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Anaphore et récit
In: Communications, 16, 1970. pp. 133-142.
Lonzi Lidia. Anaphore et récit. In: Communications, 16, 1970. pp. 133-142.
doi : 10.3406/comm.1970.1232
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_16_1_1232
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étions très jeunes) qui désigne et introduit les protagonistes du roman, le prota
goniste qui parle et ses homologues (on ne s'attend pas à un nous de lere -f- 2eme
personne, puisqu'il ne s'agit pas d'un poème) ; nous nous bornerons cependant
aux signes de re-présentation, de rappel d'une mention antérieure. Ce qu'on
vient de dire pour la première et deuxième personne s'appliquerait également aux
temps verbaux.
Nous proposons d'appeler anaphoriques les formes qui relèvent de la clôture
d'une séquence (dans le sens de Bremond) parce qu'elles incorporent l'article
défini, étant déterminées par leur antécédent (par exemple, par rapport à un
départ qui a été introduit dans le récit, il y a le retour) ; des locutions adverbiales
aW imbrunire (à la tombée de la nuit) par exemple, peuvent ainsi perdre leur va
leur générique et devenir des anaphoriques si elles répondent à un antécédent
temporel. Un mot peut enfin, par sa signification même, renvoyer à un antécé
dent,le verbe seguire (suivre) par exemple, ou faire partie d'un couple de deux
termes opposés dans le corps du discours, et dont chacun évoque l'autre par con
traste : la notte (la nuit) est encore en ce sens, une locution adverbiale, susceptible
de devenir anaphorique.
Nous entendrons donc par anaphore le renvoi à un antécédent qui précède
réellement le terme anaphorique dans le texte. Par là, nous nous opposerons d'une
part à une utilisation purement interprétative de cette notion (c'est-à-dire à une
extension du contexte discursif au contexte situa tionnel), et d'autre part à une
utilisation purement théorique qui ne tiendrait pas compte du discours en tant
que tel. On se référera à ce sujet à l'usage du terme d' anaphore en grammaire ge
nerative : l'antécédent ne précède pas nécessairement et l'anaphorisation peut
opérer dans les deux sens au niveau de la structure de surface *. Soit encore le
paradigme de la pronominalisation : 1. Jean viendra s'il peut; 2. * II viendra si
Jean peut (où il ne peut pas se référer à Jean) ; 3. Si Jean peut il viendra ; 4.
S'iZ peut Jean viendra. S'il est permis d'affirmer, en termes transformationnels,
que la pronominalisation « ne fonctionne pas en arrière » (voir la phrase 2), c'est
parce qu'on fait état de la relation des phrases dans la structure profonde, où
la phrase principale précède toujours la subordonnée, et où (4) n'est pas possible.
Pour nous, ici le pronom est anaphorique en (1) et (3), cataphorique en (4).
Nous appelons tous ces éléments connotatifs parce que, si du point de vue de
l'analyse ils renforcent la narration en tant qu'opération, du point de vue de la
lecture ils participent à la constitution de l'équivalence : succession dans le
temps = logique des événements 2. Leur caractère conventionnel (dans le sens
de la convention qui est nécessaire à la communication) est lié d'une part à leur
caractère non obligatoire (« le retour » peut ne pas être mentionné et même il
peut être « sauté »), d'autre part à des règles de réalisation qui se trouvent assi
milées par le lecteur cultivé. On fait par là allusion au phénomène particulier de
la répartition en chapitres (qu'ils soient numérotés, simplement séparés par des
blancs ou, au contraire, pourvus de titres), et à la position privilégiée que le début
de chapitre détient dans le discours. A toute ouverture de chapitre le choix du
narrateur par rapport au discours — consécutif, consécutif discontinu, purement
1. Voir Paul M. Postal : « Anaphoric Islands », Papers from the Fifth Regional Meet
ings Chicago Linguistic Society, April 18-19, 1969, p. 205-239, en particulier p. 231.
2. Voir Roland Barthes, « Introduction à l'analyse structurale des récits » Communi
cations 8, p. 10 en particulier.
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anaphorique, libre * — répond bien à une attente ; on peut même y trouver des
formes elliptiques, par exemple quand la pause est tacitement entendue comme
une portion du temps diégétique. Il s'agit d'un passage obligé dans lequel le
discours est à découvert et l'anaphore peut devenir un élément de consecution
qu'on substitue à l'absence de consecution diégétique (dans le cas du consécutif
discontinu c'est encore l'anaphore qui constitue très souvent un élément de tran
sition, mais il s'agit alors de cas qui ne sont pas purement anaphoriques).
Dans la première partie de chacun des trois romans de La bella estate ce sont
les chapitres à début anaphorique qui sont les plus nombreux, tandis que dans
la deuxième ce sont les chapitres à début proprement consécutif. Tout se passe
comme si la narration affectée au départ par des problèmes d'introduction et
d'enchaînement* visait une sorte de naturel, qui ne peut pas être suggéré mais
doit s'imposer de lui-même. Les événements sont présentés d'abord comme conséc
utifs, par des procédés de rappel qui tendent à dissimuler leur aspect logique,
puisque précisément la logique véritable du récit est, institutionnellement, la
consecution des événements, qui prévaut ici en tant que telle dans l'épilogue.
Dans ce schéma ' le roman central // àiavolo sulle colline, s'inscrit selon des modal
itéscomplexes. On y reconnaît trois parties, concernant respectivement la ville
des étudiants, la campagne traditionnelle, la « villa ». Dans la première partie
nous trouvons quatre personnages de ces trois mondes, dans la deuxième et la
troisième nous en suivons deux, chacun dans son monde. Mais tandis que dans
la troisième les trois autres sont eux aussi présents, dans la deuxième c'est le
personnage de la troisième qui est absent, de façon qu'on suit constamment trois
personnages et non pas le personnage-narrateur seulement, et l'histoire est un
affrontement des trois avec l'Autre. Les vicissitudes concernent le sort du dia
logue : sans cesse mis en jeu dans la première partie — nous y avons compté une
dizaine au moins d'allusions explicites, auxquelles il faut ajouter une quantité
de phénomènes discursifs et diégétiques relevant de la suprématie de la parole et
qui vont de la fonction narrative de la réplique (phénomène discursif) à la subor
dination de l'action par rapport au mot (phénomène diégétique) *, dans la
1. Pour la consécutivité nous reprenons les termes de Christian Metz. Cf. « Problèmes
de dénotation », dans Essais sur la signification au cinéma, Paris, Klincksieck, 1968.
2. Résolus essentiellement par des symboles-index linguistiques, selon leur pleine
valeur de référence au message et à la situation ; ce qui permet d'inclure avec les ana
phoriques, les « embrayeurs » verbaux (cf. Jakobson, op. cit.) ceux au moins de la classe
des désignateurs (pronoms personnels et temps).
3. La représentation de ce schéma serait la suivante.
C logique -> anaphorique
lien <
l narratif ( sans intervalle -> consécutif continu
\ f défini -> consécutif discontinu
(. avec intervalle <
(^ indéfini ->• libre
4. Pour la fonction narrationneUe des répliques, voir, outre le procédé très employé
de substitution de l'action par la résolution déclarée, les passages suivants : ch. I : « Ses
phares sont éteints », dit Oreste ; ch. I : « II a l'air mort », dit Pieretto ; VI : « II est tou
jours le même, dit-il, il lit du Nino Salvaneschi », etc.
Pour la subordination de l'action par rapport au mot : II : Tout en inondant un buisson
il cria : «... » ; III : Nous reparlâmes, en nous éventant... VIII : Linda, de la roche sur
laquelle elle était étendue, lui dit de se taire.
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ou moins dissimulée, nous tenons ce début comme le plus lié ; partant il est le
plus faible du point de vue de la connotation narrative, face au début libre, qui
en serait le degré fort, avec les deux états intermédiaires du consécutif ; et selon
ce critère le consécutif discontinu serait le plus significatif : en effet en indiquant
que des passages ont été sautés, il fait allusion à une hiérarchisation des événe
ments. Entre un début de chapitre et la fin du précédent on peut donc avoir des
cas de neutralisation (dans une reprise du type consécutif continu l'anaphore
n'est pas utilisée en tant que telle), ou bien de valorisation réciproque ; l'anapho-
rique réintroduit un début, parallèle au premier, exactement comme le début
libre, mais il ne peut y avoir de réajustement de perspective. Si nous ne parlons
que du début c'est parce qu'il permet d'isoler l'anaphore et, certains critères une
fois établis, ce qui n'est pas encore le cas ici, d'en dégager mécaniquement la
caractérisation du passage au point de vue discursif. Le tableau suivant doit
donc être envisagé comme une illustration de cette caractérisation, et non comme
une justification complète. Il nous a paru préférable de donner le texte original,
ainsi qu'une traduction aussi littérale que possible *.
1. Nous nous sommes servis de la traduction de Michel Arnaud (Paris 1955), tout en
y apportant des modifications tendant à la rendre plus littérale.
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DEBUT PBEMIÈRE PARTIE DEUXIEME PARTIR TROISIÈME PARTIE
1. Dans Deep Structure, Surface Structure, etc. Pour les problèmes de la présupposi
tion en grammaire generative, voir, en opposition à Chomsky, Laurence R. Horn, a A
Presuppositionnal Analysis of only and even » et, en particulier, Jerry L. Morgan, « On
the Treatment of Presupposition in Transformational Grammar », Papers from the Fifth
Regional Meeting Chicago Linguistic Society, p. 98-107 et 167-177. L'action de la pré-
supposition s'entendrait, pour Morgan, d'une phrase à l'autre tout le long du discours,
selon des règles partagées avec les « verbes créateurs d'un monde », world creating verbs,
comme les appelle Lakoff, tels que songer, imaginer, etc. (c'est à dire selon l'action
d'autres composants de la signification, indépendamment de l'accent ou de 1' « ordre des
mots » dans chaque phrase). Mais il ne s'est occupé pour le moment que de faits lexicaux.
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1. Vendler, dans le livre cité, voit dans la proposition relative restrictive et identifiante
une implication d'existence qu'il ne voit pas dans la restrictive non identifiante (dont la
valeur de vérité ne serait que conditionnelle). La présupposition par extraction du thème
serait donc expliquée dans les cas anaphoriques, où la restrictive est toujours identi
fiante, tandis qu'ici les cas cataphoriques doivent nécessairement être exclus à cause de
leur caractère explicite, déclaré ; dans les formes homophoriques, puisqu'il n'y a pas
d'implication d'existence (narrative), il est clair qu'on a recours à des notions suppos
éesou imposées : ce que nous avons appelé artifice d* « introduction ». Pour Emmon
Bach, voir « Nouns and Noun Phrases », dans E. Bach et Robert T. Harms, Universal» in
Linguistic Theory, Holt Rinehart and Winston, 1968.
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Mais aussi :
— Et après?
(Après) présupposition, (L'aube nous trouva etc.) focus : tout le début constitue
rait le focus de la proposition. Cette troisième lecture est en fait possible, et cette
possibilité même, fait partie, d'une façon privilégiée, de la nature « libre » de
l'énoncé.
Enfin, dans XXIX, à présent est une formule narrative essentiellement libre,
même si la légère opposition au passé qu'elle implique lui confère une valeur
vaguement anaphorique. Très souvent le fait que la détermination temporelle
entre dans le focus ou dans la présupposition n'entraîne pas de différences de
lecture, mais il y a une tendance à reprendre le discours avec cette déterminat
ion. Nous abordons peut-être des schémas narratifs minimums, des formules
neutres : l'on ne perçoit pas que le narrateur prend pour thème le « lendemain »
au lieu d'un élément de l'action qui se passe le lendemain. On voit là encore le
pouvoir de l'anaphore puisque le a lendemain », à la différence d'autres détermi
nations temporelles, cache en soi sa propre justification en se rattachant à ce
qu'on vient de raconter (ce que le nom même d'un personnage ne fait pas). Dans
la liberté finale on retrouve bien une exploitation maximum de la « position »
constituée par le début de chapitre (en utilisant un terme accepté on pourrait
parler de valeur « iconique » de celui-ci) : la simulation de la consécutivité et la
consécutivité littérale une fois dépassées, les événements s'imposent par leur
« sens », le discours fait de plus en plus allusion à la présence d'un sens en soul
ignant les événements en tant que tels (il y a aussi une voie explicite pour les sou
ligner : XXVII « C'est ainsi que commença cette nuit qui devait être la dernière » ;
XXVIII a il était pâle, mais tout désormais avait l'air pâle »; dans la dernière
page le souvenir du pur événement du début : « Moi je pensais à cette nuit sur la
colline, où l'auto verte était apparue dans les arbres... »). Mais il n'y a pas de
rupture, et en remontant dans ce texte on retrouve nécessairement le signe de
cette présence de sens dans l'élément anaphorique le plus infime.
Nous avons considéré ici essentiellement les éléments de représentation li
nguistique dans la narration (face à ceux d'introduction par exemple, ou à ceux
d'anticipation). Il nous semble que ceux-ci, en tant qu'opposés à toutes les réfé
rences explicites auxquelles l'écrivain peut avoir recours pour se rapporter à un
contexte antécédent, c'est-à-dire en tant qu'éléments formels tout à fait équiva
lentsgrâce à la réduction des traits pertinents à un seul et même aspect grammati
cal, peuvent être envisagés comme éléments possibles de connotation littéraire,
en d'autres termes comme éléments fonctionnels possibles, en littérature, dans
la production d'un sens supplémentaire mais formel (circonscrit au récit). Ce
sens nous apparaît, selon Barthes d'ailleurs, comme la présence d'une significa-
tivité, la justification constante et implicite de la narration. Nous avons essayé — ■
à travers une lecture de Pavese — de montrer comment et à quelles conditions,
dans les débuts de chapitre nommés « anaphoriques », ces signes linguistiques
fonctionneraient donc au niveau du « discours » narratif.
Lidia Loira