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ISSN: 0851-0881 ESSN:

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Parlers arabes pré-hilaliens traits et tendances

Simon Levy

How to cite this article: Levy, Simon. (1998). Parlers arabes pré-hilaliens
traits et tendances. Langues et Littératures, 16, 185-198.

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LANGUES ET LITERATURES, VOL XVI 1998, pp. 185-198.
Publications de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Rabat

PARLERS ARABES PRE-HILALIENS


TRAITS ET TENDANCES

Simon LEVY
Faculté des Lettres - Rabat

L'arabe marocain est en voie d'unification. Le processus a commencé


sous le Protectorat et s'accélère sous les effets conjugués du brassage des
populations dans les grandes métropoles - Casablanca, principalement - des
progrès de la scolarisation (à La'yün, les jeunes parlent la dariza qu'em­
ploient leurs instituteurs venus du Nord plutôt que la bassaniya de leurs
parents) de la radio et de la télévision, de la densification de l'administration,
qui déplace ses fonctionnaires, et les revêt du prestige de l'autorité... Les
parlers locaux reculent donc - non sans résistance, non sans laisser de traces
dans l'usage de !'"arabe marocain moderne" ou "médian" pour reprendre la
terminologie d'Abderrahim Youssi0l. Ceci étant, les anciennes modalités
locales scint encore vivantes, parmi les tranches d'âge supérieures, parmi les
femm es, les jeunes enfants, dans certaines corporations . Dans les
campagnes, elles peuvent encore dominer.
Les parlers arabes sont traditionnellement classés en hadari et Erobi -
"citadins" et "bédouins" - auxquels il faut ajouter les parlers "montagnards",
i;;,b/i. On sait que ces dernier sont, comme les "haç/ari", historiquement pré­
hilaliens, tandis que les parlers érobi sont ceux des descendants des Banu
Hi/al et Ma,qil -, introduits au Maroc aux XII0-XIIIe siècles.
Comment distinguer ces parlers les uns des autres? Une oreille exercée
y parvient généralement par la pratique, et en s'appuyant sur un repère déjà
signalé par Ibn Khaldoun : la réalisation du phonème qaf; une dominante
gaf (q>g) est indice de parler érobi, tandis que les réalisations/q/ ou I'/
évoquent un parler pré-hilalien. Confessons que cela reste sommaire.

DIFFICULTES D'UNE CLASSIFICATION A L'ECHELLE DU MAGHREB


Les dialectologues européens se sont efforcés, dès le début du siècle,
de dégager d'autres traits caractéristiques. Ainsi William Marçais dressait,
(1) Abderrahim Youssi, Grammaire et lexique de l'Arabe Marocain Moderne, Ed.
Wallada, Casablanca, 1992.
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en 1902, pour les parlers algériens, une première liste de traits opposants
citadins et bédonins(2J,
Soixante-dix ans pins tard, Jacques Grand'Henry, en décrivant le
dialecte de Cherchell, relève un certain nombre de traits qui se retrouvent
dans d'autres parlers maghrébins.
Reprenant une étude de David Cohen(3) - après avoir souligné la chute
des anciennes voyelles brèves en syllabe ouverte sur l'ensemble du domaine
maghrébin - Jacques Grand'Henry rappelle les "confiisions de timbre dans
les voyelles brèves qui .subsistent" et les distinctions entre "deux types de
dialectes" :
- les "dialectes dont le système a tendu à la confusion des anciens ii et
f et brefs mais qui ont maintenu, dans une mesure plus ou moins grande,
l'autonomie de l'ancien ii : parlers de Tanger, Casablanca, Tlemcen, Tunis
(musulman et juif);
- Les dialectes ayant tendu à confondre les réalisations des anciens i et
Œ pour les opposer à ii, continuant normalement le phonème ancien de
timbre analogue : parlers bassane, des Ulâd Brâhîm de Saïda, des Mârâzîg.
de la l:lamma de Gabns, de Benghazi ...
Les premiers sont en général des parlers de sédentaires tandis que les
seconds sont en général des parlers de nomades''(4l.
Pour le consonantisme. J. Grand'Henry relève à Cherchell les traits
•·citadins" suivants:
l'affrication du t en t (ts). comme dans ia plupart des villes de
l'Algérie septentrionale et du Maroc;
- la prononciation affriquée de la chuintante sonore g (dj) comme à
Tlemcen, Ténès, Miliana. Médéa. Blida, Alger, Dellys, Mila, Constantine ;
(2i ,, 1" Le.s dialectes citadins ont le son q pour J. tandis qué les dia!ectes bédouins ont g}.
2"' Les dialectes citadins offrent une prononciation r. du pronom masc. sing. de la 3e
personne. tandis que (es dîalectes bédouins offrent une pro11onc1ation iih, ah, Oh),
Y' Les dialectes citadins réduisent à j.PLl... . JJW sans î long entre la 3e et la 4e
consonnelesplurielsclassiques '"'�li.. -j-)W etc,: les dialectes bédouins
gardent l'î long.
4° Les dialectes citadins offrent, au plu:-icl des verbes défectueux des terminaisons îu.
â u : les dïalectes bédouins offrent simplement u, û.
5° Il existe des uns par rapport aux autres de nombreuses et fréquentes différences de
vocabulaire.>) William Marçais, Le dialecte arabe, parlé à Tlemcen, Paris, 1902. p. 7.
(3) David Cohen, "Le système des voyelles brèves dans les dialectes maghribins", in
Ewdcs de linguislique sémitique et arabe, Paris-La Haye, 1970. pp. 176- l 77.
- la prononciation vélaire emphatique du J (q), comme dans la plupart
des parlers citadins du Maghreb (par opposition à la prononciation bédouine g).
- Enfin, la conservation des interdentales permet de ranger le parler de
Cherchell parmi les parlers citadins les plus archaïques d'Algérie (à côté des
parlers du vieux Ténès, de Dellys et de Constantine)"(4).
Il faut ici nuancer, à partir de l'expérience marocaine. L'affriction du /t/
en /tS/ esr bien observée dans les cités marocaines - sauf Marrakech où il
semble bien que le /tS/ affriqué n'apparaît, généralement qu'en position
médiane et finale et très rarement en initiale de mot. La prononciation /g=dj/
du jim n'apparaît dans les parlers "sédentaires" marocains qu'à Tanger et
dans une partie des Jbala - sans être systématique - et seulement en initiale
(Wergha) ou en géminées (Tanger). La "prononciation vélaire emphatique
du J lq/" se partage au Maroc les domaines "citadin" et "montagnard" avec
les réalisations hamza /'/ de Fès, Wazzan, et autres îlots, et /k/ - vélaire - des
parlers juis de Tafilalt, du Dra, Debdou, et, sporadiquement, de la côte atlan­
tiqueC5 l. William Marçais signalait cette réalisaton q>k en Algérie dans les
Trara et en Petite Kabylie (voir W. Marçais, Le dialecte des Ulâd Brahim de
Saida, Paris, 1908, p. 14, note 1 ). Quant aux interdentales, elles se retrou­
vent au Maroc dans le parler "bédouin" des Zaer, tandis que, dans le nord
"sédentaire" il s'agit plutôt d'une spirantisation qui touche souvent l'en­
semble des occlusives dentales et vélaires lkl>lk/.
Dans le domaine morphologique, J. Grand'Henry distingue en Algérie
des parlers citadins qui "confondent les genres à la deuxième personne du
singulier dans les prénoms comme dans les verbes" /types enta çlrabt pour
les deux genres et enti çlrabti "tu as frappé" pour les deux genres) de "ceux
qui distingue/li les genres à la deuxième personne du singulier. .. " dont Alger
et Cherchell). Ces traits se retrouvent effectivement au Maroc dans des
parlers "citadins", - davantage chez les femmes des vieilles cités, les Jbala et
les parlers juifs -, avec cette précision que la 2ème pers. du sing du verbe est
largement "féminisée" à l'accompli (ta 'nit al maçli : nra jiri) tandis que l'in­
accompli et l'impératif sont marqué - i - au féminin (2' pers.) ou ne le sont
pas, selon les cas. Signalons cependant un cas de "féminisation" de l'inac­
compli (ta 'nit al moçlara: nta tiitk;;,tbi) chez les Beni anir du Tadla, parler

(4) Jacques Grand'Henry, Le parler arabe de Cherchell, éd. Université catholique de


Louvain, Institut orientaliste, Louvain-la-Neuve, 1972, pp. 167-170.
(5) Simon Lévy, "Le peuplement juif d'Essaouira et ses parlers", in Essaouira, Mémoire et
empreintes du présent, Pub!. Faculté des Lettres d'Agadir, 1994.

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théoriquement "bédouin", mais qui semble bien s'être formé sur un substrat
arabisé pré-hilalien<6l.
Ajoutons qu'au fur et à mesure que la description des parlers avance,
des trouvailles viennent compliquer, voire démentir, les éléments des classi­
fications "établies". Ainsi, pour William Marçais (1) les dialectes bédouins
d'Algérie ont un pronom affixe de 3 ème pers. sing. en ah, oh ; or,
Grand'Henry signale - ah (3ème pers. fém.) à Cherchell, comme en andalou,
non bédouins.
Plus récent (1977) le travail de Philippe Marçais "Esquisse grammati­
cale de l'arabe maghrébin"O), tout en donnant d'intéressantes observations
sur les parlers "sédentaires" et "nomades", leur répartition et leur interpéné­
tration (parlers "intermédiaires') se gardent d'un recensement - classement
systématique des traits que l'on peut relever dans les chapitres de synthèse
consacrés à la phonétique, à la morphologie - et aux particules et adverbes
"véritables certificats d'origine dialectale, tels le daba marocain pour
"maintenant", le bJaf algérien pour "aussi, également", le barsfi tunisien
pour "beaucoup" (p. 247).
Le traitement affriqué [tS] de /t/ et f!/ semble certes dominer dans les
parlers citadins. Mais les choses se compliquent lorsque l'on observe le
maintien des interdentales il/ et /g/ dans les parlers bédouins (surtout de
l'Algérie) et dans de vieilles cités comme Ténès, Cherchell, Dellys,
Constantine. Au Maroc septentrional, nous l'avons vu, c'est plutôt d'une
spirantisation, sans rapport avec la consonne classique, qu'il s'agit.
Par contre, Ph. Marçais note pour certains mots une articulation sourde
de içl! emphatique > fr/. C'est aussi le cas au Maroc chez les Jbala (cço,
"lumière") à Sefrou et au Tafilalt juifs (sporadiquement à Fès juif (motae
"lieu"), autrement dit dans des parlers pré-hilaliens. Il note également les
avatars de /k/ dans les parlers "montagnards" du Maroc et d'Algérie : Jbala,
Y
Trara, Djidjelli: "soit une mouillure de ken k , soit une affrication en k', soit
une mutation en t·'"· Ajoutons que la réalisation [t5] /é/ était largement repré­
sentée dans les parlers juifs d'Oranie et dans une moindre mesure à Debdou
juif (dik > ,lié "sur toi")(8)_
(6) Simon Lévy, "A propos du parler des paysans du Tadla: Dialectologie et arch"éologie
linguistique", in Tadla, Histoire, Espace, Culture, Publ. Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines de Béni-Mellal, 1993, pp. 11-16.
(7) Philippe Marçais, Esquisse grammaticale de l'arabe maghrébin, Maisonneuve, Paris,
1977.
(8) Simon Lévy, Parlers arabes des juifs du Maroc: particularités et emprunts. Thèse
pour le Doctorat d'Etat, Paris VIII, 1990, 1815 p. (à paraître aux Pub\. de la Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines de Rabat).
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Rappelons que ce /k/ peut être légèrement spirant (type ich, "je" de
l'allemand) dans certains points du nord jebli (klo "il l'a mangé" ; $rema,
Wargha), et plus systématiquement, en positions médiane et finale, à Ms;ik,
dans les Beni Itteft (Rif central) où le substrat riffain spirant semble avoir
influé sur les occlusives (sauf /q/) dik ; ihErr;'Jb/:;um "il vous détruira"(9). Le
/KI final peut aussi passer à hamza /'/ (voir infra).

UNE APPROCHE MAROCAINE : G.S. COLIN


Si la recherche des points de rencontre entre parlers maghébins, et
particulièrement marocains et algériens, reste historiquement légitime et
dans une certaine mesure éclairante, le rapide survol que nous venons d'en
faire convie à la prudence. Restreindre la comparaison aux seuls parlers du
domaine marocain est moins ambitieux mais plus réaliste. li n'empêche que
l'information venue d'au-delà des frontières politiques actuelles garde sa
valeur en raison d'une histoire étatique qui les a ignorées jusqu'aux
Mérinides - pas plus à l'est que vers al-Andains - d'un substrat berbère
commun, encore que diversifé, mais qui a pu avoir des résultats communs
(parlers spirants du Rif et de Kabylie par exemple), de mouvements de
populations (andalous, frontaliers des hauts-plateaux, sahariens) et particu­
lièrement lorsqu'il s'agit des peuplements hilaliens et ma'qil-s, dont l'Ôrigine
est cominune.
Quoi qu'il en soit, l'approche marocaine a été tentée par G.S. Colin
dans sa contribution à l'article AI-Maghrib de !'Encyclopédie de l'Islam
(Nouvelle Edition). En fait, sur la base de sa considérable documentation
personnelle, Colin s'est étendu sur les parlers "montagnards" - qu'il avait
étudiés sur le terrainOO), davantage que sur les citadins, tandis que les
parlers "bédouins", peu étudiés jusqu'alors - et encore aujourd'hui - font un
peu figure de parents pauvres01l. Colin distingue quatre catégories de
(9) Selon les monographies de licences de Abou El Haja. Hakima et Maghdad, Amal (voir
note2I).
(10) G.-S. Colin, "Notes sur le parler arabe au nord de la région de Taza", Bulletin de
l'Institut français d'Archéologie Orientale, tome XVlII, pp. 33 à 119, Le Caire, f920.
(11) Parlers bédouins, selon G.-S. Colin:
«. .. voici les principales caractéristiques de ces parlers: d'abord, le kaaf sonne g (= kaf
ma Gküda) (. .. ) Le tllfi.', le dh.al et le çlad-�a• y sont conservés avec leur valeur interden­
tale. Le vocalisme bref est terne; le timbre i en est à peu près absent, et beaucoup de
voyelles brèves inaccentuées aboutissent pratiquement à un ;:i labial. Caractéristique est
l'apparition d'une voyelle ultra-brève de transition, de timbre u, qui se développe après
k, g, kh el z11 placés devant une consonne ou un â; ex.: kubàr "grands", igü'ed "il s'as­
sied", khüràfa "conte", ghüzal "gazelle", shkw ara "sacoche", rüg wag "minces"; un
même phonème se retrouve après bb, ff, mm et kk, gg, kk, kh-kh; ex. : lughrubb wa
"les corbeaux", nukhkh wakha "soufflet", rummw an "grenade", sukkw ar "sucre'', shukk w a

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parlers : citadins, montagnards, bédouins, juifs ; mais finalement il regroupe
"les principaux faits qui sont communs au groupe de parlers citadins­
montagnards et le distinguent du groupe bédouin"02). En fait, les parlers

"pièce (de toile)", nukhkhwal "son"; par ailleurs, des groupes mw et fw où le w corres­
pond à un waw classique sont ramenés à mm et ff; ex.: !emmwida' "le (petit) endroit";
leff"'ad "les entrailles".
Le maintien de l'accent sur la première syllabe amène des structures syllabiques
"ressautées": ydktrib "il écrit", pl. ydkkritbu ; mrlghgh,:)rrbi "marocain" mukkahla
"fusil", brlggdrti "ma vache".
Le suffixe personne de la 3e personne masc. sing. est -ah. La préposition dialectale
traduisant "de" est nta' ou ta', dérivés du classique mata'; selon que son antêcédcnt est
féminin ou pluriel, cette préposition peut devenir nta't (ta't) ou nraw' (taw').
Il ne semble pas que les parlers bédouins connaissent l'usage du préfixe verbal
marquant l'indicatif présent. Aux personnes plurielles des verbes défectueux, il y a
réduction de la diphtongue : glû-yeglü, de verbe gla "frire", nsü-yensü, du verbe nsa
"oublier".
A noter aussi l'emploi d'une préposition U- "à": gal-)îna "il nous a dit".
Au point de vue du vocabulaire, quelques mots sont caractéristiques des parlers
bédouins: ba-ibî "vouloir", yames "hier", dharwek, dhurk "maintenant", du classique
d.ha 1-wakt», Colin, Encyclopédie de l'Islam, p. 1 I96.
(N.B. La remarque portant sur l'absence de préfixe verbal du présent est valable pour la
bassaniya, mais ne se vérifie pas pour nombre de parlers hilaliens au nord de ]'Atlas qui
utilisent ta).
(12) Traits citadins-moontagnards décrits par G.-S. Colin:
«- perte des interdentales classiques;
- prononcition k ou hamza du kaf (et non g comme chez les bédouins);
- tendance au groupement syllabique R 1, R2 ;:i R3, quand R3 n'est ni laryngale, ni
sonnante;
- rareté de l'état construit;
- affixe de la 3e persan. masc. sing; en -u, -o (et non -ah, comme chez oertains
bédouins) ;
- rareté relative de la suffixation des affixes personnels, mais emploi courant de la tour­
nure analytique avec dyal, ed-dar dyal-i "ma maison";
- diminutif de RI, R2 d R3 ou Rl;:;i, R2 R3 en RI, R2 iyy d R3 : kliyy;;ib "petit chien" ;
- diminutif des adjectifs des types R 1, R2 ;;i R3 ( <class, 'af'al) et RI, R21 R3 en R 1 R2;:i
R3: hmimer "un peu rouge", kbibdr "un peu grand" ;
- pluriel des adjectifs Rl R2 ;:;i R3 (< class. 'af'al) en RI o R2 ;:;i R3: kühel "noirs";
- réduction des pluriels Cl C2 a C3 i C4 il Cl C2 a C3;:, C4: mfat;:,f "clefs";
- emploi d'un préfixe verbal caractéristique de l'indicatif présent : ka- ou tsa- dans les
villes et la-, ka-, a, dans la montagne;
- au singulier de l'accompli, la personne féminine sert en général pour le masculin : ex.
: kt;:,bti "tu as écrit (homme)", d'où l'apparition. à Rabat, pour le pluriel, d'une forme
analogique ktdbtiw "vous avez écrit" ;
- dans le vocabulaire shbal "combien?", daba "maintenant" lka (rka, kka) "faire", sont
caractéristiques ;
- à l'imparfait des verbes défectueux, les personnes plurielles sont tirées analogique­
ment du singulier : y;_'.)bkâw "ils restent", ydbkiw "ils pleurent")>, Encyclopédie de
l'Islam, p. 1195.

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juifs s'intègrent parfaitement dans le groupe historique des parlers de forma­
tion pré-hilaliens - tout en présentant des traits et tendances permettant
d'élargir l'éventail des points de repères. En définitive, sur les quatorze indi­
cations sélectionnées par Colin, celles qui se rapportent à la constitution
syllabique, à la 2e pers. en ti de l'accompli, aux diminutifs .. ne sont pas
exclusives du groupe, tandis que des études récentes plus minutieuses,
portant précisément sur des variantes sociologiques des parlers pré-hilaliens
ont permis de faire avancer la problématique.

NOUVELLES ENQUETES ET LEURS APPORTS


La reprise d'intérêt pour la dialectologie arabe dans les années,] 970-
1980 n'a certes pas encore permis - loin de là - de compléter la carte des
parlers marocains. Cependant des thèses comme celle de Abdelaziz Hilili0 3)
sur le vieux fassi, ou de Simone Elbaz04l sur le érobi d'Oujda et des Hauts­
Plateaux, ont rénové l'information. Hilili a mis l'accent sur les différences
entre parler d'homme et de femme dans le vieux fassi. Les monographies de
Stillman( 15) sur Sefrou de Bar Asher sur Tafilalet et de Heath et Bar
Asher 06 ) ont révélé des traits dialectaux de parlers juifs - pré-hilaliens -
intéressants, et que les études de Brunot et Malka(17l sur le judéo-arabe de
Fès, ou le texte recueilli par Pellat en parler de Debdou08) ne pouvaient
laisser supposer.

(13) Abdelaziz Hilili, Phonologie et morphologie de l'ancien fassi, thèse de 3ème cycle,
dactylographiée, Paris III, 1979 (403 p.).
(14) Simone Elbaz, Parler d'Oujda. Application de la théorie fonctionnelle. Phonologie,
inventaire, syntaxe, thèse d'Etat, datylographiée, Paris V, 1980.
(15) A. Norman Stillman, "Sorne notes on the Judeo-Arabic Dialect of Sefrou", in Studies in
Judai"sm and Islam, The Magnes Press, The Hebrew University, Jérusalem, 1981, pp.
231-251.
(16) Voir Jeffrey Heath et Moshé Bar Asher, "A Judeo-Arabic Dialect of Tafilalt (South
Eastern Morocco", in Zeitschrift fiir Arabische Linguistik - 9 (1982), pp. 32-78. Voir
également Moshe Bar Asher, "Le diminutif dans les dialectes judéo-arabes du
Tafilalet", Massorot Il, 1986, p. 1-14 (en français) et "A propos des éléments
hébraïques dans l'arabe parlé des juifs du Maroc" (en hébreu), in Leshonenu, vol. XLII,
n° 3-4, avril, juillet 1978, pp. 163- 189.
Sur l'intéressant parler juif du Tafilalet, voir textes in Simon Lévy, Parlers arabes, op.
cit., et aussi, Simon Lévy, "Problèmes de géographie dialectale: strates et buttes
témoins", in Dialectologie et Sciences humaines au Maroc, Publications de la Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat, 1995, pp. 51, 60.
(17) Lou id Brunot et Elie Malka, Textes judéo-arabes de Fès, Rabat, 1939, 408 p.;
Glossaire judéo-arabe·de Fès, Rabat, 1940, 145 p.; Louis Brunot, "Notes sur le parler
arabe des juifs de Fès", Hespéris, 1936., pp. 1-32.
(18) Charles Pellat, "Nemrod et Abraham dans le parler arabe des juifs de Debdou",
Hespéris, \ 952, pp. 121-145.

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Pour ma part, j'ai pu mener en 1972-1974 une enquête linguistique de
terrain et recueillir des textes auprès des communautés juives de Fès, Sefrou,
Tafilalet, Midelt, Debdou, Meknès, Rabat-Salé, Azemmour, El Jadida, Safi,
Essaouira, Marrakech et recueillir des informations hors-terroir sur les
parlers juifs du Draa, de Beni-Mellal etc. Cela m'a permis de décrire ces
parlers tout en les comparant entre eux et avec les parlers des musulmans,
géographiquement proches ou historiquement apparentés. L'objectif était de
classer ces parlers et de les situer dans la genèse et la distribution des parlers
arabes marocains. Or il est vite apparu que des traits supposés être· "typiqu<è,­
ment juifs" se retrouvaient dans des parlers musulmans, à l'état de fait, ou de
tendance. Ainsi le zézaiement (/s/>[s] et /zi>[z]) se retrouve chez les musul­
mans vieux meknassis, les paysans Beni Emir du Tadla, et les femmes
musulmanes de Fès, Rabat...Par contre, ce trait phonétique est absent du·
parler juif de Debdou.
Dès lors, il était légitime de penser - l'histoire prouvant que les parlers
juifs s'étaient formés bien avant l'apparition des hilaliens - que certaines
tendances ou évolutions propres à des parlers pré-hilaliens avaient•pu se
cristalliser en traits stables dans des parlers de minorités religieuses, dans
des conditions qui pouvaient, ou non, se reproduire ailleurs, et que, à l'abri
des "frontières 11 linguistiques communautaires, tel trait pouvait se conserver
ou bien évoluer plus ou moins librement. Ainsi les parlers juifs de Tafilalet
et du Coude du Dra ont conservé une forme archaïque de-le "qui est à moi"
alors qu'ailleurs elle semble avoir d onné dya/i( 19). Ces deux parlers réali­
sent J /qi>[k] - comme les Trara d'Oranie et Debdou juif - mais le /k/ S se
palatalise, sporadiquement en [c] (tch) à Debdou (qui ne zézaie pas) et, plus
largement en [\] (affriqué tS) au TafilaletC20)_ En définitive, ces évolutions,
outre qu'elles relativisent le "conservatisme" des parlers de minorités,
semblent bien renvoyer à des phénomènes observés dans des parlers pré­
hilaliens, non plus "citadins", mais "montagnards", jebli ou à substrat riffain,
(19) Voir Simon Lévy, Parlers arabes des juifs du Maroc, op. cit., chap. "Tafi!alt, Dra,
Debdou juif'.
(20) Au Tafilalet, les exemples abondent, che z les hommes et davantage chez les femmes:
rkdb> rÇeb "monte en voiture"; sdtçar "sucre" ; ÇO!o "mange-le" ; le processus est
phonologiquement bloqué en cas de rencontre K-t: ktdb "écris". A Debdou juif. l'évo­
lution K>[é] (tS) est sporadique, en diverses positions: Koltelè "je t'ai dit"; àif-dl-ma
(Kdj-dl-ma, non d'une grotte). Pellat, pour un texte recueilli parmi les dbddba de
Missour, décrivait plutot un [k] spirant. On retrouve ce [k] à Msdk, village arabo­
phone du Rif - les parlers riffains avoisinants ont la même spirantisation ([k] ·comme
/ch/ de ich "je" de l'allemand). Colin, Notes... p. 41, notait chez les Branes et Tsoul un
/KI toujours "moui/ié", "la palatale dépassant ce stade d'atténuation s'accompagne
parfois de la chuintante /SI et donne approximativement le complexe [KSy]".

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décrits par Colin ou, plus récemment, par des étudiants de mon séminaire de
quatrième année de licence.
En l'absence de département de· dialectologie marocaine dans nos
universités, et en attendant mieux, des collègues de divers départements de
langues acceptent de diriger thèses et monographies dont la matière
enquêtée, arabe ou berbère, est recueillie, tant qu'il en est temps, dans notre
terroir national. C'est ainsi que mon séminaire de dialectologie marocaine au
département d'espagnol de la Faculté de Rabat a pu, à travers une série de
monographies, basée sur des textes dialectaux transcrites et étudiées en
commun, augmenter le volume des matériaux nécessaires aux études dialec­
tales. Nous disposons aujourd'hui de textes, de-relevés lexicaux, de
remarques phonétiques et morphologiques permettant une connaissance
concrète des parlers de Casablanca, Lacyun (Hassaniya), Azemmur, des
vocabulaires maritimes, du football, des jeunes de tel quartier...
Mais ce qui intéresse directement notre sujet ce sont les monographies
concernant les parlers de Meknès, Marrakech, citadins fortement marqués
d'influence bédouine, les parlers jebli de Wazzan, Srema (Sanhaja de
l'Wergha de Ms;,k, dans le Rif central, les parlers féminins de Salé et Rabat -
y compris celui des femmes du quartier bhira -, le parler juif d'Inezgane,
celui des Beni Emir dans le Tadla, paysans qui se disent hilaliens, mais dont
le parler présente des traits qui font penser à un substrat pré-hilaliens de
berbères arabisés Mostacrabin<21 l.
(21) Les monographies de licence d'espagnol sont évidemment traitées dans cette langue.
Elles portent sur les parlers berbères, le judéo-espagnol du Maroc (Hakitiya) .. Dans le
domaine arabophone, les travaux suivants ont été réalisés
-Parler de Casablanca :
Tarik Chakir, El habla maritima de Casablanca (année universitaire 1989-1990);
Nezha Gadri, El hablajuvenil en Derb Chorfa (1990-1991); Asma Kertaoui, La mujer
en los proverbios marroquies (1991-1992); Abdenbi Intissar, Lenguajefutbolfstico en
Casablanca (1992-1193).
- Parlers des Jbala :
Aziz Khoukh, El hablajebli de la ciudad de Wazzan (1992-1993); Amal Maghdad, El
habla ârabe en el aduar de Msdk (1992-93) ; f:{akima Abou El 1:Iaja, Habla tirabe en
duwwar $rea(tribu bni Qorra, prov. de Tawnat), 1994-1995.
- Parlers féminins :
Sana Cherkaoui, El habla femenina en la antigua medina de Rabat (1992-1993) ;
Asma Rachid, El hablafemenina de Salé (1993-1994).
- Parler juif: Abdess�mad Essaoui, Dialecto de los hudéos en lnezgane ( 1989-1990).
- Azemmour : Abdelmajid Moutanna, El habla ârabe de la antigua medina de
Azemmaur (1991-92).
- Meknès : Kaltoum Bellakhal, El 'rabe de la antigua medina de Mequinez (1994-95).
- Marrakech : Latifa Otite, El habla de los artesanos de Marrakech ( 1994-95).

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Il en résulte une moisson d'informations permettant d'actualiser notre
vision des traits et tendances pré-hilaliens, en attendant d'autres données.

TRAIT, TENDANCE, NORME ET SOUS-NORME


C'est une tautologie que de rappeler que les parlers d'une même
couche historique ne présentent pas les mêmes traits, ce qui en ferait un seul
et même dialecte. La variation reflète la diversité des facteurs : époque et
conditions de formation, variété des substrats (berbères ou non ; roman en
Andalus) - et adstrats (arabo-hispanique et/ou bédouin, selon qu'il s'agit des
parlers du nord ou de ceux de Meknès et Marrakech), conditions sociales -
femmes, minorités - ou culturelles, selon qu'il s'agit d'une population campa­
gnarde peu cultivée ou, au contraire, d'un milieu ayant connu un réseau
d'écoles coraniques et de zaouïa relativement dense (Jbala), voire l'atmo­
sphère d'une capitale spirituelle comme Fès ...
Néanmoins, quelques traits suffisent à former un faisceau donnant un
air de famille à des parlers peut-être éloignés, géographiquement ou sociale­
ment : ces faits linguistiques, ni nécessaires, ni suffisants à eux seuls (tant de
traits marocains sont communs aux parlers pré-hilaliens et hilaliens) peuvent
n'être que des tendances combattues par l'autocorrection et donnant lieu à
des hésitations, doublets. D'autres faits anciens ont pu déboucher sur des
évolutions différentes, mais apparentées. Un exemple : certains parlers pré­
hilaliens n'ont qu'une forme pour la 2 ème personne du singulier à l'inac­
compli; il en est ainsi des parlers jbala et juifs (ad;;,kt;;,b ; ka t;;,kt;;,b) ; chez
les Beni Emir, une forme unique aussi, mais féminine : tatkt;;,bi (t;;,'nit
lmoçlare '); n'est-ce pas, dans le fond, une même. tendance à gommer la
distinction de genre à la 2e personne? N'est-ce pas le même phénomène qui
a unifié les formes de 2e personne de l'accompli précisément sous les
couleurs du féminin t;;, 'nit;;,/ maçli)?
Certaines tendances ont pu apparaître à une époque relativement
ancienne : n'en est-il pas ainsi du zézaiement commun aux femmes de Fès et
Rabat, au vieux meknassi, au Bni Emir du Tadla et à la plupart des juifs?l 22l.
- Gharb: Laila Ghmiris, El habla 6rabe de Aït 'li u L;;,(ls;;m (aSSawi_va d-zdmmur),
1992-93 (Fac; d'Aïn Chock, Casablanca).
- Tadla: El Habib Naji, Dialecto de Bani Emir (1989-90).
- }fassaniya : El Ali a Bouchraoui et Soukina Khayati, El habla de Wayun ( 1990-91 ).
:22) Le zézaiement n'est pas caractéristique de tous les parlers juifs : celui de Debdou et des
juifs de !'Oriental (Taourirt, Missour, Outat cl Haj, etc.) dont le peuplement juif prove­
nait de Debdou, respecte la distribution s/5 et z/Z de l'arabe général.
Certains parlers juifs d'Oranie présentaient naguère une tendance à chuinter les sin.
Alger-juif ne zézayait pas (voir Marcel Cohen, Le parler arabe des Juifs d'Alger, Paris,

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Ce relâchement dans la prononciation aurait, dans ce cas, été corrigé, chez
les hommes à Fès (à Rabat il apparaît encore sporadiquement) sous l'effet
d'une norme classicisante, tandis que ce souci "puriste" ne se serait pas fait
sentir dans des secteurs moins sensibles au prestige de la fosba : femmes,
juifs, paysans à Tadla et dans une ville comme Meknès, dont l'accès au rang
de capitale a été tardif (]Se siècle).
Un irait "fautif" apparu chez les enfants peut être corrigé par la norme
des adultes, ou par un langage à prestige. C'est fréquent. Beaucoup de Jbala
prononcent hamza pour qaf dans leur jeune âge, avant de se corriger. Non
corrigée, une variante devient sous-norme : norme du parler féminin par
exemple, dans une société compartimentée, où les femmes n'étaient pas
censées aller à l'école, où la pudeur faisait même naître chez elles la crainte
de passer pour des "précieuses ridicules"...
Parlers non corrigés, parlers de néophytes bilingues aussi voilà qui
repose de façon directe la question de l'influence des substrats dans l'appari­
tion - pui_s la durée - de certains traits et tendances phonétiques (spirantisa­
tion: assourdissements de /d/; /b/) et morphologiques (calques, emprunts de
morphèmes comme le a préfixé (ex: ag;;,rbi "vent d'ouest" ad;;,qqa "argile")
à côté du ta... t des noms de métiers et de qualité, d'emploi général. Il ne
s'agit cependant pas de tout imputer au substrat - il est des évolutions spon­
tanées "universelles" -mais d'ouvrir les yeux sur un bilinguisme vivant
depuis des siècles pour émettre des hypothèses sérieuses.
Le bilinguisme de longue durée permet même de mettre à contribution
le vocabulaire arabe contenu dans le berbère pour tenter de découvrir le
lexique pouvant avoir appartenu à l'arabe pré-hilalien. Ainsi le terme ftor a
le sens de "déjeuner de midi" en tachelhit (l;;,j/urll;;,fç/ur) et en riffain
;;,r;;,fç/or, comme dans les parlers juifs et ailleurs.
Autre terme "pré-hilalien" qu'il faut aller chercher... en arabe hispa­
nique, arabe pré-hilalien s'il en fut. ç/are : "habitué à", attesté au Tafilalet et
Oujda et Fès musulmans.A Fès juif, on n'emploie pas seulement le participe,
mais, comme en Andalousie, le verbe dra I idri I diire "être habitué à". La
seule différence est l'absence d'emphase alor que P. de Alcala donnait une
forme emphatisée du clas dara.

1902). Pour la distribution s/5 et z/Z à Tunis juif qui dénote le chuintement s>S et z>Z
dans certains mot (me.Skin "pauvre", /si.in "langue" ; faytun "olives", ldi;im "il faut",
etc.), voir l'étude exhaustive de David Cohen, Le parler arabe des juifs de Tunis, tome
II, Mouton, The Hague-Paris, 1975, pp. 20 à 26.

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D'AUTRES TRAITS À ENVISAGER
Au terme de ce tour d'horizon il convient de proposer de nouveaux
traits et tendances "pré-hilaliens", étant entendu qu'aucun trait n'est néces­
saire ni suffisant pour caractériser un parler, et qu'il ne suffit pas qu'un trait
apparaisse en un lieu pour en faire une pierre de touche, car - en plus de
mille ans d'histoire linguistique, maints mélanges, emprunts et "contamina­
tions" se sont produits.
Tout d'abord la tendance au zézaiement, tendance corrigée ou non chez
les hommes, moins souvent chez les femmes de l'ancienne génération,
jamais chez les juifs ... elle peut, sporadiquement chez certains locuteurs
(juifs) originaires de quelques villages du Sous se traduira par un chuinte­
ment des sin neutralisant l'opposition sis en une réalisation en !si.
Les réalisations du /q/ décrites habituellement comme citadines ou
montagnardes sont /q/ et /'/ (hamza). Il faut y ajouter /k/ que Marçais décri­
va:it pour les Trara d'Algérie qui était aussi fréquent à Grenade - et qui est
encore marocains, parlers juifs du Draa, Debdou et tafilalet ainsi qu'une
bonne partie des locuteurs juifs d'Essaouira, Jdida, Azemmour) ...
C'est ce que les anciens appelaient h;;,çlra ssg,;ra par opposition à
h;;,dra b;;, lqala (qui, paradoxalement, renvoie au parler à qafhamzé ['].
Le Kaf (/k/ peut être lui aussi affecté, soit dans des parler à/ = q/, par
une palatalisation signalée par Colin (nord Taza : Ksy), soit par spirantisa­
tion /KI>[½:] semblable à celle qui frappe le /KI en riffain (parler arabe de
Ms;;,k ; Rif central). Dans les parlers juifs de Debdqu et tafilalet qui articu­
lent [k] pour /q/ la tendance à la palatisation - dissimilatoire? - donne une
affriquée /ts/ (tsan = kan; "il était" ; /]ils : Elik "sur toi") à Debdou, et ts<t
au Tafilalet par suite du passage systématique de /si à /s/. On relève aussi
des cas de /KI>['] à Sefrou juif (hado' < haduk "ceux-là" ; 'on<Kun "sois" ;
bnd'om "chez vous") davantage chez les femmes<23l. La même évolution
est relevée jusqu'à présent chez les derniers représentants - ou plutôt repré­
sentantes - du parler du quartier Bhira de Rabat, parler de descendants de
juifs convertis à l'Islam vers 1808-1810 (Ex. : Kay;;,]:ikiwli>aya]:i'iwli "on
me raconte 11 )C24).
Toujours dans le domaine phonétique, on peut signaler dans les parlers
jbala et juifs (au nord de Rabat) une tendance à l'assourdissement de Id!
emphatique et /t/ 'modal:> motaé "lieu" ; c;low > tow "lumière"). Plus spora-

(23) Voir Still man, op. cit., et aussi Lévy, Parlers arabes des juifs, op. cit.
(24) Sanaa Cherkaoui, El hablafemenina en la antigua medina de Rabat, op. cit.

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diquement, cet assourdissement peut toucher le /b/ > [p] (parlers jbala et
juifs).
Un vocalisme "fermé" - à défaut d'un terme plus approprié pour
regrouper des manifestations diverses, allant d'une extension du traitement
shwa /c,/ des brèves, à une imala finale [a], au passage de /u/ à [êi] - se mani­
feste dans divers parlers pré-hilaliens, tandis que d'autres en sont exempts,
ou moins touchés Ainsi, chez les Jbala on trouvera un pronom enclitique de
3e pers. du pluriel hc,m à côté de shwa "colorés". L'imala finale [a] est l'apa­
nage - jusqu'à plus ample informé - de Sefrou et Meknès juifs, ce dernier
parler affectionnant par ailleurs les /a/ et /e/ brefs(ZS)_ Le trait le plus
fréquent est la réalisation (êi] du /u/, généraleme,ü au début ou à l'intérieur
du mot (exceptionnellement à Meknès juif, en finale). Il va sans dire qu'un
envitonnement emphatique annule ce tarqiq.
La réduction des diphtongues (primaires et secondaires) est le cas le
plus fréquent. Mais certains parlers (Jbala, Tétouan, Tanger, Marrakech juif,
Safi juif) tendent à maintenir baait "fil", tawr "taureau", etc.
La morphologie présente des variantes dont certaines sont typique­
ment pré-hilaliennes (préverbes du présent ka-, 'a-, la-, daJ26); relatif di;
préposition d- du génitif; pronom sujet de 2° pers. du sing. à un seul genre ;
conjugaison au genre non marqué à la 2e pers. du sing. de l'inaccompli et de
l'impératif). Les parlers é.robi emploient le préverbe ta ; l'usage de cette
particule s'étend dans des villes comme Casablanca, marrakech... , Meknès.
Il n'est pas exclusif des parlers "hilaliens". (ta domine largement dans les
parlers juifs de Marrakech, Safi, El Jadida, Beni Mellal). Au Tafilalet, le
parler juif réalisant /t/ pour /k/, on a naturellement ta, mais en alternance
avec ti (1ère et 2ème pers. du sing.). Cette alternance ta/ti doit être rappro­
chée du préverbe ka/ku décrit par Philippe Marçais pour l_e parler de
Djidjelli<27l.

(25) Voir Simon Lévy, "Vocalisme comparé des parlers judéo-marocains", Actes des
premières journées internationales de dialectologie arabe de Paris, INALCO, Paris,
1994, pp. 267-277.
(26) Eabdel Moneim éabdel éal, lahZat Samal al Magreb, Titwan wa ma hawlaha, Le
Caire. 1968, p. 128, signale une particule de .d (? ) dans le nord marocain.
Pellat avait relevé ml à Missour chez des juifs originaires de Debdou (voir note 18) et
suggérait un "emprunt au berbère IQ.al particule de l'asrite intensif dans un certain
nombre de parlers". Chez ses informateurs elle était seule employée "à l'exclusion de m.
ou de fil!". Nous en avons noté l'einploi (avec !a) chez des juifs originaires de Debdou
vivant à Midelt en 1972.
(27) Philippe Marçais, Esquisse grammatica, op. cit., p. 72.

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Ces divers traits et tendances peuvent aider à la classification des
parlers de terroirs, voire à leur histoire. Ils ne sont pas exhaustifs : d'autres
indications apparaîtront avec le déploiement de la recherche dialectale.
Encore faut-il que celle-ci s'étende rapidement à l'ensemble du territoire
national, avant que la tendance dominante - et naturelle - à l'unification n'ef­
face, avec la disparition des vieilles générations, les anciennes modalités
locales.

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