, tomber sur un inconnu, etc.
Les auteurs da la Grammaire méthodique du français (G.M.F., 1994: 223), donnent d’autres
prépositions : après dans courir après les honneurs, avec dans jouer avec le feu / danser avec sa
femme, autour dans tourner autour de la place / s’enrouler autour du cou, chez dans habiter / loger
chez ses parents, en dans partir en vacances / monter en voiture, vivre en France, par dans passer
par de rudes épreuves, pour dans voter pour un candidat de l’opposition / compter pour du beurre /
partir pour l’Angleterre, enfin, une dernière, la préposition vers dans s’avancer vers la tribune / se
tourner vers le public. Les compléments indirects donnés ici en exemples ne sont pas tous,
sémantiquement parlant, des actants objets, ils ne sont pas non plus nécessaires à certains verbes
(jouer, danser, partir, s’enrouler, se tourner), alors qu’ils semblent être obligatoirement appelés par
30
l’incomplétude sémantique de quelques autres (aller, parvenir, habiter, crécher, loger, percher,
résider). La seule chose qui rapproche tous ces verbes, c’est la présence de la préposition. Les
premiers, sémantiquement autosuffisants, tels jouer, partir…, appellent facultativement des
syntagmes adverbiaux ou des syntagmes prépositionnels 16 équivalents, qui fonctionnent comme
constituants périphériques de la phrase (cf. les ajouts, les adjoints, les compléments de phrase) et
remplissent la fonction de circonstants facultatifs. Quant aux seconds, tels aller, habiter…, ils
appellent obligatoirement un déterminant, qui entretient des relations de double implication avec ce
type de verbes : « de même que le verbe obéir implique un second actant auquel le premier
conforme sa conduite, le procès dénoté par le verbe de mouvement parvenir suppose un point
d’aboutissement : Il est parvenu au / jusqu’au sommet. » (GMF : 223). Par ailleurs, on constate la
constance de la préposition avec les verbes transitifs indirects (obéir à, profiter de, compter sur…)
et la variabilité de celle-ci avec ces derniers : aller à / en / dans / vers / sur / sous / devant /
derrière…, aller de X à Y par Z. En outre, rien ne nous empêche de considérer les verbes [+
mouvement], à déterminant obligatoire et à préposition variable, comme des verbes intransitifs se
construisant avec des circonstants locatifs, voire même comme des verbes transitifs indirects (voir,
pour tous ces distinguos, Dospinescu, 2000 : 124-125).
IV.3.2.3. Verbes [+ déterminé] : les transitifs à double objet : V + [objet direct] + [objet second]
Ce sont des verbes trivalents qui forment des phrases à trois actants, un sujet et deux autres
objets, l’un direct et l’autre indirect, ces derniers symbolisés par un syntagme nominal et un
syntagme prépositionnel :
P ► SN0 + V + SN1 + Prép + SN2 : L’enfant montre son dessin à sa mère.
L’objet second, de construction indirecte, présuppose un objet direct (premier) entraîné par
l’actant sujet dans toutes sortes de transactions ; car ces verbes dénotent une activité plus ou moins
concrète qui consiste dans la manipulation, par l’actant sujet, de l’objet direct à l’intention du
troisième actant, l’objet second : Alain a appris sa nouvelle nomination à sa famille. Parfois c’est
l’objet second qui est manipulé par l’actant sujet à l’intention de l’objet direct qui en devient le
destinataire : Il a informé sa famille de sa nouvelle nomination, d’où une série de verbes quasi
synonymes qui s’opposent par l’ordre séquentiel et le rôle sémantique de leurs compléments :
apprendre, annoncer, communiquer, dire, faire savoir qqch. à qqn. / avertir, aviser, informer,
instruire, prévenir qqn. de qqch., mettre qqn. au courant de qqch., – donner, offrir, fournir, livrer,
prêter qqch. à qqn. / équiper, doter, douer, gratifier, nantir, pourvoir qqn. de qqch. – arracher,
prendre, enlever, ôter, voler qqch. à qqn. / amputer, frustrer, priver qqn. de qqch., etc.
16 Cf. les fameux compléments circonstanciels de la grammaire traditionnelle que l’on a tout intérêt à conserver malgré leur
“éparpillement” sémantique, car ils forment une classe à part de compléments, lesquels étant non nucléaires, extérieurs au groupe
verbal, ne conditionnent pas l’existence de la phrase.
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Différentes prépositions peuvent introduire l’objet second :
libérer, munir, nantir, priver, prévenir, recevoir, remplir, ôter, tirer, etc. :
Une intelligence qui dépouillait toujours les choses de leur valeur secrète. (Martin du
Gard)
Ce que l’on aurait pu faire se confond avec ce que l’on aurait dû faire. (Gide, apud
P. Robert)
♦ SN1 + dans + SN2 : enfermer, enfoncer, loger, introduire, ficher, plonger, etc. :
♦ SN1 + sur + SN2 : appliquer, appuyer, baser, braquer, coller, projeter, renseigner, etc. :
Cette rangée d’officiers qui braquent leurs yeux sur lui. (Martin du Gard)
♦ SN1 + Prép. variable + SN2 : jeter, mettre, placer, poser, etc. X à / dans / sur / devant /
contre, etc. Y :
Pierre prend le tableau, le jette sur la table, le reprend et le jette dans sa valise, le
reprend encore et le met contre le mur, entre le secrétaire et la bibliothèque. – J’ai posé
ma main sur sa nuque et j’ai attiré sa tête contre mon épaule. (Daniel Pennac)
Remarques :
1. Riegel, Pellat et Rioul (G.M.F.,1994 : 226) font entrer parmi les compléments doubles ce
qu’ils appellent « le datif étendu », qui, n’étant pas appelé par la signification du verbe, « évoque
une personne qui est indirectement intéressée par le processus dénoté par le verbe et ses actants
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(d’où en grammaire traditionnelle l’appellation de complément d’intérêt) : Sa femme lui a mijoté
un bon coq au riesling – Il m’a encore sali son blouson [dit par la mère qui sait qu’elle devra
nettoyer le blouson] – Chante-moi une chanson ! – Il lui a drôlement arrangé sa voiture ! – Jetez-
moi un coup d’œil sur ce dossier. La préposition à alterne avec pour si le référent du datif étendu est
concerné positivement par le reste de la phrase » (voir comentaires de ces exemples dans
Dospinescu, 2000 : 128-129).
2. Quant au traditionnel « datif éthique », qui ne mobilise que les (pro)noms personnels
désignant les participants directs (première et deuxième personnes) à l’échange linguistique, « il
s’interprète comme une invitation directe adressée au destinataire (littéralement pris à témoin) à
s’investir affectivement (pourquoi ne le ferait-il pas objectivement aussi ? – c’est nous, V.D., qui
posons la question) dans l’action décrite » (ibid.), et il tient de ces manipulations énonciatives, qui,
en l’occurrence, consistent, pour l’énonciateur et / ou le destinataire, à se transporter en tant que
témoins directs – réels ou fictifs – “sur les lieux” de l’événement : Il y en avait une, oh qu’elle me
plaisait, mon ami ! Celle-là je dois dire que je me la préférais à toutes. (Albert Cohen) – Au Mont
Saint-Michel, la mer te monte à une de ses vitesses. (C. Leclère) – Il te lui a filé une de ces gifles !
– Ce bougre-là, je vais te me le coller au bloc. (R. Gary, apud G.M.F. : 226). Dans ces emplois, les
pronoms personnels assument une fonction évaluative-affective, ce qui en fait de vrais marqueurs
de subjectivité énonciative.
3. Enfin, ce que la même tradition grammaticale appelle le « datif partitif ou encore datif de
la possession inaliénable », et même « datif de la totalité impliquée » (cf. G.M.F. : 227), c’est un
complément intra-nucléaire ou « intraprédicationnel », et partant obligatoire, qui « indique le tout
lorsqu’une de ses parties fonctionne comme objet direct ou indirect » (G.M.F. :227) : Pierre lui
prend la main [lui = à quelqu’un], mais : *Pierre prend la main – Il lui saute au cou [lui = à / de
quelqu’un], mais : *Il saute au cou.
Pour conclure nos remarques nous dirons que les compléments des points 1. et 2. ne constituent
pas des traits contextuels syntaxiques, qui définiraient telle ou telle classe de verbes, mais plutôt des
traits contextuels (situationnels) énonciatifs.
IV.3.2.4. Verbes [+ déterminé] : les verbes transitifs à double objet prépositionnel : V + [objet
indirect] + [objet indirect]
Un certain nombre de verbes régissent trois actants, dont un sujet et deux objets introduits par
une préposition :
P ► SN0 + V + Prép + SN1 + Prép + SN2 : Pierre parle de son avenir à / avec ses
parents.
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Tels sont ces verbes qui dénotent une activité communicationnelle : parler de qqch. à / avec
qqn. ; discuter, débattre, s’entretenir de qqch. avec qqn. ; faire part, rendre compte de qqch. à
qqn. ; répondre de qqch. devant qqn., etc. Viennent après, sur le modèle : aller de – à –, quelques
verbes spécifiant les limites d’un mouvement ou d’un espace : se déplacer de – à – ; monter /
descendre de – à – ; passer de – à – , s’étendre de – à –, etc., enfin des verbes comme servir,
employé sur le même modèle : Cette punition servira de leçon à tous les autres.
IV.3.2.5. Verbes [+ déterminé] : les verbes transitifs à triple complémentation: V + [objet direct]
+ [objet / circonstant indirect] + [objet / circonstant indirect]
Il s’agit de verbes dont le sens suppose la manipulation (un transfert objectal ou local et / ou
une transformation) d’un objet entre deux actants ou entre deux circonstants de lieu. Le modèle en
est donné par le verbe : acheter, qui, dans son emploi sémantique saturé, appelle trois actants :
l’objet (à acquérir), le sujet (qui le fournit) et l’objet d’échange (le prix : monnaie ou autre moyen
de payement) :
Alain a acheté sa voiture à un concessionnaire Renault (pour) 22000 francs ► Alain la
lui a achetée (pour) 22000 francs.
Se rattachent à ce type de fonctionnement syntaxique :
– vendre, ainsi que les verbes de sens apparentés : laisser, échanger, etc. : Le fermier lui laisse le
jambon à / pour 290 francs.
– des verbes [+ transformation, + transfert], tels traduire, ou bien transposer, et aussi, moins
souvent, transformer, changer, etc. : Traduire un poème de quelque langue que ce soit dans sa
langue maternelle n’est pas chose aisée : l’inverse est encore plus dur.
– des verbes [+ transfert], tels apporter, accompagner, conduire, mener, transférer, transporter,
transborder, etc. : Alain m’a accompagné de l’Université à l’aéroport.
Il faut tout de même préciser que les contraintes énonciatives sont rarement telles que l’on
doive à tout prix exprimer les trois compléments. Les repères de la situation de communication, les
besoins informationnels, l’implicite culturel, etc., sont là pour inviter le locuteur à faire l’économie
du superflu : Alain traduit (emploi absolu : [‘en ce moment même, il est occupé à traduire’, ou
bien : ‘il est traducteur’]) – Alain traduit un poème d’Eminesco [le non-dit est : ‘du roumain en
français’] – Alain traduit du japonais en français [l’objet direct est sous-entendu, donc pas besoin
de l’exprimer].
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IV.3.3. Verbes à retournement : V [+ symétrique]
C’est une classe de verbes bivalents, dont la combinatoire syntagmatique présente cette
particularité que leurs actants peuvent permuter sans que, pour autant, le sens du procès qu’ils
dénotent en soit modifié.
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Paul confond l’auteur avec le personnage – Paul confond le personnage et l’auteur, et l’on peut
même imaginer une dernière permutation : ? Le personnage et l’auteur se confondent chez Paul.
D’autre part, la dissociation – tous ces verbes dénotent, par excellence, l’idée associative – d’un
sujet ou d’un objet pluriel ou multiple fait apparaître en surface l’objet direct et l’objet indirect
(introduit par à ou avec) :
Pierre et Paul se sont disputés►Pierre s’est disputé avec Paul – J’ai réconcilié les deux
amis ► J’ai réconcilié Pierre avec Paul / Paul avec Pierre – Certains rêves de tendresse
partagée s’allient volontiers au souvenir d’une jeunesse (Proust) : possible dissociation
du sujet multiple : Certains rêves de tendresse partagée et le souvenir d’une jeunesse
s’allient volontiers, etc.
Ce type de construction concerne donc des verbes à double objet, direct et indirect, qui jouent
le même rôle sémantique – ayant une importance actantielle égale – par rapport au procès initié par
le sujet : accommoder, allier, apparenter, associer, assortir, combiner, comparer, confondre,
dissocier, identifier, lier, joindre, mélanger, marier, etc.
La forme pronominale des verbes transitifs suscite des constructions symétriques : s’accorder,
s’allier, s’associer, s’assortir, s’agencer, se concerter, s’entendre, s’entretenir, se coaliser, etc. :
Paul et Pierre s’entendent bien ► Pierre s’entend bien avec Paul ► Paul s’entend bien
avec Pierre – Nos caractères ne s’assortissent pas ►Mon caractère ne s’assortit pas au
tien ►Ton caractère ne s’assortit pas au mien – Nul ne veut le bien public que quand il
s’accorde avec le sien. (Rousseau) – Avec Edwige, Papa, je m’arrangerai toujours.
(Duhamel, in P. Robert)
Remarques :
1. Riegel et al. (1998) font remarquer que l’identité du rôle sémantique joué par les actants
permutables exige le plus souvent que ceux-ci appartiennent à la même classe de référents
(cf. la G.M.F. : 229) : Pierre joue avec les enfants ► Les enfants jouent avec Pierre ►
Pierre et les enfants jouent (ensemble), sinon la relation cesse d’être symétrique : Pierre
joue avec le feu►*Le feu joue avec Pierre ► *Pierre et le feu jouent (ensemble).
2. Les constructions attributives à prédicat adjectival, nominal ou prépositionnel
s’accommodent très bien de la relation de symétrie : A et B sont identiques / différents A
est identique / différent à / de B ► B est identique / différent à / de A. C’est pareil pour :
être parent / collègue / ami de / avec, etc. (cf. la G.M.F.).
Bon nombre d’intransitifs s’accommodent bien de cette construction symétrique réciproque et
s’introduisent de la sorte dans la classe des verbes qui peuvent se donner, occasionnellement, un
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objet indirect. Tels sont : coexister, cohabiter, concorder, correspondre, coopérer, différer,
fraterniser, sympathiser, voisiner, etc. :
Pierre et Paul ont tout de suite sympathisé ►Pierre a tout de suite sympathisé avec Paul
► Paul a tout de suite sympathisé avec Pierre. – Nos opinions diffèrent en tous points ►
Mon opinion diffère en tous points de la sienne ► Son opinion diffère en tous points de
la mienne – Son train de vie concorde avec ses ressources avouées (Romains) – L’onyx
et l’améthyste voisinaient avec le saphir et le diamant. (Daniel Rops, in P. Robert)
Enfin, il semble que l’on peut rattacher à la classes des verbes [+ symétrique], [+ réciproque],
quelques intransitifs comme abonder (en), fourmiller (de), foisonner (en, de), grouiller (de),
profiter (de / à), pulluler (de), regorger (de) :
Les fautes abondent dans ce texte. (P. Robert) ► Ce texte abonde en fautes. – L’arbre
grouille d’insectes. ► Les insectes grouille dans / sur l’arbre. – Alain profite de cet
argent ► Cet argent profite à Alain… – Les fautes fourmillent dans ce roman – Son
édition fourmille de fautes. (France)
Ces verbes, à la seule exception de profiter, sont, à des degrés différents, des synonymes – ils
comportent tous le sème [+ grande quantité] – et ils ont un fonctionnement syntaxique identique.
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3. à la grande majorité des verbes [– transitif] : il a / avait / aura… hésité, sympathisé, collaboré,
correspondu, flâné… ; même à ceux des intransitifs qui ont les traits inhérents [+ mouvement],
[+ déplacement] : il a / avait / aura… bougé, marché, atterri, décollé, rampé, voyagé… ;
4. à tous les verbes statutairement impersonnels : il a / avait / aura fallu…, plu, neigé, tonné,
éclairé….
1. les verbes perfectifs qui expriment un mouvement : aller, arriver, entrer, (re)partir, sortir,
venir (comme ses composés : advenir, intervenir, parvenir, revenir, survenir, tomber), ou un
changement d’état : devenir, naître, mourir, décéder, et un verbe dénotant l’immobilité même,
le verbe rester : il est / était / sera… parti, venu, sorti, tombé…, né, mort…, resté ;
Remarque :
Il va de soi que tout verbe intransitif de la sous-classe des verbes [– avoir] qui accède au statut
de verbe transitif direct prend automatiquement l’auxiliaire avoir : Alain a rentré la voiture
au garage – Tomber une femme (pop.), tomber sa veste (fam.), tandis que, par exemple
circonvenir, contrevenir, prévenir, composés de venir, sont toujours transitifs.
2. les verbes pronominaux et les constructions pronominales : il s’est / s’était / se sera… efforcé,
3. tous les verbes transitifs directs tournés au passif : il est / a été / sera… interrogé, admis,
des verbes tels descendre, entrer (rentrer), monter, passer, retourner, sortir : Je suis
descendu / sorti dans la rue ►j’ai descendu / sorti les malles dans la rue ;
● différence de sens plus ou moins nette, changement de construction plus ou moins marqué :
c’est le cas pour des verbes tels convenir, demeurer, repartir, qui hésitent entre les deux
auxiliaires ; seule la langue littéraire semble vouloir faire jouer sémantiquement cette
alternance sans pour autant trancher : convenir prend avoir au sens de ‘être convenable
pour’, ‘approprié à’, ‘aller’, ‘seoir’, mais il préférerait être (littér.) ou avoir au sens de
39
‘tomber d’accord’, ‘faire un accord’, ce qui n’a pas du tout empêché de Gaulle d’écrire :
Nous avons convenu, qu’en tout état de cause, la I re Armée devait s’emparer de Sttutgart, et
que cite J.-P.Colin tout en précisant que « la tendance actuelle est à l’emploi exclusif de
avoir pour tous les sens du verbe ». L’opposition de l’auxiliaire est tranchée pour ces deux
seuls verbes : demeurer + avoir : ‘habiter’, ‘rester’, ‘s’attarder’, ‘subsister’, demeurer +
être : ‘continuer à être dans un état, dans une situation’, ou introduisant un attribut :
Alain a demeuré de longues années à Paris – On a demeuré trop de temps à table / Les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits – Je serais toujours demeuré
étranger à cette vanité (Renan) ; repartir (Vx. ou littér.)+ avoir : ‘répliquer’, repartir +
être : ‘partir de nouveau’.
Cependant cette alternance d’auxiliaire a un rendement plutôt faible du point de vue
sémantique, ce qui laisserait supposer une certaine érosion de l’auxiliaire être qui, à la forme active,
ne concerne plus, si l’on compte les composés, qu’une vingtaine de verbes, micro-système sapé, en
outre, par les emplois familiers et populaires, avec avoir, de verbes comme rester, partir, tomber ;
● une différence d’aspect : avoir focalise sur le procès, sur l’action, tandis que être braque les
lumières sur la phase finale du procès, sur le résultat définitivement acquis, au-delà duquel,
il ne peut plus y avoir reprise du même procès. Cette alternance d’auxiliaires, beaucoup
plus productive sur les plans syntaxique et sémantique, concerne un grand nombre de
verbes, transitifs et intransitifs, factitifs, inchoatifs, éventifs, etc. : apparaître, augmenter,
accroître, baisser, casser, croître, changer, diminuer, disparaître, divorcer, durcir,
échapper, échouer, embellir, endurcir, grandir, jaunir, maigrir, passer, ramollir, vieillir,
etc. : Paul a vieilli ces derniers temps-ci [le procès est bien entamé et peut continuer] / Paul
est vieilli [résultat acquis, limite finale atteinte, ce qui explique l’effacement du circonstant
de temps ces derniers temps-ci].
18 « Cette conviction (celle de Tesnière, qui voit dans le verbe un mot à valences, censé pouvoir prendre de zéro à trois actants) dicte
aux praticiens […] de retirer de l’ensemble des verbes ceux qui se font suivre d’un attribut : les copules » (Wilmet, 1998 : 478).
40
sémantiquement parlant, plus de poids qu’une préposition, la copule assure cependant l’expression
du rapport du sujet à son attribut, replaçant dans le temps les qualifications – au sens large du mot –
que les êtres et les choses peuvent prendre ou se voir attribuer. La construction syntaxique qu’il
coagule autour de lui, malgré son inconsistance sémantique, est une phrase appelée ternaire : P ►
SN0 + Copule + SN1 / SAdj / SP : Cet homme politique est encore jeune / un célibataire / le
président du parti / l’ex-maire de Marseille / dans l’embarras / au fond de la salle / de Paris / ici /
de notre temps / avec sa femme / pour le respect des droits de l’homme…, et l’on pourrait
continuer. On attribue, sous la forme d’un SAdj, d’un SN ou d’un SP, au SN 0, sujet de la phrase
ternaire, une qualité, une appartenance à une classe d’humains, une identité en quelque sorte, ou
plutôt un statut d’état civil, un état moral, une “situation” locale, une relation d’accompagnement,
une disposition psycho-morale. La copule être évoque assez vaguement un verbe locatif, genre se
trouver, dans quelques cas. Les syntagmes prépositionnels dans l’embarras / au fond de la salle /
de Paris ou l’adverbe ici seraient-ils des attributs ou des circonstanciels ? Le premier et le troisième
commutent facilement avec un adjectif tels gêné, incommodé, ennuyé, d’une part, et parisien,
d’autre part. Seul le deuxième et le quatrième appellent une paraphrase de être par se trouver : il
serait alors un complément circonstanciel de lieu, comme l’entend la grammaire traditionnelle 19.
Difficile de trancher. Nous proposons de voir dans la copule un morphème verbal qui permet la
conjonction – marquée temporellement et modalement – d’un SN 0, sujet d’une phrase ternaire, à
une caractérisation :
– qualifiante : encore jeune / dans l’embarras / de notre temps [= moderne] ;
– identifiante à tel ou tel point de vue : un célibataire / le président du parti ;
– localisante :
a. dans le temps : Le discours de l’homme politique sera demain / à dix heures / dans
deux semaines / très bref / d’un quart d’heure ;
b. dans l’espace : au fond de la salle / de Paris / ici ;
– relationnelle à un quelconque titre : avec sa femme / pour le respect des droits de l’homme.
Être n’est pas le seul morphème verbal au moyen duquel on peut “attribuer” une caractérisation
au groupe sujet. Les grammaires (cf., p. ex., la G.M.F. : 235) distinguent deux classes de verbes
appelés « attributifs » (G.M.F., 1998).
IV.3.5.1. Verbes (essentiellement ?) attributifs
A la copule être, on associe traditionnellement les « indicateurs d’état » (Wilmet, 1998 : 479)
paraître, sembler, variantes modales de la copule pouvant fonctionner comme co-verbes modaux :
Pierre semble (= semble être) un garçon intelligent, les « indicateurs de permanence d’état » (ibid.)
demeurer, rester : Ce livre reste (= continue à être) obscur, et les verbes qui indiquent l’entrée dans
19 Voir aussi, à ce sujet, les commentaires de Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 236-239 et ceux de Wilmet, 1998 : 479-482.
41
un état, ou bien un changement d’état, tels devenir, redevenir, tomber, etc. fonctionnant comme des
enrichissements aspectuels de la copule être : L’entreprise devient (= est en voie de devenir)
prospère et Pierre riche et célèbre. Tous ces verbes, en tant que « essentiellement attributifs »,
doivent obligatoirement être complétés par un attribut. L’effacement de l’attribut rend la phrase
agrammaticale dans le cas de devenir et de sembler (*Pierre devient / semble), ou bien, comme
c’est le cas pour les autres verbes, nous ne sommes plus en présence de verbes à fonction de copule,
mais tout simplement en présence de verbes intransitifs : On peut être quelque part pour dîner,
demeurer longtemps à table / rester ou partir / tomber en glissant, etc., ce qui nous ferait conclure
que, excepté devenir et sembler qui ne connaissent que cet emploi avec un attribut, il n’y a pas
vraiment de verbes copules, il n’y a que des emplois attributifs de verbes intransitifs et même
transitifs (ces derniers reliant une caractérisation à un objet direct).
● être se laisse concurrencer, en langue familière, par le factitif faire, qui cesse d’en être un :
● sembler, véritable copule, un peu comme être, sinon même davantage, ne connaissant donc
pas d’autre emploi, cède le pas à faire, passer, passer pour, apparaître comme, avoir
l’air… : La cravate fait distingué – Pierre passe toujours premier / inaperçu / pour le
clown du groupe – Paul nous apparaît comme le plus doué de la classe – Marie a l’air
intelligente et travailleuse… – Ça « fait » assez « vieille demeure historique». Saint Loup
employait à tout propos ce mot « faire » pour « avoir l’air » (Proust) ;
● devenir est supplanté par les intransitifs – plus dynamiques et plus parlants – (re)tomber,
passer, virer (pop.). Wilmet (1998 : 480-483) cite des verbes prépositionnels, dont
beaucoup conservent le sémantisme de devenir, tels que : servir de, faire office de,
équivaloir à, consister / finir / tomber en (+ nom), consister à (+ infinitif), tourner à / en
(+ nom), etc. : « P. ex. : tomber malade, virer malhonnête = ‘donner dans la délinquance’,
passer sergent, servir de plastron,…consister en monnaie / à payer, finir en queue de
poisson, tomber en poussière, tourner à la farce // en bourrique / eau de boudin.
42
Mais les emplois attributifs ne sont pas limités aux seuls verbes qui font concurrence à être,
sembler et devenir, traditionnellement reconnus comme copules prototypiques, car, selon le même
Wilmet, il faut compter avec l’apport massif d’emplois attributifs que constitue « la procession des
verbes dynamiques réductibles à être : partir triste = ‘être triste + au moment du départ’, mourir
vieux = ‘être vieux + à l’heure de la mort’ » (ibid.). Ce qui plaide pour assigner à ces constructions
la fonction d’attribut, c’est le test de la négation qui porte non pas sur le procès dénoté par le verbe,
mais sur la qualité attribuée au sujet par le truchement du verbe : Mon père mourra vieux ► Mon
père ne mourra pas vieux (= ‘il ne sera pas vieux au moment de mourir’) – Pierre est rentré ivre
► Pierre n’est pas rentré ivre (= ‘il n’était pas ivre quand il est rentré’). La porte est ouverte à tous
les verbes qui, tout en exprimant un procès, n’en relient pas moins un état, une qualité, une façon
d’être à leur sujet.
Bien des verbes transitifs directs ont des emplois attributifs, c’est-à-dire qu’ils dotent leur objet
direct d’un attribut : ils dénotent un procès qui appelle un actant objet direct et, en même temps, ils
servent de lien entre cet objet direct et une caractérisation de celui-ci réalisée linguistiquement par
les mêmes moyens que pour l’attribut du sujet. L’attribut de l’objet direct est engendré, en structure
profonde, par ces deux schémas :
1. SN0 + Vtr.dir. (connaître, croire, dire, juger, imaginer, penser, supposer, trouver…) que SN1 +
être + X : Je pense mes raisons meilleures que les vôtres (Molière, in P. Robert) : ‘je pense
que mes raisons sont meilleures’ – Swann trouva délicieuse sa simplicité (Proust) ;
2. SN0 + V faire (rendre) que SN1 + être / devenir / rester + X : Rien ne nous rend si grands
qu’une grande douleur (Musset). – Il les a faits riches.
Souvent les verbes transitifs construisent leur attribut de l’objet direct avec une, et même,
plusieurs prépositions : traiter qqn. de / en / comme – prendre, tenir qqn. / qqch. pour – considérer,
consacrer, désigner, regarder qqn. / qqch. comme… : Pierre traite ses amis de lâches / sa sœur en
gamine / comme une gamine.
Enfin, nombreux sont les verbes, transitifs et / ou intransitifs, qui, à la forme pronominale,
peuvent, comme être, devenir et sembler avec lesquels ils commutent, régir un attribut : s’affirmer
(comme), s’annoncer (comme), se changer (en), se croire, se dire, s’écrouler, s’effondrer,
s’endormir, se faire, se maintenir, se tenir, se juger, se marier, se montrer, se peindre, se rendre,
se révéler, se réveiller, se sentir, se surprendre, se trouver, se vendre…, la liste en est bien longue :
Alain s’est réveillé frais et dispos [= était frais et dispos au réveil] – La poire se vend cher cette
année [= est chère à la vente cette année] – Mon pauvre père se fait vieux [= devient vieux, vieillit]
– La pluie se fait neige [= devient neige] – L’assimilation de ces exotiques se révélait lente et
laborieuse (Siegfried).
43
Quelle conclusion ? Plutôt que de verbes [+copule], il vaut mieux parler de construction
attributive, dont le mécanisme consiste en ce que tel verbe peut remplir une double fonction : sur le
plan syntaxique, attirer et englober un attribut, et, sur le plan sémantique, le rapporter à son sujet ou
à son objet direct.
45
supporter ces épreuves. (P. Robert) – Je raconterai plus tard s’il m’est donné de
poursuivre cette narration. (Duhamel)
venir , etc.), prennent un infinitif introduit directement (bien que sous-tendu par un pour de
finalité), à fonction de complément de phrase ; d’autres, les plus nombreux, se construisent avec
un seul déterminant (transitifs à objet direct ou indirect : adorer, croire, pouvoir, aboutir,
penser, renoncer, etc.) qui, souvent, peut prendre la forme de l’infinitif. Avec tous ces verbes, il
y a toujours identité du sujet du verbe opérateur et de l’infinitif qu’il régit :
Jean s’en va / court / retourne / ose / veut / doit … acheter des fleurs. – Bref, Scipion
regrettait d’être venu à Genève. (Albert Cohen) – J’aimais sortir avec mon père
(Gide). – Une fois réveillés, les valeureux allèrent musarder à la foire de la Plaine
(Albert Cohen). – […] ils avaient pensé à se masquer le visage à la façon des
chirurgiens. (Albert Cohen)
Parmi les nombreuses structures superficielles engendrées par les coverbes (cf. M. Gross,
1968 : 62-64), il y en a qui contiennent des verbes opérateurs d’infinitifs qui admettent un objet
double, ce qui permet de dégager plusieurs sous-classes de coverbes selon le type d’objet, direct ou
indirect, avec lequel peut se combiner l’infinitif : par exemple, faire, laisser, écouter, entendre,
regarder, voir, sentir, en tant que coverbes, appellent un objet direct ou indirect, qui est en même
temps sujet de l’infinitif, selon que celui-ci, objet direct du coverbe, est un verbe intransitif ou
transitif en construction absolue, ou bien un transitif direct, avec objet direct exprimé en surface :
Jean fait / laisse / voit… partir / chanter son fils ► Jean le fait / laisse / voit… partir /
chanter vs Jean fait / laisse / voit chanter la chanson à son fils ► Jean la lui fait /
laisse / voit…chanter.
En voici les structures principales :
▪ SN0 + V + Inf + SN1(obj. indir.) + SN( obj. dir.) : on y retrouve les verbes de plus haut, quand l’infinitif
▪ SN0 + V + SN1(obj. dir.) + de + Inf + (SN(obj. dir. / ind.) ) : accuser, charger, convaincre, empêcher,
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▪ SN0 + V + SN1(obj. indir.) + de + Inf + (SN(obj. dir. / ind.) ) : il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de
▪ SN0 + V + SN1(obj. dir.) + à + Inf + (SN(obj. dir. / ind.) ) : aider, astreindre, amener, autoriser,
▪ SN0 + V + SN1(obj. indir.) + à + Inf + (SN(obj. dir. / ind.) ) : apprendre, donner, enseigner, etc. :
On lui apprend à jouer au bridge – Cela lui apprendra à vivre – On m’a donné cela à
faire. (P. Robert)
▪ V [+ opérateur de phrases] + que + P indicatif : ce sont des verbes d’opinion (affirmer, croire,
juger, etc.), de perception (constater, conclure, inférer, etc.), de décision (arrêter, convenir,
47
décider, etc.), d’intention (compter, espérer, penser, etc. Les plus nombreux sont les verbes à
construction personnelle, dont voici les principaux : affirmer, alléguer…, arrêter (‘décider’),
(s’)assurer, s’attendre, avertir…, concéder, confier, considérer, constater, croire…, déclarer,
dissimuler, se douter…, enseigner, établir, espérer…, se figurer…, garantir…, (s’)imaginer,
indiquer, insinuer, juger, jurer, lire, menacer, montrer…, noter…, observer, omettre…, penser,
préciser, prétexter, proclamer, promettre, publier…, raconter, rappeler, reconnaître, répéter,
reprocher, résoudre, riposter…, sentir, songer, signaler, soutenir, suggérer, témoigner,
transmettre, vérifier, voir, etc. A ceux-ci s’ajoutent des verbes opérateurs employés à la forme
impersonnelle : il apparaît, (il) n’empêche, il paraît, il reste, il (en) ressort, il résulte, etc. :
Il m’a averti que moi et lui serions seuls, avec l’infirmière de service. (Camus) – Après
avoir combiné d’acheter un scaphandre, il avait pensé qu’il serait plus rationnel et plus
économique de faire de la natation à domicile et à sec. (Albert Cohen) – Mangeclous,
pour les scandaliser, clama que Dieu existait si peu qu’il en avait honte pour Lui. (Ibid.)
– Je vous promets que je vous écrirai. (Daniel Pennac) – Il apparaît , à la lecture des
textes, que la loi est pour vous. (P. Robert)
▪ V [+ opérateur de phrase] + que + P indicatif / subjonctif : T. Cristea (1979 :194) donne dans
son tableau sur le régime modal des principaux verbes opérateurs du français contemporain les
items suivants : admettre, comprendre, concevoir, crier, décider, décréter, dire, écrire,
entendre, faire, hurler, ignorer, imaginer, méconnaître, nier, obtenir, ordonner, oublier,
persuader, poser, prétendre, répondre, supposer, etc. Et quelques impersonnels : il advient, il
arrive, il semble, etc. :
Il cria en un anglais approximatif qu’il sentait une odeur d’argent frais et que l’argent
était du temps et que l’Angleterre comptait que chacun de ses fils fît son devoir. (Albert
21 « La négation ou l’interrogation, tirant la croyance vers le scepticisme et le doute vers la conviction, rouvrent la frontière des
modes aux verbes d’opinions » (Wilmet, 1998 : 310).
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Cohen) – Je n’ai pas entendu le nom de cette dame et j’ai compris seulement qu’elle
était infirmière déléguée. (Camus) – D’ailleurs elle comprenait très bien qu’une beauté
aussi éclatante eût ému un très jeune homme. (A. Maurois) – Il me semblait qu’elle ne
s’arrêterait jamais (Camus). Il me semblait parfois qu’une impression de beauté naquît
de l’exactitude. (Valéry, in D.D.F.)
Ces verbes opérateurs seraient-ils indifférents au mode de la subordonnée ? C’est ce que l’on
pourrait croire à première vue. Si les deux modes sont possibles dans des proportions et avec des
fréquences difficiles à estimer avec quelque précision, il y a toujours un mode qui prévaut. En
l’occurrence, presque tous ces verbes se construisent avec l’indicatif tant que leur sémème actualise
le trait [+ constatation] et peuvent prendre le subjonctif dès que le trait [+ appréciation subjective]
s’en mêle. Y aurait-il une différence de sens d’un mode à l’autre ? Oui, et elle relève de l’opposition
Actuel (indicatif) vs Virtuel (subjonctif). Est-elle induite par le mode, ou bien c’est la différence de
sens du verbe opérateur qui induit, dans la complétive, tel mode plutôt que tel autre ? C’est le
sémantisme du verbe opérateur qui commande le mode de la subordonnée, mais aussi, par une sorte
de feed-back synchrone, c’est le mode – perspective actuelle ou inactuelle sur le procès – qui agit
sur le sens du verbe recteur (voir la note 66 dans Dospinescu, 2000 : 166). Le choix du mode, si tant
est que choix il y ait, repose sur des faits linguistiques (co-texte actualisant + indicatif vs cotexte
virtualisant + subjonctif : négation, interrogation, mode du verbe recteur 22) ou, souvent, extra-
linguistiques (évaluation faite par l’énonciateur de l’“avenir”, certain ou incertain, du fait de la
subordonnée). Les verbes P que Indicatif / Subjonctif forment une sous-classe aux frontières très
floues pouvant, donc, en attirer d’autres des deux premières classes dès qu’intervient un des facteurs
évoqués plus haut (voir d’autres commentaires, explications et exemples sur le choix du mode de la
subordonnée dans Dospinescu, 2000 : 165-166, plus particulièrement les notes 64 et 65).
Un autre facteur qui joue dans le choix du mode, c’est, pour les verbes qui régissent un objet
prépositionnel (de ou à), la possibilité d’introduire leur complétive par que ou de ce que / à ce que :
● de ce que campe le procès dans le domaine du réel, l’indicatif étant donc de mise partout, même
avec des verbes censés régir un subjonctif : s’affliger, s’attrister, se contenter, s’émerveiller, se
dégoûter, se féliciter, frémir, se froisser, haïr, s’impatienter, s’indigner, s’inquiéter, s’irriter, se
lamenter, s’offenser, se plaindre, se révolter, se réjouir, souffrir, se vanter, se venger, en
vouloir, etc., « et d’une façon générale après toutes les locutions verbales ou adjectivales
exprimant un sentiment » (D.D.F.). La construction avec que [+ subjonctif] semble être, aux
yeux des puristes, plus correcte, « mais elle se fait de plus en plus rare » (Ibid.). La construction
que P subj est, avec tous ces verbes, « source de en » (pronominalisable par le pronom en), ce
22 Admettre, soumettre, mettre, etc. prennent plutôt le subjonctif avec l’impératif : J’admets qu’il vient / viendra / est venu vous voir
mais : Admettons qu’il vienne / soit venu vous voir.
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qui atteste la possibilité, et même la vivacité, de la construction de ce que P indicatif (et non pas
de ce que P subj, comme l’écrit M. Gross, 1968 : 88 : « ce qui est une conséquence du fait que
ces V0 entrent dans le cadre : N0 V0 N1 de ce que P subj) :
Il se réjouissait de ce qu’il ne mourrait pas seul ; Maria éprouva une joie confuse de ce
que l’orage avait brouillé le temps. (Mauriac, in D.D.F.) – Il se réjouissait qu’il ne
mourût pas seul. Avec Tpronominalisation Il s’en réjouissait / Maria en éprouva une joie…
● à ce que, si l’on en croit, entre autres, le D.D.F. de Jean-Paul Colin, « apparaît de plus en plus
souvent […], pour introduire une proposition au subjonctif dont le sujet n’est pas le même que
celui de la principale », plaçant de la sorte le procès dans le domaine du virtuel. Voici quelques
verbes ou locutions de la liste établie par l’auteur : aboutir, aider, aimer, s’arrêter,
s’attendre…, avoir intérêt, conclure…, consentir, contribuer, demander, s’employer, s’exposer,
faire attention, gagner, intéresser, s’opposer, parvenir, prendre garde, réféchir, se refuser …,
réussir, tendre…, travailler, venir, etc., et des expressions impersonnelles telles (il n’y a) rien
d’important / d’extraordinaire / d’étonnant, (il n’y a pas) de mal, etc. Avec ces verbes la
pronominalisation de la complétive amène le pronom y:
J’aime à ce qu’elle m’embrasse. (J. Vallès) – Je m’attends que tu échoueras, qu’il
échouera, etc. (D.D.F.), mais : Je ne suis pas assez fou pour m’attendre à ce qu’une
foule d’élèves sachent, par prodige, ce qui ne s’enseigne pas (Cocteau, cité par
Grevisse).
Comme pour les coverbes qui peuvent se construire avec un objet double, un SN et un infinitif
(cf. supra), parmi les V [+ opérateur de phrase], il y en a qui peuvent régir deux objets, un premier
objet direct ou indirect, réalisés par un nom ou pronom, et un deuxième qui prend la forme que P
(ou de ce que P, moins conseillé) :
● SN0 + V + SN1(obj. dir.) + que P (de ce que P) : c’est le cas de quelques verbes [+ communication]
: avertir, convaincre, prévenir, informer, persuader, prier, renseigner, supplier, etc. Ce type de
construction s’impose si le sujet du verbe secondaire est différent de l’objet direct du verbe
principal :
Je vous avertis qu’il faudra changer d’attitude – Prévenez-le que nous arriverons
demain. (P. Robert) – Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre. (Villon) Le sujet
étant ici identique, on dirait plutôt de nos jours : Priez Dieu de vouloir nous absoudre ;
● SN0 + V + SN1(obj. indir.) + que P : ce sont des verbes au trait [+ communication], dont le procès
(transmission d’un message) implique forcément un actant destinataire, réalisé par l’objet
indirect (V + qqch. à qqn.) : annoncer, avouer, cacher, certifier, communiquer, confesser, dire,
51
déclarer, écrire, expliquer, jurer, notifier, offrir, prédire, proposer, raconter, rapporter,
rappeler, refuser, répéter, répondre, signaler, signifier, suggérer, révéler, téléphoner, se vanter,
etc. Ces verbes acceptent parallèlement la construction avec l’infinitif quand le sujet de la
complétive est le même avec le sujet ou l’objet du verbe principal (cf., pour d’autres restrictions,
M. Gross, 1968 : 87-90) :
Tu jures à Jean que tu t’en iras. ( Tu jures à Jean de t’en aller) – Je me vante à Jean
que j’y suis allé ( Je me vante à Jean d’y être allé) – Jean suggère à Pierre qu’il y aille
( Jean suggère à Pierre d’y aller) – Je lui ai dit que je l’attendais depuis des heures. –
Je lui ai dit qu’il vienne nous voir. – Je lui ai dit que maman était morte. […] Elle
m’avait expliqué qu’elle devait aller chez sa tante. (Camus) – Jure-moi que tu me
pardonneras. (Barbey) – On m’a rapporté que ses affaires allaient mal. (P. Robert)
Enfin, parmi les verbes [+ opérateur de phrase], il y en a qui peuvent réaliser les deux objets,
direct et indirect, par une proposition : SN0 + V + que P subj (indic) + à (de) ce que P (cf. M.
Gross, 1968 : 67) :
Je préfère que Jeanne vienne à ce que Pierre parte. – Jean reconnaît que Jeanne est
venue à ce que tout est en désordre. – Jean déduit que ce théorème est vrai de ce que
celui-ci est faux. (exemples de M. Gross, 1968).
Et même deux complétives indirectes : SN0 + V + de que P + à ce que P :
Jean s’aperçoit de ce que ce théorème est vrai à ce que celui-ci est faux (apud M.
Gross).
Il nous faut cependant observer que ces structures, tout en étant possibles, ne sont pas toutes –
surtout ces dernières ! – bien fréquentes dans le français parlé.
52
♦ [+ sujet humain] : ce sont pour la plupart des verbes qui, dénotant des activités matérielles ou
intellectuelles que seuls les humains sont censés pouvoir accomplir, n’admettent normalement
(discours non marqué métaphoriquement) pour SN sujet que des noms comportant le trait [+
humain]. Tels sont : abdiquer, abuser, accaparer, acclamer, avouer, blâmer, calculer,
confesser, conspirer, contester, danser, dire, envier, espérer, féliciter, juger, lire, penser,
mendier, rêver, se souvenir, songer, trahir, vanter, etc. ;
♦ [– sujet humain] : ce trait caractérise tous les verbes signifiant des procès qui ne concernent pas
le faire humain. Il s’agit donc bien des noms d’animaux ou de choses qui seuls peuvent prendre
la position de sujet. La particularité syntaxique de ces verbes est qu’ils ne s’emploient qu’à la
troisième personne :
Le chien aboie, les poules caquètent, les chevaux hennissent. – Dans le jardin les plantes
germent – Au dessus de lui, le firmament d’été scintillait. (Martin du Gard) – Il s’arrêta
pour écouter les roues ferrées qui crissaient dans les silex. (Martin du Gard, in P.
Robert)
Le signifié de ces verbes est fortement spécialisé de sorte qu’il n’admet comme sujet qu’une
classe de noms très restreinte (pouvant même se réduire à un item unique, p.ex., sourdre). Tel
est le cas pour les verbes désignant les cris d’animaux : aboyer (le chien), braire (l’âne),
croasser (le corbeau), gazouiller (le ruisseau, les oiseaux), glousser (la poule), hululer (les
oiseaux de nuit), jacasser (la pie), pépier (moineau), ronronner (le chat), etc. ; les bruits
produits par des objets : bruire (les feuilles, l’eau), crisser, froufrouter (la robe, les tissus),
tinter (la cloche, les verres), clapoter (l’eau), ruisseler (les liquides, la pluie, les larmes), etc. ;
des phénomènes produits par des objets ou les concernant : briller, consumer, corroder, germer,
étinceler, rancir, rouiller, scintiller, sourdre (l’eau qui sort de terre), tanguer (le navire) etc.
Pour pouvoir prendre un sujet humain, ces verbes doivent se faire précéder du factitif faire :
Solange faisait froufrouter sa robe. – Le mouflet faisait clapoter l’eau dans le seau. – Le
fermier faisait d’abord germer les graines. – Le professeur faisait sourdre dans
l’imaginaire de ses élèves des idées, des images et des visions merveilleuses.
Le changement du trait de sélection dans ces verbes conduit, par métaphore ou personnification,
à des effets de sens dont beaucoup se lexicalisent et sont enregistrés par les dictionnaires.
D’abord l’homme prête aux animaux des faits et gestes qui lui sont propres : Les coqs chantent
toujours, et autrefois, dans les campagnes, ils nous donnaient l’heure, les ours dansent, les
chiens vous découvrent des drogues. Dans l’univers des fables ou autres contes de fées, les bêtes
se mettent carrément à penser, à conspirer, à ourdir… et à trahir comme de vrais humains. A
53
leur tour, ces derniers empruntent des façons d’être et de faire au monde des animaux et des
objets :
Le ruisseau, les oiseaux, de même que les tout petits enfants gazouillent. – La pie jacasse
ou jase comme la geai / Elle le faisait jaser comme nous sommes là… tous les deux à
jacasser. [= parler sans arrêt, d’une voix criarde, de choses futiles] (Balzac, in P. Robert)
– La voiture commence à (se) rouiller. / Quand un ouvrier devient vieux, il se rouille. [=
fait moins bien qu’avant, perd son adresse] (Daniel-Rops) – Des éclaboussements
d’étincelles… rayonnaient comme des soleils. (Zola, in P. Robert) / Devant un si beau
paysage on rayonne de bonheur.
Pour finir nous dirons que bon nombre de verbes, tels accourir, bouger, courir, manger,
marcher, mourir, partir, tourner, venir, etc., admettent indifféremment les deux types de sujet, [+
sujet humain] et [– sujet humain] : dans l’ordre de l’animé, des humains ou des animaux. Beaucoup
de ces verbes se combinent même avec des noms de choses, ce qui ne va pas sans influer sur le
signifié de certains de ces verbes qui peuvent engendrer des sémèmes si différents que certains
dictionnaires y voient de vrais verbes homonymes (cf., surtout, le D.F.C.) :
Cet enfant mange / bouge beaucoup – Les cochons mangent beaucoup / bougent peu –
Ce moteur mange vraiment de plus en plus d’huile [=‘consomme’] / ne bouge plus [= ‘a
calé’ ‘est bloqué’, ‘ne part plus’].
Les sémèmes de manger et de bouger sont, bien sûr, identiques avec les sujets [+ humain], [+
animal], cependant ils changent légèrement [‘consommer’, respectivement ‘caler’ et ‘ne plus
partir’] avec un sujet [+ chose]. Prenons maintenant, dans le D.F.C., un verbe comme adhérer : 1.
[+ sujet humain] Mon cousin a adhéré au syndicat (‘est entré’) ; 2.[– sujet humain] Le pansement
a adhéré à la plaie (‘a collé’). Ou comme aboyer : 1. [– sujet humain] Chaque fois que le facteur
se présente à la grille, le chien aboie de fureur (= émettre des cris d’appel, de menace, etc.), 2. [+
humain] Ce n’est pas la peine d’aboyer comme ça : j’ai compris ! (= crier, articuler avec violence).
23 « La présence de ce trait se manifeste en particulier dans la possibilité ou non d’admettre comme complément un nom personnel
de la 1re ou de la 2e personne : Ceci m’effraie, mais non : Il m’éteint » (p. 90).
54
● verbes [+ complément animé], tels accompagner, accueillir, abrutir, accuser, agacer, amuser,
● verbes [– complément animé], comme abaisser, abîmer, acheter, achever, aborder, agresser,
allumer, apporter, apprendre, avaler, bâtir, boire, bricoler, décoller, déguster, éteindre, fumer,
goûter, nettoyer, macérer, mouiller, oublier, ouvrir, prononcer, sarcler, retaper, rompre, etc.,
qui n’acceptent normalement que des compléments comportant le même trait sémantique [–
animé] : Paul a apporté une bouteille de vin pour la fête, mais :*Paul a apporté son ami….
Cependant rien n’empêche que l’on puisse dire : Aguichante, cette jeune fille allume tous les
hommes qu’elle rencontre (‘excite’, ‘éveille un prompt désir’). Les verbes de cette classe
spécialisent leur sens au point qu’ils ne se combinent qu’avec des classes sémantiques qui
comptent très peu d’unités : ce sont des verbes désignant surtout des procès technologiques :
cuir, éteindre, macérer, sarcler, retaper. Quelques-uns ont pour complément un seul nom :
crépir un mur, écarquiller les yeux, hocher la tête.
Comme pour les SN sujet, la non-observance des traits de sélection dans les deux premières
classes de verbes est source d’élargissements et d’effets de sens qui peuvent aller jusqu’à produire
des sémèmes si différents pour un même verbe que celui-ci se scinde pour former des
homonymes (cf. le D.F.C.) : appréhender qqn. [‘saisir au corps’] : Les agents ont appréhendé les
auteurs du hold-up / appréhender qqch. [‘redouter’] : Il appréhende cet examen. Et si le trait [–
animé] est doublé du trait [+ abstrait], appréhender veut dire ‘saisir par l’esprit’, ‘comprendre’ :
Pierre n’arrivait toujours pas à appréhender la complexité de ce phénomène. Un verbe comme
mouiller construit avec un complément [– animé] veut dire ‘mettre en contact avec un liquide’ :
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L’enfant mouille son doigt dans la sauce, tandis que, avec un complément [+ animé], il prend le
sens de ‘compromettre’ en langue familière : Encore heureux qu’il ne t’ait pas mouillé ? (Hervé
Bazin, in Petit Robert)
Les auteurs jouent souvent sur les traits de sélection des verbes pour tirer des effets des plus
prégnants, tel Daniel Pennac dans son roman La petite marchande de prose, Folio, Gallimard, 1989,
dans lequel nous avons glané, au hasard des pages, ces quelques phrases où, par métaphore ou
personnification, les traits concernant le sujet ou le complément ne sont pas observés :
Le Chauve lança son poing d’où venait l’attaque. Le poing rencontra un visage et le
Chauve entendit un corps s’effondrer, très loin de l’impact. – L’odeur de Julius profita
du silence pour s’installer. – Julius le chien avait toujours procédé par effluves. – […]
les doigts de Julie rêvassaient dans mes cheveux, et ce fut la voix de Julie qui alluma
ma lanterne. – A chaque tour de manège, une tête de mouton, embrochée comme un
poulet, faisait de l’œil à Julius. – Une saute de vent nous offrit Belleville en odeur. –
Là, j’ai laissé le silence faire son petit boulot.
Comme on voit, l’énonciateur peut passer outre aux restrictions sémantiques imposées par la
langue et affirmer sa liberté créative dans ses différents actes de discours, prenant ainsi une part
active au « travail » de / sur la langue.
Test C
Syntagmatique du verbe
A. Première variante
1. Les traits contextuels définissent:
a) le cotexte
b) le contexte
c) les traits de séléction
57
10. Le verbe oser qui se trouve dans la classe des verbes [±opérateur d’infinitif] est un
verbe:
a) à rection directe
b) à rection indirecte avec préposition à
c) à rection indirecte avec préposition de
B. Deuxième variante
1. Le verbe penser exige:
a) un déterminant prépositionnel
b) un complément objet direct
c) la complémentation zéro
2. Dans la phrase : Pierre tombe sa chemise et il se met à danser, le verbe souligné a les
traits :
a) [+ transitif direct] [+ animé]
b) [+ transitif indirect] [+ animé]
c) [- transitif] [- animé]
58
6. Il cherche toujours - est :
a) une construction absolue
b) une construction à objet interne
c) une construction attributive
10. Le verbe craindre qui entre dans la classe des verbes [±opérateur de phrase] est un
verbe:
a) [+ opérateur de phrase] + que + P subjonctif
b) [+ opérateur de phrase] + infinitif
a) [+ opérateur de phrase] + P indicatif / subjonctif
UNITÈ V
59
V.1. Mode, temps et aspect
Goosse (Le Bon usage de 1986 : § 737) nous apprend que « le verbe est un mot qui se
conjugue, c’est-à-dire qui varie en mode, en temps, en voix, en personne et en nombre. (Au
participe, il varie parfois en genre)24 », mais aussi en aspect, bien que de façon pas toujours
immédiatement visible. Sauf la personne, le nombre et le genre, catégories nominales et
pronominales (cf. précisément les pronoms personnels accompagnant le verbe aux modes dits
personnels), le mode, le temps et l’aspect sont des catégories spécifiquement verbales, tandis que la
voix intervient sur la syntaxe de la phrase tout en affectant la forme de son verbe. Le temps est la
catégorie le plus intrinsèquement verbale si l’on adhère à la formule de Guillaume pour qui « le
verbe est un sémantème qui implique et explique le temps ». Le déroulement en soi du procès
dénoté par le verbe relève de l’aspect verbal, tandis que les moments distincts – présent, passé ou
futur – par rapport auxquels un procès peut être situé sont exprimés par le temps verbal. Le mode
concerne le faire énonciatif du sujet parlant, qui assume plus ou moins la réalité des faits qu’il
énonce, ce qui retentit le plus souvent sur la forme du verbe (Pierre a très bien réussi. Pierre
réussira son coup. Pierre réussirait mieux ces derniers temps-ci. Il faudra que Pierre réussisse
enfin.). Divers morphèmes grammaticaux, que nous avons déjà vus (cf. supra), aussi bien que des
morphèmes lexicaux, des stratégies d’énonciation : types de phrase, assertive, interrogative,
injonctive, etc., le sémantisme intrinsèque du lexème verbal (voir supra le chapitre Sémantique du
verbe) participent, chacun à sa façon, séparément ou en association, à l’expression de ces
catégories, suivant une combinatoire qui n’est pas toujours facile à “lire”, encore moins à produire.
C’est là un domaine où il est bien rare qu’il y ait correspondance biunivoque entre le signifiant et le
signifié d’un morphème temporel, modal ou aspectuel. La construction de la signification de
chacune de ces catégories exprimant les rapports de la langue au monde est souvent déterminée par
le cotexte – tout élément linguistique qui, de près ou de loin, interfère dans l’interprétation des
morphèmes – et fortement dépendante de la situation d’énonciation. Cela explique pourquoi les
grammaires scolaires parlent, dans le cas des temps par exemple, « des valeurs nombreuses et même
contradictoires, dont les unes semblent temporelles et les autres non-temporelles (c’est-à-dire,
modales ou aspectuelles, le présent pouvant marquer aussi un passé ou un futur, le futur un mode au
signifié de “projeté”, de “conjecturé”, le passé composé le temps présent ou l’aspect accompli,
tandis que le conditionnel-mode est souvent un temps, etc., n.n., V.D.) » (Touratier, 1996 : 74).
Aussi nous faut-il appuyer sur l’idée que mainte valeur temporelle, modale ou aspectuelle est
l’aboutissement des stratégies manipulatrices de l’énonciateur : la langue fournit des formes
24 Parenthèse inspirée, si l’on veut bien se rendre à l’évidence d’une réalité aussi “douloureuse” que celle de la disparition totale de
l’accord du participe passé conjugué avec avoir, du moins dans la langue parlée, phénomène qui réduit l’impact de la catégorie
nominale du genre sur la morphologie du verbe français.
60
signifiantes dont l’énonciateur exploite – à grand renfort de rentabilité : l’esprit d’économie l’y
incite ! – le signifié au-delà de ce que la langue a pu prévoir.
61
réussisse. – J’aimerais que Pierre réussisse. – Il est possible / nécessaire que Pierre réussisse. Est-
ce le mode subjonctif qui exprime toutes ces modalités ? N’est-ce pas le sémantisme du verbe
principal (douter, vouloir, aimer, être possible / nécessaire) qui induit chacune de ses modalités ?
De même, le conditionnel (mode à part entière, selon la tradition grammaticale) peut exprimer des
modalités telles l’hypothèse, le potentiel, l’irréel du présent ou du passé, l’incertitude quant au
degré de vérité d’un fait, etc. (cf. infra les emplois du conditionnel). En outre, des formes verbales
que la même tradition traite de temporelles peuvent, plus d’une fois, exprimer non pas le temps,
mais bien des modalités encore : éventualité, probabilité, ou bien injonction, etc. (cf. infra les
valeurs modales du futur).
Enfin, souvent, la modalité trouve une expression :
● dans l’énonciation elle-même : assertive (Pierre lit pose la réalité d’un fait), interrogative (Est-
ce que Pierre lit ? évoque une possibilité, une probabilité) ; injonctive (Lis, Pierre, lis ! exprime
un acte directif, un ordre) ; exclamative (Il lit, Pierre ! insiste sur la réalité, la vérité de l’énoncé
assertif), etc. ;
● dans les coverbes modaux (cf. les « semi-auxiliaires de mode »), tels vouloir, pouvoir, devoir,
● dans les adverbes modalisateurs, qui sont des « modulateurs de degrés de vérité » : assurément,
à coup sûr, certainement, à dire vrai, peut-être, vraisemblablement, sans doute, probablement,
etc., ou bien des modulateurs appréciatifs : bizarrement, curieusement, étonnamment… (cf.
Wilmet, 1998 : 290) ;
● dans les incises, qui fonctionnent comme de vrais compléments circonstanciels de l’énonciation,
par lesquels les énonciateurs communiquent « leurs réflexions à propos de l’idée qu’ils
expriment ou de la manière dont ils l’expriment » (Bonnard, apud Wilmet, 1998 : 574) : c’est
évident, n’est-ce pas ?, il est vrai, il / ce me semble, je le pense / crois / prétends, c’est bien le
cas, etc. ;
● enfin, la personne énonciative et l’époque où le sujet parlant situe le procès, ne sont pas sans
influer sur le degré de réalité, de vraisemblance d’un fait, d’un état : « en principe, JE souffre a
plus de véridicité que TU souffres ou IL souffre » (Wilmet, 1998 : 290) ; le présent et le passé en
ont, à leur tour, plus que, par exemple, le futur : « même la prophétie peu risquée Au troisième
top, il SERA…laisse place à un fulgurant cataclysme » (ibid.).
Arrivé au terme de ce bref survol de la vaste problématique du mode verbal, dont une très riche
bibliographie essaie, parfois en rénovant spectaculairement, de démêler les tenants et les
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aboutissants, il nous faut souligner l’idée que la modalité est exprimée par des facteurs divers, à la
fois linguistiques et extra-linguistiques, que l’énonciateur et la situation d’énonciation peuvent
manipuler de manière, par exemple, à faire exprimer l’irréel même à un mode comme l’indicatif
qu’une longue tradition grammaticale a consacré comme le seul mode de la réalité : « Et si l’on a
l’impression que cet indicatif signifie parfois la même chose que le conditionnel par exemple, cela
vient d’éléments du contexte, tels que le morphème d’imparfait ou le sens même de l’auxiliaire du
lexème verbal, l’énoncé à l’indicatif désignant alors une action qu’il était possible ou nécessaire de
faire, mais dont le contexte ou la situation désignée montrent manifestement qu’elle n’a pas été
faite. L’indicatif ne signifiant rien par lui-même, il est par conséquent compatible avec
n’importe quelle valeur prétendument modale que signifierait ou suggérerait le contexte dans
lequel apparaît le verbe que l’on dit à l’indicatif » (Touratier, 1996 : 98 ; c’est nous, V. D., qui
soulignons). C’est ce qui fait que dans leur présentation des modes du verbe, les grammaires
françaises mettent, derrière chaque étiquette-mode, pour en “fixer” la valeur, des signifiés, tels
« réel » pour l’indicatif, « irréel ou hypothétique » pour le conditionnel, « virtuel ou possible » pour
le subjonctif, etc., étiquettes qui s’avèrent par trop lapidaires pour pouvoir contenir la richesse de ce
qui devient, toujours au pluriel, au contact des discours, dans les mêmes grammaires, les valeurs
d’emploi des modes.
63
Cependant, le verbe est le seul mot à pouvoir rapporter un procès à un repère (R) « fixé en un
point quelconque du temps cosmique » (Wilmet, 1998 : 300), ce qui ouvre trois perspectives pour le
procès envisagé comme 1° concomitant, 2° antérieur et 3° postérieur au moment de
l’énonciation, repère fondamental ancré dans la situation d’énonciation, moment où l’on parle ou
point de l’énonciation, en tant qu’origine du procès : c’est le moment T0 qui fonde la notion même
de « présent ». A ce premier repère fondamental, on peut en rapporter un autre, le point de
l’événement, qui réfère à un moment X du procès dans le temps (T’), moment T’ que l’on peut
situer par rapport au repère T0 de l’énonciation. Si les deux moments-repère coïncident, c’est à dire
s’ils sont concomitants ou contemporains, le moment du procès exprimé par l’énoncé est identifié
avec le moment de son énonciation : En ce moment (ce moment = le moment où je prononce cet
énoncé), je regarde la télé et Pierre lit un roman policier (les deux procès regarder et lire sont en
phase avec l’acte de parole que je suis en train d’accomplir). Le plus souvent, les deux repères sont
décalés l’un par rapport à l’autre, ce qui ouvre deux perspectives : 1° une vision rétrospective : le
point de l’événement, ou moment de l’événement (T’) précédant le point de l’énonciation, ou
moment de la parole (T0), le procès est situé dans le passé : Pierre est arrivé il y a déjà une
semaine, je te dis ; 2° une vision prospective : le point de l’événement venant après le point de
l’énonciation, le procès est situé dans le futur : Pierre arrivera tôt ou tard, je te dis.
Les deux temps que nous retenons ici, à savoir le temps dénoté (moment X où l’on situe un
événement dans le temps) et le temps grammatical (forme grammaticale, ou morphème, censée
situer dans le temps un procès ou un état dénoté par les verbes) sont deux choses bien différentes au
moins en cela qu’ils ne coïncident pas nécessairement (c’est plutôt rare !) et il arrive souvent qu’un
même segment temporel est exprimé par des formes temporelles différentes et que des segments
temporels différents sont traduits par une seule et même forme verbale (le futur, par exemple, peut
exprimer un événement à venir : Pierre lira le roman policier, un événement présent ou même
passé : Je ne trouve pas le roman policier ; ce sera Pierre qui l’aura pris ; l’imparfait peut situer un
événement dans n’importe laquelle des trois époques définies ci-dessus, présente, passée et future :
Si Pierre venait me voir maintenant ! – Pierre lisait un roman policier lorsque je suis entré. –
Pierre me prêterait le roman policier, si demain je le lui demandais).
Pour en revenir aux deux grandes époques, le passé et le futur que séparent le point de
l’énonciation (le présent) fonctionnant comme un « seuil inverseur » (Riegel, Pellat, Rioul, 1994), il
nous faut souligner le fait capital que le passé, vu – par rapport au futur, domaine du possible, du
« projeté », de l’imaginaire, donc du temps qui bascule dans la modalité –, comme le seul lieu de
l’acquis, de la réalité, de la vérité, est bien l’époque qui comporte les temps grammaticaux les
plus nombreux afin de pouvoir référer à des moments X, Y, Z situés tous dans le passé par rapport
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au point de l’énonciation, s’opposant l’un à l’autre en terme de simultanéité, d’antériorité ou de
postériorité. Si la chronologie en trois époques est rendue possible par la distinction des deux
repères, le point de l’énonciation et le point de l’événement, la diversité des temps simples et de
leurs valeurs et les particularités d’emploi des temps composés ne sauront trouver une interprétation
adéquate et cohérente que si l’on fait intervenir des considérations aspectuelles et mêmes textuelles.
C’est pourquoi, par exemple, H. Reichenbach (cité dans Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 290) n’hésite
pas à faire valoir un troisième repère temporel, le point de référence (R), qui « peut se confondre
avec le point de l’événement ou en être distinct » (Ibid.) et permet, étant déterminé par le contexte
(événements rapportés) ou par des adverbes (hier, la veille, auparavant, le lendemain, alors…),
d’expliquer le fonctionnement temporel des formes composées du passé. Si avec les formes simples
le point de référence s’identifie avec le point de l’événement, dans le cas des formes composées, il
en est forcément distinct, ouvrant de la sorte la perspective à partir de laquelle le procès considéré
sera situé dans le temps : ainsi, dans Maintenant que Pierre a lu son polar, il peut me le prêter, le
moment de l’événement exprimé au passé composé (a lu) précède sur la ligne du temps le moment
de l’énonciation (le procès lire est acquis, c’est déjà du passé), mais le point de référence se
confond tout de même avec le point de l’énonciation, puisque le moment de l’événement est bien
envisagé à partir du moment de l’énonciation, ses effets se faisant ressentir durant l'acte même de la
parole. De la même façon on peut situer les événements exprimés par l’imparfait et le plus-que-
parfait. Employé seul, dans, par ex., Pierre lisait un polar, l’imparfait marque la concomitance du
point de référence avec le point de l’événement. Cependant, dans Quand Pierre avait lu son polar,
il allait se coucher, les deux points ne sont plus concomitants, car le point de référence du plus-que-
parfait avait lu est fourni par l’imparfait de la principale, dont le procès est forcément postérieur au
point de l’événement exprimé par le plus-que-parfait.
Plus d’un grammairien font, suivant la manière dont les différents temps localisent le procès
par rapport au point de l’énonciation, la distinction entre les temps absolus, qui, fonctionnant
comme déictiques, se font “immédiatement” repérer à partir du point de l’énonciation, et les temps
relatifs, qui ne peuvent s’y référer qu’anaphoriquement, par l’intermédiaire du temps d’un autre
procès. Dans Pierre lut / lisait / lit / lira un polar, le passé simple, l’imparfait, le présent et le futur
sont des temps absolus, repérables directement à partir du moment – présent – de l’énonciation,
tandis que dans Quand Pierre a eu lu / eut lu / avait lu / aura lu son polar, il est allé / alla / allait /
ira se promener, le passé surcomposé, le passé antérieur, le plus-que-parfait, le futur antérieur, pour
être situés dans le temps, doivent être reliés à un autre événement passé ou futur, par rapport auquel
ils manifestent leur antériorité directe, laquelle antériorité est indirecte ou, si l’on veut, double, par
rapport au point de l’énonciation. Enfin, le mode-temps, appelé traditionnellement conditionnel, que
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l’on emploie en complétive, n’est interprétable comme temps (relatif : futur du passé) que par
rapport à un événement exprimé à un temps passé dans la principale : Quand il eut fini la lecture du
polar, Pierre m’assura qu’il irait voir le film.
Quant aux trois époques du présent, du passé et du futur, il nous faut remarquer que, si l’on
quitte le domaine de l’indicatif, le seul mode de la réalité, donc la seule terre ferme où l’on puisse
vivre, “expérimenter” les deux premières époques, les étiquettes présent et passé n’indiquent que du
flou malgré tout le poids de la pédagogie grammairienne qui hante notre imaginaire linguistique
sans pour autant l’éclairer. Que peuvent bien vouloir dire ces étiquettes dans le cas de ces bonnes
vieilles appellations grammaticales : infinitif « présent » marcher, participe « présent » marchant,
subjonctif « présent » marche / marchions… ; ou encore, infinitif « passé » avoir marché,
participe « passé » ayant marché ou subjonctif « passé » aie marché ? Pour Wilmet, un repère-lieu,
hors de toute personne et de toute époque, pose les procès en « arrivants ou incidents » (c’est le cas
de l’infinitif : marcher), mi-arrivants et mi-arrivés ou incidents et décadents (c’est le cas du
participe : marchant), arrivés ou décadents (on reconnaît sans difficulté le participe passé : marché).
Les formes simples de l’infinitif et du participe fonctionnent comme modes impersonnels-inactuels,
ne pouvant à elles seules marquer aucune époque, les formes composées et surcomposées
correspondantes (avoir marché, avoir eu marché et, respectivement, ayant marché, ayant eu
marché) marquent l’aspect accompli et, par là même, un simple rapport d’antériorité. Le subjonctif
est, lui, un mode personnel-inactuel, dont les différentes formes (marche, marchasse, aie marché,
aie eu marché, eusse marché, eusse eu marché) n’expriment pas le temps par elles mêmes, mais,
par rapport à un verbe régissant « virtualisant », simplement et toujours, une visée (virtuelle comme
toutes les visées), donc une postériorité, dédoublée en antériorité par l’incidence du participe qui
pose les procès en « arrivés ou décadents ». Si l’imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif ont
effectivement disparu du français, c’est que ce qu’on appelle le présent et le passé du subjonctif ne
pouvaient pas leur fournir des assises temporelles solides, car, loin d’exprimer des moments
repérables sur la ligne du temps, ils expriment, selon les auteurs, des modalités dverses : volonté ou
subjectivité, irréalité ou doute, ou encore éventualité, non-réalité ou éventualité, ou non jugement
(Touratier, 1996 : 163).
Modes et temps interfèrent, repérage modal et repérage temporel vont ensemble, et, sauf les
situations énonciatives très claires où la forme verbale seule suffit à situer un procès, il n’est pas
rare que le français combine souvent morphème verbal et autres éléments explicites (adverbes,
conjonctions, prépositions, datations, systèmes principale-subordonnée) au niveau de la phrase ou
même du texte (cf. Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 291). Cela veut dire que l’enseignement et
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l’apprentissage du mode et du temps français est avant tout affaire d’analyse interprétative de toutes
les marques, aussi bien celles internes, portées par le verbe (les différents morphèmes
grammaticaux de mode, de temps ou d’aspect), que celles externes, cotextuelles (morphèmes
lexicaux) et contextuelles (circonstances d’énonciation).
V.1.3. L’aspect verbal
Considéré à partir d’un point d’observation externe, le procès peut être donc situé dans
différents moments sur la ligne du temps : dans la contemporanéité, dans l’antériorité ou dans la
postériorité de l’observateur (co-)énonciateur. Envisagé en lui-même, comme « temps impliqué »,
un procès perçu « sous l’angle de son déroulement interne » (P. Imbs), c’est de la durée, plus ou
moins longue, qu’on peut appréhender comme un tout, dans sa globalité : Pierre lut ce polar
(procès acquis dans sa globalité dans le passé), comme suite de moments distincts dans le
déroulement d’un procès, 1) qui en est à son début : Pierre se mit à lire ce polar, 2) qui est en
cours : Pierre lit / lisait ce polar en y prenant visiblement plaisir, 3) qui en est à son terme final,
etc. : Pierre a lu son polar, maintenant il est content. Ces différents moments plus ou moins longs,
“coulant” progressivement entre une borne initiale et une borne finale sont exprimés par la catégorie
de l’aspect (voir force détails dans Dospinescu, 2000 : 191-209).
● près de la borne initiale s’il en est à son point de déclenchement : Pierre se mit à lire ce polar :
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------[-P –––––––]-------
● entre les deux bornes sans spécification aucune du moment de déclenchement ni de celui
d’accomplissement : Pierre lit / lisait ce polar en y prenant visiblement plaisir :
La valeur oppositionnelle, c’est l’aspect accompli, qui surprend le procès dans la phase
postérieure au point final, comme réalisé, complètement achevé, situé donc au-delà de la borne
finale :
------[–––––––– ] T’-------
Enfin, perçu dans sa globalité, le procès ne peut occuper aucune position sur le segment de
droite représentant le déroulement du procès qui se contracte jusqu’à devenir un point globalisant.
C’est le cas du procès exprimé au passé simple :
● Pierre lut ce polar, ce que l’on pourrait toutefois représenter de cette sorte :
--------()--------
L’opposition aspectuelle inaccompli / accompli traverse de façon systématique tous les modes,
étant manifestée par l’opposition entre les formes simples et les formes composées du temps
verbal :
⮚ les formes simples, telles le présent des modes infinitif, subjonctif et indicatif de même que
l’imparfait de l’indicatif (et du subjonctif dans la seule langue littéraire écrite) sont censées
exprimer le procès en cours de déroulement :
Je ne veux pas que Clara se marie, et pourtant, Yasmina m’habille. Je veux que Clara
retrouve son œil de photographe, je ne supporte pas son regard de nonne énamourée.
(Daniel Pennac) – Durant les soirées d’hiver, les cinq amis lisaient ensemble Villon,
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Rabelais, Montaigne ou Corneille pour ne pas perdre l’habitude des « tournures »
élégantes qui faisaient monter des larmes aux yeux de Saltiel ou de Salomon. (Albert
Cohen) – Je posais pour moi, et pour elle sans doute, pour elle, qu’elle fût femme ou
spectre. (Maupassant)
Il semble cependant diffficile d’attribuer une signification durative, de non accompli à bon nombre
d’emplois du futur simple, qui présente le procès (voir plus haut le passé simple) dans sa globalité
comme une promesse de réalisation, comme un projet, sans donner d’indication sur son
déroulement interne :
Oui, mais nous nous défendrons, dit Michaël, et on ne pourra pas ne pas nous libérer.
(Albert Cohen)
⮚ les formes composées, telles l’infinitif passé, le subjonctif passé (le plus-que-parfait s’écrit
encore, il est vrai, de moins en moins, mais ne se dit plus), le passé composé et le plus-que-
parfait de l’indicatif, sont censées appréhender le procès au-delà du terme final, complètement
achevé :
Si, quinze jours après avoir reçu une branlée monumentale, le roi du Livre en est encore
à compter ses côtes et à trembler pour ses frères et sœur, il n’en reste pas moins le caïd
de la fête. (Daniel Pennac) – Les copains du Talion m’ont accueilli la coupe à la main.
[…] La journée a passé sur les ailes du soulagement (Ibid.). – Il est bien certain qu’elle
[l’aventure] est inexplicable à moins que je n’aie eu mon heure de folie. (Maupassant)
Plus que des temps, les formes composées de l’infinitif ou du subjonctif marquent avant tout
l’aspect, en l’occurrence, le procès achevé, ce qui explique que le procès peut bien se situer dans le
présent, le passé ou dans l’avenir : Pierre croit / a cru / croira avoir réussi / être arrivé – Pierre
doute / a douté / doutera que je réussisse / j’aie réussi : ce qui l’emporte ici sur le temps, c’est
l’opposition aspectuelle, visée du procès en cours avec la forme simple / visée du procès achevé
avec la forme composée. C’est cette même valeur aspectuelle d’accompli qui, dans un système
temporel corrélatif, se mue en valeur temporelle d’antériorité :
– Puis, quand j’avais fini de la [la chevelure] caresser, quand j’avais refermé le meuble,
je la sentais là toujours, comme si elle eût été un être vivant, caché, prisonnier.
(Maupassant) De plus, Mangeclous – qui se proclamait docteur en droit non diplômé et
quasi-avocat – avait fait un stage de quelques semaines chez un huissier de Marseille –
d’où les termes de droit qui émaillaient ses discours et le renom juridique dont il
jouissait superbement, orteils écartés. (Albert Cohen)
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2. Perspectif / Cursif / Extensif
Pour avoir une vue panoramique sur le procès, c’est-à-dire sur l’avant-événement, l’événement
en cours et l’après-événement, nous réunissons ici les trois perspectives aspectuelles qui nous
donnent :
⮚ l’aspect perspectif, dont le modèle est la périphrase aller + infinitif, présente le procès
juste avant son déclenchement, c’est la phase antérieure au point d’initiation du procès : Pierre
va / est sur le point de / ? s’apprête à… lire son polar préféré ;
⮚ l’aspect cursif, dont le modèle est fourni par être en train de (par ex., Pierre lit [= est en train
de lire] son polar préféré), décrit (1) une phase du procès –, et c’est l’aspect cursif inscrit et
(2) le procès – comme phase (événement parmi d’autres événements), et c’est l’aspect cursif
circonscrit ;
⮚ et l’aspect extensif, dont le modèle est fourni par les séquences avoir / être + participe passé,
Ces trois valeurs de l’aspect cursif inscrit (cf. Wilmet 1998 : 321-322) se situent à l’intérieur
des bornes initiale et finale du procès. Quand le procès en est à son début (moment de
déclenchement), c’est l’aspect inchoatif : Pierre commence / se met à lire, auquel s’oppose, à
l’autre bout, l’aspect égressif (terminatif) : Pierre achève / arrête / finit de lire…, qui considère le
procès juste avant le moment d’achèvement. Entre les deux, c’est l’aspect transitif (ou progressif)
qui décrit une phase médiane du procès : Pierre est en train de / toujours à / occupé à lire…
L’aspect cursif circonscrit « installe des trois mêmes manières le procès à l’intérieur d’une
enfilade de procès » (ibid., p. 322) :
● l’aspect inchoatif : Pierre commence par lire…(le procès est le premier d’une suite
d’événements hétérogènes) ;
● l’aspect transitif : Pierre continue à / ne fait que lire…(le procès forme comme « le maillon
central » d’une suite d’événements). La même valeur est réalisée par aller (parfois s’en aller) +
70
paticipe présent : La maladie de Pierre va / allait / ira (en) s’aggravant [= le procès s’aggraver
suit / suivait / suivra une courbe ascendante].
● l’aspect égressif (terminatif) : le procès est le dernier maillon d’une suite d’événements
4. Semelfactif / Itératif
Tout procès peut se produire une seule fois, et alors il comporte l’aspect semelfactif (lat. semel
= ‘une fois’), ou bien se reproduire un certain nombre de fois, et alors il manifeste l’aspect itératif.
Excepté les verbes [+ itératif (fréquentatif)] qui, de par leur sémantisme même, expriment une
répétion discontinue ou régulière, tels aboyer, gazouiller, répéter, sautiller, tournoyer, redire,
relire, recommencer…(cf. supra III. Sémantique du verbe, infra l’aspect affixal), les autres
verbes, pour manifester l’aspect itératif, en appellent à des adverbes et à toutes sortes de
compléments circonstanciels : Pierre lit / lisait plusieurs (trois…) fois par jour / souvent / parfois /
fréquemment / toutes les semaines…, ou répétition du lexème verbal, quel qu’en soit le temps : – La
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bonne femme parle, parle, parle, elle ne fait que parler (quantité + fréquence), redoublement du
lexème verbal sous sa forme préfixé : – Pierre lit et relit son texte.
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fondamentaux respectifs, et alors le mode se met à jouer le temps, le temps se donne des allures de
mode quand il ne s’exprime pas au nom de l’aspect.
73
prenait de manière à provoquer le fou rire. – Non, ce n’était pas moi ! je le savais à n’en
point douter une seconde Maupassant) ;
complément du non : Comme prince, il avait le privilège de s’asseoir dans le salon de la
reine… (Hugo) ;
apposition : J’ai voulu accomplir cet acte de liberté si facile, si simple, – sortir – monter
dans ma voiture pour gagner Rouen – je n’ai pas pu. (Maupasssant) ;
complément des verbes impersonnels, avec la préposition de (sauf pour falloir) : Il s’agit /
convient / est question / m’arrive… de poser des questions indiscrètes ;
complément de l’adjectif : Nous restâmes là jusqu’à l’aurore incapables, de bouger, de
dire un mot…(Maupassant) ;
L’infinitif s’impose aussi dans ce qu’on appelle les « propositions subordonnées infinitives »,
consacrées comme héritage latin. Il a alors son propre sujet qui est toujours différent de celui du
74
verbe principal et, en même temps, objet direct ou indirect de celui-ci. Ces subordonnées sont le
complément d’un verbe factitif (faire, laisser), d’un verbe de perception (apercevoir, regarder,
voir, écouter, entendre, sentir) ou d’un verbe causatif de mouvement (amener, conduire, mener,
emmener, envoyer…) :
Pierre fait / laisse travailler ses amis (= Pierre les fait / laisse travailler). – La maîtresse
d’école faisait / laisser lire des poèmes à ses écoliers (= La maîtresse d’école les / leur
faisait / laisser lire des poèmes). – Assis à mon bureau, j’entends les enfants jouer /
jouer les enfants sous ma fenêtre (=…je les entends jouer…). – Mon père a conduit /
mené / envoyé mon petit frère voir Disney Land (= Mon père l’a conduit / mené / envoyé
voir… ). – Si vous croyez que c’est facile à lui faire changer d’idée. (P. Benoit, in P.
Robert) – Entendez-vous dans les campagnes / Mugir ses féroces soldats. (La
Marseillaise) – Je sens s’agiter en moi les futures fautes que je n’ai pas commises.
(Giraudoux) – Le vieux mène son chien promener [mène promener son chien]. (Camus,
in P. Robert)
Enfin, l’infinitif est le seul à pouvoir suivre en français, à la différence du roumain 25, les
morphèmes verbaux, auxiliaires de mode, de temps et d’aspect : vouloir, pouvoir, devoir, aller,
venir de, commencer, etc., qui servent de support aux désinences de temps, de personne et de
nombre et informent, modalement et aspectuellement, le procès dénoté par l’infinitif, qui, en outre,
commande le sujet (identique à celui de l’auxiliaire) et ses compléments : Pierre veut / peut / doit //
va / vient de / commence de… lire le dernier roman de Daniel Pennac. Plusieurs auxiliaires, régis
par un auxiliaire de temps, peuvent se combiner en une séquence d’infinitifs devant un lexème
verbal à l’infinitif : Pierre va devoir vouloir savoir lire…, dont le sens est constructible grâce au
lexème infiniti.
❖ Infinitif présent (infinitif simple). En corrélation étroite avec le verbe principal (et / ou le
❖ Infinitif passé (infinitif composé). Sa valeur temporelle, à savoir l’antériorité par rapport à
l’événement dénoté par le verbe recteur, est le fait de l’aspect accompli (ou extensif) qu’il
manifeste toujours, quelle que soit l’époque où l’on situe le fait principal :
Pierre croit / a cru / croira avoir enfin réussi. – Après avoir traversé la forêt d’oliviers
[…], les deux amis arrivèrent enfin à la taverne de Moïse le Sourd. (Daniel Pennac) – Je
me rappelle parfaitement avoir vu passer un grand trois-mâts brésilien. (Maupassant) :
avoir vu exprime l’antériorité, passer la simultanéité.
76
V.2.1.2. Participe présent (participe 1) et « gérondif »
Aussi impersonnel inactuel que l’infinitif, le participe présent (p. ex., marchant), exprime des
procès mi-arrivants et mi-arrivés, manifestant ainsi le temps incident-décadent et l’aspect sécant. A
mi-chemin entre l’infinitif et le participe passé (participe 2), il amorce un simulacre d’actualité qui
se traduit, par ailleurs, dans la capacité d’appeler un nom ou un pronom sujet, identique à celui du
verbe principal ou différent :
Lisant trop la nuit, Pierre risque d’avoir des problèmes de vision. – La voiture roulant
trop vite, les flics ont fini par être semés par les malfaiteurs. – Moi marchant très
lentement, les amis ont décidé d’appeler un taxi.
Dans tous ces cas, souvent en constituant extraposé, il est le noyau verbal d’une proposition
subordonnée et conserve toutes les propriétés d’un verbe (il prend des compléments, peut se
combiner avec la négation ou la voix passive ou pronominale) :
Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus soif de nouveau. (Maupassant) – Elle hésita
encore, réfléchissant. (Ibid.) – … un vieux berger […] conduit en marchant devant eux,
un bouc à figure d’homme et une chèvre à figure de femme, tous deux avec de longs
cheveux blancs et parlant sans cesse dans une langue inconnue, puis cessant soudain de
crier pour bêler de toute leur force. (Ibid.)
77
♦ le participe présent des verbes en - quer et - guer conservent la même orthographe que celle du
radical (- quant et - guant), tandis que l’adjectif verbal s’écrit avec - cant et – gant :
communiquant / communicant, fatiguant / fatigant, provoquant / provocant, vaquant / vacant,
etc. ;
♦ une vingtaine d’adjectifs verbaux prennent le suffixe - ent à la place de - ant : adhérent,
V.2.1.2.2. Le gérondif
« Gérondif », mode à part entière ou simple variante combinatoire du participe présent, c’est
l’appellation qu’on donne traditionnellement au signifiant discontinu / en + …ant / d’un
morphème qui fait glisser le participe présent vers la fonction adverbiale (toujours circonstant).
D’aspect sécant, il privilégie la simultanéité des deux procès et se distingue du participe présent en
cela que la norme du bon usage recommande qu’on lui assigne le même sujet que celui du verbe
recteur. Comme circonstanciel il marque le temps le plus souvent, mais comme le participe présent,
il peut exprimer d’autres rapports, tels la condition, la manière, la cause, etc. :
… un vieux berger […] conduit en marchant devant eux, un bouc à figure d’homme et
une chèvre à figure de femme, tous deux avec de longs cheveux blancs et parlant sans
cesse dans une langue inconnue, puis cessant soudain de crier pour bêler de toute leur
force (Maupassant) : même sujet pour le gérondif, sujet différent de celui du verbe
principal conduit pour les deux participes. – Et nous nous mîmes à causer en regardant
monter la mer… (Ibid.) – Est-ce un frisson de froid qui, (en) frôlant ma peau, a ébranlé
mes nerfs et assombri mon âme ? (Maupassant) : le participe présent ou le gérondif (c’est
nous qui avons ajouté en, le contexte le permettant et la règle normative du sujet
identique le réclamant même !) exprime à la fois le temps et la cause. – C’est en
forgeant qu’on devient forgeron (circonstanciel de moyen).
78
Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus soif de nouveau (Maupassant) : circonstanciel de
temps. – Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux sans faire un
mouvement…(Ibid.) : rapport causal.
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effaçant peu ou prou sa valeur temporelle, favorisent des glissements de sens qui l’éloignent
sémantiquement du verbe originaire : un homme avisé – une conduite avisée – un enfant apathique
et endormi – des esprits endormis – Un homme averti en vaut deux, et même : Quel endormi !
(subst., in P. Robert) – Plus personne, plus de cafés éclairés, quelques attardés seulement qui se
hâtaient (Maupassant) : participe substantivé par ellipse du nom.
Le participe passé, réduisant une subordonnée relative et transférant le procès verbal converti
en état dans le paradigme nominal, enrichit infiniment l’expression de la caractérisation.
● Définition morphologique
Le subjonctif possède, si l’on invoque un passé encore assez récent, quatre formes (cf. supra II.
Morphématique du verbe…), deux simples : présent (subjonctif 1 simple) et imparfait (subjonctif
2 simple), et deux formes composées : passé (subjonctif 1 composé) et plus-que-parfait (subjonctif
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2 composé). De nos jours l’imparfait et le plus-que-parfait, s’emploient, avec force précautions,
dans un registre soutenu (ou en langue littéraire écrite).
● Définition sémantique
● Définition fonctionnelle
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d’un doute plane quant à la véridicité de la réussite : aient réussi = ‘ils auraient réussi’, ‘ils ont
réussi, que je sache’].
● l’ordre :
Mais qu’ils viennent demander des excuses, et vite ! – Qu’il entre, s’écria le docteur en
ouvrant la porte. Qu’il entre, notre enfant prodigue ! (Cocteau)
● le souhait : – Que le Bon Dieu le protège ! – Que mes vœux vous accompagnent ! – Plaise au
ciel que vous réussissiez vos projets ! Parfois le subjonctif, sans que, avec inversion du sujet, se
fige en une forme unique, devenue une véritable interjection : Vive la République ! et Vive les
vacances ! C’est le discours religieux qui foisonne de telles formules : Dieu soit loué ! Dieu ait
son âme ! Dieu nous garde ! Dieu m’en préserve ! Fasse le ciel que… ! Se rattachent à
l’expression du souhait les expressions quasi figées : Puissé-je / Puisses-tu / Puisse-t-il +
infinitif, un peu plus fréquentes :
– Puisses-tu réussir ta vie comme tu le mérites ! – Puisse Pierre retrouver sa bonne
humeur, son rire, sa joie de vivre !
Combinés à un infinitif négatif, elles expriment le regret : Puissé-je n’être jamais né !
Enfin, dans l’usage soutenu, le subjonctif négatif du verbe savoir, sans que, introduit une
affirmation polémique : Je ne sache pas qu’il ait présenté une thèse brillante. A la forme
affirmative, placé en seconde place et introduit par que, le même subjonctif affirme un fait que le
locuteur suppose être vrai :
Pierre n’a pas fait son devoir, que je sache. – Sybille n’a pas la prétention, que je sache,
d’imposer silence à mes amis (Barbey, in P. Robert).
Qu’il fasse mauvais temps ne fait déjà plus de doute pour personne. – Que Pierre ait
toujours bien fait son travail, tout le monde le sait. – Qu’une prison ressemblât si peu à
une taule chamboulait mon système de valeurs. (Pennac) – Que vous ne vouliez plus
jouer les boucs, je l’admets. (Ibid.)
Très rare, l’exception existe tout de même : Que l’humanité n’est pas belle, on le sait (Henriot,
apud Grevisse) ;
désirer, regretter, se réjouir…voir les verbes [ opérateur de phrase]), du nom avec les mêmes
traits sémantiques que le verbe dont il est souvent dérivé (la volonté / le doute / le désir / le
souhait / la crainte / la peur…+ que + proposition complément de nom) ou de l’adjectif
exprimant la possibilité, la nécessité, le doute (possible, nécessaire, impérieux, urgent,
important, douteux…) ou encore divers sentiments (triste, content, heureux…) :
83
▪ Verbe + que + Psubj :
Pierre veut / souhaite / doute / regrette / s’étonne / prie… que ses parents prennent leur
retraite. – […] j’ai prié qu’on me prêtât le grand traité du docteur Herman Herestauss
sur les habitants inconnus du monde antique et moderne (Maupassant) ;
Le souhait / doute / regret… de Pierre que ses parents prennent / prissent (en langue
soutenue) leur retraite était un peu déplacé (subordonnée complément de nom). – Le
souhait / doute / regret… de Pierre était que ses parents prennent / prissent leur
retraite : subordonnée attribut. – Je ne pouvais pas vivre comme tout le monde avec la
crainte que des choses pareilles recommençassent (Maupassant) ;
Pierre était heureux / triste / surpris… que ses parents prennent / prissent leur retraite
(subordonnée complément d’adjectif) vs Il est possible / urgent / souhaitable / triste…
que les parents de Pierre prennent leur retrait (subordonnée complément de
l’impersonnel).
Dans tous les autres cas, avec des verbes, des noms ou des adjectifs comportant des sèmes tels
que [+ affirmation], [+ opinion positive], [+ probabilité], [+certitude], c’est l’indicatif qu’on doit
utiliser (voir les verbes opérateurs – IV. Syntagmatique du verbe) :
Pierre affirme / croit / prétend… que ses parents prendront leur retraite. – Il est certain /
vraisemblable / probable… que ses parents prendront leur retraite plutôt que prévu. –
Pierre est sûr / convaincu / rassuré… que ses parents prendront leur retraite. Sûr /
convaincu / rassuré… que ses parents prendront leur retraite, Pierre pense déjà à
reprendre ses voyages. – […] je demeurai convaincu, certain, qu’il se passait chez moi
quelque chose d’anormal, d’incompréhensible. (Maupassant)
84
▪ afin que, pour que introduisent les subordonnées de but (finales) :
– […], priez-la seulement de venir par le balcon jusqu’à ma fenêtre pour que je la voie,
au moins, pour que je lui dise adieu d’un regard puisque je ne puis pas l’embrasser.
(Maupassant)
▪ quoique, bien que, si … que, quelque… que, quoi que, etc. introduisent les
concessives :
Bien qu’elle fût malade, il n’en paraissait rien. (Petit Robert) – Où que vous soyez, quoi
que vous fassiez, on assassine à tout va, les cadavres pleuvent…(Daniel Pennac) – Si
bref que soit un écrivain, il en dit toujours trop. (Léautaud)
▪ trop / assez / suffisamment + Adj (dans la principale) + pour que attirent fatalement la
conséquence dans la subordonnée : – Pierre parle assez fort pour qu’on l’entende. De même
avec les locutions de (telle) sorte / façon / manière que : Je suis restée immobile, me
plaçant de telle sorte que je puisse voir. (Simenon)
▪ à (la) condition que, à moins que, pourvu que, pour peu que se disputent avec le si +
Il prit le lit sans qu’on pût encore déterminer d’où provenait sa souffrance et quelle en
était la nature. (Maupassant)
temporelle :
Elles claquèrent de haut en bas de la demeure, jusqu’à ce que celle (la porte) du
vestibule […] se fût close, enfin, la dernière. (Maupassant)
▪ non que, littéraire, et plutôt rare, marque une cause que le locuteur n’assume pas parce que,
pour lui, irréelle ; soit que…, soit que… introduit la cause alternée :
Elle accepta avec joie, non qu’il y eût entre vous beaucoup d’intimité, mais elle aimait
nos enfants. (Mauriac) – Soit que je me sentisse trop fatigué, soit que m’attirât
davantage, dans les petites rues, le spectacle de la débauche. (Gide, in Petit Robert)
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❖ Le subjonctif dans les subordonnées relatives
♦ dans ce type de relative quand l’antécédent est indéterminé par actualisation de type indéfini
(un, une, des, quelqu’un, personne, quelque chose…), par négation ou interrogation :
Je cherche / voudrais rencontrer / je prendrais… un metteur en scène qui fasse des films
qui font rire. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse m’expliquer toutes ces nuances subtiles
du subjonctif dans la relative. – Connaissez-vous une personne qui résolve le problème ?
– Malheureusement, je n’ai pas trouvé une / la / (de) personne qui sache résoudre notre
problème. – Il fallait peut-être que je raconte ça à quelqu’un, au fond quelqu’un qui ne
fût pas au courant. (Daniel Pennac) : ce dernier exemple nous semble doublement
intéressant : que je raconte a pris résolument la place de l’imparfait (le français parlé
rejette les formes en – asse), mais subsiste l’imparfait fût (automatisme livresque chez
l’auteur ?), qui s’accorde avec le passé de la principale et, en même temps, exprime
mieux l’éventualité (ne fût pas au courant = ne serait pas au courant).
Cependant l’indicatif s’insinue dès que le référent intègre le monde réel grâce au sémantisme
ou au temps et à l’aspect du verbe recteur, ou autre élément cotextuel, etc. :
J’ai rencontré / cherché / trouvé un metteur en scène qui fait des films… – Je cherche un
metteur en scène, je l’ai connu à Bucarest…, qui fait des films qui font rire ;
♦ après un superlatif relatif ou des expressions équivalentes (le plus + Adj, le premier, le
dernier, le seul…) :
– C’est la plus grande chambre que j’aie à vous proposer / que je puisse vous
proposer. – C’est la seule (la dernière) chambre qui soit libre.
Dans ces exemples, c’est à notre sens l’indicatif qui s’imposerait, n’eût été la norme de la langue
littéraire. D’ailleurs, dans la langue courante, le français évite le subjonctif après une expression
86
superlative et met l’indicatif le plus souvent. Si le subjonctif paraît, c’est par automatisme livresque.
Tandis que dans : – Elle bout de rage, Verdun, elle va faire évaporer le bénitier ! C’est même le
seul événement de la journée que j’attende avec une certaine impatience… (Pennac), l’attente est
simplement imaginée et l’événement reste un simple projet, désir ou souhait (le subjonctif peut
commuter avec le conditionnel : j’attendrais). Si, par contre, l’expérience tombe sous un de nos
sens, c’est l’indicatif qui reparaît :
– […], et Julie cuisine. Le détail mérite d’être remarqué : c’est la première fois que je
vois Julie derrière les fourneaux. (Daniel Pennac)
subjonctif) :
Vous n’avez jamais peur qu’on vienne vous casser la gueule ? (Daniel Pennac) – Qu’il
chiale tout son saoul, je n’étais pas pressé. (Ibid.) – Qu’elle emporte la robe, qu’elle la
donne, qu’elle en fasse ce qu’elle veut. (Ibid.) – Il y avait un tas de connaissements qui
87
s’amoncelaient sur mon bureau et il a fallu que je les dépouille tous. (Camus) – Comme
ça ne suffisait pas, mon géant a martelé jusqu’à ce que l’air soit saturé de symboles
rendus à l’anarchie première des choses. (Pennac) – Mais le concierge m’a dit qu’il
fallait que je rencontre le directeur. (Camus)
extensif (accompli)26 :
– Je comprends fort bien qu’on soit venu pour… Elle. (Maupassant) – Avant que j’aie pu
répondre, le pied de la lampe […] s’était abattu sur l’ordinateur…(Daniel Pennac). –
Oui…, a fait Saint-Hiver tout pensif, l’étrange étant que personne ne se soit demandé ce
qu’ils désiraient tant faire reconnaître. (Ibid.)
Une évidence semble s’imposer, à savoir que seuls ces deux temps représentent tout ce qu’il
reste de plus vivant et de très courant en français parlé de l’ancien système du subjonctif à quatre
temps. L’imparfait et le plus-que-parfait, bannis, sinon carrément mis au pilori dans le français
parlé, se survivent tant bien que mal dans le français littéraire écrit.
♦ L’imparfait se survit à la troisième personne du singulier (qu’il chantât, qu’il finît, qu’il
connût, qu’il vînt. On évite ainsi, et pour cause, les formes contenant l’infixe - ss - : que je
téléphonasse, que je visse, que vous sussiez, etc.) et celles du pluriel (qui apparaît moins
souvent) et toutes les personnes des verbes avoir et être. Comme temps, c’est du rétrospectif,
comme aspect, c’est du global (inaccompli), d’où découlent, comme pour le présent, deux
valeurs temporelles et une valeur modale : non pas seulement l’expression d’une simultanéité, à
peu près concomitante, à une époque passée, ou d’une postériorité par rapport au même repère,
mais aussi d’une éventualité basculant dans l’irréel, que, de nos jours, on voit confier au
conditionnel :
▪ simultanéité :
– Je voyais, je voyais très bien, quoi que la nuit fût profonde (Ibid.). Camus aussi, de
temps à autre, se laisse imposer un imparfait livresque, souvenir de classe de grammaire :
– Ils se sont assis sans qu’aucune chaise grinçât. (Camus)
▪ postériorité :
26 Le passé peut aussi présenter un ordre, engageant donc l’avenir, sous l’angle de l’accompli, remplaçant ainsi l’impératif à la
troisième personne : – Aie fini de lire avant mon retour ! – Qu’il ait fini de lire avant mon retour / midi / deux jours.
88
– Se voyant à ses derniers moments, il supplia qu’on décidât sa mère à lui dire adieu.
(Maupassant)
▪ éventualité :
♦ Le plus-que-parfait, lui, formé sur l’imparfait des auxiliaires, conserve en théorie toutes les
personnes : que j’eusse chanté…, qu’il eût chanté / que nous eussions chanté… qu’ils eussent
chanté vs que je fusse allé(e)…qu’il fût allé / que nous fussions allé(e)s… qu’ils fussent allés, et
manifeste le temps rétrospectif antérieur et l’aspect global-extensif (accompli), d’où découlaient
en français classique l’expression de l’antériorité par rapport à un fait principal passé :
[…] il attendait, pour mourir, qu’il eût vu une dernière fois la figure douce et bien
aimée, le visage sacré de sa mère. (Maupassant) ;
ainsi que l’expression de l’irréel du passé en construction indépendante ou subordonnée,
comme dans l’usage courant de nos jours, le ferait le conditionnel passé, pour signifier un
événement passé fictif ou pour noter une impression fugitive :
Rodrigue, qui l’eût cru ? – Chimène, qui l’eût dit ? (Corneille) : [en français actuel :
aurait cru, aurait dit] – Chose étrange, je n’avais pas peur ; j’étais au milieu d’un
paysage tellement extraordinaire que les singularités les plus fortes n’eussent pu
m’étonner. (Maupassant)
Quelques emplois anciens de l’imparfait et du plus-que-parfait du subjonctif subsistent encore
dans le registre soutenu du français dans les systèmes hypothétiques. Ainsi l’imparfait, avec surtout
les verbes être et devoir en inversion (fût-il, dût-il), dans une structure de deux propositions
juxtaposées, exprime l’hypothèse, comme le ferait aujourd’hui une subordonnée introduite par si ou
comme si + imparfait indicatif :
Pierre ferait le voyage, dût-il en mourir (= même s’il devait en mourir). – L’homme, dit-
il, qui découvrirait un vice nouveau, et l’offrirait à ses semblables, dût-il abréger de
moitié leur vie, rendrait un plus grand service à l’humanité que celui qui trouverait le
moyen d’assurer l’éternelle santé et l’éternelle jeunesse. (Maupassant)
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Le plus-que-parfait, dans une structure pareille, et, bien sûr, dans le registre recherché de la langue
littéraire, introduit ou non par si, peut s’employer dans les deux propositions pour exprimer une idée
d’irréel du passé, tout comme le conditionnel passé d’aujourd’hui :
(Si) Pierre fût arrivé plus tôt, on l’eût certainement reçu avec tous les égards. – Je crois
que si un poisson se fût avisé de sauter de l’eau, comme cela arrive souvent, il n’en
aurait pas fallu davantage pour me faire tomber raide, sans connaissance. (Maupassant)
– Comme s’il se fût agi d’un signal, l’archange rejeta sa mèche blanche en arrière d’un
gracieux mouvement de tête… (Daniel Pennac)
Enfin, il peut aussi alterner, ayant la même valeur modale, avec le conditionnel passé, le plus-que-
parfait, l’imparfait de l’indicatif :
(Si) Pierre fût arrivé plus tôt, on l’aurait reçu… / Si Pierre était arrivé / arrivait plus
tôt, on l’eût reçu… – Et je n’aurais pas été autrement étonné si le taxi diesel […] se fût
métamorphosé en un carrosse de cristal tiré par cette race de chevaux ailés qui ne
produisent jamais de crottin. (Daniel Pennac)
90
V.2.2.2.1. Valeur modale de l’impératif
La tradition grammaticale associe l’impératif à l’expression de l’ordre, du commandement ou
de la prière. On peut donc voir dans l’impératif, au même titre que dans le subjonctif injonctif, un
morphème de volonté.
L’impératif, on peut le dire, est un “mode” déictique, le mode d’actualisation de
l’énonciation. C’est cela même qui explique sa grande fréquence dans le préambule de tout
échange linguistique. Dire à quelqu’un Venez…, Asseyez-vous…, Ecoutez-moi…, Faites attention…,
Dites-moi…, Ne me coupez pas, Comprenez…, n’en parlons plus…, Continuez…, Expliquez-vous,
Arrêtons-nous…, Partez…, Restez…, c’est mettre en scène la communication, c’est se poser soi-
même en locuteur et meneur de jeu et poser l’autre en partenaire communicant, etc.
L’impératif, coordonné par juxtaposition ou coordination (et) à une proposition au futur, en
arrive à pouvoir exprimer l’hypothèse, équivalant à la structure conditionnelle si + présent
indicatif, ce qui lui vient de son métissage sémantique avec le futur, hypothétique par définition :
– Donnez-lui à boire, (et) il racontera sa vie. – Aimez, (et) on vous aimera.
Par personnification, l’impératif peut viser un destinataire non-personne :
– Mange, petit chien, mange ! – O temps, suspend ton vol ! et vous, heures propices, /
Suspendez votre cours. (Lamartine)
♦ le présent, qui n’est pas à vrai dire celui du procès mais celui de l’énonciation d’un projet
d’action à accomplir par l’interlocuteur (Venez nous voir… un de ces jours / quand ça vous
plaira / quand vous voudrez !). Un tel présent marque du point de vue de la chronologie un
prospectif ;
♦ et le passé, qui n’est que la représentation imaginaire de cette même action dans l’avenir, sous
l’angle de l’accompli (– Soyez rentré…, [si possible], avant minuit ! – Ayez fini le travail
demain à midi, avant mon retour !). C’est un prospectif antérieur. Les deux temps ne font tout
au plus qu’opposer un aspect global (inaccompli) à un aspect global extensif (accompli). De là
viennent les valeurs “temporelles” :
● L’impératif passé, tel le futur antérieur, envisage toujours une postériorité saisie comme un
procès à venir que l’interlocuteur doit avoir effectivement accompli dans certains délais que l’on
doit expliciter linguistiquement :
Soyez rentré…, [si possible], avant minuit ! – Ayez fini le travail avant mon retour !
A' A
92
2° le passé simple (passé 1 : je marchai…) et le passé antérieur (passé 1 composé : j’eus
marché…) ;
3° le futur simple (futur 1 : je marcherai…) et le futur antérieur (futur 1 composé : J’aurai
marché…).
V.2.3.1.1. Le présent (Présent simple)
Bien que dépourvu de désinence proprement temporelle, le présent de l’indicatif, est de loin le
temps le plus utilisé du français. Ce temps inaugural, origine et référence de tous les autres temps,
qui inscrit l’acte d’énonciation sur l’axe du je-ici-maintenant, peut indiquer les trois époques, de
l’actuel, du passé et du futur, ou même toutes les trois à la fois (présent omnitemporel). Le présent
(simple) dénote avant tout le temps pendant lequel un locuteur prend la parole pour faire un énoncé,
il manifeste donc la simultanéité du procès avec le moment de l’énonciation.
Employé seul, sans aucun indicateur temporel, le présent simple marque la concomitance du
temps du procès asserté avec le temps de son énonciation (« – Il fait beau » situe, sans plus, le
phénomène météo dans l’actualité du locuteur). Pour ce qui est du déroulement du procès, ce temps
manifeste l’aspect sécant (procès en cours), qui laisse le procès en contact avec le passé et ouvert
sur l’avenir.
V.2.3.1.1.1. Valeurs temporelles (simultanéité totale ou partielle, effective ou virtuelle, durée,
répétition, antériorité immédiate, postériorité, etc.)
La valeur temporelle dominante du présent linguistique est l’expression de la
concomitance d’un procès au repère de l’actualité. Il peut donc y avoir :
1º simultanéité totale ou partielle, effective ou virtuelle : Pierre lit peut traduire une activité
de lecture brève ou longue, ou bien une activité présente ou régulière et momentanément
arrêtée. Les emplois à valeur de présent « momentané » et de « durée » sont seuls à marquer
“physiquement” l’actualité du locuteur :
▪ le présent « momentané » :
– Voilà Le Bret qui grogne (Rostand) : en disant cela, le locuteur voit et entend Le Bret
grogner. Voici un exemple de notre invention : – Tiens ! Regarde ! Pierre démarre. Il
part tôt au bureau. – Oh, Pierre, tu parles trop fort. On n’entend plus rien.
▪ le présent « de durée » :
Les patients du dr. Knock attendent sa visite [depuis deux heures] (Wilmet) ;
93
Pierre se couche tard (tous les jours) – Pierre lit beaucoup – Jean boit (toujours), mais
Marie vient d’arrêter. – Vous vous livrez tous les jours à des excès qui dévorent votre
santé. (Maupassant)
Ces procès, qui expriment une simultanéité fictive ou virtuelle, quittent le plan de l’actualité du
personnage qui parle, aspirant à une valeur “pantemporelle”, sorte de permanence temporelle qui
convient à l’expression des constatations d’ordre général, des faits d’expérience, des faits durables
ou permanents, etc. :
– […], mais ça lui évitera au moins de penser que l’argent fait le bonheur des autres, et
puis ça lui épargnera le travail, et de croire que le travail est une vertu. (Daniel Pennac)
– La terre tourne autour du soleil. – Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.
Souvent le présent sert à définir, à caractériser une personne, un objet, un phénomène, etc.,
dans des subordonnées relatives, venant souvent après un temps passé dans la principale 27. Cet
emploi très courant aussi dans les documents à vocation de transmission du savoir s’appelle
« présent didactique » :
On avait parlé de tout, et une lassitude arrivait, cette lassitude qui précède les départs
après les fêtes. (Maupassant) – Près du foyer, un vieux chien, presque aveugle et
moustachu, un de ces chiens qui ressemblent à des gens qu’on connaît, dormait le nez
dans ses pattes. (Ibid.) – Un homme qui croit aux revenants, et qui s’imagine
apercevoir un spectre dans la nuit, doit éprouver la peur en toute son épouvantable
horreur. (Daniel Pennac)
Enfin, deux autres valeurs sont attachées au présent simple, dérivant toutes deux de sa valeur de
« présent étendu », en contact avec le passé et ouvert sur l’avenir :
2. antériorité immédiate, en contact avec le moment de l’énonciation : c’est ce que Wagner et
Pinchon appellent un « passé récent » :
Je sors (à l’instant) de chez mon ami [= J’arrive : je viens en droite ligne de chez lui]. –
Pierre n’est toujours pas là ? – Si, il arrive (à l’instant).
3. postériorité, plus ou moins proche du moment de l’énonciation, et c’est ce que les
grammaires appellent « un futur proche ou immédiat » et même un futur assez éloigné :
– J’arrive ! (nous rassure la voix du garçon de café). – Pierre part [= va partir], il ne peut
plus attendre. « – Comment ? Il arrive ? – Je l’ai vu. Avant trois heures il est ici ! (apud
Wagner et Pinchon). – Un mot de plus, et je te mets à la porte. (« conséquence directe et
27 Voir aussi le « présent pittoresque » dans Grevisse, 1969 : § 1050, Remarques, note 2.
94
infaillible » d’un autre fait présent ou imminent, cf. Grevisse, 1969 : 667). – Dans dix
ans, je prends ma retraite.
Dans un système conditionnel, après si, le présent oriente les procès vers l’avenir, que le verbe
principal soit au présent ou au futur :
Si Pierre vient maintenant, moi je pars. – Si tu travailles d’arrache-pied, tu finiras /
auras fini ton livre avant la fin de l’année. – Si vous quittez seulement Paris en direction
de Champrond, si, volontairement ou non, vous jetez le plus petit soupçon dans la tête
de mes enquêteurs, je vous fais boucler préventivement jusqu’à la fin des opérations.
(Daniel Pennac)
Ce même présent, dont on retient la capacité d’exprimer les trois époques, peut, quand il est
employé comme temps de l’« énonciation historique » ou du « récit d’événements passés », être
utilisé dans une narration (ou récit) pour évoquer des événements passés, réels ou fictifs. Les faits
relatés au présent sont ainsi comme transportés dans l’actualité de l’acte de parole (ou de lecture) du
couple locuteur-interlocuteur (narrateur-lecteur). C’est bien ce que la plupart des grammaires
scolaires appellent le « présent historique » ou « de narration » :
Et bien, voici ce qui m’est arrivé sur cette terre d’Afrique :
Je traversais les grandes dunes au sud de Ouargla [les événements sont relatés au passé].
C’est là un des plus étranges pays du monde [le présentatif c’est là…, au présent, est une
subtile invitation à quitter l’énonciation historique]. Vous connaissez le sable uni, le sable
droit des interminables plages de l’Océan [manipulation de l’interlocuteur-lecteur avec qui le
locuteur-narrateur partage, comme on dit, le même savoir « encyclopédique » au moyen
duquel il l’entraîne sur ses traces dans un passé qui devient du présent]. Eh bien ! figurez-
vous l’Océan lui-même devenu sable au milieu d’un ouragan ; imaginez une tempête
silencieuse de vagues immobiles en poussière jaune [deuxième manipulation quasi
didactique : avec actualisation / représentation de connaissances, bien sûr, qui fait franchir le
temps et les distances et intégrer du passé dans l’actualité]. Elles sont hautes comme des
montagnes, ces vagues inégales, différentes, soulevées tout à fait comme des flots déchaînés,
mais plus grandes encore, et striées comme de la moire. Sur cette mer furieuse, muette et
sans mouvement, le dévorant soleil du sud verse sa flamme implacable et directe. Il faut
gravir ces lames de cendre d’or, redescendre, gravir encore, sans repos et sans ombre. Les
chevaux râlent, enfoncent jusqu’aux genoux et glissent en dévalant l’autre versant des
95
surprenantes collines [des présents se suivent pour faire “camper” le lecteur, pour un
moment, dans le passé, et lui faire vivre, dans l’actualité de l’acte de lecture, l’histoire vécue
autrefois par le narrateur].
Nous étions deux amis suivis de huit spahis et de quatre chameaux avec leurs chameliers.
Nous ne parlions plus, accablés de chaleur, de fatigue, et desséchés par la soif comme ce
désert ardent. Soudain un de ces hommes poussa une sorte de cri ; tous s’arrêtèrent ; et
nous demeurâmes immobiles, surpris par un inexplicable phénomène connu des voyageurs en
contrées perdus [le narrateur, après avoir temporairement fait perdre à son interlocuteur la
conscience de son moi-ici-maintenant de lecteur, replonge dans le passé de son “histoire”,
tout en renonçant au présent historique pour « ouvrir une sorte de parenthèse narrative, en vue
de décrire ou d’expliquer soit une action, soit un état, sous l’aspect de contempo-ranéité »]
(L’exemple est de Le Bidois. Les commentaires entre crochets sont de nous).
Loin d’être l’apanage des seuls écrivains ou historiens, le passé de narration anime les récits
parlés populaires, les histoires, anecdotes et autres blagues, enfin, tous les récits quotidiens de nos
petits ou grands exploits (récits qui, souvent, commencent comme ceci : Eh bien ! c’était hier
après-midi ; j’arrive à l’école, et là, qui est-ce je vois…).
● Le présent prophétique
96
puisqu’il sait que le bébé n’est pas encore né ! C’est donc cette information qui joue dans
l’interprétation du présent comme futur prohétique.
Quant aux valeurs modales du présent (« nuances affectives » chez Wagner et Pinchon, 1962 :
346), elles ne tiennent pas tant de ses valeurs temporelles, mais bien des déterminations cotextuelles
ou contextuelles :
▪ désir, prière, invitation pressante : – Tu viens ce soir, oui ? – On marche un peu, tu veux ? –
On sort, on ne peut plus rester ici : il fait trop chaud ! (phrase interrogative, exclamative,
etc.).
Le passé composé exprime, quand c’est la valeur aspectuelle qui prévaut sur sa valeur
temporelle, un présent extensif ; le procès est accompli et son résultat crée une situation nouvelle
en contact avec le moment de la parole, qui peut se prolonger au-delà du présent actuel :
Voilà, j’ai mangé, je n’ai plus faim : le présentatif situe le premier procès – accompli,
achevé – dans l’actualité de l’acte d’énonciation et le deuxième procès (état) est
contemporain du premier. – C’est fini, Ben, on est là. Bois. J’ai bu . Simon a dit : –
97
Voilà, maintenant, t’as plus peur (Daniel Pennac) : localisation actuelle du procès boire
par deux expressions déictiques (voilà, maintenant. – Elle a vécu [= est morte : état qui,
selon les cultures, se prolonge plus ou moins indéfiniment] Myrto, la jeune Tarentine ;
[…] / Tu n’as point revêtu ta robe d’hyménée (André Chénier) : « phase extensive qui
annule le sens du verbe simple » (Wilmet :1998 : 356).
Avec les verbes à auxiliaire avoir ou être, le choix du second privilégie la valeur de présent
accompli. Il en est de même des verbes (surtout les perfectifs) prenant l’auxiliaire être, qui marque
alors l’état résultant de l’accomplissement du procès. Comparer : Le vaisseau spatial a atterri / Le
vaisseau spatial est atterri ; Pierre a descendu ses bagages / Pierre est descendu ; Pierre est sorti,
vous ne pouvez pas le joindre avant une heure.
● Antérieur du présent
C’est par rapport à un autre procès au présent que le passé composé (présent composé) fait
ressortir sa valeur temporelle d’antérieur du présent car tout procès accompli ou achevé au
moment de la parole précède ce moment et lui est forcément antérieur : Quand Pierre a mangé, il
prend un livre [= Pierre prend un livre après avoir mangé (+ antériorité par rapport à un présent
habituel)].
Le sème d’antériorité qu’il conserve toujours peut se combiner, comme le présent simple, avec
les valeurs temporelles projetées vers le futur. Il peut alors exprimer un futur antérieur dans un
système hypothétique avec si, ou bien une projection de réalité sur un procès futur plus ou moins
proche, saisi sous l’angle de l’accompli :
Si demain, ou lundi prochain au plus tard, Pierre n’a pas fini le polar, je le lui
prendrai [antériorité faisant valoir l’aspect accompli du procès de la subordonnée] ; –
Minute ! (et) j’ai fini …[= je vais finir dans une minute] – J’ai pris mon café dans dix
minutes ! [= j’aurai pris mon café…] – Dans deux jours / dans une semaine / deux
mois…, j’ai pris ma retraite (cf. supra : Dans dix ans, je prends ma retraite).
● Temps du passé
C’est sa valeur temporelle d’antérieur du présent qui fait que, employé comme temps absolu,
le passé composé (présent composé) a fini, en français moderne, par marquer couramment des
procès, des événements et des états passés et, par là même, par remplacer le passé simple dans la
langue parlée et à le concurrencer dans l’énonciation historique, comme temps du récit écrit. Ainsi
oppose-t-on, de nos jours, un passé, et c’est bien le passé composé, conjoint au présent, et un passé
disjoint du présent, et c’est bien sûr le cas du passé simple.
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Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, / Traversé çà et là par de brillants soleils ; /
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, / Qu’il reste en mon jardin bien peu de
fruits vermeils (Baudelaire) : dans le premier vers il y a rupture avec un état passé,
révolu, lien avec le moment de l’énonciation dans le troisième, avec, au quatrième,
prolongement de l’état résultant dans le présent du poète (voir, pour plus de détails sur le
passé composé comme temps du récit, Dospinescu, 2000 : 272-274).
✔ combiné à un circonstant omnitemporel (toujours, jamais, de tout temps), le passé composé peut
exprimer des « vérités générales » parce que le caractère accompli du fait qu’il exprime
garantit en quelque sorte sa validité, donc sa vérité :
– Hélas ! on voit que de tout temps / Les petits ont pâti des sottises des grands. (La
Fontaine) – Il est impossible d’aimer une seconde fois ce qu’on a cessé d’aimer. (La
Rochefoucauld) – Et dans l’ordre moral, qui risque le mal l’a déjà fait. (Barbey
d’Aurevilly) – Des rhinocéros dans le pays, cela ne s’est jamais vu. (Ionesco) ;
✔ on peut attribuer une valeur caractérisante (cf. supra le présent de « vérités générales », le
« présent didactique ») au passé composé employé dans des relatives et marquant le résultat
d’un fait antérieur, « un résultat de portée générale » d’une certaine manière :
Elle était comme quelqu’un qui, dans sa rage aveugle, a frappé avec une arme
inoffensive sans seulement égratigner (Simenon) ;
✔ enfin, dans une énonciation de discours, le passé composé présente un fait comme déjà acquis,
« d’ores et déjà acquis » (Touratier, 1996 : 146) quand même le procès n’a pas encore eu lieu ou
il est en cours. C’est bien ce qu’expriment les énoncés J’ai gagné ! Tu as perdu ! – J’ai trouvé
la solution… dans les jeux (aux échecs, par ex.) ou autres entreprises semblables.
99
Ce que je viens de voir a déchiré mon cœur (Nivelle de La Chaussée, apud Damourette et
Pichon, 1911-1936, V, § 1766, p. 275) : le fait exprimé par je viens de n’est pas plus
récent que celui exprimé par a déchiré, bien au contraire. – Ce que vous venez de dire
m’a profondément blessé : la blessure est toute récente… et elle fait encore très mal au
moment même de l’énonciation !
● Succession chronologique
Dans des propositions indépendantes, coordonnées ou juxtaposées, dans des principales avec
leurs subordonnées, le passé simple s’emploie avec beaucoup de bonheur, manifestant sa valeur de
« passé factuel », pour poser, dans l’époque du passé, des événements dans leur succession
chronologique :
Sur mon ordre, la porte fut ouverte et mes quatre aides apportèrent la folle. Dès qu’elle
aperçut les lumières, la foule à genoux, le chœur en feu et le tabernacle doré, elle se
débattit d’une telle vigueur, qu’elle faillit nous échapper, et elle poussa des clameurs si
aiguës qu’un frisson passa dans l’église ; toutes les têtes se relevèrent ; des gens
s’enfuirent. (Maupassant) – Il me fallut attendre la nuit profonde. Alors seulement je
compris pourquoi j’avais rendu mon tablier de bouc à la reine Zabo. (Daniel Pennac)
● Concomitance factuelle
100
Le cotexte (circonstant temporel, conjonction de subordination temporelle) de même que le
contexte peuvent induire un rapport de simultanéité entre deux ou plusieurs procès exprimés au
passé simple tout en restant chacun bien distinct, donc nettement délimité dans le temps :
Et tout le temps qu’il fut dans la chambre, elle ne cessa de le suivre des yeux. (Plisnier,
apud Touratier, 1996 :103) – Quand les trois personnages furent dehors, on sentit le
vide. (Simenon) – […] et elle poussa des clameurs si aiguës qu’un frisson passa dans
l’église ; toutes les têtes se relevèrent ; des gens s’enfuirent. (Maupassant)
101
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. (Boileau) – Souvenez-vous bien qu’un dîner
réchauffé ne valut jamais rien. (Ibid.) – Un bien reproché tint toujours lieu d’offense.
(Racine)
V.2.3.1.4. Le passé antérieur (passé 1 composé : j’eus parlé / fini reçu… // je fus allé / parti /
venu…)
Comme son appellation traditionnelle le divulgue, ce temps est un passé antérieur et, pour
l’aspect, il marque un global extensif, deux valeurs qui le mettent “en résonance” avec un procès de
temps passé et d’aspect global, c’est-à-dire avec le passé simple (passé 1 simple) : il ajoute la
nuance d’accompli à un procès passé inscrit dans la trame événementielle d’un récit. Dans la seule
langue littéraire écrite, il exprime une légère antériorité par rapport au passé simple dans une
subordonnée temporelle introduite par quand, lorsque, dès que, aussitôt que, après que, par les
signifiants discontinus à peine + inversion … que…, pas plus tôt…, que…, etc., ou encore un effet
de sens « rapidité » (P. Imbs) dans une indépendante, en relation avec un circonstant temporel du
type « en x temps » : en un moment, vite, bientôt, enfin…) :
Enfin elle referma la porte. Quand elle eut verrouillé la sienne, je regagnai, dans le
cabinet de toilette, mon poste d’écoute. (F. Mauriac) – Je ne l’eus pas plus tôt quitté,
que ce rendez-vous auquel d’abord je n’avais pas fait attention me revint à l’esprit.
(Crébillon fils, apud Riegel, Pellat, Rioul : 1984 : 312) – La vedette eut enfin fini de
traverser le cadre de la fenêtre ouvert. (Marguerite Duras) – La drôle était en selle ; il
piqua des deux, et dans l’obscurité, je l’eus bientôt perdu de vue. (Mérimée)
102
Le futur indique que le locuteur estime comme possible et probable l’accomplissement du
procès dans un avenir plus ou moins proche du moment de la parole. Un indicateur temporel
[+ proximité] vient souvent agrandir la dose de certitude quant à la réalisation du procès :
Oui, mais nous nous défendrons, dit Michaël, et on ne pourra pas ne pas nous libérer.
(Albert Cohen) – Dans une minute je saurai si je suis encore un peintre. (Sartre) Le futur
en subordonnée marque, après un présent dans la principale, la même valeur : – Je pense
/ j’espère / je suis sûr que tu réussiras ton coup (demain / dans deux ans / à l’avenir).
● Par rapport à un point de référence autre que le présent de la parole, le futur marque toujours un
fait postérieur et peut apparaître :
✔ après un présent permanent, de portée générale, ou bien après un impératif de même sens :
Mes rêves, pendant quelque temps, furent la chaîne brûlée de Galaad, le pic Safed, où
apparaîtra le Messie. (Renan) ;
Vous trouverez une porte d’argent toute constellée de croix noires… à main droite…
Vous frapperez, on vous ouvrira. (Daudet) ;
✔ le futur, comme le passé simple, peut égrener des événements futurs qui se suivent
103
La succession des faits peut parfois se transformer en simultanéité dans des subordonnées
introduites par des conjonctions comme tant que, tandis que, pendant que, au fur et à mesure que,
ou dans des indépendantes coordonnées ou juxtaposées :
Tant qu’il travaillera, il aura à manger. – Pierre guérira au fur et à mesure qu’il
prendra ses médicaments. – Nous nous promènerons et nous ferons nos courses.
✔ L’aspect global du procès que marque le futur simple tend, quand celui-ci est accompagné
d’indicateurs temporels du type pendant X temps, à être perçu comme sécant ; le procès semble
pouvoir s’étirer dans le temps, ce qui lui confère beaucoup plus de probabilité, de
réalité même :
Pendant dix jours, ils nous empêcheront de dormir. (Albert Cohen)
● Futur de volonté
Malgré la forme assertive de l’énoncé, l’orientation du procès sur l’avenir agit tantôt comme
facteur d’atténuation, tantôt, en fonction d’autres indicateurs cotextuels et / ou contextuels, comme
vecteur d’une volonté implacable. On parle alors de :
✔ Futur injonctif : le futur se prête avec souplesse à l’expression de l’ordre formel ou atténué, de
la prière, de la règle morale (p. ex., les dix commandements de Dieu ), de la suggestion, de la
prescription, etc. :
– Allons, en voilà assez. Vous quitterez cette femme. (Dumas fils) – Solander, vous
apporterez un second lit de camp. Et débarrassez-nous de ce chien empaillé.
(Giraudoux) : l’ordre dit au futur est moins péremptoire que celui formulé à l’impératif (–
Et débarrassez-nous… !) – Vous prendrez bien une tasse de café avec moi, pour vous
remonter un peu. (Chevallier) : ici le cotexte et le contexte font que le futur exprime une
prière, une invitation obligeante.
104
✔ Futur de promesse (demande, menace, atténuation, objection, etc.) : employé aussi à la
première personne du singulier ou du pluriel, le futur sert à exprimer la promesse, mais aussi à
atténuer une demande, à formuler une menace, etc. :
– Je repasserai vous voir, soyez-en sûr. – Je vous inviterai à dîner chez moi un de ces
jours. Vous m’apporterez mon argent demain ? Ici, c’est le tour interrogatif qui change
l’ordre en demande. – Vous vous emparerez de son bien, de son cœur, et cette femme ne
criera pas. (Marivaux, apud Wagner et Pinchon , 1962 : 357) – Ah ! je lui apprendrai à
vouloir me souffler mon emploi de confident pour vous aimer en fraude (Ibid.) : le sens
de « menace » est dû aussi au tour exclamatif ! – Cette auto-route ne traversera jamais
notre pays : objection avec opposition ferme à la réalisation d’une action.
● Futur d’anticipation
Le futur permet d’anticiper sur un fait qui pourrait se produire ou bien s’est produit à
d’autres moments et qui « selon toute vraisemblance a toutes les chances de se reproduire
encore » (Wagner et Pinchon , 1962 : 356) dans un avenir indéterminé. C’est le futur des
prédictions, des prophéties :
Comme toutes choses humaines ont une fin, l’État dont nous parlons perdra sa liberté
(Montesquieu) – Les poissons seront fiers de nager sur la terre et les oiseaux auront le
sourire. (P. Delanoé)
● Futur gnomique
Dans un cotexte marquée par la négation (ne … jamais) ou par un pronom à valeur indéfini
(générique), le futur peut servir à exprimer des « vérités générales », souvent dans des proverbes et
autres adages :
A l’égard des voleurs on ne sera jamais assez prudent. – Qui vivra verra. – […] les
bijoux sont bons pour les laides. Une jolie femme sera plus jolie nue que vêtue de
pourpre. (Ernout, apud Touratier, 1996 :179)
● Futur de conjecture
Bien qu’il s’agisse de faits actuels, même accomplis,le locuteur se sert du futur pour les
envisager dans l’avenir, ce qui en fait comme une supposition ou une hypothèse qui pourraient les
expliquer :
105
Je ne trouve pas mes lunettes. Elles seront encore égarées. (Wagner et Pinchon, 1962 :
357) – Pour qui a-t-on sonné la cloche des morts ? Ah ! mon Dieu, ce sera pour Mme
Rousseau. (Proust)
✔ Antérieur de futur : le locuteur se situe ou situe l’autre fictivement dans l’avenir d’où « il
évoque l’état ultérieur qui succède à un fait de son passé (ou du passé d’autrui, n.n., V. D. » (cf.
le « futur antérieur de rétrospection » dans Wagner et Pinchon, 1962 : 359) :
Cette année, j’aurai bien travaillé et amusé ! – J’aurai même pas tiré un coup de fusil,
dit-il avec amertume. (Sartre)
En corrélation avec un futur simple il marque assez souvent un rapport d’antériorité :
Quand j’aurai terminé avec lui, je serai à vos ordres. (Mérimée) – Tu ne seras content
que quand tu auras cassé cette chaise. (Cocteau)
106
Et n’oublie pas que tu es mon secrétaire. Tant que tu ne m’auras pas buté ou que je ne
t’aurai pas congédié, tu travailleras pour moi. (Sartre) : ici, c’est l’aspect accompli qui
l’emporte sur l’antériorité. Le sens des futurs antérieurs est : « aussi longtemps que je
vivrai et que tu seras à mon service » (Wilmet), mais le procès est projeté par le locuteur
sous l’angle de l’accompli. – Nous aurons vite fait de la ramener aux idées saines.
(Mauriac)
107
Les deux formes temporelles comportent un élément commun, à savoir l’aspect inaccompli ou
sécant, qui explique la plasticité sémantique de ces deux temps se prêtant à une large palette
d’emplois. En outre, nous pensons que le signifié de « non actuel » de l’imparfait subit des
particularisations sémantiques suivant qu’on l’appréhende sur la ligne du temps, en un point en
dehors du moment de la parole, et alors il se métamorphose en temps du passé, ou, en un point
quelconque, plus ou moins proche du point de l’énonciation, pour ce qu’il est en lui-même, à
savoir : du procès en cours, dont on ne fixe en aucune manière le début ni la fin. Quoi qu’il en soit,
l’imparfait est une de ces formes verbales d’une extrême richesse expressive qui alterne des emplois
à dominante temporelle et d’autres à dominante non temporelle (aspectuelle ou modale).
V.2.3.2.1.1. Valeur temporelle (simultanéité)
Si le passé simple, temps narratif par excellence, de par son aspect global, s’est spécialisé (cf.
supra) dans l’expression des procès « de premier plan », qui font la trame événementielle du récit,
l’imparfait, lui, par son aspect sécant, s’est surtout confiné dans le rôle de marquer des procès
secondaires, qu’il place en arrière-plan. Aussi, dans l’énonciation de récit, s’accommode-t-il très
bien des commentaires, des descriptions et des explications. Il peut également exprimer, à partir
d’un même point de référence, des événements simultanés et des nuances temporelles tranchées,
d’un relief bien fort. De la multitude des valeurs, des sens ou effets de sens que ce temps peut
exprimer nous ne retiendrons que les emplois les plus prégnants (voir aussi, maints détails et
commentaires, dans Dospinescu, 2000 : 293-321).
V.2.3.2.1.2. L’imparfait dans l’ énonciation de récit
L’imparfait peut situer l’interlocuteur / le lecteur, par rapport au temps des événements
évoqués, dans l’époque passée. Cet emploi s’est lexicalisé dans la formule Il était une fois…[= Ce
que je vous dis (raconte) / vous lisez là se passe à une époque révolue…], sorte de “morphème
déictique” qui introduit au récit, aux contes de toutes sortes. On peut alors l’appeler imparfait
d’inauguration de récit. Voici le début de la nouvelle Sur l’eau de Guy de Maupassant :
J’avais loué, l’été dernier, une petite maison de campagne au bord de la Seine, à
plusieurs lieues de Paris, et j’allais y coucher tous les soirs. Je fis au bout de quelques
jours, la connaissance d’un de mes voisins, un homme de trente à quarante ans, qui était
bien le type le plus curieux que j’eusse jamais vu… : le plus-que-parfait, toujours du
passé, d’aspect extensif, accompli, en relation avec l’imparfait et comme l’imparfait,
indique, en début de récit, le temps passé de l’histoire, dont la trame événementielle
commence avec le premier passé simple.
108
Voici maintenant le début d’une nouvelle écrite il n’y a pas longtemps : Mission spéciale,
d’Annie Saumont (Après, Pocket, Julliard, 1996, p. 39) :
Hé, les filles.
Avec mes sœurs et mes cousines et tante de l’âge de mes cousines ça commençait toujours
ainsi. Ça voulait dire, c’était en abrégé, Hé les filles venez, on va faire des bêtises.
Elles trouvaient que j’avais des idées géniales. Je me contentais de proposer des jeux, je
leur ouvrais des chemins, je savais le nom des étoiles et j’inventais des ailleurs
magnifiques…
Les cousines battaient des paupières, malicieuses ; tante Julie posait sur moi un regard
plus grave. […]. Tante Julie que j’ai vue naître. Façon de parler. J’avais cinq ans
lorsqu’elle est arrivée en ce monde ; depuis des mois toute la famille se préparait pour
l’accueillir…
La nouvelle commence par une apostrophe, on s’attendrait à un récit au présent (cf. supra le
« présent de narration »), mais il n’en est rien : l’imparfait est là pour camper le décor, et l’intrigue
n’est entamée qu’une fois que le premier passé composé (qui concurrence, en français de nos jours,
le passé simple même dans le registre du récit : voir supra Passé composé, Passé simple) fait son
apparition pour ouvrir la succession chronologique des événements qui tissent le récit.
Voici, enfin, un exemple où le contraste est très net et frappant, entre les deux fonctions : 1°
“brancher” le lecteur sur le passé et « camper le décor » de l’histoire pour l’imparfait et 2° pour le
passé simple (et le passé composé), introduire, en rupture avec l’imparfait, un événement
important :
Maître Corbeau sur un arbre perché » / Tenait en son bec un fromage / Maître Renard,
par l’odeur alléché / Lui tint ce langage. (La Fontaine)
Souvent l’imparfait sert à manifester des procès et des états qui, sans appartenir à la trame
événementielle, posent le cadre ou le décor du récit, situent et précisent un ou plusieurs événements
de premier plan de l’histoire. Cet imparfait « descriptif » peut ainsi apparaître après l’ouverture du
récit avec un imparfait (voir supra les exemples de Maupassant et d’Annie Saumont), mais aussi, et
très souvent, il s’intercale dans la trame des faits de premier plan exprimés par le passe simple.
L’imparfait trace les cordonnées et énumère les données d’un univers stable, plus ou moins
statique :
109
Un soir, comme je revenais tout seul et assez fatigué, traînant péniblement mon gros bateau,
un océan de douze pieds, dont je me servais toujours la nuit, je m’arrêtai quelques secondes
pour reprendre haleine […]. Il faisait un temps magnifique ; la lune resplendissait, le fleuve
brillait, l’air était calme et doux. Cette tranquillité me tenta ; je me dis qu’il ferait bon fumer
une pipe en cet endroit. L’action suivit la pensée ; je saisis l’ancre et la jetai dans la rivière.
Le canot, qui redescendait avec le courant, fila sa chaîne jusqu’au bout, puis s’arrêta ; et je
m’assis à l’arrière sur ma peau de mouton, aussi commodément qu’il me fut possible. On
n’entendait rien, rien : parfois seulement, je croyais saisir un petit clapotement presque
insensible de l’eau contre la rive, et j’apercevais des groupes de roseaux plus élevés qui
prenaient des figures surprenantes et semblaient par moments s’agiter.
Le fleuve était parfaitement tranquille, mais je me sentis ému par le silence extraordinaire qui
m’entourait. Toutes les bêtes, grenouilles et crapauds, ces chanteurs nocturnes des marécages,
se taisaient. Soudain, à ma droite, une grenouille coassa. Je tressaillis : elle se tut ; je
n’entendis plus rien, et je résolus de fumer un peu pour me distraire.
Nous avons là une édifiante alternance d’imparfaits duratifs, d’habitude, etc., posant des actions ou
des états simultanés, qui s’étirent les uns par rapport aux autres, créant un arrière-plan narratif aux
contours plastiques dont l’équilibre n’est rompu que par les événements au passé simple qui font
irruption dans ce décor qui ne manque pas de pittoresque : on peut donc appeler « pittoresque » cet
imparfait de description.
Cet imparfait explicatif est apte à introduire des actions et des états qui débordent la trame
événementielle au passé simple (ou passé composé) et fonctionnent comme des commentaires et
des explications qui fondent la logique et la cohérence internes du récit :
Au bout de quelques minutes, je crus entendre un murmure vague qui devint bientôt une
espèce de bourdonnement […].
Puis ce fut une sorte de torpeur de l’âme, de bien-être somnolent, malgré les douleurs qui
persistaient, mais qui cessaient cependant d’être pénibles. C’était une de ces souffrances
qu’on consent à supporter, et non plus ces déchirements affreux contre lesquels notre corps
proteste. (Maupassant)
J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute la plage
vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a
pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage,
110
il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des
gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. (Camus)
Chaque imparfait, dans les deux textes donnés comme exemple, apparaît soit comme une
explication (presque définitionnelle chez Maupassant), soit comme un commentaire, soit enfin
comme un commentaire-explication-justification chez Camus.
● Imparfait « d’événement »
A son tour l’imparfait peut, avec des verbes perfectifs surtout et avec un localisateur temporel
en tête de la phrase, se mettre à la place d’un passé simple pour exprimer, avec un fort relief, un
événement unique. Le narrateur fait exprès de projeter l’événement sur l’avant-scène de sa
chronique pour capter de la sorte, en la frappant, l’attention de son destinataire :
Triple anniversaire : il y a cent ans naissait le général ; il y a cinquante ans, il lançait
son cri de désespoir ; il y a vingt ans il mourait à Colombey (dans Le Soir, apud Wilmet,
1998 : 393) : imparfait narratif « d’événement » ou « historique ».
Un tel imparfait évoque, tout en les datant, des faits historiques. Son relief vient de ce que les trois
verbes perfectifs expriment ici des procès qui durent, qui pèsent lourd sur tous les autres
événements, quels qu’ils soient, qui deviennent alors secondaires, au rôle de simples illustrations,
explications ou commentaires au passé simple des événements à l’imparfait. Cet emploi ne manque
pas de pittoresque non plus.
Avec des verbes imperfectifs, l’imparfait exprime « une habitude, une progression, une
succession, une répétition », écrivent Wagner et Pinchon (1962 : 362) :
J’habitais, comme aujourd’hui, la maison de la mère Lafon, et un de me camarades,
Louis Bernet, […], était installé au village de C…, deux lieues plus bas. Nous dînions
tous les jours ensemble, tantôt chez lui, tantôt chez moi (Maupassant). Plus le sentiment
où j’avais espéré trouver le repos se trouvait alors menacé, et plus je le réclamais de ma
partenaire (Camus).
Si, par contre, on dépeint un procès, un peu comme on ferait d’un tableau, à touches grasses,
appuyées, on se sert de ce qu’on appelle l’imparfait « pittoresque » :
Quand je rouvris les yeux, la lune était couchée, le ciel plein de nuages. L’eau clapotait
lugubrement, le vent soufflait, il faisait froid, l’obscurité était profonde […]. Le jour
venait, sombre, gris, pluvieux, glacial… (Maupassant)
111
Dans cet emploi narratif, censé marquer d’habitude des concomitances temporelles, l’imparfait,
accompagné d’un déterminant de temps précis, marquerait une rupture dans la succession des
procès, laquelle consiste à détacher le procès d’une série d’événements exprimés au passé simple et
le faire voir comme le point final d’une « perspective » ouverte précisément par les verbes au passé
simple :
Lorsque le notaire arriva avec M. Geoffrin […] elle les reçut elle même et les invita à
visiter en détail. Un mois plus tard, elle signait le contrat de vente et achetait en même
temps une petite maison bourgeoise (Maupassant) : les deux verbes à l’imparfait
expriment un événement postérieur au repère temporel ; l’imparfait fonctionne ici comme
un présent à valeur de futur proche.
Cet imparfait dit « de rupture » ressemble au point de vue construction (présence obligatoire
d’un indicateur temporel), sémantique et stylistique, à l’imparfait d’« événement » : il est, de toute
évidence, aussi expressif, aussi pittoresque.
● Imparfait de concordance
C’est un des emplois les plus connus à travers lequel l’imparfait marque, dans le récit comme
dans le discours, l’accord temporel entre le procès d’une complétive et le procès passé de la
principale (voir aussi Dospinescu, 2000 : 307) :
Il leur dit que les cignes c’étaient des grandes oies, qu’elles semblaient des chameaux et
que leur lac c’était deux rivages avec un peu de croroforme (sic) entre. (Albert Cohen)
Les cas de « désaccord » temporel qui amènent le présent sont connus aussi : le locuteur
rapporte au passé de la principale des faits qui débordent ce laps de temps (les faits d’expérience,
les vérités générales, etc.), ou par contre qui intègrent – parfois à l’aide d’un indicateur temporel
explicite – ce laps de temps dans le présent “non encore expiré” (non achevé) du fait subordonné :
Paul fut d’acord que l’argent ne fait pas le bonheur. – Le prof nous apprit que la terre
tourne autour du soleil. Vous avez dit que je suis là ? – J’ai su / je savais que vous êtes
là jusqu’à samedi / toute la semaine / pour encore un jour… – Paul, quand il était à
Paris, avait appris, je ne sais pas comment, que je suis ici toute la / cette semaine : le
locuteur et son interlocuteur baignent dans la même actualité énonciative représentée ici
par le localisateur temporel toute la / cette semaine (qui n’est pas encore finie pour eux),
laps de temps suffisamment dilaté pour pouvoir “engloutir” le procès passé de la
principale.
112
L’imparfait commun aux deux plans, de l’histoire et du discours, fonctionne donc comme une
sorte de temps-charnière entre ces deux plans : c’est que, comme nous l’avons déjà souligné (cf.
supra), il participe à la fois du présent de la parole et du passé de l’histoire : – Tiens ! tu rentres
déjà ! Eh bien, moi, je partais [entend-on dire à quelqu’un dont le retour coïncide ici avec le départ
du locuteur : l’imparfait est en même temps déjà “du passé”, puisque le procès partir est entamé au
moment de la parole, mais aussi du présent, de l’actuel, parce que, même ralenti ou interrompu par
la parole, il est censé se poursuivre, et même “avoir un avenir” ] / (Ce jour-là) Pierre partait
lorsque Jean rentra [ici l’imparfait, en relation avec le passé simple, transpose l’énonciation de
discours en énonciation de récit, indiquant la concomitance de deux faits révolus].
Cependant le fait le plus notable quant à l’emploi de l’imparfait dans une énonciation de
discours est qu’il « indique en même temps que la proposition est présentée comme ayant été vraie
à un moment du passé, et que sa vérité est niée pour le moment où se situe l’énonciation. Dans
l’énoncé : Pierre, qui était mon voisin au Canada, vient dîner ce soir, l’emploi de l’imparfait
« était » marque que Pierre a été le voisin du locuteur à une époque antérieure, mais qu’il ne l’est
plus. En revanche, dans le récit, l’imparfait marque, purement et simplement, que la proposition est
présentée comme vraie au moment du procès rapporté au passé simple » (Rémi-Giraud et Le Guern,
1986 : 27). On peut appeler cet emploi “imparfait de négation” ou “imparfait de l’inactuel” toutes
les fois que le procès à l’imparfait est repéré par rapport à l’axe “ici et maintenant” de
l’énonciation : l’imparfait, tout en posant un procès comme passé, en annule l’actualité, sauf si
l’énonciateur affirme de façon explicite que le procès continue d’être actuel au moment de la
parole :
Pierre fumait beaucoup à l’époque… et aujourd’hui encore il n’a toujours pas arrêté.
Repéré par rapport à la chronologie du récit, le procès à l’imparfait est disjoint par rapport au
moment de la parole et il exprime un fait passé parmi d’autres :
Ses parents apprirent que Pierre fumait beaucoup à l’époque.
Si le verbe à l’imparfait est modifié par un circonstant (quantitatif, temporel, etc.), la négation porte
sur ce dernier plutôt que sur le procès : Pierre fumait beaucoup / deux paquets par jour / depuis de
longues années / toutes les dix minutes… peut signifier qu’il fume encore, le procès ne cesse pas
d’être actuel, il peut continuer d’être vrai au moment de la parole. Dans tous les autres cas
cependant, dans l’énonciation de discours, l’imparfait dénote un procès qui, d’une façon ou d’une
autre, est censé ne plus être actuel ni vrai au moment de la parole : c’est dans ce sens que nous
parlons d’ « imparfait de négation » (de l’actualité ou de la vérité dans l’actualité d’un procès).
113
L’imparfait comporte des valeurs aspectuelles telles la durée, l’habitude ou l’itération :
Elle attendait sur le trottoir devant la grille du jardin. Elle a fouillé sa poche elle a pris
son mouchoir. (Annie Saumont) – Je n’arrivais pas à trouver la page. Je tremblais
comme une cure de désintoxication. (Pennac) : valeur qui lui vient ici autant du
sémantisme du verbe que, dans le premier exemple, du contraste avec le passé composé-
temps du récit (à la place du passé simple).
La durée peut parfois tout aussi bien s’exprimer par le passé simple (quand le co-texte s’y prête
: ici les gérondifs et l’adverbe de temps) :
Ainsi parlant et discutant, ils se promenèrent longtemps, Jérémie humble comme un
chef de clinique devant son patron et Scipion arrogant comme un chef de clinique avec
ses internes. Jérémie tenait Scipion par la main […] (Albert Cohen)
C’est tout de même “la vocation” de l’imparfait, de par l’effacement des limites du procès, que
d’exprimer la durée, et corollairement, l’habitude ou la répétition, avec des verbes perfectifs ou
imperfectifs :
Il marchait un moment sous les arbres touffus, des sumacs, des catalpas, des chênes.
Traversait l’aire du gazon. Il regardait la mer qui reflétait un mince ruban de soleil. Au
bas de l’esplanade, de hautes herbes acérées jaillissaient d’un creux humide en bouquets
raides. Des bulles éclataient parmi les lichens. (Annie Saumont) : aucun passé simple ne
précède ni ne suit, pour faire contraste, ces imparfaits qui n’en marquent pas moins
nettement la durée et / ou la répétition.
L’idée de répétition s’impose toujours avec l’imparfait quand le co-texte est marqué par des
indicateurs temporels impliquant un sens itératif, tels chaque fois (que), toutes les fois que, chaque
jour, le lundi, les jours de fête, plusieurs / deux… / maintes fois, etc. Par contre, si la répétition est
quantitativement précisée, le passé simple (ou le passé composé) prend la place de l’imparfait :
A chaque fois que l’orateur lançait le bras en avant, elle s’élançait elle aussi. (Barrés)
Mais : Quatre fois de suite, le père Roland fit stopper. (Maupassant) – Alors j’ai tiré
encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût.
(Camus)
V.2.3.2.1.5. Valeurs non temporelles (emplois métaphoriques)
Les emplois non temporels, modaux ou métaphoriques, de l’imparfait lui viendraient de son
signifié « non actuel » et de son aspect sécant, d’une part, et, d’autre part, de ce qu’il comporte deux
parties (réelle et virtuelle), dont la partie virtuelle, lorsqu’elle est privilégiée, laisse ouverte la porte
à la poursuite, à l’interruption ou à l’inflexion du procès. Les valeurs dites modales sont, pensons-
114
nous, engendrées par l’intersection du signifié « non actuel » avec l’aspect sécant. Le refus du
maintenant-réel par la projection du procès dans le passé et la fracture du procès en deux parties,
l’une réelle et l’autre virtuelle, permettent tous les jeux imaginaires, toutes les fictions possibles.
V.2.3.2.1.6. L’imparfait de « non réel »
Le signifié de « non réel » de l’imparfait indique que le procès ne relève pas du monde réel. Si
le monde réel présent lui est refusé, l’imparfait renvoie, suivant le cotexte et le contexte, à un procès
envisagé comme possible dans le présent ou dans l’avenir, et c’est ce que les grammaires
traditionnelles appellent le « potentiel », ou bien à un procès contrecarré par la réalité présente, et
c’est alors l’iréel du présent des mêmes grammaires.
▪ irréel du présent : le contexte peut indiquer que le procès à l’imparfait n’a plus d’avenir
possible parce que s’y oppose une réalité présente telle qu’elle empêche ce procès de jamais se
réaliser. C’est l’irréel du présent :
– Ah, s’il n’avait pas rendez-vous ce soir avec les amis de Céphalonie, il prendrait tout
de suite le train pour aller « s’espliquer d’homme à homme avec Hilaire [Hitler]. (Albert
Cohen) – Si j’étais vieux je ne bougerais pas, je regarderais passer les gens. (Annie
Saumont)
Avec cette même valeur l’imparfait peut se mettre dans la principale à la place du conditionnel :
Si j’avais eu deux points de plus, j’entrais [= serais entré] à l’école de Lyon et j’étais
[= serais] médecin militaire à l’heure actuelle : exemple de Damourette et Pichon que
nous traduisons par « mais je n’ai pas eu les deux points, donc je ne suis pas entré à
l’école de Lyon et ne suis pas médecin militaire à l’heure actuelle » ; on ne saurait avoir
un “irréel du présent” plus net !
▪ irréel du passé : si le procès est situé de façon explicite dans le passé, l’imparfait se dépouille
115
N’empêche que si tu n’avais pas vu que je te regardais, tu filais [= aurais filé] avec le
livre dans la poche. (Gide) – Si le vent avait soufflé du nord, mes pins de Balissac étaient
perdus. [= auraient été perdus] (François Mauriac)
▪ imparfait d’« imminence » (Wagner et Pinchon, 1962) ou encore d’« imminence contrecarrée »
(Robert Martin, 1971). Il note une éventualité immédiate que l’on s’imagine mais qui ne se
réalise pas, dans des énoncés comportant un indicateur temporel renvoyant à un moment à venir
par rapport à un repère passé, ou bien un circonstant évoquant un fait s’opposant à la réalisation
du procès principal :
[…] (il était temps car) un instant après le train déraillait (= aurait déraillé) : exemple
de Guillaume, repris, avec différentes modifications, par maint grammairien. – J’ai de la
chance, dit-il joyeusement. Une heure plus tard, vous me manquiez [= m’auriez
manqué]. (Sartre) – Son patron menaçait de le renvoyer. Un peu plus et je lui tapais sur
la gueule à cet enfoiré. (Annie Saumont) : de même que le conditionnel passé, l’imparfait
marque dans ces exemples un irréel du passé.
Sur la base de ce signifié « non actuel » ou « irréel », dans des énoncés exclamatifs ou
interrogatifs introduits par si, l’imparfait peut exprimer diverses autres valeurs modales :
▪ une suggestion pouvant être mise en œuvre dans un avenir plus ou moins proche :
▪ une demande polie, atténuée : bien que l’imparfait manifeste ici un fait situé dans le présent de
la parole, l’énonciateur se place dans le passé, jouant aussi sur l’effet “non actuel” de sa
demande. On trouve avec cet emploi des verbes de volonté (désirer, souhaiter, vouloir) ou des
verbes de mouvement (venir) :
116
– Je voulais vous prier de m’accorder deux minutes. – Je venais vous demander un
service.
C’est le cas aussi de l’imparfait qu’on peut très bien appeler « atténuatif », de « discrétion » ou
de « politesse » qu’on retrouve dans la langue des « marchandes du marché » :
– Qu’est-ce qu’elle voulait, la dame ? […] – Elle désirait du beurre, la petite dame ?
[…] – Bonjour, madame. Qu’est-ce qu’il vous fallait, une plante verte ? » (cf. Wilmet,
1998)
▪ une comparaison imaginaire : combinant dans son signifié « passé » et « non réel », introduit
par la conjonction comme si, l’imparfait, en relation avec un énoncé au passé ou au présent,
exprime toujours la comparaison imaginaire (cf. Holger Sten, 1952 : 139) :
Deux secondes il resta immobile comme s’il se recueillait. (Martin du Gard) – Veuillez
m’excuser, Monsieur Malaussène, je viens de parler de vous comme si vous n’étiez pas
là, c’est un vieux travers d’homme politique. (Daniel Pennac) – Pour le moment j’agis
comme si je prenais au sérieux certain problème. (Camus) ;
▪ une remarque ou une déclaration « à intonation selon les besoins apitoyée, caressante,
consolante ou grondante » (Wilmet, 1998 : 400) : c’est bien ce que les grammaires appellent
l’imparfait hypocoristique. On l’utilise lorsqu’on parle à des enfants (et même à des animaux) à
la troisième personne (voir aussi Dospinescu, 2000 : 317-318) :
– Oh la jolie petite. Elle n’était pas sage. Elle pleurait, elle avait faim ! – Gilberte
disparut dans la cour. Il l’entendit crier : – Ma Diane… Ma Bellone…Oh le joli petit.
Oh qu’il était joli ce petit !… Oh, le beau petit chienchien ! (B.Clavel)
V.2.3.2.1.7. Originalité du morphème d’Imparfait
Ce qui frappe dans le cas du morphème multiple d’imparfait, c’est la riche diversité des
emplois, tant temporels que non temporels, qu’il peut assumer à travers un réseau d’oppositions
variées. Ces oppositions sont construites tantôt à partir de ses valeurs temporelles fondées sur le
signifié « passé », qui lui fait usurper sur les fonctions du passé simple, tantôt sur son aspect sécant
à deux volets, l’un réel et l’autre virtuel, que l’on exploite, entre autres, dans les descriptions (cf.
supra) ou, enfin, très souvent, sur le signifié « non actuel » ou « non réel » qui lui fait concurrencer
le mode conditionnel dans l’expression de certaines valeurs modales (cf. supra). C’est aussi la
différence aspectuelle, sécant pour l’imparfait, global pour le passé simple, qui oppose ces deux
temps, opposition que le récit ou le discours exploite in absentia sur les plans sémantique
(rattachement à l’actualité et valeurs de répétition), expressif (durabilité, stabilité, permanence,
relief, etc.) et logique (cohérence interne du récit, succesion organisée des événements les uns par
117
rapport aux autres). Voici un texte qui illustre l’incidence de l’imparfait sur les trois plans, surtout
sur les plans expressif et logique :
Dans le train que, le matin de ce même jour, ils avaient pris à Marseille, les Valeureux
étaient inquiets. En effet, depuis la veille, Salomon n’avait cessé d’éternuer et de se moucher
[…].
Pour ne plus penser à la grippe qui le guettait, Mangeclous s’approcha de la portière.
Contre la courbe du coteau quatre rubans d’acier brillotants furent précipités. Hurlant de
peur, le train plongea dans un tunnel mugissant. Cris de fers, effarouchements de métaux en
douleur. Sorti du tunnel, le train redevint serein. Dos courbés, les arbres allaient à reculons
sous le gros œil idiot de la lune. Une mare solitaire brilla puis s’eclipsa. Dans le cadre de la
portière, débandade folle de plaines, de blés, d’arbres engouffrés, de poteaux télégraphiques
abattus. Une locomotive passa avec des souffles désireux et chauds. Mangeclous salua le
mécanicien pour s’imaginer ministre. Odeurs d’herbes nocturnes qu’un cheval interrogeait
avec tristesse. Là-haut, les étoiles ne voyageaient pas. Le train hésita, ralentit et le rail
protesta avec des glapissements de petit chien fouetté. Soudain Mangeclous se rappela que
Salomon était une montagne de microbes (Albert Cohen, 1965, Mangeclous, Folio, Gallimard,
p.232-233).
118
Mais peut-être qu’il avait perdu son papa, ce conducteur. (Albert Cohen) – C’est vous
qui me l’aviez dit, monsieur, sur le ton de celui qui peut pas se tromper, Léna vous
avait téléphoné, elle m’avait pris un rendez-vous…(Annie Saumont)
Quand le morphème d’« accompli » s’applique à la chronologie, le plus-que-parfait marque
l’antériorité d’un procès qui est bien achevé par rapport au moment passé marqué par l’imparfait ou
par d’autres temps manifestant un procès passé (passé simple, passé composé, passé antérieur, passé
récent). Tel est le cas, le plus souvent, dans un système principale-subordonnées (complétives,
causales, temporelles, relatives), mais aussi, moins souvent, dans un système de propositions reliées
par juxtaposition ou par coordination, etc. :
Il me fallut attendre la nuit profonde. Alors seulement je compris pourquoi j’avais rendu
mon tablier de bouc à la reine Zabo. (Daniel Pennac) –J’ai répondu que je voulais bien,
mais que j’avais promis ma journée à une amie. (Camus) – Et Jérémie ne cessait pas de
raconter les « injustices des messiés les allémands » qui l’avaient mis en prison parce
qu’il était « jif » et qui lui avaient cassé les dents auxquelles il tenait le plus. (Albert
Cohen) – La voiture de son paternel était sortie du garage, toute la famille partait pour
l’enterrement. (Annie Saumont) – Salomon s’était rapproché et les autres n’avaient
même pas songé à le chasser tant ils étaient maintenant persuadés de leur mort
prochaine. (Albert Cohen)
V.2.3.2.2.2. Le plus-que-parfait dans l’énonciation de récit
Le plus-que-parfait, comme l’imparfait, ne saurait concurrencer le passé simple pour traduire
les procès qui forment la trame événementielle. Cependant « on a parfois l’impression que toute la
trame événementielle d’un récit est présentée au plus-que-parfait » (Touratier, 1996 : 154) comme
dans ce texte d’Annie Saumont :
D’abord on s’est promené sur la plage sagement, en grimaçant – on se tord la bouche
toutes les dix secondes et puis on cligne des yeux c’est à cause des nerfs. On s’était mis
en maillot. On avait ôté les sandales, des fois qu’on aurait eu envie de marcher dans les
flaques. Y avait des garçons – pas tellement, et pas tellement de filles non plus. Ils
jouaient à courir et à crier. Mais la plage était si grande qu’on pouvait rester tout seul,
où l’écrivain passe – c’est une de ses spécialités – du passé composé de récit « s’est
promené » (qui, depuis Camus, peut remplacer le passé simple littéraire) aux plus-que-
parfaits « s’était mis » et « avait ôté » qui, tout en indiquant une antériorité par rapport au
procès au passé composé, donnent vraiment l’impression qu’ils tissent, comme le feraient
des passés simples, la trame du récit, tandis que les imparfaits posent le décor ou le
décrivent.
119
V.2.3.2.2.3. Valeurs non temporelles (irréel du présent, du passé, reproche, regret, etc.)
Les valeurs non temporelles viennent de la combinaison du morphème « accompli » avec le
signifié « non réel » du morphème d’Imparfait qui subsiste dans l’auxiliaire, combinaison qui,
suivant les contextes, actualise tantôt la valeur temporelle de passé ou d’antériorité, tantôt l’aspect
« acompli » du procès. Cela fait que l’on retrouve avec le plus-que-parfait les emplois modaux de
l’imparfait :
▪ l’irréel du présent, avec une valeur temporelle d’antériorité, dans le système hypothétique du si
▪ l’irrel du passé dans le même système hypothétique, avec un conditionnel passé dans la
principale :
Ils ne s’y seraient pas pris différemment s’ils avaient voulu vous rendre service. (Daniel
Pennac)
Avec la même valeur, le plus-que-parfait s’emploie avec un imparfait « non réel »:
Si je ne vous avais pas prévenu, la poule mangeait tout. (Zola)
▪ le reproche ou bien le regret dans des énoncés à si exclamatif, l’atténuation polie d’une
demande, etc. sont des effets engendrés, comme pour l’imparfait, par le rejet fictif d’un procès
actuel dans le passé :
Si vous me l’aviez dit! – Si Pierre était venu nous aider ! – Voilà. Je suis venu… j’étais
venu… pour vous voir et puis, je m’étais dit : « Peut-être, ça lui fera plaisir de
reprendre un peu son métier. » (…) Alors j’étais venu pour vous dire : « Faites-moi une
charrue ». (Giono)
On voit nettement, dans ce dernier exemple, le “travail” énonciatif accompli par le locuteur,
comment il s’y prend pour atténuer sa demande en passant du passé composé suis venu, en contact
avec le moment de l’énonciation, au plus-que-parfait étais venu qui en éloigne le procès tout en le
renvoyant dans un passé qui adoucit ce que la demande du locuteur pourrait avoir de pressant, de
dérangeant ou d’inconfortable pour son interlocuteur.
120
V.2.3.2.2.4. Des vestiges de la concurrence plus-que-parfait (passé 2 composé) / passé antérieur
(passé 1 composé)
De très petit rendement et confinée à la seule langue littéraire écrite, cette concurrence se
résume aux emplois « de passés extensifs » (Wilmet), car entre le passé antérieur et le plus-que-
parfait il y aurait le même type de différence qu’entre le passé simple et l’imparfait puisque ces
formes composées ne font qu’ajouter le morphème d’ « accompli » : d’où les effets de sens
‘antériorité’, ‘accompli’, ‘rapidité’. Difficile – sinon tout à fait impossible ! – de trouver des
exemples dans le français litttéraire écrit de nos jours :
A peine avions-nous poussé [= eûmes-nous poussé] un cri de surprise, qu’il en arriva
une seconde (D’après L. Guilloux, cité par H.Sten, 1952 : 219) : « le cri résonnait encore
quand une seconde surprise se produisit » (le commentaire est de Wilmet, 1998 : 408). –
Eugénie pouvait être comparée à la Vierge avant la conception ; quand il fut parti [=
était parti], elle ressemblait à la Vierge mère : elle avait conçu l’amour. (Flaubert, apud
Touratier)
La périphrase aller (Imparfait) + V (Infinitif), l’emportant peu à peu sur devoir / vouloir / s’en
aller, s’emploie, en transposition du futur proche (voir V.2.3.1.5.3.) du style direct, pour exprimer,
dans une vision prospective, l’échéance prochaine, ou bien l’imminence contrecarrée, enfin les
« prophéties peu aventurées des historiens (où devoir s’est maintenu en raison de son sémantisme
de « nécessité » : Une semaine plus tard, Charles de Gaulle allait / devait entrer dans l’histoire) »
(Wilmet) :
Ernestine, elle allait sortir, elle s’arrête : imminence contrecarrée, « notamment dans les
indications de mise en scène » (cf. Wilmet, 1998 : 419). – Enfin, il se décida et dit que
maintenant il allait rentrer à l’hôtel. (Albert Cohen) – Il a dit à mam’ qu’il allait se
démerder, ramener du flouze et comme ça elle pourrait se barrer de la saloperie d’usine
de produits ménagers. (Annie Saumont) : deux futurs du passé s’opposent ici, un futur 2
périphrastique, qui manifeste un procès futur à échéance prochaine, suivi de près d’un
futur 2 simple indiquant un procès à échéance chronologiquement indéterminée.
Hors d’un repère passé, la combinaison des deux morphèmes (« conjecturé » ou « projeté » +
« non actuel ») infléchit le temps conditionnel présent (futur 2 simple) qui se métamorphose en
mode conditionnel (ou « conditionnel modal »). Les formes en -rais expriment alors « une pléiade
de modalités » (Wilmet).
La combinatoire de l’aspect et du temps, d’une part, et des morphèmes de « projeté » et de
« non actuel », d’autre part, avec les données du cotexte et du contexte, expliquent les nombreux
emplois non temporels du conditionnel. Par rapport au futur de l’indicatif (futur 1 simple) qui
formule une hypothèse “réaliste” : a) Si Jean vient, je m’en irai, le conditionnel présent (futur 2
simple), lui, pose une hypothèse peu “réaliste”, ou, si l’on veut, « une hypothèse imaginaire »
(Touratier) : b) Si Jean venait, je m’en irais. L’hypothèse non encore confirmée dans la réalité peut
prendre deux formes :
122
● le potentiel : l’énonciateur envisage le procès comme possible dans le présent ou dans le futur
même si la condition de sa réalisation n’est pas encore remplie. L’hypothèse envisagée par le
locuteur peut être formulée de façon explicite ou implicite :
Les mères disent que si jamais elles perdaient leur enfant ça les tuerait (Annie Saumont).
– Alors y pas de raison qu’on me garde ici. Je serais pas à l’aise d’être enfermé ici
(Ibid.). – Je mens tellement que je ne distingue plus le vrai du faux. Je raconte des
charres si émouvants que j’en pleurerais (Ibid.) – Je rêvasse. Sur l’enchantement. Qui
serait élémentaire. Qu’on retrouverait par chance. Sans même avoir cherché (Ibid.) : ici
le « potentiel » s’accompagne du refus de situer le procès en quelque secteur du temps
que ce soit ; c’est du potentiel hors-temps.
● l’irréel : l’énonciateur envisage le procès comme « un état du monde possible » (Riegel, Pellat,
Rioul, 1994 : 318), mais un autre fait de la réalité s’oppose à ce que le possible s’accomplisse.
Le conditionnel présent situe le procès après le point de l’énonciation, à l’époque présente, et
c’est l’irréel du présent. Si le procès est envisagé à l’époque passée, c’est l’irréel du passé, que
le locuteur exprime au moyen de la forme composée du conditionnel (conditionnel passé ou
futur 2 composé) :
Le voisin traîne dans les parages. Il fait du gringue à Briciola. Discrètement, mais si
j’étais l’écrivain, je me méfierais. L’écrivain s’en balance. Ou bien il pige que dalle.
(Annie Saumont) : irréel du présent. – Au bout de quelques mois, elle aurait pleuré si on
l’avait retirée de l’asile. (Camus) : irréel du passé.
Une dilution du « potentiel » de réalisation des projets – procès exprimés au conditionnel – se
produit avec les soi-disant « auxiliares de mode » : devoir, falloir, pouvoir, vouloir, savoir (je ne
saurais = je ne puis), dont le sémantisme modal est fortement atténué, voire même radicalement
modifié par la combinaison avec les morphèmes (« projeté » et « non actuel ») du conditionnel :
Elle dit, T’es le genre qui fabule. Tu devrais être écrivain toi aussi. (Annie Saumont) –
Elle parle plus de rivière ni de barque au fond pourri. Et non plus des deux enfants
qu’elle aurait dû surveiller. (Ibid.) – […] Puisque t’as l’air de vouloir t’accrocher à nos
basques faudrait te rendre utile. (Ibid.) – Et d’un seul mot, Mangeclous, je pourrais te
faire vicomte. (Albert Cohen)
Les signifiés d’« hypothèse » et de « potentiel » atténué, que le conditionnel présent ou passé
contient, en rapport avec une condition explicite ou implicite, ou sans condition, diminuent la force
123
illocutoire des énoncés. La valeur temporelle de « futur du passé » et l’aspect « global », plaçant les
procès dans le « non actuel », dans l’irréel donc, irréel du présent ou du passé, permettent
d’exprimer toutes sortes de nuances modales allant de la discrétion, le plus souvent, à la
protestation (dans les énoncés exclamatifs). Souvent un auxiliaire modal précède le verbe à
l’infinitif :
Je vais dire, Vous auriez pas l’emploi d’un mec pour des boulots pas trop spé ? (Annie
Saumont)
Je m’absente un moment tu voudrais pas jeter un coup d’œil sur mon bazar ? (Annie
Saumont) – Si ça te fatigue pas trop, tu pourrais manœvrer la pompe. (Ibid.)
On dirait qu’il ignore que dans la vie y a un tas de trucs qu’on doit taire. (Annie
Saumont)
28 Le français familer et populaire utilise le conditionnel après si (conditionnel) ainsi que dans des systèmes hypothétiques ou
concessifs par subordination ou simple parataxe : Si Pierre aurait accepté, on serait déjà partis en vacances. – Quand (même) Pierre
aurait accepté, on serait pas partis en vacances. – Pierre aurait acepté, on serait déjà partis…
124
▪ conditionnel « de protestation » ou « de véhémence » : l’énonciateur se met lui-même en scène
comme sujet d’un énoncé interrogatif (interrogation oratoire) ou exclamatif pour rejeter, avec
véhémence indignée, des accusations ou des propos « irréels » et, partant, injustes :
– Moi, je ferais pareille chose ? – J’aurais pu agir de la sorte ! – J’ouvrirais pour si
peu le bec ! Aux Dieux ne plaise ! (La Fontaine) – C’est la Mâchavoine, que voilà-là,
qui aurait voulu que tu trinques. (Chevallier, apud Touratier)
V.2.3.2.4. Le conditionnel passé (futur 2 composé : j’aurais parlé / fini / reçu // je serais allé /
parti / venu / )
Le conditionnel passé, « temporel », est, pour le temps, un futur du passé antérieur et, pour
l’aspect, du global extensif. En français contemporain le conditionnel passé (futur 2 composé)
ajoute, donc, aux morphèmes de « projeté » (cf. supra le conditionnel présent ou futur 2 simple) et
de « non actuel », le morphème d’ « accompli », qui, lui, engendre la valeur temporelle de « futur
du passé antérieur » :
C’était le mois prochain qu’ils devaient s’enfuir. Elle partirait d’Yonville […]. Rodolphe
aurait retenu ses places, et même écrit à Paris. (Flaubert)
Pour conclure sur le conditionnel passé « modal », nous dirons (cf. Wilmet, 1998 : 418) que
« l’aspect extensif [« accompli », « achevé »] confère potentiellement au futur 2 composé
[« conditionnel passé »] tous les emplois de la forme simple ». Comme le conditionnel passé
signifie le plus souvent l’irréel du passé (voir exemples ci-devant), il peut aussi très bien traduire
une « information hypothétique passée » (cf. supra le conditionnel de « circonspection » ou
« d’information incertaine »), « un mouvement d’indignation », etc.
A. Première variante
1. Parmi les phrases ci-dessous reconnaissez celle qui exprime la modalité soumise à une
condition:
a) Prenez le métro, vous arriverez à temps !
b) Il prend le métro et il arrive à temps.
c) Ayant pris le métro, il est arrivé à temps.
9. Dans la phrase Vous quitterez cette femme, sinon vous serez malheureux, le verbe a une
valeur de :
a) futur injonctif
b) futur de promesse
c) futur de suggestion
126
VI. Les voix du verbe et / ou diathèses
Grevisse, de même que Wagner et Pinchon (1962), ne parle que de voix, qui « sont les formes
que prend le verbe pour exprimer le rôle du sujet dans l’action » (1969 : 560), la voix active
« indiquant que le sujet fait l’action ; celle-ci est considérée à partir de l’agent du procès : Le maître
PARLE ; l’élève ÉCOUTE ; [et] la voix passive […] indiquant que le sujet subit l’action ; celle-ci
est considérée à partir de l’objet du procès : L’élève EST INSTRUIT par le maître » (Ibid.).
Grevisse rappelle l’existence d’une troisième voix, « la voix réfléchie, ou moyenne, ou
pronominale, indiquant que l’action faite par le sujet revient, se réfléchit sur ce sujet » (Ibid.), voix
qu’on peut voir comme un cas particulier de la voix active. Chacune de ces voix présente certaines
particularités formelles qui constituent les conjugaisons active, passive et pronominale. Les verbes
dits impersonnels, « qui s’emploient à la troisième personne du singulier, sans relation à un sujet
déterminé » (p. 555), forment à leur tour la conjugaison impersonnelle, etc. Riegel, Pellat, Rioul
(1994) se demandent s’ils faut plutôt parler de « Conjugaison ? Forme de phrase ? Tour(nure) ?
Voix ? et même, plus récemment, “voie” ? » (p. 261), – et même… de Construction ? (active,
passive, pronominale, etc.), ajoutons-nous. Mieux vaut alors adopter une terminologie fédératrice
qui fait valoir les modifications qui affectent le verbe et ses déterminants en même temps que
l’organisation syntaxique et l’interprétation sémantique de la phrase : c’est la terminologie de
Marc Wilmet (1998 : 464-472) qui, lui, parle de topicalisation active, passive, moyenne et
impersonnelle. Derrière cette appellation de « topicalisation »29 se cachent, ou plutôt se
manifestent, l’énonciateur et ses activités discursives concernant sa propre personne ou son
interlocuteur et / ou une tierce personne : ainsi peut-il devenir l’objet – patient, bénéficiaire,
expérimentateur, etc. – d’un procès dont il est lui-même l’agent dans la topicalisation moyenne (ou
pronominale) : Je me lave avant de me coucher, Je me tue à travailler, Je me donne le temps de
souffler ; dans la topicalisation passive, par exemple, il peut, entre autres, se mettre en vedette, dans
la place du sujet, en tant qu’objet d’un procès accompli par un agent dont il peut cacher l’identité :
J’ai été interrogé pendant des heures, Je serai renvoyé, on vient de me le signifier ; enfin, il peut,
dans la topicalisation impersonnelle, occulter l’agent d’une (mauvaise) action, que cet agent soit lui-
même ou une autre personne : Il a été dit (s’est dit) des choses horribles sur toi – Il peut vous
arriver des choses bien désagréables si vous….
29 « Elle [la topicalisation] confronte le sujet logique au sujet grammatical et au sujet sémantique sous les trois voix de l’actif, du
passif, du moyen (dit aussi « pronominal ») et les deux constructions de l’impersonnel et du factitif. Disons : cinq voies » (Wilmet,
1998 : 464).
127
VI.1. Voix active ou « topicalisation active »
La topicalisation active consiste à faire assumer au sujet logique de la phrase le statut
syntaxique de sujet grammatical (c’est lui qui commande l’accord du verbe) indépendamment de
son rôle sémantique d’agent, d’expérimentateur, de patient, etc. (cf. Wilmet) :
Pierre tuera le cochon à Noël. – Pierre a reçu des coups violents. – Je reçus comme une
gifle la phrase de maman (Duhamel, in Petit Robert). – Elle essuie l’outrage avec fierté.
(Sainte-Beuve, in Petit Robert)
Le passif est, pour Riegel, Pellat, Rioul (1994 : 432), à la fois « forme verbale et type de
phrase ». La voix passive, en tant que catégorie du verbe dans la « grammaire standard », manifeste
les formes composées à l’aide du morphème discontinu Aux être + participe passé : louer : être
loué, ouvrir : être ouvert, donner : être donné, etc., tandis que la diathèse (= ‘disposition’) « établie
par les formes passives affecte aussi l’ensemble de la phrase. Dans cette perspective, le couple de
phrases : Le ministre inaugurera l’exposition / L’exposition sera inaugurée par le ministre
représente les deux versions (ou les deux types) d’une même phrase » (p. 433-434). La tradition
grammaticale scolaire (ainsi que les toutes premières versions de la grammaire générative-
transformationnelle) nous a inculqué le cliché de la voix (ou diathèse) passive en tant que
renversement mécanique et quasi automatique de la voix active 31: tout verbe se construisant avec un
objet direct serait censé pouvoir être tourné par le passif.
VI.2.2. Emploi du passif Différentes contraintes s’opposent à cette transformation passive qui
peut être bloquée sur un des plans morphologique, sémantique ou syntaxique (voir aussi, pour le
détails de ces contraintes et autres limitations, Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 434435) :
30 Le complément d’agent, quand il n’est pas effacé, est introduit par la préposition par qui semble l’emporter dans la plupart des
cas sur la préposition de. (cf. Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 437), par l’une ou l’autre, en fonction du rôle sémantique joué par le sujet
du verbe actif : La nouvelle a été diffusée par la presse et est maintenat connue du grand public, ou en fonction « des acceptions
suffisamment différentes d’un même verbe » (ibid.) : Le suspect a été suivi toute la journée par un detective / La conférence a été
suivie d’une reception.
31 « […] l’analyse traditionnelle du passif, la théorie du renversement, est une simplification à laquelle on a pu sacrifier pour des
raisons pédagogiques (les grammaires scolaires) ou de formalisation (la grammaire générative), mais qui ne se justifie que
difficilement au vu des faits empiriques » (B. Lamiroy, 1993, Pourquoi il y a deux passifs, dans Langages, n° 27, p.69).
128
▪ sur le plan morphologique certains verbes « ne sont jamais passivables : comporter, coûter,
▪ sur le plan sémantique, des restrictions lexicales, un quantifiant ou une négation suffisent
parfois pour abolir l’équivalence lexicale établie par le rapport de paraphrase naturel existant
entre les deux constructions, passive et active : « la phrase active Un seul étudiant n’a pas vu le
film [= tous les étudiants, sauf un, ont vu le film] et son homologue passive Le film n’a pas été
vu par un seul étudiant [= aucun étudiant n’a vu le film] véhiculent des sens incompatibles ! »
(Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 434) ;
▪ sur le plan syntaxique, il semble que le sujet grammatical ne saurait assumer la fonction de
complément d’agent si, à l’actif, il remplit « le rôle sémantique de patient ou d’objet » (cf.
Wilmet, 1998 : 466) : Pierre a reçu des coups violents ??Des coups violents ont été reçus par
/ de Pierre, tandis que l’omnipersonnel on est effacé par la topicalisation passive : On a invité
des personnalités de marque Des personnalités de marque ont été invitées. Enfin, toutes les
fois que le locuteur ne peut pas ou ne veut pas préciser l’actant-agent du procès, il efface le
complément d’agent (voir les notes 87 et 91).
32 Deux verbes transitifs indirects obéir et pardonner conservent, de par leur statut ancien de verbes transitifs directs, la capacité de
se mettre au passif en langue littéraire : De nos jours, les parents sont difficilement obéis de leurs enfants – Faute avouée est à moitié
pardonnée (cf. Riegel, Pellat, Rioul, 1996 : 435). D’autre part, la construction impersonnelle permet la topicalisation passive pour des
verbes transitifs indirects et même intransitifs (cf. Riegel, Pellat, Rioul, 1996 : 436) : Il sera répondu à chaque lettre – Il n’a pas été
ri / toussé une seule fois pendant la projection.
33 « Les études quantitatives montrent que la grande majorité des phrases passives effectivement employées sont dépourvues de
complément d’agent » (Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 439), ce qui nous conforte dans notre idée sur la topicalisation active comme
manœuvre énonciative de “camouflage” du référent du sujet actif – agent, cause, siège, source – de l’événement exprimé par tel ou
tel énoncé (cf. infra La topicalisation passive en tant que manœuvre énonciative).
129
active sans changement de temps (passif d’action) : Le prisonnier est étroitement surveillé / On (La
police) surveille strictement le prisonnier, ou bien si elles présentent l’état résultant d’un procès
exprimé à un temps composé, à l’actif ou au passif (passif d’état) : La porte est fermée – Monsieur
est servi – La voiture est réparée – L’affaire est conclue. Dans tous les autres cas, les participes
passés feront valoir leur contenu adjectival pour remplir la fonction d’attribut du sujet introduit par
un être copule ou auxiliaire de temps composé : Pierre est / semble / en est sorti (bien / on ne peut
plus) pressé / agacé / déçu… (voir d’autres détails dans Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 439).
34 Ce pronom n’a de forme spécifique qu’à la troisième personne (se / soi) : Il(s) se lave(nt), ce qui explique le redoublement du
pronom sujet dans la conjugaison dite pronominale : Je me – tu te – il(s) / elle(s) / on se – nous nous – vous vous + Verbe. Ce pronom
fonctionne comme un « opérateur de clôture » (Mélis, 1990) : le procès accompli par le sujet se clôt en atteignant le sujet lui-même :
Pierre lave Pierre Pierre se lave.
130
VI.3.1. Les verbes essentiellement pronominaux
Les « verbes essentiellement (ou intrinsèquement) pronominaux » ne peuvent pas commuter
avec une forme non pronominale, ils sont donc toujours pronominaux (transitifs directs : s’arroger
des droits ; transitifs indirects : s’abstenir de, se moquer de, se souvenir de, etc. ; intransitifs :
s’affaisser, se demener, s’évanouir, se réfugier, etc.), et cette « sous-classe représente par
excellence la voix pronominale » (Touratier, 1996 : 195) parce que « l’unité morphologique de voix
pronominale [le deuxième pronom conjoint coréférentiel au pronom sujet, n. n., V. D.] fait partie du
signifiant même du lexème verbal concerné » (Ibid.).
▪ les verbes dits « réfléchis » parce que « l’action qu’il[s] exprime[nt] retourne sur le sujet, se
réfléchit sur lui ; le pronon me, te, etc. représentant, comme objet direct ou indirect, le sujet de
l’action, doit alors, dans l’analyse, être distingué de la forme verbale : Il se REGARDE. Tu
t’IMPOSES une pénitence. – Nous nous PARDONNONS tout (La F., F., I. 7). – Ils se
NUISENT à eux-mêmes » (Grevisse, 1969 : 449-550 ; voir également l’interprétation réfexive
chez Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 256) ;
131
▪ les verbes dits « réciproques » parce que, selon le même Grevisse, ces verbes expriment « une
action que plusieurs sujets exercent l’un sur l’autre ou les uns sur les autres : l’action est à la
fois accomplie et reçue par chacun d’eux : Ils se battent. – Les soldats romains (…) se
cherchaient dans les ténèbres ; ils s’appelaient, ils se demandaient un peu de pain ou d’eau.
(Chateaubriand) – … des mots sans lien s’entrechoquent dans sa tête. (Martin du Gard, in Petit
Robert) – Ils se louent l’un l’autre » (p. 550 ).
Souvent la réciprocité s’explicite à l’aide d’expressions telles que : l’un (à) l’autre, les uns (aux)
les autres, mutuellement, réciproquement, entre eux / elles, le préfixe entre : s’entraider,
s’entrecroiser, s’entretuer, etc.
VI.3.5. La voix pronominale : une voie moyenne entre les voix active et passive
Pour résumer nous dirons que la voix pronominale est bien une voie moyenne, c’est le cas de le
dire, entre la topicalisation active et la topicalisation passive, voie permettant le bouclage sujet
132
pronom réflexif sujet, qui débouche sur trois schémas d’interprétation sur la base de différents
degrés de participation des deux actants, sujet et objet, au procès (cf. Wilmet, 1998 : 467) :
1 interprétation réfléchie / réciproque quand le sujet grammatical maximalise en lui l’agent :
Pierre se lave / se bat / s’arrache les cheveux ; 2 interprétation neutre35 quand le sujet grammatical
équilibre en lui l’agent et l’objet (le patient), comme s’il y avait fusion du sujet et de l’objet : Pierre
s’évanouit / s’endort / s’ennuie – La lune se reflète dans l’eau. – Le terrible accident s’est produit à
l’aube ; 3 interprétation passive quand le sujet grammatical maximalise en lui l’objet (le patient) :
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. – Un bon roman se vend vite. – Le fromage se mange
avec du vin rouge.
35 « … le référent du sujet est conçu comme le site de l’activité dénotée par le verbe » (cf. Les constructions pronominales
« neutres » dans Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 260)
133
VI.4.1. Les verbes (et locutions) impersonnels
Toujours employés avec il avec ou sans expansion, ces verbes représentent la structure il +
verbe + (séquence verbale / non verbale), dépourvue de correspondant personnel. Ces verbes
impersonnels et locutions impersonnelles concernent :
▪ en premier lieu la structure il + verbe (sans expansion) illustrée par une vingtaine de verbes « à
valence nulle (ou valence zéro) », appelés météorologiques : bruiner, fraîchir, éclairer ‘faire
des éclairs’, pleuvoir, flotter (pop.), geler, grêler, grésiller, neiger, tonner, verglacer, venter,
etc. Pleuvoir et neiger acceptent une expansion nominale : Il pleut des cordes / des
hallebardes / de grosses gouttes, ce qui les ouvre aux emplois personnels figurés, plus ou moins
métaphoriques : Il pleuvait des coups sur l’imprudent policier Des coups pleuvaient sur
l’imprudent policier – Le sang continuait à pleuvoir goutte à goutte (Hugo). – Les boulets
pleuvaient (Ibid.). – La raillerie pleut, drue comme mitraille (Baudelaire) – Ici, pleuvent les
nouvelles vraies ou fausses (Michelet) ; les exemples sont du Petit Robert. Le français familier
et populaire remplace souvent il par ça, « sujet diffus », « à référence indistincte », qui mime
l’agent en donnant plus de poids au procès: Ça pleut pourtant fort (Proust, in P. Robert) ;
▪ la structure il + verbe séquence non verbale (noms, adjectifs, adverbes) / séquence verbale
(infinitif ou Que P) illustrée par des verbes tels falloir, s’agir de, retourner de au sens de ‘s’agir
de’ (fam., en phrase interogative directe ou indirecte : De quoi retourne-t-il ? / J’aime toujours
savoir de quoi il retourne), des locutions telles être question de, aller de soi, y aller de, en aller
ainsi de / de même / autrement pour, les locutions impersonnelles s’en falloir de peu / de
beaucoup / d’un rien pour, etc. :
Il le / en faut – Il faut de l’argent / partir / que Pierre parte – Il s’agit d’un événement
bien triste / de faire une bonne action – Il est question de bonnes nouvelles / d’informer
l’opinion publique – Il n’en est pas question – Il y va de l’avenir de l’humanité – Le
premier projet a été accepté : tout porte à coire qu’il en ira de même pour les deux
autres – Il s’en faut d’un rien pour que Pierre ne soit renvoyé.
On fait entrer dans cette même structure impersonnelle les verbes avoir, être et faire en tant que
noyau verbal d’un grand nombre d’expressions ou locutions verbales impersonnelles » :
▪ avoir et être ont donné les présentatifs il y a et il est (variante littéraire et soutenue),
concurrencés par il se trouve et il existe, qui « sont suivis d’un syntagme nominal dont ils
introduisent le référent dans l’univers de discours » (Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 446) : Il y a de
l’argent, des billets dans le portefeuille – Il pourrait y en avoir beaucoup – « Quand il y en a
pour un, il y en a pour deux » – Personne n’a jamais le droit de dire un mot. Il n’y en a que
134
pour lui. [= seul lui a le droit de parler] (Sarraute) – Il est des parfums frais comme des chairs
d’enfants. (Baudelaire) – Malgré les précautions prises par le notaire, il se trouva des témoins
(Balzac).
▪ faire et être, suivis d’adjectifs, de noms ou de syntagmes nominaux, forment des expressions et
– faire + adjectif : Il fait beau / laid / mauvais / bon / lourd / frais / chaud / clair /
sombre… – Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid (Diderot). – Il fait bon / mauvais (+ Inf.) :
Auprès de ma blonde qu’il fait bon dormir (chanson populaire). – Il faisait mauvais les
provoquer – Les « calques plaisants » du français familier : Il fait faim / soif [= on a
faim / soif] (cf. P. Robert) ;
– faire + nom : Il fait jour / nuit / (du) soleil / du vent / un temps de chien / une bien belle
journée / un temps pourri / un de ces froids… – Vers les huit heures du soir, il faisait
nuit noire (Stendhal). – Faire peut se combiner avec un adjectif et un nom à la fois : Il
fait doux, soleil, et silence (R. Rolland, in P. Robert) ;
– être + nom ou adverbe dénote des moments dans le temps : Il est deux heures du matin,
il est temps / l’heure (de + Inf) ; on le trouve aussi en emploi poétique : Il est nuit / jour
– Il est midi / minuit / tôt / tard (variante aspectuelle : Il se fait tôt / tard).
135
L’emploi de l’impersonnel est source d’effets stylistiques qui s’expliquent par le renversement
de l’ordre commun, qui va de la manifestation de l’être vers l’occurrence du procès dans le sens de
la manifestation première du procès vers l’identification de l’être source du procès. C’est pourquoi
un énoncé impersonnel répond toujours à une question comme Que se passet-il ? ou Qu’y a-t-il ?,
question qui porte sur l’apparition du procès, sur la survenance de l’événement.
D’une façon générale, on peut construire avec l’impersonnel :
● des verbes personnels qui intègrent la structure il + verbe + séquence verbale (Inf. ou Que P),
plus fréquente que son correspondant personnel : cette structure, « s’avère souvent préférable et
parfois obligatoire (p. ex. ??Que Pierre soit en retard me déplaît ou * Que Marie ait raison me
paraît Il me déplaît que Pierre soit en retard ou Il me paraît que Marie a raison ) » (Wilmet,
1998 : 469) :
Il me semble vivre / que je vis une expérience extraordinaire. – Il me semblait entendre
au loin la plainte de Silbermann. (Jacques de Lacretelle) – Il me semble parfois… qu’on
peut s’exprimer mieux par des actes que par des mots. (Gide, in P. Robert) – Il me plaît
d’obéir, de me plier aux règles. (Ibid.)
Lorsque une séquence verbale est sujet d’un verbe attributif suivi d’un adjectif ou de toute
forme équivalente : Que Pierre se remette au travail / Se remettre au travail est nécessaire /
d’une extrême urgence, les complétives et les constructions infinitives fonctionnent quasi
régulièrement comme séquence de l’impersonnel. Il faut bien y voir « la tendance du français à
éviter les complétives et les infinitifs en position de sujets directement antéposés au syntagme
verbal » : Il est nécessaire / d’une extrême urgence que Pierre se remette au travail / de se
remettre au travail ;
⮚ des verbes [-déterminé], ou « verbes non complémentés » : courir, circuler, jaillir, entrer,
sortir, subsister, suffire, etc., : Des bruits courent / circulent sur Pierre Il court / circule
des bruits sur Pierre (en construction directe) – Un mot de vous suffit pour l’apaiser Il
suffit d’un mot… (en construction indirecte) ;
Pour conclure nous rappelons que la séquence nominale de l’impersonnel n’accepte pas le
défini (l’article le : *Il arrive les invités / Il arrive un invité, deux, plusieurs… des invités. Enfin la
topicalisation impersonnelle permet de manifester l’existence des sujets « d’extension
partitive » : ??Une bouteille est sur la table Il y a une bouteille – ??Du vin reste encore dans la
cave Il reste encore du vin dans dans la cave.
A leur tour les constructions pronominales, dont le sujet correspond à l’objet de la phrase
personnelle active, acceptent une topicalisation impersonnelle dans les mêmes conditions, avec
toutefois l’effacement de l’agent (déjà occulté par le pronom on dans la construction personnelle
active) : On a vendu beaucoup d’exemplaires de ce journal ► Beaucoup d’exemplaires de ce
journal se sont vendus ► Il s’est vendu beaucoup d’exemplaires de ce journal.
L’impersonnel passif (parfois aussi pronominal) s’applique très bien aux verbes personnels
actifs à objet propositionnel réalisé :
36 « Ou, pour le dire autrement, si la forme du verbe est bien passive, la diathèse de la phrase ne l’est pas, puisque l’argument final
du verbe conserve sa postion de c.o.d. et que l’argument initial (source, agent) est relégué au rang de complément indirect et le plus
souvent simplement évacué du schéma actanciel » (Riegel, Pellat, Rioul, 1994 : 499-450).
137
♦ par une subordonnée complétive ou par un groupe infinitif : On a affirmé / déclaré /
recommandé / précisé / concédé / proposé / dit / suggéré … que P / de+ Inf ► Il a été dit que
P / de + Inf (On dit / raconte / colporte… que P ►Il se dit / colporte / raconte que P ) :
Il a été recommandé qu’il fallait partir tôt. – Il nous a été suggéré de partir tôt. – Il se
disait à l’époque que la conquête de l’espace n’était qu’un rêve – Je ne te donne pas dix
jours […] pour qu’il soit découvert que notre vieille tante a étranglé jeune-fille son
nouveau-né. (Giraudoux) ;
♦ ou bien par une subordonnée interrogative introduite par si interrogatif-dubitatif après les verbes
de questionnement ou d’incertitude :
On a demandé / On n’a pas décidé / On n’a pas précisé si la conférence aura lieu
jusqu’à la fin de la semaine ► Il a été demandé / Il n’a pas été décidé / Il n’a pas été
précisé si la conférence aura lieu….
L’impersonnel passif / pronominal apparaît quand le locuteur veut se concentrer sur le procès et
que, dans le même temps, il a intérêt à en cacher l’agent, ou bien, tout simplement, il est dans
l’impossibilité de préciser l’identité de ce dernier : « Tous les impersonnels, actifs ou passifs [et
pronominaux aussi, n. n., V. D.] ont en commun la mise en relief du procès. Tous les passifs,
personnels ou impersonnels, ont en commun la capacité d’éviter la mention de l’auteur de ce
procès » (David Gaatone, 1994 : 44).
B. Deuxième variante
2. Assurément est :
a) un adverbe modalisateur
b) adverbe de manière
c) adverbe de lieu
9. Dans la phrase Qui vivra verra, les verbes ont une valeur de :
a) futur gnomique
b) futur de conjecture
c) futur d’anticipation
139
1. La voix active indique que :
a) le sujet fait l’action
b) le sujet subit l’action
c) l’action faite par le sujet se réfléchit sur ce sujet
4. Dans la phrase Sur cette falaise il arrive souvent des accidents la séquence soulignée est :
a) une construction personnelle
b) une construction impersonnelle
c) une construction passive
140
CHEVALIER, Jean-Claude (et collab.), 2002, Grammaire du français contemporain, Paris, Larousse
DOSPINESCU, Vasile, 2005, Le verbe ... autrement, Suceava, Editura Universităţii Suceava
DOSPINESCU, V., 2000, Le Verbe- morphématique, sémantique, syntagmatique, mode, temps, aspect… et voix — en
français contemporain, Col. Conex, Iasi, Junimea
GREVISSE, Maurice, 1990 (IVe éd), Savoir accorder le participe passé
HUOT, Hélène, 2006, La Morphologie : forme et sens des mots du français, Paris, Armand Colin
LEEMAN-BOUIX, Danielle, 2002, Grammaire du verbe français. Des formes au sens, Paris, Nathan
LUPU, Mihaela, 2004, Cours de langue française – morphosyntaxe, Iaşi, Editura Universităţii „Alexandru Ioan Cuza”
POL, Charles, 2011, Conjuguer? Oui, mais autrement, boîte à outils pour une petite morphologie portative, Labor
Education, Namur
RIEGEL, M., Pellat, J., Rioul, R., 1994, Grammaire méthodique du français, PUF
TAMINE, Joelle-Garde, 2010, La grammaire : phonologie, morphologie, lexicologie, Paris, Armand Colin
Site
● Exercices FLE autour du groupe verbal - www.polarfle.com ; www.bonjourdefrance.com,
www.ortholud.com/exercices_de_conjugaison_2.html
Mais aussi :
141
Vetters, Carl (éd.), 1993, Le Temps, De la phrase au texte, Presses Universitaires de Lille.
Wagner, R.-L. et Pinchon, J., 1962, Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette,
(GFCM).
Wilmet, Marc, 1998, Grammaire critique du français, 2e édition, Hachette supérieur, Duculot
(GCF)
Dictionnaires
Colin, J.-P., 1978, Dictionnaire des difficultés du français, Paris, les usuels du Robert, (DDF).
Dubois, J. et collab., 1973: Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse, (DL).
Dubois, J. et collab., 1971: Dictionnaire du français contemporain, Paris, Larousse, (DFC).
Ducrot, O., Schaeffer, J.-M., 1995: Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du
langage, Paris, Editions du Seuil (NDESL).
Robert, P., 1990, 1999, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris,
(PR).
Revues
Cahiers de grammaire
L’information grammaticale
Langages
Langue française
Le français d’aujourd’hui
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