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LA LANGUE BERBÈRE

MORPHOLOGIE
,
LE VERBE. - ETUDE DE THÈMES
(Ç)L'Harmattan, 2004
ISBN: 2-7475-7278-1
EAN : 9782747572781
André BASSET

LA LANGUE BERBÈRE

MORPHOLOGIE
,
LE VERBE. - ETUDE DE THÈMES

Préface de Lionel GALAND


Réédition et indexation de Larbi RABDI

L'Harmattan L'Harmattan Hongrie L'Harmattan Italia


5-7,rue de l'École- Kossuth L. u. 14-16 Via Degli Artisti, 15
Polytechnique 1053 Budapest 10124 Torino
75005 Paris HONGRIE ITALIE
FRANCE
VII

Préface
Même si les publications vieillissent moins vite dans le
domaine des sciences humaines que dans celui des sciences dites
exactes, on peut se demander s'il est utile de rééditer, en ce début de
millénaire, un ouvrage publié en 1929. Dans le cas de l'étude d'André
Basset sur le verbe berbère, je n'hésite pas à répondre oui, et cela pour
plusieurs raisons.
En premier lieu, c'est ce travail qui a hissé les études berbères
au niveau des recherches menées dans les autres secteurs de
l'investigation linguistique. René Basset, père d'André et
« orientaliste» distingué, comme on disait alors, avait eu le mérite
d'installer ces études dans le cadre universitaire: en témoignent les
nombreuses descriptions de dialectes qui sont venues, à cette époque,
enrichir les collections de la Faculté des Lettres d'Alger. Mais ces
travaux, si précieux qu'ils soient encore, s'adressaient d'abord à un
public régional et ne figuraient pas à part entière, me semble-t-il, dans
la production scientifique internationale. Leurs auteurs étaient avant
tout des hommes de teITain et, certes, n'en méritent pas moins estime
et gratitude, mais ils s'attachaient avant tout au Maghreb et n'avaient
pas vocation à communiquer avec les linguistes travaillant sur d'autres
langues que le berbère ou l'arabe. André Basset, lui, avait fait des
études classiques, il s'était initié à la linguistique romane et formé
auprès de maîtres comme J. Vendryes. À une époque où l'attention
des chercheurs se portait encore, avant tout, sur les langues écrites et
plus particulièrement sur les langues classiques, il était donc prêt à
montrer que le berbère, ce parent pauvre, pouvait lui aussi bénéficier
de la méthode comparative alors dans tout son éclat.
Mais le livre de Basset n'est pas seulement un jalon dans
l'histoire des études berbères. On y trouve les principes mêmes de
l'organisation du système verbal et, malgré l'évolution inévitable - et
souhaitable - des analyses, malgré les fluctuations de la terminologie,
il a fourni et fournit encore le cadre de nombreuses descriptions. C'est
que Basset respectait scrupuleusement les faits. Il ne disposait pas de
la documentation, plus riche et souvent plus précise, qui s'est
accumulée depuis sept ou huit décades (et dont une partie lui est due),
mais il pouvait quand même exploiter des données assez variées pour
justifier une étude comparative et son livre montre qu'il les avait
toutes prises en compte. C'est pourquoi, quel que soit l'éclairage
VIII

apporté par d'autres réflexions et par d'autres théories, on retrouve


toujours les grandes lignes du tableau qu'il a tracé.
Influencés par la grammaire arabe, les auteurs qui l'avaient
précédé, et parmi eux René Basset lui-même, n'avaient pas clairement
reconnu la place du thème verbal alors appelé « forme d'habitude» et
ne le séparaient pas nettement des divers dérivés, allant même jusqu'à
donner des numéros à toutes ces formes, comme on le fait (ou faisait)
pour l'arabe. André Basset, dans le chapitre de plus de cinquante
pages qu'il a trop modestement intitulé « Introduction» et qui précède
l'étude des matériaux, affirme sans ambiguïté que ce thème (qu'il
devait nommer par la suite «aoriste intensif») «est un élément
nécessaire du système actuel », mais «un élément surajouté à un
système organisé en dehors de lui ». S'appuyant sur la morphologie,
qui offre à la comparaison des bases plus sûres que la syntaxe, il
montre que la « forme d'habitude» est étroitement liée à l'aoriste et il
met au point un classement des verbes qui repose sur les oppositions
entre aoriste et prétérit. Ce classement reste opératoire aujourd'hui,
même si l'on estime que, par un effet d'inertie dont on a d'autres
exemples, la morphologie conservatrice est en retard sur le
fonctionnement actuel des thèmes et que l'opposition centrale se fait
entre le prétérit (<<accompli») et l'aoriste intensif (<<inaccompli» ),
comme je crois l'avoir montré.
Non content de tracer ainsi les grandes lignes du système
verbal, André Basset a posé et parfois résolu de nombreux problèmes
qu'il est désormais difficile d'évoquer sans le citer. C'est ainsi qu'il
permet de mesurer les effets de l'analogie dans l'évolution des types
verbaux, tout particulièrement dans le cas des bilitères. Il amorce
l'étude des verbes qui présentent un redoublement ou un allongement,
ou encore un élément final -t (qui maintenant n'est plus considéré
comme un suffixe, mais qui mérite toujours l'attention). On retiendra
également son analyse des thèmes « à première radicale alternante» et
la distinction qu'il établit entre ces thèmes et les « verbes à première
radicale longue ». Il décrit très utilement les verbes à double
alternance vocalique, verbes «de qualité» notamment. Il procède à
l'examen critique du thème touareg nommé « présent» par le P. de
Foucauld et montre déjà qu'il n'a pas une valeur temporelle; on
admet aujourd'hui qu'il s'agit d'un résultatif. Ce ne sont là que
quelques exemples et le lecteur en découvrira d'autres, pour son
profit.
IX

Une chose peut surprendre cependant: ce livre, qui est une


thèse de doctorat, ne comporte aucune bibliographie et n'est complété
que par une table des matières réduite à sa plus simple expression, ce
qui ne serait guère admis de nos jours. André Basset en était conscient
et je tiens de sa bouche qu'il n'a soutenu, puis publié cette thèse que
sur les injonctions de Vendryes, plus pressé que lui. On saura gré au
maître d'avoir ainsi assuré une réalisation que les scrupules de l'élève
auraient peut-être retardée indéfiniment. Mais, depuis la sortie du
livre, plus d'un lecteur désireux de se renseigner sur tel ou tel verbe
aura pesté contre une présentation qui impose parfois une recherche
laborieuse. Aussi faut-il savoir gré à Larbi Rabdi d'avoir eu le
courage, non seulement de reprendre la totalité du volume, mais de
dresser l'index des formes berbères. En début de carrière, il aurait pu
donner la préférence à un travail plus spectaculaire. Ce que nous
souhaitions tous, il l'a fait, plus modestement. Grâces lui en soient
rendues!

Lionel Galand
Directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Correspondant de l'Institut
XI

Note de l'éditeur

La première question qui se pose au sujet d'un travail de


réédition est la suivante: "quelle en sera l'utilité?" Pour ce qui est de la
présente, c'est d'abord en tant qu'étudiant-chercheur que nous avons
été souvent amené à consulter ce livre et à constater, en même temps
que son utilité, combien il est difficile d'y accéder en dehors des
bibliothèques spécialiséesl. D'un point de vue strictement scientifique,
il n'est pas de berbérisant ou de chamito-sémitisant qui ne reconnaisse
l'importance de cet ouvrage ainsi que la pertinence de l'approche qui
y est faite de la langue berbère. Cette approche comparatiste mériterait
d'ailleurs d'être reprise à l'échelle de chaque aire dialectale2, d'autant
que nous disposons maintenant de moyens et de données que n'avait
pas Basset en son temps. On ne peut à cet effet que citer J. Lanfry, l'un
des éditeurs du Dictionnaire kabyle-français de J.-M. Dallet, quand il
eut découvert cet ouvrage: "Cette découverte fut capitale pour nous,
en nous révélant la langue berbère comme d'un sommet d'où nous
apercevions l'immense horizon. Le sujet précis que l'auteur traite et
que nous méditons est déjà une invitation à suivre l'exemple."
(Journée d'études de linguistique berbère, Sorbonne, 1989, p. 50). Le
témoignage de ce berbérisant est la preuve que ce travail est l'œuvre
fondatrice de la linguistique berbère moderne.
Car si la langue berbère a constitué un objet d'étude bien avant
la colonisation française, avec le dictionnaire de Venture de Paradis,
élaboré en 1799 et édité en 1844, cela ne doit pas nous faire oublier
que, le plus souvent, les premiers travaux ont été le fait d'amateurs

1 Deux éditions ont été faites de cet ouvrage, toutes deux chez Ernest Leroux. La
première, en 1929, portait le titre Le Verbe berbère, Etude de thèmes. Thèse
principale pour le Doctorat ès lettres, présentée devant la faculté des lettres de Paris.
La seconde, une réédition de la première, intitulée La langue berbère, Morphologie.
Le Verbe, Etude de thèmes, l'a été en 1930, à l'occasion du Centenaire de la
colonisation française en Algérie.
2 André Basset ne faisait-il pas remarquer dans une lettre au Père Dallet que «nous
ne pouvons jamais inférer que la langue d'un village est toujours absolument
identique à celle d'un village voisin et nous ne pouvons jamais prévoir pour chacune
des aires de faits linguistiques où passe exactement la limite. De là, pour nous,
l'obligation de considérer, au moins, chaque village comme l'unité de base... »
(Lettre d'André Basset à J.-M. Dallet, 27 juillet 1948, citée dans l'introduction du
Dictionnaire kabyle-français de J.-M. Dallet 1982, p. XVIII).
XII

(militaires, explorateurs, missionnaires, etc.). Il a fallu attendre René


Basset pour voir la langue berbère intégrer, sous son impulsion, le
champ des études universitaires, puis son fils André pour la soumettre
aux méthodes modernes de la linguistique.
On voit mieux maintenant l'importance de la remise de cet
ouvrage à la disposition des étudiants et des chercheurs. Ils y
découvriront, en même temps qu'un travail rigoureux fondé sur des
références crédibles et sur une analyse rigoureuse, les bases de la
morphologie du verbe berbère avec une vision d'ensemble de cet
immense domaine qu'est la Berbérie.
Pour ma part, répondant à un vœu exprimé par les professeurs
Lionel Galand et David Cohen, j'ai jugé utile de compléter cette
réédition par un index, afin que l'accès aux formes contenues dans
l'ouvrage soit facilité pour qui veut chercher un mot précis.

Larbi RABDI
Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle
AVANT-PROPOS XV

AVANT -PROPOS

La langue berbère, son domaine, son aspect. - Le berbère est parlé


de l'océan Atlantique à l'oasis de Siwa en Egypte, de la Méditerranée
au Sénégal, au Niger et à l'Air.
Il n'occupe pas seul cet immense domaine. Sans tenir compte des
langues européennes dont la pénétration est active, et des langues
nègres qui, au sud, l'avoisinent ou s'entremêlent à lui, il doit à l'arabe
de ne plus constituer un bloc continu. Sur une carte, les zones berbéro-
phones fonnent des taches, taches d'autant plus étendues qu'elles sont
plus à l'ouest.
La plus importante est constituée, au Maroc, par l'Atlas: Anti-
Atlas, Grand-Atlas, Moyen-Atlas. Elle se prolonge jusque dans le
département d'Oran, au sud-est par les oasis du Dades et la région du
Touat, au nord-est par les B. B. Zeggou, les Zkara et les B. Snous.
Un étroit couloir, le couloir de Taza, sépare les populations de ces
régions, de celles, également berbérophones, qui sont proches ou
riveraines de la méditerranée: Senhaja de Srair (partie), Rif,
Igeznaien, Ibdarsen, Iznacen, avec, dans le département d'Oran, le
petit îlot des B. B. Said.
Après une large coupure, on trouve, dans l'Algérie centrale, des
îlots au nord et au sud du bas Chélif, à l'ouest et à l'est de la Mitidja:
Ouarsenis, Djendel, Dahra, Chenoua, atlas de Blida. Ces îlots amènent
progressivement à une troisième grande masse: celle de la Kabylie.
La Kabylie, à son tour, est séparée par un couloir (région de Sétif)
de l'Aurès, nouvelle et vaste zone berbérophone, dans le sud du
département de Constantine.
En Tunisie, le Berbère est encore parlé, mais dans le sud seule-
ment, dans la région de Sened et des Metmata.
Dans la Tripolitaine du nord, c'est la langue du grand massif du
Djebel Nefousa.
XVI LE VERBE BERBÈRE

Au Sahara, il est parlé par les habitants du Mzab et de Ouargla


(sud-algérien), par les Zenaga (auprès du Sénégal), par les groupe-
ments touaregs de l'Adrar, des Ioulemedden et de l'Air (au nord, au
sud et à l'est du Niger), par ceux du Ahaggar (extrême sud-algérien),
ainsi qu'à Ghat, Ghadamès, Sokna, Aoudjila (Tripolitaine et Cyré-
naique) et Siwa (Egypte).
En somme, les zones berbérophones sont des zones de résistance:
montagnes ou déserts.

Le berbère n'a jamais fourni de langue de civilisation; de nos jours


moins que jamais: point d'unité plus ou moins artificiellement
constituée, point de langue uniformément répandue sur l'ensemble
d'un vaste territoire par les nécessités de grands groupements sociaux,
point de littérature écriteI, point d'écoles où il soit enseigné. C'est
toujours une langue locale, utilisée oralement pour une vie locale.
Aussi le berbère se présente t-il à nous avec tous les caractères des
langues locales dont les patois constituent un exemple bien connu. Le
principal de ces caractères est le morcellement de la langue en une
multitude de parlers.
L'on évitera d'employer indifféremment parler et dialecte. Le
parler sera pour nous, d'une façon toujours un peu idéale, la langue
commune au plus petit groupe linguistique qui pourra fort bien n'être
qu'un fragment de village. Le dialecte, s'il s'en trouvait, serait un
ensemble de parlers: mais il n'y a pas proprement de dialecte en
berbère, il n'y a que des faits dialectaux. Ceux-ci, communs à
plusieurs parlers ont, sauf accident rare, chacun sa limite propre, et
l'on passe toujours insensiblement d'un parler à un autre par transi-
tions plus rapides ou plus lentes, mais jamais par coupure brutale.
Les populations de langue berbère ne sont uniformes ni par la race
ni par le genre de vie.

1 Sur les rares exemples de berbère écrit, voir Henri Basset, Essai sur
la Littérature des Berbères, p. 61-81.
A V ANT -PROPOS XVII

Les berbérophones sont, en principe, des Blancs, mais du fait des


relations avec les populations nègres voisines, il existe, surtout dans le
sud, des métis plus ou moins nombreux et plus ou moins teintés.
Quant aux Blancs purs, ils n'ont pas tous les mêmes caractères
somatiques. Indépendamment des types aberrants - ainsi les berbères
blonds - et des différentes constantes en un même lieu, un Libyen ne
ressemble pas à un Rifain.
S'il existe des citadins - ainsi dans les villes du Mzab, - les
berbérophones sont avant tout des ruraux. Chez ceux-ci, tous les
genres de vie sont représentés et l'on passe du plus pur sédentaire qui
n'a qu'un seul habitat tout au long de l'année, au plus pur nomade qui
méprise profondément le travail de la terre.

L'étude des parlers berbères. - Peut-être les inscriptions libyques


sont-elles des inscriptions berbères. S'il en était ainsi, nous aurions un
jour un ensemble précieux de matériaux localisés qui nous fourni-
raient des renseignements sur un certain nombre de parlers berbères,
aux alentours de notre ère. Mais pour l'instant, ces inscriptions sont à
peine lues et restent incomprises: une histoire de la langue berbère ne
saurait en tirer parti.
Nous avons encore çà et là, chez des écrivains de l'antiquité
classique comme Corippe, surtout chez des écrivains arabes, enfin
dans les rares textes berbères!, quelques mots ou quelques phrases,
mais ces mots et ces phrases, transmis avec des alphabets inadaptés et
parfois notés par des auteurs qui ne savaient pas le berbère, sont à
peine localisés dans le temps et ne le sont nullement dans l'espace.
En réalité l'étude du berbère, maintenant encore, est presque
exclusivement limitée aux parlers actuels tels que nous les connais-
sons par ce qu'on en peut recueillir de la bouche d'indigènes dont
c'est la langue maternelle.
Il y a plus d'un siècle maintenant que l'enquête scientifique est
commencée et une œuvre admirable est déjà réalisée. Nous

1
Ib id.
XVIII LE VERBE BERBÈRE

connaissons plus de 300 parlers: nos renseignements, à vrai dire, sont


inégalement complets, et, le plus souvent, restent limités à quelques
mots. Mais il existe plusieurs monographies poussées et certaines
d'entre elle réunissent, ou réuniront lorsqu'elles seront achevées, une
masse imposante de documents. Conçues d'une façon large, elles
comportent, entre autres, d'abondantes pages de textes et un riche
glossaire qui, sans jamais prétendre à épuiser la langue d'un individu,
ne laisse guère échapper d'éléments de vocabulaire courant.
Les enquêtes sont d'inégale valeur; mais si les plus anciennes,
telles celles sur Siwa, sont à ce point défonTIantes qu'on a pu croire
longtemps à l'existence de parlers fortement aberrants, elles vont
s'améliorant sans cesse, en même temps qu'elles se complètent, et
l'on peut suivre de période en période, les progrès, qu'il s'agisse de la
transcription phonétique, de l'énumération des fOnTIesgrammaticales
ou du sens des mots. Sous ce rapport, les parlers berbères ne sont pas
panTIiles moins favorisés.
Il n'est pas une seule des zones berbérophones pour laquelle nous
n'ayons au moins quelque indication. Cependant notre connaissance
ne progresse pas également dans chaque région. L'exploration
linguistique des parlers centraux et orientaux s'est ralentie ces
dernières années au profit des parlers occidentaux, et si l'on excepte la
parler Ahaggar, si minutieusement étudié par le P. de Foucauld, les
parlers marocains, qui nous étaient si mal connus il y a vingt ans
encore, sont ceux pour lesquels nous avons les renseignements les
plus abondants et les plus modernes.

Les problèmes. En regard de multiples monographies, point de


synthèse, du moins point de synthèse récente. La seule qui ait été
tentée1, parue en 1894, est antérieure à nombre d'études, et surtout aux
plus riches.
Il semble dès lors, que la tâche la plus urgente, celle qui permettrait
aux études berbères de faire un progrès nouveau, c'est de mettre un

1
René Basset, Études sur les dialectes berbères.
AVANT-PROPOS XIX

peu d'ordre dans tous ces faits patiemment et consciencieusement


recueillis, mais jusqu'ici non confrontés entre eux.
Les problèmes qui se posent à nous sont les suivants:
1° Classer les formes, en indiquant pour chacune d'elles le degré
d'ancienneté et la part d'innovation, travail préliminaire indispensable
à toute comparaison linguistique;
2° Faire le départ de ce qui se retrouve dans tous les parlers et de ce
qui est local, acheminement à la reconstitution du berbère commun et
à l'étude de la dialectologie ;
3° Retracer, dans la mesure où la comparaison des parlers permet
de le faire, le sens des évolutions actuelles, et créer ainsi une ébauche
de I'histoire de la langue en suppléant à l'absence de documents du
passé par l'observation des faits contemporains;
4° Procéder à une esquisse de localisation géographique des faits
dialectaux et des tendances évolutives.
S'il ne faut pas espérer trouver dès maintenant dans les pages qui
suivent une solution d'ensemble, ce sont du moins là, comme on
pourra s'en rendre compte à tous moments, les préoccupations qui ont
dominé notre travail.

Les matériaux. Quel crédit devons-nous accorder aux matériaux


que nous possédons?
Notons d'abord que les différenciations morphologiques sont plus
grossières que les différenciations phonétiques par exemple, et sont,
de ce fait, plus aisément perçues d'un enquêteur même peu exercé.
Ensuite, les moyens de contrôle ne nous manquent pas. Nous ne
sommes pas toujours limités aux observations d'un seul homme; en
plus d'un point, deux enquêteurs, parfois plus sont passés succes-
sivement. En outre, s'il nous eût été matériellement impossible de
contrôler par nous-même toutes ces notations, nous avons cependant
procédé à des coups de sonde dans la Tachelhait, dans le Moyen-
Atlas, dans le Rif et dans la Kabylie.
xx LE VERBE BERBÈRE

Mais surtout, malgré des différences qui restent superficielles ou


localisées, l'unité morphologique des parlers berbères est telle, que
deux enquêtes n'ont pas besoin de porter sur le même parler, ni même
sur deux parlers immédiatement voisins, pour se contrôler encore: la
rareté des formes aberrantes nous est une garantie.
En somme, plus nous pratiquons les différentes enquêtes, surtout
les plus modernes, plus grandit notre estime pour les enquêteurs.
Nous avons, dans l'utilisation de ces matériaux, procédé de la
façon suivante: parmi les enquêtes récentes, nous avons pris pour
base de notre étude la plus poussée au point de vue morphologique,
celle du P. de Foucauld pour le Ahaggar. Nous en avons comparé les
résultats avec ceux d'une autre enquête fondamentale, celle de M.
Destaing pour les Ida ou Semla!. Les autres ne sont venues qu'ensuite,
en fonction de leur date, de leur importance et du crédit qu'on pouvait
accorder à leur auteur. Quand nous n'avons pu trouver confirmation
d'un phénomène aberrant dans un deuxième parler, nous n'en avons
point tenu compte, ou, s'il nous a paru impossible de le passer sous
silence, en raison de son importance, nous l'avons signalé à part,
comme nous l'avons fait pour le « présent» Ahaggar (voir ci-dessous.
p. LIlI).

Le sujet de la présente étude. - Contrairement à notre intention


première, nous n'avons pu, en définitive, faire dès aujourd'hui, un
exposé d'ensemble de la morphologie berbère. C'eût été une œuvre de
trop longue haleine et qui eût retardé encore la présentation d'obser-
vations qui nous paraissent pouvoir être formulées immédiatement.
Nous n'avons abordé, dans les pages qui suivent, qu'un fragment de
ce sujet. Nous nous sommes spécialement attachés à l'étude des
thèmes verbaux, et dans les thèmes verbaux, à l'étude des thèmes de
l'impératif, de l'aoriste, du prétérit et de la foane d'habitude de la
forme simple dans une proposition affianative.
Ceci nous permet d'étudier aussi complètement qu'on peut le faire,
semble-t-il, en l'état actuel des données, le redoublement et
l'allongement radical, la dérivation par suffixation. Par contre, pour ce
A V ANT -PROPOS XXI

qui est des rapports de thèmes entre eux, du jeu d'alternances


vocaliques ou d'alternances quantitatives radicales, des jeux secon-
daires de vocalisme, de la dérivation par préfixation, nous n'avons
encore qu'un aperçu incomplet. En effet, le vocalisme fondamental
n'intéresse pas seulement l'impératif, l'aoriste et le prétérit, mais aussi
le nom verbal et la forme à sifflante; les jeux vocaliques secondaires
ne se rencontrent pas seulement dans la forme d'habitude, mais
encore, entre autres, dans le nom verbal et les formes négatives; et les
préfixes dérivatifs ont pour domaine les formes dérivées bien plutôt
que les formes d'habitude.
INTRODUCTION XXIII

INTRODUCTION

Les éléments radicaux. - Les éléments radicaux sont tous conso-


nantiques. La voyelle s'affirme suffisamment par ailleurs comme un
élément morphologique pour qu'on puisse lui attribuer pareille valeur
même là où elle forme avec des éléments consonantiques un ensemble
invariable.
Les éléments consonantiques radicaux ont, sans doute, les uns par
rapport aux autres, une place immuable que seuls viennent modifier
des accidents tels que les métathèses, mais leur voisinage peut être,
suivant les cas, médiat ou immédiat par l'intercalation ou non
d'éléments morphologiques vocaliques.
Le nombre des éléments radicaux d'un thème est variable. L'on
peut relever en berbère des thèmes à l, 2, 3, 4, et 5 éléments radicaux.
Les thèmes à l, 4 et 5 éléments radicaux sont peu nombreux; ils sont
de plus, pour la plupart au moins, suspects, les premiers de résulter
d'une altération de thèmes à deux éléments radicaux, les derniers
d'être des dérivés ou des composés. Les thèmes sont, pour la grande
majorité à deux ou à trois radicales: ce sont ceux d'ailleurs qui
fournissent les mots les mieux constitués pour vivre, à une ou deux
syllabes. Les thèmes à deux éléments radicaux ne doivent pas être
considérés comme des formes altérées de thèmes à trois consonnes
radicales: la loi du trilitérisme, pour autant qu'elle existe, ne joue pas
en berbère.
Les éléments radicaux sont brefs: l'allongement a toujours une
valeur expressive ou morphologique, sauf cas particuliers et rares dus
à un accident phonétique.
Le redoublement. - Les éléments radicaux peuvent être redoublés.
Il ne faut pas confondre redoublement et allongement: ce sont deux
phénomènes distincts qui peuvent co-exister dans un même thème.
Le redoublement a été noté surtout en Ahaggar et dans les parlers
voisins. Il semble en effet que son développement soit un trait
XXIV LE VERBE BERBÈRE

dialectal de ces parlers, mais il existe des exemples qui, bien que
rares, sont nettement caractérisés pour les autres parlers aussi.
Les thèmes à redoublement ont une valeur expressive. Ils servent
en particulier, à exprimer, au moins en Ahaggar, la dispersion ou la
hâte: ainsi badagbadag «humecter çà et là» en regard de abdag
« mouiller» (Foucauld, I, 181), batalbatal «mettre dans un trou et
cuire sous la cendre hâtivement» en regard de abtal « mettre dans un
trou et cuire sous la cendre» (Foucauld, I, 84), etc.
Le redoublement peut être complet ou partiel. Le redoublement
complet apparaît dans des monolitères, des bilitères ou des trilitères.
Hors du Ahaggar et des parlers voisins où ils sont très nombreux, les
trilitères n'ont, sauf erreur, jamais été relevés, et les bilitères ne l'ont
été que dans les verbes de type onomatopéique.
Le redoublement partiel peut affecter différentes formes:
Un premier type est constitué par un thème à 4 éléments radicaux
dont le premier et le troisième sont identiques. Hors du Ahaggar où ils
se trouvent également, ces thèmes n'apparaissent que dans des verbes
de caractère onomatopéique.
Il semble qu'il existe d'autres variétés voisines de la précédente
dans lesquelles les deux sons identiques dus au redoublement, sont
séparés l'un de l'autre par un autre son radical, telle la variété que
représente Ntifa gnugi.
Le plus souvent - et ce sont d'ailleurs les cas les plus nets -
l'élément, ou les éléments redoublés, sont en quelque sorte groupés.
En ce cas, quand le redoublement ne porte que sur un seul élément
radical, ce peut être sur la dernière radicale, surtout sur une radicale
interne, rarement sur la radicale initiale. Le redoublement de plusieurs
éléments - de deux exactement - n'apparaît que dans une variété de
trilitères attestée en Ahaggar seulement: ce sont les 2e et 3e radicales
qui sont redoublées, selon une formule c1ôc2ac3c2acdans laquelle c
représente une consonne radicale, et l'indice numérique, la position de
cette consonne. Cette variété se confond d'ailleurs avec une variété
étrange de bilitères à redoublement complet précédé d'une consonne.
INTRODUCTION xxv

L'allongement. - En dehors des alternances quantitatives radicales


que nous signalerons plus loin et qui sont encore bien vivantes à
travers les parlers berbères, le Ahaggar offre toute une série de thèmes
comportant une radicale immuablement longue. Cet allongement est
de caractère expressif. Sauf pour les bilitères qui allongent soit l'une,
soit l'autre radicale, sauf également, cela se conçoit, pour les
monolitères, c'est normalement l'avant-dernière radicale qui est
longue, et la dernière, quand le thème est à suffixe t ou à voyelle
alternante post-radicale au degré plein.
L'allongement se combine avec le redoublement: l'élément radical
redoublé est d'abord bref, puis long: gartatta! ou walalla)'. Il se
combine aussi avec le suffixe t, avec le redoublement et le suffixe t
(voir ci-dessous).
Sans doute les verbes à allongement ont-ils été presque exclusi-
vement notés en Ahaggar, mais il importe de bien mettre en évidence
qu'on en a relevé dans d'autres parlers; par exemple mussu dans le
Tachelhait ou qalulli chez les B. Messaoud. Il ne s'agit pas là d'un
phénomène strictement local mais bien commun à un certain nombre
de parlers, et sans doute général.
Il ne faut pas confondre avec les verbes précédents, les bilitères tels
que azzur, illan, ullah et à plus forte raison alfa)' pour lesquels
l'alternance de la 1reradicale est assurée au moins pour azzur et alfay,
par la forme à sifflante.
Il faut distinguer aussi les monolitères dont l'allongement résulte,
semble-t-il du besoin d'étoffer un mot court.

Le suffixe t. - Le suffixe t n'est pas lié à un type radical déterminé:


il apparaît fréquemment dans un thème à éléments radicaux brefs et
non redoublés, indépendamment du nombre de consonnes radicales, 1,
2, 3 ou 4 et de la variété. Il apparaît en outre dans des verbes à
redoublement partiel, à allongement, à redoublement partiel et
allongement.
Il est très fréquemment attesté en Ahaggar. En dehors de ce parler,
il n'est pas vivant mais son caractère fondamental en berbère, son

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