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Robel Léon. Problèmes théoriques de la traduction de la poésie russe en français. In: Revue des études slaves, tome 47,
fascicule 1-4, 1968. Communications de la délégation française au VIe Congrès international des slavistes (Prague,
1968) pp. 123-128;
doi : https://doi.org/10.3406/slave.1968.1962
https://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1968_num_47_1_1962
DE LA TRADUCTION
PAR
LÉON ROBEL
3.2. Une remarque de Boris Pasternak nous semble indiquer de quel côté
devrait se porter la recherche :
Он [Андрей Белый] вел курс практического изучения русского
классического ямба и методом статистического подсчета разбирал вместе со
слушателями его ритмические фигуры и разновидности. Я не посещал
работ кружка, потому что, как и сейчас, всегда считал, что музыка
слова — явление совсем не акустическое и состоит не в благозвучии
гласных и согласных, отдельно взятых, а в соотношении значения речи
и ее звучания ílJ.
Nous n'entendons nullement contester la valeur des recherches faites dans
la ligne de Белый, mais marquer qu'elles ne peuvent avoir pour notre projet
qu'un intérêt secondaire (puisqu'elles ne peuvent nous permettre de sortir
de l'impasse).
3.3. Les travaux des spécialistes du rythme, de Paul Fraisse en particulier &\
montrent bien que le « rythme pur » est une notion très pauvre qui n'implique
pas même la périodicité d'une répétition, mais un simple ordre temporel des
phénomènes.
Il n'y a pas de perception du rythme sans expérience de V accent, c'est-à-dire
d'une stimulation se détachant des autres à quelque égard. Cette expérience
est toujours une activité et cette activité ne peut s'exercer convenablement
« à vide » en dehors d'un contexte affectif et signifiant. Le rythme est
l'expression d'un contenu.
Un mouvement rythmique donné se distingue de tout autre en ce qu'il n'a
et ne peut avoir qu'une expressivité bien définie.
Selon la formule de Téplov « le sentiment du rythme est toujours
l'expérience affective de la correspondance entre le cours temporel donné d'un
processus et le contenu de ce processus. S'il n'y a pas de contenu, il n'y a pas non
plus de correspondance, ni par suite de place pour le sens du rythme » (3).
L'expérience, aisément réalisable, de pièces de poésie reconnues à travers une
déclamation abstraite (ta-ta-tam, ta-ta-tam) montre bien que le rythme ne s'y
identifie nullement au schéma métrique, mais qu'il a une existence individuelle
que le récitant évoque, notamment par l'intonation, en se référant en pensée
au texte.
4.0. Arrivé à ce point de notre exposé, nous devons relever une observation
d'un des plus célèbres et des plus savants traducteurs russes de poésie
française, Михаил Лозинский :
Звукопись, звуки слов в стихах, всего ярче воздействуют на нашу
амоциональность. Это не просто музыкальный звук, так или иначе нас
настраивающий. Звучат слова, а слова — носители мыслей, образов,
п° (D
7, р.
M. 164).
Л. Лозинский, « Искусство стихотворного перевода » (Дружба народов, 1955,
<2) В. Шкловский, Шили-были, М., 1964, р. 306.
(з) Nous faisons nôtre sur ce point la conclusion de l'excellente étude que Jean-Claude
Chevalier a consacré au calembour chez Apollinaire dans la revue Europe (nov.-déc. 1966) : « II
[le calembour] est l'acte poétique par excellence puisqu'il instaure la puissance de création
poétique dans le domaine du langage qui est immotivé, dans le domaine de la forme, auquel il
donne une signification. (...) Le calembour (...) apporte la preuve que la poésie n'est pas une voie
détournée, une broderie, une décoration, c'est un essai pour trouver un chemin de traverse, un
raccourci qui conduise à la réalité ».
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