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CLAUDE RILLY

LA LANGUE
DU ROYAUME DE MÉROÉ
UN PANORAMA DE LA PLUS ANCIENNE
CULTURE ÉCRITE D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
AVANT-PROPOS

La reine Cléopâtre, rapporte Plutarque 1, « usait très rarement d’un


interprète pour s’entretenir avec les étrangers ; elle répondait d’elle-même à
la plupart d’entre eux, qu’ils fussent Éthiopiens, Troglodytes, Hébreux,
Arabes, Syriens, Mèdes ou Parthes ». Que ce détail corresponde ou non à la
réalité historique 2, et une fois la part faite du pittoresque littéraire dans
l’accumulation par l’auteur de noms exotiques et sonores, il n’en reste pas
moins que, pour un Grec ou un Romain, le méroïtique, l’idiome des
« Éthiopiens », comptait parmi les grandes langues véhiculaires du monde
antique et qu’une personne de vaste culture pouvait s’enorgueillir de le
connaître.
Cette langue prestigieuse, la plus anciennement écrite de l’Afrique
interne, n’est actuellement connue que par une centaine de mots de
signification assurée. Si, depuis le déchiffrement de F. Ll. Griffith en 1911,
nous sommes capables de lire les quelque mille inscriptions aujourd’hui
retrouvées, la majeure partie de leur contenu n’est pour nous que
combinaisons de lettres, et le sens nous en demeure inaccessible, faute de
documents bilingues ou de parenté avérée avec des langues connues. Nous
appelons « problème méroïtique » ou « question méroïtique » la difficulté
que pose au philologue le passage de la lecture de cette langue à sa
compréhension et à sa traduction, une difficulté qui se rencontre également
pour d’autres langues oubliées comme l’étrusque 3, le messapien 4, le picte
préceltique 5 et bien d’autres... Il n’est cependant plus possible d’affirmer,
comme on le trouve encore çà et là, que la connaissance du méroïtique n’a
pas substantiellement progressé depuis les travaux de Griffith, car les
chercheurs ont considérablement accru la somme des certitudes et des

1
Plutarque, Vie d’Antoine, 27 [4]. T.d.A.
2
On trouvera une critique de ce passage chez Chauveau, 1998 : Cléopâtre, au-delà du
mythe, p. 19-20. Voir aussi Hofmann, 1979, p. 23-24, Eide et al., 1996 (Fontes Historiae
Nubiorum III) p. 916-919.
3
Une synthèse récente est présentée par M. Cristofani : Introduzione alla lingua etrusca
(Florence 2e éd. 1996).
4
Langue indo-européenne des Iapiges (Italie méridionale) : voir C. de Simone et S. Marche-
sini : Monumenta linguae messapicae (Wiesbaden, 2002).
5
Voir G. Price : The languages of Britain (Londres, 1984). Notons que ces deux dernières
langues, contrairement au méroïtique et à l’étrusque, ne sont actuellement attestées que
par un corpus réduit, ce qui amenuise les chances de les voir un jour traduites.
VIII LA LANGUE DE MÉROÉ

conjectures concernant cette langue. Tout indique que nous ne sommes plus
si éloignés de la « masse critique » à partir de laquelle les hypothèses
pourront se muer en évidences et les évidences s’agréger en traductions. La
découverte de textes bilingues ou un accroissement conséquent du corpus,
pourrait suffire à enclencher la réaction.
L’objectif de la présente étude est d’offrir une synthèse critique aussi
complète que possible d’un siècle de recherche sur la langue de Méroé, et de
proposer quelques pistes nouvelles. Il n’existait pas jusqu’à présent de
synthèse d’ampleur couvrant tous les aspects de la philologie méroïtique. En
effet, le travail de Fritz Hintze, Beiträge zur meroitischen Grammatik
(Hintze, 1979) est entièrement consacré aux aspects grammaticaux des textes
funéraires et la monographie d’Inge Hofmann, Material für eine meroitische
Grammatik (Hofmann, 1981a) présente essentiellement un catalogue
commenté des structures que l’on rencontre dans ces mêmes épitaphes, suivi
d’une étude de la stèle d’Akinidad (REM 1003). Ces deux ouvrages de
grande valeur, auxquels nous nous référerons fréquemment, n’ont pas pour
ambition d’exposer un tableau d’ensemble de la recherche méroïtique, mais
de développer une réflexion personnelle sur des questions particulières. Pour
trouver un travail qui fasse le point sur les études méroïtiques, il faut, pour la
grammaire, remonter à un article assez succint de W. Vycichl, « The present
state of “Meroitic Studies” » (Vycichl, 1958) et pour la lexicographie, à la
Liste de mots méroïtiques ayant une signification connue ou supposée de
D. Meeks (Meeks, 1973). Beaucoup de travaux ont d’ailleurs été publiés
depuis lors et il était indispensable d’en inclure une revue critique au sein de
la présente synthèse. Enfin, le corpus méroïtique s’étant enrichi ces dernières
années de textes de première valeur, notamment de stèles royales et de
papyri, mais aussi d’épitaphes, il fallait rendre compte des éléments
nouveaux que ces documents apportent à la connaissance de la grammaire et
du vocabulaire.
Après une présentation diachronique, géographique et archéologique des
témoignages écrits, notre étude s’articulera selon cinq axes principaux :
typologie des textes, écriture, phonétique, méthodologie vers une traduction,
hypothèses grammaticales. Si les trois premiers domaines, la typologie,
l’écriture et la phonétique, offrent désormais quelques certitudes, la grammaire
du méroïtique reste encore largement le champ d’hypothèses et de spé-
culations étroitement subordonnées à l’approche méthodologique que l’on
peut avoir du problème méroïtique. La dimension de ce volume ne nous a pas
permis d’inclure notre « lexique méroïtique », qui fera l’objet d’une
publication séparée, dans la série du Répertoire d’épigraphie méroïtique
(Publications de l’Académie des inscriptions et belles-lettres). Chaque
section comporte des indications bibliographiques où les ouvrages sont
conventionnellement désignés par le nom de l’auteur et la date de
AVANT-PROPOS IX

publication : pour les références complètes, on se reportera à la bibliographie


générale en fin d’ouvrage.

Depuis la rédaction définitive de ce manuscrit, nos travaux se sont portés


prioritairement sur la position linguistique du méroïtique. Ils ont permis
d'apporter enfin une réponse, soutenue par de multiples preuves tant lexicales
que morphologiques, à cette question tant débattue. Le méroïtique est bien
une langue nilo-saharienne, qui appartient à un groupe nouvellement défini,
le soudanique oriental nord (SON). Le méroïtique est donc génétiquement lié
à cet ensemble de langues qui comprend également le nubien (Soudan), le
nara (Érythrée), le tama (Tchad / Soudan) et le nyimang (Soudan). Le
chapitre consacré ici à ce problème (p. 449-491) ne correspond qu'au premier
état de notre réflexion, et pour lire l'ensemble de la démonstration, on se
reportera à notre ouvrage intitulé La famille linguistique du méroïtique
(Peeters, Collection « Afrique et Langage »), dont la parution devrait suivre
de peu celle du présent volume.
Ce travail n’aurait pu être mené à bien sans les conseils et les encou-
ragements d’éminents spécialistes dont l’amabilité n’a eu d’égal que la
compétence : M. le professeur Pascal Vernus, directeur d’études en égypto-
logie à l’EPHE, qui a dirigé la thèse dont cet ouvrage est tiré, M. Bernard
Caron, directeur du LLACAN (UMR 8135, Langage, langues et cultures
d’Afrique noire), M. Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l’Académie des
inscriptions et belles-lettres, Mme Catherine Berger-El Naggar, égyptologue
(CNRS), M. Jean Yoyotte, professeur honoraire au Collège de France,
M. Michel Chauveau, directeur d’études à l’EPHE, Mme Karola Zibelius-
Chen, professeur d’égyptologie à l’université de Tübingen, M. Patrice
Lenoble, docteur en archéologie, M. David Cohen, directeur d’études à
l’EPHE, ainsi que les chercheurs du LLACAN. Qu’ils trouvent ici
l’expression de notre vive gratitude et le témoignage de notre profond
respect.
Nous voudrions également remercier tous les archéologues spécialistes de
la civilisation méroïtique qui ont mis à notre disposition des documents
souvent inédits : M. David N. Edwards, professeur d’archéologie à l’univer-
sité de Leicester, pour les textes de Qasr Ibrim, M. Francis Geus, directeur de
la Section française de la NCAM à Khartoum pour les inscriptions de Saï,
M. Dietrich Wildung, directeur des fouilles de Naga pour les textes de ce
site, Mme Dominique Valbelle, professeur d’égyptologie à l’université de
Paris-Sorbonne, ainsi que M. Charles Bonnet, directeur de la Mission de l’uni-
versité de Genève, pour les documents de Doukki Gel.
Nous adressons enfin nos plus chaleureux remerciements à Jeanne
Zerner, ingénieur d’études au CNRS-LLACAN, pour son aide précieuse dans
la mise en forme du manuscrit définitif, et à M. Claude Carrier, qui a bien voulu
X LA LANGUE DE MÉROÉ

se charger de la conception des cartes, et dont l’amitié nous a été un précieux


soutien.
AVANT-PROPOS XI

CONVENTIONS ET ABRÉVIATIONS

La translittération du méroïtique adoptée ici suit les règles élaborées par Hintze et
exposées pour la première fois au congrès de Khartoum en 1970 (Hintze, 1973c =
Hintze, 1974b ; voir ci-dessous, p. 237). Dans les citations d’auteurs utilisant une
translittération différente, nous avons indiqué entre crochets l’équivalence avec celle
de Hintze.
Pour la citation des ouvrages, nous avons employé le système désormais inter-
national : nom de l’auteur, suivi de l’année de parution, éventuellement affectée d’une
lettre a, b, c, etc. pour distinguer les différentes publications parues la même année.
On trouvera les références complète dans la Bibliographie générale à la fin de ce
volume.
Les études méroïtiques étant susceptibles d’intéresser aussi bien les égyptologues
que les africanistes, nous avons essayé d’éviter les abréviations trop spécifiques à l’un
ou l’autre domaine, notamment dans le nom des périodiques, qui sont écrits in
extenso.
La liste suivante recense les conventions utilisées dans cet ouvrage, qui sont
essentiellement d’ordre épigraphique ou linguistique.

* forme reconstituée ou non attestée.


[xyz] signes en lacune.
...] début de la séquence perdu.
[... fin de la séquence perdue.
[ca. 7] lacune d’environ 7 signes.
[...] lacune dont l’ampleur ne peut être précisée.
„ (lettre pointée) signe de lecture incertaine.
. (point) lettre effacée ou illisible.
: séparateur (ponctuation méroïtique écrite)
§ séparateur de lecture incertaine.
xyz (italique) translittération.
/xyz/ transcription phonologique.
[xyz] transcription phonétique supposée.
[Ç] /d/ rétroflexe (pointe de la langue
recourbée contre le haut du palais).
[Ö] /n/ rétroflexe.
[È] /s/ rétroflexe.
[™] /t/ rétroflexe.
[w] indice de labialisation des vélaires.
mér. méroïtique.
nub. nubien.
pers. personne (grammaticale).
plur. pluriel.
REM Répertoire d’épigraphie méroïtique.
sing. singulier
var. variante.
INTRODUCTION

QUESTIONS DE TERMINOLOGIE
MÉROÏTIQUE, KOUSHITES, MÉROÏTES, COUCHITIQUE, ÉTHIOPIEN, NUBIEN

Le terme « méroïtique » désigne par convention la langue du royaume de


Koush, qui s’étendait au nord du Soudan et au sud de l’Égypte dans ses
actuelles frontières, et qui nous est historiquement connu du VIIIe siècle av.
J.-C. au IVe siècle de notre ère. Pour en nommer les habitants, on emploie le
terme général de « Koushites », mais on utilise aussi le nom de « Napatéens »
pour la période qui va du VIIIe au IVe siècle avant J.-C., où les souverains
sont majoritairement inhumés à Napata, aux abords de la quatrième cataracte
du Nil. On réserve le terme de « Méroïtes » à la période suivante, jusqu’au
IVe siècle après J.-C., où les inhumations royales se font principalement près
de Méroé, entre la cinquième et la sixième cataracte. C’est d’après le nom de
cette dernière ville que fut créé le mot « méroïtique » 1. En effet, l’intérêt
porté à cette langue, puis son déchiffrement, avaient suivi de peu l’adoption
par certains linguistes du terme « couchitique », historiquement et
géographiquement inexact, pour désigner les langues chamito-sémitiques de
la corne de l’Afrique, comme l’afar ou le somali, probablement sans relation
génétique avec le méroïtique. Aussi n’était-il plus possible d’appliquer ce
nom à la langue de Méroé, bien qu’il eût été ici bien plus approprié : il
semble en effet que le terme qesto, prononcé approximativement [kwaÈa™u],
désignait en méroïtique l’habitant de Koush, le « Koushite », et il est assez
vraisemblable que la langue indigène ait pu être nommée par ce mot ou un
dérivé. La tentative tardive de Zyhlarz de forger le terme « kaschitisch » 2 à
partir de la transcription égyptienne K3š : « Koush », pour désigner cette
langue, a fait long feu, car l’usage du vocable « méroïtique » était alors déjà
bien établi.

1
Le terme « meroitisch » fut créé par Lepsius (Lepsius, 1952 [éd.], p. 218), mais il n’est
utilisé par cet auteur qu’avec une acception géographique et historique (« das meroitische
Reich »). La langue et l’écriture sont désignées par le nom traditionnel d’« äthiopisch ».
Il semble que H. Brugsch ait été le premier à avoir employé l’adjectif « meroitisch » avec
un sens linguistique, dans sa tentative de déchiffrement des textes hiéroglyphiques
relevés par Lepsius justement dans la région de Méroé (Brugsch, 1887). Mais le mot
alterne encore dans son article avec l’ancienne dénomination d’« äthiopisch ».
2
Voir Zyhlarz, 1958 et 1960.
2 LA LANGUE DE MÉROÉ

Ce mot a remplacé le terme « éthiopien » qu’utilisaient les Grecs, puis les


Romains, pour désigner ce qui touche aux peuples d’Afrique noire en
général, et aux ressortissants du royaume de Koush en particulier, un mot
qu’on retrouve pour qualifier la langue des inscriptions méroïtiques dans
certains ouvrages spécialisés jusqu’au début du XXe siècle 1. Il est curieux de
constater qu’une fois de plus, le terme s’est décalé vers l’est, puisqu’il a
remplacé l’ancienne dénomination d’« abyssin ».
Enfin, il convient de préciser le terme « nubien », utilisé de manière
souvent vague 2 par les égyptologues, et parfois même pour désigner des
réalités proprement méroïtiques. Le mot revêt à la fois un sens géographique
et ethno-linguistique. Géographiquement parlant, la Nubie est la contrée qui
s’étend de la première jusqu’à la quatrième cataracte. En ce sens, le royaume
de Koush est bien un territoire essentiellement « nubien ». Néanmoins ce terme
possède aussi une acception ethno-linguistique plus restreinte, puisqu’il désigne
un peuple précis (et sa langue) établi depuis l’Antiquité sur le cours moyen du
Nil, appelé probablement nob 3 par les Méroïtes, Νουβαι, Νουβáδες,
Νοβáται par les Grecs. Cette ethnie, autrefois vassale du royaume de Koush,
se constitua en principautés chrétiennes au Moyen Âge avant de se convertir
à l’islam à partir du XVe siècle, tout en gardant ses dialectes 4 parlés
aujourd’hui encore d’Assouan en ægypte à Dongola au Soudan. La forme
médiévale du nubien, le vieux-nubien, sera souvent évoquée dans cette étude,
notamment dans le chapitre consacré à l’approche comparatiste. Koushites et
Nubiens étaient des peuples différents, de langue différente, même si les
points de contact entre les deux idiomes sont frappants, comme nous le
verrons ultérieurement. Le mot « Noba » est utilisé par certains auteurs 5 pour
désigner l’ethnie nubienne dans l’Antiquité et éviter une éventuelle confusion
avec l’acception géographique du terme.

1
Notamment chez Müller, 1894 ; Schäfer, 1895a ; Erman, 1897.
2
Cette imprécision reproduit le flou de l’égyptien n∆sy, qui désigne indistinctement les
peuples établis dans la Vallée du Nil au sud de l’ægypte.
3
Vocalisé /nuba/.
4
Du nord au sud de la vallée du Nil, le kenuzi, le mahas, le fadidja, le dongolawi,
auxquels s’ajoutent quelques dialectes isolés dans l’ouest du Soudan.
5
Par exemple chez Hintze, 1967 et Millet, 1996.
INTRODUCTION 3

APERÇU HISTORIQUE ET GÉOGRAPHIQUE

La langue méroïtique : panorama historique

Les premières traces du méroïtique

Bien qu’elle n’ait disposé de sa propre écriture qu’à partir des IIIe-IIe
siècle avant notre ère, la langue méroïtique est très anciennement présente en
Nubie. On en trouve quelques traces disséminées dans les textes égyptiens,
de façon assurée dès la première période intermédiaire et peut-être plus tôt
encore. Nous ne pouvons ici suivre Hofmann, qui considère que le début de
la XVIIIe dynastie marque les premiers contacts entre la civilisation koushite
et l’ægypte, et estime difficile de trouver des témoignages plus anciens de la
présence de locuteurs du futur méroïtique (Hofmann, 1981c). Elle présente
les Koushites en ces termes dans sa monographie Material für eine
meroitische Grammatik : « ...eine Bevölkerungsgruppe, die seit wenigstens
dem 15. Jahrhundert im Niltal südlich des dritten Kataraktes ansässig war. »
(Hofmann, 1981a, p. 1).
Parmi les documents qui suivent, on trouvera en effet des éléments
convaincants qui tendent à prouver que les ægyptiens sont entrés en contact
avec des populations de langue protoméroïtique avant 1500 av. J.-C.

Traces du protoméroïtique au Moyen Empire

Il est fort possible que des mots méroïtiques se dissimulent dans les
toponymes et les anthroponymes étrangers cités par les sources égyptiennes
du Moyen Empire, mais le système de transcription égyptien les rend
malaisément repérables. De plus, les anthroponymes méroïtiques anciens (de
l’époque napatéenne par exemple) ne comportent pas tous, loin s’en faut, des
éléments méroïtiques ultérieurs récurrents et connus. Ainsi, dans les noms
des rois Atlanersa (653-643), Aspelta (593-568), Nastasen (335-315) 1
n’apparaît aucun segment actuellement identifiable. Pourtant il s’agit
incontestablement de souverains napatéens. Aussi est-il difficile d’affirmer

1
La chronologie donnée ici suit celle de St. Wenig, (Wenig, 1999) ; celle de Shinnie ne
diffère que pour la fin du règne de Nastasen, donnée en 310 av. J.-C. (Shinnie, 1996,
p. 104).
4 LA LANGUE DE MÉROÉ

que, parmi les noms des princes de Nubie « envoûtés » qui apparaissent sur
les figurines et les vases d’exécration de la XIIe dynastie, il n’y a pas déjà
d’anthroponymes protoméroïtiques. Posener, qui a étudié ces textes, relève
quelques régularités dans la liste des 28 toponymes nubiens relevés 1 :

« Mais c’est en établissant le catalogue des sons employés dans ces noms que l’on
fait les observations les plus intéressantes. On constate en effet l’absence totale de
p, de f, de h, de ƒ et de d ; la présence de d est douteuse (B15) ; ∆ (B21), ¡ (B25)
se rencontrent une seule fois. » (Posener, 1940, p. 38).

On ne peut qu’être frappé par la similitude avec la phonologie méroïtique


telle que nous la reconstruisons (voir p. 395). Les seules différences appa-
rentes concernent l’absence de d, de ¡ et de p. Mais le d rétroflexe du
méroïtique est le plus souvent transcrit r en égyptien : Medewi devient ainsi
Mrw.t « Méroé » ; la lettre ¡ (= q) n’est pas en méroïtique l’occlusive
uvulaire de l’égyptien 2 ; et nous avons de fortes réserves sur la présence de p
dans le système originel des consonnes méroïtiques 3.
Il serait donc possible que dès le Moyen Empire, les toponymes de Nubie
aient porté la marque d’une langue, ou plus vraisemblablement d’un groupe
de langues génétiquement proches du futur méroïtique. Cette piste reste
cependant fragile : la distance chronologique est grande entre le début du IIe
millénaire et les premières attestations sûres et nombreuses de mots
méroïtiques à partir du VIIIe siècle avant notre ère : un système phonologique
peut en ce laps de temps considérablement évoluer.
S’il faut un indice plus fiable de la présence ancienne de la langue
méroïtique sur le sol nubien, il me semble qu’on pourrait le trouver dans le
nom de « Koush ». Il ne s’agit pas en effet d’un simple toponyme, mais bien
d’un ethnonyme, du nom d’un peuple situé d’ailleurs dans ses premières
mentions sous la XIIe dynastie entre la deuxième cataracte et l’île de Saï. Le
mot est attesté sous la forme Qes sur les stèles royales méroïtiques (REM
1003, 1044), où il représente incontestablement le nom indigène du royaume
et de ses habitants 4. Il existe un dérivé méroïtique qesto : « Koushite », qui
sous une forme ancienne, a fourni le nom d’un des premiers rois de Napata :
Kashta (voir p. 21). On ne comprendrait pas qu’un simple nom géogra-
phique, emprunté à une autre langue, bénéficie d’un tel prestige, et il paraît
beaucoup plus vraisemblable qu’il s’agisse du nom indigène du peuple.

1
À ce sujet, voir aussi Zibelius, 1970 et Zibelius, 1972.
2
Cf. Rilly, 1999a et infra, p. 374-379.
3
Voir p. 363-365.
4
On trouve à la fin de la stèle royale REM 1044 (lignes 159-160) la formule d’offrande de
l’eau et du pain, habituelle dans les bénédictions pour les défunts, mais ici adressée à
« Koush » (Qes).
INTRODUCTION 5

De plus, dès l’époque ancienne, il y a divergence sur la transcription


égyptienne : K3s et K3š 1. Posener note que le mot n’est pas égyptien et que
l’hésitation sur la consonne finale marque la transcription d’un son inconnu 2.
Il pourrait s’agir d’un s rétroflexe, qu’un auditeur non averti a du mal à
classer nettement parmi les sifflantes ou les chuitantes, et qui est justement le
seul s du méroïtique.

La liste de Crocodilopolis

Le premier témoignage décisif de l’existence du méroïtique provient


paradoxalement du Fayoum, en Moyenne-Égypte, et n’a jusqu’ici jamais
explicitement été repéré comme tel 3. En 1911, l’égyptologue allemand Adolf
Erman publia un papyrus hiératique inédit de la collection Golénischeff,
d’origine inconnue, et actuellement conservé à Moscou (Erman, 1911). Le
document contient plusieurs hymnes dédiés aux différentes couronnes
royales, et sa paléographie a été étudiée de près par le grand hiératisant
Möller (Möller, 1909-1912, I, p. 19), qui l’assigne assez précisément aux
derniers temps de la domination hyksôs sur l’ægypte septentrionale. Il situe
plus exactement la rédaction du Pap. Golénischeff entre celle du
Pap. Westcar (an 33 du règne d’Apopi) et du Pap. Ebers (début de la XVIIIe
dynastie), si bien qu’une datation comprise entre 1580 et 1550 av. J.-C. paraît
plausible. Le nom du dieu Sobek de Shedet, désigné dans chaque hymne
comme le porteur de ces couronnes, indique la provenance du texte :
Crocodilopolis, dans le Fayoum. Sur l’espace libre à la fin de ce long
rouleau, une main différente a inscrit une liste de 57 noms étrangers tracés
avec soin, transcrits en écriture partiellement syllabique et étonnamment
groupés selon leurs initiales. Erman ne s’aventura pas à en donner une
quelconque identification ethnique. Le professeur Pascal Vernus, qui étudia
cette liste lors du 3e congrès d’études chamito-sémitiques (Vernus, 1984,
p. 477-479) hésita entre plusieurs hypothèses, mais privilégia in fine une
origine « nubienne ». L’intuition était excellente, puisqu’il apparaît
clairement que nous avons affaire à une liste de noms protoméroïtiques.

1
K3s (K3z) sur la stèle de Bouhen (Florence n° 1542 [2540]), datée de la 18e année de
Sésostris Ier (vers 1945 av. J.-C.), mais K3ë dans l’inscription d’Ameny à Beni Hassan,
datée de l’an 43 (sic) du même souverain (voir Posener, 1958, p. 45-46). Notons qu’une
graphie peut-être encore plus ancienne, K3…, apparaît sur la figurine du Caire, JE 63958
(cf. Posener, 1987, p. 23).
2
Cf. Posener, 1958, p. 46-47. Voir également ici, p. 26-27, les observations de Schäfer sur
la stèle de Nastasen.
3
Nous sommes hautement redevable au professeur Pascal Vernus d’avoir attiré notre
attention sur ce texte, qu’il avait le premier signalé comme une liste de noms « nubiens »
(Vernus, 1984, p. 479).
6 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le premier indice évident est constitué par la grande fréquence (50 %)


des finales en -y, qui rappellent le suffixe méroïtique -ye 1. Cet élément,
présent dans 20 % des anthroponymes selon Hainsworth 2, semble bien avoir
pu être ajouté ad libitum à tout nom de personne 3. Peut-être est-ce d’ailleurs
ce suffixe qui entre en composition dans les formes méroïtiques Amni
/aman(a)i/ « Amon » et Atri /atar(a)i/ « Hathor », empruntées au moyen-
égyptien /amana/ et /∆`s∆`q`/ 4.
Un autre indice convaincant est fourni par la distribution des phonèmes
de cette liste, comparée avec celle du méroïtique ultérieur. On a à cet usage
constitué le tableau suivant où se trouve signalée leur fréquence au sein de la
liste de Crocodilopolis 5, et dans notre « lexique » méroïtique 6
prochainement publié.

Tableau 1 : Étude phonologique de la liste de Crocodilopolis

graphèmes phonèmes fréquence relative graphèmes fréquence relative


égyptiens méroïtiques dans la liste de méroïtiques dans le lexique
transcrits Crocodilopolis
3 initiale 3,8 % a 5,1 %
vocalique
y /y/ 18,5 % y 4,4 %
- 0% inexistant inexistant
ƒ
w /w/ 3,8 % w 5,1 %
b /b/ ensemble b, p ensemble
p /b/ initial 2,8 % 7,8 %
f inexistant 0% inexistant inexistant
m /m/ 8% m 8,2 %
n /n/ 7,1 % n, ne 6%
r /d/, /l/ ou /r/ 13,7 % d , l ou r ensemble 22,3 %
h inexistant 0% inexistant inexistant
∆ inexistant 0,9 % (?) inexistant inexistant

1
Les noms de la liste sont trop longs pour qu’il s’agisse d’hypocoristiques terminés en -y
selon la tradition égyptienne.
2
Selon Hainsworth, 1979, p. 216-221.
3
Ainsi le « prince » Maloton (Mloton) du IIIe siècle est parfois appelé Mlotoye. Sur ce
point, voir Griffith, 1912, p. 42.
4
Transcriptions phonologiques égyptiennes d’après Vycichl, 1990, p. 83, 178.
5
Les matres lectionis indiquant les voyelles ne sont pas prises en compte, en raison de leur
caractère irrégulier. Nous avons essayé ici de systématiser une méthode assez semblable
utilisée par G. Posener sur les noms des pays et des princes de Nubie apparaissant dans
les inscriptions d’exécration (Posener, 1940) : voir supra, p. 4.
6
Nous avons préféré utiliser le « lexique » plutôt qu’un corpus de textes, puisqu’il
s’agissait de comparer deux listes de m o ts dénués entre eux de liens syntaxiques.
INTRODUCTION 7

graphèmes phonèmes fréquence relative graphèmes fréquence


égyptiens méroïtiques dans la liste de méroïtiques relative dans le
transcrits Crocodilopolis lexique
~ /‚/ ou /ƒ/ ensemble ‚ et ƒ ensemble
Ä /‚/ ou /ƒ/ 0% 5,1 %
s /s/ ensemble s et se ensemble
ë /s/ 11,8 % 10,6 %
q /k/ ou /q/
k /k/ ou /q/ ensemble k ou q ensemble
g /k/ ou /q/ 16,6 % 12,4 %
t /t/
t /t/ ensemble t, te, to ensemble
d /t/ 12,7 % 13,2 %
d /t/

Comme on peut le constater, certains graphèmes égyptiens ont été réunis


en groupes de transcription commune. La raison principale tient aux
différences phonologiques entre l’égyptien et le méroïtique 1 :
(1) Il semble que le phonème /p/, clairement présent à l’époque du
royaume de Méroé, n’apparaisse que plus tard dans la langue méroïtique. On
remarquera qu’ici, les deux seuls exemples de translittération par le
graphème égyptien p le présente à l’initiale. Dans les anthroponymes
napatéens, on retrouve peu ou prou la même situation. Aussi avons-nous ici
regroupé les deux graphèmes égyptiens et méroïtiques p et b.
(2) Le graphème égyptien r transcrit indifféremment le r, le l et le d
rétroflexe du méroïtique. La différenciation entre r et l n’apparaît en égyptien
que tardivement à l’époque démotique. Le /d/ rétroflexe méroïtique (noté
phonétiquement [Ç]) est acoustiquement transcrit /r/ aussi bien en égyptien
qu’en grec : on comparera le nom de « Méroé », méroïtique Medewi,
égyptien Mrw.t, grec Μερóη, latin Meroe.
(3) Les dentales égyptiennes t, t, d, d transcrivent généralement le
méroïtique t, avec probablement, suivant les voyelles qui l’accompagnent,
des variantes de réalisation senties comme phonologiquement différentes par
les scribes égyptiens.
(4) La différence entre les graphèmes ‚ et ƒ n’est pas la même en
égyptien, où il s’agit d’une variation postpalatale/prépalatale ([x]/[ç]), et en
méroïtique, où le trait pertinent d’opposition est la labialisation ([x] / [xw]).
Aussi les avons-nous également réunis dans le tableau.

1
On se référera également dans cet ouvrage au chapitre traitant des problèmes de
phonologie méroïtique, p. 359 sq.
8 LA LANGUE DE MÉROÉ

(5) Les scribes égyptiens ont transcrit le /s/ rétroflexe du méroïtique


(phonétiquement noté [È]) comme un s ou un ë de manière souvent assez
confuse : c’est notamment le cas de Koush (méroïtique qes) transcrit k3s ou
k3š. Ici encore, nous les avons confondus dans le tableau, puisqu’il ne s’agit
pas d’une différence pertinente dans le cadre de la phonologie méroïtique.
(6) L’opposition entre k et q n’est pas la même en égyptien, où le trait
oppositionnel est la réalisation vélaire ou uvulaire ([k] / [q]), et en
méroïtique, où il s’agit d’une différence entre une vélaire non labialisée [k] et
une vélaire labialisée [kw]. Le graphème égyptien g est utilisé dans les
transcriptions du méroïtique en concurrence avec k et q. On observera ainsi
les différentes graphies du segment ntki-l- dans le nom du roi napatéen
transcrit Amani-nataki-lebte 1 , ou . C’est pour cette
raison que nous avons regroupé k, g et q.

On gardera à l’esprit que les 211 graphèmes égyptiens de la liste de


Crocodilopolis ne sont pas assez nombreux pour constituer un échantillon
totalement représentatif de la répartition des phonèmes dans leur langue
d’origine. Malgré cela, la similitude entre la structure phonologique de cette
liste et celle du lexique méroïtique est impressionnante. Il est clair que la
langue représentée n’est pas chamito-sémitique, en raison notamment de
l’inventaire consonantique particulièrement réduit 2.
Ainsi les phonèmes ƒ, e+ et g, absents en méroïtique, sont également
absents de la liste. Le phonème ∆, inexistant en méroïtique, n’apparaît que
dans les deux derniers noms de la liste, d’apparence égyptienne, et qui
désignent peut-être plutôt des titres que des anthroponymes. Les fréquences du
m, du n, du t, du s sont étonnamment proches de leur fréquence en méroïtique.
Quelques divergences se laissent expliquer. L’initiale vocalique méroïtique 3 a
est transcrite 3 en égyptien, mais aussi y par trois fois (noms 8, 9, 10 in Vernus,
1984). Si l’on intègre ces variantes, le pourcentage de fréquence de l’initiale
vocalique dans la liste du Fayoum passe de 3,8 % à 5,2 %, contre 5,4 % dans
le lexique.
La très grande différence de fréquence pour le phonème y s’explique par
sa forte présence en fin d’anthroponymes (suffixe méroïtique -ye). Si l’on ne
tient compte des y ni finals, ni initiaux (voir ci-dessus), la fréquence de cette
lettre tombe à 4,2 %, chiffre très comparable aux 4,7 % du lexique.
Deux divergences seulement sont étonnantes : les couples b/p et ~/Ä sont
nettement sous-représentés dans la liste par rapport au lexique. Pour le
premier, le caractère particulier du /b/ égyptien, d’articulation fricative [β] et

1
Voir p. 22.
2
Ce qui exclut notamment qu’on ait affaire à des noms hyksôs (cananéens).
3
En méroïtique tardif (néo-méroïtique), auquel appartiennent la grande majorité des mots
du lexique, l’initiale a représente indifféremment les voyelles /a/, /e/, /i/, /u/.
INTRODUCTION 9

non occlusive comme en méroïtique, peut apporter un début d’explication.


Le second couple représentant les fricatives palatales est totalement absent de
l’échantillon de Crocodilopolis, ce qui ne peut guère être un hasard. Sans
doute cette articulation est-elle en méroïtique un développement ultérieur
d’occlusives vélaires en certaines positions, comme par exemple en grec
moderne, en allemand, en gallois... On observera justement que les
occlusives vélaires k, g, q sont légèrement surreprésentées dans la liste du
Fayoum (16,6 % contre 13,4 % dans le lexique). Certaines langues « nilo-
sahariennes » sont d’ailleurs dénuées de telles consonnes, comme le daju du
Soudan occidental, le dinka du Soudan méridional, l’ingessana (ou tabi) des
montagnes du Nil Bleu 1.

La comparaison semble donc assez concluante, mais elle doit être


corroborée par le repérage de certains lexèmes représentés en méroïtique
ultérieur. En effet, la phonologie du méroïtique et celle du vieux-nubien 2
sont relativement proches, et on pourrait objecter que les noms de
Crocodilopolis témoignent d’une forme ancienne du nubien. Un parallèle
assez révélateur peut être établi entre certains noms de la liste égyptienne
(numérotés selon la classification adoptée dans Vernus, 1984) et des
anthroponymes méroïtiques ultérieurs 3 :

(1) 3-b(3)-s-s : mér. Abeseye en REM 0268 et GA. 30 4.


(18) m-g-y : mér. Mƒeye en REM 0544 et GA 04.
(23) r-s-r-y : mér. Dsdye en REM 0543.
(24) r(3)-k(3)-y : mér. Doke-li en REM 0318, Doke en REM 0252 et 0423.
(26) r(w)-k(3)-t-y : mér. Doketone en REM 0507.
(33) s(3)-t-q-t : mér. Setki en REM 0521, Sitkid en REM 1030, Sitkemoli en
GA 28B.
(35) q-r(3)-m : mér. Qeremye en REM 0369.
(37) q-t-y : mér. Ktoye en REM 1066A.
(49) t-(3)-n-y : mér. Tneye en REM 0096, Tneyi- dans Tneyi-d-mni en REM
0405, 1044.

1
L’affiliation du méroïtique au phylum « nilo-saharien », et plus exactement au groupe
« soudanique oriental » auquel appartiennent les trois langues citées ainsi que le nubien,
reste la plus vraisemblable des hypothèses de classification linguistique (voir ci-dessous,
p. 480-487).
2
On rappelle cependant que cette langue n’est attestée sous une forme écrite indépendante
(à l’aide de caractères empruntés au copte) qu’à partir du VIe siècle au plus tôt.
3
On se souvient que le /d/ est transcrit par r en égyptien, et que le suffixe final des
anthroponymes -ye est assez fluctuant.
4
REM : Répertoire d’épigraphie méroïtique ; GA : inédits du Gebel Adda.
10 LA LANGUE DE MÉROÉ

(51) t-r-t-(3) : noms royaux ou princiers mér. en Terit(e) : Terite-qse en REM


0092, REM 0412, Terit-nide en REM 0829, Terite-d‚etey en REM 0815.
(52) T-(3)-k-(3)-y : mér. Tekye en REM 0843, Tekeye en REM 0533.

On constatera de plus que certains éléments récurrents correspondent à


des lexèmes bien attestés en méroïtique et souvent présents dans les
anthroponymes, ce qui atténue la possibilité que les parallèles relevés ci-
dessus soient le simple effet du hasard :

-m-g- en (8), (17) rappelle le mot méroïtique mk : « dieu », « déesse ».


m-s- en (16), -m-š- en (17) évoquent le nom du dieu solaire méroïtique Mash
(Ms).
m-t-(3)- en (19), m-t-y en (20) ressemblent à l’adjectif/substantif méroïtique
mte, mete : « petit », « jeune ».
r(3)-k(3)- en (24) r(w)-k(3)- en (25), (26) transcrivent peut-être l’adjectif (?)
mélioratif doke, de sens obscur, mais fréquent dans les anthroponymes.
k-(3)-r- (= kur- ?) en (42), et peut-être q-r(3)- en (35), q-r- en (36), rappellent
le méroïtique qore : « roi », « chef ».

Il reste à comprendre comment il se peut faire qu’une importante liste de


noms koushites, d’expression protoméroïtique, soit présente sur un document
du Fayoum à la fin de la domination hyksôs. On sait qu’une alliance avait été
préparée entre le souverain de Koush et le pharaon hyksôs Apopi contre le
dynaste thébain Kamose, et que les soldats de ce dernier interceptèrent,
probablement dans l’oasis de Bahariya, un messager du Nord qui s’apprêtait
à rallier Koush 1. Le Fayoum était justement le point de départ de la route des
oasis qui permettait de rejoindre la deuxième cataracte en contournant la
Haute-ægypte. Faut-il donc considérer la liste de Crocodilopolis comme un
autre témoignage de la collusion entre les Hyksôs et le souverain koushite ?
Si le document est légèrement postérieur, et date du début de la XVIIIe
dynastie, on pourrait éventuellement y voir une liste de prisonniers ou
d’otages, peut-être des personnages de haut rang, et non des esclaves comme
le supposait Erman, étant donné le soin extrême avec lequel les noms ont été
transcrits 2 et ordonnés.

1
Cet épisode est raconté sur une petite stèle de Karnak retrouvée en 1954. On trouvera une
étude de ce texte dans L. Habachi, « The Second Stela of Kamose and his Struggle
against the Hyksos Ruler and his Capital », Abhandlungen des deutschen archäo-
logischen Instituts Kairo 8, Glückstadt, 1972, ainsi que dans H. S. Smith et A. Smith,
« Kamose’s Texts » Zeitschrift für ägyptische Sprache, t. CIII (1976), p. 48-76.
2
Voir les remarques paléographiques dans Erman, 1911, p. 55 et note 2.
INTRODUCTION 11

Dans l’un ou l’autre cas, on tient assez vraisemblablement une première


preuve que le royaume de Kerma, dont les rares témoignages écrits utilisent
la langue et l’écriture égyptienne 1, était déjà d’expression méroïtique. La
liste de Crocodilopolis nous montre une langue déjà bien constituée, dont le
vocabulaire et les formations lexicales présentent de troublantes similitudes
avec le méroïtique tel qu’on l’écrira un millénaire et demi plus tard. Les
fouilles archéologiques récentes, notamment sur le site de Doukki Gel près
de Kerma 2, ont démontré qu’il y avait entre la civilisation kermaïte et les
royaumes de Napata, puis de Méroé, une évidente continuité culturelle. Nous
pouvons d’ores et déjà affirmer que la continuité est aussi linguistique et
même religieuse, puisque l’on voit apparaître dans la liste du Fayoum la
claire mention du dieu indigène Mash, dans l’anthroponyme mš-mg-s, en
méroïtique historique : mk Ms-se « (celui) du dieu Mash ».
L’apparition de la langue méroïtique doit donc être replacée pour le moins
dans la première moitié du IIe millénaire.

Les chapitres supplémentaires du Livre des Morts

À partir de la période saïte et surtout à l’époque ptolémaïque apparaissent


dans quelques exemplaires du Livre des Morts égyptien un certain nombre de
« chapitres supplémentaires » (Chap. 162-167), publiés à la fin du XIXe
siècle par l’égyptologue néerlandais Pleyte (Pleyte, 1881, 3 vol.). Une
analyse plus récente du prof. Jean Yoyotte a montré que la rédaction de ces
« chapitres supplémentaires » avait dû se faire à Thèbes à l’époque ramesside
(Yoyotte, 1977). Trois de ces chapitres, les nos 163, 164, 165, comportent des
formules incompréhensibles, écrites dans une langue non identifiée, mais que
deux études plus récentes (Vernus, 1984, p. 479-481 3 et Koenig, 1987,
p. 106-107) identifient comme nubienne (au sens large). Le chap. 163
mentionne expressément en égyptien le dieu Amon comme « celui qui
repose au nord-ouest de la cime de Napata de Nubie » 4. Le chap. 164 décrit
plusieurs déesses et leur adresse des qualificatifs obscurs « comme on dit

1
On connaît ainsi quelques sceaux kermaïtes en égyptien (cf. Gratien, 1978).
2
Cf. Bonnet, 2000.
3
Nous remercions le professeur Pascal Vernus d’avoir également attiré notre attention sur
ces textes.
4
O2 msx ∆so Zl\ o2 l∆-s,«lms-s m s2 cgm-s M«os-s m o2 S2,Rsx. (d’après Pleyte, 1881,
transcription rectifiée). Koenig donne o2 l∆-s,«lms-s m s2 cgm-s m «o-s Mos2,Rsx « au
nord-ouest de la cime du sanctuaire de Napata de Nubie » (Koenig, 1987, p. 106), avec un
découpage différent et probablement d’après un autre papyrus (Lepsius, LXXVII, 8-9).
12 LA LANGUE DE MÉROÉ

dans la langue des Archers de Nubie » 1. Enfin le chap. 165 est une adoration
au dieu Amon, qui ne mentionne pas explicitement la Nubie, mais comporte
également des expressions en langue étrangère.
Bien que deux des chapitres se réfèrent à la Nubie, et que le second
comporte des passages rédigés selon le scribe en « langue des Archers de
Nubie », le rattachement au méroïtique semble moins immédiat que dans la
liste de Crocodilopolis. L’inventaire des phonèmes soulève en effet des
difficultés : le petit nombre de mots, leur fréquente reprise à quelques lignes
d’intervalle rendent l’échantillon statistiquement peu fiable. On relèvera
comme précédemment l’absence des graphèmes ƒ , f, ~ et Ä, mais aussi celle,
plus surprenante, de w. Les consonnes h et ∆ inexistantes en méroïtique,
apparaissent dans les deux premiers chapitres, mais les comparaisons
lexicales ci-dessous semblent prouver que les deux ∆ présents dans ces textes
proviennent d’emprunts à d’autres langues, notamment à l’égyptien 2. Il n’est
pas impossible d’autre part que certaines successions de voyelles 3 aient été
artificiellement détachées par un graphème h dans un souci de précision.
Les exemples actuellement connus de ces chapitres étant postérieurs de
plusieurs siècles à leur rédaction originelle, on peut penser que les passages
en langue étrangère, incompréhensibles pour les ægyptiens, ont été déformés
au fil des transcriptions successives. Aussi ne reste-t-il que peu de séquences
qui puissent être rapprochées de mots ou d’expressions méroïtiques, mais les
ressemblances sont dans ces quelques cas tellement étonnantes que le
parallèle présente un haut degré de vraisemblance 4.

Chapitre 163
Par deux fois, Osiris, le dieu invoqué dans ce passage, est désigné par une
expression qu’il faut sans doute lire « le dieu ša-pu » avec la
succession hiéroglyphique utilisée non comme simple déterminatif, mais
pour l’égyptien ntr « dieu ». Il s’agit sans doute de la transcription d’un
original koushite /sabumaku/, formé sur */maku/ 5 « dieu », méroïtique
ultérieur mk /maka/. Nous avons ici très probablement le nom ancien de la

1
«r l,cc ∆r Õvms«v mv S2,Rsx (d’après Pleyte, 1881, transcription actualisée). Voir
cependant Koenig, 1987, p. 107 pour une version légèrement différente (d’après Lepsius,
LXXVII, 5-6).
2
Voir ci-dessous, p. 13, la séquence finale du chap. 164.
3
Nos recherches sur la phonologie méroïtique montrent que les diphtongues et les voyelles
longues existaient en méroïtique, du moins à l’époque où il a commencé à être écrit.
L’impression d’une langue de type CVCV est essentiellement due au caractère syllabique,
largement artificiel, de l’écriture. Voir ci-dessous le chapitre « Écriture », p. 231sq.
4
Les vocalisations de l’écriture syllabique égyptienne utilisée dans ces textes sont
transcrites suivant les règles découvertes par Albright et depuis lors globalement
confirmées (cf. Albright, 1947 et Vycichl, 1990).
5
La vocalisation m(a)-ku figure dans le chap. 164.
INTRODUCTION 13

divinité méroïtique Sebioumeker ou Sbomeker 1, connu uniquement en


transcription égyptienne Sbwjmkr, sur les murs du temple de
Musawwarat, bien que plusieurs représentations sculptées de ce dieu soient
par ailleurs attestées 2. L’hymne à Sebioumeker qui figure à Musawwarat est
clairement imité de modèles osiriaques 3. Le lexème ša-pu- qui compose son
nom apparaît également deux fois dans le chapitre supplémentaire 164 du
Livre des Morts.
Le terme 3rk, récurrent dans ce chapitre, et qu’il faudrait vocaliser ir-ku
selon les règles de l’écriture syllabique, pourrait être relié à la racine erike
« engendrer » ou yireqe / yereqe 4 « sud ».

Chapitre 164

Ce chapitre présente la longue séquence suivante en langue étrangère :


, à lire sa-pu-ka-
ha-ra-sa-pu-sa-ra-m(a)-ku-ku-r-m(a)-tu . On y lit une succession finale m(a)-
ku ku-r m(a)-tu qui pourrait bien représenter le méroïtique ultérieur mk qore
Mt , prononcé [maka kwur ma™a] « (la) déesse, (la) souveraine, Mout ». Une
telle traduction s’accorderait bien avec la teneur de cet hymne panthéiste aux
divinités féminines.
La séquence étendue en langue étrangère qui termine le chapitre 164,
à lire ∆u-r-pu-ga-ka-ša-ra-ša-bi,
comporte peut-être une expression ∆u-r-pu-ga ka-ša correspondant au
méroïtique ‚rp‚e Qes, prononcé /xarapax(e) kusa/ « qui commande à
Koush 5 » . La présence du phonème /∆/ confirmerait l’hypothèse déjà
développée par Hofmann selon laquelle le terme méroïtique ‚rp‚e serait un
emprunt au verbe égyptien ~qo « contrôler », avec une possible
approximation de la part des Koushites qui ignoraient encore le son /‚/ 6. La
séquence ka-ša ou ka-sa représente peut-être le méroïtique Qes « Koush »,
égyptien K3z ou K3š et apparaît par ailleurs une autre fois
dans le même chapitre, et cinq fois dans le suivant.

1
Le -r final du nom divin à Musawwarat est généralement interprété comme une
terminaison d’anthroponyme, mais il pourrait s'agir d'une transcription du déterminant -l.
2
Voir Priese, 1997c, p. 280-283 (catalogue Nos 298, 299, 300). Sa représentation diffère toute-
fois de celle d’Osiris, puisque ses membres sont libres et qu’il est coiffé du pschent.
3
Cf. Hintze, 1962, p. 33-34 (Inschr. N. 17). Le dieu Sebioumeker y est d’ailleurs nommé-
ment assimilé à Osiris.
4
Prononcé peut-être [irkwu] (voir Rilly, 1999a, p. 106-107).
5
Syntaxe hypothétique, l’association de ces deux mots (chacun étant de traduction
relativement assurée) n’étant pas encore attestée dans les textes ultérieurs en méroïtique.
6
Voir ci-dessus, p. 9.
14 LA LANGUE DE MÉROÉ

Chapitre 165

La séquence , à lire probablement Õlm m`,s`,j,kt,


sh rappelle de façon étonnante le nom du souverain napatéen Amani-nataki-
lebte 1, connu en transcription égyptienne . Ce nom royal
correspond apparemment à l’expression méroïtique ultérieure ntke l-b‚-te
/natak(e) labaxat(e)/ « donne-leur la force (?) », une bénédiction adressée à la
famille royale par les déesses qui figurent sur les murs du temple de Naga 2.

L’un des noms étrangers donnés à Amon est ma-lu-ga-


ti. On y reconnaît l’adjectif méroïtique mlo /malu/ « bon ». Les plus
anciennes transcriptions égyptiennes de ce mot apparaissent dans des noms
koushites du Nouvel Empire et de la IIIe période intermédiaire avec une
graphie très proche ou . La seconde partie du nom divin est en
revanche obscure.

D’autres éléments, parfois récurrents comme la séquence ša-ka / ša-ku


dans les trois chapitres, sont difficiles à interpréter à la faible lumière de nos
connaissances limitées de la langue méroïtique telle qu’on l’écrira près de
mille ans plus tard. Il est en effet plus que probable qu’une bonne partie du
lexique préméroïtique a disparu, ou du moins beaucoup évolué au cours des
siècles.

1
Ce roi napatéen régna dans la seconde moitié du VIe siècle av. J.-C.
2
Par exemple en REM 0015, en légende de la représentation d’Hathor. Cette bénédiction
alterne avec une autre : pwrite l-b‚-te « donne-leur la vie ». La comparaison des formes
successives m`,s`,j,kt,sh, msjkas«, et ntke lb‚te semble montrer une évolution du suffixe
verbal de datif, du préméroïtique -u- (?) au méroïtique ancien (napatéen) -b-, puis au
méroïtique récent -b‚(e)-, mais il n’est absolument pas sûr que ces formes soient
morphologiquement équivalentes : seule la dernière est assurément au pluriel.
INTRODUCTION 15

Anthroponymes et toponymes protoméroïtiques au Nouvel Empire

Dans le papyrus de Kahun Berlin n° 9784/12, daté de la XVIIIe dynastie


(cf. Gardiner, 1906) apparaît le nom d’une « Nubienne » transcrit en écriture
syllabique Ma-lu-qa-ša-ti. L’anthroponyme est inter-
prété par Hofmann, 1981c (p. 11 et note 21) comme un nom méroïtique
réalisé /Malokasati/ 1, où l’élément /malo/ représenterait l’adjectif mlo :
« bon/bonne », « beau/belle », « noble », et /kasati/ une forme ancienne de
l’ethnonyme qesto : « Koushite ». Cette femme aurait donc reçu – ou se
serait donné – un nom correspondant à son origine. Hofmann évoque
d’ailleurs un parallèle avec le roi napatéen Kashta (760-747 av. J.-C.),
prédécesseur et père de Piankhy, dont le nom signifie probablement aussi « le
Koushite ».
À l’époque de Ramsès II apparaît sur les murs du temple d’Abou-
Simbel 2 le nom de la cité de Napata, écrit, comme il sera de règle dans les
textes koushites d’expression égyptienne 3, avec le signe de l’eau en lieu
et place de la finale -ata. Yoyotte a supposé qu’on a ici affaire à une graphie
« sportive », où le signe de l’eau doit être lu, ni comme un déterminatif, ni
avec sa valeur phonétique égyptienne mw, mais comme le nom méroïtique de
l’eau, qu’on transcrivait atê à l’époque où fut rédigé l’article (Yoyotte, 1957,
p. 107-108) : aussi l’équivalence entre une lecture /napat‘/ du toponyme issu
d’Abou-Simbel et la graphie Npte (= /Napate/) « Napata » des textes méroï-
tiques semblait-elle très satisfaisante. Or nous sommes pratiquement certains
aujourd’hui que le signe anciennement translittéré ê était réalisé [u] à
l’époque du royaume de Méroé – bien que nous le transcrivions o suivant le
système de Hintze 4. Une lecture */napatu/ de la graphie égyptienne serait
évidemment moins convaincante. Cependant, il est probable que la
prononciation de la langue de Koush a évolué durant le millénaire qui s’est
écoulé depuis l’époque ramesside jusqu’aux premiers textes méroïtiques.

1
Si, comme il est probable, les principes de l’écriture syllabique égyptienne en usage à la
XVIIIe dynastie s’appliquent ici (voir Albright, 1934), il n’est pas sûr que la syllabe
centrale ait déjà été vocalisée /ku/ comme elle le sera à l’époque napatéenne (voir Qes
p. 21), puis en méroïtique proprement dit (cf. Rilly, 1999a, p. 107). Pour la vocalisation
de l’élément initial, équivalant au moyen- et néo-méroïtique mlo : « bon », voir p. 23-24.
2
Il s’agit d’une représentation du pharaon offrant son nom à Amon de Napata (Porter-
Moss, 1951, VII, p. 98 [5] et Zibelius, 1972, p. 138 et note 6).
3
Cette graphie apparaît notamment sur la stèle de Nastasen (Berlin n° 2268, fin du IVe
siècle av. J.-C.), suivie d’un véritable déterminatif schématisant la « Montagne pure », le
Gebel Barkal, qui domine le site de Napata.
4
Voir ci-dessous, p. 237.
16 LA LANGUE DE MÉROÉ

Une autre observation du même auteur (Sauneron-Yoyotte, 1952 et


Yoyotte, 1957) concerne un toponyme de Nubie conservé dans
l’Onomasticon d’Amenopé, vers 1000 av. J.-C. : Rrv,mrv,j2v2q (n° 285 1)
et sous une forme abrégée k3w3r (n° 284). Le mot j2v2q, suivi du
déterminatif du chef, serait une transcription égyptienne du titre méroïtique
qore : « roi », traduisant lui-même l’égyptien nsw, de même sens, appliqué à
Ramsès II (Rrv en abrégé). Le toponyme complet signifierait donc
« Ramsès, le roi, le qore », et serait approprié pour une ville de fondation
ramesside. Il livrerait en tout cas, sous une forme certes difficile à
reconstituer phonétiquement 2, la plus ancienne attestation du mot méroïtique
qore.
Enfin, deux noms propres supposés préméroïtiques ont été repérés par
J. Yoyotte (voir Leclant, 1970-1971, p. 183) sur un ostracon hiératique de
Deir el-Medineh (Posener, 1938, n° 1072, XIXe dyn.). Ce petit texte, qui
semble un itinéraire, mais pose quelques problèmes de traduction, s’achève
en effet par l’expression l o2 s2 m Jë : « dans le pays de Koush ». Une
déesse y est nommée M`,~h,r`,l`,j`,r` en écriture
syllabique (ligne 3). On peut y reconnaître le nom méroïtique pour « dieu »
ou « déesse » : mk, et peut-être un dérivé mkse (= /makas/) qui intervient
dans certains anthroponymes féminins. Plus problématique est la suggestion
que l’intégralité de la séquence figurant à la première ligne de cet ostracon :
«stdgr 3 désigne un port de Nubie, qui comporterait le
méroïtique ato : « eau » dans l’élément initial «st-. En fait, le début doit se
lire: (1)«rsv C,f`,hq qm m '1(o2 cl« « En vérité, le nom de cette ville est
Dagair 4 ». Le premier mot, «rsv, n’est autre que la particule proclitique
égyptienne à valeur d’affirmation (var. de «r-s). En revanche, le nom de la
localité, qui rappelle les sites modernes soudanais de Dangeil ou de Tangur
(Dongola est exclus parce qu’il s’agit, semble-t-il, d’une fondation d’époque
chrétienne), se retrouve peut-être en méroïtique historique sous la forme du
toponyme Dqri /daqari/ associé dans deux textes au culte d’Apedemak (REM
0405 et 1293).

1
La numérotation correspond à l’édition de l’Onomasticon par Gardiner.
2
Yoyotte pense toutefois que -3w- transcrit ici la voyelle [u] (Sauneron-Yoyotte, 1952,
p. 184).
3
Lecture de Yoyotte et Leclant. La seconde partie du mot semble écrite selon les règles de
l’écriture syllabique et pourrait se lire -ga-ir.
4
Voir Fischer-Elfert, 1997, p. 1-4 ; Zibelius, 1995, p. 197sq ainsi que Karola Zibelius-
Chen, « Die Königsinsignie auf der Nastasen-Stele Z. 26 », ms, note 64.
INTRODUCTION 17

Emprunts méroïtiques au moyen-égyptien

Nous possédons une autre preuve, indirecte celle-là, de l’existence de la


langue méroïtique sous la XVIIIe dynastie ou avant. Un certain nombre
d’emprunts méroïtiques à l’égyptien indique des vocalisations que l’on
retrouve dans les transcriptions babyloniennes du XIVe siècle av. J.-C.,
particulièrement dans les archives cunéiformes mises au jour à Tell-el
Amarna (vers 1340 av. J.-C.), et qui correspondent aux valeurs phonétiques
du moyen-égyptien. Des documents assyriens attestés six siècles plus tard,
témoignent de vocalisations différentes, caractéristiques du néo-égyptien
tardif/début du démotique 1. C’est particulièment vrai des noms de dieux
égyptiens empruntés par les Koushites. Ainsi Amon (ég. Õlm) est en
méroïtique Amni (= /aman(a)i/), proche du moyen-égyptien /amana/, alors
que les documents assyriens ne connaissent pour ce théonyme que la
vocalisation /amunu/. Les archives assyriennes transcrivent ainsi le nom
d’Amon -a-mu-nu dans l’anthroponyme égyptien Wenamon et -a-ma-ni-e
dans le nom du roi koushite de même époque Tanwetamani (anciennement
Tanoutamon). Le dieu Horus est Ar /ara/ en méroïtique, ce qui correspond
(après chute de la laryngale initiale inexistante en méroïtique) à la
transcription babylonienne Xa-a-ra ( = /∆~ra/) de l’égyptien Ãr et diffère
nettement de la version assyrienne Xu-u-ru (= /Ƌr(u)/ ou /Ƃr(o)/, cf. copte
xwr).
Isis (ég. 3s.t) est en transcription assyrienne Ia-e-šu, correspondant peut-
être à une prononciation /‘si/ selon Vycichl, 1990 (copte hse, grec Ισις). La
version méroïtique Wos (= /ãsa/) semble conserver une forme égyptienne très
éloignée chronologiquement, et peut-être dialectale, ce qui est sans doute
aussi le cas du nom d’Osiris, Asori (= /usuri/).
Le nom du dieu Khonsou (ég. °nsw) apparaît en transcription
babylonienne Xa-an-ëa, proche du méroïtique ¬s (= /χansa/), alors qu’on
peut penser que la vocalisation égyptienne du VIIIe siècle s’approchait déjà
de la forme -0ons du copte conservée dans le nom d’un mois de l’année.
Parmi les noms communs venus de l’égyptien, seul le mot « prêtre »
semble anciennement emprunté : on trouve en méroïtique ant (= /anata/ ou
/annata/), qui correspond, après élimination de la laryngale initiale, à la
transcription babylonienne xa-am-na-ta (/∆’mnata/), alors que la
prononciation de ce mot au VIIIe siècle devait déjà ressembler au copte

1 Pour les transcriptions du cunéiforme et les formes vocalisées de l’égyptien, nous


suivons ici Ranke, 1900, p. 10, 28, 36 et Vycichl, 1990, p. 83, 78, 96, 177, 178. La
question de ces emprunts méroïtiques est abordée par Hintze, 1973d, p. 331-336 ;
Hofmann, 1981c, p. 11-12 ; Török in Eide et al., 1998, p. 762.
18 LA LANGUE DE MÉROÉ

xont. Les autres noms communs tirés de l’égyptien : pelmos : « général »,


perite « agent », apote « messager », etc. sont manifestement bien posté-
rieurs et révèlent un état de langue tardif correspondant au démotique ou au
ptolémaïque.
Ce n’est peut-être pas un hasard si seuls les mots du strict vocabulaire
religieux sont des emprunts anciens. On sait que c’est au cours de la XVIIIe
dynastie que l’état de vocalisation qui était encore celui du moyen-égyptien a
changé. Il semble donc qu’une partie du lexique religieux méroïtique ait été
emprunté à l’Égypte en même temps que certains dieux, à une époque
antérieure au XIVe siècle avant notre ère, puis pieusement gardé en l’état. Ce
conservatisme pourrait en partie expliquer la prétention des souverains
napatéens de la XXVe dynastie à incarner la pure orthodoxie amonienne,
jusques et y compris dans l’usage d’une langue égyptienne archaïsante 1.

Ces quelques éléments épars permettent de situer autour du milieu du


IIe millénaire la première attestation d’un peuple de langue protoméroïtique,
ce qui ne signifie pas qu’il n’ait pas déjà été présent à une époque encore
plus reculée. Si au Kerma classique, comme nous l’avons montré, on parlait
une forme ancienne de méroïtique, il y a bien des raisons de penser que
c’était déjà le cas au Kerma ancien, puisqu’on ne décèle aucune discontinuité
culturelle entre ces périodes. Les racines du méroïtique devraient alors être
replacées au IIIe millénaire avant notre ère. Cette grande antiquité pourrait
d’ailleurs expliquer son isolement linguistique, tous les idiomes
génétiquement très proches ayant eu le temps de disparaître ou de se modifier
considérablement. En effet, la première langue apparentée au méroïtique,
mais probablement d’assez loin, le vieux-nubien, n’est attestée de façon
suivie qu’à partir du VIe siècle de notre ère, et les autres langues « nilo-
sahariennes » ne sont connues que sous leur forme moderne.

1
Cf. Grimal, 1981a, p. 194 ; Kendall, 1997, p. 166.
INTRODUCTION 19

Le méroïtique à l’époque napatéenne

Vers le début du Ier millénaire avant notre ère se forma aux abords de la
quatrième cataracte une principauté koushite, le royaume de Napata. En
quelques générations, elle acquit une puissance suffisante pour annexer
l’Égypte entière et y installer la XXVe dynastie, dite « éthiopienne » (747-
656 av. J.-C.). Après le repli sur la Nubie face à la poussée des Assyriens,
leurs successeurs s’établirent à nouveau à Napata jusqu’au début du IIIe
siècle. À cette époque, la nécropole royale, et peut-être la capitale 1, furent
transférées plus au sud, à Méroé. Bien que les inscriptions du royaume de
Napata soient toutes rédigées en langue et en écriture égyptiennes, il ne fait
pas de doute que la langue parlée du royaume est une forme ancienne du
méroïtique. Des dizaines d’anthroponymes comportent déjà, transcrits en
hiéroglyphes égyptiens, les éléments dont seront constitués les noms de
personnes à l’époque du royaume de Méroé. On appelle « napatéen » ce
système de notation du méroïtique en écriture égyptienne réservé aux noms
propres.
La première attestation connue de ce procédé a récemment été étudiée par
Abdalla (Abdalla, 1999b). Il s’agit d’une plaque retrouvée par Reisner dans
le tumulus 6 d’El-Kurru, une tombe qui correspond aux ancêtres de la XXVe
dynastie (génération B, entre 865 et 825 av. J.-C. 2). L’inscription avait été
considérée comme illisible par l’éditeur des Royal Cemeteries of Kush
(Dunham, 1950, p. 21). Néanmoins, Priese arriva à la lire partiellement
Kiwmr[.]. Si l’on en croit la reconstitution d’Abdalla, il
faut rétablir un anthroponyme koushite K3ml[y],
correspondant peut-être au nom méroïtique ultérieur Aqomloye, porté par un
« envoyé auprès de Rome » en REM 1049/8 3. Quoique le début et la fin du
mot restent de lecture et d’interprétation incertaine, l’élément central mr/ml,
transcription de l’adjectif méroïtique mlo : « bon », « beau », « noble », est
assuré, et sa notation s’accorde avec les exemples postérieurs de cet adjectif
en écriture « napatéenne ».
Une deuxième attestation de nom méroïtique transcrit en écriture égyp-
tienne apparaît sur les murs du temple de Semna, à la frontière séculaire de
l’Égypte et de la Nubie : la représentation d’une femme en apparat princier
s’accompagne de la mention hiéroglyphique d’une « grande épouse royale et
fille de roi, K3tyml(u) ». Le nom transcrit « Katimala »
1
Contra : Török, 1997b, p. 383-384, 420-421.
2
Selon la datation révisée de Kendall, 1999, p. 97.
3
La lecture initiale de Trigger, éditeur de la stèle, porte *Aqoƒloye (Trigger, 1962, p. 6).
Heyler hésite entre ƒ et m (Heyler, 1971, p. 27). La lecture m d’Abdalla est assez
vraisemblable, mais davantage pour des raisons philologiques que paléographiques. Voir
p. 321-322 pour la confusion fréquente du m et du ƒ.
20 LA LANGUE DE MÉROÉ

par Grapow 1, correspond clairement au méroïtique kdi mlo /kadimalu/ :


« femme bonne/belle/noble ». Le même nom est plus tard attesté, augmenté
du déterminant -li, pour la mère d’un défunt citée sur la table d’offrandes
archaïque REM 0841 2 : Kdimlo-li. Il apparaît également dans l’inscription de
Kharamadoye REM 0094 3 sous la forme Kdimlo-ye, où -ye est un suffixe
d’anthroponyme presque systématique à époque tardive. Bien qu’il soit
actuellement impossible de dater avec précision la reine « Katimala », on a
souvent supposé qu’elle ait appartenu aux familles princières qui dirigèrent le
premier royaume de Napata dans la première moitié du VIIIe siècle.

À partir du règne d’Alara (mort vers 760 av. J.-C.), et surtout avec
l’avènement de la XXVe dynastie (747 av. J.-C.), les inscriptions comportant
des anthroponymes napatéens deviennent nombreuses. Il n’entre pas dans
notre propos d’étudier ici chacun d’entre eux. Une liste de soixante-dix-sept
noms royaux a été fournie par D. Dunham et M. F. L. Macadam (Dunham-
Macadam, 1949, p. 139-149). L’analyse des transcriptions napatéennes a été
initiée par Priese (Priese, 1965 et Priese, 1968a), et partiellement continuée
par Hainsworth (Hainsworth, 1979b, thèse non publiée) et Abdalla (Abdalla,
1999b) 4. Nous voudrions en revanche illustrer l’analogie entre la langue des
anthroponymes napatéens et le méroïtique proprement dit, c’est-à-dire la
langue écrite à partir du IIe siècle avant notre ère.
Un certain nombres de morphèmes et de lexèmes méroïtiques
apparaissent clairement dans ces noms 5 :

1
Voir entre autres Grapow, 1940 : Die Inschrift der Königin Katimala am Tempel von
Semne ; Dunham–Janssen, 1960, p. 11 ; Hofmann, 1981c, p. 11 ; Pierce in Eide–Hägg et al.,
1994 (FHN I) , n° 1, p. 35-41 ; Caminos, 1994, p. 73-80 ; Zibelius, 1995, p. 206 ; Török,
1997b, p. 127 ; Morkot, 1999, p. 145. Notons que Caminos propose une lecture « Karimala »
qui correspondrait mieux encore à la transcription du d rétroflexe méroïtique par un r
égyptien (voir p. 368-369).
2
La table d’offrandes REM 0841 peut être datée paléographiquement autour de 100
av. J.-C. Il est très vraisemblable, mais pas absolument certain, que Kdimloli soit ici un
anthroponyme. Ce pourrait être une simple désignation de la mère comme « dame
bonne/noble ». L’absence d’anthroponyme dans les filiations, remplacé par un simple
titre, n’est cependant attestée de façon sûre que pour le nom du père.
3
Török in Eide–Hägg et al., 1998, p. 1106, replace la grande inscription de Kharamadoye
à Kalabsha aux alentours de 430 (± 20) apr. J.-C. Voir p. 32.
4
Voir aussi Haycock, 1978, p. 54, 63, 65. On peut ajouter à cette liste une communication
d’A. M. Abdalla présentée à la 6e conférence d’études méroïtiques à Khartoum en 1989,
intitulée « Napatan-Meroitic Continuity (2) : Personal Names (1) », non encore publiée,
et à laquelle nous n’avons pas eu accès, mais dont les premiers éléments sont paru dans
Meroitica 10 (Abdalla, 1989b).
5
Les nombres entre parenthèses qui suivent les anthroponymes renvoient à leur
numérotation dans Dunham-Macadam, 1949, article qui fait toujours autorité en
l’absence d’une mise au point exhaustive plus récente.
INTRODUCTION 21

— l’élément final -qo avec probablement une valeur de copule 1, sous les
formes ou dans les noms des rois de la XXVe dynastie tradition-
nellement transcrits Chabaka, Chabataka, Taharqa et dans celui des rois de
Napata Amaniastarbaqa (n° 6), Aramatelqo 2, et des reines Piƒankhq‘w-qa
(n° 60) et Kasaqa (n° 33) ;
— le suffixe d’anthroponymes -ye 3, avec les graphies ou dans les noms
des reines Amanitakaye (n° 10), Arty (n° 16), Batahaliye (n° 24), Malaqaye
(n° 39), Masalaye (n° 45), Ñaparaye (n° 48), Sakaƒaye (n° 64) et des rois
Piankhy et Analmaƒaye (13).
— l’adjectif mlo : « bon »/« bonne », « beau », « noble », etc. sous des
graphies diverses : voir liste p. 22-24.
— l’ethnonyme Qes : « Koush », sous les formes , , dans les
noms du roi Kashta et (probablement) de la reine Kasaqa (n° 33) 4.
— le substantif mk : « dieu », sous les graphies et dans le nom de
la reine Maqomalo (n° 46) 5.
— le substantif mte : « enfant » avec les graphies , et (?)
dans le nom de la reine Madiqeñ (n° 38) 6 et peut-être du roi Aramatelqo
(voir ci-dessous note 2).
— le lexème verbal erike « être engendré » sous les diverses graphies
, , , dans les noms des rois Aman-note-yerike (n° 11), Piƒankh-
yerike-qa 7 et peut-être , dans le nom du roi Ergaménès 8.

1
Török, 1997b, p. 131, note 3 et Wenig, 1999 donnent en conséquence les transcriptions
Shabaqo, Shebitqo et Taharqo pour les trois rois de la XXVe dynastie.
2
La lecture Aramatelqo (Priese, 1965 [98] ; Priese, 1968, p. 166) est plus vraisemblable
que la transcription « Amtalqa » de Dunham-Macadam, 1949 (n° 12). La figure initiale
du faucon (représentant Horus, en méroïtique Ar [ = /ara/] ) est très reconnaissable.
3
Cet élément est souvent facultatif, et d’ailleurs omis dans certaines variantes des noms
cités ; la transcription utilisée ici est celle de Dunham-Macadam, 1949, généralement
suivie par Török, 1997b.
4
Cf. Hainsworth, 1979b, p. 343 ; Abdalla, 1999b, p. 445.
5
Transcrit « Maqmalo » chez Török, 1997b. La variante avec déterminatif, absente chez
Dunham-Macadam, 1949, se trouve dans Dunham, 1955 (RCK II), fig. 205. Voir aussi
Haycock, 1978, p. 54 ; Priese, 1977a, p. 41. Le nom de la reine, qui signifierait « la bonne
déesse », devrait en conséquence être transcrit « Makamalo », ou mieux, « Makamalu ».
6
Cf. Haycock, 1978, p. 54, Hainsworth, 1979b, p. 345, Abdalla, 1999b, p. 439.
7
Cf. Macadam, 1949 (Kawa I) p. 53-54 et 73 ; Dunham, 1957, p. 19 n° 33 ; Priese, 1968a,
p. 186-187 ; Trigger–-Heyler, 1970, p. 33, note h 86. Wenig, 1999 transcrit les deux
derniers noms « Irike-Amanote » (n° 21) et « Irike-Piye-qo » (n° 31). Ce dernier
monarque (vers 300 av. J.-C.) appartient à l’époque du royaume de Méroé.
8
Ce nom, dont la transcription grecque est rapportée par Diodore de Sicile, aurait été porté
par deux rois : Török, 1997b, p. 203-204, et Wenig, 1999 les transcrivent « Arkamani-
22 LA LANGUE DE MÉROÉ

— le substantif ntki ou ntke, désignant un don divin (force, puissance,


gloire ?), suivi peut-être du verbe l « donner » sous les formes ,
, , dans le nom du roi Amani-nataki-lebte (n° 9) 1.
— le théonyme Aritene sous la forme dans le nom des rois Akhratañ
(n° 4) 2 et Piƒankh-ariteñ (n° 57).
L’identification de ces éléments est assurée, soit par leur fréquence et leur
position (-qo, -ye), soit par leur similitude avec la langue ultérieure du
royaume de Méroé (Qes, Aritene, erike), soit enfin par l’usage d’un
idéogramme ou d’un déterminatif égyptien qui précise leur sens (mlo, mk,
mte). D’autres segments proposés par Hainsworth, 1979b : le suffixe
d’anthroponymes -ror, les substantifs at « pain », abr « homme », le théonyme
Ms « Mash », l’adjectif mƒe « abondant », restent à notre avis du domaine de
la spéculation, en l’absence d’arguments convaincants et en attendant de plus
claires attestations.
Les éléments étudiés ci-dessus paraissent suffisants pour affirmer que la
langue du royaume de Napata présente dès la XXVe dynastie une res-
semblance lexicale étonnante avec le méroïtique attesté six siècles plus tard.
La structure consonantique des lexèmes correspond de très près à leurs
formes connues à l’époque du royaume de Méroé. Mais on ne peut
malheureusement pas être assuré de leur structure vocalique. Il semble en
effet que seules les graphies les plus anciennes utilisaient une orthographe
conforme aux principes de l’écriture syllabique égyptienne 3 en usage pour
les noms étrangers, mais que par la suite, les transcriptions d’anthroponymes
indigènes devenant habituelles, les scribes du royaume de Napata se
tournèrent vers une graphie plus simple et phonétiquement moins précise,
quitte à la compléter par un idéogramme ou un déterminatif égyptien. Une
étude chronologique des transcriptions de l’adjectif mlo « bon », « beau »
peut permettre d’illustrer notre hypothèse. On trouve ainsi :
: ma-lu (?) dans le nom de la « Nubienne » Malukasati (voir p. 15),
XVIIIe dynastie. La transcription, si l’on applique strictement les règles de

qo » (Ergaménès Ier, n° 33) et « Arqamani » (Ergaménès II, n° 37). Il n’est cependant pas
tout à fait sûr que le nom se rattache à la racine erike-. La transcription égyptienne w
pourrait indiquer une labiovélaire (voir Rilly, 1999a, p. 102-103).
1
On a rapproché ci-dessus (cf. note 2, p. 14) le nom de ce roi de la formule de bénédiction
divine ntki lb~te ou ntke lb~te « donne-leur ntki » (REM 0015, 0016, 0018) adressée au
dieu dans l’intérêt de la famille régnante sur les murs du temple du Lion de Naga. Mais
ici le suffixe verbal de datif pluriel -b- fait difficulté pour le sens. Voir une autre
hypothèse (suffixe itératif) chez Zibelius, 1983, p. 45-49.
2
Cf. Hainsworth, 1979b, p. 344.
3
Voir Albright, 1934, particulièrement p. 43 (ma) et 47-48 (la et lu). Voir également
Lefebvre, 1955, p. 34-35 et Vycichl, 1990, p. 207-212.
INTRODUCTION 23

l’écriture syllabique dégagées par Albright, 1934, correspondrait apparemment


à une vocalisation /mala/. Cependant Edel, 1949 a montré que le groupe
n’était pas univoque et se réalisait parfois /li/ : il est donc possible que la
seconde syllabe du nom de la « Nubienne » ait été réalisée /li/ 1, voire /lu/.
: ma-lu (?) dans les noms du prince Qomloye, génération B (IXe
siècle ?), voir ci-dessus p. 19. La transcription est quasiment semblable à la
précédente, et laisse supposer que l’écriture syllabique, apparemment
décadente en Égypte 2, a perduré quelques siècles supplémentaires dans le
royaume de Koush, peut-être avec des adaptations.
: ma-lu dans le nom de la reine « Katimala » (/kandimalu/) au début du
VIIIe siècle (?). Ici les valeurs syllabiques données par Albright, 1934 et la
prononciation méroïtique ultérieure coïncident parfaitement.
: m(a)-lu (?) dans le nom de la reine Malotaral I (n° 41), femme
d’Atlanersa (653-643) 3 ; le premier signe, si la lecture est bonne 4, n’est
peut-être plus syllabique.
: mlu (?) dans le nom d’une reine Maletarata (Letellier, 1977) sur un
sceau du Louvre 5. Si l’identification de B. Letellier est juste, ce serait la
même reine que la précédente (voir note 4 ci-dessous). Le premier signe n’est
apparemment pas syllabique, mais le sens du mot méroïtique est précisé par
l’idéogramme égyptien nfr « bon », « beau », utilisé comme déterminatif.
: ml dans le nom de la reine Amanimalol (n° 8), contemporaine et
peut-être épouse de Senkamanisken (643-623), et d’une reine Maletarata (?)
sur une situle du Louvre 6. L’écriture ne note probablement que les
consonnes, mais le déterminatif est présent.
: m(a)lu dans le nom d’un particulier appelé Malowiebamani (n° 44
d), apparaissant sur la stèle du roi Aspelta 7 (593-568). Le même nom est
1
La variante mli de l’adjectif mlo apparaît justement à l’époque méroïtique dans des noms
de femmes (par ex. Mliwose en REM 1049).
2
Voir Albright, 1934, p. 13-15.
3
Pour la transcription des noms royaux, nous continuons à suivre Dunham–Macadam,
1949 (sauf ‘ qui est transcrit o, voir p. 399sq) ; pour la chronologie (hypothétique), nous
nous référons à Wenig, 1999 ; enfin, pour les relations familiales au sein de la dynastie de
Napata, nous nous fondons sur Török, 1997b (Appendix).
4
Les hiéroglyphes sont à peine reconnaissables sur le scarabée de cœur (Boston 20644) où
est gravé le nom. Il convient de signaler que la lecture de ce nom est rectifiée en
« Maletarata » par Letellier, 1977, p. 49 et 51.
5
N° E 10302.
6
N° E 3841, lecture de Letellier, 1977, p. 44 (voir ci-dessus, note 4). Il s’agirait de la reine
transcrite Maletaral I (voir ici p. 23) chez Dunham–Macadam, 1949.
7
Stèle « de l’adoption », Louvre C 257, lignes 6-7 : voir Urk. III.2, 101-108 et Eide–Hägg
et al., 1994 (FHN I n° 39) p. 261.
24 LA LANGUE DE MÉROÉ

porté un siècle plus tard par un roi de Napata, avec une orthographe modifiée
(n° 44 a-b-c, voir ci-dessous). Dans cette graphie se combinent curieusement
écriture syllabique (?) et usage d’un déterminatif.
: ml dans le nom de la reine Maqomalo (n° 46), épouse d’Aspelta (593-
568) ; l’écriture est consonantique, mais le déterminatif est cette fois absent 1.
, et variantes , , : ml dans les noms de la reine
Malotasen (n° 43), épouse d’Aramatelqo (568-555), du roi Malonaqeñ (n°
40) [555-542], de la reine Malotaral II (n° 42), contemporaine d’Amani-
nataki-lebte (538-519), du roi Malowiebamani (n° 44 a-b-c) [463-435], et de
la reine Atasamalo (n° 20), mère d’Harsiotef (404-369) ; seules les
consonnes sont indiquées, mais le mot est précisé par le déterminatif.
Cet inventaire montre que la simplification de la graphie s’est faite
pendant la XXVe dynastie. C’est apparemment au plus tôt sous le règne
d’Atlanersa (653-643) que l’on a commencé à employer des signes égyptiens
à valeur déterminative, du moins pour mlo : « bon », « beau », mte :
« enfant » et mk « dieu », sans doute pour éviter des confusions avec des
homographes 2. Mais le procédé n’est pas encore systématique : c’est ainsi
que l’élément mdy (méroïtique mte) dans le nom de la reine Madiqeñ, femme
d’Anlamani (623-593), est écrit parfois sans, mais parfois avec le
déterminatif . De même, le nom de la reine Maqomalo 3, épouse d’Aspelta
(593-568), comporte une graphie avec l’idéogramme divin complétant mk,
et une autre où il n’apparaît pas. On comparera également le nom de la même
reine Maqomalo, où le déterminatif est absent après mlo, et celui du
particulier Malowiebamani, son contemporain, où il est présent. Après le
règne d’Aspelta en revanche, aucune graphie de mlo n’omet le déterminatif,
du moins pour les anthroponymes actuellement attestés.
Cette évolution de l’écriture napatéenne nous interdit pratiquement une
reconstitution du vocalisme ancien, puisque la plupart des éléments
méroïtiques reconnaissables sont postérieurs à la XXVe dynastie où, nous
l’avons vu, le système syllabique, pour autant qu’il ait été régulièrement
utilisé, avait fait place à une simple notation consonantique. Certes, quelques

1
Deux graphies proches et se retrouvent dans les noms des deux princesses (?)
Malaqaye (n° 39) et Mernua (n° 47), pour lesquelles aucune parenté ni datation ne
semblent assurées. Si nos hypothèses concernant l’évolution des graphies sont avérées,
on pourrait les placer entre les règnes d’Atlanersa et d’Aspelta.
2
C’est une des multiples raisons pour laquelle nous n’admettons pas l’hypothèse de Priese
selon laquelle le signe ƒm~ dans le nom du pharaon Piankhy aurait une valeur de simple
déterminatif précisant une racine méroïtique *pi/*pe signifiant « vivant » (Priese, 1968a).
Cette théorie a conduit les égyptologues à transcrire le nom « Piye » ou « Peye ». Pour
une réfutation complète de cette thèse, voir Rilly, 2001d.
3
Voir p. 21, note 5.
INTRODUCTION 25

voyelles sont notées çà et là 1, mais rien qui nous permette vraiment de


restituer des réalisations phonétiques de manière fiable. Aussi nous semble-t-
il difficile de suivre Abdalla, 1999b lorsqu’il entreprend de retrouver dans les
graphies napatéennes, toutes époques confondues, une notation stable et
précise de voyelles, qui de plus correspondraient exactement aux graphies
méroïtiques attestées plusieurs siècles plus tard.

L’analyse des anthroponymes napatéens permet aussi de dégager


quelques éléments diffus de syntaxe, bien qu’il faille rester prudent : la
construction des noms de personnes et leurs graphies peuvent, comme en
égyptien, posséder des particularités qui rendent fragile toute interprétation
définitive. La position des théonymes, notamment, semble parfois brouillée
par l’antéposition honorifique 2. De plus, le corpus disponible se réduit à
moins d’une centaine d’anthroponymes, ce qui est statistiquement peu,
d’autant plus que seule une petite partie d’entre eux est formée d’éléments
lexicaux qui nous soient connus.
Il semble néanmoins qu’on puisse observer la position de l’adjectif
épithète après le substantif : Katimala, mér. kdi mlo : « la belle dame » ;
Maqomalo, mér. mk mlo : « la bonne déesse » 3. Dans d’autres cas, la place
de mlo en tête de syntagme est assez difficile à interpréter. Le nom ancien
Malukasati (mér. mlo qesto) peut, soit suggérer une prédication : « la
Koushite est belle (?) », soit une substantivation de l’adjectif mlo, l’élément
qesto étant alors adjectival : « la beauté koushite ». Dans les autres anthro-
ponymes où mlo est antéposé (voir p. 22-23), les éléments qui le suivent nous
sont obscurs et ne permettent donc aucune interprétation.
Les nombreux noms terminés par -qo semblent correspondre à des
propositions non verbales, à valeur présentative (voir p. 540), bien attestées
en méroïtique, terminées par le pronom de la troisième personne du singulier
qo, utilisé comme copule : « (c’est) lui », « (c’est) elle » 4. L’exemple le plus
clair est le nom du roi Aramatelqo, conservé dans cinq cartouches de graphie
identique 5. On y reconnaît sans ambiguïté une proposition présentative

1
On trouve ainsi et , transcrits -ƒ a- par Dunham-Macadam, 1949 dans les noms
d’Analmaƒaye (n° 13), Sakaƒaye (n° 64), Siƒaspiqa (n° 70). Il pourrait s’agir d’une voyelle
[o], correspondant à la vocalisation démotique de ce signe, mais en aucun cas précédée
d’un ƒayin, son étranger au méroïtique (voir infra les remarques de Schäfer sur la stèle de
Nastasen). La transcription de Macadam suit apparemment à la lettre celle d’Albright,
1934, p. 37-38, qui s’applique à des langues sémitiques dotées d’un ƒayin, et à un stade de
vocalisme beaucoup plus ancien.
2
C’est clairement le cas dans certaines graphies du nom royal Senkamanisken où Amani
(Amon) apparaît en tête (voir Dunham-Macadam, 1949, n° 67a).
3
Le choix de traduction de mlo par « bonne » ou « belle » ne peut être ici qu’arbitraire.
4
Voir ici p. 540.
5
Voir note 2, p. 21
26 LA LANGUE DE MÉROÉ

méroïtique Ar mte-l qo : « (c’est) lui Horus-l’Enfant », assimilant le


souverain à l’Harpocrate (Ãq o2,Äqc) égyptien 1.

À cette esquisse de l’état du méroïtique aux temps du royaume de Napata,


on peut également ajouter quelques observations sur l’égyptien « méroïtisé »
utilisé par les scribes koushites. ætant donné le petit nombre de textes
concernés, il est difficile de savoir s’il a vraiment existé un créole égypto-
méroïtique, comme le supposait Zyhlarz, qui parlait de « soudano-égyptien »,
ou plus récemment Peust qui lui donne le nom de « napatéen » 2. On peut
penser que les structures du méroïtique offriraient de plus nombreux points
de contact avec la syntaxe égyptienne si un tel créole avait été utilisé pendant
des générations dans le royaume de Koush, mais le traitement de cette
question ne peut être actuellement que spéculatif. Nous sommes réticent
devant la définition avancée par Peust, 1999 du « napatéen » comme
« dialecte égyptien de Nubie ». Il nous semble que l’égyptien des inscriptions
du royaume de Napata est essentiellement une langue écrite : les
particularismes dus à une résurgence, sous la plume des scribes koushites,
des structures de la langue maternelle méroïtique participent selon nous
davantage de la « faute », d’ailleurs variable, que d’un système linguistique
cohérent et original. On en trouve notamment sur la stèle de Nastasen (335-
315 av. J.-C.). Comme l’avait déjà remarqué Schäfer dans la première
publication du texte 3, la graphie indique une confusion du s et du š , une
méconnaissance du ƒayin, du f, du ∆ 4. La généralisation de l’article masculin
p3 à tous les substantifs 5 dénote clairement l’influence d’une langue où le
genre n’est pas marqué. Pour Schäfer, il s’agissait de démontrer que la
langue de Napata était l’ancêtre du vieux-nubien, dont cet auteur était l’un
des premiers spécialistes. Cependant, toutes les caractéristiques qu’il a
constatées s’appliquent très bien au méroïtique, qui, comme le vieux-nubien,
ne connaît pas les phonèmes ƒayin, f, ∆ et ne distingue pas le genre
grammatical.

1
La traduction de Priese par « Horus fils de son père » repose sur une mauvaise
identification du pronom-copule (voir Priese, 1965a [98] et Priese, 1968a, p. 166).
2
Zyhlarz, 1961 : « Sudan-Ägyptisch im Antiken Äthiopenreich von K’ash » ; Peust,
1999 : Das Napatanische. Ein ägyptischer Dialekt aus dem Nubien des späten ersten
vorchristlichen Jahrtausends. Texte, Glossar, Grammatik. Les arguments de Peust
n’occupent qu’une courte section de son ouvrage (p. 72-73, § 6.1.2) et ne nous semblent
pas pleinement convaincants. Ils sont en tout cas insuffisants pour justifier la description
exhaustive d’un « dialecte », d’ailleurs fondé sur trois textes (stèles d’Harsiotef, de
Nastasen et d’Ary).
3
Schäfer, 1901.
4
Schäfer, 1901, p. 72-75 ; Peust, 1999, p. 226-230.
5
On trouve ainsi p3 mw.t , lit. « le mère » : Schäfer, 1901, p. 69, 75 ; Peust, 1999, p. 231-232.
INTRODUCTION 27

En conclusion, les informations, bien que très partielles, que livrent les
anthroponymes napatéens et les fautes d’égyptien des scribes koushites
montrent que la langue du royaume de Napata est un stade du méroïtique très
proche de celui que nous connaissons par les textes ultérieurs. Les quelques
mots que nous pouvons identifier, la structure des syntagmes nominaux et
des propositions présentatives ne présentent pas de différences
fondamentales avec la langue attestée cinq siècles plus tard. Il faut
évidemment garder à l’esprit que nous n’avons aucune vue d’ensemble sur la
langue de Napata, et qu’une série d’anthroponymes ne saurait remplacer un
texte syntaxiquement complet, qui n’a sans doute jamais existé par écrit à
cette époque. La prétention de Zyhlarz d’avoir compris la langue méroïtique
grâce aux anthroponymes napatéens n’en semble que plus vaine 1. Il n’en
reste pas moins qu’une étude complète du corpus de ces anthroponymes,
augmenté des éléments textuels découverts depuis les trente dernières années,
permettrait sans doute d’accroître notre connaissance de ce stade ancien du
méroïtique, et de proposer une transcription révisée et cohérente des noms
des souverains de Napata et de leur famille 2.

1
Zyhlarz, 1956, p. 24 et note 11.
2
Voir p. 21, note 1. Les révisions proposées çà et là, notamment par les historiens, ne sont
que ponctuelles.
28 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le méroïtique, langue écrite du royaume de Méroé

Les inscriptions rédigées en langue et en écriture méroïtiques au sens


strict (IIe siècle av. J.-C.-Ve siècle apr. J.-C.) constituant le sujet principal du
présent ouvrage, nous voudrions ici simplement souligner l’évolution de ce
dernier stade du méroïtique en indiquant quelques repères d’ordre diachro-
nique. Les textes connus couvrent une période d’un demi-millénaire, de la fin
du IIIe siècle avant J.-C. 1 au début du Ve siècle de notre ère. Il est assez
vraisemblable que la langue se soit modifiée sur un tel espace de temps.
Griffith, qui envisageait pourtant une durée moins longue, recommandait
déjà la prudence face à une trop rapide généralisation d’un état de langue
donné à toute la période :
« We must be cautious, however, in applying the rules to early Meroitic writing or
to ordinary Meroitic groups where traditional spelling from early days would
more or less hold sway. Changes in the pronunciation of the language or the
predominance of a different dialect might affect the spelling, and the scribal
conventions would almost certainly show some change in the course of two or
three centuries. » (Griffith, 1916b, p. 120)

Il est à peu près sûr que la langue officielle, celle des textes royaux, n’a
guère varié sur ce long espace de temps. La comparaison entre la stèle
d’Akinidad (REM 1003), du début de notre ère, et l’inscription de
Kharamadoye (REM 0094), du début du Ve siècle apr. J.-C. ne montre guère de
différences significatives 2. Il semble assez plausible qu’on ait ici affaire à
une langue figée, volontiers archaïsante, à l’image de ce que l’on constate,
sur une durée plus longue encore, pour l’Égypte pharaonique 3. C’est plutôt
du côté des inscriptions funéraires privées que l’on peut juger de certaines
évolutions.
Ainsi, Hintze, classant chronologiquement les épitaphes royales de
Méroé 4, avait repéré quelques changements réguliers dans les préfixes des
formules de filiation 5. Durant la période antérieure à 40 av. J.-C., (« alt-
meroitische Periode »), ce préfixe s’écrivait e-. À partir du IIIe siècle de notre

1
La première inscription connue (REM 0039) était supposée remonter à l’époque de la
reine Shanakdakhete, située par Wenig, 1999 entre 170 et 150 av. J.-C., mais que Török,
1997a, place plutôt à la fin du IIe siècle av. J.-C. Or des inscriptions découvertes
récemment à Doukki Gel sont sûrement plus anciennes (voir p. 260). Les premiers textes
longs datent du règne de Taneyidamani, dans les dernières années du IIe siècle av. J.-C.
2
Hofmann, 1980a, p. 277, 278.
3
Voir Hofmann, 1981a, p. 293.
4
Hintze, 1959a, p. 67-68.
5
Voir p. 100-101.
INTRODUCTION 29

ère (« spätmeroitische Periode »), il apparaîtrait selon Hintze sous les formes
te- et t-.
Il semble que la situation soit un peu plus complexe. Hofmann 1 fait juste-
ment observer que le préfixe te- apparaît déjà en REM 0811A et REM 0816,
inscriptions qui doivent dater toutes deux du milieu du Ier siècle de notre ère,
et que d’autre part on trouve un préfixe ye- en concurrence avec te-/t- jusque
dans les derniers textes méroïtiques (REM 0098). En fait, les formes e- et ye-
ne sont que deux graphies 2, l’une archaïque, l’autre plus tardive, du même
suffixe, utilisé régulièrement avant le milieu du Ier siècle de notre ère, puis de
manière sporadique après cette date 3, où il est communément remplacé par
un nouveau suffixe, t-/te-.
Hintze, puis Priese, remarquent plus justement un autre élément d’évo-
lution, concernant cette fois les suffixes verbaux qui confèrent à l’objet une
valeur de datif 4. Jusqu’à l’époque que Hintze appelle « mittelmeroitisch »
(40 av. J.-C.-200 apr. J.-C.), ces suffixes apparaissent sous la forme -‚- si
l’objet est singulier, -b‚(e)- s’il est pluriel. À la période tardive, dans les
verbes de bénédiction, le suffixe singulier n’est graphiquement plus marqué,
et le pluriel apparaît en conséquence sous la forme simplifiée -b-.
Hintze utilise également comme moyen de datation philologique 5 une
modification phonétique, connue à tort sous le nom de « loi d’Hestermann »,
mais que nous proposons de rebaptiser plus justement « loi de Griffith » (voir
p. 415). Selon cette loi, qui apparaît au cours de la période dite
« mittelmeroitisch » par Hintze, la succession -se + -l se contracte en -t.
« Cette sorte de mutation est une des pièces maîtresses du système chronologique
constitué par Fr. Hintze en 1959 ; elle aurait eu lieu vers les années 40 de notre
ère. Dès lors, l’article [-l] n’est plus représenté par une forme unique, et le génitif
[-se] non plus ; le système morphologique de la langue a dû s’en ressentir. »
(Heyler, 1967, p. 108)

Une autre évolution phonétique a été étudiée principalement par


Hofmann : il s’agit de la disparition progressive de l’initiale vocalique 6,
translittérée a par convention, dans un grand nombre de mots. On trouve
ainsi asr : « viande (?) », « animal (?) » dans les textes anciens, sr dans
les textes tardifs ; Ams, le dieu « Mash », à haute époque, Ms plus tard. On
1
Hofmann, 1975, p. 17-18, Hofmann, 1980a, p. 270-271
2
Voir p. 291-292.
3
Sauf exception géographique (dialectale ?) : les trois épitaphes retrouvées récemment sur
l’île de Saï (REM 1241, 1249, 1273) portent cinq fois sur six le suffixe ye-.
4
Hintze, 1959a, p. 68 ; Hintze, 1979, p. 65-66, 73. Voir aussi Meinhof, 1921-1922, p. 7 ;
Priese, 1971, p. 281 ; Hofmann, 1981a, p. 239 et surtout Hofmann, 1980a, p. 272. Pour
l’analyse de ces affixes, voir p. 553-554.
5
Hintze, 1959a, p. 67 ; Hofmann, 1980a, p. 277-278.
6
Voir p. 286 « l’initiale vocalique » pour étude et références complètes. Nous suivons ici
Hofmann, 1980a, p. 273-275.
30 LA LANGUE DE MÉROÉ

pourrait accumuler les exemples, particulièrement dans les théonymes :


Amni / Mni : « Amon », Amnp / Mnp : « Amon de Thèbes »,
Amnpte / Mnpte : « Amon de Napata », Apedemk/Pedemk : « Apedemak » (le
dieu-lion), etc. Bien qu’il soit difficile de tenter une datation précise,
notamment en raison des nombreuses graphies archaïsantes 1, il semble que
cette aphérèse s’est également produite au cours du Ier siècle de notre ère.

Enfin, quelques mots ont subi des variations consonantiques de prime


abord déroutantes 2. C’est le cas d’un titre de grand-prêtre (?) d’Amanap, qui
se présente à époque ancienne sous la forme ameloloke, mais est
fréquemment attesté à partir du IIe siècle sous la graphie beloloke 3. De la
même façon, on trouve dans les textes royaux, jusqu’au début du Ier siècle de
notre ère, Medewi (ou Medewe) pour le nom de Méroé, mais le mot est
attesté sous une graphie Bedewi (ou Bedewe) peu de temps après 4 et ce
jusque dans les textes du IVe siècle. Nous possédons peut-être même une
trace, malheureusement impossible à dater, de cette modification
phonétique : à la ligne 53 de la grande stèle de Taneyidamani (REM 1044),
on relève un curieux bmedewi-k où se mélangent les deux graphies. Dans son
étude du texte, Hintze précise :
« Das b stösst unmittelbar an das vorhergehende s an und macht daher den
Anschein einer nachträglichen Zufügung ; man würde an seiner Stelle eher den
Worttrenner erwarten. » (Hintze, 1960a, p. 152)

L’hypothèse nous semble plus que vraisemblable. On peut même affirmer


que l’ajout du b, probablement gravé sur le signe de séparation (« Wort-
trenner »), s’est fait plus de cent ans après l’érection de la stèle devant le pylône
d’entrée du temple B 500 du Gebel Barkal. En effet, le règne de Taneyidamani
prend place vers 100 av. J.-C. 5, et la stèle d’Amanishakheto à Qasr Ibrim
(REM 1141) 6, qui peut être datée des dernières années avant notre ère 7,
comporte encore la version Medewi. Aussi peut-on penser qu’une main
pieuse a ajouté un b devant Medewi-k « à Méroé », « vers Méroé », sur la
stèle de Taneyidamani encore en place au Gebel Barkal, en guise de glose

1
Dans certains cas, l’initiale a pu rester prononcée après un mot à finale consonantique
(d’après une constatation de Griffith , 1911a, p. 71).
2
Cf. Hofmann, 1980a, p. 275-276 ; Hofmann, 1981a, p. 11, 62-63. Nous proposons à la
page suivante une autre explication qu’une simple « substitution de consonnes ».
3
On trouve aussi la variante tardive beliloke.
4
Bedewi est attesté sur une table d’offrandes de Faras (REM 0521) qu’on ne peut dater
plus tard que le milieu du Ier siècle, en raison notamment des graphies de type ancien.
5
Wenig, 1999 donne les dates de 110-90 av. J.-C.
6
Actuellement non publiée. Je remercie le professeur D. N. Edwards, qui nous en a obli-
geamment adressé des clichés ainsi qu’une copie de sa main.
7
Wenig, 1999 donne 10 av. J.-C.-0.
INTRODUCTION 31

destinée à faciliter la lecture d’un texte devenu incompréhensible à cet


endroit 1.

À l’exception de la substitution de préfixes, toutes ces modifications nous


paraissent procéder d’un même phénomène, un affaiblissement vocalique qui
a entraîné la chute des schwas notés e en position médiane ou finale, a en
position initiale 2. À l’initiale, le signe a devenu inutile a disparu, d’où
l’aphérèse constatée ci-dessus. En position médiane ou finale, le signe e se
conservait, mais pour noter l’absence de voyelle 3. Cet amuïssement a mis en
contact des consonnes qui se sont assimilées : d’où la disparition du ‚ final
dans le suffixe verbal de datif, confondu avec la consonne initiale de la
désinence verbale qui le suivait 4 ; d’où également la contraction de se,
devenu [s], avec le -l suivant en -t (loi de Griffith). Ainsi s’explique aussi la
transformation de ameloloke [ŒmŒluluk(Œ)] en beloloke [bluluk] : le schwa
entre m et l est tombé, et un b épenthétique s’est glissé entre les deux
consonnes, comme dans la formation du français nombre à partir du latin
nÓmerum.
L’initiale vocalique ayant chu à son tour, le groupe -mb- s’est simplifié
(ou assimilé) à l’initiale en b. Dans un autre contexte, un phénomène proche
explique la formation du grec βροτóς « mortel » (<*µρóτος) face au sanscrit
m”ta-, de même sens et de même étymologie indo-européenne. La
transformation de Medewi en Bedewi peut également s’expliquer de cette
manière. Le d méroïtique, apicale rétroflexe que nous notons [Ç] 5, est
acoustiquement proche du r égyptien ou grec, si bien que la capitale du
royaume de Koush a été transcrite Mrw.t en égyptien, Μερóη en grec.
Comme le r, le d rétroflexe peut former un groupe consonantique avec une
occlusive : la cité méroïtique de Pedeme a été écrite sous la forme Πρµις
chez Ptolémée, Πριµ dans l’inscription grecque du roi blemmye Silko à
Kalabsha 6. Le mot Medewi, prononcé anciennement [mŒ'Çuwi] (?) 7, d’où sa
transcription grecque, a sans doute perdu le schwa de sa première syllabe. Le

1
Ce détail montre également l’existence d’une tradition proprement littéraire dans la
culture méroïtique, les textes anciens étant régulièrement lus, compris, et assurément
imités, comme le prouve également la formulation et la graphie archaïsante de la stèle
pourtant très tardive de Kharamadoye (REM 0094).
2
Nous ne postulons pas que a initial représente systématiquement un schwa. Il s’agit au
contraire d’un signe à valeur multiple, pouvant représenter aussi [a] ou [u] : voir p. 291.
3
Le signe e possède deux, voire trois lectures : [Œ], absence de voyelle et sans doute [e].
Voir p. 397-398 pour cette difficulté de la graphie méroïtique.
4
C’est d’ailleurs la théorie de Hintze (Hintze, 1979, p. 65-66).
5
Voir ci-dessous, p. 368-369.
6
Même interprétation phonétique chez Priese, 1984, p. 488.
7
Pour e = [u] devant labiovélaire, voir ci-dessous, p. 379 et Rilly, 1999a, p. 106-107.
32 LA LANGUE DE MÉROÉ

même b épenthétique est alors apparu, assimilant à terme l’initiale m. La


forme obtenue, ['bÇuwi] (?), s’est naturellement écrite Bedewi 1.
Comme nous l’avons constaté dans l’examen respectif de chacune de ces
transformations de la langue du royaume de Méroé, c’est durant le Ier siècle
que se sont opérés tous ces changements, ou du moins qu’ils ont été notés
dans l’écriture. Aussi la répartition de Hintze en trois « périodes » nous
paraît-elle inexacte et probablement calquée sur la division en trois époques
de la paléographie méroïtique par Griffith 2. Au niveau strictement linguistique,
il nous semble que la langue a connu, durant la période où elle a été écrite,
deux stades distincts, avant et après le Ier siècle de notre ère. La principale
différence est due à un affaiblissement vocalique, suivi d’un cortège
d’assimilations et d’épenthèses qui ont transformé profondément la
configuration phonétique de certains mots et syntagmes.

La disparition du méroïtique

Le déclin de la langue méroïtique est enveloppé du même mystère que


son apparition. Les problématiques en ce domaine recoupent d’ailleurs en
bonne partie celles qui se posent pour la « fin de Méroé » 3. On suppose
généralement que la langue a survécu de peu à la disparition du pouvoir
central au milieu du IVe siècle et s’est éteinte vers le Ve de notre ère 4. Le
texte le plus tardif que nous connaissions est la longue inscription du roi
Kharamadoye sur les murs du temple de Kalabsha (REM 0094) 5. Török la
place avec assurance entre 410 et 450 de notre ère : Kharamadoye aurait été
un de ces monarques « nobades » qui remplacèrent en Basse-Nubie le

1
Notre hypothèse, qui semble recevable pour les derniers stades de la langue méroïtique,
ne rend pas compte des transcriptions anciennes du nom de Méroé avec un b- initial
attestées dans les textes royaux napatéens de la fin du Ve siècle et du IVe siècle av. J.-C. :
Bi-r-[we] (stèle d'Irike-Amanote, Kawa IX, l. 5), Bi-ru-we (stèle d’Harsiotef, l. 101,
106, 138 et 148, stèle de Nastasen, l. 18), B-ru-we (stèle de Nastasen, l. 4 et 22).
Cependant, Hérodote, qui compose au milieu du Ve siècle, écrit bien Μερο ou Μερóη
(l’accentuation a été ajoutée par les Alexandrins), avec un Μ initial, et la liste des nomes
de Koush inscrite sur les murs du temple de Philae sous Ptolémée II Philadelphe (283-
246 av. J.-C.) donne L«qv2«. En revanche, la mention de la ville sous le nom de *M3r
dans un fragment de la stèle brisée d’Aspelta (VIIe-VIe siècle av. J.-C.) à Méroé semble
une erreur (cf. Hallof in Hinkel, 2001, p. 199 et note 28). Sur les différentes versions du
nom de Méroé, voir également Zibelius, 1972, p. 106-107 ; Grzymski, 1982 et Peust,
1999, p. 208-209.
2
Voir ci-dessous, p. 341-342.
3
C’était le thème du 8e Congrès d’études méroïtiques (Welsby, 1999).
4
Griffith, 1911a, p. 21 et note 2, Priese, 1997b, p. 255.
5
Les principales études de ce texte souvent commenté se trouvent dans Griffith, 1912, p. 26-
32 ; Millet, 1973a (en entier) ; Török in Eide–Hägg et al., 1998, p. 1103-1107 (n° 300).
INTRODUCTION 33

pouvoir défaillant des rois de Méroé 1. Il n’est cependant pas impossible que
certaines tables d’offrandes retrouvées dans les nécropoles de Qustul et de
Ballana 2 soient contemporaines de cette inscription. On y trouve les
formules funéraires habituelles, avec néanmoins quelques irrégularités et
quelques fautes qui laissent penser à une décadence des normes écrites, mais
ont au moins le mérite d’exclure la possibilité d’un réemploi. Il semble donc
que les royaumes du méroïtique final en Basse-Nubie, auxquels Reisner avait
attribué le nom de « groupe X », font encore usage de la langue et de
l’écriture méroïtiques. Sur 113 inscriptions découvertes à Qasr Ibrim durant
la saison 1976, cinquante-deux ont été retrouvées dans des strates du
« groupe X », y compris des ostraca pour lesquels il n’est pas question de
réemploi. Adams 3 envisage donc trois hypothèses de datation pour la
disparition des éléments culturels du royaume koushite, dont la première, la
plus vraisemblable selon lui, fait survivre la langue et l’écriture méroïtiques
jusqu’à l’orée de la christianisation, au milieu du VIe siècle.
Enfin, tout au sud, à El-Hobagi, cent kilomètres en amont de Méroé, les
fouilles de la Section française de la National Corporation for Antiquities and
Museums, menées par Patrice Lenoble, ont mis au jour en 1991, dans un
tumulus d’époque méroïtique finale, un bol de bronze orné d’une bande
courante gravée d’hiéroglyphes méroïtiques (REM 1222) 4. Le texte appar-
tient à la catégorie bien représentée des « inscriptions de propriété » (voir
p. 205), figurant sur des amphores, des coupes, des jarres. Un anthroponyme
y apparaît vraisemblablement, difficilement repérable malgré tout au milieu
d’une série de titres originaux en rapport avec la divinité (mk) ou le pouvoir
royal (qore). La question s’est néanmoins posée de savoir si l’on n’avait pas
affaire à une réutilisation d’un objet plus ancien 5. Plusieurs spécialistes, dont
P. Lenoble, inventeur du bol, doutent de cette possibilité et y voient une
pièce contemporaine de l’inhumation, attestant la continuité de la culture
écrite méroïtique au cours du IVe siècle de notre ère 6 dans la région

1
Une autre hypothèse fait de Kharamadoye un roi blemmye : c’est en ce sens que Zyhlarz,
et plus récemment Millet, interprétent l’élément -mado- dans son nom, qui renverrait au
dieu Mandoulis, considéré comme la divinité principale de ce peuple, et dont le temple
principal était justement celui de Kalabsha (Zyhlarz, 1960, p. 743 ; Hofmann, 1980a,
p. 270 ; Millet, 1998, p. 58-59).
2
Voir Török, 1986, Williams, 1991 incluant la contribution de Millet (Millet, 1991) et
Török in Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 1106.
3
Adams, 1982 : « Meroitic Textual Material from Qasr Ibrim », p. 212-213.
4
Une étude de N. B. Millet a été récemment publiée (Millet, 1998). Une autre, par nos
soins, figurera en contribution dans la publication des fouilles par P. Lenoble : Du
Méroïtique au Postméroïtique dans la région méridionale du royaume de Méroé.
Recherches sur la période de transition (titre actuel).
5
Török, 1996, p. 111.
6
Le site est daté au carbone 14 calibré de 350 ± 50 de notre ère (communication personnelle
de P. Lenoble).
34 LA LANGUE DE MÉROÉ

méridionale. L’examen paléographique de l’inscription semble corroborer


cette thèse (cf. Tableau 17, p. 351).
On ne peut savoir en revanche si tous ces documents témoignent d’une
culture encore vivante ou de l’utilisation officielle et liturgique d’une langue
et d’une écriture mortes. La question pourrait être résolue si l’on découvrait
des textes profanes, par exemple des comptes sur ostraca 1, qui pourraient
attester la survie du méroïtique comme langue quotidienne.
Un dernier élément, souvent commenté 2, semble prouver la continuité de
l’écriture méroïtique jusqu’au VIe siècle de notre ère. L’alphabet copte
adopté à cet époque pour l’écriture du vieux-nubien comporte en effet trois
signes méroïtiques : il s’agit de µ [Ñ], emprunté au méroïtique cursif h 3, de
$ [ñ], emprunté au méroïtique N ne et de \ [w], emprunté au méroïtique w
w. Il faut bien supposer que l’écriture méroïtique était encore connue et
pratiquée à l’époque où fut élaboré cet alphabet. La différence entre la valeur
du premier signe, [x] en méroïtique, [Ñ] en vieux-nubien, pourrait indiquer
que la phonétique méroïtique a continué à évoluer entre le IVe et le VIe
siècle, mais d’autres interprétations ont été suggérées 4.
On a enfin voulu repérer quelques traces d’un substrat méroïtique dans le
parler arabe du Soudan actuel 5. Une survivance de quelques termes est tout à
fait possible, mais nous n’avons guère les moyens de les repérer : les
transformations, les influences multiples au cours des siècles ne laissent que
peu d’espoir de ce côté. Tout au plus peut-on signaler quelques exemples
d’une remarquable continuité dans l’usage de certains toponymes. Ainsi
l’actuelle Arminna correspond-elle à l’antique Adomn, sans doute prononcée
[aÇumana], et l’actuel Addai (autre nom de Sedeinga) rappelle étonnamment
l’ancien Atiye. Mais on connaît partout dans le monde l’extraordinaire
conservatisme des noms géographiques : les Alpes, la Loire, le Rhône, sont
ainsi en français des vestiges d’onomastique préceltique.

1
Les ostraca de Qasr Ibrim, cités par Adams (voir note 2 p. 33) n’ont pas encore fait
l’objet d’une publication.
2
Griffith, 1911a, p. 14 ; Griffith, 1913, p. 73 ; Griffith, 1916b, p. 73 ; Meinhof, 1921-
1922, p. 2 ; Hofmann, 1979, p. 30 ; Hofmann, 1981a, p. 3 ; Hintze, 1987, p. 43-44.
3
Peust émet l’intéressante hypothèse que le signe nubien ait été obtenu à partir du grec
Γ /g/ par l’adjonction d’un trait inférieur diacritique (Peust, 1999, p. 78, note 58). Dans ce
cas, les emprunts graphiques au méroïtique se réduiraient à deux signes. Il signale
également que l’écriture particulière aux graffiti vieux-nubiens de la région de Méroé et
de Soba, malheureusement peu compréhensibles, pourraient comporter d’autres emprunts
à l’écriture méroïtique (Peust, 1999, p. 78, déjà chez Zyhlarz, 1928, p. 190).
4
Hintze, 1987, p. 43, propose pour le méroïtique ‚ une valeur [Ñ], plus proche du nubien.
Nous ne souscrivons pas à cette hypothèse : voir p. 393-394.
5
Zawadowski, 1972, p. 22-23 ; contra : Vycichl, 1973b, p. 65-66 ; Haycock, 1978, p. 73-74.
Pour une survivance du titre royal qore en fur (langue du Darfour), voir Arkell, 1956.
INTRODUCTION 35

Périodisation

Il nous paraît utile de résumer les données historiques examinées ci-


dessus en une nouvelle périodisation de la langue méroïtique, qui révise celle
que Hintze proposa il y a plus de quarante ans, et qui, nous l’avons vu, a été
l’objet de critiques fondées. Les dates proposées ici ne sont évidemment
qu’approximatives. La définition d’un « méroïtique ancien » ne peut se faire
sur des critères proprement linguistiques, étant donné la pauvreté des
documents. Elle répond plutôt à un souci de cohérence et de vraisemblance :
on peut légitimement penser que le développement du royaume de Napata a
entraîné un brassage d’ethnies et l’émergence d’une langue commune qui
n’est probablement pas une forme d’égyptien, comme l’atteste la permanence
de noms dynastiques méroïtiques. Pareillement, la distinction entre « ancien
méroïtique » et « moyen méroïtique » n’est qu’une hypothèse, motivée par le
repli sur la Nubie et l’évolution de la langue de Koush désormais en vase
clos. Cette distinction, si elle a existé, ne semble pas profondément marquée.

2200 (?)-1000 av. J.-C. PROTOMÉROÏTIQUE


z Le futur méroïtique, langue du peuple appelé Koush, n’est peut-être qu’un
dialecte parmi d’autres. Une langue protoméroïtique est parlée dans le
royaume de Kerma.
z Pas d’écriture, mais transcription en égyptien syllabique de quelques noms
propres et quelques épithètes divines.
z Emprunt des noms de certaines divinités égyptiennes avant 1300.

1000-500 av. J.-C. ANCIEN MÉROÏTIQUE


z Pas d’écriture propre, mais transcription des noms propres en hiéroglyphes
égyptiens, en écriture syllabique simplifiée (« napatéen »).
z Amplification des emprunts à l’égyptien (démotique), comprenant entre
autres des titres.

500 av. J.-C.-50 apr. J.-C. MOYEN MÉROÏTIQUE


z Continuation du système de transcription des noms propres (« napatéen »),
qui conduit indirectement à la fin du IIIe siècle av. J.-C. à l’élaboration d’une
écriture méroïtique spécifique (hiéroglyphique et cursive archaïque, puis
transitionnelle).
36 LA LANGUE DE MÉROÉ

z Les termes de filiation ont un préfixe e-, parfois non écrit.


z Les voyelles d’articulation centrale se maintiennent majoritairement : les
initiales vocaliques a- sont toutes écrites, le suffixe de datif -‚e (ou -‚) ne
s’assimile pas avec la consonne suivante, la succession -se + -l est écrite sans
contraction, le nom de Méroé se présente avec m- initial.

50-500 apr. J.-C. NÉO-MÉROÏTIQUE


z L’écriture méroïtique remplace l’égyptien dans tous les domaines, y
compris les légendes des temples et les protocoles royaux. La cursive
transitionnelle se transforme progressivement en cursive tardive.
z Les termes de filiation ont majoritairement le préfixe te- / t-. L’ancien
préfixe e-, désormais écrit ye-, apparaît sporadiquement ou localement.
z Chute des schwas, entraînant l’aphérèse de l’initiale vocalique chaque fois
qu’elle les marquait, l’assimilation du suffixe verbal de datif -‚e, la
contraction de la succession -se + -l en -t (loi de Griffith), et certaines
épenthèses, d’où Bedewi pour Méroé.
INTRODUCTION 37

Cadre géographique et différences dialectales

La tradition méroïtisante a longtemps placé le berceau de l’ethnie


koushite et donc de la langue méroïtique dans l’« île de Méroé », entre
Atbara, Nil Blanc et Nil Bleu 1. Le transfert de la nécropole royale de Napata
à Méroé à la fin du IIIe siècle avant notre ère aurait donc correspondu à un
retour aux sources. Hofmann déplace vers l’aval la région d’origine de cette
population et parle d’une ethnie installée « au sud de la troisième
cataracte » 2, ce qui correspond à une hypothèse partagée aujourd’hui par
beaucoup de spécialistes. En fait, si notre hypothèse concernant l’équivalence
du peuple de langue méroïtique avec l’ethnonyme « Koush » est avérée, c’est
plus au nord encore, entre la deuxième cataracte et l’île de Saï 3, qu’on
pourrait envisager de situer le berceau de cette population.
En l’absence de documents en langue locale jusqu’à la fin du IIe siècle
av. J.-C., il est impossible de préciser l’étendue de la zone de langue
méroïtique à l’époque napatéenne. Il est évident que c’était la langue du
pouvoir, et probablement de la majorité de ses représentants et de leurs
familles dans les régions soumises à l’empire de Napata, puis de Méroé. On
trouve cependant çà et là quelques mots de consonance différente 4, qui
témoignent de l’existence de locuteurs d’autres langues (nubiennes ?) sur le
territoire de Koush. À partir du Ier siècle avant notre ère, la multiplicité des
textes méroïtiques dessine un territoire sur lequel vivait une société
pratiquant la langue de Koush, mais il reste impossible de déterminer s’il
s’agit de populations entières ou d’une classe sociale dominante, la seule à
disposer de l’écriture :

« Because of the lack of evidence, neither the territorial extension of the Nubian-
speaking and Meroitic-speaking population groups nor their movements can be
defined with any precision and the emergence of Meroitic in the 2nd century BC
as well as its disappearance in the AD 4th-5th century as a written language are to
be interpreted as political and cultural rather than ethno-historical develop-
ments. » (Török, 1997b, p. 40).

1
Török, 1997b, p. 40 ; Priese, 1997a, p. 208 ; voir aussi Morkot, 2000 (Introduction). On trouvera
un bref exposé de cette question dans Dafa’lla, 1999 : The Origin of the Napatan State.
2
Hofmann, 1981a, p. 1 ; Hofmann, 1981c, p. 11.
3
D’après les textes égyptiens d’« exécration » du Moyen Empire (Posener, 1940, Posener,
1987). Voir supra, p. 4.
4
Priese, 1973c et notamment p. 161 : « Ne faut-il pas prendre en considération que le
méroïtique était certes la langue des rois de Koush et celle de la classe dirigeante, alors
que les nombreuses autres tribus plus ou moins vassales, en dehors de la région de Méroé
proprement dite, parlaient d’autres langues ? ».
38 LA LANGUE DE MÉROÉ

On trouve régulièrement l’hypothèse que la masse du peuple, du moins en


Basse-Nubie, était de langue nubienne 1. Hofmann rappelle ainsi que seules
10 % des inhumations de Karanóg sont accompagnées de textes funéraires, et
ce pourcentage est beaucoup plus bas dans d’autres nécropoles. Mais on ne
peut supposer que toutes les tombes dépourvues de stèles ou de tables
d’offrandes inscrites appartenaient à des Nubiens, et il paraît bien plus
vraisemblable de les attribuer à des familles pauvres ou illettrées. Il ne faut
pas oublier aussi que beaucoup de stèles ont disparu par suite de réemploi,
notamment dans les constructions privées : leur format et leur configuration
en faisait un matériau idéal, facilement transportable et réutilisable.
Faute de pouvoir définir un territoire de langue méroïtique, on se conten-
tera d’observer la répartition géographique des textes (voir Carte 1, p. 46).
L’inscription la plus méridionale proviendrait de Soba (REM 0001), sur le
Nil Bleu, au sud-est de Khartoum. Les plus septentrionales se trouvent à
Philae. À part les épigraphes de l’« île de Méroé » comme celle du Gebel
Qeili (REM 0002), ou celles des temples de Musawwarat et de Naga, aucune
ne s’éloigne du Nil de plus de quelques kilomètres. On n’a pas retrouvé de
textes méroïtiques entre le confluent de l’Atbara et la mer Rouge, et une
première prospection archéologique dans le Darfour 2 n’a révélé aucune trace
de la civilisation koushite. La culture écrite du royaume de Méroé n’est donc
actuellement représentée que par les vestiges cantonnés au cours moyen du
Nil. Il est néanmoins probable que des fouilles à venir étendent cet espace,
notamment vers le sud et le sud-ouest 3.
Cependant, cette répartition générale cache des disparités quant à
l’époque et au genre des textes. Les inscriptions de la région de Napata et de
Méroé sont majoritairement des textes royaux ou cultuels, datant du Ier siècle
avant au Ier siècle après J.-C., tandis que les textes de Basse-Nubie sont
essentiellement des épitaphes funéraires de particuliers et des ostraca
s’échelonnant entre le IIe et le IIIe siècle de notre ère. Aussi manquons-nous
souvent de points de comparaison pour juger des différences diachroniques et
dialectales, ainsi que le déplorait Trigger lors du 1er Congrès d’études
méroïtiques de Berlin :

1
Trigger, 1973a, p. 264 ; Hofmann, 1991, p. 215-216.
2
Mohammed, 1986 : The Archaeology of Central Darfur (Sudan) in the 1st Millenium A.D.
3
On a retrouvé à Sennar, sur le Nil Bleu, à 250 km au sud-ouest de Khartoum, un sphynx
au nom du roi Shabaqo et une nécropole y a été sommairement fouillée dans les années
1920 mais aucune inscription méroïtique n’y a été répertoriée (Dixon, 1963). Quelques
traces laissent supposer que l’influence (mais probablement pas le territoire) du royaume
de Méroé s’étendait jusqu’au confluent du Nil Blanc et de la Sobat, à plus de six cents
kilomètres en amont de Khartoum, mais aucune fouille systématique n’a été réalisée aussi
loin : voir Arkell, 1950, p. 40 et Dixon, 1963, p. 234 et note 16.
INTRODUCTION 39

« Little systematic attention has been paid to regional differences, or lack of diffe-
rence, in Meroitic grammar and orthography, in part because most of the funerary
inscriptions found to date come from Lower Nubia and there is, as yet, relatively
little comparable material between north and south. » (Trigger, 1973a, p. 254)

Quelques hypothèses de différenciation dialectale ont cependant été


avancées. La première en date concerne les épithètes divines dans les
invocations dites « solennelles » des épitaphes 1. Dans son étude consacrée
à ces groupes de signification encore obscure 2, André Heyler avait observé
sur un corpus de quinze inscriptions que les épithètes se présentaient au nord
du 22e parallèle avec une initiale w-, mais au sud avec une initiale q- (Heyler,
1964, p. 34). On avait ainsi, pour qualifier le nom d’Isis wetneyineqeli et
qetneyineqeli (et var.), et pour qualifier le nom d’Osiris wetrri et qettri (et
var.). Quelques stèles comportent en outre une divinité qualifiée de mk lƒ :
« grand dieu » / « grande déesse », suivie de wetrri ou qetrri si le nom figure
à la place d’Osiris, de wetneyineli (sic) s’il figure seul, ce qui n’est attesté
qu’en REM 1030.
Heyler avait cependant remarqué que l’inscription de Faras REM 0129
contrevenait à cette règle puisque, bien qu’originaire du nord, elle présentait
la forme qetrri. La découverte à Sedeinga, bien au sud du 22e parallèle, du
linteau funéraire REM 1091 où alternaient initiales w- et q- fragilisa
l’hypothèse. Heyler ne la renouvela pas dans une courte communication à
nouveau consacrée aux « invocations solennelles » l’année suivante (Heyler,
1965, p. 192), et certains la considérèrent dès lors comme caduque 3. Elle fut
cependant reprise par Priese et Hintze 4, et il n’est sans doute pas inutile de la
réexaminer, maintenant que nous possédons plus d’une trentaine
d’inscriptions où figurent de telles « invocations solennelles ».

Le tableau présenté dans les pages suivantes récapitule les attestations


actuellement connues, classées du nord au sud, de Karanóg à Méroé (voir
Carte 2, p. 83). Un examen paléographique, difficile en raison des styles
locaux encore mal étudiés et des tendances archaïsantes de certaines
graphies 5, permet de constater d’emblée que l’utilisation des invocations
solennelles est un phénomène de longue durée dans la tradition funéraire
méroïtique, puisque les premières connues remontent au Ier siècle de notre ère

1
Griffith parle d’« extended invocation ». Voir ici p. 93.
2
Voir ci-dessous, p. 94.
3
Hofmann, 1978a, p. 50 ; Hofmann, 1978c, p. 111 ; Hofmann, 1981a, p. 33 ; et avec moins
d’assurance, Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 50 (« zum vielleicht dialektisch bedingten
Unterschied...»), l’inscription étudiée, REM 1195, se conformant aux théories de Heyler.
4
Priese, 1977a, p. 46 [2.51] ; Hintze, 1999, p. 233-234 et n. 9 p. 234 ; Grzymski, 1982,
p. 28-29.
5
Voir à ce sujet le chapitre « Paléographie », p. 315 sq.
40 LA LANGUE DE MÉROÉ

(REM 0437, 1195), et que les dernières (REM 1182, REM 1183) datent très
probablement du début du IVe siècle 1. Il n’est pas impossible, comme le
suggère l’observation des données, que l’usage en soit né dans le Sud (Méroé)
et se soit ensuite répandu dans le Nord à partir du IIe siècle. Les plus
anciennes épitaphes de Sedeinga (REM 1092, 1121 et 1240) comportent en
effet une invocation simple, mais toutes les suivantes (voir Tableau 2 ci-
dessous) présentent une invocation solennelle. La prédominance numérique
des inscriptions septentrionales (23 sur 34 ont été retrouvées en amont de la
deuxième cataracte) s’explique essentiellement par l’histoire de l’archéologie
nubienne : le Nord a été l’objet de fouilles nombreuses et systématiques
depuis un siècle, surtout en raison des élévations successives du barrage
d’Assouan, alors que beaucoup de sites méridionaux restent à découvrir.

Tableau 2 : Liste par sites des invocations solennelles


Sites N° Épithète Épithète
(du nord au d’inscription d’Isis d’Osiris
sud)

Karanóg REM 0276 Wos : wetneyinoqeli Sori : wetrri


Qasr Ibrim REM 1182 Wos : wetneyineqeli Sori : wetrri
Qasr Ibrim REM 1183. Wos : wedi : tneyine[qeli] Sori wedi’…[...]yi
Arminna REM 1066A Wos wetneqeli Sori : wettrri
Arminna REM 1066B Wos : wetneyineqeli Sori : wettrri
Arminna REM 1067 Wos : wetneyineqeli mk lƒ : wetrri
Toshka REM 1049 Wos : wetneyineqeli Sori : wetrri
Gebel Adda GA 07 2 Wos : wetneyineqeli Sori : q[etr]ri
Gebel Adda GA 19A Wos : wetneyi : neqeli Sori : qetrri
Gebel Adda GA 19B Wos : wetneyi : neqeli Sori : qetrri
Gebel Adda GA 20A Wos : wetneyineqeli Sori : qetri
Gebel Adda GA 29 Wos : wetneyineqeli Sori : qetrri
Gebel Adda GA 41 Wos : wetne[yine]qeli Sori : qetrri
Gebel Adda GA 53 Wos : qetneyineqeli Sori : qetrri
Gebel Adda GA 54 Wos : wetneyineqeli Sori : wetrri
Faras REM 0129 Wos : qetrri mk lƒ : qetrri
Faras REM 0504 Wos : wetneyineqeli mk lƒ : wetrri
Faras REM 0538 [...]i Sor[i] : wetrri

1
La datation de REM 1182 a été établie par N. B. Millet sur des bases assurées (Millet,
1982, p. 79).
2
Les épitaphes du Gebel Adda étant encore inédites, aucune illustration publiée n’en est
disponible. Nous nous sommes appuyé sur les transcriptions autrefois préparées par
A. Heyler en collaboration avec N. B. Millet, et obligeamment mises à notre disposition
par le professeur J. Leclant.
INTRODUCTION 41

Sites N° Épithète Épithète


(du nord au d’inscription d’Isis d’Osiris
sud)

Faras REM 0544 Wos : wet[rri So]ri : wetrri


Serra REM 1030 mk lƒ wetneyineli absente
Aksha REM 1057 Wos : wetneyineqeli Sori : wetrri
Argin REM 1033 Wos : qetneyineqeli [...]
Argin REM 1062 Wos : wetneyineqel[i] mk lƒ : wetrri
Missiminia REM 1231 1 Wos [: ¢e]¤neˆ†neli Sori : q[e¤]t””ri
Amara REM 0085 Wos : qetneyineli Sori : qetrri
Sedeinga REM 1061 [...]i Sori : qetrri
Sedeinga REM 1090 Wos : wet[ney]ineqeli Sori : wetrri
Sedeinga REM 1091 Wos : wetneyineqeli Sori : qetrri
Sedeinga REM 1144 Wos : wetneyineqeli Sori : wetrri
Sedeinga REM 1234 Wos : q[e]tneyineqeli Sori : qetrri
Sedeinga REM 1281 Wos : qetneyineqe[li] Sori : qetrri
Sedeinga REM 1335 Wos : qetneyineqe[li] [...]
Sedeinga REM 1340 Wos : wetneyinoqeli : Sori : wetrri
Sedeinga REM 1342 Wos : wetneyineqeli [...]rri
Sawarda REM 1042 [Wos :] qetneyineqeli [...]
Méroé REM 0437 Wos : qetrri Asori : qetrri
Méroé REM 1195 Wos qetneineli Asori : qetneyineli

On peut remarquer que la différence d’initiales w- et q- n’est pas liée à


des considérations chronologiques, puisqu’on trouve les deux à même
époque dans les périodes bien documentées (par ex. REM 0129 et 1281). Il
est pareillement difficile d’imputer cette variation à des traditions graphiques
localement différentes, puisque les deux initiales coexistent dans les mêmes
inscriptions au Gebel Adda et à Sedeinga. De plus, il ne semble pas que les
signes q et w puissent représenter un son identique, même si tous deux
transcrivent des labiovélaires (voir p. 377 et 388). L’explication la plus cohé-
rente reste celle de Heyler, une différence d’ordre dialectal, qui apparaît
mieux si l’on résume en pourcentages les données du tableau précédent, et si
l’on groupe les occurrences par région d’origine.

1
La restitution du texte de cette table d’offrandes très érodée, connue uniquement par un
cliché difficilement exploitable et un fac-similé très fautif (in Vila, 1982, p. 55, 173), mal
rectifié de plus par Hainsworth (Hainsworth, 1982b), semble une véritable gageure. La
présence d’une invocation solennelle est par contre certaine. La première initiale q- se
déduit de l’étendue de la lacune, la seconde est partiellement visible.
42 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 3 : Variation géographique de l’initiale des épithètes


dans les invocations solennelles

région nombre initiale en w- initiale en q-


d’épithètes (%) (%)
Première cataracte
Karanóg à Toshka 14 100 % 0%
Gebel Adda à Argin 29 64 % 36 %
Deuxième cataracte
Amara à Sawarda 20 40 % 60 %
Conquième cataracte
Méroé 4 0% 100 %

Ensemble des textes 67 61 % 39 %

La variation, si elle est progressive, n’en est pas moins marquée : la partie
septentrionale du royaume méroïtique, jusqu’à Toshka au sud, soit une bande
d’une centaine de kilomètres, semble exclusivement réaliser ces épithètes
avec initiale w-. Cette prononciation reste majoritaire jusqu’à la deuxième
cataracte, plus de cent kilomètres au sud de Toshka. Puis elle devient
minoritaire sur plus de cent cinquante kilomètres jusqu’à Sawarda. À partir
probablement de la troisième cataracte, et jusqu’à Méroé, on trouve exclu-
sivement l’initiale q-.
Dans l’hypothèse d’une différence dialectale, le mélange des deux formes
dans les mêmes textes au Gebel Adda et à Sedeinga ne remet pas vraiment en
question le modèle général. Les deux sites sont en effet situés dans la zone de
transition et le choix des initiales dans les inscriptions ne semble pas fait au
hasard : lorsqu’elles coexistent, la forme en w- est systématiquement réservée
à Isis et la forme en q- à Osiris. Il s’agit probablement d’une utilisation de la
différence dialectale à des fins théologiques qu’il est difficile de préciser.
Peut-être Isis, déesse de Philae, était-elle en ces lieux ressentie comme
septentrionale, et Osiris, maître de l’Au-delà, était-il associé aux rois défunts
dont la nécropole était au sud, à Méroé. Mais il faudrait davantage
d’éléments pour étayer ce qui n’est pour l’heure qu’une spéculation.

La différence d’initiales dans les invocations solennelles ne saurait suffire


pour établir l’existence de véritables dialectes en méroïtique. D’autres
éléments, avancés par Hintze, peuvent cependant appuyer cette hypothèse.
Dans son examen des affixes verbaux 1, le savant allemand observe une
différence entre les suffixes des textes septentrionaux, assimilés, de forme
-kese (< -ketese), et ceux des textes méridionaux, conservant la forme
originelle, non assimilée, -ketese.
1
Hintze, 1979, p. 63-87 ; voir ici p. 561-564.
INTRODUCTION 43

« Da wir hier kein Nebeneinander der verschiedenen Formen haben, möchte ich
in diesem Fall die phonetische Erklärung der orthographischen vorziehen und
in diesem Unterschied zwischen Nord und Süd einen Dialektunterschied
sehen. » (Hintze, 1979, p. 68)

Un peu plus loin dans le même ouvrage, Hintze se livre à une rapide
comparaison sur sept sites de plusieurs marques morphologiques : préfixes et
suffixes verbaux, mais aussi initiale des épithètes divines dans les
invocations solennelles. Les résultats généraux correspondent d’assez près à
ceux de notre précédente analyse.
« Bei diesen kombinierten Merkmalen, die die einzelnen Gruppen voneinander
unterscheinen, scheint sich ein kontinuierlicher Übergang von Meroe nach
Unternubien abzuzeichnen, der aber nicht durchweg der geographischen
Aufeinanderfolge der Orte von Süden nach Norden entspricht. Bei allen
Merkmalen nimmt aber die Gruppe Faras + Nag Gamus gewisserma”en eine
Mittelstellung ein. » (op. cit. p. 82)

Hintze reconnaît ainsi une distinction entre les formes méridionales et les
formes septentrionales, avec une région de transition, située il est vrai un peu
plus au nord, mais correspondant tout de même aux abords de la deuxième
cataracte. La partie sud du royaume apparaît plus conservatrice, tandis que le
Nord, entre la première et la deuxième cataracte, semble favoriser des formes
nouvelles avec assimilation.
Le même Hintze, dans un article posthume (Hintze, 1999, p. 233-234),
avance également d’autres différences d’ordre dialectal concernant deux
mots méroïtiques. Le terme pour « sœur » est connu en effet sous deux
formes : kdise et kdite. La première serait selon Hintze caractéristique du
Sud, tandis que la seconde correspondrait au dialecte du Nord. Ici, la
distinction est plus complexe, puisque le terme kdise apparaît sur l’ensemble
du royaume méroïtique, depuis Dakka (au sud de la première cataracte)
jusqu’à Méroé. La forme kdite ne se trouve, dans l’état actuel de nos
connaissances, que sur trois sites septentrionaux : le Wadi el-Arab (REM
1019), Toshka (REM 1049) et surtout Gebel Adda (GA. 22, 29, 30, 37), où
coexistent les deux formes, mais sur des inscriptions différentes 1. Il faudrait
donc envisager une variante locale, utilisée sporadiquement à l’écrit, en
concurrence avec une graphie officielle, reconnue sur l’ensemble du
territoire.

1
L’Index inédit du REM donne aussi kdite en REM 1044 (Gebel Barkal) et REM 1038
(Méroé). La première occurrence correspond à un mauvais découpage de la séquence
Amni-skdi-te : « Amon de Shakadi », inclus dans une série de séquences de structure :
divinité + toponyme + suffixe locatif -te. La seconde occurrence semble un anthro-
ponyme (cf. Hintze, 1960a, p. 278-279) porté par l’épouse du roi Amanikhabale. Les
occurrences de kdite en GA. 22 et 30 ont échappé à Hintze, en GA. 37 à l’Index du REM.
44 LA LANGUE DE MÉROÉ

Plus limitée encore apparaît l’autre variante régionale avancée par Hintze,
mais cette fois en faveur du Nord. Il s’agit du titre pelmos généralement
traduit par « stratège » à l’imitation de son étymon égyptien p3-mr-mëƒ. Le
terme n’est attesté que pour la partie nord du royaume, de Philae à Sedeinga.
Au Gebel Adda et à Toshka est attestée une curieuse variante polmos,
étymologiquement peu justifiée : elle supposerait une réalisation /pulamusa/,
à côté de la forme habituelle pelmos, réalisée /plamusa/ conformément à
l’égyptien tardif /p(Œ)lem‘sa/, copte p-lemhh0e. On peut penser que dans
cette variante s’est glissé un o épenthétique substituant une structure CV à la
structure initiale CCV. Cette graphie pourrait alors correspondre à une
réalisation apparaissant entre la première et la deuxième cataracte 1, mais
rarement présente dans les inscriptions officielles, plus respectueuses de la
forme originelle égyptienne. Une fois de plus, les inscriptions du Gebel Adda
comportent les deux formes, confirmant peut-être pour cette région le rôle de
zone de transition que nous lui avions précédemment reconnu : il faudrait
cependant que la variante polmos puisse un jour être retrouvée sur d’autres
inscriptions entre Toshka et Sedeinga. 2
Comme on a pu le constater, il reste beaucoup à faire pour établir
clairement, à l’aide d’exemples nombreux, des différences dialectales
raisonnées en méroïtique 3. Trois faits marquants semblent cependant se
dégager. Tout d’abord, il a existé une langue officielle, correspondant
généralement à celle du Sud, qui faisait autorité sur l’ensemble du royaume
(exemple de kdise). En second lieu, la souplesse du système graphique
méroïtique, à base phonétique, a permis à quelques variantes régionales de
s’introduire dans les textes écrits, et ce d’autant plus qu’elles étaient motivées
par des institutions ou des idéologies locales (titre de pelmos, initiales
d’épithètes w- pour Isis, q- pour Osiris). Enfin, il a sans doute existé une
forme de méroïtique spécifique à la partie septentrionale du royaume, parlée
entre la première et la deuxième cataracte, et dont l’influence s’étendait

1
Voir Hintze, 1999, p. 233, bien que cet auteur privilégie l’idée de simples variantes locales.
2
Nous ne considérons pas comme « dialectales » les variantes du possessif pluriel bese,
qebese, aqebese, aqobese (selon une première hypothèse de Millet-Heyler, 1969, p. 5).
Le peu d’exemples que nous ayons pu documenter paléographiquement semble
privilégier la seconde hypothèse de ces auteurs, une distinction d’ordre diachronique
(aqebese/qebese/bese) ou orthographique (aqebese/aqobese , voir Rilly, 1999a, p. 106 et
p. 109, note 18)
3
Nous ne suivons pas Peust qui distingue deux dialectes méroïtiques, dont l’un serait
l’ancêtre du vieux-nubien (Peust, 1999, p. 75, § 6.2.3 et p. 80-81, § 6.2.8). La distinction
qu’il établit se fonde sur la différence de vocabulaire entre d’une part les stèles de
Taneyidamani (REM 1044) et d’Akinidad (REM 1003), et d’autre part l’inscription de
Kharamadoye (REM 0094). La distance chronologique entre ces documents (500 ans
séparent REM 1044 de REM 0094) et surtout la nature différente du contenu des textes
(difficilement précisable) suffisent selon nous à expliquer la disparité dans le lexique.
Pour les relations du méroïtique avec le vieux-nubien, voir ci-dessous, p. 457.
INTRODUCTION 45

jusqu’à Sedeinga. Elle était apparemment caractérisée par une structure


phonétique incluant volontiers des successions de consonnes auxquelles le
sud semblait plus réfractaire. La labiovélaire spécifique q (= [kw]) y était
adoucie en w, du moins dans certains lexèmes. La question peut évidemment
se poser de savoir si la portion septentrionale du royaume n’a pas subi
l’influence d’un substrat, égyptien, nubien, ou autre, qui aurait favorisé
l’éclosion de ces particularismes dans l’usage local de la langue méroïtique.

Malgré la modicité des indices exploitables, il paraît clair que le


méroïtique, comme toutes les langues de vaste diffusion et de longévité
suffisante, a connu des variations diachroniques et régionales. Mais, à l’instar
d’autres civilisations à pouvoir centralisé et de forte culture écrite, ces
variations ont été minorées dans les textes par l’emploi d’une langue
officielle conservatrice, voire archaïsante. Aussi ne trouve-t-on que de faibles
différences dans les inscriptions entre les époques anciennes et les époques
tardives, entre le nord et le sud du royaume. Cette relative stabilité est
probablement un peu artificielle et ne reflète pas tout à fait les variations de
la langue parlée, sans doute plus marquées.
46 LA LANGUE DE MÉROÉ

Carte 1 : Répartition géographique des inscriptions méroïtiques


(sites cités p. 71-82)
INTRODUCTION 47

HISTOIRE DE LA RECHERCHE

La redécouverte du méroïtique

Avec l’avènement du christianisme en Nubie, le méroïtique acheva de


sombrer totalement dans l’oubli. Contrairement à ce qui se passa pour
l’Égypte, on ne se souvint même plus qu’il avait existé une langue et une
écriture originale au temps de ces rois dont les pyramides se dressaient
encore à Méroé. Il fallut attendre les voyages de quelques hardis explorateurs
pour que le monde savant redécouvrît le méroïtique 1. Le premier relevé
d’inscription fut effectué par l’architecte français Franz Gau en 1819 dans le
temple de Dakka et apparut sans commentaires sur une planche 2 de son
ouvrage, Antiquités de la Nubie ou Monuments inédits des bords du Nil,
entre la première et la seconde cataracte, publié en 1822. C’était l’année où
Champollion déchiffrait les hiéroglyphes, et nul, pas même l’auteur de la
Lettre à M. Dacier, n’accorda d’attention à ces signes incompréhensibles. La
même année parut à Londres, sous la plume des voyageurs britanniques
George Waddington et Barnard Hanbury, un livre intitulé Journal of a Visit
to Some Parts of Ethiopia, où figurait le relevé d’un graffito en cursive
méroïtique de la salle hypostyle du temple de Soleb 3 (REM 0079). Un
commentaire laconique définissait l’inscription comme écrite « en caractères
inconnus de nous, bien que ressemblant fortement à du grec ».
Dans les mêmes années (1820-1822) eut lieu la conquête du Soudan par
Ismaïl Pacha. Suivant de près l’armée égypto-turque du prince, le Français
Frédéric Cailliaud visita un grand nombre de sites méroïtiques et copia cinq
inscriptions qui parurent en 1826 dans le troisième tome de sa relation de
voyage 4. Il fut d’ailleurs le premier à reconnaître l’originalité de cette
écriture (« caractères éthiopiens », Cailliaud, 1826, p. 374), mais cette asser-
tion reposait sur l’intuition, puisque les études égyptologiques n’étaient alors
que dans leur enfance. D’ailleurs ni Champollion, ni Rosellini, qui passèrent
à Kalabsha et à Philae en 1828, n’accordèrent apparemment d’importance
aux inscriptions méroïtiques : l’urgence était ailleurs.

1
Voir à ce sujet Griffith, 1909, p. 43-46 ; Leclant, 1974b, p. 107-108.
2
Gau, 1822 : planche 14, n° 44 ; il s’agit des quatre premières lignes d’un graffito en cursif
au nom du prince Akinidad (REM 0093).
3
Waddington-Hanbury, 1822 : planche face à la page 286, commentaire p. 289.
4
Cailliaud, 1826 : Voyages à Méroé, au Fleuve Blanc, au-delà du Fâzoql, dans le midi du
royaume de Sennâr, à Sywah et dans cinq autres oasis, faits dans les années 1819, 1820,
1821 et 1822, pl. 5 et 6.
48 LA LANGUE DE MÉROÉ

C’est avec le grand égyptologue allemand Richard Lepsius que fut enfin
reconnue la civilisation de Méroé. Son œuvre prodigieuse, les Denkmäler aus
Aegypten und Aethiopien, est le fruit d’une expédition de trois ans, de 1842 à
1845, le long de la vallée du Nil. L’ouvrage parut de 1849 à 1858. Les
volumes V et VI, consacré à la Nubie, comportait, outre de nombreuses
planches détaillant les monuments, cinquante-trois relevés d’inscriptions, qui
allaient permettre à deux générations de savants d’exercer leur sagacité.
Premier d’entre eux, Lepsius avança déjà un certain nombre d’observations
et d’hypothèses dont certaines étonnent par leur fulgurante clairvoyance :

« Gebräuchlicher und allgemeiner verwandten als die Hieroglyphen war in jener


Zeit eine äthiopisch-demotische Schrift 1, der ägyptisch-demotischen in ihren
Zügen ähnlich, obgleich mit einem sehr beischränken, nur aus 25 bis 30 Zeichen
bestehenden Alphabete. Die Schrift wird wie dort von rechts nach links gelesen,
aber mit steter Trennung der Wörter durch zwei starke Punkte bezeichnet. (...) Die
Entzifferung dieser Schrift wird bei genauer Untersuchung vielleicht nicht
schwierig sein, und würde uns dann die ersten sichern Laute der zu jener Zeit hier
gesprochenen äthiopischen Sprache ergeben (...). » 2

En revanche, un certain nombre de suppositions devaient se révéler


fausses : ainsi Lepsius n’était-il pas convaincu en 1844 que l’écriture
hiéroglyphique fût autre chose qu’une imitation des hiéroglyphes égyptiens à
but uniquement décoratif 3. Il croyait également que le vieux-nubien
(« äthiopisch-griechisch »), dont il avait pu observer quelques inscriptions à
Soba et à Musawwarat, était au méroïtique ce que le copte était à l’égyptien,
et il affirma d’ailleurs dans un premier temps que la langue de Koush était
l’ancêtre du nubien moderne. Aussi consacra-t-il beaucoup d’efforts à étudier
le nubien. Curieusement, une autre hypothèse de filiation apparaît dès 1844
dans une lettre datée du 24 novembre (op. cit., p. 266-267), donc peu de
temps après la première : les Bedja seraient les descendants des Méroïtes. En
1880, dans la préface de sa Nubische Grammatik, il revint à cette dernière
opinion et soutint plus clairement que la langue bedja avait dû être celle de
l’empire de Méroé. Malheureusement il n’en donna aucune justification, bien
qu’il soit possible que ce changement d’opinion ait été dû à une recherche
jamais publiée sur les inscriptions de Méroé 4.

1
Il s’agit de la cursive méroïtique.
2
Lepsius, 1952 : Briefe aus Ägypten, Äthiopien und der Halbinsel des Sinai. Lettre du 22
avril 1844, écrite des pyramides de Méroé (p. 218-219).
3
Il changea plus tard d’opinion, selon le témoignage d’Erman (Erman, 1897).
4
C’est du moins l’avis de Griffith (Griffith, 1909, p. 45), probablement d’après les
indications d’Erman, 1897.
INTRODUCTION 49

Malgré ces quelques approximations, on peut assurément saluer en


Lepsius le génial précurseur du déchiffrement de l’écriture méroïtique. Tous
ceux qui lui succédèrent dans cette étude, jusqu’à Griffith inclus, utilisèrent
avec profit ses relevés et ses observations.

Le déchiffrement de l’écriture méroïtique

La prédiction de Lepsius, selon laquelle le déchiffrement ne serait peut-


être pas difficile, ne se réalisa pas tout de suite. Plusieurs grands noms de
l’égyptologie ou de l’orientalisme s’y essayèrent en vain pendant des
décennies. Derrière les apparences policées des échanges savants, on devine
combien était vive la concurrence entre les chercheurs, pour savoir qui
apporterait à son pays la gloire d’un second déchiffrement, après celui des
hiéroglyphes égyptiens que Champollion avait mené victorieusement pour
l’honneur de la France 1. Une première tentative, à partir des noms royaux,
fut conduite par l’Anglais Samuel Birch (Birch, 1868). Mais une mauvaise
lecture des hiéroglyphes égyptiens, de graphie particulière, contenus dans le
cartouche du roi Natakamani 2, ainsi qu’un rapprochement erroné avec
l’amharique, empêchèrent le Britannique d’aller plus avant.
Après lui, le grand démotisant Heinrich Brugsch publia le résultat de ses
recherches sur le sujet en deux articles qui parurent dans la même livraison
du Zeitschrift für ägyptische Sprache, dont il était le rédacteur, sous le titre
encore trop ambitieux de « Entzifferung der Meroitischen Schriftdenkmäler »
(Brugsch, 1887). Un bon nombre de ses hypothèses étaient pourtant d’une
grande justesse. Il comprit, contrairement à Birch, que certains hiéroglyphes,
tant napatéens que méroïtiques, s’écartaient du modèle égyptien et était eux-
mêmes sujets à de fortes variations graphiques. Il réduisit en conséquence à
23 le nombre des signes hiéroglyphiques méroïtiques, ce qui correspondait à
leur décompte exact, même s’il y arrivait par un ajout (le signe unique T te
séparé en deux signes « — » et « ») et un oubli (y y confondu avec e e).
Il prédit justement que le nombre des signes cursifs devait être équivalent. Il
donna une lecture correcte de douze des hiéroglyphes, et repéra le
déterminant -l. En revanche, il crut que le sens de lecture des signes était le
même qu’en égyptien, c’est-à-dire que les êtres animés regardaient vers le
début de la ligne (op. cit., p. 4). Il limita le champ de ses investigations à
l’écriture hiéroglyphique, ce qui ne représentait qu’un petit nombre
d’inscriptions, souvent lacunaires. Enfin, reprenant les premières théories de
son maître Lepsius, il s’efforça de retrouver dans le nubien moderne les

1
Voir notamment pour l’existence de cet enjeu Erman, 1897, p. 152.
2
Il s’agit des cartouches bilingues du reposoir de barque de Wad Ben Naga (REM 0041),
qui furent à l’origine du déchiffrement de Griffith (voir p. 231).
50 LA LANGUE DE MÉROÉ

traces du méroïtique, ce qui ne pouvait que l’entraîner dans une impasse. Au


terme de cette première étude, il annonça la parution imminente d’un ouvrage
consacré à ce déchiffrement, qui inclurait l’étude de la cursive. Il est fort
possible que ce n’ait été qu’une stratégie destinée à décourager les autres
chercheurs, comme Reinisch et Dümichen, qui avaient commencé à travailler
dans ce domaine. Certains points de la démonstration de Brugsch montrent
en effet qu’il ne s’était pas encore intéressé à la cursive. Quoi qu’il en soit,
l’ouvrage ne parut jamais et les articles de 1887 ne connurent pas de suite,
pas plus d’ailleurs que les recherches de ses rivaux.
Dix ans plus tard, Adolf Erman reprit les travaux de Brugsch, et proposa
quelques équivalences supplémentaires (Erman, 1897). Certaines étaient
intéressantes, mais d’autres constituaient un recul par rapport à Brugsch,
puisque Erman introduisait des déterminatifs dans l’écriture méroïtique. Il ne
s’engagea pas, contrairement à son prédécesseur, dans une discussion des
rapports du méroïtique avec le nubien, mais proposa très justement de voir
dans les transcriptions des noms royaux de la XXVe dynastie l’origine de
l’écriture méroïtique.
La fin de l’insurrection mahdiste au Soudan et l’établissement d’un
pouvoir colonial britannique avaient entre-temps permis la reprise des acti-
vités archéologiques. Les fouilles de Garstang à Méroé mirent au jour un
certain nombre d’inscriptions qui venaient s’ajouter à celles que Lepsius
avait rapportées dans ses Denkmäler. En Basse-Nubie, David Randall-
MacIver découvrit à Shablul, puis à Karanóg plus d’une centaine de textes
funéraires. Tout ce nouveau matériel exigeait un spécialiste, britannique de
préférence. Or, peu de temps auparavant, le grand orientaliste Archibald H.
Sayce, qui avait déjà avec quelque succès travaillé sur les inscriptions
hittites, commença à s’intéresser à l’écriture méroïtique. Il travailla dans la
lignée d’Erman, mais eut la malchance que le résultat de ses recherches non
seulement coïncidât avec la publication des premières lectures de Griffith,
mais parût, comble d’infortune, dans le même ouvrage : Meroë, the City of
the Ethiopians (Garstang et al., 1911). Comme l’article d’Erman, la contri-
bution de Sayce (Sayce, 1911) constituait plutôt un recul par rapport aux
travaux de Brugsch. Le savant y multipliait par deux le nombre des
hiéroglyphes. Bien qu’il eût admis le principe du sens de lecture opposé à
l’égyptien, exposé par Griffith dans Areika (Griffith, 1909), il n’offrait de
lecture correcte que pour huit signes, et approximative pour cinq autres.
Surtout, il n’était toujours pas question des inscriptions en cursive, qui
auraient pourtant permis de multiplier le nombre des équivalences.

Bien qu’il n’eût pas encore atteint les plus hauts rangs de l’Université,
Francis Llewellyn Griffith (1862-1934) était sans conteste à cette époque le
plus brillant philologue de Grande-Bretagne dans le domaine égyptologique.
INTRODUCTION 51

Ses travaux sur le démotique et l’hiératique anormal 1 avaient fait de lui en


quelques années l’un des meilleurs spécialistes mondiaux des écritures
égyptiennes. Randall McIver lui confia dès 1907 la publication des premiers
textes découverts à Shablul lors de l’expédition en Nubie d’Eckley B. Coxe
Junior, pour l’université de Pennsylvanie. Bientôt, les fouilles de Karanóg
livrèrent une abondante moisson de stèles et de tables d’offrandes, qui,
ajoutées à celles de Shablul, doublèrent en quelques mois le nombre
d’inscriptions méroïtiques connues. En 1909 parut Areika, le premier volume
détaillant les découvertes de l’Eckley B. Coxe Junior Expedition to Nubia
(Randall-McIver-Woolley, 1909). Dans le chapitre IX, intitulé Meroitic
Inscriptions, Griffith exposait les premiers résultats de ses recherches. Il y
récapitulait les analyses de ses prédécesseurs et surtout y donnait déjà, avec
une amorce de paléographie, la liste exacte des signes cursifs (p. 46).
L’inventaire des hiéroglyphes (p. 48) n’était pas encore au point et
comportait huit signes surnuméraires, mais quinze équivalences, toutes
justes, entre les écritures cursive et hiéroglyphique étaient déjà indiquées. Le
sens de lecture des hiéroglyphes, inverse de celui des Égyptiens, était
clairement défini (p. 49-50) et constituait à lui seul une avancée décisive. Le
chapitre se terminait par un exposé des parentés possibles du méroïtique, où
Griffith rejetait, pour des raisons tant philologiques qu’historiques, la
filiation du nubien avec la langue de Koush. Les douze pages de ce court
exposé levaient tous les obstacles qui avaient jusque-là empêché les progrès :
le sens de lecture des hiéroglyphes, l’absence d’étude de la cursive et la
fixation sur un hypothétique héritage nubien.
L’Egypt Exploration Fund ne s’y trompa pas, qui misa à son tour sur
Griffith, et lui permit en 1909 de visiter les riches collections berlinoises
ramenées par Lepsius, puis de partir copier sur place, en ægypte et au
Soudan, toutes les inscriptions disponibles. Ces relevés, étudiés et publiés en
un temps record, devaient fournir la matière de deux mémoires (nos 19 et 20)
de la série Archaelogical Survey of Egypt. Enfin, en 1910, John Garstang mit
entre ses mains pour publication les photographies et les relevés des textes
découverts durant ses fouilles à Méroé. L’étonnante acuité d’esprit et
l’impressionnante puissance de travail de Griffith lui permirent d’avancer
rapidement et de mener de front toutes ces lourdes tâches. La publication des
inscriptions de Méroé (Griffith, 1911b) était sous presse en octobre 1910.
Les Meroitic Inscriptions I (Archaeological Survey of Egypt n° 19 = Griffith,
1911c) et Karanóg (Griffith, 1911a) furent envoyés à l’imprimeur en
novembre 1910, les épreuves étant révisées et enrichies entre le printemps et
l’automne de l’année suivante 2.

1
Griffith, F. Ll., Stories of the High Priests of Memphis, Oxford, 1900 ; Catalogue of the
Demotic Papyri in the Rylands Library at Manchester, Manchester, 1909.
2
Voir Griffith, 1912, p. VIII (Preface).
52 LA LANGUE DE MÉROÉ

Dès le début de cette année 19111 parut dans le Zeitschrift für ägyptische
Sprache, qui avait déjà accueilli les tentatives de déchiffrement de Brugsch et
de Erman, un bref article de deux pages : « A Meroitic funerary text in hiero-
glyphic », où Griffith démontrait qu’il « tenait l’affaire », pour reprendre la
célèbre formule de Champollion. Le savant britannique donnait en effet une
analyse de la table d’offrandes de Takideamani (REM 0060), le seul exemple
alors connu d’épitaphe en écriture hiéroglyphique, ramené à Berlin par
l’expédition prussienne. L’article débutait par un hommage aux travaux de
Lepsius, suivi – in cauda venenum – de quelques lignes où Griffith s’étonnait
qu’une pièce aussi capitale pour le déchiffrement n’eût pas été publiée dans
les Denkmäler. Suivait une reproduction du texte hiéroglyphique, puis une
transcription en cursive qui n’avait pas d’autre utilité que de montrer
l’ampleur des avancées de Griffith sur les deux formes de l’écriture
méroïtique. Enfin, une brève analyse du contenu, donnant le nom des
divinités invoquées, celui du défunt et de ses parents, prouvait, si besoin en
était, que le déchiffrement était complet, et que le travail sur le lexique était
déjà bien entamé.
Effectivement, l’année 1911 vit la publication des trois volumes en
préparation : Karanóg, les Meroitic Inscriptions I et le chapitre de Meroë
(Garstang et al., 1911) consacré à la transcription des textes méroïtiques.
Cette dernière contribution, écrite rapidement, n’offrait que peu d’études
approfondies des textes et fut surtout pour Griffith l’occasion de prouver la
justesse de son déchiffrement. De leur côté, les Meroitic Inscriptions I, qui
avaient bénéficié d’un plus long mûrissement, livraient de nombreuses
analyses, notamment lexicales, où Griffith, revenu de ses premières théories,
proposait divers parallèles nubiens. Mais c’est dans Karanóg, le plus achevé
des trois volumes et le premier à paraître, qu’il déployait toute la mesure de
son génie. Les trois chapitres d’introduction constituent en effet une synthèse
sur la langue et l’écriture méroïtique à laquelle, aujourd’hui encore, il n’y a
rien ou presque à changer. Les données qui lui avaient permis le dé-
chiffrement sont tout d’abord exposées avec une grande clarté en une série
d’équivalences avec l’égyptien, le copte et le grec 2. Le deuxième chapitre,
consacré à l’étude de la paléographie, définit les trois styles de cursive
(archaïque, transitionnel, tardif), en un classement qui fait toujours autorité.
Le troisième chapitre résume les données phonologiques, lexicales et
grammaticales que Griffith avait réunies en quatre ans de labeur acharné. Là
encore, il y a peu à rectifier, et ces quelques pages constituent toujours le

1
Le numéro 48 du ZÄS est faussement daté de 1910 sur les en-têtes des pages intérieures.
Il ne parut en réalité que l’année suivante. Nous avons cependant gardé pour cette référence
la notation Griffith, 1910, tant par tradition (voir par ex. Hofmann, 1981a, p. 352) que pour
éviter un décalage général des nombreux ouvrages de Griffith publiés cette année-là.
2
Voir ci-dessous, p. 231-235, pour le détail de la démonstration de Griffith.
INTRODUCTION 53

noyau de notre connaissance – partielle – des structures de la langue. La


majeure partie de l’ouvrage est constituée d’une lecture des textes funéraires
de Karanóg et de Shablul, et d’une étude serrée des éléments récurrents dont
ils sont composées : invocation, nomination, description, bénédictions 1.
L’ouvrage se termine par l’Index C qui énumère quelque six cents mots et
expressions, parfois traduits, et qui reste une référence capitale pour l’étude
du lexique méroïtique. L’année suivante parut le second tome des Meroitic
Inscriptions (Archaeological Survey of Egypt, n° 20 = Griffith, 1912),
comportant les textes originaires de la région entre Napata et Philae. Cet
ouvrage, plus abouti encore que le précédent volume (Griffith, 1911c), offrait
des analyses prometteuses et se terminait par un index de huit cents
séquences méroïtiques.
Griffith, bien que lucide sur l’ampleur de la tâche qui restait à accomplir,
se montrait cependant optimiste pour la suite :
« It is still in an early stage. Even in the alphabet the vowels are extremely obs-
cure, and, amongst the consonants, the value attributed to the letter may be
more or less wide of the mark ; while of the Meroitic vocabulary, apart from
personal names, place-names, and words borrowed from Egyptian, almost nothing
is known. But it is hoped that the material here provided has been so far verified,
classified, and dealt with that any further spark of light will quickly spread its
illumination. If new eyes, whether of trained decipherers or of scholars expert in
North African philology, will exert themselves upon it, the secrets of Meroitic
should soon be yielded up. » (Griffith, 1911a, Preface, p. VI)

Dans les années qui suivirent, Griffith travailla sans relâche à la


traduction du méroïtique. Il s’attela notamment à l’étude du vieux-nubien
(« Christian Nubian »), qui avait été déchiffré et identifié par Schäfer
(Schäfer – Schmidt, 1906), et publia en 1913 The Nubian Texts of the
Christian Period, œuvre qui devait rester pendant quinze ans la meilleure
étude de cette langue. Il lui fallut cependant admettre que ce n’était pas là la
clef du problème, car les deux idiomes différaient trop2. Les résultats de ses
travaux sur le méroïtique proprement dit parurent en quatre articles intitulés
« Meroitic Studies » dans le Journal of Egyptian Archaeology en 1916 et
1917 3. Une certaine amertume les marquait :
« It must be confessed that, in spite of new material and some hard work on my
part, progress in the understanding of the Meroitic language itself has been nearly
at a standstill. Such advance as has been made has been almost entirely on the
fringe of the subject. » (Griffith, 1916b, p. 123)

1
Cf. supra, p. 91.
2
Voir Griffith, 1916b, p. 123, et notre chapitre consacré aux études comparatives, p. 449.
3
Griffith, 1916a et b ; 1917a et b.
54 LA LANGUE DE MÉROÉ

Malgré tout, ces quelques pages permettaient de nouvelles avancées :


l’étude des chiffres (Griffith, 1916a), de la phonologie (Griffith, 1916b), des
structures verbales (Griffith, 1917a) et des stèles royales (Griffith, 1917b).
Cependant, la carrière brillante de Griffith continuait. Il devait mener de
front un enseignement universitaire au Queen’s College d’Oxford, une
activité éditoriale intense 1, la rédaction d’innombrables articles et rapports,
ainsi que plusieurs directions de fouilles en Égypte et au Soudan. Cette
besogne incessante, ajoutée à sa déconvenue face à la lenteur des progrès,
explique qu’il ait si peu publié sur le méroïtique après la première guerre
mondiale, se limitant à quelques articles dans le Journal of Egyptian
Archaeology 2. Certains témoignages font amèrement regretter qu’il n’ait pu
poursuivre une tâche qu’il avait si brillamment débutée :

« Griffith believed that if he could concentrate solely on Meroitic for five years
longer, he knew enough to solve most of its problems, but he had to spend much
time in organizing and raising funds for his favourite project, the Oxford
excavations in Nubia which dug at Sanam (New Merowe), Faras and Kawa, and
also on pure Egyptology, since he was acknowledged as the leading expert of his
generation on Egyptian hieratic and demotic writing, and well-meaning
colleagues heaped such texts on him, not understanding the greater importance of
his Meroitic researches. » (Haycock, 1978, p. 59)

On peut également regretter que, bien que le déchiffrement du méroïtique


eût valu à Griffith une reconnaissance mondiale, il se fût trouvé auprès de lui
si peu de jeunes chercheurs que ce domaine intéressât. Le seul de ses élèves à
s’y illustrer fut M. F. L. Macadam, qui édita le résultat des fouilles du maître à
Kawa (Macadam, 1949) et publia quelques articles sur la question (Macadam,
1950 et 1966).

Une fausse piste : les travaux d’E. Zyhlarz

En revanche, chez les chercheurs allemands et autrichiens, beaux joueurs,


les travaux de Griffith suscitèrent admiration et émulation, au point que les
études méroïtiques allaient jusqu’au milieu du XXe siècle devenir une
spécialité presque exclusivement germanique. Dès 1913 avait paru dans le
Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes un essai du linguiste
Hugo Schuchardt intitulé « Das Meroitische » (Schuchardt, 1913). Il s’agissait

1
Il édita entre autres vingt-cinq volumes des Archaeological Survey of Egypt.
2
Griffith, 1925a (Meroitic Studies V), 1929b (Meroitic Studies VI). Il faut également
signaler l’étude des inscriptions funéraires de Faras (Griffith, 1922) et quelques articles
des Liverpool Annals of Archaelogy and Anthropology (Voir bibliographie générale en
fin d’ouvrage, p. 575sq).
INTRODUCTION 55

d’une étude approfondie et souvent clairvoyante des données découvertes par


Griffith, et dont bien des points de détail, notamment sur le déterminant et
sur la structure verbale, ont été repris ou retrouvés par la suite 1.
En 1922, le célèbre africaniste Carl Meinhof s’intéressa également au
méroïtique dans un article de la revue berlinoise Zeitschrift für Eingeborenen
Sprachen. Sous le titre « Die Sprache von Meroe » (Meinhof, 1921-1922), il
essaya de reconstituer la phonologie du méroïtique et d’affilier cette langue
au groupe « hamitique » 2 qui constituait le fer de lance de ses théories
racistes : il fallait selon lui la rattacher aux idiomes de la Corne de l’Afrique
que nous nommons aujourd’hui « couchitiques ». Quelques comparaisons
morphologiques et lexicales avec le bedja, le saho, le somali venaient en fin
d’article appuyer ses dires.
Ses théories furent reprises par un égyptologue autrichien, Ernst Zyhlarz
(1890-1964), qui s’était tourné vers l’étude du vieux-nubien et avait en 1928
publié une monographie remarquée : Grundzüge der nubischen Grammatik
im Christlichen Frühmittelalter (Altnubisch) (Zyhlarz, 1928), longtemps
restée l’ouvrage de référence sur cette langue 3. En 1930 parut sous sa plume,
dans la revue viennoise Anthropos, un long article intitulé « Das meroïtische
Sprachproblem », où étaient abordés de nombreux points de phonologie, de
syntaxe et de morphologie comparée. Beaucoup d’éléments étaient novateurs
et intéressants 4. Mais Zyhlarz réaffirmait la filiation « hamitique » du
méroïtique et pensait avoir retrouvé des marques de genre dans les préfixes
des formules de parenté. Qui plus est, il analysait une inscription méroïtique
de Philae (REM 0101) et en proposait hardiment une « traduction »
approchée (op. cit., p. 457-458). Néanmoins, il n’y eut personne pour
contredire ces thèses dans l’immédiat. Il est vrai que les études méroïtiques,
après la mort de Griffith, étaient entrées dans une semi-léthargie qui dura
jusqu’au milieu des années cinquante. Zyhlarz continua paisiblement sa
carrière à l’université de Hambourg, alternant les publications sur le nubien
et quelques recherches inégales sur les autres langues africaines.
Avec les travaux de Hintze et de Vycichl 5 vint la contradiction : on
montra clairement que la thèse d’une parenté commune avec le couchitique

1
Notamment par Hestermann, 1925 et Hintze, 1955.
2
Meinhof rassemblait sous ce nom toutes les ethnies pastorales d’Afrique, depuis les Peuls
de l’Ouest jusqu’aux Massaï du Kenya. L’arrivée de ces peuples d’origine « caucasoïde »
représentait selon lui un « progrès » par rapport aux populations « négroïdes »,
notamment par l’utilisation de genres grammaticaux. On trouvera chez Greenberg, 1966
une critique sans appel de ces théories.
3
Il fallut attendre Browne, G. (1989) : Introduction to Old Nubian, pour que fût publiée
une mise au point plus récente.
4
De l’aveu même de Hintze, son principal adversaire, « die Arbeiten von Zyhlarz enthalten
sehr viel wichtiges und förderndes Material » (Hintze, 1955, p. 357).
5
Hintze, 1955 ; Vycichl, 1958.
56 LA LANGUE DE MÉROÉ

ne pouvait tenir. La réaction de Zyhlarz, piqué au vif, fut virulente. Il publia


coup sur coup quatre articles dans les revues Kush et Anthropos 1, mêlant
l’invective et la surenchère. Le méroïtique n’était plus, selon lui, une langue
« hamitique », mais « proto-sémitique ». Des listes de vocabulaire étaient
données, sans aucune référence ni justification. Enfin, il affirmait avoir
trouvé la solution du problème méroïtique en étudiant les anthroponymes
napatéens 2 et « traduisait » donc avec assurance des passages entiers
d’inscriptions qui nous sont encore aujourd’hui incompréhensibles. Il
annonçait d’ailleurs une synthèse complète sur le sujet, qui ne parut bien
évidemment jamais.
Après les travaux de Zyhlarz, les études méroïtiques ne connurent que
peu de tentatives de déchiffrement excentriques, particulièrement si on les
compare avec les études étrusques, qui continuent de susciter des hypothèses
plus extravagantes les unes que les autres. On peut certes signaler les articles
de C. A.Winters (Winters, 1984 et 1989), qui relie le méroïtique au tokharien 3
à la lumière des thèses afro-centristes, et a récemment fait paraître une
« traduction » 4 de la stèle de Taneyidamani (REM 1044). On peut également
citer un essai de Gerhard Böhm, intitulé Die Sprache der Aithiopien im
Lande Kusch (Böhm, 1988) : à l’instar de Zyhlarz, l’auteur a cherché à
comprendre le méroïtique à partir des langues couchitiques. Une importante
annexe à cet ouvrage intitulée « Zur Indonilotischen Grammatik » examine les
rapports entre l’égyptien, le méroïtique, le sumérien, les langues caucasiennes
du Daghestan, le dravidien et le zande d’Afrique centrale, tous regroupés
dans une superfamille dite « indonilotique » 5. On ne peut guère attendre de
progrès de rapprochements aussi hétéroclites qu’injustifiés.

F. Hintze et l’étude des structures


L’homme qui avait réfuté victorieusement les thèses de Zyhlarz devait
dominer pour quarante ans les études méroïtiques de sa haute stature
intellectuelle. Fritz Hintze (1915-1993), élève de Grapow, était par sa formation
1
Zyhlarz, 1956 : « Die Fiktion der kuschitischen Völker » ; Zyhlarz, 1958 : « The Countries
of the Ethiopian Empire of Kash (Kush) » ; Zyhlarz, 1960 : « Zum Typus der Kaschitischen
Sprache » ; Zyhlarz, 1961 : « Sudan-Ägyptisch im Antiken Äthiopenreich von K’ash ».
2
Zyhlarz, 1956, p. 24 et note 11.
3
Langue indo-européenne du bassin du Tarim, en Chine occidentale, attestée au VIIe/VIIIe
siècle de notre ère, sous forme de deux dialectes. Le dialecte B est appelé koutchéen, du
nom de l’oasis de Koutcha où furent retrouvés de nombreux manuscrits. La paronymie
avec le nom de Koush constitue l’un des arguments de Winters.
4
Winters, 1999.
5
Une hypothèse assez similaire, classant le méroïtique dans un phylum regroupant en vrac
toutes les langues génétiquement obscures, du basque au miao de Chine en passant par le
bourouchaski du Pakistan, est soutenue par Hummel, 1992.
INTRODUCTION 57

spécialiste d’égyptien tardif et de copte et enseigna durant toute sa carrière à la


Humboldt-Universität de Berlin. Son premier article sur le méroïtique, « Die
Sprachliche Stellung des Meroitischen », qui critiquait les positions de Zyhlarz,
parut dans les Afrikanische Studien (Hintze, 1955). Dans ce travail où se
manifestait déjà une grande maîtrise du sujet, Hintze prouvait l’absence de
genre en méroïtique, analysait les formes verbales des bénédictions finales, et
affirmait l’originalité de cette langue, isolée selon lui parmi les grandes familles
linguistiques africaines 1. Il ne devait jamais démordre de cette opinion, atta-
quant systématiquement les affiliations diverses que l’on proposa par la suite.
Il publia ensuite une monographie remarquable intitulée Studien zur
meroitischen Chronologie und zu den Opfertafeln aus den Pyramiden von
Meroe (Hintze, 1959a), où il proposait, sur des bases philologiques et
historiques, une chronologie renouvelée des règnes des rois de Méroé, et une
paléographie plus complète que celle proposée en son temps par Griffith dans
Karanóg. Ce travail livrait également une première analyse des documents
retrouvés par George A. Reisner à Napata et Méroé entre 1916 et 1923, et qui
ne furent progressivement publiés qu’à partir de 1950 par Dows Dunham.
Puisqu’on ne pouvait selon lui espérer quelque progrès de la méthode
comparative, Hintze privilégia l’analyse interne de la langue. En 1963 parut
dans les Mitteilungen des Instituts für Orientforschung un essai de trente
pages : « Die Struktur der “Deskriptionssätze” in den meroitischen Toten-
texten » (Hintze, 1963a), qui jusqu’à nos jours est demeuré un bréviaire pour
les méroïtisants. L’article traitait en effet des propositions qui indiquent dans
les épitaphes la position sociale du défunt, et les classait selon la présence
d’un nom propre, d’un génitif, d’un locatif, d’un verbe de parenté 2 et de
leurs combinaisons. Si les principes syntaxiques exposés par Griffith
n’étaient pas fondamentalement améliorés, la présentation des données
fournissait aux chercheurs une noria d’exemples dûment translittérés, vérifiés
et augmentés de textes découverts peu auparavant. Une liste de mots
transcrits en caractères romans, donc beaucoup plus accessible et maniable
que les index en écriture méroïtique de Griffith et de Macadam, figurait en
annexe.
Parallèlement à ces recherches philologiques, Hintze dirigea les fouilles
est-allemandes à Musawwarat es-Sufra 3, et fut l’éditeur de plusieurs revues,
dont la prestigieuse Zeitschrift für ägyptische Sprache. Il travailla également

1
Il conclut cette première étude par une citation de Greenberg, 1950 : « The language does
not appear to be related to any existing language of Africa ». Greenberg changea
cependant d’opinion plus tard (Greenberg, 1971) ; voir ici p. 481.
2
Nous proposons, à la suite de Hofmann, une autre identification grammaticale pour les
termes de parenté : ce sont, selon nous, non des verbes, mais des substantifs en position
d’attributs : voir p. 124-125.
3
Voir Hintze, 1962a (édition des textes) ; Hintze, 1962b ; Hintze, 1963b ; Hintze, 1968 ;
Hintze, 1971b ; Hintze, 1972 ; Hintze, 1993.
58 LA LANGUE DE MÉROÉ

à fournir aux études méroïtiques un support institutionnel, en créant en 1968


une section d’archéologie soudanaise à la Humboldt-Universität, en lançant à
partir de 1971 la série des Congrès d’études méroïtiques, destinés à devenir
quadriennaux, et en éditant une revue spécialisée, Meroitica, dont le premier
numéro parut en 1973.
Parmi les articles rédigés par Hintze durant cette période, on peut
distinguer une contribution importante, rédigée exceptionnellement en
anglais, qui permit d’améliorer la compréhension du système graphique,
intitulée « Some problems of Meroitic Philology » 1. Systématisant un certain
nombre de remarques de Griffith 2 et utilisant sa bonne connaissance de
l’égyptien tardif, Hintze démontra clairement que l’écriture méroïtique
constituait, non un alphabet, mais un syllabaire. Il prouva également que la
voyelle anciennement translittérée ê était en fait l’arrondie qui manquait au
système phonologique méroïtique et proposa donc pour elle une nouvelle
translittération « o ».
Mais son œuvre la plus aboutie, publiée dans le troisième numéro de la
revue Meroitica, fut les « Beiträge zur meroitischen Grammatik » (Hintze,
1979). Les trois premières parties (p. 27-62), constituaient une reprise,
organisée selon les critères de la grammaire structurale avec une forte
teinture de générativisme, des données publiées seize ans plus tôt dans « Die
Struktur der “Deskriptionssätze” in den meroitischen Totentexten », enrichies
d’inscriptions récemment découvertes. æpris de rationalité mathématique 3 et
séduit par l’idée de « grammaire universelle », Hintze avait cherché à
appliquer au méroïtique une théorie grammaticale coupée de la recherche du
sens, inspiré en cela par les théories de Chomsky. Seule cette « struktur-
analytische Methode » 4 pouvait selon lui permettre des progrès sûrs, en
attendant que les recherches comparative et philologique disposent de plus
d’éléments. Les deux dernières parties de l’ouvrage étaient consacrées à
l’analyse des verbes des bénédictions finales et continuaient donc le travail
qu’il avait entrepris vingt ans plus tôt dans son premier article (Hintze, 1955,
voir supra). Le propos principal consistait à limiter le nombre effarant des
affixes verbaux proposés jusqu’alors. Il démontrait que l’assimilation avait
souvent brouillé la frontière entre le lexème verbal et ces affixes, que l’on
pouvait selon lui réduire à deux préfixes modaux, un suffixe de datif
(singulier et pluriel) et trois désinences personnelles 5. Le reste de l’ouvrage
était constitué de divers articles présentant les commentaires et les critiques

1
Hintze, 1973c = Hintze, 1974b.
2
Griffith, 1916b, p. 120, 121.
3
On doit d’ailleurs à Hintze une série de travaux sur l’application en archéologie de
méthodes statistiques (« cluster analysis »).
4
Voir ci-dessous, p. 443.
5
Voir ici p. 564.
INTRODUCTION 59

des linguistes et des méroïtisants auxquels Hintze avait préalablement adressé


son essai.
Le résultat ne semble pas avoir été à la hauteur des espérances du savant
berlinois. La première partie suscita une admiration polie, qui ne pouvait
cacher la déception du milieu méroïtisant devant le peu d’éléments
sémantiques qu’elle éclaircissait. La seconde partie fut l’objet de vives
critiques, notamment de la part de Millet et d’Hofmann 1. Dès lors, tout en
continuant son travail éditorial et la direction des fouilles à Musawwarat,
Hintze n’écrivit plus que peu d’articles sur le méroïtique. Il termina une série
de publications sur la grammaire du vieux-nubien 2, ce qui montrait que,
malgré ses doutes réitérés face aux travaux des comparatistes, il n’avait
jamais désespéré de ce recours. Deux dernières 3 contributions brèves, mais
importantes, parurent encore dans les Beiträge zur Sudanforschung, traitant
du système graphique et phonologique (Hintze, 1987) et des rapports
structurels avec le nubien (Hintze, 1989).
Le bilan des recherches méroïtiques de Hintze apparaît donc contrasté.
L’analyse des structures, détachée de tout contexte sémantique, ne pouvait
aboutir que sur des listes qui ne faisaient guère avancer la compréhension des
textes : la grammaire générative, excellent outil de formalisation des
grammaires existantes, ne peut donner que de piètres résultats lorsqu’il s’agit
de traduire une langue inconnue. De plus, Hintze avait concentré ses efforts
sur les inscriptions funéraires, qui constituent presque la moitié des textes
connus, et dont la structure générale très stéréotypée était élucidée depuis
Griffith. Il avait rejeté à l’arrière-plan tous les textes non funéraires, où
l’analyse structurale n’avait pas prise 4. Or c’est de ces inscriptions que l’on
peut attendre la plus riche moisson dans le domaine lexical. Enfin, la
recherche comparative, dont il se défiait fortement, fut placée sous l’éteignoir
et abandonnée à des non-spécialistes du méroïtique qui ne manquèrent pas de
commettre des erreurs rédhibitoires dues à leur méconnaissance du domaine
et de ses conventions 5. Mais d’un autre côté, la rigueur des travaux de
Hintze, ses efforts pour faire connaître et progresser les études méroïtiques
dans son pays et dans le monde, l’importance de certaines découvertes,
souvent en marge de son travail d’analyse structurale, font de ce chercheur le
véritable successeur de Griffith. Nous n’avons probablement pas fini
d’exploiter les résultats de ses travaux.

1
Millet, 1979 ; Hofmann, 1981a, p. 207-212.
2
Beobachtungen zur altnubischen Grammatik (I à VI), voir Hintze, 1971a ; Hintze, 1975a
; Hintze, 1975b ; Hintze, 1977b ; Hintze, 1986.
3
Hintze, 1999 est une communication faite en 1992 au Congrès d’études Méroïtiques de
Gosen, publiée à titre posthume dans les actes de la conférence.
4
Il reste cependant l’éditeur et le commentateur de la stèle de Taneyidamani (REM 1044),
mais dans la première partie de sa carrière (Hintze, 1960a).
5
Voir p. 483.
60 LA LANGUE DE MÉROÉ

Hintze créa également autour de lui une véritable école berlinoise de


spécialistes de la civilisation koushite. Dans le domaine philologique, on peut
remarquer les travaux de Karl-Heinz Priese, son élève et collaborateur, à qui
l’on doit notamment des recherches sur le méroïtique à l’époque napatéenne 1
et un essai important en deux parties sur les textes funéraires : « Notizen zu
den meroitischen Totentexten » (Priese, 1971 et 1977a).
Parmi les travaux des Allemands (ex-Allemagne de l’Ouest), il faut aussi
mentionner les études, relativement indépendantes, de Wolfgang Schenkel
sur la morphologie verbale et nominale (Schenkel, 1972, 1973 a, b, c, 1979 a,
b). Il est notamment le seul à avoir tenté de résoudre sur une vaste échelle
l’énigme des affixes verbaux dans les textes « historiques » 2 (Schenkel,
1972 : « Versuch einer Bestimmung der Tempusbildung der Meroitischen /
Meroitisches und Barya-Verb »).

Le renouveau international des études méroïtiques


Les premiers travaux de Hintze d’une part, et la campagne de sauvetage
des sites de Nubie menacés par la construction du haut barrage d’Assouan
d’autre part, provoquèrent à partir des années soixante une inter-
nationalisation de la recherche philologique méroïtique. Dans ce domaine où,
jusqu’alors, s’étaient illustrés essentiellement des savants anglais et
allemands 3, et aussi, pour la partie archéologique, des Américains, on vit
apparaître de nouveaux spécialistes canadiens, français, espagnols, russes,
soudanais et autrichiens 4.
Les deux chercheurs du Canada, Millet et Trigger, se sont fait connaître
lors des fouilles en Basse-Nubie. Au Gebel Adda, puis à Qasr Ibrim avec
A. J. Mills, Nicholas B. Millet, américain d’origine, fit une ample moisson
d’objets inscrits. Il se spécialisa alors dans la philologie méroïtique, sur
laquelle il écrivit de nombreux articles jusqu’à nos jours. Si certaines de ses
hypothèses, notamment lexicales, peuvent sembler peu solides 5, les travaux
de ce chercheur ont constitué une indispensable alternative aux recherches
générativistes de Hintze, comme le témoignent sa contribution assez méfiante

1
Priese, 1968. Voir supra, p. 19sq.
2
Voir infra, p. 568.
3
On ne peut passer cependant sous silence les études de l’Italien Monneret de Villard
(Voir en bibliographie générale Monneret de Villa r d, 1959 et 1960).
4
Les travaux, nombreux et remarquables, du Hongrois László Török n’ont pas été cités
ici : il ne s’agit pas en effet de recherches philologiques, mais historiques et
sociologiques (voir cependant p. 196).
5
Notamment dans son analyse de l’inscription de Kharamadoye REM 0094 (Millet,
1973a). Voir en revanche de très pertinentes hypothèses sur les textes de Qasr Ibrim,
p. 144-146.
INTRODUCTION 61

à l’ouvrage Beiträge zur meroitischen Grammatik (Millet, 1979) et surtout


l’admirable plaidoyer pour le « risque » en philologie, qui introduit sa lecture
des textes de Qasr Ibrim (Millet, 1982 ; voir ici p. 441). Il a été aussi le seul à
étudier attentivement les ostraca (Millet, 1977) à une époque où tous les
chercheurs s’obstinaient à travailler exclusivement sur les textes funéraires.
On peut regretter qu’il n’ait pu à ce jour éditer les textes si nombreux et
importants des fouilles du Gebel Adda, mais il est possible que cette
publication se fasse prochainement.
Le Canadien Bruce G. Trigger, fouilla avec l’équipe américaine de
W. K. Simpson à Arminna, et fut l’auteur d’une série de travaux brillants. Il
avait commencé sa carrière de méroïtisant par un article capital : « Meroitic
and Eastern Sudanic : a Linguistic Relationship ? » (Trigger, 1964). Il y
rattachait le méroïtique à la branche « soudanique orientale » de la famille
linguistique « nilo-saharienne », nouvellement créée par J. H. Greenberg. La
démonstration souffrait certes de quelques erreurs lexicales et méthodo-
logiques, dues surtout à l’utilisation des données de Zyhlarz, comme il le
reconnaîtra d’ailleurs ultérieurement (cf. Trigger 1973b, p. 343). Mais elle
fut unanimement saluée et reste aujourd’hui l’hypothèse la plus crédible sur
la parenté du méroïtique 1. Un autre ouvrage important de Trigger fut la
publication des fouilles d’Arminna, en collaboration avec le Français Heyler
(Trigger–Heyler, 1970). Ce travail, pourtant effectué sur un corpus limité,
demeure inégalé dans le domaine de la publication de textes méroïtiques par
la quantité et la qualité des observations, tant paléographiques que linguis-
tiques. Malheureusement, Trigger changea par la suite de terrain et se tourna
vers l’archéologie amérindienne.
La recherche française dans le domaine de la philologie méroïtique porte
le sceau de Jean Leclant. Dès 1958, cet éminent égyptologue forma le projet
d’un Répertoire d’épigraphie méroïtique (REM), rassemblant tous les textes
connus sous la forme novatrice d’une base de données informatisée, qui
faciliterait d’autant les analyses 2. Il bénéficia de l’aide précieuse d’un
philologue averti, André Heyler, bientôt auteur d’une étude remarquée :
« Note sur les “articles” méroïtiques » (Heyler, 1967). Ensemble, Leclant et
Heyler accomplirent au sein du Groupe d’études méroïtiques de Paris un
travail immense, rassemblant des données éparpillées dans le monde entier
dans les pages de la revue parisienne nouvellement créée, les Meroitic
Newsletters (Bulletin d’informations méroïtiques). L’entreprise suscita un
intérêt considérable au sein de la communauté méroïtisante internationale, et

1
Voir ci-dessous, p. 480-487. Cette hypothèse sera confirmée dans un ouvrage intitulé La
famille linguistique du méroïtique, publié prochainement aux éditions Peeters.
2
Sur le REM, voir Leclant–Heyler, 1968 ; Leclant–Heyler, 1969a ; Leclant–Heyler, 1969b ;
Heyler, 1970 ; Leclant, 1970a ; Leclant–Heyler, 1972 ; Leclant, 1974a ; Leclant, 1974b ;
Leclant–Heyler–Hainsworth, 1975 ; Leclant–Hainsworth, 1977 ; Leclant–Hainsworth,
1978 ; Leclant–Hainsworth, 1982 ; Tiradritti, 1994 ; Carrier, 1999.
62 LA LANGUE DE MÉROÉ

Trigger fit remarquer au Congrès de Berlin que « Leclant has thus taken
Meroitic studies from the level of a cottage industry to the threshold of its
own industrial revolution » (Trigger, 1973a, p. 258).
Malheureusement, la mort inopinée de Heyler, en 1971, porta un coup
terrible au projet français. J. Leclant put cependant continuer quelque temps
ce travail grâce à la collaboration de Michael Hainsworth, un jeune chercheur
qui s’était spécialisé assez rapidement dans le traitement par ordinateur des
données linguistiques. Bientôt, un premier résultat sous forme de listings
informatiques put être distribué aux participants du IIIe Colloque d’études
nubiennes de Chantilly, en 1975, ainsi qu’un index provisoires de toutes les
séquences (« mots ») méroïtiques. Mais avec l’abandon de Hainsworth au
milieu des années quatre-vingt, l’espoir d’une publication finale s’éloigna 1.
La seconde étape dans le projet français, l’analyse informatisée de la
langue, ne fut qu’effleurée 2, et se heurta à quelques achoppements méthodo-
logiques. Le principal, fort compréhensible pour une entreprise pionnière
comme l’était une recherche par ordinateur dans les années soixante,
consistait à trop attendre de l’informatique : elle ne pouvait pas bien entendu
se substituer en bloc au travail du philologue. Ainsi, les séquences isolées par
la machine devaient être systématiquement vérifiées dans les textes avant
d’être considérées comme de véritables morphèmes ou lexèmes, ce qui n’a
pas toujours été fait, particulièrement après Heyler, si bien que des cas
patents d’homonymie sur les morphèmes ont échappé à l’attention 3, notam-
ment dans la rédaction des index. Malgré la puissance des outils mis en
œuvre, les progrès dans la compréhension de la langue restèrent modestes.
Quant aux chercheurs espagnols, ils avaient obtenu, dans le cadre de la
campagne de sauvetage en Basse-Nubie, la concession des fouilles de Nag
Gamus, où l’équipe de Martin Almagro mit au jour une vingtaine de stèles
funéraires inscrites. Leur publication fut extraordinairement rapide. Dans
deux des volumes consacrés à ces fouilles (Almagro, 1964 et 1965),
l’archéologue proposait une translittération et une traduction partielle des
textes méroïtiques. Les ambitions philologiques en étaient cependant
modestes, et plusieurs lectures durent par la suite être rectifiées dans un
article des Meroitic Newsletters rédigé en collaboration avec Hainsworth
(Almagro-Basch–Hainsworth, 1977).
Une école d’études koushites se développa également en URSS dès la fin
des années soixante, sous la houlette de deux égyptologues : l’historien
Isidor Katznelson et le philologue Youri Zawadowski. Ce dernier publia
quelques articles, dont une recherche approfondie sur la phonologie

1
Voir cependant ci-dessous, p. 65.
2
Notamment Leclant–Hainsworth, 1978 ; Hainsworth, 1980 et 1984.
3
Voir particulièrement les confusions entre -te, suffixe verbal et postposition locative dans
Leclant, 1981-1982, p. 204.
INTRODUCTION 63

méroïtique, la première du genre, parue dans les Meroitic Newsletters sous le


titre : « Some Considerations on Meroitic Phonology » (Zawadowski,
1972) 1. En 1980, les deux chercheurs rédigèrent une synthèse sommaire sur
la langue méroïtique dans une série de publications linguistiques de
l’Académie soviétique des sciences sous le titre ;,D@4HF846 b2Z8 [La
langue méroïtique] (Zawadowski–Katznelson, 1980). Il s’agissait
essentiellement d’une compilation de données déjà anciennes et la recherche
russe ne devait pas faire avancer fondamentalement la question.
Il faut aussi signaler une étude comparative du linguiste A. Militarev,
intitulée a2Z8 <,D@4HF8@6 ^B4(D"L484 8"8 4FH@D4R,F846 4FH@R>48 &
F&,H, ,(@ (,>,24F" [La langue des inscriptions méroïtiques comme source
historique à la lumière de sa phylogenèse] (Militarev, 1984). La démarche du
chercheur consiste à faire du méroïtique et du nubien un nouveau rameau de
la famille chamito-sémitique, ce qui semble pour le moins paradoxal 2.
L’école soudanaise est représenté par un seul nom, Abdelgadir Mahmoud
Abdalla. Disciple de Macadam, professeur à l’université de Riyad, il a
consacré l’ensemble de ses études à la structure des anthroponymes
méroïtiques. Sa thèse, présentée à Durham, en Angleterre, en 1969, a été
partiellement publiée en deux articles des Beiträge zur Sudanforschung
(Abdalla, 1988 et 1989). Sévèrement critiquées par Hintze 3, ses méthodes,
reposant sur une segmentation excessive, n’ont pas permis d’avancées
probantes dans ce domaine. Ses travaux présentent cependant quelques
suggestions intéressantes, notamment dans les analyses syntaxiques.
L’Autriche n’était pas une nouvelle venue dans le domaine des études
méroïtiques, puisque Schuchardt et Zyhlarz (cf. supra) étaient autrichiens.
C’est de l’Institut für Afrikanistik und Ägyptologie que devait venir le
renouveau, avec les travaux nombreux et pertinents d’Inge Hofmann,
Allemande d’origine qui avait choisi d’exercer ses talents à Vienne. Elle
avait commencé sa carrière dans les études méroïtiques par une thèse,
remarquable d’exhaustivité, synthétisant les données archéologiques sur le
Soudan : Die Kulturen des Niltal von Aswan bis Sennar vom Mesolithikum
bis zum Ende der christlichen Epoche (Hofmann, 1967). En moins de vingt-
cinq années, elle publia ensuite près de soixante articles et monographies
consacrés à tous les aspects de la civilisation de Méroé. Deux études
marquantes constituent pour les méroïtisants des références indispensables.
La première, un hommage à son maître viennois Anton Vorbichler, intitulé
Material für eine meroitische Grammatik (Hofmann, 1981a), se voulait à
l’origine un manuel de méroïtique destiné aux africanisants qui avaient
manifesté une grande curiosité pour cette plus vieille langue connue de

1
Pour des éléments critiques sur cette étude, voir p. 359-407 passim.
2
Voir p. 454-455.
3
Hintze, 1979, p. 23-26. Voir également ci-dessous p. 494.
64 LA LANGUE DE MÉROÉ

l’Afrique interne. Il s’agit en fait d’un ouvrage dans la lignée des travaux de
Hintze. Priorité est donnée en effet aux structures, particulièrement dans
l’examen des textes funéraires. Mais une analyse très serrée accompagne
chacun des exemples cités, où Hofmann récapitule avec une vertigineuse
érudition les études de ses prédécesseurs, avançant inlassablement des
rectifications, des améliorations, des suggestions. Son intérêt s’étend bien au-
delà des épitaphes, puisqu’elle étudie des graffiti et des proscynèmes, et se
livre à une analyse poussée – à défaut de traduction – d’un long texte
« historique », la stèle d’Akinidad (REM 1003). Moins dogmatique, moins
novatrice que Hintze, Hofmann se montre plus précise, plus proche des
textes. Sa monographie est à ranger à côté des ouvrages indispensables à tout
méroïtisant, avec ceux de Griffith et de Hintze. Une autre étude, parue dix
ans plus tard, Steine für die Ewigkeit / Meroitische Opfertafeln und
Totenstelen (Hofmann, 1991), fait également partie de ces ouvrages
fondamentaux. Il s’agit d’une somme exhaustive de données sur les textes
funéraires, tant archéologiques qu’historiques ou sociologiques. Elle contient
aussi un ensemble de tables paléographiques qui en font une référence
obligée en la matière.
Inge Hofmann a consacré également beaucoup de temps à la formation de
jeunes chercheurs et a ainsi créé une véritable école viennoise d’études
méroïtiques, comprenant des noms comme Michael Zach ou Herbert
Tomandl, qui ont publié, souvent de concert avec elle 1, plusieurs travaux sur
les inscriptions et la culture méroïtiques.

L’état actuel de la recherche méroïtique

Depuis le milieu des années quatre-vingt, l’activité archéologique a


continué sans faiblir en Égypte méridionale et au Soudan 2. Des expositions
d’envergure, comme celle qui s’est tenue à la Kunsthalle der Hypo-
Kulturstiftung de Munich sous le titre « Die Pharaonen des Goldlandes.
Königreiche in Sudan » (1996-1997), puis à l’Institut du monde arabe de
Paris sous le nom de « Soudan. Royaumes sur le Nil » (1997) 3, ont contribué
à révéler au public la civilisation originale de Koush. Semblablement, des
sections spécialement consacrées à la Nubie ont été aménagées au British
Museum et au Royal Ontario Museum de Toronto 4. Malheureusement, les
études philologiques n’ont pas connu un pareil essor. En ce domaine, la
1
Voir notamment Hofmann–Huber et al., 1989, Hofmann–Tomandl 1986a, Hofmann–
Tomandl, 1986b, Hofmann–Tomandl, 1986c, Hofmann–Tomandl, 1987a, Hofmann–
Tomandl, 1987b, Hofmann–Tomandl et al., 1989, Zach–Hofmann et al., 1985.
2
Voir infra « Fouilles et sites », p. 71.
3
Wildung, 1997 ; Priese, 1997a, b, c.
4
Voir Phillips, 1993.
INTRODUCTION 65

lenteur des progrès, le manque de renouvellement dans les équipes, l’absence


d’inscriptions nouvelles publiées en quantité suffisante a entraîné un certain
essoufflement de la recherche. Seule l’équipe viennoise autour d’Inge
Hofmann a continué à faire paraître régulièrement quelques articles, mais
depuis 1991, il n’y a pas eu de contribution d’ampleur consacrée à la langue
méroïtique.

Dans les dernières années, Millet et Abdalla ont exposé régulièrement les
résultats de leurs recherches (Millet, 1998 et 1999, Abdalla, 1994, 1999 a et
1999b 1). On peut ajouter à ces contributions quelques articles ponctuels
comme Edwards, 1994b et Kormysheva, 1998, ainsi que les commentaires
par László Török des principaux textes méroïtiques de portée historique
publiés dans les Fontes Historiae Nubiorum (Török in Eide et al., 1994,
1996, 1998). Plus récemment encore, on peut signaler trois études consacrées
au napatéen (Peust, 1999 et 2000, Rilly, 2001d), deux articles traitant de
problèmes orthographiques et phonétiques (Rilly, 1999a et b), un autre de
problèmes lexicaux (Rilly, 2000b), deux autres encore définissant un
nouveau type de textes, les décrets oraculaires amulétiques (Edwards-Fuller,
2000 et Rilly, 2000c), et un dernier traitant de paléographie (Rilly, 2001c).
La reprise de la parution des revues Meroitica en Allemagne et Meroitic
Newsletters en France laisse bien augurer d’un prochain regain d’intérêt pour
les études méroïtiques. L’année 2000 a vu la publication finale des trois
premiers tomes du REM 2, des ostraca de Shokan 3 et de certains documents
de Qasr Ibrim 4 ; l’année 2001 celles de la stèle du vice-roi Abratoye5 et des
textes inédits de Sedeinga6. La publication des graffiti de Musawwarat 7 et
celle des textes du Gebel Adda sont attendues incessamment.

1
Les références datées de 1999 correspondent pour ces deux auteurs aux actes du Congrès
d’études méroïtiques de Gosen, tenu en 1992.
2
Leclant–ÉHeyler–Berger-El Naggar–Carrier–Rilly, 2000. Il ne s’agit pas encore de la
translittération et de l’étude philologique des textes, qui fera l’objet des deux tomes
suivants, le tome VI constituant le « Lexique ».
3
Jacquet-Gordon, 2000.
4
Edwards-Fuller, 2000.
5
Carrier, 2001c.
6
Carrier, 2001d.
7
Deux articles préliminaires sont parus récemment (Wolf, 1999a et b).
66 LA LANGUE DE MÉROÉ

Revues et colloques
Les études méroïtiques ont été – et restent en majeure partie – une
branche de l’égyptologie. Aussi une importante proportion des études et des
articles consacrés à la langue de Koush sont-elles parues dans les revues
traditionnellement axées sur la philologie égyptienne. La Zeitschrift für
ägyptische Sprache de Berlin fut assurément la première à accueillir les
tentatives de déchiffrement, jusqu’à l’article fondateur de Griffith 1. C’est
ensuite très logiquement le Journal of Egyptian Archaelogy de Londres qui
ouvrit ses colonnes aux six « Meroitic Studies » du déchiffreur, puis aux
articles de Macadam (Macadam, 1950) et Trigger (Trigger, 1967b). Depuis
les années quatre-vingt, plusieurs articles consacré à la langue méroïtique par
Hofmann, Zach, Rilly, Peust sont parus dans les Göttinger Miszellen.
Quelques travaux de méroïtisants ont également été publiés dans des
revues d’études africaines. L’essai de Meinhof sur la langue de Méroé
(Meinhof, 1921-1922) avait ainsi ouvert un numéro du Zeitschrift für
Eingeborenen Sprachen de Berlin. Cette même revue, déplacée à Hambourg
après la dernière guerre et rebaptisée Afrika und Übersee, a accueilli deux
articles de Hofmann. Plusieurs autres études méroïtiques de Hofmann et une
de Marianne Bechhaus-Gerst ont paru dans Sprache und Geschichte in Afrika
(SUGIA) de Cologne.
Cependant, depuis les années cinquante s’est développé un certain
nombre de revues spécialisées dans l’étude de la Nubie ancienne. Cet essor a
coïncidé avec l’intérêt nouveau éveillé par la campagne de sauvetage des
monuments de Nubie et avec la transformation, encore partielle, des études
méroïtiques en discipline indépendante. À Khartoum même, le Service des
Antiquités du Soudan a publié à partir de 1953 le périodique Kush, qui a
accueilli les contributions de Monneret de Villard, Hintze, Vycichl, Zyhlarz
et Trigger. En sommeil dans les années quatre-vingt, la parution a repris,
avec deux numéros en 1993 et 1997.
À Paris, sous les auspices de Jean Leclant et Bruce G. Trigger, une revue
fut lancée en 1968, les Meroitic Newsletters (Bulletin d’informations
méroïtiques). Elle permit d’enregistrer les avancées du REM et donna aux
spécialistes de l’archéologie et de la philologie méroïtiques un espace de
publication fort apprécié, recevant les contributions de tous les grands noms :
Hintze, Trigger, Millet, Heyler, Vycichl, Hofmann, Abdalla, Wenig, Török,
Edwards, Lenoble et bien d’autres. Là aussi, le rythme de parution se ralentit
dans les années quatre-vingt. Cinq numéros ont été récemment publiés, en
1999 (n° 26), 2000 (n° 27), 2001 (n° 28), 2002 (n° 29), 2003 (n° 30).

1
Griffith, 1910 (mais voir note 1, p. 52).
INTRODUCTION 67

À Berlin, Hintze créa en 1973 la revue Meroitica, qui a paru


jusqu’aujourd’hui de façon assez régulière, accueillant principalement les
actes des Congrès d’études méroïtiques (Meroitica nos 1, 6, 7, 10, 15) ainsi
que des monographies (n° 3 : Hintze, 1979 ; n° 8 : Burkhardt, 1985 ; n° 11 :
Browne, 1989a ; n° 16 : Eisa, 1999).
La recherche russe édita également une revue, ;,D@^, 4FH@D4b,
4FH@D4b 8J:XHJDZ, b2Z8 *D,&>,(@ EJ*">" [Méroé : histoire, histoire
culturelle, langue du Soudan ancien], sous l’égide de l’Institut d’études
orientales de l’Académie des sciences de l’URSS. Quatre numéros parurent,
en 1977, 1981, 1985 et 1989, accueillant quelques articles de philologie
méroïtique sous la plume de Priese, Hintze, Zawadowski. Mais l’essentiel
des contributions était d’ordre historique et quasiment limité aux auteurs
soviétiques. La revue a cessé de paraître dans les années quatre-vingt-dix,
tant à cause de la désorganisation des institutions de l’ex-URSS qu’en raison
de la disparition de ses fondateurs.
L’école viennoise de Hofmann possède également depuis 1986 sa revue :
Beiträge zur Sudanforschung, dont le n° 7 est paru en 2000. Quelques
articles sur la langue de Koush y ont été publiés, notamment par Abdalla,
Böhm, Hintze, Hofmann. Huit cahiers annexes (Beihefte) contiennent des
monographies essentiellement consacrées à l’étude de la civilisation de
Méroé. L’une d’elles (Beiheft n° 6), intitulée Steine für die Ewigkeit,
constitue l’étude actuellement la plus complète des textes funéraires
méroïtiques (Hofmann, 1991, voir supra).
D’autres revues créées ultérieurement sont pour l’essentiel consacrées à
l’archéologie nubienne et n’ont pas actuellement publié de contributions
notables à la philologie méroïtique 1 : c’est le cas des Nubians Letters, parues
à La Haye depuis 1983, de la revue lilloise Archéologie du Nil Moyen (8
numéros depuis 1986), de Nubica, publiée à Cologne, puis à Varsovie,
depuis 1990, de la Sudan Archaeological Research Society Newsletter, qui
paraît à Londres depuis 1992, des Mitteilungen der Sudanarchäologischen
Gesellschaft, publiées à Berlin depuis 1994 et de la revue londonienne Sudan
and Nubia (depuis 1997).

Les Congrès d’études méroïtiques, lancés par Fritz Hintze et Jean Leclant
en 1971, et tenus régulièrement tous les trois, puis quatre ans, ont joué
également un rôle capital dans la recherche méroïtique, tant historique que
philologique. Six sur huit ont fait l’objet d’une publication :

1
La revue Nubica a cependant publié en 1999 un essai de « traduction » très contestable,
par C. A. Winters, de la grande stèle de Taneyidamani REM 1044 (Winters, 1999, voir
p. 56).
68 LA LANGUE DE MÉROÉ

1. Internationale Tagung für meroitistische Forschungen, Berlin 1971 : actes


publiés par F. Hintze dans Meroitica 1 (1973).
Journées internationales d’études méroïtiques, Paris 1973 : actes non
publiés, mais les textes des communications sont disponibles au
Centre de recherches égyptologiques de Paris-Sorbonne et à la
bibliothèque égyptologique de l’École pratique des hautes études, Ve
section 1.
rd
3 . International Meroitic Conference, Toronto 1977 : actes publiés par
N. B. Millet et A. L. Kelley dans Meroitica 6 (1982) 2.
4. Internationale Tagung für meroitistische Forschungen, Berlin 1980 : actes
publiés par F. Hintze dans Meroitica 7 (1984).
5th International Conference for « Meroitic Studies », Rome 1984 : actes
publiés par S. Donadoni et St. Wenig dans Meroitica 10 (1989).
6th International Conference for « Meroitic Studies », Khartoum 1989 : actes
prochainement publiés dans la série Meroitica, n° 22.
7. Internationale Tagung für meroitistische Forschungen, Gosen bei Berlin,
1992 : actes publiés par S. Wenig dans Meroitica 15 (1999).
8th International Conference for « Meroitic Studies », Londres 1996 : actes
publiés par D. Welsby (Welsby, 1999).
9. Internationale Tagung für meroitistische Forschungen, Munich 2000 : il
n’a pas été envisagé de publication d’actes. Seuls sont disponibles
les résumés des communications.
10e Conférence internationale d’études méroïtiques, Paris 2004 : actes à
paraître, publiés par C. Carrier et C. Rilly.

Les colloques sur l’histoire de la Nubie, régulièrement organisés d’abord


par l’Unesco, puis par la Société internationale d’études nubiennes, créée en
1972, ont également contribué au développement des études méroïtiques, bien
que les communications consacrées à la langue de Koush y aient été plus rares.
Ils se tiennent désormais tous les quatre ans, en alternance avec les Congrès
d’études méroïtiques. Tous sans exception ont fait l’objet d’une publication :

Symposium international sur la Nubie, Le Caire 1969 : actes publiés par


E. Dinkler (1970) 3.
Studies in Ancient Languages of the Sudan. Second International Colloquium
on Language and Literature in the Sudan, Khartoum, 7-12
December 1970 : actes publiés par Abdelgadir M. Abdalla (1974).

1
Voir également Actes du XXIXe Congrès international des orientalistes, Paris,
L’Asiathèque, 1975, vol. II, p. 109-115.
2
Voir Orientalia, 46 (1977), p. 478.
3
Voir Orientalia, 40 (1971), p. 473.
INTRODUCTION 69

Colloque Nubiologique International, Varsovie 1972 : actes publiés par


Michalowski (Nubia, Recherches récentes, 1975) 1.
rd
3 International Colloquium of Nubian Studies, Chantilly 1975 : actes
publiés par J. Leclant et J. Vercoutter (1978) 2.
Nubian Studies [4e congrès], Cambridge 1978 : actes publiés par J. Plumley
(1982).
5. Internationalen Konferenz der International Society for Nubian Studies,
Heidelberg 1982 : actes publiés par M. Krause (Nubische Studien,
1986)3.
6th International Conference for Nubian Studies, Uppsala 1986 : actes
publiés par T. Hägg (1987).
7e Congrès international d’études nubiennes, Genève 1990 : actes publiés
par C. Bonnet (1992).
8e Conférence d’études nubiennes, Lille 1994 : actes publiés dans les Cahiers
de recherches de l’Institut de paryrologie et d’égyptologie de Lille,
n° 17 (édité par l’université Charles-de-Gaulle, Lille III).
9th International Conference of the Society for Nubian Studies, Boston 1998 :
actes encore sous presse. On pourra se référer au bref bilan
d’Angelika Lohwasser dans les Mitteilungen der sudanarchäo-
logischen Gesellschaft zu Berlin, n° 9 (Lohwasser, 1999).
Le 10e Congrès de la Société des études nubiennes s’est tenu à Rome, en
septembre 2002. Les actes seront publiés par A. Roccati.
Quelques colloques ponctuels ont également accueilli des
communications consacrées à la langue méroïtique :
Conférence internationale d’études sémitiques, Jérusalem 1965 : Actes
publiés par A. Caquot et D. Cohen (1974).
Second International Colloquium on Language and Literature in the Sudan,
Khartoum 1970 : Actes publiés par Abdelgadir M. Abdalla (Studies
in Ancient Languages of the Sudan, 1974).
Aspects sémantiques du méroïtique, table ronde organisée par le CNRS, Paris
1972 : actes publiés par J. Leclant dans les Meroitic Newsletters
n° 13 (1973).
Le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture
méroïtique, colloque de l’Unesco, Le Caire 1974 : Actes publiés par

1
Voir Orientalia, 42 (1973), p. 383-384.
2
Voir Orientalia, 48 (1979), p. 529-530.
3
Voir Orientalia, 52 (1983), p. 271-273.
70 LA LANGUE DE MÉROÉ

l’Unesco dans Histoire générale de l’Afrique, Études et documents,


1 (1974).
LES DOCUMENTS

FOUILLES ET SITES

L’histoire de l’archéologie méroïtique 1 a déjà été abordée dans les pages


précédentes, tant il est vrai que les progrès dans la connaissance de la langue
ont suivi de près les publications des différents corpus d’inscriptions mis au
jour lors des fouilles majeures. On peut affirmer sans forcer le trait, ni
déprécier la sagacité propre des chercheurs, que le déchiffrement et les
premières avancées de Griffith se sont faits en bonne partie grâce aux textes
découverts à Karanóg, que les progrès de Hintze (Hintze, 1959a) ont
correspondu à l’édition par Dunham des documents trouvés par Reisner, et
que le renouvellement des études méroïtiques dans les années soixante et
soixante-dix a coïncidé avec la publication progressive des fouilles de
sauvetage de la Nubie, donnant raison à W. Vycichl, qui, dans son bilan de la
recherche philologique en 1958, prédisait : « I am sure that the interpretation
of Meroitic will start anew with the publication of new material. » (Vycichl,
1958, p. 79)
Aussi nous limiterons-nous à une revue géographique, du sud au nord,
des principaux sites qui ont livré des inscriptions méroïtiques, accompagnée
d’une bibliographie ad hoc, chaque fois que les fouilles ont fait l’objet d’une
publication partielle ou totale, ce qui n’est malheureusement pas toujours le
cas 2. Pour une localisation de ces sites, on se reportera à la Carte 2, p. 83.

Naga (Naqƒa) 3
Ce complexe cultuel a fourni une ample moisson de légendes
hiéroglyphiques du Ier siècle de notre ère accompagnant l’iconographie
divine et royale des temples d’Apedemak (REM 0003 à 0020) et d’Amon
(REM 0023 à 0038). Dans le petit temple de l’est ont été découverts deux
cartouches hiéroglyphiques au nom de la reine Shanakdakhete, actuellement
considérés comme les plus anciens écrits méroïtiques datables (REM 0039A
et B, voir note 1, p. 28). Les seules inscriptions en cursive sont deux graffiti
1
Pour un panorama complet de l’archéologie méroïtique, accompagné d’une bibliographie
exhaustive, on pourra se référer à Török, 1997b, p. 7-27. Voir aussi Salah Mohamed
Ahmed (1997) : « Cent soixante-quinze ans d’archéologie au Soudan » dans Wildung et
al., 1997, p. 1-5 et Reinold, 2000 : Archéologie au Soudan.
2
Une liste des fouilles restées inédites à ce jour figure dans Van Moorsel, 1995. Des
rapports réguliers sur l’avancement des travaux archéologiques en Égypte et au Soudan
ont été publiés régulièrement par Jean Leclant dans la revue romaine Orientalia.
3
Les formes entre parenthèses indiquent des transcriptions alternatives utilisées dans certaines
publications.
72 LA LANGUE DE MÉROÉ

du temple d’Apedemak (REM 0021) et du petit kiosque (REM 0022). La


majeure partie des inscriptions avait déjà été copiée par l’expédition de
Lepsius (Lepsius, 1849-1858, vol. V). La première édition complète de ces
textes, avec lecture et commentaires, est due à Griffith (Griffith, 1911c). Une
nouvelle étude, très précise, a été publiée par Karola Zibelius (Zibelius,
1983) dans la série Tübingen Atlas des vorderen Orients (TAVO). Le site est
actuellement fouillé par une équipe du musée de Berlin (Priese, 1998 ;
Wildung-Schoske, 1999 ; Wildung, 2000), et deux superbes stèles au nom de
la reine Amanishakheto ont été découvertes en 1999 et 2000 (REM 1293 et
1294). Un piédestal inscrit (REM 1370) a été également retrouvé dans ces
fouilles récentes.

Musawwarat es-Sufra
Le vaste ensemble de Musawwarat, connu surtout pour son temple dédié
au dieu-lion Apedemak, comporte plusieurs autres sanctuaires et un édifice
nommé « la Grande Enceinte », peut-être dévolu à la conservation d’animaux
pour les chasses royales. On trouve sur tout le site, outre des inscriptions
cultuelles en hiéroglyphes égyptiens, près de 150 graffiti méroïtiques d’époques
variées. Certains semblent de ductus très ancien (IIe siècle av. J.-C. ?). Seules
25 de ces inscriptions ont été publiées : REM 0042-0044 (Griffith, 1911c),
1034, 1045 (Hintze, 1960b, p. 391), 1051-1054 (Hintze, 1962, p. 45-46),
1111, 1112 (Hintze, 1968, p. 676, 679-680), 1142 (Hintze, 1972, p. 263),
1164-1167 (Hintze U., 1979), 1283-1288 (Wolf, 1999b, p. 47-52), ainsi que
trois modestes ostraca : REM 1289-1291 (Fitzenreiter et al., 1999, p. 94 1).
Les fouilles de ce site sont depuis la fin des années cinquante menées par
l’équipe berlinoise de la Humboldt-Universität. Une première publication par
Hintze (Hintze, 1962a) a été complétée plus tard (Hintze-Priese, 1993). Deux
articles récents de Pawel Wolf (Wolf, 1999a et b) laissent espérer une édition
prochaine de l’ensemble des graffiti.

Wad Ben Naga


Ce site où se dressaient autrefois plusieurs temples et un palais royal n’a
été que partiellement fouillé, d’abord par l’expédition prussienne (Lepsius,
1849-1858, vol. V, 55a et c), puis par la Humboldt-Universität (Hintze,
1960b), et enfin par une équipe franco-soudanaise (Vercoutter, 1962).
Beaucoup d’inscriptions sont restées inédites. Parmi les quatre qui ont été
publiées (REM 0040, 0041, 0140, 1055), la seconde, gravée sur un support
de barque divine, a eu une grande importance dans l’histoire de la recherche,
puisque c’est à partir de ses cartouches bilingues, égyptiens et méroïtiques,
aux noms du roi Natakamani et de la reine Amanitore, que Griffith a pu jeter
les bases de son déchiffrement.

1
On envisagera avec prudence la lecture proposée pour ces ostraca dans l’ouvrage cité.
LES DOCUMENTS 73

El-Hobagi
Ce lieu servit de nécropole à des souverains du méroïtique final qui y
firent édifier leurs tumuli funéraires. Le site a partiellement été fouillé par la
section française de la NCAM sous la direction de Patrice Lenoble (Lenoble–
Sharif, 1992 ; Lenoble, 1994a). Une seule inscription méroïtique en hiéro-
glyphes 1, gravée sur un bol de bronze, a été découverte (REM 1222, voir
Millet, 1998), mais elle est d’importance puisqu’il s’agit peut-être de la plus
tardive actuellement connue (milieu du IVe siècle ?). Il n’est pas exclu que la
fouille des tumuli restants puisse dans l’avenir livrer d’autres textes.

Hamadab
Un petit temple de briques crues, fouillé en 1913-1914 par l’équipe
britannique dirigée par J. Garstang et W. J. Phythian-Adams (Garstang–
Phythian-Adams, 1914-1916) a livré deux stèles royales au nom du prince
Akinidad (REM 1003 et 1039). La première a été éditée par Sayce (Sayce,
1914-1916), puis de façon plus satisfaisante dans Griffith, 1917b. Une
nouvelle analyse figure dans Hofmann, 1981a, p. 279-284. La seconde stèle,
très lacunaire, a été publiée dans Monneret de Villard, 1959, p. 111-113, puis
dans Hintze, 1961, p. 279-282.

Méroé
Le site de Méroé, très étendu, comporte plusieurs lieux de fouilles : les
nécropoles royales et princières de Begrawwiya-Nord, Sud et Ouest, la cité et
ses cimetières propres, les bâtiments cultuels. Les anciens relevés de Lepsius
(op. cit. vol. V et VI) avait permis de publier plus d’une vingtaine
d’inscriptions (REM 0047-0073) gravées sur les murs des pyramides ou sur
des stèles dont la majeure partie se trouvent actuellement dans les musées de
Berlin. Ces textes furent étudiés par Griffith dans le premier tome des
Meroitic Inscriptions (Griffith, 1911c).
Entre 1909 et 1914, J. Garstang fouilla les temples de la ville et sa
nécropole (dite dès lors « cimetière Garstang ») sur une vaste échelle. Une
première collection d’inscriptions cultuelles (REM 0401-0422) et de textes
funéraires (REM 0423-0451) fit l’objet d’une étude de Griffith (Griffith,
1911b) dans un chapitre du seul volume qui parut alors (Garstang et al.,
1911). Deux textes royaux issus des mêmes fouilles (REM 1038, 1041)
furent étudiés ultérieurement par Hintze (Hintze, 1961), et une inscription
isolée (REM 1180) le fut par Priese (in Wenig, 1978, p. 218). Une seconde
partie des textes retrouvés par Garstang, essentiellement des fragments de
stèles, des ostraca et des graffiti (REM 1251-1272), ne fut publiée que

1
Voir p. 33-34.
74 LA LANGUE DE MÉROÉ

récemment par les soins de L. Török (Török, 1997a, avec la contribution


d’Inge Hofmann).
La nécropole royale de Begrawwiya fut ensuite fouillée par l’expédition
américaine de l’université Harvard et du musée des Beaux-Arts de Boston,
dirigée par George Reisner, entre 1916 et 1923. Elle y découvrit une
cinquantaine de documents écrits, essentiellement des blocs inscrits, quelques
ostraca et plusieurs tables d’offrandes, complètes ou fragmentaires (REM
0802-0806, 0808-0811, 0813-0851). L’ensemble ne fut publié qu’à partir des
années cinquante par D. Dunham dans la série des Royal Cemeteries of Kush
(Dunham, 1957 et 1963).
Les fouilles menées sur le site de la ville antique de Méroé par P. L.
Shinnie, continuant les recherches de Garstang, entre 1965 et 1972 (Shinnie–
Bradley, 1980), n’ont pas permis, à notre connaissance, de découverte de
textes.
Enfin, la restauration des pyramides de la nécropole royale par l’équipe
soudanaise dirigée par F. W. Hinkel, de 1976 à 1988 (voir Hinkel, 1982,
1986 et 1994) a mis au jour quelques inscriptions, essentiellement des
compléments de décoration de chapelles funéraires. Une seule (le graffito
REM 1190) est actuellement publiée.

Gebel Barkal
La principale métropole religieuse de l’empire méroïtique, aux abords de
la quatrième cataracte, resta peu connue jusqu’en 1916. Les Meroitic
Inscriptions de Griffith (Griffith, 1912) ne citent que quatre textes d’époque
archaïque (REM 0075-0078) : trois inscriptions murales et une autre, assez
longue, au dos d’une statue d’Isis ramenée à Berlin par Lepsius (REM 0075).
De 1916 à 1919, les fouilles de Reisner dans les temples et les nécropoles
royales de Barkal, El-Kurru et Nuri mirent au jour plusieurs inscriptions
archaïques de natures variées (REM 0801, 0807, 0812, 1004, 1044, 1138,
1139, 1140, 1191, 1192) qui ne furent publiées que beaucoup plus tard
(Dunham, 1957 et 1970, Kendall, 1982). Parmi elles, il faut distinguer la
grande stèle du roi Taneyidamani (REM 1044), inscrite sur ses quatre faces,
le plus long texte méroïtique actuellement connu avec ses 161 lignes (édité
par Hintze, 1960a).
Des fouilles ultérieures, menées par S. Donadoni pour l’université de
Rome à partir de 1973 (Donadoni, 1993) ont exhumé parmi les décombres
d’un palais du roi Natakamani un protocole hiéroglyphique (REM 1181) et
une stèle royale (REM 1221).

Kawa
Les temples de Kawa ont été fouillés par Griffith dans les années trente,
mais il n’eut pas le temps de publier les résultats de ces travaux : c’est son
disciple, M. F. L. Macadam, qui s’en chargea en deux volumes imposants
LES DOCUMENTS 75

(Macadam, 1949 et 1955), qui détaillaient entre autres la centaine d’inscriptions


méroïtiques découvertes, essentiellement des graffiti gravés sur les murs du
temple de Taharqo (REM 0601-0707 et 1026).
Tabo (île d’Argo)
Le site de Tabo, sur l’île d’Argo, près de Dongola, fut fouillé à partir de
1965 par Charles Maystre pour le compte de l’université de Genève. Parmi
les nombreuses découvertes, certaines splendides comme une statue royale de
bronze (Maystre, 1986), un grand nombre de textes méroïtiques (fragments
d’inscriptions hiéroglyphiques et graffiti en cursive) ont été retrouvés dans
les vestiges d’un complexe cultuel, comprenant notamment un kiosque
d’époque méroïtique. Malheureusement, seul un bloc gravé d’hiéroglyphes a
été publié pour l’heure (REM 1145 in Maystre, 1973). Il n’existe pas encore
de synthèse sur ce site.

Soleb
Ce lieu, surtout connu pour le grandiose temple jubilaire bâti par
Amenhotep III, a été fouillé à partir de 1957 par une mission italo-française
dirigée par Michela Schiff Giorgini. Les résultats de ces travaux ont paru en
deux tomes (Schiff Giorgini – Robichon – Leclant, 1965a et 1971). En marge
des vestiges pharaoniques, trois textes en cursive méroïtique, dont un graffito
mural et deux inscriptions sur poterie, ont été publiés dans la revue Kush
(Schiff Giorgini, 1958), s’ajoutant à un graffito anciennement étudié par
Griffith (REM 0079 in Griffith, 1912).

Sedeinga
Déjà visitée par Lepsius qui en rapporta trois fragments de tables
d’offrandes (REM 0080, 0081 et 0141) étudiés ultérieurement par Griffith
(Griffith, 1911c et 1912), l’importante nécropole de Sedeinga a été fouillée
par l’équipe italo-française de M. Schiff Giorgini (Schiff Giorgini, 1965a, b,
et 1973), relayée par la mission française dirigée par Jean Leclant (Leclant,
1970b). Le site, contenant plus de cinq cents sépultures, a fourni une belle
moisson de textes funéraires méroïtiques, partiels ou complets (REM 1042,
1061, 1072 1, 1090-1092, 1114-1125, 1144, 1146, 1193, 1234, 1240, 1281).
Les fouilles françaises actuellement menées par Catherine Berger-El Naggar
continuent de livrer chaque année de nouvelles inscriptions. Les pièces
inscrites les plus récentes, essentiellement des textes funéraires, ont été
publiés en 2001 (Carrier, 2001d).

Saï

1
Cette stèle ne comprend pas les éléments habituels des textes funéraires et pourrait être
plutôt de nature administrative ou religieuse.
76 LA LANGUE DE MÉROÉ

Deux graffiti (REM 0083 et 0084), gravés sur des blocs du temple de
Thoutmosis III ramenés au musée de Khartoum, avaient déjà été étudiés par
Griffith (Griffith, 1912). Les sites antiques de l’île furent fouillés par
l’équipe française du professeur J. Vercoutter de 1954 à 1957 (Vercoutter,
1958), puis de 1969 à 1981 (Vercoutter, 1985), sans que fussent mises au
jour de nouvelles inscriptions méroïtiques. Depuis 1993, les fouilles
françaises ont été reprises sous la direction de Francis Geus (Geus, 1994,
1995, 1996 a et b, 1997 a et b, 1998) et ont commencé à livrer des textes :
trois épitaphes (REM 1241, 1249, 1273) et surtout deux cuirs inscrits du plus
grand intérêt 1 (REM 1236 et 1237).

Amara
Le petit temple construit par le roi Natakamani et la reine Amanitore, déjà
visité par Lepsius, contient huit colonnes inscrites en hiéroglyphes
méroïtiques, publiées partiellement par Griffith (REM 0084 in Griffith,
1912), puis in extenso par Wenig, 1977 (REM 0144-0150). Cette dernière
étude est la seule consacrée à ce site. La nécropole, inédite, n’est connue que
par une épitaphe (REM 0085), conservée à Khartoum et publiée également
par Griffith (op. cit., voir également Vila, 1977).

Bouhen
Ce lieu est surtout connu pour sa forteresse du Moyen Empire,
maintenant sous les eaux du lac Nasser, comme tous les sites que nous allons
désormais évoquer, à l’exception de Qasr Ibrim. Buhen comptait également
deux temples, fouillés en 1909-1910 par Woolley et Randall-MacIver qui y
trouvèrent quelques ostraca (REM 0591-0596) ultérieurement étudiés par
Griffith (« Meroitic Studies V » = Griffith, 1925a). Sur les colonnes figuraient
encore au tout début du siècle plusieurs dipinti et un graffito. Seul ce dernier
(REM 0086) était encore lisible lors du passage de Griffith 2. Le site fut
étudié plus récemment (Caminos, 1974 et Smith, 1976) lors du démontage
des temples en 1962-1963 dans le cadre du sauvetage par l’Unesco des
monuments de Nubie, opération qui permit la découverte d’un ultime
ostracon (REM 1148).

Faras
Les fouilles de l’université d’Oxford, menées par Griffith entre 1910 et
1912 (voir Griffith, 1926), permirent la découverte de trois mille sépultures
et d’une centaine de textes en cursive méroïtique qui vinrent s’ajouter à la
seule stèle précédemment connue (REM 0129), ramenée à Londres au siècle

1
Voir p. 220-226.
2
Cf. Griffith, 1912, p. 16.
LES DOCUMENTS 77

précédent 1. Les textes funéraires (REM 0501-546), d’époques variées, furent


publiés par Griffith dans le Recueil Champollion (Griffith, 1922), les ostraca
(REM 0551-0590) dans les « Meroitic Studies V » (Griffith, 1925a) et deux
inscriptions sur jarres (REM 1009, REM 1010) dans les Liverpool Annals of
Archaeology and Anthropology (Griffith, 1924).
Lors de la campagne de sauvetage des monuments de Nubie, le site fut
fouillé à nouveau en 1961 et 1962 par l’équipe polonaise du professeur
Michalowski (Michalowski, 1962 et 1965). L’urgence imposa des choix
déchirants et c’est sur la partie chrétienne des vestiges que les Polonais
concentrèrent leurs efforts, dégageant notamment les splendides fresques de
la cathédrale. Quatre inscriptions méroïtiques fragmentaires et en mauvais
état (REM 1050, 1058, 1071, 1113) furent certes trouvées, mais l’immersion
de ce site reste une perte tragique pour les études méroïtiques.

Qustul
Le site servit de nécropole à des princes du méroïtique final de Basse-
Nubie, dont les sépultures furent d’abord fouillées par Walter B. Emery lors
du Second Archaeological Survey of Lower Nubia (1929-1934), rendu
nécessaire par une première surélévation du barrage d’Assouan. Les résultats
de ces travaux furent publiés dans les deux tomes des Royal Tombs of
Ballana and Qustul (Emery, 1938). Ils comprenaient deux inscriptions
méroïtiques : l’une, lapidaire, sur un fer de lance (REM 1027) et l’autre,
lacunaire, sur un fragment de stèle (REM 1028). Le chantier fut repris par
une équipe égyptienne sous la direction de Shafik Farid, qui y découvrit en
1958 trois tables d’offrandes de graphie tardive 2 (REM 1068-1070), publiées
dans Kush par Mohammed Bakr (Bakr, 1964). Une dernière étude du site a
été réalisée lors de l’Expédition en Nubie de l’Oriental Institute de
l’université de Chicago et publiée (Williams, 1991) avec une contribution de
N. B. Millet sur les textes funéraires méroïtiques exhumés à cette occasion
(Millet, 1991 : REM 1205-1207, 1212, 1213, 1216, 1217, 1219).

Ballana
Comme Qustul, voisin, mais situé sur l’autre rive du Nil, ce site est connu
pour sa nécropole du méroïtique final, où furent retrouvés par W. B. Emery,
lors du Second Archaeological Survey of Lower Nubia (1929-1934), des
couronnes royales identifiant les défunts comme monarques (Emery, 1938).
De nouvelles fouilles assurées par l’équipe américaine de Bruce B. Williams

1
L’étude de cette pièce figure dans Griffith, 1912. La stèle REM 0132, publiée dans le
même ouvrage et conservée au musée Pouchkine de Moscou, est supposée originaire de
Faras par le REM, mais cette hypothèse ne repose que sur une similitude avec le nom du
défunt en REM 0528, qui pourrait être une simple homonymie.
2
Et non transitionnelle, voire archaïque, comme l’avance Bakr (Bakr, 1964, p. 293, 294)
pour les deux premières.
78 LA LANGUE DE MÉROÉ

aboutirent à la découverte de textes majoritairement funéraires, très tardifs 1,


publiés avec le matériel de Qustul dans Williams, 1991 et étudiés par Millet
(Millet, 1991 : REM 1202-1204, 1208-1210, 1214, 1215, 1218, 1220).

Gebel Adda
L’équipe de l’American Research Center dirigée par Millet et Mills a
effectué sur ce site, de 1963 à 1965, une fouille de sauvetage qui a permis la
mise au jour d’une nécropole méroïtique. Une cinquantaine de textes,
essentiellement des stèles funéraires et des tables d’offrandes, d’un grand
intérêt sur le plan philologique, y fut retrouvée. Seuls des extraits en ont
malheureusement été publiés jusqu’ici 2, et le résultat des fouilles n’est connu
partiellement que par quelques rapports (Millet, 1963, 1967a et b). Une
inscription bilingue démotique / méroïtique (REM 1223), malheureusement
très fragmentaire, figure sous forme de fac-similé dans Phillips, 1993.

Shokan (es-Shokan, ash-Shaukan)


L’équipe néerlandaise de l’université de Leyde a fouillé ce site proche
d’Abou Simbel sous la direction d’A. Klasens durant la campagne
internationale de Nubie, durant deux saisons, de 1963 à 1964. Vingt-sept
ostraca en cursive méroïtique tardive ont été exhumés, et trois d’entre eux
publiés assez rapidement (REM 1056, 1168, 1169). Le reste des ostraca a fait
l’objet d’une lecture et d’une étude récente parue dans la Meroitic Newsletter
n° 27 (Jacquet-Gordon, 2000). Il n’y a pas eu de synthèse d’ensemble sur le site
et seuls deux rapports sont parus dans la revue Phoenix (Klasens, 1963 et
1964) 3.

Abou Simbel
Ce site évidemment connu pour ses temples rupestres ramessides a
également fourni quelques textes méroïtiques. Le Second Archaeological
Survey of Lower Nubia, mené entre 1929 et 1934 (Emery–Kirwan, 1935), a
permis d’exhumer de la nécropole 214, au sud des temples, quatre tables
d’offrandes inscrites en cursive méroïtique tardive (REM 1022-1025).
Conservées au musée du Caire, elles ont été étudiées par Monneret de Villard
dans la revue Kush (Monneret de Villard, 1960). Un dernier survey effectué
pour l’Egypt Exploration Society (Smith, 1962) a ajouté deux autres tables

1
Voir supra, p. 33.
2
Notamment dans Millet–Heyler, 1969 et Millet, 1996. La publication de ces textes, prête
pour l’impression, pourrait se faire prochainement.
3
On peut y ajouter une étude de J. Jacquet : « Remarques sur l’architecture domestique à
l’époque méroïtique. Documents recueillis sur les fouilles d’Ash-Shaukan », Beiträge zur
ägyptischen Bauforschung, t. XII (1971), p. 121-131.
LES DOCUMENTS 79

d’offrandes (REM 1047 et 1048) retrouvées dans les nécropoles 250 et 251,
et actuellement conservées au musée d’Assouan.

Arminna (Ermenne)
Les premières fouilles avaient été menées pour l’Académie des sciences
de Vienne par Hermann Junker durant la seule saison 1911-1912 (Junker,
1925), et n’avaient permis la publication que d’un fragment de stèle funéraire
(REM 1011). Dans le cadre de la campagne de sauvetage de l’Unesco, une
équipe de l’université de Pennsylvanie et du Peabody Museum de Yale,
dirigée par W. K. Simpson et B. G. Trigger reprit les fouilles en 1961 (voir
Simpson, 1962, 1964, 1967). Sur le site de la ville d’Arminna-Ouest furent
exhumés des ostraca souvent fragmentaires (REM 1096-1107) et, dans la vaste
nécropole attenante, on découvrit sept stèles funéraires plus ou moins
complètes (REM 1063-1067, 1137) ainsi que des fragments (REM 1093-1095,
1133-1137). Ces textes importants, d’époque tardive, ont été magistralement
étudiés et publiés par Trigger (Trigger, 1967a ; Trigger–Heyler, 1970).

Nag Gamus
La nécropole de ce site a été fouillée, dans le cadre du sauvetage des
monuments de Nubie, par l’équipe espagnole dirigée par Martin Almagro.
Une vingtaine de tables d’offrandes et de stèles d’époque paléographique
tardive (REM 1059, 1060, 1073-1087, 1149, 1150) furent publiées dans la
série des Memorias de la Mision Arqueologica en Nubia (Almagro, 1964 et
1965), ainsi que dans Almagro-Basch–Hainsworth, 1977.

Qasr Ibrim
La citadelle de Qasr Ibrim, l’ancienne Primis 1, perchée sur un piton
rocheux, reste le seul site émergé de Basse-Nubie, même si l’équipe anglaise
qui le fouille depuis 1961 2 doit se battre contre les infiltrations de plus en
plus difficiles à juguler. C’est également un lieu exceptionnel à d’autres
titres : son occupation est attestée en continu depuis l’époque pharaonique
jusqu’au début du XIXe siècle, et il a fourni une incroyable manne de textes
méroïtiques les plus variés : papyri complets ou fragmentaires (REM 1110,
1173, 1174, 1176, 1322, 1323), ostraca (REM 1162, 1175), stèles funéraires

1
Il semble qu’il y ait eu deux Primis, mér. Pedeme : Qasr Ibrim au nord (Primis mikra « la
petite Primis », chez le géographe Ptolémée) et Amara plus au sud (Primis megale « la
grande Primis », chez Ptolémée). Voir Török, 1997b, p. 417, 454.
2
Menées au début par J. M. Plumley, ces fouilles sont actuellement dirigées par Pamela
Rose. Elles sont régulièrement commentées : on pourra ainsi consulter Adams, 1982 ;
Adams, 1983 ; Adams–Alexander, 1983 ; Anderson, 1979 ; Driskell, et al., 1989 ;
Edwards, 1994a et b ; Frend, 1974 ; Horton, 1991 ; Mills, 1982 ; Plumley, 1967, 1971 et
1977 ; Rose, 1996a et b ; Rose, 1998 ; Rose, 2000 ainsi que les rapports annuels du
bulletin de l’Egypt Exploration Society, du Journal of Egyptian Archaeology et de la
revue Orientalia.
80 LA LANGUE DE MÉROÉ

(REM 1182-1186, peut-être 1177 et 1179), plaquettes de bois inscrites (REM


1158, 1163, 1178, 1197-1199, 1324-1326), graffiti (REM 1147, 1170-1172,
1242-1247), stèles royales (REM 1141 et peut-être le fragment REM 1248).
La plupart des textes retrouvés (plusieurs centaines de pièces en tout) sont
cependant inédits. Seuls ont été étudiés quelques tablettes et papyri
(Hainsworth, 1982a et 1984, Edwards-Fuller, 2000), ainsi que cinq stèles
funéraires complètes ou fragmentaires (Millet, 1982). Le texte de datation
sûre le plus ancien (REM 1141) a été gravé sous la reine Amanishakheto,
vers 10 av. J.-C., mais un fragment de stèle récemment retrouvé (REM 1248)
présente un ductus plus ancien encore. De même, la stèle funéraire la plus
récente (REM 1182) peut être datée précisément du début du IVe siècle de
notre ère, mais des objets inscrits auraient été retrouvés en grand nombre
dans des strates d’époque méroïtique finale 1.

Karanóg
Ce site joue un rôle particulier dans l’histoire de la recherche méroïtique
puisque l’important corpus de stèles et de tables d’offrandes, retrouvé dans la
grande nécropole par D. Randall-MacIver (voir supra, p. 50), a permis les
principales avancées de Griffith. Ces textes funéraires (REM 0201-0344) et
les ostraca et graffiti retrouvés pour la plupart dans le bourg antique (REM
0345-0365) ont été étudiés et publiés dans Griffith, 1911a. La plupart
présentent un ductus correspondant à la fin de la période transitionnelle ou à
l’époque tardive, et semblent donc dater du IIe au IVe siècle de notre ère.

Tomas (Tumas)
Menées en 1961 et 1964, les fouilles de l’équipe française de l’université
de Strasbourg dirigée par J. Leclant et J.-P. Lauer ont donné lieu à quelques
brefs rapports (Leclant, 1963, 1964, 1965a) ainsi qu’à une étude partielle de
deux textes, découverts à Tomas, mais probablement originaires de Karanóg
(Heyler-Leclant, 1969) : une table d’offrandes (REM 1088) et une stèle
(REM 1333) 2, toutes deux au nom du vice-roi Abratoye (vers 260 apr. J.-C.).
Ces deux épitaphes présentent ce qu’il est convenu d’appeler des « passages
biographiques » 3, d’où leur grand intérêt sur le plan philologique.

Shablul
Ce site a été le premier fouillé dès 1907 par Randall-McIver et une
première publication des résultats a paru dans Areika (Randall-MacIver –
Woolley, 1909). Une vingtaine de stèles funéraires et tables d’offrandes
(REM 0366-0387) exhumées dans la nécropole ont été publiées et étudiées

1
Voir supra, p. 33 et note 2.
2
Musée du Caire JE 90008. Cette stèle a récemment été publiée par les soins de Claude
Carrier dans les Meroitic Newsletters, 28 (Carrier, 2001c).
3
Voir infra, p. 148.
LES DOCUMENTS 81

par Griffith dans Karanóg (Griffith, 1911a). Le matériel écrit de Shablul


semble contemporain de celui de la proche Karanóg : IIe au IVe siècle de
notre ère.

Sinisra
Dans le cadre du sauvetage par l’Unesco des monuments de Nubie, une
mission de l’université du Caire, dirigée par Abd el-Moneim Abu Bakr, a
fouillé en 1961-1962 le proche site d’Aniba (Abu Bakr, 1967) et étendu ses
recherches jusqu’au cimetière méroïtique de Sinisra, situé quelque six kilo-
mètres en amont sur la rive gauche. Six inscriptions (REM 1126-1131) y ont
été retrouvées : il s’agit principalement de textes funéraires de facture assez
grossière et de ductus tardif, publiés dans Kush par Mohamed Bakr (Abu
Bakr, 1963).

Wadi el Arab
La zone du Wadi el Arab n’est connue que par le survey d’Emery et
Kirwan (Emery–Kirwan, 1935). Les vestiges d’une agglomération antique et
d’une nécropole ont fourni quelques ostraca (REM 1016-1018) et une belle
table d’offrandes (REM 1019). Ces pièces, publiées par Emery et Kirwan
(op. cit.) et étudiées par Monneret de Villard (Monneret de Villard, 1960) sont
d’un ductus tardif (sauf l’ostracon REM 1018, qui doit dater du Ier siècle).

Dakka (Dakke)
Ce centre cultuel contenait un grand temple ptolémaïque de Thot,
actuellement remonté au-dessus du site immergé de Wadi es-Sebua, plus de
cinquante kilomètres en amont. Sur les murs de ce sanctuaire, étudié par
l’expédition de l’Académie de Berlin en Nubie (G. Roeder, 1930 : Der
Tempel von Dakke), deux inscriptions ont été gravées au nom du prince
Akinidad, qui vivait vers 20 av. J.-C. (REM 0092 et 0093). Elles ont été
publiées par Griffith (Griffith, 1912 et 1930). Un ostracon (REM 0597) et
une stèle funéraire (REM 0130), tous deux tardifs, font partie de matériel
anciennement découvert sur le site (?) dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Kalabsha (Kalabchah, Kalabsche)


Ici s’élevait un temple ptolémaïque, puis romain, consacré au dieu
(blemmye ?) Mandoulis (voir Gauthier, 1914). Un seul document méroïtique,
mais de grande importance, y a été retrouvé, gravé sur un mur (REM 0094) :
il s’agit d’un long texte « historique » au nom du roi Kharamadoye, qui
l’aurait fait inscrire en cursive vers 410/450 après J.-C. Ce serait peut-être le
82 LA LANGUE DE MÉROÉ

texte le plus tardif rédigé en méroïtique (voir p. 32). Déjà copié par Lepsius,
ce document a été publié et travaillé par Griffith, 1912, puis fit l’objet d’une
nouvelle translittération et d’une nouvelle étude par Millet (Millet, 1973a).

Philae
Le lieu par excellence du culte antique d’Isis était pour les Méroïtes non
seulement un sanctuaire capital, souvent nommé dans leurs textes, mais aussi
un enjeu stratégique disputé avec l’Égypte romaine, et surtout un endroit de
pèlerinage. Une trentaine d’inscriptions tardives en méroïtique gravées sur
les murs (REM 0095-0125) témoignent de la dévotion particulière des gens
de Koush pour la déesse. Il s’agit en bonne partie de proscynèmes, mais les
REM 0097-0111 forment un ensemble de légendes accompagnant les per-
sonnages d’un défilé gravé dans le temple d’Isis, sur les murs d’une pièce
nord-est, passé le premier pylône, appelée couramment la « chambre
méroïtique ». Toutes ces inscriptions, étudiées par Griffith (Griffith, 1912)
ont depuis été totalement érodées par les variations de niveau du lac de
retenue de l’ancien barrage d’Assouan. Le déplacement des temples de
Philae sur l’îlot voisin d’Agilkya lors du sauvetage par l’Unesco n’a, semble-
t-il, pas révélé de nouvelles inscriptions.

« L’archéologie méroïtique n’en est encore qu’à ses débuts » affirmait en


1974 Jean Leclant 1. L’assertion reste vraie aujourd’hui : à part la Nubie
immergée, où seul Qasr Ibrim laisse encore espérer de fructueuses
découvertes, le Soudan septentrional contient des centaines de sites
prometteurs qui n’ont pas été fouillés et d’où l’on peut légitimement attendre
de nouvelles moissons de textes méroïtiques. C’est d’ailleurs sur cette région
que se portent les efforts de nouvelles équipes. On citera par exemple le site
de Dangeil, près d’Atbara, où l’équipe canadienne de Julie Anderson a
récemment commencé à dégager de vastes sanctuaires méroïtiques, ou celui
d’el-Hassa, non loin de Méroé, où une mission de la Section française du
service des antiquités du Soudan a entrepris il y a peu des fouilles
prometteuses sous la direction de Vincent Rondot.

1
Voir Leclant, 1974b, p. 107.
LES DOCUMENTS 83

Carte 2 : Les principaux sites d’inscriptions méroïtiques


84 LA LANGUE DE MÉROÉ

LES SUPPORTS

Bien que rédigés dans une autre langue et un autre système graphique, les
documents méroïtiques ne diffèrent pas foncièrement, tant par leur support
que par les moyens matériels d’écriture, de leurs équivalents égyptiens
contemporains. Les instruments sont essentiellement le burin 1 pour la
gravure des signes – ou tout autre outil à pointe dure lorsqu’il s’agit de
graffiti grossiers – et le jonc taillé pour le tracé à l’encre 2. Ce dernier type
d’écriture correspond très probablement aux origines de la cursive
méroïtique, ainsi que le signale K.-H. Priese :

« L’écriture cursive est employée également pour les inscriptions gravées dans la
pierre ; mais la forme des signes et leur évolution montrent clairement que cette
écriture était surtout utilisée pour les textes sur papyrus et sur ostracon, dont
quelques exemples seulement nous sont connus. » (Priese, 1997b, p. 253)

Effectivement, l’usage des « queues » de signes 3, de plus en plus allon-


gées au fil des siècles, tirées de gauche à droite, donc au rebours du sens de
l’écriture, complique beaucoup le maniement d’un burin, et doit s’expliquer
par une prépondérance du tracé à l’encre, bien que pour des raisons de
conservation, celui-ci soit moins représenté que la gravure parmi les textes
qui nous sont parvenus 4. Comme pour toutes les civilisations où l’écriture
est profondément enracinée et largement pratiquée 5, l’usage quotidien, privé
ou administratif, était majoritaire, et se faisait au moyen du jonc.

1
Dans de nombreux cas, on est sûr que le trait du graveur était repassé avec un pigment de
couleur rouge, parfois encore discernable, notamment à Arminna (voir Trigger–-Heyler,
1970, p. 2).
2
Parfois appelé improprement « pinceau ». Le calame, utilisé pour le démotique à partir de
l’époque romaine, ne semble pas avoir été utilisé avant l’époque chrétienne : on
comparera dans Edwards, 1994a, p. 69 les fragments de papyrus en méroïtique, où les
signes sont tracés avec un jonc, et en vieux-nubien, où ils sont écrits au calame.
3
Il s’agit du trait oblique inférieur des lettres a, k, n, p, prolongé souvent à droite jusque
sous les signes précédents : voir Tableau 15, p. 349. Ce détail confère à l’écriture
méroïtique un aspect caractéristique, bien qu’à l’occasion, les scribes démotiques
prolongent semblablement la lettre k. Griffith notait d’ailleurs que « a tail to the right (...)
though permissible in hieratic, is exceedingly rare in demotic » (Griffith, 1909, p. 50).
4
Le fait avait déjà été noté par Lepsius dans l’introduction de sa Nubische Grammatik
(Lepsius, 1880, p. CXXIV).
5
Sur la question d’une population méroïtique en bonne partie alphabétisée, voir Trigger,
1967b, p. 169.
LES DOCUMENTS 85

La pierre

Les inscriptions gravées sur pierre constituent plus de la moitié des textes
actuellement connus. C’est en particulier le cas de toutes les inscriptions
hiéroglyphiques, à l’exception du bol de bronze tardif d’El-Hobagi (REM
1222) et d’une plaquette de verre (REM 0417) : cette écriture exceptionnelle
était confinée à un usage monumental et demeurait sans doute une
prérogative des dieux et des souverains. Elle est en effet employée pour les
légendes cultuelles des temples (ainsi à Naga) et les titulatures royales 1.
La gravure sur pierre caractérise également la quasi-totalité 2 des textes
funéraires et la totalité des textes « royaux ». Les premiers se présentent sous
trois formes 3 : les tables d’offrandes, les plus nombreuses (plus de 250 dans
le corpus méroïtique), sont carrées ou rectangulaires, et comportent généra-
lement un bec servant de déversoir pour les libations. Un cadre intérieur en
creux contient le plus souvent des représentations gravées d’offrandes : vases
ou amphores d’où coule une libation, pains ronds, fleurs. Une quarantaine
d’exemplaires portent la représentation de deux divinités, habituellement
Anubis et une déesse, Isis ou Nephthys, versant la libation sur un autel.
L’inscription court le long de ce cadre, sur le bord de la stèle, généralement
dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (stèles sinistrogyres). Le sens
inverse (dextrogyre) est rare. Il peut arriver que l’inscription, faute de place,
se termine en quelques lignes dans le déversoir, voire au milieu de la repré-
sentation centrale. Ces tables d’offrandes étaient disposées sur un socle,
parfois retrouvé, à l’extérieur du tombeau.
Le second type de textes funéraires est constituée de stèles : près de 160
exemplaires inscrits sont connus. Elles sont généralement rectangulaires,
souvent cintrées en haut, un disque ailé flanqué d’uraei surmontant
éventuellement le texte. Les représentations y sont rares, mais dans ce cas,
c’est le défunt qui y est peint le plus souvent. Dans deux exemples anciens
(REM 0049, 0832) de stèles princières, la moitié supérieure est gravée d’un
relief figurant Osiris sur son trône. Le texte est gravé en lignes horizontales.
Il semble que ces stèles étaient encastrées dans le mur du tombeau, à
l’intérieur. Plusieurs sépultures ont livré à la fois stèle et table d’offrandes.

1
Exceptionnellement pour quelques tables d’offrandes royales (REM 0060, 0828, 0834).
2
On trouve toutefois quelques rares stèles peintes et écrites à l’encre, à Karanóg (REM
0331) et Shablul (REM 0385).
3
Pour la typologie des tables d’offrandes et des stèles funéraires d’un point de vue
archéologique, on pourra consulter Hainsworth, 1976b, Harting, 1984 et surtout
Hofmann, 1991.
86 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le dernier type de texte funéraire est limité à la nécropole de Sedeinga : il


s’agit de linteaux gravés, qui surmontaient l’entrée du tombeau. Le haut est
orné d’un disque ailé, à la ressemblance de certaines stèles funéraires, et une
gorge le sépare du texte inscrit en lignes horizontales. Une dizaine
d’exemplaires, plus ou moins complets, ont été retrouvés.
La pierre utilisée pour ces textes funéraires, ainsi que pour les quelques
stèles officielles (« royales » ou « historiques ») que nous possédons, n’est
pas sans défaut. Les seuls matériaux disponibles en abondance au sud
d’Assouan sont soit le grès blond de Nubie, soit le grès ferrugineux du socle
africain. Malheureusement, tous deux se prêtent mal au ciseau du sculpteur :
le premier est tendre et friable, et le second, très dur, comporte souvent des
irrégularités et des inclusions de quartz. Aussi ne faut-il pas s’étonner que
tant de textes funéraires soient maladroitement écrits 1. On ne trouve de
cursive élégamment gravée qu’en de rares occasions, notamment dans les
productions des ateliers de la cour qui disposaient d’artisans plus talentueux
et de meilleurs matériaux : ainsi la stèle Touraieff, originaire de Méroé (REM
1001 et 1038), en stéatite, et le fragment de stèle de Naga (REM 1238), en
une belle qualité de grès. Encore faut-il nuancer le propos, puisque certaines
épitaphes princières ou royales sont d’une piètre exécution, notamment à
partir du IIe siècle de notre ère.
Une dernière catégorie de textes gravés sur pierre est constituée de
graffiti. Si quelques-uns ont été incisés sur des parois rocheuses (REM 0043,
1029, 1046, 1108, 1109, 1147, 1155, 1156, 1159, 1242-1247), la plupart
étaient inscrits sur les murs des temples, notamment à Musawwarat, à Tabo
et à Philae.

La céramique, la faïence, le verre

L’autre support bien représenté dans le corpus est la céramique. Il est en


revanche difficile dans le cas des inscriptions courtes de distinguer les
véritables ostraca, écrits à l’origine sur des tessons, et les jarres et amphores
inscrites et ultérieurement brisées : notre faible connaissance du méroïtique
ne peut guère ici nous éclairer. On peut ainsi comparer les fragments de
poterie REM 0804C et REM 0804D, retrouvés ensemble dans la pyramide de
Méroé Beg. N. 11 par Reisner 2. Le premier porte une ligne de cursive
transitionnelle, qu’on lit qomoso, suivi d’un fragment de seconde ligne où
l’on pourrait voir la partie supérieure des signes o, p, séparateur, d. Ni le
premier mot, ni le second ne nous sont connus, et le document pourrait donc
passer pour un morceau d’ostracon. Sur l’autre tesson en revanche, l’ordre

1
Voir à ce propos Griffith, 1917b, p. 162.
2
Fac-similés dans Dunham 1957, p. 73, fig. 44 c et 44d.
LES DOCUMENTS 87

des deux lignes est inversé, et le meilleur état de conservation permet de voir
que ce qu’on aurait pu considérer comme une inscription méroïtique *]op :
d[ est en fait une ligne d’égyptien démotique, un peu gauche, se lisant
probablement «rp (n) Kmj : « vin d’Égypte » 1. Il y a donc de bonnes raisons
de penser qu’il s’agit, non d’un véritable ostracon, mais d’un morceau
d’amphore ayant contenu du vin, déposée en guise de présent funéraire dans
la pyramide, le contenu en étant précisé par un dipinto 2. La distinction entre
ostracon et inscription sur poterie est pour nous d’une grande importance,
puisque le message de cette dernière, beaucoup plus restreint, se limite
probablement au contenu ou au destinataire, comme nous le verrons plus
loin.
Dans quelques rares cas, les inscriptions sur poterie sont gravées (REM
1009, 1015, 1036, 1037, 1159), mais la plupart du temps, comme pour les
ostraca, les lettres sont tracées à l’encre noire. Quelques ostraca écrits à
l’encre blanche sur céramique rouge semblent caractéristiques de l’époque
tardive 3.
Un cas très particulier d’usage de matériau céramique concerne les tables
d’offrandes royales en faïence, dont nous ne possédons malheureusement que
de petits fragments, parfois jointifs, en raison de l’extrême fragilité du
support. Les vestiges de ces monuments funéraires ont été retrouvés par
Lepsius, puis Reisner dans les fouilles des pyramides de Méroé : il s’agit de
REM 0061, 0073 A-E, 0805, 0811A-B, 0817-0820, 0828, 0834, 0851. Enfin,
l’on peut citer ici le cas isolé d’une plaque de verre bariolé, ornée d’un
portrait du dieu Amon et portant quelques traces de légende en hiéroglyphes
méroïtiques (REM 0417).

Le papyrus

Ces deux supports, la pierre et la céramique, étaient les seuls connus au


temps de Griffith. Il fallut attendre les découvertes de Qasr Ibrim pour que
s’élargisse l’éventail : c’était en effet la première investigation précise et
continue en site urbain et en zone sèche, ce qui permit de trouver en grand
nombre des vestiges de la vie quotidienne. Ainsi, en 1980, on répertoriait
parmi les inscriptions encore inédites : 90 fragments de papyrus, 78 ostraca,

1
Je remercie le professeur M. Chauveau pour cette suggestion.
2
S’il s’agit d’un bilingue, ce qui est possible, qomo-so [kwumuÈu] est peut-être à comparer
avec l’égyptien Km.t, démotique Kmj, copte khme, avec un vocalisme [u] comme dans
Wos [uúÈa] : « Isis », face à l’ég. 3s.t, copte hse. Ce syntagme pourrait alors signifier
« c’est (originaire) d’Égypte ». Voir infra, « Inscriptions de propriété », p. 205.
3
Cf. Griffith, 1925a, p. 218 ; Trigger, 1967a, p. 73 et note 16.
88 LA LANGUE DE MÉROÉ

22 stèles, 10 tablettes de bois, 3 graffiti, 1 gourde inscrite 1. Pour la saison de


1998, Pamela Rose précise :
« Finds included papyrus fragments, wooden objects, and basketry. The papyrus
fragments are most commonly inscribed in Meroitic, and include what appears to
be a very large part of a letter. » (Rose, 1998, p. 21)

La principale nouveauté consistait dans la découverte en grande quantité


de fragments de papyrus. Ainsi se trouvait confirmé ce que Griffith avait déjà
pressenti 2 : le matériau noble par excellence des textes égyptiens avait été
semblablement utilisé par les Méroïtes. Il reste à espérer que l’on puisse un
jour découvrir un long document complet, puisque seuls des fragments ou de
courtes bandes ont été exhumés jusqu’à présent. Peu d’entre eux ont
d’ailleurs été publiés : REM 1110, 1173, 1174, 1176, 1232, 1233, 1274. Il
n’en existe pas encore d’étude importante 3.

Le bois
L’autre nouveau support mis en évidence par les fouilles de Qasr Ibrim
est la tablette de bois. Deux catégories doivent être distinguées : certaines, ne
comportant que du texte (REM 1158, 1163, 1178), semblent une alternative
au papyrus ; les autres 4, plus larges, sont peintes d’un décor : le faucon
d’Horus, coiffé du pschent (REM 1197), ou une gazelle (REM 1198, 1199).
Elles sont percées pour être suspendues par une cordelette de coton parfois
conservée. Quelques lignes, tracées en dessous, doivent avoir un contenu
cultuel.

Le cuir
Les fouilles récentes de Saï sous la direction de Francis Geus ont permis
d’exhumer, parmi le matériel d’une tombe, deux morceaux de cuir inscrits à
l’encre noire (REM 1236, 1237). Les traces d’usure semblent indiquer que
ces documents avaient été pliés, liés d’une cordelette et longtemps portés en
amulettes 5. Il ne s’agit donc pas vraiment de parchemins, comme il a parfois
été écrit. Nous ne possédons pas à l’heure actuelle d’autres textes sur ce
matériau.
1
Voir Hainsworth, 1984, p. 445.
2
Cf. Griffith, 1925a, p. 218.
3
On trouvera quelques lectures dans Hainsworth, 1982a, une courte étude de REM 1173 et
1174 dans Hainsworth, 1984, et un examen plus approfondi dans Edwards-Fuller, 2000.
4
Sur ces plaquettes peintes, voir Driskell et al., 1989, p. 20. Trois autres, inscrites, restent
encore inédites.
5
Pour leur destination et leur contenu, voir infra, p. 221.
LES DOCUMENTS 89

Le métal

Enfin, certains documents sont gravés sur métal. Le plus ancien


actuellement connu est un cylindre de bronze au nom du roi Taneyidameni
(vers 100 av. J.-C.). Trois plaques de bronze inscrites (REM 1191, 1192,
1196), découpées en forme de prisonniers entravés et originaires des temples
du Gebel Barkal, sont des figurines d’exécration (voir p. 214-215). Un cône
de bronze gravé aux cartouches du roi Amanikhabale (REM 1126) provient
de Kawa. Le socle d’or REM 1089 servait de base à une statuette de la reine
Nawidemak et porte ce qui semble une prière au dieu Amon de Napata 1. Un
élément de coffret en bronze (naos portatif ?), au nom de la Candace
Amanirenas et du prince Akinidad (REM 0628), a été retrouvé à Kawa, et
une lampe du même métal, probablement importée, puis gravée d’une ligne
en cursive (REM 0822), a été découverte à Méroé. Pour les époques plus
tardives, on peut citer un fer de lance orné d’une brève inscription (REM
1027), mis au jour dans la nécropole du méroïtique final de Qustul, et la
fameuse coupe de bronze inscrite en hiéroglyphes d’El-Hobagi (REM 1222,
voir p. 33).

1
Voir Macadam, 1966, pour une étude de cette pièce.
90 LA LANGUE DE MÉROÉ

TYPOLOGIE DES TEXTES

Le corpus des textes méroïtiques actuellement publiés comporte 997


documents, complets ou fragmentaires. La numérotation du REM, qui se
termine au n° 1342 1, ne doit pas faire illusion, puisque certains numéros
n’ont pas été attribués afin que les chiffres s’accordent autant que possible
avec les grandes séries publiées par Griffith, Macadam et Dunham 2 : ainsi
REM 0041 correspond à Meroitic Inscriptions n° 41, et REM 0628 à Kawa
n° 28. On peut cependant estimer à plus de quatre cents les textes inédits qui
dorment dans les réserves en attendant une éventuelle publication 3. On
s’étonnera sans doute que les progrès n’aient donc pas été plus conséquents.
Mais deux problèmes réduisent grandement la portée de ce corpus. Tout
d’abord, beaucoup de documents sont de simples fragments, parfois limités à
deux ou trois lettres, et les textes entiers ne constituent pas plus de 65 % du
corpus. Ensuite, près de 450 documents sont des épitaphes complètes ou
fragmentaires, correspondant toutes au même schéma, relativement bien
connu et étudié (voir infra, p. 92). Aussi n’est-ce pas sans difficulté que nous
avons essayé d’établir une typologie, la plus complète possible, des textes
méroïtiques : s’il n’est pas malaisé de rassembler l’ensemble des études
nombreuses et pertinentes consacrées aux épitaphes depuis Griffith, il
n’existe que peu d’éléments fiables sur les autres types de textes, qui sont
pourtant, comme l’affirmait Trigger, les plus prometteurs pour l’avenir des
études méroïtiques.

1
Voir Carrier, 2000 et Carrier, 2001a pour les données les plus récentes, postérieures à la
publication des premiers volumes du REM.
2
Les REM 0001 à 0137 correspondent à Griffith, 1911c et 1912 (Meroitic Inscriptions) ;
REM 0138 à 0150 aux textes de publication antérieure aux travaux de Griffith et non
repris par lui ; REM 0201 à 0355 à Griffith, 1911a (Karanóg) ; REM 0356 à 0365 à
Woolley, 1911 (Karanóg, the Town) ; REM 0366 à 0367 à Randall-MacIver–Woolley,
1909 (Areika, textes de Shablul) ; REM 0368 à 0387 à Griffith, 1911a (Karanóg, textes
de Shablul) ; REM 0401 à 0451 à Griffith, 1911b (Meroë) ; REM 0501 à 0546 à Griffith,
1922 (Faras) ; REM 0551 à 0597 à Griffith, 1925a (« Meroitic Studies » V) ; REM 0601
à 0707 à Macadam, 1949 (Kawa) ; REM 0801 à 0851 à Dunham, 1957 et 1963 (Royal
Cemeteries of Kush) ; REM 1001 à 1342 aux textes isolés publiés entre les grandes séries
et aux séries parues après 1958.
3
Voir p. 71-82 : Musawwarat, Wad Ben Naga, Méroé, Tabo, Gebel Adda, Qasr Ibrim.
LES DOCUMENTS 91

Les textes funéraires


Bien qu’ils se présentent sous trois formes matérielles différentes, tables
d’offrandes, stèles et linteaux (voir supra, p. 85-86), les textes funéraires ou
épitaphes suivent le même schéma et leur contenu ne varie pas selon le
support utilisé. Tout au plus peut-on observer que les textes des stèles et des
linteaux sont souvent plus développés, mais cela tient probablement à la
simple disposition matérielle de l’espace écrit, plus réduit lorsqu’il se limite à
une frise comme dans les tables d’offrandes, plus étendu lorsqu’il recouvre la
majeure partie de la pièce, comme pour les stèles et les linteaux.
Ces textes sont les plus anciennement étudiés et les mieux compris parmi
les documents méroïtiques : ce sont en effet les plus nombreux et les plus
stéréotypés. Certaines expressions, notamment les bénédictions finales, nous
demeurent obscures dans le détail, mais dans l’ensemble, les épitaphes sont
les seules inscriptions pour lesquelles on peut proposer une traduction, même
s’il faut souvent l’émailler de points d’interrogation. C’est d’ailleurs ce que
dès l’origine, Griffith, pourtant prudent, avait fait dans le chapitre VI de
Karanóg. Inversement, la plus grande partie de ce que nous savons de
manière assurée en méroïtique provient de ces textes funéraires.
Parmi les nombreuses études qui leur ont été consacrées, on pourra
consulter avec fruit : Griffith, 1910, p. 68 ; Griffith, 1911a, p. 32-53 ;
Schuchardt, 1913, p. 167-168 ; Griffith, 1922, p. 599-600 ; Hintze, 1963a,
p. 1-28 ; Trigger–Heyler, 1970 et particulièrement p. 2-8 et 48-54 ; Priese,
1971, p. 275-285 ; Priese, 1977a, p. 37-59 ; Hofmann, 1978c, p. 104-120 ;
Hintze, 1979, p. 16-92 ; Hofmann, 1981a, p. 15-23, 42-277 ; Török in Eide–
Hägg et al., 1996, p. 673-674, ainsi que d’autres contributions plus ciblées
que nous évoquerons dans le détail par la suite.
Les épitaphes sont constituées d’un certain nombre d’éléments, dont
beaucoup semblent facultatifs ou dépendent de la position sociale du défunt.
Aussi est-il difficile de proposer un prototype qui les combine tous. Nous
nous contenterons d’introduire cette étude par un exemple assez
représentatif, une stèle de Karanóg d’époque tardive : REM 0273 (Kar. 73).
Cette pièce a été retrouvée lors des fouilles de Randall-MacIver et Woolley
en 1908 dans la tombe G. 174, en compagnie de la table d’offrandes
correspondante, qui reprend juste le début du texte de la stèle. Elle a été
étudiée par Griffith dans Karanóg (Griffith, 1911a, p. 65). La « traduction »
que nous proposons ci-dessous n’est qu’approximative et souvent
hypothétique, et n’a d’autre but que de permettre une première approche. Le
méroïtique ne disposant pas de genre grammatical, on ne peut ici savoir s’il
s’agit d’un homme ou d’une femme. Comme le défunt ne possède pas de
titres propres bien qu’étant de grande famille, et aussi pour éviter les
parenthèses et faciliter ainsi la lecture, nous avons opté pour le féminin dans
92 LA LANGUE DE MÉROÉ

la traduction, mais on doit garder à l’esprit que ce n’est qu’un choix presque
aléatoire. Les deux points correspondent à la ponctuation méroïtique, et les
lettres pointées sont de lecture incertaine.
REM 0273
Wos-i : Sorey-i :
Ô Isis ! ô Osiris !

qo ¯deliye-qowi :
Celle-ci, c’est ¯deliye,

Apilye : ted‚e-lowi : Te•epol : terike-lowi :


Apilaye l’a enfantée, Te•epula l’a engendrée,

pqr-leb : yetmde-lo :
elle était apparentée (nièce?) à des vizirs (?),

peseto-leb : yetmde-lowi :
elle était apparentée (nièce ?) à des vice-rois,

mlomrse : Nlotete-lowi :
elle était ressortissante (?) de Nalote (Karanóg).

ato mƒe : pso-ƒe-kete :


De l’eau abondante, puissiez-vous lui verser (?),

at mƒe ps-‚r-kete
du pain abondant, puissiez-vous lui donner (?),

‚-mlo-l : p-ƒol-kete :
un bon repas, puissiez-vous lui accorder (?).

mlo-lo :
C’était (une femme) de valeur.

Cette épitaphe comprend les éléments les plus communs : invocation aux
dieux de l’Au-delà, nomination du défunt, filiation, description (situation
sociale), bénédictions (ici les trois formules appelées A, B, C par Griffith, les
plus fréquentes), conclusion (mlo-lo). Dans certains textes peut se rajouter
une invocation finale ; dans d’autres, plus étendus, un passage (voire
plusieurs) de nature incertaine, peut s’intercaler entre la description et les
bénédictions. L’ordre donné ci-dessus est généralement respecté, mais les
fréquentes interversions, portant notamment sur la place des filiations,
montrent que les rédacteurs des épitaphes disposaient d’une certaine liberté.
Nous nous proposons maintenant d’étudier tour à tour chacun de ces éléments.
LES DOCUMENTS 93

Invocation

Dans l’immense majorité des épitaphes, l’invocation, adressée aux dieux


de l’Au-delà, se présente au début du texte sous la forme de deux vocatifs 1 :
Wos-i : « ô Isis », (A)sorey-i : « ô Osiris » 2. Cependant, il peut arriver qu’elle
soit originellement absente (3 % des cas à Karanóg, Shablul et Faras) ou
déplacée après le nom du défunt (REM 0331, 0525), ce qui prouve son
indépendance syntaxique par rapport au reste du texte et a permis à Griffith
d’identifier dans ce groupe un vocatif. L’invocation est d’ailleurs assez
souvent répétée à d’autres endroits de l’épitaphe, principalement à la fin.
Des deux divinités tutélaires des défunts, Isis semble ici la plus impor-
tante 3 : elle est presque toujours nommée en premier (deux contre-exemples
à Shablul au début de REM 0381 et à la fin de REM 0387, et un à Ballana :
REM 1202). Il arrive même qu’elle figure seule, notamment dans les reprises
d’invocation (REM 0230, 0272, 1132). Un cas étonnant est la stèle princière
archaïque de Tedeqene (Méroé, REM 0832), où l’invocation à Osiris figure
en une colonne d’hiéroglyphes au-dessus d’une scène gravée représentant le
dieu, tandis que l’invocation à Isis débute le texte en cursive qui emplit la
partie inférieure. Un phénomène intéressant se produit parfois : les noms
d’Isis et d’Osiris sont considérés comme un seul syntagme, suivi d’un unique
suffixe du vocatif : on a alors Wos : Asoreyi ou une variante orthographique
Woso : Soreyi (voir infra, p. 297). Cette « fusion » des deux divinités est
actuellement attestée sur neuf épitaphes d’époques et d’origines variées.
Dans une trentaine de textes apparaît une invocation plus développée, où
les noms des dieux sont suivis d’épithètes. Griffith, qui avait constaté cette
particularité sur la stèle de Karanóg REM 0276 (Griffith, 1911a, p. 33-34),
lui avait donné le nom d’« extended invocation ». La tradition française, à la
suite de l’étude principale de ces éléments par Heyler (Heyler, 1964), les
désigne sous le nom d’« invocations solennelles ». Nous les avons déjà
partiellement étudiées dans l’introduction, en raison de leurs intéressantes
variations géographiques (voir p. 40-41, Tableau 2, où elles figurent in
1
Le nom d’Osiris sous sa forme nue est Asori ou Sori. De nombreuses variantes de la
forme (A)soreyi existent (voir p. 293). Pour l’étude du vocatif, marqué par le suffixe -i,
voir infra, p. 533.
2
De nombreuses variantes pour la plupart purement orthographiques sont attestées.
3
Hofmann relie cette prépondérance à l’extension du culte isiaque dans le monde hellé-
nistique, puis romain (Hofmann, 1978c, p. 109-110 = Hofmann, 1982b, p. 149-150). On
peut en tout cas observer que le nom d’Osiris n’est pratiquement attesté que dans cette
invocation funéraire, alors qu’Isis est fréquemment citée dans toutes sortes de textes
officiels ou religieux. Les stèles royales notamment, qui comportent de fréquentes listes
de dieux, parmi lesquels Isis côtoie les différentes hypostases d’Amon, ne mentionnent
jamais Osiris, du moins sous son nom. À la fréquence des anthroponymes composés sur
Wos s’oppose l’extrême rareté de ceux formés sur (A)sori. Enfin, aucun sanctuaire de ce
dieu n’est connu à l’époque méroïtique.
94 LA LANGUE DE MÉROÉ

extenso). Il s’agit apparemment d’une tradition propre à certaines nécropoles,


car l’on voit tel site en faire un fréquent usage, alors que le site voisin semble
les ignorer totalement : ainsi les invocations solennelles concernent une
proportion importante des épitaphes d’Arminna, mais semblent inconnues à
Nag Gamus, une localité pourtant très proche. Les nécropoles qui en font le
plus fréquent usage sont celles du Gebel Adda et de Sedeinga, où seules les
épitaphes anciennes en sont dépourvues.
Dans ces invocations, le nom divin apparaît sous sa forme nue, suivi
d’une épithète variable, du déterminant -l, et du suffixe vocatif -i, rejeté en
fin de syntagme. L’épithète se présente sous la forme majoritaire
wetneyineqe- pour Isis. Pour Osiris, nous supposons une forme originelle
*wetrre- qui seule peut expliquer que le déterminant -l ait disparu de
l’écriture : il aurait été assimilé au groupe final de l’épithète -re, réalisé
comme une consonne /r/ 1. Ces deux épithètes connaissent un grand nombre
de variantes (voir supra, p. 40-41). L’invocation solennelle se présente donc
généralement en ces termes :
Wos wetneyineqe-l-i : « ô Isis, la wetneyineqe »
Sori wetrr-i < Sori *wetrre-l-i : « ô Osiris, le *wetrre »
Il n’est pas possible actuellement de proposer une traduction, ne serait-ce
qu’hypothétique, de ces deux épithètes. L’étude la plus poussée est celle de
Priese (Priese, 1977a, p. 45-56), mais elle n’a abouti qu’à une segmentation
excessive, accompagnée d’interprétations sémantiques contestables.
D’autres noms divins apparaissent parfois dans ces invocations, sans qu’il
soit toujours possible de les associer à des dieux différents d’Isis et d’Osiris.
C’est néanmoins le cas en REM 0430 (table d’offrandes archaïque de
Méroé), où à la suite d’Isis apparaît l’hapax Msmni. Il faut probablement y
voir l’association du dieu solaire (?) Mash (Ms) et d’Amon (Mni) : ce
pourrait être le nom méroïtique d’Amon-Rê. En REM 0268 et 0381 apparaît
une invocation finale sous la forme vocative Ptroti, à décomposer
probablement selon la loi de Griffith (cf. p. 415-420) en p-trose-l-i. Cette
expression, apparemment un substantif en raison du déterminant -l, est sans
doute une épithète d’Isis, et lui semble d’ailleurs associée dans trois graffiti
de la « chambre méroïtique » de Philae (REM 0101-0103) 2.

1
Cette idée, déjà esquissée par Heyler, se heurtait alors à l’interprétation non syllabique
qu’on donnait du système graphique méroïtique (voir : Heyler, 1964, p. 31 ; Hofmann,
1978c, p. 113 ; Hofmann, 1981a, p. 49-50). Priese a repris et amélioré cette suggestion
(Priese, 1968a, p. 183, note 101 ; Priese, 1977a, p. 54-55). Le cas nous paraît parallèle à
celui du déterminant « masqué » de qore (cf. Rilly, 1999b et ci-dessous, p. 509).
2
Le passage de p-trose-l-i à ptroti s’explique par la loi de Griffith (cf. p. 415-420).
LES DOCUMENTS 95

Plus énigmatique encore est l’invocation, dans une douzaine d’épitaphes


de Basse-Nubie, à une divinité appelée mk-lƒ-l, au vocatif mk-lƒ-l-i : « ô
grand dieu 1 », « ô grande déesse ». L’expression peut comporter les
épithètes usuelles des invocations solennelles : mk-lƒ : qetrr-i (REM 0129),
mk-lƒ : wetrr-i (REM 0504, 1062, 1067), mk-lƒ : wetneyine-l-i (REM
1030). La question de savoir quelle est cette divinité a été l’objet de
nombreux débats entre méroïtisants. En REM 0129, 0504, 1062 et 1067, il
semble que l’expression désigne Osiris. En REM 1030, elle désignerait Isis :
en effet, il n’y a aucune autre invocation et l’épithète wetneyine(qe)-l-i est
celle qui accompagne habituellement le nom de la déesse dans les
invocations solennelles 2. L’objection de Priese selon laquelle on aurait alors
mkdi-lƒ (Priese, 1977a, p. 42) ne vaut pas. Le mot mk, dans une langue sans
genre comme le méroïtique, désigne très probablement aussi bien un dieu
qu’une déesse, et la forme rare et tardive mkdi (var. mkde), littéralement
« dieu-femme », n’est probablement qu’une forme d’insistance 3. En REM
0130 et 0236, l’expression mk-lƒ-l-i est isolée en fin de texte, et pourrait
donc aussi désigner Isis, puisqu’on trouve parfois Wos-i dans cette situation.
Enfin, dans les autres cas (REM 0131, 0255, 0370, 1019, 1021), mk-lƒ-l-i
suit le vocatif d’Isis et d’Osiris, et désigne en conséquence une tierce
divinité. On ne peut en faire une épithète d’Osiris 4, car le suffixe du vocatif -
i serait alors rejeté en fin de syntagme, comme dans les invocations
solennelles, et on aurait *Sori : mk-lƒ-l-i. Hofmann propose d’y voir une
épithète d’Amon, ce qui est possible (Hofmann, 1982b, p. 149). Quoi qu’il
en soit, il semble d’après les occurrences examinées ci-dessus que
l’expression mk-lƒ ne s’est pas figée au point de ne désigner qu’une seule et
même divinité, et a conservé la même souplesse d’utilisation que son
équivalent égyptien msq ƒ2 « grand dieu ».

Bibliographie (les études de base sont indiquées en gras) :


Griffith, 1911a, p. 32, 33-34, 54 ; Griffith, 1912, p. 59 ; Griffith, 1922, p. 599 ;
Trigger, 1962, p. 6-7 ; Heyler, 1964, p. 25-36 ; Heyler, 1965, p. 17 ; Heyler, 1967,
p. 109, 112, p. 128 (note 43) ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22, 48, p. 49, Table 3;
Priese, 1977a, p. 37-57 ; Hofmann, 1977a, p. 197 ; Hofmann, 1978b, p. 106-120 ;
Hofmann, 1981a, p. 42-50 ; Hofmann, 1982b, p. 148-150 ; Leclant, 1982-1983, p. 232.

1
La présence du déterminant -l est due à des raisons syntaxiques propres à la langue
méroïtique (voir « déterminant » p. 507-510) et n’a pas de valeur sémantique. Le français
ne recourant jamais à l’article dans ce type de construction, il est normal de ne pas le
traduire.
2
Deux contre-exemples se trouvent néanmoins en REM 0129 et 0437 (Wos qetrr-i, voir
p. 40-41).
3
Cf. lingala (langue bantou, sans genre) nzambe : « dieu », « déesse », nzambe (ya)
mwasi : « déesse » (lit. « dieu-femme »).
4
C’est ce que propose Griffith (voir Griffith, 1911a, p. 34).
96 LA LANGUE DE MÉROÉ

Invocation finale :
Griffith, 1911a, p. 42 ; Griffith, 1922, p. 599 ; Almagro, 1965, p. 227 ; Trigger–
Heyler, 1970, p. 23, 53-54, 55 ; Millet, 1982, p. 76.
Invocation solennelle :
Griffith, 1911a, p. 33-34 ; Griffith, 1912, p. 13, p. 59 ; Griffith, 1922, p. 599 ;
Trigger, 1962, p. 6-7 ; Heyler, 1964, p. 25-36 ; Heyler, 1965a, p.192 ; Almagro,
1965, p. 231 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 37 et notes 100-103, p. 38 et notes 111, 112,
p. 53-54, 55 ; Priese, 1977a, p. 45-56 ; Millet, 1982, p. 74.

Nomination
La partie la plus importante de l’épitaphe est à l’évidence la nomination
du défunt, qui suit généralement l’invocation. À la différence de Griffith et
Hintze et à la suite de Hofmann 1, nous distinguerons ici la « nomination »
proprement dite, où figure le nom du défunt (traditionnellement désigné par
la lettre A depuis Griffith), et la filiation, qui indique les noms de ses parents
(traditionnellement B et C).
Il n’existe probablement pas d’épitaphe sans nomination, ce qui semble
d’ailleurs naturel pour une civilisation imprégnée des conceptions égyptiennes
plaçant la répétition du nom au centre de la survie post mortem. Les quelques
exemples de nomination manquante, cités par Hofmann et concernant des
tables d’offrandes archaïques de Méroé (REM 0427, 0428, 0434, 0441, cf.
Hofmann, 1981a, p. 51), sont manifestement erronés : le nom du défunt est
effectivement absent du début de l’épitaphe, où les seuls anthroponymes qui
figurent sont ceux de ses parents, mais il est donné en fin de texte. C’est
clairement le cas en REM 0427, où le personnage commémoré s’appelle
®mosidt 2. En REM 0441, quelques traces du nom subsistent à la fin. Les tables
d’offrandes, REM 0428 et 0434, sont trop abîmées pour que le nom soit
reconnaissable, ne serait-ce qu’en partie ; mais, à l’instar des deux textes
précédents, de mêmes époque et origine, il devait originellement figurer en
conclusion 3. Quelques rares « épitaphes », en revanche, semblent ne comporter
que le nom du défunt : c’est apparemment le cas des REM 0313 et 0385. Mais
il s’agit de simples blocs à peine dégrossis et il n’est pas sûr qu’ils aient eu le
même statut que les véritables monuments funéraires proprement méroïtiques 4.
1
Griffith confond en une seule partie la nomination, la filiation et la description (situation
sociale et familiale) [Griffith, 1911a, chap. IV, p. 35-41]. Hintze distingue la nomination,
où il inclut la filiation, de la description (Hintze, 1959a, p. 12, et Hintze, 1979, p. 17).
Hofmann dissocie les trois (Hofmann, 1981a, p. 51), ce qui nous semble syntaxiquement
plus pertinent, les trois ensembles formant clairement des phrases nominales distinctes.
2
La lecture de Griffith (Kmsidti, Griffith, 1911b, p. 75) nous paraît partiellement inexacte
d’après le cliché de Meroë (Garstang et al., 1911, pl. LV 3).
3
C’est d’ailleurs l’avis de Griffith (Griffith, 1911b, p. 75-76).
4
REM 0313 comporte d’ailleurs une première ligne inscrite en démotique égyptien.
LES DOCUMENTS 97

La nomination se fait, la plupart du temps, au moyen d’une proposition


présentative 1 comportant pronom et/ou copule. Cependant, quelques inscrip-
tions mentionnent le nom du défunt sans adjonction des morphèmes qui
l’intègrent dans une véritable proposition : c’est le cas de REM 0236, 0239A,
0258 (?), 0515, 0832, 0841 2. Ils sont alors probablement reliés aux
propositions qui suivent, peut-être dans le cadre d’une topicalisation 3 dont
on aura l’occasion de trouver d’autres exemples. En REM 0131, deux
anthroponymes, représentant deux défunts de la même fratrie, sont ainsi cités
sans prédication, le dernier étant suivi de la conjonction de coordination
postposée kelkeni : « ainsi que », « également ». En REM 0228, ce sont trois
frères ou sœurs qui sont nommés selon le même procédé.
Dans tous les autres cas, c’est-à-dire dans la quasi-totalité des inscriptions
funéraires, le nom du défunt est suivi d’un prédicatif. La plupart du temps, il
s’agit de -qo ou -qowi (var. -qe, -qewi), probablement un pronom démons-
tratif accompagné de la copule, sans qu’on puisse actuellement dire de façon
certaine si, comme le pensent Hintze ou Hofmann, -qo contient le pronom
sous une forme -qe et une copule -o 4, la particule -wi ayant une simple valeur
« emphatique », ou si le pronom est -qo, var. -qe, et la copule, facultative, est
-wi 5. Quoi qu’il en soit, l’interprétation de -qo comme épithète signifiant
« noble », avancée par Griffith puis régulièrement reprise, ne se justifie plus 6.
L’autre prédicatif, beaucoup moins fréquent (15 % des inscriptions), est -lowi,
très rarement -lo. Dans cette variante, la question de la copule se pose dans les
mêmes termes que pour le précédent 7. Ce prédicatif est en tout cas le seul qui
apparaisse dans les filiations et descriptions, où l’on ne trouve jamais -qo(wi).
Si plusieurs défunts de la même fratrie sont commémorés sur la même
stèle, ce qui n’est pas rare, la nomination est collective, mais le prédicatif
-qowi, rarement -lowi, est repris à la suite de chaque nom. Il n’y a donc pas
d’exemple de prédicatifs pluriels dans les nominations, contrairement aux
filiations et aux descriptions.
Enfin, dans 10 % des épitaphes, l’ensemble (nom + prédicatif) est
précédé d’un autre qo, non suffixé et apparemment indépendant : il est
d’ailleurs presque toujours graphiquement disjoint de l’anthroponyme par le

1
Voir infra, p. 540-548.
2
D’autres exemples proposés par Hofmann : REM 0446, 1024B, ont l’un -qowi, l’autre -lo.
3
Voir infra, p. 547.
4
Voir Hofmann, 1977a, p. 198 ; Hofmann, 1978c, p. 111 ; Hintze, 1979, p. 61-62, 194-195 ;
Hofmann in Török, 1997a, p. 277.
5
Voir infra, p. 542-546.
6
Cette traduction par « noble » figure encore dans Millet, 1991, p. 163, 135, 138.
Hofmann remarque très justement que le terme devrait alors figurer au côté des noms des
parents dans la filiation, ce qui n’arrive évidemment jamais.
7
Voir p. 542-546 pour une discussion sur la présence probable du déterminant du
substantif précédent dans ce prédicatif.
98 LA LANGUE DE MÉROÉ

séparateur, tandis que le prédicatif -qo figure très fréquemment directement à


la suite du nom propre sans séparateur. Il s’agit sans doute d’une
construction emphatique 1, où le même pronom de troisième personne est
topicalisé en tête de proposition : qo : A-qo(wi) : « celui-ci / celle-ci, c’est
A ». Il n’existe qu’un exemple de nomination emphatique commune de deux
membres de la même fratrie, en REM 1063 : on a alors qo : A1-qowi : qo :
A2-qowi.
Le nom du défunt est quelquefois précédé d’une mention apposée, parfois
clairement un titre connu (REM 0256, 0291, 0502, 0538, 0544), mais peut-
être aussi un surnom ou une simple qualification qui nous sont actuellement
incompréhensibles (REM 0201 [?], 0292, 0305, 0326 2, 1241). Ce n’est
cependant pas la manière habituelle d’indiquer les titres du défunt, qui font
plutôt l’objet d’une prédication spécifique à l’intérieur de la description. Une
formulation similaire permet parfois de situer un second défunt commémoré
sur une même épitaphe par rapport au précédent : on a mte : qese-l keni
« ainsi que son enfant » en REM 0258, yetmde qese « son yetmde » 3 en REM
0215.
Un procédé rare mais intéressant consiste à faire précéder le nom d’une
courte proposition 4, détachée de la nomination proprement dite par le
séparateur dans tous les exemples connus. On trouve ainsi kdi-qo : « c’est
une femme » en REM 0087, 0261 et 1084, s-qo : « c’est un seigneur (?) 5 »
en REM 1059, 1073, 1080. Ces interprétations sont celles de Hintze et de
Hofmann, mais on peut s’étonner que la nomination utilise le prédicatif qo,
un élément que l’on trouve plutôt à la suite des anthroponymes, et non -lo,
comme on l’attendrait avec un substantif. Peut-être qo a-t-il ici la valeur, non
plus d’un pronom utilisé comme prédicatif, mais d’un adjectif démonstratif.
Dans ce cas, s qo signifierait « ce seigneur », kdi qo « cette femme », et tous
deux seraient employés comme topiques dans une structure assez semblable à
celle que nous avons étudiée dans le précédent paragraphe. Quoi qu’il en
soit, on doit rejeter l’interprétation selon laquelle une « femme noble » ou un
« homme noble » serait ici commémoré (contra Priese, 1971, p. 279-280).

1
Voir p. 547-548.
2
En REM 0305 et 0326, l’élément ske suivi du séparateur pourrait éventuellement
appartenir à l’anthroponyme. Il peut en effet arriver qu’un morphème (souvent un
théonyme) entrant dans la composition d’un nom propre soit disjoint du reste par le
séparateur.
3
Peut-être « son neveu » ou « sa nièce », au sens large.
4
Cf. Hintze, 1979, p. 195 et Hofmann, 1981a, p. 55-56.
5
Hofmann (loc. cit.) préfère « personne », mais il serait curieux qu’une épitaphe ait besoin
de préciser que le défunt est une « personne ». L’absence de genre en méroïtique peut
expliquer en revanche que le sexe du défunt soit mentionné en exergue. Cependant, le
terme pour « homme » (mâle), abr, n’est jamais attesté dans ce genre de proposition.
LES DOCUMENTS 99

Comme dans le type le plus fréquent de nomination, -qo n’est ici qu’un
simple morphème, même s’il n’assure peut-être pas ici de prédication.
Bibliographie (les études de base sont indiquées en gras) :
Griffith, 1911a, p. 32, 35-36 ; Griffith, 1922, p. 599 ; Zyhlarz, 1930, p. 428 ; Trigger,
1962, p. 7 ; Heyler, 1967, p. 112, 116 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22, 48-49 et
Table 4 ; Priese, 1971, p. 275, 278-281 ; Hofmann, 1977a, p. 197 ; Priese, 1979,
p. 116-118 ; Hofmann, 1981a, p. 51-59 ; Hofmann, 1991, p. 191-192 ; Hintze, 1999,
p. 230-232 ; Abdalla, 1999a, p. 407-409, 412, 413.

Filiation

La filiation du défunt, la plupart du temps, suit directement la nomination.


Nous avons vu précédemment quelques exemples où elle se présente après
l’invocation, dans quatre textes archaïques de Méroé (voir p. 96), mais ces
cas sont très rares 1. Il arrive plus souvent qu’elle soit déplacée après la
description individuelle ou relative 2 (6 % des cas à Karanóg). Elle peut même
être absente, y compris dans des épitaphes d’une certaine longueur. Le
phénomène n’est pas exceptionnel : il se produit par exemple sur 20 % des
textes de Karanóg et de Shablul 3. Un élément d’explication peut être donné
si l’on considère que toutes ces épitaphes se rencontrent soit sur une stèle
dont la table d’offrandes correspondante n’a pas été retrouvée, soit l’inverse.
On peut supposer que la filiation était présente sur le monument perdu. Ainsi
la stèle de Méroé REM 0832 ne mentionne pas les noms des parents du
défunt, alors qu’ils figurent sur la table d’offrandes correspondante, REM
0833.
L’ordre habituel des filiations donne le nom de la mère en premier. Ce
détail, qui rappelle la prééminence précédemment relevée d’Isis sur Osiris
dans les invocations, a souvent été interprété comme une preuve du statut
élevé de la femme dans la civilisation méroïtique. Griffith notait déjà que cet
ordre était inverse de celui des inscriptions démotiques et devait indiquer
« l’importance généalogique de la femme chez les Méroïtes » (Griffith,
1911a, p. 36) 4. Il n’est cependant pas rare que le nom du père figure en
premier. C’est le cas de 17 % des épitaphes en général, mais la proportion
varie selon le lieu et le siècle : c’est apparemment en Basse-Nubie et à

1
Autre exemple à Karanóg en REM 0323.
2
Pour la différence entre ces deux types de descriptions, voir infra, p. 107.
3
REM 0215, 0233, 0241, 0246, 0247, 0258, 0263, 0287, 0292, 0293, 0300, 0306, 0311,
0315, 0326, 0327, 0328, 0331. La liste donnée par Griffith (Griffith, 1911a, p. 36) est
partielle. Hintze indique un chiffre de 49 sur 266 épitaphes étudiées, ce qui correspond à
un pourcentage de 18 % et recoupe assez bien notre calcul (Hintze, 1999, p. 231, tab. 2).
4
Voir aussi Hintze, 1974a, p. 28, p. 31, note 6 ; contra : Hofmann, 1977a, p. 220 ; Hintze,
1979, p. 43 ; Hintze, 1999, p. 231, 235.
100 LA LANGUE DE MÉROÉ

époque tardive que le phénomène est le plus marqué. Hintze l’attribue à


l’influence égyptienne plus forte aux abords de la frontière. On peut noter en
effet qu’à Arminna, sur six textes où les filiations sont préservées, cinq citent
d’abord le nom du père 1. Mais l’ordre inverse est le plus fréquent à Karanóg,
pourtant plus près de l’ancienne Égypte.
Si le nom de la mère peut parfois être cité seul (5 % des épitaphes), il est
exceptionnel que ce soit le cas pour le nom du père (1 %), et il n’est pas rare
que ne soit indiqué que son titre 2, comme en REM 0261, 0303, 0308, 0323,
0534, 1019, 1079, 1080. Ces omissions doivent cependant être relativisées :
ici aussi, il peut se produire que les filiations soient complètes sur l’autre
monument funéraire du défunt. On en a un exemple sur la stèle REM 0273
(voir p. 92), où apparaît le nom du père, pourtant absent sur la table
d’offrandes correspondante REM 0274.
Le nom du père peut être éventuellement précédé d’un titre, non
déterminé puisque suivi de l’anthroponyme qui suffit à sa détermination. Le
nom de la mère ne semble jamais être accompagné d’une quelconque
apposition, contrairement à ce qui arrive parfois dans les nominations.

L’interprétation de la syntaxe des filiations a été dès le début, et demeure


encore, un point fort débattu parmi les méroïtisants. Il n’entre pas dans notre
propos pour l’instant d’examiner toutes ces questions qui seront étudiées au
chapitre « Grammaire ». Nous nous contenterons ici d’en établir la structure
générale. La formulation prédominante, où, selon les conventions de Griffith,
1911a, B représente le nom de la mère et C celui du père est la suivante :
B te-d‚e-lo(wi) [ou t-d‚e-lo(wi)] C t-erike-lo(wi)
Le préfixe te- est susceptible de fortes variations, notamment d’ordre
diachronique, comme nous l’avons déjà noté dans le chapitre précédent (voir
p. 28-29). Le sens de la proposition « B te-d‚e-lo(wi) » est sans doute :
« c’est l’enfanté(e) de B », autrement dit « B l’a enfanté(e) », tandis que la
proposition C t-erike-lo(wi) doit signifier « c’est l’engendré(e) de C », autre-
ment dit « C l’a engendré(e) ». Le sujet sémantique est le nom de personne A
cité dans la nomination. Contrairement à ce que pensaient Meinhof ou
Zyhlarz, les termes t(e)d‚e et terike ne représentent pas la « mère » ou le
« père » 3, mais bel et bien l’enfant. La meilleure preuve en est l’utilisation
d’un prédicatif pluriel -leb-kwi lorsque deux membres (voire trois) de la
même fratrie sont commémorés dans une unique épitaphe. On trouve alors :

1
Cf. Trigger–Heyler, 1970, p. 49 et tab. 6 ; Hintze, 1999, p. 230-231 et tab. 2, tab. 3.
2
Voir Trigger–Heyler, 1970, p. 32 et note h80.
3
Cf. Hintze, 1979, p. 58 : « Jedenfalls liegen in td‚e- und terike- keine einfachen Nomina
“Mutter” bzw. “Vater” vor (“Mutter” hei”t šte) ». On retrouve cependant encore cette
interprétation dans Peust, 2000, p. 90.
LES DOCUMENTS 101

A1-qowi : A2-qowi : B : t(e)d‚e-leb-kwi : C : terike-leb-kwi :


A1 c’est ; A2 c’est ; (de) B les enfanté(e)s ce sont ; (de) C les engendré(e)s ce sont
= Voici A1, voici A2 ; B les a engendré(e)s, C les a enfanté(e)s.
On rencontre assez souvent une formulation complexe actuellement non
élucidée, où le terme exprimant la filiation est répété une, deux, voire trois
fois. Le phénomène apparaît aussi bien après le nom de la mère que celui du
père, bien qu’il soit plus fréquent dans l’expression de la filiation maternelle
(33 exemples contre 10 pour la filiation paternelle), et que les cas de
répétition multiples (REM 0225, 0260, 0275, 0296 et 0380) ne se produisent
qu’une fois à la suite du nom du père (REM 0275). Dans ce type de filiation,
seul le dernier terme est alors suivi du prédicatif, les précédents ne
comprenant que le déterminant -l(i). On trouve parfois une curieuse variation
dans les préfixes. Un exemple particulièrement développé est attesté en REM
0296/3-9 :
Nt¡ili 1 : ted‚el : ted‚eli yed‚eli ted‚elowi : Sw….li : terikel : yerik[e]lowi :

Trois hypothèses ont été avancées pour expliquer cette curieuse


répétition 2. Aucune n’est hélas pleinement satisfaisante, et ne concilie
vraisemblance sociologique et cohérence syntaxique.
La première a été tout d’abord envisagée un moment par Griffith
(Griffith, 1911a, p. 37), reprise par Meinhof (Meinhof, 1921-1922, p. 12),
puis développée par Heyler (Trigger–Heyler, 1970, p. 31-32, Leclant, 1970-
1971, p. 181). Selon cette explication, l’expression redoublée correspondrait
à « l’enfant de l’enfant de... », et le nom B ou C précédent serait celui, non
du père ou de la mère, mais de l’aïeul(e) :
« Griffith avait bien noté que les parents d’un défunt pouvaient n’être pas
nommés ; le père peut n’être évoqué que par un simple titre, et rester ainsi
anonyme. Ailleurs, le décédé est simplement qualifié de frère (wi), de sœur (kdis)
ou de mère (šte) de personnages divers. Qui plus est, le défunt est parfois présenté
comme un parent éloigné (yetmde) d’autres membres de sa “famille”, sans que ses
parents soient nommés. De tels faits, aussi surprenants soient-ils, peuvent
s’expliquer dans une société à clans et à lignées ; dans cette optique les stiches de
filiation à verbe répété feraient référence directement au-delà des ascendants

1
La photographie de Woolley – Randall-MacIver, 1910 (pl. 17) semble indiquer Ntsili,
sans que soit visible la queue caractéristique du k, et c’est ainsi que le lit Heyler dans le
REM (« Enregistrement des textes »). Cependant REM 0295, découvert à proximité de
REM 0296, donne un matronyme Ntkili, que Griffith, dont nous suivons la lecture, pense
retrouver ici (Griffith, 1911a, p. 69).
2
La meilleure revue critique de ces hypothèses se trouve dans Hofmann, 1981a, p. 169-174.
102 LA LANGUE DE MÉROÉ

immédiats, à une sorte d’ancêtre éponyme. Ils préciseraient l’identité d’une


personne un peu comme le font nos noms de famille. » (Trigger–Heyler, p. 32)

Cette hypothèse est syntaxiquement la plus cohérente. Si « B ted‚e- »,


comme nous le supposons, correspond à un substantif 1 ted‚e : « personne
enfantée », précédé d’un anthroponyme B en position de génitif direct
antéposé 2, on peut penser que « (B ted‚eli :) ted‚e- » est un syntagme du
même type, comportant un double génitif antéposé : « enfant de (l’enfant de
B) ». L’usage du déterminant -l(i) à la suite du substantif régi correspond
tout à fait à ce qu’on trouve dans les cas de filiation simple où le père n’est
représenté que par un titre, c’est-à-dire un substantif. On peut comparer :
pesto-li : terike-lowi : « c’est l’enfant (“l’engendré”) d’un vice-roi ». (REM
0303)
(Bletli : terike)-li terike-lowi : « c’est l’enfant (“l’engendré”) d’un enfant (“un
engendré”) de Baletali » [?]. (REM 0225)

Cette solution présente toutefois une certaine invraisemblance, que


Griffith avait relevée dès ses premières analyses :
« One might have supposed that these reduplications indicated grandparents and
further ancestors ; but one cannot suppose in all these cases that a parent was ignored
to make way for a grandparent or a great-grandparent. » (Griffith, 1911a, p. 37)
On peut de plus s’interroger sur la dissymétrie dans les générations
citées : la grand-mère maternelle serait mentionnée à côté du père (cas
fréquent), l’arrière-grand-mère maternelle à côté du grand-père paternel
(REM 0225, 0380), et l’arrière-arrière-grand-mère maternelle à côté du
grand-père paternel (REM 0296) ! Peut-être pourrait-on alors supposer que
des personnalités marquantes (ou survivantes au moment du décès de leur
descendant) ont été choisies parmi les ascendants du défunt. En ce cas,
pourquoi ne seraient cités que les représentants de la lignée exclusivement
féminine ou exclusivement masculine, sans considération du grand-père
maternel ou de la grand-mère paternelle ? Deux exemples possibles de
filiation « croisée » ont été étudiés par Heyler (loc. cit.). Un premier en REM
0383 où l’on trouve Nƒqoˆ… : ted‚eli : terikelowi : « c’est l’engendré de
l’enfanté de Naƒakuye (?) », autrement dit et sous toutes réserves :
« Naƒakuye est sa grand-mère paternelle (?) ». Griffith considérait ce texte
comme fautif (Griffith, 1911a, p. 37, 122, 180), et Trigger remarque que la
photo de Karanóg n’est ici d’aucun secours. La même expression se trouvait
apparemment en REM 1066A, mais le texte lacunaire ne présente que

1
Éventuellement une forme verbo-nominale, qu’elle soit relative ou participiale. Voir ci-
dessous p. 554.
2
Cf. p. 518.
LES DOCUMENTS 103

t¥[ca. 7]kelowi : La reconstitution de Trigger en t¥[‚eli : teri]kelowi : est


tout à fait vraisemblable 1, mais il n’en reste pas moins fâcheux que les deux
seuls témoignages de possible filiation croisée soient tellement sujets à
caution. Enfin, quelques incohérences peuvent se remarquer çà et là : les
épitaphes REM 0272 et 0275, concernant deux individus de la même fratrie,
comportent l’une un redoublement de la filiation paternelle, et l’autre un
triplement de cette filiation. Selon l’hypothèse précédente, l’ascendant cité
devrait être, dans le premier cas le grand-père paternel, et dans le second
l’arrière-grand-père paternel. Or sur les deux textes, il s’agit de la même
personne, pourvue du même titre.
Une seconde solution, imaginée par Griffith, reprise par Schuchardt, puis
Hofmann, consiste à voir en cette répétition une marque d’insistance :
« it is evident that the reduplications are genealogically equivalent to the single
expression (...). One can only conclude that the reduplication is intended to
emphasize the reality of the parentage. » (Griffith, 1911a, p. 37)
Dans les traductions des épitaphes de Karanóg, de Shablul et Faras,
Griffith se tiendra à cette théorie, utilisant les expressions « truly born of »
ou « truly begotten of » pour rendre ces répétitions. Schuchardt, qui reprend
la même idée, émet cependant quelques réserves :
« Wir werden hier an die semitischen lebendige Paronomasie erinnert. Sie ist wohl
durch den Nubischen nicht fremd.(...) Der Sache nach, ist die Bekräftigung
eigentlich nur bei der Nennung des Vaters begreiflich : “truly begotten” ; das “truly
born” macht ein komisches Eindruck. » (Schuchardt, 1913, p. 169 et note 2)
Enfin Hofmann suivit Griffith dans un premier temps. Elle affina la théorie
en analysant les épitaphes concernées et en constatant que ces étranges
répétitions se produisent majoritairement pour des défunts sans titres :
« die Betonung der mutterlichen und vaterlichen Abstammung sollte [helfen], den
Wert des Töten zu erhöhen, (...) da er selbst nicht auf entsprechende Ämter
hinweisen konnte ». (Hofmann, 1981a, p. 172-173)
On peut en effet noter quelques cas, dans d’autres structures, où une
répétition n’a apparemment pas d’autre motivation que l’emphase. C’est très
probablement en ce sens qu’il faut interpréter le passage de REM 0323/4-6
où le défunt est décrit ainsi :
soni Mnpse-lo : soni Mnpse-lo : soni Mnpse-lo : « il était soni
d’Amanap, il était soni d’Amanap, il était soni d’Amanap ».

1
Les arguments qu’il développe en ce sens sont assez convaincants (Trigger–Heyler, 1970,
p. 31). Voir également Hofmann, 1981a, p. 169 (« möglicherweise eine irrtümliche
Schreibung »).
104 LA LANGUE DE MÉROÉ

Griffith relève cette redondance et la rapproche de la répétition des formules


de filiation : « it is perhaps for emphasis » (Griffith, 1911a, p. 73 et note 3).
On trouve pareillement en REM 0262 :

Yilƒmli : ted‚e-lowi : ted‚e-lowi : « c’est l’enfanté(e), c’est l’enfanté(e)


de Yilaƒamali ».

Il est évidemment tentant de généraliser cet exemple à toutes les filiations


répétées, et de voir dans les ted‚e-l(i) et terike-l(i) autant de formes
simplifiées de ted‚e-lowi et de terike-lowi. Mais, d’une part, l’exemple de
REM 0262 est unique et a donc de fortes chances de n’être qu’une erreur du
scripteur 1. D’autre part, on n’a pas d’exemple probant où le déterminant -l(i)
puisse assumer le rôle de prédicatif.
Enfin, Trigger et Heyler ont mis en parallèle un stiche de description en
REM 1063, une stèle pour deux défunts de la même fratrie, où apparaît une
parenté (?) répétée :
pqr-leb : yetmde-leb : yetmde-lebkwi : « c’étaient des yetmde 2, des yetmde
de vizirs (?) ».
Il paraît ici à peu près sûr que la répétition a valeur d’emphase : que
yetmde indique une parenté dans la lignée maternelle ou qu’il marque un
rapport de protection sociale, ce qui constitue les deux hypothèses les plus
probables, en aucun de ces deux cas il ne semble raisonnable d’envisager une
relation indirecte du genre « yetmde de yetmde », pléonastique et presque
ridicule.
Malheureusement, les deux seules filiations répétées pour plusieurs
défunts ne s’accordent pas avec cet exemple. On trouve ainsi :

Boƒeyi : ted‚e-li : ted‚e-lebkwi (REM 0229)


Ntye : ted‚e-li : ted‚e-li : ted‚e-lebkwi : (REM 0260)

Il semble que si les mêmes individus étaient définis plusieurs fois comme
enfants de leur mère, on aurait un pluriel ted‚e-leb à chaque fois (comme
pour yetmde précédemment), et non un incontestable singulier ted‚e-li. On
voit que l’hypothèse d’une répétition emphatique, assez plausible dans un
premier temps, résiste mal aux analyses syntaxiques.

1
Pour Griffith, ce passage « must be a blunder » (Griffith, 1911a, p. 37). Hofmann range
cet exemple aux côtés des précédents sans commentaire particulier (Hofmann, 1981a,
p. 169).
2
Ce terme très débattu pourrait signifier « neveu », « nièce » au sens large, c’est-à-dire
cadet(te) dans la lignée maternelle (voir Hintze, 1999).
LES DOCUMENTS 105

La troisième solution, très ingénieuse, est celle de Hintze. Dans un


premier temps, il s’était rallié à la théorie précédente, celle de Griffith
(Hintze, 1955, p. 366 et note 38), mais il revient longuement sur le sujet dans
ses Studien zur meroitischen Chronologie (Hintze, 1959a, p. 13-16). La
répétition des formules de filiation indiquerait selon lui que l’enfant est issu
d’un deuxième, troisième, voire quatrième mariage du parent concerné. Une
recherche sur 24 inscriptions illustre cette théorie de Hintze, qui a reçu un
écho généralement favorable. Cependant, elle offre le flanc à deux critiques.
Tout d’abord, comme le reconnaît Hintze lui-même (op. cit. p. 15), elle ne
rend pas compte de toutes les occurrences. Certaines inscriptions semblent
même nettement la contredire, comme l’indique Hofmann (Hofmann, 1981a,
p. 219). Ainsi, nous avons précédemment noté que les épitaphes REM 0272
et REM 0275, qui concernent deux enfants de mêmes parents, offrent l’une
un redoublement, l’autre un triplement des formules de filiation. Ensuite, on
ne voit pas comment la structure syntaxique des groupes en question –
centrée de plus, nous l’avons vu, sur l’enfant, et non sur le parent – pourrait
permettre d’exprimer une réalité si complexe. Hintze remarque d’ailleurs à ce
propos :
« Leider ist unsere Kenntnis der meroitischen Sprache und ihrer Grammatik noch
so ungenügend, daß sich z. Z. keine grammatisch-sprachliche Erklärung für das
Zustandekommen dieser Bedeutung geben lä”t. » (op. cit. p. 14)

Malgré ces problèmes, la théorie de Hintze a bénéficié récemment d’un


ralliement de poids, puisque Hofmann, dans son étude Steine für die
Ewigkeit, l’évoque comme une éventualité recevable, sans renouveler ses
critiques antérieures (Hofmann, 1991, p. 201).

Bibliographie (les études de base sont indiquées en gras) :


Griffith, 1911a, p. 32, 36-38 ; Schuchardt, 1913, p. 168-174 ; Griffith, 1922, p. 589,
599 ; Meinhof, 1921-1922, p. 11-12 ; Zyhlarz, 1930, p. 426-427, 452-453 ;
Hintze, 1955, p. 365-366 ; Hintze, 1959a, p. 13-16, 35-36 ; Monneret de Villard,
1960, p. 102-103 ; Trigger, 1962, p. 7 ; Hintze, 1963a, p. 15 ; Almagro, 1965, p. 232 ;
Shinnie, 1967, p. 139 ; Heyler, 1967, p. 112, 116, 118 ; Trigger, 1968, p. 4 ; Trigger–
Heyler, 1970, p. 22, 30, 31-32, 48-49 et table 6, p. 55, 56 ; Leclant, 1970-1971,
p. 181 ; Priese, 1971, p. 275-276. ; Trigger, 1973a, p. 255 ; Hintze, 1974a, p. 20-22,
p. 30, note 1 ; Hofmann, 1975, p. 17-20 ; Hofmann, 1977a, p. 219 ; Hainsworth,
1979b, p. 54-70 ; Hintze, 1979, p. 58 ; Hofmann, 1981a, p. 168-180 ; Millet, 1982,
p. 71, 75 ; Hofmann, 1991, p. 192, 200-201 ; Hintze, 1999, p. 230-231, tab. 1, 2, 3 .
106 LA LANGUE DE MÉROÉ

Description

La « description », telle que l’a nommée Griffith, situe le défunt dans son
contexte familial et social : elle indique ses titres éventuels et sa parenté avec
des personnes apparemment prestigieuses, dont les noms et les charges sont
donnés. Il s’agit sans conteste de la partie la plus accessible et la plus
intéressante des épitaphes, et il n’est pas étonnant qu’elle ait fait l’objet de
multiples études, tant syntaxiques et lexicographiques que sociologiques. Les
deux ouvrages les plus aboutis de Hintze : « Die Struktur der “Deskriptions-
sätze” in den meroitischen Totentexten » (Hintze, 1963a) et « Beiträge zur
meroitischen Grammatik » (Hintze, 1979) sont en tout ou en partie consacrés
à l’étude des descriptions. Il en va de même de l’étude cardinale de
Hofmann : Material für eine meroitische Grammatik (Hofmann, 1981a).
Plusieurs analyses sociologiques ont été également fondées sur ces
descriptions, notamment tirées des épitaphes de Karanóg : on peut citer entre
autres Hofmann, 1977a : « Zur Sozialstruktur einer spätmeroitischen Staat in
Unternubien », Török, 1977 : « Some Comments on the Social Position and
Hierarchy of the Priests on Karanóg Inscriptions », Millet, 1981 : « Social
and Political Organisation in Meroe ». Sur le plan philologique, les descriptions
restent notre principale source lexicographique pour les titres, les théonymes
(indiquant les divinités servies par les prêtres), les toponymes (correspondant
aux lieux où étaient exercées les fonctions citées), ainsi que les relations « de
parenté ».
Cependant, elles ne sont attestées que sur un espace géographique et
temporel relativement limité : les monuments funéraires de Méroé en sont
dénués, si bien que nous ne connaissons pas d’attestation de formules de ce
type en amont de la troisième cataracte. Pareillement, il semble que les textes
anciens (auxquels appartiennent d’ailleurs les tables d’offrandes de Méroé)
en soient dépourvus. Ainsi, à Sedeinga, où les épitaphes du IIe et du IIIe
siècle sont exceptionnellement riches en phrases descriptives, le texte
funéraire non fragmentaire d’époque la plus reculée, la table d’offrandes
REM 1092, ne fait pas usage de ces formules. De fait, parmi toutes les
épitaphes méroïtiques, la plus ancienne qui en comporte semble être la table
d’offrandes de Faras REM 0521, datable du début de notre ère 1 ; encore n’y
trouve-t-on pas les relations de parenté (description « relative ») qui
deviendront habituelles par la suite.

Mais même en Basse-Nubie et à époque plus récente, toutes les épitaphes


ne comportent pas de partie descriptive, loin de là. Dans une étude statistique
1
Nous nous fondons sur la paléographie (début du style « transitionnel »), ainsi que sur
l’absence de préfixes dans les filiations et de contractions selon la loi de Griffith (voir p. 35-
36). Voir également Török, 1984b, p. 64, qui place °ll‚ror au Ier siècle de notre ère.
LES DOCUMENTS 107

sur la fréquence des phrases de ce genre (Hintze, 1976), Hintze relève que
sur un total de 247 textes, 86 en sont dénués, soit un bon tiers. À Shablul, ce
pourcentage atteint 55 %, et à Faras 57 %. Trigger, qui relève cette particularité,
l’attribue au rang social modeste des inhumés :

« The Shablul texts are, for the most part, short, and the deceased lack titles. This
may reflect the relative unimportance of the cemetery and of the people who were
buried there. Many of the texts from Faras are likewise short and may have come
from the humbler parts of that great cemetery. » (Trigger–Heyler, 1970, p. 50)

Hintze, pour sa part (op. cit. p. 27-28), préfère parler de « variations


locales » qu’il met en relation avec d’autres particularités propres à certaines
nécropoles 1, comme la préférence pour les stèles à Arminna ou l’existence
d’épitaphes sur linteaux à Sedeinga. Il reconnaît cependant le rôle du statut
social dans le nombre des propositions de description, particulièrement pour
les monuments les plus prolixes, qui correspondent à de puissants notables.
On peut ainsi citer les 26 phrases descriptives de la stèle du « vice-roi »
Abratoye 2 trouvée à Tomas (REM 1333), les 19 de celle du « vice-
roi » ®witror à Karanóg (REM 0247), les 18 du linteau de Netemakher à
Sedeinga (REM 1091).
Sur le plan syntaxique, la description est constituée d’une, ou plus
souvent de plusieurs propositions nominales, terminées chacune par le
prédicatif -lo(wi) : « c’est », « c’était », le sujet sémantique étant le défunt
cité dans la nomination. Nous proposons ici de distinguer deux catégories de
propositions descriptives : les unes, formées simplement d’une désignation
prédiquée (éventuellement accompagnée d’épithètes et de diverses
expansions la précisant) sont ici nommées « descriptions individuelles ». Les
autres, que nous appellerons « descriptions relatives », précisent un lien
social ou familial du défunt avec une personnalité, voire plusieurs, dont ou le
nom, ou le titre, ou les deux sont indiqués 3.

1
Les tables d’offrandes étant exposées sur un socle à l’entrée de la sépulture, il est fort
possible que des effets de mode ou d’émulation se soient produits entre familles d’une
même nécropole.
2
Nous avons préféré garder ici les transcriptions traditionnelles des noms méroïtiques,
quand elles sont d’emploi courant, même si elles contiennent une grande part d’approxi-
mation et d’arbitraire.
3
Cette distinction correspond à celle qu’effectue Hofmann entre « Satztyp I » (ici
« description individuelle », voir p. 108sq) et « Satztyp II » (ici « description relative »,
voir p. 119sq) ; voir Hofmann, 1981a, p. 60. Cependant, pas plus chez Hofmann que chez
Hintze, 1963a, cette différenciation n’est-elle fondamentale dans la typologie générale
des propositions descriptives, qui sont avant tout classées selon les éléments du
syntagme.
108 LA LANGUE DE MÉROÉ

Description individuelle

La description individuelle présente la place du défunt dans la société


méroïtique de façon absolue, sans considération de sa parenté. Dans la
majorité des cas (mais voir page suivante), elle indique un titre administratif
ou sacerdotal, composé d’éléments variables mais récurrents. Afin que le
lecteur puisse embrasser d’un seul regard la totalité des structures existantes,
ce qui n’est pas possible dans les travaux antérieurs consacrés aux
descriptions funéraires, nous avons jugé utile de les synthétiser dans le
Tableau 4, p. 110 : on y trouvera un schéma des structures attestées, accom-
pagné d’une correspondance avec leurs numérotations respectives dans les
études précédemment publiées par Hintze et Hofmann, ainsi qu’une série
d’exemples empruntés aux épitaphes. Les références à la synthèse de Hintze
(Hintze, 1963a) renvoient non aux structures elles-mêmes, mais aux numéros
des exemples qu’il donne. En effet, les modifications importantes dans les
lectures et les analyses des textes depuis l’époque de cette publication nous
auraient obligé à insérer sans cesse des rectificatifs concernant la plupart des
structures. L’ouvrage de Hofmann, plus précis et plus récent (Hofmann,
1981a), est cité selon les sections, ce qui n’exclut pas quelques divergences
de notre part, relativement peu nombreuses. Dans les lignes qui suivent, les
chiffres entre parenthèses renvoient aux neuf structures listées dans le
Tableau 4.

L’ordre de succession des éléments dont peuvent être composées les


désignations des personnages est le suivant :

substantif ± épithète ou apposition ± génitif indirect ± locatif ± prédicatif

Il n’arrive cependant jamais, dans les textes que nous connaissons, que
ces cinq éléments, dont seuls le premier et le dernier sont obligatoires, soient
tous réunis. Les descriptions les plus complexes en comportent quatre : on
trouve ainsi en REM 0247 et 1088 womnise-lƒ : Akine-te-lo : « c’était un
premier womnise (prêtre d’Amon ?) en Basse-Nubie », où se combinent un
substantif womnise, un adjectif lƒ (« grand », « premier »), un toponyme au
locatif Akine-te et le prédicatif final -lo : « c’est », « c’était » 1.

1
Voir aussi l’exemple (8) p. 111, où se combinent quatre éléments.
LES DOCUMENTS 109

En théorie du moins, rien n’empêche qu’existe une description comme


*ssor-lƒ : peseto Akine-te-li-se-lowi : « c’était un premier scribe (?) du
vice-roi en Basse-Nubie », où tous les éléments seraient réunis. En pratique,
on n’en connaît point encore d’aussi complexe : le goût évident de la langue
méroïtique pour les constructions en chaîne a peut-être ses limites.
Le substantif initial est généralement qualifié de « titre ». Cependant, il
semble que ce terme soit parfois abusif. Il est difficile d’imaginer qu’un
pourcentage aussi élevé de la population ait bénéficié de charges admi-
nistratives, même dans une société de centralisation et de redistribution des
biens, comme l’était, à n’en pas douter, la civilisation méroïtique, à l’instar
de son modèle égyptien. Il est possible que dans certains cas, le « titre »
n’indique en fait que le métier, voire une caractéristique encore plus vague
d’un personnage. Un très bon exemple en est le terme mlomrse, souvent suivi
d’un locatif et appliqué aussi bien à des hommes qu’à des femmes. On a
proposé de le traduire simplement « ressortissant(e) de » 1. En tout état de
cause, le terme de « caractérisation » semblerait plus approprié que celui de
« titre » pour qualifier ces très nombreux et très divers substantifs, qui
constituent plus de deux cents entrées dans notre « lexique » 2.

Le substantif, premier élément dans le schéma général ci-dessus, est


parfois seul devant le prédicatif [structure (1) p. 110], mais il est souvent
complété par une expansion. Il arrive tout d’abord qu’un second élément non
suffixé (ni génitif, ni locatif), lui soit ajouté [structures (2) à (4) p. 110]. Il
s’agit alors d’une épithète précisant la « caractérisation » qui est en ce cas
presque toujours un véritable titre 3. La plus fréquente est un adjectif de sens
bien connu : lƒ : « grand », « premier », « en chef ».

1
« Bürger etwa in Sinne von “Freien” o. ä. », « Einwöhner », « Abkömmling », selon
Hofmann, 1978b et 1981a.
2
Cf. cette remarque de Millet à propos de REM 0094 : « we are dealing here with a
personal designation, one of those terms we in our ignorance come to lump together as
‘titles’ » (Millet, 1981, p. 132).
3
On trouve cependant en REM 0259 une épithète obscure amoke après la « carac-
térisation » mlomrse.
110 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 4 : Structures des descriptions individuelles (type I) attestées

Tous les syntagmes décomposés ici sont suivis dans la description du prédicatif
-lo(wi), parfois au pluriel -leb-kwi [en (1) seulement]. Les numéros entre parenthèses,
correspondant à la structure, renvoient aux exemples ci-contre.

sans
expansion (1)
simple (2)

substantif avec génitif indirect (3)


épithète ou/et
apposition avec locatif (4)

théonyme (5) 1
supérieur hiérarchique (6)
génitif
avec
expansion indirect substantif régissant
sous-entendu (7)
= ? « celui (appartenant au
bureau) de »
affectation (8)
locatif (9)

Correspondance avec les numérotations de Hintze, 1963a et de Hofmann, 1981a

(1) Hintze, 1963a [1], [3], [4], [5], [6], [8], [10 ?], [11 ?], [12], [13 ?], [15],
[18 ?], [19 ?], [22], [23], [24], [25], [66] ; Hofmann, 1981a 5.1.1, 5.1.3.
(2) Hintze, 1963a [9], [14], [16], [17], [28] à [34], [37], [38], [46] à [50], [99 ?] ;
Hofmann, 1981a 5.1.2, 5.1.4, 5.1.5, 5.1.6 (?), 5.1.7.
(3) Hintze, 1963a [89], [100] Hofmann, 1981a 5.2.2.
(4) Hintze, 1963a [121], [122], [124], [134] ; Hofmann, 1981a 5.3.2, 5.3.3.
(5) Hintze, 1963a [51] à [53], [55]à [65], [68] à [70], [72], [74] à [88], [135] ;
Hofmann, 1981a 5.2.1, 5.2.5, 5.3.6.
(6) Hintze, 1963a [67], [73], [90], [91 ?], [95], [96 ?], [96a], [97], [98] ;
Hofmann, 1981a 5.2.3, 5.2.4 (104 à 112), 5.3.7, 5.3.8.
(7) Hintze, 1963a [11 ?], [20], [21], [26], [27 ?], [94] ; Hofmann, 1981a 5.2.8.
(8) Hintze, 1963a [54], [88a], [92],[93] ; Hofmann, 1981a 5.2.4 (113 à 119).
(9) Hintze, 1963a [101] à [118], [123], [125], [128] à [133], [b], [331] ;
Hofmann, 1981a 5.3.2, 5.3.3, 10.1 [472] à [475].

1
Les hypostases d’une divinité, marquées généralement par un toponyme (Mni Pedeme-te :
« Amon de Primis »), ou plus rarement par un génitif (Ms arb-li-se en REM 1319 et
1325), sont ici considérées sur le même plan que les divinités au nom simple. Ce sont en
effet des divinités distinctes, d’ailleurs susceptibles d’être honorées en plusieurs lieux
(cf. Hofmann, 1978b, p. 275-276).
LES DOCUMENTS 111

EXEMPLES

(1) apote-lowi
substantif + -lowi
« c’était un envoyé » (REM 1083)

(2) ssor-lƒ-lowi
substantif + épithète + -lowi
« c’était un premier scribe (?) » (REM 0241)

(3) ssimete : mloyose Mnepte-se-lowi


substantif + épithète + génitif indirect + -lowi
« c’était un ssimete mloyose d’Amon de Napata » (REM 0241)

(4) womnise-lƒ : Akine-te-lo


substantif + épithète + locatif + -lo
« c’était un premier womnise (prêtre d’Amon ?) en Basse-Nubie » (REM 0247)

(5) ant : Mni-se-lowi


substantif + génitif direct (théonyme) + -lowi
« c’était un prêtre d’Amon » (REM 0287)

(6) sleqene : peseto-li-se-lowi


substantif + génitif direct (supérieur hiérarchique) + -lowi
« c’était un sleqene du vice-roi » (REM 0371)

(7) ssor-li-se-lo
(substantif sous-entendu + ) génitif direct (supérieur hiérarchique) + -lowi
« c’était (un homme appartenant au bureau) d’un scribe (?) » (REM 0311)

(8) pelmos adb-li-s-lowi


substantif + génitif direct (affectation) + -lowi
« c’était un général de la province (?) » (REM 1091)

(9) ‚rp‚ne : Pƒrse-te-lowi


substantif + locatif + -lowi
« c’était un gouverneur (?) à Faras » (REM 1088)

STRUCTURES de Hintze et Hofmann non retenues dans le Tableau 4 :


structures étrangères à la description : Hintze, 1963a [2], [3], [35], [36], [40] à [45],
[71], [126], [127].
structures relevant de la description relative (voir Tableau 5) : Hintze, 1963a [7 ?],
[39 ?], [119 ?], [120 ?] ; Hofmann, 1981a 5.1.8, 5.3.4.
112 LA LANGUE DE MÉROÉ

Pour d’autres, il est difficile de distinguer si on a affaire à de véritables


adjectifs ou à des substantifs en apposition, et il n’est pas sûr que cette
distinction soit pertinente en méroïtique, puisque même lƒ est clairement
utilisé comme substantif dans un titre du vice-roi Abratoye en REM 0247 et
1088. L’élément (a)kroro, traduit (sans assurance) par « princier » et
fréquemment accolé à des titres, semble également avoir ces deux valeurs,
adjectivale et nominale 1. Il est en revanche à peu près certain que ce second
élément de la description n’est pas coordonné au premier substantif de manière à
constituer un second titre. Si un défunt possède en effet plusieurs titres distincts,
chacun fait l’objet d’une proposition propre. Ainsi, en REM 1090, le personnage
de haut rang nommé Netemakher est décrit en ces termes :
sleqene : Atiyete-lowi : « c’était un sleqene à Sedeinga ; »
womnise : kroro-lowi : « c’était un prêtre princier (?) d’Amon (?) ; »
at‚mo : Pedeme-te-lowi : « c’était un at‚mo à Primis ; »
aribet : Atiy[ete]-lowi : « c’était un aribet à Sedeinga ; »
pelmos : adb-li-se-lowi : « c’était un général de la province (?). »

On peut constater que chacun de ces nombreux titres est développé dans
une proposition particulière, possédant son prédicatif propre -lowi. La
coordination de ces titres est assurée par la juxtaposition des propositions, et
non par une juxtaposition des syntagmes nominaux eux-mêmes dans le cadre
d’une proposition unique.
Une seconde catégorie d’expansion consiste en un génitif indirect 2,
dépendant du substantif initial, et marqué par l’adjonction de la postposition
génitivale -se. Si le nom régi est un nom de personne simple (en l’occurrence
toujours un théonyme), la postposition est placée immédiatement à sa suite.
Si le nom régi est un substantif (« nom commun ») ou un théonyme composé
(voir ci-dessus), il doit être suivi du déterminant -li à la suite duquel se place
la postposition 3. Bien qu’il s’agisse d’une même structure syntaxique, nous
avons, dans le Tableau 4, distingué plusieurs usages sémantiques de ce
génitif. Dans les structures (5) et (3), le génitif est un théonyme simple
(Mni-se : « d’Amon », Wos-se : « d’Isis », etc.) ou un théonyme composé
(Mnp : Bedewe-te-li-se : « d’Amanap de Méroé », Mnp : Pedeme-te-li-se :

1
Le terme apparaît ainsi en REM 1091 d’abord comme épithète (ligne 2), puis comme
substantif indiquant à lui seul un titre (fin ligne 3).
2
Par opposition au génitif direct antéposé, tel que nous le verrons dans les descriptions
relatives (voir p. 124) et tel qu’il sera développé p. 520.
3
Ceci vaut également pour les substantifs qore « souverain » et ktke « Candace », même si
dans le premier cas, le déterminant assimilé se réduit à un simple -i : voir Rilly, 1999b et
infra, p. 413.
LES DOCUMENTS 113

« d’Amanap de Primis ») 1. Le substantif régissant exprime alors une charge


en rapport avec le culte d’un dieu, qu’elle soit proprement sacerdotale,
comme ant : « prêtre », « prophète » (< ég. ∆l,msq), ou administrative,
comme sans doute le titre de perite (< ég. o2,qvc) : « intendant d’un
temple (?) ». Dans la structure (6), le génitif donne le titre d’un supérieur, à
l’administration duquel appartenait le défunt. Le plus souvent, ce génitif est
qor-i-se : « du souverain », ktke-li-se : « de la Candace », peseto-li-se : « du
vice-roi ». Ces références à des personnalités aussi prestigieuses expliquent
probablement que ne figure jamais le nom de ce supérieur, inutile puisque
bien connu des contemporains. Dans certains cas [structure (7)], le titre du
défunt n’apparaît même pas, si bien que le génitif figure seul. On a supposé,
Griffith le premier, qu’il fallait alors comprendre « celui de », « homme de »,
« membre du bureau de », etc. On trouve ainsi qor-i-se-lo (REM 0137A) :
« c’était un (homme) du souverain », ssor-li-se-lo (REM 0311) : « c’était
l’(employé) d’un scribe ». On trouve aussi au pluriel qorbtowi (<*qore-leb-
se-lowi) (REM 0278) : « c’était un (homme) des souverains ».

Enfin, le génitif peut désigner ce que nous avons appelé une « affectation »
[structure (8)]. Nous entendons particulièrement sous ce terme le domaine où
s’exerce le pouvoir d’un officiel : on trouve ainsi après le titre pelmos
« général », parfois le génitif ato-li-se : « de l’eau » (cf. ég. oÕ lq lëƒ m oÕ
lv : « le général de l’eau » 2), d’autres fois le génitif adb-li-se : « de la
terre (?) », « de la province (?) ». Nous regroupons également sous cette
structure l’affectation d’un envoyé (apote) : le mot peut en effet être suivi du
génitif Arome-li-se : « (auprès) du (pouvoir) romain 3 » ou de qor-i-se :
« auprès du roi ». Dans ce dernier cas, nous supposons à la suite de Hofmann 4
que le génitif indirect n’a pas la même valeur sémantique que qor-i-se dans les
structures (6) ou (7), où il marque un simple supérieur hiérarchique.

1
Le théonyme (A)mnp « Amanap », de l’égyptien Õlm,;l=,Õo-s : « Amon d’Opet » est
de structure simple en méroïtique, l’emprunt ayant été fait à l’égyptien après la
composition du nom. La situation est moins claire pour (A)mnpte : « Amon de Napata »
et Mno : « Amon-de-la-Ville (?) » (< ég. Õlm,'m(,m«v-s ?), puisque les variantes Amnpte-
te (rare) et Amno-te, comportant la postposition locative -te, présentent ces deux noms
divins comme composés incluant un toponyme. Peut-être s’agit-il d’une réinterprétation
partielle d’originaux égyptiens à l’intérieur du cadre de la syntaxe méroïtique. Ainsi on
ne trouve jamais une forme purement indigène *(A)mni Npte-te parallèles à (A)mni
Pedeme-te « Amon de Primis » (attesté en REM 0361A et 1236).
2
Le terme égyptien est attesté dans les proscynèmes démotiques de Philae. Il s’agit
probablement d’une charge administrative, et non militaire.
3
Probablement auprès du pouvoir romain en Égypte ou dans la Dodécaschène ; litt. « du
(territoire de) Rome ».
4
Hofmann, 1978b, p. 271-272.
114 LA LANGUE DE MÉROÉ

Une dernière expansion possible est formée d’un toponyme au locatif,


marqué par la postposition -te : « à », « dans » [structures (4) et (9)]. Ajoutée
à un véritable titre, elle marque le lieu d’exercice de la charge, le siège de la
fonction, généralement une cité, mais peut-être aussi un territoire dans le cas
de Akine, qui désigne probablement l’ensemble de la Basse-Nubie. Ajoutée à
d’autres caractérisations comme mlomrse (cf. p. 109), elle semble indiquer le
lieu de résidence ou plus vraisemblablement d’origine 1. Hofmann a supposé
que le locatif, à la suite d’un titre clairement sacerdotal, puisse de manière
elliptique désigner l’hypostase d’un dieu servi : ainsi beliloke Npte-te
signifierait selon elle « beliloke (d’Amon) de Napata », et non « beliloke à
Napata » 2. Elle fait remarquer que les détenteurs de ce titre (cité en REM
0277, 0325, 0534, 1132) sont en effet des personnalités importantes exerçant
leurs charges principales en Basse-Nubie, où elles ont d’ailleurs été
inhumées. Or le seul cas d’ellipse dans le nom d’une hypostase divine que
nous puissions citer avec assurance se trouve dans le proscynème REM
0117 : ant Pelqete : lito (= Pelqe-te-li-se-lo) : « il est prêtre d’(Isis) de
Philae », littéralement « prêtre de celle à Philae ». On voit que l’omission du
nom Wos : « Isis » n’entraîne pas pour autant la disparition des morphèmes
obligatoires pour la construction d’un génitif indirect de cette nature : le
déterminant -li et la postposition -se. Aussi devrait-on s’attendre, dans le titre
précédent, à un syntagme *beliloke Npte-te-li-se : « beliloke de celui de
Napata », s’il s’agissait véritablement d’un culte desservi. Tel n’est pas le
cas, et il semble préférable de garder pour Npte-te une valeur purement
locative. Peut-être s’agissait-il d’une fonction honorifique qui n’exigeait pas
que son titulaire fût physiquement présent à Napata, ou d’une charge dont
l’exercice effectif pouvait être délégué entre les mains d’un subordonné qui y
demeurait.
Un cas particulier de la structure (9) présente, non un lieu d’exercice,
mais un territoire s’étendant entre deux cités. Au lieu d’un toponyme au
locatif, on trouve en ce cas deux toponymes affectés respectivement des
postpositions -k(e) : « de », « depuis » et -yte : « jusqu’à » et reliés par un
adverbe de parcours dik (cf. anglais « all the way ») :
X-k(e) : dik : Y-yte : « depuis X jusqu’à Y ».
Cette construction, peu fréquente, est attestée avec le titre ant : « prêtre »
en REM 0247, 0321 et 1088, et avec le titre obscur tbqo en REM 1088. Elle
ne concerne que deux puissants personnages, tous deux peseto (« vice-roi »)
en Akine (« Basse-Nubie »), ¬witror en REM 0247, et Abratoye en REM
0321/1088 (deux fragments de la même pièce originelle) ainsi que sur la stèle
correspondante REM 1333. On peut supposer que cette haute fonction

1
Cf. Hofmann, 1978b, p. 273-274.
2
Voir Hofmann, 1978b, p. 276-278.
LES DOCUMENTS 115

donnait automatiquement, entre autres prérogatives, rang de prêtre sur un


grand nombre de sanctuaires.
Le dernier élément de la description individuelle, toujours présent, est un
morphème de prédication, qui, ajouté au syntagme nominal qui le précède,
lui confère le statut d’une proposition. Dans la plupart des cas, la description
ne concerne qu’une personne et le prédicatif est au singulier -lowi, plus
rarement -lo : « c’était » 1. Il peut cependant arriver que deux défunts,
associés sur une même stèle ou table d’offrandes, partagent la même
caractérisation, qui ne sera donc exprimée qu’une fois, et suivie du prédicatif
pluriel -lebkwi « c’étaient ». Le cas n’est attesté que deux fois, en REM 0237,
pour ce qui semble un vrai titre (dseke : snn-li-se) et en REM 0229, où deux
membres d’une même fratrie sont décrits comme mlomrse Akine-te :
« citoyens (?) en Basse-Nubie ».

1
Voir p. 545 pour une segmentation probable de -lo(wi).
116 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 5 : Structures des descriptions relatives (type II) attestées

Tous les syntagmes analysés ici forment un groupe régi suivi dans la description d’un
nom régissant (formule de lien social ou familial) et du prédicatif -lo(wi), au pluriel
-lebkwi si plusieurs défunts sont associés dans la même épitaphe. On trouvera p. 118
la correspondance avec les numérotations de Hintze et Hofmann.

simple .......................................................(1)
anthroponyme
suivi d’un titre + déterminant -l(i) ..........(2)

sans déterminant apparent .......................(3)


sans
expansion + déterminant sing. -l(i) .....(4)

+ déterminant plur. -leb .....(5)

+ anthroponyme ....................................................................(6)

+ anthroponyme .................(7)

+ déterminant sing. -l(i) .....(8)

+ apposition + déterminant plur. -leb …..(9)


et/ou épithète
substantif + anthroponyme ...............(10)
+
locatif + déterminant sing. -l(i) ...(11)

groupe + anthroponyme ...............(12)


régi
théo- + déterminant sing. -l(i) (13)
nyme
+ déterminant plur. -leb (14)

+ déterminant sing. -l(i) (15)


+ génitif
indirect supérieur + anthroponyme .............(16)
hiérarchique
titre sous-entendu .............(17)

affectation + anthroponyme ...............(18)

+ anthroponyme ...............(19)

+ locatif + déterminant sing. -l(i) ...(20)

+ déterminant plur. –leb.... (21)

plusieurs substantifs au pluriel + déterminant pluriel -leb ................................(22)

plusieurs substantifs topicalisés, repris par le possessif pluriel à la suite d’un nom régissant (23)
LES DOCUMENTS 117

EXEMPLES

(1) Areqebr wi-lowi : « il était frère d’Arequbara » (REM 0310).


(2) Pƒeme : qorene-lƒ-l : yetmde-lo : « il était apparenté (?) au premier scribe royal (?)
Pakhome » (REM 0089).
(3) slƒs : kdise-lowi : « elle était sœur d’(un) slƒs » (REM 0208).
(4) pesetoli : ste-lowi : « elle était mère d’un vice-roi » (REM 0325).
(5) pqr-leb : yetmde-lowi : « elle était apparentée (?) à des vizirs (?) » (REM 0298).
(6) peseto : Sdewli : yetmde-lebkwi : « ils étaient apparentés (?) au vice-roi Shadewali » (REM 1063).
(7) apote-lƒ Ìni ste-lowi : « elle était mère du premier envoyé Tani » (REM 0375).
(8) dseke-lƒ-l : yetmde-lo[wi] : « il était apparenté (?) à un premier dseke » (REM 1234).
(9) at‚mo : l‚-leb : yetmde-lowi : « il était apparenté (?) à de premiers at‚mo » (REM 1091).
(10) qorene-lƒ Bedewe-te : Yesebo‚e : yetmd[e]-lowi : « il/elle était apparenté(e) au premier scribe
royal (?) à Méroé, Yeshebuƒe » (REM 0370).
(11) womnise-lƒ : Sk•-te-l : wi-lowi : « il était frère d’un premier womnise (prêtre d’Amon ?)
à Shakala (?) » (REM 1090).
(12) ant : Mnp-se : Sdesel : yetmde-lowi : « il était apparenté (?) au prêtre d’Amanap
Shadeshela » (REM 1020).
(13) soni Mni-se-l sem-lowi : « elle était femme d’un soni d’Amon » (REM 0229).
(14) beloloqe : Wos-se-leb : yetmde-lowi : « il était apparenté (?) à des beloloqe d’Isis » (REM 1057).
(15) pqr qor-i-se-l : yetmde-lowi : « celui-ci était apparenté (?) à un vizir (?) du roi »
(REM 1091 ; qor-i-se est une forme assimilée pour *qore-li-se, voir p. 413).
(16) ‚lbine pesto-li-se Qoleye : sem-lowi : « elle était l’épouse du ‚lbine du vice-roi Quleye »
(REM 0209).
(17) qorpse : ®lo‘… yetmde-lowi : « elle était apparentée (?) à des (serviteurs) des souverains »
(REM 0088).
(18) apote Arome-li-se : Stpiye kdite-lowi : « elle était sœur de l’envoyé (auprès) du (pouvoir)
romain, Shatapiye » (REM 1049).
(19) ‚rp‚ne : Pƒrse-te : Pteremotiye : kdite-lowi : « elle était sœur du gouverneur à Faras,
Pateremutiye » (REM 1049).
(20) pqr Bedewi-te-l : yetmde-lo : « il était apparenté (?) à un vizir (?) à Méroé » (REM 1031).
(21) beliloke : Pedeme-te-leb : yetmde-lowi : « il était apparenté (?) à des beliloke à Primis »
(REM 0129).
(22) peseto-leb : beliloke-leb : yetmde-lowi : « il était apparenté (?) à des vice-rois et des
beliloke » (REM 1065).
(23) perite Wos-se-leb : qorene Wos-se-leb : kdite-bese-lowi : litt. « des agents d’Isis, des scribes
royaux (?) d’Isis, c’était leur sœur » = « elle était sœur d’agents d’Isis et de scribes
royaux (?) d’Isis » (GA 39).
118 LA LANGUE DE MÉROÉ

STRUCTURES DES DESCRIPTIONS RELATIVES (II) ATTESTæES

CORRESPONDANCE AVEC LES NUMÉROTATIONS DE HINTZE ET DE HOFMANN


(Les numéros de structure entre parenthèses renvoient au Tableau 5, p. 116-117. L’indication
« rect. » (= « rectifié ») renvoie aux corrections de lecture ou d’interprétation de Hintze lui-même
dans Hintze, 1979 (« Beiträge zur meroitischen Grammatik », p. 40-46).

(1) Hintze, 1963a : [159], [186 rect.], [188], [295 fin rect.], [315]-[318] ;
Hofmann, 1981a : 5.4.1.
(2) Hintze, 1963a : [319 rect.], [320], [321], [323], [324], [325], [327 ?], [327a] ;
Hofmann, 1981 a : 5.9.5 ; 5.9.6 ; 5.9.7.
(3) Hintze, 1963a : [7 ?], [136]-[138], [140]-[142], [143], [145 ?], [146 ?], [147] ;
Hofmann, 1981 a : 5.11.3.
(4) Hintze, 1963a : [39 ?], [119 ?], [120 ?], [150]-[155], [156 ?], [157], [158], [160]-[179],
[295 rect.1re partie], [328 1re partie] ; Hofmann, 1981 a : 5.4.2.
(5) Hintze, 1963a : [144 rect.], [180]-[185a], [203], [204] ;
Hofmann, 1981 a : 5.4.6 ; 5.4.10 ; 5.4.11 (avec répétition du nom régissant de parenté)
(6) Hintze, 1963a : [139], [187], [206 ?], [229], [230], [231a], [232 ?], [233], [234 ?], [235]-
[239], [241]- [244], [247a], [248], [250], [252], [253], [255], [256 ?] ;
Hofmann, 1981 a : 5.7.1 ; 5.7.5 ; 5.8.3 (2e partie).
(7) Hintze, 1963a : [231], [240], [245], [246 ?], [249 ?], [251], [258 ?], [259 ?], [260], [329 ?] ;
Hofmann, 1981 a : 5.7.2 ; 5.7.3 ; 5.7.4 ; 5.9.4 (?)
(8) Hintze, 1963a : [150] ; Hofmann, 1981 a : 5.4.3.
(9) Hofmann, 1981 a : 5.4.7 ; 5.6.4.
(10) Hintze, 1963a : [306], [307 ?], [312 ?] ; Hofmann, 1981 a : 5.9.2.
(11) Hintze, 1963a : [293 ?] ; Hofmann, 1981 a : 5.6.2.
(12) Hintze, 1963a : [266], [267], [269]-[273], [294 rect.] ; Hofmann, 1981 a : 5.8.1 ; 5.8.5.
(13) Hintze, 1963a : [190]-[191a], [193]-[199], [208 ?], [328 2e partie] ;
Hofmann, 1981 a : 5.5.1 ; 5.5.3.
(14) Hintze, 1963a : [200], [201] ; Hofmann, 1981 a : 5.5.5 ; 5.5.6.
(15) Hintze, 1963a : [192], [202], [268], [276], [277 fin] ; Hofmann, 1981 a : 5.5.2.
(16) Hofmann, 1981a : 5.8.2 (ex. 318)
(17) Hintze, 1963a : [277 fin] ; Hofmann, 1981 a : 5.8.4 (2e partie )
(18) Hintze, 1963a : [277 début] ;
Hofmann, 1981 a : 5.8.3 (1re partie) ; 5.8.4 (1re partie ) ; 5.8.6 ; 5.9.3 (2e partie).
(19) Hintze, 1963a : [299], [300 début], [305], [308]-[311] ;
Hofmann, 1981 a : 5.9.1 ; 5.9.3 (1re partie)
(20) Hintze, 1963a : [278]-[287], [288 ?], [298 ?], [298a ?], [322] ;
Hofmann, 1981 a : 5.6.1 ; 5.6.5 (?)
(21) Hintze, 1963a : [289]-[292] ; Hofmann, 1981 a : 5.6.3.
(22) Hintze, 1963a : [203], [204] ; Hofmann, 1981 a : 5.4.8 ; 5.4.9.
(23) Hintze, 1963a : [205], [274], [275], [297] ; Hofmann, 1981 a : 8.1.

Références de Hintze, 1963a écartées :


relèvent de la description individuelle (voir Tableau 4) : [330], [331], [332] ;
relèvent de la filiation : [142a], [146a], [149], [190], [209]-[228], [257], [261]-[265], [301]-
[304], [313], [314], [326], [328] ;
relèvent probablement d’autres types de propositions (notamment des passages de nature
incertaine) : [148], [189], [254], [296], [333], [334], [334a], [336]-[339].
LES DOCUMENTS 119

Description relative

La description relative situe le défunt ou la défunte dans son environ-


nement familial, et peut-être clanique ou social, en indiquant le type de
relation qui les rattache à une (ou plusieurs) personnalité(s) nommée(s), que
nous appelerons ici « personnage référent ». Pour les femmes, qui possèdent
rarement des titres, elle constitue le plus souvent l’unique forme de
description.
Comme la description individuelle, elle se fait au moyen d’une phrase
sans verbe, comportant un syntagme nominal prédiqué par -lo(wi), éven-
tuellement -lebkwi, au pluriel, si plusieurs défunts associés dans le même
texte peuvent être caractérisés par une relation identique au même
personnage référent. Mais à la différence de sa contrepartie individuelle
étudiée ci-dessus, la description relative est constituée d’un syntagme
comprenant un substantif régissant (exprimant la relation de « parenté ») et
un groupe nominal régi en position de génitif antéposé (le personnage
référent). La traduction générale est donc :
X y-lo(wi) : « c’était le y de X »
ou X y-lebkwi : « c’étaient les y de X »,
où X représente le personnage référent et y le substantif indiquant la relation
de « parenté ». On voit que la structure est semblable à celle de la filiation
(voir supra, p. 100), ce qui semble logique, puisque cette dernière établit
aussi une parenté. Comme dans la description individuelle, le sujet
sémantique reste le défunt introduit dans la nomination.
Les structures attestées sont récapitulées dans le Tableau 5, p. 116. En
regard, sur la page suivante, figure une liste d’exemples tirés des textes, à
raison d’un par structure. Les correspondances avec la classification de
Hintze, 1963a et de Hofmann, 1981a sont données p. 118, en raison de la
lourdeur du tableau. Comme précédemment, et pour les mêmes raisons
(cf. p. 108), nous renvoyons pour l’ouvrage de Hintze à la numérotation des
exemples, et pour celui de Hofmann à celle des structures. Dans l’analyse qui
suit, les chiffres gras entre parenthèses renvoient à la numérotation des
structures dans le Tableau 5.
La composition des descriptions relatives est généralement plus complexe
et plus variée que celle des descriptions individuelles : notre tableau y
distingue ainsi vingt-trois structures au lieu de neuf dans le tableau
précédent. Deux éléments en effet s’y ajoutent : au choix, un déterminant ou
un anthroponyme qui précisent le personnage référent, et le substantif
exprimant la parenté. De plus, l’introduction de plusieurs personnages
référents en coordination est possible dans le syntagme régi, alors que dans la
120 LA LANGUE DE MÉROÉ

description individuelle, le syntagme prédiqué ne peut pas contenir plusieurs


caractérisations coordonnées, comme nous l’avons observé dans l’analyse
précédente. Enfin, il existe trois constructions alternatives qui ne s’accordent
pas avec le schéma général, et sur lesquelles nous reviendrons dans l’examen
des éléments : l’antéposition de l’anthroponyme devant le titre [structure (2)],
l’absence de déterminant et d’anthroponyme [structure (3)], et la
topicalisation des personnages référents [structure (23)].

L’ordre des éléments pouvant intervenir dans la structure majoritairement


représentée parmi les descriptions relatives est le suivant :
[± substantif régi ± apposition ou épithète ± génitif indirect ± locatif + anthroponyme
ou déterminant] + substantif régissant (« relation de parenté ») + prédicatif

Ici aussi, comme pour la description individuelle, la totalité des éléments


ne se retrouve jamais en une seule occurrence. Les plus lourdes structures,
(10) et (11), comportent tout de même six des sept éléments figurant ci-
dessus, mais ne sont représentées dans l’ensemble des textes que par les deux
exemples donnés dans le Tableau 5. Les structures comprenant cinq éléments
ne sont en revanche pas rares.
Les quatre premiers éléments correspondent exactement à la structure
générale de la description individuelle, sans le prédicatif final. Il s’agit en
effet de la caractérisation du personnage référent, superposable à la
caractérisation du défunt dans la construction précédemment étudiée. On ne
peut cependant, comme le fait Abdalla 1, l’assimiler d’emblée à la description
individuelle, en négligeant la suite de la structure, et notamment le substantif
régissant qui exprime la parenté et dont il dépend. Abdalla suppose
implicitement que l’expression ant Mnp-se-li « le/un prêtre d’Amanap », par
exemple, ne subit aucune modification si on la subordonne à une formule de
parenté du type stelowi : « c’était la mère de ». Or il semble que des chan-
gements apparaissent dans l’usage du déterminant lorsque le syntagme est
utilisé comme génitif (voir p. 511-512). Classer ces deux expressions sans
considération de la relation de parenté, comme le fait Abdalla (cf. Abdalla,
1994, p. 2 [1.2]), n’est donc pas pertinent.
Pour le détail de chacun des quatre premiers éléments (substantif régi,
apposition, génitif indirect et locatif, attestés dans les structures (7) à (21) du
Tableau 5), on pourra se référer à l’analyse qui en est faite dans la section
précédente (p. 108-109 et 112-115). La principale différence concerne la
présence du substantif initial, obligatoire dans la description individuelle,
mais facultative dans la description relative, puisque dans quelques rares cas,
un simple anthroponyme peut caractériser le personnage référent sans que

1
Abdalla, 1994, p. 2 et passim.
LES DOCUMENTS 121

soient précisés son rang ou sa fonction. Une autre particularité de la


description relative est de pouvoir comporter plusieurs personnages référents,
coordonnés par juxtaposition. On trouve ainsi quelques inscriptions (REM
0122 par exemple) où deux officiels possédant chacun des titres différents
sont cités dans la même proposition et dépendent du même substantif
régissant, ce qui suppose évidemment que le défunt avait la même relation de
parenté avec chacun des deux. Dans ce cas, nous n’en avons pas fait une
structure particulière dans le tableau, afin de ne pas multiplier des
combinaisons de titres dont le rapprochement n’était qu’accidentel. Il est plus
fréquent que le défunt soit situé par rapport à plusieurs groupes de
personnages référents ayant des titres semblables : voir dans le Tableau 5 la
structure (22).

Le cinquième élément (déterminant ou anthroponyme) est toujours


présent dans la structure générale. Le syntagme régi, qu’il clôt, doit en effet
comporter obligatoirement une détermination, aussi bien dans la construction
génitivale directe par antéposition comme ici, que dans la construction
génitivale indirecte 1. Cette détermination peut se faire au moyen du
morphème spécifique -l(i) ou par l’introduction d’un anthroponyme. Il peut
arriver que l’anthroponyme comporte lui-même un déterminant 2, mais il
s’agit alors d’un de ses éléments propres, qui ne participe pas de la structure
syntaxique de la description relative. Toutefois ce peut être une source de
confusion et quelques noms de personnes ont pu ainsi être pris pour des titres
par certains méroïtisants 3. Dans le cas d’hapax et en l’absence d’expansion
comme un génitif indirect ou un locatif, il est à peu près impossible de
distinguer un titre d’un nom propre comportant le déterminant.

L’absence fréquente d’anthroponymes dans la désignation du personnage


référent, y compris lorsqu’il s’agit de quelqu’un d’aussi proche qu’un
époux 4, ne va pas sans poser quelques difficultés, essentiellement d’ordre
culturel ou sociologique, auxquels peu d’études ont été consacrées. Le
problème rejoint évidemment celui de l’anthroponyme omis dans la filiation
paternelle, que nous avons évoqué dans les sections précédentes (cf. p. 100).
Il n’y a guère que Priese qui ait comparé les occurrences des titres dans les
descriptions relatives suivant qu’un nom propre les accompagne ou non
(Priese, 1979, p. 123-124 [2. 1. 4-5]). Un tableau statistique illustre sa
recherche : la présence de l’anthroponyme s’avère très fréquente pour les

1
Voir infra, p. 522 et 524.
2
C’est selon Hainsworth-Abdalla, 1981 le cas de 15 % des noms de personnes. Le
déterminant semble obligatoire (comme en français) lorsque l’anthroponyme comporte
une différenciation entre « l’aîné » (lƒ-l) et « le cadet » (mete-l).
3
Voir notamment Griffith, 1916a, p. 27 (à propos du mot Apoteye).
4
Voir Hofmann, 1977a, p. 219.
122 LA LANGUE DE MÉROÉ

charges élevées (peseto : 39/46, pqr : 18/22, beloloke : 18/19) et rare pour les
charges moindres (ant : 7/24, apote : 2/11, pelmos : 1/9). De plus, les titres
sont généralement accompagnés de noms lorsqu’ils ne désignent pas des
personnages contemporains des textes. Le résultat semble paradoxal : si l’on
comprend bien qu’il n’ait pas été nécessaire de préciser l’identité de
personnages importants et sûrement connus de tous, comme le peseto (vice-
roi) de Basse-Nubie contemporain, il est étonnant de constater que l’identité
de fonctionnaires apparemment subalternes, comme ceux qui portent le titre
de ant « prêtre », est laissée dans l’ombre, alors qu’il devait exister un bon
nombre de personnes partageant la même fonction. On ne peut croire que
dans ce dernier cas, le scripteur de l’épitaphe, en omettant le nom du
personnage référent, s’attendait à ce que l’éventuel lecteur le complétât de
mémoire. Une explication plus vraisemblable est donnée par Trigger, à la
suite de Millet :
« Millet 1 has recently presented evidence to show that titles alone may have been
sufficient to demonstrate the importance and social standing of the deceased,
because many of these were probably hereditary in particular lineages or at least
limited to a small number of lineages. » (Trigger–Heyler, 1970, p. 23 et note 55)

Il est en effet possible que cette partie de l’épitaphe ait eu en bien des cas
une fonction plus honorifique que véritablement informative. Quoi qu’il en
soit, ce détail pose une question d’ordre contextuel : à quel lecteur étaient
destinées les épitaphes ? Aux simples dieux, comme le laisserait croire
l’invocation initiale ? Aux descendants du défunt, éventuels desservants du
culte funéraire ? Ou à tout passant, à la manière de l’« appel aux vivants »
des stèles égyptiennes ?

Deux constructions atypiques doivent ici être signalées, qui impliquent


l’usage du déterminant ou de l’anthroponyme et ne s’inscrivent pas tout à fait
dans la structure générale de la description relative donnée ci-dessus. La
première, qui figure dans le Tableau 5 sous le n° (2), présente le personnage
référent par son anthroponyme placé devant le titre, lequel est alors très
logiquement suivi du déterminant. On ne la trouve de façon assurée que sur
deux stèles de Medik, REM 0088 (1 fois) et 0089 (4 fois), pour lesquelles
Hintze a proposé avec grande vraisemblance une influence de la syntaxe
égyptienne tardive 2 :

1
Il s’agit de la thèse non publiée Meroitic Nubia (Millet, 1968). Voir également Millet,
1981, p. 128.
2
Voir aussi Hofmann, 1981a, p. 166, qui cite l’hypothèse de Hintze et ci-dessous, p. 516.
LES DOCUMENTS 123

« Die eben erwähnte Struktur [...] ist nicht die normale Konstruktion der Appo-
sition bei P, die N + P ist 1. [...] Da hier in allen Fällen die P ägyptische Namen
sind und gerade in diesen beiden Texten auch sonst ägyptische Personennamen
vorkommen (also eine “meroito-ägyptische” Familie vorliegt), möchte ich bei
die-ser Form der Apposition einen Einfluß der ägyptischen Syntax vermuten,
denn die Apposition Name + Titel ist gut spät-ägyptisch. » (Hintze, 1979, p. 43
[4.7.3])

Il faut tout de même signaler que l’ordre : titre + anthroponyme, donné ci-
dessus par Hintze ne vaut que pour les textes funéraires. Dans les protocoles
royaux, l’anthroponyme précède généralement le titre. Mais sans doute faut-
il considérer que c’est le titre qui est alors apposé à l’anthroponyme et non
l’inverse. Dans les épitaphes au contraire, l’élément premier est bien le titre
du personnage référent et son nom, souvent omis, est une précision
facultative. La structure (2) paraît donc exceptionnelle et nous ne souscrivons
pas à la thèse d’Abdalla, qui, sous le nom de « Situation 3 : Apposition », en
fait une construction rare mais régulière (Abdalla, 1994, p. 9). On remarquera
d’ailleurs qu’il a été contraint, pour illustrer son propos, d’emprunter un
exemple à la stèle « historique » d’Akinidad (REM 1003), en dépit de la
restriction du corpus aux textes funéraires annoncée dans le titre et
l’introduction de son article.

La seconde construction atypique est signalée dans le Tableau 5 sous le


n° (3). Elle ne concerne que des descriptions très courtes : substantif régi +
substantif régissant + prédicatif, mais dans lesquelles, à la différence de la
structure régulière correspondante (4), le déterminant est apparemment
absent après le substantif régi. On trouve cette construction à Karanóg et
peut-être à Faras. Hintze, qui en donne 15 exemples (Hintze, 1963a, p. 15),
puis les réduit à 13 (Hintze, 1979, p. 44 [4.7.5]), ne cache pas son embarras
devant cette « structure problématique », promet une recherche future mais
décide de ne pas tenir compte de ces exemples dans son schéma syntaxique.
Semblablement, Hofmann les regroupe dans une section 5.11.3 intitulée
« Ausnahmen ». Elle y ajoute deux expressions des textes précédemment
cités pour leur syntaxe « égyptianisée », REM 0088 et 0089, où figure le titre
pelmos sans déterminant devant la relation de parenté yetmde. Mais il ne
s’agit probablement que d’une variante fautive de la structure (2), déjà elle-
même atypique, comme nous l’avons vu ci-dessus : pelmos suit chaque fois
un anthroponyme non signalé par Hofmann (REM 0088/4 et 0089/3), et le
déterminant aura été oublié par le scripteur, sans doute troublé par
l’originalité de la construction. Hofmann cite également deux passages paral-
lèles de Sedeinga (REM 1090 et 1116) qui ne différeraient que par l’absence
du déterminant dans le second : mdek : Mekelle-te(± l) : yetmde-lowi. En

1
La lettre N symbolise ici le substantif, et la lettre P l’anthroponyme.
124 LA LANGUE DE MÉROÉ

réalité, le linteau REM 1116 comporte bel et bien le déterminant, comme


nous avons pu le constater nous-même lors de l’exposition de cette pièce à
Paris en 1997 1. En fait, pour tous les exemples de la construction (3), force
est de constater qu’il n’existe jamais dans les épitaphes d’occurrences
parallèles où le substantif serait directement suivi du déterminant -l(i)
[structure (4)] 2. La liste des substantifs concernés de façon indubitable par
cette absence de déterminant est d’ailleurs très brève : on y trouve les titres
slƒs (5 fois), sente (1 fois), atos (1 fois), ssor-lƒ (« premier scribe », 1 fois),
qore (?) 3 (2 fois). Dans tous ces cas, nous soupçonnons un phénomène
phonétique 4. Dans d’autres, il est possible que ce que nous prenons pour des
substantifs ne soient que des anthroponymes. Enfin, quelques erreurs du
scripteur ou des signes érodés pourraient expliquer les cas restants.

Le sixième élément de la structure générale est le substantif régissant, qui


indique la relation sociale unissant le défunt au personnage référent. Il est
absolument obligatoire, puisqu’il constitue le noyau de la description
relative. Toutes les structures présentées sur le Tableau 5 en sont suivies,
bien que nous ne l’ayons pas fait figurer sur le schéma lui-même, tant par
souci de lisibilité que parce qu’il ne s’agissait pas d’un élément induisant une
différenciation entre structures.
Dans ses premiers travaux, Hintze avait considéré que le terme de parenté
avait une nature verbale, le prédicatif -lo(wi) étant selon lui une marque
participiale 5. Ainsi X kdite-lowi signifiait littéralement « étant sœur pour
X », et non, comme nous le pensons maintenant, « c’est la sœur de X » 6.
Cette idée reposait sur l’interprétation de -lo(wi) comme forme du
déterminant -l(i), et surtout sur le refus d’envisager qu’il puisse exister une
forme alternative de génitif par antéposition et sans morphème spécifique : le
personnage référent était considéré comme le complément d’objet d’un
« verbe de parenté ». Le parallèle avec les termes de filiation (voir supra,

1
Voir supra, p. 64 et note 3. Une bonne photo du linteau REM 1116 figure dans le
catalogue de l’exposition, voir Priese, 1997b, p. 262.
2
Mais on trouve au pluriel slƒs-leb (REM 0211) et sn(e)te-leb (REM 0287 et 0334), où le
-l- pourrait être purement graphique, et maintenu par désir de clarté (voir à ce sujet Rilly,
1999b, p. 85).
3
Dans qore dek-lowi, qui paraît être devenu un titre simple et qui figure au milieu de la
description individuelle en REM 0247 et 0520.
4
Il serait tentant d’y voir une assimilation de l’article après amuïssement de la voyelle
finale (voir p. 413) dans slƒs et atos, mais en ce cas la loi de Griffith aurait dû
s’appliquer et le résultat aurait été *slƒt et *atot.
5
Voir notamment Hintze, 1955, p. 371 et Hintze, 1963a, p. 15. Pour la structure de -lo(wi),
voir ici p. 545.
6
Dans une épitaphe inédite du Gebel Adda (GA. 30/8) apparaît l’expression kdite-lƒ-lowi :
« elle était la grande (?) sìur de... » (cf. Millet, 1981, p. 128), où la présence de l’adjectif
lƒ après kdite indique bien la nature nominale du terme de parenté.
LES DOCUMENTS 125

p. 100), qui semblent comporter des préfixes variables, encourageait


également cette interprétation. Cependant, il paraît peu vraisemblable que là
où la quasi-totalité des langues font usage de substantifs, le méroïtique n’ait
connu que des expressions verbales. De plus, les suffixes proprement
verbaux comme -‚e ou -b‚e (datif verbal) sont absents des descriptions, qui
comportent des suffixes propres qu’on ne retrouve pas dans les formes
verbales, comme -bese ou (a)qebese [possessifs, voir structure (23)]. Enfin,
la nature de -lo(wi) comme prédicatif avait été largement subodorée par les
méroïtisants. Tous ces éléments amenèrent Hintze à changer d’avis et à
considérer que les termes de parenté étaient bel et bien des substantifs, quitte
à conserver aux termes de filiation une nature verbale « nominalisée » :
« Bei Anerkennung der hier vorgetragenen Auffassung lie”en sich alle
Deskriptionssätze einheitlich als Nominalsätze erklären, deren wesentliches
Kennzeichen die Endung -lo(wi)/-lebkwi ist. (...) Die V-Ausdrücke [terme de
parenté] dieser Sätze sind teilweise ursprüngliche Nomina oder in einigen Fällen
nominalisierte Verben. » (Hintze, 1979, p. 59)

Cette conception a été reprise par Hofmann, 1981a, avec l’idée


relativement vague d’un « lien génitival » entre les deux membres nominaux
de la description relative 1. Il est toutefois possible que le terme yetmde, où
semble apparaître un préfixe ye / yet connu dans certaines variantes des
termes de filiation, soit d’origine verbale. Il se comporte cependant
syntaxiquement comme un nom.
Les substantifs exprimant une relation de parenté sont relativement
nombreux. Il serait plus juste de les appeler « substantifs exprimant une
relation sociale », car nous n’avons pas la preuve que tous possèdent une
connotation familiale. C’est certes le cas des mieux connus d’entre eux, et
auxquels Griffith, par l’examen des généalogies de Karanóg, a pu
progressivement attribuer un sens. Ainsi y a-t-il aujourd’hui consensus sur
sem : « épouse », kdite ou kdise : « sœur », ste : « mère », wi : « frère » 2.
En revanche, des divergences importantes existent sur la traduction du terme
« de parenté » le plus souvent attesté dans les textes, yetmde. Certains,
comme Macadam et Hofmann, y voient un rapport de protection, voire de
clientèle, d’autres, comme Hintze, une relation du défunt à un ascendant de sa

1
Voir p. 520-523 (génitif antéposé).
2
Hofmann fait justement remarquer que ces sens ne sont attestés que par rapport à un
référent mâle, puisqu’on ne trouve apparemment jamais dans les textes de femme comme
personnage référent (Hofmann, 1981a, p. 125). Aussi la plus grande prudence doit-elle
être appliquée dans ce domaine : nous avons vu dans la filiation (cf. p. 99) que l’enfant
d’une mère et l’enfant d’un père étaient désignés par un terme différent. Une langue aussi
peu exotique que le latin, qui distingue strictement dans son vocabulaire la tante
maternelle (matertera) de la tante paternelle (amita), alors qu’on les confond en français
sous le même mot, devrait nous mettre en garde.
126 LA LANGUE DE MÉROÉ

lignée maternelle 1. Enfin, la plupart des substantifs « de parenté » sont


représentés par quelques occurrences, voir une seule, ce qui interdit de leur
attribuer une valeur autre que spéculative.

Le dernier élément de la description relative, également obligatoire, est,


comme pour la description individuelle, le prédicatif : on a au singulier
-lo(wi), et au pluriel -lebkwi si plusieurs défunts, partageant la même stèle,
sont simultanément situés par rapport au même personnage référent, en
général par la relation yetmde (ainsi en REM 1024).
Une dernière construction n’entrant pas dans le schéma général donné
p. 120 doit être ici évoquée. Plus d’une vingtaine d’occurrences de cette
structure sont actuellement connues, mais la plus grande partie d’entre elles
se trouve dans les textes inédits du Gebel Adda. Elle figure dans le Tableau 5
sous le numéro (23) et consiste à rappeler plusieurs personnages référents par
un possessif pluriel placé à la suite du substantif de parenté, devant le
prédicatif 2. Elle se présente a priori comme une variante de la structure (22)
et on pourra comparer ces deux exemples particulièrement proches :

Structure (22) : pelmos-leb : apote-leb : yetmde-lo : (REM 0130)


« il était apparenté (?) à des généraux et des ambassadeurs »

Structure (23) : polmos-leb : apote-leb : ‚rp‚-leb kdite-bese-lowi (REM 1049)


« elle était sœur de généraux, d’ambassadeurs et de gouverneurs (?) »
(lit. « des généraux, des ambassadeurs et des gouverneurs (?), c’était leur sœur »)

Hintze parle de « Verstärkung des Genitivs » (Hintze, 1979, p. 60),


Hofmann pense à une simple particule devenue un possessif (Hofmann, 1981a,
p. 235). Aussi bien l’un que l’autre semblent embarrassés par l’aspect
redondant de ce morphème. La plupart des descriptions s’en passent aisément,
et il arrive à l’inverse que ce possessif, sous la forme de singulier (a)qese :
« son », « sa », soit utilisé dans les épitaphes pour la nomination d’un second
personnage par rapport à un premier cité (voir p. 98), sans que le nom de celui-
ci, déjà donné dans la nomination initiale, réapparaisse. La structure (23)
correspond donc à une nomination non prédiquée des personnages référents,
suivie d’une prédication de la parenté du défunt avec eux : on a ici
typiquement une topicalisation, correspondant à ce que les égyptologues
désignent sous le nom d’« emphase par anticipation » avec reprise du groupe

1
Pour un point actuel sur le débat, voir Hintze, 1999.
2
L’article qui a le premier étudié la compréhension de cette structure est celui de Millet et
Heyler en 1969. De nombreux exemples des textes d’Adda y constituent la seule partie
publiée des épitaphes de ce site.
LES DOCUMENTS 127

anticipé par un pronom de rappel 1. Qu’on compare ainsi ces deux exemples
égyptiens tirés du même texte, un conte du Moyen Empire :

vm,«m «a m ∆l<e pa
« ensuite le cìur de Sa Majesté fut rafraîchi » (Pap. Westcar 6.1-2)

vm,«m ∆l<e «a<e vÕ q cv-s ∆q<r


« ensuite Sa Majesté, son cìur tomba dans la tristesse à cause de cela » (ibid. 9.12)

Dans le second exemple, le possesseur du cìur (« Sa Majesté ») est


topicalisé, et représenté dans le rhème qui suit par le possessif. En
méroïtique, le même phénomène se produit dans la structure (23), mais il n’y
pas de déplacement du substantif puisque le type de génitif utilisé dans les
descriptions est antéposé, à l’inverse du génitif égyptien : seul l’usage du
possessif trahit donc la rupture syntaxique entre topique et rhème.
L’accentuation était sûrement à l’oral un indice supplémentaire, mais
l’écriture méroïtique n’avait pas les moyens de la noter 2.
Nous avons déjà interprété en ce sens certaines formules de nomination
(voir p. 98). La proposition est ainsi scindée en un topique (thème),
présentant les personnages référents, et un rhème contenant la prédication,
comme il apparaît clairement dans l’exemple du REM 1049 cité ci-dessus.

Bibliographie (les études de base sont indiquées en gras) :


Griffith, 1911a, p. 32, 38-41, p. 95-109 Index A et B ; Hintze, 1955, p. 371-372 ;
Trigger, 1962, p. 7-9 ; Hintze, 1963a, p. 1-29 et particulièrement p. 2-4, 6 ; Heyler,
1967, p. 112, 116-117, 119-120 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22-23, 49-51, 53 ; Priese,
1971, p. 275-285 ; Hintze, 1974a, p. 20-32 ; Hofmann, 1974a, p. 33-40, 45-46 ;
Hintze, 1976, p. 11-35 ; Hofmann, 1977a, p. 197-219 ; Haycock, 1978, p. 56-57, 64,
77 ; Hintze, 1979, p. 26-62 ; Hofmann, 1981a, p. 60-190, 217-235 ; Abdalla, 1994,
p. 1-15 ; Hintze, 1999, p. 232-236 ; Abdalla, 1999a, p. 409, 410, 412, 413.

1
Gardiner, 1957, p. 114-115 ; Lefebvre, 1955, p. 286-287 ; Grandet-Mathieu, 1997, p. 554.
2
Dans un exemple précédent de topicalisation au sein de la nomination, nous avions
observé (cf. p. 97-98) un usage systématique de la ponctuation entre topique et rhème,
contrastant avec la structure non topicalisée. Ici en revanche, la ponctuation ne nous est
d’aucun secours pour préciser le découpage syntaxique : elle n’est pratiquement jamais
omise après le génitif antéposé [structure (22) non topicalisée], et est toujours présente
après le topique dans la structure (23).
128 LA LANGUE DE MÉROÉ

Passages de nature incertaine

Dans une vingtaine de textes funéraires apparaissent, le plus souvent à la


suite de la description, des passages de nature incertaine, controversée dans
le meilleur des cas, totalement obscure, hélas, dans bien d’autres. Griffith le
premier, bien qu’il ne disposât que de la moitié du corpus aujourd’hui connu
et qu’il n’eût pas encore le recul nécessaire pour juger de la régularité de
toutes les structures, avait dès Karanóg repéré un passage d’un genre inha-
bituel en REM 0241, et l’avait rangé dans une catégorie spéciale qu’il
nomma « stele text » (Griffith, 1911a, p. 53). Le terme a été repris par Hintze
(Hintze, 1979, p. 42) pour la même épitaphe, puis par Hofmann qui paraît le
généraliser à tous les passages obscurs (Hofmann, 1981a, p. 14 et 268), ce
qui, nous le verrons, semble abusif. La plupart de ces textes figurent dans les
inventaires de ces deux auteurs sous la franche dénomination de « Unklares »
(Hintze, 1963a, p. 24-25 [8] et Hofmann, 1981a, p. 257-277 [10] 1).
Les fouilles de sauvetage de la Nubie immergée permirent dans les
années soixante la découverte de plusieurs textes comportant de tels
passages. Heyler forgea alors le terme de « stiches biographiques » (Heyler,
1967, p. 133, note 94), qui s’appliquait dans son esprit particulièrement aux
deux épitaphes de Tomas au nom d’Abratoye (REM 1088 et 1333 2), ainsi
qu’aux REM 1057 et 1066A. Mais il classe également dans cette catégorie le
texte obscur REM 1072 (Heyler, 1967, loc. cit. : « Schiff Giorgini dans Kush
XI, 1965, p. 126-127 »), ce qui là aussi semble une généralisation hâtive.
Enfin, Trigger, éditant les stèles d’Arminna et s’interrogeant sur la nature
d’un de ces passages obscurs en REM 1066A, le désigna sous le nom
d’« additional text ». Nous n’avons pas retenu ce terme pourtant pratique et
prudent, car il n’est pas sûr que tous les passages de nature incertaine
constituent un rajout, certains ayant probablement leur place dans la
description. En REM 1067, un autre passage obscur est qualifié plus
exactement d’« unclassified text ».
Après avoir réexaminé l’ensemble des extraits concernés, nous y avons
distingué cinq catégories : passages de type descriptif, formules d’ordre
cultuel (?), liste de présents, passages biographiques (?), « stele text ». Le
lecteur gardera cependant à l’esprit qu’en une matière aussi conjecturale et
rarement explorée de manière globale, nous ne pouvons rien présenter
d’assuré : cette étude ne peut être qu’un point de départ pour de futures

1
Hofmann y mêle toutefois les textes funé r aires aux ostraca et aux textes historiques.
2
Voir Heyler-Leclant, 1969, p. 382-383.
LES DOCUMENTS 129

recherches. Elles devront se faire à la lumière de nouvelles connaissances


éventuellement acquises sur d’autres genres de textes, abordés dans les
sections suivantes, et auxquels s’apparente la majorité de ces passages
obscurs : stèles historiques, ostraca numériques, proscynèmes, « inscriptions
de travaux ».
Vingt-cinq textes sont ici concernés, mais certains présentent plusieurs
passages, parfois séparés, parfois continus, qui, bien que semblablement
obscurs et apparaissant sur la même pièce, semblent relever de catégories
différentes. Trois de ces documents, REM 1072, 1116 et 1333 sont
majoritairement composés de tels passages, et on peut se demander dans
quelle mesure on doit encore les appeler des épitaphes. Nous les avons
néanmoins classés dans cette section, soit parce qu’ils présentaient une
nomination univoque, comme REM 1072, soit parce qu’ils semblaient
constituer la suite de textes funéraires connus par ailleurs : REM 1116 fait
suite à REM 1090 ou 1091, et REM 1333 complète apparemment la table
d’offrandes REM 1088.
Des difficultés de lecture apparaissent fréquemment, qui compliquent
encore davantage la tâche de repérage d’éléments connus : contrairement à ce
qu’on trouve dans les formules habituelles, le vocabulaire ou la morphologie
ne se prêtent en effet que difficilement à la comparaison avec d’autres textes
et ne permettent guère de lever certaines ambiguïtés graphiques.
La tentation était forte de différencier ces passages obscurs selon la
présence ou l’absence de propositions terminées par le morphème -lo(wi).
Nous avons vu précédemment le rôle prédicatif de cet élément dans la
réalisation de phrases nominales au sein de la nomination et des descriptions.
Cependant, il est presque certain que -lo(wi) entre également dans la
construction de formes verbales périphrastiques ou auxiliées (voir p. 554). De
plus, il semble que dans quelques cas, on puisse trouver des formulations
semblables incluant ou omettant à loisir cet élément (voir infra, REM 1067,
p. 138). Aussi avons-nous essayé de multiplier les critères de classement : place
des passages obscurs dans l’épitaphe, présence de chiffres, d’anthroponymes
identifiables en tant que tels, communauté de lexique. Malgré ces
précautions, même le classement proposé demeure hautement conjectural.
Contrairement à la précédente étude des descriptions « classiques », les
passages sont ici cités in extenso et traités un par un. Il n’était en effet pas
possible d’appuyer une analyse aussi délicate et nouvelle sur des
considérations générales. De plus, une éventuelle reprise critique de
l’ensemble s’en trouve facilitée. Enfin, le nombre limité de ces passages et
leur peu d’étendue permettaient une citation complète.
130 LA LANGUE DE MÉROÉ

Passages de type descriptif

Quatorze textes offrent des passages incertains que l’on peut de manière
hypothétique grouper dans cet ensemble. Une des difficultés principales tient
ici à l’utilisation de termes de parenté (ou au moins de lien social) que nous
ne savons comprendre ni même caractériser de manière approximative. Ils
sont en effet rares ou n’interviennent pas dans des familles connues ou bien
représentées, ce qui nous interdit de préciser leur sens à partir d’une enquête
généalogique, comme Griffith a pu le faire à Karanóg pour les liens
élémentaires de parenté. Dans d’autres cas, la structure syntaxique se dérobe,
notamment parce qu’il est possible qu’y apparaissent des propositions non
plus nominales, comme dans les descriptions classiques, mais verbales, pour
lesquelles nos lumières sont encore trop faibles.

Le premier document concerné est REM 0089, où après la nomination et


la description relative d’un dénommé Wayekiye, on trouve aux lignes 10-13 :
plsn : qbne-se-li : penn 5-ni : yeteke-lo
sor : qorodeli : yroƒete-lo :
penn : 34-ne-kw : ‚teke-lo

Cette inscription a été analysée longuement par Griffith dans ses


premières « Meroitic Studies » (Griffith, 1916a, p. 25-28). Elle présente en
effet la particularité d’offrir de nombreux points de recoupement avec trois
proscynèmes démotiques : Dakka 29, Philae 410 et 421, où sont détaillés les
titres et les compétences des membres d’une famille de prêtres et astronomes
de la région de Philae. Le dernier des trois est justement celui d’un Méroïte
appelé en démotique Wygy3 (= Wayekiye), qui termine sa supplique à Isis
par ces mots : « écrit par le prophète de Sothis dans (?) l’aller et la venue de
la Lune, prêtre des 5 étoiles vivantes, archimage du roi de Koush » 1. Il n’est
pas sûr qu’il s’agisse du même Wayekiye que de celui de REM 0088, mais
on est en droit de penser qu’il s’agit d’un membre de la même famille 2.
Aussi Griffith a-t-il proposé la traduction hypothétique suivante pour les
lignes citées précédemment :
« chief-priest of Qabañ [Sothis ?], reckoning (?) the rising of the 5 stars, sheikh (?) of
the royal book ; determining the rising of the 34 stars. » (Griffith, 1916a, p. 26)

1
Traduit d’après la transcription de Burkhardt, 1985, p. 119-120.
2
Voir Burkhardt, 1982 et Burkhardt, 1985, p. 89-96.
LES DOCUMENTS 131

Cette interprétation, sans doute beaucoup trop optimiste, n’a été reprise ni
par Hintze ni par Hofmann, qui tous deux rangent ce passage dans la
catégorie « Unklares » (Hintze, 1963a [189], [334], [334a] 1 ; Hofmann,
1981a 10.3 [488] et 10.4 [499]). Malgré les problèmes lexicaux relevés par
les uns et les autres, la thèse de Griffith ne peut être écartée en totalité, en
raison des similitudes troublantes entre les proscynèmes cités et REM 0089.
De plus, ce type de description tout à fait inhabituel par rapport au schéma
traditionnel ne serait pas si surprenant dans une épitaphe dont nous avons
déjà pu constater l’originalité, jusque dans la syntaxe, peut-être sous
influence égyptienne (cf. p. 122-123). Cependant, la construction de la
première proposition rappelle de très près les descriptions relatives : un titre
connu (plsn : « lesonis 2 ») affecté d’un génitif qui peut représenter une
divinité (qbne-se) et du déterminant -li est placé sous la dépendance d’un
mot, yeteke, que suit le prédicatif -lo, à l’instar des termes dits de « parenté ».
Le groupe penn 5-ni est peut-être un circonstant, et c’est ainsi qu’il est
interprété par Millet qui « traduit » cette proposition par « he performed-the-
office-of (?) the lesonis (for) five years » (Millet, 1977, p. 322). La seconde
proposition pourrait elle aussi constituer une description, à condition que sor,
comme le suppose Hofmann (loc. cit.), soit un titre, et non un substantif
signifiant « livre » 3. Cependant le complexe final y[i]roƒete-lo apparaît
dans d’autres textes comme un élément verbal : si nous avons ici affaire à
une description, elle utilise des moyens syntaxiques totalement différents de
ceux que nous avions précédemment listés dans les Tableaux 4 et 5.
En REM 0129 (stèle de Faras), figurent deux passages obscurs. Le
premier 4, aux lignes 5-6, apparaît au milieu de la description individuelle du
défunt, un notable important, aux titres nombreux (qorene, womnise, ssimete)
nommé Mlowitr :
apotelw : qorete : mƒeyose-l : nte : yd.[.]„s‚y¡i : yetek…-lo

On retrouve, comme dans le texte précédent, la séquence yeteke-lo et


quelques titres reconnaissables : apote : « messager », mƒeyose, dérivé
probable de mƒe : « abondant (?) », dont la formation n’est pas sans rappeler
le titre sacerdotal mloyose (et var.), dérivé de mlo : « bon » et bien attesté, et
peut-être nte s’il s’agit d’une variante du titre nete, connu à Sedeinga 5.
Malheureusement, les autres éléments ne sont pas clairs, notamment le
déterminant de apote ici sous la forme -lw, actuellement non élucidée,

1
Hintze y lit la première proposition : plsn : qbne-se-li : penn 9 ¤ni yeteke-lo. L’endroit
est abîmé sur la stèle.
2
Ce titre, transcrit du grec λεσωνις (< ég. mr-šn), désigne l’administrateur d’un temple.
3
La traduction par « livre » possède néanmoins de sérieux atouts.
4
Griffith, 1912, p. 55 ; Hintze, 1963a [338] ; Millet, 1977, p. 321 ; Hofmann, 1981a [500].
5
REM 1234 ; cf. Rilly, 2000b.
132 LA LANGUE DE MÉROÉ

l’identification de qorete, et la séquence abîmée avant yeteke-lo 1. Cependant


la place du passage et les repères lexicaux indiqués ci-dessus permettent de
penser qu’on a ici affaire à une proposition de type descriptif, sans qu’on
puisse affirmer si elle est de type individuel (opinion de Millet, cf. note 4,
p. 131) ou relatif.

Le second passage intervient quelques lignes plus loin (8-9), entre la


description individuelle et relative, mais il est tellement endommagé que les
lectures diffèrent d’un auteur à l’autre 2 :
Griffith, 1912, p. 54 : ¢‡[.]ƒd‚[.]y : „kiloŒkri.wdi : k‚ƒ‚sel§ ƒ..se : s¢kelowi
Heyler (REM) : ¢oƒd‚[.]y : akilo Œkri.wdi : k‚s‚se§ ™..se§ ›¢kelowi
Hintze, 1963a [339] : ›yƒne‚[.]yo : akilo pkri..wdi : k‚ƒsel : ƒ..se : sqkelowi

Pratiquement aucun élément n’est reconnaissable. Peut-être dans la


succession Œkri a-t-on la variante pkr (REM 0402) du titre connu pqr :
« prince (?) ». Semblablement, la séquence -‚s‚se-, pour autant que cette
lecture soit avérée, est attestée à Qasr Ibrim où elle représente une divinité
inconnue 3. Ces deux indices fort ténus, ajouté à la place du passage et à la
formulation en -lowi 4, suggèrent une description relative, sans plus de
certitude.

Le passage suivant est tiré de REM 0132, une stèle provenant


probablement aussi de Faras et au nom d’un certain Wyeteye, qui porte le
titre administratif de ‚lbine adblise. Les lignes 4-7 comportent, à la suite de
la description individuelle, ces deux propositions 5 :
mlekye : ‚lbine yitkite-lo :
pelmos : Tni ntke-lo :

1
Lue différemment par Millet, 1977, p. 321 : yd.‚•-s‚i-ni.
2
La photo de Griffith, 1912 (pl. XLII) ne nous a pas permis de meilleure lecture, pas plus
que le cliché pris récemment par le British Museum pour le REM (Leclant et al., 2000,
p. 288), l’état de la pierre s’étant encore dégradé depuis 1912. En désespoir de cause, le
fac-similé de Griffith (op. cit. pl. XLIII) reste la source la plus sûre.
3
REM 1183, voir Priese, 1997c, p. 268 qui pense à un emprunt égyptien signifiant « le
Danseur » : ce serait le dieu Bès.
4
Le lexème sqke pourrait être une variante d’un obscur substantif seqk apparaissant en
REM 1333, ligne 6, et suivi d’un élément -neyi comme certains titres élevés (qore :
« souverain », ktke : « Candace » ou ‚rp‚ne : « gouverneur [?] ») dans les formulations
des textes dits « historiques ».
5
Brièvement étudié par Griffith, 1912, p. 57 ; Hintze, 1963a [253], [320] ; plus détaillé
chez Hofmann, 1981a §10.3 [493], § 10.4 [511].
LES DOCUMENTS 133

La structure appartient peut-être à la description relative. Les titres mlkye


(et var.) 1, ‚lbine et pelmos : « stratège » sont attestés par ailleurs. C’est
l’identification des formules « de parenté » qui fait défaut, puisqu’il s’agit
d’hapax. Si yitkite est obscur, le terme tkite, procédant probablement de la même
racine, est connu : il pourrait désigner selon Hofmann une « belle-sœur (?) ». Le
lexème ntke- ou ntki- est fréquent et désigne un don de la divinité aux
membres de la famille royale. La première proposition entre peut-être dans le
cadre de la structure II (8), mais l’absence du déterminant pose problème 2.
La seconde s’inscrirait plus aisément dans la structure II (6).

La belle stèle funéraire REM 0247, retrouvée à Karanóg, porte le nom de


¬witror, un vice-roi de Basse-Nubie (peseto Akine-te). Elle comporte au
milieu de la description relative la proposition de sens obscur suivante (lignes
11-12) :
kdi : akw : knw : ‚tekke Sdes-te-l : mtese-lo

Il s’agit très clairement d’une description relative : les deux propositions


suivantes, de construction plus claire ont le même terme final mtese-lo, une
formule de parenté de sens controversé, mais sans doute reliée à mte :
« enfant » 3. Le reste de la proposition est de structure incertaine, et Hintze
l’a classée comme « unklar » (Hintze, 1963a [337]). On reconnaît le terme
kdi « femme », et un probable toponyme Sdes (Saras ?), mais c’est à peu près
tout.
La table d’offrandes REM 0254 est originaire de Karanóg et appartenait à
une femme nommée Pine¤†be ou Pine¤•be. Comme la quasi-totalité des
défuntes, elle ne dispose que d’une description relative où apparaît (lignes 7-
11) la proposition suivante 4 :
womnise kroro Áninenˆ‹†• yet‚etel[i] kdise-lowi :

La difficulté tient ici à l’identification de la séquence yet‚etel[i]. Griffith


en fait sans assurance un nom de personne, qui se rattacherait on ne sait
comment à l’anthroponyme précédent. Hintze et Heyler (dans le REM)
pensent à un locatif Yet‚e-te-l[i] : « (celui à) Yetkhe », mais on n’a pas
d’exemple avéré de toponyme précisant un nom de personne. Hofmann opte
pour une forme verbale sur la racine t‚, connue comme verbe dans les
1
Le terme mlekye est parfois considéré comme un anthroponyme (Millet, 1982, p. 79-81).
2
Voir p. 123 pour l’absence du déterminant -l (-le ici ?), peut-être ici réduit par une
assimilation progressive au lieu de l’assimilation régressive, plus habituelle avec les
composés en -ne.
3
Pour ce passage, voir Hofmann, 1981a, p. 232 [460].
4
Voir Griffith, 1911a, p. 63, p. 148 (fac-sim.) et pl. 11 (photo) ; Hintze, 1963a [312] ;
Hofmann, 1981a § 10.3 [490].
134 LA LANGUE DE MÉROÉ

formules de bénédiction C, D, G, J et en REM 0101. La présence ici du


préfixe (?) ye(t) semble lui donner raison 1. La succession yet‚etel[i] kdise
constituerait ici un syntagme indiquant un lien de parenté plus élaboré que le
simple kdise « sìur ». Quoi qu’il en soit, on a bien affaire à un élément de
la description relative, où la défunte est située par rapport à un personnage
référent nommé Áninenˆ‹†•, et exerçant la fonction de « prêtre princier (?)
d’Amon (?) ».

Une autre table d’offrandes de Karanóg (REM 0278), celle d’un peseto
Akinete (« vice-roi de Basse-Nubie ») nommé Netewitr comporte, à la fin de
la description individuelle et avant une unique formule de description
relative, la proposition obscure suivante (lignes 12-15) :
nbr : wne-li : ip‚ete-lo : wi

Hintze, 1963a [127], à la suite de Griffith (Griffith, 1912, p. 66) y voit un


titre composé que suivrait un toponyme au locatif Ip‚e-te 2. Il s’agirait d’une
description individuelle. Mais la présence de l’article -li est alors incom-
préhensible. Plus tard, en désespoir de cause, il regardera cette construction
comme éventuellement fautive (Hintze, 1979, p. 44 ú 4.7.4). Hofmann
considère ip‚ete-lo : wi comme une forme d’un verbe p‚ fréquent dans les
textes royaux (REM 1041, 1044). Elle a probablement raison. Les premiers
mots représenteraient selon elle, soit des titres, soit des « objets concrets
susceptibles d’être consacrés » (Hofmann, 1981a ú 10.3 [491]). Le mot nbr 3
intervient en REM 1182 dans un contexte où il pourrait désigner une matière,
peut-être l’or. Le passage obscur de REM 0278 est peut-être alors une
proposition verbale 4 où sont développées les responsabilités du vice-roi de
Basse-Nubie dans le commerce du métal précieux qui était notamment extrait
des mines du Wadi Allaqi. Bien qu’éloigné syntaxiquement des formules
habituelles de description individuelle qui font usage de propositions
nominales, ce passage s’y inscrirait donc sémantiquement, comme semble
aussi l’indiquer sa situation au cœur de l’épitaphe.

La table d’offrandes REM 0521, originaire de Faras, est apparemment la


plus ancienne 5 à présenter une section descriptive. Particulièrement étendue,
cette partie de l’épitaphe ne comprend pas moins de quatre passages obscurs,
1
Voir REM 1090 et 1116, p. 139.
2
Faussement translittéré Yip‚e par Hintze.
3
Le nubien moderne a nobr‘ (kenuzi), naubr‘ (dongolawi) pour l’« or », peut-être un
emprunt à l’égyptien nbw via le méroïtique. En revanche, le vieux-nubien µap- /Ñab/ et
le nobiin nab ne présentent pas le -r final du méroïtique, peut-être amuï comme souvent.
4
Voir p. 554 pour l’utilisation éventuelle de -lowi non comme copule à rôle prédicatif dans
les phrases nominales, mais comme auxiliaire de formes verbales.
5
Voir p. 106 et note 1.
LES DOCUMENTS 135

dont deux, le premier et le dernier, semblent relever de la description et sont


donc étudiés ici. Les deux autres seront évoqués ultérieurement 1. Le défunt
commémoré est un autre « vice-roi de Basse-Nubie » nommé ¬ll‚ror. Le
premier endroit concerné intervient après la description individuelle, aux
lignes 11-17 :
wyekite witkw : sor : dlitwketeite-lo :
akilikw : ⤠rimli : yireke-lo
itebereke : st’i yiwdke-lo

La première proposition a été considérée par Griffith comme nominale :


elle présenterait un titre composé wyekitewitkw : sor, suivi d’un toponyme
au locatif dlitwketei-te (Griffith, 1922, p. 581). La même analyse est reprise
par Hintze (Hintze, 1963a, [126]), qui décompose hypothétiquement le
premier segment en deux éléments : wyekite et witkw. Le premier mot est
connu par quelques occurrences en contexte obscur. En REM 0406A, il
apparaît en parallèle avec des titres connus comme ssimete ou ttne, ce qui
laisse supposer qu’il puisse s’agir également d’un titre. Hofmann parle pour
cette première proposition d’un « complexe incompréhensible » (Hofmann,
1981a, ú 10.3, p. 270). Le terme sor pour lequel une signification « livre » a
été avancée, apparaît en REM 0089 (voir ici p. 131 et note 3). Une autre piste
n’a pas été explorée : cette proposition ainsi que le début de la suivante
rappellent certaines descriptions où un titre est conféré, non en un lieu
particulier, mais sur une étendue entre deux localités 2. On peut ainsi
comparer :
tbqo : Akile-kw dik : Twete-l : ytise-lo (REM 1333, ligne 19)
« il était tbqo depuis le nome (?) 3 de Basse-Nubie jusqu’au nome (?) de Twete »

wyekite wit-kw : sor : dlitwkete-ite-lo : (REM 0521, découpage hypothétique)

On ne peut évidemment faire plus qu’évoquer une possible proximité :


trop d’inconnues subsistent pour résoudre une telle équation, et notamment le

1
Cf. p. 149-151.
2
Voir p. 114.
3
Notre traduction repose sur la segmentation de Akile en Akine-le (avec assimilation
régressive) : le déterminant n’apparaît en effet jamais après le nom d’une localité. Nous
supposons que c’est donc le territoire qui est ici désigné, et étendons le même principe au
toponyme obscur Twete (nom du nome de Sedeinga, de l’ég. T3-w3d, nome de Nubie cité
dans la liste du temple de Philae ?). Notons que le même phénomène pourrait expliquer
l’usage du déterminant dans le terme connu Arome-li, qui désignerait alors « l’Empire
romain » et non « Rome » elle-même ou, comme il a été supposé, « le Romain ».
136 LA LANGUE DE MÉROÉ

parallèle entre sor, considéré jusqu’ici comme un substantif, et dik, qui


semble bel et bien une postposition ou un adverbe 1.

La deuxième proposition a été considérée, tant par Griffith (loc. cit.) que
par Hintze (Hintze, 1963a [254]) ou Heyler (REM), comme une formulation
de parenté (yireke-) avec un personnage référent nommé ¬rimli, portant le
titre de akilikw. Hofmann, qui parle à propos de ce passage de « phrase
incompréhensible », le range à juste titre dans son chapitre « Unklares ». Elle
relève la ressemblance entre akilikw et le toponyme Akile qui apparaît en
REM 1333 (voir page précédente). Nous pensons que ce nom n’est autre que
le nom de la Basse-Nubie, Akine, combiné avec le déterminant tardif -le, qui
a absorbé par assimilation régressive la syllabe finale du toponyme :
Akine-le > Akile. En REM 0521, le même phénomène s’est produit avec la
forme classique du déterminant, -li : Akine-li > Akili. Le suffixe -kw semble
indiquer le point d’origine : « de », « depuis ». Quant à ‚ § rimli, qu’il faut
sans doute lire ‚rimli, c’est un terme qui apparaît, comme le relève Hofmann,
dans les graffiti de Kawa REM 0610, 0633, 0659 (Hofmann, 1981a, p. 252).
Or la différence de ductus entre REM 0610 et REM 0659 laisse supposer
plus d’un siècle entre les deux inscriptions, ce qui semble exclure qu’on ait
affaire à un anthroponyme 2. D’autres éléments de ces graffiti se rapprochent
d’ailleurs du passage cité de REM 0521 : on trouve ainsi mnebereke en REM
0610 et 0633 face à itebereke en REM 0521, [...]ereke-lo en REM 0659 face
à yireke-lo en REM 0521. Malheureusement, les inscriptions de Kawa sont
trop obscures pour nous éclairer davantage. Elles permettent en tout cas
d’infirmer l’interprétation de Griffith et de Hintze : la deuxième proposition
du passage de REM 0521 n’est pas une formulation simple de description
relative. Elle commence par un complément de lieu, et prolonge donc peut-
être la première proposition dans le cadre d’une description individuelle, où
apparaît le nom d’Akine, « Basse-Nubie », dont le défunt était « vice-roi ».
La dernière proposition semble bien relever de la description relative, et a
été rangée dans cette catégorie par Hintze, 1963a (ex. [255]). Les incertitudes
qu’on y relève tiennent pour l’essentiel à notre méconnaissance du
vocabulaire. Le premier terme itebereke est généralement considéré comme
un titre composé 3. Le mot suivant s¤ni pourrait alors être un anthroponyme.
L’expression finale yiwdke-lo rappelle une épithète d’Horus en REM 0407,
ywid, à laquelle Griffith avait attribué un sens hypothétique « enfant »
(Griffith, 1911b, p. 66, 67). Si les deux mots participent effectivement de la
même racine, une relation de parenté serait envisageable pour la proposition

1
Voir p. 536.
2
On constate en effet une extrême diversité des noms de personnes méroïtiques, à
l’exception de quelques rares exemples auxquels n’appartient pas ce mot.
3
Voir la courte étude de cette proposition par Hofmann, 1981a, p. 276 [508].
LES DOCUMENTS 137

obscure de REM 0521, et elle entrerait dans le cadre d’une structure de


description relative du type II. (6).

Le second passage énigmatique de REM 0521 que nous puissions classer


ici apparaît aux lignes 28-29, après la bénédiction finale :
qetede-li : yedeykete-lo
Hintze pense avoir ici affaire à une formule de description individuelle où le
titre serait suivi du déterminant -li, puis d’un toponyme au locatif (*Yedeyke-
te : voir Hintze, 1963a, ex. [120]). Mais on aurait *qetede Yedeyke-te-lo dans
ce cas (structure I. [9]), le locatif n’étant jamais séparé du substantif qu’il
précise par un déterminant 1. Hofmann, qui a d’abord suivi Hintze (Hofmann,
1981a, 5.3.4.[170]), s’est ensuite ravisé et a reclassé à juste titre cette
proposition dans sa section « Unklares » (op. cit. 10.3 [492]). En fait, la
formulation rappelle tout à fait le passage obscur de REM 0278 étudié
précédemment (voir note 1 ci-dessous). Ce pourrait être ici aussi une
proposition verbale, terminée par une forme auxiliée en -lo, et dont qetede-li
serait le complément d’objet 2. C’est ce parallèle qui nous décide à classer le
passage comme descriptif, sans qu’on puisse préciser davantage. Il n’est
cependant pas impossible qu’on ait affaire à une catégorie inédite de
bénédiction en raison du terme qetede-li (voir ci-dessous note 2) et de la place
du passage en fin d’épitaphe, mais on ne connaît pas de bénédiction comportant
l’élément -lo.

La table d’offrandes REM 0532 de Faras présente une inscription assez mal
conservée, où apparaît aux lignes 4-6, entre filiation et bénédiction, le passage
obscur suivant :
3
[...]‡r : mloy… § s¤mok : t‘ite : Pƒrse-te-le : tkite-lowi :
Hintze (voir ci-dessous note 1) songe ici à une description relative où le
défunt serait en relation tkite avec un personnage référent identifié par son titre
composé suivi d’un locatif (Pƒrse-te : « à Faras »). Il reviendra plus tard sur
cette structure pour indiquer que le locatif doit selon lui qualifier en facteur
commun deux titres différents plutôt qu’un titre composé (Hintze, 1979, p. 44).
Hofmann (voir ci-dessous note 3), bien qu’elle range ce passage dans le chapitre
« Unklares », est d’avis que le lexème tkite désigne une relation de parenté entre

1
Voir l’analyse de REM 0278/12-15, p. 134 pour un problème identique.
2
Une offrande nommée eqete apparaît dans une formule de bénédiction (REM 0832B/3-4).
3
Il s’agit de la lecture du REM, fondée essentiellement sur l’étude de la stèle par D. Meeks
au British Museum (Meeks, 1972, p. 27), et reprise par Hofmann, 1981a, p. 272 [494]
(attribuée faussement à REM 0521). Griffith, 1925a (p. 588), suivi par Hintze, 1963a (ex.
[293]) donne : [...] : mlo[..] : y[.] ƒmk : Pƒrse-te-lowi. L’examen d’un cliché récent
du British Museum (REM p. 884) ne permet pas de se prononcer.
138 LA LANGUE DE MÉROÉ

femmes. On ignore si le personnage commémoré en REM 0532 est une défunte,


mais rien ne s’y oppose. Quoi qu’il en soit et malgré les divergences de lecture,
le passage entre très vraisemblablement dans le cadre d’une description relative.
Sa place dans l’épitaphe semble d’ailleurs en offrir confirmation.

La stèle REM 1067 d’Arminna, dont une large portion supérieure est
perdue, offre un très long passage initial obscur (lignes 8-12) que Trigger,
éditeur du texte, a rangé sous le titre d’« unclassified text » (cf. Trigger–
Heyler, 1970, p. 38). Cette partie précède la description relative classique :

apote : adoye apote : qe˜ [...] yeteyitke :


aprse [symbole inconnu] 2 yerote : qori[se-li : ] tbrke :
dpri : awtose-li tbrke :
aprse : a[?]tose : atoli : aƒl… : tbrke :
dmrke : awtose-li : tbrke :

La séquence yeteyitke qui termine la première proposition apparaît suivie


de -lo(wi) en REM 1090 et 1116 (voir p. 139) dans un autre passage obscur
de type descriptif. Il semble qu’ici cet élément, qu’il s’agisse du prédicatif ou
d’un auxiliant verbal, ait été omis pour des raisons qui nous sont pour le
moment impénétrables. Mais on peut penser qu’il s’agit tout de même d’un
passage descriptif 1. Comme l’indique Trigger (loc. cit.), on peut
difficilement imaginer un texte de type narratif en raison de la structure
fortement répétitive du passage. De plus apparaissent quelques titres connus
ou reconnaissables (apote : « envoyé », suivi probablement au début d’un
anthroponyme, yerote qorise : « yerote du roi »). Enfin la place du passage
avant la description relative invite également à y voir une forme de
description individuelle, d’un genre moins stéréotypé cependant que celles
auxquelles nous sommes habitués : on relèvera par exemple la présence d’un
numéral, comme en REM 0089 (cf. p. 130-131) et d’un symbole inconnu
désignant peut-être une unité de mesure 2.
La description relative qui suit dans le même texte comporte un grand
nombre de propositions terminées par yetmde-lo, sept en tout, et une
terminée par wi-lo : « c’était le frère de », qui nous permet de savoir que le
défunt était de sexe masculin. La toute première de ces propositions (lignes
12-13) est cependant d’une structure plus complexe que celle qu’on
rencontre d’habitude :

1
Voir également Hofmann, 1981a, p. 273, 10.4 [497]. Les stèles d’Arminna, découvertes
au moment de la publication de « Struktur der “Descriptionssätze” » (Hintze, 1963a), ne
pouvaient évidemment y être étudiées.
2
Trigger–-Heyler, 1970, p. 40 et note 115. Voir ci-dessous, p. 358.
LES DOCUMENTS 139

mlekye pelmesite-li : Tmne : yiroƒete-l : yetmde-lo

Hofmann suppose ici une faute sur la place du toponyme connu Tmne. Le
texte correct serait selon cette hypothèse : * mlekye pelmesi : Tmne-te-li :
yiroƒete-l : yetmde-lo. On aurait donc une structure du type II (11), avec un
titre composé mlekye pelmesi où le second élément devrait être une forme de
pelmos « stratège ». De plus, la formule de parenté serait ici complexe et
comprendrait deux éléments : yiroƒete 1 et yetmde, un peu comme dans les
rares exemples de filiation croisées 2 (cf. p. 102). En fait l’accumulation des
difficultés syntaxiques et des incertitudes lexicales nous fait renoncer pour
l’instant à l’espoir de comprendre cette proposition inextricable, mais qui a
clairement sa place dans la description relative en raison du terme yetmde.

Parmi les textes retrouvés à Sedeinga, les plus intéressants sont sans
conteste les épitaphes d’un puissant personnage nommé Netemakher. Sa stèle
REM 1090 et un seuil funéraire inscrit, REM 1116, comportent deux
passages très proches, également obscurs :

REM 1090 (l. 14-16) : [ari]bet : [wete-]¤…-li : yete[yi]¤¡e-lo :


[tweteli : ad]‹l† § ‚rp‚eb-lo
REM 1116 (l. 2-3) : aribet : wete-te-li : yeteyi¤¡e-lowi :
tweteli : adbli : yit-‚rp‚i-lowi

La première proposition comporte un titre connu, aribet, suivi


probablement d’un toponyme au locatif (wete pour Twete ?) 3. Le terme final
est manifestement le même qu’en REM 1067/9 (voir analyse ci-dessus), mais
suivi cette fois de l’élément -lo(wi). Une forme verbale auxiliée semble donc
la plus vraisemblable, et on aurait donc affaire à une description individuelle,
plutôt qu’à une description relative où, nous l’avons vu, le lien avec le
personnage référent se fait au moyen d’une construction nominale.
La seconde proposition, difficile à décrire syntaxiquement, offre
cependant un sens presque transparent : le défunt est mis en relation avec
deux lieux coordonnés, Twete, un toponyme connu par ailleurs (nome de
Sedeinga ?), et adb, qui semble désigner une « terre » ou une « province »,
par un terme clairement relié au titre ‚rp‚ne : « commandant »,
« gouverneur ». Il s’agit donc probablement d’une description individuelle
où était rappelé le pouvoir du défunt sur un certain territoire. Cependant, les

1
Ce mot apparaît également dans les « textes oraculaires », voir p. 216.
2
Hofmann, 1981a, p. 170, 10.3 [489].
3
Cf. Hofmann, 1981a, p. 273 10.4 [496a et b].
140 LA LANGUE DE MÉROÉ

termes finals ‚rp‚eb-lo ou yit-‚rp‚i-lowi semblent de nature verbale 1, le


premier en raison d’un élément de suffixe verbal pluriel -b- (reste après
assimilation ? Voir p. 568 et note 1), le second en raison du préfixe (?) yit-.

Au sein des textes inédits du Gebel Adda, apparaissent plusieurs passages


obscurs qui sont peut-être aussi de nature descriptive. Une difficulté
supplémentaire est ici due à l’absence de publication de ces textes, et surtout
de photographies ou de fac-similés qui permettraient des vérifications. Nous
sommes réduit à la lecture de Heyler dans les inédits du REM et à celle de
Nicholas B. Millet, inventeur des textes d’Adda, qui nous en a aimablement
adressé une copie.

Le premier texte à offrir de tels passages est GA 19B. Il concerne deux


défunts de mêmes père et mère, et présente lui aussi son lot de formules
obscures. Le passage ci-dessous intervient après la filiation (lignes 8-10) :
ste-qese-leb : yers‚ini yerite-lebkwi :

Ici le problème est multiple : on ne connaît pas la formule finale, il n’est


pas sûr que yers‚ini soit un anthroponyme, et le syntagme initial, signifiant
« ses mères », est incompréhensible puisque l’on a indiscutablement deux
défunts, enfants d’une même mère, comme il appert de la filiation qui
précède le passage. Millet envisage une construction verbale dont ste-qese-
leb serait le sujet, et désignerait conjointement la mère et les tantes
maternelles : « his mothers (i.e. his mother and her sisters) ...’d him ? while ?
he was still young » (Millet, 1977, p. 321). Bien que nous soyons très
circonspect sur cette interprétation, nous ne pouvons en proposer de
meilleure.

L’épitaphe GA 22 est celle d’une femme nommée Beni : blye, désignée


comme temey-kdi-lƒ : « grande temey ». Ce texte long et intéressant est
malheureusement endommagé à la fin, et les bénédictions ont disparu. Les
propositions descriptives sont nombreuses. À la fin de la description relative,
on trouve le passage obscur suivant (lignes 10-13), malheureusement
lacunaire :

ste-li [...]ete-li yete-lowi


[....]k : Ado-te : yiwi-lowi :
ste-li [....] adb-li [...]tewese-leb : yilk[

1
Voir Hofmann, 1981a, p. 245.
LES DOCUMENTS 141

Bien que les termes de parenté soient ici inconnus (yiwi rappelle cependant
wi « frère »), il est probable que nous avons affaire à des propositions d’ordre
descriptif. Il se pourrait cependant qu’elles ne concernent pas directement la
défunte, mais de proches parents : la première et la troisième propositions
comportent en effet chacune deux syntagmes terminés par le déterminant, ce
qui suggère que le premier, ste-li : « [sa ?] mère », est ici en position de sujet.
Ce serait la mère de la défunte qui serait située par rapport à un référent
singulier terminé en ]ete-li 1 dans la première proposition, puis à des
référents pluriels ]tewese-leb 2 dans la troisième. Cette description relative
« indirecte » n’est pas sans rappeler le passage obscur de GA 19B évoqué plus
haut, où il était question de « mères ».

Le dernier passage obscur provient de la stèle GA 29. Elle appartenait à


une femme nommée Kdiqoreye, qui portait le titre spécifiquement féminin de
wretƒn 3, et à sa fille. Après un grand nombre de propositions développant la
description relative de la première défunte, et avant sa description
individuelle, apparaît le passage suivant (lignes 10-11) :

[.]d[..]knmre kdiyose mli yiroƒese-lowi

Il est assez vraisemblable que la proposition comprend un anthroponyme


(Mli ? Kdiyose-mli ?) 4, mais les questions de segmentation sont ici
insolubles. On relèvera avec intérêt la formule finale yiroƒete-lowi, très
proche du complexe yiroƒese-lowi qui est surtout attesté dans les textes
« oraculaires » 5, où son sens semble se rapprocher d’un verbe d’attribution.
On a également rencontré ce mot en contexte inintelligible en REM 1067/12-
13 (voir p. 139) : il apparaissait alors dans une description relative de parenté
yetmde. En GA 29, c’est essentiellement la place de cette courte proposition,
insérée entre la description relative et la description individuelle qui nous fait
pencher en faveur d’une nature descriptive de ce passage.

1
De nombreux titres peuvent ici être suggérés : menete-li, senete-li, ssimete-li, etc.
2
Il est plus difficile ici de proposer une restitution : il ne s’agit pas en tout cas d’un titre
connu par ailleurs.
3
Il s’agit d’une variante de wrt‚n que Griffith traduisait par « grande musicienne »
(égyptien vq-s c~m « grande de musique »).
4
L’élément d’anthroponyme mli, var. ou dérivé de l’adjectif mlo « bon », semble restreint
aux noms féminins.
5
Voir ci-dessous, p. 219.
142 LA LANGUE DE MÉROÉ

Formules d’ordre cultuel (?)

Trois textes présentent des passages que, faute de mieux, nous avons
rangés dans une catégorie « formules d’ordre cultuel ». Des noms de
divinités et du vocabulaire clairement religieux y apparaissent en effet. Les
théonymes n’y sont pas au génitif, contrairement à ceux des descriptions qui
indiquent l’affectation de prêtres ou de fonctionnaires au service d’un dieu
[voir I. (3) et II. (12), (13), (14)]. On ne peut toutefois exclure que ces
propositions contiennent la même idée sous une forme différente, sans doute
verbale.
Les deux premiers passages, assez brefs, doivent être présentés en parallèle.
Le premier provient de REM 0247, la stèle du vice-roi ¬witror à Karanóg 1, et
le second du seuil inscrit de la tombe de Netemakher à Sedeinga 2.
REM 0247 (ligne 14) Tbwe : wwi-ke-lo
REM 1116 (lignes 6-7) pelmosi : [...]… : Wos Tebwe : te wwi-lowi :
adb•i : k…-lo

Les deux passages sont situés à la fin des deux textes, qui ne comportent
pas de bénédictions. On y reconnaît le toponyme Tebwe, qui désigne
l’Abaton, lieu de culte et de pèlerinage consacré à Isis et à Osiris sur l’île de
Biggeh, près de Philae. Le nom d’Isis (Wos) est explicite en REM 1116, mais
il semble implicite en REM 0247, notamment dans l’utilisation d’un lexème
obscur wwi (verbe ?), qui apparaît souvent en relation avec le culte de cette
déesse 3.
Un passage de même nature figure sur la stèle inédite du vice-roi (peseto)
Abratoye. Aux lignes 4-5, entre la première partie de la description
individuelle et quelques propositions de type biographique, on trouve :
‚” wte-li : Pileqe : md tni : yeteke-lo :
Tebwe : wwi : tni : yeteke-lo :

La communauté de lexique avec les passages cités précédemment est


évidente. Les deux lieux principaux consacrés à Isis, Pileqe (Philae) et
Tebwe (l’Abaton) apparaissent ici. Le lien avec cette déesse est d’autant plus
manifeste que la description qui précède dans ce texte présente Abratoye
comme qorene : Wos Pileqe-te-li-se : « scribe royal (?) d’Isis-de-Philae ».

1
Cf. supra, p. 133. Le passage traité ici est abordé rapidement par Hofmann, 1981a 10.4,
p. 276 [509].
2
Voir supra, p. 139.
3
Cf. REM 0075 et REM 1003/30, 34, 40.
LES DOCUMENTS 143

Ce rapprochement semble confirmer qu’on a avec ces « passages de type


cultuel » une structure alternative de description individuelle présentant des
responsabilités sacerdotales. On notera également que le complexe yeteke-lo
figurait en REM 0089 et 0129 (voir p. 130-132) dans des passages de nature
probablement descriptive.
La stèle REM 1072 de Sedeinga, au nom d’un premier prophète d’Amon
(womnise-lƒ) appelé A‘‚enkror, est entièrement une énigme. Bien qu’elle
ait été retrouvée dans une tombe (pyramide WT3 1) et qu’elle comporte une
nomination et une description individuelle importante, elle ne possède aucun
des autres éléments qui figurent traditionnellement dans une épitaphe
étendue : pas d’invocation, pas de filiation, pas de bénédictions. Il est vrai
que la partie supérieure, sous le cintre, est restée anépigraphe, et que le texte
est peut-être donc inachevé. La stèle contient en revanche un assez long
passage (lignes 2-8) où apparaissent des noms de divinités en dehors d’une
construction génitivale, et des éléments lexicaux qu’on retrouvent dans les
parties des textes royaux qui mettent en scène des dieux 2 :
womnise-lƒ-i-lw : Amnp¤… : ntk : y…‘le b…rek :
Aritenel : y…s˜w [.]lo :
kroro : nkb-li-se-lw : ¯[mnpte] : ntk : p›te : yetrek :
›…[ca.15]-se-lw : mk : bt[

La première et la troisième propositions ne contiennent pas la copule


-lowi, et sont peut-être de nature verbale. On reconnaît sans peine les
théonymes Amnpte, « Amon de Napata », Aritene, forme d’Amon (?) et le
mot mk « dieu ». La postposition complexe -se-lw et le mot ntk, décrivant un
don des dieux, sont récurrents dans les bénédictions divines adressées aux
monarques et à leur famille. À ce vocabulaire religieux se mêlent cependant
deux titres du défunt attesté plus haut : womnise-lƒ « premier prophète
d’Amon (?) » et kroro « prince ». On ne peut malheureusement rien deviner
de plus dans ce passage à moins d’entrer dans des spéculations invérifiables.

1
Schiff Giorgini, 1966, p. 256 (W8).
2
Voir ci-dessous, p. 184 pour les « textes royaux ». La division en propositions que nous
proposons pour le passage obscur de REM 1072 est très incertaine, à la limite de
l’arbitraire.
144 LA LANGUE DE MÉROÉ

Liste de présents

Ce type de passage obscur a été principalement étudié par Millet dans la


publication des stèles funéraires de Qasr Ibrim REM 1182 et 1183 (Millet,
1982). Les indices qu’il relève en ce sens sont assez plausibles, surtout pour
le premier texte. Quatre des cinq documents concernés ici semblent assez
tardifs et pourraient se situer à la fin du IIIe siècle de notre ère. Seul REM
1091, d’un genre différent, est plus ancien d’un siècle environ.
La principale caractéristique de ces passages est de présenter des données
chiffrées, correspondant selon Millet à des présents consentis par de
puissants protecteurs, dont les titres, et parfois les noms, figurent en tête de la
première proposition. La structure semble essentiellement verbale, même si
l’élément -lo(wi) apparaît çà et là, ce qui, nous l’avons vu, ne constitue pas
une contradiction. Deux lexèmes (verbaux ?) peut-être de même racine, -kid-
et a‚ide-, sont attestés parallèlement dans cinq de ces passages, un dernier
(REM 1091) comprenant un élément différent, yereƒ-lo, qui pourrait
s’appliquer à un autre type d’offrandes.
Le premier passage se trouve dans la stèle REM 1182, entre la description
relative et les bénédictions, aux lignes 9-13 :
Kisri Mkesemene a‚id :
kid : Kisri-se qelile : nbr-li-se... 1
bele beltore.......... 1
bƒe yed-li-se......... 1
teketin................... 9
yed : tlt................. 16 kelw : yikid-bite-lowi
La « traduction » proposée par Millet est la suivante :
« Le kisri Makesamen [César Maximin Daia 1] a envoyé (?) un présent [digne] de
César : il a offert
qelile de nbr [collier d’or ? 2]... 1
bele beltore............................... 1
bƒe de yed................................. 1
teketin........................................ 1
et yed, (en mesures (?)-) tlt...... 16 » (op. cit., p. 73).

1
Pour cette identification, voir Millet, 1982, p. 79. Cette interprétation du méroïtique kisri
Mkesemene est déjà phonétiquement pertinente pour chacun des deux termes pris
séparément et, à plus forte raison, pour une combinaison des deux. On peut s’étonner
qu’elle n’ait pas encore été exploitée par les historiens.
2
D’après le démotique qll « collier » et nb « or ».
LES DOCUMENTS 145

Dans l’ensemble, cette interprétation paraît judicieuse 1, et la seule réserve que


nous puissions émettre concerne la place syntaxique du groupe kid : Kisri-se,
que nous rattacherions à la seconde proposition, plutôt qu’y voir l’objet du
premier verbe a‚id. Tout indique en effet que le verbe méroïtique se plaçait à
la suite de son objet : l’expression kid : Kisri-se pourrait en ce cas être le
complément de la forme verbale yikid-bite-lowi, et la liste des présents y être
apposée. La segmentation du texte présentée ci-dessus tient compte de cette
modification.
On pourra être plus dubitatif en revanche sur la nature de ces présents :
s’agit-il véritablement, comme le suppose Millet, de dons funéraires destinés
à la tombe ? Il remarque lui-même fort pertinemment :
« ...it would hardly seem intelligent for a deceased Meroïte to boast publicly on his
tombstone of the intrinsic value of his burial equipment. » (Millet, 1982, p. 72)
Si, de plus, le mot tlt représente le « talent », c’est un poids considérable
de plusieurs quintaux de métal précieux qui serait en jeu dans la liste de
REM 1182, et il paraît très improbable qu’une telle fortune ait été mise à la
disposition d’une famille méroïtique non royale par les autorités romaines.
Peut-être a-t-on plutôt affaire au convoyage par le défunt de présents destinés
à l’autorité royale, ou au règlement de marchandises importées par les
Romains, ce qui permettrait à ce passage obscur de prendre place dans les
indications de type « biographique » (voir ci-dessous p. 148). Mais on s’atten-
drait alors à trouver le nom ou le titre du destinataire, et un développement plus
important du passage, qui se réduit ici pratiquement à une énumération fort
peu circonstanciée. On ne peut pour l’instant en dire davantage sur cette
étonnante liste de biens.

Une seconde stèle de Qasr Ibrim, REM 1183, également publiée et


étudiée par Millet (op. cit. p. 73-78) comporte également un passage de ce
type (lignes 10-13), entre description relative et bénédictions :
kroro[l]i : yikid-ke :
mete areqi-se..... 1
ase................... [1]

pesetoli : yikid-ke :
klmes..................... 1
a[se]..................... 1
mlekye : qoleb : yikid-bite[-lo :]

1
Bien que Millet ne le dise pas ici explicitement, il faudrait reconnaître en yed l’« argent »
(métal, égyptien ∆c) et en tlt le « talent » ( = /tala(n)ta/, du grec τáλαντα, au pluriel).
146 LA LANGUE DE MÉROÉ

Millet « traduit » ainsi :


« Le kroro a offert
un petit d’areqi...... 1,
un ase..................... 1 ;
le prince a offert
un kelmese.............. 1,
un ase......................1 ;
et Malekaye a offert les images. » 1

Si nous sommes d’accord avec Millet sur la teneur générale de ce


passage, nous ne le suivons pas pour la traduction de certains termes : peseto
est un terme plus précis que « prince », la traduction « vice-roi » que nous
adoptons dans cet ouvrage semble en effet assurée. Le terme qoleb ne
désigne pas « les images », mais est à peu près sûrement un pronom de la 3e
personne du pluriel 2 qui représenterait les biens listés précédemment : « ...
les a offerts », ce qui obligerait à nuancer le sens du verbe dans la dernière
proposition : « transmettre (?) », « offrir en sacrifice (?) ». Quoi qu’il en soit,
on a ici une liste de biens difficilement précisables, même si Millet a plus
tard suggéré que ase signifiait « vache », et si l’expression mete areqise
suggère un « petit » d’animal 3, pour autant qu’il s’agisse du même mete
qu’on trouve dans les anthroponymes pour désigner un individu plus jeune. Il
pourrait donc ici s’agir de présents, mais qui semblent de nature beaucoup
plus modeste, et pourraient plus aisément être en rapport avec une cérémonie
funèbre, surtout si la présence d’animaux en petit nombre est confirmée.

Plusieurs textes parmi les épitaphes inédites du Gebel Adda, étudiées par
Millet mais à cette heure jamais publiées 4, comportent des passages
parallèles à ceux-ci. Ainsi on trouve en GA 13/16 (lignes 2-6), ce fragment
dont il reste impossible de préciser la situation dans l’épitaphe puisque le
reste est perdu 5 :

1
Millet, 1982, p. 78. Nous avons transposé les mots méroïtiques selon la translittération de
Hintze utilisée ici.
2
La traduction de qoleb par « image », proposée par Griffith, est peu vraisemblable : voir
Hintze, 1960a, p. 148, et ci-dessous, p. 549.
3
Le génitif areqise est peut-être une forme assimilée pour *areqe-li-se (voir p. 413). On
pourrait éventuellement comparer le substantif *areqe (= [urkw] ?) avec le nubien dair
orti, nobiin urti : « mouton », tabi er, fur uri. Toutes ces langues « nilo-sahariennes »
sont parlées au nord du Soudan.
4
Voir supra, p. 78.
5
D’après le manuscrit inédit obligeamment communiqué par Nick Millet, complété par la
lecture des inédits du REM par Heyler. Un extrait est également donné dans Millet, 1982,
p. 72.
LES DOCUMENTS 147

...]isel [...]teketi[n :... ]mesereke-li-sebeltore : [...]e 10 kene :


1 tlt ........................................................................... 50 1
my : tk : teketi[n] [...]se :......................................... 10 kelw :
a‚ide[...]…: abse: le¤‡

La ressemblance avec le passage de REM 1182 étudié plus haut saute aux
yeux : la structure est identique à la deuxième proposition de l’épitaphe de
Qasr Ibrim, malgré les signes manquants ou illisibles. On a de même une liste
de biens dénombrés, où apparaissent les mêmes termes teketin, beltore et tlt.
Le dernier syntagme est conclu par l’enclitique kelw « et », « et enfin ». Le
passage s’achève sur la forme verbale a‚ide, comme la première proposition
en REM 1182. Ces éléments permettent de supposer qu’on a ici aussi une
liste de présents, de tributs ou de biens négociés.

On trouve également en GA 19B, après la description relative, le passage


obscur suivant (lignes 10-12) 2 :
troti™i qore m™o-li-se-l : a‚ide
s‚i-ni a‚i-lowi :
Millet, qui l’analyse dans une perspective historique (Millet, 1998, p. 57-
58), traduit ainsi :
« Tarotikhi (nom ?), le roi du pays Makho, (l’) a élevé, lui qui avait été envoyé
jeune. »
Il considère l’ensemble du passage comme une seule phrase, le groupe
a‚ide s‚i ni ayant selon lui la valeur d’une subordonnée. Comme l’indique
notre segmentation, nous voyons ici plutôt deux propositions distinctes : la
première comporte une forme verbale simple a‚ide, utilisée de manière
intransitive comme en REM 1182 (cf. p. 144), où elle « introduit » l’idée de
don, et la seconde se termine par une forme périphrastique du même verbe

1
La lecture de Heyler donne ¡ pour ce signe. Millet a très probablement raison de
l’identifier comme un numéral, mais si tlt signifie effectivement « talent » (voir note 1,
p. 145), un nombre plus réduit comme 8, qui ressemble encore davantage au signe k, est
plus vraisemblable. Nous rappelons cependant qu’aucun cliché ni fac-similé des textes
d’Adda n’est actuellement disponible, ce qui interdit toute vérification.
2
Cette proposition est insérée entre deux autres passages obscurs qui nous ont semblé
relever plutôt de structures « biographiques » : voir p. 148. Nous suivons ici la
transcription du REM, également inédite, par André Heyler. La première proposition se
trouve aussi chez Millet, 1998, p. 57 : la lecture mƒo n’est pas assurée, on pourrait avoir
mso, mais cette dernière interprétation est moins vraisemblable et ne figure d’ailleurs pas
dans le REM, contrairement à une première interprétation de Heyler.
148 LA LANGUE DE MÉROÉ

(a‚i-lowi avec assimilation 1 pour *a‚ide-lowi) qui précise la nature du don.


Si notre interprétation est correcte, il ne s’agit pas d’« élever » quelqu’un,
mais d’« envoyer », d’« offrir » un éventuel présent. Nous ne pouvons
pousser plus loin l’analyse de ce passage, et notamment celle du sujet et de
l’objet présumés sans risquer de tomber dans la pure spéculation.

Nous rangeons dans cette section un passage de nature quelque peu


différente, mais qui semble décrire un type d’offrandes, plutôt destinées aux
dieux. Un autre texte funéraire de Netemakher à Sedeinga 2, le linteau REM
1091, comprend le passage obscur 3 suivant, malheureusement lacunaire, aux
lignes 6-7, entre la description relative et les bénédictions :
at‚mo Pedeme-te-lw : yereƒ-lo :
k[roro]-lowi :
[.]Œ…[..]-bese-li-lw : yereƒ-lo :
17(?)§ ye¤…[.]i :
La seconde proposition est apparemment de nature descriptive : k[roro]-
lowi « c’était un prince (?) », mais il s’agit pour l’essentiel d’une
reconstitution 4. La présence de l’élément yereƒ-lo, fréquent parmi les graffiti
du temple de Kawa, dans une construction assez proche (anthroponyme +
titre + -lw + yereƒ-lo + nombres), inciterait plutôt à voir dans ce passage une
évocation d’offrandes 5. Cependant, comme dans les inscriptions de Kawa,
on ne lit ici ni théonyme ni liste détaillée de biens chiffrés, ce qui affaiblit
peut-être notre interprétation.

Passages biographiques (?)


Cinq épitaphes présentent des passages qu’on a qualifié de
« biographiques » : REM 0521, 1057, 1066A, 1088 et 1333. Si l’on met à
part la table d’offrandes REM 0521 de Faras, qui remonte au Ier siècle de
notre ère, on obtient un ensemble géographiquement et historiquement très
cohérent, issu de la région de Karanóg et datant de la fin du IIIe siècle, voire
du début du IVe. Nous avons rattaché à cet ensemble deux extraits des textes
inédits de Gebel Adda GA 19A et GA19B, en raison de certaines similitudes
lexicales avec un passage « biographique » assuré en REM 1057.
1
Voir ci-dessous, p. 410. Une autre possibilité serait que le radical commun soit a‚i- et
que dans la première forme, l’élément final -de soit un suffixe.
2
Voir supra, p. 139.
3
Cf. Hofmann, 1981a, p. 273 10.4 [496c].
4
D’après Heyler, 1971, p. 49. Aucun cliché ne nous a permis de vérifier la lecture. Le fac-
similé de Schiff Giorgini semble cependant s’accorder avec l’interprétation de Heyler
(voir Leclant et al., 2000, p. 1568).
5
Pour yereƒlo voir ci-dessous, p. 197-199.
LES DOCUMENTS 149

La principale caractéristique de ces passages obscurs est un vocabulaire


commun, qu’on rencontre également dans certains extraits des textes royaux,
notamment REM 0094 (inscription de Kharamadoye), REM 1003 (grande
stèle d’Akinidad), REM 1044 (stèle de Taneyidamani). On y trouve ainsi les
termes br « homme » et kdi « femme », br-lƒ « chef (?) », Qes « Koush »,
nob « Noba (?) » 1, ase « vache (?) », le verbe ked- « tuer (?) » 2, ainsi
que de fréquentes indications chiffrées. Aussi Heyler et Millet ont-ils pensé
qu’on avait affaire à des récits de campagne militaires, incluant des
massacres et des butins. Griffith avait d’ailleurs interprété en ce sens certains
passages de la stèle d’Akinidad REM 1003 (Griffith, 1917b, p. 166 et
passim). Cette hypothèse rencontre néanmoins quelques obstacles. D’une
part, certains passages présentent des chiffres bien faibles pour rehausser une
éventuelle gloire militaire (REM 1057, 1066). D’autre part, la « relation de
campagne » en REM 0521 et 1066 n’occupe que deux minces propositions,
et probablement une seule en REM 1057 : une telle modestie n’a jamais été
coutumière aux valeureux guerriers du Nil, comme en témoignent tant
d’inscriptions égyptiennes rapportant des batailles. Enfin, on ne trouve nulle
part d’allusion à l’autorité royale ou à des titres d’officiers quelconques. Si
l’on peut imaginer que les peseto-leb (vice-rois) ¬ll‚ror (REM 0521) et
Abratoye (REM 1088 et 1333) aient agi de leur propre chef, il est moins
vraisemblable que ce soit le cas d’Atqo, le défunt de REM 1057, qui ne paraît
pas bénéficier de charges élevées. L’hypothèse de récits biographiques, qui
convient bien aux deux textes d’Abratoye, doit donc être envisagée avec
circonspection quand il s’agit de l’appliquer aux autres passages.

La table d’offrandes REM 0521 comporte deux passages qu’on a


supposés « biographiques » 3. Le premier intervient après les bénédictions C
et A et avant les formules en mlo-lo(wi) 4, aux lignes 22-24 :
s™ol : Qes tni …[..]lo :
mƒo br-l : kede kdi-li : arede tni : arelo :

Hintze, qui classe cet extrait en section « Unklares », considère arede tni
comme un anthroponyme (Hintze, 1963a [335]). Cette identification nous

1
Probablement les ancêtres des Nubiens, au sens ethnolinguistique du terme : voir supra, p. 2.
2
Hofmann propose une traduction de ce verbe par « affecter [à un temple] ». Pour une
critique de l’interprétation de ces passages comme « biographiques », voir Hofmann,
1981a, p. 294-298.
3
Voir p. 134-137 pour deux autres passages obscurs. Aucun des quatre passages n’est
contigu au suivant. On remarquera que les trois derniers ont tous été gravés au centre de
la table d’offrandes, comme un ajout ultérieur : l’inscription sur la bordure aurait
apparemment pu suffire, car elle se termine par les bénédictions.
4
Voir ci-dessous, p. 158.
150 LA LANGUE DE MÉROÉ

paraît improbable : la fin du passage correspond en effet à la même structure


que celle que nous avons précédemment trouvée en GA 19B (cf. p. 147) :
troti™i qore m™o-li-se-l : a‚ide / s‚i-ni a‚i-lowi :

Il semble donc plutôt que arede et arelo soient deux formes d’un même
verbe 1, qu’on retrouve sous la forme aredeto en REM 0092/13-14. Le terme
tni (= t-ni ?) correspondrait à s‚i-ni en GA 19B. Ce pourrait être un quanti-
ficateur : on sait que -ni est fréquent à la suite de numéraux, où il semble
prendre la place occupée ailleurs par le déterminant dans le syntagme
nominal.

Millet, qui lit mƒo-l 2 avant Qes, propose la « traduction » suivante


(Millet, 1998, p. 56) :
« Le pays Makho ? sous ? Koush il [...] ?
le Makho il abattit, (et)
[la] femme sous ? captivité ? il mit ? »

On peut certes discuter l’intérêt d’une traduction, même pondérée par des
points d’interrogation 3 pour un tel passage, mais cette interprétation a le
mérite de présenter une structure assez plausible. Nous émettons cependant
des réserves pour tout ce qui concerne le terme mƒo (l’hypothèse ethnique
peut être mise en doute), et pour la traduction de tni par une postposition
« sous ».
Après les formules en mlo-lo(wi) (cf. p. 158) apparaît un second passage
obscur (lignes 26-28), très clairement verbal, qui pourrait faire suite à
l’extrait précédemment étudié :
aƒrrb : Tketore-te-li aƒrrb : Amod-te-li tereki : tk-b‚e-lo :

Hintze, qui au début ne doutait pas de la nature verbale des termes de


parenté, l’a classé très naturellement parmi les descriptions, où il lui a
ménagé une structure particulière dont cet exemple serait le seul représentant
(Hintze, 1963a, 5.5.1 [296]). Selon lui, cette proposition présenterait un
groupe verbal tk(...)lo incluant le sujet, un objet direct tereki, et un objet
second en deux parties aƒrrb : Tketore-te-li (« l’aƒrrb à Taketore ») et

1
Contra : Hofmann, 1981a, p. 296, pour qui arelo contient le titre de « gardien », une
traduction proposée par Griffith pour le substantif are (Griffith, 1922, p. 580-581). Il
s’agit manifestement d’un paronyme.
2
Le signe initial, s’il était isolé, ne pourrait être qu’un s, mais il est situé sur une ligne
étroite où le manque de place a pu contraindre le scripteur à un tracé plus ramassé que les
autres m de l’inscription (voir Griffith, 1922, pl. X, au centre de la table d’offrandes).
Griffith lit cependant s.
3
Voir p. 437-442 pour les problèmes liés à la traduction en général.
LES DOCUMENTS 151

aƒrrb : Amod-te-li (« l’aƒrrb à Amoda 1 »), tous deux étant repris par le
suffixe verbal de datif pluriel -b‚e- « à eux ». Cette interprétation est tout à
fait vraisemblable, et offre d’ailleurs l’un des rares exemples de phrase
verbale dont la structure soit à peu près élucidée. Elle a d’ailleurs plus tard
été reprise par le même Hintze, avec cette concession qu’on ait en tk-b‚e-lo
une forme verbale « nominalisée » en raison de la présence de l’élément -lo,
qu’il considérait désormais comme copule en phrase nominale (Hintze, 1979,
p. 52, 56). Hofmann s’abstient prudemment d’inclure le passage parmi les
descriptions, et le range dans un chapitre consacré aux suffixes verbaux de
datif (Hofmann, 1981a, 8.4. [462]). Elle suppose dans un premier temps que
tk n’est pas ici un lexème verbal, mais un « suffixe » qu’on trouve
occasionnellement accolé aux noms kdi « femme » et br « homme » en REM
1088. Le syntagme nominal ainsi défini tereki-tk serait, en REM 0521,
prédiqué par la copule -lo, ce qui permet à Hofmann de suggérer une
« traduction » réintégrant le passage dans les descriptions : « einem aƒrrb
von Tketore und einem aƒrrb von Amod, ihnen ein tereki-tk war dieser ».
Mais cette interprétation, outre le peu de clarté qu’elle apporte, bute
évidemment sur la présence du suffixe verbal de datif, et Hofmann se voit
contrainte in fine d’admettre à titre hypothétique l’analyse de Hintze. Millet,
qui lit a‘rrb pour aƒrrb 2, propose pour sa part la « traduction » suivante :
« he was the one whom the a‘rrb in Taketore (and) the a‘rrb in Amoda tk’d
tereki (for ?) » (Millet, 1981, p. 138, note 70).

Cette analyse, qui a l’avantage de donner clairement une nature verbale


au complexe tk-b‚e-lo, inverse cependant le sujet et le complément d’objet
second, car Millet considère le suffixe -b‚e- comme une marque de la
pluralité du sujet, ce en quoi nous ne le suivons pas 3. Nous pensons qu’il est
bien question d’attribuer un bien ou une faveur nommés tereki à deux
personnages désignés par leur titre (?) d’aƒrrb en deux lieux différents. Le
sujet doit être compris dans le complexe verbal tk-bƒe-lo, où l’élément -lo
aurait fonction d’auxiliaire (cf. p. 554) et non de véritable copule en contexte
nominal. Il est probable que le passage relève, non d’une quelconque
description, mais d’une narration, si courte soit-elle, et ait donc sa place dans
la partie « biographique » des épitaphes.

1
Cette localité ne peut être autrement précisée, mais une agglomération de ce nom apparaît
dans l’itinéraire de Juba, chez Pline (VI, 35).
2
Bien que, comme souvent, il soit ici difficile de garantir une lecture ƒ et non m, nous
suivons la lecture de Hintze et Hofmann, d’ailleurs reprise de Griffith, 1922, p. 581.
3
Voir infra, p. 553-554.
152 LA LANGUE DE MÉROÉ

La stèle REM 1057, retrouvée à Aksha (Serra-Ouest), et appartenant à un


certain Atqo, présente aux lignes 13-16, après la description individuelle et la
formule en mlo-lo, un passage obscur qu’il est possible de ranger dans la
série « biographique » :

¢ok : tereke : sk…-lo


doke-li : neket : moke-lo :
nob : br-lƒ 1§ ni : dtwe¤i ˆik‚e-lo

La première proposition n’est apparemment pas une description : si le


terme tereke est, comme on peut le croire, une variante pour tereki 1, un lien
pourrait être établi avec le passage précédemment étudié de REM 0521. Le
mot serait à nouveau en position d’objet, ce qui confirmerait la nature verbale
de sk…-lo. La seconde proposition ne correspond pas non plus à une
description classique, en raison de la présence du mot inconnu neket : il ne
peut s’agir, ni d’une épithète accolée à un supposé titre doke, car le
déterminant -li se reporterait à sa suite, ni d’un anthroponyme, car le
déterminant disparaîtrait alors 2. Une structure verbale semble donc la plus
probable. Le complexe moke-lo serait alors une forme auxiliée à l’aide de
l’élément -lo, et non, comme Millet l’avait un moment envisagé, un terme de
parenté ou de lien social 3. Mais aucun éclaircissement d’ordre sémantique
n’est encore possible. La dernière proposition appartient clairement à la
présente section « biographique », et explique qu’on y ait rangé tout ce
passage malgré les incertitudes qui pèsent sur les deux premières
propositions. On retrouve ici le vocabulaire spécifique précédemment noté.
Ainsi la mention nob : br-lƒ 1 § ni : peut probablement se traduire « chef
noba : 1 » 4. Millet, avec probablement un peu d’optimisme, donne de
l’ensemble de cette proposition l’équivalent suivant :
« Noba, grown men 5 1 [as] his share ? ? he brought away ? ? » (Millet, 1996, p. 613).

Le complexe verbal yik‚e-lo, pas plus que le terme qui le précède, ne


peut raisonnablement être compris ou même approché pour l’heure.

1
Cf. Trigger–Heyler, 1970, p. 33-34 et note h. 87-93.
2
Voir structures des descriptions relatives p. 116.
3
Voir Millet, 1981, p. 126. Cet auteur a ensuite opté pour une forme verbale (Millet, 1999,
p. 621).
4
Voir supra, p. 149.
5
Le terme br-lƒ , littéralement « grand homme », nous paraît plutôt signifier « chef ». On
trouve des parallèles dans les stèles napatéennes où la très fautive expression égyptienne
s2i o2 vq « homme le grand » remplace l’égyptien classique vq.
LES DOCUMENTS 153

On trouve en REM 1066A (une stèle d’Arminna), un passage très proche,


placé entre la description relative et les bénédictions, aux lignes 17-19 :
nobote : qe›k : nob : br-lƒ 1 do : ke-lo :
ase [a]’ise 14-ni : [..]ke-lo

La traduction donnée par Millet, comme souvent, fait la part belle à l’ima-
gination, notamment dans la seconde proposition. Mais elle donne, semble-t-il,
une idée assez juste de la structure de ce passage, qui débute apparemment
par un complément de lieu, suivi de deux constructions parallèles incluant un
objet et une forme verbale auxiliée :
« From Noba[-land] to Kush, Noba, adult male 1 he ...’d ;
cow(s) ? ?, animals ? ? [i.e., head] 14 he ...’d » (Millet, 1996, p. 613).

Le vice-roi (peseto) Abratoye est connu par deux graffiti de Philae, l’un
en grec et daté de 253 apr. J.-C., l’autre, en démotique, de 260. Deux
épitaphes méroïtiques ont été retrouvées à son nom sur le site de Tomas, une
table d’offrandes (REM 1088) et une stèle de grande dimension récemment
publiée (REM 1333) 1. Le bec de la table d’offrandes avait été mis au jour
dans les fouilles de Karanóg (REM 0321), ce qui laisse raisonnablement
penser que c’est là que se situait la tombe de ce notable, et non à Tomas où
ce matériel avait par la suite été transporté et réutilisé.
La table d’offrandes REM 1088 présente un passage « biographique » assez
étendu, entre la description individuelle et les bénédictions (lignes 16-20) :
atbe : qorene-lƒ dot-li [: a]roƒe-leb : [..]‹tesw[..]†¤…-lo
nob 335 2 [ked] :
asebe : k¥i-tk : br-tk 203 3 m…qeseke 3 ane›… : „se-tk : mreke-tk 171 4
aroƒe-lo
‘lkye : mselƒ ¡qosebde : atebote 1 yiroƒetelo

Ce que nous avons considéré ici comme une première proposition en


contient peut-être deux, s’il est avéré que -leb (dans [a]roƒe-leb :) puisse
être le pluriel du prédicatif -lo, bien qu’on trouve généralement en cet emploi
une forme pleine -lebkwi 5. D’autre part, il n’est pas impossible qu’on ait ici
affaire au dernier élément de la description qui précède. Un passage assez

1
Musée du Caire JE. 90008. Cette stèle longtemps restée inédite a été publiée par les soins
de Claude Carrier dans les Meroitic Newsletters, n° 28 (2001), p. 21-53.
2
Heyler lit « 735 » (Heyler, 1971, p. 45), Millet propose « 535 » (Millet, 1996, p. 612).
Les signes numéraux sont encore mal connus en méroïtique (voir p. 355).
3
Heyler : « .3 », Millet : « 1003 ».
4
Heyler : « 700 », Millet : « 1700 ».
5
Cf. p. 542-545.
154 LA LANGUE DE MÉROÉ

semblable sur la stèle inédite correspondante (lignes 9-11) n’apporte aucun


éclaircissement, la formulation étant encore plus complexe. Les trois
propositions suivantes contiennent les repères lexicaux caractéristiques des
passages biographiques : nob, ked, kdi, br, ase (voir p. 149). Ici aussi, Millet
a proposé une « traduction », discutable au plan sémantique, mais qui donne
un aperçu probablement assez fidèle de la structure du passage :
« Noba 535 1 he slew ;
asbe [booty ? ?] women-tk (and) men-tk 2003, meqeseke 3, (and) animals –
cattle-tk (and) horses-tk – 1700, he sent [back ? ?] » (Millet, 1996, p. 612)
Il faut cependant noter que plusieurs complexes, apparemment verbaux,
comportent ici le lexème -iroƒe- / aroƒe, que nous avions rencontré dans des
passages obscurs de nature supposée descriptive 2 (REM 0089/10-13, p. 130-
131, REM 1067/12-13, p. 138-139, GA 29/10-11, p. 141-142).
Il n’est pas possible ici de faire un relevé exhaustif des passages obscurs
de la stèle d’Abratoye REM 1333 3. Comme nous l’avons indiqué précé-
demment, on peut se demander dans quelle mesure elle relève de ce chapitre,
tant ils y abondent. La partie proprement funéraire se limite à une nomination
simple (ligne 1), suivie d’une longue description individuelle (lignes 2-9)
commune à la table d’offrandes REM 1088, mais interrompue par un passage
obscur qui correspond de près à ce que nous avons qualifié de « formule
d’ordre cultuel » (lignes 4-5 ; cf. p. 142), puis d’un premier passage
« biographique » (lignes 6-8). À partir de la fin de la ligne 9 jusqu’à la
dernière (ligne 24) s’enchaînent des propositions de type « biographiques »
livrant des décomptes et utilisant largement les repères lexicaux carac-
téristiques du genre. Il n’y a ni description relative, ni bénédictions. Cette
stèle, si son contexte funéraire n’était pas avéré, pourrait aisément passer
pour un document historique comparable aux textes royaux 4.
L’épitaphe inédite du Gebel Adda GA 19A présente également deux
passages que nous proposons de rattacher au genre « biographique ». Le
premier extrait se situe après la description relative d’un premier défunt et
avant la nomination d’un second personnage. L’autre prend place
curieusement entre les bénédictions A et B, et une étonnante reprise de la bé-
nédiction A. On doit probablement rattacher les deux premières bénédictions
au premier défunt, et la reprise de la bénédiction A concernerait alors le
second. Les éléments de cette double épitaphe semblent en tout cas
inextricablement mêlés.

1
Pour les divergences de lecture sur les chiffres, voir supra, notes 2-4, p. 153.
2
Cf. également p. 139 et note 1.
3
Voir Carrier, 2001c, notamment p. 30-31.
4
Voir note 4 p. 190.
LES DOCUMENTS 155

lignes 7-8 : Amƒye moke-lowi :


lignes 12-13 tni moke-lowi :
‚teri : yesds-lowi

Bien que nous ignorions le sens de moke-lo, on se souviendra qu’il


apparaissait ci-dessus en REM 1057 dans un passage de nature probablement
biographique, au sein d’une structure probablement verbale. Sa présence ici à
la suite du clair anthroponyme Amƒye pourrait faire penser à une relation de
parenté ou de lien social. Mais une telle interprétation ne saurait valoir pour
le second passage où moke-lo est précédé du terme tni, que nous avions
précédemment rencontré en REM 0521 (cf. p. 149-150) : ce mot apparaissait
en position d’objet et nous l’avions défini comme possible quantificateur
(« tous [?] », « chacun [?] », etc.). L’anthroponyme Amƒye dans la première
proposition est donc vraisemblablement un complément d’objet en structure
verbale plutôt qu’un génitif indirect décrivant un personnage référent en
phrase nominale. La proposition finale se trouverait également, avec un
préfixe différent, en GA 19B si l’on en croit la lecture de Millet (cf. note 1
ci-dessous).
Deux propositions de nature incertaine, qu’on peut rattacher à la même
catégorie, apparaissent en GA 19B. Elles se situent après un autre passage
obscur, traité ci-dessus (cf. p. 147). Ce partage entre plusieurs sections est
certes un peu risqué, car nous ne pouvons actuellement garantir qu’il existe
véritablement une discontinuité de sens entre les éléments que nous séparons
ainsi, mais il découle des choix méthodologiques adoptés ci-dessus. Il n’est
de plus pas incohérent qu’une proposition décrivant des présents côtoie un
passage de type biographique. On trouve donc aux lignes 13-16 :
tedeketeti : Sklye tek : nmosd-lowi :
ase : tkre™et‘s 5-ni moke-lowi :
d[] 1

Ici, presque aucun élément ne nous est connu. C’est en fait le complexe
verbal (?) moke-lowi qui nous pousse à considérer ce passage comme
« biographique » : ce terme figurait en REM 1057 et en GA 19A (voir
ci-dessus). Le terme ase 2 est également attesté dans d’autres passages bio-
graphiques, et une hypothétique traduction « vache » a été avancée par
Millet.

1
La seconde proposition figure dans Millet, 1999, p. 618 et 621 (cit. 17) : elle y est
rectifiée en ase tkereke tsds 5-ni moke-lowi. Les divergences de lecture nous ont amené
à ajouter quelques points sous certaines lettres de lecture discutée.
2
Voir supra, p. 146.
156 LA LANGUE DE MÉROÉ

« Stele-texts »

Cette dernière catégorie est tout à fait marginale : elle ne concerne qu’un
seul texte, la stèle REM 0241 de Karanóg. Après la description du défunt, au
lieu des bénédictions ici absentes, apparaît à la fin de l’épitaphe, aux lignes
13-15, le passage suivant :
dmse-qol klke-l† ysbdbse-lo :
yseqeretestse-lo

Ces lignes sont inscrites en caractères de taille nettement inférieure, et ne


sont pas séparées comme les précédentes d’un trait gravé. Elles chevauchent
d’ailleurs la dernière ligne du texte originel. Griffith les considère à juste titre
comme un rajout postérieur (« afterthought », cf. Griffith, 1911a, p. 53).
L’analyse paléographique approfondie que nous avons faite 1 montre que si
les deux inscriptions relèvent du même style (début du IIIe siècle environ),
elles sont probablement de mains différentes : la forme du m, du se, du te, et
la position du point souscrit dans les to sont à cet égard significatives.
Griffith (loc. cit.) avait déjà noté la ressemblance de ce passage avec deux
stèles de Méroé (REM 0451 et REM 0444). Selon lui, les titres du défunt de
Karanóg, incluant la mention Npto-ke : « [originaire] de Napata »,
indiquaient son origine méridionale, ce qui pouvait expliquer la présence de
formules attestées à Méroé. En fait, ces deux textes, comme le passage
obscur de REM 0241, relèvent très clairement de ce qu’on appelle, faute de
mieux, les « inscriptions de travaux », et dont nous traiterons dans une
section suivante (infra, p. 208). Le passage en question, ajouté
postérieurement, n’appartient pas à l’épitaphe.

Au terme de cette longue et difficile étude, quelques constatations d’ordre


général s’imposent. Le classement proposé semble bien rendre compte de la
grande majorité des « passages obscurs ». Quelques difficultés demeurent
néanmoins. Tout d’abord, la classification de certains d’entre eux n’est pas
assurée : c’est le cas de REM 0089/10-13, 0521/26-28, 1067/8-12, 1072/2-8,
GA 19B/7-8, 10-12 et 13-16. Ensuite, deux épitaphes présentent un étrange
morcellement sémantique : REM 0521 comporterait ainsi selon notre analyse
les éléments successifs suivants : invocation initiale + nomination + filiation
+ description individuelle + passage obscur de type descriptif individuel +
premières formules en mlo-lo(wi) + seconde invocation + bénédictions C et

1
D’après Woolley-MacIver, 1910, pl. 19.
LES DOCUMENTS 157

A + passage obscur de type biographique + secondes formules en mlo-lo(wi)


+ reprise de la bénédiction C + passage obscur de type descriptif. On
remarquera cependant que ce morcellement concerne ici non seulement les
passages obscurs, mais aussi des sections bien connues comme les
bénédictions. Pareillement, GA 19B comporterait successivement :
invocation + nomination double + filiation commune + passage obscur de
type descriptif + passage obscur décrivant des présents (?) + passage obscur
de type biographique. Or un tel mélange des données n’est pas rare dans les
épitaphes qui ne comportent pas de passages obscurs : les raisons nous en
échappent, mais il n’est pas impossible que dans bien des cas le scripteur ait
agi sans plan préalable, inscrivant les informations dans l’ordre où elles lui
étaient données. Enfin, on observera que deux complexes finals (substantifs
prédiqués par la copule ou formes verbales auxiliées) se rencontrent
concurremment dans plusieurs types de passages obscurs : c’est le cas de
yeteke-lo, qui apparaît dans des descriptions et des formules d’ordre cultuel
et de yiroƒete-lo, que l’on trouve à la fois dans les passages de type
descriptif et de type biographique. Ce dernier verbe (?) occupe d’ailleurs une
place centrale dans les textes oraculaires (voir p. 216). Sans remettre pour
autant en question notre classement des passages obscurs, ces quelques
difficultés en compliquent l’application.

Bibliographie :
Hintze, 1963a, p. 24-25 ; Heyler, 1967, p. 133, note 94 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 2-8,
p. 34, note h 95 ; p. 38-40 et 48-54 ; Hofmann, 1981a, p. 257-277 ; Millet, 1982,
p. 76 ; Millet, 1996, p. 610-614 ; Török in Eide et al., 1996, p. 673-674 ; Millet, 1998,
p. 56-58 ; Millet, 1999, p. 620-621.
158 LA LANGUE DE MÉROÉ

Formules en mlo-lo(wi) :

Dans un certain nombre de textes funéraires apparaît une proposition


indépendante contenant la prédication mlo-lowi ou mlo-lo. Dans la plupart
des cas 1, cette formule n’est pas étendue, mais dans cinq textes 2, elle est
répétée et précédée chaque fois d’un syntagme nominal différent. Griffith la
considérait comme une conclusion de l’épitaphe (Griffith, 1911a, p. 41), et il
est vrai que dans la majorité des textes de Karanóg, elle figure en dernier
lieu, après les bénédictions. Mais dans l’ensemble du corpus actuellement
connu qui compte le double d’occurrences, elle se situe légèrement plus
souvent avant les bénédictions (43 %) qu’après (36 %) 3, ce qui explique que
nous la traitions avant l’étude de ces bénédictions.
Il est difficile d’expliquer pourquoi certains textes comportent cette
séquence et non les autres. Elle apparaît en effet de façon sporadique sur près
de 7 % des épitaphes, sans qu’aucun facteur géographique, chronologique ou
sociologique puisse être repéré. On la trouve aussi bien à Karanóg qu’au
Gebel Adda, à Faras ou à Sedeinga. Son absence plus au sud s’explique par
le nombre limité et le caractère laconique des inscriptions méridionales 4. Elle
est attestée, comme les descriptions, dans des textes qui vont du Ier au IVe
siècle. Elle concerne aussi bien des hommes que des femmes, des dignitaires
élevés que de simples fonctionnaires locaux.
Une traduction approximative de cette proposition serait, de manière
assez sûre : « il était bon » / « elle était bonne », ou, si l’adjectif mlo est
substantivé : « c’était un [homme] bon » / « c’était une [femme] bonne » 5. Il
est autrement plus difficile de préciser ce que les Méroïtes entendaient
exactement par là. Griffith a proposé d’y voir l’équivalent de l’égyptien l2ƒ,
~qv : « juste de voix », désignation eulogique du défunt dans les textes
funéraires (Griffith, 1911a, p. 41) 6. Le parallèle est tentant, mais de
nombreuses objections rendent l’hypothèse peu vraisemblable. Tout d’abord,
pourquoi une désignation si largement répandue en Égypte depuis le Moyen
Empire ne ferait-elle son apparition dans les épitaphes méroïtiques qu’à partir

1
Dans 27 épitaphes : REM 0130/11, 0132/17, 0211/10, 0221/12, 0227/13-14, 0247/14,
0252/14-15, 0273/11-12, 0288/15-16, 0302/3, 0323/6-7, 0324/16, 0325/15, 0504/14-15,
0510/5-6, 0544/17, 1019/13, 1021/7, 1025/6-7, 1031/27, 1057/12, 1060/12, 1132/11-12,
GA 04/10, GA 29/21-22, GA 41/6, GA 42/5.
2
En REM 0327/15-17, 0521/24-25, 1020/11-13, 1067/19-21, 1116/4-5.
3
Dans les 21 % restants, les bénédictions sont absentes ou perdues.
4
Voir supra, p. 106.
5
Cf. Hofmann, 1981a, p. 67.
6
Il semble que plus tard, Griffith ait douté de cette interprétation. Dans son étude des
textes de Faras, mlo-(lowi) est simplement retranscrit malê, avec vocalisation mais sans
traduction (Griffith, 1922, p. 574, 581, 588).
LES DOCUMENTS 159

du Ier siècle de notre ère ? Les tables d’offrandes archaïques de Méroé en


sont en effet dépourvues. Ensuite, pourquoi seule une épitaphe sur dix
comporterait-elle une promesse aussi importante pour l’avenir du défunt ou
de la défunte dans l’Au-delà ? Pourquoi les tables d’offrandes royales
notamment en seraient-elles privées ? Enfin, les formes étendues de cette
formule montrent clairement que c’est aussi bien vis-à-vis des autorités
humaines que divines que le terme lkn,kn'vh) prend toute sa signification,
ce qui écarte l’idée d’une justification devant le tribunal d’Osiris. Une
deuxième suggestion de Griffith, un parallèle avec la formule funéraire
grecque des stèles juives ωρε χρηστé : « disparu trop tôt », d’où
« regretté », ne semble pas plus recevable : elle ne s’accorde pas avec la
mention d’une divinité, puisque le défunt pourrait la côtoyer chaque jour
après sa mort. La proposition de Priese « der, der gutes Angedenken hat » :
« qui laisse un bon souvenir » 1 présente les mêmes inconvénients. Une autre
de ses suggestions : « geehrt sein » rejoint davantage la traduction de
Haycock « favoured » 2 et s’accorde mieux avec le contexte des occurrences.
On trouve en effet les formules étendues suivantes :

REM 0284/9 adol : mlo-lo :wi


REM 0327/15-17 mlo-lowi :
mk-lw : mlo-lo :
qor-‰ : mlo-lo :
REM 0521/18-19 Mne-ke-li : mlo-lo
ibid. /24-25 qor : mlo-lo
mk-l : mlo-lo
s-lw : mlo-lo :
REM 1020/11-13 trose-lw : mlo-lowi :
s-lw : mlo-lowi :
REM 1067/19-21 mlo-lo
qor-w 3 : mlo-lo :
mk-lw : mlo-lo :
s-lw : mlo-lowi :
se-lw : mlo-lowi :

1
Priese, 1971, p. 285 [1.44].
2
Haycock, 1978, p. 77.
3
Et non *qore mlo-lo, contrairement à la lecture de Trigger–Heyler, 1970, p. 15, 38 et 42-
43 (cf. Rilly, 1999b, p. 81, note 16).
160 LA LANGUE DE MÉROÉ

REM 1116/4-5 ‚rp‚e-qese-li : mlo-lowi


qor-w : mlo-lowi :
mk-lw : mlo-lowi :

Le lien grammatical entre mlo-lowi et le nom précédent n’est pas


parfaitement clair en raison des variations sur le déterminant qui suit ce nom.
Deux solutions sont possibles : ou bien il s’agit d’un génitif antéposé 1 : « il
était le bon de X », « elle était la bonne de X », ou bien d’un datif : « il était
(un) bon pour X », « elle était (une) bonne pour X ». Cette dernière
possibilité laisserait supposer que le déterminant de type -lw comporte une
postposition -w : « pour », « à », comme l’avait avancé Priese 2. Cependant,
comment comprendre que cette postposition soit absente dans trois des quatre
propositions en REM 0521 et dans la première de REM 1116 ? Pareillement,
s’il s’agit d’un génitif direct antéposé, pourquoi n’a-t-on pas partout le
déterminant simple -l ou -li, comme dans les descriptions ? Il est certes
possible que les deux constructions coexistent. Selon une autre hypothèse,
que nous avons envisagée dans un article récent, la postposition -w, pour
autant qu’elle existe, serait susceptible d’être sous-entendue 3. Aussi privilé-
gions-nous ici, à l’exemple de Priese ou de Heyler 4, la possibilité d’un datif.
Dans tous les cas, le sens général est là aussi à peu près clair : le défunt
revendique sa qualité de « bon » ou « bonne » par rapport à certains
personnages humains ou divins. La succession de ces « référents » ne semble
pas toujours due au hasard. On trouve en effet des gradations ascendantes :
REM 1067 : « il 5 était bon pour (?) le roi, il était bon pour (?) le dieu »
REM 1116 : « il était bon pour (?) son supérieur 6 (?), il était bon pour (?) le
roi, il était bon pour (?) le dieu »

On trouve inversement une gradation descendante en REM 0327 : « elle


était bonne pour (?) le dieu, elle était bonne pour (?) le roi » et en REM 1020,
où la mention d’une divinité (trose) 7 précède celle d’un pouvoir terrestre
(s-lw : « pour [?] le seigneur [?] »).

1
Voir p. 520.
2
Voir ci-dessous, p. 538.
3
Rilly, 2000b, p. 109.
4
Priese, 1971, p. 285 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 43.
5
Ou « elle était bonne, etc. », puisque le sexe du défunt ne peut ici être précisé.
6
Nous comprenons ‚rp‚e-qese-li comme une forme assimilée pour ‚rp‚ne-qese-li, litt.
« le commandant de lui ».
7
Voir ci-dessus, p. 94 et note 2.
LES DOCUMENTS 161

En REM 1067, il y aurait de plus une reprise en parallèle :


« il 1 était bon pour (?) le roi, il était bon pour (?) le dieu, il était bon pour
(?) le seigneur (?), il était bon pour (?) le pouvoir divin (?) 2. »
Enfin, dans deux textes, REM 0327 et 1067, la formule simple mlo-lowi
« il était bon », « elle était bonne », formulée de manière absolue, précède
une reprise étendue de la proposition. Aucun nom de dieu précis n’est
repérable. Les termes généraux mk « divinité » ou se « pouvoir divin (?) »
sont en effet les seuls récurrents, mais il n’est pas impossible que les
épithètes trose-l (REM 1020), ado-l (REM 0284/9), Mne-ke-li (REM 0521)
renvoient à des dieux ou des déesses précis. On remarquera qu’une stèle de
Naga récemment découverte (REM 1294) et figurant la reine Amanishakheto
devant la déesse Amesemi, présente au sein du protocole royal la formule
Mene-ke-li : mlo-lo, qui répond très probablement à la proposition Mne-ke-
li : mlo-lo en REM 0521. L’épithète Mene-ke-li « celle (ou celui) qui vient
de Mene » décrit probablement une divinité, éventuellement Amesemi, la
parèdre d’Apedemak, qui n’est pas autrement évoquée dans le texte principal
de la stèle de Naga. Quoi qu’il en soit, la présence d’une proposition en mlo-
lo(wi) sur une stèle de souverain du Ier siècle avant notre ère laisse supposer
que la formule a d’abord eu un usage royal, avant de se répandre aux
échelons inférieurs de la société.

Tous ces éléments permettent de préciser davantage le contenu des


formules en mlo-lo(wi). Celui ou celle qui a été « bon pour X » (c’est-à-dire
« aux yeux de X ») a donné satisfaction à ses supérieurs tant humains que
divins : cette interprétation est particulièrement évidente en REM 1116 où la
gradation permet d’aller d’un supérieur hiérarchique 3 (‚rp‚e-qese-li) au
souverain (qor-w), puis au dieu (mk-lw).
Nous avions dans un article de 1999 parlé d’« une sorte d’“état de
service” du défunt envers son dieu ou son souverain » 4, mais cette définition
nous paraît maintenant trop étroite et peu susceptible de s’appliquer comme
en REM 0327 à une femme qui ne possède pas de charge officielle. La
seconde solution que nous proposions alors : « un satisfecit qu’il recevrait
d’eux » nous semble plus acceptable.

1
Ou « elle était bonne, etc. », puisque le sexe du défunt ne peut ici non plus être précisé.
2
Selon notre interprétation sémantique dans un article récent (Rilly, 2000b, p. 109-110).
3
Il peut s’agir directement du vice-roi (peseto) ou du vizir (pqr ?), puisque le défunt,
Netemakher, occupait lui-même des fonctions supérieures à Sedeinga. Priese,
commentant ce passage, parle de « position honorable devant (?) le roi, “le dieu” »
(Priese, 1997b, p. 262).
4
Rilly, 1999b, p. 82.
162 LA LANGUE DE MÉROÉ

Une véritable traduction de la formule simple mlo-lo(wi) serait plutôt


« c’était un homme (une femme) de valeur », et de la formule étendue X-l(w)
mlo-lo(wi) : « c’était un homme (une femme) de valeur aux yeux du X ».

Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 41 ; Griffith, 1912, p. 56, 57 ; Griffith, 1922, p. 574, 581 ; Hintze,
1963a, p. 9 [1.3.2.2.] ; Heyler, 1967, p. 121-122 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 42-43 ;
Leclant, 1970-1971, p. 181 ; Priese, 1971, p. 280 [1.23.2], p. 285 [1.44] ; Haycock,
1978, p. 77 ; Priese, 1979, p. 120 ; Hofmann, 1981a, p. 67 ; Rilly, 1999b, p. 82.
LES DOCUMENTS 163

Bénédictions

L’épitaphe se conclut presque toujours par une série de propositions que


Griffith a appelées « bénédictions » et qu’il avait identifiées dès Karanóg
comme une énumération d’offrandes promises au défunt, en particulier celles
du pain et de l’eau (Griffith, 1911a, p. 42-53). Fidèle sur ce point à la
tradition millénaire des textes funéraires égyptiens, cette partie de l’épitaphe
s’accorde aussi avec la fonction centrale de la table d’offrandes dans le rituel
funéraire méroïtique. Aussi n’est-elle que rarement manquante dans les textes
complètement conservés et, dans la plupart des cas, son absence peut
s’expliquer. Quelques inscriptions très sommaires sont en effet réduites au
strict minimum, souvent à la simple nomination, et ne comportent donc pas
de bénédictions, comme REM 0235, 0280, 0306, 0385, 0516, 1126. Mais
une trentaine d’autres, qui en sont aussi également dénuées, présentent
parfois une rédaction élaborée 1. Certaines de ces épitaphes peuvent nous
fournir une clef. On possède en effet pour quelques défunts deux types de
monuments funéraires : ainsi les tables d’offrandes REM 0219 et 0274, où
les bénédictions sont absentes, correspondent aux stèles REM 0289 et 0273,
où elles sont bien présentes. Pareillement, si elles ne figurent pas sur la stèle
REM 0518, elles apparaissent sur la table d’offrandes REM 0530 qui lui
correspond. On ne connaît pas d’exemple de monuments funéraires multiples
appartenant à un même défunt où ne figurent nulle part les bénédictions.
Ainsi pour le célèbre Netemakher 2, de Sedeinga, on a retrouvé quatre textes :
une table d’offrandes (REM 1144), une stèle (REM 1090), un linteau gravé
(REM 1091) et un seuil inscrit (REM 1116). Si la stèle et le seuil ne
comportent pas de bénédictions, elles apparaissent en revanche sur la table
d’offrandes et le linteau, qui les complètent ainsi. Il est donc possible que les
bénédictions absentes dans certaines épitaphes aient figuré sur un autre
monument funéraire, aujourd’hui disparu, consacré au même défunt 3.
Griffith a montré qu’en dépit de l’extrême variété des formulations, ces
bénédictions pouvaient se réduire à douze types de propositions classées par
lui de A à L suivant le substantif principal, qui désigne probablement chaque
fois un genre particulier d’offrande souhaitée au défunt. Une « formule X » a
été ajoutée à cette liste par Inge Hofmann pour rendre compte d’un passage
particulier de la stèle archaïque de Tedeqene (REM 0832 – cf. Hofmann,
1981a, p. 198-200).

1
REM 0132, 0219, 0226, 0232, 0241, 0244, 0247, 0249, 0256, 0274, 0285, 0286, 0302,
0306, 0312, 0313, 0329, 0378, 0435 (?), 0436, 0504, 0518, 1022, 1031, 1057, 1061 (?),
1069, 1081, 1090, 1116, 1202, 1205, 1206.
2
Voir p. 139.
3
Voir p. 99 pour une hypothèse semblable concernant l’absence de filiation.
164 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les propositions les plus courantes (bénédictions A-D, J-L) présentent le


schéma suivant :
substantif + adjectif ± déterminant ± complexe verbal
Si le sens général est assez transparent – il s’agit de faire profiter le
défunt d’une offrande représentée par le substantif, et dont la qualité est
précisée par l’adjectif –, il est actuellement impossible de traduire
véritablement ces bénédictions, sauf quelques variantes des deux premières.
Une des difficultés principales est due à notre incompréhension des
substantifs dans les formules C à X. Mais le problème majeur réside dans
l’interprétation des complexes verbaux, d’une incroyable variété tant lexicale
que morphologique, qui contraste fortement avec la simplicité de l’unique et
immuable formule égyptienne équivalente : ∆so c« mrv Vr«q c«<e oqs,
~qv..., « une offrande que donne le roi (à) Osiris pour qu’il donne une
offrande invocatoire... » 1.
Le point de départ de toute interprétation des complexes verbaux
méroïtiques est d’ordre énonciatif : qui parle à qui dans ces bénédictions ? La
réponse n’est pas si simple et les théories diffèrent selon les auteurs. Si tous
s’accordent à penser que l’énonciateur est le scripteur, celui qui présente le
défunt dans la nomination, les avis divergent quand il s’agit d’identifier le
destinataire du message, et donc le sujet du verbe.
Griffith pensait d’abord qu’il s’agissait du défunt lui-même 2 :
« One may suspect the meaning of atê mƒe pš-te and all the variants to be
something like “abundant water mayest thou drink” ; and the parallel B (q. v.) at
mƒe pš-‚r-tê may be “abundant bread mayest thou eat”. » (Griffith, 1911a, p. 46)
Quelques années plus tard, sa traduction avait quelque peu évolué,
notamment en raison de son étude des bénédictions divines des textes royaux
(Griffith, 1917a) : ce n’était plus au défunt, mais aux dieux de l’invocation
que se serait adressé le rédacteur de l’épitaphe :
« A. The water formula, perhaps meaning “pour for him much water” (...)
B. The food (?) formula. “give him much bread (?)” » (Griffith, 1922, p. 599-600)
Cette opinion va rester prédominante parmi les méroïtisants 3. Zyhlarz
s’en fait l’écho, rappelant la formulation égyptienne d’offrande funéraire, où
Osiris est chargé de reverser au défunt les denrées qui lui sont présentées
(Zyhlarz, 1930, p. 443). Cependant, dans sa première étude, Hintze, bien

1
Gardiner, 1957, p. 170-172 ; cependant Grandet-Mathieu, 1997, p. 388-390, lisent
c m'x(rv-s ∆so Vriq c<e oq'-s(,~qv--. et traduisent : « fasse le roi que s’apaise Osiris,
de sorte qu’il donne... ». Dans tous les cas, si le cheminement théorique de l’offrande
demeure complexe, le verbe unique reste 'q(ci « donner » à la troisième personne.
2
Cette interprétation reste celle de Millet, 1982, p. 73.
3
Cf. Meinhof, 1921-1922, p. 8 ; Abdalla, 1973, p. 22.
LES DOCUMENTS 165

qu’il garde l’idée d’une prière aux dieux funéraires et une première
traduction conforme à celle de Griffith ou de Zyhlarz, propose une
construction alternative impersonnelle 1 :
« Danach bilden diese Inschriften vermutlich einen zusammenhängenden Text
nach folgendem Schema : “O Isis, o Osiris, dem NN, den die X geboren hat, den
der Y gezeugt hat, der ... ist, frisches Wasser möge ihm gespendet werden, ...
möge ihm gegeben werden” usw., bzw. “... möget ihr ihm spenden, ... möget ihr
ihm geben”. » (Hintze, 1955, p. 362)

Cette seconde traduction est la seule qui figure dans son étude des descrip-
tions (Hintze, 1963a, p. 2), sans que cette position soit théorisée pour autant :
« Der ganze Text ist vielleicht als ein zusammenhängendes Satzfüge aufzufassen :
“ (I) O Isis, o Osiris, (II) dem A, den die B geboren hat, den der C gezeugt hat,
(III) der ... ist, ..., (IV) möge frisches Wasser gespendet werden ...”. »

Dans ses Beiträge, il récapitule ses positions antérieures, mais avance une
troisième interprétation :
« Es scheint mir jetzt aber wahrscheinlicher, daß es sich um eine Aufforderung
zum Totenopfer an die Nachkommen, bzw. an die Grabbesucher und Leser der
Inschrift handelt. » (Hintze, 1979, p. 75)
Curieusement, cette nouvelle hypothèse n’est, pas plus que les
précédentes, justifiée par un quelconque appareil théorique. Peut-être Hintze
a-t-il vu dans ces bénédictions l’équivalent méroïtique de l’« appel aux
vivants » des stèles égyptiennes : « ô vivants, vous qui êtes sur terre, ... vous
prierez le dieu en vue d’une offrande invocatoire pour NN ».
Hofmann récuse la thèse de Hintze pour deux raisons (Hofmann, 1981a,
p. 194). La première fait appel au bon sens : pourquoi y aurait-il dans les
épitaphes une invocation aux dieux, si ce n’est pas à eux que s’adresse le
message ? L’autre argument rapproche les bénédictions divines adressées à la
famille royale par les dieux, notamment au temple d’Apedemak à Naga
(REM 0003-0020) et à Méroé (REM 0405) : on y trouve un complexe verbal
l-‚-te « donne-lui » ou l-b‚-te « donne-leur », qui ne s’adresse évidemment
pas aux visiteurs des temples. Or la même formule est attestée dans les
bénédictions des plus anciennes tables d’offrandes (par ex. REM 0427).
Semblablement le lexème verbal -ƒo-, qui doit être une variante de -ƒe-
utilisé dans la bénédiction funéraire A 2, apparaît sur un texte du temple
d’Amon où les dieux du Nil sont invités clairement à « donner de l’eau »
(REM 0026, 0028, 0030, 0032).

1
Également chez Haycock, 1978, p. 58, 72.
2
Voir Rilly, 1999a, p. 106-107 pour les variantes graphiques o/e après labiovélaires, une
observation qui vient à l’appui de cette hypothèse de Hofmann.
166 LA LANGUE DE MÉROÉ

L’interprétation de Hofmann, selon laquelle c’est aux dieux funéraires


que s’adressent les bénédictions, semble tout à fait fondée. Un détail
seulement observé par Griffith, et encore de façon lapidaire, en donne
confirmation :
« Except a doubtful one in Kar. 53, where the first line was left unfinished1, there
is no case of the occurrence of the formulae without the invocations. » (Griffith,
1911a, p. 42)

La constatation de Griffith s’est vérifiée dans les épitaphes découvertes


depuis ses travaux : les textes qui n’ont originellement aucune invocation
n’ont effectivement jamais de bénédictions : c’est le cas de REM 0088, 0247,
0306, 0313, 0385, 0516, 0518, 1030, 1031, 1072, 1116, 1127 2. Autrement
dit, la présence de l’invocation semble indispensable aux bénédictions, ce qui
s’explique parfaitement si l’on suppose que les verbes de bénédictions ont
pour sujet les dieux invoqués. De plus, on peut observer que les reprises
d’invocations 3 sont presque toujours situées juste avant les bénédictions
(REM 0208, 0238, 0520, 0521, 0525, 1082, 1249, 1273) ou juste après
(REM 0230, 0437, 0440, 0446, 0543, 1063, 1064A, 1066B, 1067, 1076,
1091, 1183). Seuls REM 0272 et 1064B présentent une reprise d’invocation
légèrement séparée des bénédictions. Cette réitération a probablement pour
objet de rapprocher ainsi le sujet sémantique des verbes de bénédictions, dont
il est le plus souvent séparé par les formules de filiation et de description.
Ces reprises d’invocations ne sont donc pas, comme on l’a supposé, de
pieuses éjaculations sans motivation précise, mais un rappel destiné à
éclaircir la structure et le sens des bénédictions.
Malheureusement, si cette observation permet de fixer avec
vraisemblance le sujet des verbes de bénédictions, elle ne nous rend pas
possible pour autant une véritable traduction. Abdalla proposait ainsi quatre
interprétations :
« 1.2.4 : 1 “May One give / offer / serve (good/plentiful water/bread, ... etc.) to”.
In this case, the Subject of the verbal complex is the Impersonal Pronoun “One”,
the verb is Active of Voice, the Mood is the Optative and the sentence is a prayer.

: 2 “May (good / plentiful water / bread, ... etc.) be given/offered/served to”.


The verb is Passive of Voice. What previously was the Object now is the
Grammatical (not Semantic) Subject. The Mood is the Optative and the sentence
is a prayer too (...).

1
En REM 0253 on trouve effectivement des bénédictions sans invocation, ni initiale, ni
finale, mais la première ligne, qui n’a pas été complétée ainsi que le remarque Griffith,
commence toutefois par le w- initial de Wos-i « ô Isis ».
2
Il n’est pas sûr que REM 1127, une inscription sommaire de Sinisra, soit une épitaphe.
3
Voir supra, p. 93.
LES DOCUMENTS 167

: 3 “Give (good/plentiful water / bread, ... etc.) to” or “may you give
(good / plentiful water / bread, ... etc.) to”. The verb is Active of Voice, and the
Subject is the pronoun Second Person Singular or Dual / Plural referring to Isis
and / or Osiris (...), invoked in the funerary inscription. The Mood is the
Imperative, as a wishful statement, or Optative, as a prayer.
: 4 The same rendering as the last is envisaged, in which the pronoun refers
to the deceased person’s offspring (?) or the grave-visitor(s). This is Hintze’s
proposal. » (Abdalla, 1989a, p. 13).
Il est évident d’après notre précédente observation que, parmi ces quatre
solutions, on ne peut retenir que la troisième. Cependant, la « traduction »
proposée par Abdalla n’est pas la seule possible. Il n’envisage en effet pour
la forme verbale que trois équivalences, « donner », « offrir », « servir », qui
sont sémantiquement proches. Il est néanmoins étrange de constater le
nombre impressionnant de verbes méroïtiques pour lesquels a été avancée,
souvent faute de mieux, une traduction similaire 1. Macadam évoquait, non
sans ironie, « those all-too-numerous verbs for which we can at present
render no more precise meaning than “give”, “grant”. 2 » Il est certes possible
que la langue méroïtique ait possédé un vocabulaire d’une grande richesse,
mais une telle foule de quasi-synonymes éveille la suspicion. Peut-être ces
verbes ont-ils été en partie choisis en fonction du type d’offrandes :
« verser » (de l’eau), « découper » (de la viande), « servir » un repas, etc.
Mais il ne s’agit que d’une hypothèse de plus, peut-être contestable en raison
de l’usage des mêmes verbes dans certaines formules différentes.
L’étude de la morphologie des verbes de bénédictions, notamment
étudiée par Hintze, 1979, n’entre pas dans notre propos pour l’instant, et sera
l’objet d’une section particulière du présent ouvrage (p. 559). Nous nous
limiterons ici à un inventaire et une brève analyse des différentes formules de
bénédictions, suivant l’excellente classification qu’en a fait Griffith.

Formule A

Il s’agit de l’offrande de l’eau 3. Elle apparaît pratiquement dans toutes


les épitaphes de particuliers comportant des bénédictions, et elle vient le plus
souvent en premier lieu. La formulation est généralement la suivante :

1
C’est le cas des verbes de bénédictions ƒe, ƒol, ‚r, t‚, tk, tre, et, dans d’autres contextes,
des verbes d, kid, te, toƒ, yiroƒe. Le seul verbe pour lequel ce sens soit assuré est l.
2
Macadam, 1950, p. 43.
3
Le terme ato « eau » est un des rares mots purement méroïtiques dont la traduction soit
assurée. Dans les épitaphes royales, la formule de bénédiction L remplace la formule A.
168 LA LANGUE DE MÉROÉ

ato mƒe préfixe + verbe -ƒe- + (suffixe datif) + suffixe


de l’eau abondante (?) donnez / versez à lui / elle / eux
Le syntagme nominal est souvent suivi par le séparateur « : ». Il est très
rare en revanche que ce dernier figure entre le substantif et son adjectif. Le
complexe verbal est extrêmement variable. Il comporte le plus souvent un
préfixe pso-/psi-/ps- (avec des vocalisations diverses), ou bs-/bsi-, mais on
trouve aussi yi-. Le radical -ƒe- est suivi du suffixe 1 verbal de datif, -‚(e) au
singulier (« à lui » / « à elle »), pluriel -b‚e (« à eux » / « à elles »), mais le
singulier n’apparaît jamais parce qu’il s’assimile avec le /ƒ/ (écrit ƒe) du
lexème. Enfin, le suffixe final se présente sous les graphies -kte, -kete,
-ketese, -kese ou, après assimilation de la vélaire initiale, sous les formes -te,
-tese, -se. Dans quelques rares cas apparaissent les suffixes finals -to et /a/
(non marqué par un graphème particulier 2). En raison des multiples combi-
naisons entre ces différentes alternatives et des possibilités d’assimilations
variées, le complexe verbal peut revêtir une incroyable diversité de formes
dont les principales, par ordre de fréquence décroissante, sont les suivantes 3 :
pso-ƒe-k(e)te (pl. pso-ƒe-b‚e-k(e)te)
pso-ƒ-kete
psi-ƒ-te (pl. psi-ƒe-b‚-te)
psi-ƒe-kete
pso-ƒ (=/pasu-ƒ-a/)

À époque ancienne, la bénédiction A présentait la formulation suivante :


ato mlo el-‚-te
de l’eau bonne donnez-lui
Cette variante archaïque n’est actuellement connue que pour Méroé
(REM 0425, 0427, 0428, 0429, 0441, 0810C, 0833) et pour Faras (REM
0543). Il s’agit de textes d’époque très ancienne, que la paléographie permet
d’attribuer à une période précédant probablement le Ier siècle avant notre ère.
Une autre formulation ancienne apparaît dans les mêmes cimetières (Faras :
REM 0520, Méroé : REM 0449 (?), 0847, 0849), sur des textes un peu plus
récents, mais qui datent sans doute du tournant de l’ère chrétienne :

1
Nous préférons ce terme à celui d’« infixe » généralement adopté. Un « infixe » devrait
en toute logique être situé à l’intérieur du radical verbal, à l’instar de l’infixe nasal des
langues indo-européennes : latin tango, tetigi, grec λανθáνω, λαθον, anglais to think,
thought. En méroïtique, tel n’est pas le cas : l’« infixe » verbal de datif n’est que le
premier des suffixes.
2
On rappelle que /a/ est la voyelle par défaut de toute syllabe écrite sans signe vocalique
(voir p. 278sq).
3
Pour une analyse de ces différentes formes, voir infra, p. 559-567.
LES DOCUMENTS 169

ato mlo-l ƒol-ke[te] ou p-tre-kete


une (?) bonne eau procurez (?) / servez (?) à lui / à elle
Le premier verbe (à Faras) est le même que celui de la formule C, tandis
que le second (à Méroé) est attesté dans la formule royale K. Le mot ato
« eau » est ici curieusement déterminé, contrairement à ce que l’on trouve
dans les autres inscriptions.

Formule B

Il s’agit de l’offrande du pain 1. Elle apparaît aussi dans presque toutes les
épitaphes de particuliers comportant des bénédictions, où elle suit le plus
souvent l’offrande de l’eau (A). La formulation est généralement la suivante :
at mƒe préfixe + verbe -‚r- + (suffixe datif) + suffixe
du pain abondant (?) donnez / apportez à lui / elle / eux
Assez souvent, un séparateur est tracé entre le syntagme nominal et le
complexe verbal, et très rarement entre le nom et l’adjectif. Dans le groupe
verbal, les affixes et leurs variantes sont les mêmes que pour la formule A
(voir supra, p. 167). On ne trouve en revanche jamais la vocalisation pso-
pour le préfixe, contrairement à ce qu’on peut souvent constater dans la
formule A. Les formes les plus fréquentes sont donc :
psi-‚r-k(e)te (pl. psi-‚r-bƒe-k(e)te)
ps-‚r (pl. psi-‚r-b)
psi-‚r-te (pl. psi-‚r-b‚-te)

Comme précédemment pour la bénédiction A, il existait une formulation


archaïque différente :
at mlo el-‚-te
du pain bon donnez-lui
Cependant, on ne la trouve de manière assurée qu’en REM 0427. Elle
figurait peut-être en REM 0425, 0428, 0441, mais elle n’est plus
actuellement lisible. Les épitaphes anciennes REM 0543, 0833, 0847, 0849
ont également at mlo, parfois suivi du déterminant -l, mais elles comportent
respectivement les formes verbales i‚r[, ƒolkte (cf. formule C, p. 170), et
deux fois ptrekete (cf. formule K, p. 178). Enfin, la formule B est
originellement absente dans les épitaphes anciennes (mais non archaïques)

1
Le sens de at « pain » semble lui aussi assuré. Dans les épitaphes royales, la formule de
bénédiction K remplace la formule B.
170 LA LANGUE DE MÉROÉ

REM 0429 et 0520. L’adjectif mlo « bon » remplace également mƒe


« abondant » en REM 0295 et 0376, qui sont beaucoup plus tardives.

Formule C

C’est la dernière des bénédictions courantes et elle suit habituellement les


formules A et B. Elle est absente des épitaphes particulières archaïques ou
anciennes, qui ne connaissent que les offrandes de l’eau et du pain 1. Il
semble qu’elle ait tout d’abord appartenu aux bénédictions funéraires
royales, sous sa variante C’ (voir infra, p. 171) et ne se soit progressivement
étendue à l’usage des particuliers qu’à partir du début du Ier siècle de notre
ère (en REM 0521 par exemple). Elle est généralement formulée comme
suit :
‚-mlo-l préfixe + verbe -ƒol- + (suffixe datif) + suffixe
un bon ? ? ? donnez/servez (?) à lui / elle / eux
Le syntagme initial, généralement isolé du complexe verbal par un
séparateur, n’est pas encore vraiment traduisible. Il est attesté sous diverses
formes : ‚-mlo-l le plus souvent, mais aussi avec des variations sur le
déterminant : ‚-mlo-li (REM 0238, 0301, 0533, 1077, 1079), ‚-mlo-le
(REM 0130, 0230, 0268), ‚-mlo-lw (REM 0129, 0276, 0383, 1074, 1144,
voir formule C’, p. 171). Il se présente en REM 0049 (formule C’) sous la
forme atypique a-mlo-l, et en REM 0277 sous la graphie ‚-blo-l. Cette
dernière variante a permis à Priese de supposer que le substantif initial était
originellement /‚ab/, et que la finale /b/ serait dans la plupart des textes
assimilée au /m/ initial de l’adjectif mlo « bon », qui le suit : on aurait donc
/‚abmalu/ > /‚ammalu/, écrit ‚mlo-, avec haplographie. Priese rapproche ce
lexème hypothétique /‚ab/ du nubien kab « mets » et traduit donc « un bon
repas » (Priese, 1979, p. 125).
Hofmann fait remarquer à juste titre qu’une telle assimilation semble
difficile dans le cas du syntagme parallèle ‚-lƒ-l(e) « un grand ? ? ? » de la
formule D (Hofmann, 1981a, p. 195). L’hypothèse d’une assimilation reste
cependant assez plausible : l’adjectif mlo, pas plus que l’adjectif lƒ dans la
formule D, n’est en effet jamais dissocié du ‚- initial par un quelconque
séparateur dans aucune des nombreuses attestations du syntagme. On peut
éventuellement supposer un lexème initial /‚al/ proche du kenuzi kal
« manger », une racine déjà présente en vieux-nubien (cf. Browne, 1996,

1
Voir cependant l’usage de la formule E en REM 0445, et de la formule C en REM 0049.
LES DOCUMENTS 171

p. 83). L’assimilation -/l/ + /m/- > /m/ et l’haplographie -l + l- > l expli-


queraient alors les formes ‚-mlo-l et ‚-lƒ-l 1.
Le complexe verbal, actuellement non traduisible, est peu éclairant. On
notera ainsi que le verbe -ƒol- qui apparaît régulièrement dans cette béné-
diction est épisodiquement attesté dans la formule B (cf. p. 169), celle du
pain, ce qui pourrait indiquer une offrande plus solide que liquide. Or on
trouve en REM 0314, dans la bénédiction C, le complexe verbal pso-ƒe-kete
utilisé habituellement dans la formule A, celle de l’eau 2. On ne peut donc
attendre de ces variations aucun secours pour élucider le type d’offrandes
dont il est question dans la formule C.
Dans la moitié des complexes verbaux attestés, le préfixe est absent ou
nul. Dans les autres cas, il revêt la forme p-, que Hintze suppose assimilée
pour ps-, un suffixe d’ailleurs quelquefois attesté en entier devant le lexème
-ƒol- (Hintze, 1979, p. 70-71). Comme ailleurs, le suffixe de datif verbal
n’apparaît qu’au pluriel (-b‚e-), lorsque la même bénédiction concerne
plusieurs défunts. Les suffixes finals peuvent être -kte, -kete, -ketese, -kese
ou -/a/ (non écrit par un graphème spécifique). D’autres verbes que ƒol sont
sporadiquement utilisés : on trouve assez souvent -t‚-, comme dans la
formule D, et cinq fois -dotedi-, comme en formule E. Les graphies les plus
fréquentes sont donc :
p-ƒol-k(e)te
ƒol-k(e)te (pl. ƒol-b‚e-kete)
ps-ƒol-kete
ƒol
p-ƒol
ps-t‚-kete
psi-dotedi-kete

Formule C’

Cette bénédiction diffère peu de la précédente quant à sa formulation.


Pour Griffith, il ne s’agissait que d’une variante parfois curieuse de la

1
Il semble que d’autres cas de correspondance entre le méroïtique ‚- ou ƒ- et le nubien k-
puissent être reconnus (cf. Peust, 1999, p. 78). Voir p. 455. La graphie ‚blol (REM 0277)
peut alors s’expliquer par l’introduction d’un b épenthétique après affaiblissement de la
voyelle /a/ devant -lol : voir p. 31. Il est possible que le lexème soit /‚ar/ : il se rappro-
cherait alors du verbe ‚r attesté dans la formule B (celle du pain). La forme archaïque
amlol, hapax en REM 0049, reste cependant incompréhensible.
2
D’où l’hypothèse inverse de Griffith : « some desirable offering, and perhaps rather
liquid than solid » (Griffith, 1911a, p. 51).
172 LA LANGUE DE MÉROÉ

formule C (Griffith, 1911a, p. 51, note 1). C’est bien plutôt sa destination qui
a poussé Hintze à la distinguer de la simple formule C par une notation C’
(Hintze, 1959a, p. 35) : elle s’adresse en effet aux membres de la famille
royale, notamment aux souverains, dont les tables d’offrandes ont été
retrouvées par Lepsius, puis par Reisner, dans les pyramides de Méroé. Les
épitaphes, étonnamment simples, ne comportent aucune description, les
formules particulières K, L et C’ (au lieu de A, B, C) suffisant apparemment
à situer le rang royal du défunt. Il est vrai aussi qu’elles proviennent du Sud,
où les textes funéraires sont généralement laconiques, contrastant avec les
prolixes épitaphes de la Basse-Nubie.
Douze tables d’offrandes royales ou princières présentent la bénédiction
C et ses variantes 1. En REM 0825 (épitaphe d’Aritene-yesbokhe 2), on
trouve la formule C habituelle pour les particuliers : ‚-mlo-l ƒol-kete. Les
autres épitaphes comportent des formules qu’on peut grouper en quatre
catégories 3 :
formule C’1 : ‚-mlo-lw (:) (p)ƒol-kete (REM 0050, 0059, 0816, 0829)
formule C’2 : ‚-mlo-wi (:) (p)ƒol-k(e)te (REM 0061, 0815, 0837)
formule C’3 : ‚-mlo-witw (:) (p)ƒol-kete(se) (REM 0844, 0848, 0850)
formule C’4 : ‚-mlo-t : lot : .. : Œƒol-kete (REM 0060).

Ces formules ne diffèrent de la bénédiction C que par les déterminants


utilisés en conclusion du syntagme nominal ‚-mlo-. Malheureusement, s’ils
sont attestés par ailleurs, aucun ne nous est actuellement compréhensible.

Formule D

Les formules de bénédiction D à J sont rares, apparaissant de manière


sporadique dans les épitaphes des particuliers. Elles sont souvent groupées
parmi les inscriptions d’une région déterminée et ont donc pu relever d’une
tradition locale.
La formule D est très proche de C et en diffère principalement par
l’emploi de l’adjectif lƒ « grand » (deux fois mƒe « abondant »), au lieu de
mlo « bon ». Dans certains cas, elle se substitue d’ailleurs à la formule C

1
En REM 0828, la formule C’ n’est pas conservée, contrairement à la reconstitution de
Hintze, 1959a, p. 60, suivie par la translittération du REM : le fragment E, censé porter
l’inscription hiéroglyphique ]™‡•[, porte en fait le déterminant -lw de la formule K et
constitue le coin précédant directement le fragment D.
2
Voir Hofmann, 1991, p. 185-186 pour cette table d’offrandes, qui présente de plus un
décor habituellement réservé aux particuliers et non aux souverains.
3
La numérotation des deux premières formules figure dans Hintze, 1959a, p. 35. Pour les
suivantes, qui n’apparaissent pas chez Hintze, nous avons suivi sa logique.
LES DOCUMENTS 173

après les bénédictions A et B (REM 0212, 0237, 0279, 0534, 0537, 1021). Le
plus souvent néanmoins, elle la suit. Seules 20 occurrences sont actuellement
attestées 1, et, à l’exception de deux exemples à Faras (REM 0534, 0537),
toutes proviennent de Karanóg et de ses environs (Shablul, El Malki, Nag
Gamus, Arminna).
Griffith avait divisé en deux sous-groupes les propositions de ce type : un
groupe régulier, D1, et un groupe irrégulier D2 (Griffith, 1911a, p. 51-52). Le
premier présente la structure suivante :
‚-lƒ-l(e) préfixe + verbe -t‚- + (suffixe datif) + suffixe
ou -ƒol-
ou -pl-
un grand ? ? ? donnez / servez (?) à lui/elle/eux

Le syntagme initial n’est jamais partagé par un séparateur interne et


comporte le même substantif ‚-, probablement à finale assimilée, que les
formules C et C’. L’adjectif est lƒ « grand ». Le complexe verbal contient
dans 12 cas sur 17 le lexème -t‚-, alors que -ƒol-, majoritaire en formule C,
est ici réduit à la portion congrue (6 occurrences). Le verbe pl-, fréquent dans
les inscriptions royales, est attesté ici deux fois seulement. Il n’apparaît pas
ailleurs dans les bénédictions. Les affixes sont les mêmes que dans les
formules précédentes. Le complexe verbal offre donc le plus souvent les
formes suivantes :
ye-t‚-kete (pl. ye-t‚-b‚e-kete)
p(i)si-t‚-kete
ƒol-kete

La formule D2 n’est pas clairement définie par Griffith (1911a, p. 52). Il


en donne trois occurrences qui diffèrent de D1 par la structure étrange du
syntagme nominal : ainsi, REM 0236 présente ‚mlolili, REM 0278 ƒƒll et
REM 0327 ‚mƒelli. Le premier syntagme semble plutôt une variante de la
formule C, à laquelle le rattache l’usage de l’adjectif mlo « bon ». Le second
est peut-être dû à une confusion phonétique 2 du scripteur pour ‚-lƒ-l. Le
troisième comporte l’adjectif mƒe « abondant » en lieu et place de lƒ
« grand ». Tous les trois présentent une caractéristique commune, un

1
Nous excluons REM 0236, où la formule ‚-mlo-li{li| pisi-t‚-kte relève plutôt de la
bénédiction C, qui n’y apparaît pas par ailleurs. Pour le redoublement peut-être fautif du
déterminant -li, voir l’analyse du groupe D2 ci-dessous, p. 173.
2
Une simple métathèse graphique n’est pas possible en raison du ƒ initial, de tracé fort
différent du signe ‚. Une confusion phonétique entre ‚-lƒ-l, prononcé [xalaxwala], et
ƒƒll, prononcé [xwaxwalala] semble plus plausible. Une objection majeure tient cependant
à l’aspect relativement soigné de l’inscription.
174 LA LANGUE DE MÉROÉ

incompréhensible redoublement du déterminant final. Il semble évidemment


trop facile d’y voir à chaque fois une erreur du scripteur, mais on notera en
ce sens qu’une telle redondance du déterminant n’est par ailleurs jamais
attestée dans les textes méroïtiques, que REM 0236 est de pauvre facture et
que REM 0327 comporte à la ligne 6 un redoublement superfétatoire de la
lettre p. Enfin, la formule D2 ne s’est depuis les travaux de Griffith enrichie
que d’un exemple en REM 1077 : ‚-mƒe-li : yi-t‚-ktese, où le déterminant
n’est pas répété. Aussi proposons-nous pour cette variante de la bénédiction
D la structure suivante :
‚-mƒe-li préfixe + verbes -t‚- + (suffixe datif) + suffixe
un abondant ? ? ? donnez / servez (?) à lui / elle / eux
Cette structure n’apparaît qu’en REM 0327 et 1077. Nous considérons la
formule de REM 0236 comme une bénédiction de type C, et celle de REM
0278 comme une version fautive de la formule D1.

Formule E

Cette bénédiction est connue par 15 exemples dont la plupart viennent de


Karanóg et de sa région (Nag Gamus, Arminna). Deux occurrences
apparaissent cependant sur des épitaphes de Faras (REM 0129, 0528). La
formulation générale, assez uniforme, est la suivante :
nse doke-l : dole : ƒol-k(e)te :
ou (y)i-dotedi-k(e)te

Aucune traduction, même hypothétique, n’est actuellement possible. Il


semble que la formule comporte deux syntagmes nominaux initiaux : nse
doke-l, parfois écrit nse doke-li (REM 0218, 0325) et dole, parfois écrit doli
(REM 0218, 0325), dolek (REM 0272, 1067), voire dolekw (REM 0129,
0528 1). Le premier syntagme comprend apparemment un nom nse, suivi
d’un adjectif de valeur positive doke, connu dans les anthroponymes. Ce
syntagme se termine par le déterminant -l(i). Le second groupe comprend
peut-être un substantif de forme do-, suivi du déterminant de forme -le ou -li,
et parfois de la postposition de lieu -k ou -kw, connue par ailleurs dans des
toponymes au locatif. Il n’est donc pas impossible que ce deuxième syntagme
soit un circonstant. Le complexe verbal inclut, soit le radical -ƒol- (8
occurrences), particulièrement fréquent dans les formules C et D, soit le
radical -dotedi- (6 occurrences) que nous avons vu apparaître épiso-

1
D’après relecture sur une photographie récente du British Museum (REM : Leclant et al.,
2000, p. 876).
LES DOCUMENTS 175

diquement en C. En REM 1085, le verbe figurait sur une partie aujourd’hui


manquante. Les complexes verbaux les plus fréquents ont été donnés ci-
dessus. On observera avec étonnement que les tables d’offrandes originaires
de Karanóg REM 0325 et 1132, bien que d’époque tardive, présentent un
préfixe de forme i-, une graphie archaïsante de yi-. Faut-il en conclure que la
formule a été recopiée d’après un texte ancien ?

Formule F

Cette bénédiction est extrêmement rare : elle n’est attestée qu’en REM
0137B, 0311 et 0326, trois tables d’offrandes de facture assez semblable. La
première a été achetée à Assouan et les deux autres proviennent de Karanóg.
Les trois exemples sont rédigés comme suit :
REM 0137B : sr m‚ : yi-we-b‚-te (pluriel)
REM 0311 : sr [m]ƒ psi-l-ke
REM 0326 : sr : mƒ psi : w† 1

Le syntagme initial comprend un substantif sr, suivi probablement de


variantes de l’adjectif mƒe « abondant ». En REM 0445, une table
d’offrandes ancienne de Méroé, fort érodée, apparaît en contexte
incompréhensible le groupe sr mlo, où figure apparemment le même nom,
suivi de l’adjectif mlo « bon », et peut-être du verbe -l- « donner ».
Hofmann, au terme d’un raisonnement convaincant, a proposé pour le
substantif sr une signification « viande » ou « animal » 2.
Le complexe verbal contient le verbe rare -we- / -wi- en REM 0137B et
0326, et peut-être le verbe -l- « donner » en REM 0311, bien que ce dernier
ne soit pas attesté ailleurs en composition avec les affixes ici présents. Le
sens de la bénédiction F est donc peut-être quelque chose comme : « donnez-
lui / découpez-lui / découpez-leur de la viande en abondance ».

Formule G

Neuf exemples sont connus, qui se répartissent de Medik à Faras : REM


0087, 0089, 0137B, 0214, 0311, 0381, 0528, 1020, 1024A. On remarquera
que deux de ces épitaphes, REM 0137B et 0311, comportent également la
très rare formule F. Cette bénédiction suit le schéma suivant :

1
Griffith donne l pour le dernier signe (Griffith, 1911a, p. 52). D’après le cliché de
Karanóg (Griffith, 1911a, pl. 25), un i semble plus vraisemblable, bien qu’incertain. Voir
les remarques épigraphiques de Hofmann, 1981a, p. 196-197.
2
Hofmann, 1982c, p. 50-52.
176 LA LANGUE DE MÉROÉ

at(e)tƒ mlo + déterminant + préfixe + verbe -t‚- + (suffixe datif) + suffixe

Le substantif initial reste obscur, même si l’on a voulu y voir un dérivé de


ato « eau » (Abdalla, 1988, p. 6, 13). Il est suivi de l’adjectif mlo « bon », et
une fois de ‘‚e, variante de mƒe « abondant », en REM 0311 1. Le syntagme
ainsi formé reçoit des déterminants divers 2 : -l (REM 0214, 0311, 0528,
1020) et ses variantes -li (? REM 0137B) et -le (REM 0089, 0381), mais
aussi -l‚e (REM 1024A), et -wi (REM 0087), tous deux connus par ailleurs,
mais actuellement intraduisibles.
Le verbe est dans tous les cas -t‚-, attesté également dans les formules C
et D. Les préfixes sont p(i)si- ou y(i)-, le suffixe final est généralement -kete
ou -kese, mais REM 0089 comporte le suffixe -to, REM 0137B -te
(assimilation pour -kete ?), REM 0311 présente un suffixe -ke, et REM 0381
la simple voyelle /a/ après la marque de datif pluriel -b‚e-. Le complexe
verbal le plus fréquent est p(i)si-t‚-kete.

Formule H

On pourra se demander avec Hofmann 3 s’il était bien nécessaire que


Griffith créât une catégorie spéciale pour cette bénédiction, une évidente
variation sur les formules C et D, qui ne comporte de plus qu’un seul
exemple, en REM 0299B (Karanóg) :
‚-mlo-•i : ‚-l™-w† : pisi-kl…-kte

Deux syntagmes nominaux se suivent, tous deux construits autour du


substantif ‚- pour lequel avait été suggéré par Priese une traduction « repas »
(voir ci-dessus, p. 170). Le premier syntagme est exactement semblable à
celui qu’on trouve en formule C, avec l’adjectif mlo « bon », suivi du
déterminant. Le second s’apparente au groupe initial de la bénédiction D,
avec l’adjectif lƒ « grand », mais en diffère par l’usage du rare déterminant
-wi, pour autant que la lecture soit assurée. Le verbe serait -kle-, un étonnant
hapax. Le peu de soin avec lequel les caractères sont gravés, ainsi que
l’insuffisante clarté sous laquelle le cliché de Karanóg (Griffith, 1911a,
pl. 20) a été pris, empêchent la vérification de cette forme verbale, mais on
peut se demander s’il ne s’agit pas en fait du verbe -pl(e)-, attesté deux fois
dans la bénédiction D, une formule par ailleurs si proche de celle-ci.

1
L’inscription est ambiguë à cet endroit et peut se lire att m~e-l ou attƒ ‚e-l. Dans tous les
cas, il manquerait une lettre, soit à la fin du substantif, soit au début de l’adjectif.
2
Comparer avec les syntagmes initiaux en bénédiction C p. 170 et C’ p. 171.
3
Cf. Hofmann, 1981a, p. 197.
LES DOCUMENTS 177

Formule I

Il s’agit aussi d’une catégorie représentée par une unique occurrence, en


REM 0374. Cependant, contrairement à la précédente, cette formule est
totalement originale :
si-wi : temkene : si-wi wi-l : psi-ke™-kete

Il est impossible de proposer ne serait-ce qu’une interprétation syntaxique


de l’ensemble de cette proposition. La segmentation suggérée ici 1 est fondée
sur une occurrence si-lw en REM 0045, qui semble indiquer l’existence d’un
rare substantif si-. Le complexe verbal, qui comporte les affixes habituels, est
cependant un hapax, aucune autre forme d’un verbe keƒ n’ayant été repérée.
Mais ici, contrairement à celui de la formule H, le texte est lisible et la lecture
assurée, à l’exception d’un signe.

Formule J

Au moment où Griffith publia ses travaux, la formule qu’il dénomma J


était, comme les deux précédentes, représentée par un unique exemple sur
une stèle de Shablul, REM 0386 (Griffith, 1911a, p. 52). Mais, contrairement
aux deux autres, cette bénédiction a depuis été retrouvée sur de nouvelles
stèles (mais sur aucune table d’offrandes) à Arminna (REM 1063, 1064A et
B, 1066 A et B), à Qasr Ibrim (REM 1183), ainsi qu’au Gebel Adda
(GA. 25). Le nombre d’occurrences de la formule J a été ainsi porté de un à
huit. Elles sont toutes issues de la même région, mais particulièrement de la
nécropole d’Arminna où, sur sept textes présentant des bénédictions bien
conservées, cinq comportent la formule J. Cette proposition, qui ne varie que
peu de texte en texte, est ainsi rédigée :

atepoke / yetepoke dot-l‚e : p(i)si-t‚-kese

Aucune traduction n’est assurée. L’élément initial, un substantif, se


présente sous la forme yetepoke à Arminna, atepo : ke à Shablul, atepoke au
Gebel Adda, atepoqe à Qasr Ibrim. On a avancé un possible emprunt à
l’égyptien ∆so-vs « offrandes » (Zyhlarz, 1930, p. 442, repris par Macadam,
1950, p. 44), mais cette hypothèse reposait sur la segmentation atepo : ke,
attestée uniquement à Shablul, ce qui ne signifie pas que le rapprochement

1
On trouvera une segmentation à peu près similaire chez Hofmann, 1981a, p. 197.
178 LA LANGUE DE MÉROÉ

soit définitivement infondé. Le terme suivant, dot, est probablement un


adjectif de valeur positive, qui entre en composition dans deux titres attestés
à Saï et à Karanóg (dotke et dotli). Le syntagme se conclut par une forme
particulière de déterminant, -l‚e, qui ne va pas sans problèmes. On a en effet
supposé que cet élément comporte une postposition dativale -‚e 1, ce qui
compliquerait la structure de la formule : elle contient déjà un datif verbal
renvoyant au bénéficiaire, assimilé lorsqu’il est au singulier, mais visible au
pluriel sous la forme -b‚e- (REM 1063 et 1183). Toutefois, la stèle de
Shablul REM 0386 comprendrait selon Griffith un déterminant plus classique
-li, compatible avec une fonction d’objet pour le syntagme nominal 2.
Le seul verbe utilisé est -t‚- (variante -tk- à Arminna), qui apparaissait
précédemment dans les formules C, D et G. Le préfixe est uniformément psi-
ou pisi-, sauf en REM 0386 où l’on trouve ye-. Il est intéressant de constater
que le suffixe final est presque toujours -kese (assimilé en -se en REM
1183), une variante minoritaire du préfixe -kete, qui n’apparaît, lui, qu’en
GA. 25.

Formule K

Il s’agit, comme la suivante 3, d’une bénédiction réservée aux souverains


et à leur famille (voir ci-dessus la formule C’, p. 171). Elle n’est par conséquent
attestée qu’à Méroé, sur les stèles retrouvées dans les pyramides royales. On en
possède douze exemples 4 dont la structure générale est la suivante :

atƒe mƒe-lw + préfixe + verbe -tre- + suffixe de datif verbal ? + suffixe final

Le syntagme initial, sans séparateur interne, est d’une grande régularité.


Tout au plus trouve-t-on en REM 0815 et 0816 une variante atƒe mlo-lw, où
l’adjectif mlo « bon » remplace mƒe « abondant » 5. Le substantif initial

1
Priese, 1971, p. 282 et 1979, p. 120, 132.
2
Ce passage de la stèle est cependant peu lisible. Voir ci-dessus en formule G, p. 175,
pour une semblable alternance entre -l(i) et -l~e.
3
Ces deux formules ont été étudiées par Griffith, non dans Karanóg (Griffith, 1911a),
comme les précédentes, mais dans les Meroitic Inscriptions I (Griffith, 1911c, p. 83-84).
Nous avons suggéré, dans un article récent (Rilly, 2001c), que la présence de ces
bénédictions royales sur des stèles retrouvées dans la nécropole ouest de Begrawwiya
(REM 0838, 0843, 0848) était due, non à leur déplacement tardif depuis le cimetière royal
Begrawwiya Nord, mais à l’« usurpation » des formules royales par des princes locaux.
4
Sur quatorze tables d’offrandes : en REM 0828 et 0831B, la formule K était sans doute
présente à l’origine, mais elle ne figure pas sur les rares fragments conservés.
5
Ces deux tables d’offrandes, au nom des rois Aryesbokhe et d’Amanitaraqide, ont
d’ailleurs été retrouvées dans la même pyramide (Beg. N. 16) et sont paléographiquement
très proches. Hintze distingue une formule K1 avec mƒe d’une formule K2 avec mlo
(Hintze, 1959a, p. 35).
LES DOCUMENTS 179

atƒe n’est pas encore compris, bien que de nombreuses hypothèses ait été
avancées : « pain abondant » (comme at mƒe), « pain-bière », « mille
pains », « gâteaux » 1. On ne peut donc dire avec certitude si cette formule
royale correspond à une offrande liquide (comme la bénédiction A pour les
particuliers) ou solide (comme la B), bien qu’elle soit généralement
considérée comme une variante de la formule du pain (B) 2.
Le complexe verbal est généralement p-tre-kete, forme d’un verbe -tre-
spécifique à cette bénédiction (quelques exemples archaïques cependant en A
et B). Le préfixe initial peut être absent (REM 0059, 0816, 0838). Le suffixe
de datif verbal, s’il est présent, n’est jamais apparent au singulier puisqu’il
s’assimile devant le suffixe final. On ne possède pas de datif pluriel, puisque
la quasi-totalité des stèles appartiennent à des souverains toujours commé-
morés isolément. En REM 0815, le suffixe final est absent ; en REM 0837, il
a la forme -to, et la forme élargie -ketese en REM 0844.

Formule L

Comme la précédente, cette bénédiction est réservée aux tables


d’offrandes royales (mais voir note 3, p. 178). On considère généralement
qu’elle correspond à une offrande de liquide, comme la formule A des
particuliers, mais cette hypothèse repose sur une identification contestable du
substantif initial. La formule L est absente (dès l’origine) des épitaphes REM
0815 et 0848, et n’a donc pas le caractère systématique de la bénédiction K.
Elle se présente avec grande régularité comme suit :
yer (:) mlo-lw : (p)twd-kete(se)

Le syntagme nominal est terminé par le déterminant de forme -lw, comme


dans la formule K. Le substantif yer a été rapproché par Hintze du démotique
xƒq « fleuve », copte eioor. Mais cette hypothèse lexicale n’a rien d’assuré :
on peut s’étonner que le méroïtique ait eu besoin d’emprunter un terme qui
devait figurer originellement dans son vocabulaire, et qui n’était pas chargé
de valeur religieuse en égyptien (contrairement à d’autres emprunts
acclimatés en même temps que la religion). Une traduction par « lait »,
proposée par Hofmann, semble plus plausible : Patrice Lenoble a montré
l’importance de la cérémonie de la traite dans les rites funéraires royaux

1
Cf. respectivement Macadam, 1966, p. 49 et note 17 ; Haycock, 1978, p. 77 ; Hofmann,
1991a, p. 185.
2
Par exemple Hintze, 1959a, p. 34 et Hofmann, 1981a, p. 200. Notons à l’appui de cette
thèse que le substantif atƒe apparaît à la place de at mƒe « du pain en abondance » en
REM 0292 et 0440.
180 LA LANGUE DE MÉROÉ

(Lenoble, 1994b, p. 274). De plus, une telle interprétation rencontre de


nombreux parallèles dans les langues « nilo-sahariennes » 1.
L’adjectif est majoritairement mlo « bon », mais on trouve mƒe
« abondant » en REM 0838 et 0843 2. Le seul verbe attesté est -twd- 3, qu’on
rencontre parfois dans d’autres types de textes royaux (REM 0409, 1044). Le
préfixe p- est absent en REM 0059, 0816, 0850, mais présent partout ailleurs.
Le suffixe datival, s’il est présent, est toujours au singulier (-‚e) et donc
comme ailleurs masqué par une assimilation. Le suffixe final est partout
-kete, parfois élargi en -ketese (REM 0838, 0844).

Formule X

C’est sous cette dénomination que Hofmann 4 a rangé une série de


bénédictions atypiques qui n’apparaissent que sur le monument d’un certain
Tedeqene, une stèle d’époque ancienne (IIe siècle av. J.-C.) retrouvée à
Méroé (Beg. W). Le rang du défunt n’est pas clair 5 : il semble représenté
vêtu et couronné comme un membre de la famille royale, mais les
bénédictions de sa table d’offrandes (REM 0833) sont celles d’un particulier.
La stèle correspondante (REM 0832) offre ces trois formules étranges 6 :
ato mlo : premes : dot-lw : el-‚-te
eqete dot el-‚-te
‚erke : ld-te

La première proposition rappelle beaucoup la version archaïque, étudiée


ci-dessus, de la formule A :
ato mlo el-‚-te
de l’eau bonne donnez-lui
Cependant les éléments ajoutés premes et dot-lw obscurcissent le sens et
la construction syntaxique de la formule : le premier est inconnu et ne semble
pas vraiment méroïtique. Il rappelle plutôt un nom égyptien du type o2,Qƒ,

1
Didinga iúra « lait », berta err « lait » (voir Greenberg, 1966a, p. 102, 124).
2
Hintze distingue une formule L1 avec mlo et une formule L2 avec mƒe (Hintze, 1959a,
p. 35).
3
Peut-être « verser », « apporter », selon l’hypothèse de Priese (Priese, 1977a, p. 44 et note
24).
4
Hofmann, 1981a, p. 198-200.
5
Voir Wenig, 1978, p. 197 (catalogue de l’exposition Africa in Antiquity).
6
Lecture à partir du cliché dans Wenig, 1978. Hofmann (loc. cit.) suit la curieuse lecture
de Heyler dans la translittération du REM et donne *tremel au lieu du très lisible premes.
LES DOCUMENTS 181

lr,rv 1. L’élément cns, sans doute un adjectif de valeur positive utilisé


comme qualificatif du nom propre (?) qui précède, a déjà été rencontré en
formule J (voir p. 177-178).
La seconde proposition est, elle, totalement obscure, à l’exception du
complexe verbal dk,~,sd « donne(z) ». On doit supposer que dpdsd cns est un
syntagme nominal, comportant le même adjectif que la formule précédente,
et il est possible que le mot eqete, sans déterminant comme at ou ato, y
désigne un type d’offrande 2.
La dernière proposition semble contenir un verbe de forme -ld, que
Hofmann rapproche d’un complexe elde-b-tk apparaissant sur un
proscynème du Temple d’Apedemak à Musawwarat (REM 1053). Le terme
initial ‚erke ne semble pas non plus méroïtique, mais aucune identification
ne peut être raisonnablement avancée pour l’heure.

Ordre des bénédictions

Le nombre et la succession des bénédictions dans chaque épitaphe a tôt


attiré l’attention. Sans en donner aucune analyse, Griffith s’est déjà appliqué
à relever systématiquement les cooccurrences des formules dans le chapitre
qu’il leur consacre dans Karanóg. La première étude statistique sur ce sujet a
été réalisée par Trigger. Il écarte dans ses conclusions une influence
chronologique et sociale sur le nombre et le choix des bénédictions, et
privilégie le facteur géographique et individuel :
« It appears, however, that local traditions or preferences affect the choice of
phrases and this provides support for the further contention, advanced above, that
the preference of individuals may also have been a factor. » (Trigger–Heyler,
1970, p. 53)

Hofmann, reprenant cette analyse, élimine même le facteur


géographique : le cimetière de Karanóg livre ainsi des exemples de toutes les
combinaisons attestées ailleurs (Hofmann, 1991, p. 205-206). Elle montre
clairement que le nombre et le choix des bénédictions ne dépendent
aucunement du rang social des défunts, ni du soin avec lequel sont rédigées
puis gravées les épitaphes. Elle rétablit en revanche l’importance de la
1
On pense évidemment au nom de Ramsès II (Qƒ,lr,rv, ici précédé de l’article égyptien
o2), divinisé en Nubie. Notons que l’expression égyptienne r2,Qƒ « fils de Rê », épithète
habituelle des pharaons, précède le nom d’Osiris dans l’invocation initiale de la partie
hiéroglyphique de la stèle (REM 0832A). Peut-être le personnage royal représenté sur la
stèle n’est-il pas le défunt, mais le roi divinisé, assimilé à Osiris, pris comme intercesseur,
comme dans la formule égyptienne d’offrandes funéraires (voir p. 164). Ainsi
s’expliquerait sur cette stèle l’absence des bénédictions spécifiquement royales K et L, le
défunt n’étant pas de sang dynastique.
2
Cf. Hofmann, 1981a, p. 271.
182 LA LANGUE DE MÉROÉ

dimension chronologique : ainsi les textes présentant plus de trois


bénédictions relèvent de périodes paléographiques postérieures à 150 après
J.-C.
S’il n’est pas possible d’expliquer entièrement les raisons de telle ou telle
organisation des formules de bénédiction, on peut néanmoins dégager des
tendances générales où jouent des facteurs chronologiques et locaux.
En ce qui concerne les souverains et leur famille, le schéma KLC’
bénéficie d’une grande stabilité à travers le temps, bien qu’occasionnellement
l’ordre des formules soit différent. Les stèles les plus anciennes des
particuliers font majoritairement usage des formules A et B, parfois de la
simple formule A.
À partir du Ier siècle de notre ère, l’usage se répand d’ajouter la
bénédiction C, peut-être sous l’influence de la formule royale C’. L’ordre le
plus fréquent est alors ABC, bien que de multiples variations existent, et il
restera dominant jusqu’à la fin du royaume méroïtique. Au milieu du IIe
siècle de notre ère apparaissent d’autres formules (D, E, F, G, J),
exclusivement utilisées entre la première et la deuxième cataracte,
particulièrement à Karanóg, Arminna et Faras. Il devient alors fréquent que
le nombre de bénédictions passe à quatre ou cinq, avec parfois des reprises
de la même formule (surtout B, C ou D). À époque tardive (IVe siècle de
notre ère), les bénédictions reviennent généralement à une certaine simplicité
avec une prédominance des types AB et ABC.

Bibliographie (les études de bases sont indiquées en gras) :


Griffith, 1911a, p. 32, 42-53, 54 ; Griffith, 1917a, p. 25-26 ; Schuchardt, 1913,
p. 177-180 ; Griffith, 1922, p. 599-600 ; Meinhof, 1921-1922, p. 7 ; Hestermann,
1925, p. 12-13 ; Zyhlarz, 1930, p. 442-444 ; Hintze, 1959a, p. 34-35 ; Trigger, 1962,
p. 9 ; Trigger, 1967b, p. 166-169 ; Heyler, 1967, p. 112, 120 ; Trigger–Heyler, 1970,
p. 23, p. 40, note h 142, p. 51-53 ; Abdalla, 1973, p. 21-30 ; Hainsworth, 1975a,
p. 15 ; Hofmann, 1977a, p. 197 ; Wenig, 1978, p. 197 ; Haycock, 1978, p. 58, 72 ;
Hintze, 1979, p. 63-76 ; Priese, 1979, p. 124-125 ; Abdalla, 1979, p. 156-157 ;
Hofmann, 1981a, p. 340-344 ; Hofmann, 1981b, p. 43-44, 46-51 ; Abdalla, 1989a,
p. 13 ; Hofmann, 1991, p. 183, 204-205.
LES DOCUMENTS 183

Tableau 6 : Structure générale des formules de bénédictions 1

Formule substantif adjectif déterminant circonstant verbe


(?) (radical)
-ƒe- (arch. -l-
A ato « eau » mƒe « abondant » absent
« donner »)
-‚r- (arch. -l-
B at « pain » mƒe « abondant » absent
« donner »)

C ‚- « repas (?) » mlo « bon » -l -ƒol-

C’ ‚- « repas (?) » mlo « bon » -lw -ƒol-

lƒ « grand » (D1)
D ‚- « repas (?) » mƒe « abondant » -l -t‚- ou -ƒol-
(D2)
-ƒol- ou
E nse doke -l dole(k)
-dotedi-
mƒ(e) -wi-/-we- ou
F sr « viande (?) » absent
« abondant » -l- « donner »

G at(e)tƒ mlo « bon » -l -t‚-

H ‚- « repas (?) » mlo « bon » -li -kle- (?)

si-wi : temkene : si-wi wi-


I -l -keƒ-
(structure obscure)
atepoke et var.
J dot -l‚e -t‚- (var.-tk-)
« offrandes (?) »

K atƒe mƒe « abondant » -lw -tre-

L yer « lait (?) » mlo « bon » -lw -twd-

X eqete dot absent -l- « donner »

1
Le tableau rend compte de la majorité des bénédictions : pour plus de précision sur les
variantes possibles, notamment sur les déterminants, on se référera à l’analyse formule
par formule qui précède, p. 167-181.
184 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les textes royaux

Ce type de textes n’est pas aisément définissable. On ne peut en effet y


ranger toutes les épigraphes qui portent un nom de souverain et se réduisent
parfois à un simple cartouche. Pareillement, un certain nombre d’inscriptions
émanent probablement de l’autorité royale, mais ne comportent aucun nom
dynastique. Par convention, nous grouperons dans cette catégorie les ins-
criptions qui contiennent originellement un protocole royal, suivi d’un texte
plus ou moins long, ce qui exclut par exemple la plupart des légendes icono-
graphiques (cf. p. 192) ou les épitaphes royales (voir section précédente).
Nous avons conscience qu’il ne s’agit pas d’une catégorie homogène,
puisqu’elle englobe probablement des textes d’ordre véritablement narratif
(« historiques »), mais aussi des donations, des hymnes, des dédicaces.
Cependant les maigres éléments actuellement compris ne nous permettent
guère de faire parmi ces inscriptions un tri assuré, et il semble plus prudent
de les laisser groupées dans la même catégorie.
Les plus remarquables sont évidemment les grandes stèles des souverains
Taneyidamani (REM 1044, le plus long texte méroïtique actuellement attesté
avec ses 161 lignes), Amanirenas / Akinidad (REM 1003, 42 lignes), ainsi que
la longue inscription du roi Kharamadoye à Kalabsha (REM 0094, 34 lignes).
Mais d’autres documents moins connus, ou récemment découverts et non
encore publiés, présentent autant d’intérêt en dépit de leur taille plus réduite.
Bien que nous soyons actuellement incapables d’en comprendre ne serait-
ce que de petits passages, les longs textes royaux sont les plus prometteurs de
toutes les épigraphes méroïtiques. En effet, contrairement aux épitaphes où,
en dehors des bénédictions, les phrases nominales sont la règle, beaucoup de
ces inscriptions présentent de nombreux passages de type narratifs, donc
verbaux, qui pourraient nous permettre de mieux comprendre le fonc-
tionnement du verbe méroïtique :
« Most of the attention of Meroiticists in recent years has been concentrated on
funerary texts. This has been a very proper and, indeed, a very productive
procedure. It may be predicted, however, that such texts by their very nature lack
one particular feature which may be of possible use to the would-be decipherer,
namely a narrative sequence, one might say of chain of statements of cause and
effect, whereby one might infer the general tenor of parts of the texts from that of
other parts of the text. » (Millet, 1973a, p. 31)

En second lieu, ces textes sont attestés de façon quasi régulière sur un
espace de temps particulièrement long, puisque le premier (REM 1044)
remonte à la fin du IIe siècle avant J.-C., tandis que le dernier a récemment
LES DOCUMENTS 185

été situé au début du Ve siècle de notre ère 1. C’est ainsi plus de cinq cents
ans de l’histoire de la langue méroïtique qui s’étalent devant nos yeux, même
s’il s’agit souvent d’une langue de cour, volontiers archaïsante.
Malheureusement, ce qui fait l’intérêt des textes royaux fait aussi leur
difficulté. L’originalité de la plupart des formulations empêche la
comparaison entre textes, qui s’était avérée si fructueuse pour la
compréhension des épitaphes :
« In the funerary texts, of which a multitude have been discovered and published,
the scheme is so clear that it is easy to pick out names and titles and even to
hazard a meaning for entire phrases ; but it is quite different with other classes of
writings which are on no fixed plan of phrasing and have few finger-posts to
guide the would-be interpreter. » (Griffith, 1917b, p. 159)
Une approche originale a récemment été tentée par Peust (Peust, 2000) :
la comparaison d’éléments récurrents de ces textes royaux avec ceux qu’on
peut observer dans les inscriptions en égyptien des derniers monarques
napatéens, notamment les stèles des rois Harsiotef et de Nastasen (IVe siècle
av. J.-C.). Les conclusions de Peust ne portaient que sur une expression
précise, nete se mlo-l(w), qu’il comparait à l’égyptien Õlm Mox's( o2i<i «s
meq : « mon bon père Amon de Napata ». Nous les avons réfutées dans un
article récent (Rilly, 2000b), mais nous restons persuadé que cette démarche
comparative peut donner quelques résultats si elle tient mieux compte des
éléments connus de la grammaire et du lexique méroïtiques. On ne peut
toutefois en attendre de progrès spectaculaire eu égard au nombre réduit de
textes à comparer, particulièrement du côté napatéen. De plus, la phraséo-
logie méroïtique s’avère souvent d’une surprenante originalité par rapport à
son modèle égyptien, comme on l’a constaté dans l’étude des bénédictions
funéraires.

On ne s’étonnera donc pas qu’il n’existe actuellement aucune synthèse


sur les textes royaux, contrairement aux épitaphes. Tout au plus peut-on
trouver pour une inscription en particulier une analyse ou deux, mais dont la
majeure partie se résume à des comparaisons lexicales souvent stériles, et
parfois à des hypothèses encore impossibles à vérifier. La liste suivante
recense dans l’ordre chronologique vingt-quatre textes royaux, avec une
attribution, une datation 2 et les principales indications bibliographiques.

1
Cf. Hofmann, 1981a, p. 11. Pour la datation basse de REM 0094, cf. Török in Eide et al.,
1998, p. 1106.
2
Nous suivons ici la chronologie de Tö r ök, 1997b, p. 204-206.
186 LA LANGUE DE MÉROÉ

REM 1044 (stèle quadrangulaire du Gebel Barkal, comprenant 161 lignes) :


roi Taneyidamani 1, fin IIe/début Ier siècle av. J.-C. ; lecture et analyse
détaillée dans Hintze, 1960a ; lecture et commentaire dans Török in Eide
et al., 1996, p. 665-671 2.
REM 0092 (inscription du temple de Dakka, comprenant 18 lignes) : roi
Teriteqas, Candace Amanirenas, prince Akinidad, vers 29-0 av. J.-C. ;
lecture et analyse sommaire dans Griffith, 1912, p. 25-26 ; lecture et
analyse améliorées dans Griffith, 1930 (in Roeder, 1930, p. 377-378) ;
lecture et commentaire dans Török in Eide et al., 1996, p. 716-717.
REM 0093 (inscription du temple de Dakka, comprenant 17 lignes) : prince
Akinidad, vers 29-25 av. J.-C. ; analyse sommaire dans Griffith, 1912,
p. 25-26 ; lecture et analyse améliorées dans Griffith, 1930 (in Roeder,
1930, p. 375-377).
REM 0412 (stèle de Méroé, comprenant 18 lignes) ; roi Teriteqas, prince
Akinidad, vers 29-25 av. J.-C. ; lecture et analyse sommaire dans Griffith,
1911b, p. 70 3 ; lecture et commentaires dans Török in Eide et al., 1996,
p. 717-718.
REM 0628 (inscription de 5 lignes sur un naos portatif en bronze de Kawa) :
Candace Amanirenas, prince Akinidad, dernier tiers du Ier siècle av. J.-C. ;
lecture et analyse dans Macadam, 1949, p. 100-103.
REM 1003 (grande stèle de Hamadab comprenant 42 lignes) : Candace Ama-
nirenas, prince Akinidad, dernier tiers du Ier siècle av. J.-C. ; lecture et
analyse dans Griffith, 1916b, p. 159-173, Hofmann, 1981a, p. 279-328 ;
Török in Eide et al., 1996, p. 719-723.
REM 1039 (petite stèle de Hamadab comprenant les restes de 35 lignes) :
prince Akinidad, dernier tiers du Ier siècle av. J.-C. ; lecture et analyse
dans Hintze, 1961, p. 279-282.
REM 1041 (bloc incomplet de Méroé inscrit sur quatre faces comprenant en
tout 41 lignes, auquel il faut ajouter un fragment de 4 lignes incomplètes,

1
Nous n’incluons pas parmi les « textes royaux » le verso de la petite stèle de Méroé
(REM 0405B et C) figurant le roi Taneyidamani devant Apedemak : l’inscription (une
prière au dieu) ne comporte en effet pas de protocole royal et doit donc être rangée avec
les légendes iconographiques. Le recto de la stèle, REM 0405A, présentant un ductus
plus ancien, est manifestement antérieur de plusieurs décennies pour le moins. Pour une
lecture et une analyse sommaire, on consultera Griffith, 1911b, p. 62-64 ; lecture et
commentaire plus étoffé dans Török in Eide et al., 1996, p. 671-672.
2
On ne mentionnera que pour information la « traduction » fantaisiste de REM 0405 et
1044 par Winters, 1999, élaborée à partir d’une comparaison avec le tokharien (voir ci-
dessus, p. 56).
3
Tenir compte des rectifications dans Griffith, 1917b, p. 164-165.
LES DOCUMENTS 187

et probablement les morceaux REM 1252, 1253, 1254 1) : Candace


Amanishakheto ; fin Ier siècle/début Ier siècle apr. J.-C. ; lecture du bloc
principal2, accompagnée d’un bref commentaire dans Török in Eide et al.,
1996, p. 724-725.
REM 1141 (stèle de Qasr Ibrim comprenant 38 lignes) : Candace Amani-
shakheto ; fin Ier siècle av. J.-C./début Ier siècle apr. J.-C. ; la stèle est
inédite, seule une mauvaise photographie a été publiée par Plumley,
1971, p. 19, 20 Fig. 8, reprise dans le REM (Leclant et al., 2000,
p. 1670) 3.
REM 1293 (stèle de Naga découverte en 2000, comprenant 6 lignes
complètes au verso) : Candace Amanishakheto ; fin Ier siècle av. J.-C.
/début Ier siècle apr. J.-C. ; la stèle est inédite 4, mais des clichés lisibles
sont reproduits dans Carrier, 2000, p. 26-27.
REM 1294 (stèle de Naga découverte en 1999, comprenant 15 lignes
complètes au verso) : Candace Amanishakheto ; fin Ier siècle av. J.-C. /
début Ier siècle apr. J.-C. ; la stèle est inédite 5, mais des clichés lisibles
figurent dans Carrier, 2000, p. 28-30.
REM 1238 (petit fragment de stèle retrouvé en 1996 dans le temple
d’Apedemak à Naga, comprenant 7 lignes partielles) : nom du souverain
non conservé, mais l’avers orné d’une fine représentation de la déesse
Mout ne laisse pas de doute sur la nature royale du texte ; type
paléographique correspondant au début de notre ère ; commentaire dans
Priese, 1997b, p. 263.

1
Les fragments REM 0128, 1255 et l’inédit de l’Ashmolean Museum MO 41 constituent
peut-être les restes d’une autre stèle de Méroé, en granite sombre, au nom de la reine
Amanishakheto (voir REM = Leclant et al., 2000, p. 286-287, 1898-1899). D’une
troisième stèle inscrite sur trois faces, seul a subsisté un fragment trop réduit pour être
rangé avec assurance dans les textes royaux (REM 1251 ; voir Török, 1997a, p. 102).
2
Basée sur les translittérations du REM (version inédite de Heyler), cette lecture est
partielle et fautive. Le bloc ayant été rapporté récemment au musée de Khartoum, nous
avons pu récemment en produire une lecture et un commentaire : Claude Rilly,
« l’Obélisque de Méroé », dans Meroitic Newsletters, n° 28 (2002), p. 95-190.
3
Le professeur David N. Edwards nous en ayant fait obligeamment parvenir de bons
clichés ainsi que deux fac-similés de sa main, il nous a été possible d’en produire une
lecture et une analyse non encore publiées, mais dont on trouvera un court extrait dans
Rilly, 2000b, p. 105.
4
Nous sommes ici redevable au professeur Dietrich Wildung qui nous a envoyé de bons
clichés, reproduits d’ailleurs dans la Meroitic Newsletters, n° 27, avec son aimable
permission. La lecture et l’analyse de REM 1293 et 1294 que nous avons ainsi pu
effectuer pourraient prendre place dans une prochaine publication.
5
Voir note précédente.
188 LA LANGUE DE MÉROÉ

REM 1139 (24 fragments d’une stèle brisée découverte dans le temple
d’Amon au Gebel Barkal) : nom royal non conservé mais probablement
présent à l’origine, type paléographique correspondant au début de notre
ère ; aucune étude ni commentaire publiés étant donné l’état du
document.
REM 1089 (socle d’or d’une statuette de même métal, gravé de 5 lignes,
originaire du Gebel Barkal) ; reine Nawidemak, première moitié du Ier
siècle de notre ère ; lecture et étude dans Macadam, 1966, p. 42-71.
REM 1038 + 1001 (stèle brisée de Méroé ; la partie supérieure, REM 1038,
comporte deux lignes incomplètes et la partie inférieure, non jointive,
REM 1001, comprend 21 lignes) : roi Amanikhabale, milieu du Ier siècle
de notre ère ; lecture et commentaire de REM 1038 dans Monneret de
Villard, 1959, p. 102-103 et dans Hintze, 1961, p. 278-279 ; lecture et
commentaire de REM 1001 dans Zawadowski, 1977, p. 15-21 ; lecture et
étude de l’ensemble dans Török in Eide et al., 1998, p. 837-840.
REM 0126 (fragment de stèle de provenance inconnue, comportant les restes
de 10 lignes) : roi Natakamani, Candace Amanitore, prince Arikankharor,
seconde moitié du Ier siècle de notre ère ; lecture et courte analyse dans
Griffith, 1912, p. 53 et Hodjash-Berlev, 1982, p. 238-241.
REM 1221 (stèle du palais de Natakamani au Gebel Barkal, comprenant 12
lignes) : Candace Amanitore, prince Arikankharor, seconde moitié du Ier
siècle de notre ère ; lecture et commentaire dans Tiradritti, 1992, p. 69-75 1.
REM 1138 (inscription sur un pylône du temple d’Amon au Gebel Barkal,
comportant 28 lignes incomplètes) : souverain inconnu, mais on peut
supposer qu’il s’agit d’un texte royal en raison notamment de sa
localisation dans le temple 2 ; daté par Hofmann de la première moitié du
IIe siècle apr. J.-C. ; lecture et commentaire dans Hofmann et al., 1989a,
p. 139-156.
REM 0408, 409, 410 (trois socles gravés sur leurs quatre faces, comprenant
douze lignes chacun, trouvés à Méroé) : roi Teqorideamani, autour de 260
apr. J.-C. ; lecture et étude sommaire dans Griffith, 1911b, p. 68-69.

1
Voir aussi Rilly, 2000b, p. 107 (restitution des premières lignes), avec une datation
différente, tirée de Wenig, 1999, où Amanitore et Arikankharor sont placés au début du
Ier siècle de notre ère.
2
On comparera avec la localisation de la stèle de Taneyidamani (REM 1044) dans le
temple B500 du Gebel Barkal, devant le premier pylône, où elle faisait face à la stèle
napatéenne du prince Khaliut (cf. Hintze, 1960a, p. 127-128). Ici aussi, les restes d’une
inscription parallèle en langue et écriture égyptienne ont été retrouvés de l’autre côté du
pylône (cf. Hofmann et al., 1989, p. 139-140).
LES DOCUMENTS 189

REM 1228 (fragment d’une titulature royale, retrouvé à Qasr Ibrim et


comportant 6 lignes incomplètes) : souverain inconnu, le document étant
paléographiquement datable des IIIe-IVe siècle de notre ère ; lecture et
commentaire dans Edwards, 1994b, p. 21-25.
REM 0407 (stèle du temple d’Apedemak à Méroé comportant 18 lignes) : roi
inconnu 1 (fin IIIe-début IVe siècle de notre ère) ; lectures et analyses :
Griffith, 1911b, p. 65-67 ; Török in Eide et al., 1998, p. 1050-1051.
REM 0094 (inscription sur la façade de la salle hypostyle du temple de
Kalabsha, comportant 34 lignes) : roi Kharamadoye, début du Ve siècle
de notre ère ; lectures et commentaires : Griffith, 1912, p. 26-32, Millet,
1973a, p. 31-49, Török in Eide et al., 1998, p. 1103-1107.

Une grande partie de ces textes, et notamment les plus longs, sont
supposés contenir des éléments historiques. C’est particulièrement le cas de
la fameuse stèle d’Akinidad (REM 1003), que Griffith a interprétée comme
le récit de la guerre qui opposa les Méroïtes aux troupes du préfet romain
Petronius en 25-24 av. J.-C. Cette identification repose entièrement sur trois
éléments lexicaux récurrents du texte : Qes désignerait « Koush », arme-
yose « Rome » ou « le Romain » et le verbe -ked, qui intervient dans des
décomptes d’« hommes » (abr), signifierait « tuer ». Aussi a-t-elle été
fortement mise en doute par Hofmann dans son analyse détaillée de la stèle 2,
où elle récuse ces trois traductions : Qes serait un substantif ou un verbe,
dont la réalisation phonétique s’éloignerait trop du nom de « Koush », arme-
yose serait un titre, et -ked signifierait plutôt « affecter à un culte ». Pour
Hofmann, la stèle commémorerait donc plutôt des donations faites à un
temple, incluant des affectations de serviteurs ou d’esclaves. Nous espérons
avoir démontré dans un article récent des Göttinger Miszellen que
l’identification de Qes avec « Koush » était tout à fait vraisemblable (Rilly,
1999a, p. 107). Nous partageons en revanche les suspicions de Hofmann sur
le substantif arme-yose : la stèle d’Amanishakheto, récemment découverte à
Naga (REM 1294), comporte dans le protocole royal une proposition
nk armi-l td‚e-so = ? ? ? « elle est de la descendance de la nk armi(l) », où
armi est peut-être un adjectif ou un substantif 3 dont arme-yose est dérivé, et
qui doit qualifier un ascendant royal. On imagine difficilement la Candace
Amanishakheto se réclamer d’une aïeule « romaine », bien que l’éventualité

1
Il ne s’agit pas de Yesbokhe-amani, comme le suppose Török ; la séquence yeseboƒe qui
y apparaît a une valeur lexicale (verbe ou substantif), et n’est pas un anthroponyme.
2
Hofmann, 1981a, p. 279-328, et particulièrement p. 291-298.
3
Une possibilité demeure qu’il s’agisse d’un anthroponyme de forme Armil, comme le
laisserait supposer son occurrence après un titre en REM 1293.
190 LA LANGUE DE MÉROÉ

d’une homonymie ne puisse être écartée 1. Sur le verbe -ked en revanche, il


semble difficile de prendre parti. Ce lexème est fréquent, et apparaît parfois
dans des contextes où l’idée d’homicide ne semble pas évidente, mais il est
vrai que son attestation la plus courante se fait dans des listes numériques où
il désigne un traitement réservé à un nombre déterminé d’hommes, alors
qu’un traitement différent semble appliqué aux femmes 2. On le trouve
notamment dans d’autres textes historiques ainsi que dans les passages
« obscurs » biographiques de certaines épitaphes (voir ci-dessus, p. 148-155).
La traduction de ce verbe est donc un problème particulièrement délicat, et
qui doit faire l’objet d’extrêmes précautions puisqu’une bonne partie des
théories sur l’histoire et la chronologie du royaume méroïtique repose sur
elle. L’analyse de Hofmann met à mal en effet un des rares repères de
chronologie absolue qu’on pensait posséder depuis Griffith, à savoir
l’identification de la reine Amanirenas et du prince Akinidad avec les
adversaires du préfet Petronius. Mais on ne peut se contenter de balayer d’un
revers de la main ces objections, comme le fait Török dans son analyse de la
stèle REM 1003 3.
D’autres textes royaux possèdent des passages semblablement interprétés
comme des bilans de campagnes militaires. Le plus fameux est sans conteste
l’inscription très tardive du roi Kharamadoye à Kalabsha, qui, bien qu’elle ait
été gravée sur les ordres d’un potentat local après la désintégration du
royaume de Méroé, perpétue avec un étonnant conservatisme les
formulations en usage aux siècles précédents. Les autres textes dits
« historiques » sont REM 0092, 1039, 1041, 1044 4. Ce dernier comporte
aussi des indications chiffrées concernant une liste de dieux, ce qui a conduit
Hintze à le considérer comme un document décrivant essentiellement des
donations aux temples :
« Im Ganzen gewinnt man den Eindruck als ob es sich um die Stiftung irgend-
welcher Gegenstände (oder Personen ?) an einen (oder mehrere) Tempel handelt. »
(Hintze, 1960a, p. 159)

Il est possible que les textes royaux REM 0093, 1138, 1139, 1121, 1141
possèdent un contenu similaire et se rapportent à des fondations ou des
donations aux temples.

1
L’Empire romain est de plus régulièrement désigné par le terme Arome, de vocalisation
différente, mais le mot n’est pas attesté avant la seconde moitié du IIe siècle de notre ère
(REM 0312).
2
Le verbe utilisé pour les femmes est tkk (une fois kb). Une liste comparative des
propositions comportant ce vocabulaire se trouve dans Hofmann, 1981a, p. 295.
3
« Hofmann’s arguments remain unconvincing » (Török in Eide et al., 1996, p. 721).
4
À ces textes « historiques », il convient probablement d’ajouter la très singulière stèle du
vice-roi (peseto) Abratoye, retrouvée à Tomas (REM 1333), et que nous avons
précédemment décrite (voir p. 154).
LES DOCUMENTS 191

D’autres sont vraisemblablement de nature différente et ne présentent pas


de données chiffrées. Certains contiennent manifestement des hymnes ou des
prières 1 : REM 0408, 0409, 0410 et 1293 s’adressent ainsi au dieu Apedemak,
REM 1294 sans doute à la déesse Amesemi, sa parèdre, REM 0407 à
plusieurs dieux, dont Isis, Horus et Amon de Napata, et REM 1038/1001
peut-être à la déesse Mout. Les inscriptions REM 1038/1001 et 1294
semblent d’ailleurs comporter un jeu d’allitérations qui s’accorde bien avec
l’hypothèse d’un hymne cultuel.
Les inscriptions REM 0628 et 1089, gravées respectivement sur un naos
portatif de bronze et sur le socle d’une statuette royale en or, ne comportent
sans doute qu’une titulature étendue et correspondent peut-être à une
dédicace funéraire rappelant les « inscriptions de propriété » (voir p. 205).
Enfin, il n’est pas actuellement possible de déterminer l’objet principal
des textes REM 0412 et 0126, ce dernier étant d’ailleurs trop fragmentaire.

1
Les inscriptions de ce genre dénuées de noms royaux sont trop rares pour faire l’objet
d’une section particulière dans notre typologie : il s’agit de REM 0075, un hymne gravé
au dos d’une statue d’Isis retrouvée au Gebel Barkal et nommant cette déesse, et de REM
0406, une stèle de contenu probablement religieux découverte dans le temple d’Ape-
demak à Méroé. Encore cette dernière est-elle trop lacunaire pour que l’on ait l’assurance
qu’un nom royal n’y figurait pas, comme c’est le cas de la stèle très semblable REM 0407,
retrouvée dans le même lieu. Voir également p. 143 le problème posé par REM 1072.
192 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les légendes iconographiques

Ce type de textes est, comme en Égypte, extrêmement bien représenté et


concerne près d’une centaine d’inscriptions, souvent assez courtes, qui
accompagnent les représentations divines et royales, particulièrement dans
les lieux de culte. La quasi-totalité des textes en hiéroglyphes méroïtiques
entre ainsi dans cette catégorie 1, tant il est vrai que ce genre d’écriture avait
avant tout une vocation monumentale. Il semble en outre que la nomination
des dieux ou des souverains, lorsqu’elle n’entrait pas dans le cadre d’un texte
suivi, devait obligatoirement se faire dans cette écriture sacrée. On peut voir
un exemple frappant de cette règle sur les deux stèles de la reine
Amanishakheto récemment retrouvées à Naga, REM 1293 et 1294 (voir ci-
dessus, p. 187). Alors que l’inscription principale au verso est inscrite en
cursive comme tous les « textes royaux », les noms de la reine et de la déesse
Amesemi figurent en hiéroglyphes sur le recto.
Les nominations simples, quand elles ne se cantonnent pas à un simple
cartouche, se font souvent, comme dans les épitaphes 2, par l’intermédiaire
d’une phrase nominale. Les noms propres sont alors suivis du pronom-copule
qo (qowi n’est jamais attesté), et les titres sont suivis du démonstratif (?) /
copule -lo (apparemment jamais -lowi). On trouve ainsi en REM 0015 Atri-qo :
« voici Hathor » (lit. « celle-ci [est] Hathor »), en REM 0020 pqr-lo : « voici
le prince » (lit. « c’est le prince »). Dans les noms royaux, la copule est
intégrée dans le cartouche.
Un cas de légende iconographique intéressante et relativement bien
comprise a été assez tôt étudié (Griffith, 1917b, p. 24-26) : il s’agit des
bénédictions divines adressées au souverain ou à la famille royale. Elles
figurent sur un panneau du temple d’Apedemak à Naga REM 0018, placé au-
dessus de la représentation de ce dieu, étrangement muni ici de trois têtes et
d’une double paire de bras. La bénédiction s’adresse à la famille royale. En
voici la transcription, accompagnée d’une « traduction » encore incertaine,
mais assez plausible 3 :

1
Les contre-exemples sont en nombre réduit : quelques tables d’offrandes, toutes royales
(REM 0060, 0073C, 0828, 0834), un bol gravé d’une « inscription de propriété » (REM
1222), deux proscynèmes (REM 1046A et B), une amulette (REM 0704). Ces trois
derniers textes, les seuls issus de contextes non royaux, sont d’ailleurs inscrits dans un
mélange d’hiéroglyphes et de cursive, peut-être par précaution superstitieuse.
2
Voir ci-dessus, p. 96.
3
On pourra comparer avec les formes anciennes des bénédictions A et B, voir ci-dessus,
p. 168-169. Dans l’inscription de Naga, on observera l’ordre étrange des colonnes : le
texte commence au centre, se poursuit sur la gauche et se termine sur la colonne de
droite. Voir Griffith, 1911c, p. 56-60 ; Hofmann, 1981b, p. 43-46. Zibelius, à tort selon
nous, s’oppose à cet ordre de lecture (Zibelius, 1983, p. 31-32, 67-68).
LES DOCUMENTS 193

2 3
Apedemk-i pwrite : l-b‚-1te : ntki : l-b‚-te
ô Apedemak, vie donne-leur force (?) donne-leur
« ô Apedemak, donne-leur la vie 1 et la force (?) »
On trouve ce genre de bénédiction dans plusieurs autres inscriptions,
notamment en REM 0001, 0005-0020 (autres légendes iconographiques de
Naga), 0034, 0405B, 0084, 0144-0150, 1044A, 1293.

La liste suivante répertorie les principaux ensembles de légendes


iconographiques, accompagnés de leur bibliographie essentielle, assez
réduite la plupart du temps 2.

Temple d’Apedemak à Naga : REM 0003-0020 ; Griffith, 1911c, p. 54-60 ;


Zibelius, 1983 in extenso (étude approfondie).
Temple d’Amon de Naga : REM 0023-0038 ; Griffith, 1911c, p. 62-65.
Pyramides et chapelles funéraires de Méroé : REM 0055-0058, 0062, 0063,
0066, 0067, 0823A et B ; Griffith, 1911c, p. 77-81, 83-85.
Temple d’Amon de Méroé : REM 0415-0421 ; Griffith, 1911b, p. 71-74 ;
Török in Eide et al., 1998, p. 897, 902.
Temple d’Amara : REM 0084, 0144-0150 ; Griffith, 1912, p. 9-13 ; Wenig,
1977, p. 459-475 et pl. 6-11.
« Chambre méroïtique » de Philae : REM 0097-0111 ; Griffith, 1912, p. 34-
42 ; Török, 1978 a et b in extenso ; Hofmann, 1981f, p. 23-28.

Parmi les inscriptions isolées, assez nombreuses, on pourra noter les


suivantes, les plus connues et les mieux étudiées :
REM 0001 (inscription au nom du roi [Amanakha]reqerem sur un bélier
supposé venir de Soba) : Griffith, 1911c, p. 51-53 ; Griffith, 1917a, p. 24.
REM 0002 (inscription rupestre du prince Shorkaror au Gebel Qeili) :
Griffith, 1911c, p. 53 ; Hintze, 1959b, p. 189-192, Török in Eide et al.,
1998, p. 907.
REM 0041 (support de barque de Wad ben-Naga, inscrit en hiéroglyphes
égyptiens et méroïtiques au nom du roi Natakamani et de la reine
Amanitore) : Griffith, 1911c, p. 67-68 ; Priese, 1997b, p. 256-257.

1
Pour l’identification de ce mot, voir Rilly, 2001d, p. 357-358.
2
Il s’agit d’études philologiques, et non archéologiques. Pour ces dernières, on pourra
consulter la liste donnée dans Török, 1997b, p. 410-416, table S et notes correspondantes.
194 LA LANGUE DE MÉROÉ

REM 0405 (stèle de schiste originaire de Méroé représentant le roi


Taneyidamani devant Apedemak 1) : Griffith, 1911b, p. 62-64 ; Wenig,
1978, p. 200.
REM 1004 (naos originaire du Gebel Barkal, inscrit au nom du roi
Amanakhareqerem, couramment appelé « omphalos de Napata ») :
Wenig, 1978, p. 209 ; Steindorff, 1938, p. 147-150 ; Hofmann, 1970,
p. 187-192 ; Priese, 1997c, p. 270-271 ; Török in Eide et al., 1998,
p. 936.
REM 1005 (plaquette dite « Cargill » représentant le prince Arikankharor
massacrant des ennemis en grappe, origine inconnue) : Griffith, 1917a,
p. 21-24 ; Wenig, 1978, p. 203-204.

1
Voir ci-dessus, p. 186, note 1.
LES DOCUMENTS 195

Les proscynèmes et graffiti


S’il fallait un témoignage supplémentaire de la piété de ceux qu’Homère
appelle les « Éthiopiens aux parfaites hécatombes » 1, on en trouverait aisé-
ment un dans la profusion de graffiti tracés par les Méroïtes sur tant de
sanctuaires de leur immense empire, de Philae à Naga. Tous n’ont peut-être
pas une pieuse motivation, mais une large majorité d’entre eux semblent
néanmoins liée à la religion. Le Répertoire d’épigraphie méroïtique recense
quelque cent quatre-vingts inscriptions de ce genre, soit près du cinquième
des textes écrits dans cette langue, et plus d’une centaine d’autres, retrouvés
à Musawwarat, attendent une prochaine publication 2. Outre une vingtaine
d’épigraphes isolées, les principaux ensembles de graffiti sont, du nord au
sud, les suivants :
Temple d’Isis à Philae : REM 0096-0097, 0112-0125 ; voir Griffith, 1912,
p. 33-51 passim, mais surtout 49-51 ; Griffith, 1929, p. 69-70 ; Zyhlarz,
1930, p. 433-437 ; Hintze, 1955, p. 366-368 ; Hofmann, 1989-1990,
p. 226-227, 231-234 ; Hofmann in Török, 1997a, p. 277-279.
Site oraculaire de Qasr Ibrim : REM 1147, 1170-1173, 1242-1247 ; voir
Rose, 1996b, p. 105-107.
Temple et kiosque de Kawa : REM 0601-0627, 0629-0703, 0707 ; voir
Macadam, 1949, p. 93-118 et 137-138.
Temples et enceintes de Musawwarat es-Sufra : REM 0042-0044, 1034,
1045, 1051-1054, 1111, 1112, 1142, 1164-1167, 1283-1288 voir Griffith,
1911c, p. 69 ; Hintze, 1962, p. 45-46 ; Hintze, 1968, p. 676, 679-680 ;
Hintze U., 1979 ; Wolf, 1999b, p. 47-52.
Temple M 0291 de Méroé : REM 1256-1260 ; voir Hofmann in Török,
1997a, p. 141-145.
En dépit de leur nombre, ces graffiti se sont jusqu’à présent avérés d’un
faible apport pour les progrès de la philologie méroïtique. On observera
notamment le peu d’études qu’a suscitées la centaine d’inscriptions pariétales
de Kawa 3. La brièveté des épigraphes, leur piètre état de conservation, les
rares repères lexicaux et syntaxiques qu’ils contiennent, expliquent en bonne
partie le désintérêt des méroïtisants pour ce type de textes. Il n’y a guère que

1
Traduction consacrée, mais inexacte de l’Iliade, XXIII, 206-207. Le texte parle des
« Éthiopiens qui offrent des hécatombes aux Immortels ».
2
Voir ci-dessus, p. 72.
3
La publication de Macadam, 1949, toute luxueuse qu’elle fût, présentait déjà une
synthèse des inscriptions méroïtiques assez peu ambitieuse.
196 LA LANGUE DE MÉROÉ

les proscynèmes de Philae qui aient fait l’objet d’analyses fécondes, comme
on peut le constater dans la bibliographie par site indiquée ci-dessus.
Ces graffiti sont en revanche d’un immense intérêt pour l’étude de
l’écriture méroïtique et de ses origines, car il semble bien que l’on tienne
avec certains d’entre eux les plus anciennes inscriptions actuellement
connues : c’est notamment le cas de REM 0619B, 0638, 0648A, 0650, 0662,
0694 et 0700 pour Kawa, et de REM 0042, 1052, 1166 et 1167 pour
Musawwarat.
La tentative la plus complète de classification de ces textes demeure celle
de László Török dans le chapitre III, intitulé Proskynemata and Related
Inscriptions, de sa communication pour le 7e Congrès d’études méroïtiques
de Berlin (Török, 1984a, p. 173-181). Il propose un classement en dix
catégories, fondé sur une typologie lexicale, la seule actuellement possible en
raison du caractère hautement hypothétique des analyses syntaxiques
proposées pour ces inscriptions :
I. simple anthroponyme (un seul ex.)
II. nom de dieu au vocatif + anthroponyme + texte (5 ex.)
III. type yd‚no (8 ex.)
IV. type (y)ereƒlo / ariƒlo (45 ex.)
V. type yd‚no + yereƒlo (2 ex.)
VI. prière (un seul ex. : REM 0091C)
VII. type aleqese (3 ex.)
VIII type tewiseti (9 ex.)
IX. type stqo (6 ex.)
X. divers (7 ex.)
On observera néanmoins que les 87 inscriptions ainsi classées ne
recouvrent pas la totalité des épigraphes de cette catégorie, même si l’on tient
compte du fait que depuis cette étude, une quarantaine de textes supplé-
mentaires ont été publiés 1. Il y a en effet une réelle difficulté à inclure
certains graffiti dans cette classification, soit parce que leur caractère
religieux, requis par Török, n’est pas évident, soit, le plus souvent, parce
qu’ils sont illisibles ou trop fragmentaires. Une revue plus précise de chacun
de ces types, incluant les graffiti publiés récemment, est nécessaire pour une
meilleure présentation de ce genre de textes.
Type I : simple anthroponyme
Török ne donne qu’un seul exemple, l’inscription tardive de Kawa REM
0611 : Piy¤mni .r-li. Il ne nous paraît pas sûr que le second mot, auquel ne
manque que l’initiale, soit un patronyme : les exemples invoqués par Török

1
Le « catalogue » de Török s’arrête à REM 1112.
LES DOCUMENTS 197

(Ph. 115, 333) sont égyptiens et l’on sait que la filiation paternelle n’est pas
impérative chez les Méroïtes. Elle aurait d’ailleurs été explicitée par une
expression du type terike-lo(wi) « il / elle a été engendré par ».
Il semble que d’autres graffiti d’ordre religieux commencent par un
anthroponyme, parfois seul (REM 0043 1), parfois suivi d’un texte
inintelligible (REM 0042). On pourrait donc requalifier ce premier type
comme « anthroponyme + textes divers », tout en veillant bien sûr à ce que le
texte additionnel ne comporte pas d’éléments comme yereƒlo ou yd‚no qui
ressortissent à d’autres catégories.
Type II : nom de dieu au vocatif + anthroponyme + texte
Török donne trois exemples très abîmés : REM 0143 (île de Saï), 0620,
0621 (Kawa), un autre difficilement intelligible en raison du mélange
d’hiéroglyphes égyptiens et méroïtiques (REM 0644, Kawa), un autre encore
où apparaît effectivement le nom du dieu Amanap, mais sans être au vocatif
(REM 0702, Kawa). Un seul, dédié à Apedemak, est vraiment indubitable
(REM 1111, Musawwarat). Cet ensemble est géographiquement et chrono-
logiquement très hétérogène.
Type III : graffiti comportant la séquence yd‚no
Cette séquence est généralement interprétée comme une forme verbale 2,
bien que le seul élément de reconnaissance, très ambigu, soit le possible
préfixe verbal y-. Les graffiti de ce type sont connus pour l’essentiel à Kawa
et à Musawwarat. À la liste donnée par Török 3, on peut ajouter REM 0666A
et 0693A pour Kawa, REM 1034, 1045, et peut-être REM 1284 pour
Musawwarat. L’expression yd‚no suit généralement le nom d’une divinité,
Apedemak à Musawwarat et Amon de Napata à Kawa. La présence
d’anthroponymes semble parfois probable, mais ne peut être vérifiée dans
tous les cas. Cette catégorie comprend des textes qui correspondent
paléographiquement aux premiers siècles de notre ère.
Type IV : graffiti comportant la séquence yereƒlo
La quasi-totalité de ces graffiti est attestée sur les murs des sanctuaires de
Kawa, où ils constituent plus de la moitié des textes publiés par Macadam,
1949. Un autre provient cependant de l’île de Saï (REM 0082), et un dernier
de Méroé, trouvé par Garstang sur un bloc du temple M 291 (REM 1257). Il
s’agit donc du type de graffiti le plus représenté, avec une cinquantaine

1
Repris par un malheureux doublon dans les Meroitic Newsletters, n° 27 sous l’appellation
REM 1283.
2
Cf. Trigger–Heyler, Index p. 60.
3
REM 0658, 0661, 0664, 0673 (Kawa), 1051, 1054, 1112 (Musawwarat) et un inédit du
Gebel Adda (GA 6G).
198 LA LANGUE DE MÉROÉ

d’exemples connus 1 (mais sur trois sites seulement), et de la catégorie la plus


stable, puisque ces inscriptions s’étalent du IIe siècle avant J.-C. au IIIe siècle
de notre ère.
La majorité d’entre eux répond à la structure suivante :
anthroponyme + « titre » déterminé par -lw (parfois -l) ± (y)ereƒlo
± succession de traits ou chiffres.
Il arrive parfois qu’un élément obscur suivi de numéraux soit glissé
devant (y)ereƒlo (REM 0604, 0629A et B, 0636). Il se peut aussi qu’un
substantif déterminé et suivi d’une seconde série de chiffres soit ajouté à la
structure ci-dessus (REM 0603, 0608, 0636, 0648B, 0680).
La séquence yereƒlo est, comme la précédente, généralement interprétée
comme une forme verbale. On a avancé qu’une lecture *yeremlo était
également possible (Macadam, 1949, p. 95, suivi de Meeks, 1973, p. 15),
mais la forme de la lettre centrale comporte jusque dans les textes les plus
récents un coude médial toujours très marqué, ce qui suggère un ƒ plutôt
qu’un m. Bien que la graphie tardive yereƒlo soit la plus communément
utilisée par les méroïtisants 2, la graphie archaïque et ancienne ereƒlo est
beaucoup plus fréquemment attestée. On trouve aussi les variantes ariƒlo
(REM 0639, 0668, 0688) et yerƒlo (faute en REM 0648C ?). Macadam
voyait dans cette séquence un verbe signifiant « (il) se prosterne », « (il)
adore ». Mais l’absence de théonyme rend cette hypothèse difficilement
recevable. Hofmann en fait une formule indiquant un type de relation sociale
yereƒ suivie du morphème prédicatif -lo (Hofmann, 1981a, p. 183-186). Elle
s’appuie notamment sur deux occurrences de ce terme sur un linteau
funéraire de Sedeinga 3 où ils font effectivement suite à la « description »
d’un dignitaire (REM 1091). Mais cette hypothèse n’explique ni l’usage du
déterminant -lw accompagnant les titres (également à Sedeinga), ni la
présence fréquente de traits indiquant des chiffres (?), et parfois de véritables
chiffres à la suite de ce terme 4. Török préfère donc y voir une liste chiffrée
de donations au temple :

1
Aux 45 exemples de Török, on pourra ajouter REM 0609, 0637, 0663, 0666B, 0681,
0687, 0691, 0692, 0693B, 0696, 0707A (Kawa), 1257 (Méroé). L’étude de Török sur les
graffiti en yereÄlo figure également dans son article du ZÄS (Török, 1984b, p. 66).
2
Notamment en raison de la théorie de Griffith, reprise par Macadam, selon laquelle e-
initial était une orthographe défective pour ye . Il nous semble bien qu’à l’inverse, ye- est
une graphie artificielle pour e- initial. Sur cette question, voir ci-dessous, p. 292.
3
Voir ci-dessus, p. 148.
4
La présence dans cette séquence du prédicatif -lo nous paraît cependant très plausible.
Mais elle ne permet pas d’assurer la nature nominale ou verbale de (y)ereƒ-, puisque ce
morphème est probablement aussi utilisé comme auxiliaire verbal (voir infra, p. 554).
LES DOCUMENTS 199

« Thus the inscriptions with numerals probably record a certain amount of goods
brought to the temple of Amun in Kawa. Insofar as these texts really record goods
presented to the temple, these goods are probably also denoted by the nouns
following the numerals. » (Török, 1984a, p. 178-1791).
Cette hypothèse est séduisante, mais on pourra objecter que dans la
plupart des cas, aucun substantif susceptible de représenter une offrande
n’apparaît devant le numéral, et que les termes qui figurent après les chiffres
ne sont probablement pas en relation avec eux, puisque, comme dans les
textes égyptiens, le numéral suit, et non précède, la notion qu’il quantifie.
Comme on le voit, il reste bien du travail à faire pour pénétrer la signification
des graffiti en yereƒlo.
Type V : graffiti comportant les deux séquences yereƒlo et yd‚no
Deux inscriptions de Kawa, très lacunaires, comportent les deux
séquences : REM 0615 et 0616. Elles correspondent à la même période (Ier
siècle de notre ère ?) et sont situées l’une à proximité de l’autre sur le mur
sud du temple de Taharqo. La première débute par l’invocation Mnp¤-i « ô
Amon de Napata ». Seule la seconde a conservé des chiffres après yereƒlo.
L’état fragmentaire des graffiti ne permet guère de reconstituer une
quelconque structure.
Type VI : prière
Török ne range dans cette catégorie qu’un seul texte, originaire du Gebel
Abou Dirwa près de Dakka, REM 0091. Il s’agit d’un graffito rupestre de dix
lignes, dont deux, isolées, s’apparentent aux présentations des défunts dans
les épitaphes. La première donne une nomination claire 2 Iline-qo « c’est
Iline » (REM 0091A), la seconde une autre nomination moins évidente 3 :
s-qo skin-lo « ce seigneur (?), c’est Shakinali » (REM 0091B). Cette seconde
ligne semble légender la représentation gravée d’un homme vêtu d’un pagne
et tenant un bâton. Dans le troisième ensemble de huit lignes (REM 0091C),
seuls sont compréhensibles 4 trois théonymes : Mnp-i « ô Amanap », Ams-i :
« ô Mash » et plus loin dans le texte, Wos « Isis ». Les deux premiers, au
vocatif, constituent une invocation initiale qui permet de deviner en ce texte
une prière. On pourra toutefois s’étonner que Török en fasse une catégorie à
part, car il est évident que la plupart des graffiti pieux qu’il recense, et dont
1
Même idée dans Török, 1997b, p. 490.
2
Voir supra, p. 97.
3
Voir supra, p. 98.
4
Une longue étude et une « traduction » de ce texte figurent dans Zyhlarz, 1960, p. 741-
744, mais il n’y a malheureusement presque rien à en sauver (voir supra, p. 54-56). Un
commentaire déjà spéculatif, mais moins fantaisiste, apparaissait dans son premier article sur
le méroïtique (Zyhlarz, 1930, p. 448). Török envisage la présence d’un verbe s « écrire »
(ligne 2 du texte principal), mais d’une part la segmentation du passage est arbitraire et on
peut d’autre part, émettre de sérieuses réserves sur l’existence même de ce verbe.
200 LA LANGUE DE MÉROÉ

certains approchent la longueur de REM 0091 1, sont des « prières ». Un


classement dans le Type X (« Divers ») aurait semblé plus approprié 2.
En ce qui concerne la datation de ce texte, nous sommes du même avis
que Hofmann 3, qui y voit une inscription ancienne et la première attestation
du dieu Mash. Outre l’initiale vocalique présente au début de ce nom (Ams-i
pour Ms-i), on observera aussi le i- initial de l’anthroponyme Iline, remplacé
au Ier siècle de notre ère par la graphie yi-. Enfin, nous nous étonnons que
Török juge l’écriture de ce texte comme paléographiquement récente : la
coexistence de q « à triangles », de d et ne bouclés et de to « enroulés »,
l’absence de queues en traîne, l’aspect compact de certaines lettres (k, se)
semblent indiquer une datation vers le début de notre ère ou avant.
Type VII : graffiti comportant la séquence aleqese
Cette catégorie regroupe seulement trois graffiti, deux de Kawa (REM
0610, 0619B) et un de Méroé (REM 0414). On ajoutera désormais
l’inscription REM 1155 du Gebel el-Girgawi. Cependant, la séquence
aleqese se retrouve aussi au début de plusieurs textes royaux (REM 1003,
1041, 1044B, 1141 [l. 1 et 24) et de l’hymne à Isis REM 0075. De très nom-
breuses traductions ont été proposées pour ce terme, mais aucune n’est
vraiment satisfaisante, pas même celle de Hintze : « monument »,
« inscription » (Hintze, 1960a, p. 142), reprise par Török, 1984a. Il semble
assez plausible que la seconde partie du mot soit le possessif qese « son, sa »,
mais on ne peut guère en dire plus sans verser dans la pure spéculation. Les
graffiti de ce type demeurent intraduisibles, et même leur structure reste
sujette à caution, bien que l’inscription de Kawa REM 0610 présente de
nombreux points communs avec le Type VIII (proscynèmes en tewiseti).
Török affirme qu’on ne trouve le Type VII que dans le sud du royaume, à
époque archaïque et transitionnelle ancienne (Ier siècle av. J.-C.-Ier siècle
apr. J.-C.). Force est de constater que le graffito REM 0414 de Méroé est
cependant d’époque tardive, avec une paléographie qui n’a pas de
correspondant avant le IIIe siècle de notre ère 4. Quant à la répartition
géographique, elle est difficile à cerner à partir de quatre exemples, dont
deux du même site, mais on rappellera que le Gebel el-Girgawi, d’où
provient REM 1155, est situé en Basse-Nubie, en face de Shablul.

1
Ainsi pour Kawa (Type IV), REM 0680 (9 lignes) et 0695 (5 longues lignes).
2
Il n’est pas impossible qu’à la ligne 2 du texte principal (REM 0091C) apparaisse une
séquence d‚no, ce qui permettrait alors de classer l’inscription dans le Type III de Török
(voir Griffith, 1912, pl. XI c ; le fac-similé de Griffith [pl. XII] donne d’…‚no).
3
Communication personnelle de Hofmann à Török, cf. Török, 1984a, p. 176.
4
On observera notamment l’allongement des queues du a, du n, du k, la réduction de la
boucle du d et du triangle du q, la simplification des te, l’inclinaison de se et du y.
LES DOCUMENTS 201

Type VIII : graffiti comportant la séquence tewiseti


Ce type est le seul qui ait fait l’objet de nombreuses études depuis
Griffith 1, et qui soit globalement compris, même si la structure et les détails
lexicaux posent encore de nombreux problèmes. Ce sont en effet les rares
textes méroïtiques pour lesquels nous ayons des équivalents égyptiens et
grecs. Il s’agit des proscynèmes proprement dits, du grec τò προσκúνηµα :
« l’agenouillement », utilisé dans les inscriptions de ce type rédigées en grec.
Ils consistent en de courtes prières gravées dans les lieux sacrés, notamment
le temple d’Isis sur l’île de Philae, par de pieux visiteurs. En méroïtique, elles
commencent généralement par la formule tewiseti, transcription de l’égyptien
démotique s'2(,vës-s : « l’adoration », « la louange » (copte toua0te).
Török recense neuf de ces proscynèmes, dont sept à Philae (REM 0095,
0096, 0121-125), un à Medik (en fait deux : 1046A et B 2), et un à la
nouvelle Aniba (REM 1109). On peut désormais en ajouter deux autres
retrouvés à Qasr Ibrim (REM 1170, 1171), ce qui porte leur nombre total à
douze. Tous, comme le signale justement Török, sont donc cantonnés à la
Basse-Nubie et ont été rédigés à époque tardive (IIIe-IVe siècle de notre ère),
probablement sous l’influence de la tradition cultuelle de Philae.
Leur schéma général et leur traduction approximative 3 sont les suivants :
tewiseti : X yeso Wos n-l(w) : ber-wi : (et variantes)
l’adoration (que) X a faite (?) en présence d’Isis est là (?)
La structure présentée est prototypique, et se voit souvent modifiée par des
ajouts et des variantes. On trouve ainsi deux hypostases d’Isis en REM 0122
et 0123 (Wos Pileqe-te-li « Isis de Philae » et Wos Tebwe-te-li « Isis de
l’Abaton »), avec un éventuel accord au pluriel de n-lw en n-betw (< n-bese-lw)
« en leur présence » ; en REM 0125, c’est Arette, probablement Harendotès
(ég. Ãq mc «s<e « Horus protecteur de son père ») qui est invoqué, et en
REM 1171, il s’agit du dieu Mnp « Amanap » 4. Pareillement yeso est une
fois remplacé par tiso (REM 0121), une autre fois par „so (REM 0125), et on

1
Voir bibliographie p. 195 (sous « Temple d’Isis à Philae ») pour les principales études.
On pourra également consulter Heyler, 1967, p. 114, 120 ; Millet, 1969, p. 396 ; Bakr,
1973, p. 76 (REM 1109) ; Leclant, 1978-1979, p. 186 (présence d’anthroponymes) ;
Hofmann, 1982c, p. 43-44 ; Török, 1984a, p. 173-181 ; Burkhardt, 1985 ; Leclant, 1985-
1986, p. 254 (place de l’anthroponyme) ; Rutherford, 1998, p. 242-256 (étude sur le
pèlerinage à Philae) ; Rilly, 2000b, p. 109.
2
Et non REM 1064A comme l’indique Török, 1984a, p. 177. Sur ces deux textes, voir
supra, note 1, p. 192.
3
Cette traduction, très hypothétique, suit Hintze, 1955, p. 368. Il s’agit évidemment d’un
calque des proscynèmes démotiques : s2, vës-s m W si l,a2∆ Hr-s « l’adoration de X en
présence d’Isis est ici ».
4
Ce malgré un mauvais fac-similé de Hainsworth, 1982b, p. 36. On reconstitue nénmoins
sans peine tewiseti Tne yeso d¤ tbo Mnp n-lw berwi.
202 LA LANGUE DE MÉROÉ

peut dans d’autres cas se demander si le ye- initial de yeso n’est pas plutôt le
suffixe de l’anthroponyme qui précède.
Bien entendu, tous les proscynèmes ne sont pas aussi simples, et l’on peut
s’attendre à ce que de plus longs textes comme REM 0123 recèlent quelques
subtilités, comme les trente-six autres rédigés en démotique par (ou pour) des
visiteurs méroïtes de Philae ou de Dakka. Dans l’excellente étude que leur a
consacrée Adelheid Burkhardt, elle oppose la sécheresse des proscynèmes
laissés par les Égyptiens à l’originalité et la faconde de ceux que nous ont
transmis les Méroïtes :
« Die Analyse der demotischen Inschriften von Meroiten hat ergeben, da” die
Meroiten sehr bewußt und gekonnt die Möglichkeiten der demotischen Sprache –
entweder aufgrund hervorragender eigener Beherrschung des Demotischen oder
mit Hilfe ägyptischer Priester – beim Verfassen ihrer Graffiti eingesetzt haben.
(...) Man hat sich jeweils ganz spezifischer grammatikalischer Mittel bedient, um
Anliegen unterschiedlicher Art zu formulieren. Die hier gewonnenen Erkennt-
nisse könnten die Untersuchung vergleichbaren meroitischen Materials neu
beleben, da die Meroiten ganz offensichtlich eine für sie typische Art des
Ausdrucks auch in den demotischen Graffiti benutzten. » (Burkhardt, 1985, p. 12)

Ce bel hommage à l’intelligence et à la créativité des gens de Méroé ne


laisse pas cependant de présager de redoutables difficultés le jour où nous
pourrons véritablement nous attaquer à la traduction des plus longs textes.

Type IX : graffiti comportant la séquence stqo


Les inscriptions de cette catégorie accompagnent toutes des
représentations votives de pieds gravés, parfois seuls, le plus souvent par
paires. Il s’agit de graffiti de Philae (REM 0112-0114, 0116, 0117) et
d’Aniba (REM 1108B) 1. On connaît des équivalents démotiques 2, qui
portent l’inscription n pti.w n : « les pieds de », grec πóδας. La séquence
stqo, au pluriel stqo-leb, apparaît au début de ces inscriptions, et a donc été

1
Les graffiti de pieds votifs de Qasr Ibrim (REM 1147 in Frend, 1974, pl. X et REM 1242-
1247 in Rose, 1996, p. 103-107 et fig. 3.13-3.42), qui figurent sur une ancienne chaussée
de pierre, sont pour la plupart trop arasés pour qu’on puisse en assurer une lecture
comparative. La translittération des inscriptions méroïtiques donnée dans l’ouvrage de
P. Rose est de plus parfois fautive. Néanmoins, il ne semble pas qu’elles contiennent la
séquence stqo. Le graffito REM 1245, le plus clair de la série, présente ainsi une inscription
e¡ne-lo, probablement un anthroponyme ou un titre. Tous ces graffiti paraissent de
paléographie ancienne (à comparer avec REM 1248, plus lisible et offrant les mêmes
ductus), sauf REM 1147. Un graffito inédit du Gebel Adda (GA. 6C) ne comporte pas
davantage le terme stqo, mais un anthroponyme suivi d’une séquence obscure.
2
Ph. 235, 242, 376, 377 et surtout Ph. 237 (voir Burkhardt, 1985, p. 22, 108), où apparaît
un personnage nommé en démotique Is-mt et qui pourrait être le Semeti de REM 0114,
0116, 0117.
LES DOCUMENTS 203

traduite « pied(s) », « empreinte(s) de pied » par Griffith. Si l’on met de côté


les graffiti presque illisibles de Qasr Ibrim, ce sont des textes tardifs, limités
à la Basse-Nubie : ceux de Philae notamment, qui peuvent être comparés
avec leurs contemporains démotiques (voir Griffith, 1929, p. 70), datent de la
fin du IVe siècle apr. J.-C.
L’interprétation syntaxique de ces inscriptions posent des difficultés 1 : la
séquence stqo(-leb) est en effet suivie d’un anthroponyme lui-même suivi
d’un élément variable yet (< yese-l ?) en REM 0112, 0114, so en REM 0116,
-se en REM 0113, absent en REM 0117. Si cet élément est un morphème
génitival comme le laisseraient supposer les parallèles démotiques, on ne
comprend pas que l’article pluriel -leb, qui devrait conclure le syntagme
nominal ainsi formé, soit placé avant le génitif. S’il s’agit bien d’une forme
verbale, comme on l’a supposé pour yeso dans les proscynèmes en tewiseti
(Type VIII), pourquoi est-il alors suivi du déterminant dans sa forme yet
(< yese-l) ? En l’absence de réponse, il est préférable de ne pas se risquer à
indiquer une structure générale.
Type X : graffiti divers
Török classe dans cette catégorie sept textes « fragmentaires ou de type
incertain » (REM 0083, 0086, 0138, 0632, 0651, 0659, 1108). Il est évident
qu’il en existe beaucoup plus, puisqu’une rapide soustraction indique
qu’environ quatre-vingts graffiti, dont la plupart sont probablement pieux,
n’entrent pas dans les catégories précédentes, même enrichies de textes
récemment publiés. L’absence de repères lexicaux simples, comme les
séquences yd‚no, yereƒlo, aleqese, tewiseti, stqo, ainsi que le mauvais état
de conservation ou de lisibilité de textes muraux ou rupestres livrés à des
siècles d’érosion expliquent le grand nombre de ces graffiti inclassables. Une
analyse plus fine, telle que celle qui accompagnera l’édition des textes du
Répertoire d’épigraphie méroïtique, permettra probablement d’établir au sein
de ce corpus de nouvelles catégories, mais on ne doit pas sous-estimer la
propension qu’avaient les Méroïtes à inventer des textes votifs non
stéréotypés, comme le remarquait Burkhardt dans l’examen de leurs
témoignages pieux rédigés en démotique (voir citation p. 202).
Parmi les graffiti récemment publiés, on citera deux ensembles de textes
archéologiquement homogènes qui mériteraient une plus ample étude. Le
premier regroupe cinq inscriptions accompagnant des scènes gravées sur les
murs des sanctuaires de Musawwarat 2 : REM 1142 (représentation d’un

1
On pourra à ce sujet consulter Griffith, 1912, p. 42-43, p. 71 Index A ; Griffith, 1929,
p. 70 ; Zyhlarz, 1930, p. 460 ; Hofmann, 1981a, p. 231, 348 ; Hofmann, 1982a, p. 50-52 ;
Török, 1984a, p. 177, 180 ; Leclant, 1985-1986, p. 253.
2
Pour le premier, voir Hintze, 1972, p. 263 ; pour les suivants, Hintze (Ursula), 1979 (sans
analyse philologique).
204 LA LANGUE DE MÉROÉ

éléphant), REM 1164 (commentant une copulation humaine), 1165


(représentation d’un chien poursuivant un lièvre), REM 1166 (image d’un
cavalier chargeant), 1167 (représentation de singes en situations humaines).
Le second ensemble (REM 1256-1261) comprend des graffiti assez longs
mais endommagés, sur des blocs du temple M 291 de Méroé. Découverts par
Garstang, ils n’ont été publiés que récemment par Török et Hofmann 1.

1
Török, 1997a, p. 141-145, avec une lecture de Hofmann. Le graffito REM 1257 est de
type yereƒlo (cité ci-dessus, p. 197).
LES DOCUMENTS 205

Les « inscriptions de propriété »

Il s’agit d’inscriptions comportant un nom, un titre, ou les deux, suivis du


suffixe -so, et tracées sur des objets, soit pour indiquer leur propriétaire, soit
pour dédier un présent funéraire. Elles n’ont fait actuellement l’objet que de
courtes études (voir bibliographie en fin de section) et ne concernent pour
l’heure qu’un nombre réduits d’objets retrouvés dans des sépultures : une
lampe de bronze de Méroé (REM 0822), une jarre de Faras (REM 1009), un
vase de Gemai (REM 1013), une amphore de Sinisra (REM 1131), une jarre
de Serra (REM 1188), un fragment de coupe de Qustul (REM 1219), un bol
de bronze d’El-Hobagi (REM 1222) et trois amphores de Méroé (REM 1270-
1272) 1. Ces textes recouvrent une période allant du Ier au IVe siècle de notre
ère et sont disséminés sur tout le territoire du royaume de Méroé.
Le tesson de coupe décorée, retrouvé dans la tombe de Qustul Q 172-1,
est marqué d’un dipinto lacunaire (REM 1219 publié dans Millet, 1991,
p. 169, Pl. 99e) : ]ormsye so, où l’élément -so suit très probablement un nom
propre, reconnaissable au suffixe -ye fréquent dans les anthroponymes. Il en
va probablement de même pour le graffito sur jarre de Gemai (REM 1013)
où Griffith lit sƒ‹li-so 2, et peut-être pour la seule ligne lisible de l’amphore
de Sinisra (REM 1131) où l’on déchiffre pnp-so.
Le morphème -so peut également suivre un titre, qui est alors
accompagné du déterminant -li. Ainsi la lampe de Méroé porte l’inscription
abri lƒ-li-so (REM 0822) où abri lƒ pourrait représenter un titre de
« chef » 3. Pareillement, le graffito REM 1009 sur une jarre de Faras se lit
dseke-li-so ; on peut y reconnaître le titre sacerdotal dseke, associé parfois au
culte du dieu Mash 4. Enfin, la jarre de Serra est marquée d’un dipinto (REM
1188) qoresem-li-so où l’on reconnaît le titre qoresem, de signification
débattue 5.

1
Il n’est pas impossible qu’un pot de Méroé (REM 0821) et une amphore de Gemai (REM
1015) soient également porteurs d’une inscription de ce type. La faible dimension des
clichés et la piètre qualité des fac-similés publiés ne permettent pas de l’affirmer.
Hofmann, 1989-1990 lit cependant Neƒror-so en REM 0821, où Neƒror serait
évidemment un anthroponyme d’après la fréquente terminaison -ror. L’inédit du Gebel
Adda GA 79, un dipinto très lacunaire sur amphore (Toronto, ROM 66 : 3 : 47),
appartient aussi à cette catégorie.
2
Bates-Dunham, 1927, p. 41 : Griffith y propose un anthroponyme « Shakha‹li ».
3
Lit. « grand homme », var. probable de br-lƒ : voir ci-dessus note 5, p. 152.
4
Hofmann propose pour ce titre « porteur de sistre » en raison du dessin de l’instrument
qui suit la mention de ce mot (Hofmann in Török, 1997a, p. 276).
5
On a proposé « épouse royale » (Griffith, 1911a, p. 57) ou à l’inverse « époux de la
reine » (Török, 1979, p. 40).
206 LA LANGUE DE MÉROÉ

Il peut enfin arriver que l’inscription porte à la fois un anthroponyme et


une désignation du personnage. C’est sûrement le cas du bol d’El-Hobagi,
destiné à un personnage de haut rang, dont le nom et les titres, actuellement
difficiles à préciser, sont gravés en hiéroglyphes sur la bande courante (REM
1222) :
mƒeyrmone : ƒlytƒlne : qore-tme-li-so : mke-tme-li-so :

Il en va probablement de même pour les dipinti sur amphores de Méroé 1,


récemment publiés par Török et étudiés par Hofmann (Török, 1997a, vol. I.
p. 275-279) : tous trois comportent un anthroponyme suivi de deux
caractérisations obscures (titres non encore attestés ?) se concluant chacune
par la séquence -li-so :
REM 1270 : s‚eyo : bobosliso wosmro-li-so
REM 1271 : s‚eyo : bobosliso [te]qelo-li-so
REM 1272 : telkeyo : bobosliso teqolo-li-so

Hofmann, dans sa contribution à l’ouvrage de Török 2, identifie


clairement s‚eyo et telpeyo comme des noms de personnes, malgré une
terminaison un peu atypique. Les deux termes suffixés en -li-so ont de
bonnes chances d’être des titres, ou tout du moins des « caractérisations ».
Hofmann conclut de manière prudente :
« Nevertheless, the meaning of the dipinti remains somewhat obscure. Only so
much can be established, that they are connected with the notion of property. »
(op. cit , p. 279).

Comment peut-on comprendre l’élément -so ? Il semble que ce


morphème se retrouve sur certains ostraca où il clôt semblablement
l’inscription (REM 0579 à 0583, 0585, 0594, 0804). On pense aussi aux
proscynèmes, où apparaît un élément yeso/tiso/aso, que beaucoup de
méroïtisants ont considéré comme une forme d’un verbe -so : « faire »,
« écrire » (voir supra, p. 201). Ce sont ces deux parallèles qui guident
Hofmann dans l’examen des trois dipinti sur amphores évoqués ci-dessus.

1
Retrouvées dans les fouilles de J. Garstang à Méroé dans la tombe n° 800, elles sont
répertoriés 800-b (REM 1270), 800-c (REM 1271) et 800-d (REM 1272). Voir Török,
1997a II, pl. 159 pour fac-similés. Hofmann les date paléographiquement du milieu du IIe
siècle apr. J.-C., tandis que Török, sur des bases archéologiques, les fait remonter au Ier
siècle. Cette divergence est un exemple emblématique des difficultés de la datation
paléographique (cf. ci-dessous, p. 345). Un quatrième dipinto sur fragment d’amphore,
appartenant au même ensemble retrouvé par Garstang à Méroé (Bruxelles, E 3652, REM
1332), présente une inscription parfaitement parallèle : [te]lepeyo : bobos[b]-li-so :
wosmro-li[-so]. Voir Carrier, 2001b.
2
Une première analyse figurait dans un article précédent (Hofmann, 1989-1990, p. 229-230).
LES DOCUMENTS 207

C’est également ce qui permet à Millet, dans son analyse du bol d’El-Hobagi,
d’avancer pour -so une traduction « made it [the obeisance] » où il envisage
qu’on ait ici affaire à une sorte de proscynème.
L’élément -so apparaît comme une sorte de particule de prédication assez
proche du suffixe génitival -se, tant par sa forme que par sa construction
après des noms définis par le déterminant -li. Hofmann y voit une
combinaison de -se et d’une copule de forme -o, telle que l’avait envisagée
Hintze, 1979, p. 116-117. Selon cette hypothèse, X-so signifierait : « c’est à
X », « qui appartient à X », un sens tout à fait acceptable.
L’inscription REM 1009 (dseke-li-so), évoquée plus haut, était traduite
par Griffith, son inventeur : « from (or by, for) the zasake » (Griffith, 1924,
p. 177, avec lecture ancienne du d). Nous ne croyons pas qu’on puisse
avoir affaire dans ces groupes en -(li)-so à des signatures d’artisans, une
pratique connue des Grecs, mais étrangère aux civilisations du Nil. Il doit
s’agir de dédicaces funéraires, et deux solutions semblent envisageables : soit
ces inscriptions renvoient au défunt, et signifient en gros « pour X » ou
« appartenant à X », soit elles indiquent l’origine du récipient offert et
doivent se comprendre « de la part de Y ». Nous ne disposons malheu-
reusement d’aucune inscription de ce type qui puisse être comparée au nom
du défunt à l’aide d’un autre élément du mobilier funéraire, mais la première
solution semble évidemment la plus vraisemblable : c’est le disparu qui est
évoqué. Le bol d’El-Hobagi en apporte une preuve décisive puisque pour la
première fois, on n’a plus un graffito ou un dipinto dédiant le récipient au
moment des funérailles, mais une inscription hiéroglyphique dont la présence
était probablement prévue lors de la fabrication de l’objet, et dont l’exécution
soignée est l’œuvre d’un artisan. L’utilisation de l’écriture sacrée est pour
l’instant unique dans ce contexte et doit s’interpréter comme une puissante
protection appelée sur un personnage de sang royal. Il serait donc tout à fait
incohérent qu’elle ne mentionne pas le défunt à qui elle était destinée.

Bibliographie :
Griffith, 1924, p. 177 et pl. LXIX/4 (REM 1009) ; Bates-Dunham, 1927, p. 41 (REM
1013) ; Millet in Säve-Söderbergh, 1982, p. 51 (REM 1188) ; Hofmann, 1989-1990,
p. 229-230 ; Hofmann in Török, 1997a, p. 275-279 ; Millet, 1998, p. 59-60 (REM
1222) ; Rilly (à paraître) : ætude de l’inscription méroïtique hiéroglyphique REM
1222 (contribution à la publication finale des fouilles d’El-Hobagi par P. Lenoble).
208 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les « inscriptions de travaux »

Sous ce nom contestable, mais que nous conserverons tant par tradition
que par commodité, se cache l’ensemble d’épigraphes le plus énigmatique de
cette typologie. Dans sa publication des textes des cimetières de particuliers à
Méroé, Griffith avait brièvement étudié deux blocs inscrits, REM 0444 et
0451, qui ne s’apparentaient guère aux épitaphes communes, puisque aucun
nom de défunt n’y apparaissait, bien que l’une des inscriptions (REM 0444)
présentât une invocation initiale à Isis et à Osiris, fragmentaire mais
clairement restituable. Leur lexique avait des traits communs et pouvait
également être mis en parallèle avec l’inscription ajoutée au bas de la stèle de
Karanóg REM 0241, qu’il avait désignée sous le nom de « Stele-text » 1
(Griffith, 1911a, p. 53). La comparaison des trois textes, toute justifiée et
prometteuse qu’elle fût, ne permettait malheureusement aucun éclair-
cissement sémantique ou même syntaxique :
« Many parallels can be seen and interesting variations of words in changing
contexts : but it is useless to suggest a translation when nearly all is unknown. »
(Griffith, 1911b, p. 78)

Quelques années plus tard, Griffith, dans la première de ses « Meroitic


Studies » (Griffith, 1916a, p. 29-30), revint sur deux inscriptions gravées sur
deux blocs détachés par Lepsius des monuments funéraires royaux de Méroé
et rapportés au musée de Berlin : REM 0064, issu de la pyramide Beg. N. 19,
et REM 0070, issu de la pyramide Beg. N. 18 2. Les deux textes, presque
identiques, ne différaient que par une des deux indications numériques qui y
figuraient :
REM 0064 : dmkte qo : ‚lbi 3 dime 24 kelw qe nsper-lo :
REM 0070 : dmkte qo : ‚lbi 3 [di]me 4 kelw : qe nsper-lo :

Griffith notait que chaque inscription, loin d’être un simple graffito, avait
été gravée avec soin sur la face est des deux pyramides. Il interprétait les
deux chiffres comme une date, indiquant le mois ou la saison et l’année 3, et
traduisait donc :

1
Pour l’étude de ce passage, voir ci-dessus, p. 156. On consultera le Tableau 7, p. 213
pour les transcriptions des inscriptions de la présente section.
2
La première étude qu’il en avait faite cinq ans plus tôt s’était limitée à une simple lecture
(Griffith, 1911c, p. 84, 85-86).
3
Respectivement ‚lbi « mois » et dime « année ». Ces traductions de Griffith restent très
controversées, et ne reposent principalement que sur l’hypothèse ci-dessus.
LES DOCUMENTS 209

« The honourable Zamakte : having finished (or dedicated) this in season (?) 3
year 4 (24 on Pyr. A311). » (Griffith, 1916a, p. 30)

Griffith ajouta à sa démonstration une épigraphe de structure très proche,


REM 0076 2, tracée sur une colonne de la salle hypostyle du temple d’Amon
au Gebel Barkal :
REM 0076 : arekete : qoli : nsper dime-l : ytekes : tiselke : 12
« Arekete : having finished (or dedicated) this in year 12 of yatekeshti (?) ».
(Griffith, 1916a, p. 30)

Griffith interprétait donc ces trois inscriptions comme l’indication


chronologique du terme des travaux. Il s’abstenait prudemment de préciser
quels étaient les personnages indiqués sous les noms de Zamakte (dmkte) et
Arekete (arekete), mais il est plus que probable qu’il y voyait des architectes.
Il ne mentionnait pas les ressemblances de ces trois dernières inscriptions
avec les « Stele-texts » de Méroé et Karanóg (voir ci-dessus), soit qu’il ne
s’en soit pas aperçu, ou qu’il les ait estimées peu convaincantes.
L’hypothèse fut reprise par Zyhlarz, qui hasarda une traduction
« édifice » pour qe, « constructeur » pour nsper, et « il la calcula » pour
ytekes. Il obtenait donc :
REM 0064 : « Der edle Ímktƒ im dritten Monat, vierzehntes Jahr, ist der pƒ,
Erbauer (?) ». [= Erbauer des Gebäudes] (Zyhlarz, 1930, p. 447)3

REM 0076 : « Der edle ƒqƒjƒsƒ (Orekot ?) (ist) Erbauer (?). Das Jahr seiner
Berechnung [= das Jahr, er rechnet es] s«rkjƒ (ist) XII. » (ibid.)

On ne commentera pas davantage les spéculations de Zyhlarz 4, mais on


notera qu’il est le premier à parler nommément d’« inscriptions de travaux »
(« Bauinschriften »).
Hintze reprit également l’analyse de Griffith et la précisa 5, notamment à
partir de la lecture d’une quatrième inscription similaire de Méroé, gravée sur
un bloc isolé attribué à la pyramide Beg N. 2 et publiée par Dunham
(REM 0809) :
dmkte qoli : nsper : dime 29

1
« Zamakte » pour dmkte avec l’ancienne translittération de d par z. La numérotation
actuelle des pyramides est celle de Reisner : A31 y est devenu Beg N. 18.
2
Il lui avait auparavant consacré un bref paragraphe, consistant essentiellement en une
lecture encore imprécise, dans ses Meroitic Inscriptions (Griffith, 1912, p. 4).
3
Voir p. 237 pour le système de translittération adopté par Zyhlarz.
4
Voir p. 54.
5
Hintze, 1959a, p. 54.
210 LA LANGUE DE MÉROÉ

Comme elle commençait également par dmkte, il devenait difficile de


croire que l’architecte « Damakate » était responsable de la construction d’une
pyramide antérieure d’un siècle aux deux autres, porteuses des inscriptions
REM 0064 et 0070. Hintze proposa donc deux solutions : ou il s’agissait de
rénovations et non de constructions, ou bien le bloc de Dunham appartenait à
une pyramide proche dont il aurait été déplacé, par exemple à Beg N. 32.
C’est cette dernière solution que choisit Hintze. Il fallait alors que les dates
indiquées correspondissent non aux années de règne des souverains, mais à la
période d’activité de l’architecte. Dans ce cas, on pouvait situer cette dernière
sur les trois règnes des souverains Amanikhatashan (pyramide Beg. N. 18,
REM 0070), Tarekeniwal (pyramide Beg. N. 19, REM 0064) et
Amanakhalika (pyramide Beg. N. 32, REM 0809), soit selon Hintze entre 80
et 109 de notre ère. La durée des deux derniers règnes, selon la chronologie
de Reisner et Dunham, s’accordait alors exactement avec les dates figurant
dans les trois inscriptions.
Wenig se pencha à nouveau sur le problème (Wenig, 1967, p. 34-35), et
privilégia plutôt la première hypothèse de Hintze, notamment parce que, dans
sa chronologie, il plaçait le souverain Amanikhatashan un siècle avant
Amanakhalika : les inscriptions devaient donc signaler non pas une
construction de pyramides, mais une rénovation, et les dates indiquées
correspondaient bien à des années régnales.
On s’étonnera qu’au milieu de ces batailles de chronologie, il ne se soit
trouvé personne pour examiner de près le postulat de départ, à savoir que ces
inscriptions commençaient par un anthroponyme. Le second élément, qo,
parce qu’on le considérait encore comme un adjectif qualifiant une sorte de
noblesse dans les nominations 1, ne laissait aucun doute sur la nature
anthroponymique du terme initial dmkte, quand bien même ce qo se
présentait-il sous la forme qoli (en REM 0076 et 0809), jamais attestée dans
les nominations. Tout au plus trouve-t-on de la part de Heyler quelques
réticences sur l’identification de arekete comme nom propre au début de
REM 0076 (Trigger–Heyler, 1970, p. 34 et note h93). Les « Stele-texts »
(cf. p. 156), qui auraient pu bousculer les certitudes générales, n’étaient
d’ailleurs jamais mis en parallèle avec ces « inscriptions de construction ».
Il fallut attendre la publication d’un premier article de Hofmann : « Die
sogenannten meroitischen Bauinschriften » (Hofmann, 1980b, in Mélanges
Vycichl), repris et étoffé dans Material für eine meroitische Grammatik
(Hofmann, 1981a, p. 249-255), pour que tous ces textes fussent philo-
logiquement comparés. Le rapprochement des termes initiaux 2 s’avérait
particulièrement éclairant :

1
Voir ci-dessus, p. 97.
2
D’après Hofmann, 1980b, p. 50. Le texte REM 1195 sera évoqué par la suite.
LES DOCUMENTS 211

are-kete qo-li (REM 0076)


dm-kte qo(-li) (REM 0064, 0070, 0809)
dm-se qo-l (REM 0241, 0444, 1195)
dm-te qo-li (REM 0451)

On peut ainsi comparer certaines variantes des verbes de bénédictions des


épitaphes 1 :
formule A formule B
pso-ƒe-kete (REM 0510) psi-‚r-kete (REM 0257)
pso-ƒe-tese (REM 0517) psi-‚r-kte (REM 0250)
pso-ƒe-te (REM 0207) psi-‚r-kese (REM 0261)

Il semble bien que la formule initiale comporte, non pas un


anthroponyme, mais un complexe verbal, construit sur un lexème dm- ou
are-, suivi d’une forme pronominale 2. Comme qol(i) est attesté dans des
ostraca d’ordre économique et que des chiffres figurent en REM 0064, 0070,
0076, 0809, et comme d’autre part on trouve une invocation initiale dans les
« Stele-texts » REM 0444 et 1195, Hofmann supposa que l’ensemble de ces
inscriptions pouvait contenir des engagements solennels devant les dieux à
s’acquitter d’un dû ou d’une offrande :
« Ich möchte daher annehmen, dass es sich um eine Art Verträge, Vereinbarungen
handelt, die unter den Schutz der Götter gestellt werden. (...) Es braucht sich
dabei übrigens nicht um Verträge zwischen Menschen zu handeln, sondern auch
um Verpflichtungen, die ein Mensch einem Gott oder dessen Tempel gegenüber
auf sich nimmt und eidlich bekräftigt. (...) ‚lbi und dime sind zählbare
Gegenstände oder Personen, die ganz oder vorübergehend einem Tempel gestiftet
werden können. » (Hofmann, 1980b, p. 50-51)

Malheureusement l’hypothèse n’est pas entièrement convaincante et pose


un certain nombre de questions : pourquoi les divinités funéraires seraient-
elles invoquées pour des serments prêtés par des vivants ? Est-il possible
qu’une prestation de serment existe sans que le nom de son auteur
n’apparaisse ? Pourquoi la présence d’un pronom et de chiffres témoignerait-
elle forcément d’un contenu d’ordre économique ?
Un dernier texte appartenant à cette catégorie reposait dans les collections
du musée de Munich et n’a été l’objet d’une publication et d’une étude que
récemment (Hofmann-Tomandl, 1986a). Il s’agit de REM 1195 (Munich ÄS
2624), une inscription de type ancien (autour du début de notre ère),
relativement soignée et bien conservée, gravée sur un bloc carré de 40 cm de

1
Voir supra, p. 167sq.
2
Le terme qoli semble un composé du pronom qo, voir p. 549.
212 LA LANGUE DE MÉROÉ

côté. Elle proviendrait de Méroé, où elle aurait peut-être été découverte dans
les fouilles de Garstang. Elle ne contient pas moins de trois invocations à Isis
et à Osiris, l’une initiale, l’autre finale, et la troisième, du type solennel 1, au
milieu du texte. Quelques éléments lexicaux la relie aux bénédictions funé-
raires 2, notamment les substantifs ato « eau » (formule A), sr « viande (?) »
(formule F). Il semble difficile dans ces conditions d’imaginer un contexte
autre que funéraire, et Hofmann, dans l’étude de cette inscription, ne
renouvelle pas son hypothèse de « serments » :
« Zum Inhalt unseres Textes können wir nur so viel sagen, da” es kein üblicher
Totentext ist (...). Abschlie”end müssen wir uns eingestehen, da” wir im Grunde
genommen nicht weitergekommen sind als Griffith vor genau 75 Jahren, und alle
Raterei hilft uns nicht weiter. » (Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 55-56)

En dépit de ces conclusions peu optimistes, les analyses de Hofmann ont


permis de faire avancer quelque peu la compréhension de ce type de textes. Il
est évident que l’hypothèse des « inscriptions de travaux » ne tient plus,
même si, faute de certitudes, il vaut mieux garder cette appellation tradi-
tionnelle plutôt que de se hasarder à en forger une nouvelle que de futures
découvertes pourraient vite rendre caduque. Le contexte funéraire est avéré
pour tous les textes, qu’ils proviennent des pyramides royales ou des tombes
de particuliers. Il s’agit cependant d’inscriptions tracées bien après
l’inhumation, comme une sorte de rappel des stèles funéraires, ce qui pourrait
expliquer qu’il n’ait pas été nécessaire de faire figurer une nouvelle fois le
nom du défunt : ce point est particulièrement clair en REM 0241, où
l’inscription a été ajoutée tant bien que mal sur l’espace vacant par une
nouvelle main 3. En ce qui concerne les pyramides des souverains, la qualité
de la gravure montre que ces inscriptions émanaient très probablement du
pouvoir royal, éventuellement du successeur du défunt, car la paléographie
correspond en gros à la même époque que celle où l’on peut situer la
construction des pyramides concernées. Cette coutume a perduré, puisque les
plus anciennes de ces épigraphes (REM 0064, 0070, 1195) remontent
apparemment au Ier siècle de notre ère ou légèrement avant, et que la plus
récente (REM 0241) doit dater du IIIe siècle apr. J.-C.

1
Voir supra, p. 94.
2
Cf. Tableau 6, p. 183.
3
Voir supra, p. 156.
LES DOCUMENTS 213

Tableau 7 : Comparaison des « inscriptions de travaux »


(Les éléments récurrents figurent en gras, les chiffres en exposant renvoient
aux lignes des textes)

Inscription Invocation Formule


Reste du texte
REM initiale d’introduction

0241B 1 1
dmse qol klkel† 2ysbdbto : yseqe3retestto
1
[]wos[ :] tro3ˆ™… : klke : sb4tn : seqe : re5¤… :
0444 2
dmse qol :
so[re]yi : [...]qe 6[...]qe
klkeli[ :] 3sklw : mlon : yetlw[ :]
1
0451 [...] 2 : dmte qoli : 4
mlonki : tkkete : a5sori : pwrit
troˆ 6¥rpne qese drp’…7k : likel
l‚ke : sklw mlo3n : yetlw mlon
1
yedne qe4se : drpn : wos qetne5ineli :
wosi :
1195 2
dm se qol asori : qe6tneyineli : ato qe7t mke :
asoreyi :
amet keyne : 8sr : qet pke : ap[.]
9
keyne : asorey[i :] 10wosi
0064 1
dmkte qo : ‚lbi 3 2dime 24 kelw 3qe nsperlo :
0070 1
dmkte qo : ‚lbi 3 2[di]me 4 kelw qe n3sperlo :
0076 1
arekete : qo2li : nsper : 3dimel : yteke4s : tiselke : 512
0809 1
dmkte qoli : nsper : 2dime 29

Bibliographie (les études de base sont en gras) :


Griffith, 1911a, p. 53 ; Griffith, 1911b, p. 78 ; Griffith, 1911c, p. 84, 85-86 ;
Griffith, 1912, p. 4 ; Griffith, 1916a, p. 29-30 ; Zyhlarz, 1930, p. 446-447 ; Hintze,
1959a, p. 54 ; Wenig, 1967, p. 34-35 et notes 170, 171 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 34
et note h 93 ; p. 35, note h 100 ; Hofmann, 1980b, p. 49-51 ; Hofmann, 1981a,
p. 249-256 ; Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 46-47 ; Claude Rilly, « Les inscriptions
d’offrandes funéraires : une première clé vers la compréhension du
méroïtique », dans Revue d’égyptologie, t. LIV (2003), p. 167-175 (article paru
après la rédaction de ce chapitre et comportant une nouvelle interprétation).

1
Il s’agit du passage additionnel en fin de stèle, qu’il convient désormais de distinguer de
l’épitaphe proprement dite (REM 0241A).
214 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les inscriptions d’exécration

Les textes de ce genre s’inscrivent dans la tradition pharaonique


d’envoûtement des peuples ennemis. Il s’agit de courtes inscriptions gravées
sur les représentations d’étrangers entravés, livrant essentiellement leur nom,
qu’il s’agisse d’un anthroponyme ou d’un ethnonyme 1. Cette pratique est
bien attestée au Moyen Empire dans les colonies égyptiennes de Basse-
Nubie, notamment à Ouronarti et Mirgissa, et l’on a même découvert des
figurines d’envoûtement correspondant aux ancêtres des Méroïtes 2.
Pareillement, dans le temple jubilaire d’Amenhotep III à Soleb, a été
retrouvée une liste des peuples envoûtés d’un type fréquemment représenté
dans les temples d’Égypte : les « vaincus » sont figurés par des cartouches
ethniques à leur nom, surmontés chacun d’un buste de prisonnier entravé 3.
Une frise similaire existe aussi à Abou Simbel et l’on voit que les Méroïtes
ne manquaient donc pas de modèles sur leur propre territoire.
Une procession de prisonniers entravés est ainsi gravée sur les murs du
temple du Soleil à Méroé (REM 0401), comportant dix-sept cartouches en
hiéroglyphes méroïtiques anciens, si l’on en croit l’utilisation de quelques
signes proprement égyptiens comme pour b (au lieu de b) ou les signes
non redoublés pour se (au lieu de S), pour n (au lieu de n). Aucun
des noms qui y figurent n’est clairement identifié avec un peuple connu,
même si Griffith n’a pas ménagé ses efforts pour les rapprocher d’ethno-
nymes est-africains rapportés par les auteurs classiques 4 (Griffith, 1911b,
p. 58-60). Il faut dire que la lecture est rendue difficile par l’imprécision des
hiéroglyphes et le mauvais état de conservation de l’inscription.
Une autre frise de prisonniers apparaît sur une stèle récemment retrouvée
à Naga et figurant la Candace Amanishakheto amenée devant Apedemak par
la déesse Amesemi, sa parèdre. Sous cette scène principale figurent cinq
ennemis entravés, un motif qu’on retrouve dans de nombreux monuments
royaux (par ex. REM 1003 et 1044). Mais à la différence de ces deux stèles,
les figures des prisonniers portent en travers du corps une courte inscription
cursive, probablement un anthroponyme ou un ethnonyme les désignant

1
En ce sens, il aurait été possible de classer ce type d’inscription parmi les « légendes
iconographiques » (voir supra, p. 192). On ne possède apparemment pas de textes de ce
genre comportant de véritables formules magiques.
2
Cf. Posener, 1940, p. 35-62 et Posener, 1987, notamment p. 23 ; Vila, 1963, p. 135-160 ;
Koenig, 1990, p. 101-185 ; Wildung et al., 1997, p. 85. Voir également ci-dessus, p. 3-4.
3
Cf. Schiff Giorgini, 1958, p. 82-98 ; Vercoutter–Leclant, 1976, p. 68-70.
4
Les mieux conservés donnent : Awir, Ayk, Bres‚, Indo, Kmti, Ptrme, Toseni, Wke. Une
nouvelle lecture de ce texte par J. Hallof a été récemment publiée (Hallof in Hinkel,
2001, p. 200-201).
LES DOCUMENTS 215

(REM 1293 C-G 1). Malheureusement, l’état de conservation est trop


mauvais pour assurer les lectures. Le premier prisonnier à gauche serait selon
Wildung un soldat romain, avec son casque à jugulaire et son profil
européen, mais l’inscription qui le barre de haut en bas ne comporte pas un
dérivé du mot Arome « Rome », comme on l’attendrait dans ce cas, mais un
obscur et très peu assuré t.eˆ[.].
Les quatre autres inscriptions qui entrent dans cette catégorie sont gravées
sur des figurines de bronze représentant un ennemi entravé. Trois d’entre
elles ont simplement été découpées dans une plaque et percées d’un trou pour
être fixées à la base d’un oriflamme dans le temple B 500 du Gebel Barkal
(REM 1191, 1192, 1196). Une seule est en trois dimensions : il s’agit d’une
statuette retrouvée par Garstang à Méroé, portant sur la poitrine
l’inscription 2 qo : qore nob-o-lo « celui-ci, c’est le roi des Noba » (REM
1180) 3.
L’inscription REM 1191 porte elle aussi une nomination, malheureu-
sement obscure : set-lo où il est difficile de savoir si l’on a affaire à un
anthroponyme ou un ethnonyme 4. REM 1192 se lit nob edeqe ¢o « c’est le
noba edeqe », mais on ne peut dire si edeqe est un anthroponyme nubien ou
un terme méroïtique obscur 5.
Quant à l’inscription REM 1196, elle est difficilement lisible sur le seul
cliché qui en ait été publié 6, mais on peut sans assurance déchiffrer ]¡eney-
lo, qui correspond peut-être à un ethnonyme africain, si l’on en croit la
représentation.

1
Voir Carrier, 2000, p. 5 et p. 27, fig. 18 ; Wildung, 2000, p. 14.
2
Cf. Wenig, 1978, p. 218 (Cat. n° 139), avec une traduction contestable de Priese. La
lecture de cette inscription nous semble sûre et nous ne nous associons donc pas aux
réticences exprimées à ce sujet dans Hofmann et al., 1989b, p. 277-278.
3
On rectifiera en n n les signes k + o ok dessinés par Török : la succession k + o est
théoriquement impossible dans l’écriture méroïtique (cf. Rilly, 1999a, p. 106). La lecture
n a pu récemment être assurée par l’examen d’un moulage de l’inscription appartenant au
fonds Leclant. Il semble que nob-o soit un génitif en -o de l'ethnique (voir ci-dessous p.
527-528).
4
Le terme set ne désigne assurément pas un « Nubien » comme le propose Kendall
(Kendall, 1982, p. 55) : le terme S2,rs« « le pays de l’arc », nom générique de la Nubie en
égyptien, est parfois utilisé par les rois de Koush pour désigner leur propre territoire. Il serait
étrange que le mot soit passé en méroïtique pour nommer un peuple ennemi. Les anciens
locuteurs de l’actuel nubien (les Noba) sont assez sûrement désignés par le terme nob.
5
Cette inscription est lue différemment par Kendall : nobelo edeqe, et traduite « Edeqe, of
the Noba tribe » (Kendall, 1984, p. 56).
6
Leclant–Clerc, 1989, p. 417 et fig. 74. Voir aussi REM : Leclant et al., 2000, p. 1780.
216 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les décrets oraculaires amulétiques 1

En 1977, dans Ägypten und Kusch, un mélange dédié au professeur


Hintze, Nicholas B. Millet donnait sous le titre Some Meroitic Ostraka une
étude structurale de cinq ostraca portant des textes proches : REM 1096, d’Ar-
minna, REM 0345, 0346 et 0361 2 de Karanóg, et REM 1152 de l’île de Tila.
Selon Millet, on avait ici affaire à des textes de nature épistolaire. Trois
formules similaires se suivraient au début 3 :
(a) Nom de personne + wte-li 9 + pke-li : + yiroƒetowi
(b) Nom de divinité + épithète + mlo-wi
(c) yni : bnebese-ni : wyekite-lowi ou d [...] (uniquement en REM 0361)
Millet interprète la première expression comme une formule d’envoi : « X
sends the letter (? wte-li) (to) Y », la deuxième comme une bénédiction
impliquant une divinité (Isis ou Amon de Primis) : « a pious greeting or wish
of some sort », la troisième comme une formule de politesse où le
destinataire se présenterait respectueusement : « I am the wyekite... ».
Suivrait le texte proprement dit de la lettre, exposant son objet, et bien sûr
différent pour chaque document.
En septembre 1999, David Edwards nous fit parvenir, avec une première
version de l’article publié récemment dans la Meroitic Newsletter n° 27
(Edwards-Fuller, 2000), les reproductions des textes inédits de Qasr Ibrim et
d’Arminna. Tous comportaient le même type de texte, avec quelques
variantes. L’un d’eux complétait l’ostracon REM 0361 et, partant,
s’accordait de près avec un cuir inscrit retrouvé par l’équipe de Francis Geus
en 1995 dans les fouilles de l’île de Saï (REM 1236) 4, sur lequel il nous
avait été donné de travailler peu de temps auparavant. Ce fut donc avec
l’équipe britannique l’occasion d’un échange fructueux, où plusieurs
1
L’étude suivante a été reprise dans un article de la Meroitic Newsletter n° 27 intitulé
« Deux exemples de décrets oraculaires amulétiques en méroïtique : les ostraca REM
1317/1168 et REM 1319 de Shokan » (Rilly, 2000c).
2
La référence donnée par Millet (Woolley-McIver, 1910 : Karanóg III-IV. The Romano-
Nubian Cemetery, pl. 96) est erronée. La planche 96 comprend deux ostraca, REM 0345
(Ostr. Kar. n° 1) déjà cité, et REM 0347 (Ostr. Kar. n° 3) qui ne correspond pas au texte
donné par Millet. En fait, cet ostracon se trouve chez Woolley, 1911 (Karanóg V. The
Town), pl. 20, fig. 3 A et B, et correspond à REM 0361.
3
La formule (a) avait déjà découverte par Heyler (cf. Leclant, 1970-1971, p. 181).
4
Leclant et al., 2000, p. 1860-1861. Dans le REM, ces textes sont référencés en partie « de
type yiroƒe ».
LES DOCUMENTS 217

éléments de l’analyse de Millet se trouvaient, ou précisés, ou infirmés. Les


premières conclusions de ces recherches ont été développées par Edwards et
Fuller (Edwards-Fuller, 2000, p. 88-90). Il semble cependant possible de
dégager quelques caractéristiques supplémentaires de ce nouveau type de
textes.
La formule (a) contient soit un nom de personne au vocatif, soit un titre
suivi du déterminant sous la forme -li. Il n’est pas impossible qu’on ait aussi
dans ce second cas affaire à un vocatif, puisque nous connaissons des
syntagmes terminés en -li dans les invocations des épitaphes : ainsi mk-lÄ-l-
i : « ô grand dieu ! », où -li doit probablement être analysé comme la combi-
naison du déterminant simple -l et du suffixe de vocatif -i. Ensuite vient une
courte proposition en forme de bénédiction, où sont appelés sur la personne
nommée deux dons divins, wte-li et pke-li, encore intraduisibles 1
(« protection », « santé », « force », etc.), mais connus dans des contextes de
bénédictions royales (wte) 2 ou d’offrandes (pke) 3. Le complexe verbal
qu’elle contient se présente sous deux formes, yiroƒetowi (à décomposer
probablement en y-iroƒe-se-lowi) 4 ou diroƒetowi (à décomposer
probablement en d-iroƒe-se-lowi). Edwards et Fuller supposent à juste titre
que les préfixes y- et d- sont des marques de personnes. On peut certes
constater que le préfixe y- semble plus fréquent dans les textes commençant
par un nom propre, mais encore n’est-ce pas général (le cuir de Saï REM
1236 en est un contre-exemple). Aussi semble-t-il difficile d’opposer une
deuxième personne (à la suite des noms propres) et une troisième (à la suite
des titres), surtout s’il s’avère que les titres sont eux-mêmes au vocatif. Il se
peut d’ailleurs que le méroïtique, contrairement à l’égyptien mais comme la
plupart des langues, ait connu plusieurs marqueurs de la deuxième personne
selon le degré de respect 5. De plus, il n’est pas possible de préciser si les
morphèmes y- et d- représentent un sujet ou un objet. Il est tout de même
intéressant de constater qu’il existe en méroïtique des marques personnelles
préfixées 6.

1
Il ne nous paraît pas impossible que wte, pour lequel on a longtemps suggéré une
traduction « vie » (Meeks, 1973, p. 17) soit en fait un emprunt à l’égyptien wd3.t : « œil
sain d’Horus », et désigne donc une protection magique.
2
Par exemple au début de la stèle de Taneyidamani REM 1044 ou en REM 0405.
3
Par exemple en REM 1195.
4
Selon la loi de Griffith (voir p. 415-420). Pour la présence dans des formes verbales de la
copule -lo(wi), habituellement connue dans des propositions nominales, voir p. 554.
5
C’est le cas de 58 % des langues actuelles (Hagège, 1982, p. 114).
6
On rappelle que dans son étude des verbes de bénédictions, Hintze considère que les
marques personnelles sont systématiquement suffixées (Hintze, 1979, p. 76). Il refuse
d’autre part de voir en y- un véritable préfixe verbal : il s’agit selon lui d’une simple
convention orthographique marquant l’initiale vocalique du radical verbal en l’absence de
préfixe (op. cit., p. 72-73). Voir ci-dessous, p. 562.
218 LA LANGUE DE MÉROÉ

La formule (b) comporte soit un, soit deux noms de divinités, souvent
suivis de qualificatifs ou de locatifs qui les définissent comme autant d’hypo-
stases particulières. Le syntagme n’est pas au vocatif, et ne comporte aucun
déterminant : peut-être constitue-t-il le sujet d’une forme verbale, mais il est
actuellement impossible de préciser laquelle. On pencherait naturellement
pour un des complexes contenus dans la formule (c), dans la mesure où
l’élément -lowi [en formule (a)] est habituellement attesté en fin de
proposition, mais on possède par ailleurs des cas de sujet manifestement
postposés et dénués de déterminant comme ici 1. Nos connaissances sur la
langue méroïtique sont trop partielles pour que nous puissions définir dans
tous les cas la place du sujet et ses éventuelles marques flexionnelles.
La formule (c) comporte un complément d’objet mlowi, connu par
ailleurs à Naga pour désigner un autre don divin, ainsi qu’un complexe
verbal (?) dont l’initiale ainsi que le suffixe varie comme précédemment : on
trouve parfois yni, sans doute à décomposer phonologiquement en /y-an-
ni/ 2 , et ailleurs dneto, à décomposer en /d-an-tu/ 3, suivi alors d’une reprise
de mlowi. Dans les deux cas, la formule (c) se termine par un complexe
obscur bnebeseni. Peut-être s’agit-il d’une forme verbale de 3e personne du
pluriel dont les théonymes constitueraient le sujet, mais on ne peut l’assurer
car les possibilités de segmentation sont multiples et contradictoires. On
notera que la formule (c) est totalement absente en AWK.6-1 (REM 1321), et
qu’en REM 1236 (cuir de Saï) elle s’arrête à dneto.
Ensuite commence dans tous les cas un texte principal non stéréotypé, au
lexique extrêmement varié, qui contient probablement l’objet principal du
discours et devait être adapté à chaque destinataire. On peut l’appeller « la
partie spécifique » de chaque document.

1
Ainsi sur le recto de la petite stèle de Taneyidamani à Méroé (REM 0405A), un syntagme
mk Dqri-te, « le dieu (qui réside) à Daqari », constitue apparemment le sujet non
déterminé d’un verbe qui précède (etoƒto). Voir infra, p. 510.
2
L’hypothèse de Millet faisant de yni un pronom dépendant de la 1re personne du singulier
(reprise par Edwards-Fuller, 2000, p. 89), reposait sur l’identification de ce type de
document comme épistolaire. Avec la nouvelle identification proposée ici, elle tombe
d’elle-même puisque ce sont plusieurs dieux, et non un seul humain, qui sont censés
s’exprimer dans ces textes.
3
Dans le cas de yni comme de dneto, la racine est apparemment -/an/-. Les conventions
orthographiques du syllabaire méroïtique brouillent la relation entre les deux formes : /a/
interne n’est jamais écrit, le signe graphique e transcrit (entre autres) l’absence de voyelle
en syllabe fermée, et les voyelles doubles sont écrites comme simples (haplographie) :
voir ci-dessous, p. 311-312.
LES DOCUMENTS 219

Le schéma général peut être reconstitué comme suit :

1er cas : préfixes y- :


(REM 0345, 1096, 1152 (?), 1317/1168 (?), 1319, 1321, 1325, 1326)

formule (a)
X-i ou substantif + -li / wte-li / pke-li / y-iroÄetowi
Nom ou titre au vocatif / Objet1 / Objet2 / Complexe verbal (?)

formule (b)
nom(s) divin(s) + qualificatif(s)
Sujet (?)

formule (c)
mlowi / y-ni / bnebeseni
Objet / Complexe verbal (?) / Complexe obscur

2e cas : préfixes d- :
(REM 0361, 1174 (?), 1236, 1322, 1323, 1324)
formule (a)
X-i ou substantif + -li / wte-li / pke-li / d-iroƒetowi
Nom ou titre au vocatif / Objet1 / Objet2 / Complexe verbal (?)

formule (b)
nom(s) divin(s) + qualificatif(s)
Sujet (?)

formule (c)
mlowi / d-ne-to / mlowi / bnebeseni
Objet / Complexe verbal (?) / Objet / Complexe obscur
220 LA LANGUE DE MÉROÉ

Quelle est la nature exacte de ces textes 1 ? L’hypothèse « épistolaire »


de Millet, qu’Edwards et Fuller n’ont pas totalement exclue, comme le
montre le titre prudent de leur article (« Notes on the Meroitic “Epistolary”
Tradition : new texts from Arminna West and Qasr Ibrim »), est vraisem-
blablement inexacte. Nulle part dans l’introduction de ces documents
n’apparaît de mention d’un second individu, qui pourrait représenter un
quelconque expéditeur. Néanmoins, chaque texte s’adresse clairement, par le
biais du vocatif initial, à une personne humaine. Le complexe wyekite-lowi
où Millet voyait une formule du genre « je suis votre serviteur » n’est en fait
attesté qu’en REM 1096. Il ne figure pas à Qasr Ibrim, et il semble que Millet
l’ait suppléé à tort en REM 0345, 0361 et 1152. Le contenu de ces textes
n’est donc pas de nature épistolaire. Le format très réduit de ces documents
ne correspond d’ailleurs guère à un tel usage. Il est vrai cependant que
certains éléments de nature formelle rappellent la correspondance. Le
matériau tout d’abord : les ostraca et le papyrus sont connus pour avoir servi
de support à des lettres ou des messages. De plus, certains papyri de Qasr
Ibrim, ainsi que le cuir inscrit de Saï (REM 1236), présentent au verso, à la
fin du texte, une ou deux lignes qui, une fois le texte plié, apparaissaient à
l’extérieur et comportaient apparemment la mention d’une personne, à qui
sans doute le document était destiné 2.
Il semble très probable que ces documents soient de nature religieuse.
Comme Edwards et Fuller l’ont avancé, la présence de noms de divinités
diverses, en un passage d’introduction beaucoup trop long pour n’être qu’une
simple formule épistolaire, va dans ce sens. Et surtout, ces théonymes sont
vraisemblablement en position de sujet syntaxique. Il ne s’agit donc pas,
comme dans une prière, d’une adresse de l’homme vers la divinité, mais,
comme dans un oracle, d’une adresse de la divinité vers l’homme, lequel est
d’ailleurs mentionné au vocatif. L’existence d’un véritable « gisement » de
tels textes à Qasr Ibrim, siège d’un oracle réputé 3, n’est dans ce cas pas
surprenante. Un passage de l’historien latin Ammien Marcellin 4, décrivant
l’oracle de Bès à Abydos vers 350 après J.-C., nous apprend que « les
morceaux de papyrus (chartulae) ou les parchemins (membranae) contenant
les requêtes, même après que les réponses eurent été données, restaient

1
L’analyse qui suit est le fruit de longues et fréquentes discussions avec Mme Catherine
Berger-El Naggar, directeur d’études au CNRS, que je voudrais ici remercier pour ses
remarques, ses suggestions et ses indications bibliographiques.
2
Pour le cuir de Saï, on se reportera au REM (Leclant et al., 2000, p. 1860) où figurent
deux photographies du document avant et après dépliage. Le titre de prêtre (ant) y
apparaît. Pour Qasr Ibrim, l’existence de telles « adresses », observée apparemment sur
des textes encore inédits, nous a été rapportée par David N. Edwards (communication
personnelle).
3
Voir Edwards-Fuller, 2000, p. 90 et Zauzich, 1999.
4
Amm. XIX, XII, 4. Traduction d’après le texte édité aux Belles-Lettres (1970).
LES DOCUMENTS 221

quelquefois dans le temple ». Certaines requêtes se présentaient déjà


formellement comme des oracles, puisque le suppliant, pour une question
posée à un dieu, fournissait lui-même deux réponses formulées en termes
opposés, entre lesquels la divinité choisissait 1. Même si, nous le verrons, le
genre de texte qui nous occupe ici n’était pas proprement une réponse à une
question, il n’est pas impossible que plusieurs formulations aient été
proposées au choix, et que celles qui n’avaient pas reçu l’agrément divin
soient demeurées dans les archives du temple, avant d’être plus tard jetées
ensemble ou utilisées à d’autres fins, d’où la concentration particulière de
textes de ce type dans les remblais de Qasr Ibrim.
Une autre source d’information est apportée par l’archéologie. Comme
nous l’avons déjà évoqué, deux petits cuirs inscrits ont été récemment
trouvés dans une tombe de l’île de Saï par la mission archéologique
française 2. L’un de ces « parchemins », REM 1236, portait un texte du même
type que les papyri de Qasr Ibrim ou que l’ostracon de Shokan REM 1319.
L’autre, REM 1237, n’est conservé que dans sa partie inférieure, mais il est
possible qu’il s’agisse du même genre de document. Les deux cuirs étaient
repliés pour former de petits paquets probablement assujettis autrefois par
une cordelette, maintenant disparue, mais qui a laissé de profondes traces
d’usure, comme par suite d’une longue suspension, autour d’un cou par
exemple. Il semble bien que l’on soit en présence d’une amulette, d’un genre
particulièrement fréquent autrefois en Égypte et aujourd’hui encore en
Afrique : une inscription magique serrée d’une cordelette et portée autour du
cou ou du bras 3. Mais il ne semble pas que ce talisman soit entièrement dû
aux talents d’un quelconque magicien local. On remarquera en effet que le
cuir de Saï est inscrit au verso dans le sens de la largeur, et au recto dans le
sens de la longueur. Ce détail s’explique très facilement si l’on admet que le
texte a été recopié avec un scrupule tout religieux d’après un morceau de
papyrus : sur ce support en effet, cette alternance est nécessaire pour que le
pinceau suive les fibres, horizontales d’un côté, et verticales de l’autre. Une
telle précaution n’avait évidemment pas lieu d’être sur un morceau de cuir.
Le papyrus originel devait être l’oracle rendu par les prêtres d’Amon à Qasr
Ibrim, si l’on en croit du moins le seul nom divin reconnaissable dans la
formule (b), qui est Amni Pedeme-te : « Amon de Primis 4 ». Peut-être en
allait-il de même des différents textes de ce genre sur ostraca, qui pourraient
avoir été recopiés sur ce matériau moins périssable afin d’être conservés dans
les maisons des particuliers où ils ont été retrouvés, tant à Karanóg (REM
0361) qu’à Arminna (REM 1096) ou à Shokan (REM 1317/1168 et 1319).

1
Cf. Schubart, 1931, p. 113 ; Erichsen, 1942, p. 17 ; Kakosy, 1980 in Lexikon, 27, col. 600.
2
Sur cette campagne de fouilles, voir Geus, 1996.
3
Voir par exemple Sauneron, 1970, p. 8-9.
4
Voir ci-dessus note 1, p. 79.
222 LA LANGUE DE MÉROÉ

La très grande homogénéité des paléographies 1 (voir Rilly, 2000c, p. 117,


tableau 1), malgré la distance considérable entre les sites, laisse penser que la
copie pouvait s’effectuer dans des ateliers dépendant du temple.
Adresse de la divinité à un humain, origine oraculaire, valeur de talisman,
toutes ces caractéristiques nous mènent logiquement vers un type de textes
bien attesté en Égypte à la IIIe période intermédiaire et qui a fait l’objet d’une
édition magistrale par Iorwerth E. S. Edwards : les décrets oraculaires
amulétiques 2. Il s’agit de petites bandes de papyrus inscrites en hiératique,
édictant des mesures de protection individuelle garanties au destinataire,
généralement un enfant, de la part des dieux. Le document, après avoir été
agréé par un oracle thébain, était roulé, assujetti d’un cordon et placé dans un
étui de cuir, de bois, voire d’or 3. L’individu qui le portait était ainsi censé
rester à l’abri des maladies, des maléfices et des malheurs divers qui auraient
pu le frapper, et qui sont explicitement énumérés sur le document. Les
quelques extraits suivants du papyrus de Turin n° 1984 donnent un bon
exemple de ce genre de textes :
« Inyt, qui réside à Thèbes, dit ; Montou, seigneur du grand Trône, dit ; Khonsou,
qui réside à Thèbes, dit : “Nous préserverons Bouirouharkhons, dont la mère est
Djedkhons, notre servante et notre progéniture. Nous la garderons saine dans sa
chair et ses os. Nous ouvrirons sa bouche pour qu’elle mange et nous ouvrirons sa
bouche pour qu’elle boive. Nous ferons qu’elle mange pour vivre et nous ferons
qu’elle boive pour être en bonne santé. Nous rendrons ses rêves favorables, et
favorables aussi ceux que tout homme ou toute femme fera à son sujet. (...) Nous
la préserverons de tout démon mâle et de tout démon femelle. Nous la
préserverons d’un démon du fleuve, d’un démon d’un canal, d’un démon d’un
puits, de tout démon d’un lac. (...) Nous la préserverons d’une affection du cœur,
d’une affection des poumons, d’une affection de la rate, d’une affection de la tête,
d’une affection de l’abdomen (...). Nous la préserverons de tout trouble et de toute
maladie. Nous la préserverons des étoiles malignes du ciel ; nous la préserverons
des étoiles du ciel porteuses de maladies. Nous la préserverons d’Amon, de Mout,
de Khonsou, de Rê, de Ptah, de Bastet et de tout dieu ou toute déesse qui exercent
leur puissance quand ils ne sont pas apaisés. (...) ” » 4
Outre les caractéristiques déjà notées, d’autres points de convergence
peuvent être relevés. Le premier concerne le format : les papyri et les cuirs
méroïtiques sont très étroits, leur largeur oscillant entre 3,3 et 5,3 cm, alors
1
L’ostracon de Shokan REM 1317/1168 montre cependant un ductus légèrement
différent : il pourrait être légèrement antérieur aux autres textes oraculaires, ou avoir été
recopié à Shokan même par une main habituée à des ductus plus anciens.
2
Edwards (Iorwerth E.S), Hieratic Paryri in the British Museum. Fourth Series. Oracular
amuletic decrees of the late New Kingdom. Vol. I. Text, Londres, 1960. Voir également
Luft, 1978 : Schutzbriefe p. 25-31 ; Kakosy-Rocatti, 1985, p. 118-119.
3
Voir Edwards, 1960, p. XVIII-XIX, p. XVIII note 5, fig. p. XIX ; Ray, 1972 ; Ogden,
1973 ; Bourriau-Ray, 1975 ; Leclant, 1980.
4
D’après Edwards,1960, p. 63-65.
LES DOCUMENTS 223

que leur longueur varie de 11 à 16,5 cm. Les décrets oraculaires amulétiques
égyptiens sont de longueur originelle très variable (de 32,5 à 147 cm), mais
ont une largeur relativement standardisée autour de 6 cm. Dans les deux cas,
la fonction amulétique explique l’étroitesse des documents, qui, une fois
roulés ou repliés, devaient occuper le plus petit volume possible pour rester
portables sans gêne. Les plaquettes de bois de Qasr Ibrim ont approxi-
mativement le même format que les papyri, à l’imitation desquels elles ont
sans doute été conçues. Quant aux ostraca, leur format ne pouvait être
similaire pour d’évidentes raisons techniques, ce qui n’avait guère
d’importance, puisqu’ils étaient manifestement prévus pour servir de protec-
tion domestique dans les maisons où ils ont été retrouvés 1.
On notera ensuite que trois décrets oraculaires amulétiques égyptiens sur
vingt et un 2 comportent au bas du verso une « adresse » indiquant le nom du
destinataire de l’oracle, ainsi que nous l’avions également constaté pour
certains des documents méroïtiques, notamment le cuir de Saï. Comme le fait
observer I. E. S. Edwards, il semble probable que pour d’autres papyri
égyptiens incomplètement conservés, elle ait figuré sur la portion disparue,
mais pas plus en Égypte que plus tard dans le royaume méroïtique, cette
disposition n’est-elle systématique. Une hypothèse plausible serait d’y voir
une information destinée à la personne chargée de recueillir le message divin,
puis de le ramener à son destinataire final : il n’est pas impossible qu’elle ait
pu effectuer cette commission pour plusieurs personnes, notamment si,
comme dans le cas des cuirs de Saï, elle venait de loin. Les « adresses »
auraient dans ce cas servi à identifier les destinataires parmi plusieurs
documents, sans qu’il fût besoin de les déplier. Si le destinataire ou un
membre de sa famille s’était rendu en personne auprès de l’oracle, ou si le
mandataire n’était chargé de le consulter qu’à l’intention d’un seul
bénéficiaire, l’« adresse » était alors inutile.
Le texte des décrets oraculaires amulétiques égyptiens présente également
plusieurs points communs avec celui, tout obscur qu’il nous soit, des
documents méroïtiques. Tous deux suivent le même schéma général : une
courte introduction comprenant les noms et les épithètes des divinités
tutélaires ainsi que le nom du bénéficiaire, puis une longue série de
promesses. En Égypte comme en Nubie, les divinités protectrices sont
souvent multiples, généralement au nombre de trois dans les textes égyptiens,
de deux dans les textes méroïtiques. Il peut arriver qu’une seule divinité soit
nommée sous forme de plusieurs hypostases différentes, comme c’est le cas
pour Khonsou sur les deux papyri hiératiques BM. 10083 et Turin 1985, et
pour la déesse Isis sur l’ostracon méroïtique REM 1096. Dans les documents

1
Il est possible que les plaquettes de bois aient eu le même usage.
2
Edwards, 1960, p. XI-XII : il s’agit des pap. Louvre E.3234, NY Metropolitan 10.53,
Berlin 10462.
224 LA LANGUE DE MÉROÉ

hiératiques comme dans les textes méroïtiques, les divinités apparaissent, non
au vocatif, mais en position de sujet syntaxique. Enfin, à la très grande
diversité des situations évoquées dans les « promesses » des papyri
égyptiens, correspond la très grande variété observée dans le vocabulaire de
la « partie spécifique » des textes méroïtiques.
Des divergences existent, ce qui n’est pas surprenant en raison de la
distance chronologique, géographique et culturelle entre la Thébaïde de la
IIIe période intermédiaire et la Nubie méroïtique. On pourra même s’étonner
qu’elles ne soient pas plus nombreuses. La longueur du texte hiératique
dépasse de loin les équivalents méroïtiques qui sont de trois à dix fois plus
courts. Le support des décrets égyptiens semble exclusivement le papyrus, et
l’on ne connaît pas de copies sur cuir ou sur ostracon. On remarquera
cependant qu’il existe des décrets divins égyptiens, bien que de nature
légèrement différente, sur plaquette de bois, témoin l’un des deux décrets de
déification de la princesse Nes-khons (Le Caire 46891), vers 995 avant notre
ère 1. On notera aussi que les décrets oraculaires amulétiques égyptiens
semblent principalement destinés à de jeunes enfants 2, alors que leurs
équivalents méroïtiques nomment expressément des dignitaires de haut rang,
comme un vice-roi (peseto) et un grand-prêtre (? beliloke), qu’on imagine
mal posséder de telles fonctions à un âge précoce 3. Les dieux protecteurs, à
part Amon, sont également différents : Isis est bien représentée dans les
textes méroïtiques (REM 1096, 1324), alors qu’elle figure paradoxalement
sur les papyri hiératiques comme une divinité dont les maléfices pourraient
nuire aux humains (Pap. B.M. 10251/49 4). Khonsou, omniprésent dans les
textes égyptiens, n’apparaît pas dans les documents méroïtiques, ni sous son
nom égyptien probablement transcrit ¬s 5, ni même sous son nom méroïtique
Aqedise 6. Dans les textes méroïtiques sont également attestés des dieux
indigènes comme Apedemak ou Mash, évidemment absents des textes
égyptiens. Remarquons enfin qu’aucun des décrets oraculaires amulétiques
hiératiques, contrairement aux documents méroïtiques, ne s’adresse
directement au bénéficiaire par l’intermédiaire d’un vocatif, mais que c’est la

1
Cf. Gunn, 1955 , avec un « Appendix » d’I. E. S. Edwards.
2
Edwards, 1960, p. XVI.
3
Voir cependant Hofmann, 1991, p. 206 pour une éventuelle fonction de beliloke connue
pour un enfant.
4
Edwards, 1960, p. 21. Notons cependant que dans le même papyrus, le dieu tutélaire
Khonsou-de-Thèbes-Neferhotep est censé protéger la bénéficiaire de l’influence néfaste
de Khonsou !
5
Hapax en REM 0269/8. Probablement vocalisé /‚ansa/, et donc emprunté à l’égyptien
avant 1300 av. J.-C.
6
Le nom Aqedise est attesté en REM 0009 (en légende de sa représentation à Naga), 0023,
0036, 0038, 0128B, 0230, 1041, 1044.
LES DOCUMENTS 225

troisième personne qui y est employée, sans doute en raison du jeune âge des
protégés, ainsi que le suppose I. E. S. Edwards.
La principale difficulté tient en fait à l’éloignement chronologique des
deux types de documents, égyptien et méroïtique, et à l’absence de relais
connus. Les décrets oraculaires amulétiques hiératiques publiés par
I. E. S. Edwards ont été assez sûrement datés des XXIe-XXIIe dynasties (vers
1000-800 av. J.-C.), notamment parce qu’y apparaît le nom d’un pharaon
Osorkon 1. La datation des textes parallèles méroïtiques peut se faire sur des
bases paléographiques. Nous avons précédemment relevé une remarquable
uniformité dans l’écriture, sans doute due à la diffusion de ces textes à partir
d’un centre unique, en l’occurrence l’oracle de Qasr Ibrim. Une comparaison
paléographique avec la stèle REM 1333 du vice-roi Abratoye est instructive
(voir Rilly, 2000c, p. 117-118, tableaux 1 et 2). Or on possède pour ce
personnage deux dates précises, 253 et 260 apr. J.-C. La proximité des ductus
de cette stèle avec ceux des textes oraculaires indique qu’ils sont approxi-
mativement contemporains. L’épitaphe de Makheye retrouvée à Faras (REM
0544), où sont cités trois vice-rois après Abratoye, montre une ressemblance
paléographique plus étroite encore avec nos textes. Ils peuvent donc être
replacés avec une certaine assurance autour de la fin du IIIe siècle apr. J.-C.
Une distance de plus d’un millénaire sépare donc les décrets oraculaires
amulétiques égyptiens de leur lointaine descendance méroïtique. Or on ne
connaît pas de source égyptienne qui atteste une continuité de ce genre de
texte après la période libyenne. Aucun document démotique de ce type n’est
actuellement publié ou connu 2. Il paraît donc assez vraisemblable que cette
tradition se soit plutôt conservée dans le royaume napatéen, puis méroïtique
et qu’elle ait été ensuite introduite en Basse-Nubie depuis le sud, et non
depuis la Thébaïde. Quelques faibles indices sont constitués par la
découverte d’étuis tubulaires proches de ceux qui étaient utilisés pour les
décrets oraculaires amulétiques. Neuf pyramides royales de Nuri ont fourni
de tels cylindres en métal précieux 3, aux noms des rois napatéens Aspelta,
Amanistiarbarqa, Amani-nataki-lebte (VIIe-Ve siècle av. J.-C.). En raison de
leur structure particulière, ouverte vers le haut, on ne pouvait y conserver en
sécurité des amulettes, mais un système de double manchon emboîté à
l’intérieur devait permettre d’y glisser, puis d’y bloquer une feuille de
papyrus de faibles dimensions, qui n’a malheureusement jamais été retrouvée
en place : on peut supposer qu’après la mort de leur porteur, les décrets,
devenus inutiles et peut-être néfastes puisqu’ils concernaient la vie terrestre,
1
Edwards, 1960, p. XIII-XV ; Luft, 1978, p. 26. Ce dernier auteur penche plutôt pour la
XXIe dynastie.
2
Communication personnelle de M. Chauveau, directeur d’études en démotique à l’École
pratique des hautes études de Paris.
3
Leur hauteur varie de 7,5 à 12,4 cm, et leur diamètre de 2,9 à 3,2 cm. Voir Leclant, 1980,
p. 106-107 (avec une abondante bibliographie) ; Priese, 1997a, p. 226-230.
226 LA LANGUE DE MÉROÉ

étaient retirés de leur étuis. Les décors très délicats gravés sur le métal
représentent des divinités souvent citées dans les papyri publiés par I. E. S.
Edwards : Mout, Amon, Montou, ainsi que Hathor, qui, elle, apparaît dans le
papyrus de Qasr Ibrim REM 1323. D’autres porte-amulettes tubulaires en or
ont été retrouvé à Méroé, mais il s’agit de cylindres fermés qui se
rapprochent plutôt d’un type bien connu autour de la Méditerranée. Ils n’ont
sans doute pas contenu de papyrus amulétique 1.
La façon dont se sont perpétués durant plus de mille ans les décrets
oraculaires amulétiques reste donc encore à découvrir, mais il ne faut pas
douter que les sites du Soudan, encore si partiellement fouillés, nous le
révèlent un jour, car la filiation entre les papyri de I. E. S. Edwards et ceux
de Qasr Ibrim semble difficilement réfutable. Il serait également du plus
grand intérêt de savoir si, parmi les nombreux documents démotiques
retrouvés à Qasr Ibrim et actuellement inédits, il ne s’en trouve pas qui soient
parallèles aux décrets oraculaires amulétiques rédigés en méroïtique, ce qui
permettrait de notables avancées vers la compréhension de cette langue.

1
Cf. Leclant, 1980, p. 106 et note 27.
LES DOCUMENTS 227

Les ostraca numériques

Cette catégorie bien représentée (une soixantaine d’exemples) n’a fait


jusqu’à présent l’objet d’aucune recherche spécifique et seule la publication
des fouilles de Griffith pour les ostraca de Faras donne quelques éléments de
référence (Griffith, 1925a). Il s’agit de textes généralement assez courts,
tracés avec un jonc encré 1 sur des ostraca retrouvés en contexte urbain, et
qui comportent des chiffres, le plus souvent en fin d’inscription. Beaucoup
de ces documents sont fragmentaires, en raison de la fragilité tant du support
que de la trace écrite. Leur paléographie permet de les dater des trois
premiers siècles de notre ère, du moins pour ceux que nous connaissons.
Les principaux ensembles d’ostraca numériques par site sont les suivants 2 :
Karanóg : REM 0347, 0348 ; voir Griffith, 1911a, p. 80 ; REM 0356, 0358,
0360, 0362, 0363 (?), 0364, 0365 ; voir Woolley, 1911, p. 48.
Faras : REM 0551-0590 ; voir Griffith, 1925a, p. 220-223.
Bouhen : REM 0591-0593, 0596 ; voir Griffith, 1925a, p. 223-224 ; REM
1148 ; voir Smith, 1976, p. 218.
Arminna : REM 1097, 1098, 1100-1102, 1107 ; voir Trigger, 1967a, p. 73-77.
Shokan : REM 1056, 1297-1299, 1301, 1303, 1304, 1311 ; voir Jacquet-
Gordon, 2000, p. 31-39.
Il faut probablement joindre à ces ostraca quelques fragments de papyrus
retrouvés à Qasr Ibrim et dont le contenu paraît apparenté. Il s’agit de REM
1176 et 1178 (voir Hainsworth, 1982a, p. 35).
La nature économique de ces documents paraît assez évidente et a été tôt
supposée par Griffith :
« The association of words and numerals on the ostraka is suggestive for their
interpretation. As the collections grow, we may hope to find in them material for
definite translation, and intelligible sums of arithmetic. Some of the ostraka look
like tax-receipts, or memoranda of receipt or delivery of different kinds of
produce, but as yet I cannot venture to suggest a rendering for any of them. »
(Griffith, 1925a, p. 219)

1
Seuls REM 0556 et 1297 sont gravés.
2
Dans le relevé suivant, nous nous sommes limité aux ostraca porteurs de chiffres et à
ceux qui s’y apparentaient par leur formulation, mais où les chiffres devaient figurer sur
des portions manquantes aujourd’hui. On n’y a évidemment pas inclus les décrets
oraculaires amulétiques sur ostracon, comme REM 0361 de Karanóg, ou REM 1096,
d’Arminna (voir supra, p. 219). On observera que très peu de ces ostraca numériques ont
été découverts isolés (REM 1018 au Wadi el-Arab, REM 1235 à Kedurma), ce qui
confirme leur appartenance à de véritables archives sans doutes commerciales ou
administratives.
228 LA LANGUE DE MÉROÉ

La plupart des chiffres qui apparaissent sont relativement modestes, et ne


dépassent jamais l’ordre des dizaines. Il est fréquent d’y trouver des
ensembles de points qui, selon une suggestion vraisemblable de Griffith
reprise par Peust (voir ci-dessous p. 356), représentent des fractions en base
12. Outre les chiffres, certains textes, ostraca ou papyri, comportent
également des signes particuliers, en forme de flèche ou de brosse, qui
désignent sans doute des unités de mesure, probablement de capacité ou de
poids 1.
Quelques éléments lexicaux récurrents peuvent aussi y être observés. On
trouve des titres, comme ant « prêtre » (REM 0560), dotke (REM 0569),
mlewose (REM 0551, 0552), sleqene (REM 0591), des toponymes 2 comme
Arere (REM 1097), Boqe (REM 0569), Mene (REM 0593), Tmne (REM
0569), Tnr (REM 0570). Le terme arbte, qui selon Griffith désignerait
l’« artabe », une mesure de capacité d’origine perse usuelle dans l’Égypte
tardive, apparaît en REM 0551, 0553, 0557, 0564 3. Certains morphèmes
sont particulièrement fréquents : le complexe pronominal qoli (REM 0556-
0564, 0567, 0568, 0593, 1018A, 1298, 1299), souvent suivi de kene, sans
doute une conjonction 4, et un terme wi pour lequel Griffith a suggéré une
signification arithmétique « total » 5.
Tous ces éléments s’accordent avec l’hypothèse de Griffith et suggèrent
en effet une vie économique intense, où l’administration tient un rôle
important, et où apparaissent des relations suivies entre les grands centres
urbains du royaume.
Quelques ostraca présentent de plus une mention ajoutée en lettres plus
réduites par une seconde main : REM 0556, 0559, 0561, 0562, 0563,
0565 (?), 0566, 0576. Ce passage additionnel semble comporter, lorsqu’il est
complet, un complexe pronominal (REM 0556) ou verbal (REM 0562-0563),
suivi de chiffres. On lit ainsi dans ces deux derniers ostraca, retrouvés dans
les vestiges du palais méroïtique de l'Ouest à Faras, les textes suivants, écrits
par les deux mêmes mains et appartenant vraisemblablement à la même
comptabilité :

1
Voir infra, p. 358.
2
Aucune localisation de ces centres urbains ne peut actuellement être donnée avec certitude.
3
Nous avons quelques réticences sur cette identification : la métathèse (arbte = /arabat(e)/) est
difficilement explicable, et surtout on attendrait un signe, éventuellement emprunté au
démotique, plutôt qu’un mot en toutes lettres. Le terme appartient cependant bien au
domaine économique : le titre composé arebetke est en rapport avec la perception d’impôts
dans la Dodécaschène (cf. Griffith, 1911a, p. 82, note 2).
4
L’ensemble qoli kene (REM 0556-0561, 1298, 1299) pourrait signifier « et ceci aussi » ou
quelque chose d’approchant, ce qui conviendrait particulièrement à des listes de produits.
5
Griffith, 1925a, p. 222 .
LES DOCUMENTS 229

REM 0562 :
texte principal : qoli v 15 7/12 ‚ 4/12 (+) ½
mention ajoutée : ariketo 2

REM 0563 :
texte principal : qoli v 5 5/12 ‚ 6/12
mention ajoutée : ariketo

Il ne nous paraît pas impossible que la mention ajoutée corresponde à la


remarque d’un second employé chargé du suivi d’actes comptables, ou de
l’éventuel destinataire d’une marchandise. Quoi qu’il en soit, ce détail
semble confirmer la nature économique de ces inscriptions.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE

LES BASES DU DÉCHIFFREMENT

Griffith a longuement exposé dans le premier chapitre de Karanóg les


bases de son déchiffrement 1 (Griffith, 1911a, p. 3-16), puis les a confirmées
dans la deuxième de ses « Meroitic Studies » (Griffith, 1916b). Il est
évidemment impossible de se lancer dans l’étude de l’écriture méroïtique
sans rappeler les grandes lignes de ces pages fondatrices.
Le premier travail consistait à établir la liste exacte des signes et la
correspondance entre la cursive 2 et les hiéroglyphes, les deux formes sous
lesquelles se présente l’écriture méroïtique. Contrairement à ses pré-
décesseurs qui avaient concentré leurs efforts sur les hiéroglyphes
méroïtiques, Griffith commença par isoler dans les nombreux textes cursifs
un jeu de vingt-trois caractères 3. La correspondance avec la forme
hiéroglyphique fut ensuite élucidée par une comparaison entre REM 0060
(table d’offrandes hiéroglyphique) et les épitaphes cursives de Karanóg, entre
les noms royaux de Natakamani et d’Amanitore en REM 0126 (fragment en
cursive) et REM 0041 (support de barque inscrits en hiéroglyphes). Un
dernier parallèle entre le nom du dieu-lion Apedemak, écrit en cursive à
Méroé (REM 0405) et en hiéroglyphes à Naga (REM 0006) permit
d’améliorer la correspondance entre hiéroglyphique et cursive 4. La liste
définitive des vingt-trois signes put ainsi être établie dans les deux types
d’écriture. Il restait ensuite à préciser la valeur des signes. Pour cela, la
démonstration initiale s’appuyait sur une liste d’équivalences ou
« équations » entre le méroïtique et l’égyptien, le copte, voire le grec. Les
quatorze premières étaient d’ailleurs suffisantes pour donner une
interprétation de tous les signes, comme on peut le voir dans le tableau
suivant 5.
1
Pour l’historique proprement dite du déchiffrement, on se référera aux p. 49-54.
2
Dans un premier temps, Griffith a beaucoup hésité sur le nom de cette écriture stylisée.
Dans Areika, il propose « cursive » (Griffith, 1909, p. 46), avant d’adopter deux ans plus
tard le terme de « demotic », dans la mesure où les caractères ne sont pas liés (Griffith,
1911b, p. 58, note 1). Cependant, à partir de la deuxième de ses « Meroitic Studies », il
revient au nom de « cursive » pour éviter la confusion avec le démotique égyptien
(Griffith, 1916, p. 112, note 1).
3
Cf. Griffith, 1909, p. 46.
4
Voir Griffith, 1911a Preface p. V-VI.
5
Nous gardons dans le tableau ci-dessous les translittérations originelles de Griffith
(Griffith, 1911a, p. 8-10), tant pour le méroïtique (voir infra, p. 235) que pour l’égyptien
ou le démotique.
232 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 8 : Équations de Griffith permettant d’établir la valeur des signes

mot méroïtique graphie équivalents équivalents donne


équation méroïtique égyptiens et démotiques coptes et valeur
grecs de

Natakamani N, k,
(a) Natakamani
inmktn
t, m

Amanitêre m, n,
(b) Amanitore
eroinm
u, r

amoun,
(c) Amani Amon nm, nma -αµéνης
a,m , n

(d) Wêš Isis sow, siw hse, *hsi s

ousire,
(e) Ašêri Osiris irosa
*ousiri
s, r

a, r
(f) Ar Horus ra Ãq xwr, xar-
eqelip
Pileqe,
p ,i ,
(g) Pilaqe, Pilaqê eqlip dém. P-3ylq pilak
Philae l ,q
oqelip
Atiye y,a, t
(h) Sedeinga
eyita Ã-s S«x = /∆a-teye/ (?)

tewisti toua0te T, w,
(i) itSiwT dém. t-wšte *toue0ti
adoration S, t
p, e, l,
(j) pelamêš somlep dém. o,lq,lëƒ plemhh0e
stratège *plemh0 m, o, s

perite p, e,
(k) Tirep dém. p-rt p-rht
agent r, T
qêreñ q, r,
(l) Neroq transcr. dém. qrnj
un titre N
Paƒaras paywras, p , H,
(m) SrHp
Παχωρας
Faras r, S

(n) Šaye eys zah s, y


Saï
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 233

Seules les équations (d) et (e) semblaient à Griffith problématiques, car


les noms méroïtiques d’Isis et d’Osiris ne ressemblaient que de très loin à
leurs équivalents grecs ou coptes 1. Cependant les valeurs ainsi déduites
trouvaient leur confirmation dans une autre série d’« équations » (Griffith,
1911a, p. 10) 2.

Tableau 8 bis : Équations supplémentaires de Griffith

équivalents équivalents
graphie inscription
équation mot méroïtique égyptiens et coptes ou
méroïtique REM
démotiques grecs

Akrêrê orork 0098 dém. (Philae)


Bekemete 3krre Bkmty
(o) prince Temekeb
Bekemete

Manitawawi iwwtinm 0097 dém. (Philae)


(p) nom propre Mntwe
Aretate dém.
Ttera 0094/6, Αρενδẃτης
(q) ¬iretate Ãr-nt-yt-f
Tterih 0125/3
Harendotès =/∆arentjotf/ (?)

Katake ektk. 0004 κανδáκη


(r) Candace (Méroé)
Napate Tpn 0077 Npt, Np.t napata
(s) Napata

war-ta~an nhtrw 0292 wr-t~n


(t)
un titre fém.

apête laÄ HlTopa 0129/4, dém. (Philae)


Arêmetêwi 0112 wpte -ƒo-n- Hrme
(u) iwuemor Ρẃµη
grand envoyé de a
Rome

Atari ir: ta 0015 Ãs,Ãq xacwr


(v) Hathor

1
En dépit des progrès dans la compréhension du système graphique et phonologique du
méroïtique, la filiation avec les étymons égyptiens n’est pas entièrement éclaircie.
2
Ici aussi les translittérations du méroïtique, du démotique et de l’égyptien sont celles de
Griffith. Nous avons en revanche substitué la numérotation du REM aux références de
Griffith (Inscr. 1= REM 0001, etc.) et procédé à quelques ajouts entre crochets.
234 LA LANGUE DE MÉROÉ

Ce faisceau de preuves convergentes amenait Griffith à une interprétation


du système graphique du méroïtique complète et sûre, qui n’a pas été fonda-
mentalement remise en question depuis lors, bien que certaines lectures aient
été améliorées. C’est notamment le cas de o, o, lu ê par Griffith en raison
des équations (d), (e) et (j) avec le copte, mais aussi du rapport qu’il
établissait entre l’hiéroglyphe de la tête de bœuf o et le copte exe
« bœuf » 1 : nous transcrivons désormais ce signe o. Semblablement, aucune
équation ne paraissait satisfaisante pour une juste interprétation du signe d,
cursive d. Il s’agissait bien d’une dentale en raison notamment de son
alternance avec t dans le nom de Candace (ktke ou kdke). En se fondant aussi
sur le signe de l’ìil d’Horus, lu alors wz3.t (actuellement wd3.t), il suggéra
une valeur z sur laquelle il ne devait revenir que dans ses dernières
« Meroitic Studies » (Griffith, 1929, p. 70-72).

Au terme de son étude, Griffith proposait donc la lecture ci-contre de


l’« alphabet » 2 méroïtique, qui, à l’exception du z, resta en vigueur plus de
soixante ans. Une reprise de la démonstration avec dix-huit nouvelles
« équations », cinq ans plus tard (Griffith, 1916b), ne devait apporter aucun
changement à la valeur des signes proposée dans Karanóg.

1
Griffith, 1911a, p. 13.
2
Le terme était faux, puisqu’il s’agit d’un syllabaire (voir infra, p. 277). L’ordre des signes
adopté par Griffith, et par tous les méroïtisants après lui, est celui des égyptologues, avec
quelques adaptations pour les signes vocaliques.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 235

hiéroglyphique cursive lecture

a a a

e e e

o o ê

i i i

y y y

w w w

b b b

p p p

m m m

n n n

N N ñ

r r r

l l l

h h ~

H H Ä

s s s

S S š

k k k

q q q

t t t

T T te

u u tê

d d z
236 LA LANGUE DE MÉROÉ

LES DIVERSES TRANSLITTÉRATIONS

Pour qui veut étudier la langue méroïtique, la variété des systèmes de


translittération qui ont été successivement adoptés est une source de tracas, et
parfois d’erreurs 1. Si, globalement, les conventions de Griffith sont
demeurées en vigueur jusque dans les années 1970, au terme desquelles elles
ont été remplacées par le système de translittération prôné par Hintze, il s’est
toujours trouvé des chercheurs pour proposer un système original et en faire
usage dans leurs travaux. De plus, l’adoption des nouvelles valeurs suggérées
par Hintze ne s’est pas faite d’un seul bloc : un système mixte et fluctuant a
été assez longtemps utilisé et continue de l’être, par exemple dans les Fontes
Historiae Nubiorum (voir ci-dessus, p. 65).
Nous avons dans le Tableau 9, p. 241, récapitulé les dix systèmes de
translittération qui ont été utilisés depuis les travaux de Griffith jusqu’à nos
jours 2, et que nous allons maintenant détailler.

Système 1 : C’est le système que présenta Griffith dans Karanóg (Griffith,


1911a, p. 11 3) et qu’il conserva dans ses Meroitic Inscriptions I (Griffith,
1911c, p. 50) et II (Griffith, 1912, p. XV), ainsi que dans ses « Meroitic
Studies II » (Griffith, 1916b, p. 112). Dans ses « Meroitic Studies VI »
r
(Griffith, 1929, p. 72), il propose d’amender la translittération de d, d en d,
4
ou en r surmonté d’un point, ou tout simplement en r . Pour sa contribution à
l’ouvrage de Roeder sur le temple de Dakka, l’année suivante, il opte pour rd
(Griffith, 1930, p. 376, note 1), la solution théoriquement la plus rigoureuse,
mais la plus complexe 5 et la moins lisible. Aussi ne sera-t-il pas suivi par ses
successeurs.

1
Même un spécialiste aussi aguerri que Török écrit ainsi *yeë pour yes (= yese dans le
système de Hintze) dans sa translittération du proscynème REM 1046A de Medik
(Török, 1984a, p. 177, VIII.9). Ce n’est malheureusement qu’un exemple parmi des
dizaines d’autres chez des auteurs variés.
2
Nous y avons adopté l’ordre alphabétique latin. Il n’y a pas de raison de continuer à
employer l’ordre phonologique spécifique utilisé pour l’égyptien ancien, particulièrement
incommode pour une écriture vocalisée.
3
Voir ci-dessus, p. 235.
4
Pour l’appareil théorique soutenant cette translittération, voir infra, p. 368.
5
Une coquille a d’ailleurs deux fois transformé le petit r initial en apostrophe (Griffith,
1930, p. 375 in fine).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 237

Système 2 : Il s’agit de la translittération adoptée par Zyhlarz dans son


premier essai (Zyhlarz, 1930) et plus ou moins maintenue dans ses travaux
suivants 1. Le recours aux signes ƒ pour le a et le e de Griffith, 3 pour le ê de
Griffith (actuel o), qui sont les traits les plus originaux de son système,
procèdent évidemment de sa volonté constante de rapprocher le méroïtique
des langues chamito-sémitiques 2, en lui attribuant une pharyngale et une
glottale en lieu et place de voyelles. Sa translittération sera adoptée avec
quelques modifications par Monneret de Villard.

Système 3 : Macadam, disciple de Griffith, utilisa dans ses analyses 3 la


même translittération que lui, avec cependant deux modifications destinées à
la rendre plus cohérente (cf. Macadam, 1949, p. 94) : le ê fut remplacé par un
‘ pour une notation phonétique plus exacte, et un simple d fut substitué au
lourd rd des derniers travaux de Griffith, l’ancien z. Il décida également de
transcrire ye et yi les e- et i- initiaux, se conformant en cela à l’interprétation
de son maître 4.

Système 4 : Dès ses premiers travaux sur le méroïtique 5, Monneret de


Villard adopta un système de translittération en lettres capitales, inspiré de
celui de Zyhlarz (voir ci-dessus Système 2). Si l’on exclut la transcription de
a , a par un cercle au lieu de ƒ probablement par souci de clarté, les seules
différences théoriques concernent les signes T, T, translittéré Ì (Zyhlarz
tƒ ), et u, u, translittéré T (Zyhlarz t3), pour lesquels il semble qu’il se soit
inspiré des théories de Meinhof (cf. Meinhof, 1921-1922, p. 3). Ce système
resta sans lendemain.

Système 5 : Le traitement du Répertoire d’épigraphie méroïtique par l’infor-


matique, entrepris dans les année 1960 par Leclant et Heyler, exigeait une
translittération adaptée aux ordinateurs de l’époque, en capitales d’im-
primerie, sans signes diacritiques ni voyelles ajoutées. Ainsi le ~ de Griffith
devint G, le Ä devint X, le ê O, le š Z, le ñ J. Les groupes te et tê furent
transcrits V et U. Il ne s’agissait d’ailleurs pas tant d’un système de

1
Dans Zyhlarz, 1960, il emploie cependant Ä pour son ancienne translittération par χ des
signes H, H. Zyhlarz, 1956 fait usage de notations phonétiques vocalisées, qui ne sont
donc pas à proprement parler des translittérations, mais des reconstitutions plus ou moins
arbitraires.
2
Voir infra, p. 460.
3
Macadam, 1949, Macadam, 1950, Macadam, 1966. Sur le choix de son système de
translittération, et la critique de ceux de Zyhlarz et Monneret de Villard, voir Macadam,
1966, p. 58, note 42.
4
Voir p. 286-292.
5
Monneret de Villard, 1937. On retrouve le même système de translittération dans ses
articles ultérieurs : Monneret de Villard, 1959 et 1960.
238 LA LANGUE DE MÉROÉ

translittération que d’un outil à visée purement pratique : dans leurs articles
théoriques, les spécialistes français continuaient en général à user de la
transcription classique initiée par Griffith. Néanmoins, quelques travaux
utilisèrent fâcheusement cette translittération 1, ce qui conduisit certains
linguistes ou égyptologues, non avertis de son aspect conventionnel, à des
confusions regrettables 2.

Système 6 : Dans ses premières études, Hintze avait uniformément utilisé la


translittération de Griffith. En 1970, il présenta au Second International
Colloquium on Language and Literature in the Sudan à Khartoum une
communication intitulée « Some Problems of Meroitic Philology », où il
exposait un nouveau système de translittération 3, fondé sur une
argumentation serrée rappelant les systèmes d’« équations » de Griffith, et
inspirée en grande partie des remarques du savant britannique dans ses
« Meroitic Studies ». Les modifications proposées portaient sur cinq valeurs :
o, o devenait o ; u, u était lu to ; s, s était transcrit s ; S, S se lisait se
et N, N correspondait à ne 4. Largement approuvée, la nouvelle translitté-
ration fut conseillée à tous les méroïtisants lors du Congrès de Berlin de 1971
(voir Trigger, 1973b, p. 345-346), mais resta pratiquement lettre morte. Un
système mixte se mit en place de manière informelle : la translittération o
pour le ê de Griffith et to pour l’ancien tê fut acceptée par tous, car elle
simplifiait les graphies sans risque de confusion, mais on conservait ñ, š et s,
parce que le remplacement par les nouvelles valeurs ne, s et se était ici plus
délicat 5. Hintze lui-même utilisa dans un premier temps ce curieux hybride
d’ancien et de moderne (dans Hintze, 1974a par exemple). En 1979, dans ses
Beiträge zur meroitischen Grammatik, il adopta enfin définitivement la
nouvelle translittération et en préconisa à nouveau l’usage (Hintze, 1979,
p. 15-16). Hofmann, qui avait dans ses travaux utilisé le système « mixte »,
lui substitua celui de Hintze à partir de 1986 (Hofmann-Tomandl, 1986a,
p. 43) 6.
C’est cette translittération que nous avons également adoptée dans la
présente étude.

1
Particulièrement Meeks, 1973.
2
Voir notamment Bender, 1981a et le petit lexique compilé par Fantusati dans Bongrani-
Fanfoni, 1996.
3
Cette étude a été publiée deux fois : Hintze, 1973c (Meroitica 1) et Hintze, 1974b (Actes
de la conférence de Khartoum). Pour les principes de la nouvelle translittération, voir
Hintze, 1973c, p. 321-322, 327-329.
4
Deux de ces modifications avaient déjà été proposées par Vycichl : o et to (Vycichl,
1958, p. 74-75).
5
S’ajoutaient à ce phénomène d’« inertie » quelques réticences sur l’interprétation sylla-
bique du système graphique méroïtique qu’avait exposée Hintze : voir infra, p. 281.
6
Voir aussi Hofmann et al., 1989a, p. 144 ; Hofmann, 1989-1990, p. 225-226.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 239

Système 7 : Avec le progrès des ordinateurs (chaîne de caractères ERMF),


l’équipe parisienne du REM put enfin utiliser des lettres minuscules, et une
nouvelle translittération adaptée au travail informatisé fut mise au point par
Hainsworth (Hainsworth, 1976a). Largement inspirée par le système
précédent de Hintze, elle en différait néanmoins par l’usage de voyelles
placées en exposants : ne, se, te, to, afin de conserver une stricte équation entre
le nombre de signes dans les mots méroïtiques et dans leur transcription en
écriture latine. Pour des raisons techniques, la lunule du ~ était remplacée
par une cédille, et le séparateur continuait à être transcrit par des virgules,
afin que l’on distinguât le signe hiéroglyphique et cursif archaïque, en trois
points, transcrit « ,, » et le séparateur cursif plus récent en deux points,
transcrit « , » comme dans l’ancien système de translittération du REM.
Système 8 : C’est paradoxalement au moment où la translittération qu’il avait
élaborée et tant prônée commençait à se généraliser que Hintze se décida à en
utiliser une nouvelle. Elle ne différait à vrai dire que peu de la précédente, et
présentait l’avantage de supprimer totalement les signes diacritiques. Ses
recherches sur le vieux-nubien l’avaient en effet convaincu que le graphème
transcrit jusqu’alors ~ représentait en fait une nasale vélaire [Ñ] 1. Aussi
proposait-il de le translittérer désormais g, ce qui permettait de transformer
l’ancien Ä en simple h. Il adopta cette transcription dans ses deux derniers
articles (Hintze, 1989 et Hintze, 1999 2, paru après sa mort). Cette initiative
ne fit cependant pas école.
Système 9 : Le système récemment adopté par Millet est assez proche, et
présente également l’avantage d’éviter les signes diacritiques et donc la
manipulation de diverses polices de caractères. La première publication
utilisant cette nouvelle translittération est à notre connaissance Millet, 1996,
où elle n’est d’ailleurs pas théorisée. Depuis lors, elle a de nouveau été
utilisée par le chercheur canadien dans une récente étude 3. Le système est le
même que celui adopté en 1989 par Hintze, mais l’ancien ~ est transcrit x, en
accord avec la valeur phonétique [x] qu’on lui attribue habituellement. Le Ä
traditionnel est donc, comme chez Hintze, 1989, transcrit par un h simple.
Comme d’habitude chez Millet, le séparateur est transcrit par un simple espace,
ce qui constitue la seule faiblesse d’un système qui n’a sinon que des
avantages : il n’est en effet pas possible de dissocier la segmentation marquée
par le scripteur méroïtique, souvent insuffisante, et celle qu’introduit le
philologue entre des mots manifestement distincts.

1
Hintze, 1989, p. 98-99 ; voir infra, p. 393-394.
2
Cf. Hintze, 1999, p. 232, note 8.
3
Millet, 1998. La communication référencée « Millet, 1999 » utilise le second système du
REM, mais il s’agit des actes d’une conférence tenue en 1992. C’est sa nouvelle
translittération qu’emploie Millet dans la publication des textes du Gebel Adda actuel-
lement en préparation.
240 LA LANGUE DE MÉROÉ

Système 10 : La translittération des textes méroïtiques dans les Fontes


Historiae Nubiorum (Eide–Hägg et al., 1996 et 1998) est due à Török, qui a
utilisé un système mêlant l’ancien système de Griffith (N, N transcrit ñ), le
système du REM (le séparateur est transcrit , ou ,,) et le système de Hintze,
1973c pour le reste 1. Il s’agit donc d’une variante de la translittération mixte
utilisée dans les années 1970-1980. Nous la signalons ici séparément en
raison de l’importance de l’ouvrage et du grand nombre de translittérations
qui y apparaissent.

Outre ces dix translittérations classiques, dont le but principal est de


donner aux graphèmes méroïtiques une correspondance en lettres latines, il y
a eu quelques rares tentatives de transcription complètement vocalisée : nous
avons signalé ci-dessus celle de Zyhlarz (voir p. 237, note 1). On doit aussi
mentionner la lecture vocalisée avancée plus récemment par Peust (Peust,
2000) 2. Fondée sur les principes généraux de Hintze 1973c, elle procède
cependant d’un postulat quelque peu naïf selon lequel l’orthographe
méroïtique aurait été la transcription simple et directe de la prononciation
effective. Le simple fait, bien connu, que la nasale /n/ soit omise devant une
autre consonne (kdke est en grec κανδáκη) suffit à démontrer qu’il n’en est
rien, et que, comme toutes les écritures de longue tradition, celle du méroï-
tique pouvait être sujette à des irrégularités logiques ou des conventions
particulières dues à des facteurs divers, et dont nous ne connaissons pas toute
l’ampleur.

1
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 357-361, Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III)
p. 762-763. Török explique la conservation du ñ par congruence avec les noms propres
utilisés par les historiens, qui continuent généralement à utiliser cette lettre (par ex.
Tañyidamani).
2
Voir critique de cette translittération vocalisée dans Rilly, 2000b, p. 103, note 3.
Tableau 9 : Correspondance entre les systèmes de translittération du méroïtique
signes signes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
hiéroglyphiques cursifs Griffith Zyhlarz Macadam Monneret REM 1 Hintze 73 REM 2 Hintze 89 Millet 96 FHN
o
a a a ƒ a A a a a a a
b b b b b B B b b b b b
d d z ¥ d Í D d d d d d
e e e ƒ e ƒ E e e e e e
h h ~ ‚ ‚ ° G ‚ hí g x ‚
H H Ä χ Ä X X Ä Ä h h Ä
i i i « i Õ I i i i i i
k k k k k K K k k k k k
l l l l l L L l l l l l
m m m m m M M m m m m m
n n n n n N N n n n n n
N N ñ ½ ñ ú J ne ne ne ne ñ
o o ê 3 ‘ 3 O o o o o o
p p p p p P P p p p p p
q q q q q Q Q q q q q q
r r r r r R R r r r r r
s s š š š Š Z s s s s s
S S s s s S S se se se se se
t t t t t T T t t t t t
T T te tƒ te Ì V te te te te te
u u tê t3 t‘ T U to to to to to
w w w w w W W w w w w w
y y y y y Y Y y y y y y
: : : espace : : ,, ou ,, : ,, ou ,, : espace ,,,ou,,
242 LA LANGUE DE MÉROÉ

ORIGINE DES SIGNES

La genèse de l’écriture méroïtique, les conditions de son développement


et la date même de son apparition sont autant de points qui restent
aujourd’hui partiellement obscurs. Griffith, bien qu’il fût capable
d’embrasser toutes les périodes de la philologie égyptienne, qu’il fût à la fois
le co-fondateur, avec Spiegelberg, des études démotiques modernes et le
déchiffreur de l’hiératique anormal, se limita sur cette question à quelques
remarques dispersées dans ses premiers ouvrages. On trouve ensuite chez son
disciple Macadam un petit nombre d’observations, notamment dans Kawa
(Macadam, 1949) et dans Queen Nawidemak (Macadam, 1966). Il faut
attendre Priese et sa communication pour le congrès de Berlin de 1971,
intitulée Zur Entstehung der meroitischen Schrift (Priese, 1973b) pour que ce
problème fasse l’objet d’une étude particulière, même si, nous le verrons, les
résultats en sont partiellement contestables.
L’origine de l’écriture méroïtique pose en fait de multiples questions : d’où
viennent les signes cursifs ? Quel est le rapport des signes hiéroglyphiques avec
la cursive ? Quelle est enfin la source du système graphique lui-même ?

État de la question

Alors même que son déchiffrement n’était pas totalement achevé,


Griffith, dans Areika, tentait déjà quelques hypothèses concernant la cursive
sur laquelle jusqu’alors s’était concentré son travail. Selon lui, il fallait
chercher l’origine de cette forme d’écriture dans l’hiératique anormal
(« cursive thébaine ») ou dans une variante encore plus méridionale :
« Egyptian demotic was developed from the northern cursive ; while the Meroitic
alphabet, if from any such source, is probably derived from the Theban form, if
not some yet more specialized type characteristic of Ethiopia itself. » (Griffith,
1909, p. 51)

Il ne doutait pas alors que les fouilles en cours mettraient au jour des
témoignages de cet ancêtre supposé de l’écriture méroïtique :
« Before it began to be used for inscriptions on stone, the cursive alphabet may
have had a long history as a writing on papyrus or on skins, and we may hope for
the discovery of such documents in the excavations now being carried to Nubia.
As yet the only ink writings found in it are on pottery ; they are brief and frag-
mentary, and apparently of the same age as the stone inscriptions. » (ibid., p. 51)
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 243

Cependant, le système graphique lui-même, qu’il supposait alphabétique,


lui semblait trop étranger à l’esprit égyptien pour qu’on puisse le croire
apparu à Méroé sans une intervention extérieure :
« The Meroitic alphabet seems to be no very natural descent of the old Egyptian.
It must be an intentional and more or less articificial selection, such as might have
been made, probably by some foreign adviser, at any time after the Semitic
alphabet had been invented. » (ibid., p. 50-51)

Deux ans plus tard, le déchiffrement était effectif, et les opinions de


Griffith avaient quelque peu évolué sur la question des origines. Après
examen de l’ensemble des inscriptions retrouvées, il ne pense plus
notamment à une grande antiquité de l’écriture méroïtique :
« The titles of the Meroite kings in Meroite hieroglyphic are modelled on those of
the later Ptolemaic kings or the Roman emperors, and there is no probability that
the alphabet was in use before the third century B.C. » (Griffith, 1911a, p. 20)

Consécutivement, bien qu’il ne l’exclue pas, il s’éloigne de l’idée d’un


rattachement de la cursive méroïtique à l’hiératique anormal 1. Le démotique
égyptien semble une filiation raisonnable pour un certain nombre de signes,
et les autres sont peut-être une stylisation directe des hiéroglyphes
méroïtiques correspondants :
« The demotic [= cursive] letters , 5 y, 9 m, 16 S, 17 s, resemble the
Egyptian demotic signs. The rest show no such resemblance, but may have been
derived by a long process from some form of hieratic, or more directly from the
hieroglyphic. » (ibid. p. 11) 2

L’hypothèse d’une influence extérieure s’est en revanche renforcée et


précisée : Griffith envisage désormais, tout en gardant une certaine prudence
dans l’expression, qu’elle soit l’œuvre du roi philhellène Ergamène, dont
Diodore de Sicile a romancé la lutte contre le pouvoir étouffant des prêtres :
« With Ergamenes in the third century B.C. we conjecture that a new era of
freedom, prosperity, and general culture commenced under Hellenistic and fresh
Egyptian influences. The inscriptions of Ergamenes and Azakheramani in the
Dodecaschoenus on the borders of Egypt, at Philae, Tafa and Dakka, are in good
early Ptolemaic style ; but it was perhaps then that nearer home first their proper
names and then the native language of the Meroites began to be spelt in a special
alphabet founded on the Egyptian alphabetic characters. » (ibid. p. 17)

1
Ce type d’écriture, particulier à la région thébaine et attesté par quelques dizaines de
documents, essentiellement des contrats, s’est en effet éteint sous le règne du pharaon
Amasis (vers 550 av. J.-C.).
2
Mêmes observations dans l’étude des textes de Méroé REM 0434, 0435, 0436, 0431,
rédigés dans une cursive archaïque « in some signs closely following portions of the
outlines in the corresponding hieroglyphs » (Griffith, 1911b, p. 58).
244 LA LANGUE DE MÉROÉ

Il se fait encore plus précis encore dans ses Meroitic Inscriptions II, où il
cite Diodore de Sicile :
« “He took a decision worthy of the kingdom, and entered the holy place when
the golden shrine of the Ethiopians was there, and slew the priests.” This, as
Lepsius insisted1, must have been a turning-point in the history of the Meroite
kings, and would probably have had the effect of diffusing culture and a
knowledge of letters among the people ; and it was probably then that the
Meroitic alphabet was invented (...). » (Griffith, 1912, p. 24)

Reprise par l’archéologue Reisner (Reisner, 1923, p. 69), et bien qu’elle


ait fait l’objet de quelques restrictions de la part de Zyhlarz (Zyhlarz, 1930,
p. 412), cette idée romantique d’un roi philosophe créant l’écriture de son
peuple fit son chemin et on la retrouve notamment dans beaucoup d’ouvrages
de seconde main 2.
Par la suite, Griffith ne revint que brièvement sur la question des origines
dans l’examen des chiffres méroïtiques, qu’il estimait plus éloignés du
démotique que de l’hiératique. Il releva notamment la ressemblance du
chiffre 20 avec son équivalent en hiératique anormal :
« It (...) is almost identical with a pecular form which characterises the period of
Psammetichus I in hieratico-demotic (...) and in “abnormal hieratic”. This is
precisely the point in history at which the Egyptianising of Ethiopia, which had
been active under the Twenty-fifth Dynasty, parted company from its source in
Egypt, to resume a less close contact only from time to time. With the triumph of
Psammeticus in Upper Egypt may have begun that gradual specialisation of the
cursive writing in Nubia which was to end in the alphabetic script of the
Meroites. » (Griffith, 1916a, p. 23-24)

La publication par Macadam des inscriptions méroïtiques du temple de


Kawa (Macadam, 1949) apporta quelques éléments nouveaux sur la question.
En effet, parmi les nombreux graffiti de ce sanctuaire apparaissaient quelques
inscriptions de rédaction apparemment fort ancienne, où se mêlaient à un
type archaïque de cursive méroïtique quelques signes proprement
démotiques, comme le nom d’Amon ou le déterminatif « homme » (REM
0648A, 0662 3).

« Whatever be the true explanation it is clear that in these two graffiti we have
examples of the earliest cursive Meroitic writing yet found, scarcely weaned from
its parent demotic. » (Macadam, 1949, p. 110)

1
Il s’agit d’un passage de la Nubische Grammatik, p. CXXIV, où figurait déjà en effet
cette hypothèse .
2
Cette idée figure par exemple le chapitre consacré à l’écriture méroïtique dans Février, 1959,
p. 135-136.
3
Voir Macadam, 1949, p. 105-106, 109-110.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 245

La théorie de la parenté démotique de la cursive méroïtique semblait donc


confirmée. Elle fut abondamment reprise et illustrée d’exemples clairs de
dérivation, que ce soit pour le signe Ä (Macadam, 1966, p. 49) ou pour les
lettres k et q (Priese, 1968a, p. 184).

La communication de Priese à la Conférence de Berlin en 1971 vint mettre


cependant un terme au consensus. En s’appuyant sur une longue comparaison
signe à signe, sur laquelle nous reviendrons, il redonnait vie en effet à la
première opinion de Griffith, à savoir que la cursive méroïtique avait sa
source dans une forme indigène de démotique ancien contemporaine de la
XXVIe dynastie 1 :
« Die meroitische Kursivschrift stellt sich uns somit paläographisch dar als eine
selbständige Weiterentwicklung der unterägyptischen Geschäftsschrift der 25.
Dynastie, als eine schriftgeschichtliche Variante des Frühdemotischen. Die
Trennung von der ägyptischen Entwicklungslinie dürfte bereits in der ersten
Hälfte der 26. Dynastie erfolgt sein. » (Priese, 1973b, p. 281)

En ce qui concerne le système graphique en lui-même, Priese n’évoquait


plus d’influence étrangère ou de « fait du prince », mais le faisait dériver des
procédés de transcription des noms méroïtiques en égyptien (le « napatéen » 2),
eux-mêmes inspirés de l’« écriture syllabique » égyptienne employée pour
écrire phonétiquement les noms étrangers 3 (Priese, 1973b, p. 275). De fait,
l’interprétation de l’écriture méroïtique comme syllabique et non plus
alphabétique, développée par Hintze (Hintze, 1973c), rendait désormais
improbable l’influence grecque ou orientale qu’avait suggérée Griffith dans
Karanòg, lorsqu’il attribuait au règne d'Ergaménès l’élaboration du système
graphique.
Depuis la publication de l’étude de Priese, il n’y a pas eu de mise au point
nouvelle sur la question. Les diverses présentations du méroïtique se
contentent généralement de définir l’écriture comme « dérivée de l’écriture

1
Les fréquentes mentions de l’hiératique anormal, notamment dans la comparaison signe à
signe et le tableau final, ont pu faire croire que Priese y voyait l’origine de la cursive
méroïtique : c’est cette opinion que rapporte à tort Török, avec référence à la
communication de Priese, dans les Fontes Historiae Nubiorum (Eide–Hägg et al., 1996,
p. 359 ; Eide–Hägg et al., 1998, p. 762). Le seul signe rapproché explicitement de
l’hiératique anormal par Priese est la cursive n n.
2
Nous rappelons que le terme « napatéen » est ici utilisé pour qualifier ce système de
transcription des noms méroïtiques en écriture égyptienne et non avec le sens large
(ancien méroïtique ou encore « dialecte » égyptien de Koush) qu’on lui donne parfois.
Voir p. 19 et 26.
3
L’utilisation de l’écriture syllabique dans la transcription des noms dynastiques du royaume
de Napata, d'ailleurs assez fluctuante, a été étudiée ci-dessus p. 22-24.
246 LA LANGUE DE MÉROÉ

égyptienne » ou « du démotique », sans autrement préciser de quel stade de


l’écriture égyptienne ou du démotique il s’agit 1.

1
Ainsi Leclant, 1974b, p. 112, et même Priese, 1997b, p. 253. Hofmann, 1981a, qui
consacre pourtant douze page à l’écriture méroïtique, résume en cinq lignes la théorie de
Priese (p. 2).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 247

Origine des signes cursifs

a translittéré a (initiale vocalique de timbre variable)


Voir Griffith, 1911a, p. 12 ; Priese, 1973b, p. 279, 284-285 et tab. Ia.

Griffith relève la ressemblance entre ce caractère composé de deux


éléments et le groupe hiéroglyphique 1 fréquent à l’initiale des noms
napatéens. Selon lui, une forme légèrement modifiée ea serait à l’origine de
la cursive. Il considère le signe , au début de l’inscription archaïque de
Méroé REM 0405A, comme une variante primitive du même caractère 2, où
n’apparaîtrait que le premier segment, correspondant au signe hiéroglyphique
simple a. Une analyse de l’inscription montre pourtant qu’il s’agit d’un e (e)
inversé, dans le complexe verbal el-to : « il donne (?) » ou « il a donné (?) ».
Les formes archaïques de a sont d’ailleurs déjà en deux éléments : .
Priese fait aussi remonter la cursive méroïtique à une forme démotique
ancienne correspondant à l’égyptien hiéroglyphique « (copte e), qu’il
décompose en + . Or même en démotique ancien, il ne s’agit pas de
l’addition de deux signes indépendant, mais d’un groupe écrit , ou
(El-Aguizy, 1998, p. 262, b1, b5, d1), qui ne ressemble que de loin au
méroïtique. En fait, Priese a peut-être tort de vouloir expliquer par une
filiation ancienne tous les détails du signe méroïtique. Ne serait-il pas
possible de faire simplement remonter à la forme ptolémaïque , que les
Méroïtes auraient préservée d’une éventuelle confusion avec o o ou y y
par l’adjonction de crosses supérieures à l’image du signe e e, également
vocalique ?

b translittéré b
Voir Priese, 1973b, p. 286 et tab. Ia.

Griffith ne donne pas de généalogie pour ce signe. Priese le fait très juste-
ment remonter au démotique , correspondant à l’hiéroglyphe égyptien b,
d’ailleurs utilisé avec cette valeur dans un texte méroïtique en hiéroglyphes
archaïques au lieu du b habituel (REM 0401, cartouche n° 1). Le caractère
démotique n’a pas subi de changement notoire depuis l’époque saïte jusqu’au
ptolémaïque (El-Aguizy, 1998, p. 250-251).

1
Suivant la tradition, les hiéroglyphes égyptiens sont ici écrits de gauche à droite s’il s’agit
de napatéen, mais de droite à gauche s’il s’agit d’étymons des signes démotiques, afin de
respecter le sens de cette dernière écriture.
2
Il est en cela suivi par Hintze, 1959a Abb. 34 (Mer. 5) et Priese, 1973b, p. 284, 285 (1C)
et tab. Ia.
248 LA LANGUE DE MÉROÉ

d translittéré d
Voir Griffith, 1909a, p. 50 ; Priese, 1973b, p. 294-296 et tab. Id.

Griffith, qui s’est avant tout intéressé à la valeur phonétique de ce signe


(voir Griffith, 1929, p. 70-72), n’a guère discuté de son origine. Il n’en parle
pas dans Karanóg, et il faut remonter à Areika (Griffith, 1909) pour voir, au
détour d’une phrase, qu’il le considère comme une stylisation du hiéroglyphe
d de même valeur 1. Priese, quant à lui, consacre une longue discussion à la
généalogie de ce caractère. Il évoque assez rapidement deux signes
démotiques : dy/ty (de l’hiér. ) et d/t (hiér. ), mais leur préfère une
troisième solution 2 : un groupe supposé , dont l’équivalent hiéro-
glyphique -rh- (et variantes) apparaît occasionnellement dans les noms
propres napatéens. L’ensemble se serait selon Priese progressivement
ligaturé : > > .
Cette hypothèse nous paraît invraisemblable. Tout d’abord, il n’est pas
certain que la séquence dans les noms napatéens représente le
méroïtique d 3. Certaines variantes alléguées par Priese sont d’ailleurs proba-
blement dissyllabiques, ainsi et (Priese, 1973b, p. 9). On
objectera également que les Égyptiens ont rendu par un groupe hr- le Ρ
initial du grec Ρẃµη « Rome ». Il serait étonnant que le même groupe
égyptien -rh-, si précis, puisse transcrire des sons aussi différents que le /r/
initial roulé des Grecs et le /d/ rétroflexe des Méroïtes. Enfin, si l’évolution
graphique supposée par Priese est à la rigueur satisfaisante pour l’ìil, elle ne
l’est guère pour la main et ne correspond pas au ductus d’une succession
r + h en écriture démotique : les deux branches du h notamment ne se
désolidarisent jamais (cf. El-Aguizy, 1998, p. 266-267).
L’hypothèse de Griffith, un développement de la cursive d par
stylisation de l’hiéroglyphe correspondant d , n’est pas non plus très
satisfaisante, d’une part pour des raisons de chronologie que nous aborderons
dans l’étude de l’écriture hiéroglyphique 4, et d’autre part parce que la
première attestation que nous possédons pour ce signe 5 présente simplement
un ìil fardé , sans les prolongements particuliers à l’ìil d’Horus, qui
pourraient justifier une stylisation par d.

1
Dans le passage de Griffith, 1929 cité ci-dessus, il n’aborde pas la généalogie du signe
cursif, contrairement à ce qu’indique Priese, 1973b, p. 294.
2
Il indique certes p. 277 que cette origine est « paläographisch unsicher ». Mais elle n’en
figure pas moins dans son tableau final.
3
Voir supra, p. 21-22, les quelques lexèmes méroïtiques repérables en napatéen : aucun ne
comporte malheureusement de /d/ méroïtique. Plus tard, ce phonème sera transcrit par un
simple r en égyptien.
4
Voir infra, p. 264.
5
REM 0401 (cartouche 9).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 249

La moins mauvaise des hypothèses semble encore la première de Priese,


c’est-à-dire un développement à partir du démotique ptolémaïque dy/ty
(copte tai) 1. Le croisement des traits peut ici avoir abouti à la création
ultérieure d’une boucle. Il n’est cependant pas impossible, comme le
supposait Priese, que le trait oblique latéral du signe méroïtique représente un
r initial, écrit en démotique (hiér. ég. ), peut-être ajouté par besoin de
distinguer le signe obtenu de N ne. Dans ce cas, le groupe égyptien originel
aurait eu une valeur syllabique *[rdaj], acoustiquement proche de la lecture
[Ça] du signe méroïtique d.

e translittéré e
Voir Griffith, 1911a, p. 12 ; Priese, 1973b, p. 298 et tab. Id.

Griffith ne donne pas clairement de généalogie pour ce signe, mais il


semble d’après son analyse de a a qui précède qu’il envisage le caractère
cursif e comme une stylisation de l’hiéroglyphe méroïtique e de même valeur.
M. F. L. Macadam, dans son étude du graffito archaïque REM 0662 (Kawa),
propose de lire e un signe étrange , qu’il relie à la forme démotique
(correspondant à l’hiér. ég. ).
« Certain forms of dem. and some early forms of Mer. e agree fairly closely,
and the suggestion is worth hazarding that we have a still earlier form here. »
(Macadam, 1949, p. 110)

Cette théorie est reprise, avec quelques précautions 2, par Priese, qui y
adjoint une comparaison avec le démotique ancien . Nous sommes cepen-
dant assez réservé sur l’interprétation de Macadam : le signe étrange suit en
effet un caractère se assez clair, et la succession se + e est théoriquement
impossible en méroïtique, ou du moins, pour citer Griffith, « très rare et
suspecte » 3. Pareillement, l’évolution graduelle que suppose Priese à partir
du démotique ancien > > ne correspond guère au ductus du signe.
Peut-être cette lettre est-elle aussi, comme le pensait Griffith, une
stylisation de la plume e, son équivalent hiéroglyphique. Mais l’influence
inverse, de la cursive sur l’hiéroglyphe, est tout aussi plausible, comme nous
le verrons dans l’examen de ce signe. L’origine du caractère méroïtique e
reste donc incertaine.

1
La graphie est ici empruntée à Erichsen, 1954, p. 604.
2
Il indique que cette généalogie reste « paläographish unsicher » (Priese, 1973b, p. 277).
3
Griffith, 1917b, p. 168 et note 3. Voir infra, p. 313-314. De plus, si l’hypothèse de
Macadam, selon laquelle le graffito méroïtique REM 0662 transcrit le nom égyptien
gravé en dessous (Õlm,rmq), est juste, on attendrait un n ou un ne, et non un e. L’ins-
cription n’est connue qu’en fac-similé, ce qui interdit actuellement toute vérification.
250 LA LANGUE DE MÉROÉ

h translittéré ~
Voir Priese, 1973b, p. 289 et tab. Ib

Bien que Griffith ne le précise pas, la filiation de ce signe méroïtique


avec le démotique ~, est évidente, particulièrement dans des inscriptions
anciennes comme REM 0405B ou en REM 0833 où l’on trouve , une
forme très proche du ptolémaïque ancien de Haute-Égypte ou (El-
Aguizy, 1998, p. 271 g5-g6). Il ne paraît pas nécessaire, comme le fait Priese
dans une seconde hypothèse, de faire remonter le signe à correspondant
au groupe hiéroglyphique .

H translittéré Ä
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Macadam, 1966, p. 49 ; Priese, 1973b, p. 279,
289-291 et tab. Ib

Les formes hiératiques ou démotiques anciennes pour les vases et ,


seraient selon Griffith, dans Areika, des étymons acceptables pour l’hiéro-
glyphe méroïtique correspondant H. Cependant, le premier vase égyptien est
un simple déterminatif et l’autre a la valeur phonétique n(w), sans rapport
avec le Ä méroïtique. Aussi Macadam, dans Queen Nawidemak, suggère-t-il
une autre origine :
« The Meroitic cursive letter which is transcribed Ä is derived from an Egyptian
demotic character which happened to have precisely the same value. In the
Egyptian language it means “copy, corresponding to, according to”, and could
only be used when these meanings are intended. Probably it occurred many times
in demotic legal documents connected with the Egyptian occupation of Nubia,
and being associated with this sound was borrowed as a simple alphabetic sign. »
(Macadam, 1966, p. 49)

Le signe auquel se réfère Macadam est le démotique Ä, un dérivé bien


attesté du groupe hiéroglyphique Ä.t. Cette hypothèse cependant ne
convainc pas Priese, qui relève que les plus anciennes attestations du signe
méroïtique cursif pour Ä présentent une forme à trait vertical médian ,
comme en REM 0405A. Il propose une filiation avec le démotique , qui
correspond au groupe hiéroglyphique (w)~ 1. Cette suggestion est certes
intéressante , mais on notera que la forme du signe cursif méroïtique, dans

1
Erichsen, 1940 donne de ce signe une transcription ( ), Johnson, 1986 donne
simplement tandis que El-Aguizy, 1998 distingue issu de et issu de
(p. 272-273).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 251

certains textes probablement aussi anciens que REM 0405A, ne présente pas
le trait médian : on a ainsi en REM 0638 ou 0650. L’hypothèse de
Macadam ne peut donc être totalement récusée.

i translittéré i
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 297 et tab. Id

Griffith note que le signe cursif est sans rapport avec les équivalents
hiératiques ou démotiques du signe égyptien , qui est en revanche à l’ori-
gine de l’hiéroglyphe méroïtique i correspondant à la cursive i. Cette
observation, nous le verrons, peut être contredite à la lumière des textes
démotiques publiés depuis l’époque de Griffith. Priese propose un
développement séparé de deux signes j + w, avec une ligature tardive (voir
ci-dessus une hypothèse semblable pour d). Selon lui, le signe démotique
ancien (hiér. ég. ) se serait lié au caractère suivant (hiér. ég. ) pour
former un signe composite i, parfois écrit . La paléographie démotique
offre des formes anciennes (d2), (d3), (d5), ptolémaïque ancien
et pour le groupe jw (El-Aguizy, 1998, p. 242-243, g1-g2), dont le ductus
semble assez proche du caractère cursif.
On ne saurait cependant exclure comme le faisait Griffith, une forme
démotique du signe hiéroglyphique attesté en napatéen, et pour lequel la
paléographie récemment publiée indique des graphies ptolémaïques de
Haute-Égypte et (El-Aguizy, p. 289, g1 et g2), que Griffith,
apparemment, ne connaissait pas. En démotique, le signe sert notamment
comme interjection, de lecture «+ ce qui convient parfaitement à la valeur du
signe méroïtique.

k translittéré k
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Priese, 1973b, p. 291-292 et tab. Ic

Dans Areika, Griffith suggère pour ce signe une stylisation de


l’hiéroglyphe méroïtique correspondant k. Priese, réticent devant l’idée
d’un développement indépendant de la cursive méroïtique, propose une
filiation avec les formes démotiques anciennes et (hiér. ég. , de
lecture g ; graphies démotiques données par Erichsen, 1954).
Or la paléographie démotique récemment publiée ne donne rien de tel, et
aucune graphie démotique de g présentée, de quelque époque ou lieu qu’elle
soit, n’y offre un parallèle convaincant avec le signe méroïtique (voir El-
Aguizy, 1998, p. 282-283). Le signe le plus fréquemment attesté, , s’il
252 LA LANGUE DE MÉROÉ

ressemble vaguement au caractère méroïtique, est construit selon un ductus


différent.
Ne pourrait-on pas y voir plutôt une évolution à partir du signe
démotique q, une des formes issues de l’hiéroglyphe égyptien (cf.
El-Aguizy, p. 278 f4, f8, g10) 1 ? Le ductus serait beaucoup plus proche du
caractère méroïtique. On peut supposer que la forme s’est légèrement
modifiée par l’adjonction d’un crochet supérieur, comme dans a a, par
dissimilation avec p p. Il est également possible que la graphie démotique
ancienne (El-Aguizy, 1998, p. 278 c2) se soit conservée plus longtemps à
Koush. Les premières formes méroïtiques attestées, par exemple en REM
0405A où l’on trouve , semblent plaider en ce sens.

l translittéré l
Voir Priese, 1973b, p. 278, 289 et tab. Ib
Griffith ne propose aucune explication pour ce signe. La stylisation
démotique du lion, l’hiéroglyphe méroïtique de même valeur, présente une
forme ou qui ne correspond pas à la cursive méroïtique. La
suggestion de Priese, selon laquelle elle provient du démotique ancien
(hiér. ég. ) est à première vue très intéressante, dans la mesure où l’on sait
que le groupe mr était souvent en égyptien une graphie de /l/. Ainsi lq,lëƒ,
« chef d’armée » est transcrit en grec λεµεισα, et lq,ëm, « administrateur de
temple » devient λεσωνις. Cependant M. Chauveau attire notre attention sur
le fait que l’usage alphabétique de mr pour /l/ est très tardif, n’étant connu
qu’à partir de la fin de l’époque ptolémaïque 2, près d’un siècle après les plus
anciennes attestations de l’écriture méroïtique. Les graphies napatéennes de
l’adjectif mlo « bon » 3 utilisent toutes les hiéroglyphes ou pour rendre
le méroïtique /l/, ce qui prouve que cette transcription ne semblait pas poser
de problème. L’origine du signe cursif l reste donc également à préciser.

m translittéré m
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 11, 14 ; Priese, 1973b, p. 287
et tab. Ia
Il en va tout autrement du caractère cursif pour m, dont la filiation
évidente avec le démotique (hiér. ég. ) de même valeur a été

1
Nous suivons ici l’excellente suggestion du p rofesseur M. Chauveau.
2
Voir également Clarysse-Van der Veken, 1983, p. 142 : le lambda dans les noms grecs
d’époque ptolémaïque est systématiquement transcrit ou . Priese modère cependant
sa suggestion en précisant que le signe démotique mr n’est pas attesté en napatéen, et n’a
habituellement pas de valeur phonétique (Priese, 1973b, p. 278).
3
Voir supra, p. 23-24.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 253

immédiatement notée par Griffith, tant dans Areika (Griffith, 1909) que dans
Karanóg (Griffith, 1911a). Elle est bien sûr confirmée par Priese.

n translittéré n
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 287 et tab. Ib

Griffith relève que le signe méroïtique n’offre pas de ressemblance avec


l’hiératique ou le démotique pour l’hiér. ég. n, à l’origine de
l’hiéroglyphe méroïtique n de même valeur : le démotique a ainsi . Priese
envisage une dérivation à partir de la graphie en hiératique anormal de
l’article pluriel n(3), qu’il donne sans préciser sa source. Cependant, la
paléographie démotique (El-Aguizy, 1998, p. 406-407) ne fournit pas de
« group-writing » en hiératique anormal pour ce mot 1, mais donne
simplement les formes (démotique ancien) et (ptolémaïque), très
éloignées du signe méroïtique. Ce serait donc le seul graphème méroïtique à
dériver de l’hiératique anormal, ce qui paraît assez peu cohérent avec le reste
des filiations.
On peut se demander en revanche si la fréquente graphie démo-
tique correspondant au groupe hiéroglyphique , mais souvent utilisée
comme signe alphabétique pour n ne serait pas plutôt à l’origine du méroïtique
n , le ductus offrant une certaine ressemblance (El-Aguizy, 1998, p. 261).
Priese a cependant envisagé cette filiation pour le signe méroïtique suivant.

N translittéré ne
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 278, 288 et tab. Ib

Ici aussi, Griffith relève que le signe cursif ne peut remonter à une
version hiératique ou démotique du groupe hiéroglyphique égyptien , à
l’origine de l’hiéroglyphe méroïtique N pour ne : la forme hiératique ne
ressemble pas, et la forme démotique n’existe pas 2. Priese pense au
démotique issu de (voir ci-dessus). Or l’apparition d’une boucle
dans ce signe est accidentelle (cf. El-Aguizy, 1998, p. 260-261). Les
exemples donnés par Priese comportent des boucles qui sont apparemment
dues au simple contact des tracés : ainsi le démotique wjn « lumière », s’écrit
généralement . Il est vrai que Priese prend soin de préciser l’aspect

1
Il semble que la graphie donnée par Priese soit exceptionnelle, et due à une ligature. On a
généralement en hiératique n3n (cf. Möller, 1909 II p. 64).
2
Voir cependant Joachim F. Quack, « Weitere Korrekturvorschläge », dans Enchoria t. 25,
p. 45, pour une possible occurrence d’un équivalent démotique de dans Setne II
[n(w)n.t « racine» ]. La forme est cependant très différente de N.
254 LA LANGUE DE MÉROÉ

incertain de cette filiation supposée (ibid. p. 278). L’origine du signe cursif


méroïtique reste donc encore à découvrir.

otranslittéré o
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 297-298 et tab. Id

Griffith pense à une stylisation spontanée de l’hiéroglyphe correspondant


o. Il rappelle que les seuls signes obliques de ce type en démotique ont les
valeurs « et r. Priese fait judicieusement dériver la cursive méroïtique du
démotique (hiér. ég. ), utilisé fréquemment dans l’Égypte tardive pour
transcrire le son /o/, notamment dans les noms étrangers. Toutes les formes
du démotique conviennent ici, mais particulièrement certaines graphies ptolé-
maïques de Haute-Égypte qui sont dénuées de la courbe légère vers la droite
fréquente dans le signe démotique (El-Aguizy, 1998, p. 248-249, g5-g6).

p translittéré p
Voir Priese, 1973b, p. 286-287 et tab. Ia

Griffith ne se prononce pas sur l’origine de ce signe. Pour Priese, la


filiation de ce caractère remonte au démotique ancien (en ég. hiér. ). On
remarquera que les formes ptolémaïques de Haute-Égypte (El-Aguizy, 1998,
p. 252-253) (g15) ou (g5) conviennent tout aussi bien.

q translittéré q
Voir Priese, 1973b, p. 292-293 et tab. Ic

On ne trouve chez Griffith aucune mention d’une origine possible de ce


caractère. Priese est le premier à évoquer sa filiation indubitable avec la
version démotique du groupe hiéroglyphique égyptien . Il rapproche en
effet le démotique ancien . Le ptolémaïque de Haute-Égypte nous
paraît néanmoins tout aussi convaincant (El-Aguizy, 1998, p. 282-283). Nous
avons suggéré dans un récent article (Rilly, 1999a, p. 102) que le choix de ce
signe par les Méroïtes, parmi plusieurs autres correspondant à des vélaires
s’expliquait mieux si l’on considérait le caractère labialisé [kw] du q
méroïtique 1 : le groupe a en effet originellement en égyptien la valeur

1
Voir infra, p. 377-379. Une évolution parallèle, mais quelque peu différente, a abouti en
démotique à une valeur q pour ce groupe (voir Günther Vittmann, « Zum Gebrauch des
ka-Zeichen im Demotischen », dans Studi di Egittologia e di Antichità Puniche [Pise],
t. 15 [1996], p. 1-12).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 255

syllabique /ku/ (voir Albright, 1934, p. 60-61), une valeur conservée en


napatéen. Le nom du pharaon koushite Shebitqo, égyptien , est
ainsi transcrit en assyrien ša-pa-ta-ku-[uƒ] (cf. Dallibor, 2001).
256 LA LANGUE DE MÉROÉ

r translittéré r
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 277, 288-289 et tab. Ib

Griffith avait déjà avancé une parenté entre le signe méroïtique et la


forme démotique correspondant au groupe hiéroglyphique égyptien
. Priese s’y oppose, car il pense curieusement qu’un tel groupe n’aurait pu se
ligaturer de cette façon. Il suggère plutôt une évolution à partir du groupe
démotique (hiér. ég. ), selon le schéma : > > > .
Cette hypothèse nous paraît hasardeuse et compliquée 1. Le démotique
ptolémaïque de Haute-Égypte pour le même groupe semble assez proche
de la forme méroïtique pour qu’on puisse imaginer une filiation plausible (cf.
El-Aguizy, 1998, p. 308-309 g3 , bien que cet auteur ne ditingue pas les
signes correspondant à l’hiéroglyphique égyptien et ).

s translittéré s
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 291 et tab.
Ic

La parenté du signe avec le démotique š pour l’hiér. ég. a été


remarquée immédiatement par Griffith (Griffith, 1909 et 1911a). Elle n’est
pas autrement commentée par Priese qui se contente de la rappeler 2. Les
formes de démotique qui conviennent le mieux sont une fois encore
ptolémaïques, et originaires de Haute-Égypte (El-Aguizy, 1998, p. 278-279
g3-g4). L’utilisation par les Méroïtes d’un signe égyptien représentant une
chuitante /š/ pour leur s s’explique par le caractère légèrement chuinté du /s/
rétroflexe méroïtique (= [È]) 3.

S translittéré se
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 291 et tab. Ic

Griffith remarque dans Karanóg « The demotic [= cursive] form resembles


the Egyptian demotic = s ». Priese précise l’origine hiéroglyphique
égyptienne du groupe en , se fondant sur une rectification de l’étymon

1
Priese la qualifie d’ailleurs de « paläographisch unsicher » (ibid. p. 277).
2
Priese analyse également l’origine du signe « en drapeau » qui apparaît cinq fois sur la
stèle du roi Taneyidamani (REM 1044), ainsi que sur une table d’offrande de Méroé et
qui selon lui figure aussi un s. Il lui rattache le signe de forme carrée sur quelques
autres tables d’offrandes de Méroé, qui pourrait en fait représenter s ou si. Pour ces
signes exceptionnels, voir infra, p. 352-354.
3
Voir infra, p. 382-383.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 257

hiéroglyphique par Spiegelberg. Pour ce signe démotique, la paléographie


donne des formes ptolémaïques de Haute-Égypte (g1) et (g2) assez
satisfaisantes (El-Aguizy, 1998, p. 276-277). Un problème subsiste, d’ordre
phonétique : pourquoi les Méroïtes ont-ils pour ce signe choisi une sifflante
égyptienne et non une chuitante comme pour le précédent ? C’est en bonne
partie ce choix qui a guidé les anciennes translittérations 1 š pour s et s
pour S. On peut toutefois remarquer qu’en napatéen, les transcriptions par
l’égyptien s et š sont inextricablement mêlées 2, puisque le son méroïtique ne
correspondait parfaitement ni à l’un, ni à l’autre.

t translittéré t
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 293 et tab. Ic

Aucune hypothèse de filiation ne figure chez Griffith. Priese se contente


d’indiquer sans commentaires une origine se référant à l’égyptien
hiéroglyphique ou . Le premier groupe peut en effet être écrit en
démotique (Erichsen, 1940, p. 42, El-Aguizy, 1998, p. 371, g18, g19). Il nous
semble que le point qui conclut le signe dans la graphie méroïtique, et qui est
parfois omis, particulièrement à époque archaïque, pourrait avoir valeur
diacritique afin d’éviter une confusion avec l l.

T translittéré te
Voir Priese, 1973b, p. 293 et tab. Ic

Griffith ne présente pas d’hypothèse sur l’origine du signe. Priese le


rattache avec certitude au démotique dérivé du groupe hiéroglyphique
égyptien . En démotique, ce groupe, de lecture dj /tj « donner », « faire
que » s’écrit aussi bien à l’époque ancienne que ptolémaïque (Erichsen,
1954, p. 604-605). Il est suffisamment fréquent, en particulier comme
auxiliaire, pour avoir fourni au copte une lettre, + , de lecture /ti/. Il ne paraît
donc pas étonnant que les Méroïtes y aient déjà eu recours.

1
Voir supra, p. 236-237 et Tableau 9, p. 241.
2
On se référera aussi aux différentes versions du nom de Koush en égyptien, p. 4-5 .
258 LA LANGUE DE MÉROÉ

u translittéré to
Voir Priese, 1973b, p. 293 et tab. Id

Griffith ne se prononce pas sur l’origine de ce signe. Priese propose d’y


voir un développement du démotique , représentant l’hiéroglyphique ou
selon Priese. Assez curieusement, ce sont les formes tardives du signe
méroïtique qui rappellent le plus le tracé démotique, les attestations
archaïques et anciennes présentant une forme arrondie . Priese émet deux
hypothèses pour expliquer ce détail surprenant : ou bien la forme anguleuse
issue du démotique s’est en fait perpétuée sans que nous ayons de traces,
avant de se généraliser 1, ou bien le signe méroïtique a subi une seconde
influence du démotique. La deuxième hypothèse nous paraît plus vraisem-
blable, puisque l’apparition du to anguleux ne se fait qu’à partir du IIe siècle
de notre ère : peut-on supposer qu’il soit resté plus de trois siècles dans les
traditions scripturales sans que nous n’en ayons de traces ?
Un autre problème plus embarrassant n’est pas traité par Priese. Comment
se fait-il qu’un groupe démotique de lecture d ait été choisi par les Méroïtes
pour représenter une syllabe /tu/, de timbre fort différent ? Les formes les
plus anciennes du signe méroïtique présentent un trait vertical au lieu du
point (REM 0405A, 0833) : peut-on penser à un déplacement sous le signe
d’un trait démotique originellement postposé représentant un w : dw
(hiér. ég. )?

w translittéré w
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 286 et tab. Ia

Griffith écrit dans Karanóg à propos de ce signe :


« w looks as though it were derived from an original facing to the left like the
Egyptian, but it does not bear much resemblance to Egyptian hieratic or demotic
forms. » (Griffith, 1911a, p. 13)

Griffith note que l’origine de ce signe doit être recherchée dans


l’hiéroglyphe égyptien w(3), ici orienté vers la droite, et non dans
l’hiéroglyphe méroïtique correspondant w qui est toujours tourné en sens
inverse. Priese émet la même hypothèse et rappelle que des versions de
très semblables aux plus anciennes graphies du méroïtique w se trouvent
dans les textes napatéens. La forme démotique de l’hiéroglyphe égyptien a
fourni en fait le signe méroïtique pour /u/, translittéré o (voir ci-dessus).

1
Le to enroulé apparaît cependant de temps en temps à époque tardive, notamment à
Sedeinga, sous une forme modifiée : voir ci-dessous la paléographie du signe to, p. 331.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 259

Une autre piste possible, que nous suggère M. Chauveau, serait le


démotique correspondant à l’ég. hiér. . Certaines formes de ce signe,
notamment (El-Aguizy, 1998, p. 247, g16), donnent un étymon fort
plausible pour le w méroïtique. Cette hypothèse présente, contrairement à la
précédente, l’avantage de donner au signe méroïtique une filiation avec le
démotique qui s’accorde avec l’origine des autres caractères.

y translittéré y
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 286 et
tab.Ia

Le lien évident avec le démotique (hiér. ég. ) a été relevé par


Griffith dès Areika, et rappelé dans Karanóg. Priese reprend bien
évidemment cette filiation.
On remarquera que les formes démotiques de Haute-Égypte ont souvent
un deuxième trait plus petit, comme le méroïtique tardif. Peut-être a-t-on ici,
comme pour to précédemment (voir ci-dessus), une influence secondaire du
démotique. Les graphies anciennes du signe méroïtique présentent en effet
trois traits parallèles de même dimension.

: translittéré « : » (séparateur)
Voir Griffith, 1909, p. 51 ; Priese, 1973b, p. 282-283

L’existence d’un signe de séparation entre les mots 1 a beaucoup intrigué


Griffith, qui ne pouvait envisager ici une création indépendante :
« Separation of words is not common in ancient writings. It is not found in
Egyptian hieroglyphic, hieratic or demotic. Persian cuneiform separates words by
an oblique wedge, and in Aramaic writing of the Persian period the words are
usually spaced apart. It is conceivable that the influence of Persia or of the Jewish
colony of Elephantine on the Ethiopian civilization is to be seen here. Or again
the idea may have come from Arabia through Abyssinia ; the South Arabian
alphabets separate words by upright lines, and the Geez “Ethiopian” writing of
the Abyssinian church actually employs pairs of dots for the same purpose. »
(Griffith, 1909, p. 51)

Priese revient sur ce point et s’oppose à juste titre à une influence


étrangère. Il rappelle que le déterminatif égyptien, aussi bien en hiéro-
glyphique qu’en démotique, a également pour fonction, à côté de son rôle
sémantique, de signaler la fin de mot. Parmi ces déterminatifs, les signes

1
Pour l’usage de ce signe, qui parfois sépare des morphèmes, voir p. 495-496.
260 LA LANGUE DE MÉROÉ

pluriels ou collectifs , ou sont parmi les plus fréquents. Priese


rappelle que sur la stèle napatéenne tardive de Nastasen (vers 300 av. J.-C.),
on trouve des marques de pluriel (ou verticales) totalement injustifiées.
Peust, dans son étude des stèles napatéennes d’Harsiotef, de Nastasen et
d’Ari, reconnaît à ce déterminatif une fonction de « Wortgrenzsignal »
(Peust, 1999, p. 124). C’est de ce signe égyptien que proviendrait le
séparateur méroïtique, utilisé pour compenser la perte de ces précieux repères
qu’étaient les déterminatifs, lors de l’adoption d’un système de notation
purement phonétique.
Cette judicieuse interprétation trouve d’ailleurs une confirmation dans le
fait que les plus anciens séparateurs attestés en cursive méroïtique (REM
0405A) montrent souvent trois points (sauf à Kawa). C’est à partir du Ier
siècle de notre ère que le séparateur à deux points devient systématique dans
la cursive. Dans l’écriture hiéroglyphique, les trois points seront conservés
jusqu’au bout 1.
Les signes cursifs ne sont donc pas issus des hiéroglyphes napatéens,
comme Griffith l’avait supposé pour certains d’entre eux. La comparaison
avec l’Égypte ne vaut pas ici : la civilisation de Méroé n’était pas,
scripturalement parlant, la tabula rasa qu’était l’Égypte protodynastique. Il
paraît beaucoup plus vraisemblable que l’écriture spécifique de la langue
méroïtique ait correspondu en premier lieu à un besoin administratif et se soit
donc développée à partir d’une des écritures usuelles de l’Égypte tardive.
La question se pose ensuite de savoir à laquelle de ces écritures la cursive
méroïtique prend sa source. Les idées de Griffith, comme nous l’avons vu,
ont là-dessus évolué : d’une filiation avec l’hiératique anormal, il s’est
ensuite orienté vers un rapprochement avec le démotique. Priese, quant à lui,
situe cette origine dans la période de transition de la XXVIe dynastie, qui voit
se mêler l’hiératique tardif, l’hiératique anormal et le démotique ancien.
Nous avons vu qu’à l’occasion, il recourt à l’une ou l’autre de ces écritures
pour expliquer tel ou tel caractère méroïtique. Il nous semble peu raisonnable
de multiplier les sources de la cursive et d’y voir un patchwork d’écritures de
diverses traditions. On constate par exemple que le copte n’a emprunté son
alphabet qu’aux deux systèmes d’écriture courants au début de l’ère
chrétienne : le grec pour tous les signes dont la valeur existait dans la langue
indigène et le démotique pour tous les sons particuliers qui n’existaient pas
en grec.
L’examen détaillé qui précède permet d’apporter quelques précisions.
Tout d’abord, l’hiératique anormal ne peut pas être retenu comme source de
la cursive méroïtique. Les graphies de w, de p, de k3, de ë, de s, de j offrent

1
Ainsi en REM 1222 (bol inscrit tardif d’El-Hobagi). Voir cependant p. 339 pour deux
exceptions.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 261

une trop grande distance avec leurs équivalents méroïtiques respectifs o, p, q,


s, se, y. Au total, sur les vingt-trois signes cursifs (non compris le séparateur)
qu’utilise couramment le méroïtique, treize proviennent clairement du
démotique : b, ‚, i, m, o, p, q, r, s, se, t, te, y. Pour huit autres, cette
ascendance est très probable mais la graphie d’origine doit encore être
confirmée : a, d, e, ƒ, k, n, to, w. Enfin deux derniers caractères cursifs n’ont
jusqu’à présent pas de filiation justifiable ou connue : l et ne, mais il faut
probablement envisager pour eux une filiation démotique qui reste à
découvrir.
Enfin, il est possible de préciser à quel stade du démotique s’apparente
l’écriture cursive méroïtique. Une grande partie des signes d’ascendance
démotique certaine ressemblent de très près aux graphies ptolémaïques
anciennes de Haute-Égypte (332-186 av. J.-C.), notamment ‚, o, p, q, r, s, y
(voir l’examen de ces signes) 1. Certains caractères, comme le r et le s, sont
même trop différents du démotique ancien pour qu’on puisse les en faire
dériver directement. Il semble donc très vraisemblable que la différenciation
entre le démotique et la cursive méroïtique a dû se faire au cours du IIIe
siècle. Traditionnellement, les deux fragments de table d’offrandes attribués
à un roi dont seule la fin du nom paternel ]iwl est conservée (REM 0805)
sont considérés comme la plus ancienne inscription en méroïtique cursive 2.
Ce souverain aurait régné vers 185-170 av. J.-C. selon Wenig, 1999 (p. 180
n° 40), mais seulement à la fin du IIe siècle selon Török. En fait, les
premières inscriptions étendues remontent au règne du roi Taneyidamani
(REM 0127, 405B, 1044, 1140), pour lequel une datation relativement
consensuelle peut être fixée vers la fin du IIe siècle 3. Or, il existe une série
d’inscriptions de paléographie beaucoup plus ancienne, regroupant des
graffiti de Kawa, des tables d’offrandes de Méroé et quelques inscriptions
découvertes récemment à Doukki-Gel près de Kerma, sans oublier le recto de
la stèle de Taneyidamani de Méroé (REM 0405A) 4. Il semble difficile, étant
donné la différence des signes, de supposer moins de deux ou trois
générations entre ces premiers documents et ceux de Taneyidamani. Aussi
peut-on envisager pour ces textes archaïques une datation au début du IIe
siècle de notre ère, ce qui confirme les données issues de l’analyse de

1
C’est également le cas de la majorité des chiffres (6, 8, 9, 30, 50, 70, 80, 100, 200, 300,
800) : voir Tableau 18, p. 357. Le cas du chiffre 20, proche de l’hiératique anormal, et
sur lequel s’est focalisée l’attention de Griffith et de Priese (Griffith, 1916a, p. 24 ;
Priese, 1973b, p. 274), semble totalement isolé.
2
Cf. Hintze, 1959a, p. 36 ; Török in Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 360 (avec une
erreur : il ne s’agit pas du roi Tarekeniwal, connu au IIe siècle de notre ère).
3
Hintze, 1959a, p. 33 ; Shinnie, 1996, p. 104 ; Török, 1997b, p. 204-205 ; Wenig, 1999,
p. 181.
4
Voir Tableau 12, p. 346.
262 LA LANGUE DE MÉROÉ

l’origine des signes : la période de formation de la cursive méroïtique doit


être replacée au IIIe siècle av. J.-C.
La datation ancienne proposée par Priese, qui fait dériver cette écriture du
démotique ancien, posait d’ailleurs un problème de taille : pourquoi, si
l’écriture méroïtique s’était constituée si tôt, n’en aurait-on pas retrouvé de
témoignages ?
Près de quatre siècles séparent en effet la XXVIe dynastie des premiers
documents connus en cursive méroïtique. Il est vrai qu’on ne possède aucun
corpus suivi (et surtout publié) d’inscriptions démotiques du royaume de
Napata. Mais quelques indices laissent supposer que la langue et l’écriture de
l’administration napatéenne devaient être démotiques et assez proches de ce
que l’on trouvait à la même époque en Égypte. Il serait par exemple très
étonnant que les stèles d’Harsiotef ou de Nastasen, rédigées vers 300 av. J.-
C. par des scribes indigènes, reflètent aussi bien le démotique contemporain
d’Égypte, à quelques confusions graphiques près, si cette culture écrite était
restée en vase clos depuis deux cents ans.
Il faut bien plutôt envisager des contacts permanents, ou tout au moins
constamment renouvelés, et une certaine communauté d’écriture entre les
deux royaumes du Nil. Dans les premiers siècles de notre ère, bien que la
langue et les écritures de l’Égypte aient progressivement perdu leur statut
officiel sur le territoire méroïtique, on trouve encore çà et là des inscriptions
démotiques à caractère privé. Plusieurs de ces textes n’ont apparemment pas
été rédigées par des Égyptiens s’il faut en croire la singularité des tracés 1.
Nous avons vu par ailleurs qu’une influence démotique secondaire ne
pouvait être exclue, notamment dans l’évolution de la forme des signe to et y.
Cependant, l’existence d’une communauté d’écriture n’implique pas que le
démotique en usage dans le royaume de Napata ait été rigoureusement
semblable à celui qu’on utilisait en Égypte. Si, de manière assez attendue,

1
Nous suivons ici une communication personnelle de M. Chauveau sur les inscriptions
méroïtiques de Shokan (inédites) et de Méroé (accompagnant les dipinti méroïtiques sur
jarre REM 0804B, C, D). L’inscription démotique la plus méridionale est un proscynème
gravé sur le mur sud du temple d’Apedemak à Naga et a été étudiée par Griffith (Griffith,
1911c, p. 61) et H.-J. Thissen (in Zibelius, 1983, p. 38-39) ; elle est contemporaine de
l’ægypte romaine. On citera évidemment les proscynèmes des temples de la Dodécaschène
(Maharraqa, Dakka, Dendour, Philae), dont 36 ont été gravés par (ou pour) des Méroïtes
(Griffith, 1937 ; Burkhardt, 1985). Parmi ces inscriptions, cinq remontent au tournant de
l’ère chrétienne (Eide–Hägg et al., 1996 [FHN II] p. 728-736). Plusieurs graffiti
démotiques ont aussi été retrouvés à Musawwarat (cf. Wolf, 1999a, p. 44). Une
inscription portant un nom égyptien suivi d’une épitaphe méroïtique provient de Karanóg
(cf. Griffith, 1911a, p. 72). D’autres ont été, comme à Méroé, tracées sur des amphores
où elles voisinent avec des inscriptions méroïtiques (REM 0090, 1188 : cf. Leclant et al.,
2000 [REM], p. 196-197 et Säve-Söderbergh, 1982, p. 51). Enfin, de nombreux textes
démotiques inédits ont été exhumés à Qasr Ibrim, siège d’un oracle d’Amanap, mais certains
sont clairement l’œuvre de pèlerins égyptiens (cf. Zauzich, 1999).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 263

c’est aux graphies de Haute-Égypte que s’apparentent le plus les caractères


cursifs méroïtiques, il est assez probable que le démotique de Koush devait
également posséder ses propres particularités. Sur ce point, on se référera au
nom d’Amon tel qu’il apparaît dans deux graffiti méroïtiques archaïques
gravés sur les murs du temple de Kawa : (REM 0648A), (REM
0662), et peut-être dans une inscription inédite de Doukki Gel découverte en
1
1999/2000 : . Le tracé ressemble plutôt aux graphies démotiques
anciennes , , , qu’aux versions ptolémaïques , ,
(cf. Erichsen, 1954, p. 30) 2. Il est donc possible que le démotique napatéen
du IIIe siècle avant J.-C. ait conservé quelques graphies archaïsantes. Une
autre hypothèse serait que le nom d’Amon soit ici emprunté aux graphies
hiératiques des textes sacrés contemporains où il se présente sous une forme
proche .
Quelle que soit la solution de ce problème, il n’en demeure pas moins
que, pour l’essentiel, c’est bien à partir d’un type de démotique proche de la
forme ptolémaïque de Haute-Égypte que s’est développée la cursive
méroïtique.

1
Nous remercions Mme Dominique Valbelle qui nous en a aimablement communiqué un
fac-similé.
2
Cf. Priese, 1973b, p. 279 : c’est en fait un des rares arguments forts de Priese en faveur
d’une filiation avec le démotique ancien (voir aussi l’origine de la cursive k k).
264 LA LANGUE DE MÉROÉ

Origine des signes hiéroglyphiques

a translittéré a (initiale vocalique de timbre variable)


Voir Griffith, 1911a, p. 12 ; Griffith, 1916b, p. 118 ;
Priese, 1973b, p. 280, 284-285, p. 304, note 3.

Griffith compare ce signe au groupe hiéroglyphique égyptien


représentant un « aleph prothétique » 1, et fréquemment utilisé à l’initiale des
noms napatéens. Priese l’explique comme un croisement graphique de
dans la version napatéenne de ce groupe (voir ci-dessous note 1) et du signe
égyptien utilisé pour l’interjection «. Il évoque aussi une possible influence
de la graphie démotique de ce morphème. L’usage du groupe ou
en napatéen 2 pour indiquer une voyelle initiale remonte certainement à
l’écriture syllabique égyptienne où cette combinaison est utilisée pour
transcrire la syllabe [¿a] au début des mots sémitiques ou tout simplement /a/
initial dans d’autres langues, comme le grec archaïque (dans le nom
« Achéens ») 3. En méroïtique cependant, le signe a a fini par représenter
les voyelles initiales /a/ et /u/, et peut-être ultérieurement toute voyelle
initiale 4.

b translittéré b
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 286.

Le signe apparaît déjà dans le cartouche du pharaon koushite Shabaqo,


comme le relève Griffith. Priese rappelle que cet hiéroglyphe est courant en
napatéen 5. Certaines graphies d’égyptien syllabique l’emploient plusieurs

1
Il s’agit du « prothétique qui apparaît sporadiquement au début de certaines formes
verbales et qui transcrit probablement une voyelle de soutien devant double consonne
initiale (Gardiner, 1957, p. 209 : Lefebvre, 1955, p. 120-121). La graphie est plutôt
en égyptien, mais on trouve fréquemment en napatéen.
2
Cf. Dunham-Macadam, 1949 pl. XV (1) à (5). Dans son étude des stèles napatéennes,
Peust signale : « Dieser Gruppenschriftgraphem kommt nur am Wortanfang und
signalisiert vokalischen Anlaut » (Peust, 1999, p. 104). Cette remarque s’accorde bien avec
le rôle de a , a en méroïtique.
3
Voir Albright, 1934, p. 33-34 (valeur confirmée par la suite). Il est cependant possible
que le nom des Achéens ait transité par une langue sémitique, auquel cas il aura
probablement été affecté d’un aleph initial.
4
Dans certains mots (par ex. yereƒlo), on a hésitation entre a- et yi- ou ye-, ce qui semble
prouver que /e/, /Œ/ et /i/ pouvaient aussi être écrits a-. Voir ci-dessous, p. 291, Tableau 10.
5
Cf. Dunham-Macadam, 1949 pl. XV (6), (7), (9), (23), etc.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 265

siècles auparavant pour transcrire la syllabe /bi/ selon Albright 1. Sa valeur


syllabique peut expliquer qu’on l’ait préféré au signe égyptien pourtant
plus simple à tracer, et parfois utilisé parallèlement en napatéen. Cependant,
le texte archaïque de Méroé REM 0401, où apparaissent probablement les
plus anciennes graphies connues de méroïtique hiéroglyphique, présente pour
b le signe , ce qui prouve qu’il a existé un certain temps un flottement dans
le choix des hiéroglyphes, contrairement à ce que l’on voit pour la cursive.

d translittéré d
Voir Griffith, 1916b, p. 117 ; Priese, 1973b, p. 280, 294.

Griffith, qui suggérait au départ pour ce graphème une transcription z


(correspondant alors à une valeur phonétique « dj »), pensait que le choix de
l’ìil d’Horus s’expliquait par la présence de la consonne d dans la lecture
égyptienne wd3.t de ce signe. Il n’a élucidé la lecture du signe que
tardivement (voir supra, p. 237), et son hypothèse originelle sur le choix de
l’hiéroglyphe ne peut donc plus tenir.
Priese propose d’y voir une version plus tardive d’un hiéroglyphe originel
ou présent dans les textes archaïques REM 0401 et 1044A, qui
proviendrait d’une graphie égyptienne pour r (le /d/ méroïtique est une
rétroflexe [Ç], acoustiquement proche d’un [r]). Il ne précise pas s’il pense à
la lecture égyptienne «q de ce signe ou à une confusion avec l’hiéroglyphe
alphabétique de valeur r. Le signe de l’ìil n’est pas utilisé pour la
transcription du d en napatéen. Comme on a par ailleurs aucun véritable d en
napatéen 2, il faut penser que le phonème méroïtique a été, comme
ultérieurement, transcrit par r avec les graphies ou . Aussi la confusion
/ serait-elle une meilleure explication pour l’origine de l’hiéroglyphe
méroïtique. On peut supposer alors, comme nous l’avons fait précédemment
(cf. p. 248), que la transformation de l’ìil simple en ìil d’Horus est due à
l’influence du signe cursif correspondant d.

e translittéré e
Voir Griffith, 1909, p. 52 ; Griffith, 1911a, p. 12 ; Priese, 1973b, p. 280, 298.

Griffith note dans Karanóg :


« The values of e agree closely to those of in Egyptian : it seems probable that
the alphabet-maker confused the reed-flower with the ostrich-feather e, or

1
Voir Albright, 1934, p. 39-40, mais /ba/ doit être possible, du moins en napatéen, où /bi/
semble de préférence transcrit .
2
Dans le nom de la reine Madiqene, le d transcrit un /t/ méroïtique : voir supra, p. 21.
266 LA LANGUE DE MÉROÉ

deliberately substituted the latter for aesthetic reasons ; in late Egyptian stelae,
&c., often looks like an attenuated . » (Griffith, 1911a, p. 52)

Priese parle pour ce signe de « permutation de signes similaires », sans


expliquer davantage. En fait, on ne peut ici penser à une maladresse ou une
ignorance originelle, puisque d’une part le signe y y offre toujours la forme
de roseaux, fidèle au modèle égyptien, que d’autre part les textes écrits à
Koush en égyptien à l’époque de la formation de l’écriture méroïtique et plus
tard ne commettent jamais d’erreurs sur la forme de l’hiéroglyphe 1, et
qu’enfin, l’orientation du signe méroïtique correspond, sauf rares exceptions,
au sens de la plume d’autruche et non à celui du roseau. La modification de
ce signe est donc intentionnelle, conformément à la seconde hypothèse de
Griffith. Il est évident que l’arrondi de la forme hiéroglyphique e correspond
étroitement à l’arrondi de la cursive correspondante e, mais comme ce
dernier signe est d’origine incertaine, on ne peut dire pour l’instant lequel a
précédé et donc influencé l’autre.

h translittéré ‚
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 289

Griffith donne pour ce signe deux origines possible : il remonterait, ou


bien à l’hiéroglyphe égyptien ƒ, ou à ‚, dont le signe cursif h est
dérivé par l’intermédiaire du démotique. Priese opte pour la seconde de ces
solutions, l’hiéroglyphe étant déjà largement attesté en napatéen. Le
problème principal, comme pour le signe e précédemment étudié, réside dans
la différence de forme avec l’égyptien. Priese relève parmi les inscriptions en
égyptien du temple de Musawwarat une occurrence où le signe présenterait
déjà une forme allongée (Hintze, 1962a Abb. 3). Malheureusement, le cas
n’est pas clair et totalement isolé puisque toutes les autres occurrences du
signe à Musawwarat lui conservent sa rotondité originelle 2. Ici encore, une
influence de la cursive, dont les plus anciennes attestations se présentent sous
la forme , nous semble une explication plausible.

1
On pourra comparer par exemple les inscriptions égyptiennes du temple de Musawwarat
(vers 220 av. J.-C.) in Hintze, 1962a, ou sur le reposoir de barque de Natakamani et
Amanitore (accompagnant l’inscription méroïtique REM 0041, vers 50 après J.-C.) : voir
Griffith, 1911c, p. 67-68 et une bonne photographie dans Wildung et al., 1997, p. 257.
2
Voir les graphies de ~oq (Abb. 1, 4, 5, 14), de lm~ (Abb. 11), de ~oë (Abb. 11), de
~zs|re (Abb. 11).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 267

H translittéré ƒ
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Macadam, 1966, p. 49 ; Priese, 1973b, p. 280, 289-291

Dans Areika, Griffith note la ressemblance de ce signe avec les


hiéroglyphes égyptiens représentants des vases et , mais leurs valeurs
égyptiennes [déterminatif et phonétique n(w)] ne permettent absolument pas
d’expliquer le choix de l’hiéroglyphe méroïtique pour une fricative vélaire
[x] ou [xw] 1. Macadam envisage donc pour ce signe une origine indigène :
« On the other hand the Meroitic hieroglyph for the same sound is not an
Egyptian sign, and in no way relative to the cursive. It is a picture of a pot, and
was evidently chosen because in the native tongue a single phoneme transcribable
as ƒ or ƒe meant äbeerã [Note 17 :] Or just possibly some other drink. cf.
Bedauye ha “any fermented drink especially beer” (Reinisch). »

Un des arguments supplémentaires de Macadam est l’occurrence du signe


sur des récipients ayant peut-être contenu de la bière (Griffith, 1924 pl. LXXII,
nos 4-6 et fig. 2 ; Macadam, 1949, p. 161 Fig. 53) 2.
Priese ne rejette pas l’hypothèse, mais estime sagement qu’elle s’écarte
trop du système qui a présidé à la formation de l’écriture méroïtique pour être
adoptée en première instance. Il propose deux autres solutions : une
dérivation depuis la forme hiéroglyphique correspondant au
démotique Äm « à l’intérieur », ou une évolution à partir de
l’hiéroglyphe (originellement Äq) fréquemment confondu en ptolémaïque
avec le signe g. Cette seconde hypothèse lui paraît préférable, notamment
parce que le nom du roi Adikhalamani (vers 190 av. J.-C.) est parfois
transcrit avec le signe au lieu de l’habituel Ä 3.
Peut-on également supposer une fausse étymologie du signe cursif
méroïtique H, rattaché au démotique pour en raison de la proximité des
graphies ? Il faudrait dans ce cas que le choix de l’hiéroglyphe ait suivi de
beaucoup l’évolution de la cursive, ce qui n’est pas impossible.
L’hiéroglyphe méroïtique H n’est d’ailleurs pas attesté avant le Ier siècle de
notre ère, au temple d’Amon de Naga. Mais il est vrai que les textes
hiéroglyphiques antérieurs sont courts et lacunaires.

1
La seconde transcription phonétique correspond à notre hypothèse dans Rilly, 1999a,
p. 107. Voir ci-dessous, p. 384-386.
2
Cette origine de l’hiéroglyphe ƒ est reprise par Haycock, 1978, p. 58.
3
Cf. Gauthier, 1917 (Livre des rois) tome 4, p. 429.
268 LA LANGUE DE MÉROÉ

i translittéré i
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 280, 297

Griffith avait déjà relevé la parenté de l’hiéroglyphe méroïtique avec le


signe égyptien , une des formes 1 de l’interjection « « ô ! » (copte hi).
Priese reprend cette hypothèse et signale qu’une telle graphie est déjà attesté
en napatéen.

k translittéré k
Voir Griffith, 1909, p. 52 ; Griffith, 1911a, p. 15 ; Macadam, 1949, p. 49 ;
Priese, 1973b, p. 280, 291-292

L’origine de ce signe a été beaucoup débattue. Il faut dire que


l’hiéroglyphe de l’oie en égyptien n’a guère que trois valeurs, l’une
phonétique 2 s3 (dans le mot « fils »), l’autre semi-phonétique gb dans le nom
du dieu Geb, et la dernière idéographique ou déterminative pour qualifier des
oiseaux. Tout cela semble très éloigné de la valeur /k/ du signe méroïtique.
Griffith supposa donc que l’hiéroglyphe méroïtique était issu par acrophonie
du nom du dieu Geb (transcription grecque χβ).
Macadam ensuite suggéra ensuite une autre solution, qui elle aussi
reposait sur une acrophonie originelle, mais purement méroïtique :
« Other signs which are not used in Egyptian must derive their Meroitic values
from Meroitic. Thus the Egyptian sign of a goose, used in Meroitic but not in
Egyptian for letter K, leads to the supposition that a short word beginning with K
meant “goose” or less specifically “bird”. »

Il est possible que Macadam ait pensé au vieux-nubien kaurte, nobiin


kawarti « oiseau » (cf. Browne, 1996, p. 84), qui semble issue d’une forme
« nilo-saharienne » *kabari bien représentée parmi les langues de la région
(barea, didinga, kanouri, etc.) 3.
Priese préfère la solution de Griffith 4, qui repose au moins sur un
élément connu, alors que celle de Macadam renvoie à un mot non encore
identifié, et suppose une formation indigène trop singulière par rapport au
reste des signes hiéroglyphiques, tous dérivés du système égyptien 5.

1
Voir Lefebvre, 1955, p. 277.
2
Par confusion avec le canard pilet : cf. Gardiner, 1957, p. 471, G38-39.
3
D’après Greenberg, 1966b, p. 96, 134-135 ; pour ces langues, voir p. 475-478.
4
Haycock, 1978, p. 68 suggère quant à lui que l’oiseau de l’hiéroglyphe k serait une
déformation de , le cormoran égyptien de lecture ƒq, plutôt que l’oie de Geb, comme le
supposait Griffith. On remarquera cependant que ce signe n’est pas attesté en napatéen.
5
Voir une solution parallèle de Macadam pour l’origine de l’hiéroglyphe H. Une hypothèse
d’acrophonie indigène des signes k, b, u, d figure aussi chez Bechhaus-Gerst,
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 269

l translittéré l
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 289

La filiation avec l’hiéroglyphe égyptien est certaine et figure bien sûr


chez Griffith et Priese. Ce signe est déjà abondamment utilisé en napatéen
pour rendre le méroïtique /l/ 1. Son usage pour transcrire le /l/ des mots
étrangers est déjà attesté dans l’écriture syllabique égyptienne (Albright,
1934, p. 49-50).

m translittéré m
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 287

L’origine de ce signe ne pose aucun problème, puisqu’il a la même valeur


en égyptien, et qu’il est connu en napatéen par de nombreuses occurrences.
On observera que le méroïtique a choisi ici un signe alphabétique,
correspondant exactement à la cursive, contrairement à ce qu’il avait fait
pour l’hiéroglyphe b b.

n translittéré n
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 287

Le signe est bien entendu dérivé de l’hiéroglyphe égyptien n. La


seule difficulté concerne le redoublement du signe. Griffith l’attribue à des
motivations d’ordre esthétique :
« The original must have been doubled for aesthetic reasons to increase the
height of the line (cf. S for ), because the letters were to be written to
succeed each other horizontally sign by sign. »

1989, p. 103-104 (communication personnelle de P. Behrens). Les théories de Behrens


sont trop spéculatives pour que nous les ayons retenues dans notre examen principal.
Elles reposent sur une comparaison avec le couchitique ou l’omotique et sont parfois
fondées sur un malentendu : ainsi le rapport du signe b b, avec le bilin (langue
couchitique) baga « mouton » nous apprend simplement que le mot égyptien b3
« bélier », à l’origine de l’hiéroglyphe, a des parallèles couchitiques, ce qui n’est pas
surprenant, mais il ne nous apporte rien pour le méroïtique.
1
Voir les transcriptions égyptiennes et napatéennes de l’adjectif méroïtique mlo « bon »
ci-dessus, p. 22-24.
270 LA LANGUE DE MÉROÉ

Priese signale que ce redoublement se produit, quoique rarement, en


napatéen 1. Il ne croit pas à une cause esthétique, mais pense à une confusion
déjà présente en démotique, par exemple dans le pronom de la première
personne du pluriel n, parfois écrit nn par amalgame avec le datif n=n.
On observera cependant que cette orthographe redondante est extrêmement
rare en égyptien hiéroglyphique tardif, et que le texte méroïtique ancien REM
0401, qui offre plusieurs graphies apparemment en gestation, présente pour
ce signe une vague simple, comme en égyptien. On ne peut donc exclure
l’explication de Griffith.

N translittéré ne
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 288
Griffith note la filiation évidente avec le groupe hiéroglyphique égyptien
, de lecture nn. Il rappelle que ce signe est déjà utilisé dans les inscriptions
napatéennes pour transcrire le son /n/ dans les noms « éthiopiens », comme
l’avait déjà relevé Schäfer (Schäfer, 1895a p. 133). La difficulté est d’ordre
phonétique, puisque le groupe originel représente un double /n/, alors que le
méroïtique N se transcrit ne. Le phénomène n’est pas identique au précédent
(n), qui semblait d’ordre proprement graphique.
Priese propose une explication complexe mais plausible. Les scribes de
Koush auraient considéré le démonstratif ancien « ceux-ci », utilisé dans
l’égyptien de tradition, comme l’équivalent hiéroglyphique de la copule
démotique n3y (ou n3.w) « ce sont », dont la prononciation devait déjà
s’approcher du copte ne qui en descend.

o translittéré o
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Griffith, 1916b, p. 118, 122 ; Priese, 1973b, p. 297-298

Griffith, qui lisait originellement ce signe ê, précise dans Karanóg :


« There is no alphabetic sign like u in Egyptian ; but in the syllabary o is an
abbreviation for ’∆ äoxã, copt. exe. In the Egyptian inscriptions of the earlier
Ethiopian kings, , is used in the spelling of names ; SCHAEFER, Die äthiopische
Königsinschrift, p. 59, suggests that it may there stand for ∆, being substituted for
(ib., 108). »

1
Voir Dunham-Macadam, 1949 pl. XV (37) et pl. XVI (50). Dans le premier exemple, le
nom de la reine Khensa, épouse de Piankhy, toutes les graphies comportent un n double,
si bien qu’une lecture Khenensa ne peut être exclue tant que des attestations avec un n
simple ne sont pas retrouvées. Dans le second exemple, le nom de la reine Nasalsa,
épouse de Senkamanisken, le double n accompagne toujours un double jonc et peut
être dû à une contagion de ce signe sur le suivant (cf. la graphie ég. XVIIIe dyn. .
nn « ceux-ci »). Dans les deux cas, l’époque est ancienne (VIIIe/VIIe siècle av. J.-C.) et
bien antérieure au phénomène du double n démotique invoqué par Priese.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 271

Revenant sur cette hypothèse quelques années plus tard (Griffith, 1916b,
p. 122), il propose une lecture alternative o qui ne sera reprise que quarante
ans plus tard par Vycichl, puis Hintze (voir p. 238). Le choix de la tête de
bœuf s’explique bien selon lui comme substitut de la face humaine dont le
nom copte xo (∆n) devait correspondre à la réalisation égyptienne tardive de
l’hiéroglyphe. Les Méroïtes, ne connaissant pas le son ∆, auraient adopté ce
signe pour sa voyelle 1.
Cette thèse est entièrement reprise par Priese, qui donne quelques autres
variantes napatéennes 2 de , comme ou même un étrange signe (stèle
de Nastasen).
Il ne donne pas en revanche de précisions sur la conversion de la face
humaine en tête de bovin, qui reste jusqu'à présent insuffisamment
argumentée.

p translittéré p
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 287

Ce signe est à l’évidence, comme le relève Griffith, issu de l’hiéroglyphe


égyptien de même valeur p. Le tracé méroïtique, qui comporte toujours une
sorte de treillis interne, représente apparemment la structure d’une natte de
roseau, qui d’ailleurs est peut-être figurée originellement dans le signe
égyptien 3. Priese note que ce détail apparaît déjà en napatéen, dans le
toponyme « Napata », tel qu’on le trouve écrit sur la stèle d’Harsiotef.

q translittéré q
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 292

Ici aussi, la filiation égyptienne est évidente, bien que rares soient les
textes 4 où apparaît la forme de l’hiéroglyphe originel , égyptien q. Les
graphies napatéennes du phonème méroïtique /q/ 5 hésitent entre , , et
(voir le nom de « Koush » p. 21). Les scribes méroïtiques ont
apparemment privilégié la forme la plus simple, même si elle était phonéti-

1
Peust, dans son étude des stèles napatéennes, reste dubitatif sur cette hypothèse :
« Jedoch stimmt die Form nicht genau überein (...) Ich lasse das Zeichen in der
Transkription ganz unberücksichtigt » (Peust, 1999, p. 99).
2
Voir Schäfer, 1901, p. 58 pour d’autres graphies possibles.
3
Gardiner, 1957, p. 500 (Q 3).
4
REM 0401 (inscription archaïque), 0402 (au nom d’Akinidad, un peu avant l’ère
chrétienne).
5
Probablement réalisé [kw] (Rilly, 1999a, p. 102).
272 LA LANGUE DE MÉROÉ

quement approximative. Il nous semble que le signe, un flanc de colline en


égyptien, a été réinterprété ici comme le profil très reconnaissable d’une
pyramide méroïtique, ainsi qu’en témoigne peut-être la graphie tardive 1.

r translittéré r
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 288-289

Griffith qui rattache pourtant la cursive r à l’équivalent démotique du


groupe égyptien , reste dubitatif sur une origine égyptienne de l’hiéro-
glyphe méroïtique, qui pourrait selon lui représenter un réservoir. Priese le
relie sans hésitation au même signe . Bien que la variante qui selon
son dessin ressemble fortement au groupe égyptien, et dont il use comme
argument, soit sujette à caution 2, il a sans doute raison. Le point que l’on
trouve très souvent à gauche du signe est probablement la trace du trait, et la
forme rectangulaire peut s’expliquer par une volonté de distinguer le signe r
du ~+ qui avait acquis en méroïtique un tracé courbe assez semblable au
égyptien (voir ci-dessus, p. 265). Les graphies sans le point, ou 5 , sont
nombreuses. Priese les fait remonter à un simple .

s translittéré s
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 291

Ici aussi, la filiation est évidente : le signe méroïtique remonte à


l’égyptien , de lecture š3, connu dès la XXVe dynastie comme graphie du
/s/ méroïtique. Le même hiéroglyphe est déjà attesté en écriture syllabique
égyptienne pour transcrire la syllabe /ša/ dans les langues étrangères
(Albright, 1934, p. 56-57). On notera toutefois que les graphies napatéennes
hésitent entre š3, s (ancien z) et š pour la transcription du
phonème méroïtique (voir le nom de « Koush » p. 21).

S translittéré se
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 291

Griffith explique le signe comme un redoublement de l’hiéroglyphe


égyptien , de lecture s (ancien z) pour des raisons esthétiques (voir ci-
dessus n n). L’interprétation de Priese est assez étonnante. Il rapproche en
effet le signe méroïtique d’une graphie démotisante de s (pronom dépendant
1
Comparer avec la reconstitution d’une pyramide tardive dans Hinkel, 1994, p. 60.
2
Il s’agit d’une occurrence très érodée en REM 0401 (6). La comparaison avec le même
signe en REM 0401 (9) montre bien que le signe devait être originellement rectangulaire
(voir Garstang et al., 1911 pl. XXXIV).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 273

de la 3e personne du singulier, correspondant à l’hiér. ) sur la stèle napa-


téenne de Nastasen, où ce mot est écrit .
Cette dérivation nous semble difficile : les signes présentent des formes
assez éloignées, et la graphie particulière de la stèle de Nastasen est
totalement isolée parmi les textes napatéens 1. L’hypothèse de Griffith paraît
nettement plus économique et plus cohérente. Elle est de plus corroborée par
la présence dans l’inscription méroïtique archaïque REM 0401 (cartouche 3)
du signe encore non redoublé .

t translittéré t
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 280, 293

La filiation, très claire, est rapidement commentée par Griffith et rappelée


par Priese. Le signe méroïtique correspond parfaitement à l’hiéroglyphe
égyptien , de lecture tardive t (ancien t), et il est souvent attesté en
napatéen. L’insertion presque systématique par les scribes méroïtiques d’une
sorte de ressort central semble montrer que l’hiéroglyphe était désormais
interprété comme une pince et non plus comme une entrave pour les
animaux, ce qu’il figurait originellement en Égypte.

T translittéré te
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 280, 293

Griffith remarque qu’un groupe hiéroglyphique très similaire, de


valeur t + h, est utilisé en napatéen 2, notamment dans le nom du pharaon
koushite Taharqo. Il évoque également un rapprochement possible avec
ty/dy, copte tai (voir p. 248-249), qui apparaît également en napatéen.
Priese, tout en rappelant ces filiations hypothétiques, leur préfère un
rapprochement avec les formes démotiques anciennes , , , issues du
groupe hiéroglyphique égyptien t3 « pays » (copte to) , qui apparaît dans
les graphies , , , fréquentes en napatéen 3. On s’étonnera cependant
d’une telle étymologie, le mot t3 présentant dès le néo-égyptien une
vocalisation /tu/ ou /to/ 4 qui ne variera pas jusqu’au copte, et qui s’accorde
peu avec les valeurs du méroïtique te.

1
Voir Peust, 1999, p. 105 : le signe n’apparaît qu’à la ligne 14 de la stèle de Nastasen,
dans le titre indigène sr~s, ailleurs écrit avec l’hiéroglyphe (ligne 61).
2
Voir Dunham–Macadam, 1949 pl. XV (24), XVI (74). Voir également pour ce groupe
hiéroglyphique Leclant, 1969-1970, p. 198
3
Dunham–Macadam, 1949 pl. XV (9), (10), (18), (30), (34), XVI (51), (53), (69), (75), (76).
4
Cf. Vycichl, 1983, p. 209-210 : P3-t3-rsy « la terre du Sud » est déjà transcrit Pa-tu-ri-si
en assyrien (Ranke, 1900, KM 31).
274 LA LANGUE DE MÉROÉ

La ressemblance relevée par Griffith entre le groupe t + h et


l’hiéroglyphe méroïtique est suffisamment étroite pour orienter nos
recherches en ce sens. Il semble bien que la graphie doive être lue comme
une consonne simple. Le nom du pharaon Taharqo, le premier où elle
apparaisse, est transcrit en assyrien Tarku, en grec Τáρκος, Ταρακóς, ou
Ταρáκης, ce qui laisse supposer une prononciation méroïtique originelle
[™arkwu] 1. Pareillement le nom de la reine Batahaliye, épouse d’Harsiotef, est
écrit avec les groupes napatéens ou (Dunham-Macadam, 1949 pl. XV,
24a-24b) : dans la seconde graphie, l’inversion du h montre bien que l’on n’a
point affaire à deux consonnes successives, mais à deux composantes de la
même unité phonétique. De plus, on ne saurait penser à une dentale aspirée,
car le grec aurait alors un thêta initial dans le nom du roi Taharqo. Il faut
plutôt croire que les scribes égyptiens et leurs successeurs napatéens ont dans
ces deux cas utilisé, avec les moyens dont ils disposaient, une transcription
fine qui tînt compte de la réalisation rétroflexe du [™] méroïtique, ressentie
comme glottale, d’où la présence du h. Il s’en faut cependant de beaucoup
que toutes les transcriptions napatéennes du [™] méroïtique ait été aussi
sophistiquées. On trouve en effet, la plupart du temps, les hiéroglyphes
simples , , , , y compris dans les mots qui ultérieurement
comprendront la syllabe graphique te (voir mte « enfant », p. 21). Il nous
semble donc préférable de voir en l’hiéroglyphe méroïtique T un héritage de
la graphie napatéenne , purement alphabétique. Le groupe syllabique ,
de vocalisation probable [to] , n’est pas un ancêtre plausible pour le
méroïtique te, prononcé [™e], [™Œ], ou [™].

u translittéré to
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 280, 293-294

Griffith reprend dans Karanóg une suggestion de Maspero (dans une


récension d’Areika, Revue Critique n° 68 [1909], p. 142-144), qui proposait
de voir en ce signe le déterminatif égyptien de noms géographiques : il
aurait correspondu ici à une graphie de la syllabe /to/ (copte to « pays »).
Priese confirme cette origine, et précise que le point souvent ajouté en
dessous du signe hiéroglyphique semble indiquer une influence de la cursive
u, ce qui semble plausible.

1
Les trois transcriptions grecques données ci-dessus proviennent des différentes versions
de la liste de Manéthon (IIIe s. av. J.-C.). Elles sont donc les plus anciennes et, partant,
les plus dignes de foi. Trois siècles plus tard, Strabon (I, 61) donne Τεáρκω. Seul Flavius
Josèphe (Ier s. apr. J.-C.), dont les sources ne sont pas toujours sûres, donne Θαρσíκης
(Ant. Jud. X, 17) avec un thêta.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 275

w translittéré w
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 280, 286

La filiation évidente avec l’égyptien , de même valeur, est bien sûr


notée par Griffith et Priese. Ce dernier relève que la forme particulière de
l’hiéroglyphe méroïtique se rencontre déjà en napatéen.

y translittéré y
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 280, 286

Ici aussi, le groupe égyptien y et l’hiéroglyphe méroïtique correspondant


coïncident étroitement. La variante , que Griffith croit lire sur la table
d’offrandes hiéroglyphique royale REM 0060, et que reprend Priese, est
probablement erronée, et Griffith reconnaît lui-même que l’endroit est peu
lisible 1.

: translittéré « : » (séparateur)
Voir Griffith, 1909, p. 51 ; Priese, 1973b, p. 282-283

Dans quelques textes méroïtiques anciens, le séparateur se présentait sous


la forme de trois points aussi bien dans la cursive que l’hiéroglyphique. Mais,
à partir du Ier siècle de notre ère, la cursive opte définitivement pour deux
points et le séparateur à trois points devient donc une spécificité de l’écriture
hiéroglyphique. L’origine du signe a été étudiée p. 258-259.

L’origine et la date d’apparition de l’écriture hiéroglyphique méroïtique


sont moins controversées que celles de la cursive, car elle était utilisée pour
les noms des souverains, de sorte qu’on peut l’articuler avec la chronologie
royale. Elle est ainsi attestée de façon assurée à partir du règne de
Shanakdakhete, vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. Mais il est à peu près
certain que la liste des peuples envoûtés de Méroé (REM 0401) est encore
plus ancienne, car elle présente des graphies alternatives, comme pour d,
pour n, pour s , qui laissent supposer que cette écriture était encore
en formation. Bien qu’aucune datation ferme ne puisse être avancée pour
cette inscription, il semble assez raisonnable de la replacer dans la première
moitié du IIe siècle av. J.-C.

1
Il s’agit de la bénédiction finale L, aujourd’hui presque totalement effacée, comme nous
avons pu le constater en travaillant sur la pièce originale lors de l’exposition « Royaumes
sur le Nil » à Paris, en 1997. Un autre y, au début de la même inscription (dans Asoreyi),
est très classiquement écrit au moyen de deux rosea ux.
276 LA LANGUE DE MÉROÉ

Priese rattache l’écriture hiéroglyphique au répertoire des signes


égyptiens tel qu’ils apparaissent en napatéen tardif, correspondant au début
de l’époque ptolémaïque en Égypte (Priese, 1973b, p. 281). C’est peut-être
un peu tôt. Plusieurs indices laissent à penser en effet que l’élaboration de
l’écriture hiéroglyphique méroïtique s’est faite postérieurement à l’apparition
de la cursive. Comme nous l’avons relevé précédemment, les premiers
hiéroglyphes que nous connaissons ont des formes variables jusqu’au règne
de Taneyidamani (REM 1044A), à la fin du IIe siècle. D’autre part, certains
hiéroglyphes ont subi l’influence de la forme cursive correspondante (d, ~, Ä,
to). Il paraît assez vraisemblable que le développement de l’écriture
hiéroglyphique s’explique par le désir de posséder une version monumentale
et décorative de la cursive déjà existante 1, et qui de plus participât de la
puissance magique attribuée aux hiéroglyphes égyptiens. Les signes
méroïtiques ont d’ailleurs tous un parallèle égyptien, même si le tracé peut
légèrement s’en écarter (comme H Ä face à l’égyptien ou q face à
l’égyptien ), ou si les valeurs sont différentes (comme pour k k face à
l’égyptien s3). L’inexistence d’inscriptions privées intégralement hiéro-
glyphiques est un indice en ce sens : les proscynèmes REM 1046 A et B
montrent que l’ensemble du répertoire hiéroglyphique était connu du
scripteur, mais quelques formes cursives s’y mêlent, peut-être pour atténuer
la puissance magique d’une inscription entièrement hiéroglyphique telle
qu’on n’en rencontre que pour les souverains (voir p. 192, note 1). Si le
développement de la cursive doit être placé, comme nous l’avons montré
dans la section précédente, dans la seconde moitié du IIIe siècle av. J.-C.,
l’élaboration de l’écriture hiéroglyphique a dû se faire au début du IIe siècle,
soit une centaine d’années après la date avancée par Priese. Il n’est nullement
nécessaire que la cursive et l’hiéroglyphique soient apparues de façon
concomitante, puisque ces deux écritures ne correspondent pas aux mêmes
besoins. L’absence de hiéroglyphes purement méroïtiques ne faisait pas
défaut tant qu’il se trouvait des scribes pour connaître la langue et l’écriture
hiéroglyphique égyptiennes 2. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir du Ier siècle de
notre ère que les longues inscriptions monumentales en égyptien
disparaissent.

1
Cf. Trigger, 1973a, p. 244 : « The hieroglyphic alphabet was used mainly in certain royal
inscriptions of a monumental character and was obviously devised to resemble, as
closely as twenty-three characters could, an inscription in Egyptian hieroglyphs. »
2
On doit de plus noter que la cursive n’était pas dénuée de tout prestige : on remarquera
ainsi que la stèle de Taneyidamani (REM 1044), rédigée dans cette écriture, était érigée
devant le premier pylône du temple B 500 du Gebel Barkal de manière à faire pendant à
la stèle en hiéroglyphes égyptiens dédiée au prince Khaliout, fils de Piankhy (cf. Hintze,
1960a, p. 127-128).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 277

Les signes hiéroglyphiques méroïtiques correspondent de près, comme


Griffith et Priese l’ont établi, au répertoire napatéen, à l’exception de
quelques-uns (d d, H ƒ, k k, o to) qui semblent des innovations forgées
directement à partir de graphies purement égyptiennes à l’origine, mais
affectées de valeurs particulières. L’hypothèse traditionnelle, qui veut que
l’écriture méroïtique soit une généralisation à l’ensemble de la langue d’une
transcription initialement réservée aux noms propres, semble donc vraie pour
la version hiéroglyphique.
Une caractéristique particulière de l’écriture méroïtique hiéroglyphique
reste en revanche difficile à expliquer : l’orientation des signes, inversée par
rapport au sens de lecture des hiéroglyphes égyptiens. En Égypte, les figures
animales ou humaines regardent vers le début de la ligne, alors que dans
l’écriture méroïtique, elles regardent vers la fin de la ligne. Il est évident que
cette convention procède d’une volonté manifeste. Griffith, qui le premier
avait fait cette constatation, n’en donne aucune explication (cf. Griffith,
1909, p. 49-50). On a parfois tâché d’interpréter cette caractéristique comme
une volonté nationaliste de différenciation, mais cette thèse paraît bien ana-
chronique et fait peu de cas du souci constant des Koushites d’apparaître
comme les héritiers légitimes de la civilisation pharaonique. Il nous semble
plutôt que cette convention de lecture remédiait à une imperfection de
l’écriture égyptienne. En effet, lorsque la représentation d’un personnage est
accompagnée d’une inscription qui transcrit ses paroles à une tierce personne
(c’est notamment le cas des bénédictions divines au souverain), les règles de
l’écriture hiéroglyphique égyptienne obligent le scripteur à inscrire les
hiéroglyphes de telle manière qu’ils « regardent » le destinataire des paroles.
Mais, ce faisant, le sens de lecture se trouve à rebours, et se dirige vers
l’auteur du discours. Les conventions de l’écriture hiéroglyphique méroïtique
permettent d’aligner parfaitement le sens des signes et le sens de la lecture.
Cette caractéristique apparaît très clairement sur les murs du temple
d’Apedemak à Naga, où se succèdent des face-à-face entre les dieux et la
famille royale, les bénédictions des uns répondant aux prières des autres.
278 LA LANGUE DE MÉROÉ

Origine du système graphique

L’écriture méroïtique, comme nous le détaillerons plus loin, est un


syllabaire simplifié, et non, comme l’avait pensé Griffith et bien d’autres
après lui, un alphabet. La question de l’origine de ce système se pose donc en
des termes fort différents depuis que Hintze a établi ce fait (Hintze, 1973c,
p. 322-323). On ne saurait plus invoquer une influence de l’alphabet grec ou
des écritures consonantiques d’origine étrangère attestées en Égypte tardive,
comme l’araméen employé par l’administration perse ou par la colonie juive
basée sur l’île d’Éléphantine. Le système graphique ancien
géographiquement le plus proche de l’écriture méroïtique est celui du vieux-
perse (syllabaire persépolitain), utilisé dans les inscriptions achéménides,
mais il n’est employé que dans les textes royaux des VIIe au IVe siècle av. J.-
C., et exclusivement sur le continent asiatique. De plus, il s’agit d’une
écriture de prestige, mais de très faible diffusion : sur les 30 000 tablettes
retrouvées à Persépolis, pas une seule n’est écrite en syllabaire
persépolitain 1. Enfin, les relations conflictuelles que les Koushites ont
entretenues avec les Perses n’étaient guère propices à des échanges culturels.
L’hypothèse d’une quelconque parenté est donc très peu plausible 2.
Pareillement, il est invraisemblable d’envisager, comme on le trouve parfois,
une influence de l’écriture syllabique axoumite d’Abyssinie, qui ne s’est
développée qu’à partir du règne d’Ezana (milieu du IVe siècle de notre ère),
et qui est l’ancêtre de l’écriture guèze utilisée, avec quelques modifications,
pour les langues modernes d’Éthiopie, notamment l’amharique 3. De façon
générale, l’histoire de l’écriture, du moins pour les siècles anciens, montre
qu’un système graphique n’est jamais adopté indépendamment des signes qui
lui correspondent. Or les caractères de l’écriture méroïtique dérivent de
l’égyptien hiéroglyphique ou démotique, et il n’est pas raisonnable de cher-
cher ailleurs l’origine du système graphique. Les tentatives pour le rattacher à
une écriture européenne ou proche-orientale procèdent d’ailleurs plus ou
moins consciemment d’une conception réductrice, voire raciste, qui dénie à
un peuple africain la possibilité d’avoir élaboré sans influence extérieure un
système aussi simple et efficace de notation des sons.

1
Sur cette écriture, on pourra consulter l’excellente synthèse de Février, 1959, p. 156-162.
2
Cf. Priese, 1997b, p. 253 : « Le parallélisme avec le système d’écriture vieux-perse est
remarquable, sans que l’on puisse parler d’interaction réciproque dans l’invention ».
3
Cette écriture a de toute façon une origine fort différente, puisqu’elle dérive de l’écriture
sabéenne, elle-même apparentée aux écritures sudarabiques.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 279

L’élaboration spontanée de systèmes syllabiques n’est pas rare dans


l’histoire mondiale de l’écriture 1. Certains sont dérivés d’anciennes écritures
idéographiques, comme les kana japonais, issus des idéogrammes chinois, ou
le syllabaire persépolitain, tributaire du suméro-akkadien. D’autres se sont
développés à partir d’écritures consonantiques, comme la brahmi, ancêtre des
écritures indiennes actuelles, dérivé lointain des écritures sémitiques, ou le
guèze d’Éthiopie, élaboré à partir des écritures sudarabiques. D’autres encore
n’ont pas d’ancêtre connu, comme l’hiéroglyphique hittite. Il n’y a donc pas
de difficulté à admettre que la même évolution a pu se produire à Koush.
Le système syllabique était déjà en germe dans l’écriture égyptienne elle-
même puisqu’on avait recours à un procédé de ce genre dès le Moyen
Empire, et peut-être avant, pour écrire principalement les noms étrangers,
qu’il s’agisse de toponymes, d’anthroponymes ou d’emprunts lexicaux 2. Le
protoméroïtique lui-même fit l’objet de telles transcriptions à la fin de
l’époque hyksôs, vers 1600 av. J.-C., comme nous l’avons vu en introduction
(voir p. 5). Vers la fin du Nouvel Empire, l’écriture syllabique est moribonde
en Égypte, et c’est sur d’autres bases que se feront les transcriptions des
noms perses, puis grecs lors des dominations étrangères. Mais il semble qu’elle
bénéficia d’une plus grande longévité à Koush, et les graphies des noms
indigènes sont encore fondées sur ses principes jusqu’à l’époque napatéenne
(cf. p. 23-25).
Le napatéen lui-même transcrit les anthroponymes méroïtiques selon un
procédé mi-syllabique, mi-alphabétique, qui n’a plus la régularité de
l’ancienne écriture syllabique, mais en garde quelques caractéristiques. Il
semble notamment que l’usage s’y est répandu d’écrire alphabétiquement par
la simple consonne de nombreuses syllabes de timbre /a/, comme on le
constate notamment pour /~a/, /ma/, /na/, /pa/, /qa/, /ta/ et /wa/.
C’est à partir de cette méthode hybride, semble-t-il, que s’est élaboré le
système syllabique méroïtique, suivant un processus que nous avons désigné
plus haut sous le terme de « cristallisation », et qui s’est effectué en deux
étapes parallèles entre le IIIe et le IIe siècle av. J.-C. Une première évolution a
consisté à éliminer progressivement les idéogrammes et les déterminatifs que
l’on avait commencé à ajouter à certains lexèmes (notamment mlo « bon »,
mte « enfant », mk « dieu ») 3, et qui, à terme, auraient entraîné l’écriture
méroïtique vers une impasse, l’écriture mixte égyptienne étant clairement
inadaptée pour la transcription d’une autre langue que l’égyptien. Vers le

1
Pour cette question, on pourra se référer à l’ouvrage déjà cité de James Février, un peu
ancien mais nullement dépassé (Février, 1959, notamment p. 152-171 et 333-343).
2
Nous rappelons que sur l’écriture syllabique égyptienne, le principal travail reste
Albright, 1934, qui doit cependant être utilisé à la lumière des études postérieures, parfois
critiques : Edel, 1949 ; Lefebvre, 1955, p. 34-36 ; Albright-Lambdin, 1957 ; Vycichl, 1990,
p. 207-212.
3
Voir ci-dessus, p. 24.
280 LA LANGUE DE MÉROÉ

début du IIe siècle avant notre ère, cette élimination est presque terminée, et
les premières inscriptions cursives attestées ne comportent plus que le nom
d’Amon et sans doute le déterminatif « homme » qui ne soient pas encore
écrits phonétiquement (voir p. 262). Une seconde évolution en parallèle a
drastiquement réduit le nombre de signes : on a adopté, pour presque toutes
les syllabes de même attaque consonantique, un signe de base identique,
suivi d’un modificateur vocalique lorsque le timbre de la syllabe était
différent de /a/. Au IIe siècle avant J.-C., seuls subsistent cinq signes à syllabe
fixe : ne, se, te, to et peut-être si, à condition que notre lecture du signe carré
et variantes, qui apparaît sur les tables d’offrandes archaïques de Méroé,
soit la bonne 1. Au siècle suivant, ne restent que les signes ne, se, te, to,
probablement conservés parce qu’ils représentaient des morphèmes
courants : -ne comme suffixe de dérivation nominale, -se en tant que
postposition génitivale, -te et -to comme désinences verbales 2. À l’exception
de ces archaïsmes pratiques, le système apparaît totalement rationalisé au Ier
siècle av. J.-C., et rappelle fortement le procédé syllabique utilisé par les
écritures indiennes. Comme elles, il combine les avantages de la précision et
de la simplicité, à l’instar d’un système alphabétique, et y ajoute celui de la
concision, dans la mesure où la fréquente voyelle /a/ n’a pas besoin d’être
écrite ailleurs qu’à l’initiale, contrairement à ce qui se passe avec un
alphabet. Trigger a admirablement résumé l’originalité et l’élégance de ce
système dans ses conclusions du Congrès de Berlin de 1971 :
« The papers by Professor Hintze and Dr. Priese indicate that the invention of the
Meroitic script was a more sophisticated undertaking than has been believed
hitherto. (...) This completely reverses older theories, which postulated the
deterioration among the Meroites of literary skills originally acquired from the
Egyptians and which interpreted the invention of the Meroitic script as the
haphazard creation of a simplified writing system among a people no longer able
to manage the complicated Egyptian script. » (Trigger, 1973b, p. 339-340)

1
Voir ci-dessous, p. 352-353.
2
Cette explication rend compte de l’existence de signes distincts pour trois des syllabes en
t- mieux qu’une différenciation phonétique supposée par Meinhof, 1921-1922. Voir aussi
Shinnie, 1967, p. 137-138 : « Though it is likely that, in the main, the phonetic equivalent
are right, there remains some doubt about the value of the vowel signs, and the several
writings for “t” or “t and a vowel” are somewhat suspicious. »
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 281

LES PRINCIPES DU SYSTÈME GRAPHIQUE

Caractère syllabique de l’écriture

Il fallut plus d’un siècle pour que soit compris le système graphique du
méroïtique. Lepsius avait conclu, eu égard au nombre modique des signes,
que l’écriture méroïtique était un alphabet (Lepsius, 1852, p. 218). Griffith,
dès Areika, abondait dans ce sens :
« it is impossible that so few characters should make a syllabary. We are here
undoubtedly dealing with an alphabet. » (Griffith, 1909, p. 47)

Avec la publication de Karanóg, on constate une évolution de cette


interprétation initiale. Bien que Griffith continue à parler d’« alphabet » 1, il
admet que l’écriture méroïtique ne marquait pas toutes les voyelles et
constituait donc un système de notation partiel :
« The question whether it represented vowels as well as consonants is not so
easily answered. The spelling of the name of Ammon seems to show that in
Meroitic writing initial alif can be represented, but also may be neglected, and yet
that a terminal vowel can be marked, and it further suggests that a short vowel in
the middle of the word (between the m and n of the name of Ammon) was
neglected in writing. » (Griffith, 1911a, p. 7)

La même idée d’une « écriture défective » fut reprise et amplifiée par les
successeurs directs de Griffith (Schuchardt, 1913, p. 166-167 ; Zyhlarz,
1930, p. 415, Zyhlarz, 1956, p. 23-24). Alors que Griffith pensait que la
voyelle /a/ principalement 2 n’était pas marquée en position intérieure ou
finale, Zyhlarz étendait cette imprécision à tout le système vocalique, où
seule la longueur était selon lui notée. Ainsi il reconstituait en *man¥u la
séquence -medo- dans le nom propre Smedoli 3 (Zyhlarz, 1960, p. 743). Cette
conception n’a d’ailleurs pas été abandonnée par tous les méroïtisants 4.

1
Même dénomination dans Griffith, 1911c, p. 50 ; Griffith, 1912, p. XV ; Griffith, 1916b,
p. 112 et passim ; Griffith, 1929, p. 70.
2
Griffith n’exclut cependant pas que d’autres voyelles puissent être non marquées : « It is
of course impossible to decide in most cases where a vowel is to be inserted, and some
other vowel than a may often be required. » (Griffith, 1911a, p. 16).
3
En fait Smedtli en REM 0277.
4
Voir Priese, 1977a, p. 40 [2.11] (nom d’Isis), p. 41 [2.2] (nom d’Osiris), mais aussi
Millet, 1999 passim.
282 LA LANGUE DE MÉROÉ

La communication de Hintze au congrès de Khartoum en 1970 1, qui


proposait une translittération améliorée (voir supra, p. 238), opéra de plus
une véritable révolution copernicienne dans la compréhension du système
graphique. Il ne s’agissait plus d’un alphabet avec une notation défective ou
approximative des voyelles, mais d’un syllabaire d’un type simplifié, dont
Hintze exposait comme suit les grandes lignes 2 :
« For linguistic research, the system of Meroitic writing must be understood. The
most important points are given here for discussion :
(1) Every consonant, which is written without a vowel sign, signifies Consonant
+ Vowel a. Hence t is /ta/, b is /ba/ , etc. (Transliteration is marked by /.../ , and
“phonetic” transcription by [...]).
(2) Therefore all Meroitic letters denote syllables, not only te, to, etc. This means
that doubling of consonants is not expressed in writing : e.g. -li may be /-li/ or
/-lli/ , but rr is never /rr/ but /rar(a)/.
(3) Consonant + Vowel, if this vowel is not /a/, is written with consonant + vowel
sign e, i, or o. So li is /li/, not /lai/. (If there have been diphthongs in Meroitic, like
[ai], [au], it was not possible to distinguish between /li/ and /lai/ in writing.) For
/te/, /to/, /se/ and /ne/ the special letters te, to, se, and ne are used. The a at the
beginning of words is never followed by a vowel sign. (...)
(5) Consonant + e has a double value : /Ce/ or /C/ (consonant without vowel) ;
cf. pƒome – /paƒom/, tewiseti – /twisti/, medewe – /medwe/, Greek mero‘, where
the Greek o has the value of w. Vowels length (if it was phonemically relevant in
Meroitic) is not expressed in the writing.
(6) In the older texts, initial e is /ye/ and i is /yi/ ; this means, that y is not written
before front (palatal) vowels, but is written before back (velar) vowels : yo- /yo-/
and y- /ya-/.
(Note : Variations in spelling, as e.g. pedemk / apedemk , pkr / pqr , pilqe / pelqe /
pileqe , ted‚e / td‚e , pisi- / psi- , etc., must be studied on the level of Meroitic
orthography (as individual or local or diachronic variations, or simple errors),
they are not considered to be relevant on the level of the system of writing. ) »
(Hintze, 1973c, p. 322-323)

La théorie de Hintze n’avait qu’un seul défaut, récurrent dans nombre de


ses travaux, celui de se présenter comme un postulat : aucune preuve n’était
fournie, la force et la cohérence des propositions étant censées suffire à

1
Nous rappelons que cette communication (la seule à notre connaissance que Hintze ait
publié en anglais, probablement pour lui donner le plus large retentissement possible) a
été présentée deux fois, à Khartoum en 1970, puis à Berlin l’année suivante : elle a donc
été publiée par A. M. Abdalla dans les actes de Khartoum (Hintze, 1974b), ainsi que par
Hintze lui-même dans les actes du congrès de Berlin de 1971 (Hintze, 1973c).
2
On nous pardonnera cette longue citation, mais l’apport théorique est tel qu’elle se
justifie. C’est sur cette base que s’est fondée la description développée ici. Nous en avons
écarté le point (4), qui concerne, non le système graphique, mais la translittération des
voyelles (cf. supra, p. 238) et leur phonologie (cf. infra, p. 395). Le soulignement de
certains termes est de Hintze lui-même.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 283

remporter l’adhésion des spécialistes. Le bref aperçu du système graphique


donné en introduction des Beiträge zur meroitischen Grammatik (Hintze,
1979, p. 16) n’était pas plus démonstratif. Ce n’est que dans un article publié
dix-sept ans plus tard, que Hintze, revenant sur le principe de l’écriture
syllabique, consentit enfin à avancer une justification :
« Ein zusätzliches Argument für den syllabischen Charakter der meroitischen
Schrift ist die Tatsache, daß in vielen Fällen bei der Schreibung in senkrechten
Kolumnen die Vokalzeichen immer neben die “Konsonanten”zeichen gesetzt
werden, wobei sie manchmal auch deutlich kleiner sind als die Konsonanten,
während Konsonanten (also K + a) immer für sich allein stehen. (...)
Ganz dem Silbenprinzip entsprechend zeigen auch einige in waagerechten
Zeilen geschriebene kursive Inschriften eine deutliche Silbentrennung durch
“Spacing”. So z.B. Inscr. 124 (Philae) [REM 0124], Inscr. 137 [REM 0137],
MS 1 (Musawwarat) u.a. » (Hintze, 1987, p. 41, 43)

Mais la principale justification tenait selon lui au fait qu’il n’avait que
systématisé certaines remarques de Griffith (Hintze, 1987, p. 41).
L’hommage était noble et la modestie admirable, car s’il est vrai que le grand
savant britannique avait déjà observé l’agencement par syllabes des
inscriptions en colonnes 1 et subodoré l’usage du e comme marque d’une
absence de voyelle (Griffith, 1916, p. 120), nulle part chez Griffith n’apparaît
une quelconque indication qui aurait pu l’orienter vers une théorie syllabique
de l’écriture méroïtique. La découverte en revient donc bien à Hintze, et à lui
seul.
Pourtant, les preuves de la justesse de cette interprétation ne manquent
pas, et nous voudrions ici en ajouter quelques-unes à celle qu’a développée
Hintze lui-même. Tout d’abord, le texte gravé sur l’avers de la petite stèle au
nom du roi Taneyidamani (REM 0405A) et que nous avons défini comme
fort ancien (voir p. 260), présente une étrange particularité : alors que
l’inscription est tracée en lignes horizontales, les signes indiquant les
voyelles sont réduits et souscrits, sauf pour les voyelles qui constituent à elles
seules une syllabe. Ainsi wteli etoƒto (lignes 2-4) est écrit 2 wteli etoƒto. Ce
système de souscription est certes unique et ne sera jamais repris à notre
connaissance, mais il témoigne bien du caractère syllabique de l’écriture.
On pourra pareillement observer que dans les textes méroïtiques, à toutes
les époques, les coupes de mots en fin de ligne ne séparent jamais un signe

1
Griffith, 1911a, p. 7 : « indeed, some demotic inscriptions tend to be written in groups of
syllables, and when a hieroglyphic inscription is in columns the signs are written singly
except that a vowel sign is often put by the side of its consonant. ».
2
On rappelle que te et to sont écrits avec un seul signe. Il convient de signaler que les
deux voyelles souscrites en REM 0405A sont en fin de ligne, si bien qu’on ne peut
exclure un « rattrapage » maladroit, de préférence à un procédé réfléchi. Dans les deux
cas cependant, le scripteur était conscient de l’unité indissociable de la syllabe.
284 LA LANGUE DE MÉROÉ

vocalique de la « consonne » qu’il complète. Le cas d’un -e ou d’un -i


commençant une ligne ne se trouve que dans les textes anciens où ces deux
signes pouvaient constituer une syllabe graphique à eux seuls. Tous ces
détails : écriture en colonne, souscription archaïque des signes vocaliques et
coupes respectant la syllabe, montrent sans ambiguïté le caractère indis-
sociable du groupe formé par le signe consonantique et le signe vocalique qui
le complète, et qui n’existe pas à un tel degré dans une écriture alphabétique.
L’absence de l’unique voyelle interne /a/ était en elle-même suspecte dans
le système de Griffith : pourquoi alors toutes les autres voyelles auraient-
elles été marquées ? L’idée de Zyhlarz selon laquelle seule la longueur
vocalique serait notée était encore plus invraisemblable : si l’on connaît des
systèmes graphiques où la longueur de la voyelle n’est pas explicite (en latin
par exemple), on n’a pas d’exemple d’une écriture qui signalerait la longueur
des voyelles sans en préciser le timbre.
Avec la théorie de Hintze, l’absence du /a/ interne s’explique simplement.
C’est en effet la voyelle par défaut (« voyelle inhérente ») de toute syllabe
dont aucun signe vocalique ne vient modifier le timbre. On observera que les
écritures syllabiques du même type, c’est-à-dire comprenant une base
graphique commune pour les syllabes de même attaque consonantique,
fonctionnent sur le même principe : une valeur syllabique de timbre /a/ par
défaut et des appendices spécifiques pour marquer les autres voyelles. C’est
ainsi que procèdent le syllabaire persépolitain, les écritures indiennes et
asiatiques dérivées de la brahmi, au premier rang desquelles la devanagari,
véhicule du sanscrit, ainsi que le syllabaire guèze d’Éthiopie 1. Pourtant
toutes ces écritures se sont développées indépendamment.
La comparaison de ces systèmes graphiques avec l’écriture méroïtique
fournit d’ailleurs une dernière preuve en faveur de la théorie de Hintze. Si
ces syllabaires simplifiés, appliqués à un idiome de type Consonne-Voyelle-
Consonne-Voyelle, comme le sont par exemple la plupart des langues
bantoues, seraient d’une efficacité supérieure au système alphabétique, il
n’en va pas de même pour des langues offrant d’autres structures syllabiques.
Trois difficultés se présentent en ce cas : la transcription d’une voyelle
initiale, l’écriture des consonnes consécutives, et la succession de deux
voyelles. Or justement, l’écriture méroïtique, comme le montre très bien la
comparaison des quelques mots connus par le grec ou le copte avec les
originaux méroïtiques, a été contrainte d’adopter pour ces trois cas de figure
des solutions plus ou moins efficaces, mais qui nous posent de sérieux
problèmes de reconstitution phonétique.

1
Pour toutes ces écritures, voir supra, p. 277-278.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 285

Si la thèse de Hintze a été acceptée par une bonne partie des


méroïtisants 1, elle a tout de même rencontré quelque résistance ou quelques
réserves de la part de certains autres. Ainsi on trouve encore chez Haycock,
1978 (rééd. de 1974), p. 50, la théorie alphabétique. Il en va de même dans
les études d’A. M. Abdalla : il décrit ainsi ƒ comme « a vowelless form of the
epithet ƒe » et un peu plus loin, ƒe comme « a vowelled form of the noun ƒ »
(Abdalla, 1988, p. 6). Il est clair, si l’on suit Hintze, que c’est l’inverse : ƒ
comporte la voyelle /a/, mais ƒe est probablement une consonne nue. Peust
enfin développe une hypothèse originale : s’il accepte généralement la
théorie syllabique de Hintze, il pense que les consonnes finales n’étaient pas
écrites, et que kdke « Candace » par exemple était réalisé /kandaken/, ce qui
lui lui permet de comparer ce titre avec le vieux-nubien Ñonnen : « reine-
mère » (Peust, 1999, p. 74-75, 78). Il est vrai que ce procédé d’apocope des
finales consonantiques a existé par exemple dans le linéaire B crétois, mais il
est peu probable que les Méroïtes en aient fait usage, car nous avons assez de
preuves, par les assimilations qui se produisent çà et là avec les mots
suivants, que les finales consonantiques étaient bel et bien notées 2.
On ne peut que rester admiratif devant l’ingéniosité et l’intelligence avec
laquelle les Méroïtes ont élaboré, sans aide extérieure, un système graphique
d’une grande simplicité et d’une grande efficacité, surtout si on le compare
avec la complexité et la lourdeur du système égyptien, dont ils ont su
progressivement s’abstraire. Avant d’examiner les conventions particulières
qui leur ont permis de résoudre les problèmes inhérents à ce type d’écriture
syllabique, il convient toutefois de signaler les limites du système de notation
de la langue méroïtique. Il ne permettait pas de marquer clairement les
voyelles longues et les diphtongues, et les quelques éléments que nous avons
réunis en ce domaine restent en partie hypothétiques et lacunaires (voir infra,
p. 292-297). Pareillement, il nous est impossible de savoir si le méroïtique,
comme beaucoup de langues africaines, et notamment le nubien, possédait
des tons. On remarquera d’ailleurs que le vieux-nubien, où ils existaient
vraisemblablement, ne les notait pas 3.
Certains se sont demandé dans quelle mesure le système graphique
méroïtique était adapté à la langue qu’il transcrivait. Trigger par exemple
répondait négativement à cette question dans un premier temps, notamment
en raison des variantes graphiques qu’il avait constatées dans l’étude des
textes d’Arminna :

1
Voir notamment Trigger, 1973b, p. 339 ; Hofmann, 1981a, p. 30 ; Hofmann, 1982c,
p. 47-48 ; Schenkel, 1994, p. 296 (qui parle très justement pour le méroïtique d’une
« écriture syllabique de type devanagari ») ; Davies, 1994, p. 177 ; Török in Eide–Hägg
et al., 1996 (FHN II) p. 359 ; Török in Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 762 ; Rilly,
1999a, p. 102, 104, 106-107, p. 109, note 22.
2
Voir par exemple Rilly, 1999b pour une réalisation [kwur] du mot qore « roi ».
3
Cf. Browne, 1989a, p. 8.
286 LA LANGUE DE MÉROÉ

« This apparently systematic substitution of k for ‚ in certain environments in the


first set of texts provides further evidence (if this were needed) that Meroïtic was
written phonetically (i.e. lacked a standardized orthography) and that the Meroïtic
alphabet was in many respects not well adapted to the phonemic structure of the
language ». (Trigger, 1967b, p. 169 1)

Le travail de Hintze ayant apporté quelques éclaircissements sur un système


graphique qui s’avérait plus précis qu’on ne le croyait, Trigger atténua sa
position après la conférence de Berlin :
« Related to the origin of the script is the additional problem of how well tailored
it is to the Meroitic language, an answer to which must await a better under-
standing of the phonemic structure of the language. » (Trigger, 1973a, p. 259)

Il est aujourd’hui probablement possible de répondre à cette question. La


pérennité de l’écriture méroïtique sur plus de six siècles, sa large diffusion à
travers la société méroïtique plaident en faveur d’une bonne adéquation avec
la langue elle-même. Il ne faut pas oublier non plus que, si les signes ont été
empruntés à l’égyptien, le système en lui-même correspond à une innovation
locale et s’est donc créé en fonction des besoins de la langue. Sans doute
était-il un peu mieux adapté au moyen-méroïtique (jusqu’au Ier siècle après
J.-C.) qu’au néo-méroïtique, où beaucoup de syllabes semblent s’être amuïes
(cf. p. 31-32). L’existence de variantes graphiques, qui gênaient Trigger,
n’est en rien la preuve d’une quelconque inadaptation de l’écriture à la
langue. Bien au contraire, elles démontrent la souplesse et la vitalité du
système, qui pouvait s’adapter aux différences locales ou aux évolutions
phonétiques. Il existait certes une norme et une tradition orthographiques 2,
mais on ne peut en attendre la même rigueur que celle que l’usage de
l’imprimerie et la généralisation de l’alphabétisation ont permise aux langues
modernes.

1
Même remarque chez Trigger–Heyler, 1970, p. 52.
2
Voir infra, p. 307.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 287

Conventions particulières

L’initiale vocalique « a » — Les voyelles initiales

Tant que la nature syllabique de l’écriture méroïtique n’avait pas été


découverte, il était très difficile de comprendre la valeur exacte de l’initiale
vocalique a, hiér. a, que nous transcrivons a, d’autant plus qu’aux
problèmes théoriques s’ajoutaient, comme nous le verrons, des difficultés
liées à l’histoire de l’écriture méroïtique. Aussi ne peut-on qu’admirer la
première intuition de Griffith qui l’amena d’emblée dans Karanóg à
identifier correctement la valeur du signe :
« It seems possible that a is really an initial vowel with aspirate, but, except in
some Latin versions, the name of Ammon is without aspirate, and the frequent
omission of a in writing is against the idea of its being a real consonant. It may
be observed that Nubian very rarely shows an aspirate in native words, and
Meroitic may have dropped the h in (f) [= Ar] and (h) [= Atiye]. » (Griffith,
1911a, p. 9-10)

La comparaison du nom d’Amon, Amni, avec le grec, et du toponyme


Atiye (actuel Sedeinga) avec le nom d’Addai encore conservé au XIXe siècle,
permit à Griffith de translittérer ce signe par la voyelle a. Il remarquait
cependant que le timbre de cette initiale pouvait varier : a semblait en effet
transcrire l’initiale égyptienne w de valeur [u] dans le nom d’Osiris (Asore) et
le mot apote « envoyé », ég. wptj (Griffith, 1911a note 2, p. 12). La reprise
de l’étude du système graphique dans la seconde de ses « Meroitic Studies »
introduisit malheureusement, si l’on peut dire, le ver dans le fruit. Griffith en
effet suggérait, entre autres valeurs, une interprétation consonantique pour le
signe a :
« It is only used for the initial vowel and can be omitted at pleasure. It may be
looked upon like initial aleph ℵ as a kind of consonant, a breathing followed by a
vowel. » (Griffith, 1916b, p. 118)

Cette évolution était prévisible dans la mesure où le système graphique


lui semblait pour l’essentiel consonantique. Mais l’élision fréquente de a
s’accordait mal avec la nouvelle valeur proposée. Il ne s’agissait donc que
d’une hypothèse peu sûre. Griffith gardait d’ailleurs la translittération a et
précisait un peu plus loin, comme dans Karanóg :
288 LA LANGUE DE MÉROÉ

« also the initial a might represent other vowels than a, as when it corresponds
to ou in the Meroitic Asori for Coptic ousire and to u in cuneiform uputi. »
(Griffith, 1916b, p. 122)

Malgré ces réserves, Zyhlarz cependant s’empara de cette hypothèse et


modifia en conséquence la translittération, utilisant pour a le signe ƒ par
lequel les égyptologues transcrivent le ƒayin égyptien (Zyhlarz, 1930, p. 416,
421). L’occasion était en effet trop belle de rétablir en méroïtique une
pharyngale dont l’absence gênait le rapprochement avec les langues chamito-
sémitiques prôné par Zyhlarz.
Vycichl, qui critiqua les positions de Zyhlarz, continua néanmoins de voir
en ce signe une consonne, mais plutôt un aleph initial, comme l’avait déjà
supposé Griffith (Vycichl, 1958, p. 74, Vycichl, 1973b, p. 61).
L’hypothèse fut reprise plus tard par Priese (Priese, 1968a, p. 187, note
121, Priese, 1977a, p. 38-39), puis par Zawadowski, dans son essai de
phonologie méroïtique, avec une modification importante, mais difficilement
défendable : selon lui, le digraphe a valait /3/+/a/ et notait donc une syllabe
(Zawadowski, 1972, p. 19).
Dans sa communication de Khartoum, que nous avons plusieurs fois
évoquée, Hintze ne se montrait pas très clair sur le statut de l’initiale
vocalique a. Son chapitre sur le « système de l’écriture méroïtique » (Hintze,
1973c, p. 322-323, cf. p. 281) ne permettait pas en particulier de savoir si
l’on devait supposer ou non une consonne initiale dans la valeur de ce signe.
Il faut en fait aller un peu plus loin dans son article pour voir que le signe a
est phonologiquement transcrit par un simple /a/ (ibid. p. 332 [9]). Les
Beiträge zur meroitischen Grammatik ne sont pas plus explicites à cet égard
(Hintze, 1979, p. 15). Hofmann, qui suit généralement Hintze dans ses
conceptions du système graphique, précise bien dans son étude du signe a
que la translittération « ’ ∞ (aleph) est fautive et peut « involontairement faire
penser à une occlusive glottale que selon toute vraisemblance les Méroïtes ne
possédaient pas » (Hofmann, 1981a, p. 31). Elle rappelle par ailleurs que le
signe a transcrit aussi bien /a/ que /u/ initiaux (ibid. p. 42). Plus tard, elle
étendra sa valeur à toute voyelle initiale, y compris le son /i/ (Hofmann,
1982c, p. 47).
En fait, l’étude la plus complète sur la question figure dans un article
tardif de Hintze intitulé « Zur Interpretation des meroitischen Schrift-
systems » (Hintze, 1987). Elle concerne non seulement le signe a mais aussi
toutes les initiales vocaliques (Hintze, 1987, p. 49) :
« (1) Das Meroitische hatte keinen harten Vokaleinsatz (“glottal stop”) im
Wortanlaut.
(2) Der weiche Vokaleinsatz hatte (zunächst auf der phonetischen Ebene) die
Entwicklung von Gleitlauten (“glides”) zur Folge. So entwickelten sich das
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 289

palatale [y] vor palatalen Vokalen ([e], [i]) und das velare [w] vor velaren
Vokalen ([u]). Vor dem neutralen Vokal [a] 1 entwickelte sich verständlicherweise
kein Gleitlaut.
(3) Da es neben diesen kombinatorischen Gruppen auch die Verbindungen
palataler Gleitlaut + velarer Vokal (/y/ + /u/) und velarer Gleitlaut + palataler
Vokal (/w/ + /i/) gab, wurden die phonetischen Gleitlaute phonologisiert und dann
nach anfänglicher Unsicherheit in der späteren Orthographie auch regelmäßig
geschrieben. (Ein gutes Beispiel für Unsicherheit in der Orthographie ist die
bekannte Stele des Akinidad ; REM 1003, vgl. Hintze 1959, 68).
Die so entstandenen Verhältnisse lassen sich am Besten in der folgenden Tabelle
veranschaulichen :

Vokal 0-Anlaut y-Anlaut w-Anlaut


a a- ya- wa-
e/i (y)e-/(y)i- ye-/yi- we-/wi-
u (w)u- yu wu-

La thèse de Hintze a le mérite d’être claire et satisfaisante pour l’esprit.


Elle met de plus en relation tous les types d’initiales vocaliques écrites que
l’on connaît en méroïtique toutes époques confondues : a-, e-, i-, ye-, yi-, wo-.
Elle explique pourquoi les e- et i- initiaux du moyen-méroïtique sont devenus
ye- et yi-, ce qu’avait déjà remarqué Griffith 2. Malheureusement, comme
permet de le constater l’examen des évolutions et des variantes orthogra-
phiques, occasionnelles ou régulières, la situation semble avoir été beaucoup
plus complexe et plus confuse.
Tout d’abord, on ne sait où Hintze place l’initiale [Œ], qui, selon son
propre travail sur le système graphique, est une des voyelles du système
phonologique méroïtique, transcrite par le signe e (Hintze, 1973c, p. 322). En
dépit du flou des notations dans la citation ci-dessus, ce ne peut être la
voyelle « e » (= [e]) donnée dans le second paragraphe ainsi que le tableau
final et que Hintze avait définie dans la même étude sur le système graphique
(loc. cit.) comme une des deux valeurs possibles du signe vocalique i. Si
toutes les autres voyelles pouvaient originellement figurer à l’initiale, on voit
mal pourquoi [Œ] ne l’aurait pas pu. Or si elle se trouvait à l’initiale, elle
n’aurait pas dû, en tant que voyelle médiane (« neutral »), développer devant
elle de semi-voyelle (« glide »), à suivre la démarche de Hintze. Donc elle ne
pouvait pas s’écrire ye (et moins encore yi ou ya), et, en conséquence, s’est
soit amuïe, soit ultérieurement orthographiée a. On voit que ce simple point remet
déjà profondément en cause la cohérence du système proposé ci-dessus.

1
Nous rétablissons ici les crochets omis par Hintze.
2
Griffith pensait toutefois que l’orthographe ancienne e- et i- était défective et corres-
pondait aux syllabes [je] et [ji] (Griffith, 1917b, p. 166, note 4). La même idée figure
dans les premiers travaux de Hintze (cf. Hintze, 1960a, p. 133).
290 LA LANGUE DE MÉROÉ

D’autres difficultés surgissent en foule. Si les syllabes ultérieurement


écrites avec un y- initial correspondent véritablement à une succession
[j] + voyelle, et le a- à la simple voyelle [a] initiale sans semi-voyelle,
comment se fait-il que l’orthographe tardive hésite souvent entre ye- et a- ?
On trouve ainsi en concurrence pour le substantif de la formule de béné-
diction J (cf. p. 177-178) les orthographes atepo : ke, atepoqe, ou yetepoke,
toutes attestés dans des textes tardifs issus de la même région. Pareillement,
le mot bien connu ato « eau » est une fois écrit yeto en REM 0307, une
« faute » qui s’explique mal si dans cette graphie le y- initial était prononcé.
Enfin, si le [u] initial a développé devant lui une semi-voyelle [w],
pourquoi le mot apote « envoyé », si courant, clairement emprunté à
l’égyptien wpwt« prononcé [uputi], n’est-il jamais orthographié *wopote ?
Le modèle proposé par Hintze, 1987 ne donne donc pas la clef des
initiales vocaliques. Il semble notamment que l’apparition de semi-voyelles,
considérée comme une évolution phonétique, n’est en fait qu’une simple
convention graphique. Mais cette étude permet une meilleure approche du
problème : il y a bien deux systèmes, l’un ancien, l’autre plus récent, avec
une période d’« incertitude » (« Unsicherheit ») entre les deux époques.
Pareillement Hintze a sûrement raison lorsqu’il affirme que le i- initial
archaïque n’est pas une graphie incomplète de [ji] ; on pourrait d’ailleurs en
dire autant de e-, qui n’est pas [je] ni [jŒ].
L’écriture méroïtique a, plus que tout autre système syllabique, peiné à
représenter les voyelles initiales. Les syllabaires complets (comprenant un
signe par syllabe), comme les kana japonais, le linéaire B, l’écriture cypriote
ancienne, possèdent un signe particulier pour chaque initiale vocalique, [a],
[i], [u], etc. On trouve la même méthode dans certains syllabaires simplifiés
(à base graphique commune pour les syllabes de même attaque conso-
nantique), comme dans les syllabaires persépolitain, brahmi, devanagari,
tamoul, etc. D’autres écritures syllabiques simplifiées ont poussé l’analyse
jusqu’à adopter un signe neutre, issu de l’initiale a, et affecté des mêmes
modificateurs vocaliques que les signes à attaque consonantique. Tel est le
cas de la kharo›¤ri 1 et de l’écriture tibétaine 2.
Les Méroïtes en revanche ont adopté un système compliqué et mouvant,
qui ne semble pas sans ambiguïté. Dans un premier temps (jusqu’à la
seconde moitié du Ier siècle de notre ère), ils pouvaient utiliser les signes
vocaliques e et i de manière indépendante, quasi alphabétique, pour transcrire
une voyelle initiale [i] ou [e]. Pour les autres voyelles, [a], [Œ], [u], l’initiale

1
Écriture ancienne de Bactriane et du Nord-Ouest de l’Inde (250 av. J.-C. / 450 apr. J.-C.).
2
Pour toutes ces écritures, voir Février, 1959. On se méfiera cependant du tableau de
l’écriture tibétaine (p. 353), qui mêle voyelles initiales et modificateurs vocaliques. Quant
au syllabaire éthiopien, comme il transcrit des langues sémitiques, il ne connaît pas de
voyelles initiales non précédées de ƒayin ou aleph.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 291

vocalique a était employée. Mais à la fin du Ier siècle eurent lieu deux
importantes modifications : l’une phonétique, avec un affaiblissement de
certaines voyelles, et l’amuïssement des schwas ; l’autre graphique, qui
proscrivait désormais l’usage alphabétique des signes vocaliques, ce qui
correspondait d’ailleurs à une généralisation finale du procédé syllabique.
Dans ce type d’écriture en effet, le signe vocalique n’a pas de sens s’il est
utilisé seul, et il serait d’ailleurs plus juste de l’appeler « modificateur
vocalique », puisqu’il modifie le timbre (le « noyau ») d’une syllabe qui en
son absence est vocalisée [a]. Au terme de cette double évolution, la graphie
des voyelles initiales s’est trouvée singulièrement compliquée, superposant
trois procédés différents. D’une part, le signe a continuait à transcrire [a], [Œ],
et [u] (et peut-être [o] 1), mais aussi apparemment [i] 2. D’autre part, une
seconde méthode consistait à placer devant les signes vocaliques e ou i un y
purement graphique, leur servant de support neutre 3, comme nous l’avons vu
dans l’écriture kharo›¤ri et tibétaine, sauf que dans ces écritures, c’est le a
initial qui occupe la fonction de support. Il eût certes été plus simple pour les
Méroïtes de faire comme ces deux écritures, et d’employer leur a initial
comme base commune pour toutes les voyelles : on aurait alors eu *ea
pour le [Œ] et le [e] 4 initiaux,*ia pour le [i] initial, *ua pour le [u]
initial. Mais, on le voit bien, le fait que ce a initial était déjà composé de
deux segments, dont le second était identique au signe e, a dû empêcher
l’adoption d’un tel procédé. Enfin, comme si la situation n’était pas assez
complexe, une troisième méthode assez désinvolte fut parfois utilisée pour
[Œ] et peut-être pour [a] et [u] initiaux. Un certain nombre de mots semblent
en effet avoir perdu, lors de l’affaiblissement vocalique qui se produisit au
cours du Ier siècle, leur voyelle initiale : on trouve ainsi Mni pour Amni
« Amon », sr pour asr « viande (?) », etc. 5 Mais la persistance
d’orthographes étymologiques avec a- a dû donner l’impression que ce signe
pouvait être ajouté ou omis ad libitum. Aussi trouve-t-on à époque tardive
des mots où l’initiale vocalique est absente alors même qu’elle était
prononcée. C’est par exemple le cas du nom du vice-roi bien connu

1
Pour l’existence de cette voyelle, voir infra, p. 402-407.
2
Le terme yiroƒe fréquent dans les passages obscurs des épitaphes (cf. par ex. REM 1088,
p. 153), est ainsi parfois transcrit aroƒe.
3
Le même procédé a été employé pour réduire les hiatus, voir infra, p. 292-296.
4
Pour [e] comme l’une des réalisations possibles de e, voir p. 400. On rappelle que selon le
système de Hintze, suivi par Hofmann, le signe e n’a que deux valeurs, [Œ] et zéro.
5
Sur cette évolution phonétique, voir p. 30-31. La conservation ou la disparition de la
voyelle initiale est sûrement due à des phénomènes prosodiques qu’il conviendrait
d’étudier de près. On observera cependant que cette aphérèse ne s’est jamais faite devant
la consonne r, qui ne peut être initiale en méroïtique (cf. p. 389). Dans certains cas,
l’aphérèse n’est qu’apparente : la voyelle initiale est simplement écrite à la fin du mot
précédent et ainsi isolée du reste du mot suivant (voir infra, p. 305). On pourrait alors
parler d’un quatrième procédé de transcription des voyelles initiales.
292 LA LANGUE DE MÉROÉ

Abratoye, qui est écrit Brtoye (REM 1088) ou Bertoye (stèle inédite de
Tomas, Caire JE. 90008), bien que les graphies grecques contemporaines
présentent ce nom à Philae sous la forme Αβρατοεις 1, correspondant à une
graphie méroïtique *Abertoye jamais attestée 2. L’anthroponyme est d’ailleurs
composé sur le mot br « homme », orthographié abr à époque plus ancienne.
De plus, il n’est pas impossible que, parallèlement au système d’insertion
d’un y- purement graphique, la succession wo-, voire we-, ait servi dès le Ier
siècle avant notre ère à noter un [u] initial long : il semble que ce soit le cas
pour Wos « Isis », qui était probablement réalisé [uúÈa]. La variante rare et
archaïque As (REM 0049), correspondant à [uÈa], s’expliquerait alors plus
facilement.
Pour rendre compte un peu plus clairement des voyelles initiales en
méroïtique, nous proposons ci-dessous un tableau synthétisant les différents
cas de figure. On comprendra qu’il ne soit qu’expérimental, en raison de
l’imbrication des divers procédés graphiques, de l’insuffisance du corpus et
de sa difficile interprétation.
Tableau 10 : Évolution graphique et phonétique des voyelles initiales

Jusqu’au Ier siècle apr. J.-C. À partir du Ier siècle apr. J.-C.

graphie valeur exemple équivalent valeur graphie


ancienne ancienne ancien tardif tardive tardive

a [a] ant ant, at, ate [a] a


« prêtre »
a [a] ou [Œ] akroro kroro amuïe absente
« prince (?)»
a [a] ou [Œ] abr br [a] ou [Œ] non
« homme » marquée
a ou e [Œ] ariƒlo, yereƒlo [Œ] a, ye
ereƒlo
(sens
inconnu)
a [Œ] ato ato, yeto [Œ] a, ye
« eau »
a [u] apote apote [u] a
« envoyé »

1
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) n° 265, p. 1020-1023.
2
Un ostracon d’Arminna récemment publié (REM 1320) donne une graphie Abrtoye, mais
il doit s’agir d’un personnage homonyme plus ancien, si l’on en croit la paléographie (cf.
Edwards-Fuller, 2000, p. 80).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 293

Jusqu’au Ier siècle apr. J.-C. À partir du Ier siècle apr. J.-C.

graphie valeur exemple équivalent valeur graphie


ancienne ancienne ancien tardif tardive tardive

a [u] Asori Sori amuïe (?) absente


« Osiris »
e [e] ou [Œ] erike yerike [e] ou [Œ] ye
« engendré
par »
e [e] erewke yirewke / [i] ye (?), yi,
« orient » yrewke y
i [i] ireqw yireqw [i] yi, a
« vers le
sud »
— yiroƒe / aroƒe
« garantir (?) »
wo ou a [uú] Wos, As Wos [uú] wo, we (?)
« Isis »

Succession de voyelles — Notation des voyelles longues

De manière parallèle au remplacement des anciennes initiales vocaliques


e- et i- par les syllabes ye- et yi-, on voit au cours du Ier siècle de notre ère
disparaître dans l’écriture toutes les successions internes de voyelles qui
pouvaient encore s’y trouver. Ainsi l’ancienne invocation Asorei « ô Osiris »
(REM 0435) est presque partout, et ici dès l’époque archaïque, remplacée par
Asoreyi puis Soreyi. Griffith expliquait cette évolution par une systéma-
tisation de la succession graphique consonne + voyelle :
« that vowel should follow vowel was a thing not endurable in Meroitic ; the
difficulty was got over by the insertion of y. » (Griffith, 1916b, p. 117-118)

On admirera l’intuition du savant qui, bien qu’il ne l’ait pas exprimé en


ces termes en raison de sa conception alphabétique de l’écriture méroïtique,
décrit néanmoins ici une extension complète du système syllabique à toutes
les graphies. Il avait également remarqué que le procédé, même s’il est
majoritaire, n’est pas toujours appliqué à époque tardive (Griffith, 1911a,
p. 13 et note 5) : on trouve ainsi Sorei en REM 0309, 0316, 0317, 0325,
0380, 0383, 1076, 1132, qui ne sont pas des textes anciens. L’inscription
294 LA LANGUE DE MÉROÉ

REM 0440, qui doit dater du IIe siècle de notre ère, offre même un hapax
Sori en invocation finale 1, alors même que le texte commence par un
habituel Soreyi.
La question est évidemment de savoir si ce -y- avait une valeur purement
graphique ou phonétique. Griffith opte clairement pour un procédé graphique
(voir citation supra, p. 292) 2, Zyhlarz pour un phénomène phonétique qu’il
étend abusivement à d’autres séquences (Zyhlarz, 1930, p. 422). Heyler parle
de « y de rupture intervocalique », ce qui reste flou (Heyler, 1964, p. 31, note 1,
p. 34 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 27). Hofmann, qui dans un premier temps
restait également dans une prudente ambiguïté (Hofmann, 1974b, p. 50),
différencie phonétiquement par la suite les deux graphies : Soreyi serait
/surŒyi/ et Sorei /suri/ (Hofmann, 1981a, p. 42, 44).
On s’étonnera que personne n’ait tâché d’expliquer comment, à partir
d’une séquence initiale Asori 3 + -i, on ait obtenu une graphie Asorei ou
Asoreyi, et non *Asorii, qui n’existe pas, ou Asoriyi, qui existe certes mais
est largement minoritaire. Or si l’on observe les différentes variantes de
l’invocation à Osiris, on trouve une certaine unité phonétique malgré la
diversité des graphies 4 :
(A)soreyi : passim
(A)sorei : REM 0309, 0316, 0317, 0325, 0380, 0383, 0435, 1076, 1132
(A)soriyi : REM 0214, 0217, 0218, 0223, 0236, 0294, 0308, 0311, 0294, 1208
Sori : REM 0440
Asoreri : REM 0425
Seule une réalisation [(u)Èuriú] avec i long semble à même de rendre compte
de toutes ces formes. Le /i/ long est issu de la contraction de la voyelle finale
du nom Asori « Osiris » avec le suffixe vocatif -i. Dans (A)sorei, la voyelle
finale est indiquée comme une syllabe à part et donc séparée du r précédent
par le signe e de valeur zéro. C’était d’ailleurs la suggestion de Hofmann, si
l’on en croit sa transcription phonologique /suri/. Mais son interprétation
n’explique pas pour quelle raison on n’a pas partout la forme simple (A)sori
qui n’est qu’une fois attestée en REM 0440. En fait, les Méroïtes ont utilisé
la graphie -rei parce que le i était long, et que cette longueur le différenciait

1
Priese, 1977a, p. 37 le considère comme fautif (« fehlerhaft »), ce qui est probable, mais
cette faute n’est pas sans enseignement.
2
Il est fidèlement suivi par Haycock, 1978, p. 55.
3
La forme nue pour Osiris est effectivement Asori (c’est ainsi qu’elle apparaît dans les
invocations solennelles, voir p. 94) et non *Asore, comme on le trouve parfois, dû à un
découpage simpliste de la forme Asorei, Asoreyi.
4
Les deux graphies Soryi (REM 0315) et Sorey (REM 0423) sont fautives : la première
s’explique probablement par le changement de ligne après Sor-, la seconde par le
manque de place en fin de ligne, qu’un séparateur termine à la diable sur le trait du
décor. Il existe également des graphies présentant un e central au lieu du o habituel, mais
ce détail n’entre pas ici dans notre propos.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 295

de manière pertinente de celui d’(A)sori « Osiris » sans vocatif. Le -i étant


isolé dans la syllabe finale, la forme fréquente (A)soreyi avec insertion d’un
-y- purement graphique permettait de rétablir un support consonantique fictif,
exactement comme nous l’avons précédemment étudié pour les initiales
vocaliques (cf. p. 289). Il est d’ailleurs probable que l’un de ces deux
procédés dérive de l’autre. Deux expédients parallèles, mais sans lendemain,
ont été aussi utilisés. Asoreri semble une tentative archaïque et maladroite de
résoudre le problème de la succession de deux signes vocaliques par la
reprise de la consonne précédente après le signe « vide » e : elle a au moins
l’avantage de confirmer la valeur zéro de cette lettre à époque ancienne 1. La
fréquente variante (A)soriyi peut s’interpréter de deux façons : soit elle
marque étymologiquement le redoublement du /i/ final que suppose
l’adjonction du suffixe vocatif -i au nom Asori, soit elle n’est qu’une manière
un peu redondante de transcrire la longueur du [iú] issu de cette rencontre.
Le phénomène est donc apparemment plus complexe que l’on ne l’avait
cru. Il n’y a sans doute pas succession de deux sons vocaliques ici, mais
un artifice de notation d’une voyelle longue. Toutefois, la fonction du -y-
comme support graphique d’une voyelle isolé, que nous avions précédemment
constatée à l’initiale, est ici confirmée dans la forme (A)soreyi et probablement
aussi dans la variante (A)soriyi.
Deux autres cas présentent un semblable usage de -y- purement
graphique. Le premier est d’interprétation aisée puisque nous disposons ici
de parallèles égyptiens et grecs. Il s’agit des deux noms démotiques O`,Õr-s
« Celui d’Isis », grec Παησις et S`,Õr-s « Celle d’Isis », grec Θαησις 2. Ces
anthroponymes sont transcrits en méroïtique Pyesi (REM 0088, 0090) et
Tyesi (REM 0088, 0135, 1098). Le e central a bien ici la valeur [e], et la
lecture doit être /paesi/ et /taesi/, formes qui correspondent exactement à la
transcription grecque (le sigma final étant là pour la déclinaison). La
présence du signe -y- permet ici comme précédemment de donner un support
graphique à la voyelle isolée [e].
Le second cas est à nouveau complexe puisque s’ajoutent, comme pour
(A)soreyi, des difficultés d’interprétation phonétique. Il concerne un suffixe
obscur de dérivation, ajouté à des substantifs ou des adjectifs, qui se présente
sous les deux formes -ose ou -yose 3. Assez souvent, il est difficile de
retrouver ailleurs le mot à partir duquel il a été formé, mais dans trois cas, cet
étymon est clair : mƒeyose est construit sur mƒe « abondant (?) », qorose sur
qore « roi » et mloyose sur mlo « bon ». Dans le premier, la présence du -y-

1
Nous ne croyons pas à la possibilité d’un -r- épenthétique comme parfois en nubien, une
hypothèse proposée par Priese, 1977a, p. 41 et citée par Hofmann, 1981a, p. 44. Le cas
est en effet unique et s’explique sans complication par la reprise du r précédent.
2
Cf. Griffith, 1916b, p. 114 [équation kk].
3
Voir p. 528.
296 LA LANGUE DE MÉROÉ

peut s’expliquer par la finale vocalique effective de mƒe 1. Dans qorose en


revanche, le -y- n’est pas nécessaire puisque qore, prononcé [kwur] est
terminé par une consonne 2. Enfin, pour mloyose, l’interprétation n’est pas
univoque puisque l’on a de nombreuses variantes. On trouve en effet :
mloyose : REM 0241
mlowose : REM 0247
mleyose : REM 0129, 0256, 0504, 1066B, 1108A (?)
mlewose : REM 0551, 0552
Les deux premières formes correspondent étymologiquement à la
succession des deux signes o, celui, final, de l’adjectif mlo, et celui, initial,
du suffixe -ose. Dans le premier cas, le -y- intervocalique a la même fonction
de simple support graphique que dans les précédents exemples. Dans le
second cas, un -w-, phonologiquement plus précis, mais probablement tout
aussi fictif, lui est substitué. Les graphies mleyose et mlewose sont
exactement parallèles à la forme (A)soreyi traitée précédemment : il s’agit
d’un artifice destiné à transcrire la voyelle longue [uú] dans une réalisation
[maluúÈ(Œ)], obtenue par contraction des deux [u] originels. L’utilisation de
wo- pour l’écriture d’un [uú] avait d’ailleurs été supposée dans la section
précédente pour le nom Wos « Isis » (cf. p. 291-292).
Le -y- intervocalique dans tous les cas et le -w- devant o sont donc,
comme Griffith l’avait déjà soupçonné, des procédés purement graphiques
pour fournir un support consonantique à des signes vocaliques isolés, et leur
utilisation entre dans un processus de généralisation du syllabisme, du moins
dans l’écriture 3. Cependant, l’étude qui précède tend aussi à montrer que
dans la réalité phonétique, les mots méroïtiques ne présentaient guère de
successions de voyelles qui, à terme, ne se fussent contractées en voyelles
longues, ou, comme nous le verrons plus loin, en diphtongues. Le seul
exemple probant de voyelles successives distinctes apparaît dans Pyesi,
Tyesi, qui sont des noms étrangers fidèlement retranscrits. Faut-il en conclure
que les séquences graphiques -eyi-, -iyi- notent en fait systématiquement un i
long, et -eyo-, -ewo-, -oyo-, -owo- un u long ? Ce serait assez logique. On
remarquera cependant que seule la première est fréquente dans toutes sortes
de mots 4, tandis que la seconde se retrouve surtout dans des noms au vocatif,

1
Si le mot était prononcé [maxwu], comme le laisse supposer la variante mƒo (pour la
graphie e de [u] après consonne labialisée, voir Rilly, 1999a, p. 106). Il n’est cependant
pas impossible que mƒeyose soit une graphie pour [maxwuúÈ(Œ)]. Voir mleyose ci-dessus.
2
Voir Rilly, 1999b, p. 80 sq.
3
On ne s’étonnera donc pas que le même procédé soit utilisé dans le syllabaire amharique,
bien que sur une échelle beaucoup moins étendue (voir Cohen, 1995, p. 53). Il semble
aussi avoir été en usage en linéaire B (voir Chadwick, 1994, p. 208-209).
4
Notamment tneyi et ses composés, le déterminant (?) -neyi, etc.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 297

notamment dans les décrets oraculaires amulétiques 1. Quant aux autres


séquences qui transcrivent peut-être un u long, elles sont rarissimes. Il
semble donc que l’écriture des voyelles longues corresponde surtout à une
nécessité de clarté morphologique, pour montrer la présence d’un suffixe,
comme au vocatif ou dans les dérivations nominales.

Notation des diphtongues

La succession de voyelles appartenant à des syllabes différentes doit bien


sûr être distinguée soigneusement de la diphtongue, où deux segments
vocaliques coexistent dans la même syllabe 2. Si la première semble rare,
voire inexistante en méroïtique (voir ci-dessus, p. 295), rien ne prouve que ce
soit le cas des diphtongues. Nous voudrions ici présenter quelques éléments
qui semblent démontrer leur existence et indiquer quelle était leur notation,
fort approximative au demeurant.
Griffith remarquait dès Karanóg :
« there is no evidence that two vowels sounds followed each other without a
consonant between. » (Griffith, 1911a, p. 22)
Ce défaut de preuve, consécutif à l’absence d’une notation
reconnaissable, fut ensuite soulignée par Hintze (Hintze, 1973c, p. 322 et
Hintze, 1979, p. 15), puis Hofmann (Hofmann, 1981a, p. 29). Seul Priese
supposa dans le vocatif Wosi « ô Isis » une diphtongue /-ai/, ayant peut-être
évolué en /-‘/ (Priese, 1977a, p. 39 [2.13]) 3. Selon lui, les deux sons auraient
de toute manière eu la même transcription -i. Il suit évidemment Hintze pour
qui le signe i possède deux valeurs phonétiques, [i] et [e].
Il est en effet étrange que la finale /a/ de Wos « Isis » (= [uúÈa]) dispa-
raisse au vocatif, et le même problème se pose pour des invocations comme
Mnpi « ô Amanap » (REM 0091C), Amsi « ô Mash » (ibid.), où la transcription
traditionnelle des théonymes ne doit pas faire oublier qu’ils étaient sous leur
forme nue terminés par un /a/ en méroïtique. Une restitution phonétique de
ces trois vocatifs par [uúÈaMi], [maÖapaMi] et [(Œ)maÈaMi] serait donc assez
vraisemblable. Dans ce cas, seul le second élément d’une diphtongue serait
noté en méroïtique, comme l’avait déjà prédit Hintze (Hintze, 1973c, p. 322).
Mais nos faibles connaissances de la morphologie méroïtique ne permettent
pas d’assurer que le /a/ final de ces noms n’était pas purement et simplement
retranché lors de l’ajout du suffixe -/i/ du vocatif. Bien que cette observation

1
Cf. Edwards-Fuller, 2000, p. 89.
2
Cf. Creissels, 1994, p. 35-36.
3
L’hypothèse est citée par Hofmann, 1981a, p. 43, avec la référence à Priese.
298 LA LANGUE DE MÉROÉ

constitue un premier pas, il faut donc d’autres faits pour étayer l’existence de
diphtongues en méroïtique.
Or, dans certaines invocations des épitaphes, on trouve, à la place du
traditionnel Wosi : Asoreyi « ô Isis, ô Osiris » un étrange Woso : Soreyi
(REM 0311, 1019, 1020, 1082). Griffith pensait à une faute en REM 0311
(Griffith, 1911a, p. 33), mais la découverte par la suite de trois autres
occurrences a rendu cette interprétation douteuse. Hofmann y voit une
marque d’harmonie de timbre vocalique. Cependant, comme nous le verrons,
il ne semble pas que ce phénomène existe en méroïtique 1. Une autre
explication nous paraît plus vraisemblable. On remarquera que dans certaines
invocations, l’ensemble Isis + Osiris est traité comme une unité syntaxique,
et le suffixe vocatif reporté à la fin, si bien que l’on trouve des formes
Wos(:)(A)soreyi « ô Isis-Osiris » 2 au lieu de Wosi Asoreyi « ô Isis, ô
Osiris ». Nous supposons qu’il en va de même dans Woso : Soreyi mais que
la succession [uúÈa] + [uÈuriú] a abouti à une diphtongaison [uúÈaMuÈuriú], un
complexe que les Méroïtes ont syllabiquement transcrit 3 Woso + Soreyi,
négligeant, comme dans Wosi précédemment, la première partie de la
diphtongue.
Enfin, nous possédons depuis peu ce qui semble la plausible transcription
méroïtique du nom César, noté Kisri en REM 1182 4. Si, comme l’on peut le
croire, le mot suit la prononciation grecque Κασαρ, le mot devait être
réalisé [kaMiÈari]. Ici aussi, seul le second segment de la diphtongue est noté.
Ces trois observations se recoupent avec suffisamment de cohérence pour
que nous puissions avancer l’existence de diphtongues en méroïtique, au
moins [aMu], notée -u et [aMi], notée -i. Malheureusement, l’aspect défectif de
cette transcription nous interdit de savoir quelle était leur fréquence 5 : les
trois seules occurrences que nous ayons repérées se situent, soit à l’interface
des lexèmes et des morphèmes, ou des lexèmes entre eux, soit dans un nom
étranger connu par ailleurs. Il paraît impossible en revanche de savoir si un i
à l’intérieur d’un mot donné purement méroïtique représente la voyelle
simple [i] ou la diphtongue [aMi].

1
Voir infra, p. 409.
2
REM 0310, 0442 (cf. Priese, 1973b, p. 290 et Priese, 1977a, p. 37). Il convient de
rectifier quelques inexactitudes dans le dernier passage cité de Priese. REM 0442 n’est
pas un texte archaïque. Les invocations initiales en 0425, 0428, 0434 montrent un
caractère carré archaïque après Wo- qui représente peut-être la syllabe graphique si (voir
p. 352-353). En REM 0427, le -i est visible après Wos.
3
Voir infra, « Coupe des mots » p. 305.
4
L’identification de Millet nous semble sûre : voir note 1, p. 144.
5
On observera néanmoins que dans les écritures syllabiques de langues où les diphtongues
sont importantes, un système a toujours été élaboré pour les transcrire, soit de manière
analytique comme en linéaire B ou en syllabaire chypriote (/eu/ est noté /e/ + /u/), soit de
manière synthétique par l’adaptation d’appendices vocaliques spécialisés (devanagari,
tibétain).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 299

Succession de consonnes — Élision des nasales

Un problème commun à toutes les écritures syllabiques est la notation des


succession de consonnes, attendu que chaque signe représente une syllabe
ouverte, sans coda (consonne finale), et d’attaque consonantique simple (pas
de /tra/, /bla/, etc.). Un syllabaire distinguant les syllabes selon leurs codas et
incluant les attaques consonantiques complexes aurait fait passer en effet le
nombre des caractères de plusieurs dizaines à plusieurs centaines, et aucune
écriture n’y a eu recours. Deux systèmes principaux ont donc été utilisés.
Dans l’écriture brahmi, quand deux consonnes se suivent, elles sont écrites en
ligature l’une au-dessus de l’autre, et ce procédé de superposition s’est répandu
dans tous les syllabaires indiens et sud-asiatiques. Mais dans toutes les autres
écritures syllabiques, les consonnes successives ont été traitées comme autant
de syllabes, avec utilisation d’un support vocalique fictif. Un passage du Traité
de langue amharique de M. Cohen est à cet égard très révélateur :
« Les Abyssins n’ont pas conscience de la division des mots en syllabes ouvertes
ou fermées comme l’entendent les grammaires européennes et les linguistes. Pour
eux les mots se décomposent en caractères ; lorsqu’on épelle on prononce
toujours une consonne du 6e ordre avec voyelle, ainsi dŒ-nŒ-gŒ-lŒ. » (Cohen,
1995, p. 57)

La voyelle fictive est variable, mais aucune écriture syllabique ne semble


avoir utilisé de signe spécialisé (l’équivalent du sukun arabe qui marque
l’absence de voyelle), si bien que dans tous les cas, la distinction n’est jamais
immédiate entre la valeur pleine, phonétique, du signe vocalique et sa valeur
« vide », purement graphique 1. Le syllabaire persépolitain utilisait la voyelle
inhérente /a/ et seule la connaissance de la langue pouvait permettre de savoir
si un signe devait être lu /ra/ ou /r/. En linéaire B, c’est la voyelle de la
syllabe suivante qui est utilisée comme support, tandis que les finales
consonantiques sont purement et simplement omises : ainsi le toponyme grec
classique Λεκτρον « Leuctres » est rendu par re-u-ko-to-ro. Dans le
syllabaire cypriote, le même procédé est employé, sauf à la fin d’un mot où la
consonne est cette fois notée, mais à l’aide d’une voyelle fictive e : le grec
classique βασιλεúς « roi » est ainsi écrit pa-si-le-u-se. Enfin, c’est dans
l’écriture éthiopienne que le système utilisé s’approche le plus de celui auquel
eurent recours les Méroïtes. Ce syllabaire possède en effet sept « ordres » de

1
Pour cette revue des différents expédients utilisés par les écritures syllabiques pour noter
les successions consonantiques, voir Février, 1959, p. 156-171 et 333-383.
300 LA LANGUE DE MÉROÉ

signes, chacun caractérisé par une voyelle, respectivement [X] 1, [u], [i], [a],
[ye], [Œ], et [o]. Une consonne non suivie de voyelle sera automatiquement
transcrite par un signe du 6e ordre :
« En fait, le 6e ordre est l’expression graphique d’une voyelle très brève, et
caduque, c’est-à-dire en alternance avec zéro ou absence de voyelle ; c’est de la
même manière que s’emploie l’e dit muet en français et la voyelle dite šŒwa
[“schwa”] dans l’hébreu vocalisé. » (Cohen, 1995, p. 44)

Le procédé est tout à fait rationnel, puisque c’est la voyelle la plus faible
qui a été choisie comme « voyelle fictive », mais il comporte un grave
inconvénient déjà signalé : l’impossibilité de savoir quand il faut prononcer
la voyelle, ce qui n’est réellement possible que par un apprentissage de
chaque mot écrit. Des règles existent (par exemple, en fin de mot, on ne la
prononce pas), mais elles sont complexes et souffrent de nombreuses
exceptions (voir Cohen, 1995, p. 57-62).
L’écriture méroïtique procède de façon similaire : comme l’avait déjà
partiellement découvert Griffith, puis confirmé totalement Hintze 2, le signe e
est utilisé comme support vocalique fictif dans les successions de consonnes.
Ce n’est cependant pas sa seule valeur et il possède donc selon nos
recherches trois réalisations possibles 3 :
[e] dans ktke « Candace », /kantake/ grec κανδáκη , ég. jms'«(jx
[Œ] dans ted‚e-lowi « enfanté par », /tŒda‚Œ(?)luwi/ 4
zéro dans peseto « vice-roi », /psentu/, grec ψεντης
Cette triple valeur n’a rien d’étonnant : nous avons précédemment remar-
qué que le syllabaire cypriote utilisait la même notation pour [e] et zéro en
finale de mot, que l’écriture éthiopienne employait les mêmes signes pour
une syllabe de voyelle [Œ] et une consonne non suivie de voyelle. Enfin, on
rappellera que le français du Nord prononce [ε] le e de « versa », [Œ] celui de
« creva » et zéro celui de « bouleversa ». Le e latin était en effet la voyelle
écrite la plus proche phonétiquement de la voyelle centrale [Œ], et le passage
de [Œ] à zéro tient historiquement à la nature labile de ce schwa.

1
Voyelle centrale d’aperture quasi maximale (API 324) notée a barré par Cohen, 1995.
Les ouvrages de vulgarisation utilisent généralement « a » pour le 1er ordre et « ~ » pour
le 4e.
2
Griffith, 1911a, p. 9, 12 ; Griffith, 1916b, p. 119-121 ; Hintze, 1973c, p. 322-323 (4), 323
(5), (6) ; Hintze, 1973d, p. 334-335 ; Hintze, 1979, p. 15, 30 ; voir aussi Priese, 1973b,
p. 298 ; Hofmann, 1981a, p. 31-32 ; Millet, 1982, p. 79, Böhm, 1987, p. 6 ; Rilly, 1999a,
p. 104 ; Rilly, 1999b, p. 80 et note 8, p. 81 et note 9, note 21 p. 83.
3
Deux pour Hintze (Hintze, 1973c, p. 322) et Hofmann (Hofmann, 1981a, p. 30-31) qui
n’admettent que les valeurs [Œ] et zéro, et récusent donc la valeur [e] établie par Griffith.
Voir ci-dessous, p. 398-401.
4
La valeur phonétique du second e de ce mot ne peut actuellement être précisée.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 301

L’ancien « égyptien pouvait avoir dès le démotique, suivant sa position,


les valeurs [Œ] ou [e], comme le montre le témoignage des transcriptions
grecques et du copte. Ayant adopté ce « pour en faire leur caractère e, les
Méroïtes ont du même coup hérité de ces deux valeurs. L’usage de e pour
zéro a résulté tout naturellement de la tendance qu’avait le son [Œ] à s’amuïr.
Bien évidemment, ce procédé pose les mêmes problèmes qu’en
amharique, aggravés par notre méconnaissance de la langue méroïtique : on
ne peut savoir que rarement comment était prononcé le signe e. Quelques
indices permettent de supposer que dans certains morphèmes, il avait la
valeur zéro, au moins à partir du Ier siècle de notre ère et peut-être avant.
Ainsi la postposition -se était-elle sûrement prononcée /s/ puisqu’elle se
contracte en -t avec le déterminant -l qui la suit (loi de Griffith), ce qui ne
semble possible que si les deux consonnes /s/ et /l/ étaient en contact.
Pareillement, les assimilations ‚rp‚l pour ‚rp‚ne + -l, sleqel pour
sleqene + -l, ‚b‚l pour ‚b‚ne + -l montrent que le suffixe de dérivation
nominal -ne utilisé dans ces titres était simplement réalisé /n/. Le même
phénomène peut être constaté dans des lexèmes à part entière : ainsi qore
« souverain », auquel l’article -l s’assimile depuis l’époque ancienne, a dû
dès les origines être prononcé /qur/. Semblablement pwrite « vie » devait être
réalisé /pawarit/, car suivi d’un mot à initiale /a/, il s’écrit parfois pwrit, à lire
/pawarita/ (REM 1293).

Un cas particulier de succession consonantique concerne les nasales


devant occlusives, dont l’existence nous est garantie par des transcriptions
égyptiennes et grecques, mais qui n’apparaissent pas dans l’écriture. Cette
particularité avait déjà été observée par Griffith. Il relevait notamment que le
méroïtique Arette, hypostase d’Horus 1, correspondait à l’égyptien Ãq,mc,«s-e,
de transcription grecque Αρενδωτης, que ktke « Candace » était transcrit en
égyptien jms'«(jx et en grec κανδáκη, et enfin qu’au nom méroïtique
Arik‚ror « Arikankharor » correspondait la version égyptienne Õqjm~qq
(Griffith, 1911a, p. 14, 79 ; Griffith, 1916b, p. 113 2).
Zyhlarz reprit ces exemples, ainsi que d’autres : la correspondance entre
d’une part le méroïtique peseto « vice-roi » et la transcription grecque
ψεντης, entre d’autre part l’anthroponyme Wyekiye et sa version égyptienne
Vxmfx2. Il s’en servit pour affirmer l’existence en méroïtique de pré-
nasalisées nd, nt, n¥, ng, n‚ (Zyhlarz, 1930, p. 418). Macadam, quant à lui,
supposa que c’était la voyelle précédente qui était nasalisée (Macadam, 1950,
p. 46). Par la suite, Priese s’opposa à ces théories et tenta de démontrer que

1
Griffith, 1911a, p. 10, 14 ; Griffith, 1912, p. 51 ; contra : Hintze, 1987, p. 46.
2
Repris par Meinhof, 1921-1922, p. 5 ; Haycock, 1978, p. 67 ; Hainsworth, 1979b, p. 378
(qui donne des exemples d’alternances de graphies avec nasales et de graphies sans
nasales pour les mêmes anthroponymes).
302 LA LANGUE DE MÉROÉ

l’élision des nasales ne devait pas être envisagée comme un phénomène


méroïtique, mais comme une particularité des transcriptions égyptiennes puis
grecques, où l’insertion d’un n servait à indiquer le voisement de consonnes
qui n’existaient pas sous cette forme en égyptien :
« Vor ‚, k, t, d, zeigen napatanische, demotische und griechische Wiedergaben
meroitischer Wörter öfter ein n, das in den meroitischen Schreibungen fehlt. Ich
fasse dies als Wiedergaben auf, bei denen das n die Stimmhaftigkeit der
betreffenden Laute verdeutlichen soll. » (Priese, 1973b, p. 288 1)

L’idée des prénasalisées ayant à nouveau été soutenue par Hofmann à


plusieurs reprises 2, Hintze s’y opposa farouchement dans son étude déjà
citée sur l’écriture méroïtique (Hintze, 1987, p. 44-48). Selon lui, les
Méroïtes auraient probablement inventé une notation spécifique des
prénasalisées si ces sons avaient revêtu une pertinence phonologique. Il se
livrait ensuite à une revue dévastatrice, mais sans doute injustement
hypercritique, des exemples relevés par ses prédécesseurs. En fait, la
remarque la plus convaincante était une comparaison avec d’autres systèmes
syllabiques que nous avons précédemment évoqués :
« Nun gibt es allerdings Schriften, in denen grundsätzlich keine Nasale vor
Konsonanten geschrieben werden. Bekannte Beispiele dafür sind die altpersische
Keilschrift und die kyprische Silbenschrift. So schreibt man altpersisch ba-da-ka
für bandaka und ka-bu-— i-i-ya für Kambu— iya (= Kambyses) (Jensen 1958, 97)
und kyprisch a-to-ro ist νδρο- zu lesen und la-pa-to-ne ist λαµπαδων (Jensen
1958, 129). » (Hintze, 1987, p. 46-47)

Comme on l’a vu, quatre théories s’opposent sur la question : ou bien les
nasales étaient simplement élidées dans l’écriture (Griffith, Meinhof,
Haycock, Hainsworth, Hintze in fine), ou bien elles formaient avec
l’occlusive ou la fricative suivante une prénasalisée, et ne constituaient donc
pas un graphème indépendant (Zyhlarz, Hofmann, Zibelius, Böhm, Peust),
ou bien elles n’existaient que dans les transcriptions égyptiennes et grecques,
soit pour marquer la réalisation nasale de certaines voyelles (Macadam), soit
comme artifice de notation de consonnes voisées (Priese). En fait, cette
dernière hypothèse nous semble peu plausible. D’une part, on trouve des
alternances en méroïtique entre graphies avec et sans nasales, le meilleur
exemple étant sans doute le mot ant « prêtre », souvent écrit at à époque
tardive. Une évolution du type /an(n)ata/ > /an(n)Œta/ > /anta/ correspondrait
tout à fait à l’affaiblissement vocalique que nous avons supposé pour le
1
Même idée dans Priese, 1968a, p. 184-185.
2
Hofmann, 1977b, p. 1401, p. 1407, note 17 ; Hofmann, 1980a, p. 276 ; Hofmann, 1981a,
p. 34-35 ; Hofmann, 1981c, p. 12, note 4 ; Hofmann, 1982c, p. 48 ; Hofmann, 1991,
p. 195. Ses idées ont été reprises dans Zibelius, 1983, p. 56, 70 ; Böhm, 1987, p. 6 ;
Peust, 1999, p. 208-209.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 303

néo-méroïtique (cf. p. 31-32). La forme finale /anta/ aurait bien été écrite at,
comme ktke « Candace » pour /kantake/. D’autre part, puisqu’il arrive que
l’égyptien transcrive justement les sonores du grec par l’adjonction d’un
signe nasal devant la sourde correspondante 1, on s’attendrait selon toute
logique à une divergence entre les versions égyptiennes et grecques des mots
méroïtiques, par exemple jmsjx en égyptien et *καδáκη en grec pour le
méroïtique ktke « Candace ». Or ce n’est pas le cas : le grec a bien κανδáκη.
L’absence d’écriture des nasales devant certaines consonnes est donc bien un
phénomène interne au système graphique méroïtique. Il n’entre pas ici dans
notre propos de l’étudier au niveau phonétique et de savoir si l’on a affaire à
une simple élision ou à des prénasalisées. Cette question n’est pas simple et
nous tenterons de la traiter dans le chapitre suivant (cf. p. 371).

Haplographie

Un cas particulier de suite consonantique a connu de la part des Méroïtes


un traitement spécifique : il s’agit des consonnes géminées ou simplement
répétées. Le système méroïtique n’indique alors qu’une seule consonne : on
parle d’« haplographie ». On trouve le même procédé dans d’autres écritures :
le syllabaire cypriote écrit par exemple a-po-lo-ni pour le grec Απóλλωνι « à
Apollon ». L’arabe ne note pas indépendamment les géminées, se contentant
d’ajouter un signe, le šadda, au-dessus de la consonne simple. Mais
l’haplographie était déjà une caractéristique fréquente de l’écriture
égyptienne, y compris à la frontière entre les mots 2, sans toutefois avoir
revêtu le caractère systématique qu’elle a pris en méroïtique.
Griffith n’en parle pas, mais il est évident qu’il y avait eu recours dans
l’identification des hypostases d’Amon (voir ci-dessous, p. 303). Le procédé
existant en égyptien, il n’a sans doute pas cru utile de le rappeler pour le
méroïtique. Zyhlarz est le premier à y consacrer un petit chapitre (Zyhlarz,
1930, p. 417-418). Priese ensuite utilise fréquemment l’haplographie pour
expliquer certaines évolutions : ainsi il suppose que le prédicatif -lo(wi)
« c’est », utilisé dans les descriptions des épitaphes, contient le déterminant -
l, dissimulé par l’haplographie -l + lo(wi) > -lo(wi) (Priese, 1971, p. 277
[1.14] ; Priese, 1979, p. 117-118). Il explique également ainsi l’origine de
wetrri, épithète obscure d’Osiris dans les invocations solennelles 3, par une
haplographie habituelle pour wettrri, qui n’est qu’une fois attesté sous cette

1
Voir Vycichl, 1990, p. 28 (γ du grec transcrit par ng ou nk en démotique, δ par nt).
2
Ainsi rl«<rm e écrit pour rl«<rm m<e « ils lui rapportèrent » ; cf. Gardiner, 1957,
p. 52-53, 422.
3
Voir supra, p. 93-94.
304 LA LANGUE DE MÉROÉ

forme complète (Priese, 1971, p. 277 [1.14], Priese, 1977a, p. 55). Enfin, il
voit également une haplographie (« Simplexschreibung von Doppelkon-
sonanz ») à l’origine de mkdi « déesse » pour mk « dieu » + kdi « femme »
(Priese, 1977a, p. 41).
Cependant les trois cas traités par Priese ne peuvent s’expliquer par une
simple haplographie. Les séquences graphiques *-ll- dans -l + lo(wi), -tt-
dans wettrri, *-kk- dans mk + kdi doivent évidemment être interprétées,
d’après le système syllabique de l’écriture méroïtique, comme -/lal/-, -/tat/- et
-/kak/-. Aussi faut-il supposer que ce /a/ interconsonantique s’est d’abord
progressivement amuï par affaiblissement vocalique (voir p. 31-32), et que ce
n’est qu’ensuite que l’haplographie a pu jouer. Cette évolution s’est
certainement produite dans le cas de mk + kdi, moins sûrement pour wettrri,
et probablement pas sous cette forme pour -lo(wi), car les graphies les plus
anciennes ont -lo et jamais *-llo.
La pratique de l’haplographie bien comprise, c’est-à-dire intégrée dans
une conception vocalique du système graphique, a été ensuite théorisée par
Hintze, suivi par Hofmann 1. On doit cependant observer qu’il est difficile
d’en avoir des preuves directes, puisqu’il s’agit de traquer un phénomène
qui, par définition, n’apparaît pas dans l’écriture. Les trois exemples donnés
par Priese, nous l’avons vu, sont pour deux d’entre eux plus complexes qu’il
n’y paraît, et le troisième fort discutable. Il en va de même pour les noms des
hypostases d’Amon cités par Zyhlarz, puis repris par Priese dans l’étude
commentée ci-dessus (Priese, 1977a, p. 55) :
(A)mnp « Amanap » < Amn + Np(te) : « Amon de Napata »
(A)mnpte < Amn + Npte : « Amon de Napata »
(A)mnote < Amn + Note : « Amon de la Ville » (égyptien Õlm,m«vsx)
Amnbse < Amn + Nbse : « Amon de (P)noubs »

Le premier est très probablement, comme nous l’avons rappelé dans un


récent article 2, non pas Amon de Napata, mais Amon d’Opet, du nom
égyptien «o-s pour le « harem », et par suite pour Louxor. Il n’y a donc
aucune haplographie. Les trois suivants peuvent s’expliquer par une
haplographie, mais aucun de manière simple puisque le nom d’Amon est en
méroïtique Amni /amani/ ou /amanaMi/, et non *Amne */aman/. Il faut donc
remonter aux formes égyptiennes Õlm,Mos+ Õlm,m«vsx ds Õlm,'Oq,(mar,
sans qu’on puisse savoir dans quelle langue et à quel moment s’est faite la
simplification de la géminée : était-ce en égyptien ou en méroïtique ? Et dans
ce dernier cas, était-ce à l’époque du royaume de Méroé, du royaume de

1
Hintze, 1973c, p. 322 ; Hintze, 1979, p. 15 ; Hofmann, 1974a, p. 45, note 8 ; Hofmann,
1981a, p. 30 ; Hofmann, 1982a, p. 50 ; Hofmann, 1982c, p. 48.
2
Cf. Rilly, 2000b, p. 104-105.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 305

Napata ou encore avant ? On le voit, ces exemples posent plus de problèmes


qu’ils n’en résolvent.
C’est probablement encore à la frontière des mots et des morphèmes que
l’on peut glaner quelques preuves. Plusieurs toponymes sont en effet
terminés par la syllabe graphique -te, correspondant probablement en cette
position finale à un simple /t/. Or la postposition locative la plus fréquente est
aussi -te. On possède donc des doublets de locatifs, les uns présentant un
redoublement du te conforme à la morphologie, les autres un te simple en
vertu de l’haplographie :
Amnpte / Amnptete « Amon (qui réside) à Napata »
Amnote / Amnotete « Amon (qui réside) dans la Ville (?) »
Nlote / Nlotete « à Karanóg »
Twete / Twetete « dans le nome (?) de Sedeinga » 1

L’existence de l’haplographie peut également se déduire d’observations


statistiques : la séquence [consonne + e + consonne], la seule manière pour
les Méroïtes de figurer des successions consonantiques, est fréquente lorsque
ces consonnes sont d’articulation différente, mais elle est rarissime
lorsqu’elles sont identiques : on ne la trouve qu’exceptionnellement dans les
textes anciens (7 occurrences en REM 1044, qui compte plus de 2 500
caractères) et encore peut-on supposer que dans la conjonction (?) kek, qui
totalise 5 des 7 occurrences, le signe central e représentait la voyelle [Œ].
Dans les inscriptions tardives, comme le montre un corpus de textes de Qasr
Ibrim 2 sur lequel la même recherche a été effectuée, toutes les successions de
ce type ont disparu sauf une 3.
La question se pose évidemment de savoir si cette simplification des
géminées est un phénomène purement graphique (« haplographie ») ou
phonétique (« haplologie ») 4. Il est ici pratiquement impossible de répondre :
la forte tendance à l’assimilation que l’on constate en méroïtique laisse
penser à un alignement des structures phonétiques sur un schéma général
consonne + voyelle + consonne ± voyelle, d’où une éventuelle disparition
des géminées dans la prononciation. Mais il ne faut pas oublier que nous ne
voyons la langue qu’à travers le prisme déformant d’une écriture syllabique
qui favorise justement ce type de structure.

1
Il n’est donc pas besoin, comme l’avait fait Heyler, de supposer un insolite redoublement
de la postposition à partir de formes comme *Nlo ou *Twe (in Leclant–Heyler, 1978,
p. 29-32 : Index des toponymes).
2
REM 1182, 1183, 1232, 1233, 1322-1326.
3
Dans le titre sacerdotal teter, en REM 1182.
4
Voir Rilly, 1999b, p. 82 et note 17.
306 LA LANGUE DE MÉROÉ

Coupe des mots

On trouve dans les textes méroïtiques deux cas de rupture de la ligne


d’écriture : le séparateur, utilisé pour marquer la lisière des mots et parfois
des morphèmes 1, et l’inévitable césure au changement de ligne. Comme nous
l’avions noté précédemment, cette dernière est conforme au principe
syllabique, et on ne sépare jamais en fin de ligne le signe principal (la
« consonne ») du modificateur vocalique (la « voyelle ») qui pourrait
éventuellement le suivre. En ce qui concerne le séparateur, la logique
grammaticale voudrait qu’il soit placé à la fin d’un mot, éventuellement après
la voyelle fictive e si ce mot a une finale consonantique. Dans la pratique, la
logique de l’écriture syllabique l’emporte parfois sur celle de la syntaxe.
Ainsi, dans le cas de deux mots consécutifs, si le premier possède une finale
consonantique et le suivant une initiale vocalique, il arrive que le séparateur
soit reporté devant la première consonne du second mot, de sorte que sa
voyelle initiale apparaît à la fin du mot précédent 2. Nous avons ci-dessus (cf.
p. 297) évoqué un exemple de ce genre dans l’invocation particulière Woso :
Soreyi « ô Isis-Osiris ! », au lieu de la graphie Wos : Asoreyi attendue. Dans
les deux cas, il faut lire [uúÈaMuÈuriú], mais le découpage dans la première
graphie est [uúÈaMu] + [Èuriú], tandis que dans la seconde on a [uúÈa] + [uÈuriú].
La disparition à l’écrit de certaines initiales vocaliques relève sans doute
de phénomènes de ce genre. Griffith remarquait, sans pouvoir l’expliquer,
que l’absence de l’initiale vocalique dans Amni / Mni « Amon » et
Amnp / Mnp « Amanap » était plus rare après un -e (Griffith, 1911a, p. 71).
On peut penser que dans certains cas d’apparente aphérèse, où l’on a Mni ou
Mnp, il faut chercher à la fin du mot précédent l’initiale manquante de ces
deux théonymes.

Variations orthographiques

Tous les chercheurs qui depuis Griffith ont travaillé sur le méroïtique, ont
observé ç et souvent déploré ç, la grande variabilité des graphies. Or il ne
pouvait pourtant en être autrement pour une écriture qui cumulait tant de
facteurs d’instabilité : une tradition scripturale relativement récente, un
éclatement de la population en centres urbains dispersés sur un ruban fluvial
de près de deux mille kilomètres, et surtout une notation simple et purement

1
Cf. supra, p. 258-259 pour son origine, infra, p. 495-496 pour son usage syntaxique.
2
C’est par un semblable cas de découpage syllabique que la pierre fine autrefois nommée
« l’ejade » (de l’espagnol piedra de la ijada : « pierre du flanc ») est devenue en français
moderne « le jade ».
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 307

phonétique, sensible donc aux variations diachroniques, géographiques, voire


individuelles. Nous avons précédemment étudié les principes généraux de
l’évolution phonétique du méroïtique proprement dit (p. 35-36) et observé
quelques modifications, sur la durée, du système graphique (p. 287-289).
Nous avons également repéré quelques éléments de variabilité géographique
(p. 39-45). Cependant, il est fréquent que coexistent des graphies différentes
sur les mêmes sites et à même époque, y compris sur des termes fréquents.
C’est notamment le cas des théonymes au vocatif dans les invocations : on
trouve ainsi à Karanóg, dans des épitaphes toutes gravées dans la seconde
moitié du IIe siècle apr. J.-C., les variantes Soreyi, Soriyi, Sorei « ô Osiris »,
et Wosi, Wisi « ô Isis ». Trigger, qui avait à Arminna constaté une variante
locale des verbes des bénédictions, écrits kr et tk au lieu des habituels ‚r et
t‚, d’ailleurs présents eux aussi dans quelques textes, insistait sur la
variabilité individuelle dans les graphies :
« Since all these texts came from the same cemetery and seem to be about the
same age the chances of dialectic variation seem minimal. This suggests that these
two sets of formulae, and by extension the texts themselves, were composed by at
least two scribes or (since there is evidence of considerable literacy in Meroïtic
sites) two literate stonemasons, each of whom had different conventions for
recording the language. » (Trigger, 1967b, p. 169)

Cette latitude orthographique concerne aussi, de façon assez étonnante


pour nous, les noms propres désignant les mêmes personnes. Ainsi, Hains-
worth relève dans sa thèse un certain nombre de variantes pour les mêmes
anthroponymes 1 :
A‚tkkid = A‚etkkid,
Sykeli = Syokeli
Boƒeye = Boƒeyi
Apoly = Apilye
Tmoye = Tmiye
Temye = Tmiye
Arotnide = Teritnide

On trouve parfois au sein des mêmes textes des graphies différentes, au


point que l’on peut légitimement se demander si l’on n’a pas affaire dans
certains cas à des variations volontaires, jouant soit sur l’orthographe, soit
sur la prononciation, et correspondant à une tradition poétique ou littéraire.
C’est ainsi que l’adjectif « abondant », habituel dans les bénédictions A et B
pour qualifier l’eau et le pain des offrandes, est successivement orthographié

1
Hainsworth, 1979b, p. 378. Mêmes observations chez Griffith, 1912, p. 42 ; Griffith,
1916a, p. 27 ; Hofmann, 1977a, p. 218 ; Hofmann, 1980a, p. 278 ; Zach, 1994, p. 104.
308 LA LANGUE DE MÉROÉ

mƒe puis m‚e (ou inversement) dans une bonne quinzaine d’épitaphes, sur
des sites aussi éloignés que Karanóg, Arminna ou l’île de Saï 1.
Il ne faudrait évidemment pas conclure de ce qui précède que la plus
grande anarchie et la fantaisie la plus débridée régnaient sur l’écriture
méroïtique. S’il semble avéré qu’il n’y avait pas vraiment de norme
exclusive, il existait tout de même des modèles et des traditions, notamment
au sein de l’administration royale et sacerdotale. Les variantes
orthographiques attirent notre attention parce qu’elle se produisent souvent
sur des mots importants (Wos / Wis « Isis », ktke / kdke / ktwe / kdwe
« Candace »), mais elles ne sont pas si nombreuses, comme on le constatera
plus loin, et concernent le plus souvent les voyelles, pour lesquelles le
système graphique méroïtique n’offrait pas, semble-t-il, une notation
suffisamment claire et stable. L’existence d’une tradition orthographique,
voire philologique, apparaît surtout dans la notation des assimilations ou des
contractions. Nous avons ainsi constaté dans une étude consacrée à
l’assimilation du déterminant utilisé avec le mot qore « roi », que des formes
assimilées coexistaient à même époque et parfois dans les mêmes textes 2.
Ainsi le scripteur de la stèle royale REM 1003 emploie une forme non
assimilée qoreli « le souverain », s’il veut privilégier la clarté et peut-être
éviter une confusion avec des termes oralement proches de la forme assimilée
/qurri/. En revanche, pour le génitif du même mot, il utilise la forme
assimilée qorise (*qore-li-se « du souverain »), qui devait correspondre à la
prononciation.

Les variantes graphiques sont évidemment d’un grand intérêt pour l’étude
du système phonologique méroïtique, et Griffith notamment en fit grand
usage pour asseoir certaines de ses lectures (Griffith, 1911a, p. 7-16 passim).
Aussi y reviendrons-nous dans l’examen de la phonologie de la langue, ou du
moins de ce que nous pouvons en reconstituer. Il n’est cependant pas inutile
de donner ici une liste des principaux échanges de signes que l’on y trouve.
Dans les paires figurant ci-dessous, la première graphie est donnée comme
base, l’autre comme variante, dont nous avons indiqué, lorsque c’était
possible, les caractéristiques (période, répartition géographique, fréquence).
Nous avons écarté de la liste les variantes qui semblent dues à une évolution
morphologique plutôt que phonétique ou orthographique, comme yerikelowi
≈ terikelowi, mais nous ne pouvons totalement garantir que certaines des dif-
férences relevées ci-dessous ne soient pas de cet ordre.

1
REM 0212, 0234, 0236, 0238, 0255, 0284, 0317, 0368, 0383, 0512, 0533, 0534, 0539,
1065 et 1273, ce qui représente tout de même près de 5 % des textes comportant des
bénédictions.
2
Rilly, 1999b. Voir p. 413 pour une explication possible de ce paradoxe.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 309

Liste des variantes phonétiques ou orthographiques

/a/ 1 ancien ou conservé ≈ e tardif : ex. pesto /psantu/ ≈ peseto « vice-roi »


(évolution courante)

a initial ancien ≈ ye tardif (rare) ex. ariƒlo ≈ yereƒlo, formule verbale

b ≈ p (très rare) ex. qorbse ≈ qorpse « serviteur des


rois »

d ≈ t (très rare) ex. kdke ≈ ktke « Candace »

e tardif ≈ /a/ tardif (assez fréquent) ex. ted‚elowi ≈ td‚elowi « c’est l’en-
fanté(e) de »
e ≈ i (assez fréquente)
ex. perite ≈ pirite « agent »

e ≈ o (rare, parfois locale : Adda, Toshka)


ex. mƒe ≈ mƒo « abondant »

/‚a/ ≈ a (douteuse, un seul ex.) ex. ‚mlol ≈ amlol « un bon repas (?) »

‚ ≈ ƒ (très rare) ex. mƒe ≈ m‚e « abondant »

‚ ≈ k (locale : Arminna, Nag Gamus) ex. ‚r ≈ kr, verbe de bénédiction B

i ≈ e (assez fréquente) ex. Bedewi ≈ Bedewe « Méroé »

k ≈ w (très rare) ex. ktke ≈ ktwe « Candace »

n ancien ≈ zéro tardif (fréquente) ex. ant ≈ at « prêtre »

o ≈ e (assez rare) ex. qowi ≈ qewi « celui-ci / celle-ci est »

o ≈ i (rare) ex. Wos ≈ Wis « Isis »

p ≈ b (rare, limitée aux préfixes verbaux) ex. psi‚rto ≈ bs‚rto (< ‚r), forme verbale
de bénédiction B

q ≈ k (très rare) ex. pqrtr ≈ pkrtr « prince », « vizir (?) »

q ≈ w (dialect., Basse-Nubie ; fréquente) ex. qetrri ≈ wetrri, épithète d’Osiris

s ≈ t (rare, peut-être dialectale) ex. kdise ≈ kdite « sœur »

t ≈ d (assez rare) ex. yetmde ≈ yed:mde


« neveu / nièce (?) »

1
On rappelle que le [a] intérieur, voyelle « par défaut » ou « inhérente » du système
syllabique méroïtique, n’est pas marqué.
310 LA LANGUE DE MÉROÉ

t ≈ n (très rare) ex. yetmde ≈ yenmde


« neveu / nièce (?) »

wo ≈ a (archaïque et très rare) ex. Wos ≈ As « Isis »

ye ≈ yi (assez rare) ex. Boƒeye ≈ Boƒeyi, anthroponyme

ye tardif ≈ e ancien (très fréquente) ex. yerikelo ≈ erikelo « c’est l’engen-


dré(e) de »

yi tardif ≈ i ancien (peu d’occurrences) ex. yireqw ≈ ireqw « vers le sud »

yi ≈ y (assez fréquente) ex. yirewke ≈ yrewke « Orient »

Fautes d’orthographe

Il faut observer la plus grande prudence avant de considérer qu’une


graphie méroïtique est fautive. L’absence de normes strictes dans l’ortho-
graphe, l’existence de procédés parfois complexes pour contourner les
imperfections du système syllabique et notre propre méconnaissance de la
langue peuvent nous amener en effet à considérer comme erronées des
formes certes rares, mais tout à fait justifiées, dont l’étude pourrait se révéler
fructueuse. C’est donc à juste titre que Hofmann fait remarquer dans son
étude principale sur la langue de Méroé :
« Wann haben wir bei einer Abweichung von einer üblichen Schreibweise einen
Schreibfehler, eine Variante oder ein anderes Wort vorliegen ? Schließlich muß
mit allem gerechnet werden, und die Zuflucht zu einem Fehler seitens des
meroitischen Schreibers sollte nur als allerletzte Möglichkeit gelten. » (Hofmann,
1981a, p. 27) 1

Cependant, on ne peut totalement exclure la possibilité de véritables


fautes d’orthographe, notamment lorsque des syllabes entières sont omises
dans certains mots et que les textes sont de piètre qualité. C’est avec raison
que Griffith, dans Karanóg, a écarté de son examen des graphies comme
Areyi (REM 0293) pour Asoreyi « ô Osiris » (Griffith, 1911a, p. 33), tedlowi
(REM 0382) pour ted‚elowi « c’est l’enfanté(e) de » (id. p. 37) et terilowi
(REM 0380) pour terikelowi « c’est l’engendré(e) de » 2.

1
Même idée déjà chez Hintze, 1977, p. 22-23. Voir aussi Hofmann, 1990, p. 49.
2
Trigger tenta de donner une justification étymologique à ces deux dernières graphies, qui
sont pourtant des hapax (Trigger, 1968, p. 5), par l’absence ici d’un infixe -‚- / -k-
présent ailleurs. Mais son hypothèse, peu crédible, a été abandonnée.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 311

Il a peut-être en revanche été trop prompt à mettre de côté une forme


comme Woso (REM 0311), qui, nous l’avons vu, possède sa justification. Il
faut dire néanmoins que c’était alors la seule attestation découverte.
Assez souvent, les fautes ne sont que des étourderies ou des négligences,
et sont notamment provoquées par le changement de ligne ou le manque de
place : c’est ainsi que nous avions précédemment expliqué (cf. note 4,
p. 293) les graphies incomplètes Soryi (REM 0315) ou Sorey (REM 0423) 1.
Des fautes de gravure peuvent également entraîner des confusions, voire des
interversions de signes : on trouve w pour s dans l’invocation finale Wowi
(pour Wosi) en REM 1195 2.
Il peut arriver néanmoins que certains textes, trouvés à la frontière nord
du royaume méroïtique, ou écrits à époque très tardive (REM 1202-1220 de
Qustul et Ballana) témoignent d’une mauvaise maîtrise de la langue et de
l’écriture méroïtique, probablement parce que ce n’était pas (ou plus)
l’idiome maternel des scripteurs 3.
Enfin, il faut bien reconnaître que certaines fautes imputées aux Méroïtes
sont en fait des erreurs de lecture ou de copie des différents chercheurs qui se
sont succédé dans ce domaine, erreurs inévitables en raison du piètre état
d’une grande partie des inscriptions, de la rareté et de la mauvaise qualité de
bien des clichés utilisés, et surtout de la difficulté qu’il y a à travailler sur des
textes dont on ne connaît pas le sens. Ainsi, Hofmann a tâché plusieurs fois 4
de montrer que la graphie *Sokeyi pour Soreyi « ô Osiris » en REM 0530
n’était pas forcément une erreur du scribe ou du graveur, mais pouvait
renvoyer au dieu égyptien Sobek, que les Grecs appelaient d’ailleurs
Souchos. Cette thèse ne rencontre qu’un seul obstacle : c’est que l’inscription
de Faras REM 0530 présente clairement la graphie Soreyi. La version
*Sokeyi n’est en effet qu’une faute de frappe dans les sorties informatiques
du REM sur lesquelles s’est fondée l’analyse de Hofmann.

1
Voir aussi Hintze, 1979, p. 69 (-so- oublié en REM 0277) et Hofmann – Tomandl, 1986b,
p. 138 pour un signe -te superflu au début d’une nouvelle ligne en REM 0045/7.
2
Cf. Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 45-46.
3
Voir Hintze, 1979, p. 62 ; Hofmann, 1982c, p. 44-45.
4
Hofmann, 1977c, p. 43 ; Hofmann, 1978c, p. 105 ; Hofmann, 1982b, p. 148.
312 LA LANGUE DE MÉROÉ

Synthèse du système graphique

Arrivé au terme de notre étude du système graphique méroïtique, nous ne


croyons pas inutile d’en récapituler ci-dessous les grandes lignes, afin qu’on
puisse plus aisément en distinguer la profonde unité et l’étonnante originalité.

A. Principes généraux
L’écriture méroïtique est syllabique. Elle utilise quinze signes de base,
translittérés par convention b, d, ‚, ƒ, k, l, m, n, p, q, r, s, t, w, y. Tout
signe de base représente une syllabe de timbre /a/ par défaut. Pour obtenir
une syllabe de timbre différent, on ajoute à la suite du signe de base un
des trois modificateurs vocaliques, transcrits par convention e, i, o. Leurs
réalisations phonétiques, parce qu’elles sont multiples et encore incer-
taines, seront désignées sous le terme de « valeurs vocaliques e, i, o ». Il
existe de plus quatre signes de timbre fixe, non modifiable : ne, se, te, to.

B. Initiale vocalique
Si un mot commence à l’oral par une voyelle, cinq procédés
coexistent selon les valeurs vocaliques ou les époques (époque ancienne :
jusqu’au Ier siècle de notre ère ; époque récente : à partir de la fin du Ier
siècle).
(1) On emploie un signe spécial que l’on transcrit par convention a.
À époque ancienne, il sert pour /a/, /Œ/ et la valeur vocalique o. À
époque plus tardive, son usage peut s’étendre ponctuellement aux
valeurs vocaliques e et i.
(2) On utilise un modificateur vocalique comme signe de base. Ce
procédé, possible uniquement pour les valeurs vocaliques e et i,
n’existe qu’à époque ancienne.
(3) On emploie comme support fictif le signe de base y. Cette
méthode remplace la précédente à époque récente ; on aura donc ye et
yi pour les valeurs vocaliques e et i.
(4) On omet purement et simplement la voyelle initiale dans l’écriture.
Ce procédé est utilisé à époque récente pour certains mots
commençant par /a/ et peut-être d’autres voyelles.
(5) On marque cette voyelle initiale à la fin du mot précédent. Il n’est
actuellement pas possible de préciser les modalités d’emploi de cette
méthode difficilement repérable.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 313

C. Successions de voyelles dans un mot


Si deux voyelles se suivent dans le même mot, la seconde est marquée
par le modificateur vocalique qui lui correspond à la suite d’un support
fictif y [voir B (3)]. Cependant, il semble que dans les termes purement
méroïtiques, la succession de deux voyelles ait abouti à la création d’une
voyelle longue ou d’une diphtongue.

D. Notation des voyelles longues


Seules [iú] et [uú] ont été actuellement repérées. [iú] se marque par ei à
époque ancienne, avec des survivances ultérieures, par eyi à époque
récente. [uú] se marque par wo ou we à l’initiale, par eyo (var. oyo, ewo,
owo) en position intérieure. Cette dernière graphie n’est attestée qu’à
époque récente.

E. Notation des diphtongues


Seules [aMi] et [aMu] ont pu être actuellement repérées. [aMi] se marque de
manière défective par un simple i et [aMu] pareillement par un simple o.

F. Succession de consonnes
Si deux consonnes se suivent dans un mot, la première est notée par le
signe de base qui lui correspond, affecté d’un modificateur vocalique e,
dont l’une des fonctions est justement de marquer l’absence de voyelle. Si
cette première consonne est un /n/, /s/, ou /t/, les signes spéciaux ne, se,
te sont employés seuls. La voyelle /n/ n’est apparemment pas écrite si elle
est suivie d’une occlusive ou des fricatives /‚/ et /ƒ/.

G. Consonnes finales
Si un mot se termine à l’oral par une consonne, on utilise le même
procédé que précédemment : le signe de base lui correspondant suivi du
modificateur e, ou les signes spéciaux ne, se, te.

H. Haplographie
Si une consonne est géminée à l’oral dans un mot, elle s’écrit comme
si elle était simple. La gémination (si du moins elle existait phonétiquement
en méroïtique) n’apparaît donc pas à l’écrit.
314 LA LANGUE DE MÉROÉ

Incompatibilités graphiques et fautes de lecture

Un certain nombre de successions graphiques sont impossibles en


méroïtique, ce qui permet souvent de réduire les confusions possibles sur la
lecture de certaines lettres. Bien évidemment, c’est le système syllabique qui
explique ces impossibilités. Ainsi la succession de deux signes vocaliques
n’est possible qu’entre i et e, qui peuvent à haute époque avoir une valeur
syllabique. Encore reste-t-elle rare et archaïque ou archaïsante : on trouve
ainsi Sorei « ô Osiris », plus souvent écrit Soreyi avec un -y- purement
graphique (voir supra, p. 294) et S‚ie, un anthroponyme signifiant peut-être
« le petit » (REM 0540), au lieu de la graphie beaucoup plus courante S‚iye.
Les séquences *ao, *eo, *io, *oo sont impossibles car o ne peut avoir de
valeur syllabique. Les séquences *ee, *ii le sont aussi en raison, entre autres,
de l’haplographie. Enfin les séquences *ae, *ai, *oi et *oe ne sont nulle part
attestées.
Semblablement, les quatre signes syllabiques à timbre fixe ne, se, te, to,
ne peuvent être suivis d’un signe vocalique. Griffith avait déjà établi ce fait
de façon assurée pour ne, te et to (voir Griffith, 1911a, p. 12-13) 1, mais son
opinion a longtemps été mouvante pour se : il signalait certes que « sa valeur
est probablement s suivi d’une voyelle » (Griffith, 1911a, p. 15), mais lisait
tout de même en REM 0241 un titre arêshe (transcription actuelle *arosee),
en REM 0250 un anthroponyme Taqêshete (*Tqoseete), et un autre
anthroponyme Shelakhiye (*Seelƒiye) en REM 0331 2. Dans la deuxième de
ses « Meroitic Studies » (Griffith, 1916b, p. 117), il affirme désormais que la
succession de s et de e (actuels se + e) est impossible, et rectifie en
conséquence certaines de ses précédentes lectures : en REM 0331 il faut lire
šle (actuel sle) au lieu de šel (actuel *seel) et en REM 0092/17 il faut lire
wek ou ƒek au lieu de šek (actuel *seek). Mais il pense encore que la suite
š + e (actuel s + e) est possible, quoique rare, et en donne des exemples :
pšekes (actuel *ps + ekese) en REM 0283, šete (actuel *s + ete) en REM
1003/7, mki šeštel (actuel *mki s + estel) en REM 1003/11. Enfin, l’année
suivante, il revient sur ces rares cas de succession š + e et les rejette : ce qu’il
lisait šete doit être corrigé en skte, mkišeštel en mki weštel (actuel mki
westel). Il ajoute cette fois que « la combinaison š + e est très rare et
suspecte » (Griffith, 1917b, p. 168 et note 3).

1
On rappelle qu’il transcrivait néanmoins ne par ñ, notamment en raison de la récupération
du signe méroïtique par le vieux-nubien pour la notation de sa nasale palatale [ñ] (le -gn-
du français « agnelle »).
2
Une relecture attentive des textes méroïtiques indique respectivement en REM 0241
aroƒe(lowi), en REM 0250 Tqoƒete, en REM 0331 ®elƒiye.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 315

La théorie de l’écriture syllabique de Hintze viendra plus tard confirmer


et expliquer ces impossibilités graphiques (Hintze, 1973c). De nouvelles
incompatibilités ont été depuis lors mises en évidences : la succession *ko et
*‚o semble pareillement impossible, car devant la voyelle o [u], ce sont les
vélaires labialisées q et ƒ qui sont utilisées : on pourra donc trouver
seulement qo et ƒo (Rilly, 1999a, p. 105-106). Enfin, la succession de deux
consonnes identiques séparées par un e est extrêmement rare à époque
ancienne, et limitée à un ou deux termes à époque tardive (voir supra,
p. 304).
Ces règles permettent de rectifier quelques lectures anciennes : ainsi
Monneret de Villard lisait *ateewetelo en REM 1021/4 (Monneret de
Villard, 1960, p. 120), *loi en REM 1023/5 (ibid. p. 97), *piosoƒ[ en REM
1042/5 (ibid. p. 120). Ces translittérations impossibles doivent être rectifiées
en a•ewetelo, lowi et pisoƒ[ (cf. Heyler, 1971, p. 11, 12, 20).
Dans le tableau suivant sont cataloguées les compatibilités de succession
entre les graphèmes. Théoriquement, deux signes « consonantiques » peuvent
se suivre quels qu’ils soient, puisqu’en vertu du système syllabique
méroïtique, ils sont séparés à l’oral par une voyelle /a/. Aussi nous sommes-
nous limité à la succession d’un graphème et d’un signe vocalique.
Tableau 11 : Compatibilités graphiques
signe signe + e signe + i signe + o signe signe + e signe + i signe + o

a _ _ _ o _ _ _
b + + + p + + +
d + + + q + rare +
e _ _ _ r + + +
‚ + + _ s _ + +
ƒ + rare + se _ _ _
i _ _ _ t _ + _
k + + _ te _ _ _
l + + + to _ _ _
m + + + w + + +
n _ + + y + + +
ne _ _ _
316 LA LANGUE DE MÉROÉ

PALÉOGRAPHIE

Malgré l’apparente simplicité de l’écriture, les textes méroïtiques ne se


laissent pas si facilement déchiffer. Certes, l’inventaire des signes est réduit,
avec vingt-trois caractères cursifs (plus le séparateur) et le même nombre
d’hiéroglyphes. De plus, les signes se suivent sans ces ligatures complexes et
imprévisibles qui font le désespoir des apprentis démotisants. Mais d’autres
difficultés se présentent. Beaucoup de textes sont en mauvais état : la pierre
de Nubie s’avère souvent très friable et les écarts de température extrêmes
que l’on rencontre sous ces latitudes (de 52° à -2° C à Wadi Halfa), les pluies
dans le Sud, le vent qui souffle sans cesse, charriant des tonnes de sable, sont
autant de facteurs d’érosion qui ont endommagé gravement certains textes
destinés à figurer à l’extérieur, comme les tables d’offrandes privées ou les
stèles officielles. Ces dégradations s’ajoutent au peu de soin avec lequel la
plupart des textes ont été gravés. Comme l’avait déjà relevé Griffith, parfois
en des termes sarcastiques, la calligraphie était pour les scripteurs du
méroïtique un souci mineur 1. L’écriture cursive semble avoir répondu à un
usage fonctionnel et bien rares sont les textes où un effort d’esthétique peut
se faire jour. De plus, beaucoup de signes se ressemblent de très près. C’est
notamment le cas de e / l / t, de b / d à époque tardive, de p / k et surtout de
ƒ / m / s que seul le contexte peut démêler la plupart du temps. Certaines
successions de signes sont également ambiguës : à époque tardive, les
séquences ƒo / mo / so ne se distinguent pas de q, et la séquence ke se confond
avec a. Il semble évident que les Méroïtes étaient suffisamment familiarisés
avec leur écriture pour comprendre les mots de façon globale, quasi-
idéographique, d’après leur allure générale. Sauf peut-être pour les
anthroponymes, ils ne lisaient pas signe à signe. Aussi n’avaient-ils pas
besoin de caractères très différenciés et l’on peut même affirmer que
l’écriture, au fil des siècles, est allée vers une convergence croissante de la
forme de bien des signes, comme on pourra le constater dans les pages
suivantes. Malheureusement, comme nous ne connaissons pas la langue,
nous ne pouvons, comme les Méroïtes, nous aider du contexte pour assurer
notre lecture, à l’exception de quelques formules stéréotypées dans les textes
funéraires. Haycock est trop optimiste lorsqu’il affirme en 1974 :

1
On lira avec amusement les tribulations du graveur de la stèle d’Akinidad REM 1003
telles que les reconstitue Griffith (Griffith, 1917b, p. 162). Certaines pièces particuliè-
rement soignées, comme REM 1001 (stèle Touraieff) ou REM 1294 (stèle de la reine
Amanishakheto à Naga) montrent toutefois une véritable recherche calligraphique.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 317

« One of the frequent problems is establishing correct readings - for example m


and ƒ can be identical in shape – a Meroite would have known instinctively which
to read, but the modern scholar is less sure. Philologists are, however, now
reaching the important threshold where the understanding of the context and of
the structure of Meroitic sentences, will help in selecting the right possibility (...)
Griffith recognised that one day scholars would come to this stage of “inspired
cheating” ». (Haycock, 1978, p. 67)

Nous n’en sommes malheureusement pas encore là, mais on peut espérer
qu’avec l’aide de l’informatique, les méroïtisants disposeront bientôt de
bases de données textuelles et lexicographiques suffisantes et immédiatement
disponibles pour guider leurs choix au moment de la translittération 1.

1
Cf. Préface du Répertoire d’épigraphie méroïtique (Leclant et al., 2000, p. XIV) pour la
mise en place d’un tel projet.
318 LA LANGUE DE MÉROÉ

Descriptif paléographique des signes cursifs

En paléographie classique 1, on caractérise une écriture selon cinq


critères : la forme des lettres, le ductus (le nombre de traits qui forment un
signe et l’ordre dans lequel ils sont tracés), le module (taille relative des
lettres), l’angle d’écriture par rapport à la ligne et enfin le poids (les « pleins
et déliés »). Parmi ces caractéristiques, seule la dernière ne sera pas prise en
compte ici. En effet, elle concerne uniquement l’écriture tracée à l’encre, qui
ne se trouve que sur quelques ostraca, fragments de papyrus et deux cuirs
inscrits (cf. p. 84 et note 2). Or ces documents sont numériquement très
réduits, peu étendus pour la plupart, et surtout ne sont connus, à quelques
exceptions près, que pour une période tardive limitée au IIIe siècle de notre
ère, si bien qu’on ne peut utiliser le « poids » de l’écriture comme critère de
datation tant qu’on ne possède pas un corpus plus étoffé et surtout
chronologiquement plus diversifié. En outre, l’examen des quelques textes
concernés montre que la largeur du trait n’était pas utilisée pour différencier
des signes proches. Elle correspond plutôt à une action mécanique du roseau,
qui empâtait davantage le tracé lorsque qu’il changeait de direction dans les
angles et les courbes. C’est ainsi que les m, les s, les ƒ, les p, les k, les w sont
les signes les plus épais, en raison de leurs formes coudées ou anguleuses 2.
Dans certains cas, on peut aussi noter une volonté esthétique individuelle, qui
amène le scribe à accentuer les différences dans la grosseur du trait.
Néanmoins, on peut affirmer que le « poids » de l’écriture n’est pas un
élément de reconnaissance des signes entre eux.
Dans l’examen qui suit, les autres critères sont évidemment pris en
compte. Pour chaque signe, il a fallu choisir une forme et un ductus
canoniques qui servent de base à la description. Nous avons privilégié le
stade décrit dans nos tables paléographiques 3 comme « transitionnel C »,
correspondant à ce que Griffith et ses successeurs ont nommé « late
transitional ». Outre sa position centrale dans l’histoire de l’écriture
méroïtique, ce type rassemble une grande partie des textes publiés jusqu’ici,
et notamment des épitaphes retrouvées sur l’ensemble du territoire
méroïtique. Le choix d’un stade plus ancien aurait déséquilibré la répartition
des textes vers le sud du royaume, tandis qu’un stade plus tardif n’aurait
concerné pratiquement que des documents septentrionaux 4. Chaque lettre est

1
Voir notamment Jean Mallon, Paléographie romaine, 1952, Madrid.
2
Pour un exemple très clair du « poids » de ces signes, on se référera au fragment de
papyrus de Qasr Ibrim REM 1232 (voir Leclant et al., 2000, p. 1852).
3
Voir Tableau 14, p. 348.
4
Pour ces problèmes de déséquilibre géographique du corpus, voir p. 38.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 319

tracée avec une série de chiffres indiquant l’ordre de succession des traits,
autrement dit son ductus. La grille utilisée permet d’apprécier le « module »
du caractère, son angle, ainsi que sa situation relative dans l’espace : la travée
horizontale au centre de la figure correspond à la ligne de base, là où se
situent notamment les angles principaux des signes et la barre horizontale des
i, c’est-à-dire les éléments qui ordonnent la position fondamentale des
caractères entre eux.

SIGNE a

Les textes les plus anciens (cf. Tableau 12, p. 346) offrent pour ce signe
plusieurs formes alternatives dont les deux principales, et montrent
une graphie plus verticale et occupant un espace moindre. C’est vers la fin du
IIe siècle av. J.-C. que se met en place la forme et le « module » représentés
ci-dessus. Dans les textes royaux autour du début de l’ère chrétienne (cf.
Tableau 13, p. 347), le signe présente souvent une parfaite symétrie des deux
segments. À partir du milieu du IIe siècle apr. J.-C., la queue du premier
segment (à gauche) a tendance à s’allonger, atteignant à époque tardive des
dimensions imposantes qui la font parfois courir sous les deux ou trois signes
précédents. Le signe peut alors être confondu avec la séquence ke, car le
tracé du k présente parfois à ce stade de l’écriture une courbe simple qui le
fait ressembler au segment initial du a. À toutes les époques, il peut arriver
qu’en raison de la dureté du support, les courbes du a soient remplacées par
des formes plus anguleuses, triangles ou carrés ouverts (par ex. en REM
1115 ou 0246).
320 LA LANGUE DE MÉROÉ

SIGNE b

À toutes les périodes, on trouve une forme légèrement différente,


présentant un embranchement à mi-hauteur et plus rarement . Ce
caractère peut alors être confondu à époque tardive avec certaines graphies
de d (voir REM 0327 sur le Tableau 14 ou REM 0094 sur le Tableau 15,
p. 349). Le signe, relativement droit jusqu’au milieu de la période
transitionnelle (fin Ier siècle apr. J.-C.) tend ensuite à s’incliner vers la droite,
une inclinaison qui devient systématique à époque tardive.

SIGNE d

La graphie présentée ci-dessus apparaît au IIe siècle de notre ère et résulte


d’une modification de l’ancienne forme , qui continue d’ailleurs à être
employée, mais de manière ponctuelle, jusqu’à l’époque tardive. La boucle a
laissé place à un crochet, parfois d’ailleurs singulièrement réduit, ce qui,
nous l’avons vu précédemment, peut entraîner des confusions avec le signe b.
Le crochet est évidemment plus facile à graver dans la pierre qu’une boucle,
aussi pourrait-on penser à une innovation des lapicides, mais on doit
constater que l’écriture tracée à l’encre généralise également son usage à
même époque.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 321

SIGNE e

Bien que la forme générale de ce signe n’ait pas connu de modification


importante depuis l’époque archaïque, les détails de son tracé sont parti-
culièrement instables, y compris à l’intérieur d’un même texte. Ainsi la stèle
de Qasr Ibrim REM 1141, qui contient pourtant un texte officiel au nom de la
reine Amanishakheto, présente-t-elle une dizaine de variantes de cette lettre :
, , , , , , , , , , et on pourrait trouver des variations aussi
nombreuses dans n’importe quel texte un peu développé. Il est notamment
fréquent que le crochet supérieur se simplifie en un trait oblique, auquel cas
la confusion est possible avec la forme tardive du l (voir REM 1065, 1183,
0094 sur le Tableau 15). L’orientation primitive du signe semble avoir été
parfois indécise, et l’on trouve un texte archaïque, REM 0405A (voire deux
s’il se confirme que le signe qui apparaît dans l’inscription Doukki Gel 1 est
bien un e), où le crochet supérieur est ouvert sur la gauche (voir Tableau 12).
On trouve également des variations dans l’angle d’écriture : bien que
quelques textes anciens, particulièrement à Kawa et à Méroé, présentent déjà
une certaine inclinaison du signe, la hampe du signe est souvent verticale
jusqu’à la fin du Ier siècle av. J.-C. Par la suite, elle est régulièrement inclinée
vers la gauche.

SIGNE ‚

Ce signe a connu au cours des siècles une série de modifications qui ont
peu affecté son ductus, formé originellement de trois traits, puis de deux par
arrondissement de l’angle inférieur gauche, mais qui ont concerné surtout son
angle d’ouverture et son orientation par rapport à la ligne d’écriture. À époque
archaïque, l’angle d’ouverture est moyen et l’orientation du signe est
horizontale (voir Tableau 12). À partir de la fin du Ier siècle av. J.-C. (début de
la période transitionnelle), l’angle s’ouvre et son orientation s’élève (voir
Tableau 13). Le signe peut alors être confondu avec un b (voir par ex. REM
0440 sur le Tableau 13). Dans certains textes royaux aux noms des Candaces
322 LA LANGUE DE MÉROÉ

Amanirenas et Amanishakheto (REM 1003, 1141, 1293), il s’ouvre encore


jusqu’à acquérir la forme d’un L latin. Puis à partir de la fin du IIe siècle de
notre ère (dernier stade de la période transitionnelle), l’angle se referme
progressivement et le signe reprend une orientation horizontale (voir Tableaux
14 et 15). Cette évolution régulière > > , est un des éléments les
plus sûrs de datation paléographique.

SIGNE ƒ

Ce caractère est un de ceux qui offrent le plus de difficultés. Dans la


plupart des textes en effet, il ne se distingue pratiquement pas du m, et à
époque tardive peut aussi être pris pour un s. Suivi de la barre oblique d’un
o, il peut également être confondu avec un q tardif. Griffith lui-même faillit
ne pas reconnaître son existence :
« The distinction between H and m m would probably have escaped to me in
making the list for Areika if the two signs has not been juxtaposed in the common
word eHm [mƒe], so that the difference was emphasized. » (Griffith, 1911a,
p. 15 1)

Dans certains textes archaïques (voir REM 0405A et B, 0832, 0833, 1044
sur le Tableau 12) et transitionnels anciens (voir REM 0628, 1141, 1294,
1293, 1041 sur le Tableau 13), le ƒ comporte un décalage entre ses deux
courbes successives, parfois souligné par un petit trait vertical, qui permet la
distinction avec le m : on ainsi ou . Mais ce détail est loin d’être
généralisé à tous les documents, et il disparaît complètement à partir du Ier
siècle de notre ère. Il peut donc être utile d’établir une liste de critères qui
permettent de différencier le ƒ, le m et le s.

1
On trouvera des remarques similaires chez Griffith, 1911a, p. 4, 54 ; Griffith, 1922,
p. 566 ; Macadam, 1949, p. 95 ; Trigger, 1962, p. 3 ; Trigger, 1967a, p. 73 ; Trigger–
Heyler, 1970, p. 9 ; Haycock, 1978, p. 67 ; Hofmann, 1981a, p. 40-41 ; Hofmann et
al., 1989a, p. 144 ; Hofmann, 1991, p. 209 ; Millet, 1998, p. 57-58. Voir également
supra, p. 198 pour une ambiguïté sur la formule yereƒlo commune dans les graffitis de
Kawa.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 323

courbe supérieure :
— très petite et souvent arrondie pour m ;
— petite et souvent aplatie en triangle pour ƒ ;
— beaucoup plus ample pour s ;

angle entre les deux courbes :


— très effacé, parfois absent pour m, qui n’a alors qu’une seule courbe ;
— plus marqué, mais non saillant pour ƒ ;
— très marqué et souvent saillant pour s ;

courbe inférieure :
— légèrement incurvée pour m ;
— souvent réduite à une droite oblique pour ƒ ;
— fortement recourbée pour s ;

axe du signe :
— penché nettement sur la droite pour m ;
— légèrement penché sur la droite pour ƒ ;
— vertical pour s.

Il convient toutefois de signaler que ces différences sont essentiellement


relatives : si elles permettent une lecture relativement sûre (mais non infail-
lible) au sein d’un même texte, elles n’ont pas de valeur absolue. Ainsi, une
rapide comparaison des graphies sur le Tableau 15 (période tardive) permet
de constater que le ƒ relevé en REM 0277 est semblable au second m de
REM 1096, et que le premier ƒ de REM 1183 ressemble fortement au
premier s de REM 1236. Pour espérer distinguer avec quelque assurance ces
trois signes dans un texte donné d’époque tardive, il est donc nécessaire
avant tout d’en établir un relevé comparatif qu’on éclairera au moyen de
quelques identifications évidentes (comme l’adjectif mƒe « abondant », dans
les épitaphes).

SIGNE i

Comme les deux autres caractères vocaliques e et o, le signe i a gardé une


forme stable depuis ses premières attestations à la période archaïque. Seuls
son « module », son inclinaison, et sa propension à la ligature ont connu une
324 LA LANGUE DE MÉROÉ

certaine évolution. Dans les textes les plus anciens, il est souvent de taille
réduite, mais à partir de la fin de la période archaïque, son module rejoint
celui des signes de base (les « consonnes »). Pareillement, les deux hampes
du signe sont le plus fréquemment verticales à époque archaïque : (voir
Tableau 12). Dès le début de la période transitionnelle, elles ont tendance à
s’incliner parallèlement sur la droite : , bien que les i droits soient encore
attestés en nombre conséquent (voir Tableau 13). Durant le IIe siècle se
répand une graphie où la hampe centrale s’allonge et reçoit une courbure
spécifique : . Cette graphie est presque systématique dans l’écriture peinte
des ostraca et papyri du IIIe siècle apr. J.-C., et largement présente dans les
textes gravés contemporains. Enfin, il faut noter que ce signe est le seul à se
lier au précédent, mais cette ligature n’apparaît qu’au début de la période
transitionnelle, peu avant l’ère chrétienne. Auparavant, le caractère s’écrivait
indépendamment dans tous les cas. Le terme de « ligature » est d’ailleurs
exagéré, puisqu’il ne s’agit que d’un contact du trait horizontal du i,
éventuellement prolongé, avec le signe consonantique qui le précède sur la
gauche et dont il dépend. Le i syllabique (par ex. dans ireqw « vers le sud »
cf. p. 292 ou dans Asorei « ô Osiris », cf. p. 292-293) ne se lie évidemment
pas au signe de gauche, puisqu’il n’appartient pas à la même syllabe
graphique.

SIGNE k

Doué d’une grande stabilité dans son ductus depuis ses plus anciennes
attestations, le signe k a surtout évolué dans les proportions de ses traits. Au
départ, il présente une superposition de lignes brisées posée sur un pied
horizontal de même largeur . Mais à partir du début de l’ère chrétienne
(voir Tableau 13), le pied se mue en queue de plus en plus allongée, tandis
que le corps de la lettre tend à s’amincir et son relief à s’estomper. Il peut
arriver à époque tardive que ce corps se simplifie en une courbe simple :
dans ce cas, on ne peut plus distinguer la séquence ke du signe a .
Une autre confusion est possible si, comme il arrive souvent, la partie
supérieure du signe est endommagée ou mal tracée, car on ne peut alors le
distinguer d’un p. On remarquera que les angles peuvent à toute époque être
arrondis en courbes, et certains textes présentent même une alternance de k
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 325

anguleux ou arrondis (voir REM 0246 sur le Tableau 14). Une variante
intéressante, parce que chronologiquement limitée, se constate sur certains
textes de paléographie transitionnelle B (seconde moitié du Ier siècle de notre
ère) : le trait supérieur se recourbe pour former un « chapeau » caractéristique.
On observera ce détail sur les textes REM 0628, 0077/78, 1038, 0521
(Tableau 13).

SIGNE l

Ici encore, le signe montre un ductus relativement stable : le tracé de base


en deux mouvements, un court trait vertical sur la droite, suivi d’une boucle
arrondie, se maintient jusqu’à la fin, bien qu’à la période tardive, une ligne
brisée à angle droit remplace le plus souvent la boucle originelle. C’est plutôt
la largeur du signe qui permet de différencier les époques : jusqu’à la période
transitionnelle A (début du Ier siècle de notre ère), le signe est large et la
boucle ample : . Puis il se rétrécit progressivement : , et dès la fin du Ier
siècle, il finit par ressembler fortement, tant par son module que par sa forme,
à un e avec lequel il peut parfois être confondu (cf. p. 320).

SIGNE m

Ce caractère est un des plus stables du syllabaire méroïtique : on peut


simplement relever une atténuation légère de sa découpe à partir de la
période transionnelle C (vers le début du IIe siècle de notre ère). À époque
tardive, il peut arriver qu’il se simplifie en (voir REM 0101, 0120, 0094
sur le Tableau 15), mais cette forme n’est pas fréquente, et n’est attestée que
dans la Dodécaschène, à la frontière égyptienne : on ne peut donc exclure
une influence du démotique, où la lettre m avait depuis longtemps adopté ce
326 LA LANGUE DE MÉROÉ

ductus simplifié. Comme pour k, on observera une variante dans les textes
officiels du Ier siècle apr. J.-C., où le trait supérieur se mue en une sorte de
« chapeau » (voir p. 324). Les confusions possibles avec ƒ et s ont été
précédemment traitées (cf. p. 321-322).

SIGNE n

Ce caractère présente la même évolution que le signe k, auquel il


ressemble fortement. La forme ancienne est assez trapue, fortement
découpée, et présente un « pied » court, grossièrement horizontal . Dans
un premier temps (transitionnel B, milieu du Ier siècle de notre ère, voir
Tableau 13), le « pied » s’étire en un trait oblique, puis en une longue queue
au siècle suivant, tandis que le corps du signe s’amenuise et que son relief
s’estompe légèrement : (transitionnel C, voir Tableau 14). À la période
tardive, il n’est pas rare que le signe ait perdu son tracé anguleux et se réalise
(voir REM 0259, 0379, 1088, 0101, 0094 sur le Tableau 15).
Le signe est habituellement très reconnaissable, mais si la barre verticale
à gauche est abîmée, il peut être confondu avec un k. Si la partie supérieure
est mal jointe ou endommagée, une confusion avec la séquence po est
également possible. En revanche, la séquence *ko n’existe pas en théorie 1.
Les quelques rares attestations qu’on en trouve dans certaines
translittérations ne résistent guère à un examen attentif du document et
s’avèrent être généralement des signes n mal tracés ou mal conservés.

SIGNE ne

Ce signe présente une grande stabilité de forme, de module et de ductus.


Ce n’est que dans les textes les plus tardifs (voir Tableau 15) que la boucle

1
Voir Rilly, 1999a, p. 106-107 et ici p. 378-379.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 327

supérieure laisse place à un crochet, à l’image de ce qui s’était produit plus


d’un siècle auparavant pour la boucle du d (voir p. 319). En revanche les
variations dans la forme et la taille de cette boucle ne semblent pas relever de
différences paléographiquement pertinentes : la forme assez large en triangle
est la plus fréquente, mais un cercle ou un losange peuvent apparaître à toutes
les époques.

SIGNE o

L’extrême simplicité de ce signe l’a évidemment mis à l’abri des


mutations qui ont touchés des signes de ductus complexes. Il semble avoir
acquis assez tôt son inclinaison habituelle sur la droite (voir Tableau 12). Sa
taille peut bien sûr varier de texte en texte et parfois au sein du même
document (voir REM 1249 sur le Tableau 14). On observera que lorsqu’il
suit un ƒ, il est fréquent qu’il soit de taille réduite et plaqué contre ce signe
précédent, un peu à la manière du trait oblique qui apparaît dans le q , ce
qui constitue un argument supplémentaire pour voir en ƒ une fricative
labialisée [xw] correspondant à l’occlusive q [kw] (voir p. 377-379).

SIGNE p

Le destin de ce signe est parfaitement parallèle à celui du k ou du n,


auquel l’apparente de près son tracé. Les occurrences anciennes le montrent
posé sur un « pied » horizontal de taille réduite . À partir de la fin de la
période transitionnelle A (milieu du Ier siècle de notre ère), le « pied » devient
oblique et s’allonge : . Au cours du IIe siècle, il forme une queue qui peut,
comme celles du a, du k et du n, se prolonger à droite sous les deux ou trois
signes précédents : . On observera cependant qu’à la différence du k ou
du n, il garde plus souvent son relief anguleux originel. Les possibilités de
confusion avec ces deux lettres ont été précédemment traitées (cf. p. 323 et
325)
328 LA LANGUE DE MÉROÉ

SIGNE q

Comme le ‚, ce signe a connu une évolution régulière qui donne souvent


de précieux indices pour dater les textes où il apparaît. Dans les documents
les plus anciens (IIe siècle avant J.-C.), le premier segment comprend un
triangle énorme, et le trait suivant est collé contre lui : . À la fin de la
période archaïque (vers 100 av. J.-C.), le trait se détache et l’on trouve alors
une forme qui se maintient ainsi jusqu’au milieu du Ier siècle de notre ère
(période transitionnelle B). Le triangle a alors tendance à s’affiner et à partir
du IIe siècle (période transitionnelle C) il se transforme souvent en un simple
trait . À époque tardive, ce trait central devient largement majoritaire, bien
que le triangle continue d’apparaître de manière sporadique, notamment dans
les textes de Sedeinga. À la même période est souvent attestée une variante
. Cette dernière peut alors être confondue aisément avec les séquences mo,
ƒo, voire so.
Dans quelques exemples très rares, le trait vertical constituant le second
segment du q est omis : on trouve ainsi qi dans le titre tqi en REM
0294/6, et qe dans Pelqe « Philae » en REM 0117/2, ainsi que dans une
séquence fragmentaire en REM 0697/1. Il est assez probable qu’il s’agisse ici
de véritables fautes du scribe ou du lapicide. Quelque peu différent est le cas
où la séquence qo, au lieu d’être notée oq, ne comporte qu’un seul trait et se
confond avec le q q simple. On peut ici parler d’haplographie (sans doute
involontaire) et le phénomène est d’ailleurs plus fréquent : on trouve ainsi en
REM 0111/2, 0116/1, 0274/3 et peut-être 0436/2 une séquence *qwi qu’il
faut lire qowi « c’est », en REM 0117/1 une séquence *stq qu’il faut lire stqo
« c’est l’empreinte / le pied (?) », et en REM 1003/16 une séquence *qleb
qu’il faut lire qoleb « ils », « eux » 1. Ces occurrences sont repérables parce
qu’il existe de nombreux exemples de graphies des mêmes mots où le o
apparaît clairement séparé du trait final du q. Mais on peut supposer que
plusieurs autres termes plus rares, où le q semble directement suivi d’une
consonne, sont aussi concernés par cette haplographie machinale.

1
On trouve d’ailleurs qoleb à la ligne suivante, dans la même formule (qoleb : witese :
yesebe). Pour ces exemples d’omission d’un trait après q, voir Griffith, 1911a, p. 15 et
note 3 ; Griffith, 1912, p. 43 ; Macadam, 1949, p. 116 ; Hofmann, 1981a, p. 286 ;
Hofmann in Török, 1997a, p. 144.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 329

SIGNE r

Ce signe présente très peu de différences au fil des siècles : deux formes
alternatives, l’une, anguleuse, en forme de W, l’autre, arrondie, en forme de
ω, se relayent parfois à l’intérieur du même texte (voir par ex. REM 0294 sur
le Tableau 14). Tout au plus peut-on constater qu’à partir de la période
transitionnelle B (Ier siècle de notre ère), le signe montre assez souvent une
légère dissymétrie de la boucle gauche, reliée à la suivante non plus par le
haut : , mais sur le côté : .

SIGNE s

Comme le signe précédent, ce caractère peut présenter indifféremment un


contour anguleux : ou arrondi : . Dans les textes anciens, sa forme est
généralement ramassée, et les deux boucles qui le composent sont d’égale
ampleur. À partir de la période transitionnelle B, au cours du Ier siècle de
notre ère, la boucle inférieure a tendance à s’allonger, et le signe peut alors
être confondu avec un m ou un ƒ (voir p. 322). On signalera une graphie
archaïque, étrange et pour l’heure uniquement attestée dans les noms d’Isis et
d’Osiris en REM 0833 (table d’offrandes de Tedeqene), où le signe, à l’instar
du q, est suivi d’un trait auquel il est relié : . Sur la stèle correspondante
REM 0832, rien de tel n’apparaît et le s présente sa forme habituelle.
330 LA LANGUE DE MÉROÉ

SIGNE se

La forme de ce signe est pratiquement inchangée depuis les origines


jusqu’à l’époque tardive. On peut toutefois noter qu’à partir de la fin de la
période transitionnelle A (début de l’ère chrétienne), le segment de gauche
présente souvent, mais pas systématiquement, une forme plus aplatie .

SIGNE t

Bien qu’il n’ait pas subi de modification dans son ductus, ce signe a vu
cependant sa forme légèrement modifiée au cours des siècles. Il présente une
forme relativement ample depuis l’époque archaïque jusqu’à la période
transitionnelle B (fin du Ier siècle de notre ère). Par la suite, il se rétrécit, les
deux montants verticaux deviennent parallèles et tous deux inclinés sur la
droite : . Pour peu que le point caractéristique soit omis, il peut à époque
tardive être aisément confondu avec un l. L’absence de ce point est en effet
assez fréquente, mais particulièrement à la période archaïque 1, ce qui
confirme le caractère diacritique que nous lui avons attribué (cf. p. 256) et
qui ne s’est imposé que progressivement.

1
Voir Tableau 12 : REM 0632, 0617, 0694, 0635, 0707, 0636, 0637, 0434, 0833 ; Tableau
13 : REM 1003, 0816 ; Tableau 15 : REM 0101, 1208.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 331

SIGNE te

Ce signe présente le ductus le plus complexe de tout le syllabaire


méroïtique, et son évolution a connu bien des vicissitudes. Les attestations
les plus anciennes montrent le trait qui composera plus tard le second
segment du signe réduit à une sorte de bec collé au premier
segment : (voir Tableau 12). Durant le IIe siècle av. J.-C., ce second
segment prend la forme d’un trait vertical, toujours tangent au triangle du
premier segment : . À partir du Ier siècle avant notre ère (Transitionnel A,
voir Tableau 13), ce trait se détache totalement, ayant accompli un parcours
tout à fait parallèle au trait qui apparaît dans le signe q (cf. p. 327). Jusqu’à la
fin du Ier siècle de notre ère, les variantes se multiplient de manière
foisonnante, suivant que le triangle du premier segment se conserve :
(REM 0412B/C, 0092, 1141, 0126, 1038, 0521, 1092), se tranforme en un
coude : (REM 1141), ou en deux traits parallèles : (REM 1141, 1294,
1001), perd son côté droit : (REM 1003, 0628, 1141, 1294, 1041, 1001,
0115, 0543, 0440, 0816) ou à l’inverse son côté gauche : (REM 0092,
0628, 1041, 0126, 0077/78, 1001, 0816). Comme on le voit dans ce relevé,
certains textes présentent simultanément plusieurs variantes, jusqu’à quatre
en REM 1141. À la période suivante, au cours du IIe siècle de notre ère (voir
Tableau 14), les deux dernières variantes et s’imposent
progressivement, et la forme avec triangle disparaît assez vite. Un tracé
simplifié , jusqu’alors relativement rare, se répand à partir de la fin du IIe
siècle et devient majoritaire à la période tardive (IIIe/IVe siècle). La forme du
te, bien qu’elle n’ait pas connu une évolution simple et continue, à la
différence du ‚ ou du q, est donc un indice de datation intéressant.
On doit également signaler deux occurrences de ce signe où le trait du
second segment a été omis 1. Le phénomène est trop rare pour que l’on ait pas
affaire à une faute de graphie. C’est clairement le cas en REM 0258/2, le
texte présentant par ailleurs des tracés maladroits et irréguliers. L’autre
occurrence, en 0307/2, est probablement due à une négligence du scripteur.

1
Voir Griffith, 1911a, p. 16 et 71.
332 LA LANGUE DE MÉROÉ

SIGNE to

Comme le caractère précédent, le signe to a fortement évolué au fil du


temps. Dans ses premières attestations, il présente une forme en colimaçon
(voir Tableau 12), orientée à gauche : ou à droite : , et cette incertitude
sur son orientation va d’ailleurs se prolonger jusqu’au Ier siècle de notre ère.
Un trait vertical lui est apparemment souscrit. De la seconde moitié du IIe
siècle av. J.-C. jusqu’aux premiers temps de l’ère chrétienne (voir Tableau
13), le signe possède une forme en croissant de lune, avec un bord plus
relevé, généralement celui de gauche : . Le trait vertical situé sous le
corps du signe se mue en un simple point à partir de la fin du IIe siècle, mais
il peut arriver qu’il soit omis (REM 0092, 1003). Lors de la période
transitionnelle B (vers le début du Ier siècle apr. J.-C.), le bord gauche du
croissant perd son arrondi et forme un angle droit, tandis que le bord droit
tend parfois à se recourber jusqu’à former une boucle : . Cette forme
devient dominante durant le IIe siècle, et le point souscrit est très souvent
absent (voir Tableau 14). À la période tardive (IIIe siècle et après), le signe
prend généralement une forme anguleuse , peut-être sous l’influence du t
ou du d démotique (voir p. 257, 261). Il n’est cependant pas rare que le to
« enroulé » continue à apparaître sporadiquement et il ne peut donc être
considéré comme la preuve absolue d’une datation transitionnelle 1.

SIGNE w

À la période archaïque, le signe se présente le plus souvent comme un


triangle fermé, surmonté d’un crochet fixé au milieu de l’arête supérieure
(forme « en porte-manteau ») : (voir Tableau 12). Bien qu’on continue à
trouver ce dessin à époque transitionnelle A, le signe a évolué dès la fin du
IIe siècle av. J.-C. en un tracé plus continu avec une variante (voir

1
Cf. Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 45.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 333

Tableau 13). Au cours des siècles suivants, la forme varie peu, mais elle est
souvent plus arrondie . À côté du ductus dominant montré sur le schéma
ci-dessus, où la boucle est tracée en partant de la gauche, il existe un ductus
alternatif où elle est dessinée à partir de la droite, puis complétée par un trait
vertical à gauche (voir par ex. REM 0628 sur le Tableau 13). Pour peu que la
boucle soit alors mal fermée, la confusion est possible avec la lettre s s 1.

SIGNE y

En raison de la simplicité de son ductus, ce signe n’a pas connu de


modification importante. Les formes totalement verticales sont généralement
archaïques ou anciennes (jusqu’au début de l’ère chrétienne). Mais
l’inclinaison vers la gauche est tôt attestée et devient majoritaire dès la fin de
l’époque archaïque. Les trois traits sont alors approximativement de même
dimension et ce n’est qu’à partir du Transitionnel C (IIe siècle apr. J.-C.) que
le troisième trait (à gauche) s’allonge vers le bas, tandis que le trait médian a
tendance à s’amenuiser dans certains textes. Cependant, même à la période
tardive, la forme ancienne où les trois traits sont de même taille n’est pas si
rare. Il peut arriver que le signe soit réduit à deux traits, mais le nombre très
limité de cas indique plutôt une négligence qu’une réelle variante : on trouve
ce genre de signe 2 en REM 0303, 0330, 1022 dans le terme (A)soreyi « ô
Osiris » et en REM 1049 dans l’épithète obscure wetneyineqeli. Ces quatre
occurrences montrent le signe devant i i, mais il faut observer que si la
même chose se produisait devant o o, nous ne pourrions distinguer la
séquence yo o + y ainsi notée d’un y ordinaire y. Il n’est pas impossible
que certaines alternances y / yo soient dues à ce phénomène 3.

1
À l’inverse, le s peut par mégarde être fermé par le graveur et il sera alors lu w : on a
ainsi Wowi pour Wosi à la fin de REM 1195 (voir Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 45-46)
et le préfixe verbal pwi- pour psi- en REM 0222, 0268, piwi- pour pisi- en REM 0325.
2
Voir Griffith, 1911a, p. 13, 33 ; Monneret de Villard, 1960, p. 96, 111 ; Trigger, 1962,
p. 6.
3
Peut-on expliquer ainsi l’alternance des graphies yotise / ytise « jusqu’à » (voir p. 538) ?
334 LA LANGUE DE MÉROÉ

SÉPARATEUR

Il convient ici de rectifier une opinion communément répandue, selon


laquelle le séparateur se présentait sous la forme de trois points dans les
textes cursifs archaïques et que c’est seulement à partir de la période
transitionnelle, et plus exactement du règne de la Candace Amanishakheto
(autour du début de l’ère chrétienne), que le séparateur à deux points s’est
répandu 1. En fait, ce dernier est déjà fréquent dès la période archaïque,
comme le montre un rapide coup d’ìil sur le Tableau 12. Il est même
l’unique séparateur que connaissent les textes les plus anciens de Kawa. Les
séparateurs à trois points et deux points sont en fait utilisés en concurrence
jusqu’au début de notre ère et parfois alternent au sein des mêmes textes
(voir REM 0428, 0434 sur le Tableau 12, REM 1141 sur le Tableau 13). Par
la suite, seul le séparateur à deux points est attesté. La présence dans un texte
cursif d’un séparateur à deux points ne prouve donc rien. C’est l’usage d’un
séparateur à trois points, dans un texte écrit en cursive, qui seul peut
constituer un critère de datation : il montre que l’on a affaire à un document
antérieur au début de notre ère.

1
Hofmann in Török, 1997a, p. 127 ; voir également Monneret de Villard in Hintze, 1960a,
p. 133, 142.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 335

Formes et évolution des signes hiéroglyphiques

On ne peut pas actuellement envisager de véritable « paléographie » pour


les signes hiéroglyphiques. D’une part, les hiéroglyphes, contrairement à la
cursive, ont un référent dans la réalité qui tend à freiner les velléités
d’innovation : la part de liberté est bien plus restreinte lorsqu’il s’agit de
représenter un lion ou une silhouette humaine que lorsque l’on inscrit des
signes géométriques, car le tracé ne peut évoluer qu’en gardant son iconicité.
À cela s’ajoute le fait que les hiéroglyphes ne sont pas chez les Méroïtes une
simple écriture destinée à la communication, moins encore qu’en Égypte. Il
s’agit d’une écriture sacrée, réservée au culte et à la royauté, qui possède une
valeur magique redoutable et fait sans doute l’objet de tabous 1. Son caractère
fortement conservateur est donc lié non seulement à son obligation de
réalisme, mais aussi au désir de préserver ses pouvoirs surnaturels. Elle n’a
pu changer, comme nous le verrons, que sur des détails presque insignifiants.
D’autre part, nous ne possédons qu’une maigre poignée de textes hiéro-
glyphiques : si l’on excepte les trois seuls ensembles d’ampleur que
constituent les textes cultuels, d’ailleurs contemporains, du temple du Lion et
du temple d’Amon à Naga, ainsi que du temple d’Amara, il ne reste qu’une
quarantaine de documents très courts, parfois réduits à quelques signes. Il est
donc difficile, à partir d’un échantillon aussi faible, de reconstituer une
évolution de manière fiable. Aussi faut-il considérer nos Tableaux 16 et 17
(p. 350-351), non comme de vraies tables paléographiques, mais comme un
simple catalogue des signes hiéroglyphiques. Son utilité principale est de
compléter la seule liste existante, publiée par Griffith dans Karanóg (Griffith,
1911a, p. 18), en y adjoignant les documents découverts depuis lors. Il n’est
évidemment pas inintéressant de constater quelques tendances liées à
certaines époques, mais ce n’est qu’avec beaucoup de prudence qu’on les
utilisera comme critères de datation.
Les signes a, k, l, o, s, t, te, w, y ne semblent pas présenter de
différences significatives au fil des siècles. Le signe p est très changeant,
mais il est difficile de trouver une cohérence dans ses variations. Quant à ƒ, il
est trop peu attesté pour que l’on puisse examiner son évolution. C’est donc
aux onze signes restants que nous allons nous intéresser. On se référera aux
Tableaux 16 et 17, p. 350-351.

1
Cf. supra, note 1, p. 192.
336 LA LANGUE DE MÉROÉ

SIGNE b. L’hiéroglyphe du pied, emprunté au répertoire « alphabétique »


égyptien, n’est attesté qu’en REM 0401, une liste de peuples envoûtés
retrouvée sur la façade orientale du temple d’Amon à Méroé, et présentant des
graphies apparemment fort anciennes (début du IIe siècle av. J.-C. ? cf. p. 214).
Bien que le texte soit en fort mauvais état de conservation, ce signe est très
clair. Il est difficile de savoir quand il a laissé place à l’hiéroglyphe syllabique
du bélier, car il faut attendre le début de l’ère chrétienne pour retrouver une
nouvelle attestation du b en hiéroglyphique (voir REM 0046 et suivants). Le
signe du bélier ne présente pas par la suite de variations significatives.

SIGNE d. Les formes du IIe siècle avant J.-C. présentent parfois l’ìil
simple (REM 0401, 1044) sans les prolongements spécifiques à l’ìil oudjat,
bien que celui-ci apparaisse de manière sûre dans l’inscription de la reine
Shanakdakheto (REM 0039), et peut-être déjà en REM 0401 (cartouche 8),
mais les traces interprétées en ce sens par Griffith sont douteuses 1. Au siècle
suivant, l’oudjat se généralise et semble désormais la seule graphie employée
jusqu’aux dernières inscriptions 2.

SIGNE e. Les scribes hésitent quelquefois sur l’orientation de ce signe.


Généralement, il est tracé dans le même sens que l’hiéroglyphe égyptien de la
plume d’autruche à laquelle il a emprunté sa forme : la tige de la plume
correspond au visage des figures, qui regardent en égyptien vers le début de
la ligne, en méroïtique vers la fin de la ligne. Mais le fait que par sa valeur
phonétique, et probablement par son origine 3, le signe méroïtique était
proche de l’égyptien , orienté en sens inverse, a sans doute créé une certaine
confusion : aussi trouve-t-on en REM 0401, 0039, 1026 et 0415 une
orientation qui correspond au roseau et non à la plume d’autruche. Dans les
proscynèmes REM 1046A et B, un double graffito d’exécution maladroite
alternant des formes hiéroglyphiques et cursives (cf. p. 192, note 1 et p. 275),
le signe e présente une forme tellement aberrante qu’on ne peut savoir s’il
s’agit du hiéroglyphe ou de la cursive.

1
Voir Garstang et al., 1911 Pl. XXXIV, à comparer avec le fac-similé de Griffith en
pl. LXI. La forme simple (cartouche 9) que nous avons retenue dans le Tableau 16 pour
REM 0401 est par contre sûre.
2
En REM 0009 (nom du dieu Aqedis au temple du Lion à Naga), la pierre est abîmée sous
le signe de l’œil, si bien que Griffith y reconstitue l’oudjat (Garstang et al., 1911 pl. XIX,
9) tandis que Zibelius opte pour l’œil simple (Zibelius, 1983, p. 21).
3
Voir supra, p. 262-264. Pour le sens de l’écriture hiéroglyphique, voir p. 276.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 337

SIGNE ‚. Le signe peut être vide à toutes époques, à l’image de


l’hiéroglyphe égyptien de la bouche . Cependant, il comporte fréquem-
ment un dessin intérieur qui semble varier selon les époques. Depuis le IIe
siècle avant J.-C. jusqu’au règne de Natakamani (milieu du Ier siècle de notre
ère), ce dessin se présente comme deux arcs dos à dos : . Sous
Natakamani apparaît une variante avec un trait intérieur, parfois incurvé,
ou , qui semble se généraliser par la suite. On observera que le cartouche
pratiquement illisible du naos de Napata (REM 1004) que nous avons
hypothétiquement attribué à Amanikhabale dans notre Tableau 16, suivant
l’interprétation de Heyler dans le REM 1, présente déjà un ‚ hiéroglyphique
avec un trait horizontal. Peut-être faut-il donc attribuer ce cartouche à un
souverain postérieur à l’époque de Natakamani, mais l’indice est ténu et
discutable.

SIGNE i. La forme la plus répandue, et ceci dès les premières


attestations, représente une silhouette humaine levant un bras. Mais il existe
une variante avec les deux bras levés qui apparaît souvent jusqu’au règne de
Natakamani (milieu du Ier siècle de notre ère). Aucune occurrence de cette
forme particulière n’apparaît ensuite à notre connaissance.

SIGNE m. Emprunté à l’égyptien, cet hiéroglyphe figure une chouette


effraie (Tyto alba affinis). La forme carrée de la face est systématiquement
tracée avec soin afin de se distinguer du signe k, représentant originellement
une oie, mais souvent sommairement dessiné. À partir du IIe siècle, les
références à l’égyptien s’estompant, l’oiseau est figuré avec des aigrettes qui
vont croissant (voir REM 0060, 0828, 1046, Tableau 17). Il s’agit sans doute
d’une réinterprétation, car c’est manifestement le grand-duc du désert (Bubo
bubo ascaphalus) qui est alors représenté 2.
Mais la variante la plus étonnante se trouve en REM 1222 (El-Hobagi) :
ce texte probablement très tardif (voir ici p. 33) comporte cinq « chouettes »,

1
Török in Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 936-938 considère que ce cartouche
contient le nom du roi Amanakhareqerem (d’après Wenig, 1978, p. 209). Cette opinion
est reprise par G. et J. Hallof, qui remarquent cependant que les vestiges des derniers
signes sont problématiques (voir Hallof–Hallof, 2000, p. 170, note 3). Griffith, 1916c
lisait ce cartouche Mn‚nowol, Dunham, 1970 (p. 34) donne Mn‚nqermo ou
Mn‚tqermo, Hofmann, 1970 le lit *Mn‚.oermo, ce qui est impossible, bien que cette
lecture soit fidèle au dessin de Steindorff, 1938.
2
Je remercie les ornithologues Frédéric Malher et Paul van Gasse qui m’ont fait bénéficier
de leur savoir sur les rapaces nocturnes du Soudan.
338 LA LANGUE DE MÉROÉ

dont quatre 1 arborent de très reconnaissables oreilles charnues et latérales.


Après vérification scrupuleuse, aucun oiseau du Soudan ne peut
correspondre à cette image. Il se pourrait qu’on ait ici affaire à un oiseau-ba,
avec une tête au contour incontestablement humain. Son aspect corres-
pondrait alors à sa figuration traditionnelle en Haute-Nubie, fidèle à
l’original égyptien : corps d’oiseau, tête humaine 2.

SIGNE n. Le texte archaïque REM 0401 représente un filet d’eau simple,


ce qui permit à Griffith de supposer que le signe avait été doublé
ultérieurement pour des raisons esthétiques (voir p. 268-269). Si cette
hypothèse est juste, on remarquera que le redoublement s’est fait dès le IIe
siècle (voir Tableau 16, REM 0039 et 1044). Le signe présente un nombre de
vaguelettes variables, souvent limité à trois ou quatre, et donc moindre que
sur le signe égyptien classique, qui comporte le plus souvent de six à huit
vaguelettes. En REM 1046, le signe est inversé, ce qui correspond à une
maladresse peut-être calculée (voir p. 275).

SIGNE ne. Il figure habituellement deux joncs parallèles, à l’image de


l’égyptien nn, mais avec deux feuilles de chaque côté. Une variante rare
existe, comme on peut le voir en REM 0003-0020 et 1222 : elle semble
représenter deux palmes incurvées en sens inverse l’une de l’autre. Elle
figure en REM 0008 (cf. Zibelius, 1983, p. 20) et surtout en REM 0015, une
invocation à Hathor où ce signe apparaît au lieu du -te attendu dans la forme
verbale lb‚[te] : « donne-leur ». Griffith l’avait d’abord lu y (Griffith,
1911b, p. 59) et obtenait donc une variante *lb‚y, reprise d’ailleurs telle
quelle par Zyhlarz, 1930 (p. 441 et note 54), Hofmann, 1981a (p. 194), et,
avec de grandes réserves, par Zibelius, 1983 qui a étudié à nouveau les
inscriptions du temple du Lion. Pourtant une relecture ultérieure avait déjà
amené Griffith à corriger le mot (sans assurance) en lb‚ne (Griffith, 1917a,
p. 24-25). Il convient de signaler que les deux derniers signes, ‚ et ne, ont été
ajoutés sous le cadre contenant le reste de l’inscription REM 0015. Un autre
texte (lacunaire) également de l’époque de Natakamani nous livre une forme
proche pour -ne. Il figure sur la « plaquette Cargill » (REM 1005) et légende
une représentation de massacre rituel d’ennemis par le « prince » (pqr)
Arikankharor. On peut y lire : ]¢e lb‚ne. Il s’agirait d’une invocation à une
1
Selon la photographie du catalogue de l’exposition « Soudan » à l’IMA (Wildung, 1997d,
p. 383 fig. 454, 4e signe visible à partir de la gauche), l’un des signes présenterait après
restauration les traits caractéristiques de la chouette effraie. Le fac-similé de Jean Vialais
montre avant restauration une tête inachevée, décalée vers le haut (Voir Leclant et al.,
2000, p. 1832, 7e signe en partant de la gauche).
2
Cf. Hofmann, 1991, p. 35-41.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 339

divinité adjuvante dont seule demeure la main tendant au prince une grappe
d’ennemis : « donne-lui ... (?) » ou une autre forme du même verbe. L’aspect
de l’hiéroglyphe ne est ici intermédiaire entre la graphie traditionnelle et
celle qui nous occupe : ce pourrait être une herbacée à plusieurs étages de
feuilles plutôt que des branches de palmiers. Griffith en tire cependant un
argument paléographique pour dater la plaquette Cargill (Griffith, 1917a,
p. 24 et note 1 ; voir aussi Monneret de Villard, 1959, p. 103). Il semblerait
donc que ces palmes soient une alternative plutôt rare aux deux joncs
habituellement utilisés pour transcrire la syllabe graphique ne. La résurgence
de cette variante en REM 1222, parmi des hiéroglyphes fort différents de
ceux du temps de Natakamani, indique apparemment qu’elle n’a pas cessé
d’être employée après le Ier siècle, mais les raisons qui amènent les scripteurs
à choisir parfois cette forme sont obscures.

SIGNE q. Les graphies les plus anciennes (IIe/Ier siècle avant J.-C.), sans
1
tout à fait correspondre au signe égyptien , s’en approchent néanmoins.
er e
Les formes ultérieures (I /II siècle apr. J.-C.) ont un profil caractéristique
qui rappelle la pyramide méroïtique . Au IIIe siècle, la ressemblance avec
ce type d’édifice semble complétée par l’adjonction d’une base (REM
0060). La dernière attestation (REM 1222) voit le triangle s’aplatir et la base
se détacher . La même forme apparaît sur une inscription inédite au nom
du souverain tardif Yesbokheamani, gravée sur un lion retrouvé à Qasr Ibrim
et conservé au musée d’Assouan2. On ne peut certifier, à partir du peu
d’exemples que nous connaissons, que les Méroïtes ont voulu figurer une
pyramide, mais l’évolution du signe s’accorde bien avec cette hypothèse.

SIGNE r. Les graphies anciennes, depuis le IIe siècle av. J.-C. jusqu’au
er
I siècle de notre ère, présentent toutes un petit cercle sur le côté du
rectangle, qui perpétue peut-être le trait de l’original égyptien (voir
p. 271). Sous Natakamani, il arrive déjà que ce cercle soit absent,
particulièrement si le signe est flanqué d’un caractère vocalique, et il
disparaît totalement par la suite. Assez souvent, le rectangle reçoit alors un
trait horizontal en son centre, qui n’est pas sans rappeler celui que l’on trouve
à même époque dans le signe ‚. En REM 1222, le signe semble présenter une
confusion avec l’hiéroglyphe te T, ou du moins son segment inférieur. On
pourrait croire à une décadence finale des conventions graphiques si une
inscription du temple d’Amara (REM 0084), associée avec le roi Natakamani

1
Le fac-similé de Griffith semble toutefois exagérer la forme en triangle rectangle du
signe archaïque : comparer Garstang et al., 1911 pl. XXXIV avec le cliché pl. LXI. 15.
2
Je remercie le professeur J. Hallof qui m’en a fait parvenir une excellente photographie.
340 LA LANGUE DE MÉROÉ

et la reine Amanitore, ne comportait pas le même tracé avec la même valeur,


à côté des formes habituelles employées ailleurs dans les textes de ce temple
et qui figurent sur le Tableau 17. Griffith identifie le signe sûrement comme
un r (Griffith, 1912, p. 12-13). Il s’agit donc, à l’instar des palmes pour ne
(voir ci-dessus, p. 338), d’une variante rare, mais récurrente. On la trouve
aussi sur le lion de Qasr Ibrim.

SIGNE se. Dans le texte archaïque REM 0401 (IIe siècle av. J.-C.),
l’hiéroglyphe semble reproduire un unique verrou égyptien (ancien z). Au
siècle suivant (REM 0402), le signe s’est dédoublé et l’on aboutit à une
forme géométrique qui se conserve apparemment sans modification jusqu’à
la fin du royaume.

SIGNE to. On ne possède que peu d’exemples de ce signe en forme de


corne : une série sous le règne d’Amanishakheto (REM 0402, 0055, 0056,
1294), au début de l’ère chrétienne, et une autre au temps d’Amanitore (REM
0003-0020, 0415, 0041, 0023-0038, 0084), vers le milieu du Ier siècle apr.
J.-C. La seconde série comporte un point (diacritique ?) dont est exempte la
première. Une forme tardive et isolée (REM 0060) semble avoir subi une
réinterprétation qui demeure obscure.

SIGNE w. L’hiéroglyphe n’évolue guère au cours des siècles et reste


fidèle à son origine égyptienne. On observera toutefois une hésitation sur le
sens du signe, comme pour l’hiéroglyphe e e ci-dessus : en REM 0401,
0003-0020, 0029-0038, 0001 et 1046, on trouve des exemples d’inversion
dans l’orientation du signe, la boucle correspondant normalement aux têtes
des figures animées.

SæPARATEUR. Il n’est pas vrai, comme on le lit souvent, que les


séparateurs hiéroglyphiques présentent systématiquement trois points
(cf. supra, p. 333) : on trouve en effet une variante à deux points en
REM 0003-0020 (Ier siècle de notre ère) et 0060 (IIIe siècle), sans compter
REM 1046, qui est peu fiable comme nous l’avons vu à maintes reprises.
L’influence de la cursive explique en partie cette variante, mais plus souvent
le manque de place en est la principale raison. On peut le voir en REM 0060,
où l’inscription sur bande autour de la table d’offrandes présente un
séparateur à trois points, qui passe à deux points lorsque le scripteur, pour
terminer son texte, est contraint de faire tenir les dernières lignes dans
l’espace réduit du déversoir.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 341

Tables paléographiques et datation

Le problème le plus aigu que se posent les historiens de la civilisation de


Méroé tient à l’absence de repères chronologiques. Contrairement à la tradition
égyptienne, les documents importants ne comportent aucune indication d’année
régnale, pas même les stèles royales. Ce détail constitue d’ailleurs un irritant
mystère puisque les stèles napatéennes, même les plus tardives, comportent de
telles dates 1, et que les graffiti démotiques mentionnant un souverain
méroïtique indiquent son année régnale 2. Il est donc très difficile de placer
dans une chronologie, fût-elle relative, les rois ou les reines de Méroé. Quant
aux repères chronologiques absolus, situés par rapport à l’époque lagide ou
romaine, ils ne sont pas plus de trois ou quatre 3. Dans ces circonstances, on
comprend quel rôle crucial peut jouer la paléographie. On s’étonnera
d’autant plus qu’elle ait été si peu étudiée : il n’existe actuellement que trois
tables paléographiques générales 4, toutes de peu d’ampleur ou
insuffisamment représentatives : celle de Griffith groupe des caractères
empruntés à 12 textes en 7 colonnes, celle de Hintze rassemble 32 textes,
mais tous royaux et issus principalement de Méroé, tandis que celle de
Hofmann, la plus complète, comprend 24 textes différents sur 15 colonnes.

La plus ancienne, et la plus communément utilisée est bien sûr celle de


Griffith. Dans un premier temps, travaillant sur les inscriptions de Méroé, le
1
Voir par exemple la stèle de Harsiotef (Eide–Hägg et al., 1996 [FHN II] p. 440) ou de
Nastasen (ibid. p. 473-474), toutes deux remontant au IVe siècle av. J.-C.
2
Voir les graffiti Dakka 17 (Eide–Hägg et al., 1996 [FHN II] p. 688) et Philae 416 (Eide–
Hägg et al., 1998 [FHN III] p. 1001).
3
Le roi Arkamani (Ergaménès) est contemporain de Ptolémée II (284-246 av. J.-C.) : voir
Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 566-567. Les règnes d’Arnekhamani et de son
successeur Arqamani coïncident avec celui de Ptolémée IV (222-205 av. J.-C) : voir
Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 581 et 588-589. Le roi Teqorideamani est
contemporain de l’empereur Trébonien Gallus (253 apr. J.-C.) : voir Eide–Hägg et al.,
1998 (FHN III) p. 1008-1010. Quant à l’identification de l’adversaire de Cornélius Gallus
avec la Candace Amanirenas durant la guerre contre les « Éthiopiens » (29 av. J.-C.), elle
repose, comme nous l’avons vu, sur une base lexicale bien fragile, en REM 1003
(cf. p. 189-190).
4
Les tables qui figurent en annexe de Priese, 1973b (p. 300-303) offrent une comparaison
de l’écriture méroïtique avec les écritures cursives égyptiennes. Pour chaque signe
méroïtique est présentée une évolution sans repères chronologiques sur 12 textes qui ne
sont pas nommés : on ne peut donc parler de « tables paléographiques » au sens strict,
mais plutôt d’un répertoire des signes. Semblablement, le tableau présenté par Trigger
(Trigger–Heyler, 1970, p. 6 fig. 2), qui montre les formes des signes sur 12 textes
d’Arminna, n’a pas pour ambition de fournir une table paléographique, mais constitue un
simple relevé qui permette une datation sur la base de celle de Hintze.
342 LA LANGUE DE MÉROÉ

savant britannique avait divisé les graphies cursives en cinq périodes


(Griffith, 1911b, p. 58), curieusement classées de (c) à (g) 1 :
(c) REM 0434, 0435, 0436/2, 0441 : écriture de forme verticale, qui suit
partiellement le contour des hiéroglyphes correspondants.
(d) REM 0405, 0425, 0427, 0428-0430, 0436/1, 0443, 0445, 0449 : larges
boucles pour ne, q, d, te ; trait inférieur de l plus court que les autres.
REM 0406, 0412, 0421 un peu plus évolués.
(e) REM 0424, 0437, 0440, 0442, 0444, 0446 : boucle ovale pour d, forme
déjà tardive pour l, mais q à triangle et to à boucle.
(f) REM 0423, 0426, 0438, 0447 : formes intermédiaires entre le style
précédent et tardif.
(g) REM 0407-0410, 0414, 0451 : formes tardives, qui correspondaient aux
fontes d’imprimeries du volume (voir notre Tableau 15, p. 349).
Il précisait également que certains styles devaient être plus ou moins
contemporains, comme (c) et (d), et plaçait le dernier, (g), au IIIe siècle de
notre ère.
Le chapitre de Karanóg intitulé « The Age and Succession of Styles of
Meroitic Writing » (Griffith, 1911a, p. 17-21) constitue un progrès par
rapport à Meroë 2. Griffith y inclut une liste des signes hiéroglyphiques et de
leurs variantes (p. 18, colonnes 1-9), et surtout une table paléographique sur
7 colonnes (p. 19, colonnes 10-16) représentant trois ensembles :
« archaïque » (colonnes 10-13), « transitionnel » (colonnes 14-15) et
« tardif » (colonne 16), trois périodes qu’il détaille et date ainsi :
Archaïque : exemples tirés de REM 0405A/B, 0425, 0427, 0428, 0434,
0435, 0406, 0051, 0075. Formes souvent verticales, suivant
partiellement les contours des hiéroglyphes ; une variante moins
rigide apparaît parfois. Essentiellement attestée dans le Sud.
Antérieure à 25 av. J.-C.
Transitionnel : exemples tirés de REM 0212, 0294, 0295, 0126. Attestée
de Karanóg au nord à Naga au sud, entre 25 av. J.-C. et 250 apr. J.-C.
Tardif : exemples tirés de REM 0094. Signes fortement inclinés,
comportant des prolongations latérales 3. Attestée partout, de Philae à
Naga. Entre 250 et 400 apr. J.-C.

1
Il semble assez probable que (a) et (b) devaient correspondre à l’hiéroglyphique
archaïque (en REM 0401) et « classique » (REM 0402). Mais aucune numérotation de
ces styles n’apparaît dans l’ouvrage.
2
On rappelle que si Meroë (Griffith, 1911b) fut publié après Karanóg (Griffith, 1911a), ce
dernier avait été élaboré après le précédent (voir p. 52).
3
Détail emprunté à Griffith, 1929, p. 70. Dans Karanóg, comme dans Meroë, Griffith se
contente de signaler que ce style correspond aux fontes utilisées dans l’ouvrage.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 343

Dans le catalogue des textes de Karanóg, Griffith rajoutera cependant une


catégorie « transitionnel tardif », rendue nécessaire par la trop large
fourchette utilisée pour le « transitionnel » (presque trois siècles contre deux
pour l’« archaïque », un et demi pour le « tardif »).

Dans ses Studien zur meroitischen Chronologie, Hintze propose à son


tour une table paléographique (Hintze, 1959a, Abb. 34 : Paläographische
Tabelle der meroitischen Kursive). Elle se présente sur 32 colonnes,
correspondant chacune à une inscription royale et donc à un règne qui suit
avec quelques ajustements la chronologie établie par Reisner, 1923, puis
améliorée par Dunham, 1954 (= RCK IV). Les anciennes catégories de
Griffith sont cependant signalées par des lettres : a pour « archaisch », t pour
« transitional », ts pour « transitional-spät », et s pour « spät ». En dépit de
son apparente précision, cette table est difficilement utilisable. D’une part,
tous les textes royaux y figurent, si bien que de nombreuses colonnes ne
comportent que quelques rares signes, lorsqu’on ne possède plus que les
fragments d’une épitaphe par exemple. D’autre part, les documents de Méroé
sont bien évidemment surreprésentés, tandis que la Basse-Nubie n’en fournit
que deux ou trois. Enfin, il n’y a pas eu de sélection ni dans les textes, ni
dans les graphies, si bien que l’on se trouve confronté à une abondance de
variantes uniques qui brouillent le repérage, comme le remarquait Trigger,
bien en peine pour dater les inscriptions d’Arminna :
« Hintze’s system provides a greater variety of forms [than Griffith’s], so much so
that different forms of the same letter on our stone can often be placed in several
columns. » (Trigger, 1962, p. 4)

Enfin, Hofmann a assez récemment proposé une table paléographique


plus sélective et géographiquement plus représentative (Hofmann, 1991,
p. 127 Tabelle 1). Elle rompt avec la tradition en renonçant aux catégories de
Griffith, qu’elle remplace par six grandes périodes notées de I à VI, avec une
distinction en trois sous-périodes pour la catégorie V, et illustrées sur 15
colonnes :
Type I. (1 colonne) Vers 150 / 50 av. J.-C. Exemples de graphies tirés de
REM 0405, 0127, 1044, 0424, 0434.
Type II. (2 colonnes) Vers 50 av. J.-C. / 50 apr. J.-C. Exemples de
graphies tirés de REM 1089, 0077/78, 0628, 0412, 0093.
Type III. (2 colonnes) Vers 50 / 100 apr. J.-C. Exemples de graphies tirés
de REM 1038, 0126, 0075.
Type IV. (2 colonnes) Vers 100 / 150 apr. J.-C. Exemples de graphies
tirés de REM 0816, 0825.
Type V. 1. (1 colonne) Vers 150 / 200 apr. J.-C. Exemples de graphies
tirés de REM 0838.
344 LA LANGUE DE MÉROÉ

Type V. 2. (2 colonnes) Vers 200 / 250 apr. J.-C. Exemples de graphies


tirés de REM 0829, 0059.
Type V. 3. (4 colonnes) Vers 250 / 300 apr. J.-C. Exemples de graphies
tirés de REM 0815, 0407, 0119/0120, 0097.
Type VI. (1 colonne) Vers 300 / 350 apr. J.-C. Exemples de graphies tirés
de REM 0094.
Outre les qualités que nous avons déjà évoquées, cette table
paléographique offre une chronologie très progressive, qui s’appuie sur de
nombreuses analyses, tant généalogiques (Hofmann, 1991, p. 130-151)
qu’archéologiques (ibid. p. 156-170). Elle permet à Hofmann de présenter in
fine une datation pour toutes les épitaphes méroïtiques (ibid. p. 170-179) qui
constitue un outil remarquable tant pour les historiens que pour les
philologues. Quelques points cependant doivent observés. Dans la période
archaïque, Hofmann n’a pas distingué les deux faces de la stèle de
Taneyidamani REM 0405. Or, il semble évident qu’elles correspondent à
deux styles trop différents (voir p. 186, note 1) pour avoir été gravées à la
même époque 1. Semblablement, la stèle REM 0412 présente un premier texte
(A) dont les graphies sont de près de deux siècles postérieures aux deux
autres inscriptions (B) et (C) 2, comme l’indiquent clairement les formes des
te, du n, du q. L’inclusion de ce texte par Hofmann dans la période II a
introduit quelques formes anachroniques dans la seconde colonne
(notamment pour le signe te). Enfin, le texte gravé au dos de la statue d’Isis
retrouvée au Gebel Barkal, que Hofmann classe dans le type III (50 / 100 apr.
J.-C.) est indubitablement plus ancien : les formes de nombreux signes,
proches de ceux de la stèle de Taneyidamani (REM 1044) permettent de le
rattacher au tournant du IIe/Ier siècle avant notre ère, soit au type I de
Hofmann.

La table paléographique que nous proposons, bien qu’elle soit le fruit de


plusieurs années de recherche et de réflexion sur les textes méroïtiques, est
une mise au point encore provisoire. Seule une étude systématique de tous les
textes connus pourra permettre de produire une classification vraiment fiable.
Néanmoins, elle a bénéficié non seulement des apports des précédentes, et en
particulier de celle de Hofmann, mais aussi des récentes découvertes de Saï
(mission lilloise de F. Geus), de Doukki Gel (mission suisse de Ch. Bonnet)
et de Naga (mission berlinoise de D. Wildung).

1
Griffith, dans sa table paléographique précédemment citée, est d’ailleurs souvent obligé
de distinguer les faces de REM 0405 par un a ou un b dans la même colonne.
2
On remarquera cependant que l’orthographe respecte les conventions archaïques (e-
initial par ex.) : on peut se demander quelles motivations ont présidé à l’inscription de ce
passage. Le sens trop obscur ne permet pas actuellement de les préciser.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 345

Nous sommes resté fidèle aux dénominations de Griffith : « archaïque »,


« transitionnel » et « tardif », tout en les découpant en sous-groupes dont la
durée oscille entre 70 et 120 ans. Une étude poussée des variations topo-
logiques des signes, couplée avec l’utilisation du logiciel d’analyse
statistique Statlab 1, nous a convaincu que le degré de résolution ne pouvait
descendre, en ce qui concerne la paléographie méroïtique, au-dessous de trois
générations. Un exemple particulièrement frappant est fourni par l’inscription
sur un naos de bronze de Kawa REM 0628, qui, en l’absence d’éléments
chronologiques, pourrait être placée au milieu du Ier siècle de notre ère, si la
mention de la Candace Amanirenas et du prince Akinidad ne la faisaient pas
remonter aux dernières décennies du siècle précédent 2. La découverte de
nouvelles stèles au nom de la reine Amanishakheto à Naga a permis depuis
lors de fournir des parallèles anciens pour REM 0628.
Les tables paléographiques présentées ici (Tableaux 12 à 15) offrent un
classement pour 71 textes choisis parmi tous les types de documents et de
supports, et issus de sites géographiquement très divers, afin de garantir la
meilleure représentativité possible. Les périodes suivantes ont été définies :
Archaïque A : première moitié du IIe siècle avant J.-C.
Archaïque B : fin du IIe siècle avant J.-C.
Transitionnel A : fin du Ier siècle avant J.-C. 3
Transitionnel B : Ier siècle après J.-C.
Transitionnel C : IIe siècle / début du IIIe siècle après J.-C.
Tardif A : 230/300 après J.-C. 4
Tardif B : 300/420 après J.-C. 5

Les principales caractéristiques de l’évolution des graphies ont déjà été


détaillées lors de l’examen des signes : on se reportera ci-dessus aux pages
317-333.

1
Nous remercions les mathématiciens Mme Jacqueline Mac Aleese et M. G. Le Bouffant
pour l’aide précieuse qu’ils nous ont apportée dans cette recherche (cf. Rilly, 2001c).
2
Cf. Macadam, 1949, p. 101 : « Now the cursive inscriptions which mention Amanirenas
are all in the early style except this one [REM 0628], which has an inclination toward the
transitional, whereas those of the period of Natakamani and Amanit‘re are purely
transitional. »
3
Nous ne possédons pas actuellement de textes en cursive que l’on puisse dater avec
certitude de la première moitié du Ier siècle av. J.-C (entre les règnes de Taneyidamani et
Teriteqas).
4
Cette précision plus grande est due à la datation absolue de REM 1088 et REM 0829
grâce aux graffiti démotiques de Dakka (règne du César Trébonien Gallus) et à la
mention de Maximin Gaius en REM 1182 (texte contemporain de REM 1183).
5
Nous retenons pour REM 0094 la datation basse autour de 420 apr. J.-C. par Török
(cf. Eide–Hägg et al., 1998 [FHN III] p. 1104-1106).
346 LA LANGUE DE MÉROÉ

On ne saurait conclure ce chapitre sans ajouter une remarque sur la


validité des datations paléographiques dans le domaine méroïtique : bien que
les archéologues et les historiens y aient fréquemment eu recours pour situer
les documents 1, elle ne constitue pas à elle seule une preuve irréfutable,
particulièrement lorsque l’inscription est d’époque transitionnelle, une
période où l’écriture méroïtique présente des formes très diverses, volontiers
archaïsantes ou parfois, à l’inverse, très évoluées 2. Un excellent exemple
concerne trois dipinti sur amphores (REM 1270-1272) retrouvés par
Garstang dans une tombe de Méroé et récemment publiés par Török avec une
contribution philologique de Hofmann (Török, 1997a, p. 275-279). La
datation paléographique proposée par la chercheuse viennoise se situe autour
de 150-200 apr. J.-C., alors que sur des bases archéologiques et à partir de
l’analyse paléographique d’un quatrième dipinto en grec, Török fait remonter
l’inhumation à un siècle plus tôt. Un décalage entre le style des inscriptions
peintes et celui des textes gravés pourrait selon Török expliquer cette
différence : « The comparison of dipinti with monumental inscriptions may
be misleading » (ibid. p. 279). Cette étonnante divergence entre les datations
incite donc à la plus grande prudence 3.

1
Voir entre autres Griffith, 1911b, p. 64 ; Griffith, 1917a, p. 24 et note 1 ; Monneret de
Villard, 1959, p. 94 ; Trigger, 1962, p. 3-5 ; Rosenvasser, 1963, p. 140 ; Heyler, 1964,
p. 30 et note 1 ; Bakr, 1964, p. 293-296 passim ; Trigger, 1967a, p. 74-77 passim ;
Trigger–Heyler, 1970, p. 7-8 ; Hofmann, 1977a, p. 195 ; Hofmann et al., 1989a, p. 155 ;
Rilly, 2001c.
2
Cf. Haycock, 1978, p. 58.
3
Voir Trigger–Heyler, 1970, p. 6 pour les variations dans la forme des lettres, parfois au
sein d’une même inscription.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 347

Tableau 12 : Table paléographique 1


348 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 13 : Table paléographique 2


L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 349

Tableau 14 : Table paléographique 3


350 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 15 : Table paléographique 4


L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 351

Tableau 16 : Évolution du syllabaire hiéroglyphique (1e partie)


352 LA LANGUE DE MÉROÉ

Tableau 17 : Évolution du syllabaire hiéroglyphique (2e partie)


L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 353

SIGNES ANNEXES ET NUMÉRAUX

Signes d’écriture annexes


À côté du syllabaire hiéroglyphique ou cursif sont attestés quelques signes
exceptionnels : hiéroglyphes purement égyptiens, caractères archaïques ou de
forme atypique, à la valeur souvent débattue.
En contexte écrit, les hiéroglyphes égyptiens sont exclusivement utilisés
dans les titulatures et les bénédictions royales, ainsi qu’avec les cartouches des
souverains 1 : on trouve notamment ég. ƒm~ « qu’il vive » (REM 0001, 0019),
parfois répété trois fois (REM 0046), les expressions ég. sÕ-Rƒ « fils de
Rê » (REM 0832, 1294C) ou ég. nb tÕ.wy « seigneur des Deux-Terres »
(REM 0002), voire ég. b«ty « roi » (REM 0017, 1294C).
Dans les trois plus anciennes tables d’offrandes de Méroé (REM 0425,
0428, 0434) 2 apparaît un signe carré, éventuellement muni d’une petite
hampe à gauche ou à droite , , , à la place de la séquence -si dans
Wosi « ô Isis ». Griffith a supposé qu’il s’agissait d’un š (actuel s), issu de
l’hiéroglyphe égyptien š (Griffith, 1911b, p. 75). Sa lecture a été reprise
par Priese, qui pense plutôt à un dérivé de l’égyptien … (Priese, 1973b,
p. 291), puis par Hofmann (Hofmann, 1991 Tab. 1, I). Cependant, il ne peut
s’agir d’un simple s. La formulation Wos : Asoreyi « ô Isis-Osiris » existe,
mais elle est rare (cf. p. 93), et il serait étonnant qu’elle soit attesté simul-
tanément dans les trois textes. Et surtout, le signe en carré ou en drapeau
n’apparaît pas dans le nom Asoreyi « ô Osiris » sur ces épitaphes, qui ont un
s habituel de forme habituelle s. Il s’agit donc plus probablement d’un
syllabique ancien pour la séquence -si dans Wosi, un vocatif qui était sans
doute prononcé [uúÈaMi], comme nous l’avons vu auparavant (cf. p. 294). Ce
signe aurait donc possédé la valeur [ÈaMi], et l’hypothèse de Griffith, qui le
faisait venir de l’hiéroglyphe š représentant un bassin (copte 0hi)
reprend ainsi de la consistance.

1
Cf. Griffith, 1911a, p. 4. Il y adjoint les signes de forme égyptienne pour b, n et se que
l’on trouve dans l’inscription archaïque REM 0401, ce qui pose un problème théorique :
ou bien l’on admet, comme nous l’avons fait (cf. p. 214, 264, 272), que ces hiéroglyphes
sont méroïtiques, bien qu’archaïques, ou bien l’on doit considérer toute l’inscription
(apparemment des ethnonymes) comme égyptienne, ce qui paraît difficile eu égard au
nombre de signes proprement méroïtiques.
2
Il faut ajouter à ces trois exemples deux autres avec une hampe à gauche plus
développée, apparaissant sur une table d’offrandes inédite de Toronto (ROM 921.4.8),
probablement retrouvée dans les fouilles de Garstang à Méroé, et signalée par Millet
(Millet, 1973c, p. 319 et note 31).
354 LA LANGUE DE MÉROÉ

L’affaire est cependant plus complexe qu’il n’y paraît car sur la grande
stèle de Taneyidamani retrouvée au Gebel Barkal figure un signe assez
semblable. Hintze, dans la première étude du texte, le reproduit . Il apparaît
dans quatre séquences : eqermde (ligne 3), irƒtto, (ligne 35), „rleqoleb,
(ligne 68), nerose (ligne 75), qui n’aident guère à établir sa valeur puisqu’il
s’agit de termes inconnus. Hintze suggère h, qu’il suppose avoir existé en
méroïtique d’après les noms napatéens (Taharqo par exemple), et qu’il
propose de relier à l’hiéroglyphe égyptien correspondant h (Hintze, 1960a,
p. 133). Les quatre occurrences, et particulièrement nerose, indiquent
effectivement qu’il doit s’agir d’un signe de base (« consonne ») et non d’un
signe vocalique ou à syllabe fixe : le caractère o, même à l’époque archaïque,
ne peut constituer à lui seul une syllabe, à l’opposé de e et de i 1. Cependant,
nous sommes réticent devant la valeur avancée par Hintze, car le phonème
/h/ est absent des plus anciennes attestations du méroïtique (voir p. 4, 6, 8).
Dans le nom du pharaon Taharqo, nous avons montré que le h qui n’apparaît
ni dans la transcription assyrienne, ni dans la transcription grecque, n’avait
probablement pas la valeur d’un phonème indépendant (voir supra, p. 273).
Priese reprit plus tard l’étude du signe particulier de la stèle de Taneyidamani
et l’assimila à celui que l’on trouve sur les tables d’offrandes archaïques de
Méroé (Priese, 1973b, p. 291, p. 304, note 8). Il lui donne donc aussi la
valeur s que nous avons récusée ci-dessus, et lui attribue un tracé fermé qui
s’accorde mieux avec le signe des tables d’offrandes. Or la comparaison des
trois séries de clichés publiés jusqu’ici pour REM 1044 2 montre assez
clairement que deux des occurrences (l. 3, 68) offrent un carré supérieur
ouvert correspondant à la forme avancée par Hintze 3, tandis que les deux
autres (l. 35, 75) ont un carré fermé conformément au dessin de Priese. Il
serait cependant déraisonnable de supposer qu’il s’agit de deux signes
différents, qui auraient alors une fréquence quasi-nulle chacun (1,2 ‰).
Toutefois, il se peut que le signe ne soit pas le même que celui des tables
d’offrandes de Méroé, dont la valeur syllabique si [ÈaMi], assez sûre, ne
semble pas convenir dans les séquences où apparaît le signe particulier de
REM 1044. Millet a supposé que le signe, par un jeu d’alternance phonétique
s / t, attesté dans certains mots (par ex. kdise / kdite « sœur ») transcrirait la
syllabe si dans les tables d’offrandes et la syllabe ti en REM 1044 (Millet,
1973c, p. 315-316). Il met en effet en parallèle la séquence eqermde (ligne
3) et des séquences eqetid, eqetip‚e, eqetis‚e dans le même texte. Le signe
pourrait selon lui avoir été tiré du numéral démotique pour 9 (ég. djw). La
1
Voir supra, p. 289-292.
2
Hintze, 1960a pl. XXXII, XXXIV ; Dunham, 1970 pl. XXXIX, XLII ; Leprohon, 1991 3,
146 et 148.
3
Cette forme est notamment reprise par Hofmann dans sa table paléographique (Hofmann,
1991, p. 127) ; mais elle la range au côté des signes en drapeau des stèles de Méroé, en
lui attribuant la valeur s.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 355

thèse de Millet se heurte néanmoins au fait que la succession t + i (comme la


succession s + i d’ailleurs) est bien attestée dans la stèle de Taneyidamani, une
objection qu’il envisage néanmoins, en supposant que le texte, situé à une
période de transition, utiliserait concurremment les deux options graphiques.
De plus, on trouve des occurrences du suffixe eqe- suivi d’autres syllabes que -
ti- en de nombreux autres endroit de REM 1044 1. Quant à l’origine démotique
du signe, elle paraît assez contestable, les chiffres n’étant jamais employés à des
fins phonétiques dans cette écriture. Nous n’avons donc pas de solution
satisfaisante pour expliquer l’emploi de ce signe dans la stèle REM 1044. Il est
probable qu’il faudra attendre la découverte de nouveaux textes archaïques
comportant d’autres attestations du signe pour préciser sa lecture.

Monneret de Villard avait envisagé l’existence d’un autre signe archaïque


en forme de « 9 » apparaissant en REM 1003/11, 1039/1, 17 2 et 1044/27
(Monneret de Villard, 1959, p. 110, 112 ; Hintze, 1960a, p. 148). Les études
ultérieures de ces passages ont eu raison de cette hypothèse. En REM
1003/11 (ar9seli), Griffith lisait sans certitude … (ar…seli : Griffith, 1917b,
p. 166), malgré des parallèles arseli dans trois formulations rigoureusement
identiques en d’autres endroits du texte 3. En fait, l’examen du fac-similé de
Griffith (op. cit.) montre que le prétendu signe n’est qu’un défaut ou un éclat
de la pierre, et c’est à juste titre que Hofmann lit simplement arseli dans son
étude de REM 1003 (Hofmann, 1981a, p. 286). Pour REM 1039, il existe
une seconde lecture plus fiable par Hintze (Hintze, 1961, p. 281) : le premier
signe « 9 » de Monneret de Villard est pour lui un e (ligne 2), et le second
(ligne 17) est un d. Enfin, en REM 1044/27, Hintze lit un ƒ (Hintze, 1960a,
p. 135, note 64) et la publication par Dunham de cette stèle, dix ans plus tard,
a confirmé cette lecture (Dunham, 1970 pl. XXXIX). Ce signe n’existe donc
pas en tant que tel. Une dernière occurrence supposée sur l’ostracon
d’Arminna REM 1097/3, étudié par Trigger, ne résiste pas plus à l’examen :
il s’agit d’un e dont la boucle a été refermée par un geste trop ample du
scribe 4.

1
Voir la liste chez Hintze, 1960a, p. 143.
2
Correspond aux lignes 2 et 18 de Monneret de Villard, qui pensait que la bande
transversale au-dessus du texte contenait une ligne disparue.
3
Incertitude reprise par la translittération du REM, cf. Heyler, 1971, p. 3. Török, dans
Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 720, donne areseli.
4
Trigger, qui reprend à cette occasion l’hypothèse de Monneret de Villard, garde malgré
tout la lecture e dans sa translittération (Trigger, 1967a, p. 74).
356 LA LANGUE DE MÉROÉ

Chiffres

Les signes numériques n’ont fait l’objet que d’une seule étude, au reste
assez succincte, par Griffith, dans la première de ses « Meroitic Studies »
(Griffith, 1916a, p. 22-25 et pl. VI). Elle comporte un tableau comparatif des
chiffres en hiératique tardif, en hiératique anormal, en démotique sur
plusieurs périodes et bien sûr en méroïtique 1, et quelques réflexions rapides
sur l’origine des signes.
Les chiffres ne sont fréquents en méroïtique que sur les ostraca (cf.
p. 227-229), et encore s’agit-il d’indications qui atteignent rarement les
dizaines. Pour les chiffres supérieurs à 40, nous sommes réduits à quelques
rares attestations, notamment sur les stèles royales ou dans certains
« passages obscurs » des épitaphes (cf. par ex. p. 153). C’est ainsi que nous
ignorons les signes pour 60, 90, 400, 900, 4 000, et au-delà de 5 000. Les
chiffres proposés pour 80 et 700 sont peu sûrs parce qu’uniques. Un certain
nombres de signes numériques sont difficilement identifiables, notamment en
REM 1141 (stèle d’Amanishakheto de Qasr Ibrim) et sur la stèle inédite
d’Abratoye, et ne figurent donc pas sur le Tableau 18. Il n’est donc pas
possible pour l’instant d’établir une paléographie évolutive des chiffres
méroïtiques.
Griffith avait été frappé par la ressemblance du signe 20 méroïtique avec
son équivalent hiératique tardif et anormal, et en avait déduit un rattachement
avec ces types d’écritures (Griffith, 1916a, p. 23). Cette théorie,
abondamment relayée (voir supra, p. 245, note 1), ne résiste cependant pas à
un examen attentif des filiations possibles pour les chiffres méroïtiques (voir
Tableau 18). Les ressemblances avec l’hiératique anormal ne concernent que
les signes pour 10, 20, 40 et 50. On trouve autant de rapports avec les formes
tardives de l’hiératique commun, notamment les chiffres 6, 40, 300, 100.
Mais la majorité des signes numériques méroïtiques offrent plutôt une
analogie frappante avec les formes ptolémaïques correspondantes. C’est le

1
Cette table, reproduite dans notre Tableau 18 (p. 357), est également la seule paléographie
actuellement publiée des chiffres égyptiens tardifs (El-Aguizy, 1998 ne traite pas des signes
numériques en démotique). On trouvera quelques indications ponctuelles sur les chiffres et
les nombres méroïtiques dans Griffith, 1909, p. 47 ; Griffith, 1912, p. 74 ; Meinhof, 1921-
1922, p. 12 ; Griffith, 1922, p. 597 ; Griffith, 1925a, p. 219 ; Zyhlarz, 1930, p. 444-447 ;
Macadam, 1949, p. 95 ; Zyhlarz, 1961, p. 243 ; Hintze, 1960a, p. 155, 156, 160 ; Trigger,
1967a, p. 74 et note 21, p. 76 et fac-sim. 7, p. 77 et fac-sim. 12 ; Millet, 1969, p. 393-398 ;
Trigger–Heyler, 1970, p. 13, 15 ; Meeks, 1973, p. 6 ; Hainsworth, 1975b, p. 35 ; Millet,
1982, p. 78-79 ; Leclant in Säve-Söderbergh, 1982, p. 51 ; Hofmann–Tomandl, 1986b,
p. 137 ; Hofmann et al., 1989a, p. 139-156 passim ; Hofmann in Török, 1997a, p. 97 ; Rilly,
2000c, p. 101.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 357

cas pour 6, 8, 9, 30, 50, 80, 100, 200, 300, 800. Il semble donc que le
système, bien que présentant un certain nombre d’archaïsmes qui témoignent
sans doute d’un développement local 1, est principalement dérivé, comme la
cursive méroïtique, du ptolémaïque ancien. On trouve par exemple la même
ambiguïté gênante entre les signes 8 et 9, où seule l’orientation de la queue
plus ou moins oblique permet une distinction 2.
Comme en égyptien, la notation numérique suit la chose quantifiée, mais,
alors qu’en égyptien il semble que cet ordre soit purement graphique 3, en
méroïtique, où le déterminant suit toujours le déterminé, l’ordre correspond
très probablement à une réalité linguistique. Le nom, comme en égyptien et
dans bien d’autres langues, reste au singulier. On trouve ainsi en REM
1088/16-17 : nob 735 ked : « il tua (?) 735 Noba (?) ».
Il se peut que le séparateur suive le nombre (par ex. en REM 1138), mais
il ne le sépare jamais de l’entité qu’il détermine 4. Il arrive parfois que le
chiffre soit suivi d’un déterminant -ni : il correspond peut-être alors à un
ordinal, et l’on songe naturellement au suffixe égyptien -nw(.t), qui a le
même valeur, mais cette interprétation ne fait pas l’unanimité (voir Millet,
1982, p. 78-79).
On trouvera dans le Tableau 18 la liste (colonne de droite) les chiffres
méroïtiques entiers (plus la fraction 1/2), comparés avec leurs équivalents
hiératiques ou démotiques, pour lesquels nous avons suivi Griffith, 1916a.
Une colonne reprend la liste donnée un peu plus tard par Erichsen, 1940
(Demotische Lesestücke II p. 186-187). La liste méroïtique de Griffith a été
enrichie d’attestations publiées ultérieurement, et issues des REM 0552,
0557, 0562, 0569, 0570, 0577, 0583, 0612, 0636, 0656, 0657, 0809, 1044,
1088, 1102, 1138, 1141, 1187 et 1333 (stèle du vice-roi Abratoye). Le
Tableau 19 (p. 357) donne la liste des décimales, figurées par une série de
points disposés en quadrats, un système totalement original par rapport à la
tradition égyptienne, où la fraction 1/x est représentée dans tous les types
d’écriture par le chiffre x surmonté du caractère r. Est également originale la
nature duodécimale de ce système (il s'agit de douzièmes et non de dizièmes
comme en égyptien), déjà évoquée comme une simple possibilité par Griffith,
mais récemment mise en évidence par Carsten Peust 5. L'existence de fractions
composées de dix points semblablement disposés dans deux ostraca inédits
d'Attiri (Khartoum, SNM 20165 et 22883) ne laisse guère de doute à ce sujet.

1
Voir p. 260-262. Les chiffres pour 5, 7, 500, ½ sont eux entièrement originaux, et les
quatre premiers chiffres semblent dérivés de l’égyptien hiéroglyphique.
2
Ainsi, il semble que là où Griffith lisait parfois un 9 (Griffith, 1925a, p. 222 : F.O.20/2 [=
REM 0570/2]), il faille plutôt lire 8.
3
Cf. Gardiner, 1957, p. 193.
4
Voir Rilly, 2000c, p. 101.
5
Cf. « Eine Revision der Werte der meroitischen Zahlreichen », Göttinger Miszellen 196
(2003), p. 49-64.
358 LA LANGUE DE MÉROÉ
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 359

Tableau 18 : Table comparative des chiffres méroïtiques

Tableau 19 : Signes méroïtiques représentant les décimales


360 LA LANGUE DE MÉROÉ

Signes d’unités de mesure (?)

Dans quelques ostraca et fragments de papyrus apparaissent un certain


nombre de signes particuliers qui précèdent une indication chiffrée. On trouve
particulièrement un signe en « épi » ou en « brosse » et un autre en forme
de pointe de flèche (REM 0356, 0559, 0561-0566, 0591, 1098, 1102,
1176). Griffith a supposé que ces signes devaient représenter une mesure de
capacité comme l’artabe ou le heqat, en usage dans l’Égypte contemporaine,
ou une denrée particulière comme le grain ou les dattes (Griffith, 1916a,
p. 23) 1. On doit observer que les symboles méroïtiques sont sans rapport
avec ceux que l’on employait en démotique pour l’artabe ou le heqat.
D’autres signes sont plus rarement attestés 2 : on trouve ainsi un symbole en
forme de « haricot » en REM 1176, suivi du chiffre 1, et précédant la
« pointe de flèche » et l’« épi », tous deux affectés d’un nombre (Hainsworth,
1982a, p. 34, 43) : cette inscription semble suggérer, soit que ces trois signes
représentent une mesure et ses subdivisions, soit qu’ils figurent effectivement
des denrées différentes, mais dans ce cas, on s’étonne qu’ils ne soient pas
accompagnés d’un autre signe indiquant une mesure.
Un signe également d’attestation unique , suivi du chiffre 2, apparaît
en REM 1067/9 (Trigger–Heyler, 1970, p. 15, 40 et note 115). Il peut s’agir
d’une unité de mesure, mais également d’un chiffre complexe : il offre une
certaine ressemblance avec le signe pour 2 000, bien qu’il semble alors
suspect que l’on ait ni d’indication de centaines, ni de dizaines.
Enfin, deux signes sont attestés de manière isolée sur des poteries
retrouvées à Méroé : et . Le REM les a pris en compte comme signes
d’écriture (Leclant-Hainsworth, 1978, p. 7), mais il semble qu’il s’agisse
plutôt de marques de potiers.

1
Voir également Griffith, 1916b, p. 113 et note 4 ; Griffith, 1925a, p. 220 sq. ; Trigger,
1967a, p. 74 et p. 75 fac-sim. 3, p. 76 et fac-sim. 7 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 36 et notes
h 110-116, p. 38 ; Leclant in Säve-Söderbergh, 1982, p. 51.
2
Hainsworth avait envisagé l’existence d’un signe de forme ou en REM 1148/6 et
1176/3, mais il semble qu’il s’agit d’une forme ancienne du to qui correspondrait paléo-
graphiquement aux tracés des autres signes sur les mêmes ostraca.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES

On pourra s’étonner qu’il soit possible de présenter une phonologie


méroïtique, si hypothétique soit-elle, quand on sait le peu de certitudes que
nous avons sur cette langue. Paradoxalement, la reconstitution de la
prononciation du méroïtique est plus sûre que la traduction de la moindre
phrase.
Nos sources d’information sur le système phonologique sont de trois
ordres. On peut tout d’abord comparer avec d’autres langues les termes
méroïtiques, soit qu’ils aient été empruntés aux différents stades de
l’égyptien, soit qu’ils aient été transcrits en égyptien ou en grec, voire en
latin : ainsi le parallèle entre le méroïtique kdke « Candace » et sa
transcription grecque κανδáκη est-il riche d’enseignements. Cette méthode
avait permis à Griffith le déchiffrement de l’écriture méroïtique. On peut
d’autre part examiner les conventions et les variations orthographiques, qui,
en raison du caractère phonétique de l’écriture, nous renseignent sur la
proximité des phonèmes : la variante m‚e pour l’adjectif plus fréquemment
écrit mƒe « abondant » laisse ainsi supposer une certaine analogie
articulatoire entre /‚/ et /ƒ/ 1. Enfin, on peut essayer de préciser ces phonèmes
en organisant selon un système linguistiquement cohérent les données
recueillies par les deux premières méthodes : ainsi l’existence d’au moins
quatre voyelles en méroïtique rend-elle probable la présence d’un /u/ dans le
système vocalique (cf. p. 402-407).
Dans les pages qui suivent, on verra que les méroïtisants, et notamment
Griffith et Hintze, ont généralement combiné ces trois démarches. Seules
deux études ont privilégié la dernière : Zawadowski, 1972 (Some
Considerations on Meroitic Phonology) et Böhm, 1987 (Vorläufige
Überlegungen zur historischen Lautlehre des Meroitischen), mais les
résultats obtenus sont très contestables, particulièrement parce que notre
connaissance du méroïtique n’est pas assez avancée pour qu’une stricte
formalisation inspirée de l’analyse des langues vivantes soit possible. Les
deux premières méthodes ont toutefois aussi leurs écueils. La comparaison

1
Dans la suite du chapitre, comme dans le reste de l’ouvrage, l’italique indique une simple
translittération, par ex. s ; les traits obliques signalent une transcription phonologique, par
ex. /s/, tandis que les crochets droits proposent une reconstitution phonétique par ex. [È].
Nous n’avons pas voulu alourdir la notation par l’adjonction d’un astérique devant cette
dernière forme, mais on gardera à l’esprit qu’elle ne peut être qu’hypothétique.
362 LA LANGUE DE MÉROÉ

avec l’égyptien se heurte par exemple à des considérations d’ordre


diachronique : la prononciation du moyen-égyptien présente des différences
notables avec celle du démotique. Or le méroïtique juxtapose des emprunts
anciens (particulièrement les théonymes) qui peuvent remonter au Moyen
Empire, et des emprunts plus récents (certains titres) qui dérivent plutôt du
démotique. De plus, l’égyptien, parce que sa vocalisation est rarement
marquée dans l’écriture, est d’un piètre secours pour permettre une bonne
compréhension du système vocalique méroïtique. De son côté, l’étude des
variations orthographiques comporte elle aussi ses limites. Une conception
assez naïve, mais largement répandue, consiste à croire que le critère
d’opposition pertinente, qui définit toute phonologie, gouverne aussi le
système graphique. Ainsi l’existence dans l’écriture méroïtique de trois
graphèmes indépendants pour les syllabes /ta/, /te/ et /tu/ a-t-elle été
interprétée par Meinhof (Meinhof, 1921-1922, p. 3) puis Böhm (Böhm,
1987, p. 10-12) comme la trace de trois types de /t/ phonologiquement
distincts. C’est oublier que, si la langue est ancrée dans la synchronie,
l’écriture est fondamentalement un phénomène diachronique, où le poids des
traditions l’emporte haut la main sur les contraintes ou les simplifications
propres à la phonologie. Comment comprendre que le français possède les
trois graphèmes c, k, q pour écrire le même phonème /k/ si, à travers le latin,
l’étrusque, le grec archaïque (chaque langue laissant son empreinte), on ne
remonte jusqu’au phénicien où les lettres gaml, kaf et qof, dont dérivent les
nôtres, transcrivaient effectivement une différence d’ordre phonologique ?
On ne saurait donc attendre de l’écriture méroïtique, héritière d’un système
égyptien qui compte plusieurs centaines d’hiéroglyphes mais aucun signe
proprement vocalique, une parfaite adéquation avec la phonologie de la
langue : elle constitue certes un indice fondamental, mais qui doit être utilisé
en parallèle avec les autres moyens d’investigation que nous avons cités.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 363

LE SYSTÈME CONSONANTIQUE

Bien que l’écriture ne soit pas un témoin entièrement fiable de la


phonologie d’une langue, comme nous venons de le voir, il semble acquis
depuis Griffith que le système consonantique du méroïtique est relativement
simple. On remarquera notamment que de nombreux phonèmes égyptiens
comme /¿/, /Û/, /h/, /∆/, /f/, /c/, /À/ n’ont pas été retenus dans l’inventaire
méroïtique et cette élimination s’explique sans difficulté par leur inexistence
dans la langue de Koush :

« Absence of the peculiarly Semitic consonants and a general simplicity in the


sounds of the language seem certain. » (Griffith, 1911a, p. 22)

Cependant la « simplicité » du système méroïtique ne vaut que pour le


nombre des phonèmes consonantiques, et il faut se garder de croire que leurs
valeurs phonétiques sont les mêmes que dans les grandes langues
européennes. Pour autant que l’on puisse l’affirmer, elles en semblent assez
éloignées, et diffèrent également beaucoup du phonétisme égyptien, mais, de
manière assez attendue, rappellent certaines langues africaines modernes
comme le bedja. Nous reviendrons ultérieurement sur cette ressemblance,
probablement aréale et non génétique, comme tant de phénomènes
phonétiques à travers les langues du monde.

Occlusives

Il existe actuellement un certain consensus parmi les méroïtisants pour


reconnaître trois points d’articulation équidistants pour les occlusives (ou
plosives 1) : les lèvres (bilabiales), le haut du palais dur (apicales / rétroflexes),
le voile du palais (vélaires). Seuls Meinhof, 1921-1922 et Zawadowski, 1972
ont avancé, probablement à tort, l’existence de palatales ou palatalisées [tj] et
[dj]. Nous avons pour notre part proposé, à côté des trois ordres définis par
ces points d’articulation un quatrième, mixte, comportant une vélaire
labialisée /q/ (= [kw]), qui correspond au graphème q (Rilly, 1999a). Il n’y a
en revanche pas d’accord sur les séries 2 : certains, comme Hintze, ont

1
Nous suivons généralement ici la terminologie qu’emploie Creissels, 1994 (Aperçu sur
les structures phonologiques des langues négro-africaines, 2e édition). Nous préférons
cependant le terme d’« occlusives », consacré par la tradition, à celui de « plosives ».
2
L’existence d’une éventuelle série de prénasalisées sera abordée p. 371-374.
364 LA LANGUE DE MÉROÉ

supposé deux séries complètes, chacune des occlusives se présentant sous


une forme voisée et non voisée. D’autres, comme Vycichl, sont réservés sur
la réalité de cette distinction. On verra que nous n’envisageons de corrélation
de voisement que pour les apicales /t/ et /d/.

Bilabiales

La comparaison de certains emprunts du méroïtique à l’égyptien avec les


originaux (et leur transcription grecque quand elle existe) semble indiquer
une correspondance des occlusives bilabiales notées p et b dans les deux
langues. On retrouve parallèlement la même équivalence dans certaines
transcriptions égyptiennes, grecques ou latines de termes méroïtiques 1 :

mér. b / ég. b / gr. β, [π] dans ψ / lat. b, p

– anthroponyme ég. O2 A'i(j « le faucon » (gr. Πβηχις, lat. Beces) / mér. Beke
– anthroponyme ég. S2 A'i(j'-s( « le faucon femelle » (gr. Τβηχις) / mér. Tebiki 2
– anthroponyme mér. B(e)rtoye « Abratoye » 3/ transcr. dém. 2aqsj , gr. Αβρατοεις
– anthroponyme mér. Bekemete / transcr. dém. Ajlsx
– toponyme ég. Cv,vƒa « cime pure » / mér. Tew:webi (le Gebel Barkal)
– toponyme mér. Qerbe (loc. incertaine) / transcr. lat. Corambim, Curambeta 4
– toponyme ég. 'Oq,(Mar « Pnoubs » (grec. Πνοúψ, lat. Nups) 5 / mér. -Nbse
– toponyme ég. A2p« / mér. Beqe, Boq- / transcr. gr. Αβονκις (?), lat. Bocchis 6
– toponyme mér. Aborepi « Musawwarat » / transc. ég. *Õaqo 7
– titre mér. arebetke (fonction fiscale) / transcr. dém. Õqasfƒxd, Õqasmfxƒ

1
Une partie de ces équivalences ont été utilisées par Griffith dans les « équations » qui lui
ont permis d’établir la valeur des signes (Griffith, 1911a, p. 13-14, Griffith, 1916b
passim : voir Tableaux 8 et 8bis p. 232-233).
2
Attesté en REM 0185 et 0284.
3
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 1020-1023.
4
Peut-être Γερβẃ chez Ptolémée (Geogr. 4.7.[6]), mais l’identification n’est pas satis-
faisante sur le plan vocalique.
5
Forme latine d’après les itinéraires de Bion et de Juba chez Pline l’Ancien.
6
D’après Pline Hist. Nat. VI-181-182 (itinéraire de Pétronius). Le toponyme désigne
probablement l’actuel Qubban, l’antique Contra-Pselchis.
7
Le terme original comporte une métathèse « cryptique » : voir Rilly, 2001d.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 365

mér. p / ég. p / gr. π, φ, β, [π] dans ψ

– anthroponyme dém. s2,ëoëi-s « la Noble » (gr. Τσεψις, Σεψις) / mér. Sipesiye 1


– anthroponyme dém. O`,Hr-s « Celui d’Isis » (gr. Πασις) / mér. Pyesi 2
– anthroponyme ég. O'2(,ƒ Äl « le Faucon (sacré) » (copte paxwm, gr. Παχουµις) /
mér. Pƒome, Pƒeme
– théonyme ég. Õlm',l,( Õo-s « Amon de Louxor » (gr. Αµενφις) / mér. Amnp
– théonyme mér. Apedemk / transcr. ég. Õoqlj
– toponyme dém. O'q(,Õkp « Philae » (gr. Φíλαι) / mér. Pilqe, Pileqe
– titre ég. o2,lq,lëƒ « le stratège » (gr. [πλεµεισα) / mér. pelmos
– titre ég. o2,lq,ëm « l’administrateur de temple » (gr. (π)λεσωνις) 3 / mér. plsn
– titre ég. o2,qs « l’agent », « l’intendant » (copte prht) / mér. perite
– titre ég. vovsi « envoyé » / mér. apote
– anthroponyme mér. Snpte(-li) / transcr. dém. Rmosi 4
– toponyme mér. Pƒrse « Faras » / transc. gr. Παχωρας, copte paywras
– toponyme mér. Npte « Napata » / transcr. ég. Mos , gr. Νáπατα, Νáβατη
– toponyme mér. Pedeme « Primis » / transc. ég. Oql-s, gr. Πρµις, Πρµις 5
– toponyme mér. Aborepi « Musawwarat » / transc. ég. *Õaqo
– titre mér. pqrtr « grand prince (?) » / transcr. ég. ojqsq
– titre mér peseto « vice-roi » / transcr. grecque ψεντης, transcr (?) dém. o'2( ri,mri

Pour Griffith, qui avait relevé presque tous ces parallèles, et pour ses
successeurs directs, l’opposition entre l’occlusive bilabiale sourde [p] et la
sonore [b] paraissait aller de soi 6. C’est Vycichl qui le premier émit quelques
doutes sur cette question (Vycichl, 1958, p. 75). Les études phonétiques sur
l’égyptien ancien avaient en effet progressé et l’on savait qu’au moins en
égyptien tardif (contemporain du méroïtique) et en copte, la consonne /b/,
bien qu’elle puisse phonologiquement constituer avec /p/ une paire
pertinente, n’était phonétiquement pas de même nature qu’elle. Il s’agissait en

1
Attesté en REM 0089. Var. de la transcription grecque (de l’égyptien) : *Σαιψις
(> génitif Σαιψιος) : voir Demotische Namenbuch (Luddeckens et al., 1996), I, 14,
p. 1086.
2
Attesté en REM 0088 et 0090. Var. grecques Παïσις, Παüσις, Φαüσις (d’après leur
génitif), voir Demotische Namenbuch (Luddeckens et al., 1985), I, 5, p. 354.
3
La vocalisation du terme méroïtique semble correspondre plutôt au copte lašane « chef
de village », qu’au grec.
4
Graffito Dakka 30.
5
Chez Ptolémée et Pline Hist. Nat. VI-181 (lat. Primi[i]s dans la relation de la campagne
de Pétronius). Le même Pline donne selon d’autres sources Pidema (ibid. VI-179 :
itinéraire de Juba) et Pindis (ibid. VI-180 : citation de Bion de Soles).
6
Griffith, 1911a, p. 13-14, 22, repris par Meinhof, 1921-1922, p. 3 ; Zyhlarz, 1930, p. 421.
366 LA LANGUE DE MÉROÉ

effet d’une fricative bilabiale [β] 1, comme celle qui apparaît en position
intervocalique dans l’espagnol saber ou llave. Vycichl ne se prononce pas
clairement sur l’existence d’occlusives voisées en méroïtique, mais son étude
a le mérite de montrer que les parallèles relevés ci-dessus ne prouvent pas
indubitablement l’existence d’une opposition de voisement entre p et b. Un
peu plus tard, Zawadowski calquera simplement les faits égyptiens en
proposant pour /b/ une fricative bilabiale (Zawadowski, 1972, p. 25).
On objectera peut-être que les transcriptions grecques comportent des β et
des π, qui représentent dans cette langue deux occlusives bilabiales
respectivement sonore et sourde. Mais dans presque tous les exemples, le
grec ne fait que transcrire l’égyptien, et non directement le méroïtique. Or les
règles qu’il observe habituellement en ce cas assimilent par une sorte
d’automatisme le p égyptien au π grec, et le b égyptien au β 2. La seule
exception oriente justement l’analyse dans un sens opposé : il s’agit du
toponyme Napata, dont on peut penser qu’il existe des transcriptions
grecques ou latines directement issues du méroïtique. Et justement le
toponyme est transcrit le plus souvent (τà) Νáπατα ou Νáπατη, mais aussi
Νáβατη 3. On retrouve pareillement en latin, à côté de Napata, les formes
Nabata et Nabatta 4.
D’autres indices semblent montrer que le voisement n’était pas
originellement un critère phonologiquement pertinent pour les bilabiales. Les
vestiges les plus anciens du méroïtique, à savoir la liste de Crocodilopolis
(cf. p. 5), ne comportent de p qu’à l’initiale, jamais en position interne ou
finale. Les passages en idiome étranger dans le chapitre supplémentaire 165
du Livre des Morts, sûrement protoméroïtique (cf. p. 11), présentent
plusieurs fois le graphème b, mais jamais de p.
De plus, si l’on recense dans notre « lexique » les mots méroïtiques
comprenant le graphème p, on s’aperçoit que 35 occurrences sur 61 sont des
emprunts reconnaissables à l’égyptien 5, mais il y en a probablement d’autres,
moins évidents. Pour les rares mots et morphèmes purement méroïtiques où

1
Voir Vergote, 1973 : Grammaire copte, tome Ia p. 16-17 pour un exposé clair et argu-
menté des faits en copte, et Loprieno, 1995, p. 28-50 (particulièrement p. 41) pour une
synthèse récente de la phonétique diachronique.
2
Voir Clarysse-Van der Veken, 1983, p. 135-137.
3
Cf. Priese, 1984, p. 495.
4
Nabata chez Pline, Hist. Nat. VI, 184. Il s’agit de l’expédition envoyée par Néron à la
découverte des sources du Nil, et on peut penser que Pline utilise ici le toponyme
transcrit directement du méroïtique par les Romains (voir Eide–Hägg et al., 1998 = FHN
III, p. 887), échappant ainsi au prisme déformant de l’égyptien. La transcription Nabata
se retrouve aussi dans les Res Gestae Divi Augusti, 26.5. La leçon Nabatta figure dans
l’itinéraire de Juba, également chez Pline (Hist. Nat. VI-179), mais la désignation est ici
moins assurée en raison d’un découpage erroné dans les manuscrits qui nous ont été
transmis.
5
Remarque similaire chez Hofmann, 1981a, p. 34.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 367

le graphème p est utilisé, on trouve quelques variantes en b. C’est le cas du


préfixe verbal ps-, écrit parfois bs-, notamment à Karanóg, Adda, Qasr
Ibrim, et de qorpse / qorbse, génitif pluriel du mot qore « roi » 1. Bien que
globalement plus fréquent que p, le graphème b est plus rare à l’initiale, où le
poids des emprunts égyptiens avec l’article p(Õ) l’a peut-être fait écrire p. On
notera également, si la suggestion de Hofmann reprise par Török est avérée,
que le nom du dieu hellénistique Sérapis a été transcrit Srbi / Srbe dans
certains anthroponymes méroïtiques (Török, 1984a, p. 166, 170 et note 21,
p. 182).
Il n’est donc pas certain que les signes b et p aient toujours transcrit des
phonèmes distincts pour les locuteurs du méroïtique. Les quelques éléments
rassemblés ci-dessus, sans être décisifs, font douter de la pertinence d’une
corrélation de voisement entre eux : on a plutôt l’impression que l’écriture
méroïtique, ayant hérité de deux signes pour un même phonème, a continué à
les utiliser tous deux en réservant prioritairement le p à l’initiale des mots
ainsi qu’aux emprunts égyptiens où il figurait originellement (par ex. apote
« envoyé ») 2. Il se peut néanmoins que dans certaines régions, dans certains
milieux, l’influence de l’égyptien ait contribué à faire naître une opposition
de voisement originellement absente en méroïtique. Mais il est probable
qu’en ce cas, cette distinction n’a pas touché durablement tout l’ensemble de
la population. Nous verrons un peu plus loin que cette hypothèse permet en
outre de rendre au système des occlusives méroïtiques une cohérence et de
lui assigner une structure que l’on retrouve dans d’autres langues africaines.

Apicales — Problème des prénasalisées

Le méroïtique possède deux graphèmes, d et t, qui correspondent


vraisemblablement à une paire voisée / non voisée. Les équivalences avec
l’égyptien ou le grec sont ici beaucoup moins éclairantes, et ce n’est par
exemple que dans les années soixante qu’a été bien établie la valeur du d.

1
Pour des variantes p / b dans les anthroponymes, voir Zach, 1994, p. 104.
2
On comparera avec les deux sigma de l’alphabet grec moderne (σ et ς), de même valeur
mais utilisés selon la position de /s/ dans le mot. Semblablement l’étrusque, qui a gardé le
K, le C et le Q des alphabets grecs archaïques pour écrire le même phonème /k/, emploie
respectivement K devant la voyelle A, C devant E ou I, et Q devant U. Il ne semble pas
cependant que l’usage de p et b en méroïtique, à supposer que notre hypothèse soit juste,
ait revêtu un caractère aussi systématique que ces deux exemples.
368 LA LANGUE DE MÉROÉ

On trouve ainsi trois ensembles distincts de correspondances 1 :


(1) mér. d / ég. r, gr. ρ :
– anthroponyme mér. Tenekitnide / transcr. dém. 2smfxsmqx2 2
– anthroponyme mér. Tqoridemni / transcr. dém. Spqqlm 3
– théonyme mér. Apedemk / transcr. ég. Õoqlj
– toponyme mér. Medewi « Méroé » / transcr. dém. Lqv-s, gr. Μερóη
– toponyme mér. Pedeme « Primis » / transc. ég. Oql-s, gr. Πρµις, Πρµις

(1)bis itinéraires de Bion et Juba 4


A. mér. d / lat. nd (< Bion *νδ) :
– toponyme mér. Adomn « Arminna » (ég. ƒ2,c,vlm ?) / lat. Andumana (?)
– toponyme mér. Dor « Ed-Dirr » (ég. Õ,mq,v2,q'-s( ?) / lat. Andura
– toponyme mér. Pedeme « Primis » / lat. Pind[em]is

B. mér. d / lat. d (Juba) :


– toponyme mér. Amod localité indéterminée 5 / lat. Amoda
– toponyme mér. Pedeme « Primis » / lat. Pidema

(2) mér. d ou t / ég. nt, nd, gr. νδ, ντ :


6
– théonyme ég. Ãq,mc,«s<e, gr. Αρενδωτης « Harendotès » / mér. Arette
– titre mér. kdke, ktke « Candace » / ég. jms«jx, gr. κανδáκη 7

1
Cf. Griffith, 1911a, p. 16 ; Griffith, 1916b passim ; Griffith, 1929, p. 70-72.
2
REM 0404 pour le mér., Ph. 411 pour le dém. Le personnage du proscynème égyptien
apparaît sous la graphie Atkinideye en REM 1049 (il est pelmos « stratège » comme en
Ph. 411), un parallèle que personne n’a relevé à notre connaissance. Le nom Tenekitnide
serait plutôt un homonyme, avec une graphie différente : voir Eide–Hägg et al., 1998,
p. 990-991.
3
Il s’agit d’un souverain connu : Ph. 416 pour le dém. Cf. Eide–Hägg et al., 1998, p. 1003,
1005, 1007.
4
Itinéraire de Bion de Soles (auteur du IIIe s. av. J.-C.) transcrit du grec (d’où l’astérisque)
par Pline l’Ancien (Hist. Nat. VI. [177], [180]), et itinéraire de Juba II (ibid. [179]). Pour
les transcriptions égyptiennes, dont la correspondance avec le méroïtique semble
beaucoup moins sûre, voir Priese, 1984.
5
Priese, 1984 propose d’identifier ce toponyme avec l’actuel Qustul.
6
Cette équivalence est refusée par Hintze, 1987, p. 46.
7
Griffith rattache à cette équivalence les variations que l’on trouve sur le nom du dieu
Mandoulis (Griffith, 1929, p. 71), gr. Μανδουλις, Μονδουλευος, dém. Lqvkd, Lmsvk,
Lkvkd, Lsvkd, mais le nom méroïtique de ce dieu, particulièrement adoré par les
Blemmyes à Kalabsha, n’est pas attesté de manière certaine. On peut noter que le bedja,
probablement descendant de la langue des Blemmyes, possède lui aussi un [Ç] rétroflexe
susceptible d’être transcrit r dans d’autres langues où ce type d’apicales est inconnu.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 369

– titre mér peseto « vice-roi » / transcr. grecque ψεντης


– titre ég. ∆l,msq « prophète » / mér. at « prêtre » (var. tardive de ant)

(3) mér. t / ég. t, t, d , gr. τ, θ :


– anthroponyme mér. Ntkmni / transcr. ég. Msj,Õlm, Msf,Õlm, Mcj2lm 1
– anthroponyme mér. Mnitore / transcr. ég. Õlm,s2z-vx|qx'-s(, Õlm,cq'-s(,x (.t) 2
– anthroponyme mér. Snpte(-li) / transcr. dém. Snptj
– anthroponyme mér. B(e)rtoye « Abratoye » / transcr. dém. 2aqsi , gr. Αβρατοεις
– anthroponyme mér. Tenekitnide / transcr. dém. 2smfxsmqx2
– anthroponyme mér. Spnqhcdlmh / transcr. dém. Tqrrmn
– anthroponyme mér. Mntwwi / transcr. dém. Lmsvi
– anthroponyme mér. Bekemete / transcr. dém. Ajlsx
– anthroponyme ég. S`,Hrs : « Celle d’Isis », gr. Θασις / transcr. mér. Tyesi 3
– anthroponyme ég. S2 A'i(j'-s( « le faucon femelle » (gr. Τβηχις) / mér. Tebiki
– anthroponyme dém. Hr,ls , gr. Σµιθις / mér. Semeti
– théonyme ég. Ã-s,Ãq « Hathor », gr. Αθυρ / théonyme mér. Atri
– théonyme ég. Lv-s « Mout » (gr. Μουθ) 4 / théonyme mér. Mt
– théonyme ég. Ãq,mc,«s= e, gr. Αρενδωτης « Harendotès » / mér. Arette
– toponyme mér. Npte « Napata » / transcr. ég. Mos , gr. Νáπατα
– toponyme mér. Tolkte « Naga » / transcr. ég. Sv'«(kjs
– toponyme ég. Ã'v(-s,S«x« temple de Tiyi » / toponyme mér. Atiye « Sedeinga »
– toponyme ég. Cv,vƒa« cime pure » / transcr. mér. Tew:webi (le Gebel Barkal)
– toponyme mér. Qoreti « Qurta » / dém. Pqs, grec Κορτη, Κορτια / lat. Corte
– titre mér. pqrtr « grand prince (?) » / transcr. ég. ojqsq
– titre ég. o2,qs « l’agent », « l’intendant » (copte prht) / mér. perite
– titre mér. arebetke (fonction fiscale) /transcr. dém. Õqasfƒ xd, Õqasmfxƒ

1
Il s’agit du roi Natakamani (vers 50 après J.-C.). La transcr. ég. Msj,Õlm provient du
support de barque Berlin 7261, Msf,Õlm d’un mur du temple d’Amon à Méroé (Garstang
et al., 1911 pl. XII et LXIX), et Mcj2lm de l’entrée de la salle hypostyle du temple B
514 au Gebel Barkal (LD V, 149).
2
Il s’agit de la Candace Amanitore, épouse du précédent. La transcription ég. Õlm,
s2z-vx|qx'-s( provient du support de barque Berlin 7261, Õlm,cq'-s(,x '-s( d’un bloc de
chapelle funéraire Berlin 2259 (LD V, 47) : pour cette dernière transcription au lieu de
*Õlm,ƒqx-s suggéré par Török (Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 902), nous proposons
de voir en une graphie approximative pour dr.t (voir également Griffith, 1911a
note 5, p. 6, qui propose t ).
3
REM 0088 (voir Eide–Hägg et al., 1998 [FHN III] p. 974-975). Transcriptions grecques
alternatives (de l’égyptien) : Ταησαι, Ταησε, Ταηση, Ταησις, Ταïσις (d’après leur
génitif), voir Demotische Namenbuch (Luddeckens et al., 1997), I, 15, p. 1166-1167.
4
Dans les noms propres égyptiens transcrits en grec, on a aussi -µωτ-, -µουτ, -µυτ
(cf. Brunsch, 1978, p. 112) ; pour une tentative d’explication de la conservation en
démotique du suffixe fém. /t/, généralement amuï, voir ibid. p. 123-128.
370 LA LANGUE DE MÉROÉ

– titre ég. ∆l,msq « prophète » (copte xont) / mér. ant « prêtre »


– titre ég. vovsi « envoyé » / mér. apote
– substantif ég. s'Õ(, vës-s « l’adoration » (copte t-oua0te) / mér. tewiseti
– titre mér. ƒoƒonete (REM 1183) / transcr. dém. ÄÄmÕsi
Griffith, au vu des équivalences notées (1) et (2), avait avancé, faute de
mieux, une réalisation affriquée « dj » ou « tch » (actuel API [j] ou [¯], [c]
ou [²]) 1 pour le graphème qu’il translittérait z et que nous trancrivons d
(Griffith, 1911a, p. 16, Griffith, 1916b, p. 117). Il faut dire qu’il n’avait pas
encore établi la correspondance entre le toponyme Medewi ou Bedewi, qui
apparaissait dans les inscriptions, avec le nom de Méroé. Lorsque ce point,
d’abord suggéré par Sayce (Sayce, 1914-1916, p. 23) lui parut évident, il
modifia en conséquence sa première analyse et proposa d’écrire rd le
phonème ainsi identifié (voir supra, p. 237). Bien que cette interprétation ait
été précisée par Zyhlarz (Zyhlarz, 1930, p. 416-417), c’est en fait Macadam
qui proposa la meilleure analyse phonétique de cette consonne qu’il écrivait
d depuis ses premiers travaux (cf. Macadam, 1949, p. 94, 110 et note a) :
« (...) the hieroglyph representing an eye and transcribed by convention with d
appears to be a consonant partaking of the sounds of both R and D, probably a
retroflex letter in which the tip of the tongue is turned behind the teeth-ridge and
flaps forward over it. It occurs in other African languages, for example in
Bedauye, the language of the present inhabitants of the Eastern Desert » (Macadam,
1966, p. 52 et note 26).
Le graphème d correspond donc à une réalisation notée [Ç] en API : il
s’agit d’une rétroflexe, où l’apex (la pointe de la langue) se porte contre le
palais dur, en se retournant, d’où son nom. Ce type d’apicales, les plus
postérieures qui existent, est surtout connu dans le domaine indien, et sont
appelées « cérébrales » dans les études sanscrites. On en trouve également
dans le domaine africain, notamment parmi les langues couchitiques comme
le bedja, le saho ou l’ƒafar, où elles sont souvent décrites comme
« cacuminales », c’est-à-dire se réalisant au sommet (lat. cacumen) du
palais 2. Le retournement de la pointe de la langue en contexte voisé est
propice à l’émission de vibrations qui, pour une oreille étrangère à ce genre
de consonne, la font considérer comme une variété de /r/, ce qui explique les
transcriptions égyptienne par r, grecques par ρ. Pour les Méroïtes en
revanche, il n’y avait pas de confusion possible puisque les deux consonnes
étaient phonologiquement discrètes, et on ne trouve pas d’hésitation entre d
1
Voir Creissels, 1994, p. 110 pour cette notation.
2
Voir cependant Creissels, 1994, p. 110-111 pour une vue critique sur l’existence de
rétroflexes dans le domaine négro-africain, à laquelle nous ne nous associons pas : il
suffit de lire la description du bedja par Roper, un peu datée, mais fondée sur une longue
expérience de terrain, pour se convaincre que l’on a point affaire en cette langue à des
apico-alvéolaires (Roper, 1930, p. 4).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 371

et r dans les graphies 1. Semblablement, les emprunts à l’égyptien comportant


originellement un r, par ex. les théonymes Ar « Horus » et Atri « Hathor », ne
sont jamais écrits avec un d, mais bien avec un r.
Cette interprétation est actuellement admise par tous 2, bien que l’on en ait
pas tiré toutes les conséquences sur le système général des apicales
méroïtiques, tant occlusives que fricatives ou nasales, comme nous nous
proposons de le faire.
Nous avons réservé une place particulière aux transcriptions, notées ci-
dessus (1)bis, qui apparaissent chez Pline l’Ancien et qui proviennent des
ouvrages hélas disparus de Bion de Soles (IIIe s. av. J.-C., auteur
d’Aithiopika) 3 et du roi Juba II de Maurétanie (vers 25 av. J.-C.) 4. Il s’agit de
transcriptions issues d’« itinéraires » suivis par les voyageurs et les
commerçants, et dont les principes diffèrent parfois du système utilisé par les
Égyptiens et les Grecs d’Égypte. On ne peut exclure d’ailleurs,
particulièrement dans le cas de Bion si l’on en croit Pline, que ces auteurs
aient adapté leur propre transcription lors d’un voyage sur place. Les
toponymes concernés comportent tous un d méroïtique rétroflexe, que l’on
puisse le tracer dans des équivalences avec l’égyptien où apparaît un r (mér.
Dor / Bion : Andura), avec d’autres transcriptions grecques qui utilisent un
rhô (mér. Pedeme / Bion : Pind[em]is / Juba : Pidema / Ptolémée : Πρµις),
ou même avec la forme moderne (mér. Adomn / Bion : Andumana / actuel
Arminna). On peut y observer une bonne régularité phonologique, pour
autant qu’il soit possible de juger sur un si petit nombre d’exemples : le /d/
méroïtique est chaque fois transcrit par -nd- dans l’itinéraire de Bion 5, et par
-d- dans celui de Juba. Une explication possible serait le recours à des guides
issus d’une ethnie ou d’une région particulière, où la rétroflexe du méroïtique
officiel aurait été réalisée de manière alvéolaire, éventuellement prénasalisée.

1
S’il s’agit effectivement d’une variante pour Adere, il est possible qu’une influence
étrangère (noba ?) en soit responsable. On remarquera que le vieux-nubien présente des
alternances graphique d / r (cf. Browne, 1989a, p. 5), qui sont peut-être un vestige du
méroïtique.
2
Voir Dunham, 1957, p. 13-14 ; Heyler, 1967, note 2, p. 126 ; Wenig, 1967, p. 38, note
194 ; Trigger–-Heyler, 1970, note h 29, p. 25 ; Priese, 1973b, p. 294-295 ; Hintze, 1973c,
p. 328 ; Leclant, 1975-1976, p. 217 ; Leclant, 1977, p. 157 et note 22 ; Hofmann, 1981a,
p. 39 ; Grzymski, 1982, p. 29 ; Hintze, 1987, p. 49 ; Böhm, 1987, p. 6, 7 ; Rilly, 1999a
notes 2 et 7, p. 108. L’interprétation de Zawadowski, qui voit en d une palatalisée [dj]
(Zawadowski, 1972, p. 23-24), repose sur une comparaison du méroïtique avec l’arabe
soudanais actuel, ce qui paraît pour le moins hasardeux en raison de la distance
chronologique et linguistique qui les sépare (cf. Vycichl, 1973b, p. 64-66).
3
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 549-557.
4
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 804-809.
5
Certains des toponymes de la liste de Bion (Megadale, Bagada, Radata, Aedosa)
comportent cependant un d intervocalique simple, mais on ne connaît pas pour eux
l’original méroïtique.
372 LA LANGUE DE MÉROÉ

On ne doit cependant pas confondre ce type de transcription avec celle qui se


présente dans les équivalences groupées ci-dessus en (2), où l’égyptien
comporte lui aussi une nasale, et que nous étudierons plus loin.
On ne peut analyser le phonème /t/ sans se référer à la qualité rétroflexe
de la sonore correspondante. Pour Griffith, il ne faisait aucun doute, au vu
des équivalences notées (3) ci-dessus (p. 367), que le graphème t possédait
une réalisation identique au t égyptien et au τ grec (Griffith, 1911a, p. 16,
22). Meinhof, intrigué par l’existence de signes différents pour te et to,
proposa une distinction entre trois variantes : le t devant a et i aurait
représenté une consonne simple [t], le te une palatalisée [tj], le to une
labialisée [tw] ou une emphatique (« gepreßt » = [¤]) 1, mais il admet qu’on ne
comprend pas alors pourquoi devant la voyelle palatale i, on trouve le même
signe que devant a et reconnaît donc que « le fait exige des preuves
supplémentaires » (Meinhof, 1921-1922, p. 3). Son disciple Zyhlarz
abandonna d’ailleurs cette distinction (cf. Zyhlarz, 1930, p. 421) 2. Nous
avons vu précédemment que l’existence de signes indépendants pour t + e et
t + o s’expliquait par des raisons de tradition et de commodité (cf. p. 279 et
note 2), et non par une quelconque différence phonétique.
Il paraît évident que le /t/ méroïtique était également rétroflexe et doit être
phonétiquement transcrit [™] : il s’oppose par son absence de voisement à la
sonore [Ç]. Il serait d’une part peu plausible que le /d/ soit le seul
représentant de cet ordre, et que le /t/ possède de son côté une réalisation
apico-dentale ou apico-alvéolaire. D’autre part, on trouve des variations
graphiques d / t, qui montrent la proximité des deux phonèmes, par exemple
kdke / ktke / kdwe / ktwe « Candace », sdemdese / stmdese (un titre), ou
encore yetmde / yed:mde « neveu (?) », « nièce (?) ». Si le [™] méroïtique n’a

1
Les transcriptions phonétiques sont ici modernisées (en API.).
2
On la retrouve cependant chez Böhm, 1987 (p. 10-12), qui différencie 3 valeurs de /t/ : t1
(= te) =[tMl] (« laterale Verschlu8laut » en raison de la loi de Griffith), t2 (devant /a/ et /i/)
=[tj] ou [tMsj] (« palatal ») et t3 (devant /u/) =[¤] (« ähnlich dem arabischen ¤ »). Mais Böhm
semble ignorer que la loi de Griffith (voir ci-dessous, p. 415) ne concerne pas seulement
/se/ + /lŒ/, mais s’applique aussi à /se/ + /lo/ (valeur [3] du /t/) et /se/ + /la/ (valeur [2] du
/t/) : ainsi on a -towi issu de -se-lowi et -t (=/ta/) issu de -se-l (=/se/+/la/). Comme dans
chacun de ces cas, le signe t est issu de la même contraction, il s’agit vraisemblablement
du même phonème. De plus, Böhm suppose que l’opposition pertinente entre t1e, t2a, et
t3o se fait au niveau de la consonne, obligeant les Méroïtes à utiliser des signes différents,
alors que c’est bien évidemment la voyelle qui change. Il est probable que cette variation
vocalique a entraîné comme partout des différences dans la réalisation du /t/, plus ou
moins labialisé, palatalisé ou vélarisé. Ce n’est cependant pas cette finesse phonétique
qui a motivé l’usage de signes différents en méroïtique, mais bien la fréquence des
syllabes graphiques ne, se, te, to et leur utilisation comme morphèmes récurrents. Telles
autrefois les théories de Zyhlarz, celles de Böhm posent comme postulat une parenté du
méroïtique avec le chamito-sémitique (et ses trois ordres d’occlusives), puis tâchent de
plier les faits à cette hypothèse de départ.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 373

jamais été transcrit à l’aide d’un r en égyptien et en grec, c’est parce que sa
qualité non voisée réduisait les vibrations de l’apex audibles dans la sonore
correspondante [Ç], qui faisaient ressembler cette dernière à un /r/.
Cependant, le caractère rétroflexe des apicales méroïtiques n’explique pas
la série de correspondances notée (2) ci-dessus (p. 366), où un groupe
égyptien nt, nd, ou grec νδ, ντ représente un d méroïtique. Nous avons dans
le chapitre précédent étudié cette question sous l’angle de l’écriture, et abouti
à la conclusion que c’était bien au sein du méroïtique lui-même qu’il fallait
chercher la clef du problème, et non dans les techniques de transcription
utilisées par l’égyptien ou le grec 1. Trois solutions peuvent être retenues :
(a) Le phénomène est entièrement phonologique : il existe en méroïtique une
série de consonnes prénasalisées. Le segment nasal n’est pas marqué par
le méroïtique, qui écrit donc la prénasalisée comme la consonne simple
correspondante. C’est la théorie de Zyhlarz, 1930 et Hofmann, 1981a.
(b) Le méroïtique possède des voyelles nasales, que l’écriture transcrit selon
les conventions utilisées pour les voyelles simples, sans marquer leur
différence. L’égyptien et le grec les représentent approximativement par
l’adjonction d’un n. C’est la théorie de Macadam, 1950.
(c) Le phénomène est purement graphique : lorsque l’on a une succession
nasale + consonne, la nasale n’est pas écrite en méroïtique, mais elle l’est
en égyptien ou en grec. C’est la théorie de Hintze, 1987.
La solution (a) applique au méroïtique une caractéristique fréquente des
phonologies africaines : l’existence de prénasalisées, que l’on retrouve par
exemple en peul, en gbaya (langue oubanguienne de Centrafrique), dans de
nombreuses langues bantoues, etc. 2 On remarquera cependant qu’elles
semblent attestées principalement dans le phylum Niger-Congo de Greenberg 3,
et que les grandes langues « nilo-sahariennes » du Soudan, auxquelles on tend à
rattacher le méroïtique 4, ne leur accordent pas de statut phonologique : on n’en
trouve ainsi ni en daju, ni en nubien, ni dans les langues nilotiques. Il semble en
revanche qu’elles existent en kanouri, langue saharienne du Tchad.
L’hypothèse de prénasalisées en méroïtique permettrait d’expliquer de façon
satisfaisante la différence entre les graphies indigènes et les transcriptions
égyptiennes et grecques. En effet, si elles appartenaient au système
phonologique, elles n’étaient pas ressenties comme juxtaposant deux segments
différents, mais comme une unité indissociable que l’on ne pouvait noter que
par un signe unique. L’égyptien et le grec, ne les connaissant pas en tant que

1
Voir supra, p. 300-302 ; on y trouvera également l’état des théories sur la question.
2
Voir cependant Creissels, 1994, p. 105-107 pour une critique de la systématisation de
prénasalisées dans les descriptions phonologiques de langues africaines.
3
Greenberg, 1966b (2e éd. revue de l’ouvrage initial paru en 1963).
4
Voir ci-dessous, p. 471-487.
374 LA LANGUE DE MÉROÉ

phonèmes, auraient alors utilisé une transcription d’ordre acoustique notant


indépendamment le segment nasal et l’articulation principale. Il resterait
cependant à supposer que la confusion graphique entre consonnes simples et
prénasalisées ne créait pas d’ambiguïté gênante pour les lecteurs. Le principal
problème est cependant la complication de la phonologie méroïtique
qu’entraîne cette théorie : multiplier les phonèmes pour éliminer les difficultés
est une solution facile, mais peu économique et donc suspecte. Les cas
d’équivalences attestés (voir la liste p. 300) laisseraient en effet supposer
l’existence d’au moins quatre prénasalisées */nd/, */nt/, */nk/ et */n‚/ 1. De plus,
quelques variantes graphiques font douter de la valeur phonologique de la
séquence phonétique nasale + occlusive : on a ainsi une graphie Akided en
REM 0412C et une autre Akidd en REM 0092 pour le nom bien connu du
prince Akinidad, normalement écrit Akinidd. Hofmann suppose, sans doute
avec raison, que la variante Akidd 2 correspond à une version où le second -i-
s’est amuï, laissant la nasale seule devant le d suivant 3 :

/akinidada/, écrit Akinidd > /akinŒdada/ > /akindada/, écrit Akidd.


Mais il semble bien plus probable, puisqu’il s’agit du même personnage,
d’envisager une combinaison phonologique /n/+/d/ plutôt qu’un phonème
unique /nd/, qui éloignerait davantage encore les deux versions du nom.
La solution (b), bien qu’elle ait été soutenue par le seul Macadam et
jamais reprise après lui, ne doit pas être rejetée a priori. Les voyelles nasales
sont extrêmement fréquentes dans le phonétisme des langues, mais elles
correspondent le plus souvent à des réalisations conditionnées de voyelles
originellement orales (par exemple devant consonne nasale en position de
coda) et il est plutôt rare qu’elles acquièrent un statut phonologique. Les cas
où cela se produit ne sont pas génétiquement prévisibles, mais correspondent
plutôt à une tendance aréale : le français et le portugais, qui possèdent des

1
Nous adoptons ici une notation phonologique hypothétique pour d’éventuelles
réalisations phonétiques [nd] (ou [nÇ]), [nt] (ou [n™]), [Ñk] (ou [Ñg]) et [Ñx]. On a aussi
supposé l’existence d’une prénéalisée [mb] (Böhm, 1987, p. 8) qui expliquerait les
alternances m/b que l’on rencontre dans Medewi / Bedewi « Méroé » et le titre
ameloloke / beloloke, mais nous avons précédemment vu qu’il s’agissait d’une évolution
phonétique probablement due à une épenthèse (voir p. 31). En revanche, cette hypothèse
expliquerait peut-être la différence, beaucoup plus ancienne, entre le napatéen Bi-ru-we
(et var.), et le grec contemporain Μερóη (voir note 7, p. 31-32).
2
Hofmann, 1980a, p. 276 ; Hofmann, 1981a, p. 34. L’autre exemple similaire donné dans
le premier article : Trebineti (REM 0206) et Trebit (REM 0223) est moins sûr : il semble
qu’il s’agisse de deux personnages différents (cf. Hofmann, 1991, p. 195).
3
On peut se demander dans quelle mesure la graphie majoritaire Akinidd n’était pas
archaïsante, car il est difficile de concevoir que l’amuïssement du i se soit produit (et ait
été graphiquement noté) en l’espace des quelques décennies où le personnage a pu exercé
ses fonctions.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 375

voyelles nasales pertinentes, sont ainsi isolés dans la famille romane, le


polonais dans la famille slave. Mais on observera par exemple que le breton,
géographiquement contigu au français, en possède, alors que le gallois,
génétiquement voisin du breton, n’en a pas. Dans les langues africaines, les
nasales phonologiques sont particulièrement attestées dans les parlers
d’Afrique de l’ouest comme le bambara et certains dialectes du mandingue et
du songhai 1. Elles semblent exceptionnelles dans les principales langues
actuelles du Soudan : on n’en a par exemple ni en daju, ni en nubien, ni en
dinka, mais cette rareté ne peut être considérée comme une objection majeure
à la proposition de Macadam. On ne peut non plus arguer, comme le faisait
Hintze pour la solution précédente (Hintze, 1987, p. 45), que les Méroïtes
auraient inventé une notation des voyelles nasales si elles avaient été
phonologiquement pertinentes : il semble ainsi que le sumérien possédait une
voyelle nasale [«] qu’il écrivait avec un signe correspondant au [i] simple 2.
L’écriture méroïtique ayant été adaptée de l’égyptien, lequel ne possède pas
ce genre de phonèmes, on ne peut guère s’attendre à ce qu’elle ait inventé ex
nihilo une notation idoine, particulièrement quand on considère de quelle
manière incohérente le français note ses voyelles nasales 3. L’objection
majeure est d’ordre historique. On sait que les voyelles nasales
phonologiquement pertinentes sont issues de l’amuïssement de consonnes
nasales 4. On devrait donc supposer par exemple pour le terme « Candace »
une évolution du type :

[kaÖ™ake] > *[kãÖ™ake] > *[kã™ake], écrit ktke

Cette évolution aurait déjà dû être acquise au Ier siècle avant notre ère,
lorsqu’apparaît le titre dans les textes, écrit sans n dès ses premières
attestations. Or le mot « prêtre », ant, n’est écrit at, soit *[ã™a] si l’on suit la
théorie de Macadam, qu’à partir de la seconde moitié du IIe siècle de notre ère,
et encore de manière marginale (REM 0234, 0249, 0259). Autrement dit, pour
ktke, la pertinence phonologique de la voyelle nasale aurait été acquise plus de
deux siècle avant celle de at, ce qui paraît pour le moins étrange : les mutations
phonologiques, parce qu’elles affectent l’équilibre d’un système, ne s’étirent
pas sur de longues périodes, contrairement aux changements phonétiques.

1
Voir Creissels, 1994, p. 74-89.
2
Thomsen, 1984, p. 38-39.
3
Du moins sur un plan synchronique : que l’on compare ainsi « ennemi » et « ennuyer »,
« s’enivrer » et « tenir ».
4
Cf. Hagège, 1982, p. 21 ; Creissels, 1994, p. 87.
376 LA LANGUE DE MÉROÉ

Une autre objection, d’ordre méthodologique, peut être empruntée à la


critique de la solution (a) : la liste des cas concernés (voir p. 300) laisse
supposer, si l’on admet la suggestion de Macadam, l’existence des consonnes
nasales [ã], [] et [«] au minimum. L’adjonction de trois phonèmes pour
expliquer un phénomène aussi anecdotique que l’absence du n dans la
notation méroïtique d’une poignée de mots semble peu économique.
La solution (c), défendue par Hintze, présente l’avantage de la simplicité :
elle ne complique pas la phonologie méroïtique, et elle procède d’un
phénomène d’élision graphique des nasales attesté dans d’autres écritures
syllabiques (cf. p. 301). Elle ne rencontre qu’un obstacle : comment se fait-il
que l’on puisse avoir dans la transcription grecque κανδáκη pour un original
méroïtique kdke probablement réalisé [kaÖÇake] ou [kaÖÇakŒ], avec un [Ç]
rétroflexe qu’on attendrait de voir transcrit -ρ-, éventuellement -δρ- après
une nasale (*κανδρáκη) ? Un phénomène de phonétique combinatoire qui
verrait la succession (nasale + rétroflexe) se muer en (nasale + apico-dentale)
ou (nasale + apico-alvéolaire) est improbable : dans toutes les langues où
elles existent, les rétroflexes ont tendance à communiquer leur forte
articulation aux phonèmes environnants 1. De plus, il est assez vraisemblable,
ainsi que nous le verrons ultérieurement, que la nasale soit elle-même
rétroflexe, comme le marque la reconstitution phonétique ci-dessus. En fait,
la seule explication consiste à faire de κανδáκη non la transcription de kdke,
mais de la variante ktke : le /t/ méroïtique, nous l’avons vu, n’est pas transcrit
par un r grec. Le voisement de l’apicale δ serait alors un ajustement propre
au grec.
Au terme de cet examen, il semble clair que la solution de Hintze, qui était
déjà celle de Griffith, est la plus recevable : l’absence du n devant consonne ne
s’explique pas par l’existence dans le système phonologique méroïtique de
prénasalisées ou de voyelles nasales (qui existaient peut-être comme simples
épiphénomènes phonétiques), mais par une convention graphique qui n’est
d’ailleurs pas systématiquement respectée : on trouve par exemple Akine-te
« en Basse-Nubie » correspondant très probablement à une réalisation
[akiÖ™(Œ)].

Vélaires — Vélaires labialisées

Dans le domaine des vélaires, les interprétations des méroïtisants


divergent profondément. Deux graphèmes ont été, dès Griffith, reconnus
comme tels : k et q. Les équivalences suivantes en font foi :

1
Voir Roper, 1930, p. 4 pour le bedja et Louis Renou, Grammaire sanscrite, 1975, Paris,
p. 51 pour le sanscrit.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 377

(1) mér. k / ég. k, g, gr. κ, χ / lat. c, [c] dans x :


– anthroponyme mér. Ntkmni / transcr. ég. Msj,Õlm, Msf,Õlm, Mcj2lm
– anthroponyme mér. Bekemete / transcr. dém. Ajlsx
– anthroponyme ég. O2 A'i(j « le faucon »(gr. Πβηχις, lat. Beces) / mér. Beke
– anthroponyme ég. S2 A'i(j'-s( « le faucon femelle »(gr. Τβηχις) / mér. Tebiki
– anthroponyme lat. Maximinus / trancr. mér. Mkesemene
– anthroponyme mér. Arik‚ror / transcr. ég. Õqjm~qq
– anthroponyme mér. Wyekiye / transcr. dém. Vxfx'Õ), VxmfxÕ, Vƒxjx
– anthroponyme mér. Tenekitnide / transcr. dém. 2smfxsmqx2
– théonyme mér. Apedemk / transcr. ég. Õoqlj
– toponyme mér. Akine « Basse-Nubie » / dém. 2jimx / lat. Acina 1
– toponyme mér. Tolkte « Naga » / transcr. ég. Sv'«(kjs
– titre lat. Caesar « César », grec Κασαρ / dém. Fxrq'r( / mér. Kisri
– titre mér. kdke, ktke « Candace » / ég. jms«jx, gr. κανδáκη
– titre mér. akroro « prince (?) » / transc. dém. Õjqqi
– titre mér. arebetke (fonction fiscale) / transcr. dém. Õqasfƒxd, Õqasmfxƒ

(2) mér. q / ég. k, q / gr. χ, κ, γ / lat. c, ch :

– anthroponyme mér. Tqoridemni / transcr. dém. Spqqlm


– toponyme ég. J2ë « Koush » (gr. Χος, -κυσ-, -γυσ- 2) / mér. Qes
– toponyme dém. O'q(,Õkp « Philae » / mér. Pilqe, Pileqe
– toponyme mér. Qerbe (localisation discutée) / lat. Corambim, Curambeta (?)
– toponyme mér. Qoreti « Qurta » / dém. Pqs+ grec Κορτη, Κορτια / lat. Corte
– toponyme ég. A2p«, A2j-s / mér. Beqe, Boq- / transcr. gr. Αβονκις, lat. Bocchis
– titre mér. qore « souverain » / transcr. dém. jvq
– titre mér. pqrtr « grand prince (?) » / transcr. ég. ojqsq
– titre mér. pnqdmd « scribe royal (?) » / transcr. dém. pqmi, pvqmi, pqmi2

L’existence de ces deux phonèmes pouvait être interprétée de plusieurs


façons : Griffith repéra tout de suite que le q, en dépit de la translittération
fondée sur la correspondance graphique entre l’hiéroglyphe méroïtique et le
signe originel égyptien, ne représentait pas l’occlusive uvulaire [q] ou

1
Dakka 30, voir Burkhardt, 1985, p. 78. Le terme latin (expédition romaine sous Néron
rapportée par Pline) semble indiquer une localité précise plutôt qu’un territoire.
2
La première forme figure dans la Bible des Septante, les deux autres autres dans des
transcriptions grecques de l’anthroponyme démotique P3-jgš « le Koushite » (cf. Leclant,
1954, p. 70).
378 LA LANGUE DE MÉROÉ

l’emphatique [¡], si fréquente dans les langues chamito-sémitiques 1. Aussi


proposa-t-il au début pour ces deux phonèmes une opposition de voisement
k [k] / q [g]. Puisque les paires b / p et t / d lui semblaient correspondre à
une corrélation de voisement, il était logique de supposer que la même
opposition existait chez les occlusives vélaires. D’autre part, ce couple
existait en vieux-nubien, dont l’apparentement avec le méroïtique lui
paraissait alors probable. De plus, quelques cas de variantes remplaçant k par
q (ou l’inverse) étaient attestés : le titre pqrtr pouvait être écrit pkrtr 2. Enfin,
Griffith s’appuyait sur la correspondance entre le nom du roi méroïtique
Εργαµéνης rapporté par Diodore de Sicile et la transcription égyptienne
Õqp,Õlm que l’on trouve sur les murs d’une chapelle funéraire de Méroé
(Pyr. Beg. N. 2) ainsi que sur le sarcophage que l’on y a découvert 3. Cependant
les nombreuses transcriptions par l’égyptien k du q méroïtique ne laissaient pas
de créer des difficultés, et si Griffith ne revint pas clairement sur sa première
identification, on voit qu’au fur et à mesure de ses travaux, il n’envisageait plus
vraiment de différence significative entre la réalisation de k et de q (voir
notamment Griffith, 1917b, p. 165).
Pour Meinhof, puis Zyhlarz, qui avaient à cìur de prouver l’appartenance
du méroïtique à la famille chamito-sémitique, l’existence de consonnes
emphatiques dans cette langue allait de soi : aussi trouve-t-on, dans Meinhof,
1921-1922 (p. 3) un tableau des valeurs phonétiques où le phonème q est
classé dans une colonne d’emphatiques au-dessus du t de to (marqué par un t
surligné). C’est probablement la même pensée qui guide Zyhlarz, fervent
disciple de Meinhof, mais sa classification est tellement étrange et fautive 4
(Zyhlarz, 1930, p. 421) que l’on ne peut en être sûr. Une distinction assez
similaire a été faite par Zawadowski, pour qui /q/ représente en méroïtique
une occlusive uvulaire (Zawadowski, 1972, p. 25, 28), semblable à celle que
connaissait l’égyptien, où elle correspond justement à la vélaire emphatique
du sémitique commun 5. Cependant, pour le chercheur russe, il s’agissait, non

1
Griffith, 1911a, p. 22 ; Griffith, 1916b, p. 116 ; Griffith, 1917a, p. 17 ; Griffith, 1917b,
p. 165.
2
Depuis Griffith, d’autres cas sont apparu : on a ainsi les titres beloloke / beloloqe,
amoke / amoqe et le substantif atepoke / atepoqe. Mais la substitution du q au k (ou
l’inverse) reste rare, et conditionnée, comme nous le verrons plus loin, par la proximité
de la voyelle vélaire /u/.
3
Selon Török, qui suit ici Priese, il ne s’agirait pas du même roi (voir Eide–Hägg et al.,
1996 [FHN II] p. 566-567, 586-590). Nous n’avons d’ailleurs pas retenu cette corres-
pondance dans nos listes parce que les noms de ces rois (IIIe siècle av. J.-C.) ne sont pas
encore transcrits en écriture méroïtique, et que la version de Diodore semble par trop
hellénisée. Macadam identifie Εργαµéνης avec Arnekhamani, et en déduit une valeur gh
(API. [γ]) pour le phonème méroïtique /k/.
4
Il classe ainsi /k/ et /y/ dans les « alvéolaires » (sic). Le phonème /q/ apparaît dans les
« vélaires », donc avec un point d’articulation postérieur au /k/.
5
Voir Loprieno, 1995, p. 32-33.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 379

de rapprocher le méroïtique du phylum chamito-sémitique, mais d’échapper à


la corrélation de voisement qu’il croyait non pertinente dans cette langue
(ibid. p. 25-26) : il fallait donc supposer pour les deux phonèmes un point
d’articulation différent.
Priese, dans son étude sur l’origine des signes méroïtiques 1, reprit
l’opposition de voisement proposée par Griffith, mais en l’inversant. Il
suggérait en effet une filiation du signe k avec le g démotique archaïque
(Priese, 1973b, p. 291-292). De plus, il interprétait l’équivalence, dans
plusieurs mots, du k méroïtique avec un groupe ng ou nk dans les
transcriptions égyptiennes (voir dans la liste ci-dessus les anthroponymes
Arik‚ror, Wyekiye, et le titre arebetke) comme une tentative des scribes
démotiques pour rendre une occlusive voisée [g] dont on savait désormais
qu’elle n’existait pas en égyptien tardif 2 (Priese, 1973b, p. 282, 288). Enfin,
l’interprétation de /q/ comme vélaire sourde [k] permettait de comprendre ses
transcriptions par un k égyptien. La suggestion de Priese fut donc reprise par de
nombreux méroïtisants (Hintze, 1987, p. 47 ; Zibelius, 1982, p. 56 ; Hofmann,
1981a, p. 37-38 ; Abdalla, 1999a, p. 406-407; Abdalla, 1999b, p. 444).
Cependant, les travaux de Heyler avaient mis en évidence une curieuse
alternance entre q et w, notamment dans les épithètes divines des invocations
solennelles utilisées en tête de certaines épitaphes : on avait majoritairement
dans le Nord du royaume wetneyineqeli pour Isis, et wetrri pour Osiris,
tandis que l’on trouvait au sud plutôt les formes qetneyineqeli et qetrri 3.
Böhm proposa donc pour le phonème /q/ une réalisation labialisée [kw]
(Böhm, 1986, p. 115, 118, 119, note 9 et Böhm, 1987, p. 7), dont il se
détourna d’ailleurs plus tard 4. La suggestion était malgré tout intéressante, et
méritait d’être mieux étayée. C’est ce que nous avons tenté de faire dans un
article des Göttinger Miszellen (Rilly, 1999a). Nous y proposons de voir dans
la paire k / q une corrélation non de voisement, mais de labialisation. Nos
principaux arguments sont les suivants 5 :
— L’origine des signes : le caractère cursif pour q est dérivé, par
l’intermédiaire du démotique, de l’égyptien k3, vocalisé [ku]. L’utilisation

1
Cette hypothèse, alors moins développée, figurait déjà chez Priese, 1971, p. 227. On la
retrouve dans Priese, 1977a, p. 41 et note 16.
2
Cf. Loprieno, 1995, p. 38, 41.
3
Heyler, 1964 et Heyler, 1965 : voir Introduction, p. 39 pour une étude complète de la
question.
4
Il propose alors une uvulaire labialisée [qw] (Böhm, 1988). Les travaux de Böhm sur le
méroïtique, fort contestables, ont fait l’objet d’une revue critique dans notre
Introduction : voir p. 56.
5
Pour les détails et les exemples de la démonstration, on se reportera à Rilly, 1999a. Les
passages en italiques correspondent à des arguments supplémentaires absents dans cet
article et ajoutés à la suite de nos dernières recherches.
380 LA LANGUE DE MÉROÉ

du q égyptien pour l’hiéroglyphique s’explique, entre autres, par sa qualité


d’uvulaire, proche de la réalisation du [kw] articulée contre le fond du voile
du palais. L’interprétation de Priese selon laquelle le signe méroïtique cursif
k dériverait du démotique ancien g n’est pas convaincante en raison des
différences de ductus (voir ci-dessus, p. 251), et, quoi qu’il en soit, elle ne
constitue pas un argument en faveur d’une lecture [g] puisque ce son était
inconnu de l’égyptien tardif (voir p. 376 et note 4).
— Les transcriptions égyptiennes : une bonne partie des équivalences
données ci-dessus utilisent un k pour le méroïtique q. Le mot qore « roi » est
transcrit kwr, avec l’indication d’une labiovélaire w. On observera que les
rares équivalences avec le grec ou le latin indiquent toutes pour le
méroïtique q une vélaire suivie d’une voyelle vélaire labialisée /o/ ou /u/.
Contre les arguments de Priese sur la valeur du k, on peut relever que les
transcriptions égyptiennes par -ng- ou -nk- du phonème /k/ se produisent
toutes 1, comme on peut le voir dans la série d’équivalences données p. 375,
dans des mots qui devaient comporter une séquence /n/ + /k/ : conformément
aux conventions d’écriture, la nasale devant consonne n’est presque jamais
écrite en méroïtique. On observera cependant avec intérêt la correspondance
entre l’anthroponyme mér. Tenekitnide et sa transcription démotique
2smfxsmqx2 : le /n/ méroïtique est en effet transcrit -ne-, une graphie
proprement consonantique puisque le graphème -e- (ici intégré dans un
signe unique) signale l’absence de voyelle. On a une confirmation évidente
de cette interprétation par l’attestation du même anthroponyme à Toshka
sous la forme Atkinideye, où la nasale n’est pas écrite devant k 2. Tout
semble donc indiquer que le k méroïtique est bien l’équivalent du k égyptien,
soit une vélaire non voisée [k].
— Analyse combinatoire : on se souvient que les successions de consonnes
sont en méroïtique écrites en intercalant entre deux signes syllabiques un
graphème e, dont la fonction est d’indiquer l’absence de voyelle après le
premier d’entre eux. Une enquête statistique dans le « lexique » ainsi que
dans deux corpus de textes montre que la succession /bilabiale + vélaire/ ou
/vélaire + bilabiale/ est absente. Dans les rares cas où semble apparaître une
exception, on peut prouver que le signe e transcrit alors une véritable voyelle.
On en conclura donc que la succession d’une vélaire et d’une bilabiale était
phonologiquement assimilée à une vélaire labialisée, et transcrite par un
signe spécifique, qui dans le cas des occlusives, ne peut être que le caractère
q. Semblablement, la voyelle o (= [u]) ne suit jamais en méroïtique le
graphème k : c’est alors q qui est utilisé, puisque cette voyelle confère par

1
À l’exception de la transcription Msf,Õlm du nom royal méroïtique Ntkmni. Le g ne nous
y semble par sûr, à juger par le cliché original (Garstang et al., 1911 pl. XII, 7).
2
Voir note 2, p. 366.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 381

contact une articulation labialisée à la vélaire qui la précède. Il existe


pareillement une tendance, moins systématique, à écrire q le k qui suit un o
(voir note 1, p. 376).
— Variantes vocaliques : l’alternance entre les graphèmes o et e est
particulièrement fréquente dans les mots où ces voyelles précèdent ou suivent
le phonème /q/. On peut citer aqebese / aqobese, « leur », Pilqe / Pilqo,
« Philae », qowi / qewi, « celui-ci », « celle-ci », Beqe / Boq[e] (toponyme).
Les variantes en e s’expliquent probablement par une « haplographie » de la
qualité labiovélaire, suffisamment marquée aux yeux des Méroïtes par
l’utilisation de la vélaire labialisée q [kw].
Nous verrons plus loin que c’est probablement le caractère labialisé qui
distingue aussi les fricatives vélaires /‚/ et /ƒ/ : il existe donc en méroïtique,
selon notre hypothèse, un ordre complet de labiovélaires. On trouve des
catégories de ce genre dans un certain nombre de langues d’Afrique
orientale, tant dans le domaine dit « nilo-saharien » (en tabi par exemple) que
couchitique (entre autres en bedja et en iraqw, langue sud-couchitique, qui
possède ces trois labiovélaires), ou même dans la famille bantou (en swahili
par exemple). L’existence d’une série labiovélaire en méroïtique semble bien
relever d’une diffusion de type aréal, englobant des langues d’origine
différente 1.

1
Une étude de la diffusion aréale des labiovélaires dans les langues africaines a été réalisée
par Joseph Greenberg (Greenberg, 1983).
382 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le schéma des occlusives méroïtiques se présente donc, selon notre


analyse, comme suit (citées dans l’ordre : graphème / phonème / réalisation
phonétique) :

Bilabiales Rétroflexes Vélaires Vélaires labialisées

Voisées b /b/ [b] d /d/ [Ç] – –

p /p/ [p] (?)


Non voisées t /t/ [™] k /k/ [k] q /q/ [kw]
(emprunt à l’égyptien)

L’absence probable, tout au moins dans le système originel, de la non


voisée [p], et celle, assurée, de la voisée [g] ne doit pas surprendre. Ce genre
de répartition est en effet fréquent parmi les langues d’Afrique, comme
l’indique Creissels, 1994 (p. 114) :
« Il arrive (...) que la corrélation de voisement existe mais de manière lacunaire.
On relève alors les tendances suivantes :
 si une langue possède un seul couple non voisée / voisée, c’est généralement
le couple t / d ;
 si une langue dans laquelle le trait de voisement est pertinent possède une
seule plosive labiale, c’est généralement b ;
 si une langue dans laquelle le trait de voisement est pertinent possède une
seule plosive vélaire, c’est généralement k.
Autrement dit, il n’est pas rare de rencontrer des sous-systèmes de plosives ayant
la configuration suivante :

t k
b d»

Comme on le peut ici le constater, la structure originelle des occlusives


méroïtiques, selon notre hypothèse, n’offre rien de particulièrement original
dans le cadre des langues africaines.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 383

Fricatives

Apicale /s/

Le méroïtique ne possède apparemment qu’une seule fricative apicale : la


sifflante /s/. Cependant Griffith dans Karanóg (Griffith, 1911a, p. 15 et 22)
avait supposé deux phonèmes différents : /s/, noté S (actuel se) et /š/, noté s
(actuel s), et, malgré les rectifications qu’il apporta à plusieurs reprises à
cette hypothèse originelle (voir supra, p. 313), beaucoup de méroïtisants ont
continué (et continuent) à transcrire se par s et s par š. L’examen des équi-
valences ci-dessous montre clairement que, chaque fois qu’on peut le repérer,
notamment par la transcription grecque, le méroïtique utilise le signe s devant
voyelle et le signe se devant consonne. Seul le nom de « Koush » fait
exception à la règle. Il s’agit en fait, non d’une équivalence directe avec le
méroïtique tardif, mais d’une évolution à partir d’une transcription
égyptienne remontant au Moyen Empire (voir ci-dessus, p. 4-5), et dont le
grec Χος est tributaire. La différence entre les deux signes méroïtiques s et
S tient donc simplement au système graphique, et ne représente donc pas
une quelconque opposition phonologique 1.
En revanche, il ne semble pas y avoir de règle cohérente dans la
transcription du méroïtique /s/ par l’égyptien : on a indifféremment s ou š : il
s’agit d’ailleurs d’une ambiguïté ancienne, car nous avons vu que le nom de
Koush au Moyen Empire était indifféremment K3š ou K3… (voir Introduction
p. 5 et note 1), qu’il est transcrit en écriture syllabique ka-sa ou ka-ša dans
les chapitres supplémentaires du Livre des Morts (cf. supra, p. 13), et, dans
l’onomastique napatéenne, aussi bien K3s que K3š (voir p. 21 sous Qes). Il
est probable, comme nous allons le voir, que sa réalisation phonétique se
situait entre ces deux valeurs 2.

1
Voir Hintze, 1973c, p. 322. On n’admettra pas notamment l’interprétation de
Zawadowski qui oppose un š « dental » (ici transcrit s) à un s palatal ou palatalisé (ici se)
à partir d’éléments très partiels ou discutables, comme l’existence d’un substrat
méroïtique argumentable dans l’arabe soudanais actuel (Zawadowski, 1972, p. 23-24, 26-
28). La nouvelle interprétation du système graphique méroïtique initiée par Hintze rend
caduques les thèses de Zawadowski : pourquoi en effet aurait-on une palatalisée devant
consonne (se lorsque -e marque l’absence de voyelle) et non devant la voyelle palatale i, où
l’on a s ?
2
Voir Griffith, 1916b, p. 117 ; Meinhof, 1921-1922, p. 3 ; Zyhlarz, 1956, p. 22 et note 7 ;
Vycichl, 1958, p. 75.
384 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les équivalences relevées pour /s/ sont les suivantes :

mér. s / ég. s, š , copte s, 0, z / gr. -σ, [-σ dans ψ, τ (?) / lat. [-s] dans x

– théonyme ég. Vr«q « Osiris » (gr. Οσιρις , copte ousire) / mér. Asori
– théonyme ég. Õr- s « Isis » (gr. Ισις, copte hse) / mér. Wos
– théonyme ég. °mrv, gr. Χóνς « Khonsou » / mér. ¬s (?)
– anthroponyme dém. S2,ëoëi-s « la Noble » (gr. Τσεψις, Σεψις) / mér. Sipesiye
– anthroponyme dém. Rrm / mér. Ssno 1
– anthroponyme mér. Snpte(-li) / transcr. dém. Rmosi
– anthroponyme dém. O`,Õr-s « Celui d’Isis » (gr. Πασις) / mér. Pyesi
– anthroponyme dém. S`,Õr-s : « Celle d’Isis », gr. Θασις / transcr. mér. Tyesi
– anthroponyme dém. Õr,ls , gr. Σµιθις / mér. Semeti
– anthroponyme lat. Maximinus / trancr. mér. Mkesemene
– toponyme ég. J2ë « Koush » (gr. Χος, -κυσ-, -γυσ-) / mér. Qes
– toponyme ég. (Pr-)Nbs « Pnoubs » (grec. Πνοúψ, lat. Nups) / mér. -Nbse
– toponyme mér. Pƒrse « Faras » / transc. gr. Παχωρας, copte paywras
– toponyme mér. Sye « Saï » / moyen-ég. ü2ƒ-s (copte zah)
– toponyme mér. Selele « Shellal » / transc. gr. Τεληλις (inscription du roi Silko) 2
– titre lat. Caesar « César », grec Κασαρ / dém. Fxrq'r( / mér. Kisri
– titre ég. o2,lq,lëƒ « le stratège » (gr. [πλεµεισα) / mér. pelmos
– titre ég. o2,lq,ëm « l’administrateur de temple » (gr. [πλεσωνις) / mér. plsn
– titre mér peseto « vice-roi » / transcr. grecque ψεντης, transcr (?) ég. o ri,mri
– substantif ég. s'Õ(, vës-s « l’adoration » (copte t-oua0te) / mér. tewiseti

Il est probable que le /s/ méroïtique, comme les occlusives apicales /d/ et
/t/, avait une réalisation rétroflexe. Ce type de cohérence est répandu dans
tous les systèmes phonologiques où les fricatives utilisent souvent le même
point d’articulation que les occlusives qui leur correspondent. De plus la
qualité rétroflexe du /s/ méroïtique éclaire certaines caractéristiques a priori
étonnantes que l’on constate pour ce phonème. Une intéressante description
de ce type de consonne figure chez Martinet, 1996, p. 51 :
« Les fricatives rétroflexes, du fait de leur articulation énergique qui détermine un
étroit orifice d’issue de l’air, et en raison du volume assez considérable de la

1
Attesté en REM 0088 pour le mér., pour le dém. en Ph. 223 et 409 : cependant la lecture
n’est pas sûre (cf. Burkhardt, 1985, p. 108, 113), et Pa-sn est également possible.
2
La transcription du s méroïtique par un tau grec est étrange : y a-t-il une influence de la
loi de Griffith, qui devrait effectivement s’appliquer à ce nom (on devrait avoir *Telis) ?
La langue parlée à la cour de Silko n’est probablement plus le méroïtique : voir Eide–
Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 1147-1153.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 385

cavité comprise entre la zone de friction et les lèvres, ressemblent assez à des
chuintantes et se confondent souvent avec elles. »

C’est justement l’ambiguïté acoustique de ce phonème pour une oreille


égyptienne qui explique le mieux l’hésitation entre s et š que l’on constate
dans les transcriptions de mots méroïtiques. Nous verrons que pareillement la
loi de Griffith, qui transforme la succession /s/ + /l/ en un son noté t par les
Méroïtes, s’explique de façon plus satisfaisante si l’on suppose pour le /s/
une articulation rétroflexe.

Vélaires

Les fricatives vélaires /‚/ et /ƒ/ posent de redoutables problèmes d’inter-


prétation phonétique en raison du très petit nombre d’équivalences
disponibles. Ici, c’est donc souvent la logique phonologique qui a fourni
l’essentiel des hypothèses. Seules cinq transcriptions en effet sont actuel-
lement connues pour ces deux phonèmes :

(1) mér. ‚ / ég. ~ / gr. χ

– anthroponyme mér. Arik‚ror / transcr. ég. Õqjm~qq


– théonyme ég. °mrv, gr. Χóνς « Khonsou » / mér. ¬s (?)

(2) mér. ƒ / ég. Ä / gr. χ

– anthroponyme ég. O'2(,ƒÄl (copte paxwm), gr. Παχουµις / mér. Pƒome, Pƒeme
– toponyme mér. Pƒrse « Faras » / transc. gr. Παχωρας, copte paywras
– titre mér. ƒoƒonete (charge inconnue) / transcr. dém. ÄÄmÕsi

Les deux graphèmes ‚ et Ä ont fait l’objet d’interprétation très diverses


parmi les méroïtisants, et Priese constatait lors du Congrès de Berlin de 1971 :
« ‚ und ƒ sind die beide Zeichen, die der genaueren Bestimmung ihres Lautwertes
bisher die meisten Schwierigkeiten machen. » (Priese, 1973b, p. 290).

Griffith identifia le phonème méroïtique /‚/ avec la fricative dorso-vélaire


sourde égyptienne /~/ en raison de la ressemblance entre les deux signes
hiéroglyphiques, égyptien et méroïtique. Quant à /ƒ/, son alternance avec /‚/
dans quelques mots (mƒe pour m‚e : « abondant ») et son utilisation dans
l’anthroponyme Pƒome, de l’égyptien O'Õ(,ƒ Äl « Pacôme » le poussèrent à y
voir l’équivalent de la consonne égyptienne ƒ, qui note sans doute une fricative
386 LA LANGUE DE MÉROÉ

postpalatale sourde [ç] 1. Plus tard, Meinhof, fit des phonèmes ‚ / ƒ une paire
de fricatives dorso-vélaires s’opposant selon un trait de voisement [γ] / [χ]
(Meinhof, 1922, p. 2). Les mêmes valeurs furent reprises cinquante ans plus
tard par Priese (Priese, 1973 Tab. I b) 2. On retrouvait donc entre /‚/ et /ƒ/ la
même opposition qu’entre /k/ et /q/.
Ici aussi, nous proposons une nouvelle interprétation. Nous avons toutes
raisons de penser que la différence de caractère entre les deux vélaires,
comme précédemment pour /q/ face à /k/, n’est pas le voisement, mais la
labialisation. Les indices en sont moins nombreux, mais le parallélisme
phonologique entre les occlusives dorso-vélaires /k/ et /q/ d’une part, et les
fricatives dorso-vélaires /‚/ et /ƒ/ d’autre part représente déjà en soi-même un
fort argument théorique. Les signes graphiques utilisés par les Méroïtes
montrent une étroite correspondance entre le méroïtique ‚ et son équivalent
égyptien, mais pour ƒ, ils sont de peu de secours : la filiation avec l’écriture
égyptienne n’est ici éclaircie ni pour la cursive, ni pour l’hiéroglyphique
(voir supra, p. 250-251 et 266).
Deux transcriptions méroïtiques de noms propres égyptiens sont, elles,
d’un grand apport. Il s’agit de l’anthroponyme Pƒome (variante : Pƒeme),
cité plus haut, et du toponyme Pƒrse, l’actuel Faras, de fondation
probablement pharaonique (cf. Griffith, 1925b, p. 267).
Le premier transcrit l’égyptien (non vocalisé) O'Õ(,ƒ Äl : « le faucon
sacré », devenu à la christianisation le prénom copte « Pacôme » sous la
forme paxwm, et en grec sous la graphie Παχουµις. La voyelle copte w,
comme la voyelle grecque ου, représente un o long fermé [o :] 3, que les
Méroïtes ont dû assimiler à leur [u] marqué o. La fricative dorso-vélaire
précédente (conservée dans le copte x) s’en est trouvée naturellement
labialisée, et elle a donc été notée ƒ. Comme nous l’avons vu avec q, on
trouve une forme alternative -ƒe- avec modificateur vocalique neutre, le
timbre labiovélaire de la syllabe étant dans ce cas estimé suffisamment noté
par le choix d’une consonne labialisée.
Le toponyme Pƒrse reprend, lui, un nom égyptien non attesté, mais dont
il nous reste le copte paywras et le grec Παχωρας 4. Là aussi, la syllabe de

1
Pour les valeurs de /‚/ et de /ƒ/ en égyptien, on peut se reporter à Loprieno, 1995, p. 33.
2
Le signe cursif méroïtique pour ‚ a été récupéré par l’alphabet du vieux-nubien pour
noter la nasale vélaire [õ]. Aussi les méroïtisants ont-ils été souvent tentés de donner cette
valeur à la consonne méroïtique (hypothèse alternative chez Priese, 1973, p. 288,
formelle chez Hintze 1987, p. 43 et 47), bien que les faits plaident plus largement pour
une valeur fricative. Voir p. 393-394.
3
La voyelle possédait déjà au VIIIe siècle avant notre ère le même timbre d’après Vycichl,
1990, p. 183.
4
Les équivalents démotiques (O2,iv,k,r) et grecs (Φθουρις chez Ptolémée) proposés par
Priese, 1984, p. 489-490 ne nous paraissent guère convaincants.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 387

timbre labiovélaire [xoú] a été transcrite par le signe de la vélaire labialisée ƒ,


qui est donc la seule trace correspondant à l’oméga du copte et du grec.
Cette voyelle, peut-être réalisée avec un timbre plus ouvert (le ω grec
valait [Øú] ) a fait évoluer la syllabe [xØú] en [xwa], par un transfert d’arti-
culation labiovélaire du type :
Consonne + Voyelle d’arrière arrondie
→ Consonne labialisée + Voyelle médiane non arrondie
Le phénomène est attesté dans d’autres langues, où il constitue souvent le
mode d’apparition habituel des labialisées 1.
L’examen des cooccurrences de /‚/ et /ƒ/ avec les autres consonnes se
révèle en revanche difficile : il semble bien que les deux fricatives dorso-
vélaires ne puisse apparaître qu’exceptionnellement en contact avec d’autres
consonnes, essentiellement des apicales ou la latérale l. Une des explications
possibles, qui correspondrait aux recherches de F. Hintze sur les interfaces
préfixes / lexèmes et lexèmes / suffixes dans les formes verbales méroïtiques
(Hintze, 1979, p. 65-67), serait l’assimilation systématique par ces fricatives
des consonnes adjointes.
Dans les combinaisons avec les voyelles, on peut observer les mêmes
phénomènes que précédemment pour q :
— On trouve des alternances ƒo / ƒe avec ce que nous avons appelé plus
haut « haplographie de la qualité labiovélaire » : Pƒome / Pƒeme : « Pacôme »,
mƒo / mƒe : « abondant ».
— La syllabe *‚o n’est pratiquement jamais attestée. La seule occurrence
que nous connaissions est un hapax tiré d’un texte incohérent, REM 0124,
qui présente par ailleurs des formes verbales sans lexèmes. Il est également
intéressant de constater que symétriquement, la séquence *ƒi n'est pas
attestée, alors que la syllabe /ƒa/ est fréquente. L’hypothèse d’un
développement de /ƒ/ à partir d’une fricative vélaire en syllabe postérieure
labialisée (cf. note 1 ci-dessous) pourrait peut-être expliquer ce fait.

1
Creissels, 1994, p. 112 : « La comparaison entres parlers apparentés permet souvent de
supposer que les occlusives doubles labio-vélaires sont issues de vélaires labialisées,
elles-mêmes issues d’un processus de “dislocation” de voyelles postérieures labialisées se
décomposant en une voyelle antérieure non labialisée et un élément u allant s’associer à
l’attaque de la syllabe :

go > gwa ou gwe ko > kwa ou kwe


gu > gwi ku > kwi »

Il existe cependant d’autres modes d’apparitions de vélaires labialisées dans les langues
d’Afrique : renforcement d’approximantes labiovélaires (berbère) ou adaptation d’empha-
tiques (emprunts à l’arabe en comorien).
388 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le parallélisme entre k / q et ‚ / ƒ semble en conséquence hautement


probable. Le phonème /ƒ/ s’intègre donc dans un ordre de labialisées :
/q/ = [kw] /ƒ/ = [xw] /w/ = [w]
On notera avec un certain intérêt que certaines écritures syllabiques ont
aussi eu recours à des graphèmes spécifiques pour transcrire les syllabes dont
l’attaque est une vélaire labialisée : c’est le cas notamment du linéaire B (où
on les translittère également q ; voir Chadwick, 1994, p. 209) et dans l’ancien
syllabaire guèze d’Éthiopie (cf. Cohen, 1995, p. 22 et Tableau II).

Approximantes
Nous suivons ici Denis Creissels, qui groupe sous ce terme emprunté à la
phonétique anglo-saxonne « des sons qu’on pourrait décrire comme des
“constrictives faibles”, c’est-à-dire des sons dont la production met en jeu
une constriction qui n’est pas suffisante pour provoquer l’apparition du bruit
de frottement caractéristique des constrictives fortes que sont les fricatives »
(Creissels, 1994, p. 127). Comme dans la plupart des langues, on trouve en
méroïtique les trois approximantes /l/, /w/, /y/ 1. Leur réalisation phonétique
ne semble pas pas poser de problèmes : les équivalences données ci-dessous
sont en effet univoques.

Latérale /l/
Contrairement à l’égyptien, où l’individualisation du phonème /l/ n’est
pas toujours évidente 2, au point qu’il dut attendre l’écriture démotique pour
disposer d’une notation régulière, il n’y a aucune ambiguïté en méroïtique :
non seulement le /l/ dispose d’un signe particulier, mais on ne connaît pas
actuellement de variante où il soit remplacé par un autre phonème (cf. p. 308-
309), ce qui n’est pas si fréquent parmi les consonnes méroïtiques. Les
équivalences avec les autres langues sont rares (cinq exemples), mais vont
toutes dans le même sens :
mér. l / ég.r / l , mr (= /l/), dém. l / grec λ :
– toponyme mér. Tolkte « Naga » / transcr. ég. Sv'«(kjs
– toponyme mér. Selele « Shellal » / transc. gr. Τεληλις

1
Dans les systèmes phonologiques d’autres langues, on note généralement cette dernière
/j/. On rappellera cependant qu’une notation phonologique n’est pas tenue de suivre les
conventions de l’API. Nous avons préféré la rapprocher autant que possible de la
translittération, et suivre ainsi une certaine tradition (cf. Hofmann, 1981a, qui cependant
utilise une notation semi-phonétique /Ç/ pour la rétroflexe /d/).
2
Voir Loprieno, 1995, p. 31.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 389

– toponyme dém. O'q(,Õkp « Philae » (gr. Φíλαι) / mér. Pilqe, Pileqe


– titre ég. o2,lq,lëƒ « le stratège » (gr. [πλεµεισα) / mér. pelmos
– titre ég. o2,lq,ëm « l’administrateur de temple » (gr. [π]λεσωνις) / mér. plsn

Contrairement au vieux-nubien, où ce phonème n’est initial que dans de


très rares emprunts 1, certains mots méroïtiques commencent par l-, notam-
ment l’adjectif lƒ « grand » (Griffith, 1911a, p. 15). On doit néanmoins
reconnaître que la plupart d’entre eux sont des noms propres. En revanche, à
l’instar du vieux-nubien, plusieurs formes de déterminants comportent un l-
initial, notamment parce qu’ils sont apparemment dérivé du déterminant
simple -l. Il serait assez cohérent que le /l/ ait possédé une articulation
rétroflexe [}], à l’image des autres apicales méroïtiques, mais nous n’en
avons pas de preuve. On notera que le /l/ s’efface généralement à la suite de
/r/ 2, mais assimile le /n/ précédent 3.

Palatale /y/

Le phonème /y/ a ceci de particulier en méroïtique qu’il semble le seul à


posséder parmi les consonnes une articulation palatale. Mais son affinité avec
la voyelle /i/ explique sa présence dans le système consonantique : il est
d’ailleurs peu d’idiomes où il soit absent. Les correspondances relevées avec
les autres langues sont hélas peu nombreuses, et concernent toutes la syllabe
finale -ye, qui pouvait peut-être avoir parfois une valeur vocalique [i]. Mais
même si c’était le cas pour les exemples ci-dessous, la démonstration serait
concluante puisqu’elle tendrait à prouver l’étroite relation entre la voyelle /i/
et le graphème y, dont l’usage consonantique ne fait aucun doute puisqu’il est
support de syllabe dans l’écriture méroïtique. Dans la liste qui suit nous
n’avons pas fait figurer les exemples où y n’a qu’une fonction graphique de
« réducteur de hiatus » (cf. p. 292-295), comme dans les anthroponymes
Pyesi (gr. Παησις) et Tyesi (gr. Θαησις) :
mér. y / ég., dém. y, j / grec ει, ι :
– anthroponyme mér. B(e)rtoye « Abratoye » / transcr. dém. 2aqsi , gr. Αβρατοεις
– anthroponyme mér. Wyekiye / transcr. dém. Vxfx'Õ(+ VxmfxÕ+ Vƒxjx
– anthroponyme dém. s2,ëoëi-s « la Noble » (gr. Τσεφις, Σεφις) / mér. Sipesiye
– toponyme ég. Ã'v(-s,S«x « temple de Tiyi » / toponyme mér. Atiye « Sedeinga »

1
Cf. Browne, 1996, p. 102-107.
2
Voir Rilly, 1999b, p. 83-85.
3
Les graphies -ne-lo (voir Hofmann, 1981a, p. 35-36, 141) doivent être tenues pour
étymologiques, et motivées par le désir de maintenir graphiquement le prédicatif -lo.
Voir ci-dessous, p. 414.
390 LA LANGUE DE MÉROÉ

Labiovélaire /w/

L’approximante labiovélaire /w/ est bien évidemment la consonne de


même articulation que la voyelle /u/, et nous avons vu précédemment la
grande affinité que présentent entre eux les graphèmes w et o qui les
transcrivent respectivement (cf. p. 291, 295). Contrairement à l’autre semi-
voyelle /y/, le phonème /w/ appartient à un ordre de vélaires labialisées qui
traverse en méroïtique les différents types d’articulations, comme nous
l’avons avancé ci-dessus dans l’examen des fricatives. Il peut d’ailleurs
alterner dialectalement avec le phonème /q/ (= [kw]), qui le remplace dans
quelques mots au nord du royaume (cf. p. 41-42).
Les équivalences relevées avec les différents stades de l’égyptien et le
grec ne laissent aucun doute sur la prononciation de ce phonème :
mér. w / ég. w3, dém. w, copte ou / grec ó :
– toponyme ég. Cv,vƒ a « cime pure » / mér. Tew:webi (le Gebel Barkal)
– toponyme moy.-mér. Medewi « Méroé » / ptol. L«,q,v2,«+ dém. Lqv-s, gr. Μερóη
– toponyme néo-mér. Bedewi « Méroé » / transcr. copte peroue
– anthroponyme mér. Wyekiye / transcr. dém. Vxfx'Õ(+ VxmfxÕ+ Vƒxjx
– anthroponyme mér. Mntwwi / transcr. dém. Lmsvi 1
– substantif ég. s'Õ(, vës-s « l’adoration » (copte t-oua0te) / mér. tewiseti

Vibrante /r/

Dans cette catégorie, que l’on rattache traditionnellement à la précédente


dans un ensemble de « sonantes », n’entre en méroïtique qu’un seul
phonème, la vibrante apicale /r/. Il est assez plausible qu’elle ait eu, comme
les autres apicales méroïtiques, une articulation rétroflexe [µ], mais il est
impossible de le prouver. Elle possède en tout cas une forte individualité
parmi les consonnes méroïtiques puisque l’on ne connaît pas de variantes où
elle serait remplacée par un autre phonème. En particulier, elle n’alterne

1
La graphie archaïsante -wwi du méroïtique, de réalisation -[wawi], dans ce nom pourtant
attesté tardivement, est en contradiction avec le /w/ simple du démotique : il semble donc
qu’à cette époque, l’ancienne voyelle /a/ s’était transformée en schwa, puis amuïe dans ce
lexème fréquent (voir p. 30-31).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 391

jamais à notre connaissance avec /l/, contrairement à ce que l’on constate


dans de nombreuses langues, et notamment en vieux-nubien 1.
Les équivalences, très nombreuses, que l’on possède avec les autres
langues sont univoques, et l’on trouve partout /r/, bien que la réalisation de
ce phonème, si variable phonétiquement d’une langue à l’autre, ait
probablement été différente en égyptien, en latin et en grec.

mér. r / ég. r, copte r / gr. ρ, lat. r

– anthroponyme mér. Mnitore / transcr. ég. Õlm,s2z-vx|qx'-s(+ Õlm,cq'-s(,x '-s(


– anthroponyme mér. Arik‚ror / transcr. ég. Õqjm~qq
– anthroponyme mér. Tqoridemni / transcr. dém. Tqrrmn
– anthroponyme mér. B(e)rtoye « Abratoye » / transcr. dém. 2aqsi , gr. Αβρατοεις
– théonyme ég. Vr«q « Osiris » (gr. Οσιρις, copte ousire) / mér. Asori
– théonyme ég. Ã-s,Ãq « Hathor », gr. Αθυρ / théonyme mér. Atri
– théonyme ég. Ãq, gr. Ωρος, Αρ- 2 « Horus » / mér. Ar
– théonyme ég. Ãq,mc,«s<e+ gr. Αρενδωτης « Harendotès » / mér. Arette
– toponyme mér. Pƒrse « Faras » / transc. gr. Παχωρας, copte paywras
– toponyme mér. Aborepi « Musawwarat » / transc. ég. *Õaqo
– toponyme mér. Dor « Ed-Dirr » (ég. Õ,mq,v2,q'-s( ?) / lat. Andura
– toponyme mér. Qerbe (localisation discutée) / lat. Corambim, Curambeta (?)
– toponyme lat. Roma « Rome », grec Ρẃµη / dém. Gqvli / mér. Arome
– toponyme mér. Qoreti « Qurta » / dém. Pqs+ grec Κορτη, Κορτια / lat. Corte
– titre lat. Caesar « César », grec Κασαρ / dém. Fxrq'r( / mér. Kisri
– titre mér. qore « souverain » / transcr. dém. jvq
– titre mér. pqrtr « grand prince (?) » / transcr. ég. pkrtr
– titre mér. qorene « scribe royal (?) » / transcr. dém. pqmi+ pvqmi+ pqmi2
– titre mér. akroro « prince (?) » / transc. dém. Õjqq«
– titre ég. o2,qs « l’agent », « l’intendant » (copte prht) / mér. perite
– titre mér. arebetke (fonction fiscale) / dém. Õqasfƒxd+ Õqasmfxƒ

On remarquera que, comme en vieux-nubien et en nubien moderne, le


phonème /r/ ne peut jamais se trouver à l’initiale d’un mot 3. Lorsqu’un terme
étranger commençant par cette lettre est emprunté en méroïtique, il est
systématiquement précédé d’un a- à l’écrit, qui transcrit probablement un
schwa [Œ]. C’est probablement ainsi qu’il faut interpréter le A- de Arome
« Rome », « Empire Romain », et non, comme le pensaient Griffith et
Zyhlarz, par une quelconque transcription du H- de la version démotique

1
Voir Browne, 1989a, p. 5, 7. Pour des distributions complémentaires de r et l dans les
langues africaines, cf. Creissels, 1994, p. 129-130.
2
Transcription grecque du nom d’Horus dans les anthroponymes égyptiens théophores.
3
Cf. Griffith, 1911a, p. 15, 22 ; Schuchardt, 1913, p. 167 ; Griffith, 1917b, p. 165.
392 LA LANGUE DE MÉROÉ

Gqvli, qui ne fait que reproduire l’aspiration (« esprit rude ») du rhô initial
grec.

Nasales

Le méroïtique semble avoir disposé des deux nasales fondamentales /m/


et /n/. Comme on le verra, on a supposé l’existence d’une autre nasale, voire
deux, mais cette hypothèse ne nous paraît pas nécessaire.

Bilabiale /m/

La nasale /m/ était réalisée comme une bilabiale [m], ainsi que l’attestent
les parallèles suivants avec l’égyptien, le grec et le latin, où la transcription
est constante :
mér. m / ég. m / grec µ / lat. m

– anthroponyme mér. Mnitore / transcr. ég. Õlm,s2z-vx|qx'-s(+ Õlm,cq'-s(,x '-s(


– anthroponyme mér. Tqoridemni / transcr. dém. Spqqlm
– anthroponyme mér. Ntkmni / transcr. ég. Msj,Õlm+ Msf,Õlm+ Mcj2lm
– anthroponyme mér. Mntwwi / transcr. dém. Lmsvi
– anthroponyme mér. Bekemete / transcr. dém. Ajlsx
– anthroponyme ég. O'2(,ƒÄl (copte paxwm), gr. Παχουµις / mér. Pƒome, Pƒeme
– anthroponyme dém. Õr,ls , gr. Σµιθις / mér. Semeti
– anthroponyme lat. Maximinus / trancr. mér. Mkesemene
– théonyme ég. Õlm , gr. Αµουν / mér. Amni
– théonyme ég. Õlm',l,(Õo-s « Amon de Louxor » (grec Αµενφις) / mér. Amnp
– théonyme ég. Lv-s « Mout » / théonyme mér. Mt
– théonyme mér. Apedemk / transcr. ég. Õoqlj
– toponyme mér. Adomn « Arminna » (ég. ƒ2,c,vlm ?) / lat. Andumana (?)
– toponyme mér. Amod localité indéterminée / lat. Amoda
– toponyme lat. Roma « Rome », grec Ρẃµη / dém. Gqvli / mér. Arome
– toponyme mér. Pedeme « Primis » / transc. ég. Oql-s, gr. Πρµις, Πρµις
– toponyme moy.-mér. Medewi « Méroé » / ptol. L«,q,v2,«, dém. Lqv-s, gr.
Μερóη
– titre ég. o2,lq,lëƒ « le stratège » (gr. [πλεµεισα) / mér. pelmos

Il est possible que devant le /b/, le phonème /m/ n’ait pas été écrit, à
l’instar du /n/ devant apicales : on ne peut cependant avancer qu’un exemple, le
toponyme méroïtique Qerbe, de localisation discutée, qui correspond peut-être
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 393

chez Pline l’Ancien aux noms de localités Corambim (itinéraire de Juba) et


Curambeta (d’après Bion).
On trouve quelques variantes où b est en apparence substitué à m. C’est le
cas notamment des formes néo-méroïtiques Bedewi « Méroé » et beloloke
(titre sacerdotal élevé) face au médio-méroïtique Medewi et ameloloke. Nous
avons expliqué précédemment ces évolutions par la chute du schwa noté e,
suivie d’une épenthèse puis d’une simplification 1 :
dans Medewi : [mŒÇ]- > [mÇ]- > [mbÇ]- > [bÇ]- écrit bed- dans Bedewi
dans ameloloke : [mŒl]- > [ml]- > [mbl]- > [bl]- écrit bel- dans beloloke

On trouve également l’hapax ‚blol dans la formule de bénédiction C en


REM 0277, là où toutes les autres épitaphes présentent ‚mlol. Priese a
proposé de voir dans ce complexe mal compris un syntagme nominal *‚b(e)
+ mlo-l « un bon repas » 2, où le b se serait habituellement assimilé de
manière régressive avec le m suivant, d’où la forme courante ‚mlol, alors
qu’en REM 0277, l’assimilation aurait été progressive, d’où une variante
‚blol (Priese, 1979, p. 125).

Apicale /n/ — Éventualité d’autres nasales


Le phonème nasal /n/ dispose de trois graphies différentes : il est écrit n
en syllabe de timbre /a/, /i/, /u/, ne en syllabe de timbre /e/ et /Œ/, ainsi que
lorsqu’il a valeur purement consonantique, en finale de mot par exemple.
Enfin, comme nous l’avons vu auparavant, il n’est pas écrit, sauf exception,
lorsqu’il correspond à une consonne simple devant les graphèmes ‚, k, d, t et
sans doute ƒ. Les équivalences suivantes présentent avec une belle unanimité
un parallèle constant entre le /n/ méroïtique et le /n/ égyptien, grec ou latin :
mér. n, ne / ég. n / grec ν / lat. n
– anthroponyme mér. Mnitore / transcr. ég. Õlm,s2z-vx|qx'-s(+ Õlm,cq'-s(,x '-s(
– anthroponyme mér. Tqoridemni / transcr. dém. Tqrrmn
– anthroponyme mér. Ntkmni / transcr. ég. Msj,Õlm, Msf,Õlm, Mcj2lm
– anthroponyme mér. Mntwwi / transcr. dém. Lmsvi
– anthroponyme mér. Snpte(-li) / transcr. dém. Rmosi
– anthroponyme mér. Tenekitnide / transcr. dém. 2smfxsmqx2

1
La même évolution est attestée dans des langues diverses : on comparera le grec βλẃσκω
« je vais » / aor. µολον « j’allai » / parf. µéµβλωκα « je suis allé », où le présent et
le parfait ont le degré zéro de la racine mel / mol / ml avec épenthèse en β et où, au présent,
l’iniale complexe *µβ s’est simplifiée par chute du µ. Pour plus de détail sur cette évolution
en méroïtique, voir Introduction p. 37.
2
Contra : Hofmann, 1981a, p. 195.
394 LA LANGUE DE MÉROÉ

– anthroponyme dém. Rrm / mér. Ssno


– anthroponyme lat. Maximinus / trancr. mér. Mkesemene
– théonyme ég. Õlm , gr. Αµουν / mér. Amni
– théonyme ég. Õlm',l,(Õo-s « Amon de Louxor » (grec Αµενφις) / mér. Amnp
– toponyme ég. 'Oq,(Mar « Pnoubs » (grec. Πνοúψ, lat. Nups) / mér. -Nbse
– toponyme mér. Npte « Napata » / transcr. ég. Mos, gr. Νáπατα
– toponyme mér. Adomn « Arminna » (ég. ƒ2,c,vlm ?) / lat. Andumana (?)
– toponyme mér. Akine Basse-Nubie / dém. 2jimx / lat. Acina
– titre ég. o2,lq,ëm « l’administrateur de temple » (gr. [πλεσωνις) / mér. plsn
– titre ég. ∆l,msq « prophète » (copte xont) / mér. ant « prêtre »
– titre mér. qorene « scribe royal (?) » / transcr. dém. pqmi+ pvqmi+ pqmi2
– titre mér. ƒoƒonete (fonction inconnue) / transcr. dém. ÄÄmÕsi

graphème absent en mér. / ég. n / grec ν, lat. n


– anthroponyme mér. Arik‚ror / transcr. ég. Õqjm~qq
– théonyme ég. Ãq,mc,«s<e+ gr. Αρενδωτης « Harendotès » / mér. Arette
– théonyme ég. °mrv, gr. Χóνς « Khonsou » / mér. ¬s (?)
– anthroponyme mér. Wyekiye / transcr. dém. VxmfxÕ
– titre mér. kdke, ktke « Candace » / ég. jms«jx, gr. κανδáκη
– titre mér peseto « vice-roi » / transcr. grecque ψεντης, transcr (?) ég. o ri,mri
– titre mér. arebetke (fonction fiscale) / dém. Õqasmfxƒ
– titre ég. ∆l,msq « prophète » , copte xont / mér. at « prêtre » (var. tardive de ant)

La transcrition démotique pqmi (et var.) du méroïtique qorene « scribe


royal (?) » avait encouragé Griffith à distinguer deux phonèmes différents /n/
pour le signe n et /ñ/, qu’il transcrivait ñ, pour le signe N (actuel ne). Il
voyait en outre dans l’emprunt de ce dernier signe par le vieux-nubien pour
transcrire sa nasale palatale /ñ/ (transcrite également ñ) une confirmation de
la valeur supposée du caractère méroïtique 1. À l’intérieur de son tableau
phonologique, il distinguait donc trois nasales m, n et ñ. Dans ses deuxièmes
« Meroitic Studies », bien qu’il continuât à transcrire ñ, il admettait que le
signe devait représenter n suivi d’une voyelle e, puisque d’une part il n’était
jamais suivi d’un caractère vocalique et que d’autre part n pouvait être suivi
de toute voyelle sauf e (Griffith, 1916b, p. 117). Malgré ces objections
majeures, la translittération ñ et l’interprétation palatale du phonème ainsi
individualisé perdurèrent jusqu’aux travaux de Hintze et bien au-delà 2.

1
Griffith, 1911a, p. 14. Pour l’emprunt de signes méroïtiques par le vieux-nubien, voir ci-
dessus, p. 34.
2
Voir Meinhof, 1921-1922, p. 5, Meinhof, 1930, p. 3, Zawadowski, 1972, p. 28 pour
l’interprétation phonologique. Pour la translittération ñ, voir Tableau 9, p. 241.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 395

Cette identification fondée sur si peu d’éléments céda cependant peu à


peu : Vycichl fit assez tôt remarquer que la transcription par le démotique
qrnj du méroïtique qorene ne prouvait pas le caractère palatal du ne, puisque
le démotique ne possédait pas un tel phonème (Vycichl, 1958, p. 75). Il
proposait donc plutôt une valeur syllabique fixe ni, mais c’était apparemment
méconnaître les observations de Griffith, 1916b. Les communications de
Priese (Priese, 1973b, p. 288), puis de Hintze (Priese, 1973c, p. 321-322) au
Congrès de Berlin de 1971, en fixant une valeur /nŒ/ ou /n/ pour le signe N,
montrèrent qu’il n’y avait pas de place pour une nasale palatale en
méroïtique.
Il restait cependant à comprendre l’emprunt du signe ne méroïtique par le
vieux-nubien pour l’écriture du phonème /ñ/ en cette langue. Hintze avança
une intéressante hypothèse : cette valeur du signe nubien s’expliquerait par la
fréquence de la succession [nj] en méroïtique, marquée neye, particuliè-
rement dans les noms propres. Le signe aurait donc été gardé pour transcrire
une nasale palatale (Hintze, 1987, p. 44). Effectivement, dans notre
« lexique », près de 40 % des occurrences de la succession ne à l’intérieur
d’un mot sont suivies d’un y. Il nous semble néanmoins qu’il existe une
explication plus simple. Si l’on en croit nos précédentes analyses, il y a de
fortes chances pour que cette nasale ait été réalisée en méroïtique, comme les
autres apicales /d/, /t/, /s/, avec une articulation rétroflexe. Le français, où /d/
et /t/ sont des occlusives apico-dentales, possède un /n/ de même articulation,
alors que l’anglais, qui présente des occlusives apico-alvéolaires, possède un
/n/ également apico-alvéolaire. Or le [Ö] rétroflexe, qui se réalise par une
occlusion par la pointe de la langue contre le haut de la voûte du palais,
s’approche acoustiquement de la nasale palatale [ñ], dont l’articulation se
produit au même point, mais avec la partie dorsale de la langue. Il n’est donc
pas étonnant que les premiers scripteurs du vieux-nubien aient recyclé le
signe méroïtique transcrivant une rétroflexe pour transcrire leur palatale.
Puisqu’ils utilisaient un système alphabétique, ils ont privilégié le caractère N
ne, qui pouvait avoir une valeur simplement consonantique /n/, aux dépens
du signe proprement syllabique n n, qui se lisait /na/.
Un autre parallèle avec le vieux-nubien a conduit Priese, puis Hintze, à
avancer l’existence d’un autre phonème nasal, la vélaire [Ñ]. En effet, le
signe µ utilisé dans l’alphabet du vieux-nubien pour transcrire cette
consonne, qui constitue un véritable phonème dans cette langue 1, ressemble
beaucoup au h ‚ méroïtique. Griffith, qui avait déjà relevé cette analogie,
suggéra prudemment une coïncidence, et refusa d’en tenir compte pour
l’établissement de la valeur phonétique du signe (Griffith, 1911a, p. 15).

1
Le vieux-nubien comporte quatre nasales phonologiquement distinctes : /m/, /n/, /õ/ et /ñ/
(voir tableau chez Browne, 1989a, p. 4).
396 LA LANGUE DE MÉROÉ

Meinhof, quant à lui, en tint partiellement compte dans son interprétation de


ce caractère, mais ne proposa pas pour autant une réalisation nasale
(Meinhof, 1921-1922, p. 2) 1. Priese ensuite avança l’hypothèse sous forme
d’interrogation (Priese, 1973b, p. 288), et Hintze la reprit de façon plus
ferme, allant jusqu’à proposer une translittération g pour le signe en question.
Cependant, cette thèse ne reposait toujours que sur la similitude de tracé
entre le méroïtique et le vieux-nubien. Les quelques équivalences entre le ‚
méroïtique et le ~ égyptien, l’hésitation, voire le jeu d’alternance 2 dans
certains mots entre les graphèmes ‚ et ƒ (mƒe / m‚e « abondant »)
semblaient oubliées.
L’interprétation de Peust selon laquelle le signe du vieux-nubien est issu
du ' copte par l’ajout d’un trait inférieur diacritique nous paraît beaucoup
plus plausible (Peust, 1999, note 58, p. 78). La forme très anguleuse du signe
vieux-nubien s’accorde d’ailleurs bien mieux avec le tracé de la lettre
grecque. Le méroïtique n’aurait donc joué aucun rôle dans la création de ce
signe, et le seul argument en faveur de l’existence d’une nasale vélaire
phonologique dans cette langue tombe de lui-même. Il est néanmoins
probable que devant ‚, ƒ, k, le phonème /n/ devait posséder une réalisation
vélaire [Ñ], comme le prouve le parallèle probable entre le toponyme
méroïtique Beqe, Boq- et sa transcription, dans le récit de la campagne de
Petronius chez Pline, par le latin Bocchis, calquant évidemment un original
grec perdu %ä(P4H [bØúÑkhis] 3. Cependant, il ne s’agit alors que d’une
variante combinatoire, et non d’un phonème à part entière.

Synthèse du système phonologique des consonnes méroïtiques


Le système des consonnes, tel qu’il avait été suggéré par Griffith, était le
suivant (Griffith, 1911a, p. 22) :

Tenues Mediae Nasales Spirantes Liquidae


Gutturals k g (q) ‚, ƒ
Palatals ñ Ñ y
Dentals t n s, z ? r, l
Labials p b m w

1
Voir supra, p. 384.
2
Cf. ci-dessus, p. 306-307.
3
Probablement s’agit-il de la localité nommée Αβονκις chez le géographe Ptolémée.
Depuis la rédaction de cette note, nous avons eu la confirmation, par le professeur Jehan
Desanges, de l’existence de cette forme grecque, telle que nous l’avions reconstituée,
dans les Ethnika de Stéphane de Byzance (éd. Meineke, s. v. p. 191).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 397

Nous pouvons, à partir des données précédemment étudiées, proposer un


nouveau classement, qui, si l’on met de côté les progrès de la description
phonologique et de la précision phonétique, ne bouleverse pas fondamen-
talement les données établies par le premier des méroïtisants. Tout au plus peut-
on constater que l’interprétation des vélaires est différente, et que le phonème
*/z/, hypothétique chez Griffith, a laissé place à une occlusive /d/. On est donc
bien loin des révolutions prônées par Meinhof, Zyhlarz ou Zawadowski, qui
envisageaient l’existence d’emphatiques et de palatalisées à foison.

Tableau 20 : Système phonologique des consonnes méroïtiques

apicales vélaires
bilabiales palatales vélaires
/rétroflexes labialisées
voisées /b/ [b] /d/ [Ç]
occlusives
/p/ [p] ?
non voisées /t/ [™] /k/ [k] /q/ [kw]
(< égyptien)
fricatives
/s/ [È] /‚/ [x] /ƒ/ [xw]
(non voisées)
approximantes /l/ [l] ou [}] /y/ [j] /w/ [w]

vibrantes /r/ [r] ou []

nasales /m/ [m] /n/ [Ö]

LE SYSTÈME VOCALIQUE

Contrairement aux consonnes, les voyelles méroïtiques se laissent diffi-


cilement classer dans un système cohérent, qu’il s’agisse de transcription ou
de théorie phonologique 1. Griffith le remarquait déjà dans ses « Meroitic
Studies II » :
« The notation of vowels in Meroitic (...), and the actual values of the vowel signs
are questions which still bristle with difficulties. (...) Even after allowing for the
imperfection of the evidence, the uses of the vowels signs in Meroitic seem
curiously elusive and capricious. Perhaps the difficulties lie partly in the mixture
of evidence from different ages. (Griffith, 1916b, p. 118)

1
Sur le système vocalique du méroïtique, les principales études sont : Griffith, 1916b,
p. 118-122 ; Meinhof, 1921-1922, p. 4 ; Zawadowski, 1972, p. 16-22 ; et surtout Hintze,
1973d (« Die meroitische Vokalschreibung »).
398 LA LANGUE DE MÉROÉ

It seems impossible to make any consistent scheme for the vowels. If the
vocalisation of a word is known some kind of explanation of the reasons for the
use of the vowel signs in writing it can be given, but it is impossible to judge how
a word was vocalised from the evidence of the Meroitic writing alone. » (Griffith,
1916b, p. 121)

Les racines de ce problème sont multiples, mais procèdent toutes du rôle


secondaire des voyelles dans la langue égyptienne et de leur notation défec-
tive dans les écritures de l’Égypte pharaonique. La plupart des équivalences
qui nous avaient guidées précédemment dans la compréhension du système
consonantique mettent en effet en parallèle le méroïtique et l’égyptien (ou le
démotique) : or, les transcriptions égyptiennes se limitent le plus souvent aux
consonnes et négligent les voyelles. De plus, l’inconsistance de la notation
des voyelles dans l’écriture égyptienne ne pouvait manquer de se répercuter
sur le méroïtique, qui ne dispose que de moyens limités pour les écrire
puisque son système graphique dérive du démotique. Enfin, l’étude des
voyelles a généralement été négligée par les savants, soit qu’on ait voulu
rattacher le méroïtique au phylum chamito-sémitique, et donc minorer leur
rôle dans l’organisation du lexique, soit qu’on ait désespéré de leur attribuer
une valeur fixe en raison notamment des nombreuses variations que l’on
constate d’une graphie à l’autre 1. Si, comme il est possible, le méroïtique
appartient au phylum « nilo-saharien », il ne peut être indifférent d’identifier
avec précision la valeur des phonèmes vocaliques, dont les variations ont
souvent dans les langues de cette famille un rôle morphologique de premier
plan, notamment dans la distinction des personnes verbales (voir Greenberg,
1966b, p. 130-131).
Nous ne prétendons pas ici démêler ce difficile problème : les équi-
valences disponibles sont actuellement insuffisantes, car seuls le grec et le
latin offrent des données contemporaines entièrement vocalisées, mais hélas
en trop petit nombre et avec une précision limitée. Tout au plus pouvons-
nous apporter quelques hypothèses nouvelles dans l’interprétation du
graphème e, de l’évolution du /a/ interne, et de l’usage de certaines variantes
en contexte labiovélaire.

Le phonème /a/

1
Cf. Griffith, 1911a, p. 22 ; Griffith, 1916b, p. 118, 121 ; Trigger, 1973a, p. 248 ;
Macadam, 1966, p. 49-50 ; Zawadowski, 1972, p. 16 ; Hainsworth, 1979b, p. 378.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 399

Cette voyelle est de loin la plus fréquente : près de 50 % des phonèmes


vocaliques 1 que l’on trouve dans notre « lexique » sont des /a/, ce qui
explique qu’elle ait été choisie comme « voyelle inhérente » (c’est-à-dire
voyelle par défaut en l’absence de spécification) dans le système syllabique
de l’écriture méroïtique. En syllabe intérieure ou finale, elle n’est donc pas
marquée par un signe spécifique. Au début des mots, elle se note au moyen
de l’initiale vocalique translittérée a par convention, et qui semble effec-
tivement correspondre à /a/ dans la plupart des équivalences 2. On a ainsi le
grec α pour mér. (A)b(e)rtoye « Abratoye », Arette « Harendotès », Atri
« Hathor », Amni « Amon », et la voyelle a en latin pour les toponymes
mér. Akine, Amod et peut-être Adomn si l’équivalence proposée par Priese
est correcte.
En position interne, la valeur /a/ de la voyelle « inhérente » est confirmée
par les versions grecques avec α de noms méroïtiques ou de mots égyptiens
empruntés par les Méroïtes : les anthroponymes (A)b(e)rtoye, Pyesi, Tyesi,
Pƒome « Pacôme », les titres Kisri « César », ktke « Candace », pelmos
« stratège », les toponymes Pilqe « Philae », Npte « Napata », Pƒrse
« Faras », et par les équivalences latines avec voyelle a des toponymes mér.
Qerbe, Adomn (?), Amod et du nom Mkesemene « Maximin ». Les
exceptions s’expliquent par un évolution phonétique de l’égyptien : il s’agit
de mots que le méroïtique lui a empruntés avant la fin du XIIIe siècle 3, alors
que les transcriptions grecques correspondent à la prononciation démotique.
On peut constater que le grec a ο [o], ω [Øú], ου [oú], voire υ [u] 4, là où le
méroïtique présente /a/ : on trouve ainsi les équivalences suivantes :
– mér. Ar (= /ara/) / gr. Ωρος « Horus »
– mér. ¬s (= /‚ansa/) / gr. Χóνς « Khonsou »
– mér. Arette (= /arentate/) / gr. Αρενδωτης « Harendotès »
– mér. Amni (= /amani/) / gr. Αµουν, Αµµων « Amon »
– mér. Atri (= /atari/) / gr. Αθυρ « Hathor »
– mér. Mt « Mout (?) » (= /mata/) / gr. Μουθ
– mér. –nbs(e) (= /nabas(a)/) / gr. Πνοúψ « Pnoubs » (toponyme)
– mér. plsn (= /palasana/) / gr. [π]λεσωνις « administrateur de temple »

1
47,5 % en position interne, auxquels il faut ajouter une grande partie des initiales
vocaliques, qui représentent 6 % des voyelles.
2
Pour le détail des équivalences citées dans cette section entre le méroïtique et les autres
langues, on se reportera aux pages 361-407. Pour l’interprétation graphique de l’initiale
vocalique, voir p. 286-292.
3
Voir supra, p. 17-18.
4
Et non [y] : voir Clarysse – Van der Veken 1983, p. 149.
400 LA LANGUE DE MÉROÉ

Semblablement, en position finale, le méroïtique écrit parfois un /a/ là où


le démotique, d’après le témoignage du grec ou du copte, présente un /e/
bref, ou une voyelle amuïe :
– mér. Wos (= /ãsa/) / gr. Ισις / copte hse « Isis »
– mér. Qes (= /qusa/) / gr. Χος « Koush »
– mér. ¬s (= /‚ansa/) / gr. Χóνς « Khonsou »

La voyelle /a/ en certaines positions est relativement instable, et tend à se


transformer en e, un signe qui représente probablement un schwa /Œ/ : notre
« lexique » comporte ainsi une quarantaine de mots où le /a/ alterne avec /e/.
Il n’est pas toujours facile de repérer à quelles époques correspondent
respectivement les formes en /a/ et celles en e, mais pour certains termes bien
représentés comme pesto / peseto « vice-roi », on peut établir sur des bases
paléographiques que le changement a dû se produire au Ier siècle de notre
ère 1. Il est assez probable que ce phénomène est lié à la position ou à la force
d’un accent d’intensité : on observera par exemple que le /a/ initial du nom
d’Amon est majoritairement présent dans le corpus général des textes
méroïtiques lorsque le mot n’est pas suffixé (60 occurrences de Amni contre
10 de Mni). Cependant, si le théonyme est suivi de la postposition génitivale
-se, la proportion s’inverse : on trouve 43 occurrences de Mni-se contre 6 de
Amni-se 2. Il semble plausible que l’adjonction de la postposition enclitique 3
-se modifie la structure prosodique du lexème, contribuant à faire disparaître
l’initiale /a/ qui était sans doute déjà devenue un schwa.
On pourrait penser que cette mutation tendrait à faire diminuer fortement
au cours du temps la proportion des /a/, et à accroître proportionnellement
celle des e. Or un examen comparatif de deux corpus, l’un remontant au
début du Ier siècle avant J.-C. (la longue stèle de Taneyidamani REM 1044),
l’autre au IIIe siècle de notre ère (textes de Qasr Ibrim REM 1182, 1183,
1232, 1233), montre que la fréquence relative de ces deux voyelles évolue
moins qu’on aurait pu l’attendre : le rapport de fréquence /a/ ≈ e (ramené à
100) passe de 62/38 en REM 1044 à 52/48 à Qasr Ibrim 4. Le caractère
conservateur de l’écriture méroïtique, maintes fois noté dans les chapitres
précédents, est probablement responsable de cette stabilité globale. Un de ses
effets est donc qu’à époque tardive (néo-méroïtique), la voyelle « inhérente »
peut être réalisée, selon les mots, /a/ ou /Œ/.

1
Voir Introduction p. 35-37.
2
Semblablement on trouve 16 fois la graphie Amnp « Amon de Louxor » pour 8 fois Mnp,
mais une seule fois Amnp-se contre 50 occurrences de Mnp-se.
3
Elle n’est pratiquement jamais dans l’écriture disjointe de son régime par un séparateur.
4
Le même calcul sur les stèles tardives de Méroé donne 53/47. Il ne s’agit donc pas d’un
phénomène dialectal réservé au Nord.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 401

Le schwa /Π/

La voyelle neutre /Œ/ est généralement notée par le graphème e, bien que,
comme nous venons de le voir, elle ait pu tardivement connaître une graphie
concurrente. Griffith avait déjà remarqué que dans certains cas, le signe e
transcrivait une voyelle extrêmement faible et labile :
« In (j) [pelmos], (k) [perite] it is the vowel of the Egyptian definite article, which
in Coptic is almost or quite vowelless, and in (g) [Pilqe] it terminates the name of
Philae, which in Coptic has no terminal vowel. (...) It stands for [yi] in early
writing but is evidently a very weak vowel. » (Griffith, 1911a, p. 9)

Examinant à nouveau la question quelques années plus tard, il remarqua


que le signe e correspondait parfois à une voyelle absente, mais dans d’autres
cas au grec η, c’est-à-dire à une voyelle longue /εú/ 1 (Griffith, 1916b, p. 119-
121).
Reprenant les exemples étudiés par Griffith dans son analyse du système
vocalique méroïtique, Hintze, au Congrès de Berlin de 1971, propose pour le
graphème e deux valeurs : /e/ et absence de voyelle (Hintze, 1973d, p. 334-
335). Très curieusement, son article principal, dont l’étude des voyelles n’est
qu’une « annexe » (« Anhang »), avance pour le signe e les valeurs phoné-
tiques [Œ] et [zéro], qu’il suggère de noter phonologiquement /e/ et /zéro/
(Hintze, 1973b, p. 322). Il y a manifestement une contradiction entre les deux
parties de la communication de Hintze, puisque dans l’étude des voyelles, il
précise bien que le phonème /e/ correspond à l’égyptien tardif e, transcrit en
grec η, en copte h. Il semble bien, au-delà de l’entrelacs étourdissant des
notations graphématiques, phonologiques et phonétiques, que Hintze n’a pu
véritablement accorder les pièces de son puzzle.
Au même moment, Zawadowski arrivait cependant à une conclusion
identique, l’existence d’un schwa /Œ/, à partir de bases entièrement théoriques
(Zawadowski, 1972, p. 16-22) : puisqu’il existait quatre graphèmes
vocaliques en méroïtique, la répartition ne pouvait être selon les théories
phonologiques alors en vigueur 2 que la suivante :
/i/ /u/
/Œ/
/a/

1
Le η grec était depuis le IIIe siècle av. J.-C. prononcé le plus souvent [iú] (iotacisme), mais
l’ancienne valeur semble s’être mieux conservée dans les transcriptions, notamment celles
effectuées par les lettrés (cf. Clarysse–Van der Veken, 1983, p. 148 ; Pestman, 1993, p. 488).
2
On parle aujourd’hui plutôt de « tendances », souvent appuyées statistiquement, que de
véritables contraintes (cf. Comrie, 1981, p. 19-22 ; Hagège, 1982, p. 3-12).
402 LA LANGUE DE MÉROÉ

Comme la valeur /i/ de i, et /u/ de o (noté alors ê) étaient désormais


certaines, et que le /a/ interne ou final n’était pas écrit, seul le signe e pouvait
correspondre au phonème /Œ/.
Cette valeur de schwa du e (/Œ/ ou absence de voyelle) méroïtique a été
adoptée par Priese, 1973b, p. 298 et Hofmann, 1981a, p. 31. Nous n’avons
nullement l’intention de la remettre en question. Tout au contraire, elle nous
semble indispensable pour expliquer la syncope de la voyelle ouverte /a/,
l’une des moins enclines à l’amuïssement 1. On doit supposer qu’en syllabe
atone, le /a/ originel est passé premièrement à /Œ/, avant de disparaître dans
certains cas. Sa trace est probablement marquée dans les transcriptions
grecques par la voyelle g, qui, concurremment à ο et υ 2, sert aussi à écrire le
schwa de l’égyptien tardif : on a ainsi mér. Medewi / gr. Μερóη « Méroé »,
mér. Selele / gr. Τεληλις « Shellal ». Dans le cas du toponyme Méroé, la
transformation du nom en Bedewi au Ier siècle de notre ère s’explique,
comme nous l’avons vu (p. 30-32 et 391), par l’amuïssement de la première
syllabe, qui se comprend mieux si la voyelle était faible.
Les équivalences montrant une valeur nulle de la lettre e sont par contre
assez nombreuses : on peut citer les anthroponymes mér. Tebiki / gr. Τβηχις ;
mér. Bertoye / gr. Αβρατοεις ; mér. Sipesiye / gr. Σεψις ; mér. Semeti /
gr. Σµιθις ; lat. Maximinus / mér. Mkesemene ; mér. peseto « vice-roi » /
gr. ψεντης ; les toponymes mér. Pƒrse / gr. Παχωρας, « Faras » ; mér. Pedeme
/ gr. Πρµις « Qasr Ibrim », mér. Qoreti / gr. Κορτη « Qurta ».

Le phonème /e/

La thèse de Hintze, selon laquelle le signe e ne notait que le schwa (/Œ/ ou


/zéro/), nous semble indûment réductrice. Elle semble faire table rase des
nombreuses correspondances, relevées en partie par Griffith, où l’on a, face
au méroïtique e, les voyelles grecques η ou ι, qui n’ont pas vocation à trans-
crire un schwa : mér. Beke / gr. Πβηχις, mér. Pyesi / gr. Παησις,
mér. Semeti / gr. Σµιθις , mér. Tyesi / gr. Θαησις, mér. Arome / gr. Ρẃµη
« Rome », mér. Pedeme / Πρµις, Πρµις « Qasr Ibrim », mér. Selele /
Τεληλις « Shellal », mér. ktke / gr. κανδáκη « Candace ».

1
Cf. Hagège, 1982, p. 22 : « Les voyelles atones qui, en toute position, se réduisent ou
tombent, tendent à être, par ordre de fréquence décroissante, les brèves centrales et
antérieures fermées, les postérieures fermées, les ouvertes. Il se trouve que la hiérarchie est
la même dans le cas, inverse, d’insertion de voyelle entre consonnes. Il est compréhensible
que les moins ouvertes soient, à la fois, les plus disponibles pour syllabifier un groupe
compact peu prononçable, et les plus menacées (faible clarté de leur timbre) ».
2
Voir Brunsch, 1978, p. 65.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 403

Un cas particulier est celui des finales en -ις, un élément que les Grecs
d’Égypte ont ajouté systématiquement après les consonnes (sauf /t/ et /d/)
dans les termes indigènes afin de leur fournir une base de déclinaison 1.
Comme d’autre part, un sigma final était adjoint dans le même but aux noms
terminés par une voyelle, on ne peut savoir, pour un toponyme comme
Πρµις (mér. Pedeme) « Qasr Ibrim » chez le géographe Ptolémée, s’il faut
rétablir une prononciation [pÇem] avec schwa final amuï ou [pÇeme] avec un
[e] fermé. Dans d’autres cas, où l’on possède des parallèles coptes, on peut
être sûr que la terminaison grecque -ις est entièrement artificielle : les noms
méroïtiques empruntés à l’égyptien Beke et Pƒome sont très probablement
terminés par un schwa.

Le phonème méroïtique /e/ possédait peut-être un éventail assez large de


réalisation phonétique, ce que les phonologues appellent une « zone de
dispersion », puisqu’il correspondait dans Pedeme « Qasr Ibrim » tantôt à la
voyelle fermée  [iú] dans la transcription Πρµις, tantôt à la voyelle semi-
ouverte η [εú] dans la transcription alternative Πρµις. On doit certes
reconnaître que ces versions grecques n’étaient pas toujours d’une grande
précision phonétique, et que l’iotacisme à l’ìuvre dans la langue
hellénistique perturbait la distinction entre les deux lettres. L’indication de
longueur ne doit pas non plus être prise à la lettre.
On retrouve toutefois la même hésitation en méroïtique, et de nombreuses
variantes ont i au lieu de e. On trouve ainsi les titres ‚lbine / ‚lbene,
perite / pirite, tqi / tqe, womnise-lƒ / womnese-lƒ, les toponymes Bedewi /
Bedewe « Méroé », Pilqe / Pelqe « Philae », etc. Cette fluctuation, qui
s’explique aussi, comme nous le verrons, par la structure de la phonologie
vocalique, fournit d’ailleurs un argument supplémentaire pour démontrer que
le graphème e ne transcrit pas seulement un schwa. Enfin on remarquera que
le nom de l’empereur d’Orient Maximin Daia est écrit en REM 1182
Mkesemene, avec deux /e/ transcrivant les /i/ du latin Maximinus.
La valeur du graphème e doit donc être reconsidérée : il représente en fait
deux phonèmes, /e/ et /Œ/, ce dernier pouvant être réalisé de deux manières :
une voyelle centrale [Œ], ou simplement une absence de voyelle.

Le phonème /i/
Ce phonème pose beaucoup moins de problèmes que les précédentes, et
correspond généralement au grec ι ou au latin i dans les équivalences
connues : on a ainsi mér. Asori / gr. Οσιρις « Osiris » (copte ousire),

1
Cf. Pestman, 1993, p. 485, 488.
404 LA LANGUE DE MÉROÉ

mér. Akine / lat. Acina, localité éponyme de Basse-Nubie, mér. Pilqe /


gr. Φíλαι « Philae ». On trouve également des transcriptions grecques en η, ce
qui n’est pas étonnant, dans deux toponymes : mér. Medewi / gr. Μερóη (à
moins qu’on ait ici la var. M(e)dewe), mér. Qoreti / gr. Κορτη (lat. Corte).
Hintze avait toutefois supposé que le graphème i était réalisé [i] et [e], deux
variantes phonologiquement non pertinentes si l’on en croit sa notation 1,
puisqu’il récusait la valeur [e] pour le graphème e. Selon notre précédente
analyse, /i/ et /e/ constituent véritablement une paire phonologiquement
distincte, même s’il existe dans certaines graphies alternatives, comme nous
l’avons signalé, une confusion entre ces deux phonèmes d’articulation
voisine : l’existence en latin d’une variante intelligere « comprendre », à côté
de la forme intellegere, n’empêche pas la distinction entre /i/ et /e/ d’être
pertinente dans cette langue.
Une variante surprenante, mais fréquente du théonyme Wos « Isis » est
Wis, ce qui tendrait à faire croire que les phonèmes /i/ et /u/ (écrit o) peuvent
échanger. En fait, la graphie Wos correspond probablement à une réalisation
[uúÈa] 2, et transcrit un emprunt ancien au moyen-égyptien, peut-être sous une
forme dialectale. Il nous paraît possible que le [uú] initial ait évolué dans
certaines conditions en [wi] par un transfert d’articulation connu par
ailleurs 3. La forme nouvelle, correspondant sans doute mieux à la phonologie
méroïtique, aurait coexisté avec l’ancienne, étymologiquement plus
conservatrice. Il n’y a donc probablement pas d’ambiguïté phonologique
entre les sons représentés par les graphèmes o et i en méroïtique, bien qu’il
reste quelques autres cas de variations o / i inexplicables pour l’heure 4.

Le phonème /u/ - Problèmes d’équilibre structurel du


système vocalique

1
Hintze, 1973c, p. 322 ; Hintze, 1973d, p. 334.
2
Voir ci-dessus, p. 291.
3
Creissels rapporte de tels exemples de « dislocation » (cf. ci-dessus note 1, p. 385) :
« gu → gwi ku → kwi
L’observation des emprunts appuie cette hypothèse : en tswana [langue bantoue du
Botswana] par exemple, les termes pour “foulard”, “école” et “sucre” sont
respectivement tdkd – tdkwR, sXk\l\ – sXk\lJ – sXkwJlJ, sdkXrR – swRkXrR ; dans chacun de
ces trois cas, la première variante correspond certainement à la forme sous laquelle le
terme a été emprunté, les autres résultant d’évolutions qui se sont produites
ultérieurement. » (Creissels, 1994, p. 112).
4
Par exemple le titre sacerdotal beloloke / beliloke et quelques var. de noms propres (voir
Hofmann, 1981a, p. 43).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 405

L’existence de voyelles postérieures en méroïtique est longtemps restée


source de débats 1. Dans Karanóg, Griffith ne disposait que des équivalences
suivantes pour interpréter la valeur du signe cursif o, hiér. o :
– ég. Ws«r « Osiris » (gr. Οσιρις, copte ousire) / mér. Asori 2
– ég. Õs. t (ancien 3s.t) « Isis » (gr. Ισις , copte hse) / mér. Wos
– ég. p3-mr-mëƒ « le stratège » (gr. [πλεµεισα, copte (p)lemhh0e) / mér. pelmos

Il était donc naturel qu’il supposât pour le graphème o une valeur [eú],
tirée des équivalences avec le copte et nullement contredite par les variantes
en [iú] du grec Οσιρις et Ισις, ces variations de timbre dans les trans-
criptions étant fréquentes. Il trouvait un élément de confirmation dans
l’origine du signe hiéroglyphique o, qu’il pensait dérivé de l’égyptien «∆.t
« vache », copte exe, que le méroïtique aurait transformé en [eú] après
élimination du ∆ étranger à sa phonologie (Griffith, 1911a, p. 13). Il proposa
donc pour ce caractère une translittération ê.
Dans ses « Meroitic Studies II », revenant sur ce signe, Griffith émit
quelques réserves : de nouvelles équivalences mises en lumière depuis la
rédaction de Karanóg le faisaient plutôt pencher en faveur d’une valeur /o/ :
mér. apote « envoyé » / ég. wpwt« (transcr. u-pu-ti en akkadien) ; mér. Arome
« Rome » / gr. Ρẃµη ; mér. B(e)rtoye « Abratoye » / gr. Αβρατοεις ; mér.
Pƒome / copte paxwm, gr. Παχουµις « Pacôme », ainsi que la transcription
de l’élément -to- dans le nom de la reine Amanitore par le signe égyptien
pour la « terre » t3, to en copte. À cela s’ajoutait que le signe hiér. o
pouvait aussi bien être interprété comme une variante de l’ég. ∆r, copte
xo 3. Enfin, on pouvait être sceptique sur la possibilité pour une langue de ne
pas posséder de voyelles postérieures 4 (Griffith, 1916b, p. 121-122).
Toutefois, une nouvelle équivalence, le grec ψεντης face au mér. peseto
« vice-roi », s’ajoutait à celles de Karanóg, et stabilisait en quelque sorte les
deux plateaux de la balance, si bien que, ne pouvant se prononcer en faveur
de l’une ou l’autre hypothèse, Griffith refusa de changer sa translittération
initiale et conserva ê.
Meinhof, puis Zyhlarz, intégrèrent la voyelle [o] (ou [u]) dans le répertoire
phonétique méroïtique, sans toutefois préciser clairement quel était son statut

1
Pour l’évolution parallèle des conventions de translittération du signe o, voir ci-dessus,
p. 237-238.
2
On rappelle que la translittération donnée ici, sauf indication contraire, est celle de
Hintze, 1973c, uniformément utilisée dans l’ensemble de notre étude (voir p. 238).
3
Voir ci-dessus, p. 269-270.
4
Griffith avait été en effet ébranlé par les remarques de Schuchardt, parues peu après
Karanóg : « Unerklärlich (...) erscheint uns der Mangel eigener Zeichen für o, u. Wir
können uns eine Sprache ohne dunkeln Vokal überhaupt nicht gut vorstellen, am
wenigsten eine als deren direkte Vorsetzung man das Nubische betrachten möchte. »
(Schuchardt, 1913, p. 167).
406 LA LANGUE DE MÉROÉ

phonologique ou graphique (Meinhof, 1921-1922, p. 4 ; Zyhlarz, 1930, p. 415).


C’est à Vycichl que l’on doit l’identification du graphème transcrit ê par
Griffith avec une voyelle postérieure /o/ ou /u/ (Vycichl, 1958, p. 76). Mais
c’est à Hintze qu’en revient la démonstration : dans son étude des voyelles
(Hintze, 1973d, p. 332-333), il reprenait les étymologies de Griffith pour les
signes hiéroglyphiques o et u (voir ci-dessus), et montrait que les
transcriptions de mots égyptiens en méroïtique conféraient presque toutes une
valeur /o/ ou /u/ au graphème anciennement translittéré ê. Les apparentes
exceptions comme Wos « Isis » et pelmos « général », s’expliquaient par un
emprunt au moyen-égyptien, où selon lui ces mots étaient réalisés avec un */ã/.
Il reconnaissait cependant que le mér. Asori pour l’ég. Ws«r, gr. Οσιρις, et
pes(e)to pour le gr. ψεντης étaient difficilement explicables (ibid. p. 335). Il
concluait donc que le signe o , hiér. o, représentait un phonème /o/, de
réalisation phonétique [o] ou [u] (Hintze, 1973c, p. 322-323) 1.
Parallèlement, Zawadowski, se fondant presque uniquement sur la théorie
phonologique, arriva à des conclusions assez semblables : ce graphème trans-
crivait selon lui un phonème méroïtique /u/ (Zawadowski, 1972, p. 20-22).
Cependant, il n’envisageait pas de phonème /o/ indépendant, si bien qu’en
dépit des divergences de conventions, Hintze et Zawadowski étaient
fondamentalement d’accord : il existait phonologiquement une voyelle
postérieure en méroïtique, mais une seule 2.
Une vérification sur les équivalences avec les autres langues s’impose
cependant, car des données nouvelles, notamment sur les toponymes, ont été
proposées depuis ces travaux 3. L’égyptien et le démotique ne sont guère
concluants, car les transcriptions sont trop irrégulières : le titre akroro
« prince (?) » apparaît ainsi sous la forme 3krrj à Philae, où le premier o n’est
pas pris en compte, et le second apparemment rendu par j. Le nom d’Abra-
toye, mér B(e)rtoye se présente sous la forme 3brtj sans transcription du o.
Dans le nom de Naga, mér. Tolkte / ég. hiér. Tw(«)lkt, le o est rendu une fois
par w, une fois par w«. On voit qu’il est impossible de tirer des conclusions
de telles équivalences. En copte, seules deux transcriptions peuvent être
utilisées, avec grande prudence en raison de la distance chronologique et des

1
Sa théorie a été reprise par Hofmann, mais avec une notation phonologique /u/
(Hofmann, 1981a, p. 32).
2
On peut ajouter à ces deux contributions celle de Vycichl dans la Meroitic Newsletter
n° 13, qui n’envisage les faits que d’un point de vue phonétique, et aboutit à une
réalisation [o] pour le graphème o. Il reste prudent sur l’existence d’un [u] en méroïtique,
bien qu’il estime que c’est probablement ainsi qu’était réalisée l’initiale vocalique dans
Asori « Osiris ». Il doute de l’existence de la voyelle centrale /Œ/, dont les preuves lui
paraissent à cette époque insuffisantes (Vycichl, 1973b, p. 62).
3
Nous excluons de notre examen les mots Wos, Asori, peseto et pelmos, qui avaient égaré
Griffith, et pour lesquels il semblent bien que la vocalisation ne corresponde pas à celle
communément admise pour leurs étymons égyptiens (influence dialectale ?).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 407

variations vocaliques dialectales habituelles en cette langue. On trouve pour


le mér. o une valeur [u] dans le copte kourte pour mér Qoreti « Qurta », une
valeur [oú] dans paxwm face au mér. Pƒome.
Dans les transcriptions grecques, figure un ο face au o méroïtique dans
B(e)rtoye « Abratoye » / gr. Αβρατοεις et dans le toponyme Qoreti
« Qurta » / gr. Κορτη ; on a ω dans mér. Arome / gr. Ρẃµη « Rome » et on
trouve @L dans le nom mér. Pƒome « Pacôme » / gr. Παχουµις ainsi que
dans le toponyme mér. Boq- « Quban » / gr. Αβονκις.
Enfin, dans les itinéraires de Bion et de Juba rapportés par Pline, on ren-
contre un o latin face au méroïtique o dans les toponymes Bocchis / mér. Boq-
et Amoda / mér. Amod, mais un u dans Andura / mér. Dor.
On peut donc constater, particulièrement par le témoignage du latin, que
les voyelles [o] et [u] sont inextricablement mêlées, ce qui semble montrer
que ces deux valeurs phonétiques sont au minimum écrites par le même gra-
phème, et peut-être qu’elles ne constituent que deux réalisations différentes
du même phonème. L’hypothèse de Hintze paraîtrait donc confirmée.
Or, dans la perspective de notre analyse précédente, qui accordait à [e] un
statut phonologique à part entière, l’absence de distinction entre [u] et [o] au
sein d’un phonème unique ne va pas sans problème, car on trouve souvent
dans les systèmes vocaliques des langues le même nombre de voyelles
antérieures que postérieures : on ainsi parmi les dispositions les plus
courantes (voyelles orales brèves) :

(A) (B) (C)

/i/ /u/ /i/ /u/ /i/ /u/


/Œ/ /e/ ±/Œ/ /o/
/a/ /a/ /a/

Le système (A) est celui de l’arabe littéral ou du moyen-égyptien, et en


général de 11 % des langues actuelles 1. On trouve notamment le système B
dans plusieurs dialectes berbères. Le système (C) sans /Œ/ est celui du latin,
du daju 2, du vieux-nubien 3 et de 24 % des langues actuelles. Le même avec
/Œ/ est celui du copte, du kanouri et de 14 % des langues actuelles. Dans la
théorie phonologique de Hintze ou de Zawadowski, le méroïtique appar-
tiendrait au système (B), assez peu fréquent mais connu par l’exemple du

1
Chiffres sur un corpus de 754 langues actuelles d’après Hagège, 1982, p. 17-18.
2
Langue « nilo-saharienne », comme le kanouri : voir p. 477. On notera que, dans ce
phylum, les langues proprement nilotiques comme le dinka, le maasaï, le bari, ont un
système vocalique beaucoup plus complexe comportant un ou deux degrés d’apertures
supplémentaires.
3
Cf. Browne, 1989a, p. 3.
408 LA LANGUE DE MÉROÉ

kabyle, et comportant une parfaite symétrie entre les degrés d’aperture.


Cependant, cette disposition symétrique, bien que majoritaire, n’est
nullement obligatoire, et l’on connaît de nombreux systèmes phonologiques
qui présentent un nombre différent de degrés d’aperture à l’avant et à l’arrière.
C’est selon les travaux statistiques de Hagège, le cas de 14 % des systèmes
vocaliques :
« Le nombre d’aperture à l’avant est égal ou supérieur à celui qu’on trouve à
l’arrière. On constate que dans 86 % des langues de l’échantillon, il lui est égal, et
qu’il lui est supérieur dans 13 % et inférieur dans 1 %. » (Hagège, 1982, p. 18)

Ainsi le système des voyelles en maltais 1 se présente-t-il avec une


dissymétrie entre articulations postérieures et antérieures, ces dernières étant
effectivement plus nombreuses :

/i/
/ε/ /Ø/
/a/

Deux langues anciennes connaissent un système semblablement


dissymétrique : le sumérien, pour lequel les tentatives de reconnaissance d’un
phonème /o/ n’ont jusqu’à présent recueilli que peu d’adhésions 2, et
l’étrusque, où l’absence de /o/ est évidente puisque cette lettre, qui figure
pourtant dans les abécédaires, n’apparaît jamais en situation dans les mots
indigènes, et que, dans les emprunts au grec, elle est systématiquement
remplacée par la lettre Y, puis V, valant /u/ 3.

À en juger par l’exemple de l’étrusque, les langues qui connaissent ce


système ont une forte tendance à reproduire dans les voyelles antérieures la
grande marge d’articulation disponible dans les postérieures, et le phonème
/e/ dans ces conditions se révèle particulièrement instable, au point que sa
réalisation chevauche souvent la zone spécifique du /i/. Ainsi les deux lettres
E et I permutent facilement en étrusque 4. Or nous avons vu que le même
phénomène se produisait souvent en méroïtique (supra, p. 380-381), ce qui
constitue sans doute un indice supplémentaire de l’absence de phonème /o/

1
Nous remercions Mme Martine Vanhove, linguiste au LLACAN et spécialiste du maltais,
pour cette précision.
2
Voir Thomsen, 1984, p. 38-40.
3
Voir L. Bonfante : L’ætrusque dans Bonfante, L., Chadwick, J. et al. (1994), La
Naissance des æcritures. Paris, éditions du Seuil, p. 421, 424.
4
Cf. Bonfante, 1994 p. 424 (voir ci-dessus note 3 pour cette référence).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 409

dans son système vocalique. On peut donc proposer à titre hypothétique la


distribution suivante pour les voyelles méroïtiques :
/i/ /u/
/e/ /Œ/
/a/

c’est-à-dire peut-être un système d’oppositions phonologique comme tel :


/i/ /u/
/e/ /Œ/
/a/
Outre la très rare variante i pour o attestée dans Wos / Wis « Isis » et qui
correspond plutôt à une alternative [uú] / [wi] (cf. p. 402), on trouve,
beaucoup plus fréquemment, une alternance graphique o / e dans certains
mots. La plupart du temps, le phénomène se produit après ou avant une
vélaire labialisée comme q [kw] ou ƒ [xw], et nous l’avons expliqué ci-dessus
(cf. p. 379) par une interprétation acoustique de la voyelle comme neutre, en
une sorte d’« haplographie » de la qualité labiovélaire, qui dans les séquences
-qo-, -ƒo- est commune à la consonne et à la voyelle. Ainsi qowi « c’est lui »,
prononcé [kwuwi], est parfois écrit qewi, une graphie qui correspondrait en
toute logique à [kwŒwi], mais ces deux réalisations sont quasi indif-
férenciables à l’oreille. Une autre hypothèse assez proche consisterait à
penser qu’un schwa originel [Œ] a été « coloré » en [u] par la présence de la
vélaire labialisée. Il est possible que les deux phénomènes se soit produits
simultanément, puisque, selon les mots, la graphie la plus fréquente est, soit
en e (mƒe / mƒo « abondant »), soit en o (qowi / qewi).

Voyelles longues et diphtongues

Nous avons tâché de prouver dans le chapitre précédent l’existence des


diphtongues [aMi] et [aMu] en méroïtique (cf. p. 296-297), ainsi que de la
voyelle longue [iú] (cf. p. 293). Il n’est pas possible actuellement, étant donné
l’aspect défectif de la notation des diphtongues, de savoir quelle était leur
fréquence, et s’il s’agit véritablement de phonèmes, ou simplement
d’accidents phonétiques dus au contacts de deux voyelles simples. Il en va de
même pour les voyelles longues : leur notation compliquée et irrégulière
(ainsi [iú] peut être transcrit -eyi ou simplement -i) rend leur identification
difficile, et le seul exemple évident (Asoreyi « ô Osiris ») est le résultat d’une
contraction d’un -i lexical et du suffixe -i de vocatif, ce qui n’oriente guère
dans le sens d’une distiction phonologique.
410 LA LANGUE DE MÉROÉ
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 411

STRUCTURE SYLLABIQUE DES MOTS

Ici aussi, la plus grande prudence s’impose, car la succession de deux


consonnes étant graphiquement marquée par l’introduction entre elles du
graphème polyvalent e, on ne peut dans la plupart des cas pas distinguer si
une séquence donnée C1 + e + C2 correspond à [C1eC2], [C1ŒC2] ou [C1C2].
De plus, on sait que la nasale n n’est généralement pas marquée devant
occlusive ou fricative. Ceci dit, il semble que les structures les plus repré-
sentées dans le lexique méroïtique soient CVCV et CVC. Les structures plus
longues sont fréquentes, mais elles proviennent généralement de l’ajout de
suffixes à des formes simples. Les syllabes intérieures fermées existent dès
l’époque ancienne, comme le prouvent des transcriptions grecques comme
κανδáκη 1, mais elles contiennent généralement une nasale en position de
coda. L’affaiblissement vocalique du Ier siècle de notre ère a toutefois créé
des successions consonantiques autrefois absentes, comme dans le toponyme
Pedeme « Qasr Ibrim » 2, transcrit Pind[em]is par Bion (IIIe s. av. J.-C.)
Pidema par Juba (fin Ier s. av. J.-C. ), mais écrit Πρµνις par Strabon (début
de notre ère), puis Πρµις par Ptolémée (IIe s. apr. J.-C.). Dans ces deux
dernières formes, la succession Πρ- transcrit acoustiquement la séquence
méroïtique [pÇ], où la voyelle intermédiaire s’est amuïe.

PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES

L’écriture méroïtique étant phonétique, elle enregistre fréquemment les


modifications qui se produisent aussi bien de manière synchronique, par le
contact des mots ou des morphèmes au sein de la phrase, que diachronique,
par l’évolution de la prononciation à travers les siècles. C’est ainsi que nous
avons précédemment décrit l’affaiblissement vocalique qui a caractérisé le
passage du moyen-méroïtique au néo-méroïtique (cf. p. 30-31, 36).
Cependant, l’écriture est aussi le domaine par excellence de la tradition,
et nous avons noté à plusieurs reprises combien la conservation de formes
anciennes ou étymologiques pouvait brouiller notre perception des
changements et des accidents phonétiques. Leur reconstitution n’est pour
autant ni anecdotique, ni indifférente, et tout indique que le méroïtique était

1
Voir Griffith, 1911a, p. 22.
2
Voir note 1, p. 79. Le mot provient sans doute du néo-égyptien pÕ-dm« † k` bhs› ∞, selon
une suggestion de Priese reprise par Hofmann (Hofmann, 1981a, p. 114), ce qui corres-
pondrait peut-être à une prononciation originelle /pŒdime/, adaptée ensuite en méroïtique.
412 LA LANGUE DE MÉROÉ

une langue où l’assimilation, par exemple, jouait un rôle important 1. Le


travail de simplification et de rationalisation des complexes verbaux dans les
bénédictions funéraires par Hintze repose ainsi sur la compréhension de ce
phénomène (Hintze, 1979).
Mais à part cet essai, bien peu de recherches ont été menées sur la
question, et seule la singulière « loi de Griffith » (-se + -l > -t) a fait l’objet
d’une réflexion approfondie dans la tradition méroïtisante.

L’hypothèse de l’harmonie vocalique

On trouve çà et là dans les ouvrages des méroïtisants des mentions


d’« harmonie vocalique », notamment pour expliquer certaines irrégularités
qui se produisent sur quelques mots ou morphèmes diversement vocalisés 2.
Or l’harmonie vocalique, bien représentée dans de nombreuses langues
africaines, est un phénomène profond et globalement constant. On ne peut
simplement y recourir dès que la vocalisation fait difficulté. Les formes Woso
face à Wos « Isis », qorise « du roi » face à qore « roi », ne s’expliquent pas,
comme l’avançait Hofmann, par un phénomène de ce genre, mais par
d’autres accidents phonétiques : diphtongaison avec la voyelle suivante pour le
premier (voir supra, p. 296-297), assimilation pour le second (voir infra,
p. 413).

L’harmonie vocalique au sens strict ne consiste que rarement en un


alignement du timbre des voyelles, mais plutôt de leur aperture, de leur type
d’articulation, voire de l’avancement de la racine de la langue 3. Elle se
manifeste particulièrement dans les affixes, dont la vocalisation varie selon
les voyelles du mot auquel on les ajoute : un exemple bien connu est celui du
suffixe pluriel turc, qui se présente sous la forme -lar après voyelles radicales
postérieures, -ler après voyelles radicales antérieures : on aura donc adam-lar
« hommes », mais ev-ler « maisons ». On trouve également des traces d’un
tel système en sumérien de Lagash 4. Or le turc et surtout le sumérien sont des
1
Le même phénomène est abondamment représenté en vieux-nubien : cf. Browne, 1989a,
p. 5, pour une liste systématique.
2
Cf. Millet, 1973c, p. 313 et note 28, p. 319 (suffixe verbal -bte/-bite) ; Priese, 1977a,
p. 41 [2.2] (pour le -o- de Asori « Osiris ») ; Hintze, 1979, p. 72 (préfixe verbal ps- et var.
) ; Hofmann, 1981a, p. 43 (dans Wos / Woso), p. 94-95 (qorise « du roi » < *qorese),
p. 203, 209 (préfixe verbal ps- et var.) ; Hintze, 1989, p. 98 et note 5, p. 104 (comme trait
typologique de certaines langues), p. 100 (préfixe verbal ps- et var.) ; Rilly, 1999b, p. 81
(contra Hofmann, 1981a, p. 94-95).
3
Cf. Creissels, 1994, p. 89-103.
4
Cf. Thomsen, 1984, p. 39.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 413

langues typologiquement proches du méroïtique, partageant donc certains


traits communs avec lui 1. Aussi Hintze a-t-il supposé que le méroïtique
connaissait également une harmonie vocalique, particulièrement à l’ìuvre
dans le préfixe verbal des verbes de bénédictions (Hintze, 1989, p. 100).
Or, si tel était le cas, on aurait par exemple pour ce préfixe deux séries
distinctes, qui ne se mêleraient pas. Pourtant, on trouve toutes les formes
possibles aussi bien devant le radical verbal ƒe dans la formule de
bénédiction A que devant le radical ‚r dans la formule B : ps- /pasa/, psi-
/pasi/, pisi- /pisi/. Seule la forme pso- /pasu/ n’est attestée qu’en formule A,
mais on peut facilement expliquer le fait par l’influence de la vélaire
labialisée ƒ à l’initiale du verbe ƒe (cf. p. 385). D’autre part, le suffixe -k(e)te
qui suit généralement le verbe ne montre pas de différence selon la
vocalisation du préfixe. On pourrait accumuler les affixes qui présentent une
vocalisation uniforme, à commencer par le déterminant pluriel -leb, qui ne
varie pas selon les mots auquel on l’ajoute.
De plus, une enquête statistique sur les lexèmes isolés (dans le
« lexique ») ainsi que sur les mots en situation (stèle archaïque REM 1044,
textes tardifs de Qasr Ibrim), ne montre aucune préférence pour une
succession vocalique particulière ni aucune exclusion. La fréquence d’une
voyelle donnée à la suite d’une autre est approximativement égale à sa
fréquence absolue dans le système méroïtique 2, ce qui semble contredire
l’existence d’une quelconque harmonie vocalique régulière. Il demeure
cependant possible que certains « ajustements vocaliques » se soient produits
sporadiquement, comme on en a des exemples dans toutes les langues 3.

Assimilations
Le méroïtique présente de fréquentes assimilations, mais il fallut
beaucoup de temps pour qu’elles fussent reconnues comme un phénomène
régulier susceptible d’expliquer bien des irrégularités. Elles échappèrent ainsi
entièrement à Griffith. Zyhlarz fut le premier à leur accorder une place, mais
ses hypothèses étaient erronées. Il supposait en effet que l’anthroponyme
féminin Sweyibye en REM 0136 était issu du masculin Sweyibr (REM 0229,
0250, 0269) par l’adjonction d’un suffixe féminin -ye assimilé selon le
processus r + y > yy (Zyhlarz, 1930, p. 418, 427). En fait, la même base

1
Il ne s’agit évidemment pas d’une quelconque parenté : voir p. 501.
2
Avec cependant au fil des siècles une diminution des séquences a + a au profit de a + e,
due à l’affaiblissement vocalique en néo-méroïtique.
3
Fréquent par ex. en breton, ainsi butun « tabac », issu du français « pétun » ; voir aussi les
phénomènes de dilation vocalique (« Umlaut ») dans les pluriels germaniques
(ang. woman / women, all. Sohn / Söhne).
414 LA LANGUE DE MÉROÉ

sweyib- est affectée de deux suffixes d’anthroponymes différents : -r,


généralement réservé à la formation de noms masculins, et -ye, qui
s’applique aux deux sexes. Bien plus tard, Heyler suggéra une assimilation
*wetr + -li > wetrri pour expliquer que cette épithète du dieu Osiris dans les
invocations solennelles ne présente pas, contrairement à son équivalent
wetneyineqe-li pour Isis, le déterminant -li attendu (Heyler, 1964, p. 31) 1.
L’idée d’une assimilation était certes excellente, mais une conception encore
imparfaite du syllabisme de l’écriture méroïtique empêchait de voir que seule
une évolution *wetrre-li > wetrri était possible en ce cas pour que le /r/ et le
/l/ fussent effectivement en contact, le e indiquant l’absence de voyelle
finale. La seule assimilation correctement identifiée alors était -ne + -l > l (/n/
+ /l/ > /l/) 2, et ce par un jeu de double erreur, puisque l’on croyait d’une part
que les signes méroïtiques formaient un alphabet, et d’autre part que le signe
actuellement lu ne était une consonne simple ñ. On a ainsi les assimilations
suivantes pour les titres terminés par le suffixe spécifique -ne et suivis du
déterminant -l :
‚b‚ne + -l > ‚b‚l ‚lbil + -l > ‚lbil
‚rp‚ne + -l > ‚rp‚l sleqene + -l > sleqel

En revanche, on avait remarqué que l’assimilation ne se produisait pas si


le titre était suivi du prédicatif -lo(wi) 3 : on a ainsi en REM 0510/4 sleqene-
lo « il était sleqene ». Il faut supposer qu’elle se faisait dans la prononciation
courante, mais qu’elle n’était pas écrite par souci de clarté syntaxique.
La contribution la plus importante à l’étude des assimilations est sans
conteste le chapitre que Hintze consacra dans ses Beiträge zur meroitischen
Grammatik à l’analyse des complexes verbaux dans les bénédictions
funéraires (Hintze, 1979, p. 63-92). Le problème était le suivant : comment
se faisait-il que l’on ait une telle quantité d’affixes différents, parmi lesquels
certains ne différent que peu comme les préfixes p- et ps- ou les suffixes
-k(e)te, -k(e)tese, -kese, -te et -se ? Hintze suppose que la forme p- remonte à
*pse-, et présente une assimilation du -se- (=/s/) avec la consonne initiale du
lexème verbal. Ainsi pour le lexème verbal ƒol en bénédiction C on aurait le
schéma suivant 4 :

1
Contra : Priese, 1968, p. 183, note 101 et Priese, 1977a, p. 54-55. La réfutation de Priese
ne tient cependant pas entièrement compte de la nature syllabique de l’écriture
méroïtique. Voir aussi Hofmann, 1978c, p. 113.
2
Hintze, 1963a note 8, p. 3 ; Millet, 1969, note 9, p. 276 ; Heyler, 1967, p. 108 ; Priese,
1971 [1.13.3] p. 276 ; Trigger, 1973a, p. 254 ; Zawadowski, 1981, p. 42 ; Hofmann,
1981a, p. 35-36, 276-277.
3
Hintze, 1963a note 8, p. 3 ; Hintze, 1979, p. 62 ; Hofmann, 1981a, p. 141.
4
Hintze, 1979, p. 71-72 ; la notation phonologique /u/ est la nôtre, Hintze écrivant /o/ en
contradiction avec ses théories (voir ci-dessus, p. 403-404).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 415

pse- /pas/- + ƒol- /ƒula/- > pƒol- /paƒƒula/-

Le même phénomène avec le verbe tre (bénédiction K) donnerait :


pse- /pas/- + tre- /tar/- > ptre- /pattar/-
Hintze réduit semblablement les cinq suffixes verbaux cités ci-dessus à
deux : -k(e)te et -k(e)te-se. La forme -kese provient alors de -kete-se par
assimilation du /t/ avec le /s/ suivant. Quant aux suffixes -se et -te , ils
remonteraient respectivement à -kese et à -kete après assimilation du /k/
initial par le préfixe de datif -‚e- (pluriel -b‚e) qui suit le lexème verbal dans
ces complexes, dont le sens est approximativement « donnez-lui » ou
« donnez-leur » 1 :
Verbe + -‚e- (-/‚/-) + -kese (-/kŒs/) > verbe + (-‚ese -) /‚‚Œs/
Verbe + -‚e- (-/‚/-) + -kete (-/kŒt/) > verbe + (-‚ete -) /‚‚Œt/
Cette théorie, outre la simplification qu’elle introduit dans la morphologie
verbale, permet donc de préciser un certain nombre d’assimilations.
Quelques autres peuvent être établies par des observations complémentaires.
Une succession originelle /b/ + /m/ est en effet reconstituée dans le titre
womnise « prophète d’Amon », que l’on a supposé dérivée d’un ancien
*wob(e) emprunté à l’égyptien wƒ b « prêtre ordinaire » (copte ouhhb), suivi
du génitif Mni-se « d’Amon » 2. Dans ce cas, il serait possible que le /b/ final
du premier élément se soit assimilé au /m/ initial du génitif.
On trouverait la même situation selon Priese dans le complexe verbal
‚mlol, qui apparaît dans les formules de bénédiction C et C’, et qu’il fait
dériver d’un ancien groupe /‚ab-malo-la/ « un bon repas (?) ». Le premier
terme serait selon lui apparenté au nubien kab « plat », « mets » (Priese,
1979, p. 125) 3. Si la suggestion de Priese est juste, on a une autre preuve de
l’assimilation /b/ + /m/ > /mm/ ou /m/.
Pour rester dans le domaine des hypothèses, on observera que l’épithète
d’Isis dans les invocations solennelles, habituellement wetneyineqeli et var.,
se présente en REM 1183 sous la forme wedi tneyine[qeli], ce qui laisse
supposer, pour autant que l’on ait pas affaire à une réinterprétation tardive du
complexe, que wetneyineqeli est issu de *wede + tneyineqeli. Dans ce cas, on
aurait ici une trace de l’assimilation /d/ +/t/ > /tt/ ou /t/.

1
Hintze, 1979, p. 64-65 ; la notation phonologique /Œ/ est aussi la nôtre, Hintze écrivant /e/
(voir ci-dessus, p. 400-402). La même hypothèse sur l’assimilation des suffixes figure
déjà chez Schenkel, 1973, p. 8.
2
Voir chez Hofmann, 1981e des objections fondées contre cette hypothèse par ailleurs
généralement admise.
3
Voir ci-dessus, p. 170 : nous proposons plutôt une variante kal attestée aussi en vieux-
nubien, et un lexème méroïtique /‚al/ ou /‚ar/.
416 LA LANGUE DE MÉROÉ

Nous avons également proposé, dans l’examen des « passages obscurs »


des épitaphes que le groupe a‚i-lowi en GA 19B remonte à une forme
*a‚ide-lowi (voir supra, p. 147-148), ce permettrait de reconstituer une
assimilation /d/ + /l/ > /ll/ ou /l/.
De façon plus générale, nous avons observé dans notre premier article
(Rilly, 1999a, p. 105) que la succession de consonnes obstruantes (occlusives
et fricatives) de même lieu d’articulation n’apparaissait jamais en
méroïtique 1, ce qui laisse supposer que les bilabiales /b/, /p/, /m/ ne peuvent
se suivre sans assimilation, pas plus que les rétroflexes /d/, /t/, /s/ ou les
vélaires /k/ et /‚/. Semblablement la succession d’une vélaire et d’une bila-
biale a dû produire une vélaire labialisée /q/ ou /ƒ/, car elle n’est pas
davantage attestée 2 (Rilly, 1999a, p. 105-106). Les quatre exemples
rapportés ci-dessus, même si certains sont hypothétiques, observent tous cette
règle.
La nasale /n/ suivie d’une obstruante ne s’assimile pas, comme nous
l’avons déjà constaté : il est cependant probable que son articulation s’ajuste
à cette consonne suivante (cf. p. 393), devenant par exemple [Ñ] devant
vélaire et peut-être [ñ] devant la palatale /y/. Quant à la vibrante /r/, elle
assimile le /l/ ou le /n/ qui la suit : les supposées variantes qor et qoro du titre
qore « souverain », prononcé [kwur], sont en fait des formes assimilées pour
*qore-l « le souverain » et qore-lo « c’est le souverain », où le /l/ initial du
déterminant -l(i) et du prédicatif -lo a été happé par le /r/ final du lexème
(Rilly, 1999b, p. 84-85). On trouve semblablement qore + neyi > qoreyi
« étant (?) souverain », qore + -li +-se > qorise « du souverain » (génitif
sg.) , qore + -leb +-se > qorbse « des souverains » (génitif pl.) 3.

Ces différentes analyses permettent de présenter un premier relevé encore


partiel des assimilations en méroïtique. Comme nous l’avons précédemment
évoqué (cf. p. 302-304), il est actuellement impossible de savoir si cette
assimilation débouche sur une consonne double ou simple, puisque
l’haplographie systématique que pratique l’écriture méroïtique nous cache les
éventuelles géminées.

1
On rappelle que pour qu’il y ait succession de deux consonnes en méroïtique, il faut que
la première soit suivie en translittération d’un graphème e.
2
Dans les apparentes exceptions comme aqebese, Beqe, le premier e transcrit en fait une
voyelle /u/, comme le montrent les variantes aqobese ou Boq(e) (voir supra, p. 379 pour
l’explication de cette convention graphique).
3
On observera qu’une possible épenthèse s’est ici produite puisque l’on attendrait
*qorebse */qurbas/ et non qorbse /qurabas/. La voyelle inhérente /a/ ajoutée pourrait en
fait être ici un /Œ/ (cf. p. 398).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 417

Assimilations progressives (C1 + C2 > C1 C1 ou C1)


/‚/ + /k/ > /‚‚/ ou /‚/ ex. V-b‚e-kte > V-b‚te (verbes de bénédictions)
/r/ + /l/ > /rr/ ou /r/ ex. qore-lo > qoro « c’est le souverain »
/r/ + /n/ > /rr/ ou /r/ ex. qore-neyi > qoreyi « étant (?) souverain »

Assimilations régressives (C1 + C2 > C2 C2 ou C2)


/b/ + /m/ > /mm/ ou /m/ ex. *wob-mnise (?) > womnise « prophète d’Amon »
/d/ + /l/ > /ll/ ou /l/ ex. *a‚ide-lowi > a‚ilowi (sens obscur)
/d/ + /t/ > /tt/ ou /t/ ex. wedi-tneyineqeli > wetneyineqeli (épithète d’Isis)
/n/ + /l/ > /ll/ ou /l/ ex. ‚rp‚ne-l > ‚rp‚l « le gouverneur »
/s/ + /ƒ/ > /ƒ/ ou /ƒƒ/ ex. *ps(e)-ƒol- > pƒol- (verbe de bénédiction C)
/s/ + /t/ > /t/ ou /tt/ ex. *ps(e)-tre- > ptre- (verbe de bénédiction K)
/t/ + /s/ > /s/ ou /ss/ ex. -kete-se > -kese (suffixe verbal)

La juxtaposition de formes assimilées et non assimilées, parfois dans les


mêmes textes 1, crée néanmoins une difficulté à laquelle avait déjà été
confronté Hintze dans sa tentative d’analyse des affixes verbaux (Hintze,
1979, p. 66-67). Il en donnait trois explications :
(I) le lent processus des changements phonétiques,
(II) les différences dialectales,
(III) l’existence de deux standards orthographiques : un premier « morpho-
phonologique » (sans assimilation), rétablissant la frontière entre
morphèmes, l’autre « phonétique », transcrivant fidèlement la langue
parlée avec ses assimilations.

Il va sans dire que les deux premières solutions ne peuvent guère s’appli-
quer à des textes royaux où l’on trouve pourtant ce genre de juxtaposition, et
qui sont rédigés dans la langue officielle 2. La troisième hypothèse, elle, nous
semble assez plausible. Il faudrait supposer que le scripteur avait le choix,
pour certaines formes, entre une orthographe un peu artificielle, mais claire,
et une orthographe naturelle, mais effaçant partiellement les frontières
morphologiques 3. Hofmann parle d’orthographe « étymologique » pour la
première 4, ce qui supposerait de la part des Méroïtes un recul, une réflexion

1
On a ainsi en REM 0094 (inscription tardive de Kharamadoye) la graphie non assimilée
qore lÄ « grand souverain » à la ligne 8 et la graphie assimilée qorÄ à la ligne 18.
2
La critique de I. Hofmann va dans le même sens (Hofmann, 1981a, p. 212).
3
Cette liberté de choix peut être comparée à la latitude dont disposaient également les
scripteurs méroïtiques dans l’utilisation des deux points de séparation. Certains allaient
jusqu’à découper ainsi des éléments de désinence ou de suffixes. (cf. p 495)
4
Hofmann, 1981a, p. 212, note 26.
418 LA LANGUE DE MÉROÉ

sur leur langue dont nous les croyons tout à fait capables 1. Mais on aurait
sûrement dans ce cas, comme dans toutes les écritures de longue tradition, un
clivage entre une orthographe lettrée sans assimilation, respectant
l’étymologie et utilisée dans les textes officiels, et une orthographe plus
populaire, notant les assimilations, et employée par exemple dans certains
textes funéraires ou graffiti. Or, on retrouve des formes assimilées et des
formes non assimilées dans les même textes. Aussi vaut-il mieux parler avec
Hintze d’« orthographe morpho-phonologique » qu’« étymologique ».
Hofmann relève un intéressant détail : les formes assimilées ou non
assimilées sont souvent cohérentes dans les épitaphes d’une même famille :
ainsi, parmi de nombreux autres exemples, les textes REM 0325, 0290, 0322,
1132, qui appartiennent à une mère et à ses trois enfants, portent tous des
formes verbales assimilées psi‚te dans la formule de bénédiction A, alors
que REM 0289 et 0221, qui concernent une femme et son fils ont une forme
sans assimilation psoƒekete (Hofmann, 1981b, p. 46).

La loi de Griffith : se + l > t


Une situation très particulière est la succession des graphèmes se et l,
représentant respectivement les phonèmes /s/ et /l(a)/. Il y a alors non pas
assimilation, mais contraction du groupe consonantique en un graphème
unique t. On a semblablement se + lo > to (graphème particulier). Cette
transformation était traditionnellement nommée « loi d’Hestermann »
(Hestermannsches Lautgesetz), mais la dénomination repose sur un
quiproquo ancien. Le seul article d’Hestermann consacré au méroïtique
(Hestermann, 1925, p. 11-13 : Ein Lautgesetz in den meroïtischen
Inschriften) développe une toute autre règle, une spéculation sur un
glissement de ps- à py- dans les complexes verbaux de bénédiction,
abandonnée par la suite. C’est un quiproquo dû à Zyhlarz 2, et répercuté de
publication en publication (notamment chez Hintze, 1963a note 10, p. 3 3) sur
la seule foi du titre de l’article en question, qui a fait attribuer à Hestermann
une loi qu’il n’avait jamais évoquée.
En fait, trois savants pourraient en revendiquer la paternité. Tout d’abord
Griffith, qui dès Karanóg (Griffith, 1911a, p. 38), remarque un parfait
parallélisme entre les descriptions des défunts terminées par le prédicatif
-lowi (pl. -lebkwi) et une autre série terminée par -towi (pl. -tebkwi).

1
Voir Hofmann, 1981a, p. 12, 293 ; Hofmann, 1991, p. 142 pour des témoignages de
rédaction et d’écriture archaïsantes et ci-dessus Introduction p. 30-31 ({B|medewi en
REM 1044).
2
Cf. Zyhlarz, 1930, p. 419 et note 18.
3
Rectifié dans Hintze, 1979, p. 71.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 419

La seconde correspond en réalité à des lexèmes comprenant une finale en -se,


qui s’est contractée avec le l- initial du prédicatif : ainsi kdise-lowi « c’était la
sœur » devient kditowi alors que ste-lowi « c’était la mère » n’est
évidemment pas sujet à la même modification. Griffith observe également
que suivi du déterminant -l ou du prédicatif -lowi, le suffixe -se du génitif se
transforme en t (Griffith, 1911a, p. 23). En fait, il n’interprète pas le
phénomène pour ce qu’il est, c’est-à-dire une loi phonétique ou phono-
logique : il pense plutôt à une forme particulière du suffixe de génitif devant
le déterminant 1.
Schuchardt est en fait plus près de la vérité lorsqu’il sépare cette
contraction de la morphologie spécifique du suffixe génitival :
« es kommt -t für -s-l auch vor wo das -s nicht das des Genetivs ist, sondern
stammhaft ; » (Schuchardt, 1913, p. 176 et note 2).

Mais c’est Meinhof qui énonce le plus clairement la loi, tout en en


attribuant la paternité à Griffith :
« Ein interessantes Lautgesetz hat G[riffith] gefunden : s + l > t. Die Beispiele
dafür sind so viele und so sicher, daß ich an seiner Richtigkeit nicht zweifle. »
(Meinhof, 1921-1922, p. 5)

Il semble donc assez naturel de rebaptiser cette contraction « loi de


Griffith », comme nous l’avons d’ailleurs suggéré dans plusieurs de nos
articles récents 2.

Le phénomène n’est enregistré dans l’écriture qu’à partir du Ier siècle de


notre ère. On trouve dans les textes antérieurs la suite -sel- sans aucune
modification 3. Il est assez vraisemblable que le signe se avait alors
majoritairement la valeur /sŒ/, si bien que les deux consonnes /s/ et /l/ étaient
séparée l’une de l’autre. L’affaiblissement vocalique du Ier siècle de notre ère
est probablement responsable de la chute de la voyelle neutre, et de la mise
en contact des deux consonnes (voir Introduction p. 31, 36). Cependant,
même à époque tardive, la loi de Griffith n’est pas universellement
appliquée, et on trouve des textes où apparaît la succession -se + l, sans qu’il
soit possible de savoir si l’on a affaire à une graphie archaïsante ou à une

1
Voir Griffith, 1916b, p. 124. Selon lui, le suffixe -se du génitif devant le « connective » -l
passe à -t, d’où son interprétation de l’adjectif lÄ « grand » comme composé de l + ƒ
puisqu’on a womnitƒ « grand prophète d’Amon » pour womnise-lƒ. Il est clair par cet
exemple qu’il pense à un phénomène attaché à un morphème particulier, et non pas
proprement à une loi phonétique.
2
Rilly, 2000b, note 30, p. 109 ; Rilly, 2000c note 2, p. 103.
3
Cf. Hintze, 1960a, p. 133.
420 LA LANGUE DE MÉROÉ

prononciation conservatrice 1. Ainsi l’on peut repérer dans certaines


épitaphes des formes appliquant la loi de Griffith et dans d’autres, de même
datation paléographique, des formes qui l’ignorent, comme on peut le voir
pour les inscriptions suivantes, toutes de période Tardive A 2 (vers 230-300) :
REM 0203 : Mnp-se-lowi « c’était un [...] d’Amanap »
REM 0221 : Mnp-towi " " "
REM 0324 : kdise-lowi « elle était la sœur ... »
REM 0289 : kditowi " "
La cas le plus étonnant est sans doute l’inscription très tardive du roi
Kharamadoye à Kalabsha (REM 0094) 3, datée par Török de 410 / 450
apr. J.-C., qui n’applique pas la loi de Griffith, alors que près de quatre
siècles se sont écoulés depuis son apparition dans les textes. Il est cependant
possible que des stèles anciennes aient servi de modèles, ce qui expliquerait
le caractère archaïsant de ce document (cf. p. 496). Cette irrégularité dans les
graphies fait évidemment songer à celle que nous avions précédemment
rencontrée dans l’utilisation à même époque de formes assimilées et non
assimilées, et que nous avions expliquée, à la suite de Hintze, par l’emploi de
deux standards orthographiques différents, l’un phonétique, l’autre
« morpho-phonologique » (voir p. 414-415).
La loi de Griffith n’est effectivement qu’un cas particulier d’assimilation.
Il ne s’agit pas, comme l’avait cru Griffith, d’un phénomène lié à la
morphologie. Bien que le plus souvent, elle concerne la succession de la
postposition génitivale -se et du déterminant -l, pl. -leb (ou de leurs dérivés
-li, -lw, -lowi, -lebkwi), elle s’applique aussi quand l’élément -se appartient
au lexème du premier terme, comme dans kdise « sœur » (voir exemple ci-
dessus), ou le l- au radical du deuxième mot, comme dans lƒ « grand »
(womnise-lƒ > womnitƒ « premier prophète d’Amon (?) »). La loi de Griffith
est donc bien une loi phonétique : les phonèmes /s/ et /l/, en entrant en
contact, se simplifient en une réalisation correspondant au phonème /t/, ou
/tt/. Comment une telle contraction est-elle possible ?
Vycichl semble être le premier à avoir réfléchi sur la question (Vycichl,
1958, p. 75) 4. Selon la première de ses deux hypothèses, s est une affriquée
de valeur [tMs]. La séquence /s/ + /l/ (= [tMs] + [l]) correspond donc à un
schéma « occlusion + ouverture + occlusion [sic] » et se résout en une

1
Voir Monneret de Villard, 1960, p. 102 pour un exemple d’application variable de la loi
de Griffith dans un même texte : le nom de personne Sdesel apparaît en REM 1020 à
côté de formes en -towi pour -se-lowi.
2
Cf. Tableau 15, p. 349.
3
Voir Introduction p. 32-33.
4
Dans le résumé qui suit, nous alignons les conventions de notation phonologiques et
phonétiques employées initialement par Vycichl sur celles utilisées ici.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 421

« longue occlusion » /tt/. Il envisage une seconde hypothèse alternative : l


serait un ancien d ou t. Aucune de ces deux théories ne nous semblent
satisfaisante. La première pour deux raisons : la latérale /l/ ne comporte pas
par nature de véritable occlusion, et l’unanimité des équivalences avec le /l/
du grec ou du copte montre clairement qu’il s’agit d’une approximante
(sonante) ; de plus, le /s/ méroïtique nous paraît clairement être une rétroflexe
simple et non une affriquée [tMs] (voir p. 381-383). La seconde hypothèse
s’accorde mal avec les données phonético-historiques que nous possédons :
le phénomène de la loi de Griffith s’est apparemment produit au Ier siècle de
notre ère si l’on en croit les documents écrits, alors que les plus anciens
éléments méroïtiques reconnaissables transcrits en écriture égyptienne
utilisent des signes de valeur /r/ ou /l/ pour le futur l méroïtique, et ce dès le
Nouvel Empire (voir Introduction p. 15).
Millet envisage une autre hypothèse, qui lui est propre et n’a jamais été
reprise. Lors du Congrès de Berlin de 1971 1, il développe l’idée que le
graphème se représente la simple consonne /s/, et que l’absence de voyelles
écrites (e, i, o) à sa suite s’explique par une mutation phonétique qui fait
passer /s/ à /t/ devant ces voyelles, produisant respectivement te, ti, to,
marqués d’ailleurs par des signes particuliers, dans la mesure où il prête au
signe archaïque en drapeau (voir ci-dessus, p. 352-353) une valeur ti. Il
explique de la même manière la loi de Griffith (Millet, 1973c, p. 314) :
« I would suggest, however, that the liquid l has much the same effect on an
immediately preceding s as did the vowel e, and that in the case of s + l the
simplest description of the operation would be :
/-sl-/ > (by this hypothesis) [-tl-] > (by assimilation) [-tt-] (written t) ».

Il est évident que cette théorie n’est pas compatible avec l’interprétation
syllabique de l’écriture méroïtique développée par Hintze, que nous avons
longuement illustrée dans le chapitre précédent, et dont les preuves sont trop
nombreuses et concordantes pour que l’on puisse la remettre en question. Les
syllabes /si/ et /su/ sont ainsi bien représentées en méroïtique, et le passage de
/s/ à /t/ devant /l/ n’est pas compréhensible si, comme Millet, on ne propose
pas une articulation spécifique pour le phonème /s/ méroïtique.

Böhm, dans sa tentative contestable de phonétique historique du


méroïtique 2 intitulée Vorläufige Überlegungen zur historischen Lautlehre
des Meroitischen (Böhm, 1987), est néanmoins bien conscient de la nécessité

1
Cf. Millet, 1973c, p. 310-311, 314-315 et note 30, p. 319.
2
Il s’agit en effet d’une recherche destinée à relier le méroïtique au chamito-sémitique
ancien. L’ensemble de l’article est un tourbillon d’idées presque sans références à des
exemples méroïtiques précis, mais où l’on peut çà et là relever quelques suggestions
intéressantes, qu’il faut cependant étayer plus sûrement. Voir ci-dessus, p. 56 et 377.
422 LA LANGUE DE MÉROÉ

de supposer pour les phonèmes /s/ et /t/ une réalisation particulière afin
d’expliquer la loi de Griffith :
« Wie sollte aber ein s vor l zu t geworden sein ? – Da der Charakter des l
aufgrund der hieroglyphischen Schreibung mit l hinreichend feststeht, müssen
wir nach den eigentlichen Charakteren des “s” und des “t” fragen. Für einen
sowohl dem Zischlaut als auch der lateralen Liquida ähnlichen t-Laut kommt m.
E. einzig der laterale Verschlußlaut tMl (einphonemig ; durch Sprengung eines l-
Verschlusses an den Seitenrändern der Zunge erzeugt) [...] in Betracht.
Entstehung eines solchen aus einem s-Laut ist leichter vorstellbar, wenn wir für
diesen nicht einen alveolaren Sibilanten sondern den dentalen Reibelaut Þ
voraussetzen. Die Entwicklung Þ + l > tMl erscheint uns somit nicht mehr
absonderlich. » (Böhm, 1987, p. 11)

L’hypothèse est séduisante, mais elle achoppe sur les faits : le phonème
méroïtique /s/ n’est pas une fricative dentale […] (notation API de [z]). On
pourrait cependant imaginer une coalescence du [È] rétroflexe avec la latérale
/l/ ; or les quelques cas connus ne débouchent pas sur la création d’une
occlusive latérale [tMÌ] (notation API de [tMl]), mais d’une fricative latérale [Ì] 1,
semblable au ll gallois du prénom Llewel[l]yn. Enfin, l’articulation rétroflexe
du /t/ est assez vraisemblable : il faudrait imaginer que les Méroïtes, face à la
fricative latérale obtenue par la contraction du /s/ et du /l/, aient d’instinct
considéré cette production comme une variante articulatoire du phonème /t/,
ce qui paraît assez peu plausible.
Il existe une explication à notre avis plus simple du phénomène, qui fait
appel à la phonétique articulatoire. Le /s/ et le /l/ sont en effet des consonnes
d’articulations presque opposées. Qu’il soit apico-alvéolaire comme en
anglais, prédorso-alvéolaire comme en français, ou rétroflexe comme le ›
sanscrit, le /s/ est réalisé par une occlusion des bords du palais par les côtés
de la langue, la partie médiane de cet organe laissant passer l’air venu des
poumons. À l’inverse, le /l/ est réalisé par une remontée de la partie centrale
de la langue contre le palais, l’air s’écoulant sur les côtés, d’où le nom de
« latérale ». Le passage immédiat du /s/ au /l/ exige donc une souplesse
particulière de l’organe lingual, qui d’une position concave doit passer à une
position convexe. Beaucoup de langues éludent la difficulté, soit en
modifiant l’articulation du /s/, comme l’allemand qui présente le groupe -
schl- issu d’un ancien *-sl- , soit en introduisant une consonne épenthétique
comme dans le bas-latin sclavus, devenu « esclave » en français, et provenant
de l’ethnonyme « Slave ». Cependant, bien des langues s’accommodent de
cette gymnastique et les nombreux termes anglais commençant par sl-
prouvent que si l’articulation n’est pas trop contraignante, comme c’est le cas
avec les apico-alvéolaires de l’anglais, la réalisation du groupe /sl/ peut se

1
Cf. Creissels, 1994, p. 121.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 423

faire sans difficulté. Or la situation est différente avec les rétroflexes, qui
sont des consonnes dont l’articulation très énergique ne permet pas une
grande souplesse de la langue, coincée contre le haut du palais. Dans la
prononciation du groupe /sl/, le passage d’une position concave de l’apex à
une position convexe a abouti le plus souvent à une position moyenne, où
non seulement les côtés de la langue étaient en contact avec le palais, comme
pour /s/, mais aussi la partie médiane, comme pour /l/. Le résultat était
naturellement une occlusion totale en position rétroflexe. Quant au
voisement, il était naturel qu’il y eût une harmonisation entre /s/ et /l/ 1. C’est
le caractère non voisé du /s/ qui l’emporta, puisqu’il n’y a pas de /z/ en
méroïtique. Le son obtenu était donc une occlusive rétroflexe sourde, c’est-à-
dire justement un [™], peut-être géminé.
Il est cependant possible que la loi de Griffith ne soit pas l’unique
traitement réservé à la séquence /s/ + /l/. On trouve en effet en REM 0279 et
0534, deux épitaphes tardives du IIIe siècle apr. J.-C., la séquence kdi-lowi là
où on attendrait kditowi (< kdise-lowi) « c’était la sœur de ». Griffith
supposait que le titre précédent snemdese / stmdese était mis au féminin par
l’adjonction du mot kdi « femme » 2. Il pourrait s’agir d’une orthographe
alternative avec assimilation /s/ + /l/ > /l/ ou /ll/, auquel cas les deux femmes
évoquées ne seraient pas détentrices du titre elles-mêmes, ce qui est
rarissime, mais plutôt sœurs de tels dignitaires : en REM 0279, la proposition
apparaît d’ailleurs au milieu de la description relative de la défunte. Il
convient certes de rester prudent, car la même épitaphe comporte aussi
plusieurs fois la séquence régulière kditowi qui suit la loi de Griffith. Mais,
comme nous l’avons déjà constaté, la juxtaposition de graphies différentes à
l’intérieur d’un même texte n’est pas impossible 3.

1
Ainsi dans le mot français « communisme », le groupe final est prononcé parfois [zm]
avec deux sonores, mais on entend majoritairement un [s] suivi d’un [‘] (non-voisé).
Dans les deux cas, il y a harmonisation de voisement.
2
Griffith, 1911a, p. 67 : « shañamazes-lady (?) » ; Griffith, 1922, p. 590 : « female
shatamazês ».
3
Voir p. 414-415. Une autre hypothèse serait que le terme kdi « femme », qui n’est
habituellement pas un terme de parenté, ait revêtu localement le sens d’« épouse » (à la
424 LA LANGUE DE MÉROÉ

place de sem qui n’est présent ni en REM 0279, ni en REM 0534), à la manière du terme
woman dans le créole jamaïcain.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA
« QUESTION MÉROÏTIQUE »

Comme nous l’avons indiqué dans l’avant-propos, nous appelons


« question méroïtique » le problème principal qui depuis presque un siècle se
pose aux chercheurs : la compréhension et la traduction de la langue. Tous
les chapitres précédents, qu’il s’agisse de l’histoire de la langue, de la
typologie des documents, du système graphique ou de la phonologie offrent
désormais quelques certitudes, certes éparses, mais réelles. S’il est vrai qu’ils
constituent une étape indispensable vers l’éventuelle traduction des textes,
force est de constater qu’il y a, de cette étape à la destination finale, une
distance considérable, comme on s’en rendra compte à la lecture du chapitre
grammatical de cet ouvrage, qui rassemble de maigres acquis et des hypo-
thèses souvent inconciliables, patiemment accumulés par les méroïtisants en
neuf décennies de recherches.
On lit, on entend çà et là que le méroïtique est une langue qui n’a pas
encore trouvé son Champollion. La situation est autrement plus critique :
c’est une langue qui n’a actuellement ni sa Pierre de Rosette, ni surtout son
copte. Les méroïtisants se trouvent donc devant le même problème que les
spécialistes de l’étrusque, à quelques différences près : il existe un bilingue
étrusque-phénicien 1 et plusieurs dizaines de courtes inscriptions doubles en
étrusque et en latin, alors que l’on ne possède actuellement rien de tel pour le
méroïtique ; mais surtout, si l’on peut être sûr que l’étrusque ne se rattache,
du moins de près, à aucune langue moderne, parce qu’il s’insère dans un
ensemble linguistique européen extrêmement bien connu sur deux millé-
naires, on ne peut avoir la même certitude pour le méroïtique, qui présente
peut-être un lien génétique avec une ou plusieurs des langues de l’Afrique de
l’Est, incroyablement diverses et pour la plupart peu décrites. À côté de ces
deux voies royales, mais encore utopiques, que constitueraient la découverte
d’un bilingue conséquent ou celle d’une langue apparentée, il existe quelques
chemins, plus humbles et plus difficiles, qui ont permis et permettront encore
d’avancer un peu vers la solution.
Dans sa remarquable contribution au Congrès de Berlin en 1971, Trigger
examine les différentes méthodes par lesquelles on peut espérer progresser
vers une compréhension d’une langue lisible mais non encore traduisible :

1
Il s’agit de deux des quatre tablettes d’or trouvées en 1964 à Pyrgi (actuel Cerveteri),
mais le texte étrusque ne comporte que 36 ou 37 mots et la traduction phénicienne est très
approximative.
426 LA LANGUE DE MÉROÉ

« It is generally agreed that progress in understanding such languages (...) can be


obtained in three ways : (a) through the study of bilingual texts, when one of the
languages is known, (b) by identifying the language as one whose grammar and
vocabulary are already familiar or (c) through contextual analyses which compare
the patterning of morphemes in texts. » (Trigger, 1973a, p. 244) 1

Quelques années plus tard, Hintze ajoutera une autre approche : l’analyse
structurale (« strukturanalytische Methode »), inspirée des protocoles de la
grammaire distributionnelle (Hintze, 1979, p. 21-23), bien que, comme nous
le verrons, cette démarche ne vise pas directement à la traduction. On peut
donc grouper comme suit, sous quatre rubriques principales, les méthodes
utilisées pour tenter de résoudre la « question méroïtique » :
— informations apportées par des langues non apparentées ;
— méthode philologique (élucidation contextuelle) ;
— analyse structurale et méthodes informatisées (REM) ;
— approche comparatiste (recherche d’une langue apparentée).
Quelles chances y a-t-il de voir un jour les textes méroïtiques compris et
traduits ? Il est bien difficile de le dire. Dans le Tableau 21 ci-contre figure
un aperçu de l’état de déchiffrement d’un certain nombre de langues
anciennes redécouvertes à l’époque moderne, et des conditions, favorables
ou défavorables, dont ont disposé les chercheurs 2.
Malgré l’extrême schématisation à laquelle oblige un tel relevé, qui passe
sous silence les conditions spécifiques à chaque langue, on peut vérifier
quelques constantes. Les éléments les plus favorables à un déchiffrement
sont, dans l’ordre, l’existence de langues apparentées, ensuite l’attestation de
bilingues et enfin la grande quantité de textes. Si la langue est isolée, il faut
un grand nombre de bilingues et de textes, comme c’est le cas du sumérien,
pour parvenir à une compréhension satisfaisante. En revanche, toutes les
langues que l’on peut replacer dans une famille linguistique ont pu être

1
Voir également Trigger, 1979, p. 147 ; Hofmann, 1982c, p. 43-52.
2
Il s’agit bien entendu d’un échantillonnage réduit. Il convient de préciser quelques données :
La notation « ± » indique une situation intermédiaire. L’époque indiquée est approxi-
mative et concerne les documents écrits, et non la langue elle-même : ainsi le sumérien
est une langue morte dès le début du Ier millénaire av. J.-C. ; le vieux-perse continue
d’être parlé bien après 350 av. J.-C., mais il est évincé dans l’écriture par l’araméen ; les
dialectes mayas sont toujours vivants, mais l’écriture disparaît véritablement avec la
conquête espagnole, et elle était déjà presque oubliée à cette époque. Pour la colonne
« écriture », on observera que l’élamite au cours de sa longue existence est transcrit par
plusieurs écritures, dont une variante du cunéiforme suméro-akkadien, d’où le signe
« ± » ; pour le hittite, nous n’avons pas tenu compte des documents hiéroglyphiques, qui
malgré le nom de « hittite hiéroglyphique », transcrivent probablement une autre langue
anatolienne, le louvite. En ce qui concerne la dernière colonne, nous y avons indiqué la
possibilité de traduire tout type de document de façon suffisante, et non une parfaite
connaissance de la langue.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 427

traduites ou sont en cours de déchiffrement, comme l’ancien maya, où


s’ajoutait pourtant le handicap d’une écriture complexe à base idéographique.
Le seul facteur limitant est dans ce cas de figure la quantité, la longueur et la
variété de textes disponibles.

Tableau 21 : Conditions de déchiffrement des langues anciennes


époque écriture langues nombre
existence de textes tous
(attestation localisation connue au parentes important de
LANGUE bilingues traduisibles
écrite) départ connues textes
-3300 / Méso- _ _
sumérien + + +
+75 potamie
-3200 / Égypte _
égyptien + + + +
+450
-3100 / Sud _ _
élamite ± + ±
-400 de l’Iran
vers
éblaïte Ebla (Syrie) + + + + ±
-2500
-2300 / Méso- _
akkadien + + + +
+75 potamie
-2000 / Mittani _
hourrite + + ± ±
-1000 (Syrie)
-1700 / Turquie _
hittite + + + +
-1300
-1700 / Crète _ _ _ _ _
linéaire A
-1400
mycénien vers Crète _ _
-1400 + + +
(linéaire B)
vers Syrie _
ougaritique + + + +
-1300
-500 / Iran _ _
vieux-perse + + +
-350
-800 / Chypre _ _
cypriote + + +
-200
-700 / Italie _ _
étrusque + ± +
0 du Nord
italique vers -600 Italie ± _ _ ±
(côte est) +
oriental
-200 / France
gaulois + + + ± ±
+200
picte +400 / Écosse _ _ _ _
préceltique +600 +
vers Turkestan
tokharien ± + + + +
+600 chinois
+600/ Amérique _ _
maya + ± en cours
+1500 centrale

méroïtique _ _
?
_
+
428 LA LANGUE DE MÉROÉ

On peut constater à la lumière de ce relevé que le méroïtique n’est pas


actuellement dans une situation très favorable, notamment parce qu’il nous
faudrait pouvoir le rattacher à une langue connue. L’expérience prouve qu’il
n’est pas besoin que cette langue soit très proche : le hittite par exemple est
un idiome assez isolé parmi les langues indo-européennes. En l’absence
d’une parenté linguistique, même éloignée, seule la découverte de bilingues
pourrait permettre d’avancer vers la solution, comme l’affirme Trigger :
« Should Meroitic, like Sumerian, prove to be unrelated to any other known
language and no further sources of bilingual information be forthcoming, the
chance of ever adequately understanding the language are vanishingly small. (...)
It is not impossible that substantial bilingual inscriptions may be forthcoming in
future excavations. » (Trigger, 1973a, p. 245)

Il faut cependant nuancer le propos, car les langues déchiffrées dans le


tableau ci-dessus l’ont été par des moyens traditionnels 1. L’utilisation de
procédures informatiques, si elle ne peut se substituer au travail propre du
philologue, multiplie considérablement les capacités d’investigation, notam-
ment pour l’établissement de règles syntaxiques et de compatibilités
sémantiques. Nous y reviendrons dans ce chapitre lorsqu’il sera question du
travail réalisé par le Groupe d’études méroïtiques de Paris sur le REM.

INFORMATIONS APPORTÉES PAR DES LANGUES


NON APPARENTÉES

On pense évidemment à ces bilingues tant désirés. Cependant, nous


rangeons aussi dans cette catégorie non seulement les parallèles possibles
avec certains textes égyptiens, les rares gloses que l’on trouve dans la littérature
égyptienne ou gréco-romaine et l’utilisation de déterminatifs égyptiens en
napatéen, mais également les emprunts que le méroïtique a pu faire à son
puissant voisin.

Bilingues

Aucun document méroïtique actuellement mis au jour ne possède au sens


strict un exact correspondant en une autre langue. Le décret de Memphis (la
fameuse « Pierre de Rosette ») ou la triple inscription en vieux-perse, élamite
et babylonien que Darius fit graver sur la falaise de Behistun, en Iran,

1
Le déchiffrement en cours des inscriptions mayas utilise bien évidemment des procédés
informatiques, mais, plutôt que de traduire une langue disparue, il s’agit d’élucider
l’écriture d’une langue globalement connue.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 429

répondent en effet à des situations politiques très particulières, où une


administration est amenée à s’exprimer à des populations de langues
différentes réunies sous son autorité, et à valider la légitimité de ses actes à la
fois dans sa propre langue (grec et vieux-perse) et dans la langue de prestige
du royaume (égyptien hiéroglyphique et babylonien). Une telle situation
n’existait pas dans le royaume de Méroé, qui ne connut jamais de monarque
étranger et qui, contrairement à l’Égypte lagide, n’abritait apparemment
aucune colonie assez importante pour que le souverain dût en tenir compte
dans les stèles officielles. Les langues étrangères étaient certes connues et
apprises : on possède un abécédaire grec inscrit sur un tambour de colonne
de Méroé 1, et le passage bien connu des Actes des Apôtres relatant la
conversion d’un intendant de la reine « Candace » par le diacre Philippe nous
présente le dignitaire méroïte lisant le livre d’Isaïe, probablement en grec,
pour autant que l’anecdote ait un fondement de vérité 2.
Cependant, dans une sphère moins officielle, on sait que le démotique
était utilisé, notamment dans le Nord du royaume, à proximité de la frontière
égyptienne, par des familles égyptiennes ou du moins de culture égyptienne :
on trouve ainsi des souscriptions démotiques sur quelques documents
majoritairement écrits en méroïtique (cf. note 1, p. 261), et certains noms de
défunts, comme Pyesi ou Tyesi en REM 0088 (inscription de Medik) sont
clairement égyptiens. Aussi ne peut-on totalement exclure qu’il ait existé des
bilingues méroïtiques / démotiques raisonnablement longs. On possède
d’ailleurs un fragment de stèle funéraire retrouvé au Gebel Adda (« Adda
Stone », REM 1223) 3 qui conserve les traces de deux lignes et demie de
méroïtique, suivies de trois lignes et demie de démotique écrit selon un
ductus déroutant. Le texte méroïtique, ou du moins ce qu’il en reste,
correspond aux bénédictions finales (A et B). Le début du texte démotique
est difficilement compréhensible, mais comporterait selon Millet les formules
ƒn~ bj [n ....] n OÄqrd [...] šƒ dt : « que vive l’âme [de ...] de Faras [....] à
jamais » 4. La rédaction du texte démotique ne se conforme donc pas au texte
funéraire méroïtique, et ainsi que l’indique Millet dans son étude des textes
d’Adda 5, « each of the two texts was composed in the traditional funeral
1
L’inscription latine retrouvée à Musawwarat, ramenée à Berlin par Lepsius, et
aujourd’hui disparue, a été écrite par un Romain du nom de [...]tus ; elle n’est aucune-
ment la preuve d’une connaissance du latin à Méroé (cf. Shinnie, 1961, Eide–Hägg et al.,
1998 [FHN III], p. 1092-1094).
2
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 845 sq.
3
GA 15 dans la publication prochaine par Nicholas B. Millet des textes d’Adda (Toronto,
ROM n° d’entrée 63 : 3 : 287)
4
Cette lecture est hypothétique : si ƒm~ ne fait pas problème, bj serait très étonnamment
écrit, et dans le toponyme « Faras », seul le groupe -rse est lisible.
5
Nicholas B. Millet, « The Meroitic Inscriptions from Gebel Adda », ms, p. 10. Nous
remercions l’auteur qui nous a communiqué une copie de ce travail actuellement en
attente de publication.
430 LA LANGUE DE MÉROÉ

formulae peculiar to each culture ». Le point le plus intéressant dans ce


document est la juxtaposition à égalité des deux langues : le démotique figure
dans des lignes délimitées par des traits, et non plus en une simple
souscription. Si la stèle n’a jamais été un vrai bilingue, elle montre
néanmoins que les conditions étaient réunies pour qu’il en existât.
Malheureusement, toute la zone frontalière du nord du royaume koushite,
à part Qasr Ibrim, est actuellement immergée sous les eaux du lac de Nubie ;
or c’est là que l’on aurait pu en priorité attendre la découverte de bilingues
méroïtiques / démotiques. Tout espoir n’est cependant pas perdu, puisque
l’on trouve des inscriptions démotiques jusqu’à Musawwarat. De plus, on
peut faire confiance à l’archéologie pour nous surprendre : quel épigraphiste,
quel historien aurait été assez fantasque pour prédire, il y a cinquante ans,
que le premier bilingue de quelque ampleur impliquant l’étrusque serait
rédigé en phénicien, et non en grec ou en latin ? C’est pourtant ce qui s’est
produit avec la découverte des tablettes de Pyrgi en 1964. Pour toutes ces
raisons, nous ne pouvons nous associer à Hofmann quand elle écrit :
« Da die Notwendigkeit, bilingue Texte zu verfassen, nicht gegeben ist, halte ich
für ziemlich unwahrscheinlich, jemals welche zu erhalten. » (Hofmann, 1982c,
p. 46)

Textes parallèles
On possède en revanche une série de textes parallèles : les proscynèmes
de Philae, et les invocations votives qui accompagnent les empreintes de
pieds gravées (REM 0095, 0096, 01120-0114, 0116-0117, 0121-0125). Ils
suivent en méroïtique la même formulation générale que leurs équivalents
démotiques ou grecs. Pour le contenu de ces textes d’adoration généralement
adressés à Isis, ainsi que pour leur comparaison avec le démotique, on se
référera ci-dessus aux pages 201-202. La découverte par Griffith de ces
parallèles a été d’un grand secours pour assurer la traduction de certains
termes, comme il le reconnaissait lui-même :
« This series of seven graffiti is of great importance as offering a number of key-
words parallel to or taken from those in the Egyptian demotic graffiti at Philae,
and a large number of varying forms of words that ultimately throw much light on
the Meroitic language. » (Griffith, 1912, p. 49)
On peut ainsi citer les expressions n-l(w) « en présence de », stqoleb « (ce
sont) les pieds », Tebwe « Abaton », Pil(e)qe « Philae », des titres comme
pelmos ato-li-se « général de l’eau », apote « envoyé » ou peseto « vice-
roi », etc., les proscynèmes permirent d’avancer des hypothèses qui restent
encore à vérifier, mais qui constituent un premier pas.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 431

Il nous semble possible qu’une formulation parallèle puisse également


avoir existé dans les décrets oraculaires amulétiques, maintenant bien attestés
en méroïtique, notamment dans les sanctuaires de Primis (Qasr Ibrim) 1. On
sait que ce genre de textes n’est connu en Égypte qu’à la IIIe période
intermédiaire, et qu’il ne s’est perpétué que dans le royaume de Koush, où sa
formulation s’est modifiée dans les siècles qui ont suivi son adoption. Aussi
ne retrouve-t-on pas de parallélisme exact entre les modèles égyptiens du
début du Ier millénaire av. J.-C. et leurs lointains descendants méroïtiques,
bien que le contenu du message divin reste globalement le même. Mais nous
savons que l’on venait d’Égypte pour consulter les dieux de Primis, et
Zauzich a récemment publié deux demandes d’oracles adressées à un certain
Qlndy3n (Kollanthion ?), inscrites en démotique sur un papyrus retrouvé à
Qasr Ibrim (Zauzich, 1999). Il est assez vraisemblable que parmi les
nombreux documents en cette langue qui ont été découverts dans les fouilles
de Qasr Ibrim, il y ait aussi quelques décrets oraculaires amulétiques,
éventuellement rédigés selon le même schéma que les équivalents
méroïtiques (voir p. 220-226), puisque la tradition s’en était perdue en
Égypte. Dans le rapport des fouilles de l’Egypt Exploration Society à Qasr
Ibrim pour la saison 2000, Pamela Rose, responsable du site, précise :
« One other find of interest was a large fragment of papyrus inscribed in Demotic
on one side and Meroitic on the other, but, unfortunately, it is not likely to be the
long-sought bilingual text which might provide the key to the decipherment of
Meroitic. » (Rose, 2000, p. 3)

Il se pourrait néanmoins qu’on ait, dans ce cas ou dans d’autres, des


décrets oraculaires amulétiques en démotique. Si le parallèle est avéré, il
permettra sûrement de fructueuses comparaisons. Malheureusement, la
publication des textes démotiques de Qasr Ibrim, originellement confiée au
démotisant britannique John Ray 2, ne semble pas envisagée pour l’instant.
Une autre piste intéressante, récemment reprise dans un article de Peust
(Peust, 2000) 3, consisterait à comparer la phraséologie des stèles inscrites en
égyptien par les rois de Napata (notamment celles d’Harsiotef et de
Nastasen) avec leurs équivalents méroïtiques comme la longue stèle de
Taneyidamani (REM 1044) ou celle d’Akinidad (REM 1003). L’idée de
glaner dans les textes napatéens des éclairages nouveaux sur le méroïtique est
relativement ancienne, et avant même le déchiffrement de Griffith, Heinrich
Schäfer s’était attelé à la traduction de la stèle de Nastasen avec l’intention
de prouver que le substrat local qui sourdait sous le texte égyptien des scribes
indigènes était l’ancêtre du nubien 4. C’est pareillement pour étayer ses
1
Voir Rilly, 2000c et ci-dessus, p. 216-226.
2
Voir Van Moorsel, 1995, p. 62.
3
Voir également Kormysheva, 1998 pour les épithètes divines d’Amon.
4
Schäfer, 1901, voir ci-dessus, p. 26.
432 LA LANGUE DE MÉROÉ

hypothèses sur le méroïtique que Zyhlarz avait repris la traduction et le


commentaire de cette même stèle de Nastasen (Zyhlarz, 1961). Mais dans un
cas comme dans l’autre, le résultat ne pouvait être probant, soit parce que le
méroïtique ne pouvait encore être lu (Schäfer), soit parce que la méthode
employée était tout sauf scientifique (Zyhlarz). Bien que Peust n’ait pas eu
beaucoup plus de chance dans sa démonstration, essentiellement à cause de
sa méconnaissance des données disponibles sur le méroïtique 1, son idée de
départ semble saine : les textes royaux méroïtiques présenteraient une
continuité avec leurs parallèles napatéens, et il serait possible d’y retrouver,
ne serait-ce que par bribes, des traces de la phraséologie ancienne. Mais
l’ampleur d’un tel travail dépasse de loin le cadre d’un simple article.

Gloses gréco-latines et égyptiennes

Quelques éléments de vocabulaire méroïtique, en nombre modeste,


peuvent être éclaircis grâce aux sources égyptiennes et gréco-romaines. Nous
les appelons ici « gloses » par commodité, mais à l’exception du titre de
« Candace », il ne s’agit pas de traductions.
Les sources classiques sont essentiellement concentrées chez Pline
l’Ancien (24-79 apr. J.-C.). L’auteur de l’Histoire Naturelle a en effet
compilé d’autres écrivains antérieurs comme Bion de Soles, auteur grec
d’une description du royaume méroïtique au IIIe siècle, les Aithiopika,
aujourd’hui perdue, ou comme Juba II, roi de Maurétanie élevé à Rome, qui
écrivit une série d’ouvrages historiques et géographiques également
disparus 2. Leur principal apport est constitué de listes de localités sur le
cours du Nil Moyen, les « itinéraires », que nous avons abondamment
exploités dans le chapitre précédent. La plupart des toponymes indiqués ne
semblent pas figurer dans les documents méroïtiques actuellement connus,
soit que les manuscrits latins aient été mal recopiés par les scribes antiques et
médiévaux, pour qui ces noms barbares ne faisaient pas de sens, soient qu’ils
n’aient pas eu d’importance administrative suffisante pour faire l’objet de
mentions dans les textes de Koush, soit enfin qu’ils soient à l’écart des
principaux sites fouillés. Il en reste cependant un bon nombre qui sont pour
nous d’importance capitale, car l’identification d’un toponyme dans un texte

1
Pour réfutation de ses hypothèses sémantiques, voir Rilly, 2000b et ci-dessus, p. 185.
2
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 549-557 pour Bion, Eide–Hägg et al., 1998
(FHN III) p. 804-809 pour Juba.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 433

méroïtique permet souvent de préciser les éléments syntaxiques et


sémantiques qui l’entourent 1.
Deux autres listes de toponymes, plus restreintes, figurent chez Pline 2,
dans son récit de la campagne de Petronius contre les Méroïtes sous Auguste
(Hist. nat. VI.181-182), et dans sa relation de l’expédition de reconnaissance
envoyée par Néron (Hist. nat. VI.184-185). Il faut ajouter les quelques noms
de cités donnés par le géographe grec Strabon (64-23 av. J.-C.) dans sa
propre description de la guerre entre Romains et « Éthiopiens » (Strabon
17.1.53-54) 3, ainsi que la liste de localités, assez importante, qui figure dans
la Géographie (IV.5.33, IV.7.5-7) de Ptolémée d’Alexandrie (vers 146-170
apr. J.-C.) 4. Enfin, c’est grâce à Bion de Soles, relayé par Pline, Strabon,
mais aussi par les Actes des Apôtres et leurs scholiastes, que l’on a connu le
nom générique de « Candace » (mér. ktke, kdke et var.) pour les reines
méroïtes 5, mais il passe chez plusieurs d’entre eux pour un nom propre,
éventuellement héréditaire, ce que contredit assurément la possibilité qu’a le
mot méroïtique d’être suivi du déterminant (ktke-l « la Candace »).
Quant aux sources purement égyptiennes contemporaines du royaume
méroïtique (nous excluons ici les proscynèmes écrits par les Méroïtes à
Philae et Dakka), elles sont extrêmement réduites dans l’état actuel de la
documentation. On y trouve aussi des toponymes, par exemple dans les deux
listes des nomes de Nubie gravées à Philae par les soins de Ptolémée II et
Ptolémée VI 6, mais très peu de ces noms sont reconnaissables dans les textes
méroïtiques. Le Roman de Setne, chef-d’ìuvre de la littérature démotique,
probablement d’époque ptolémaïque, et dont une partie (Setne II) met en
scène un magicien koushite, nous fournit deux titres : celui de souverain,
transcrit kwr (mér. qore), et celui de magicien, transcrit ƒs« (mér. ate ?) 7.

1
Pour les toponymes méroïtiques en général, voir Griffith, 1911a, p. 81-82, 83 ; Griffith,
1925b, p. 259-261 ; Macadam, 1949, p. 117 ; Zyhlarz, 1956, p. 21 ; Zyhlarz, 1958 passim ;
Leclant, 1966-1967, p. 93 ; Heyler–Leclant, 1969, p. 388 ; Zibelius, 1970 passim ;
Trigger, 1970 (frontispice) ; Zibelius, 1972 passim ; Priese, 1973a in extenso ; Priese,
1976 in extenso ; Leclant, 1977 in extenso ; Haycock, 1978, p. 55 ; Leclant–Hainsworth,
1978, p. 29-32 ; Hofmann, 1978b, p. 271-272 ; Priese, 1984 in extenso, Desanges, 1993
passim ; Török, 1997b, p. 417-419.
2
Cf. Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 882-888.
3
Cf. Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 828-835.
4
Cf. Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 926-931.
5
Voir notamment Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 549-551.
6
Cf. Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 564-566, 614-630.
7
La parenté des deux termes n’est pas sûre. L’élément ate, attesté dans le titre sacerdotal
atepedemo pourrait être une variante graphique tardive de ant « prêtre ». Pour une étude
des apports du conte de Setne à la connaissance de la civilisation méroïtique, voir
Hofmann, 1993.
434 LA LANGUE DE MÉROÉ

Déterminatifs napatéens

L’utilisation d’idéogrammes égyptiens utilisés comme déterminatifs dans


les transcriptions de noms indigènes sous la dynastie de Napata est un
exemple particulièrement spectaculaire d’information sémantique sur certains
mots méroïtiques. La question ayant été traitée en détail dans notre
Introduction (voir p. 22-25), nous ne l’évoquerons que brièvement. Trois
signes égyptiens, ntr « dieu », nfr « bon », Ärd « enfant » sont employés
comme déterminatifs après les éléments d’anthroponymes respectifs m(a)-
k(a) (mér. mk « dieu »), m(a)-lu (mér. mlo « bon »), et m(a)-ti (mér. mete
« petit »). On peut ajouter l’idéogramme égyptien ƒm~ « vie », gravé à la
suite de la séquence -pbr- (mér. pwrite « vie ») dans une graphie cryptique du
nom de Musawwarat, au début de la période méroïtique. Le procédé n’a
malheureusement pas été utilisé sur une vaste échelle, si bien que nous ne
disposons actuellement que de ces quatre identifications. Il n’est cependant
pas impossible que des fouilles ultérieures de sites napatéens nous en
fournissent quelques autres.

Emprunts méroïtiques à l’égyptien

Le repérage d’un emprunt, lorsqu’il est justifié par la phonétique et le


contexte sémantique, est un moyen assez sûr de trouver le sens d’un mot.
Durant les deux millénaires et demi de son existence, la langue méroïtique a
été en contact permanent avec l’égyptien : ce fut tout d’abord la langue du
colonisateur, puis la langue écrite de l’administration indigène, puis enfin
une langue de tradition culturelle. Il est presque étonnant que le méroïtique
n’en ait pas été marqué davantage, quand on considère la proportion
considérable des emprunts que l’anglais a fait au français, ou le persan à
l’arabe, en un espace de temps deux fois plus réduit : on considère
généralement que dans ces deux langues, ils correspondent à peu près à la
moitié du vocabulaire. Or, dans notre « lexique », les emprunts à l’égyptien,
sûrs ou hypothétiques, représentent moins de 10 % du total des entrées, ce
qui semble peu. Il est assez vraisemblable que la grande différence qui sépare
les systèmes phonologiques des deux langues nous cache un certain nombre
d’autres emprunts. Si le nom méroïtique d’Isis Wos n’avait pas été
systématiquement utilisé au début des textes funéraires en compagnie de
celui d’Osiris, l’aurait-on identifié facilement à partir de l’égyptien 3s.t (dém.
Õs.t) ? Rien n’est moins sûr. Si les mots égyptiens ƒ3 « âne » ou ∆pƒ
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 435

« souverain » ont été empruntés par les gens de Koush, sous quel forme
pourrons-nous les trouver puisqu’aucune des consonnes qui les composent
n’existe en méroïtique ?

La plupart des emprunts reconnaissables sont des titres ou des théonymes.


Parmi les premiers, on trouve de façon à peu près sûre :
ant « prêtre » < ég. ∆m-ntr (même sens)
apote « envoyé » < ég. wpwt« (même sens)
‚rp‚ne « gouverneur » < ég. ~rp « administrer »
pelmos « stratège » < ég. p3-mr-mëƒ « le chef d’armée » 1
perite « agent » (intendant du temple d’Isis) < dém. p(3)-rt « l’agent »
pes(e)to « vice-roi » < ég. p3-s3-nsw (n K2ë) « le fils royal (de Koush) »
plsn « administrateur de temple (?) » < ég. p3-mr ën (même sens)
ssor « scribe » < ég. rë (même sens)

On remarquera que certains titres ont été empruntés avec l’article


égyptien p(3), quitte à recevoir ensuite le déterminant méroïtique. Ainsi la
séquence pelmos-l « le stratège » comporte-t-elle au début le déterminant
égyptien, qui n’est plus ressenti comme tel, et, à la fin, le déterminant
méroïtique qui a véritablement une fonction syntaxique. La situation est
exactement la même lorsque nous parlons en français de « l’alcool » ou de
« l’algèbre », sans nous rendre compte que nous superposons semblablement
un article français et un article arabe.

D’autres emprunts parmi des titres attestés, mais souvent de sens inconnu,
ont été suggérés, mais ne restent pour l’heure que des hypothèses :
amero < ég. (mr) ƒmrw « panetier » (Almagro, 1965, p. 226-227)
are < ég. «ry(-ƒ3) « gardien » (Griffith, 1922, p. 580-582)
mreperi < moy.-ég. «my-r(3)-pr « intendant » (Hofmann, 1974a, p. 43sq)
s « seigneur (?) » < ég. s3b « dignitaire » (Hofmann, 1974a, p. 41, 44)
smt < ég. smt« « juge » (Hofmann, 1974a, p. 46)
snn < ég. snny « conducteur de char » (Hofmann, 1974a, p. 42, 44)
ssmri < ég. smr « Ami (du roi) » (Hofmann, 1974a, p. 41, 44)
wo- dans womnise « prophète d’Amon » < ég. wƒb « prêtre » (Hintze, 1973e)
wrt‚n < wr.t d‚n « grande de musique » (danseuse sacrée) (Griffith, 1911a, p. 10)

La plupart des théonymes méroïtiques connus sont d’origine égyptienne


et ont été empruntés en même temps que les dieux qu’ils désignent, dès le
Moyen Empire ou au plus tard au début du Nouvel Empire, en raison de leur
vocalisation 2 :

1
Nous transcrivons mr le moyen-égyptien «my-r(3) « directeur », chaque fois qu’il aboutit
à un -l- en méroïtique, conformément à sa valeur phonétique en démotique.
2
Voir Introduction p. 17-18.
436 LA LANGUE DE MÉROÉ

Amni « Amon » < ég. Õmn


Amnp « Amon d’Opet » < ég. Õmn(-n-)Õp.t
Amno(te) « Amon-de-la-Ville » < ég. Õmn-n-N«w.t
Ar « Horus » < ég. Ãr
Arette « Harendotès » < ég. Ãr-nd-«t=f
Asori « Osiris » < Ws«r
Atri « Hathor » < ég. Ãt-Ãr
M(i)t « Mout » < ég. Mwt
Wos « Isis » < ég. 3s.t

D’autres noms ont fait l’objet d’hypothèses plus ou moins


vraisemblables :
Aqedise « Khonsou » (?) < ég. ∆q3-d.t « Souverain de l’Éternité » (Leclant, 1965b
p. 54, 263, 265)
Aritene dieu solaire < ég. Ãr-«tn « Horus -le -Disque » (Griffith, 1912, p. 28)
°s « Khonsou » < ég. °nsw (Griffith, 1911a, p. 82)
°s~seli < ég. ~s~s « Danseur » (= Bès) (Priese, 1997c, p. 268)

Tous les dieux méroïtiques ne sont pas pour autant d’origine égyptienne.
Ainsi Mash, Sebioumeker, Apedemak, sa parèdre Amesemi, sont vraisem-
blablement des divinités indigènes. On observera avec surprise que les noms
méroïtiques des dieux Anubis et Thot, tous deux bien représentés pourtant
dans l’iconographie funéraire, ne sont pas connus. Parmi les termes
méroïtiques qui désignent des divinités, il n’en est aucun en tout cas qui
suggère un emprunt à l’ég. D∆wty « Thot » ou Õnpw « Anubis ».
Certains toponymes sont également d’origine égyptienne et correspondent
à des fondations pharaoniques : Atiye « Sedeinga », provient de ∆(w)t-T«y
« le château de Tiyi », car c’est là qu’Amenhotep III fit édifier un temple
pour son épouse. Le nom Tew:webi, qui désigne probablement le Gebel
Barkal, provient sans doute de l’ég. Dw-wƒb « la Cime Pure ». Le séparateur
interne dans ce toponyme renvoie à l’étymon égyptien composé de deux
mots. Il semble assez plausible, suivant l’hypothèse de Hofmann, que le
toponyme Pedeme « Primis », provienne de l’ég. P3-Dm« « la Cité ». Pour
d’autres, il est difficile de savoir lequel des deux mots a précédé l’autre : si,
comme le suggère Zibelius, le mér. Akine « Basse-Nubie » correspond bien à
l’ég. Õqn, désignant au Moyen Empire la forteresse de Mirgissa, s’agit-il d’un
nom originellement égyptien transcrit ensuite en méroïtique, ou l’inverse,
puisque nous connaissons maintenant la grande antiquité de la langue de
Koush ?
Enfin, on a suggéré pour quelques substantifs des étymons égyptiens,
mais il s’agit souvent de simples hypothèses :
adb « terre », « province » < ég. «db.w « rives » (Haycock, 1978, p. 58)
atepoke « offrandes (?) » < ég. ∆tp.w (Zyhlarz, 1930, p. 442)
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 437

ƒr « nord » < ég. ƒrw « (le) bas » (Griffith, 1916b, p. 124)


nbr « or » (métal) < ég. nbw (même sens) (Millet, 1982, p. 72)
qelile « collier » < ég. dém. qll (même sens) (Millet, 1982, p. 72)
wte « protection (?) » < ég. wd3.t « ìil d’Horus » (Rilly, 2000c, p. 105)
yed « argent (?) » < ég. ∆d (même sens) (d’après Millet, 1982, p. 72)
tewiseti « adoration » < dém. t3-wšt.t (même sens)

Bibliographie (pour les emprunts) :


Griffith, 1911a, p. 10 (théonymes), p. 22-23 ; Griffith, 1916b, p. 119 (théonymes),
p. 119, 123 (anthroponymes) ; Zyhlarz, 1960, p. 742, note 5, p. 743 ; Heyler, 1967,
p. 110 (l’article égyptien p-) ; Trigger–Heyler, 1970, note h 50, p. 28, p. 41 et note
h 145, p. 41 et note h 151, p. 41-42 ; Hintze, 1973d, p. 331-337 ; Vycichl, 1973b,
p. 61-63 ; Vycichl, 1973d, p. 70 ; Hofmann, 1974a, p. 41-44 (titres administratifs) ;
Hofmann, 1977a, p. 208 (titres en s- < ég. s3b) ; Priese, 1977a, p. 38-39, 40
(vocalisation des emprunts anciens) ; Hofmann, 1981c, p. 11-12 (idem) ; Hofmann,
1981e, p. 15-17 (le cas de womnise) ; Millet, 1982, p. 75 (anthroponymes égyptiens) ;
Hofmann, 1990, p. 57-61. (pour at : pain) ; Rutherford, 1998, p. 247-248 (Tebwe pour
l’Abaton) ; Rilly, 2000b, p. 104-105 (pour Amnp, Amnpte).
438 LA LANGUE DE MÉROÉ

MÉTHODE PHILOLOGIQUE (ÉLUCIDATION CONTEXTUELLE)

Principes et exemples
La « méthode philologique » ne repose pas sur un fondement théorique
longuement élaboré. Elle est pour l’essentiel une pratique et ses règles
s’établissent de manière empirique. Griffith, qui fut le premier à l’appliquer,
ne s’en expliqua jamais 1. Aucune réflexion théorique sur les procédures
d’approche de la « question méroïtique » ne fut d’ailleurs publiée avant la
contribution de Trigger lors de la conférence de Berlin (Trigger, 1973a).
Dans cette étude que nous avons citée en ouverture de ce chapitre, le savant
canadien ne parle pas de « méthode philologique », mais de « contextual
analyses which compare the patterning of morphemes in texts » (op. cit.
p. 244). Le terme « philologique » est en fait introduit par Hintze qui définit
ainsi cette approche :
« Untersuchung der Texte auf ihren möglichen Inhalt hin, mit dem Ziel einer
unmittelbaren Übersetzung derjenigen Passagen, die sich einer einigermaßen
einleuchtenden Interpretation erschließen ; man kann dies als die “philologische
Methode” bezeichnen. » (Hintze, 1979, p. 21-22)

Cependant, la définition de Hintze est passablement réductrice, limitant


l’exercice à une sorte de « remplissage » des lacunes sémantiques dans les
textes par un sens supposé, mais compatible avec le contexte. On a peu
d’exemples de travail de ce genre chez Griffith, dont les hypothèses, comme
nous le verrons plus loin, s’appuient généralement sur des éléments multiples
et de nature différente. En revanche, on trouve très souvent ce procédé chez
Zyhlarz, et on sait à quels errements cela le conduisit 2.
Dans son commentaire de l’ouvrage de Hintze, 1979, Trigger revient sur
les différentes approches possibles de la « question méroïtique », et, tout en
reconnaissant la validité du terme « méthode philologique » (Trigger, 1979,
p. 147), il préfère parler de « informed guesses based upon context » et élar-
gir le champ de cette démarche. Il y inclut tous les éléments d’information
disponibles qui s’offrent au chercheur pour élucider un mot ou un passage,
que ceux-ci soient d’ordre iconographique, syntaxique, ou effectivement
sémantique (ibid. p. 152).
1
Parmi les méroïtisants qui y ont fréquemment recours, on pourra également citer Zyhlarz,
Macadam, Haycock, Hintze (dans ses débuts), Priese, Millet.
2
Voir Introduction p. 54 sq. Les nombreuses réserves que contient la définition de Hintze
(« möglichen », « mit dem Ziel », « einigermaßen ») sont peut-être une allusion en fili-
grane aux travaux de Zyhlarz.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 439

Un bon exemple de cette méthode nous est fourni dans les pages de
Karanóg consacrées par Griffith à l’invocation initiale des épitaphes Wosi :
(A)soreyi « ô Isis, ô Osiris » 1 (Griffith, 1911a, p. 33-34). Bien que les
éléments ne soient pas rigoureusement présentés dans cet ordre, on peut
reconstituer le cheminement de Griffith vers la compréhension de cette
formule en quatre étapes :
(1) Il constate l’indépendance syntaxique de la formule par rapport au
reste de l’épitaphe ;
(2) Il constate l’indépendance syntaxique de chacun des deux groupes
l’un par rapport à l’autre ;
(3) Il dégage un suffixe commun ;
(4) Il identifie les noms qui y apparaissent.

Pour rendre compte des moyens que Griffith met en œuvre pour parvenir
au résultat, il faut entrer dans le détail de la démonstration.

Étape (1). La formule Wosi : (A)soreyi est parfois absente (REM 0247,
0253, 0306, 0313, 0385). Dans certains textes, elle est répétée au milieu ou à
la fin. Elle ne subit pas de variation lorsque plusieurs personnes sont
commémorées sur un même monument, contrairement à toutes les autres
formules où apparaît alors une marque de pluriel [-lebkwi remplace -lo(wi)].
On a donc un groupe totalement autonome, qui peut difficilement être autre
chose qu’un vocatif.

Étape (2). Il y a généralement un séparateur entre Wosi et (A)soreyi. Il


peut arriver que les deux termes échangent leur position : on a Soreyi : Wosi
en REM 0381. Dans deux épitaphes (REM 0230, 0272), le terme Wosi figure
seul à la fin. La formule se compose donc de deux vocatifs indépendants.

Étape (3). En REM 0276, on a une variante Wos : wetneyinoqeli : Sori :


wetrri, où l’on peut constater que deux extensions sont venues se placer
après les lexèmes. La terminaison -i migre alors à la fin de chaque nouveau
complexe, prouvant ainsi son statut de suffixe. Griffith élimine une variante
Woso pour Wosi en REM 0311, qui est statistiquement insignifiante et
pourrait donc être une faute 2. Le suffixe de vocatif est donc -i et les deux
noms auxquels ils sont ajoutés ici sont Wos et Asori, d’après leur forme dans
l’invocation étendue.

1
Voir ci-dessus, p. 93.
2
Voir p. 297.
440 LA LANGUE DE MÉROÉ

Étape (4). Une invocation dans une épitaphe a de fortes chances de


s’adresser aux dieux funéraires, comme Isis, Osiris, Anubis, Thot. Le nom
Wos apparaît aussi à Philae, particulièrement en REM 0101/12 où l’on trouve
Wos Pileqeteli « Wos de Philae » [Griffith a identifié le nom de Philae dans
l’introduction de Karanóg]. Quant au second lexème de l’invocation, il
apparaît aussi en REM 0101 et ressemble au nom égyptien d’Osiris.
Hérodote assure que le culte d’Osiris, au moins à son époque (Ve siècle), était
fermement établi à Méroé. De plus, les dieux Isis et Osiris sont représentés
sur la stèle REM 0049 où apparaît également l’invocation double. Il ne fait
donc plus de doute que Wos et (A)sori sont les noms méroïtiques d’Isis et
d’Osiris. La formule Wos : (A)soreyi signifie donc « ô Isis, ô Osiris ».

On voit bien que la méthode suivie par Griffith, bien qu’elle puisse être
qualifiée d’« élucidation contextuelle », ne consiste pas seulement à proposer
un sens possible pour des éléments inconnus. Le terme de « philologique »,
tiré par Hintze du travail du lexicographe classique qui cherche à donner une
signification à un mot obcur, grec ou latin, d’après le contexte du document,
semble beaucoup trop restreint pour un travail qui s’étend dans toutes les
directions. Griffith utilise d’abord des éléments internes : il compare les
formulations de plusieurs textes, en pesant la valeur statistique des solutions
alternatives employées par les différents scripteurs (adjonctions, suppressions,
interversions) ; il observe les marques d’accord ; il tient compte de la
ponctuation (séparateurs). Mais il a recours également à des éléments extérieurs
au contenu écrit des documents : le contexte archéologique (monuments
funéraires), l’iconographie (stèle REM 0049), les sources classiques
(Hérodote), la comparaison avec l’égyptien (le nom d’Osiris).
Cette approche que l’on pourrait qualifier de « multicontextuelle » est
sûre et permet d’obtenir des résultats spectaculaires, comme tous ceux que
Griffith présenta dans Karanóg. C’est elle qui a permis d’identifier les
morphèmes caractéristiques du génitif analytique, du locatif et du pluriel, et
de préciser, à défaut de traduire, un grand nombre de titres et de théonymes.
Mais elle possède deux inconvénients majeurs 1 : elle demande beaucoup de
temps pour chaque élément identifié 2, et surtout, elle ne peut s’appliquer
qu’à des types de documents relativement courts, présentant un schéma
stéréotypé répété sur un grand nombre de textes 3. C’est pourquoi beaucoup
ont désespéré des chances de réussite d’une telle méthode :

1
Un troisième inconvénient est lié à la « profondeur sémantique » qu’on peut espérer
atteindre. Ce problème étant commun avec l’approche informatisée, il sera traité dans la
section suivante : cf. p. 445-448.
2
Bechhaus-Gerst parle joliment de « detektivischer Kleinstarbeit » pour ce type de
recherches (Bechhaus-Gerst, 1989, p. 101).
3
Voir notre étude des « décrets oraculaires amulétiques » ci-dessus, p. 216-226, effectuée
sur une quinzaine de textes dont la plupart nouvellement publiés.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 441

« It seems improbable that any further advance can be made on internal evidence
alone. » (Shinnie, 1967, p. 138-139)

« While contextual studies may reveal regularities in a language in the absence of


any other information about it and, for a partially deciphered language, may
reveal the meaning of words about which no external information is available, it
is generally agreed that such studies by themselves cannot lead to a satisfactory
understanding of a language. » (Trigger, 1973a, p. 244)

Nous ne sommes pas pour notre part si pessimiste. Le premier obstacle, la


lenteur du procédé, pourrait être résolu par un travail d’équipe et une assis-
tance informatique très spécialisée, car le travail le plus long est évidemment
le repérage dans les textes, pour lequel la cybernétique a des solutions
rapides et infaillibles. La solution du second problème, le nombre et la
variété des textes, n’est pas entre les mains des linguistes, mais dépend du
nombre de chantiers de fouilles, et surtout de la chance des archéologues et
de leur capacité à publier rapidement le résultat de leurs fouilles. Qu’il nous
soit permis ici de rêver un peu : en 1906, Hugo Winckler découvrit à
Boghazköy les archives des rois hittites, comprenant près de dix mille
tablettes inscrites ; les fouilles de la seule cité de Mari ont livré depuis 1934
près de 18 000 textes ; celles d’Ebla en Syrie, commencées en 1964, ont
permis de retrouver, comme à Boghazköy, quelque dix mille tablettes. Une
découverte de ce genre serait-elle impossible au Soudan, du moins dans le
Nord, où les conditions de conservation des papyri sont optimales ? On a
pourtant tous les indices d’une alphabétisation importante 1, eu égard aux
standards antiques, à travers le royaume de Méroé.

Traduction et « pseudo-traduction »

La question des « degrés de traduction » est évidemment au cìur de la


méthode philologique ou « contextuelle ». Quand peut-on considérer qu’un
mot méroïtique est traduit ? Doit-on offrir une traduction, même partielle, des
textes lorsque l’on estime en avoir la possibilité ?
À la fin de son ouvrage Material für eine meroitische Grammatik,
Hofmann propose une liste de 28 mots 2 de sens « à demi avéré » (« halbwegs
gesichert »). Les noms propres et les emprunts à l’égyptien n’y sont pas
inclus, ce qui explique le chiffre réduit. Or au moins deux de ces mots, tneyi

1
Voir Millet, 1974 ; Priese, 1977b, p. 253.
2
29 mots en tout, mais le terme (a)sr figure sous deux entrées, d’abord « viande », puis
« animal ». La liste s’adresse en priorité aux africanistes, à fin de comparaison linguis-
tique, d’où cette répétition.
442 LA LANGUE DE MÉROÉ

pour « lion » et aritene pour « seigneur » sont très loin d’être assurés, ne
serait-ce qu’à demi. Le premier a été avancé par Hintze à partir d’une
spéculation assez peu vraisemblable sur les cartouches du roi Taneyidamani,
le second est un théonyme pour lequel une origine égyptienne ne peut être
écartée. Semblablement, la plupart des méroïtisants ont suivi l’hypothèse de
Griffith selon laquelle le terme wyeki- aurait désigné une « étoile »
(Hofmann, prudente, ne retient pas ce mot dans sa liste). Mais les seuls
arguments sont la comparaison avec le nubien wiñji « étoile » et le fait qu’un
membre d’une famille d’astrologues porte en REM 0089 le nom de Wyekiye.
Voilà de bien faibles indices : d’une part, la parenté du nubien avec le
méroïtique n’est pas encore sûre, et en tout cas ne peut pas actuellement
constituer une preuve ; et imagine-t-on d’autre part des familles de généraux
donner à leur enfant le nom d’« épée » ou de « forteresse » ?
Il nous semble que l’on pourrait quantifier le degré de sûreté de la
traduction d’un mot ou d’une expression suivant le nombre d’indices. Ces
indices sont de plusieurs ordres, en voici les principaux :
(A) compatibilité sémantique et syntaxique avec le contexte textuel, quand
celui-ci du moins comporte des éléments identifiés ;
(B) parallélisme avec un élément connu dans des formulations identiques ;
(C) adéquation avec l’iconographie ;
(D) adéquation avec le support d’écriture ;
(E) rapport direct avec le contexte archéologique ou culturel ;
(F) identification d’un étymon égyptien (voire grec 1) ;
(G) traduction du terme dans une autre langue.
Tous ces indices ne sont cependant pas d’égale valeur. L’indice (G),
lorsqu’il existe, peut suffire à assurer le sens d’un mot. Mais on ne peut guère
citer que ktke, « Candace », traduit par le grec τν το βασιλéως µητéρα
« la mère du roi » chez Bion 2, qore, traduit en démotique par pr-ƒ3
« pharaon » (Ph. 416/8) 3, peseto, « vice-roi », semblablement traduit par
p3 sj-nsw « le fils royal » (Ph. 416/15) 4. L’indice (F), lorsque la
correspondance est évidente, peut aussi servir de preuve formelle : c’est le
cas de pelmos « stratège », de l’égyptien p3-mr-mšƒ, la correspondance
phonétique étant assurée par le grec [π]λεµεισα et le copte p-lemhh0e.
Quant aux autres indices, il est clair qu’il faut en produire plusieurs avant de
parler de « traduction ». Si l’on ne dispose que d’un seul, il y a juste
« suspicion » sur le sens d’un mot ou d’une expression. Si deux d’entre eux
1
Voir note 1, p. 145.
2
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 551.
3
Il s’agit du proscynème démotique de Pasan à Philae, citant le roi Teqorideamani et le
vice-roi Abratoye (cf. Burkhardt, 1985, p. 114sq.).
4
Voir note précédente. On rappelle que « fils royal de Koush » désigne officiellement au
Nouvel Empire le vice-roi égyptien de Nubie.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 443

se conjuguent, on peut parler d’« hypothèse » et faire figurer la traduction


avec un point d’interrogation. Si trois indices sont disponibles, on a une
« hypothèse consolidée », mais le point d’interrogation doit demeurer. Au-
delà de trois indices, on peut véritablement parler de « traduction ». Il peut
évidemment arriver qu’un indice, bien que n’étant ni de type (G), ni de type
(F), soit suffisamment fort pour créer à lui seul une « hypothèse ».
Dans le cas de Wos, le nom d’Isis, tel qu’il est étudié par Griffith dans
Karanóg (voir p. 435-436), cinq types d’indices sont donnés : (A), (B), (C),
(E), (F). On peut donc considérer le terme comme traduit. Pour wyeki en
revanche (voir page précédente), la traduction « étoile » ne dispose d’aucun
indice, puisque le rapport avec le nubien ne saurait actuellement être
considéré comme tel 1, et que le fait que le nom Wyekiye apparaisse dans une
famille d’astrologues n’est même pas un indice de type (E). C’est donc à
juste titre que Hofmann ne l’a pas retenue dans sa « liste ».

Sur une échelle plus large, on peut s’interroger sur la légitimité ou


l’utilité de la traduction de passages suivis, voire de textes entiers, intégrant
les éléments hypothétiques. Griffith a rarement recours à la traduction
complète, bien qu’on le voie quelquefois succomber à la tentation bien
humaine d’offrir ainsi un résultat tangible de ses travaux 2. Il a beaucoup plus
souvent utilisé le procédé de la « pseudo-traduction » sur laquelle nous
reviendrons.
Nous avons plusieurs fois évoqué les « traductions » entièrement
spéculatives de Zyhlarz. Dès son premier article, il proposait pour
l’inscription REM 0101, un texte de 16 lignes de la « chambre méroïtique »
de Philae, un « reflet de la teneur globale » (« Bild des kursorischen Zu-
sammenhanges »), qui n’était autre qu’une traduction, à peine tempérée par
cinq points d’interrogation. Toutefois, le passage était immédiatement suivi
d’une « Gegenkritik » où il prévenait contre le danger d’une lecture naïve de
sa traduction :
« Die eben gegebene Übersetzung könnte im ersten Anblick den Eindruck
erwecken, als ob damit gezeigt werden solle, man wäre jetzt bereits imstande,
einen beliebigen meroïtischen Text ebenso detailliert zu verstehen wie etwa einen
in ägyptischen Demotisch.
Dem kann keineswegs zugestimmt werden, weder für die vorliegende Behand-
lung, noch auch für andere. Rund 50 Prozent des Inhaltes sind glatt geraten, das
übrige umständlich konstruiert ». (Zyhlarz, 1930, p. 458)

1
Si, comme nous l’espérons, le nubien est dans un proche avenir considéré comme parent
du méroïtique, un rapprochement pourrait être tenu pour un indice supplémentaire
équivalent au type (F). Mais tel n’est pas encore le cas.
2
Pour deux exemples de traduction téméraire, voir Griffith, 1911c, p. 73 (REM 0049) et
p. 77 (REM 0056).
444 LA LANGUE DE MÉROÉ

Cependant, il n’aura plus par la suite la même lucidité, et ses derniers


travaux (Zyhlarz, 1960, 1961) regorgent de « traductions » aussi péremptoires
qu’injustifiées. Elles ont sans conteste contribué à discréditer la méthode, y
compris sous des formes plus acceptables. Ainsi Hintze, grand adversaire de
Zyhlarz, n’a-t-il utilisé que rarement, et encore à ses débuts 1, le procédé de la
traduction suivie. À propos de quelques séquences de la longue stèle de
Taneyidamani (REM 1044/7-10), au terme d’une analyse qui en éclaire remar-
quablement la teneur, au point que la traduction semblerait possible, il se
contente humblement de signaler :
« Im Ganzen gewinnt man den Eindruck als ob es sich um die Stiftung irgend-
welcher Gegenstände (oder Personen ?) an einen (oder mehrere) Tempel handelt. »
(Hintze, 1960a, p. 159)

Une illustration particulièrement éloquente de la fragilité de ce genre de


traductions consiste à comparer quelques lignes de l’inscription tardive de
Kharamadoye par Millet et par Haycock :
texte méroïtique : terise : mnpte : pdƒose : tlolise : kidketet : (REM 0094,
lignes 7-8)
traduction de Millet : « ...was the one who presented the monument (to)
Amannapte, lord (?) of Talêli. » (Millet, 1973a pl. 3)
traduction de Haycock : « [deputy] of the Southland. Favoured of
Ammon of Napata who caused him to be born (??) and of his father
(?) » (Haycock, 1978, p. 71)
Griffith avait été plus prudent, qui s’était contenté d’indiquer une hypo-
thétique synthèse dans sa longue analyse du texte complet :
« Nearly all the words are known elsewhere, but I do not yet see how to put them
together so as to combine sense with grammatical probability. (...) Apparently the
inscription commemorates a conquest, or a rearrangement of territory for the sub-
kings, by the supreme king Kharamazêye, who probably reigned at Meroë or
Napata ; at least he worshipped the gods of that region. » (Griffith, 1912, p. 28, 32)

Outre leur caractère arbitraire et non scientifique, le danger de telles


traductions est de donner l’impression aux non-spécialistes du domaine qui
peuvent être amenés à se servir de telles analyses que la connaissance du
méroïtique est plus avancée qu’elle ne l’est réellement 2.

1
Hintze, 1960a, p. 157 (REM 1044/146) ; Hintze, 1961, p. 279.
2
Cf. Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 52-53 qui critiquent ainsi la traduction fantaisiste par
Mertens (non publiée) de l’inscription REM 1195 conservée à Munich.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 445

Cependant, il n’est pas possible d’avancer vers la compréhension de la


langue si on repousse systématiquement les données non assurées. Un
linguiste qui n’accepterait de travailler qu’à partir de certitudes ne doit
manifestement pas se lancer dans l’étude du méroïtique. Millet a raison
lorsque, dans son étude fructueuse des premières épitaphes de Qasr Ibrim, il
plaide pour le « risque » en philologie :
« (...) the decipherment, sensu stricto, of Meroïtic was of course accomplished by
Griffith in the first two decades of this century ; the task that remains is one of
interpretation, for lack of a better word, of their contents, and it is the firm belief
of the writer that this calls for willingness on the part of the investigator to evolve
hypotheses freely, to be prepared to guess if it seems useful so to do, and in
general to extract as much material for consideration as possible from the
surviving evidence. It may be objected that such a free approach to the subject
will necessary breed error ; let us hope that it be so, for demonstrated error
represents an increase in knowledge, while excessive caution can be a distinct
liability in the early development of a field of study. » ( Millet, 1982, p. 69)

Aussi n’est-ce pas étonnant que Millet ait souvent recouru à la « pseudo-
traduction » 1, un procédé qui permet de présenter de manière synthétique les
résultats de l’étude d’un texte, sans pour autant verser dans les spéculations
invérifiables auxquelles oblige la traduction suivie. La méthode est ancienne
puisqu’elle est déjà appliquée partiellement par Griffith dans le « catalogue »
des textes de Karanóg (Griffith, 1911a, p. 54-78) et, de façon plus
systématique, dans l’étude des épitaphes de Faras (Griffith, 1922, p. 567-
599). Griffith traduit tout ce qui, dans chaque texte, lui paraît
compréhensible, et laisse en méroïtique (vocalisé) tout ce qui ne l’est pas. Le
résultat est parfois déroutant, comme on peut le juger par la traduction
suivante de la stèle de Faras REM 0503 :
« O Wêsh ! O Ashêri ! Marazewitar : born of Atapi(l) : begotten of the maraperi
Yereqaye : masqêrês in Pakharas : masqêrês in Tanar : great shashêr katatare :
zala-tabaqê katatare : mañabache in Aleket [...] » (Griffith, 1922, p. 569)

Cette « pseudo-traduction » a tout au moins l’avantage de l’honnêteté, et


ne cache pas derrière des points d’interrogation les lacunes importantes qui
empêche notre compréhension d’une grande partie des textes. Certains
méroïtisants ont estimé encore trop aventureux ce procédé 2. Il nous semble
néanmoins qu’il peut être utilisé maintenant pour la plupart des épitaphes, qui

1
Le terme semble être de Millet (« pseudo-translation »). Voir notamment Millet, 1969,
p. 395, 397, Millet, 1973a, p. 32 sq. (où l’on est plus proche de la « traduction » selon
Zyhlarz que de la « pseudo-traduction »), Millet, 1977, p. 318, 319, 321-324 ; Millet
1982, p. 73, 77-78 ; Millet, 1996, p. 611-613.
2
Voir Trigger–-Heyler, 1970, p. 22.
446 LA LANGUE DE MÉROÉ

sont assez bien comprises depuis les travaux de Hintze et de Hofmann, et


sans doute aussi pour une bonne proportion des protocoles royaux dans les
textes officiels. Aussi n’avons-nous pas hésité à l’employer dans les pages
précédentes (cf. p. 92). À condition de ne pas y faire figurer de simples
« suspicions » (cf. p. 438) sous forme de traductions (mêmes suivies de
points d’interrogation), elle constitue une excellente évaluation des résultats
d’une analyse, offre au lecteur non-spécialiste une information
immédiatement accessible, et permet au chercheur une collation rapide des
termes à élucider par la suite et de leur contexte dans chaque phrase.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 447

ANALYSE STRUCTURALE ET MÉTHODES INFORMATISÉES (REM)

La méthode philologique ou contextuelle est une investigation de détail.


Elle s’attache à un texte, un passage particulier dans le corpus méroïtique et
s’efforce, tout en utilisant bien sûr la comparaison avec d’autres passages et
d’autres textes, d’éclaircir le sens d’un mot ou d’un groupe de mots. Les
deux approches que nous avons groupées dans la présente section ont en
commun l’ambition de travailler de manière globale sur l’ensemble du corpus
disponible. Pour caricaturer un peu, on pourrait dire que les tenants de la
méthode précédente cultivent méticuleusement un ensemble de jardins
potagers, tandis que les partisans des approches globales pratiquent plutôt
l’agriculture extensive.

Analyse structurale (Hintze, 1963a et 1979)

C’est dans le domaine de la syntaxe que se sont orientées essentiellement


les recherches de Hintze 1. Les deux étapes que constituent sa « Struktur der
Deskriptionssätze » (Hintze, 1963a) et les trois premiers chapitres de ses
« Beiträge zur meroitischen Grammatik » (Hintze, 1979) ne sont en fait que
deux présentations différentes d’une même recherche. La première
correspondant à une grammaire de listes en offrant le relevé le plus exhaustif
possible des structures rencontrées dans les « descriptions » des épitaphes,
classées suivant la présence d’un génitif, d’un locatif, d’une apposition ou
d’un anthroponyme. La seconde procède à une simplification de ces listes au
terme d’une analyse structurale en « constituants immédiats », fortement
teintée par les théories de la grammaire générative. Hintze définit ainsi cette
approche de la « question méroïtique » :
« Untersuchung der Distribution der sprachlichen Elemente und ihrer
Substitutionsklassen und dadurch Ermittlung der syntagmatischen und (soweit
möglich) auch paradigmatischen Struktur der Sprache ; hier handelt es sich um
eine “strukturanalytische Methode”. » (Hintze, 1979, p. 21-22)

Le but immédiat de Hintze dans cette recherche n’est pas de parvenir à


une traduction du méroïtique. Bien au contraire, il réaffirme, en citant
Chomsky, l’inutilité du sens dans l’analyse grammaticale. Il s’agit selon lui
de « préparer le terrain pour l’utilisation de la méthode philologique et
comparative » (Hintze, 1979, p. 22).
1
Pour les travaux de Hintze en général, voir Introduction p. 56 sq.
448 LA LANGUE DE MÉROÉ

En fait, on constate que l’apport promis a été bien mince. On peut ainsi
comparer une des propositions de l’épitaphe de Karanóg REM 0289 : ant
Mnpse Brtre stelo. L’analyse de Hintze en constituants immédiats permet de
décomposer ainsi ce passage (Hintze, 1979, p. 36) :
ant mnpse brtre stelo
N + N-se + P + V-lo

N + P + V-lo

+
N-l V-lo

Or Griffith, pour le même passage, proposait dans Karanóg la traduction


suivante « mother of the prophet of Amanap Baratare » (Griffith, 1911a,
p. 68). Le Britannique, il est vrai, n’avait pas identifié la nature prédicative
de l’élément -lo, puisqu’aujourd’hui nous traduirions : « c’était la mère du
prophète d’Amanap Baratare ». Mais cette identification n’est pas davantage
présente chez Hintze, pour qui toutes les relations de parenté sont des verbes,
et l’élément -lo un suffixe participial (voir supra, p. 124-125). Ce que montre
le schéma de Hintze, c’est que le génitif utilise une postposition -se, que ce
génitif appartient au syntagme nominal, comme l’apposition Brtre, et que la
présence d’un anthroponyme est une détermination suffisante pour que le
déterminant ne soit pas nécessaire. Il n’y a là rien qui ne soit déjà connu et
employé pour la traduction chez Griffith, et on ne voit pas en quoi l’analyse
structurale et la décomposition en « constituants immédiats » offre un
quelconque apport, même indirect, à la compréhension de cette proposition.
L’intérêt de cette présentation des données est essentiellement pédagogique,
puisqu’il formule explicitement (Hintze, 1979, p. 34) des règles que Griffith
n’avait guère eu le loisir de développer et de formaliser.
Les contributions les plus importantes de la Grammatik de Hintze à la
compréhension du méroïtique se situent généralement en dehors de l’analyse
structurale, lorsqu’il aborde tel ou tel problème sous un angle qui est
fondamentalement le même que Griffith, c’est-à-dire au cours d’une étude de
détail incluant une comparaison entre différents textes 1. La dernière partie de
sa monographie (Struktur der Benediktionsverben), la plus fructueuse, est
pour l’essentiel une étude de linguistique historique, débouchant sur des
hypothèses sémantiques, qui n’a donc plus grand-chose à voir avec les

1
Ainsi la discussion sur le génitif (Hintze, 1979, p. 30), la valeur du déterminant (ibid.
p. 32, 33), l’influence possible de la syntaxe égyptienne (ibid. p. 43), le repérage des
possessifs (ibid. p. 60, où il recourt à la traduction !), etc.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 449

théories affichées au début de l’ouvrage, mais s’avère beaucoup plus


novatrice.
Le travail de Hofmann, qui se veut dans la continuité de l’ìuvre de
Hintze, se réclame autant de l’analyse structurale que de la méthode « philo-
logique », très souvent « multicontextuelle » autant que pouvait l’être
l’approche de Griffith 1. Hofmann propose en effet une « “gemischte”
Methode » qui conjugue les deux procédés, et qu’elle illustre d’un exemple
sur le mot (a)sr en REM 1003, 1044 et dans la formule de bénédiction F
(Hofmann, 1982c, p. 50-52). L’analyse de ce terme, pour lequel elle suggère
une traduction par « animal » ou « viande », ressemble en fait à l’étude de
l’invocation initiale des épitaphes par Griffith, telle que nous l’avons décrite
précédemment (cf. 435-436). Elle examine effectivement quelques structures
parallèles en REM 1003, mais s’attarde bien plus sur la logique contextuelle
et les realia méroïtiques. À aucun moment, Hofmann n’utilise l’appareil
théorique mis en place par Hintze au début de sa Grammatik, mais le résultat
obtenu à la fin de la démonstration, s’il n’est pas totalement assuré et ne
concerne qu’un seul mot, est au moins assez convaincant. La première partie de
son principal ouvrage sur la langue de Méroé, Material für eine meroitische
Grammatik (Hofmann, 1981a, p. 25-190), est une reprise plus ambitieuse de
Hintze, 1963a, où elle conjugue le travail global sur les structures et l’examen
philologique de passages précis des descriptions funéraires. Il semble assez
révélateur de constater que, bien que se situant dans la lignée du savant
berlinois, elle n’a pas repris les principes de Hintze, 1979, qui s’étaient avérés
improductifs pour l’avancement de la « question méroïtique ».

Méthodes informatisées
Le méroïtique a probablement été la première langue ancienne à
bénéficier d’un traitement informatique, grâce aux travaux de Jean Leclant et
André Heyler 2. Leurs efforts, depuis le début des années 1960, permirent
l’enregistrement de l’ensemble des inscriptions méroïtiques sous forme de
banque de données. Le travail de l’équipe française a surtout porté sur
l’enregistrement des textes, qui nécessitait une relecture systématique des
documents, et ne laissait donc que peu de temps pour leur étude linguistique.
Cependant, un système de découpage des textes en « stiches » 3, des stiches

1
Voir Hofmann, 1981a, p. 25.
2
Voir Introduction p. 61-62 et note 2, p. 61 pour la bibliographie du REM.
3
« Grâce aux “séparateurs”, on a pu isoler différents mots et supputer une segmentation
des textes en groupes de mots, segments qui ont été dénommés par convention “stiches”,
pour ne pas préjuger de la nature de la structure ainsi isolée » (Leclant, 1974c, p. 71). On
peut aujourd’hui parler de « propositions ».
450 LA LANGUE DE MÉROÉ

en mots, et éventuellement des mots en lexèmes et morphèmes, couplé à une


signalétique littérale proposant pour chaque élément une identification
syntaxique et sémantique, constituait un début d’analyse à grande échelle de
la langue méroïtique. La notation (par lettres souscrites) des catégories
sémantico-grammaticales de chaque « mot » est particulièrement inté-
ressante, car elle constitue l’embryon de ce qu’il serait possible de faire dans
l’avenir, lorsque cette base de données, qui ne subsiste plus que sur quelques
« sorties papier », sera reconstituée 1 :
A – adjectif en position d’épithète
C – nom de chose
D – nom de divinité
E – nom d’être humain [substantif désignant un être humain]
G – terme grammatical
I – nom abstrait
K – terme au locatif de sens indéterminé
L – nom de lieu exclusivement
M – signe de mesure
P – nom propre de personne
R – nom de personne royal, roi, reine ou prince
T – titre, qui est parfois un adjectif employé comme tel
V – verbe, c’est-à-dire terme, en principe, à enclise et à proclise
W – terme en fin de stiche 3B, 3C ou 3E dans la description [mot de parenté]
X – terme dont la nature ne peut être déterminée
Y – ce qu’il est convenu d’appeler « article » en méroïtique [déterminant]
$ – nombre

Le principal intérêt de cette liste est de présenter des catégories qui


s’attachent directement à la réalité des textes méroïtiques. Puisque le but
ultime est la traduction des documents écrits, il faudrait produire pour chaque
mot les caractérisations les plus fines possibles, qui tiendraient compte des
divers contextes syntaxiques et sémantiques où ils sont attestés. Ainsi, il
importe pour un terme de parenté de savoir s’il s’applique à un homme ou à
une femme, ce que l’on peut savoir dans une bonne moitié des cas. Il est
intéressant de noter que tel adjectif a une valeur méliorative, que tel verbe
apparaît dans des prières, que tel nom représente un bien désirable que les
souverains demandent aux dieux. Une telle précision, répétée sur des
centaines, voire des milliers de mots, ne peut être possible qu’avec l’aide de
programmes informatiques spécialisés.
L’une des productions les plus importantes du travail de l’équipe
française a été l’élaboration de l’Index du REM, sur lequel Hofmann

1
Voir Leclant et al., 2000 Préface p. XIV pour ce projet. La liste des abréviations donnée
ci-dessus est tirée de Leclant–Hainsworth, 1978, p. 8. Nous n’y avons pas fait figurer les
exemples. Les passages entre crochets sont des gloses personnelles.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 451

notamment s’est maintes fois appuyée. La version distribuée en 1975 aux


méroïtisants (il n’y a pas eu pour l’heure de publication) comportait 6 602
mots 1. D’autres « index » plus spécialisés ont également été publiés dans
deux livraisons des Meroitic Newsletters :
Index des sites d’origine des inscriptions :
Leclant-Hainsworth, 1977, p. 18 ;
Leclant-Hainsworth, 1978, p. 12 (abréviations), p. 17-18 ;
Index des lieux de conservation des inscriptions :
Leclant-Hainsworth, 1978, p. 19-28 ;
Index des toponymes :
Leclant-Hainsworth, 1978, p. 29-32 ;
Index des points cardinaux :
Leclant-Hainsworth, 1978, p. 33 ;
Index des noms de divinités :
Leclant-Hainsworth, 1978, p. 35-43.

Le travail du REM n’a pas été la seule analyse de textes méroïtiques


assistée par ordinateur. Deux essais sur les structures verbales à partir d’une
base de données informatisée ont été publiés par W. Schenkel, l’un sur les
verbes dans les textes royaux (Schenkel, 1972) et l’autre sur les verbes de
bénédiction dans les épitaphes (Schenkel, 1973a). Le but était chaque fois
d’obtenir une segmentation et une répartition statistique des constituants
verbaux. Dans la première étude s’ajoutait l’ambition de définir ainsi des
temps par comparaison avec le baréa (ou nara), langue du groupe soudanique
oriental parlée en Érythrée et souvent rapprochée du méroïtique (cf. p. 477).
Le peu de résultat tangible de ces travaux 2 tient en partie à quelques défauts
que l’on retrouve aussi dans les différents index du REM, et qui sont
inhérents à une utilisation encore balbutiante de l’informatique comme
simple moyen rapide de repérage linéaire. Tout d’abord, le contexte
philologique n’est pas pris en considération, si bien que l’homonymie des
morphèmes induit parfois en erreur le relevé. Ainsi -te est bien un suffixe
verbal fréquemment attesté, mais c’est aussi la postposition locative : la
forme adonilikete (REM 0094/31) analysée comme un verbe (Schenkel,
1972, p. 4) est bien plutôt un locatif, comme le prouve le terme ƒr-w « vers le

1
Ph. Cibois signale « 13 405 mots, qui peuvent eux-mêmes être analysés en 21 926
thèmes non sécables et éléments de mots ». (Philippe Cibois, « L’enregistrement par
informatique des textes méroïtiques : création d’un langage d’interrogation des
données », dans Meroitic Newsletters, t. 12, [1973], p. 23). Le travail de réduction des
erreurs, entrepris à ce moment, a permis des simplifications : il était étrange que le
nombre des thèmes et des morphèmes dépassât celui des mots entiers.
2
Voir Hofmann, 1981a, p. 214-215 pour une critique de ces deux études. Le principal
écueil qui a fait considérer avec méfiance les résultats de Schenkel, 1972 n’est pas le fait
de la recherche informatisée, mais la comparaison avec le baréa (nara), fortement
spéculative.
452 LA LANGUE DE MÉROÉ

nord », qui précède dans le texte. Ensuite, l’existence de phénomènes


phonétiques comme l’assimilation tend à masquer les morphèmes en tout ou
en partie 1. Enfin, les translittérations des textes peuvent comporter des
incertitudes sur certaines lettres, des hésitations entre deux lectures, dont il
n’est pas tenu compte dans le corpus informatisé. Toutes ces imperfections
ne disqualifient évidemment pas l’outil informatique dans la recherche de
« segmentation automatique », mais elles prouvent qu’il faut raffiner les
programmes pour mieux prendre en considération le contexte sémantique et
grammatical, et intégrer les lectures alternatives dans la base de données 2. Le
repérage informatisé ne doit pas être linéaire, mais bel et bien
multidimensionnel.
Cependant, qu’il s’agisse de la méthode philologique (contextuelle), ou
de l’analyse des structures et du repérage informatisé, une incertitude
demeure quant au niveau de compréhension, de la « profondeur sémantique »
à laquelle on pourra avoir accès. Un exemple assez inquiétant est celui des
verbes pour lequel une signification « donner », « fournir » a été avancée :
on a ainsi, outre les verbes de bénédictions ƒe, ƒol, ‚r, t‚, tk, tre, we, les
verbes d, kid, te, toƒ, yiroÄe. Le seul pour lequel ce sens soit assuré est -l. En
fait, on sait que ces verbes comportent deux objets, direct et indirect, le
second étant souvent marqué dans le complexe verbal par le suffixe datival
(b)‚e 3. Sémantiquement, on a donc affaire à des procès accomplis par le
sujet en faveur d’un bénéficiaire. Mais il y a un dernier pas à franchir avant
de pouvoir attribuer une signification précise à chacun de ces verbes :
« donner », « prodiguer », « dire », « adresser », « verser », « préparer »,
« faire préparer », « faire cuire », « faire abattre », et des centaines d’autres
sens sont des concurrents de même valeur, tant qu’on ne sait pas précisément
quel est le bénéfice. Et quand on le sait (ato « l’eau ») pour le verbe ƒe dans
la bénédiction A, il reste encore bien des sens possibles : « donner »,
« verser », « faire couler », « puiser », etc. Il n’est donc pas impossible qu’à
terme, les méthodes d’élucidation interne débouchent dans bien des cas sur
une juxtaposition de champs sémantiques plus ou moins précis, et non sur ce
que l’on pourrait appeler une véritable traduction. Ce genre de paraphrase
sera-t-il suffisant pour nous donner une idée précise du contenu des textes,
exploitable par les historiens ? Rien n'est moins sûr.

1
L’existence d’assimilations est cependant envisagée sur une petite échelle par
Schenkel, 1973, p. 8. Elle sera reprise et systématisée par Hintze, 1979, p. 63-87.
2
Ce détail figure néanmoins dans la transcription informatisée du REM (translittération des
textes) par une notation spécifique. Mais il n’a pas été retenu pour la confection des
index.
3
Voir ci-dessous, p. 553-554.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 453

APPROCHE COMPARATISTE – PARENTÉ LINGUISTIQUE


DU MÉROÏTIQUE

La parenté linguistique est au cìur de la « question méroïtique ». Aucun


autre domaine, dans l’étude de la langue de Koush, n’a fait couler autant
d’encre, et les plus fameux africanistes, Meinhof, puis Greenberg, se sont
penchés sur le problème, car l’enjeu dépasse de beaucoup les frontières du
Soudan antique. Le méroïtique étant la plus ancienne langue connue
d’Afrique, après l’égyptien dont la parenté chamito-sémitique ne fait pas de
doute, son rattachement à telle ou telle autre famille de langues africaines
conférerait au phylum concerné une profondeur historique de plusieurs
millénaires. Mais en ce qui nous concerne, la connaissance d’un idiome
apparenté permettrait à terme la traduction du méroïtique, car toutes les
langues anciennes pour lesquelles on a retrouvé des parents, même éloignés
(comme le prouve l’exemple du hittite) ont finalement pu être traduites 1.
Trois thèses principales se sont affrontées depuis le déchiffrement 2. La
première, représentée par Griffith (au début), Cottevieille-Giraudet, Haycock,
Militarev, Peust, rattache directement le méroïtique au nubien, la langue
actuellement conservée dans le Sud de l’Égypte et le Nord du Soudan, par
l’intermédiaire de sa forme médiévale, le vieux-nubien. La seconde,
défendue par Meinhof, Zyhlarz, Macadam (au début), Böhm, Bechhaus-
Gerst, fait du méroïtique un rameau du chamito-sémitique (l’« Afroasiatic »
de Greenberg). La troisième, plus récente, le relie au « nilo-saharien », une
des quatre grandes familles de langues africaines (« phyla ») établies par
Greenberg, 1966b 3. Elle a été pressentie par Griffith, développée par
Trigger, puis reprise par Shinnie, Priese (au début), Greenberg lui-même
(Greenberg, 1971), Schenkel, Bender (dans un premier travail). Cette
hypothèse est la plus vraisemblable des trois, et c’est pourquoi nous lui
réserverons une place importante, mais ce n’est pour l’heure qu’une
hypothèse. Enfin, il existe un groupe d’irréductibles agnostiques, qui compte
tout de même Hintze, Leclant, Hofmann, Bender (dans une seconde étude) et
Priese (récemment). Il vaut mieux préciser tout de suite que cette opinion
nous semble actuellement la plus raisonnable, si bien qu’il n’y a pas à
attendre des pages qui vont suivre une quelconque révélation. Nous verrons
cependant pourquoi, et quelles sont aujourd’hui les limites de la comparaison

1
Voir Tableau 21, p. 423.
2
Nous ne tenons pas compte des rattachements fantaisistes (tokharien, sumérien, hongrois,
dravidien, etc.) : voir p. 56.
3
Habituellement cité comme Greenberg, 1963. Nous avons cependant utilisé la seconde
édition revue et corrigée, parue en 1966.
454 LA LANGUE DE MÉROÉ

du méroïtique avec les langues connues, anciennes ou modernes, de la


région.

L’hypothèse nubienne

Le nubien : un aperçu dialectologique et historique


Le nubien est actuellement parlé pour l’essentiel dans la vallée du Nil,
depuis Assouan en Égypte jusqu’à Dongola au Soudan, aux abords du 18e
parallèle. Il se divise en deux dialectes : kenuzi-dongolawi et nobiin (ou
mahas-fadidja), regroupant quelques centaines de milliers de locuteurs 1. La
submersion de la Basse-Nubie par le barrage d’Assouan a changé cette
répartition géographique, puisque les Nubiens d’Égypte, parlant le kenuzi,
ont été regroupés dans la région de Kom Ombo, quand ils ne sont pas partis
pour Le Caire, tandis qu'une partie des Nubiens du Soudan septentrional,
parlant le nobiin, ont trouvé refuge soit à Khartoum, soit à New Halfa près de
la frontière érythréenne. D’autres dialectes nubiens sont depuis longtemps
dispersés sur les hauteurs du Kordofan, à l’ouest du Soudan. Ils forment,
après le nubien du Nil, un deuxième ensemble que l’on désigne sous le nom
de « Hill Nubian » : on peut citer parmi eux le debri, le deir, le dilling, le
gulfan, le karko, le wali. Un troisième groupe, comprenant un dialecte
unique, le meidob (ou midob), est parlé par 20 000 à 30 000 personnes au
nord d’El-Fasher dans le Darfour. Enfin, le birged, parlé autrefois au sud
d’El-Fasher, et aujourd’hui éteint, formait à lui seul un quatrième groupe
différent des autres 2. Malgré la pression de l’arabe, les déplacements de
populations, la guerre civile au Soudan et l’émigration traditionnelle des
hommes, les Nubiens conservent un fort sentiment d’appartenance ethnique,
une grande fierté de leur passé et un intérêt grandissant pour leur propre
langue qu’ils aimeraient voir à nouveau écrite et enseignée.
L’ancienneté des Nubiens dans la vallée du Nil est un problème très
controversé. Pour Priese et Adams, ils occupaient originellement la région au
nord de la troisième cataracte. Priese a notamment travaillé sur les traces du
nubien dans la toponymie de la Basse-Nubie antique, et pense pouvoir faire

1
Les appellations des dialectes nubiens peuvent fortement varier selon les auteurs. Le
chiffre des locuteurs est malaisé à établir en raison encore de la grande discordance entre
les sources. Bender, 2000 (p. 51) estime la population parlant toutes les formes de nubien
à 891 000 locuteurs, ce qui paraît très optimiste. Thelwall n’indique en effet pour tout le
Soudan que 167 831 locuteurs du nobiin (mahas-fadidja), qui concerne pourtant la
majorité des nubiophones (Robin Thelwall, « Introductory Profile », dans Aspects of
Language of the Sudan, Londonderry, 1978, p. 12).
2
Voir Jungraithmayr, 1981, p. 273.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 455

remonter à l’Ancien Empire la présence de cette population sur les bords du


Nil. Zyhlarz supposait plutôt qu’ils étaient originaires du Kordofan et avaient
envahi le royaume méroïtique au IVe siècle. Cette thèse a été admise par de
nombreux spécialistes, et particulièrement bien défendue par Trigger 1. Les
dialectes modernes du Nil sont en effet relativement homogènes, alors que
ceux du Kordofan et surtout du Darfour présentent de grandes différences
entre eux, peu compatibles avec un établissement récent dans la région. Nous
ferons observer d’autre part que les textes méroïtiques utilisent sans doute le
mot nob /nuba/ pour les désigner dans des textes d’exécrations ou des
passages supposés relater des campagnes militaires 2, qui s’étagent
paléographiquement entre la fin du Ier et le IVe siècle de notre ère. La seule
attestation ancienne du mot, sur le dos de la statue d’Isis de Berlin (REM
0075/5-6, vers 100 av. J.-C. 3) est aussi la seule pour laquelle un contexte
guerrier ne soit pas évident. Or le mot teneke « ouest » y est associé au terme
nob. Ce détail pourrait confirmer la présence à cette époque des Nubiens à
l’ouest du royaume, et indiquer que leur migration avait commencé, mais
qu’ils n’étaient pas établis en Basse-Nubie. Ce n’est que plus tard que des
conflits fréquents les auraient opposés aux Méroïtes, laissant les traces que
l’on sait dans les textes. La question est évidemment d’importance pour
l’étude des possibles rapports entre les deux langues.
Au VIIIe siècle de notre ère, l’ancêtre probable du dialecte mahas, le
vieux-nubien, devint aux côtés du grec la langue écrite du royaume chrétien
de Makouria, désormais établis sur les ruines de l’ancien royaume
méroïtique. Les Nubiens adoptèrent l’alphabet grec, y adjoignant quelques
lettres coptes et, pour les phonèmes qui n’existaient ni en grec, ni en copte,
quatre signes supplémentaires, créés à partir de modifications de lettres
existantes, ou empruntés au méroïtique défunt (cf. p. 34). La langue fut écrite
jusqu’aux environs du XIVe siècle, quand la pression musulmane finit par
l’emporter dans le royaume de Makouria. Avec la conversion progressive de
ses habitants à l’islam, l’écriture fut abandonnée, puis oubliée.
C’est de 1906 que date la redécouverte du vieux-nubien, lorsque Schäfer
et Schmidt firent paraître à Berlin un premier ouvrage où deux premiers
manuscrits étaient lus et la langue identifiée comme l’ancêtre du nubien
moderne. Mais c’est Griffith qui fonda véritablement les études nubiennes en
publiant The Nubian Texts of the Christian Period (Griffith, 1913). Il y
reproduisait, traduisait, commentait et indexait tout le matériel alors
disponible, peu étendu il est vrai : le Miracle de Saint Ménas, les Canons de
Nicée, le Lectionnaire, le Stauros, ainsi qu’un ensemble de très courts textes

1
Cf. Adams, 1977 ; Priese, 1973c ; Priese, 1974 ; Zyhlarz, 1928 ; Trigger, 1977, p. 427-
429 et surtout Trigger, 1978, p. 318-322.
2
Voir ci-dessus, p. 189-190.
3
Voir p. 343 la datation paléographique de l’inscription (règne de Taneyidamani).
456 LA LANGUE DE MÉROÉ

retrouvés à travers la Nubie : en tout et pour tout, pas plus de vingt pages
imprimées de texte original. L’histoire des études nubiennes est ici
étonnamment parallèle à celle des études méroïtiques, puisque les deux
successeurs de Griffith en ce domaine furent Zyhlarz et Hintze. Le premier
est l’auteur d’une grammaire du vieux-nubien (Zyhlarz, 1928) qui fit
longtemps autorité, ce en quoi il fut plus heureux qu’avec le méroïtique.
Hintze, quant à lui, publia une série d’articles sur la syntaxe de cette langue
(Hintze, 1971a ; Hintze, 1975a et b ; Hintze, 1977b ; Hintze, 1986). Depuis
1981, la philologie du vieux-nubien est presque entièrement l’ìuvre d’un
seul homme, Gerald M. Browne, auteur d’une quarantaine d’études et de
monographies sur la question. Ses publications, notamment celle, en trois
volumes, de soixante-deux documents retrouvés dans les fouilles de Qasr
Ibrim (Plumley-Browne, 1988 ; Browne, 1989b ; Browne, 1991), mais aussi
de deux textes du Pseudo-Chrysostome et de plusieurs autres, ont quadruplé
en deux décennies le matériel disponible en vieux-nubien et permis
l’élaboration d’une grammaire (Browne, 1989a) et d’un dictionnaire
(Browne, 1996). S’il reste encore quelques points obscurs, on peut désormais
dire que le vieux-nubien est une langue assez bien connue.

Nubien et méroïtique : revue des théories

Lepsius pensait que le méroïtique devait être l’ancêtre du nubien


moderne, et c’est essentiellement dans cet espoir qu’il avait étudié cette
langue et publié une Nubische Grammatik 1. Schäfer en était également
persuadé, et il avait interprété en ce sens quelques éléments d’onomastique
napatéenne ainsi que les particularités qui apparaissaient dans l’égyptien de
la stèle du roi Nastasen 2. Griffith, alors que son déchiffrement du méroïtique
était en cours, commença à étudier le vieux-nubien à partir du Miracle de
Saint Menas, acquis par le British Museum, et des copies du matériel
conservé à Berlin, notamment le Lectionnaire et le Stauros. Dans Areika, il
put annoncer que le méroïtique, selon toute vraisemblance, n’était pas
l’ancêtre du nubien (Griffith, 1909, p. 53-54). Mais les arguments étaient
encore maigres : Griffith subodorait l’existence de préfixes en méroïtique, là
où le nubien utilise exclusivement des suffixes. Il invoquait aussi la présence
des fricatives vélaires ‚ et ƒ en méroïtique, absentes en nubien, sinon dans
les emprunts. Enfin, il rappelait que selon Érathosthène 3, les Nubiens
(Νοβαι) étaient sujets des Méroïtes. En conclusion, il proposait de rattacher

1
Lepsius, 1880, cf. p. 48.
2
Schäfer, 1895a et b, Schäfer, 1901. Voir aussi Introduction p. 26-27.
3
Cité par Strabon, 17.1.2, cf. Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 559 sq.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 457

plutôt le méroïtique aux langues « hamitiques » (couchitiques) ou négro-


africaines.
Ce premier espoir déçu, il restait une autre solution : que le nubien, s’il
n’était pas le descendant du méroïtique, lui fût au moins apparenté. Les
progrès accomplis par Griffith en quelques années dans la compréhension du
méroïtique et l’étude du vieux-nubien apportèrent certains éléments en ce
sens, mais surtout dans le domaine grammatical, alors que la comparaison du
vocabulaire s’avérait décevante :
« Without being at all decisive, the analogies to Nubian both in structure and
vocabulary are sufficiently striking to be worth mention. The language appears to
be agglutinative, without gender, the place of inflexions taken by post-positions
and suffixes. But it is disconcerting to observe that of the few native words which
are known, two mean respectively “bear” and “beget”, while it seems that neither the
modern Nubian dialects nor Christian Nubian possess distinct words for the two
functions : in them the word ounnou, unne, serves for both “bear” and “beget” and
has no resemblance to either of the Meroitic words. » (Griffith, 1911a, p. 22)

Dans la partie de l’ouvrage intitulée « General Results », un chapitre


peut-être rédigé un peu plus tard, Griffith se montrait moins optimiste :
« It must be confessed that the connexion of the Meroitic language with Nubian,
which seemed so promising from the few Ethiopian names preserved by classical
writers, seems to be slight so far as the evidence of the inscriptions goes at
present. Even if Mash be really the same as the Nubian mašal it helps little to
prove that Meroitic is a form of Nubian ; for either mašal may have been
borrowed by the true Nubians from Meroitic, or it may be that, while Meroitic
was the official language for writing, Nubian was the mother-tongue of Lower
Nubia, so that Mash would not be truly Meroitic, but the local Nubian name of
the Sun-god retained in official documents. » (Griffith, 1911a, p. 83)

La même conclusion pessimiste se retrouve cinq ans plus tard dans ses
« Meroitic Studies II », nourrie par la publication des Meroitic Inscriptions
(Griffith, 1911c et 1912) ainsi que des Nubian Texts of the Christian Period
(Griffith, 1913). Les similitudes entre les deux langues s’expliquaient selon
lui par des emprunts dus à une longue cohabitation :
« From Schäfer’s analyses of Ethiopian names preserved by classical writers there
can be no doubt that Nubian was spoken in some part of the Nile valley ;
borrowing of individual words may therefore have gone on freely between
Nubians (Nobatae ?) and Meroites, but so far the language of the Meroitic
inscriptions does not appear to have been the ancestor of the Nubian dialect. »
(Griffith, 1916b, p. 123)

Cette théorie fut admise à contrecìur, puisqu’elle éloignait la possibilité


d’une rapide compréhension de la langue. Ainsi Schuchardt reconnaît que si
458 LA LANGUE DE MÉROÉ

le méroïtique est relié au nubien, la parenté est devenue méconnaissable


(Schuchardt, 1913, p. 164-165). Mais cette opinion ne l’empêche pas de faire
constamment référence au nubien, ancien et moderne, dans le reste de son
article. La recherche d’une langue apparentée se déplaça vers le couchitique,
(voir p. 460), notamment sur l’initiative de Meinhof, qui abonda dans le sens
de Griffith :
« Das Nubische, auch das Altnubische, ist uns heute, dank den Arbeiten von
Schäfer, Junker, Griffith so wohl bekannt, daß wir darüber nicht zweifelhaft sein
können, daß wir hier ein ganz andere Sprache vor uns haben. Die spätesten
meroitischen Inschriften werden von G[riffith] bis ins 4. nachchristliche Jahr-
hundert verlegt, die ältesten nubischen Handschriften gehen etwa bis 900 n. Chr.
zurück. Zwischen beiden liegt also keine gar zu lange Zeit, und es ist
ausgeschlossen, daß eine Sprache sich in so kurzer Zeit so völlig geändert haben
könnte ». (Meinhof, 1921-1922, p. 15)

L’idée d’un rapport direct avec le nubien ne fut pas totalement


abandonnée, puisque l’on voit par la suite Cottevieille-Giraudet proposer de
voir dans le méroïtique le prédécesseur du vieux-nubien, qu’il rebaptise en
conséquence « moyen-nubien » (Cottevieille-Giraudet, 1935, p. 744-745).
Mais il s’agit clairement d’un combat d’arrière-garde, appuyé sur des
hypothèses fantaisistes.
En revanche, on peut observer, non sans surprise, que tout au long des
décennies qui suivirent, les méroïtisants ne cessèrent d’augmenter le nombre
des correspondances lexicales et grammaticales avec le nubien, quand bien
même ils professaient, comme Zyhlarz, un rattachement du méroïtique au
chamito-sémitique. En 1964, lorsque Trigger proposa d’inclure le méroïtique
aux côtés du nubien dans le phylum « nilo-saharien » (famille « soudanique
orientale ») postulé peu auparavant par Greenberg dans Languages of Africa,
la voie était déjà prête. Dès lors, une bonne partie des théories rattachant le
méroïtique au nubien se firent par l’intermédiaire de leur classement commun
dans la famille « nilo-saharienne » (voir p. 480-487). Quelques voix discor-
dantes, refusant les théories de Greenberg, continuèrent cependant de
privilégier une relation exclusive entre les deux langues. Ainsi Haycock,
dans sa critique de Priese, 1971, admet la parenté avec le nubien, mais récuse
toute correspondance avec le baréa (nara) :
« Meroitic and Nubian have definite affinities, but if there were links with Barea
or the other alleged Eastern Sudanic languages of Greenberg (...), they have not
been demonstrated by Dr. Priese. An examination with Leo Reinisch, Die Barea-
Sprache (Vienna, 1874) suggests that any Barea links of vocabulary with Nubian
are very distant and tenuous » (Haycock, 1978, p. 81)

Plus surprenante est la théorie développée par Militarev, un spécialiste


russe des langues chamito-sémitiques (Militarev, 1984), puisqu’il compare
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 459

40 mots méroïtiques avec les dialectes nubiens, les langues couchitiques et


sémitiques, ainsi que le berbère. Il en conclut curieusement l’existence d’une
nouvelle branche, le « méroïtico-nubien », au sein du phylum chamito-
sémitique. On reste néanmoins sceptique sur la valeur de la démonstration,
car Militarev n’offre que très peu de comparaisons avec les langues « nilo-
sahariennes », et surtout que seuls 13 des 40 mots méroïtiques qu’il examine
sont de signification assurée ou vraisemblable. Ce dernier défaut, consécutif
à l’absence de synthèse lexicographique dans les études méroïtiques, est un
écueil que nous rencontrerons ultérieurement dans d’autres tentatives de
comparaison à grande échelle.
Enfin, il faut signaler la récente tentative de Peust pour faire à nouveau du
méroïtique l’ancêtre du vieux-nubien (Peust, 1999, p. 75-81), ce qui n’est pas
sans rappeler la théorie fantasque de Cottevieille-Giraudet. Cependant, la
réflexion est ici plus subtile et plus argumentée, du moins quand il s’agit des
correspondances lexicales et phonétiques. Nous ne suivrons pas Peust quand
il suppose que le méroïtique comprenait deux dialectes, dont on trouveraient
des traces pour le premier sur les stèles de Taneyidamani (REM 1044) et
d’Akinidad (REM 1003), et pour l’autre, dans l’inscription de Kharamadoye
à Kalabsha (REM 0094) : nous avons déjà évoqué la question dans notre
Introduction (voir note 3, p. 44). L’un des deux aurait évolué selon Peust
pour donner le vieux-nubien, qu’il propose évidemment, comme Cottevieille-
Giraudet en son temps, de rebaptiser « moyen-nubien ». C’est pour lui
l’occasion d’examiner les similitudes entre nubien et méroïtique et de repérer
quelques correspondances phonétiques régulières, si du moins l’on peut
parler de régularité pour un corpus de quelques mots. Cette partie est la plus
productive de sa démonstration, et elle peut être probablement exploitée par
les tenants de l’hypothèse « nilo-saharienne ». Si nous ne n’acceptons pas des
rapprochements comme mér. ktke « Candace » / vieux-nub. Ñonnen, nobiin
noono « reine-mère » ou mér. *mƒ « petit » / vieux-nub. mekk- « petit » et
quelques autres, les comparaisons suivantes, qui utilisent particulièrement les
dictionnaires récemment parus du vieux-nubien (Browne, 1996) et du nobiin
(Khalil, 1996), sont intéressantes :
mér. erike « engendré » / vieux-nub. arak « enfanter » / nubien ar(i)k « pondre »
mér. kdi « femme » / nobiin karree « féminin » / meidob iddi « femme »
mér. ƒr « nord » / vieux-nub. kalo ~ kalle / nobiin kalo ~ kale / meidob Œ ri(i)
mér. teneke « ouest » / vieux-nub. tino / nobiin tino
mér. yireqe « sud » / vieux-nub. oro / nobiin oro
Elles permettent à Peust d’avancer un hypothétique système de
correspondances phonétiques pour les consonnes initiales.
« reine-mère » « femme » « nord »
méroïtique (k) k ƒ
vieux-nubien (Ñ) k k
460 LA LANGUE DE MÉROÉ

nobiin (n) k k
meidob – r r

Nous avons indiqué la première colonne entre parenthèses car elle est
fondée sur un rapprochement hasardeux (voir supra). Les deux autres, qui
correspondent aux parallèles relevés ci-dessus, présentent un intérêt certain, à
condition de les illustrer à l’avenir sur un plus ample matériel. Nous ne
sommes pas sûr que ces correspondances aillent dans le sens des théories de
Peust. Si l’on suppose que le méroïtique est apparenté au nubien, on
remarquera que la parenté du meidob et du nobiin est plus étroite que celle
qu’ils entretiennent avec le méroïtique, puisque tous deux confondent les
deux phonèmes k et ƒ originellement distingués en méroïtique, le nobiin sous
la forme k, le meidob sous la forme d’une consonne amuïe (notée r). Or l’on
sait que la séparation du meidob et du nobiin est ancienne, puisqu’ils sont les
plus éloignés des dialectes nubiens. La parenté du méroïtique serait donc
encore antérieure, et les chances pour que le méroïtique soit du nubien sont à
peu près équivalentes à celles qu’a le gotique d’être un dialecte anglais.

Méroïtique et nubien : similitudes avérées et supposées

Comme nous l’avons constaté dans les lignes précédentes, il n’est pas un
méroïtisant, fût-il partisan d’un rattachement au couchitique, qui n’ait
recouru à un moment ou un autre à une comparaison avec le nubien. Le fait
s’explique aisément : les ressemblances entre le vieux-nubien et le
méroïtique existent ; elles sont même assez nombreuses, mais extrêmement
irrégulières, et très différentes de l’idée que l’on peut se faire d’une parenté
linguistique classique. Ainsi, la syntaxe présente quelques similitudes
stupéfiantes, avec l’utilisation de morphèmes (déterminant, prédicatif,
postpositions) parfois presque identiques. Mais à l’opposé, le lexique semble
singulièrement éloigné, et les quelques mots courants que l’on connaît en
méroïtique ont peu de cognats évidents parmi le vocabulaire courant du
vieux-nubien. Les rares similitudes que l’on trouve çà et là peuvent
éventuellement s’expliquer par l’emprunt, comme le nom de trois points
cardinaux (voir page précédente) : leurs équivalents français ne proviennent-
ils pas d’ailleurs du vieil anglais ? On comprend donc la grande méfiance des
comparatistes exigents, comme Greenberg, Vycichl, ou Hintze, à se
prononcer sur l’apparentement des deux langues 1.

1
Voir infra, p. 480-487, notamment pour Hintze, 1989 : Meroitisch und Nubisch, eine ver-
gleichende Studie, qui nous a servi de base de départ pour le relevé des similitudes
syntaxiques et morphologiques qui suit.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 461

Sur le plan syntaxique et morphologique, on peut relever les ressemblances


suivantes entre les deux langues :

(1) L’ordre fondamental des mots est SOV en vieux-nubien, et


probablement aussi en méroïtique 1.
(2) L’adjectif suit le nom qu’il détermine.
(3) Il n’y pas de genre grammatical.
(4) Le pluriel des noms est indiqué par un marqueur postposé, -gou en
vieux-nubien, -leb en méroïtique.
(5) La pluralité de l’objet est marquée par un morphème suffixé
directement au radical du verbe (« infixe »), -j- en vieux-nubien
(objet direct ou indirect), -b‚e- en méroïtique (objet indirect).
(6) Les deux langues font usage de postpositions, par ex. vieux-nubien
-do « sur », mér. -te « dans ».
(7) Le méroïtique utilise un déterminant -l(i), obligatoire après un
substantif devant postposition. Le vieux-nubien connaît une marque
de sujet -l, utilisée également comme « connectif » devant la plupart
des postpositions.
(8) La proposition non verbale comprend le sujet, suivi du prédicat, puis
d’un prédicatif. Le morphème -lo ou -lowi est le prédicatif habituel
en méroïtique, alors qu’on a en vieux-nubien -a, souvent renforcé
par un focalisateur -lo :
méroïtique : qore nob-o-lo « C’est le roi des Nubiens » (REM 1180)
vieux-nubien : istauros-il xristiano[s]ri-gou-na tee[it]-a-lo
« c’est la croix qui est l’espoir des Chrétiens » (Stauros, 18.12/19.3)
(9) La coordination de plusieurs termes est marquée par une
conjonction placée après le dernier membre : kel, kello en vieux-
nubien 2, kelw en méroïtique
(10) L’impératif peut être renforcé par une particule finale, -so en vieux-
nubien, -se en méroïtique (verbes de bénédiction)

Bien que la liste soit assez impressionnante, il faut savoir que certaines
caractéristiques sont typologiquement liées et se rencontrent simultanément
dans d’autres langues sans aucun lien de parenté ni avec le méroïtique, ni
avec le nubien. Ainsi les points (1), (2), (3), (4), (6) se retrouvent sembla-
blement en sumérien 3, avec des morphèmes différents en (4) et (6). Mais il
reste quelques éléments troublants, comme la prédication non verbale, la

1
Voir infra, p. 500-502.
2
Par influence probable du grec δé « et aussi », un morphème -de suit de plus chaque
membre. (Browne, 1996, p. 38 sq.)
3
Cf. Hintze, 1989, p. 97-98 ; Thomsen, 1984, p. 49, 51-52 ; Hawkins, 1983, p. 285.
462 LA LANGUE DE MÉROÉ

coordination et le renforcement de l’impératif, pour lesquels les structures et


les morphèmes coïncident dans les deux langues.

Les systèmes phonologiques et le phonétisme des deux langues, tels


qu’on les reconstitue, présentent également quelques ressemblances :

(1) Nombre réduit des phonèmes.


(2) Absence de fricatives labiales /f/ et /v/ (/f/ en vieux-nubien dans les
emprunts).
(3) Absences de consonnes laryngales, pharyngales, emphatiques.
(4) Confusions fréquentes en vieux-nubien de r et d 1, qui peut remonter
à un [Ç] rétroflexe, connu en méroïtique.
(5) Tendance fréquente à l’assimilation.

Bien entendu, comme nous l’avons signalé dans le chapitre précédent, il


faut tenir compte de la diffusion aréale qui joue dans le phonétisme des langues
un rôle prépondérant, et brouille parfois le système génétiquement hérité.

Enfin, il reste le problème lexical. Nous avons dans la liste suivante


compilé tous les cognats avancés par les méroïtisants, en éliminant les plus
fantaisistes. Ce relevé doit être cependant utilisé avec précaution. En effet,
pour beaucoup de mots méroïtiques, le sens reste obscur ou induit par la
comparaison avec le nubien (nous l’avons alors indiqué). Le caractère
disparate et spéculatif d’une bonne partie de ces rapprochements n’échappera
à personne.

Liste des correspondances lexicales supposées du méroïtique


avec le nubien

Abréviations : N : nubien en général (dialecte non précisé), VN : vieux-nubien,


K : dialecte kenuzi, D : dialecte dongolawi, M : dialecte mahas, F : dialecte fadidja,
HN « Hill Nubian » (dialectes du Darfour et du Kordofan), Mb : dialecte meidob. Le
nom de l’auteur ayant avancé la comparaison figure entre parenthèses. On n’a pas fait
figurer les tons en nubien moderne car les auteurs (et les lexicographes) les marquent
trop rarement.

Aborepi « Musawwarat » / N bur- « riche », « puissant » (Priese)


adb « terre (?) », « province (?) » / N da « terre » (Trigger)
/ N dippi « cité » (Millet)
ari- dans Aritene nom divin / VN har-mi « le ciel », HN ar (Zyhlarz, Priese)
/ K aru, D are, Mb aare « pluie » (Bender, Militarev)
Aritene nom divin / N arti « dieu » (Griffith, Priese)

1
Cf. Browne, 1989a, p. 5.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 463

as sens obscur (butin de guerre ?) / N as « fille » (Leclant-Heyler, Militarev, etc.)


/ N ti « vache » (Millet)
at « pain » / VN as-kou « pain » (Griffith)
/ N as, K asi « pain que l’on dépose sur la tombe » (Priese)
ato « eau » / HN otu, utu « eau », VN essi, etto (Griffith, etc.)
-b- morphème du pluriel / N -ab suffixe d’ethnonyme
dime « année (?) » (sens induit) / N jem « année » (Griffith)
direti-l « chef (?) » (sens induit) / N tirti « seigneur » (Millet)
erike « engendré » / HN ir « naître » (Militarev)
/ VN arak- « enfanter » (Peust)
‚- (pour *‚b- ? dans ‚mlol) « repas (?) » / N kab « mets », « repas » (Priese)
ƒr « nord » / VN kalo, kalle « nord », N kalo, kale, Mb. Œ ri(i) (Peust)
-i suffixe de vocatif / N -o (Macadam)
-ide suffixe nominant (?) / N -ide suffixe nominant (Zyhlarz, Priese)
/ N ed « prendre » (Priese, Militarev)
-k- marqueur de pluriel (dans le prédicatif) / VN -gou suffixe pl. (Priese)
kdi « femme » / N karree « féminin » (Haycock, Priese, Bechhaus-Gerst, etc.)
/ Mb iddi « femme » (Peust)
/ N kissi « vulve » (Griffith, Trigger)
ktke « Candace » / VN Ñ onnen « reine-mère » (Bechhaus-Gerst, Peust)
-ke « (en venant) de » / N -ga, -gi, -ka suffixe de datif (Trigger, Priese)
-kelw « et aussi » / VN kel, kello « et aussi » (Priese, Hintze)
kr « fils (?) » / N gar « fils » (Priese)
-l déterminant principal / VN -l postposition à valeur multiple (Trigger, Priese)
mre « village (?) » (sens induit) / MD mar « village » (Priese)
mreke « cheval (?) » (sens induit) / N murti « cheval » (Millet)
mroso « grande quantité (? ?) » (sens induit) / N moros « inondation » (Priese)
sor « livre (??) » / VN. so « livre », MF šol, KD šor (Griffith, etc.)
-te « dans » / VN. do « sur » (Trigger, Priese, etc.)
teneke « ouest » / VN. tino, KD tingar, MF tinne (Trigger, Peust)
tre « donner (?) » (sens induit) / K. tir « donner », Mb tirran (Bender, Militarev)
twd (= t-wd ?) « donner » ou sens similaire / VN oud « mettre », N. ud, wud (Priese)
wi « dire (?) » (sens induit) / K we, D wei (Priese) ;
wyeki « étoile (??) » (sens induit) / VN wiñji « étoile » (Griffith)
yireqe « sud » / VN oro, N oro (Peust)
464 LA LANGUE DE MÉROÉ

L’hypothèse chamito-sémitique

Méroïtique et chamito-sémitique : revue des théories

Avant même le déchiffrement du méroïtique, Lepsius avait avancé une


possible parenté du méroïtique avec le bedja 1, un ensemble de plusieurs
dialectes actuellement parlés par les nomades du désert arabique, au nord-
ouest du Soudan. On suppose que cette langue, la plus septentrionale dans le
groupe couchitique, descend de celle que parlaient dans l’Antiquité les
Blemmyes, un peuple avec lequel les Romains et les Méroïtes eurent de
nombreux conflits 2, et qui joignait déjà à un mode de vie pastoral une
farouche propension au pillage des caravanes et aux razzias. Lorsque, durant
le déchiffrement, Griffith s’aperçut que le méroïtique n’était pas du nubien, il
envisagea à son tour cette hypothèse alternative (Griffith, 1909, p. 54),
malgré le peu de considération qu’il portait apparemment 3 aux « Nomades
hamites du désert oriental ». Cependant, il ne revint pas sur cette thèse par la
suite, pas plus d’ailleurs que sur quelque autre affiliation possible du
méroïtique.
Carl Meinhof, le plus grand africaniste de son temps, reprit l’hypothèse. Il
avait en effet développé une théorie, que nous qualifierions aujourd’hui de
« raciste », mais qu’il faut replacer dans le contexte de l’époque, selon
laquelle les langues d’Afrique Noire pouvaient être divisée en deux caté-
gories : celles des peuples « négroïdes », agriculteurs et sédentaires, peu
enclins à la civilisation, et dont le caractère primitif pouvait se vérifier à
l’absence de genre grammatical, et celles des « Hamites », pastoraux et
nomades, et en route vers la civilisation comme le prouvaient la distinction,
même « naissante », entre masculin et féminin, bref, des « Indogermanen »
africains. Dans le groupe « hamitique », il classait pêle-mêle les Peuls
d’Afrique occidentale, les Bedja, les nomades de la Corne de l’Afrique
(ƒAfars, Somalis, etc.), les Massaï, et même les Hottentots (les actuels
Khoï) 4. Le méroïtique, langue du plus vieil empire connu d’Afrique

1
Voir Introduction p. 48.
2
Voir notamment Eide–Hägg et al., 1998, p. 1055-1059, 1060-1066, 1079-1081, 1083-
1092, 1107-1121, 1153-1165, 1175-1176, 1182-1194, 1196-1202.
3
Voir Griffith, 1929, p. 74 : on se demande quel contentieux personnel a poussé le
paisible Griffith à écrire sur ce peuple une page d’une telle violence.
4
Pour que les théories de Meinhof fussent définitivement réfutées, il fallut attendre la
parution de Languages of Africa (ici Greenberg, 1966b), où Greenberg montre
clairement qu’on ne saurait établir une classification linguistique sur des critères
ethnographiques ou raciaux. Semblablement, les similitudes syntaxiques comme
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 465

subsaharienne, ne pouvait le laisser indifférent. Dans son article « Die


Sprache von Meroe », paru dans le Zeitschrift für Eingeborenen-Sprachen
(Meinhof, 1921-1922), il proposait évidemment de rattacher le méroïtique au
groupe « hamitique ». Il reconnaissait d’abord qu’il ne pouvait y avoir une
filiation directe entre le méroïtique et le bedja :
« Aber auch mit der Sprache der Bischarin, dem Bedauye (Be™a), ist das
Meroitische nicht identisch. [note 1 : Damit soll nicht geleugnet werden, daß
manche Formen verwandt sein können.] In dieser Sprache wird das feminine
Objekt regelmäßig durch -t ausgedrückt, das maskuline häufig durch -b. Ein
präfigierter Artikel wu-, fem. tu- kennzeichnet die Hauptworte. Von all dem
findet man keine Spur im Meroitischen. » (Meinhof, 1921-1922, p. 13)

La comparaison porte donc sur l’ensemble des langues « hamitiques »,


particulièrement celles que l’on classe aujourd’hui dans la famille
couchitique, et qui sont parlées dans la Corne de l’Afrique : bilin, kamir,
quara (couchitique central) 1, saho, afar, somali (couchitique oriental), chara,
kafa (couchitique occidental ou omotique), et tout de même le bedja
(couchitique septentrional), mais aussi, sporadiquement, sur le maasai et le
peul. Les correspondances sont d’ordre phonologique, morphématique et
lexicale. Meinhof illustre principalement sa théorie sur la reconstitution de
morphèmes dans le domaine verbal, appuyée sur des rapprochements. Ainsi
il décompose le complexe verbal p(i)s(i)‚rkete (bénédiction B) comme suit :
p-/pi- : préfixe d’optatif ; cf. saho fa• « souhaiter » ;
-s-/-si- : préfixe passif ; cf. morphème -s- ou -š- à valeur passive dans
toutes les langues couchitiques ;
-‚r- : radical du verbe ;
-ke- : suffixe de duratif ; cf. kamir ku « être » utilisé comme infixe ;
-te : pronom suffixe de la 2ème pers. du sing. dans l’ensemble des
langues.
On remarquera que Meinhof a repéré clairement la place centrale du radi-
cal, contrairement à Griffith qui l’avait cherché au début du complexe
comme c’est le cas en nubien 2. Mais les valeurs optative du préfixe p-/pi- et
durative du suffixe -ke- reposent sur des comparaisons hautement
acrobatiques, manifestement destinées à isoler les supposés morphèmes -s-/-

l’existence d’un genre ne prouvent rien tant que l’on a pas assuré qu’elles s’expriment
par des morphèmes apparentés.
1
Les indications entre parenthèses correspondent à la classification de Greenberg, 1966b,
p. 48-49. L’originalité de la famille « omotique » a été initiée par H. Fleming, The
Classification of West Cushitic within Hamito-Semitic dans Eastern African History, sous
la direction de D. M. Call, New York, 1969, Praeger : p. 3-27.
2
Meinhof avait été précédé en cela par Schuchardt, 1913, comme il le reconnaît d’ailleurs
lui-même.
466 LA LANGUE DE MÉROÉ

si- et -te pour lesquels Meinhof disposait de plus nombreux éléments de


comparaison.
L’absence de genre ne le déconcerte pas. Il estime qu’il était « en
formation », « comme en peul », et que l’on a donc avec le méroïtique « une
très ancienne forme de hamitique » (ibid. p. 14). Enfin, après avoir signalé
l’importance de l’élevage dans la civilisation méroïtique, preuve qu’elle
appartenait bien au monde « hamitique », Meinhof indique en conclusion :
« Wenn wir hier weiter kommen, so würden wir hoffen können auch für die
Geschichte der hamitischen Sprachen etwas zu gewinnen. » (ibid. p. 16)

Aller plus loin, c’est ce que tenta de réaliser Zyhlarz en reprenant l’hypo-
thèse « hamitique », et en cherchant à mieux l’illustrer encore (Zyhlarz,
1930). Ainsi, il pensa avoir découvert plusieurs marques du genre. La
terminaison d’anthroponymes fréquente -ye caractériserait des noms propres
féminins. Le verbe comprendrait à la 3e personne du singulier un préfixe y-
au masculin, t- au féminin (ibid. p. 461). Il existerait également une forme
d’article féminin préfixé t- (ibid. p. 460). Évidemment, tout ceci rapprochait
le méroïtique du chamito-sémitique, où le féminin est indiqué par un
morphème t préfixé ou/et suffixé, et plus encore du bedja où le préfixe verbal
de la 3e personne du singulier est i- / e- au masculin et ti- / te- au féminin 1.
Enfin, pour la 1re personne du singulier, Zyhlarz dégageait d’une inter-
prétation arbitraire de REM 0071 un pronom indépendant ano (ibid. p. 449),
à comparer avec le bedja ane, saho anu¯, galla 2 ani, et de REM 0125 un
préfixe verbal a- (ibid. p. 435) semblable au préfixe verbal bedja a-,
correspondant aussi à la première personne (verbes forts). Il reprenait de plus
certains des préfixes verbaux typiquement couchitiques avancés par Meinhof,
1921-1922 : s- /si- pour le causatif, t- pour le réflexif, ni- pour le passif (ibid.
p. 461). Tous ces parallèles lui permettaient d’asseoir fermement la thèse
d’une appartenance du méroïtique à la famille couchitique :
« Der eben gezeigte lineare Abriß grammatischer Momente innerhalb des
meroïtischen Sprachbildes wird zur Genüge dargetan haben, daß sich der
hamitische Sprachcharakter des Meroïtischen mehr als deutlich präsentiert.
Sämtliche der bisher zur Beobachtung gelangten Züge finden ihre Parallele für
den Kenner der südlichen Hamitensprachen innerhalb des Sprachgebietes :
Be¥auye und die sogenannten Kuschitensprachen, wie bereits MEINHOF heraus-
gefühlt hat. » (ibid. p. 463)

Cette filiation ne souleva plus de doute jusqu’aux travaux de Hintze.


Macadam s’en fait encore l’écho vingt ans après l’essai de Zyhlarz :

1
Cf. Roper, 1930, p. 55 (système morphologique des verbes forts).
2
Principale langue couchitique (groupe oriental) d’Éthiopie, appelée aujourd’hui
« oromo » par les linguistes.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 467

« To study Meroitic is not necessary to stray from the paths of Egyptology, for
Egyptian, largely Semitic as it is, nevertheless contains at least a modicum (some
scholars say much more) of Hamitic, and what is to the profit of one may
ultimately prove to be the profit of the other. » (Dunham-Macadam, 1949, p. 139)

En 1956 parut dans la revue Kush un second article de Zyhlarz sur la


question. Écrit avant la publication de Hintze, 1955, il ne contenait presque
aucune comparaison de détail avec d’autres langues, et c’est donc sans
preuves que Zyhlarz reprenait sa théorie en l’affinant : le méroïtique
(rebaptisé « kaschitisch ») ne lui semblait plus en relation privilégiée avec les
langues « couchitiques », groupe où il classait les parlers couchitiques
orientaux et méridionaux. Il en faisait désormais une langue « proto-
sémitique » venue du sud de la péninsule arabique par l’Érythrée au IIIe
millénaire. Le bedja et le saho, de même origine, mais de formation plus
récente, auraient gardé quelques caractères communs avec le méroïtique :
« Derartige Merkmale verraten, dass das Kaschitische noch aus einer vorsemitischen
Entwicklungsstufe gestammt hat, in welcher der starre Trikonsonantismus noch
nicht fixiert gewesen war. Wir haben es also mit einem ansonst historisch nicht
mehr greifbaren Frühstadium semitischer Sprach-entwicklung zu tun. » (Zyhlarz,
1956, p. 28)

L’année précédente était paru à Berlin le premier essai de Hintze sur la


question méroïtique, Die Sprachliche Stellung des Meroitischen, dont
l’essentiel était une charge en règle contre les théories de Zyhlarz. La
question centrale était celle du genre grammatical. Hintze n’eut aucun mal à
montrer que bien des noms propres masculins se terminaient par -ye (Hintze,
1955, p. 359-360), que le prétendu article t- du féminin était une chimère, et
que l’alternance entre un préfixe verbal t- et y- pouvait s’interpréter
uniquement comme variante graphique, et non comme une marque du genre
(ibid. p. 360-361). L’étude des verbes de bénédiction à laquelle il se livrait
ensuite prouvait semblablement l’inanité d’un préfixe factitif s-/si-, qui
n’apparaissait d’ailleurs jamais de manière isolée (ibid. p. 365). Le suffixe
« réflexif » t-, en raison de sa présence capricieuse dans les complexes de
filiation où Zyhlarz, pourtant, lui conférait un rôle indispensable, ne pouvait
avoir la valeur supposée (ibid. p. 366, 369). Il en allait de même pour le
prétendu préfixe passif n- qui n’était selon Hintze qu’une simple variante
d’un suffixe t- (ibid. p. 369). Aucun de ces trois préfixes n’était de toute
façon suffisamment régulier pour contenir une valeur sémantique
différenciatrice. Le seul point faible de la critique de Hintze porte sur le
terme ano en REM 0071 : bien que l’identification de Zyhlarz (pronom
indépendant de la 1re personne) reposât sur une simple conjecture, la
468 LA LANGUE DE MÉROÉ

segmentation de l’inscription était juste 1, et ne constituait donc pas un motif


valable pour écarter cette hypothèse... Mais au terme de la critique, il ne
restait plus grand-chose des arguments de Zyhlarz en faveur d’une affilation
chamito-sémitique :
« Meines Erachtens ergibt sich aus diesen Darlegungen mit genügender Klarheit,
daß von den bisher behaupteten hamitosemitischen Merkmalen des Meroitischen
manche als offensichtlich nicht vorhanden nachzuweisen sind (vor allem das
grammatische Geschlecht) und andere als sehr fraglich angesehen werden
müssen. » (Hintze, 1955, p. 370)

Un article de Vycichl, intitulé « The Present State of Meroitic Studies »


(Vycichl, 1958), parut peu de temps après dans la revue soudanaise Kush. Il
reprenait les critiques de Hintze et en ajoutaient quelques autres, moins
convaincantes, essentiellement fondées sur le caractère « négroïde » des
dignitaires méroïtiques (ibid. p. 80).
La réponse de Zyhlarz fut assez médiocre (Zyhlarz, 1960). Sans présenter
de preuves supplémentaires, il se contenta de proposer des « traductions »
nouvelles, encore plus arbitraires que celles de 1930, et de réitérer les
affirmations de son article de 1956, insistant sur l’aspect « sémitoïde » du
méroïtique et se retranchant derrière l’autorité de Meinhof, encore entière
pour quelques années :
« Ohne Kontakt mit den inzwischen kumulierten Fortschritten auf dem Gebiete
der kaschitischen [= meroitischen] Sprachforschung erschien 1955 (...) ein
Aufsatz : “Die sprachliche Stellung des Meroitischen” von F. Hintze. Zweck und
Tendenz desselben war sichtlich die Zurückweisung und Diskreditierung der oben
erwähnten Vorarbeiten von MEINHOF-ZYHLARZ, welche teils als “wertlos”, teils
als mehr denn zweifelhaft erklärt wurden. Speziell dem Anthropos-Aufsatz von
1930 galt es, den Boden zu entziehen, um damit den Weg für die billigere und
bequemere Hypothese frei zu machen, daß jene Sprache “agglutinierend” und
keineswegs “hamitisch” gewesen sein müsse. » (Zyhlarz, 1960, p. 740)
« So wird schon aus dem Vorliegenden mehr als deutlich, daß wir in diesem seit
dem 2. Jhd. v. Chr. “meroitisch” geschriebene Idiom eine alte Sprache semitoiden
Charakters vor uns haben. » (ibid. p. 750)
« Die Priorität der ersten Erkenntnis des wahren Sachverhalts gebührt aber, wie
erwähnt, dem Hamitologen C. MEINHOF. » (ibid. p. 752)

Zyhlarz s’éteignit à Hambourg en 1964, l’année même où Trigger fit


paraître dans Kush sa proposition de rattachement du méroïtique au
« soudanique oriental », rameau du phylum « nilo-saharien ». Greenberg venait
de publier sa classification des langues de l’Afrique. Sur le continent noir, les
indépendances étaient en cours ou achevées. Le combat des Afro-Américains

1
L’hypothèse de Zyhlarz a d’ailleurs été reprise par Millet (Millet, 1977, p. 320) ; contra :
Hofmann, 1981a, p. 56.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 469

pour la reconnaissance de leurs droits civils battait son plein. Les barrières
mentales qui empêchaient qu’on envisageât l’origine de la langue méroïtique
quelque part en Afrique Noire tombaient les unes après les autres.
L’hypothèse couchitique, qui avait plus ou moins consciemment servi de
rempart contre une telle idée 1, fut temporairement abandonnée.
Mais au bout d’une vingtaine d’années, les comparaisons avec les langues
« nilo-sahariennes » se révélèrent beaucoup moins fructueuses qu’on l’avait
espéré dans l’enthousiasme des débuts. Entre-temps, les recherches sur les
langues de la Corne de l’Afrique avaient montré que la situation linguistique
au sein de la famille couchitique de Greenberg était beaucoup plus complexe
et diverse qu’on ne l’avait cru. Dès 1977, le même Trigger, refaisant le point
de la situation, opta pour une attitude prudente et, sans lui accorder une
position trop favorable, remit en selle l’hypothèse couchitique, ou plus
exactement chamito-sémitique (« Afroasiatic ») :
« Hintze’s criticisms of Meinhof and Zyhlarz are valid and mark a valuable,
though negative, step forward in the study of Meroitic. I am certain, however, that
Hintze would readily admit that it is more difficult to demonstrate that Meroitic is
not an Afroasiatic language than it is to prove that Zyhlarz’s arguments are
invalid. Moreover, the recent splitting of the Cushitic branch of Afroasiatic into
two co-ordinate branches – Cushitic and Omotic – indicates greater complexity
among these languages than was formerly realized. It is therefore more prudent to
conclude that Hintze proved the inadequacy of any existing arguments
that Meroitic is an Afroasiatic language rather than Meroitic is not Afro-
asiatic. » (Trigger, 1977, p. 422)
Il concluait son article (ibid. p. 433-434) en évoquant un ordre de proba-
bilité, essentiellement fondé sur une approche historique et géographique,
dans lequel la filiation chamito-sémitique arrivait en troisième position derrière
le « soudanique oriental » (« Eastern Sudanic ») et l’ensemble « nilo-saharien ».
L’ensemble très morcelé des langues parlées autour de la vallée de l’Omo,
en Éthiopie, que Greenberg rattachait au couchitique sous le nom de « Western
Cushitic » (Greenberg, 1966b, p. 49) présente en effet quelques caractéristiques
très différentes du reste des langues chamito-sémitiques, au point que l’on a
parfois douté de leur appartenance à cette super-famille 2. La tendance actuelle
est d’en faire un groupe séparé très tôt du reste du phylum 3, ce qui expliquerait
son caractère atypique. Ainsi, un certain nombre de ces langues ne présentent
pas de genre grammatical, et l’on comprend que ce détail ait intéressé quelques
linguistes en quête d’un nouvel apparentement linguistique pour le méroïtique.

1
Cf. Hofmann, 1982c : p. 46 : « Zumindest bei Zyhlarz stand aber hinter seiner Arbeits-
weise der Gedanke, da” ein Kulturvolk wie die Meroiten keine “Negersprache”
gesprochen haben könnte. »
2
Voir par ex. Loprieno, 1995, p. 5.
3
Cf. Fleming, 1983, p. 22 ; Ehret, 1987 ; Blench, 1997, p. 4.
470 LA LANGUE DE MÉROÉ

C’est Böhm qui le premier a tenté d’exploiter cette nouvelle donne, dans
un article intitulé « Beobachtungen zur Frage meroitisch-omotischer Wort-
beziehungen » (Böhm, 1986). Le point de départ semble sain puisqu’il se sert
de la liste des 28 mots méroïtiques dont la traduction est relativement sûre,
publiée dans Hofmann, 1981a 1. Mais il ne peut proposer d’équivalences que
pour onze mots, alors que la comparaison porte sur vingt langues omotiques
et couchitiques, si bien que la part du hasard dans les ressemblances relevées
peut être élevée. D’autre part, les équivalences sémantiques acceptées sont
très larges : ainsi pour « nord », méroïtique ƒr, le seul cognat proposé est le
terme kafa (omotique) har. Or le mot signifie « se lever (en parlant d’un
astre) » (Böhm, 1986, p. 116), et on ne voit pas le lien nécessaire avec le
« nord ». L’est aurait bien mieux fait l’affaire ! Semblablement, on ne voit
guère en quoi on peut rapprocher, tant sur le plan sémantique que
phonétique, le méroïtique mk « dieu » et le janjero (omotique) wona¯ « jour ».
Toutes les comparaisons ne sont pas de cette eau, mais au bout du compte, il
ne reste guère plus de trois cas sur onze où le rapprochement est tentant
(yireqe « sud », sr « animal », ato « eau ») 2. Si l’on ramène ce chiffre aux
28 termes proposés par Hofmann, on obtient à peu près une proportion de 10
%, ce qui correspond à une ressemblance aléatoire 3. Malgré ce premier
résultat peu convaincant, Böhm considéra sans doute l’affiliation chamito-
sémitique du méroïtique comme suffisamment prouvée puisque l’année
suivante, il tenta d’intégrer le méroïtique dans son schéma de développement
historique du système phonologique du chamito-sémitique (Böhm, 1987).
Comme Zyhlarz, auquel ses travaux font de plus en plus penser 4, il relève les
caractères « archaïques » du méroïtique au sein du phylum :
« Das Phonemsystem beruht auf semito-hamitischer Grundlage und bewahrt
einzelne kostbare Archaismen. » (Böhm, 1987, p. 16)

Et de fait, en 1988, Böhm fit paraître Die Sprache der Aithiopen im Lande
Kusch, une tentative de traduction du méroïtique entièrement fondée sur des
rapprochements aléatoires avec les langues couchitiques. Hofmann, auprès
de qui Böhm avait reçu son initiation au méroïtique (cf. Böhm, 1986, p. 115),
constate avec une certaine amertume :
« Ich konnte zwar von der Richtigkeit seiner Zuordnung nicht überzeugt werden –
die willkürliche Zergliederung meroitischer Wörter und die Unterlegung einer
Bedeutung durch solche kuschitischen Sprachen, die in keinem Fall am

1
Voir ci-dessus, p. 437.
2
On remarquera que deux de ces termes ont aussi, ironiquement, des cognats en nubien :
voir ci-dessus, p. 458-459.
3
Le pourcentage aléatoire pour la comparaison lexicale est fixé à 8 % par les glotto-
chronologistes. C’est probablement un des rares points pour lesquels on puisse leur faire
confiance.
4
Cf. note 2, p. 370.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 471

meroitischen Material nachgeprüft werden kann, erscheint mir wenig geeignet,


eine Sprachverwandtschaft aufzuzeigen. » (Hofmann, 1990, p. 57)

Une tentative beaucoup plus sérieuse de rapprochement entre méroïtique


et langues couchitiques et omotiques a été ensuite menée par la nubiologue
allemande Marianne Bechhaus-Gerst dans sa monographie Nubier und
Kuschiten im Niltal (Bechhaus-Gerst, 1989, p. 100-118). Elle dénonce
d’ailleurs d’emblée le caractère spéculatif des travaux de Zyhlarz (p. 101) et
de Böhm (p. 106). Les résultats sont de prime abord assez encourageants,
puisqu’elle retrouve 16 des 28 lexèmes méroïtiques de la liste de Hofmann
dans des langues couchitiques ou omotiques. Bechhaus-Gerst en conclut
prudemment, non pas le caractère uniformément chamito-sémitique du
méroïtique, mais la présence d’« une population de langue couchitique non
négligeable et hiérarchiquement élevée » au sein du royaume.
Cependant, il ne faut pas oublier qu’elle a travaillé à partir de deux
familles qui comptent soixante langues selon le recensement de Greenberg, et
plus encore sur le terrain. Pour 21 mots méroïtiques, elle étend ses recherches
sur 26 langues qui représentent pratiquement tous les rameaux du
couchitique et de l’omotique. Plusieurs mots méroïtiques ne sont rapprochés
avec succès que d’une seule langue, chaque fois différente. Il est inévitable
que sur une base aussi étendue et avec une méthode aussi éclectique, on
puisse trouver toutes les correspondances qu’on cherche. De plus, sur les 16
termes rapprochés selon elle avec succès, seuls 9 peuvent être retenus comme
valables. Beaucoup de titres de second ordre par exemple, trop précisément
liés à la réalité sociale méroïtique (mte, qorene, etc.), n’ont que très peu de
chances d’avoir des correspondants dans des sociétés chronologiquement et
structurellement aussi éloignées que les ethnies modernes de la Corne de
l’Afrique. Enfin, sur la poignée de mots restante, il faut faire la part des
emprunts possibles 1. La question de l’appartenance du méroïtique à la
famille couchitique ou omotique reste donc posée et n’est en aucun cas
résolue par cette étude 2.

1
Pour le titre qore « roi » Bechhaus-Gerst, 1989 propose quelques parallèles omotiques et
couchitiques troublants, maji (omotique) kure : « roi et expert rituel », sidamo
(couchitique) k’oro : « chef ». La présence de ce mot dans des langues chamito-
sémitiques pourrait s’expliquer par un emprunt : le prestige de la royauté méroïtique
devait dépasser largement les frontières de l’empire. De la même façon, le nom de César
est à l’origine du titre de « tsar », malgré la distance géographique et chronologique.
2
On ne citera que pour mémoire les théories invraisemblables du R.P. Antonio Orlando,
qui rattache le méroïtique aux langues sémitiques modernes, entre autres l’arabe et
l’amharique (Orlando, 1999 et Orlando, 2000).
472 LA LANGUE DE MÉROÉ

Méroïtique et langues chamito-sémitiques : correspondances supposées

La plupart des traits syntaxiques ou morphologiques réputés pertinents


pour le classement d’une langue dans le phylum chamito-sémitique sont en
méroïtique, ou absents, ou indétectables en raison de notre mauvaise
connaissance de la langue. Si l’on s’en tient à la liste minimale proposée par
Pascal Vernus (Vernus, 2000, p. 172-173), on obtient les résultats suivants :

— Système des pronoms personnels : presque inconnu en méroïtique, à


l’exception possible d’une troisième personne qo ou qe, pluriel (a)qobe-
ou (a)qebe- 1, pour laquelle il n’y a pas de différence entre le masculin et
le féminin.
— Dérivation nominale par des alternances de schèmes vocaliques à
l’intérieur d’une même racine consonantique : difficilement repérable en
méroïtique, mais assez douteuse ; les exemples connus de dérivation
gardent généralement la même structure vocalique.
— Préfixe m- pour les noms de lieux, d’objets, d’instruments, d’agents : non
repéré en méroïtique. Il y a peut-être un préfixe m- pour les adjectifs mlo
« bon » et mƒe « abondant ».
— Formation factitive en s : supposée par Meinhof puis Zyhlarz, elle s’est
révélée parfaitement illusoire (cf. Hintze, 1955, p. 365).
— Suffixe déverbatif en -w : aucun déverbatif n’a été repéré de façon sûre en
méroïtique 2.
— Marque t- du féminin : inexistante en méroïtique, où le genre grammatical
n’existe pas, et où aucune trace n’en semble attestée (voir infra, p. 499).
— Formation génitivale en n : n’existe pas en méroïtique où deux systèmes
semblent utilisés, le génitif postposé avec ajout de la postposition -se et le
génitif antéposé sans morphème spécifique (voir p. 518-527). Pourtant
même le vieux-nubien utilise une marque d’annexion n(a).
— Pronom interrogatif de forme *m : aucun pronom interrogatif n’a encore
été repéré en méroïtique.

Le tableau est donc plutôt pessimiste : ou bien les structures méroïtiques


sont connues et ne correspondent pas au chamito-sémitique, ou bien elles
sont encore inconnues.

1
Cf. aqebese, qebese « leur » ; voir p. 549-551.
2
Millet propose ainsi pour diverses occurrences de la séquence kid « donner (?) » et
« cadeau (?) » (Millet, 1982, p. 71-73 et 76-77). Si l’hypothèse de Millet est avérée, le
déverbatif serait le radical nu.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 473

Dans le domaine phonétique, traditionnellement pris en compte dans le


comparatisme chamito-sémitique 1, on ne retrouve ni les triades conso-
nantiques (sourdes / sonores / emphatiques) assez habituelles en sémitique, et
attestées sous forme de traces ailleurs (notamment en égyptien ancien), ni les
pharyngales et laryngales communes dans ce phylum. On remarquera
cependant que les rétroflexes et les vélaires labialisées que nous avons
constatées en méroïtique existent aussi dans plusieurs langues couchitiques
(cf. p. 368), et notamment en bedja, qui présente également des analogies
avec le méroïtique dans le jeu des voyelles. Quoi qu’il en soit, nous avons
déjà souligné le caractère principalement aréal des systèmes phonologiques,
et on ne peut donc tirer aucune indication phylogénétique assurée ni de
l’absence, ni de la présence de tel ou tel type articulatoire en méroïtique.

Dans la liste suivante, qui ne constitue qu’une compilation, nous avons


reporté les principales correspondances lexicales relevées par les spécialistes
qui se sont penchés sur l’affiliation chamito-sémitique, et particulièrement
couchitique ou omotique, du méroïtique. Nous avons exclu les hypothèses les
plus fantaisistes, notamment celles qui recréaient des mots jamais attestés en
méroïtique (dans Zyhlarz, 1956 par ex.). Cela ne signifie malheureusement
pas que celles que nous avons reprises sont assurées.

Liste des correspondances lexicales supposées du méroïtique


avec les langues chamito-sémitiques

Abréviations : (C) couchitique ; (O) omotique ; B. bedja (langue couchitique


septentrionale). Le nom entre parenthèses est celui de l’auteur du rapprochement. La
mention “sens induit” indique que la traduction hypothétique du mot méroïtique
repose sur la comparaison donnée.

alese indication géographique obscure / saho (C) al‘ « peuple » (Meinhof) ;


ano « moi (??) » (sens induit) / B. ane¯ « moi », saho (C) anu¯, oromo (C) ani
(Zyhlarz) ;
ari- « ciel (?) » (sens induit) / bilin (C) g‚ar « ciel », « dieu » (Meinhof) ;
(a)sr « animal », « viande » / janjero (O), ometo (O), gimira (O) aša¯ mêmes
sens, B. šaƒ « boeuf » (Böhm), bilin (C) zega « vache », kamir (C) ziya
(Bechhaus-G.) ;
ato « eau » / kafa (O) ac‚o¯ « eau », ometo (O) watse¯, hatta¯ (Böhm, Bechhaus-
G.) ;
erike « enfant engendré » / bilin (C) eγ ér pl. ekil « père » (Meinhof) ;

1
Voir par ex. Salem Chaker. Comparatisme et reconstruction dans le domaine chamito-
sémitique, Coll. Travaux du Cercle linguistique d’Aix-en-Provence, t. 8, 1990, p. 161-186.
474 LA LANGUE DE MÉROÉ

‚lbi « mois (?) » / bilin (C) arba¯ « mois » (Zyhlarz) ;


ƒe offrande funéraire non identifiée / B. ha¯ « boisson fermentée » (Macadam) ;
ƒr « nord » / kafa (O) « se lever » (en parlant d’un astre) (Peust, Bechhaus-G.) ;
kdi /kandi/ « femme » / kemant (C), bilin (C) gana¯ « mère », sidamo (C) gina
« co-épouse », kafa (O) genne « reine », mocha (O) gänne « dame »,
shinasha (O) genna (Bechhaus-G.) ;
-mde- relation de parenté imprécise / bilin (C) ma¯ da « ami »(Meinhof) ;
pqr « prince », « vizir (?) » / somali (C) boqor « chef suprême » , konso (C)
boql-a « roi », dullay (C) poqol-ho « chef-prêtre » (Bechhaus-G.) ;
qelile « collier (?) », « bracelet (?) » / B. kule¯ l « bracelet » (Millet) ;
qore « roi » / burji (C) k’oro¯ « chef désigné », sidamo (C) k’oro « chef »,
maji (O) kure « roi et ritualiste » (Bechhaus-G.) ;
s « personne (?) » / kafa (O) ašo¯ « homme », janjero (O) asu, ometo (O) asa¯
(Böhm, Bechhaus-G.) ;
sem « épouse » / saho (C), bilin (C) he¯ ma¯ « première épouse » (Bechhaus-G.) ;
st (?) « pied » / hadiya (C) hanc‚ ’e « empreinte », « pas » (Bechhaus-G.) ;
teke « compter (?) » / saho (C) ¥ag « connaître » (Meinhof) ;
teneke « ouest » / kafa (O) ¤um « sombre », ¤umo¯ « nuit », « obscurité »
(Böhm, Bechhaus-G. ) ;
-wi élément de prédication / kamir (C) win « être » (Meinhof) ;
yire- dans yirewke « orient », yireqe « sud » / ƒafar, saho (C) ayro¯ « soleil »
(Meinhof), kafa (O) yaro¯, yero¯ « Soleil » (mythologie), gimira (O) yeri,
bilin (C) g‚ar (Böhm, Bechhaus-G.).
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 475

L’hypothèse « nilo-saharienne » (« soudanique oriental »)

L’appartenance du méroïtique aux langues d’Afrique subsaharienne avait


déjà un moment été envisagée par Griffith 1, qui avait noté les ressemblances
structurales avec les langues du Soudan méridional (« agglutinantes » et
dépourvues de genre grammatical). Mais des préjugés tenaces, nous l’avons
vu, avaient orienté les hypothèses vers le phylum chamito-sémitique. Le
premier à redonner vie à la filiation négro-africaine fut Vycichl, essentiel-
lement d’ailleurs par élimination des autres familles linguistiques. Mais il
déniait un rapport possible avec les langues nilotiques à cause de
l’importance des voyelles dans les mots, souvent monosyllabiques, de ces
langues, alors que le méroïtique les écrit selon lui avec peu de consistance 2.
De même, il écartait les langues bantoues en raison de l’absence apparente de
classes nominales en méroïtique (Vycichl, 1958, p. 80). Or les autres langues
négro-africaines de l’est du continent n’étaient alors pour les linguistes
qu’une nébuleuse inextricable, et le flou des nomenclatures en ce domaine
était révélateur. Westermann, qui avait succédé à Meinhof au sommet de
l’« Afrikanistik » allemande, avait éclaté ces langues en deux familles :
« nilotique » et « Soudan intérieur », dans sa classification de 1940.
Pareillement, dans sa série de Studies in African Linguistic Classification,
réunies en un volume en 1955, Greenberg proposait pour les langues
africaines 16 familles :
1. Niger-Congo 5. Eastern Sudanic 9. Mimi 13. Koman
2. Songhai 6. Afroasiatic 10. Fur 14. Berta
3. Central Sudanic 7. Click 11. Temeinian 15. Kunama
4. Central Saharan 8. Maban 12. Kordofanian 16. Nyangiyan

Or une comparaison avec la synthèse finale de Languages of Africa


(Greenberg, 1966b) est édifiante. Sur les quatre phyla qui y sont proposés,
deux étaient déjà entièrement constitués en 1955 (n° 6, Afroasiatic et n° 7,
Click, rebaptisé Khoisan). Le troisième phylum, Niger-Kordofanian, provient
de la jonction du n°1, Niger-Congo, et du n° 12, Kordofanian. Quant au qua-
trième phylum, Nilo-Saharan, il résulte de la fusion des 12 autres groupes, ce
qui montre le caractère éminemment disparate de la famille ainsi définie.

1
Cf. Griffith, 1909, p. 53, 54.
2
Il faut bien évidemment relativiser ces observations. Le monosyllabisme fréquent des
langues nilotiques et le développement de groupe vocaliques complexes est sans doute un
phénomène récent, comme en anglais, ainsi que le rappelle Greenberg, 1966b, p. 92.
D’autre part, le système graphique du méroïtique, hérité de l’égyptien, est obligé, comme
nous l’avons précédemment vu, de transcrire par un même signe plusieurs voyelles.
476 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le « nilo-saharien » : définition, catalogue des langues

Définition

Une présentation détaillée de ce phylum est ici nécessaire, d’une part


parce qu’il s’agit d’un domaine où les travaux sont peu nombreux et mal
connus, et surtout parce que l’hypothèse d’un rattachement du méroïtique à
cette famille linguistique nous paraît la plus vraisemblable et la moins
explorée.
Greenberg avança avec précaution lorsqu’il proposa de rassembler dans
le même phylum tous ces groupes hétéroclites, dont certains ne comptaient
qu’une seule langue (fur, kunama, berta 1), et d’autres plusieurs dizaines
(soudanique central et oriental). Il procéda par incorporations successives
autour du noyau le plus solide 2, le soudanique oriental (« East Sudanic »), en
appliquant le principe de la « comparaison de masse » (« mass-comparison »)
dont il est l’inventeur et qui jusqu’ici a bien résisté aux critiques dont il a été
l’objet. La famille soudanique orientale est composée de dix branches :

1. nubien 6. temein
3. baréa 7. tama
2. didinga-murle 8. daju
4. ingassana 9. nilotique
5. nyimang 10. nyangiya

Sa cohésion est assurée par une comparaison lexicale portant sur 131
mots (Greenberg, 1966b, p. 95-108). La première préoccupation de
Greenberg dans la constitution de cette première famille fut néanmoins de
rétablir l’unité des langues nilotiques, que Meinhof avait divisées en un
groupe proprement « nilotique », sans genre grammatical, et un groupe
« hamito-nilotique », avec genre grammatical 3. La nouvelle classification,
d’autre part, réduisait l’importance de l’ensemble nilotique, qui, parce qu’il

1
Ces trois langues comptent cependant plusieurs dialectes. Pour ne pas alourdir la
présentation des arguments de Greenberg par de constantes notations géographiques et
démographiques, nous décrirons sommairement les langues dont il est question ici
dans la section suivante, p. 475-478.
2
Cette famille avait déjà été étudiée par Tucker et Bryan (voir synthèse dans Tucker-
Bryan, 1966).
3
Voir ci-dessus, p. 460-461.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 477

comporte une multitude de langues et rassemble un grand nombre de


locuteurs, avait accaparé l’intention des linguistes. Chez Greenberg, seuls les
éléments purement linguistiques sont pris en considération, et sur ce plan-là,
le nilotique n’est qu’un groupe parmi d’autres 1.
Dans un second temps, Greenberg définit un ensemble plus vaste qu’il
nomme « Chari-Nil », en ajoutant au « soudanique oriental » (géogra-
phiquement centré sur le Nil) le berta, le kunama, le groupe coman, et surtout
le soudanique central (géographiquement réparti autour du fleuve Chari), qui
compte lui-même six éléments : (1) bongo-bagirmi, (2) kreish, (3) moru-
madi, (4) mangbetu, (5) mangbetu-efe, (6) lendu. Cette seconde famille est
établie sur la base d’une nouvelle liste comparative de 106 mots (Greenberg,
1966b, p. 117-127), et d’un relevé de 46 caractéristiques morphologiques
partagées (ibid. p. 110-117), mais souvent alternatives selon les langues,
certaines présentant même deux types de formation, comme les items (12) et
(13) en baréa (nara) :

1. pronom de la 1re pers. sing. en « a »


2. pronom de la 2e pers. sing. en « i »
3. possessif de la 2e pers. sing. en « u »
4. pronoms de la 3e pers. sing. en « e »
5. démonstratif de la 1re pers. sing. en « t »
6. possessif de la 3e pers. sing. et pronom indépendant en « n »
7. indicateur du sujet en construction subordonnée en « k »
8. 2e personne du pluriel en « w »
9. 2e personne du pluriel en « t »
10. 3e personne du pluriel en « -i »
11. démonstratif et relatif pluriel en « ti »
12. affixe adjectival et relatif en « ma »
13. affixe adjectival et relatif en « ko »
14. féminin en « n »
15. masculin en « m »
16. nominatif sing. en « -i »
17. génitif sing. en « -o »
18. génitif en « n »
19. accusatif sing. en « k »
20. locatif sing. en « t »
21. locatif sing. en « l »
22. locatif plur. en « -ni »
23. suffixe déverbatifs et sing. en « t »
24. singulatifs en « -tot »
25. pluriels en « k »
26. pluriels en « t »
27. pluriels en « n »

1
On trouve la même prise de recul dans sa classification des langues bantoues au sein du
phylum Niger-Congo.
478 LA LANGUE DE MÉROÉ

28. pluriels en « -i »
29. pluriels spécifiques par alternances consonantiques
30. plur. de noms animés en « -r »
31. le mot « nom » considéré comme un pluriel syntaxique
32. alternance sing. / plur. en « n » / « k »
33. alternance sing. / plur. en « t » / « k »
34. préfixe de déverbatifs, participes et agents en « a- »
35. préfixe de dérivation nominale en « k- »
36. préfixe flottant « k- » dans les substantifs
37. morphème verbal pluriel « -k »
38. datif verbal [tous les exemples donnés sont en « -k- »]
39. inchoatif en « -n »
40. causatif en « t- »
41. passif ou intransitif en « -a », « -o »
42. passé en « k »
43. futur en « ba », « bi »
44. pluralité verbale [itératifs, etc.] en « l »
45. négation verbale en « k »
46. négation verbale en « m » ou « b »

Enfin, la dernière étape du travail de Greenberg consista à intégrer les


groupes isolés que constituaient le songhai, le saharien (ancien « Central
Saharan »), le maba, le fur, le coman. Il consacra un chapitre particulier à
établir la cohésion de ce quatrième phylum de langues africaines baptisé
« nilo-saharien » par une dernière comparaison lexicale de 161 racines (ibid.
p. 133-148) et une extension sur les langues nouvellement incorporées de 27
des correspondances morphologiques du groupe Chari-Nil (nos 1, 2, 5, 6, 8,
12, 13, 18, 19, 21, 23, 25, 26, 27, 28, 30, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 40, 41,
42, 46), suivies de deux nouvelles :
47. verbe réflexif en « r »
48. singulatif en « a » ou « o ».

Beaucoup d’africanistes s’accordent pour observer que le « nilo-


saharien » est le moins convaincant des quatre phyla proposés par Greenberg
pour l’ensemble linguistique africain. C’est la raison pour laquelle nous
avons systématiquement utilisé des guillemets chaque fois que nous l’avons
cité. La question se pose effectivement de savoir si on ne grouperait pas
indûment sous ce nom unique différentes familles de langues résiduelles
isolées par la poussée au nord et à l’est des langues chamito-sémitiques, et la
remontée au sud et à l’ouest du phylum Niger-Congo. La répartition
géographique en taches isolées (voir carte p. 479) est un indice
supplémentaire en faveur d’une telle hypothèse. On peut se demander alors si
ce phylum doit être mis sur le même plan que les trois autres super-familles
africaines, ou si, en reconstituant des racines proto-nilo-sahariennes, comme
le font actuellement M. Lionel Bender ou Christopher Ehret, on ne touche
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 479

pas des strates bien plus anciennes de l’histoire linguistique de l’Afrique. Il


n’est peut-être pas étonnant alors que l’on ait voulu coordonner le phylum
Niger-Congo et le nilo-saharien 1, ou que des « comparatistes mondiaux »
comme Merritt Ruhlen recourent si souvent au nilo-saharien quand il s’agit
de reconstruire des racines universelles 2. Si l’on ne croit pas à la possibilité
de remonter si haut dans l’étymologie, on peut aussi supposer que le triple
coup de filet lancé par Greenberg pour définir ce phylum a recueilli au fond
des mailles une grande partie de ces mots panafricains, ces
« Wanderwörter », qui sont passés de langue en langue depuis des
millénaires.
Un cas particulier concerne le songhai, parlé le long du fleuve Niger,
ensemble dialectal fortement excentré géographiquement et lexicalement.
Dans un ouvrage remarqué, le spécialiste français de cette langue, Robert
Nicolaï, l’a définie comme un créole impliquant une base mandé (phylum
Niger-Congo) et des emprunts très nombreux au touareg (phylum chamito-
sémitique) 3. Il s’agit en tout cas d’une langue « mixte », comme tant
d’idiomes qui se sont développés le long des grands fleuves 4. Malgré tout,
les comparatistes du « nilo-saharien » continuent à le considérer comme
faisant partie du phylum.
Cependant, dans le cas où les familles de langues qui composent le « nilo-
saharien » ne seraient pas directement reliées, la recherche d’un apparen-
tement du méroïtique conserverait toutes ses chances, et les verrait même
renforcées, car il serait alors étonnant que sur une telle multiplicité ne
subsiste aucun membre du groupe auquel il appartenait.

Catalogue des langues « nilo-sahariennes »

On trouvera ici un bref descriptif des principales langues de ce phylum,


qui suit la classification donnée par Greenberg. On se référera ici à la Carte 3
en page 479, où est indiquée leur localisation géographique. Il convient
également signaler que les noms des langues africaines sont souvent
multiples. L’orthographe peut varier de façon surprenante, et le nom lui-

1
Voir Blench, 1995, ainsi que Edgar. A Gregersen, « Kongo-Saharan », dans Journal of
African Languages, t. 11 (1972), p. 69-89.
2
Merritt Ruhlen, The Origin of Language. Tracing the Evolution of the Mother-Tongue
Jonn Wiley & sons, Stanford, 1994 : la reconstitution de 27 racines « universelles »
recourt 21 fois au « nilo-saharien », pourtant peu parlé et peu étudié, contre 22 fois à
l’indo-européen.
3
Robert Nicolaï, Parentés linguistiques. À propos du songhay, Paris, 1990.
4
Ainsi le lingala le long du fleuve Congo, et peut-être l’égyptien ancien le long du Nil
inférieur. En ce qui concerne le méroïtique, l’impossibilité de naviguer au Soudan sur
de longues distances, à cause des cataractes et du Sadd, le barrage naturel des
marécages en amont du confluent avec la Sobat, a dû limiter les échanges fluviaux.
480 LA LANGUE DE MÉROÉ

même peut changer du tout au tout suivant que l’on a affaire à l’appellation
indigène, à celle des voisins, souvent péjorative (ainsi barya ou baréa signifie
« esclave » en amharique, ingessana voudrait dire « ingrats » en arabe local),
à une désignation géographique (tabi, autre nom de l’ingessana, parlé dans
les monts Tabi) ou ethnonymique (beni amer pour un dialecte bedja). Ainsi
pour une langue comme le kunama, parlé en Érythrée, on trouve aussi les
dénominations suivantes 1 : baza, baaza, bazen, baazen, baazayn, baden,
baaden, bada, baada, cunama, diila, et une telle variété n’est pas rare ailleurs.
Les chiffres donnés pour le nombre de locuteurs suivent Bender, 2000, mais
étant donné la situation politique dans certaines régions comme les monts
Nuba et le Bahr el-Ghazal au Soudan, ou la frontière érythréo-éthiopienne,
les chances de survie de quelques-unes de ces langues sont très minces. Elles
ne sont parfois entretenues que par des diasporas de réfugiés à Khartoum et
dans les autres métropoles.

1. Songhai (songhay, songay, soÑay) : langue de la boucle du Niger, parlée au Niger


et au Mali par 1,1 millions de locuteurs.
2. Saharien :
– kanouri / kanembu : langue parlée à l’est du lac Tchad (Nigeria-Tchad) par 4,1
millions de locuteurs ;
– dazza / teda (ou tuda, toubou) : ensemble dialectal, parlé au Tchad par 373 000
locuteurs ;
– zaghawa (ou berri, beria) : ensemble dialectal de différents groupes répartis
entre le Tchad et le Darfour, au Soudan, 182 000 locuteurs ;
– berti : langue des monts Tagabo dans le Darfour, considérée comme éteinte, et
très proche du zaghawa.
3. Maba :
– maba (ou bura-mabang) : principale langue du Wadai, au Tchad oriental, parlée
par quelque 300 000 locuteurs ;
– masalit : ensemble dialectal parlé à la frontière soudano-tchadienne par 250 000
locuteurs ;
– mimi : langue parlée dans le district de Biltine, dans le Wadai (Tchad) par 5 000
locuteurs.
4. Fur (ou kondjara) : langue parlée dans le Darfour au Soudan par 517 000 locuteurs.
5. Chari-Nil :
A. Soudanique oriental :
1. nubien : voir p. 450-452.
2. didinga-murle (ou surma, surmic) : famille de langues étendues des deux côtés
de la frontière soudano-éthiopienne, les principales étant le didinga / longarim
et le murle (136 000 locuteurs) au Soudan, et en Éthiopie le majang (ou

1
D’après Barbara F. Grimes et al., the Ethnologue, 13th edition, Summer Institute of
Linguistics, 1996 (www@sil.org).
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 481

mesengo, 50 000 locuteurs), le me&en (ou mekan, 50 000 locuteurs), le mursi


(ou mun, 36 000 locuteurs).
3. nara (ou nera, baréa, barya) : langue parlée au Sud-Ouest de l’Érythrée,
comptant 63 000 locuteurs. Déjà étudiée par Reinisch (Reinisch, 1874), cette
langue a souvent été rapprochée du méroïtique, notamment par Priese, 1977.
4. tabi (ou ingessana, ingassana, gaam) : langue parlée dans les monts Tabi, à l’est
du Soudan, par 100 000 locuteurs.
5. nyimang (ou nyima) : deux langues parlées originellement dans les monts Nuba
au Kordofan (Soudan), le nyimang proprement dit (ou ama, 74 500 locuteurs)
et l’affiti (ou dinik, 4 500 locuteurs).
6. temein : deux langues également parlées originellement dans les monts Nuba,
le temein proprement dit (ou rongé, 10 000 locuteurs) et le jirru (doni et tesé,
1 500 locuteurs).
7. tama : trois langues parlées de chaque côté de la frontière soudano-tchadienne
dans le Darfour et le Wadai, le tama proprement dit (63 000 locuteurs),
l’erenga et le sungor, dialectes du précédent (38 500 locuteurs), le merarit
(42 500 locuteurs).
8. daju : ensemble dialectal du centre du Tchad au Kordofan (Soudan), comprenant
180 000 locuteurs. Outre les formes locales dites « daju de tel lieu », on peut
citer au Soudan le liguri et le shatt, parlés dans les Monts Nuba.
9. nilotique : un très vaste ensemble de langues parlées au Soudan, mais aussi au
Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, par 14,4 millions de locuteurs.
(a) groupe occidental (ou septentrional) : on citera le shilluk (ou colo), parlé
autour de Fachoda (175 000 locuteurs), le dinka, parlé au Soudan
méridional par 1,35 millions de locuteurs (seconde langue la plus parlée
au Soudan), le nuer (ou naadh), parlé approximativement sur le même
territoire, qui compte 850 000 locuteurs, l’alur, surtout parlé en Ouganda
par 920 000 locuteurs, et le luo du Kenya (3,4 millions de locuteurs).
(b) groupe oriental : on citera le bari, parlé au Soudan méridional (286 000
locuteurs), le maasai (massaï), parlé au Kenya par 883 000 locuteurs, le
teso, parlé surtout en Ouganda (1,2 millions de locuteurs).
(c) groupe méridional : le kalenjin, nom générique d’un ensemble de dialectes
parlés en Ouganda, à l’ouest du Kenya et en Tanzanie, parmi lesquels on
peut citer le pokot (ou suk, ou päkot), parlé au Kenya et en Ouganda par
264 000 locuteurs, le nandi du Kenya (262 000 locuteurs) et son voisin le
kipsigis (472 000 locuteurs).
10. nyangiya (ou kuliak) : trois langues du Nord-Est de l’Ouganda, dont l’une
disparue, le nyangi, et deux presque éteintes : l’ik (ou teuso) et le soo.

B. Soudanique central : il s’agit là aussi d’un vaste groupe comprenant de nombreuses


langues et dialectes, parlées dans une vaste région s’étendant du Soudan au nord de
la République démocratique du Congo et au Tchad en passant par la République
centrafricaine. Greenberg divise cette famille en sept ensembles linguistiques (huit
chez Bender, 2000, p. 45) :
1. bongo-bagirmi : on citera le bongo (22 500 locuteurs) au Soudan et en
Centrafrique, et au Tchad, le sara (200 000 locuteurs), et le bagirmi (67 000
locuteurs).
482 LA LANGUE DE MÉROÉ

2. kreish : langue comptant 16 000 locuteurs dans le Bahr el-Ghazal (Soudan).


3. yulu-kara : quelques dialectes groupant environ 15 000 locuteurs à la frontière
entre Soudan, Tchad et Centrafrique.
4. moru-madi : une dizaine de langues le long du Nil, au Sud du Soudan et au
nord de l’Ouganda, groupant 1,6 millions de locuteurs.
5. mangbetu : une demi-douzaine de langues au Nord de la République
démocratique du Congo (ex-Zaïre), parlées par 662 000 locuteurs.
6. mangbutu-efe : deux langues principales parlées au Nord-Est de la République
démocratique du Congo, groupant 445 000 locuteurs.
7. lendu : groupe de trois langues parlées dans la même région, représentant
892 000 locuteurs.

C. Berta : ensemble d’une douzaine de dialectes parlés de part et d’autre de la


frontière soudano-éthiopienne au sud de Fazoglo, et comptant quelque 100 000
locuteurs.

D. Kunama : ensemble de neuf dialectes parlés au Sud-Ouest de l’Érythrée par


140 000 locuteurs 1.

6. Coman (Koman) : groupe de cinq langues parlées à l’Est du Soudan et à la frontière


éthiopienne. On peut citer le t&wampa (ou uduk, 20 000 locuteurs), le gulé,
aujourd’hui disparu, le kwama (15 000 locuteurs), le komo (11 500 locuteurs).

À ces langues citées et classées par Greenberg, Bender ajoute deux petites
familles de langues : le gumuz, parlé le long du Nil Bleu à l’Ouest de
l’Éthiopie (90 000 locuteurs), et habituellement rangé dans les langues
Coman, et le kadu ou kadugli-krongo, un groupe de langues difficilement
classables parlées originellement dans les monts Nuba du Kordofan (123 000
locuteurs), anciennement appelé « tumtum ».

1
Selon des sources récentes du ministère de l’Éducation de l’Érythrée, le nombre de locuteurs
du kunama s’éléverait à 65 000.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 483

Carte 3 : Répartition géographique des principales langues « nilo-


sahariennes »
484 LA LANGUE DE MÉROÉ

Méroïtique et « nilo-saharien » : revue des théories

C’est Trigger qui lança cette nouvelle filiation, dans son article de Kush :
« Meroitic and Eastern Sudanic : A Linguistic Relationship ? » (Trigger, 1964).
Il utilisa les travaux de Greenberg, tout récents alors, et proposa d’inclure le
méroïtique dans la nouvelle famille « nilo-saharien », et plus exactement
dans le noyau « soudanique oriental ». L’hypothèse reste aujourd’hui la plus
probable, et en tout cas la plus couramment citée, en dépit des attaques de
Hintze, et de la faible valeur de l’échantillon comparé : Trigger reprenait en
effet huit comparaisons de Griffith avec le nubien, auxquelles il rajoutait une
neuvième correspondance, et, pour le reste du domaine soudanique oriental,
utilisait neuf mots méroïtiques, dont six probablement fantaisistes, avancés
sur des bases jamais justifiées par Zyhlarz, 1956, ainsi que quatre morphèmes
dont deux très douteux. Sa conclusion, bien que positive, restait prudente :
« The scanty data presently available suggest that Meroitic is a member of
Greenberg’s Eastern Sudanic family. Membership in this grouping would account
for the various similarities between Meroitic and Nile Nubian that cannot be
explained as being the result of direct borrowing, as well as the similarities
between Meroitic and the other Eastern Sudanic languages. We are not able,
however, to determine the position of Meroitic within this grouping. » (Trigger,
1964, p. 192-193)

Les réactions dans le milieu méroïtisant furent assez diverses. Certains


étaient vraiment hostiles à cette idée, comme Macadam, autrefois partisan de
la théorie couchitique, et qui insistait sur les évidentes faiblesses dans le
choix pour la comparaison de mots « traduits » par Zyhlarz :
« It should be pointed out that many of the meanings assumed for Meroitic words
which that article uses are the merest speculation and will lead to grave error if
accepted as proven. Looking, however, through Tucker’s vocabulary of Eastern
Sudanic words I can see very little to compare with Meroitic. » (Macadam, 1966,
p. 48, note 15)

Il était, comme à l’accoutumée, suivi par son disciple Haycock qui ne


voyait pas davantage de points communs entre le méroïtique et les langues
soudaniques orientales, à l’exception du nubien (Haycock, 1978, p. 61-62,
79-80).
D’autres, comme Heyler, se lancèrent dans la comparaison, avec des
résultats mitigés, qui ne prouvaient pas formellement la filiation soudanique
orientale, même si quelques éléments semblaient aller dans ce sens (Leclant,
1965-1966, p. 88-89). D’autres enfin adhérèrent formellement aux thèses de
Trigger. Ainsi Priese, dans ses premiers travaux, fit constamment référence
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 485

au nubien comme preuve d’identification sémantique 1. Dans son étude sur


les textes funéraires (Priese, 1971 et 1977a), plusieurs comparaisons sont
avancées avec le nubien et le nara (baréa), particulièrement pour les
déterminants, la copule, une marque -k du pluriel (et un suffixe k- supposé
pour le féminin) ainsi que quelques éléments lexicaux 2. Dans son ouvrage de
synthèse Meroe, A Civilisation of the Sudan, Shinnie envisage un lien
particulier entre le méroïtique et les langues du groupe Koman (Shinnie,
1967, p. 133) 3. Enfin, Schenkel, dans son essai « Meroitisches und barya-
Verb » (Schenkel, 1972) rapproche les suffixes verbaux du méroïtique de
ceux du barya (nara), langue « nilo-saharienne » d’Éthiopie, sans que le
propos ne s’étaie sur aucune théorie comparative, considérant les hypothèses
de Trigger, 1964 comme des acquis.
Greenberg lui-même, qui avait vaguement étudié la question de la
filiation du méroïtique avant la constitution de la famille nilo-saharienne,
dans un premier temps avait émis un avis négatif, dont s’était prévalu Hintze
dans son attaque en règle des hypothèses de Zyhlarz (Hintze, 1955, p. 372) :
« The language does not appear to be related to any existing language of Africa ».
(Greenberg, 1950, p. 391).
En 1971, il révisa cependant son jugement à la lecture de l’article de
Trigger, et admit un possible rattachement du méroïtique au « nilo-saharien »
dans un article intitulé « Nilo-Saharan and Meroitic » (Greenberg, 1971),
dont l’essentiel était en fait consacré à la défense de ce phylum et à la
classification des langues qui y appartiennent. Cependant cet apparentement
était évoqué sous la responsabilité entière de Trigger, sans que Greenberg ne
s’engageât personnellement en faveur cette hypothèse (op. cit. p. 438) 4.

Dans ce concert d’opinions divergentes, une voix manquait, la plus


attendue pourtant, celle de Hintze. Il ne donna son avis que tardivement, mais
de façon magistrale. En 1971, à la conférence de Berlin, sous le titre « The
linguistic position of Meroitic » (Hintze, 1973c, p. 323-327), il fait un point
critique sur l’état des recherches comparatives concernant le méroïtique.
L’une de ses plus mordantes et spirituelles attaques consiste à se livrer à une

1
Voir particulièrement Priese, 1968a, p. 174-175.
2
Priese, 1971, p. 275, 277 [1.15.1], 280 [1.23.2], 282 [1.31.2] [1.31.6], 284 [1.32.4], note
18, p. 279 ; Priese, 1977a, p. 44-45, p. 49-54 (rédigé à la même époque). Voir Trigger,
1979, p. 151 pour une critique de l’usage que fait Priese de la comparaison en
morphologie. Ses positions ont ensuite évolué vers un certain pessimisme (cf. Priese,
1997b, p. 253).
3
Poussé dans ses retranchements, il reconnaît cependant lors du Congrès de Berlin de
1971 : « This claim was based on only a small number of presumed cognates. »
4
Bender rapporte une communication personnelle que Greenberg lui a faite à propos du
méroïtique : « He later told the present author that he thinks East Sudanic is the right
place to look for possible connections. » (Bender, 1996, p. 59).
486 LA LANGUE DE MÉROÉ

comparaison fructueuse entre le méroïtique et l’ouralo-altaïque (ibid. p. 324-


327), pour démontrer que l’on peut rapprocher n’importe quelle famille de
langue si l’on n’applique aucune méthode rationnelle. C’est évidemment
Trigger qui est visé, et le malheureux ne pourra qu’admettre la faiblesse de
ses arguments (cf. Trigger, 1973b, p. 343). Néanmoins, on retrouve dans ces
pages un écho des critiques qui ont accompagné la parution des travaux de
Greenberg, particulièrement de la part des indo-européanistes, qui lui
reprochaient l’absence de reconstructions, et la primauté donnée au matériel
lexical sur les structures grammaticales supposées plus stables (Hintze,
1973c, p. 324). La conclusion de Hintze, tout en restant ouverte, était celle
d’un chercheur qui depuis presque dix ans avait fait son deuil de possibles
avancées par le comparatisme :
« I don’t know if Meroitic is a branch of the Eastern Sudanic family or not. The
linguistic data and comparisons given for that suggestion are by far too scanty. As
an inescapable condition for comparison it would be necessary to do much more
work on the Eastern Sudanic family itself and to find out the prototype of Eastern
Sudanic, to be able to compare Meroitic elements with this “Proto-Eastern
Sudanic”, based on accurate sound laws and sound correspondences. I doubt
somewhat that a kind of comparative method, which compares isolated elements
from different languages without considering their history, will help us very much
in the better understanding of the Meroitic language and texts. » (Hintze, 1973c,
p. 327)

Trigger n’abandonna pas la partie pour autant. Dans un premier temps, il


reconnut les faiblesses de sa démonstration de 1964, mais il défendit la
méthode de « comparaison de masse » de Greenberg contre les attaques de
Hintze [Trigger, 1973b, p. 341-343, points (5), (6)]. Il développa ensuite une
approche plus prudente, illustrée dans son article : The Classification of
Meroitic : Geographical Considerations (Trigger, 1977). Il y pondérait ses
thèses anciennes, sans pour autant les renier :
« In that paper [Trigger, 1964] I erred in basing a part of my arguments on
Zyhlarz’s glosses of Meroitic terms. Therefore, insofar as anyone has uncritically
accepted the proposal that Meroitic is Eastern Sudanic, I can only agree that
Hintze’s elaborate warning not to treat my hypothesis as a proved fact is in order.
The principal lasting value of my paper has been the demonstration that some
words formerly treated as loans from Meroitic into Nubian are in fact common to
Nubian and other languages of the Eastern Sudanic group. These suggest either
the widespread diffusion of sometimes basic Meroitic morphemes into the Eastern
Sudanic group as a whole or, more likely, that Meroitic is a genetic member of
this group. » (ibid. p. 422)

Dans la conclusion de son étude (ibid. p. 433-434) il proposait une synthèse


prudente de la question d’une filiation possible du méroïtique en offrant une
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 487

sorte de pronostic par probabilité décroissante : 1. Est-soudanique, 2. Nilo-


saharien, 3. Afro-asiatique, 4. Kordofanien, 5. Famille disparue.

Mais la contribution la plus paradoxale et, au bout du compte, la plus


instructive, fut celle du spécialiste du « nilo-saharien », Bender lui-même. La
même année, il publia deux études sur la question aux conclusions totalement
opposées : « New Light on the Meroitic Problem » dans les Meroitic
Newsletters (Bender, 1981a) et « The Meroitic Problem » (Bender, 1981b)
dans Peoples and Cultures of the Ethiopia-Sudan Borderland.
Les résultats positifs du premier article, bien que modestes, sont à
considérer avec d’autant plus de précaution qu’un certain nombre des
données méroïtiques qu’il utilise sont fausses : quelques-unes sont des
extrapolations de Zyhlarz, voire de Griffith, qu’on a par la suite abandonnées
(ende « mère », wid « vieux »). D’autres ont été faussées parce que tirées de
Meeks, 1973, où elles étaient écrites avec la transcription originelle du REM
adaptée aux ordinateurs de l’époque, mais évidemment erronée si on la
prenait au pied de la lettre 1 : ainsi, « eau » est transcrit par Meeks AU, où U
représente le signe to. Bender en a rapproché le gulé a¢¯, de même sens, qui
effectivement ressemble à *au, mais guère à ato !
« Bearing in mind the many pathways for error to enter in this work (pre-eminent
are scantiness of data, problematical validity of the Meroitic glosses, and chance
correspondences), as shown by the high Sudan Arabic, PIE [Proto-Indo-
European] and Fula results, any conclusion drawn from this must be cautious.
Thus I shall be cautious and assert only :
1) Meroitic was a Sahelian (Nilo-Saharan) language ;
2) Meroitic was probably an East Sudanic language ; as such it was coor-
dinate with Nubian, Nera, Tabi, and Daju in a northeastern group as opposed
to a southwestern group consisting of Surma, Nyimang, Temein, Tama,
Nilotic, and Ngangea [Kuliak].
3) There is evidence of influence of Meroitic on Berta and Koman. » (Bender,
1981a, p. 22)

Dans le chapitre d’ouverture de Peoples and Cultures of the Ethiopia-


Sudan Borderland, Bender rectifia ses précédentes allégations. Il faut dire
qu’ici, il s’agissait d’un ouvrage linguistique de portée plus vaste que les très
confidentielles Meroitic Newsletters. Il ôta de ses données lexicales méroï-
tiques les gloses douteuses de Zyhlarz, et ajouta quelques interprétations de
Haycock, 1978. Il garda malheureusement les mots donnés par Meeks sans
tenir compte de la transcription très particulière du REM 1re version. Enfin,
trois unités lexicales (ke-l « tout », x-¸ « chaque », ¸ r « offrir ») sont

1
Voir ci-dessus, p. 238 et note 2. La critique de Hofmann, 1982c, p. 49-53 va dans le
même sens. Elle rappelle l’article de Thelwall, 1978 (comparaison lexicographique
entre nubien, daju et dinka), où seuls les termes méroïtiques ato : « eau », et kdi :
« femme » pouvaient être rapprochés avec succès du nubien des monts Nuba.
488 LA LANGUE DE MÉROÉ

étrangement fantaisistes, la première découlant peut-être d’une lecture trop


rapide de Haycock, 1978, p. 79-80. La comparaison s’est faite sur un corpus
de langues beaucoup plus étoffé. Les conclusions sont dès lors moins
optimistes que dans l’article précédent:
« The possibilities of flukes are high, and one would have to consider the Songay
(16 [= score]), Tatoga (18), So (16), Tamazight (14), Arabic (22), and Fula (14)
results as being likely cases. This is supported by observations such as these : the
Surma ranges is 2 to 11 ; Nyimang and Dinik, closely related languages score 11
and 21 respectively ; Tama and Merarit, also closely related, score 22 and 11
respectively ; the range in Nilotic is 2 to 18 ; (...)
To summarize, taking into account the sources of error just discussed :
(1) Based on the scatter of correspondence scores against Nilo-Saharan and
other languages, one cannot conclude that Meroitic was Nilo-Saharan, much less
East Sudanic ;
(2) Meroitic was influential on the speech of the precursors of a number of
peoples of the Ethiopia-Sudan area. » (Bender, 1981b, p. 28)

Depuis lors, Bender ne semble pas s’être départi de cette position


d’agnostique. Il écrivait tout récemment :
« My studies suggest that Meroitic, as the language of a state-level civilisation,
influenced languages of the Sudan-Ethiopia border area, but cannot as yet be
linked genetically to any of them. » (Bender, 2000, p. 56)

Mais une des limites à la comparaison dont ne parle évidemment pas


Bender, c’est l’insécurité théorique qui règne sur le phylum nilo-saharien. La
dispersion des langues concernées, leur éloignement linguistique, le peu
d’études fiables et récentes de la plupart des idiomes 1 ne peut écarter la
suspicion que l’on ait affaire à un ensemble disparate de langues résiduelles
non apparentées (cf. p. 474-475). C’est le principal obstacle, selon Hintze, à
l’hypothèse « soudanique orientale ». Dans le dernier de ses articles publiés
de son vivant sur la question méroïtique (Hintze, 1989), il conclut ainsi :
« Bei unsere Vergleich von Meroitisch und Nubisch haben wir einige
Struktureigenschaften gefunden, die in beiden Sprachen gleich oder doch sehr
ähnlich sind. Ferner wurden auch einige ziemlich spezifische Merkmale
gefunden, die in beiden Sprachen übereinstimmen. Es erhebt sich nun die Frage,
ob diese Indizien ausreichen um mit einiger Sicherheit sagen zu können, daß
Meroitisch und Nubisch genealogisch miteinander verwandt sind und daß das
Meroitische daher ein Mitglied der “Eastern Sudanic Language Group” ist. Ich

1
Ainsi le tabi (ingessana, gaam), qui par sa position isolée sur les hauteurs du Soudan
oriental, présente un grand intérêt pour une éventuelle comparaison avec le
méroïtique, n’a fait l’objet que de quelques courtes études (Verri, 1955, Lister, 1966,
Launer, 1981) et d’un glossaire préliminaire (Ayre-Bender, 1980). On pourrait
malheureusement multiplier les exemples.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 489

glaube, daß die Antwort darauf leider “Nein !” lauten muß. Und dies
hauptsächlich aus zwei Gründen :
(1) Strukturelle Merkmale sind nicht ausreichend, um eine genealogische
Verwandtschaft zwischen Sprachen nachzuweisen. Wir haben oben gesehen, daß
in gleichen strukturellen Typen auch genealogisch nicht verwandte Sprachen
zusammengefäßt sein können. Übereinstimmung in strukturellen Merkmalen
weisen daher nur auf die Möglichkeit von verwandtschaftlichen Beziehungen hin.
(2) Der andere Grund ist der, daß die Existenz der “Eastern Sudanic Language
Group” selbst noch nicht wirklich bewiesen ist. Es sind noch keine Protosprachen
herausgearbeitet worden. Deswegen ist der Vergleich von Meroitisch mit nur
einer Sprache – (Alt)nubisch – nur ein Experiment. Aber es wird notwendig sein,
Meroitisch nicht mit einer Einzelsprache zu vergleichen, sondern mit einer
bestimmten Protosprache der ESLG [Eastern Sudanic Language Group], je nach
der taxonomischen Struktur dieser Gruppe. Aber gerade diese taxonomische
Struktur ist uns noch so gut wie unbekannt.
Deswegen ist es die wichtigste Aufgabe, diese Sprachen eingehend zu
bearbeiten und ihre Verwandtschaftsverhältnisse zu erforschen. » (Hintze, 1989,
p. 102-103). 1

Méroïtique et « nilo-saharien » : correspondances supposées

Sur le plan syntaxique, il est sans doute peu pertinent de rapprocher le


méroïtique d’un ensemble de langues aussi vaste et divers que le phylum
« nilo-saharien », pas même si l’on se limite aux idiomes de la famille
« soudanique orientale ». On remarquera cependant avec le méroïtique les
correspondances suivantes 2, où la cohérence aréale joue sans doute un grand
rôle :
— ordre SOV prédominant (kanouri, teda, zaghawa, tabi, kunama, maba,
tama, daju, fur, nyimang, nara, koma, berta) ;
— pluriel nominal par suffixation (tabi, kunama, daju, nara, etc.) ;
— absence de genre (partout sauf en bari-maasai, et, uniquement pour les
pronoms personnels, en daju et koma) ;
— postpositions (kanouri, teda, kunama, fur, mursi, etc.) ;
Pour des correspondances plus spécifiques avec le nubien, on se reportera
supra, p. 454.

1
On nous pardonnera la longueur de cette citation, justifiée par l’importance du propos
et la pertinence des remarques.
2
D’après Jungraithmayr, 1981 et Tucker, 1981.
490 LA LANGUE DE MÉROÉ

Sur le plan morphologique, on se référera à la liste donnée par Greenberg


pour le « soudanique oriental » et « Chari-Nil » (cf. p. 473-474). Il est
intéressant de constater que le nubien totalise 26 des 46 caractéristiques
relevées par Greenberg 1. Le méroïtique n’en possède que 11, dont beaucoup
ne sont pas assurées. Mais c’est peut-être à notre méconnaissance de la
grammaire de cette langue qu’est dû ce faible résultat :
2. pronom de la 2e pers. sing. en « -i » / mér. suffixe vocatif -i
12. affixe adjectival et relatif en « ma » / mér. quelques adjectifs en m- initial.
13. affixe adjectival et relatif en « ko » / mér. pronom prédicatif qo
17. génitif sing. en « -o » / mér. génitif alternatif en -o (at Ms-o « prêtre de Mash »)
20. locatif sing. en « t » / mér. postposition locative -te
23. suffixe déverbatifs et sing. en « t » / mér. suff. t- dans les termes de filiation
25. pluriels en « k » / mér. suffixe -k dans le prédicatif plur. -lebkwi
30. plur. de noms animés en « -r » / mér. suff. d’anthroponymes et de titres en -r
38. datif verbal [exemples donnés tous en « -k- »] / mér. datif verbal en -‚-
40. causatif en « t- » / mér. suff. t- dans les termes de filiation (mais voir n° 23)

Si l’on ne garde que les caractéristiques retenues dans la définition par


Greenberg du « nilo-saharien », le total passe à 7 [nos 2 (?), 12 (?), 13 (?), 23
(?), 25 (?), 30 (?), 38, 40 (?)]. On perd notamment les items nos 17 et 20, qui
sont parmi les rares assurés. Il est donc vraisemblable, si le méroïtique
appartient effectivement au phylum « nilo-saharien », qu’il faudrait le
rattacher plus précisément à la famille « soudanique orientale ».
Ces points de convergence paraîtront peut-être insuffisants, et ils le sont
en effet. Mais on pourra comparer avec le même travail de recherche sur une
possible affiliation chamito-sémitique (cf. p. 468-469), dont le résultat était
entièrement négatif, ce qui prouve que les maigres éléments dont nous
disposons permettent tout de même, sinon des certitudes, du moins de fortes
suspicions dans un sens ou dans l’autre. On rappellera également les
étonnantes similitudes syntaxiques et morphologiques qui unissent le
méroïtique au nubien (cf. p. 457-458), une langue qui se trouve justement au
cìur de la famille « soudanique orientale ».

Sur le plan lexical, nous avons inventorié dans le relevé qui suit les
cognats supposés dans le domaine nilo-saharien, en indiquant pour le nubien
un simple rappel à la liste correspondante p. 458-459. Ici encore, nous avons
écarté les parallèles non satisfaisants, ou bien parce que les formes proposées

1
Les dialectes nubiens sont représentés dans les items 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 30, 39, 42, 43, 46. Ce score, le plus élevé de
toutes les langues du phylum, est dû entre autres à la position centrale du nubien dans
la recherche de Greenberg. On peut dire sans exagérer que le « soudanique oriental » a
été en grande partie établi par une comparaison entre le nubien et le nilotique, les deux
groupes de langues les mieux connus du groupe (cf. Bender, 2000, p. 54).
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 491

ne s’accordaient pas avec les données phonologiques du méroïtique, ou


principalement parce que les termes méroïtiques comparés, tant par Trigger
que Bender, étaient erronés en raison de sources douteuses. Comme nous
l’avons indiqué précédemment, ce dernier cas était malheureusement
fréquent. De plus, la théorie « nilo-saharienne » est relativement récente, et
aucun spécialiste d’une langue précise de ce phylum (à part le nubien), ne
s’est à notre connaissance penché sur un parallèle possible avec le
méroïtique. Tous ces éléments expliquent l’actuelle modicité de cette liste.

Liste des correspondances lexicales supposées du méroïtique


avec les langues nilo-sahariennes (à l’exception du nubien)

Abréviations. SO : « soudanique oriental » ; SC : « soudanique central » Nb : corres-


pondance existante avec le nubien, voir supra, p. 458-459. Les noms entre
parenthèses renvoient aux groupes linguistiques, les noms entre crochets à l’auteur de
la comparaison.

abr « homme » / nara (SO) abuko « homme » [Trigger], songhai boro « homme »,
mangbetu (SC) -bèlu [Bender], berti (saharien) baru « mâle » [Militarev] ;
adb « terre (?) », « province (?) » / Nb, nara (SO) do « terre » [Bender] ;
ari-« ciel (?) » (traduction induite) / Nb, afitti (nyima, SO) áreÑ gà « pluie »,
nyimang (SO) ár¡Ñè « pluie », tama (SO) arr « pluie », soo (kuliak) war « pluie »,
merarit (SO) ¢¯ ri « soleil », fur uri « étoile » [Bender] ;
-dik « tout le long (vers) » / nara (SO) -dege « vers », « de » [Trigger] ;
-ke « de » / nara (SO) -ge « vers », « de » [Trigger] ;
kelw « et aussi » / gumuz (koman) kŒ « aussi », kwama (koman) gi, majang (surma)
kØ [Bender] ;
kdi « femme » / Nb, kwama (koman) kaduwa « femme », afitti (nyima, SO) kíri,
nyimang (SO) ké r, nandi-suk (SO) korko, baka (SC) kárá [Bender] ;
‚r « (faire) manger (?) » / nara (SO) kŒ l « manger » [Bender] ;
-l déterminant / fur, maba, tama (SO), nyimang (SO), berta, gumuz (koman) -l-
[Bender] ;
l‚ « grand » / maba léké « long », shatt (daju, SO) lØ¿Ø i « long » [Bender] ;
mde parenté d’oncle à neveu ou nièce (?) / tabi (SO) ammet « oncle » [Bender] ;
mƒe « abondant » / shatt (daju, SO) maÑÑ e « beaucoup », baka (SC) móngó
« beaucoup » [Bender] ;
Ms dieu solaire (interprétation induite) / Nb, berta mØ sØ [Bender] ;
qore « roi » / tabi (SO) aur « chef » [Bender] ;
-se postposition génitivale / daju (SO) -s [Bender] ;
ste(qo) « pied », « empreinte » / nara (SO) šokna « pied », t&wampa (koman) š(w)ok,
gumuz (koman) cogwa, zilmamu (surma, SO) šowa, dinka (SO) cok, soo (kuliak)
tεg [Bender] ;
-te « dans » / nara (SO) -t, -ta, -ti, dinka (SO) -t, maasai (SO) t-, didinga (SO) -to, -ti,
tabi (SO) -te, merarit -ta, daju (SO) -ti , Nb [Trigger] ;
tr « grand (?) » / maba tŒ ljin « grand », tabi (SO) talgŒ [Bender].
492 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les limites de l’approche comparatiste

La méthode comparative appliquée au méroïtique, comme nous l’avons


maintes fois constaté dans les pages précédentes, achoppe sur un certain
nombre d’obstacles qui rendent sa pratique difficile et ses résultats aléatoires 1.
L’histoire particulière de l’Afrique subsaharienne engendre une première
série de difficultés, que ne connaissent pas ou peu les études chamito-
sémitiques et indo-européennes. Ces deux familles présentent aux chercheurs
une profondeur historique considérable puisqu’on possède des documents
écrits sur les cinq derniers millénaires pour le premier de ces phyla, et sur
presque quatre millénaires pour le second. Pour le « nilo-saharien », nos
éléments les plus anciens de comparaison sont les textes en vieux-nubien, qui
n’apparaissent qu’au VIIIe siècle de notre ère. On peut se demander où en
seraient les études indo-européennes si les plus anciens documents
disponibles pour ce phylum étaient les serments de Strasbourg, et que ni le
latin, ni le grec, ni le sanscrit, n’avaient laissé de traces écrites. La
comparaison des langues-filles, qui ont tendance à s’éloigner les unes des
autres, est toujours beaucoup plus malaisée que celle des langues-mères, et
oblige à de plus vastes corpus, comme le rappelle Trigger :
« Because of the high antiquity of Meroitic, it is clear that, unless a language
which is directly descended from it can be discovered, the relationship between it
and any cognate language still spoken today will be a very remote one ; perhaps
no closer than between modern English and Persian. Hence the affiliations of
Meroitic may be with a fairly broad group of languages rather than with a single
one and considerable comparative analysis may be necessary if such relationships
are to be discovered and exploited. » (Trigger, 1973a, p. 261-262)

L’absence au sud du Sahara de vastes états durables, dont la civilisation


ait pu se développer sans interruption durant des siècles, a entraîné un
morcellement des cultures propice à la rapide diversification des langues, et
nous ne croyons pas que le principe fondateur de la glottochronologie, la
rétention moyenne de 86 % du vocabulaire par millénaire 2, puisse
s’appliquer sur ce sous-continent.
Voici par exemple une comparaison de trois mots appartenant au
vocabulaire le plus courant, « femme », « main », « soleil » dans trois

1
Sur les problèmes théoriques de l’approche comparatiste pour le méroïtique, outre les
références déjà citées (Trigger, 1973a ; Trigger, 1973b ; Hintze, 1973c ; Trigger, 1977 ;
Trigger, 1979 ; Hofmann, 1982c), on pourra consulter Thelwall, 1975 ; Thelwall, 1989 et
surtout Hofmann, 1982a : « Der Vergleich des Meroitischen mit anderen Sprachen ».
2
Voir Renfrew, 1990 pour un exposé et une critique mesurée de cette discipline.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 493

langues tchadiques de la branche ouest, parlées au Nord du Nigeria : le


haoussa, principale langue véhiculaire du pays, le zaar et le sigidi, ces deux
derniers, parlés dans un rayon de trente kilomètres, appartenant au même
sous-groupe (sud-Bauchi) 1. Dans une stricte perspective cladiste
(s’intéressant à la taxinomie des embranchements), la comparaison de ces
trois langues reviendrait à rapprocher de l’espagnol, du français et du picard.
Il est clair qu’à distance génétique égale, les vocables africains offrent une
bien plus grande variabilité :

haoussa zaar sigidi


« femme » màcè gt gd
« main » hánnùù táás tàwsà
« soleil » ráánáá dzáÑ fììt

Les communautés linguistiques dans cette région sahélienne sont formées


de petites agglomérations dispersées, ce qui devrait favoriser un certain
conservatisme. Or la pratique habituelle de l’exogamie, et anciennement de
l’esclavage, a introduit régulièrement au sein de ces communautés des
éléments exogènes, favorisant la naissance de langues plus ou moins mixtes,
où peuvent coexister suivant les registres lexicaux des formes archaïques et
nouvelles. On ajoutera les échanges habituels avec les tribus nomades,
comme les Peuls, traditionnellement chargés de la pâture du bétail, avec
lesquels une langue véhiculaire doit être utilisée et donc connue par une
partie au moins de la communauté sédentaire. Les phénomènes de
changements linguistiques qui affectent ces régions sont, on le voit, bien plus
complexes que les modèles simples habituellement envisagés par les
archéologues 2 : suprématie d’élite, migration économique, effondrement de
système. La proximité entre les langues s’en ressent évidemment, d’autant
plus qu’aucune écriture, aucune administration commune et centralisée ne les
a jusqu’ici obligées à une quelconque stabilité séculaire.
Cette situation est aussi, originellement, celle de la plupart des
populations du phylum « nilo-saharien », bien que la création d’états
modernes ait tendance à changer la donne : si l’on met à part les 15 « grandes
langues » parlées par plus de 500 000 locuteurs, parmi les 88 idiomes
restants (sans compter les dialectes proches), nombreux sont ceux qui
comptent moins de 10 000 locuteurs, ce qui est très peu. Un tel émiettement,
auquel s’ajoute, comme nous l’avons vu, une évolution linguistique
complexe et rapide, est évidemment peu propice à une approche comparative.

1
Nous remercions M. Bernard Caron, spécialiste de ces langues, qui a bien voulu nous
communiquer ces données partiellement inédites.
2
Voir Renfrew, 1990, p.161-174.
494 LA LANGUE DE MÉROÉ

Mais le principal obtacle à un quelconque progrès dans le rattachement


du méroïtique à une langue connue, c’est évidemment l’indigence de termes
de signification assurée. La liste que donne Hofmann (Hofmann, 1981a,
p. 348-349) ne compte pas même une trentaine de mots « purement »
méroïtiques, et encore avons-nous vu que certains sont caducs (cf. p. 437-
438). On remarquera que l’on ne connaît pas de noms simples d’animaux ni
de végétaux, aucun mot pour les parties du corps, et que pour les pronoms
personnels, les verbes, les nombres, les éléments naturels, notre science se
réduit à un seul terme par catégorie. Or ce sont les éléments d’une langue,
sinon les plus stables, du moins les plus caractéristiques pour les
comparatistes. De la liste restreinte de Swadesh, qui utilise 100 mots pour la
comparaison, nous n’en connaissons en méroïtique que 12, dont 7 de façon
assurée (« grand », « petit », « femme », « homme », « donner », « eau » et
« bon »). Encore faut-il savoir que la simple connaissance de ces mots ne
permet pas une comparaison fructueuse, car les cognats n’ont pas forcément
dans les langues apparentées la même signification. Ainsi connaître les mots
pour « soleil » en nubien dongolawi, masil, et en daju, uroÑei, ne permet pas
de supposer que les deux langues sont apparentées si l’on ignore que le
« feu » se dit maú si en daju. Les sept mots de la liste de Swadesh connus pour
le méroïtique donneraient pour une comparaison des langues indo-européennes
de bien décevants résultats :

français latin grec allemand breton

grand magnus µéγας groß bras


petit parvus µικρóς klein bihan
femme mulier γυν Frau maouez
homme vir νρ Mann gwaz
donner dare διδóναι geben reiñ
eau aqua δωρ Wasser dour
bon bonus γαθóς gut mad

Si nous n’avions à notre disposition que ces rares données lexicales, en


conclurait-on seulement que le latin est l’ancêtre du français ? À part
l’adjectif « bon », que l'on pourrait considérer comme un emprunt, et une très
vague suspicion, que l'on croirait peut-être due au hasard, pour le verbe
« donner », on ne saurait avancer une parenté crédible entre les deux langues.
Encore moins pourrait-on prétendre avec quelque vraisemblance que
l'ensemble des cinq langues ci-dessus appartienne à la même famille.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 495

Aussi ne faut-il pas s’étonner du peu de résultats qu’a donnés jusqu’ici


l’approche comparatiste. Il faudra élucider, que ce soit par la découverte d’un
bilingue, ou par le travail philologique interne, le sens de bien plus de termes
avant de pouvoir envisager une parenté certaine. Mais il faut aussi, à
l’inverse, rechercher mieux que cela n’a été fait d’éventuels cognats dans un
plus grand nombre de langues, notamment « nilo-sahariennes ». Pour
reprendre l’exemple de notre précédent tableau, si l’on ne peut relier le latin
vir au français homme, on peut en revanche le rapprocher de viril. Un travail
similaire doit être accompli systématiquement sur les langues « nilo-
sahariennes » que l’on peut connaître, et non seulement sur le nubien et le
nara comme on s’est contenté de le faire jusqu’à présent.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES

On s’étonnera sans doute de la modicité de ce chapitre, mais les progrès


des études méroïtiques sont bien plus conséquents dans des domaines qui
peuvent paraître secondaires, comme la typologie des textes ou l’origine des
signes, que sur ce qui constitue vraiment l’identité de la langue, à savoir son
système grammatical et son lexique. Il n’est pas possible actuellement de
présenter un aperçu d’ensemble de la grammaire méroïtique. Nos rares
certitudes se limitent à quelques règles dans la construction du syntagme
nominal, et tout le reste, notamment le système verbal, est l’objet
d’hypothèses souvent contradictoires, ce qui ne signifie pas qu’elles soient
sans valeur. C’est évidemment la prépondérance, au sein du corpus, des
épitaphes, où les éléments bien identifiés sont pour l’essentiel des titres, des
théonymes et des toponymes, qui a permis quelques avancées dans la
compréhension du groupe nominal. Mais ces textes funéraires sont
relativement pauvres en constructions verbales, et le nombre encore réduit
d’inscriptions officielles et royales ne comble pas cette carence. Aussi ne
trouvera-t-on ici qu’un « état des recherches sur la morphologie verbale »,
sans qu’aucun paradigme ne puisse malheureusement être établi. À l’échelle
de la phrase règne la même obscurité : il n’y a guère que dans les
propositions présentatives (« c’est / c’était x ») qu’apparaissent quelques
zones de relative clarté, que nous avons déjà partiellement présentées dans
l’examen de la structure des descriptions funéraires (cf. p. 96-127).

STRUCTURES GÉNÉRALES

Segmentation des éléments – Que sépare le séparateur ?


Le premier problème que posent au linguiste les textes méroïtiques est
celui de la segmentation des morphèmes et de la séparation entre les
syntagmes et les propositions. Bien des hypothèses erronées sont nées d’une
segmentation abusive des éléments et Hintze dénonçait la tendance qu’avaient
certains auteurs à découper le moindre mot en tronçons jusqu’à attribuer à
chaque syllabe une valeur de morphème ou de lexème (Hintze, 1979, p. 23-24).
498 LA LANGUE DE MÉROÉ

Il s’agit essentiellement d’une critique du travail d’Abdalla sur les noms


propres, où cette pratique est courante 1, mais on peut également trouver des
analyses de ce genre chez Priese : dans son étude de l’obscure épithète d’Isis
dans les invocations solennelles, wetneyineqeli, il dégage trois expressions
consécutives équivalant au verbe « être » : une copule y(e) , -ine « être »,
qe « être » (Priese, 1977a, p. 54). La plupart du temps, ces segmentations
injustifiées découlent de comparaisons faites sur un corpus limité de mots.
Comme le méroïtique ne compte que 60 syllabes graphiques 2, on peut
s’attendre à ce que certaines présentent une forte récurrence qui les a fait
parfois considérer comme des morphèmes. Semblablement, la brièveté de
certains lexèmes entraîne des ambiguïtés dans la segmentation : l’anthro-
ponyme Bekemete en REM 0098, 0106, 0107 doit-il être décomposé en Beke-
mete « Beke le Jeune », comme le pensent Millet et Hofmann, ou en Bekeme-
te « (qui est) à Bekeme (= Kawa ?) », comme l’avance Abdalla 3 ? Ici, on
privilégiera la première solution, parce que l’anthroponyme simple Beke est
attesté en REM 0089, alors que le toponyme *Bekeme n’est pas connu par
ailleurs. Mais dans d’autres cas, il est difficile de trancher et la méthode
préconisée par Trigger se heurte souvent au petit nombre d’attestations ou au
mauvais état des textes :
« Morpheme boundaries should be considered secure only where convincing
paradigms of variation can be drawn up and shown to apply in a systematic fashion
throughout the entire corpus of material that is available. » (Trigger, 1973a, p. 255)
Il est semblablement délicat de détacher les propositions. Dans le cas
des phrases non verbales, la place finale du prédicatif -lo ou -lowi permet
de définir des ensembles distincts, que Heyler et Leclant avaient
dénommés « stiches », du grec στíχος « ligne », « vers », et ceci « pour ne
pas préjuger de la nature de la structure ainsi isolée » (Leclant, 1974c,
p. 71). Heyler distingue ainsi des « stiches progressifs » et des « stiches
régressifs » 4. Les premiers correspondaient aux propositions présentatives
simples du genre « c’était un prêtre d’Amon », que l’on rencontre dans la
description individuelle (voir p. 111), et les seconds à celles que l’on
trouve dans la description relative (voir p. 117), comme « c’était le frère
d’un prêtre d’Amon ». Il est à peu près sûr maintenant que la distinction
entre ces deux constructions tient, non à leur structure générale, mais à la
présence d’un génitif antéposé dans le second, et l’on peut donc renoncer

1
Voir notamment Abdalla, 1979 ; Abdalla, 1988 et 1989a passim.
2
Le terme désigne ici tout signe consonantique nu (représentant phonétiquement
consonne + /a/) ou suivi d’un modificateur vocalique (e, i, o) : voir ci-dessus, p. 280-285.
3
Abdalla, 1999a. Le proscynème démotique Ph. 417 le transcrit comme un anthroponyme
simple sans que le nom de Kawa y apparaisse (cf. Burkhardt, 1985, p. 118).
4
Cf. Heyler, 1967, p. 117 ; Hintze, 1979, p. 17.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 499

au terme de « stiche », qui aura eu au moins le mérite de la prudence, pour


parler de véritables « propositions ».
Dans le cas des propositions verbales, il semble que la borne finale, dans
la plupart des cas, soit constituée par le verbe lui-même, équivalent du
prédicatif dans les propositions présentatives. Mais d’une part, on a des
exemples d’éléments de la proposition placés après le verbe (en REM 0405A
par exemple), et surtout, la morphologie verbale est trop mal connue. On sait
par exemple que les suffixes -to et -te sont fréquents dans les formes verbales
des stèles royales, mais il existe des morphèmes homographiques (-te,
postposition locative), et des substantifs terminés par les mêmes syllabes
graphiques (peseto « vice-roi »). Lorsque les lexèmes verbaux sont bien
connus, comme dans les formules de bénédiction funéraires, le découpage est
alors aisé. Lorsqu’en revanche, on a affaire à un mot inconnu, il est difficile
de savoir s’il s’agit véritablement d’une forme verbale, et donc impossible de
proposer une segmentation assurée de la proposition.
Heureusement, les Méroïtes nous ont généralement facilité la tâche en
utilisant un signe de ponctuation, le « séparateur » 1. Généralement composé
de deux points disposés verticalement dans la cursive, de trois dans l’écriture
hiéroglyphique, ce signe est néanmoins employé avec une surprenante
irrégularité selon les scripteurs. Dans les textes soignés, il sert en général à
délimiter des unités qui comprennent un mot et les morphèmes qui y sont
directement rattachés, comme les déterminants et les postpositions. Mais bien
des scribes plus négligeants se contentent de les placer entre les syntagmes,
voir entre les propositions. D’autres, plus pointilleux, vont jusqu’à isoler les
morphèmes, comme le -se du génitif analytique, le déterminant -leb du
pluriel, le suffixe -kete des verbes de bénédictions ou l’élément facultatif -wi
dans -lo(wi). On a même pensé que que certains scribes ont poussé la
segmentation jusqu’à dissocier des éléments selon leur étymologie,
notamment dans les emprunts égyptiens : ainsi le titre « vice-roi », peseto, est
écrit une fois pe:seto (REM 0329) où l’article égyptien p3 de l’étymon
supposé p3-s3-nsw « le fils royal » est détaché du reste du mot. Hofmann, qui
relève ces variations, constate ainsi à propos du séparateur :
« “Regeln” scheint es für seine Verwendung wohl nicht gegeben zu haben, und
es war offensichtlich dem Belieben des Schreibers anheimgestellt, wie intensiv er
davon Gebrauch machte. » (Hofmann, 1981a, p. 39-40)

Dans des textes offrant des passages identiques, comme REM 1090 et
1091 (linteau et stèle de Netemakher à Sedeinga 2), ou en REM 0094 à

1
Voir p. 258-259 pour l’origine du séparateur.
2
Cf. p. 139 pour les épitaphes de Netemakher.
500 LA LANGUE DE MÉROÉ

Kalabsha et 1228 à Qasr Ibrim (protocole royal), on peut constater pour les
mêmes syntagmes d’importantes divergences dans l’usage du séparateur :
REM 0094 REM 1228 1
mnote : se : lw : mnoteselw
ariteneliselw : ariteneliselw :
‚lbi : lise : lw : ‚lbiliselw :

Dans l’inscription de Kalabsha, la ponctuation est poussée à l’extrême


dans le premier segment, détachant totalement l’élément se 2, mais elle
l’associe au déterminant précédent dans le troisième segment. Dans le
deuxième, aucun séparateur interne n’est utilisé. Cette dernière option a été
généralisée dans le fragment REM 1228. L’exemple est certes tardif (début
du Ve siècle apr. J.-C.), mais on pourrait en produire de semblables pour les
époques précédentes : ainsi le nom de la reine Amanishakheto (vers le début
de notre ère) est écrit, parfois avec séparateur, parfois sans séparateur après
le théonyme Amni « Amon ». Il peut même se produire dans quelques rares
occasions que l’usage du séparateur ne réponde à aucune motivation
apparente. C’est sans doute le cas dans la forme aberrante an:t « prêtre », qui
apparaît en REM 0521, car une réminescence de l’étymon égyptien composé
∆m-ntr « prophète » n’expliquerait guère la coupure, qu’on aurait alors
attendue après le signe a 3. Comme on le voit, si le séparateur apporte
généralement une aide précieuse à la segmentation, il ne constitue pas un
argument irréfutable.

Bibliographie (les analyses de base sont indiquées en gras) :


Segmentation : Millet, 1973a, p. 32, 33, 36 ; Trigger, 1973b, p. 340-341 ; Leclant,
1974b, p. 112-113 ; Hintze, 1979, p. 23-26 ; Hainsworth, 1980, p. 23-24 (dans les
noms propres) ; Leclant, 1981-1982, p. 204.
Usage du séparateur : Griffith, 1912, p. 12 ; Zyhlarz, 1930, p. 423, 451 et note 63 ;
Macadam, 1966, p. 58-59 ; Heyler, 1967, note 45, p. 129 ; Trigger–Heyler, 1970,
p. 5-6, 42 et note h 154 ; Haycock, 1978, p. 61 ; Hintze, 1979, p. 17 ; Hofmann,
1981a, p. 39-40 ; Leclant, 1981-1982, p. 204 ; Edwards, 1994b, p. 24 ; Hofmann in
Török, 1997a, p. 127 ; Anderson–Grzymski, 1999, p. 461 et note 6 ; Rilly, 1999b note
3, p. 79, note 27, p. 84.

1
Cf. Edwards, 1994b, p. 24.
2
Voir ci-dessous, p. 535.
3
Il arrive également qu’une ponction dans la pierre puisse faire croire à la présence d’un
séparateur. C’est manifestement ce qui s’est produit en REM 1020, où Monneret de
Villard lit un séparateur dans *ted:~elowi « c’était l’enfant (de telle mère) » (Monneret de
Villard, 1960, p. 103). Un examen de la photo (id. pl. XXVIIc) révèle un éclat dans la
pierre à cet endroit, ce qui donne l’impression d’un séparateur. Cette lecture a été utilisée
par Trigger, 1968 pour une interprétation probablement fausse des termes de parenté
(voir note 2, p. 309).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 501

Typologie générale de la langue méroïtique

Le méroïtique, langue « agglutinante » ?

Griffith avait dès Karanóg défini le méroïtique comme « agglutinant, sans


genre, avec des postpositions et des suffixes en guise de flexions », toutes
caractéristiques qu’il partageait avec le nubien (Griffith, 1911a, p. 22). Il
reprenait ainsi les grandes classifications typologiques du XIXe siècle,
initiées par le linguiste allemand Wilhelm von Humboldt.
Selon ce système, les langues dites « agglutinantes » juxtaposent lexèmes
et morphèmes selon un strict principe de décomposition des caractéristiques
morphologiques (par ex. le turc). Elles s’opposent aux langues « flexion-
nelles » où les éléments ne sont pas immédiatement décomposables (par ex.
le latin), aux langues « isolantes » qui font se succéder de manière totalement
indépendantes des morphèmes et lexèmes invariables (par ex. le chinois), et
aux langues « incorporantes » qui fondent lexèmes et morphèmes en unités
indivisibles (par ex. l’eskimo). Ainsi dans une langue de type « agglutinant »,
les formes conjuguées des verbes sont prévisibles en fonction des éléments
qui les composent, contrairement aux langues flexionnelles où
l’apprentissage de nombreuses conjugaisons est nécessaire. Par exemple, en
lingala, langue véhiculaire bantoue de la république démocratique du
Congo, la connaissance des racines verbales -zal- « être » et -land-
« suivre », du préfixe na- (1re pers. sg.) et du suffixe -í (perfectif) permet
immédiatement de créer des formes comme nazalí « je fus » ou nalandí « je
suivis », ce qui n’est évidemment pas le cas en français, où la conjugaison est
éminemment « flexionnelle ».
On a depuis lors critiqué abondamment ce système 1, d’une part parce
qu’il avait été utilisé pour créer une hiérarchie parmi les langues, d’autre part
parce qu’aucune langue ne présente un type « pur », et enfin parce qu’il
faudrait savoir ce que l’on entend exactement par « mot ». Assez récemment
cependant, cette typologie a été reprise par B. Comrie dans Language
Universals and Linguistic Typology (Comrie, 1981), débarrassée d’un certain
nombre des défauts qui entachaient l’ancienne classification 2. Il propose en
substance un système classé selon deux axes : un « indice de fusion », élevé
dans les langues flexionnelles, bas dans les langues agglutinantes, et un
« indice de synthèse » (nombre de monèmes par mot), élevé dans les langues
incorporantes, bas dans les langues isolantes (op. cit. p. 43-49). Bien que l’on
puisse encore rester dubitatif devant le second paramètre, l’idée d’un indice de

1
Voir notamment Hagège, 1982, p. 7-9.
2
Il suit en cela les travaux de Sapir et de Greenberg.
502 LA LANGUE DE MÉROÉ

fusion paraît un élément typologique intéressant, qui correspond assurément à


une réalité, et dont on aurait manifestement tort de se priver. Il convient
néanmoins de signaler que cet indice peut varier suivant le domaine
morphologique auquel on a affaire (ainsi le système verbal latin présente un
indice de fusion assez bas, alors qu’il est particulièrement élevé dans la
déclinaison des noms), et qu’il a tendance à se modifier dans un sens ou dans
l’autre avec le temps (le système verbal français est clairement plus fusionnel
que son ancêtre latin, alors que l’on constate une évolution inverse de l’anglo-
saxon à l’anglais moderne).
Dans le système nominal méroïtique, l’indice de fusion semble très bas. On
relèvera notamment la régularité exceptionnelle du pluriel, marqué
systématiquement par le déterminant -leb, sans que l’on ait pu actuellement
repérer un autre morphème de même rôle (cf. p. 531-532). Rares sont les
accidents phonétiques, comme qor(e)b- « les souverains » 1, assimilation pour
qore-leb, attesté lui aussi, ou mlomrteb « les citoyens (?) », par application de la
loi de Griffith (cf. p. 415) pour *mlomrse-leb. Pareillement le génitif analytique
singulier de tous les substantifs est en -li-se, avec le déterminant -li servant de
support à la postposition -se « de ». Ici, certes, il est fréquent que la loi de
Griffith change la séquence -se en -t notamment devant le prédicatif -lo(wi),
mais cela ne retire rien à la régularité de la formation. On pourrait en dire autant
du locatif (postposition -te). De façon générale, si l’on met de côté les effets de
la loi de Griffith, la structure du groupe nominal est d’une grande régularité et
d’une remarquable transparence, comme le montre cet exemple :
ame[ro] / Mnp / Pedeme / -te / -li / -se / -lo
amero / Amanap / Primis / dans / celui / de / c’était
C’était un amero (titre) d’Amanap, celui (qui est) à Primis (REM 1076)
Il n’en va pas de même pour les formes verbales qui restent en bonne
partie hermétiques en raison de leur complexité et de la variété extraordinaire
qu’elles présentent, même en contexte similaire, comme dans les
bénédictions des épitaphes 2. L’une des causes principales de ce problème
réside dans l’abondance des accidents de frontière, comme les assimilations.
Il faut cependant remarquer que le phénomène n’est pas systématique, du
moins dans l’écriture, puisque les graphies assimilées et non assimilées
coexistent 3. On trouve ainsi à même époque la forme verbale de bénédiction
B avec assimilation : p-ƒ-te (REM 0277/7-8), et sans assimilation : pso-ƒe-
kete (REM 0276/6-7), ce qui semble indiquer que le découpage exact des

1
La vocalisation n’est pas sûre : on attendrait *qoreb, mais le terme n’est actuellement
attesté que dans le génitif qorb-se « celui (= serviteur) des rois », où la modification du
schème vocalique est peut-être due à l’ajout de la postposition génitivale -se.
2
Voir ci-dessous, p. 561.
3
Cf. p. 414-415.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 503

complexes verbaux était toujours présent à l’esprit des scripteurs, alors même
qu’il était souvent brouillé dans la prononciation courante. La nature
« fusionnelle » du verbe méroïtique doit donc être nuancée.
La définition du méroïtique comme langue « agglutinante » par Griffith
semble donc globalement confirmée : les formes construites présentent un
« indice de fusion » particulièrement bas, malgré des accidents de frontières
apparemment réversibles ou en tout cas trop récents pour avoir effacé la
structure originelle.

Absence de genre

Il n’y a pas de genre grammatical en méroïtique. Les tentatives pour


établir une distinction de ce type, notamment celles de Zyhlarz, ont pu
systématiquement être battues en brèche (cf. p. 462-464). Si pour une raison
particulière, les Méroïtes avaient besoin de préciser que tel substantif
s’applique à un être féminin, ils le faisaient suivre du mot kdi « femme ». On
trouve ainsi mkdi « déesse » 1, une forme avec haplographie pour mke /mak/
« dieu », « déesse » (ancien mk /maka/) suivi de kdi. On peut également noter
mtekdi « petite fille » (REM 0094) pour mte « enfant », « petit », suivi du
même kdi. Mais cette formation est relativement peu fréquente, parce qu’il
était rarement nécessaire d’apporter une telle précision.
Dans les anthroponymes, il semble que le suffixe -r soit caractéristique
des noms masculins, mais en son absence, il nous est impossible de savoir si
la personne désignée est un homme ou une femme. Il se peut même que
certains noms royaux habituellement présentés comme masculins désignent
en fait des reines 2. Dans les épitaphes des particuliers, il est souvent difficile
de connaître le sexe du défunt : il faut pour cela que l’anthroponyme
comporte un -r final, ou qu’apparaissent des termes de parenté comme
kdise / kdite « sìur », wi « frère », ste « mère », ou encore que des titres
connus comme spécifiquement masculins soient mentionnés. Hofmann a
essayé à plusieurs reprises 3 de reprendre la distinction de Zyhlarz entre un
suffixe ye- masculin et un suffixe te- féminin dans les formules de filiation
des inscriptions funéraires de la Dodécaschène. Elle pense qu’il s’agirait

1
Hapax en REM 0123. On trouve en REM 1323 et 1333 la var. mkde dans le groupe mkde
Tmne-te : « la déesse (qui est) à Tamane », désignant Hathor.
2
Cf. Macadam, 1966, p. 46.
3
Hofmann, 1975, p. 19 ; Hofmann, 1979, p. 28-29 ; Hofmann, 1989-1990, p. 232 ; et
Hofmann in Török, 1997a, p. 279. La même idée se trouvait déjà chez Schuchardt, 1913,
p. 180, à propos des mêmes préfixes : « Kurz ich empfange den Eindruck daß zwei
verschiedene Systeme sich gekreuzt haben, von denen das eine vielleicht in einer
fremder Sprache wurzelt. »
504 LA LANGUE DE MÉROÉ

d’une influence de la langue des Blemmyes, ancêtre probable de l’actuel


bedja, où justement le préfixe verbal de la 3e pers. du sing. est au masculin e-
/ i-, et au féminin correspondant te- / ti-. Mais d’une part cette hypothèse
peut tomber sous les mêmes accusations d’inconsistance que celles faites en
leur temps aux travaux de Zyhlarz par Hintze 1, et d’autre part, de semblables
alternances ye- / te- apparaissent sur des épitaphes récemment retrouvées
dans l’île de Saï (REM 1241, 1249, 1273), non loin de la troisième cataracte,
où la présence de Blemmyes paraît fort douteuse.
Dans le domaine pronominal, certaines langues par ailleurs dépourvues
de genre marquent une distinction (le daju du Darfour par exemple). Tel n’est
apparemment pas le cas du méroïtique, où l’on constate une parfaite
ambivalence sur le seul élément qui nous soit connu, le pronom personnel ou
démonstratif qo / qe, indifféremment utilisé pour des hommes ou des
femmes.
Bibliographie (les études principales sont en gras) :
Griffith, 1909, p. 54 ; Griffith, 1911a, p. 22, 25, 38 ; Schuchardt, 1913, p. 180 et note 1 ;
Zyhlarz, 1930, p. 427, 437, 459 ; Hintze, 1955, p. 358-361 ; Zyhlarz, 1956, p. 13,
note 27 ; Vycichl, 1958, p. 76, 79 ; Zyhlarz, 1960, p. 739-740, p. 751 et note 19 ;
Macadam, 1966, p. 46 ; Hofmann, 1975, p. 19 ; Hofmann, 1979, p. 28-29.

Ordre des mots


L’ordre des mots est un élément de la typologie des langues qui a fait
l’objet de nombreuses études dans les dernières décennies 2. Mais ici aussi
(cf. note 2, p. 399), on ne peut parler qu’en termes de tendances et non de
généralités. De plus, nos clartés sur le méroïtique sont trop partielles pour
que soyons à même de citer toutes les structures de base : ainsi n’avons-nous
aucune idée de la construction des questions, de la négation, de l’anaphore, et
un seul exemple, peu sûr, de relative.
L’ordre habituel de la phrase semble SOV 3. Les seules phrases dont la
structure soit élucidée sont à l’impératif, et ne présentent donc pas de sujet.
On y trouve l’ordre OV (voir ex. p. 193). Mais comme l’ordre de base OVS
n’est actuellement connu que dans quelques langues du bassin de l’Amazone
et que l’ordre OSV est jusqu’ici non attesté 4, seul l’ordre SOV semble

1
Cf. Hintze, 1955, p. 358-361.
2
Notamment Greenberg, 1966a (ouvrage de base) ; Theo Venneman, « Analogy in genera-
tive grammar, the origin of word-order », Proceedings of the Eleventh International
Congress of Linguists, édité par Luigi Heilman, Bologne, 1972, 2, p. 79-83 ; Hawkins,
1979 (utilisé par Hintze, 1989) ; Comrie, 1981, p. 80-97 ; Hawkins, 1983. Pour un
examen critique de ces travaux, voir Hagège, 1982, p. 56.
3
Cf. ci-dessus, p. 457. Cet ordre fondamental est déjà proposé par Hintze, 1989, p. 97 et
note 4.
4
Cf. Comrie, 1981, p. 6, 81-82.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 505

plausible pour le méroïtique. On notera cependant que nous possédons au


moins une inscription méroïtique où l’on trouve apparemment V1OV2S
(REM 0405A) sans que l’on puisse préciser davantage la corrélation des
deux verbes, et qu’en REM 1182 et 1183, Millet suppose une structure SVO
dans un passage détaillant une liste de présents 1.
Semblablement, on ne connaît en méroïtique que des postpositions
(abrégé en « Po » chez Greenberg), et aucune préposition, que ce soit pour le
génitif analytique (postposition -se) ou les divers compléments de lieu
(postposition -te pour le locatif, -k(e) pour l’origine, etc.). L’adjectif suit le
nom qu’il qualifie (ordre NA). Le problème principal est celui de la place du
génitif. On a jusqu’à présent considéré le génitif analytique en -se, postposé
au nom régissant (ordre NG) comme le seul existant, mais il nous semble sûr
qu’il faut supposer l’existence d’un autre type de génitif antéposé (ordre
GN), sans morphème spécifique, pour comprendre la structure des
expressions de parenté 2. La question se pose de savoir alors quelle forme de
génitif doit être considérée comme primaire. Si l’on estime, comme Hintze,
que ce doit être le génitif postposé, le méroïtique est une langue qui présente
les caractéristiques SOV / Po / NG /NA, ce qui correspond au type 21 de
Greenberg 3, représenté par le sumérien 4, l’élamite, l’oromo, le kanouri, le
teda, le ladakhi (sino-tibétain) et quelques langues du sud-est de l’Australie.
Si l’on considère, comme nous le pensons, que le génitif antéposé est la
forme de base, le génitif analytique correspondant à une formation
secondaire originellement de sens spatial, le méroïtique offre une structure
beaucoup plus courante, de type SOV / Po / GN /NA, le n° 24 de Greenberg,
comme entre autres le nubien, le basque, le hourrite, le kunama, le fur, le
bambara, le tibétain, et la plupart des langues australiennes 5. On remarquera
que dans les deux cas, le méroïtique est situé avec d’autres langues nilo-
sahariennes septentrionales 6, le kanouri et le teda du Tchad (type 21), ou le
nubien et le fur du Soudan, ainsi que le kunama de l’Érythrée (type 24), ce
qui paraît plutôt rassurant, quelle que soit l’origine de cette similitude,
génétique ou aréale.
Si l’on suit les « universaux » proposés par Greenberg, 1966a, tout en
gardant à l’esprit que des exceptions sont possibles, cette classification
typologique du méroïtique permet de faire quelques « prédictions » sur les

1
Millet, 1982, p. 72 et 76. Voir ci-dessus, p. 145, où nous proposons une interprétation
différente de type SOV.
2
Voir ci-dessous, p. 520-523 et Rilly, 2000c, p. 106 et note 17.
3
Greenberg, 1963a, Appendix II p. 108-110, repris par Hawkins, 1983, p. 283-287.
4
Il convient de noter que le sumérien possède également un « génitif anticipé » avec
reprise par un possessif (cf. Thomsen, 1984, p. 91-92).
5
Hawkins, 1983 cite 50 langues dans le type 24.
6
Les langues nilotiques sont de type 1 (VSO/Pr/NG/NA) ou de type 9 (SVO/Pr/NG/NA).
Le songhai (voir ci-dessus, p. 476) est de type 16 (SVO/Po/GN/NA).
506 LA LANGUE DE MÉROÉ

structures que nous ne connaissons pas encore. Ainsi les modificateurs


adverbiaux du verbe devraient prendre place devant 1 ce dernier (Universal
7), la place des interrogatifs n’est pas prévisible (Universal 12), les formes
verbales subordonnées à un verbe principal devraient précéder ce dernier
(Universal 13), et les éventuelles formes auxiliées précéder également leur
auxiliaire 2 (Universal 14). On remarquera que l’Universal 23 3 confirme
notre interprétation du génitif antéposé comme forme de base. En revanche,
l’Universal 41 qui prédit l’existence d’un système casuel dans les langues de
type SOV 4 ne semble pas vérifié dans le cas du méroïtique : on consultera
par exemple le Tableau 6, p. 183, où le syntagme nominal ne semble pas
porter la marque régulière d’accusatif qu’on aurait attendu dans ce cas.
Il existe cependant en méroïtique un domaine où les règles habituelles de
succession des éléments syntaxiques semblent souvent bouleversées : les
anthroponymes. C’est notamment le cas des noms de souverains. Ainsi
comment se fait-il que l’élément ntk / ntke / ntki, qui apparaît dans les
bénédictions royales comme substantif, où il désigne un don divin aux
souverains, figure en tête, suivi du théonyme Amon, dans le nom du roi
Natakamani (Ntk-mni) ? S’il s’agit ici d’un verbe sur la même racine, il
devrait figurer en dernière position. S’il s’agit d’un adjectif, il devrait suivre
le nom d’Amon. Enfin, s’il est substantif, comme habituellement, il désigne
très probablement une qualité du dieu. On attendrait donc que le théonyme
Mni soit suivi de la postposition génitivale -se (génitif analytique postposé),
ou bien qu’il précéde le substantif (génitif antéposé). De nombreuses
hypothèses sont envisageables, dont l’imitation d’une structure égyptienne du
type N~t-Õmn « il est fort, Amon ! ». Quoi qu’il en soit, les anthroponymes ne
sont pas plus en méroïtique qu’en égyptien représentatifs de l’ordre
syntaxique courant.
Bibliographie (les études détaillées sont en gras) :
Griffith, 1911a, p. 23 ; Zyhlarz, 1930, p. 459 (adjectif), 450 (verbe) ; Millet, 1969
(nombres) p. 393, 397-398 ; Vycichl, 1973a, p. 57-58 (nom + déterminant + marque
du pluriel) ; p. 58-59 (nom + nom régi + marque de génitif) ; Millet, 1977, p. 319
(S + O + O’ + V) ; Millet, 1982, p. 72 et 76 (structure SVO en 1182 et 1183 ?) ;
Abdalla, 1989a, p. 16-28 (SOV p. 17) ; Hintze, 1989, p. 97-98 et note 4, p. 104 ;

1
Ces termes « devant » et « après » sont généralement bannis du vocabulaire actuel des
linguistes : nous les conservons cependant en raison des ambiguïtés dues au sens
d’écriture du méroïtique, inverse du nôtre : un morphème placé « avant » est à gauche en
translittération, un morphème placé « après » est à droite.
2
Voir ci-dessous, p. 554.
3
« With much better than chance frequency, if the common noun usually precedes the proper
noun, the dependent genitive precedes its governing noun. » (Greenberg, 1963a, p. 90)
4
Greenberg précise bien : « There are a few marginal cases or possible exceptions. » (ibid.
p. 98)
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 507

Abdalla, 1986, p. 7 et note 14, p. 18 (ordre VSO dans les verbes composés [?]) ; Rilly,
2000c, p. 106 (place du sujet).

PROBLÈMES D’IDENTIFICATION DES CATÉGORIES


GRAMMATICALES

Il n’est pas dans notre intention de développer ici une théorie des
catégories grammaticales qui fasse écho aux nombreuses discussions entre
linguistes sur la distinction entre noms et verbes, noms et adjectifs, etc., et
ceci pour deux raisons. D’une part notre compréhension du méroïtique est
actuellement trop réduite pour que nous puissions y appliquer un travail de ce
genre, et d’autre part le but primordial que se sont fixé les méroïtisants reste
la traduction des textes, ce qui n’oblige pas à une parfaite correspondance
entre les moyens grammaticaux utilisés par les Méroïtes et les catégories
existantes dans la langue d’arrivée. Bien évidemment, il ne s’agit pas pour
autant de calquer aveuglément sur le méroïtique les catégories de la
grammaire des langues occidentales, et nous nous réservons, le cas échéant,
la possibilité de discuter du bien-fondé de certaines distinctions, notamment
entre nom et adjectif, qui ne semblent pas toujours pertinentes en méroïtique.
Nous avons utilisé, dans les pages qui vont suivre, une nomenclature
traditionnelle, de précision moyenne, qui semble néanmoins représenter les
éléments constitutifs de la plupart des langues, notamment africaines (cf.
Creissels, 1991) : noms propres (anthroponymes, théonymes, toponymes,
ethnonymes), substantifs, déterminants, adjectifs, postpositions, prédicatif(s),
pronoms, verbes, adverbes, conjonctions 1.
Il importe également d’indiquer quels sont actuellement nos moyens
d’identification, hélas souvent insuffisants. Le repérage des noms propres se
fait essentiellement sur des critères sémantiques : on sait que les anthro-
ponymes interviennent dans la nomination et la filiation des épitaphes. En
dehors de ces textes, s’ils ne contiennent pas d’éléments qui les désignent
comme tels 2, il est très difficile de les identifier. Il est par exemple assez
fréquent (15 % des cas selon Hainsworth, 1980) qu’ils se terminent par le
déterminatif -l(i), ce qui peut les faire passer pour des substantifs. Les
théonymes, outre ceux qui ont été empruntés à l’égyptien, peuvent être
repérés par leur utilisation au génitif analytique (postposition -se) à la suite
de titres identifiés clairement comme sacerdotaux (ant « prêtre », beliloke
« grand-prêtre [?] », etc.). Les toponymes ne sont identifiables que s’ils sont
1
Ces deux dernières catégories ne comptent actuellement que quelques mots dont
l’identification est totalement hypothétique. Ainsi, dans notre « lexique » figurent seule-
ment les adverbes supposés asy, atmi, dik, -k, krekre, mroso, sdk, tmot, wido, et les
conjonctions supposées ky, seb, yesebe. Pour kelkeni, kelw voir p. 570-571.
2
Cf. Hainsworth, 1980 pour la liste de ces éléments. On citera notamment le suffixe -ye,
qui à époque tardive, devient systématique.
508 LA LANGUE DE MÉROÉ

suivis de postpositions spatiales comme -te ou -k(e), et encore faut-il se


méfier des morphèmes homonymiques, comme le suffixe verbal d’impératif
-te. Qu’il s’agisse des théonymes comme des toponymes, ils peuvent aussi
être suivis du déterminant -l(i) dans certains cas 1, les théonymes lorsque le
nom de la divinité est en fait un qualificatif (cf. « l’Éternel » dans la Bible),
les toponymes apparemment quand ils désignent un territoire. Les ethno-
nymes, actuellement tous hypothétiques, se trouvent notamment dans les
inscriptions d’exécration (cf. p. 214-215).
Pour ce qui est des substantifs, c’est la présence du déterminatif -l(i) à
leur suite qui constitue le principal moyen d’identification. Mais comme nous
l’avons précédemment évoqué, des confusions sont possibles avec les noms
propres.
Les adjectifs sont placés après le substantif, et s’ils terminent le syntagme
nominal auquel ils appartiennent, ils peuvent être suivis par le déterminant ou
les postpositions. Nous n’avons presque aucun moyen de distinguer un
adjectif d’un nom apposé 2, et il semble bien que plusieurs adjectifs puissent
devenir des substantifs 3, à moins que le cheminement ne soit inverse, ou tout
simplement que la distiction entre ces deux types de mots soit fallacieuse en
méroïtique.
Les postpositions s’attachent aux noms propres et aux substantifs, qui
sont en ce cas toujours suivis du déterminant –l(i).
Trois catégories, les déterminants, les prédicatifs et les pronoms, sont en
nombre réduit. Parmi les premiers, ceux qui sont identifiés comportent un -l
initial, suivi de voyelles variables : on a ainsi -l et sa variante tardive -le, la
forme suffixée -li, le pluriel -leb. Il existe comme partout des quantificateurs
(« tous », « chaque », etc.), mais aucun n’a encore été repéré. Les prédicatifs
sont -lowi, parfois abrégé en -lo (pluriel -lebkwi) 4, et -qo-wi, parfois abrégé
en -qo (variante -qe).
Enfin, le verbe est généralement repérable à sa place finale, lorsque la
proposition peut être isolée, et à une série de préfixes et de suffixes
repérables surtout dans les formules de bénédictions. Mais il semble que
certaines formes utilisent le prédicatif -lo(wi) comme auxiliaire 5, ce qui peut
entraîner des confusions avec les substantifs. De plus, il est probable que
nous ne connaissons qu’une partie des affixes existants, si bien que certaines
formes verbales nous échappent.
L’imprécision de ces moyens, pourtant les seuls dont nous disposons
actuellement, n’échappera à personne. Elle explique pourquoi il existe tant de
1
Ainsi Aritene, nom secondaire d’Amon (?) et Arome « Empire Romain ».
2
C’est le cas par ex. du terme akroro ; voir p. 513-514.
3
Ainsi lƒ, « grand » et mlo « bon » sont utilisés parfois comme titres.
4
Nous proposons ci-dessous (voir p. 545) une nouvelle segmentation de cet élément
(déterminant + -owi, pluriel -kwi).
5
Voir ci-dessous p. 554.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 509

divergences sur la nature de bien des éléments. Ainsi les termes de parenté
(ste « mère », kdise / kdite « sœur », wi « frère », etc.) ont longtemps été
considérés par Hintze comme des verbes (« être mère », « être sœur », « être
frère »), parce que l’existence du génitif antéposé n’était pas clairement
reconnue. Semblablement un grand nombre de termes sont considérés
comme des anthroponymes par certains, comme des substantifs par d’autres.
Ici, c’est avant tout l’accroissement du corpus et son exploration
systématique qui permettra de départager les avis.
Bibliographie (il s’agit de courtes remarques, aucune étude détaillée n’existant
sur la question) :
Trigger–Heyler, 1970, note h 95, p. 34 (titres / anthroponymes) ; Priese, 1971, p. 275
[1.3], p. 281 (« verbes » de parenté ?) ; Hintze, 1977a, p. 29 (idem) ; Haycock, 1978,
p. 64 (distiction noms / substantifs / adjectifs) ; Hofmann, 1980b, p. 49-50 (distinc-
tion verbes / anthroponymes dans les « inscriptions de travaux ») ; Hofmann, 1981a,
p. 121 [179] ; Hofmann, 1981c, p. 7 (titres / anthroponymes) ; Hofmann et al., 1989a,
p. 150 ; Hofmann, 1991, p. 132 ; Abdalla, 1991, p. 80.

LE SYNTAGME NOMINAL

La construction du syntagme nominal est le seul domaine de la


grammaire méroïtique actuellement assez bien connu, en raison de son
utilisation à vaste échelle dans les « descriptions » des épitaphes (cf. p. 106-
127). Une de ses caractéristiques les plus remarquables est l’existence d’une
structure à « enchâssements » 1, où aux lexèmes alignés dans la première
moitié du syntagme répondent en miroir, dans la seconde moitié, les
morphèmes qui définissent leur rôle :
2
beloloqe / Wos / -se / -leb
[ lex1 [ lex2 morph2 ] morph1 ]
(génitif) (dét. plur.)
grand-prêtre (?) / Isis / de / des
« des grands-prêtres (?) d’Isis » (REM 1057/9)

ant / Mnp / Bedewi / -te / -li / -se


[lex1 [ lex2 [ lex3 morph3 ] morph2 ] morph2bis]

1
Dans la grammaire sumérienne, qui connaît également ce phénomène, on parle de
« chaînes nominales ». L’ordre des éléments est d’ailleurs similaire comme le montre cet
exemple : /é šeš lugal-ak-ak-a/, littéralement « maison-frère-roi-de-de-dans », soit :
« dans la maison du frère du roi » (Thomsen, 1984, p. 91). Dans le domaine « nilo-
saharien », on trouve de telles « chaînes » en moru, langue soudanique centrale (voir
un exemple chez Hagège, 1982, p. 60) et dans une moindre mesure en vieux-nubien.
2
On a rétabli la succession étymologique -se-leb, écrite -teb conformément à la loi de Griffith.
510 LA LANGUE DE MÉROÉ

(locatif) (dét. sing) (génitif)


prêtre / Amanap / Méroé / dans / celui / de
« prêtre d’Amanap, celui (qui est) à Méroé » (REM 0521/5-8)
L’ordre des éléments dans ces syntagmes « à enchâssements » est régulier :
le substantif principal occupe la première place et il est éventuellement suivi de
l’adjectif ou d’une apposition, qui peut être un autre substantif ou un
anthroponyme. Ensuite vient son complément, génitif analytique (suivi de la
postposition -se) ou locatif (suivi de la postposition -te). Le syntagme se clôt
alors par le déterminant du substantif principal, -l(i), ou par le prédicatif sous la
forme -lo(wi), qui contient d’ailleurs sans doute un déterminant, comme nous le
verrons ultérieurement 1.
Nous nous proposons maintenant d’étudier chacun de ces éléments, en
commençant par le déterminant qui assure le plus souvent leur liaison.

Le déterminant
Ce que nous appelons ici « déterminant » est principalement l’élément
suffixé -l ou -li, pluriel -leb. Nous préférons cette dénomination au terme
« article » habituellement employé par les méroïtisants, car elle évacue le
débat autour d’une valeur « définie » ou « indéfinie », qui, nous le verrons,
semble inopérante dans cette langue. Il est certain que d’autres déterminants
existent, et plusieurs éléments récurrents dans les textes pourraient avoir cette
nature. Mais il ne s’agit que d’hypothèses encore vagues et fragiles sur
lesquelles nous reviendrons en fin de section.

Revue des théories

Le déterminant -l(i) a été le premier morphème identifié en méroïtique, et


cela même avant le déchiffrement de Griffith. Ainsi Brugsch avait remarqué
la présence fréquente dans les textes hiéroglyphiques du signe du lion, lu l en
égyptien tardif, en fin de séquence écrite verticalement. Il lui accordait, par
comparaison avec le nubien, une valeur participiale (Brugsch, 1887, p. 30-31
et 91). Griffith, dans Karanóg, ne devina pas exactement la nature de ce
morphème : constatant qu’il intervenait dans les descriptions funéraires
relatives du type peseto-l yetmde-lowi « il était parent (neveu ?) d’un vice-
roi », il pensa à un « connective » (Griffith, 1911, p. 23), semblable au n / na
du génitif en vieux-nubien, tel qu’on le trouve par exemple dans maëan-na

1
Pour plus de détail sur les structures attestées de ces syntagmes nominaux à « enchâs-
sement », on se reportera aux pages 108-127, et notamment aux Tableaux 4 et 5.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 511

kakkanik- « les rayons du soleil » 1. C’est Meinhof qui le premier parla


d’« article » (Meinhof, 1921-1922, p. 5), sans pour autant s’étendre
davantage sur le rôle de cet élément. Zyhlarz reprit l’hypothèse, tout en
insistant sur l’aspect de déterminant et en établissant un nouveau parallèle
phonétiquement plus satisfaisant avec le vieux-nubien, où un suffixe -l
apparaît justement au nominatif et devant certaines postpositions (Zyhlarz,
1930, p. 459). Dans les travaux suivants, le méroïtique -l(i) fut
universellement considéré comme l’article défini (cf. par ex. Vycichl, 1958,
p. 76). La première étude de quelque ampleur consacrée au déterminant fut
publiée par Heyler dans le Bulletin du Groupe linguistique d’études chamito-
sémitiques sous le titre « “Articles” méroïtiques » (Heyler, 1967). En dépit de
la conclusion très prudente, l’argumentation comportait quelques hardiesses
qui devaient se révéler justes, et notamment la valeur prédicative de
l’élément -lo(wi), jusqu’alors plus ou moins considéré comme une variante
du déterminant en fin de proposition, à valeur éventuellement participiale
(Hintze, 1963a, p. 2-3 et notes 7 et 8). Une deuxième étude détaillée fut
menée par Hintze dans la revue soviétique ;,D@^ (Hintze, 1977a, p. 26-
32) 2, mais la discussion était encore plus ou moins grevée par des problèmes
de traduction, les spécificités des langues occidentales (article défini ou
indéfini ?) étant prises pour des universaux. L’analyse ensuite menée par le
même Hintze dans ses Beiträge zur meroitischen Grammatik est autrement
plus élaborée. Il y définit en effet trois fonctions pour l’élément -l(i) : « (a)
unbestimmten Artikel (b) Nominalieser und (c) Satzteilbildner » (Hintze,
1979, p. 34). En réponse à l’objection de Priese, qui voyait là trois éléments
différents (Priese, 1979, p. 118-129), il replaçait le rôle de -l(i) sur le plan
syntaxique, et non sémantique :
« Auf jeden Fall zeigt die gesamte Diskussion recht deutlich, daß die Frage der
semantische Determinierung hier besser aus dem Spiel bleiben sollte ; diese wird
im Meroitischen offensichtlich nicht ausgedrückt, jedenfalls nicht durch -li. Mit
anderen Worten : ant bedeutet “Priester, der Priester, ein Priester” und ant-li hat
dieselben Bedeutungen ; wann ant und wann ant-li steht, ist eine Frage der
meroitischen Syntax, nicht eine Frage der Semantik. » (idem, p. 198)

La même idée est enfin reprise par Hofmann, 1981a, p. 331-332 3. Elle
cantonne de plus le rôle de -li à la démarcation et à la détermination, soit aux
valeurs (a) et (c) de Hintze, sans relever un rôle de « nominalisant » qui, dans
la définition de Hintze, reliait encore -li à -lowi. La séparation complète de
1
Cf. Browne, 1989a, p. 13-15.
2
La rédaction de l’article date de 1971, ce qui explique l’importante évolution que marque
Hintze, 1979 en ce domaine.
3
Voir également Rilly, 1999b, p. 85 : « Il ne s’agit plus de savoir si on a affaire à un
article défini ou indéfini (c’est une question de traduction dans telle ou telle langue),
mais de préciser les constructions où son emploi est régulier. »
512 LA LANGUE DE MÉROÉ

ces deux morphèmes chez Hofmann conclut un cheminement commencé par


Heyler : -l(i) détermine le substantif, tandis -lo(wi) le prédique.

Les formes du déterminant

La forme la plus simple du déterminant est -l , phonologiquement /la/. À


époque tardive apparaît une graphie -le où il semble que le /a/ se soit affaibli
en [Œ], et peut-être finalement amuï en finale atone 1 : -le doit donc se lire /lŒ/
ou /l/. Mais il reste minoritaire face à la graphie traditionnelle -l, qui pourtant
ne correspondait sans doute plus à la prononciation effective des derniers
siècles de Méroé.
Il existe une forme longue du déterminant -li, où il semble que s’est
adjoint à -l un suffixe -i de valeur incertaine. Dans ce cas, elle correspond
probablement à une prononciation diphtonguée 2 /laMi/.
Le pluriel est uniformément -leb. Hintze considère qu’il est issu par
adjonction d’un morphème b /ba/ à la forme longue -li, sans fournir plus
d’explications. Si l’on suit son raisonnement, il se serait apparemment
produit une évolution /li/ + /ba/ > /lŒba/ (Hintze, 1979, p. 194). Si la
réalisation /laMi/ que nous suggérons pour -li est exacte, ce scénario semble
improbable. Ou bien -leb est issu de -li et il se serait produit une
monophtongaison du /aMi/ en /e/ : /laMi/ + /ba/ > /leba/, effectivement écrit -
leb 3 ; ou bien -leb provient du déterminant simple -l et il faut reconstituer
une évolution /la/ + /ba/ > /lŒba/ avec affaiblissement en schwa de la voyelle
interne. La seconde solution semble plus simple, mais elle suppose que
l’affaiblissement vocalique, dont l’extension massive date du Ier siècle de
notre ère, est un phénomène encore plus ancien en méroïtique, puisque les
premiers textes connus ont déjà -leb.
D’autres formes du déterminant sont connues à la suite de certains
substantifs ou syntagmes nominaux : -l‚e, -lke et surtout -lw. Il est possible
que -l‚e corresponde au déterminant simple -l, suivi d’une postposition -‚e
attestée par ailleurs. La forme -lke peut être soit une variante de -l‚e 4, soit un
composé incluant la postposition -ke, qui marque apparemment l’origine.
Semblablement, -lw pourrait contenir une postposition -w, et telle est du
moins l’hypothèse de Priese 5 et la nôtre. Ces identifications sont tout à fait
possibles, car l’on verra que le déterminant est obligatoire entre un substantif

1
Pour ce processus phonétique, voir p. 30-31. Comme l’essentiel du contenu de cette
section, il s’agit d’une hypothèse personnelle.
2
Voir ci-dessus, p. 296-297.
3
Pour les trois valeurs du signe e, voir p. 398-401.
4
L’alternance ‚ / k est connue par exemple dans les textes d’Arminna, où les verbes de
bénédictions t‚ et ‚r apparaissent sous les formes tk et kr.
5
Priese, 1971, p. 285 [1.44].
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 513

et une postposition. Mais elles ne vont pas sans difficultés, puisqu’il est
fréquent que dans des passages similaires, on ait indifféremment -li et -l‚e
(bénédiction G 1), ou -l, -li et -lw (formules en mlo-lo(wi), proscynèmes 2).
Nous avons dans deux articles fait état de ce problème, sans pouvoir y
apporter jusqu’ici de solution évidente 3.
Enfin, on doit signaler que le déterminant peut être suivi du suffixe de
vocatif -i : on trouve par exemple des invocations d’épitaphes mk-lƒ-li « ô
grand dieu », « ô grande déesse » 4. Ce composé -li ne doit pas être confondu
avec la forme longue du déterminant, bien que leur réalisation phonétique ait
dû être la même.
Le déterminant est généralement écrit sans séparateur à la suite du
substantif. Il peut arriver que des accidents phonétiques altèrent la zone de
contact. Le plus courant est la loi de Griffith 5 : si le substantif est terminé par
-se, ou qu’il s’agisse d’un syntagme comprenant un génitif analytique avec
postposition -se, cette syllabe graphique (phonologiquement /s/) se contrac-
tera avec le -l du déterminant, et produira un t. Moins fréquemment, des
assimilations progressives et régressives sont possibles 6. Ainsi qor provient
de qore « souverain », suivi du déterminant -l 7, et l’on peut penser que la
graphie qore qui en néo-méroïtique remplace l’ancien qor après les noms des
rois n’est pas le substantif nu, mais une forme assimilée pour qore + -le.

Rôles du déterminant

Pour pouvoir être utilisé dans une phrase, du moins dans toutes les places
où il exerce lui-même une fonction déterminative, le substantif doit être
actualisé par une détermination minimale assurée par l’élément -l(i). Il n’est
donc pas l’équivalent exact de notre article défini ou de notre article indéfini,
mais pourra souvent se traduire par l’un, par l’autre ou par aucun, suivant les
contextes :
Amnirense / qor (<*qore-l) / kdke-l (REM 0628)
« Amanirenas, / le souverain, / la Candace (article défini)
ssor-li / kdise-lowi (REM 0301)

1
Cf. ci-dessus « formule G », p. 175.
2
Voir ci-dessus, p. 195.
3
Cf. Rilly, 1999b note 18, p. 82 ; Rilly, 2000c, p. 109 et note 29. Voir toutefois ci-dessous,
p. 538.
4
Voir ci-dessus, p. 95.
5
Cf. p. 415-420.
6
Voir ci-dessus, p. 410-415.
7
Voir Rilly, 1999b : « Assimilation et détermination en méroïtique : le déterminant
masqué du mot qore “roi” ».
514 LA LANGUE DE MÉROÉ

« d’un scribe / sœur c’était »


= « c’était la sœur d’un scribe » (article indéfini)
qelile / nbr-li-se / 1 (REM 1182, dans un décompte)
« bracelet / d’or / : 1 » (pas d’article)
Si le substantif est suivi par un anthroponyme, il est suffisamment
déterminé pour n’avoir pas besoin de -l(i). On opposera ainsi au passage
précédent (REM 0628), citant Amanirenas, le début de REM 1044 : qore
Tneyidmni « le souverain Taneyidamani ». Ici, c’est l’anthroponyme qui précise
le possesseur du titre, alors qu’en REM 0628, dans Amnirense qor (<*qore-l)
« Amanirenas, le souverain », c’est le titre qui précise le nom, et en tant que
porteur de détermination, il doit être lui-même déterminé par -l(i) 1.
La différence entre la forme simple -l et la forme longue -li nous échappe
totalement, et il n’est pas sûr que les Méroïtes y aient vu une quelconque
distinction, du moins à l’époque où ils écrivaient leur langue. On trouve aussi
bien l’un que l’autre dans les mêmes contextes, si bien qu’aucune motivation
d’ordre sémantique ou phonétique ne peut être décelée. On comparera ainsi :
pesto-l ste-lowi (REM 0327) ssor-l yetmde-lowi (REM 0516)
pesto-li ste-lowi (REM 0325) ssor-li yetmde-lowi (REM 0270)
« c’était la mère du vice-roi » « il / elle était apparenté(e) à un scribe »
La forme longue -li est en revanche la seule attestée devant la
postposition -se, dans le génitif analytique des substantifs.
Il ne semble pas que le déterminant -l(i) puisse constituer une marque
casuelle, contrairement au vieux-nubien -l qui caractérise le sujet 2. On
s’attendrait par exemple à ce que le complément d’objet, en tant que porteur
de détermination sémantique, soit affecté du déterminant. Mais les contre-
exemples sont trop nombreux. Ainsi, dans les bénédictions funéraires, les
syntagmes nominaux (substantif + adjectif) qui désignent des offrandes sont
dans les formules A, B, C des compléments d’objets 3. En formules A et B,
ils ne prennent jamais de déterminant, alors que dans la formule C, la
présence de -l(i) à la fin du syntagme est systématique. Semblablement, dans
les prières des textes royaux, les dons demandés aux dieux, clairement en
position d’objet, ne comportent pas de déterminants. Il est possible cependant
que des particularités sémantiques (notions denses ou compactes 4) expliquent

1
Pour d’autres exemples, voir Tableau 5, p. 116-117, structures (2) et (6).
2
Cf. Browne, 1989a, p. 13, qui désigne ce cas comme « subjective ».
3
Voir ci-dessus, p. 167-171.
4
On rappelle qu’une notion dense est quantifiable, mais continue (« eau », « pain »),
tandis qu’une notion compacte n’est pas quantifiable (« vie », « force »). Heyler
suggère que l’absence d’article en bénédictions A et B représente un partitif (Heyler,
1967, note 106, p. 134).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 515

que l’objet en A et B (« eau », « pain ») et dans les prières (« vie », « force »,


etc.) ne reçoive pas le déterminant. Quant à la compatibilité du déterminant
avec la fonction de sujet, nous ne possédons pas assez de substantifs sûrement
repérés en cette position pour pouvoir examiner la question.
En revanche, le déterminant est obligatoire lorsque le substantif est suivi
d’une postposition. Ainsi, tout substantif au génitif analytique, caractérisé par
l’emploi de la postposition -se, est affecté du déterminant sous sa forme
longue -li, et il n’y a alors aucune distinction sémantique qui puisse limiter
cette règle : on trouve par exemple pelmos ato-li-se « stratège de l’eau » 1,
bien que « eau » soit une notion dense, apote qori-se (<*qore-li-se) « envoyé
du souverain » 2, quoique le souverain soit unique 3. Les exemples d’emploi
d’autres postpositions avec un substantif sont très rares, mais il semble que -
l, la forme simple du déterminant soit alors utilisée. Avec la postposition -te
du locatif, on trouve : mk-l-te : « chez le dieu », d’où une éventuelle substan-
tivation de l’ensemble pour désigner le « temple », qor-te (assimilé pour
*qore-l-te) « chez le roi », d’où peut-être « palais » 4.
Cette règle s’étend également aux noms propres lorsqu’ils sont
accompagnés d’un locatif. Cette construction est surtout connue pour les
hypostases divines. Le déterminant s’intercale alors entre les deux
postpositions et peut, dans une traduction littérale, être glosé par « celui » :
ant / Mnp / Bedewi / -te / -li / -se
prêtre / Amanap / Méroé / dans / celui / de
« prêtre d’Amanap, celui (qui est) à Méroé » (REM 0521)
Il peut même arriver que le nom de la divinité soit sous-entendu. C’est
alors le déterminant qui assure la substantivation du locatif, comme dans ce
proscynème (REM 0117) :
ant / Pelqe / -te / -li /-se / -lo
prêtre / Philae / dans / celle / de / c’est
« c’est un prêtre de celle (qui est) à Philae (= Isis de Philae) »

Dans ces deux exemples, -li revêt plutôt un rôle démarcatif (borne
syntaxique 5) que déterminatif : il permet dans un syntagme nominal général,

1
Voir Hofmann, 1978b, p. 272-273 pour le sens de ce terme, qui n’est probablement
pas une charge militaire, mais administrative et religieuse.
2
C’est-à-dire « auprès du souverain ».
3
On a d’ailleurs longtemps supposé que le mot qore n’avait pas besoin du déterminant
pour cette raison. Il est en fait caché par l’assimilation dans qorise, mais présent tout
de même : voir Rilly, 1999b.
4
Pour mklte, voir Hintze, 1960a, p. 145, 159 ; pour qorte, voir Hofmann, 1981a, p. 322.
5
Voir : Leclant, 1970-1971, p. 80 ; Hintze, 1979, p. 33 (« Grenzsignal »).
516 LA LANGUE DE MÉROÉ

de définir un sous-ensemble, équivalent à un substantif, de façon à ce qu’il


puisse recevoir une seconde postposition.
Bien qu’il ne constitue pas une postposition, le suffixe du vocatif -i se
comporte de la même façon. Tout substantif qui en est suivi présente le
déterminant sous sa forme -l 1. Le composé ainsi obtenu est -li, une forme
apparemment semblable à la forme longue du déterminant, tant pour
l’écriture que pour la prononciation /laMi/.
Enfin, le déterminant est presque systématique dans la construction du
génitif antéposé : X-l(i) Y : « le Y de X » 2. Les exemples sont légion dans
les descriptions relatives :
ant / -li / wi / -lowi (REM 0318)
prêtre / un / frère / c’était
« c’était le frère d’un prêtre »
Cette construction ne vaut que pour le substantif. Si le nom régi est un
anthroponyme, il n’est pas suivi du déterminant, et seule l’antéposition révèle
son statut de génitif [cf. p. 116-117 Tableau 5, structure (1)].

Autres déterminants éventuels

Un certain nombre d’autres déterminants ont été avancés, notamment par


Millet et Hofmann : -ke, -ni, -sel, -wi. Il n’est pas actuellement possible de
confirmer ces hypothèses. Les deux premiers sont généralement en rapport
avec des chiffres 3, le suivant apparaît dans les textes anciens (REM 1003,
0092, 1044), suffixé aux substantifs kdi « femme » et abr « homme », le
dernier est attesté à la place de -l(i) dans les formules de bénédictions C et G.
Deux termes obscurs, pyk et yeyk (REM 0094), ont été traduits par
Zyhlarz respectivement par « ce » et « chaque », mais rien ne justifie une
telle interprétation, reprise cependant par Meeks, 1973, puis par des
comparatistes comme Bender ou Militarev. En revanche, on dispose de
quelques éléments solides pour penser que qo, qui est attesté surtout comme
pronom démonstratif, peut à l’occasion être employé comme adjectif
démonstratif « ce », « cette » (voir p. 98).
Enfin, les numéraux sont aussi des déterminants, et l’on ne trouve
d’ailleurs jamais -l(i) à leur suite 4. Cependant, ils ne sont connus que par des
1
Si le -i du vocatif s’était ajouté à la forme longue -li, l’ensemble aurait sans doute évolué
vers une graphie *lyi. Pour des ex. de substantifs au vocatif, voir ci-dessous, p. 534.
2
Cf. ci-dessous, p. 520-523. Pour les rares exceptions, voir ci-dessus Tableau 5, structure (3)
et p. 123-124.
3
Nous avons pour -ni ou -tni supposé un rôle de quantificateur : voir ci-dessus, p. 150.
4
On observera par exemple les listes chiffrées de marchandises en REM 1182 et 1183, ci-
dessus, p. 144-147.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 517

chiffres, et nous doutons fort qu’ils puissent être écrits littéralement dans les
textes, comme l’a récemment suggéré Millet 1.

Bibliographie (les études approfondies sont en gras) :


Brugsch, 1887, p. 30, 91 ; Sayce, 1911, p. 51, 54 ; Griffith, 1911a, p. 23 et note 5,
p. 24, 51, 54, 117 ; Griffith, 1911c, p. 5, 23, 40, 51, 54, 117 ; Griffith, 1912, p. 12,
Index A p. 69 ; Schuchardt, 1913, p. 168-177 passim ; Griffith, 1916a, p. 24 ; Griffith,
1917b, p. 166 ; Griffith, 1922, p. 570 ; Meinhof, 1921-1922, p. 5, 7, 14 ; Zyhlarz, 1930,
p. 430 (ε), 459 et passim ; Monneret de Villard, 1942, p. 138 ; Macadam, 1949, p. 102 ;
Zyhlarz, 1949-1950, p. 293 et 459 ; Cottevieille-Giraudet, 1935, p. 748 ; Macadam,
1950, p. 44 ; Hintze, 1955, p. 370 ; Zyhlarz, 1956, p. 26-27 ; Vycichl, 1958, p. 76, 77,
80 ; Hintze, 1959a, p. 35 ; Zyhlarz, 1960, p. 742 ; Hintze, 1960a, p. 148, 150 ;
Monneret de Villard, 1960, p. 105 ; Hintze, 1963a, p. 3 ; Heyler, 1964, p. 31 ;
Trigger, 1964, p. 189 ; Leclant, 1965-1966, p. 89 ; Heyler, 1967, p. 105-134 ;
Leclant, 1967-1968 p. 115 ; Trigger, 1968, p. 7 sq. ; Priese, 1968a, p. 172 et note 37 ;
Millet–Heyler, 1969, p. 7 ; Millet, 1969, p. 396-397, 398 ; Trigger–Heyler, 1970,
p. 24, 33, 34, 43, Index C p. 66 ; Leclant, 1970-1971, p. 180 ; Priese, 1971, p. 276-
277 [1. 12 ], [1. 13. 1], [1. 15. 1] ; Schenkel, 1972, p. 12 ; Meeks, 1973, p. 6 ; Millet,
1973a, p. 33, 38 ; Vycichl, 1973a, p. 57 ; Abdalla, 1973, p. 23-25 ; Hainsworth,
1975a, p. 9 ; Hintze, 1977a, p. 26-33 et notes 16-29, p. 33-35 ; Hintze, 1979, p. 31-
34, 198-199 ; Millet, 1979, p. 113-114 ; Priese, 1979, p. 118-129 ; Hofmann, 1980a,
p. 276 ; Zawadowski, 1981, p. 39-44 ; Hofmann, 1981a, p. 49, 96, 159, 190, 331-
334 ; Zibelius, 1983, p. 53, 63, 66, 69, 70, 71, 72 ; Abdalla, 1986, p. 9-15 passim ;
Abdalla, 1988, p. 8 ; Abdalla, 1989a, p. 11 ; Tiradritti, 1992, p. 71, note 15, p. 73 ;
Abdalla, 1994, p. 2, 9, 12, 13 ; Török in Eide–Hägg et al., 1996, p. 670 ;
Kormysheva, 1998, p. 35, 41 ; Abdalla, 1999a, p. 402, 415, 417 ; Abdalla, 1999b,
p. 453 ; Rilly, 1999b, p. 79 et note 2 et 4, p. 82, p. 84 et note 25, p. 85-86 ; Rilly,
2000c, p. 104 et note 5, p. 108.

L’adjectif
On ne connaît guère plus d’une douzaine de mots que l’on puisse
considérer comme des adjectifs, et parmi eux seuls quatre ont une
signification à peu près sûre : lƒ « grand », mete « petit », « jeune », mƒe
« abondant », mlo « bon », « beau ». D’autres ont un sens probable, mais leur
nature adjectivale n’est pas assurée : s‚i, synonyme de mete, sedew,
synonyme de mƒe, tr(e), synonyme de lƒ, qorode « royal (?) ». Enfin,
certains ne sont qu’hypothétiques : doke, dole, dot semblent avoir un sens
positif dans les bénédictions, tme dans les anthroponymes.

1
Voir Millet, 1999. On comparera avec l’extrême rareté des nombres écrits en toutes lettres
en égyptien, sur un corpus pourtant infiniment plus étoffé que celui du méroïtique.
518 LA LANGUE DE MÉROÉ

On comprendra donc que nos certitudes sur les adjectifs soient peu
nombreuses. On ne peut même pas à vrai dire être sûr que cette catégorie
existe de manière indépendante en méroïtique 1. Il n’est pas impossible que
les mots cités ci-dessus ne soient que des substantifs utilisés en apposition. Il
est par exemple sûr que lƒ et mlo sont également des substantifs : on trouve
ainsi en GA 20 une charge honorifique lƒ Wrose-te : « grand à Warush (?) »,
et en REM 1012 un titre mlo qorise « homme de valeur (auprès) du roi ».
S’agit-il de substantivation, à la manière dont nous parlons d’un « Grand »
d’Espagne, ou d’un « brave » ? Il semble en effet qu’il existe un substantif
abstrait, mlowi ou mleyi 2, formé sur mlo, et qui pourrait désigner la « bonne
santé » dans les prières aux dieux et les décrets oraculaires amulétiques. Il y a
donc quelque chance que mlo ne soit pas lui-même un nom de qualité, car on
l’aurait alors trouvé dans ce rôle.
On a supposé que certains adjectifs étaient formés à partir d’un préfixe m-,
et il est vrai que parmi les quatre premiers que nous avons cités, trois
comportent cette initiale. Mais il peut tout aussi bien s’agir d’un hasard, car
les autres, ajoutés depuis lors à la liste, n’ont pas cette caractéristique.
L’adjectif épithète figure directement à la suite du nom : apote lƒ « grand
messager », « premier messager », ato mƒe « de l’eau abondante ». Il n’y a
pas de marque d’accord, ni en classe, ni en genre, tous deux inexistants en
méroïtique, ni en nombre. Si le substantif est au pluriel, le déterminant
spécifique -leb est ajouté en fin de syntagme, éventuellement après l’adjectif
quand celui-ci en est le dernier élément : apote lƒ-leb « de grands
messagers ».
La situation est plus incertaine si la prédication porte sur l’adjectif. Dans
les formules en mlo-lo(wi) des épitaphes 3, le terme mlo est prédiqué en fin de
proposition non verbale par le prédicatif -lo(wi), exactement de la même
manière qu’un nom. Mais s’agit-il véritablement d’un adjectif en ce cas, et
non d’un substantif correspondant à une dignité ? Abdalla, qui a travaillé
essentiellement sur les anthroponymes, y aurait repéré des adjectifs antéposés
qui seraient selon lui en position de prédicat. Le phénomène n’est pas
impossible. On connaît bien des langues où l’adjectif suit le nom en position

1
Certaines langues en effet ne connaissent pas de vrais adjectifs, ou très peu, et utilisent en
fait soit des verbes, soit des noms pour nos adjectifs de qualité (cf. Hagège, 1982, p. 74).
En lingala (bantou) un « homme fort » est un « homme de force » ; à l’inverse, en
moru (nilo-saharien) et en haoussa (tchadique), un « chien blanc » est « une blancheur
de chien ». Il est sûr en revanche que le méroïtique n’utilise pas un système génitival,
comme dans ces langues, en raison de la place de l’ « adjectif » et de l’absence de
morphème spécifique.
2
Le terme mleyi apparaît comme un substitut de mlowi en REM 1096 et 1326, deux
décrets amulétiques oraculaires, dans des formules stéréotypées.
3
Cf. p. 158-162.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 519

d’épithète, mais le précède en position de prédicat. C’est notamment le cas


en turc, qui présente avec le méroïtique de nombreuses similitudes typolo-
giques (sans lien génétique) :
ak köy « (le) village blanc » / köy ak « (le) village est blanc » 1

Malheureusement, les identifications données par Abdalla sont tout sauf


convaincantes (particulièrement dans Abdalla, 1988 et 1989). Beaucoup des
substantifs et des adjectifs qu’il propose sont, comme le déplorait déjà
Hintze, des segmentations arbitraires effectuées sur les éléments les moins
connus des bénédictions funéraires et plaquées sur les noms propres. Il tient
également pour insignifiantes les voyelles, si bien que les deux consonnes
successives -ml- lui suffisent pour reconstituer l’adjectif mlo « bon ».
L’examen des anthroponymes méroïtiques commençant par mlo (ou sa
variante mli, particulièrement présente dans les noms de femmes) n’est pas
concluant : dans tous les cas, il est possible que cet élément soit substantivé.
Nous avions cependant, dans notre étude des anthroponymes koushites
anciens 2, observé quelques exemples où l’élément mlo figurait en tête et où
une nature adjectivale était plausible. L’antéposition de l’adjectif attribut est
donc possible, mais elle reste à démontrer.

Bibliographie (il s’agit de courtes remarques, aucune étude approfondie


n’existant sur la question) :
Zyhlarz, 1930, p. 459-460 ; Zyhlarz, 1956, p. 26 ; Vycichl, 1958, p. 76 ; Hofmann,
1981e, p. 16 ; Abdalla, 1988, p. 10 ; Abdalla, 1974, p. 100-101 ; Abdalla, 1986, note
14, p. 18 ; Abdalla, 1989a, p. 60 ; Kormysheva, 1998, p. 41.

L’apposition
On peut définir trois types d’appositions en méroïtique, suivant qu’elles
incluent un anthroponyme, qu’elles reprennent un substantif pour le préciser,
ou qu’elles juxtaposent deux substantifs. Cette dernière construction appelle
cependant quelques réserves, comme nous le verrons. Ces trois configurations
ne peuvent actuellement être étudiées que dans les épitaphes et les protocoles
royaux, en propositions non verbales, ce qui restreint le champ d’observation.
Les appositions les plus courantes et les plus claires sont celles qui
ajoutent un anthroponyme à un titre 3. Dans la quasi-totalité des cas, le titre
précède l’anthroponyme, et n’est donc pas déterminé par -l(i), le nom propre

1
D’après Cohen, 1984, p. 19.
2
Cf. p. 25.
3
Voir p. 121-122 pour une discussion sur la présence ou l’absence d’anthroponymes
dans les descriptions relatives des épitaphes.
520 LA LANGUE DE MÉROÉ

apportant une détermination plus que suffisante. On aura donc avec un


substantif simple :
ssor / Atkewitr / yetmde / -lowi (REM 1020)
scribe / Atakewitara / neveu (?) / c’était
« il était neveu (?) du scribe Atakewitara »
Ou avec une structure nominale plus complexe :
ant / Amni /-se / Aboroy… / terike / -lebkwi (REM 1063)
prêtre / Amon / de / Aburuye / enfant engendré / c’étaient
« le prêtre d’Amon Aburuye les avait engendrés »
L’inverse peut également se produire, autrement dit que le titre soit
apposé au nom 1. Le substantif suit alors et prend le déterminant -l(i). Cette
structure n’est régulière que dans les protocoles royaux, peut-être parce que
le nom royal était estimé suffisamment prestigieux pour l’emporter sur la
fonction :
Mn‚ble qor (<*qore-l) « Amanikhabale, le souverain » (REM 1026)

On trouve néanmoins une construction apparemment semblable pour des


particuliers dans deux textes de Medik (REM 0088, 0089), où l’on a ainsi :
Mqolteqye / pelmos / Bedewi / -te / -l / yetmde / -lo (REM 0089)
Maqulateqaye / stratège / Méroé / à / un / neveu (?) / c’était
« il était neveu (?) de Maqulateqaye, un stratège à Méroé »
Il semble cependant peu vraisemblable que le nom du parent soit ainsi
mis en valeur aux dépens du titre, ce qui va à l’encontre des traditions
établies dans les épitaphes 2. Hintze a plutôt supposé ici une influence de la
grammaire égyptienne tardive, où cette ordre est fréquent, contrairement aux
habitudes du moyen-égyptien. On trouve par exemple en démotique Klwptr
t3j=f sn.t « Cléopâtre, sa sœur » ou P3-wr-tjw p3 f3j-stn « Portis, le porte-
enseigne ».
On ne possède qu’un seul exemple d’une apposition particulière avec
reprise du substantif, qui ressemble d’ailleurs plutôt à une autocorrection.
Elle apparaît dans l’épitaphe, trouvée à Faras, d’une femme nommée Abakaye
(REM 0534/4-5) 3 :

1
C’est la seule construction à laquelle Abdalla, 1994 réserve le terme d’« apposition »,
ce qui nous paraît indûment restrictif.
2
Voir p. 122-123.
3
La structure étant complexe, nous avons exceptionnellement présenté deux niveaux
d’analyse sous le texte : morphologique et syntaxique. Nous avons aussi séparé les
éléments contractés par la loi de Griffith. L’élucidation de cette proposition est due à
Heyler, 1967, p. 111-112. Le titre sacerdotal de mesen est associé au culte d’Amon de
Primis ou à celui d’Amanap, mais ne peut actuellement être précisé davantage.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 521

mesen / -li // mesen / Mnp / Pedeme / -te / -li / -se / -li // terike / -lowi
[subst.+dét.] [subst. [ théon. [ topon. + loc. ] dét.+gén.] dét.] [ subst. ] [copule]
[ nom régi ] [ ← apposition →] [nom régissant] [prédicatif]
mesen / un // mesen / Amanap / Primis / dans / celui / de / un // enfant engendré / c’était
« un mesen (titre), un mesen d’Amanap, (celui qui est) à Primis, l’a
engendrée. »
Tout se passe ici comme si le scribe avait voulu tardivement préciser un
titre qui lui paraissait incomplet, mais qui était déjà clos par le déterminant
-li. Heyler traduit d’ailleurs « Le mesn, (c’est-à-dire) le mesn du Mnp de
Primis » (Heyler, 1967, p. 112, soulignement de Heyler).
Un type beaucoup plus courant juxtapose dans un même syntagme deux
titres différents, ou du moins connus séparément dans d’autres textes, mais
on peut se demander s’il s’agit bien d’une apposition. On trouve par exemple
en REM 0129 :
qorene / kroro / -lowi
scribe royal (?) / prince (?) / c’était
Le terme (a)kroro est parfois attesté seul (kroro-lowi « c’était un prince
[?] », en REM 1091/6), ce qui le fait considérer comme un substantif
constituant à lui seul un titre.
On observera néanmoins que ces structures ne sont attestés que dans les
descriptions individuelles des épitaphes. Or dans ces passages, les titres
différents font systématiquement l’objet de prédications séparées. On n’écrit
jamais « c’était un X et un Y », mais toujours « c’était un X, c’était un Y » 1.
Il faut donc supposer que dans ces prétendues appositions, le second titre
n’est pas différent du premier, mais apporte une précision supplémentaire,
sans quoi sa présence serait inutile. Or l’inventaire des mots attestés en
seconde position 2 est particulièrement réduit : on trouve (a)kroro, ssimete et
kttre, et parmi ces trois-là, seuls les deux premiers peuvent être utilisés de
manière isolée. On ne voit donc pas comment des termes qui accompagnent
des titres par ailleurs très divers et dont plusieurs sont des hapax (qorene,
sob‚e, siremroke, smt, smrso, wleke, womnise, mlewye, sekesekine, etc.)
pourraient en eux-mêmes être plus précis qu’eux. Il semble donc beaucoup
plus probable que ces mots ne constituent pas ici des titres, mais revêtent une
valeur adjectivale. On ne peut donc pas parler vraiment d’apposition, mais à
la rigueur de qualification.

1
Voir ci-dessus, p. 112.
2
Voir Hofmann, 1981a, p. 71-78. Un certain nombre des constructions proposées ne
semblent pas relever de cette catégorie, mais il pourrait s’agir de structures verbales
(nos 45, 46) ou incluant un génitif alternatif en -(y)ose (nos 42, 43, 44, 52).
522 LA LANGUE DE MÉROÉ

Bibliographie :
Trigger, 1962, p. 7 ; Heyler, 1967, p. 111-112, 118 ; Hofmann, 1974b, p. 48-49 ;
Hintze, 1979, p. 26, 43 ; Priese, 1979, p. 120-121 ; Hofmann, 1981a, p. 71-76, 180 ;
Abdalla, 1994, p. 8-11.

Le génitif
Notre principal apport dans cette partie sera d’établir l’existence et de
définir les rôles respectifs de deux génitifs en méroïtique, l’un analytique, où
le nom régi est postposé et le rapport de dépendance marqué par la
postposition -se (N + G + -se), l’autre construit par simple antéposition du
nom régi, sans adjonction de morphème spécifique (G + N). La situation
n’est pas sans rappeler celle de l’anglais, qui possède un « génitif saxon »
(« cas possessif ») du type the King’s daughter et un « génitif normand » du
type the name of the King, à la différence près que ces deux constructions
possèdent des marqueurs. Comme en anglais, il est également assez probable
que le génitif analytique soit de formation plus récente, sans que l’on puisse
avancer une époque pour son apparition, probablement ancienne. Quoi qu’il
en soit, à l’époque où la langue est écrite, les deux coexistent, avec une
évidente spécialisation de chacun, le génitif antéposé étant notamment utilisé
pour les relations familiales, et le génitif analytique pour des relations plus
contingentes, comme les affectations auprès de tel ou tel dignitaire.
L’existence de ces deux génitifs a été çà et là suggérée par certains
méroïtisants, mais n’a jusqu’ici jamais fait l’objet d’une analyse approfondie.

Revue des théories

Dans Karanóg, Griffith réserve le nom de « génitif » à la construction


analytique, caractérisée par l’emploi du « suffixe ou postposition » -se
(Griffith, 1911a, p. 23). La construction par antéposition est elle aussi
évoquée, mais Griffith parle de simple qualification, et surtout considère le
déterminant -l(i) qui affecte le nom régi comme un connecteur, probablement
par comparaison avec le nubien 1 :
« l, li for a word or phrase when followed by another word which he qualifies, as
pestêl : yetmze 2 “to whom a peshtê is kin”, “kin of a peshtê”. » (ibid.)

1
Voir ci-dessus, p. 457.
2
Actuellement transcrit pestol : yetmde « un parent (neveu ?) du vice-roi ».
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 523

Quelques années plus tard, dans la quatrième de ses « Meroitic Studies »,


il conserve la même idée d’un connecteur -l(i), mais parle explicitement, au
détour d’une phrase, de « génitif » pour cette construction également :
« -l is of course the usual attachment of a word in the genitive relation when it
precedes its governing word. » (Griffith, 1917b, p. 166)

Il ne semble pas que l’on ait fait grand cas de cette remarque discrète,
puisqu’elle n’a été reprise par aucun des successeurs de Griffith 1. Aussi bien
Meinhof que Zyhlarz ne reconnaissent apparemment qu’un seul génitif en
méroïtique, la construction analytique en -se. Il faut attendre le bref exposé
grammatical de Vycichl dans Kush pour voir réapparaître l’idée de deux
génitifs en méroïtique. Cependant la structure avec antéposition GN n’est
pour lui qu’un ancêtre supposé de la construction NG-se. Il avance en effet
que les postpositions comme -se et -te (locatif) sont d’anciens noms utilisés
dans une relation génitivale antéposée, qui auraient ensuite été
grammaticalisés 2 (Vycichl, 1958, p. 80-81). La structure GN est donc chez
Vycichl une simple reconstitution historique et il n’établit aucun rapport avec
les syntagmes exprimant la parenté. Son hypothèse ne sera reprise que par
Priese, pour justifier un point de démonstration sur la construction d’un nom
koushite ancien (Priese, 1968a, p. 180, note 84).
Il faut dire qu’entre-temps, Hintze avait imposé une tout autre analyse des
formules de parenté. Une expression du type pesto-l yetmde-lowi (voir note
2, p. 518) n’était plus interprétée, ainsi que chez Griffith, comme un
syntagme nominal, mais comme une structure verbale, où yetmde était un
verbe transitif signifiant « être apparenté à », et pesto-l l’objet de ce verbe. Il
en allait de même de tous les mots exprimant une parenté (Hintze, 1963a,
p. 15). L’idée même de génitif antéposé se trouvait donc évacuée, puisque
ces formules contenaient justement les seuls exemples clairs de construction
de ce type. On ne la trouve pas effectivement chez Millet 3, Trigger, Heyler.
Seul Abdalla, depuis ses débuts, a gardé une indéfectible fidélité à l’idée de
Griffith, distinguant un « génitif direct » (GN) et un « génitif indirect » (NG-
se), sans toutefois théoriser leur différence :
« ... kdis “sister”, ëte : “mother”, sm “wife”, wi “brother”, ste and swi, all of which
are known to act as governing nouns (N1 : nomen regen[s]) following their
genitives in direct genitive relationships.» (Abdalla, 1994, p. 6-7) 4

1
Voir bibliographie en fin de section, p. 523.
2
Voir ci-dessous, p. 538. On pourrait comparer, dans le domaine prépositionnel, le
français « le long de », où le groupe formé par le nom régissant et le morphème
génitival est devenu une préposition. Voir également Greenberg, 1966a, p. 78-79.
3
Il semble toutefois que la traduction par Millet de REM 1222 suppose une construction de
type GN (Millet, 1998, p. 60).
4
Voir également pour une semblable théorie Abdalla, 1988, p. 6, 9 ; Abdalla, 1989a,
p. 18, 21. Il semble probable que cette distinction figure aussi dans sa thèse inédite
524 LA LANGUE DE MÉROÉ

Mais Hintze, dans ses « Beiträge zur meroitischen Grammatik », a


quelque peu tempéré ses anciennes certitudes. Revenant sur les formules de
parenté, il émet des doutes sur la valeur verbale des termes de parenté, qu’il
continue cependant de désigner dans ses schémas structuraux sous le sigle V
(pour « Verbum ») :
« Ich hatte mich in früheren Arbeiten mehrfach dahingehend geaüßert, daß es sich
hier durchwegs um Verben handelt, daß also z. B. kdis [= kdise] nicht ein Nomen
mit der Bedeutung "Schwester" sei, sondern ein Verbum “Schwester sein”. Aber
es scheint mir jetzt fraglich zu sein, ob diese Auffassung in ihrem vollen Umfang
aufrecht erhalten werden kann. » (Hintze, 1979, p. 56)

Il développe ensuite l’idée des deux constructions génitivales, l’une


« progressive » (génitif analytique) et l’autre « régressive » (génitif
antéposé), reprenant ainsi la terminologie mise au point par Heyler pour
l’analyse syntaxique des descriptions funéraires (Heyler, 1967, p. 116). Bien
qu’il signale que la première construction est celle des titres et la seconde
celle des relations de parenté, il pense néanmoins que la différence est
d’ordre énonciatif : le génitif antéposé permettrait de mettre en valeur le nom
ou les titres de la personne référente, plutôt que le lien de parenté que le
défunt entretient avec elle (Hintze, 1979, p. 57). En d’autres termes, le génitif
antéposé constituerait une focalisation de la structure habituelle.
Hofmann, dans son Material für eine meroitische Grammatik, ne reprend
pas cette hypothèse et se garde avec prudence de statuer sur la construction
des termes simples de parenté, qu’elle considère pourtant comme des
substantifs. Elle parle de « construction régressive », sans avancer le mot de
« génitif » (Hofmann, 1981a, p. 135). Certaines remarques au cours de son
étude prouvent qu’elle n’envisage effectivement qu’une seule construction
génitivale, le type NG-se 1.

Le génitif antéposé
L’existence d’un génitif antéposé GN peut se prouver assez facilement
depuis que l’on a admis, à la suite de Hintze, 1979, que les termes de parenté
étaient comme dans la plupart des langues des substantifs. On comparera à

(Abdalla, 1969), à laquelle nous n’avons pas eu accès. Dans notre translittération, les
termes donnés par Abdalla seraient : kdise, ste, sem, wi, sete, sewi.
1
Elle écrit par exemple à propos de la traduction par Millet et Priese de qoresem par
« épouse royale » : « Sie wiederspricht den bisher erkannten Regeln der meroitischen
Grammatik, nach denen ein bisher nicht belegtes *sm qoris- [= *sem qorise] zu erwarten
wäre » (Hofmann, 1981a, p. 70).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 525

cet effet les deux propositions suivantes qui contiennent le titre pesto « vice-
roi » 1 :
pesto-lo (REM 0543)
pesto-l wi-lowi (REM 0250).
L’ensemble pesto-l wi- dans le second exemple est l’équivalent de pesto
dans le premier. Ce ne peut donc être qu’un syntagme nominal. On sait que le
défunt cité en REM 0250, n’est pas lui-même vice-roi. Il n’est donc pas
possible que wi- (le terme de parenté) soit une apposition. La relation qu’il
entretient avec pesto-l est syntaxiquement simple puisqu’elle n’a pas d’autre
marqueur que la succession en un ordre donné des deux termes. On a donc
affaire au rapport le plus élémentaire qui soit entre deux substantifs au sein
d’un groupe nominal, une dépendance génitivale. Le nom régissant ne peut
être pesto-l puisque, comme nous l’avons dit, le défunt n’exerce pas de
fonction si élevée. C’est donc wi- , et pesto-l est le nom régi. Le fait que dans
presque tous les cas, le nom régi comporte le déterminant s’accorde bien
avec une des fonctions essentielles de cet élément, du moins en méroïtique :
apporter à un substantif une détermination suffisante pour lui permettre à son
tour de déterminer un autre terme (cf. p. 509-510).
Cette construction n’est cependant pas réservée à un génitif focalisé,
comme l’avait supposé Hintze. Pour ce, on comparera ces deux propositions :
REM 0122 :
perite / Wos /-se / -l / qorene / Wos / -se / -l / yetmde / -lo
agent / Isis / de / un / scribe royal (?) / Isis / de/ un / neveu (?) / c’était
Il était neveu (?) d’un agent d’Isis et d’un scribe royal (?) d’Isis
GA 04 :
perite / Wos /-se / -leb / qorene / Wos /-se / -leb / yetmde /-qebese / -lowi :
agent / Isis / de / des / scribe royal (?) / Isis / de / des / neveu (?) / d’eux / c’était
litt. : Des agents d’Isis et des scribes royaux (?) d’Isis, il était leur neveu (?)
Ces deux phrases sont presque identiques à l’exception, dans la seconde,
du pluriel ajouté aux référents, et surtout du possessif (qe)bese « d’eux »,
« leur », qui indique une topicalisation du groupe initial (voir p. 547). Or,
si l’on suit Hintze, elles comporteraient déjà une focalisation du génitif, et la
seconde contiendrait donc la topicalisation d’une focalisation, ce qui semble
très douteux. Il n’existe par conséquent qu’une solution : le génitif antéposé
est une construction neutre au point de vue énonciatif, et indépendante (en
contexte synchronique) de la structure concurrente N + G + -se.

1
On rappelle que -lo est une simple variante de -lowi. Voici les traductions respectives des
deux passages : « c’était le vice-roi » (REM 0543), « c’était le frère d’un vice-roi » (REM
0250). Pour les besoins de le démonstration, nous n’avons pas indiqué cette traduction
à la suite des exemples.
526 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le problème qui se pose ensuite est de définir l’exacte structure du


syntagme nominal ainsi formé. On sait que, du moins en méroïtique, le
génitif lui-même doit être déterminé : s’il est constitué d’un simple anthro-
ponyme, ce qui semble rare dans les textes 1, la détermination est suffisante ;
s’il s’agit d’un substantif, il doit comporter le déterminant -l(i). Les
exceptions sont statistiquement négligeables 2. La situation est moins claire
pour le substantif régissant, qui apparaît presque toujours devant le prédicatif
-lo(wi), où la présence de l’article est probable, mais sans doute induite par la
prédication 3. On connaît peut-être quelques exemples de génitifs antéposés
apparaissant dans des constructions différentes. C’est sans doute le cas de
qoresem-, représentant probablement une assimilation pour *qore-le sem- 4
« conjoint royal ». On trouve ce terme parfois en prédication directe devant
-lowi, ce qui n’aide guère. Mais on possède deux occurrences dans des
constructions différentes 5 (REM 0217 et 0247) :
qore sem -leb : semte -lowi
[subst. 3 + dét.(assimilé) + subst. 2 + dét. ] subst. 1+ dét. ? + prédicatif
« il était semte (terme de parenté) de conjoints royaux »
qore sem -le : Dewekdil : mtese -lo
[subst. 3 + dét. (assimilé) + subst. 2 + dét.]+ anthrop. subst.1 + dét. ? + prédicatif
« il était mtese (terme de parenté) de l’épouse royale Dewekadila »

Les deux structures sont complexes, parce que le groupe qoresem-,


construit sur un génitif antéposé qore (<*qore-le), est lui-même utilisé
comme un nom composé régi dans un autre groupe génitival antéposé. On
peut constater que dans le premier exemple, qoresem- prend le déterminant
pluriel -leb, mais, puisqu’il est lui-même utilisé comme nom régi, sa

1
Voir Tableau 5, p. 116-117, structure (1). La rareté de cette construction est compré-
hensible : dans les épitaphes, les titres des personnages référents, avec lesquels le
défunt revendique sa parenté, sont plus importants que leurs noms, souvent absents
(cf. p. 121-122).
2
On en compte 13 sur plus d’un millier de génitifs antéposés. Voir p. 123-124.
3
Voir ci-dessous, p. 545.
4
Pour qore forme tardive de qor > qore-l, voir ci-dessus, p. 509. Le mot n’est
effectivement attesté qu’en néo-méroïtique. Si notre hypothèse sur la formation de ce
mot est exacte, il devrait se présenter sous la forme *qorsem à époque ancienne. Ce
terme semble décrire parfois un personnage masculin (cf. Hofmann, 1981a, p. 69-70).
5
L’équivalence proposée en français reste hypothétique. Ces passages sont en effet fort
débattus. Notre traduction de qoresem par « épouse royale » dans la deuxième phrase est
induite par l’anthroponyme féminin (terminé par kdi-l « la femme »). Le séparateur
interne qui figure sur le fac-similé de Griffith dans le terme de parenté obscur semte (lu
*se :mte) en REM 0217 nous paraît erroné : il s’agit en fait d’une dégradation de la pierre
(voir Woolley-McIver, 1910, pl. 18). Ce détail a empêché la compréhension de la
structure de cette proposition par Hintze et Hofmann (Hintze, 1977a, p. 24-25 ; Hofmann,
1981a, p. 232-235.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 527

détermination est obligatoire, comme nous l’avons vu précédemment. La


seconde phrase est beaucoup plus instructive. En effet, la présence du
déterminant devant un anthroponyme apposé est tout à fait extraordinaire. La
règle absolue est qu’un substantif suivi d’un anthroponyme n’est jamais
déterminé. On ne peut expliquer cette construction apparemment
pléonastique que par une présence nécessaire du déterminant après le nom
régissant (subst. 2) pour assurer la cohésion de la structure génitivale.
Le schéma du génitif antéposé, lorsque l’on a affaire à deux substantifs
serait donc, sous toutes réserves :
(subst. régi + déterminant) + (substantif régissant + déterminant)
Le premier groupe (régi) peut être remplacé par un anthroponyme : on
aura alors [cf. Tableau 5, p. 116 structure (1) ] :
(anthroponyme) + (substantif régissant + déterminant)
Si un nom propre est apposé au substantif régi, celui-ci perd son
déterminant [cf. Tableau 5, p. 116 structure (6) ] :
(subst. régi + anthroponyme) + (substantif régissant + déterminant)
Le second groupe (régissant) n’est jamais un simple nom propre, mais si
l’on vient à lui en apposer un, le déterminant reste cependant en place, si l’on
en croit l’exemple de REM 0247 donné ci-dessus :
(subst. régi + déterminant) + (substantif régissant + déterminant) + anthroponyme
En fait, ici, le nom propre est apposé à tout l’ensemble formé par le nom
régi et le nom régissant, et non directement au nom régi. C’est ce détail qui
doit expliquer l’étonnante résistance du second déterminant.

Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 23 ; Griffith, 1917b, p. 166 ; Vycichl, 1958, p. 80 ; Priese, 1968a
note 84, p. 180 ; Hintze, 1979, p. 56-57 ; Abdalla, 1988, p. 6 et 9 ; Abdalla, 1989a,
p. 18, 21 ; Abdalla, 1994, p. 2-7 passim, p. 12 ; Rilly, 1999b, note 5, p. 79 ; Abdalla,
1999a, p. 414-415, 416, 417 ; Rilly, 2000b, p. 106 et note 17.
528 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le génitif analytique postposé


L’existence de cette construction, contrairement à la précédente, n’a pas
besoin d’être prouvée. Elle a été déduite par Griffith de successions du type
ant (A)mni-se « prêtre d’Amon », où les bases sémantiques étaient trans-
parentes en raison de l’emprunt des deux noms à l’égyptien : ∆m-ntr (copte
xont) « prêtre », et Õmn « Amon ». Parfois il disposait même d’une
traduction égyptienne par l’intermédiaire des proscynèmes de Philae : le titre
méroïtique pelmos ato-li-se est ainsi en égyptien p3 mr mšƒ n p3 mw « le
stratège de l’eau ».
Le morphème utilisé est systématiquement la postposition -se. Si le
génitif est un anthroponyme, elle s’y ajoute directement. Jusqu’au début des
années 1980, on ne connaissait de façon certaine que des théonymes dans
cette position :
ant Mni-se « prêtre d’Amon » (REM 0287)
soni Mnp-se « soni (titre) d’Amanap » (REM 0323)
yeroteke Ms-se « yeroteke (titre) de Mash » (REM 0269)
perite Wos-se « agent d’Isis » (REM 0099)

La publication de quelques épitaphes de Qasr Ibrim par Millet (Millet,


1982) a ajouté à cette liste le génitif d’un anthroponyme, certes particulier :
kid Kisri-se « le présent (? ?) de César » (REM 1182)
Il semble donc que les noms de personnes humaines connaissent au
génitif la même construction que les théonymes, ce qui était à la vérité
prévisible.

Si le nom régi est un substantif, il est obligatoirement suivi du déter-


minant quelque soit son sens (voir supra, p. 511). On trouve ainsi :
pelmos adb-li-se « stratège de la province (?) » (REM 1090)
apote qorise (<*qore-li-se) « envoyé [auprès] du roi » (REM 0371)
On ne connaît pas de façon assurée de génitifs analytiques pluriels, mais
il semble que le suffixe -se suivrait alors le déterminant pluriel -leb. Priese
avait supposé que la succession qoresemleb : se en REM 0247 pouvait
constituer un tel génitif 1, mais la finale se-, comme nous l’avons
précédemment indiqué, est plutôt la syllabe initiale d’un nom régissant en
construction génitivale antéposée (voir analyse p. 522). Il semble néanmoins
qu’on possède un génitif analytique pluriel avec ellipse du nom régissant dans

1
Cf. Priese, 1971, p. 282 [1.31.3]. Contra : Hintze, 1977a, p. 24-25.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 529

le titre qorbse (var. qorpse), qui signifie sans doute « (serviteur) des souve-
rains ». Dans ce cas, il faudrait supposer un traitement vocalique particulier
puisque l’on aurait attendu qorebse pour *qore-leb-se (voir note 3, p. 413).
On trouve également en REM 0358/2, un ostracon de Karanóg, une séquence
mutilée ...]itebse qui a de fortes chances d’être un génitif pluriel ...]*ise-leb-
se avec application de la loi de Griffith. Enfin, une bande de tissu du Gebel
Adda présente une inscription inédite (GA 47) où apparaît une séquence t‚bo
sebetelebse 1 : le second élément, malgré l’obscurité du passage, paraît bien
un génitif analytique pluriel.
Le déterminant final ne semble pas indispensable à la complétude du
groupe nominal contenant un génitif analytique, contrairement à ce que l’on
constate pour le génitif antéposé. Ainsi dans les décrets oraculaires
amulétiques, on trouve en position probable de sujet Ms arb-li-se « Mash de
l’arb (sens inconnu) » (REM 1325) et Wos mlwi-li-se « Isis du mlwi (sens
inconnu) » (REM 1096), sans que le syntagme ainsi formé soit suivi du
déterminant 2. Le fait que le nom régissant dans ces exemples soit un
anthroponyme ne suffit pas à expliquer cette absence puisqu’avec un locatif
nominal, de construction exactement semblable (postposition -te au lieu de
-se), le déterminant apparaît lorsque le groupe est mis au génitif : ant Mnp
Bedewi-te-li-se « prêtre d’Amanap (qui est) à Méroé » (REM 0521).
On notera aussi qu’assez fréquemment, le génitif analytique est utilisé
avec ellipse du nom régissant. Cette construction est notamment attestée dans
certains titres comme qorbse / qorpse que nous avons vu précédemment, et
son singulier qorise. Littéralement qorise (< *qore-li-se) signifie « (celui) du
souverain », « (serviteur) du souverain », qorbse (< *qore-leb-se) « (celui)
des souverains », « (serviteur) des souverains », où le pluriel désigne peut-
être le roi et la Candace. Le nom régissant est souvent un théonyme : Mnp-se
« (serviteur) d’Amanap » (REM 0201), Mni-se « (serviteur) d’Amon (REM
0201), Wos-se « (serviteur) d’Isis » (REM 0119).

Emplois respectifs des deux génitifs

Avec ses deux génitifs, le méroïtique s’inscrit dans une structure


fréquente parmi les langues du monde, et particulièrement dans le domaine
africain : la dualité entre « possession aliénable » et « possession inalié-
nable ». Ces termes consacrés cachent en fait une réalité plus floue. Tout
d’abord, le génitif n’est pas qu’une marque de possession, mais indique une

1
D’après la lecture de Millet (The Meroitic Inscriptions from Gebel Adda, ms,
aimablement transmis par l’auteur)
2
Voir Rilly, 2000c, p. 106.
530 LA LANGUE DE MÉROÉ

multiplicité de relations possibles entre deux noms. Ensuite, la frontière entre


ce qui est inaliénable (par exemple les termes de parenté, les parties du corps,
les qualités) et ce qui est aliénable (par exemple le bétail, les ustensiles) est
extrêmement fluctuante selon les langues et surtout les cultures 1. Dans la quasi-
totalité des langues africaines qui font cette distinction, la possession
inaliénable est indiquée par une simple juxtaposition, alors que la possession
aliénable est marquée par un morphème spécifique 2. On pourrait donc
simplement parler de génitif « direct » et « indirect ». Le cas du méroïtique avec
deux ordres différents entre nom régi et régissant est cependant peu répandu,
l’ordre des constituants étant la plupart du temps le même, mais il s’explique
parfaitement dans une perspective diachronique, comme nous le verrons.
Pour ce qui est de la distiction entre forme marquée et non marquée, la
langue de Koush s’accorde bien avec les données africaines. Le génitif
antéposé exprime effectivement une relation inaliénable : il est attesté
notamment pour les relations de parenté comme ste « mère », kdise « sœur »,
wi « frère », etc. Son utilisation dans des locutions prépositionnelles comme
X n-lw « en présence de X », X se-lw « sous l’autorité (?) de X » montre
qu’il est également de rigueur dans les qualités et les attributs abstraits. En
revanche, le génitif analytique postposé est employé pour des relations
aliénables comme les affectations au service d’un culte ou d’une
administration. Son utilisation est beaucoup plus lâche que celle du précédent
puisqu’il peut désigner une destination (apote Arome-li-se : « envoyé auprès
de Rome » et non « envoyé de Rome »). C’est en revanche la seule formation
connue, ou du moins explorée, pour les pronoms possessifs 3 : qe-se (et var.)
« de lui », « d’elle », d’où « son », « sa », « ses », qe-be-se (et var.)
« d’eux », « d’elles », d’où « leur(s) ».
La distinction entre les deux génitifs peut se révéler d’une grande
importance pour l’identification sémantique de certains termes. Ainsi, il y a
eu longtemps un débat passionné autour du sens du terme yetmde, une
« relation de parenté » extrêmement fréquente dans les « descriptions
relatives » des épitaphes. Hintze a soutenu que le terme désignait un lien
familial dans la lignée maternelle et pouvait être traduit par « neveu » au sens
large, tandis que pour Hofmann, il s’agissait d’une relation sociale de
clientélisme 4. Bien que l’on ne puisse être totalement sûr de l’extension de
l’inaliénabilité en méroïtique (dans certaines langues « ami » ou « voisin »

1
Cl. Hagège signale ainsi les différences à ce sujet entre certaines langues
austronésiennes (Hagège, 1982, p. 76 et note 2) : ainsi en rennell (îles Salomon), le
terme « fille » est aliénable, tandis que « fils » est inaliénable.
2
Cf. Claudi-Heine, 1989, p. 3.
3
Voir infra, p. 549-551.
4
Cf. notamment Hintze, 1999, p. 234-236 et Hofmann, 1981a, p. 125-134.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 531

est inaliénable 1), le fait que yetmde soit uniquement employé dans des
génitifs antéposés semble donner tort à Hofmann.
On a souvent relevé que, dans bien des langues, le génitif indirect
(possession aliénable) utilisait des marqueurs d’origine spatiale 2. Il est assez
probable que ce soit également le cas en méroïtique. La postposition génivale
-se serait alors le résultat de la grammaticalisation ancienne d’un nom
exprimant un lieu, peut-être phonétiquement simplifié comme il arrive
souvent en ce cas, et placé après son régime dans une construction
antéposée 3, la seule qui existât alors. Le génitif de structure GN serait donc,
contrairement à ce que supposait Hintze (voir ci-dessus, p. 501) et comme en
vieux-nubien, la forme fondamentale en méroïtique.
Bibliographie (les analyses détaillées sont en gras) :
Griffith, 1911a, p. 23, 40 ; Griffith, 1912, p. 39, p. 45 ; Schuchardt, 1913, p. 168,
174-177, note 2, p. 174-175 ; Meinhof, 1921-1922, p. 5-6 ; Zyhlarz, 1930, p. 430,
445, 462 ; Zyhlarz, 1956, p. 26 ; Vycichl, 1958, p. 76 ; Zyhlarz, 1960, p. 751 ; Hintze,
1963a, p. 8, 10 ; Heyler, 1967, p. 110 ; Priese, 1968a, p. 180 ; Millet, 1969, p. 396 ;
Trigger–Heyler, 1970, note 105, p. 35, note h 105, p. 35 ; Priese, 1971,
p. 276 [1.13.4], 281 [1.31], 282 [1.31.3] ; Hintze, 1977a, p. 24-25 ; Hintze, 1977a,
p. 23-25 et notes 1-15, p. 32, 33, p. 31 ; Priese, 1977a, p. 39 [2.13] ; Hofmann,
1978b, p. 265, 269-271, 273, 278 ; Hintze, 1979, p. 30-31, 59 ; Priese, 1979, p. 119-
120 ; Zawadowski, 1981, p. 41 ; Leclant in Save-Söderbergh, 1982, p. 51 ; Hofmann,
1981a, p. 79-81, 93-95 ; Hintze, 1989, p. 97-98, 100 ; Kormysheva, 1998, p. 36, 37,
41 ; Millet, 1998, p. 60 ; Rilly, 1999b, p. 79 et notes 2 et 3, p. 80, 84-85.

Génitif alternatif en -o

Dans quelques très rares textes, il semble que l’on trouve une marque
différente de génitif postposé, écrite -o. La forme n’est attestée que pour
deux théonymes. On a ainsi at Ms-o « prêtre de Mash » en REM 0234, 0249,
0259, tetere Ms-o « teter (titre) de Mash » en REM 0270, ant Mn-o « prêtre
d’Amon (?) 4 » en REM 1202. Dans le syntagme atepedemo, peut-être ate
Pedem-o « prêtre (?) de / à Primis », présent en REM 0227, 0268, 0287,

1
Cf. Claudi-Heine, 1989, p. 13.
2
Ibid. p. 5-7.
3
Cette hypothèse est proche de celle avancée par Vycichl pour la formation de la
postposition locative -te (Vycichl, 1958, p. 80).
4
Il peut s’agir d’Amon (mér. Mni) si l’on suppose que Mno est réalisé /maniMu/, bien que
l’occurrence soit suffisamment tardive (fin IVe siècle) pour que le /i/ se soit éven-
tuellement amuï. Il existe également un dieu Mno / Mnote « Amon-de-la Ville » (< ég.
Õmn-n-N«w.t), auquel on pourrait penser ici, bien que la séquence Mn-o en REM 1202 ne
soit pas un théonyme nu, puisque ant « prêtre », la précède. Mais il n’est pas sûr que la
succession *Mno-o, produisant un /ã/ long, se serait aussi écrite Mno. Pour ces
problèmes de graphies des voyelles longues et des diphtongues, voir supra, p. 292-297.
532 LA LANGUE DE MÉROÉ

0290, 1083, le suffixe est le même, mais il pourrait avoir une valeur locative.
Toutes ces formes sont tardives et cantonnées à la Basse-Nubie. Le suffixe -
o, prononcé [u] ou [o] 1 est sans doute aussi une postposition comme -se dans
le génitif analytique habituel et il n’est pas sans rappeler la postposition -w,
prononcée [wa], qui semble avoir entre autres une valeur locative.

Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 60 ; Schuchardt, 1913, note 3, p. 175 ; Hintze, 1963a, p. 18 [208],
20 [262] ; Millet-Heyler, 1969, p. 4 (11) ; Hintze, 1977, p. 25 et note 15, p. 35 ;
Hofmann, 1981a, p. 187-188, 223, 316 ; Hofmann, 1984, p. 94 ; Hintze, 1987, p. 47 ;
Millet, 1991, p. 163 (REM 1202) ; Hofmann, 1993, p. 210.

Le suffixe -(y)ose : une autre forme de génitif ?

Dans un certain nombre de titres et surtout de qualificatifs ajoutés à des


titres 2 apparaît un suffixe -yose ou -ose pour lequel Heyler, puis Schenkel
ont supposé une valeur génitivale 3. Ce serait selon lui une variante morpho-
phonologique du suffixe (postposition) -se du génitif analytique. Cette
hypothèse a été combattue par Hofmann, 1974b, qui y voit un simple suffixe
nominal permettant de former des titres, comme -ke ou -ne.
Il semblerait en effet étrange, s’il s’agissait d’une variante du génitif, que
dans la vingtaine de formes concernées, aucune n’ait comporté le
déterminant -li, obligatoire comme nous l’avons vu entre un substantif et la
postposition génitivale. Il faudrait supposer que tous ces termes
correspondent à des génitifs de noms propres, ce qui est manifestement faux
puisque certains sont bâtis sur les adjectifs mlo « bon », mƒe « abondant » ou
le nom qore « souverain ». Une forme comme mseqorose, à segmenter mse +
qorose, comporte le substantif mse, mte pour lequel le sens « enfant », peut-
être « page », a été avancé avec vraisemblance, et un qualificatif qorose où
apparaît le mot qore. Il serait assez plausible que ce second élément ait la
valeur d’un adjectif comme « royal ». Le suffixe -(y)ose permettrait alors de
former des adjectifs à partir de noms. On relèvera notamment qu’il peut
suivre des toponymes (pdmose < Pedeme « Primis » et peut-être smlowose <
S(i)mlo) et indiquerait alors peut-être une origine. Comme nous l’avons déjà
constaté en d’autres cas (cf. p. 513-514), il n’y a pas de barrière franche entre
adjectif et substantif, si bien que plusieurs termes en -(y)ose sont utilisés

1
Cf. ci-dessus, p. 402-407.
2
C’est le cas des termes suivants : ameyose, armeyose, mƒeyose, mlekeyose, mleyose,
mlewose, mlowose, mseqorose, nkdeyose, qorose, pdƒose, pelmetreyose, pnqose, sdƒose,
splose, ssimetriqose.
3
La différence entre -yose et -ose est purement graphique : cf. p. 292-293.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 533

seuls comme titres, comme souvent mleyose et ses variantes. En tout cas, ce
suffixe ne semble pas une forme alternative de génitif.

Bibliographie (les analyses principales sont en gras) :


Hintze, 1960a, p. 151, 154 ; Hintze, 1963a, p. 9, 10 [48] à [50], 24 [329] et note 19,
note 21, p. 25, p. 29 ; Trigger–Heyler, 1970, note h 105, p. 35, note h 119, p. 37 et
Index p. 67 ; Meeks, 1973, p. 8 ; Schenkel, 1973c, p. 55-56 ; Hofmann, 1974b,
p. 48-50 ; Hainsworth, 1975b, p. 38 ; Priese, 1977a, p. 43-44 [2.41] ; Hofmann,
1981a, p. 83, 91 ; Rilly, 1999b, p. 81 et note 12.
534 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le locatif

Le terme de « locatif », consacré par la tradition depuis Griffith, ne doit


pas faire illusion. Il ne s’agit presque jamais d’un complément en phrase
verbale, mais d’un type particulier de génitif, qui apporte sur un nom des
précisions d’ordre spatiale. Comme son proche cousin le génitif analytique, il
s’intègre dans le syntagme nominal. Comme lui, il fait appel à une
postposition 1, légèrement différente, -te, et il présente donc les mêmes
caractéristiques structurales. Le seul schéma actuellement connu est le
suivant :
nom régissant (substantif ou théonyme) + toponyme régi + postposition -te

On trouve ainsi avec un substantif comme nom régissant peseto Akine-te


« vice-roi en Basse-Nubie » (REM 1088), et avec un théonyme Mnp
Pedemete « Amanap (qui est) à Primis », d’où « Amanap de Primis »
(REM 1076). Comme pour le génitif postposé (cf. p. 524), il ne semble pas
que le déterminant soit indispensable à la cohésion du syntagme. On a ainsi
en probable position de sujet, dans un décret oraculaire amulétique, une
séquence non déterminée Atri Tmne-te « Hathor (qui est) à Tamane » (REM
1323) et, dans une prière à Apedemak, mk Dqri-te « le dieu (qui est) à
Daqari » (REM 0405A), également sans déterminant. Si le syntagme est lui-
même inclus dans un génitif, ce qui n’est pas rare, le déterminant sera alors
nécessaire, même si le nom régissant dans la construction locative est un
théonyme :
ant / Mnp / Pedeme / -te / -li /-se (REM 1088)
prêtre / Amanap / Primis / dans / celui / de
« prêtre d’Amanap (celui qui est) à Primis »
Le locatif est essentiellement utilisé dans les descriptions funéraires pour
désigner le lieu d’activité d’un fonctionnaire ou le sanctuaire d’une hypostase
divine. On trouve ainsi : ‚rp‚ne Atiye-te « gouverneur à Sedeinga »
(REM 1091) et Wos Pilqe-te « Isis (qui est) à Philae », « Isis de Philae »
(REM 0101). Dans certains passages , comme le remarque Hofmann 2, il ne
s’agit pas d’un lieu de résidence, mais d’un lieu d’origine. C’est notamment
le cas avec le terme mlomrse « ressortissant (?) », « citoyen (?) » puisque
l’on voit des personnages désignés comme mlomrse Atiye-te « citoyen (?) de

1
Pour un locatif alternatif en -o, rarement attesté, voir ci-dessus, p. 527.
2
Hofmann, 1978b, p. 274 ; Hofmann, 1981a, p. 107.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 535

Sedeinga » enterrés à Faras (REM 0504), à Serra-Ouest (REM 1057) et à


Arminna (REM 1066B).
Lorsque le lieu précisé n’est pas une cité, mais un territoire entier,
éventuellement un nome, il semble, sous toutes réserves, qu’il soit exprimé
par un substantif, et que le locatif cède la place au génitif. On comparera
ainsi :
locatif : apote ®lite-te « envoyé à Khalite » (REM 0129)
génitif : apote Arome-li-se « envoyé auprès de l’Empire Romain 1 » (REM 1049)
locatif : aribet A[tiye]-te « aribet (fonctionnaire) à Sedeinga » (REM 1090)
génitif : ar[i]bet Twete-li-se « aribet (du nome) de Tawete 2 » (REM 1333)

Comme pour la postposition génitivale -se, une origine nominale est assez
probable pour la postposition locative -te. Vycichl propose un substantif
signifiant « ventre » (Vycichl, 1958, p. 80). Ce terme est effectivement tou
en vieux-nubien (Browne, 1996, p. 181), taua en nara (baréa), tuu en gaam
(ingessana), trois langues soudaniques orientales peut-être apparentées au
méroïtique. Si on admet cette hypothèse, la postposition -te signifierait alors
étymologiquement « dans le ventre de », « au sein de », et son régime aurait
été originellement un nom régi antéposé.

Bibliographie (les principales études sont en gras) :


Griffith, 1911, p. 8, 23, 40 ; Zyhlarz, 1930, p. 432 et note 40, p. 462 ; Hintze, 1963a,
p. 12-14 ; Trigger, 1964, p. 192 ; Heyler, 1967, p. 111 ; Leclant, 1970-1971, p. 180 ;
Meeks, 1973, p. 7 ; Leclant, 1977, p. 154-155, 157 ; Hofmann, 1978b, p. 265, 270-
278 passim ; Priese, 1979, p. 119 ; Trigger, 1979, p. 151 ; Millet, 1981, p. 138 ;
Hofmann, 1981a, p. 107-108 ; Kormysheva, 1998, p. 31-41 passim ; Abdalla, 1999a,
p. 413, 415, 417.

Le pluriel des noms


Le pluriel des noms est uniformément marqué par le déterminant -leb
dans toutes les occurrences que nous soyons capables d’analyser. On trouve
ainsi :
ant « prêtre » → ant-leb « des prêtres »
apote « messager » → apote-leb « des messagers »
kdi « femme » → kdi-leb « des femmes »
mk « dieu », « déesse » → mk-leb « des dieux », « des déesses »
pelmos « stratège » → pelmos-leb « des stratèges »
ssor « scribe » → ssor-leb « des scribes », etc.
1
Il s’agit probablement de l’Égypte romaine, et non de Rome elle-même ; voir Macadam,
1966, p. 66 ; Hofmann, 1979, p. 28.
2
Ce pourrait être le nome dont Sedeinga est la capitale : voir note 3, p. 135.
536 LA LANGUE DE MÉROÉ

Faut-il en conclure que le pluriel des noms est automatiquement


déterminé ? Ce serait bien étrange, et il est probable que cette apparente
universalité de la détermination tient surtout à la restriction du corpus
compréhensible. Toutes les formes plurielles que l’on peut citer, ou peu s’en
faut, sont issues des descriptions funéraires et occupent des fonctions où la
détermination est de rigueur, comme dans les génitifs antéposés. Si l’on
détaille par exemple l’inscription royale de Kharamadoye, à laquelle nous ne
comprenons malheureusement presque rien, mais qui a le grand avantage de
n’être pas un texte funéraire, on trouve à la ligne 20 un pluriel déterminé
mror-leb, désignant une catégorie d’êtres humains 1, et deux lignes plus loin,
une séquence mrorbe qui pourrait représenter un pluriel sans le déterminant 2,
dont le morphème de pluralité serait alors -be.
Le déterminant pluriel -leb, comme nous l’avons proposé au début de ce
chapitre (cf. p. 506), est issu du singulier -l /la/, par adjonction de la marque
de pluriel -b-, que l’on retrouve également dans les suffixes verbaux (datif
verbal singulier -‚(e)-, pluriel -b‚(e)-) et chez les possessifs (qese
« son » / qebese « leur »). Il semble plausible qu’il se soit produit un
affaiblissement vocalique ancien dans le passage de -l + -b , soit /la/ + /ba/, à
-leb, prononcé /l(Œ)ba/. À l’instar de son équivalent singulier -l(i), -leb est
sujet à des accidents phonétiques comme l’assimilation : qorbse pour *qore-
leb-se « (serviteurs) des souverains », ou la loi de Griffith : kditeb pour
*kdise-leb « les sìurs », mlomrteb pour *mlomrse-leb « les citoyens (?) ».
Enfin, comme dans bien des langues, et notamment en égyptien, le sub-
stantif accompagné d’un numéral reste au singulier. On trouve par exemple
en REM 1003 : abr 32 : kdi 135 « 32 hommes et 135 femmes ».

Bibliographie (les principales études sont en gras) :


Griffith, 1911a, p. 25, note 1, p. 26 ; Meinhof, 1921-1922, p. 7, 11, 14 ; Zyhlarz,
1930, p. 431, 459 ; Zyhlarz, 1956, p. 26 et note 12 ; Vycichl, 1958, p. 76, 78 ;
Monneret de Villard in Hintze, 1960a, p. 147 ; Trigger, 1962, p. 9 ; Hintze, 1963a,
p. 8 [21], 18 ; Heyler, 1967, p. 108-109 ; Trigger, 1968, p. 6-8 ; Priese, 1971, p. 276
[1.12] ; Millet, 1973c, p. 312-313 ; Meeks, 1973, p. 5 et 8 ; Vycichl, 1973a, p. 57-58 ;
Hofmann, 1981a, p. 144-148, 152-153, 157-158, 297, 298 ; Millet, 1982, p. 79.

1
Voir Millet, 1973c, p. 310.
2
On ne peut exclure ici la possibilité d’une assimilation du -l- initial du déterminant
pluriel -leb. L’inscription de Kharamadoye présente une curieuse coexistence de
formes assilées et non-assimilées (ainsi qor-ƒ et qore lƒ « grand roi »). Voir p. 414.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 537

Le vocatif
Le vocatif était jusqu’ici connu pour l’essentiel d’après le témoignage des
invocations funéraires (voir p. 93-96), et ne concernait que les théonymes et
quelques épithètes divines. La récente découverte de décrets oraculaires
amulétiques en méroïtique 1, dont l’introduction stéréotypée débute par une
apostrophe au bénéficiaire, nous permet désormais d’ajouter à cette liste des
anthroponymes et des titres, et de confirmer certaines règles, notamment sur
le plan morphophonologique. Le suffixe du vocatif semble uniformément -i.
Il est suffixé directement aux noms propres, formant éventuellement une
diphtongue avec la voyelle finale du nom 2 :
Wos /ãsa/ « Isis » → Wos-i /u¯saMi/ « ô Isis ! » (passim)

Mnp /manapa/ « Amanap » → Mnp-i /manapaMi/ « ô Amanap ! »


(REM 0091C)

*Tmedoye /tamaduy/ Tamadoye 3 → Tmedoyi /tamaduyi/ « ô Tamadoye ! »


(REM 1325)
Si le nom se termine par un -i, il semble que l’adjonction du suffixe
vocatif aboutit à la création d’une voyelle longue /§/, écrite -eyi (pour cette
convention, voir p. 293) :
Asori /usuri/ « Osiris » → Asoreyi /usur¡¯/ « ô Osiris ! » (passim)

Amesemi /„mŒsŒmi/ 4 « Amesemi » → (A)mesemeyi /„mŒsŒm¡¯/ « ô Amesemi ! »


(REM 1294 / 0014)

*Ptiyesi /patiesi/ « Pétéisé » 1 → Ptiyeseyi /paties¡¯/ « ô Pétéisé ! » (REM


1096)

1
Dans Edwards-Fuller, 2000 et Rilly, 2000c. Voir ci-dessus, p. 216-226.
2
Voir p. 296-297.
3
Cet anthroponyme est attesté uniquement au vocatif. La séquence finale -doye est
fréquente dans les noms de personne : A‚doye en REM 1084, ¬rmdoye en REM 0094,
etc., et figure très vraisemblablement dans la forme simple de ce nom. La reconsti-
tution phonologique est hypothétique.
4
Il s’agit de la parèdre d’Apedemak, traditionnellement appelée « la déesse-nègre » ou
« la déesse au faucon », dont le nom n’est apparu que récemment dans les fouilles de
Naga en 1999. Le timbre précis de la voyelle initiale ne peut être déterminé avec
assurance, mais sa propension à l’amuïssement laisse supposer un schwa (cf. p. 289-
291). La transcription des voyelles translittérées e n’est pas sûre : on peut tout aussi
bien avoir /e/ ou une absence de voyelle (voir p. 398-401).
538 LA LANGUE DE MÉROÉ

Le suffixe -i ne peut s’ajouter directement au substantif. La présence du


déterminant -l est alors requise. On trouve ainsi ces exemples, tous issus des
décrets oraculaires amulétiques à l’exception du premier :
mk-lƒ-l-i « ô grand dieu », « ô grande déesse » (REM 0129, etc.) 2
ant-l-i « ô prêtre » (REM 1152)
stmdeti (< stmdese-l-i) « ô stemdese (titre) » (REM 1319A)
peseto-l-i « ô vice-roi » (REM 1324)
beliloke-l-i « ô grand-prêtre (?) » (REM 1322)
On notera qu’il est impossible de savoir si l’on affaire à un vocatif ou
bien à un substantif suivi de la forme longue du déterminant -li, sauf à
posséder, comme c’est le cas ici, des formules parallèles incluant des noms
propres, pour lesquels le vocatif est plus aisément identifiable. Les exemples
cités ci-dessus sont en effet tirés des invocations funéraires ou des
introductions de décrets oraculaires.
La présence du déterminant est également nécessaire quand un anthro-
ponyme suivi d’une expansion est mis au vocatif. C’est notamment le cas
dans les invocations solennelles (voir p. 93-95) où la nature et le sens des
expansions restent actuellement impossibles à préciser, mais aussi lorsqu’un
théonyme est suivi d’un locatif pour représenter une hypostase du dieu :
Wos wetneyineqe-l-i « ô Isis la wetneyineqe ! » (passim)
Asori wetrri (<*wetrre-l-i) « ô Osiris le *wetrre ! » (passim)
Apedemk Dqri-te-l-i « ô Apedemak (qui es) à Daqari ! » (REM 1293)
Le suffixe du vocatif se comporte donc exactement comme les
postpositions, dont le régime doit dans tous les cas comporter le déterminant,
sauf pour les noms propres sans expansion.
Quelle est son origine ? Il semble douteux, en raison de sa place, qu’il
s’agisse d’une interjection, comme le « du vocatif égyptien. On rappellera
que le « nilo-saharien », et plus exactement le soudanique oriental, connaît
selon Greenberg un morphème de 2e personne du singulier en -/i/ (voir
p. 472-473) : y aurait-il un rapport avec le vocatif méroïtique ?
Bibliographie (les principales études sont en gras) :
Griffith, 1911a, p. 23, 33-34 ; Griffith, 1916b, p. 123 ; Griffith, 1917a, p. 26 ;
Zyhlarz, 1930, p. 448, 462 ; Zyhlarz, 1956, p. 25 ; Hintze, 1959b, p. 181 ; Trigger,
1962, p. 6 ; Macadam, 1966, p. 59 ; Trigger, 1967a, p. 71 ; Heyler, 1967, p. 109 ;
Trigger–Heyler, 1970, p. 22, Index C p. 67 ; Meeks, 1973, p. 8 ; Priese, 1977a, p. 37,
41, 42, 45 ; Haycock, 1978, p. 54-55 ; Hofmann, 1978c, p. 106-107, 113 ;
Zawadowski, 1981, p. 40 ; Hofmann, 1981a, p. 42-44 ; Zibelius, 1983, p. 68 ; Böhm,

1
Il s’agit de l’anthroponyme démotique bien connu P3-dj-Õs.t. Seul le vocatif est attesté en
méroïtique. La forme nue est reconstituée d’après les noms méroïtiques voisins Tyesi
(< dém. Ta-Õs.t) et Pyesi (< dém. Pa-Õs.t).
2
Voir p. 95.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 539

1986, p. 116 ; Abdalla, 1994, p. 5 ; Kormysheva, 1998, p. 35, 36 ; Wolf, 1999b, p. 49-50 ;
Jacquet-Gordon, 2000, p. 33 ; Edwards-Fuller, 2000, p. 89 ; Rilly, 2000c, p. 105.

LES POSTPOSITIONS

Les deux postpositions les plus fréquentes sont les morphèmes -se du
génitif analytique et -te du locatif. Nous leur avons précédemment réservé un
traitement particulier qui doit plus à la tradition méroïtisante et à la nécessité
où nous étions de distinguer les deux types de génitifs, qu’à une quelconque
différence avec les autres postpositions. La construction semble identique,
trois cas différents pouvant être distingués :
nom propre + postposition
ex. : Wos-n-lw « en présence d’Isis » (REM 0124)
Medewi-ke « (qui vient) de Méroé » (REM 1141)
substantif + déterminant + postposition
ex. : mk-l-w « pour (?) le dieu » (REM 1116)
qor (<*qore-l) n-l « en présence du souverain » (REM 1003)
théonyme + expansion (ici locatif) + déterminant + postposition
ex. : Wos Pileqe-te-l-‚e « pour (?) Isis (qui est) à Philae » (REM 0101)
Wos Tebwe-te-li-n-lw « en présence d’Isis (qui est) à l’Abaton » (REM 0122)
Il nous semble que l’on peut distinguer deux sortes de postpositions, les
unes simples, souvent appelées « suffixes », comme -w, -‚e ou -k(e), les
autres composées comme n-lw ou se-lw. Ces dernières sont clairement
construites à l’aide d’un substantif (n et se), et doivent être décrites comme
des syntagmes comportant un génitif antéposé déterminé, suivi de la
postposition simple -w : n-lw < n-l-w litt. « par la présence », se-lw < se-l-w
litt. « par l’autorité (?) de ».
Leur statut de postpositions, et non de simples syntagmes nominaux, se
déduit néanmoins de la tendance qu’elles ont à se simplifier, perdant
notamment leur finale en -w, la postposition simple qui avait permis de les
construire. On trouve ainsi n-l en REM 0095, n-le en REM 0094, et se-l au
lieu de se-lw en REM 1003, 1044, 1039, 1221, 1293. Le substantif qui les
compose reste cependant assez distinct pour recevoir une expansion,
possessif ou adjectif :
n-betw < *n-bese-l-w : « en leur présence » (REM 0123)
540 LA LANGUE DE MÉROÉ

Amnp nete se-mlo-lw « par la bonne autorité (?) de Amanap nete 1 »


(REM 1044)

Les postpositions actuellement connues sont en nombre limité et pour la


plupart ont un sens spatial. Dans le relevé suivant, nous avons indiqué les
plus probables. On se référera au « lexique » du REM prochainement publié
pour la bibliographie de chacune.
(1) -‚e signifierait « vers », « pour », selon une hypothèse de Priese,
1971, qui se fonde essentiellement sur un rapprochement avec le suffixe
verbal de datif -‚. On la trouve dans les formules de bénédiction G et J, où
son emploi est peu clair (voir p. 175-177), ainsi que trois fois en REM 0101.
Mais le contexte est chaque fois trop obscur pour confirmer pleinement le
sens proposé par Priese :
Wos Tebwe-te-l-‚e « pour (?) Isis (qui est) à l’Abaton »
(2) -ke ou -k indique une origine spatiale et peut se traduire par « depuis »
ou « de ». Son usage le plus clair est attesté dans des indications d’étendue
géographique : « depuis X jusqu’à Y ». Elle suit alors le toponyme de départ,
tandis que la postposition -yte est ajoutée au toponyme d’arrivée. Entre les
deux syntagmes ainsi définis se place un terme dik qui, plutôt qu’une
postposition, semble un adverbe signifiant « sur toute l’étendue » (cf. anglais
all the way). On trouve ainsi en REM 0094 (voir également ci-dessus, p. 114) :
Simlo-k dik Selele-yte « de Shimalu sur toute l’étendue jusqu’à Selele
(Shellâl ?) »

La postposition -k(e) apparaît également de manière simple après des


toponymes, parfois en parallèle avec des locatifs en -te. On trouve ainsi en
REM 1393 les trois propositions consécutives suivantes, où seuls les
compléments de lieu sont malheureusement compréhensibles. Ce passage est
également intéressant parce qu’il constitue un rare exemple de groupes
postpositionnels en contexte verbal incontestable, alors que la quasi-totalité
des autres occurrences est attestée à l’intérieur de syntagmes nominaux :
Dqri-ke § de-toƒe-wi e-toƒ-te : « de Daqari (Dangeil ?)..... »
Selel[e]-ke : de[-to]ƒe-wi e-toƒ-te : « de Selele (Shellâl ?)... »
Tolkte : de-toƒe-wi e-toƒ-te « à Naga .... »
(où Tolkte est une haplographie pour le locatif Tolkte-te)

1
Ce terme reste mystérieux et pose ici de réels problèmes de syntaxe (dans toutes les
hypothèses que l’on peut faire à son sujet, il devrait être déterminé). Voir Rilly, 2000b,
p. 103-107.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 541

En REM 0103, on peut se demander avec Millet 1 si le groupe Bedewi-k


présent dans une prière à Isis ne désigne pas plutôt une direction « vers Méroé »
qu’une origine « de Méroé ». On a en effet des équivalents démotiques parmi
les proscynèmes de Philae et de Dakka (Ph. 416, Dak. 31 et 32) où des sujets
koushites demandent à la déesse un retour sans encombre « vers Méroé ».
Une variante (?) ou peut-être une postposition composée -kw est présente
dans certains textes (REM 0101, 0103, 1333 2). On trouve peut-être aussi
-‚w, variante du précédent ou résultat d’une assimilation (REM 0247, 1088,
1333).

(3) n-lw est un des rares termes méroïtiques pour lequel nous possédons
un équivalent égyptien. Il apparaît en effet dans les proscynèmes (voir ci-
dessus, p. 201-202) où il correspond à l’égyptien m-b3∆ « en présence de »
(παρá dans les versions grecques). On trouve ainsi en REM 0122 :
Wos Pileqe-te-li Wos Tebwe-te-li-n-lw berwi
« il [le proscynème] reste (?) en présence d’Isis (qui est) à Philae et
d’Isis (qui est) à l’Abaton. »

Il arrive, par souci de clarté ou suite à une sorte de topicalisation, que le


régime de la postposition, s’il est multiple, soit repris par un possessif bese
« leur » 3, comme en REM 0123 :
Wos Pileqe-te-l Wos Tebwe-te-l-n-bese-lw yeberwi
« Isis (qui est) à Philae et Isis (qui est) à l’Abaton, il [le proscynème]
reste (?) en leur présence. »

Comme nous l’avons précédemment signalé, l’élément final -w est assez


labile : on trouve les variantes n-l en REM 0095, 1003 et n-le en REM 0094/16.

(4) -se-lw apparaît principalement après les noms de dieux dans des
titulatures royales en REM 0094, 0101, 1141, 1228, 1293. Deux graphies
avec séparateurs internes se : lw : (REM 0094, 0101) montrent clairement la
structure de cette postposition. Le sens n’est pas établi avec certitude, mais la
comparaison des différents passages, notamment en REM 0094 et 1228,
permet de proposer quelque chose comme « par l’autorité de », « par le
pouvoir de », « sous la protection de » 4. Millet propose « on behalf of ». On
relèvera notamment les deux exemples suivants :

1
Cf. Millet, 1977, p. 318.
2
Pour la même formule, on a Akile-k (« depuis la Basse-Nubie ») en REM 1088 et Akile-
kw en REM 1333.
3
Nous avons décomposé ici la séquence n-betw, contraction de n-bese-lw selon la loi de
Griffith (voir p. 415-420).
4
Voir Rilly, 2000b, p. 107-110.
542 LA LANGUE DE MÉROÉ

qore Mnpte-se-lw qoreyi « souverain qui est (?) 1 souverain par


l’autorité (?) d’Amon de Napata » (REM 0094)

Amnis‚eto Mt Mni-se-l « Amanishakheto, sous la protection de Mout et


d’Amon » (REM 1293 2)

Comme on le voit dans le dernier exemple, l’élément -w peut disparaître,


dès l’époque ancienne (REM 1044, fin du IIe siècle av. J-C.), et la
postposition est réduite alors à -sel. On peut d’ailleurs se demander si le
substantif -se (idée de « pouvoir », de « domaine », etc.) qui en constitue le
noyau n’est pas en fait le même lexème que celui qui avait donné naissance à
la postposition -se devenue, après simplification de la structure initiale, le
morphème du génitif analytique postposé (voir p. 527).

(5) -w serait la postposition simple à partir de laquelle sont bâties les deux
précédentes. Priese a suggéré une traduction « vers » (?), « près de » (?).
Nous avons supposé dans une étude récente (Rilly, 2000b, p. 109) que cette
postposition au sens assez vague, s’il faut en juger par ses occurrences, était,
au moins dans n-l-w (= ég. m-b3∆), l’équivalent de la préposition médio-
égyptienne m, qui elle aussi entre dans la composition d’un grand nombre de
locutions prépositionnelles. Il semble que dans certains de ses emplois, elle
ait eu un sens assez proche de celui d’un datif 3 :
mlo-lowi mk-l-w mlo-lo qor-w mlo-lo
« C’était un femme de valeur ; c’était une femme de valeur pour la
divinité ; c’était une femme de valeur pour le souverain. »
(REM 0327/15-17 ; qor-w forme assimilée pour *qore-l-w).
On remarquera que dans plusieurs passages parallèles des épitaphes, dont
certains pourtant assez anciens (REM 0521, début de notre ère), les formes
en -l-w alternent avec d’autres en -li. Certains en ont conclu qu’il n’y avait
pas de différence entre elles et donc que -lw était une variante du déterminant
-l(i) 4. Nous serions assez enclin pour notre part à penser que -w est une
ancienne postposition en perte de vitesse en néo-méroïtique, mais qui
constituait auparavant un suffixe casuel important. Cette hypothèse
demanderait évidemment des preuves plus étendues pour être étayée.

1
qoreyi forme assimilée pour *qore-neyi.
2
Il est possible que le groupe postpositionnel ait une fonction dans le reste de la propo-
sition, actuellement intraduisible.
3
La traduction donnée ci-dessus reste hypothétique et approximative. Pour sa justification,
on se référera à la section « formule en mlo-lo(wi) », p. 158-162.
4
Cf. Hofmann, 1981a, p. 182, 186.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 543

(6) -yte (REM 0094/11, 13, 27), -ytise (REM 1088, 1333), -yotise (REM
0247, 1088, 1333) sont peut-être des variantes d’une même postposition qui
indique le terme d’un parcours et peut se traduire « jusqu’à » 1. Mais il ne
nous semble pas impossible que les deux dernières formes comprennent en
fait un génitif, et remontent après assimilation à une structure Y-y(o)te-li-se :
« de la (région qui va) jusqu’à Y ». Elles sont en effet attestées comme
compléments des titres ant « prêtre » et tbqo, de sens obscur, alors que la
postposition simple yte semble intervenir dans des contextes verbaux.
D’autres termes souvent obscurs (ainsi -nte, -tk, -tni) 2 ont été interprétés
comme de possibles postpositions. Mais dans certains cas, les occurrences
sont insuffisantes pour se prononcer ; dans d’autres, la construction n’est pas
satisfaisante pour une telle hypothèse. Enfin, pour la postposition -o, variante
rare de -se (génitif) ou de -te (locatif), on se référera à la page 527.

Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 23-25 ; Meinhof, 1921-1922, p. 12-13 ; Zyhlarz, 1930, p. 433-436 ;
Vycichl, 1958, p. 77 ; Priese, 1971, p. 281, 282, 285 ; Hintze, 1989, p. 98 ; Hofmann,
1981a, p. 181-186, 241-242, 257-260, 316-317 ; Rilly, 2000b, p. 108-109.

1
La structure des complexes où elle apparaît a été citée dans le passage consacré ci-dessus
à la postposition -k(e), p. 536.
2
Pour -nte, Millet propose « unto ? », pour -tni, « under ? » (voir Millet, 1998, p. 56-57).
La « particule » -tk apparaît à de nombreuses reprises en REM 1138, voir Hofmann et al.,
1989, p. 147, 149-154.
544 LA LANGUE DE MÉROÉ

PROPOSITIONS PRÉSENTATIVES

On ne sait actuellement rien des propositions de structure verbale en


méroïtique, sinon qu’elles se conforment probablement à un ordre fonda-
mental SOV (voir p. 500). Il sera extrêmement difficile de progresser
d’ailleurs en ce domaine tant que l’on possédera pas quelques certitudes sur
la morphologie verbale, ce qui n’est pas encore le cas. On ne connaît en fait
que les propositions que nous nommons ici « présentatives » (ou identi-
ficatives). Par ce terme, nous entendons uniquement les structures
propositionnelles non verbales comportant un pronom-copule à valeur
présentative (« c’est », « voici ») et un prédicat : il ne peut même pas être
question des propositions non verbales en général, du type « X est Y », car
nous n’en avons pas d’exemples sûrs. On trouve en revanche des
formulations apparemment topicalisées, facultatives et emphatiques, du type
« X, c’est Y », où X peut-être un pronom ou un groupe nominal, mais dans
un cadre structural extrêmement réduit.

Propositions présentatives sans topicalisation

Les différents types de propositions

Deux modèles de propositions présentatives sont actuellement connus. Le


premier est habituel dans les nominations qui présentent les défunts au début
des textes funéraires, ainsi que dans de courtes légendes qui accompagnent
les images des divinités ou des humains et qui nous livrent leur nom. La
formulation se présente sous la forme X -qo(wi), variante X-qe(wi), où X est
systématiquement un anthroponyme ou un théonyme. On peut ainsi trouver
dans ces différents contextes :
Akilible qowi « c’est Akilibale », « voici A. » (REM 0225 ; épitaphe)
¬rmlomkse qo « c’est Khara-malu-makase », « voici K. » (REM 0324 ;
épitaphe)
Tm…•ordeamni qewi « c’est Tam…•ordeamani », « voici T. » (REM 0059 ;
épitaphe)
Akinidd qe « c’est Akinidad », « voici A. » (REM 0402 ; cartouche princier)
Atri qo « c’est Hathor », « voici H. » (REM 0015 ; légende icono-
graphique)
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 545

Le second type utilise un élément prédicatif -lo(wi) 1 et il offre une plus


grande variété de structures. Le pluriel est -lebkwi, alors que dans la formu-
lation précédente, le terme -qo(wi) ou -qe(wi) n’est jamais au pluriel, car
chaque défunt dispose d’une proposition présentative particulière, de telle
sorte que l’on peut en avoir jusqu’à trois de suite.
Cette seconde formulation est tout d’abord utilisée devant un nom propre,
entrant apparemment en concurrence avec la formulation précédente dans 10 %
des épitaphes. Mais nous reviendrons ultérieurement sur ce point qui nous
semble moins simple qu’on ne l’a jusqu’ici supposé et qui pourrait nous
éclairer sur la composition du prédicatif. Elle est ensuite employée dans les
descriptions individuelles des épitaphes 2 et les protocoles royaux en structure
de type x-lo(wi) « c’est un / le » (pluriel x-lebkwi), où le terme prédiqué x
peut être un simple substantif, mais aussi un syntagme nominal plus ou moins
complexe :
apote-lowi « c’était 3 un envoyé » (REM 1083 ; épitaphe)
qor-o (< qore-lo) « c’est le souverain » (REM 1294 ; stèle royale)
pqrtr-lo « c’est le grand (?) prince » (REM 0017 ; légende iconographique)
ant Wos-se-lowi « c’était un prêtre d’Isis » (REM 0215 ; épitaphe)

Enfin, elle apparaît dans les descriptions relatives des épitaphes 4 en


structure génitivale antéposée de type x y-lo(wi) « c’était le y de x » (au
pluriel x y-lebkwi), où « x », substantif régissant, est un terme de parenté, et
« y » la caractérisation d’un personnage (anthroponyme, titre ou les deux) :

‚rp‚e-li kdise-lowi « c’était la sœur d’un gouverneur » (REM 0325)


peseto-leb yetmde-lebkwi « c’étaient des parents 5 de vice-rois » (REM
0223)
apote Arome-li-se Stpiye kdite-lowi « c’était la sœur de l’envoyé auprès
de Rome Shatapiye » (REM 1049)

1
Voir p. 545 pour une hypothèse de segmentation de cet élément.
2
Voir ci-dessus, p. 108-115.
3
Nous avons choisi de traduire par un imparfait dans les épitaphes, en raison du
contexte funéraire, et par un présent dans les stèles royales ou les légendes
iconographiques. Il n’y a bien sûr aucune indication de temps dans ces phrases non-
verbales.
4
Voir ci-dessus, p. 116-127.
5
Il s’agit d’une femme et son « petit » (mte : fils adoptif ? petit frère ?). La traduction
« neveu » ou « nièce » (au sens large) que nous avons adoptée à la suite de Hintze
peut donc difficilement être utilisée ici.
546 LA LANGUE DE MÉROÉ

Hypothèses sur la structure du prédicatif

Griffith, dans Karanóg, estimait déjà que -lo(wi) occupait une fonction de
« copule » (Griffith, 1911a, p. 23) 1, et observait l’aspect facultatif de -wi, qui
n’apparaît pas dans certaines inscriptions (ibid. p. 35) . En revanche, il
estimait que qo(wi) était un qualificatif signifiant « noble », tout en relevant
qu’il « introduisait le nom du défunt » (ibid. p. 120, Index C).
Meinhof a ensuite présenté une segmentation de -lowi, où se succéderait
un déterminant -l, un pronom relatif -o- et une forme du verbe « être » -wi
(Meinhof, 1921-1922, p. 11).
Hintze, dès ses premiers travaux, proposait à son tour un découpage de
-lo(wi), qui avait selon lui une fonction « participiale » ou « relative » 2, si
bien que les propositions que nous considérons ici comme indépendantes
étaient pour lui subordonnées à la nomination initiale. Il y relevait un déter-
minant constitutif -l, une terminaison participiale -o et, comme Griffith, un
élément facultatif -wi au rôle non précisé (Hintze, 1963a, p. 2-3).
Heyler, quant à lui, s’oppose à juste titre à l’idée que les propositions en
-lo(wi) soient des subordonnées relatives. Il rappelle notamment qu’elle
apparaissent parfois dans la nomination, au début de l’épitaphe, et que l’on
voit mal sur quelle principale elles pourraient alors prendre appui. Il leur
accorde donc une valeur d’indépendante (Heyler, 1967, p. 114-115) et
propose une traduction « c’est... », « voici... ». Il estime d’autre part que les
initiales q- et l- dans -lo(wi) et qo(wi) correspondent à des démonstratifs
(ibid. note 80, p. 131), et que le morphème -wi est un élément de cohérence
syntaxique des textes (ibid. p. 115). Il ne donne pas en revanche d’inter-
prétation claire pour -o-.
Priese, qui s’est intéressé ensuite à la question, rejette une quelconque
segmentation de l’élément -lo dans -lo(wi) : il rappelle que ce morphème est
également utilisé, dans la nomination du défunt, à la suite de noms propres
qui n’ont par nature pas besoin de déterminant. Dans les structures où -lowi
suit un substantif (comme la description relative), il suggère une
assimilation 3 *-l-lo-(wi) > -lo-(wi), ce qui expliquerait le pluriel -leb-k-wi

1
Nous rappelons que jusqu’en 1971, et souvent après, ces termes étaient translittérés
qê(wi) et -lê(wi). Par souci de cohérence, nous avons utilisé ici comme ailleurs, et quel
que soit l’auteur cité, la transcription actuelle.
2
On n’oubliera pas que Hintze était alors partisan d’une nature verbale des termes de
parenté (cf. ci-dessus, p. 124-125).
3
Cette hypothèse ne s’accorde pas avec la conception syllabique de l’écriture méroïtique,
que Hintze a présentée après la rédaction de l’article de Priese (la graphie *-l-lo
correspondrait en fait à une réalisation /lalu/, ce qui rend une assimilation difficile).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 547

sans qu’il soit besoin de segmenter -lo (Priese, 1971, p. 277). Cet élément -lo
(plur. -k) serait alors un pronom sujet « der, welcher » (plur. « die, welche »).
Quant à -wi, il constituerait la copule dont la présence serait facultative 1 (ibid.
p. 278). Dans le cas de qo(wi), cette hypothèse dégagerait un élément simple qo
où Priese, dans la tradition de Griffith, voit un qualificatif honorifique, traduit
par « noble », utilisable également comme substantif antéposé (ibid. p. 279).
Dans ses Beiträge zur meroitischen Grammatik, Hintze revient sur ses
idées antérieures, tout en présentant quelques nouvelles hypothèses, et en
attaquant les théories de Priese. Il abandonne notamment la suggestion de
Griffith selon laquelle le terme qo(wi) serait un qualificatif signifiant
« noble ». La composition suffisamment claire d’un possessif qe-se « son »,
pluriel qe-be-se « leur », semble prouver l’existence d’un pronom démons-
tratif qe « celui-ci, celle-ci ». Dans qo s’y ajouterait la copule -o- qu’il
envisageait comme élément relatif dans sa première étude (Hintze, 1963a,
voir supra, p. 542). Par une semblable composition, -lo proviendrait du
déterminant -l, qui prendrait ici une valeur de pronom personnel « il, elle »
(Hintze, 1979, p. 192-195). Quant au morphème -wi, Hintze lui garde sa
valeur emphatique, ce qui expliquerait son caractère facultatif (ibid. p. 55).
On peut résumer ces thèses dans le schéma suivant :
qo (wi) < qe « celui-ci, celle-ci » + copule -o- ± élément emphatique wi
= « celui-ci est, celle-ci est » (1re caractérisation du défunt par un démonstratif)
-lo(wi) < -l « il, elle » + copule -o- ± élément emphatique wi
= « il est, elle est » (caractérisations suivantes du défunt par un anaphorique)
Cette interprétation est reprise par Hofmann avec quelques légères
modifications (Hofmann, 1981a, p. 334-338). Elle préfère en effet voir dans
qe / qo un pronom personnel, et dans -l / -lo un démonstratif, en raison
notamment de l’emploi exclusif de qe (et non de -l) dans les possessifs qe-se
et qe-be-se. Elle apporte d’autre part une contribution importante à la
reconnaissance de -o comme copule : dans les « inscriptions de propriété »,
tracées sur certains objets (voir ci-dessus, p. 205), la structure générale est de
type X-so, qu’elle décompose en X-se + -o « c’est à X » (litt. « c’est de X »),
soit un génitif suivi de la fameuse copule -o- (Hofmann, 1991, p. 233). On
aurait donc selon elle trois formations parallèles :
-se + -o > -so -l(i) + -o > -lo qe + -o > qo
« c’est à ... » « celui-ci est, celle-ci est » « il est, elle est »
Les hypothèses de Hintze et Hofmann semblent les plus abouties et les
plus cohérentes. On peut cependant leur apporter trois objections.

1
Repris dans Priese, 1979, p. 116-117, avec l’exemple de l’oromo, qui possède une
copule -¥a, également facultative.
548 LA LANGUE DE MÉROÉ

1. Si qo est formé d’un pronom qe suivi de la copule -o, comment peut-on


avoir si fréquemment la variante qewi, et parfois simplement qe, des formes
où la copule est apparemment absente ?
2. Comment le déterminant -l / -leb , qui correspond à un degré très faible
de détermination (on le traduit fréquemment par « un, une » en français)
pourrait-il sans aucune adjonction avoir un usage aussi déterminé que celui
de pronom personnel (Hintze) ou démonstratif (Hofmann) ?
3. Si l’on admet avec Hofmann que -lo contient un démonstratif alors que
qo contient un pronom personnel, comment se fait-il que la présentation du
défunt dans les épitaphes se fasse à l’aide d’un pronom personnel et la reprise
dans les propositions de filiation et de description à l’aide d’un
démonstratif ? On attendrait l’inverse. Mais si l’on intervertit les catégories
verbales supposées, ce qui revient à adopter l’opinion de Hintze, on ne
comprend pas que -lo(wi) soit utilisé dans la nomination à la place de qo(wi)
dans 10 % des épitaphes connues 1.
La première objection peut être assez facilement résolue. Nous avons
précédemment supposé que le q méroïtique transcrivait une vélaire labialisée
[kw], et qu’il était donc fréquent que la syllabe qo, par une sorte
d’« haplographie du trait labiovélaire », fût orthographiée qe (avec un schwa
noté e). Les exemples n’en sont pas rares (voir p. 379). L’absence de la
voyelle o dans qewi n’est donc pas un véritable obstacle à la thèse de Hintze
et de Hofmann. En revanche, on peut se demander s’il faut segmenter qo(wi)
en qe + o(wi) ou en qo ± wi. Le pronom écrit qe dans qebese « d’eux » est en
effet orthographié qo dans les variantes qobese (REM 0356) et aqobese
(REM 0225).
La seconde objection va plus loin, car elle se double d’une observation
qui découle de notre étude du génitif antéposé. Dans cette structure, nous
avons vu que le nom régissant était probablement déterminé (cf. p. 521-522).
Or les descriptions relatives des épitaphes présentent l’élément -lo(wi) /
-lebkwi directement placé à la suite du nom régissant : pesto-l wi-lowi « il
était frère d’un vice-roi » (REM 0322).
On doit donc supposer que l’élément -lo(wi) contient le déterminant du
prédicat, soit sous une forme assimilée, comme le pensait Priese, soit plus
vraisemblablement dans son initiale. Ainsi les propositions présentatives
dans les descriptions relatives des épitaphes ne devraient pas s’analyser :
(subst.2 + dét. 2) + subst.1 + prédicatif -lo(wi) / -lebkwi
mais : (subst.2 + dét.2) + (subst.1 + dét.1) + prédicatif -o(wi) / -kwi.

1
On se souvient que ce problème embarrassait Priese (voir ci-dessus, p. 542-543).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 549

Il faut donc supposer que le dét.1 singulier, de forme simple -l, se


contracte avec le prédicatif -owi, réalisé /uwi/, en formant un groupe
graphique -lowi, prononcé /laMuwi/ 1. Au pluriel, le déterminant -leb et le
prédicatif -kwi s’écrivent à la suite sans difficulté.
Certes la présence du déterminant après le nom régissant dans le génitif
antéposé ne repose, comme nous l’avons vu, que sur une forte présomption
théorique et un seul témoignage textuel (REM 0247, voir p. 522), mais il
paraît assez cohérent qu’en méroïtique le prédicat d’une proposition
présentative soit de toute façon déterminé, comme le sont dans cette langue
les termes en position de déterminant 2. Nous avons ainsi constaté que les
noms régis l’étaient systématiquement, ou par nature (noms propres), ou par
adjonction de -l(i). Aussi peut-on supposer que la structure des descriptions
individuelles ne doit pas être analysée :
syntagme nominal + prédicatif -lo(wi) / -lebkwi,
mais plutôt :
syntagme nominal + déterminant -l / -leb + prédicatif -o(wi) / -kwi.
Aussitôt se pose la question des nominations en -lowi, telle qu’elle
apparaissait dans notre troisième objection. Si dans le groupe écrit -lowi
l’initiale ne constitue que le déterminant du substantif prédicat, comment
comprendre qu’elle se maintienne après un nom propre, qui par nature n’est
pas déterminé ? Un examen attentif de la quarantaine d’occurrences
concernées permet une explication. Tout d’abord, alors que le séparateur est
parfois tracé entre l’anthroponyme et le prédicatif -qo(wi), il n’apparaît
jamais devant -lowi dans les nominations 3. D’autre part, aucun des noms
attestés devant -lowi ne comporte de syllabe finale -ye, suffixe pourtant
fréquent dans les anthroponymes (20 % selon Hainsworth, 1979, mais
beaucoup plus à époque tardive). Un seul se termine par -li : il s’agit de B¤…li
en REM 1154, où la syllabe finale a de fortes chances d’être radicale eu
égard à la brièveté inaccoutumée du nom. Or les anthroponymes qui
comportent l’article final -l(i) sont très nombreux : 10 % selon Hainsworth,
ce qui rappelle évidemment les 15 % de nominations en -lo(wi). Nous avons
donc de bonnes raisons de penser que les nominations en -lowi ne concernent
que des anthroponymes originellement terminés par le déterminant -l(i). On
remarquera d’ailleurs que plusieurs de ces noms comportent en séquence

1
Pour la notation des diphtongues, voir p. 296-297.
2
« Le prédicat est au sujet, au niveau de l’énoncé, ce que le déterminant est au déterminé,
au niveau du groupe » (Cohen, 1984, p. 46).
3
En REM 1208, le fac-similé de Millet, qui indique un séparateur devant -lowi, semble
contredit par le cliché de la stèle, où seule une légère ponction accidentelle apparaît
(Millet, 1991 pl. 101a et 109a).
550 LA LANGUE DE MÉROÉ

finale un adjectif comme lƒ « grand » (REM 0130), s‚i « petit, jeune » (REM
0267, 0510), mete, synonyme de s‚i (REM 0250), et que la présence de
l’article après ces qualificatifs est en ce cas habituelle. Enfin, en REM 0515
apparaît dans la filiation un individu nommé Mlis‚-li, qui doit être le même
que le défunt de la stèle REM 0510, où la nomination comporte simplement
Mlis‚i-lo. L’article final de ces anthroponymes doit être, comme pour les
descriptions et les filiations, inclus dans le supposé prédicatif -lo(wi), qu’il
faut rectifier en -o(wi).
Ces nouveaux éléments ne permettent pas cependant de résoudre
totalement la question de la segmentation du prédicatif. En effet, le rôle de la
particule facultative -wi reste actuellement incertain. Soit elle n’a qu’une
valeur « emphatique », ainsi que le supposent Hintze et Hofmann, soit elle
représente en fait la véritable copule, comme le pensaient Priese et Haycock.
Il n’est pas rare en effet de trouver des langues où la copule n’apparaît pas
lorsque la structure est claire : c’est par exemple le cas en guèze 1. Trois
solutions nous semblent donc possibles :
1. La copule est un pronom -o (= /u/) au singulier, pluriel -k- (=/ka/). La
particule finale -wi peut s’y ajouter avec un simple rôle d’emphase. Le
complexe prédicatif des nominations qo(wi) est composé de qe + o(wi)
« celui-ci / celle-ci est ... ». Les descriptions et les filiations sont de type
x-l o(wi) : « c’est un(e) x » ou x-leb k(wi) « ce sont des x ».

2. La copule invariable est -wi au singulier et au pluriel. Elle peut être


omise au singulier. Le complexe prédicatif des nominations qo(wi) est
composé de qo ± wi « celui-ci / celle-ci (est) ... ». Dans les descriptions et les
filiations, la copule s’appuie sur un pronom personnel -o (= /u/) au singulier,
-k- (=/ka/) au pluriel, dans des propositions de structure x-l o ± wi : « il / elle
(est) un(e) x » ou x-leb k + wi « ils / elles sont des x ».

3. La copule est variable en nombre : on a la forme -wi au singulier et -


kwi au pluriel. Le complexe prédicatif des nominations qo(wi) est composé
de qo ± wi « celui-ci / celle-ci (est) ». La copule s’appuie dans les
descriptions et les filiations sur un pronom personnel -o (= /u/), mais
uniquement au singulier, ce qui explique que -kwi soit systématique au
pluriel. Elle apparaît dans ces dernières propositions dans des structures de
type : x-l o ± wi : il / elle (est) un(e) x » ou x-leb + kwi « ce sont des x ».

1
Cf. Cohen, 1984, p. 37 et note 90. Sur la question de l’origine des prédicatifs non
verbaux, on consultera également Creissels, 1991, p. 428-430.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 551

Propositions présentatives avec topicalisation


Deux structures de ce type sont actuellement connues. La première est
une variante de la nomination habituelle X qo(wi) « c’est X », « voici X ».
Le pronom qo y est placé en tête, suivi de la prédication usuelle, qui
d’ailleurs se fait aussi le plus souvent à l’aide de qo, sauf, comme nous
l’avons vu auparavant, si l’anthroponyme comporte un déterminant -l(i), qui
dans ce cas se combine avec le prédicatif simple en une séquence -lowi. On
aura donc 1 :
qo X qo(wi) « celui-ci, c’est X », litt. : « celui-ci, celui-ci est X » (17 occ.)
ex : qo Atqo qowi « celui-ci, c’est Ataqu » (REM 1057)
qo X-l-o(wi) « celui-ci, c’est X-l(i) », litt. : « celui-ci, il est X-l(i) » (4 occ.)
ex. qo Teb†si-lƒ-l-owi « celui-ci, c’est Tebishi-lakha-li 2 » (REM 0130)
C’est évidemment la rupture de construction et l’aspect facultatif de cette
formulation qui nous amène à proposer ici une topicalisation. Le pronom qo est
utilisé en tête de phrase comme topique, et la proposition habituelle de nomi-
nation fait office de rhème. On trouve également cette construction sur une
figurine d’exécration (voir p. 214-215) où la représentation d’un chef entravé
est accompagnée de l’inscription qo qore nobo-lo « celui-ci, c’est le roi noba ».
Une variante de ce procédé consiste à placer en topique un syntagme
nominal comme kdi qo « cette femme », s qo « ce seigneur (?) », où qo a ici
la valeur d’un adjectif démonstratif et non celle d’un prédicatif, qui serait
forcément -lo après un substantif, ainsi que nous l’avons suggéré dans le
chapitre précédent. On trouve ainsi en REM 1084 :
kdi qo A‚doye qowi « cette femme, c’est Akhaduye »
La seconde formulation de ce genre se rencontre dans une vingtaine de
descriptions relatives, où c’est le génitif antéposé représentant plusieurs per-
sonnages référents qui est extrait de la relation prédicative et repris dans le
rhème par le possessif (qe)bese (et var.) « leurs ». Cette structure a été
présentée pour la première fois par Millet et Heyler (Millet-Heyler, 1969), et
revue en détail par Hofmann, 1981a (p. 217-226). Comme nous l’avons
longuement discutée et illustrée p. 126-127, nous nous contenterons ici de la
rappeler brièvement :
X (pluriel), y-(qe)se-l-owi « X (pluriel), il / elle (le défunt) est leur y » 3
1
Nous avons opté pour une valeur démonstrative du pronom qo (opinion de Hintze) plutôt
que personnelle (opinion de Hofmann). Nous utilisons un masculin « celui-ci » pour ne
pas alourdir la traduction, mais on gardera à l’esprit que « celle-ci » est également
possible.
2
C’est-à-dire Tebishi le Grand (l’Ancien ?).
3
La succession -se-l est le plus souvent ici contractée en -t par la loi de Griffith.
552 LA LANGUE DE MÉROÉ

ex : beloloke Npte -te -li Pedeme -te -li ste -bese -l- owi
grand-prêtre (?) / Napata / à / un / Primis / à / un / mère / d’eux / la / elle est
litt. « un grand-prêtre (?) à Napata et un à Primis, elle est la mère de ceux-là. »
= « elle est mère d’un grand-prêtre (?) à Napata et d’un autre à Primis 1. »

Bibliographie
(la liste comprend la quasi-totalité des traductions et des citations de
morphèmes prédicatifs, les études plus détaillées figurant en gras) :
Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 5, 23, 32, 35-36, note 1, p. 37, p. 38, 39, 40,
63, 109, Index C p. 117 ; Griffith, 1911c, p. 57, 60, 77, 81, 85 ; Schuchardt, 1913,
p. 169-176 passim, p. 179 ; Griffith, 1917a, p. 23 et note 5, p. 24, 25 ; Griffith,
1917b, p. 171 ; Meinhof, 1921-1922, p. 5, 11 et note 2, p. 15 ; Zyhlarz, 1930, p. 424,
428, 431-432, 434, 443, 455, 456, 461 ; Macadam, 1949, p. 9, 73-74 et note f, note
1, p. 124, note 1, p. 127 ; Zyhlarz, 1949-1950, p. 293 ; Macadam, 1950, p. 43, 44,
45 ; Sauneron–Yoyotte, 1952, note 2, p. 185 ; Hintze, 1955, p. 359, 368 ; Zyhlarz,
1956, p. 27 ; Monneret de Villard, 1959, p. 94, 95, 96 ; Monneret de Villard, 1960,
p. 96 ; Zyhlarz, 1960, p. 741, 743, 748 et note 15, 749 ; Trigger, 1962, p. 7 ;
Rosenvasser, 1963, p. 140 ; Hintze, 1963a, p. p. 2-3 et notes 6 et 7, p. 3 et note 9 ;
Heyler, 1967, p. 107, 112 et 115, p. 114, note 87, p. 131, notes 89 et 93, p. 132 ;
Trigger, 1967a, p. 72 et note 10 ; Leclant, 1967-1968, p. 115 ; Trigger, 1968, p. 4, 6-
8 ; Priese, 1968a, p. 172 et notes 38 et 39, 182, 186 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22,
23, p. 28 et note 76, p. 29 et note 87, p. 38, 40, 42, 43, 44, 48-49 (Table 4), Index C
p. 62, 66, 67, Index C p. 66 ; Priese, 1971, p. 275-278 ; Millet, 1973a, p. 33, 48 et
pl. 6 ; Meeks, 1973, p. 6, 8, 14 ; Millet, 1973c, p. 312 ; Trigger, 1973a, p. 250 ;
Hintze, 1974a, p. 31, note 9 ; Hainsworth, 1975a, p. 10, 12 et note 11 ; Hainsworth,
1975b, p. 37-38, 39, 40 ; Almagro-Basch–Hainsworth, 1977, p. 9, 12 ; Hintze, 1977a,
p. 29-32 et notes 23-29, p. 34-35 ; Millet, 1977, p. 318 ; Hofmann, 1977a, p. 198,
219 ; Priese, 1977a, p. 55 [2.52.1] ; Zawadowski, 1977, p. 18 ; Haycock, 1978, p. 56,
64, 66, 73, 80 ; Wenig, 1978, p. 218 ; Haycock, 1978, p. 56, 64, 66, 69, 73, 79, 80 ;
Leclant, 1978-1979, p. 186 ; Priese, 1979, p. 116-118 ; Hainsworth, 1979a, p. 27-28 ;
Hainsworth, 1979b, p. 343 ; Hintze, 1979, p. 34, 52, 53-56, 61-62, 192-194 ; Priese,
1979, p. 116-118 ; Hofmann, 1979, p. 28 et note 22, p. 32 ; Hainsworth, 1980, p. 24,
27 ; Hofmann, 1980b, p. 50 ; Bender, 1981b, p. 7-8 ; Hainsworth, 1981, p. 35 ; Millet,
1981, p. 125 ; Hainsworth–Abdalla 1981, p. 8, 17 ; Hofmann, 1981a, p. 40, 52-58,
330-339 ; Millet, 1982, p. 76 ; Zibelius, 1983, p. 52-53 et note 178, p. 55, 59, 64, 65,
66, 70 ; Militarev, 1984, p. 157, 158-159 ; Leclant, 1985-1986, p. 253 ; Abdalla,
1986, p. 11 ; Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 48 ; Hintze, 1989, p. 98-99 ; Abdalla,
1989a, p. 11, 44, 45 ; Hofmann, 1989-1990, p. 232-234 ; Millet, 1991, p. 163, 165,
168 ; Hofmann, 1991, p. 191-192 ; Tiradritti, 1992, note 13, p. 73 ; Abdalla, 1994,
p. 3 et note 5, p. 6 ; Millet, 1996, p. 611 ; Török in Eide–Hägg et al., 1996, p. 664,
673 ; Hofmann in Török, 1997a, p. 277-278, 279 ; Török, 1997b, p. 205, 215, 528 ;
Millet, 1998, p. 56 ; Török in Eide–Hägg et al., 1998, p. 1019 ; Abdalla, 1999a, p. 397,

1
Je ne vois pas de solution acceptable pour garder en français la topicalisation méroïtique
du génitif. Voir Cohen, 1984, p. 24 (ex. 6) et 53 pour des exemples de ce genre en arabe.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 553

403, 407-408, 409, 410, 415 ; Rilly, 1999a, p. 104, 106 ; Rilly, 1999b, p. 82 ; Rilly,
2000b, p. 105, 108 ; Edwards, 2000, p. 42.
554 LA LANGUE DE MÉROÉ

PRONOMS ET COMPLEXES PRONOMINAUX


Très peu de termes méroïtiques peuvent actuellement être considérés avec
certitude comme des pronoms. Ainsi que nous l’avons vu dans le chapitre
précédent, c’est néanmoins le cas de qo / qe et de ses composés, notamment
les possessifs. La question se pose pourtant de savoir s’il s’agit, comme le
suggère Hofmann, d’un véritable pronom de la 3e personne ou d’un simple
démonstratif. Son occurrence systématique dans les nominations d’anthro-
ponymes simples, qui constituent dans les épitaphes les premières
présentations du défunt, et son absence générale dans les propositions
suivantes, laisse plutôt supposer une valeur démonstrative. Son emploi dans
des nominations topicalisées, et particulièrement dans s qo et kdi qo, où il
semble parfois revêtir un caractère adjectival, va dans le même sens. Le fait
qu’il soit utilisé dans la création des seuls possessifs connus ne prouve pas sa
nature de pronom personnel : de nombreuses langues ont ainsi recours à des
démonstratifs pour créer des possessifs de 3e personne, et l’exemple du latin
ejus « son, sa, ses » (litt. « de celui-ci », « de celle-ci ») ou celui du grec
ατο, de même sens et de même formation, en témoignent manifestement.
Dans les ostraca et les textes royaux, on trouve respectivement les formes
qo-li et qo-leb, où la présence du déterminant semble difficilement
compatible avec un statut de pronom démonstratif. Peut-être qo remonte-t-il
à un ancien substantif qui se serait conservé dans ces deux termes 1. En REM
1003, le mot qo-leb apparaît par trois fois (lignes 5, 10, 20) après le groupe
abr + chiffre + kdi+ chiffre : « tel nombre d’hommes et tel nombre de
femmes » et l’on peut supposer qu’il les précise d’une manière ou d’une
autre. Une autre solution serait de voir dans qo l’adjectif démonstratif dont
nous avons précédemment supposé l’existence et dans -leb un déterminant
pluriel portant sur l’ensemble (abr + chiffre + kdi+ chiffre), avec une valeur
comme « ces hommes et ces femmes, au nombre de x et de y (respec-
tivement) ». On remarquera en effet que les trois syntagmes suivent chaque fois
de peu un membre de phrase où apparaît la mention d’hommes et de femmes,
dans un contexte encore moins clair : il pourrait s’agir d’une reprise chiffrée.
Il est en revanche possible que l’élément -o dans le prédicatif -o(wi)
constitue un pronom de la 3e personne du singulier, mais cette hypothèse est
extrêmement fragile (c’est l’une des trois solutions envisagées p. 544). Il est
encore moins assuré que k, élément du prédicatif pluriel -kwi, corresponde à
un pronom de la 3e personne du pluriel.
1
On rappelle qu’une racine de forme assez semblable est très répandue dans les langues
« nilo-sahariennes » pour désigner une « personne » : nubien mahas koú « maître »,
nara (baréa) ku « personne », nyima kwai « homme », dinka koi « personne », kunama ka,
kanouri kwa, etc. ; cf. Greenberg, 1966b, p. 103, 124, 143.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 555

Zyhlarz, puis Millet 1, ont proposé comme pronom de la 1re personne


singulier une séquence ano qui apparaît en REM 0091 et GA 06. On trouve
ainsi dans le graffito rupestre REM 0091B, à côté de la représentation d’un
personnage arborant un bâton : s qo Skin-l-o « ce seigneur (?) , c’est
Shakinali » et, dans une inscription voisine, REM 0091C/2 : ano Skin-li qo
« c’est l’ano Shakinali ». Pareillement, une séquence ano-qo « cet ano »
figure en REM 1036 et GA 04. Bien que la critique de Hofmann, pour qui le
groupe ano-qo serait une prédication, ne nous satisfasse pas entièrement 2,
nous pensons comme elle que ano est ici un substantif. Le contexte est de
toute façon insuffisant pour en déduire une quelconque traduction du genre
« c’est moi », et le peu de syntaxe que nous connaissons semble s’y opposer.
Nous ne pouvons donc actuellement citer de façon sûre aucun pronom
personnel en méroïtique.
On connaît en revanche assez bien maintenant les possessifs
correspondant à la 3e personne, qui ont, comme nous l’avons vu, une origine
probablement démonstrative puisqu’ils sont construits sur le pronom qo / qe.
Leur identification exacte posait quelques problèmes tant que les substantifs
de parenté des descriptions relatives, dans lesquelles on les trouve, étaient
considérés comme des verbes. Ainsi, les premiers qui les analysèrent, Millet
et Heyler, s’abstinrent prudemment de traduction dans leur conclusion
(Millet-Heyler, 1969, p. 9). Un peu plus tard, Schenkel et Millet y voyaient
des infixes verbaux (Schenkel, 1973b, p. 50-54 ; Millet, 1973b, p. 308-314).
C’est Hintze, à notre connaissance, qui le premier les traduisit par de simples
possessifs (Hintze, 1979, p. 60).
Les formes connues comprennent, surtout au pluriel, de nombreuses
variantes, dont la plupart sont probablement purement graphiques. On trouve
ainsi :
possesseur singulier : qese, aqese et peut-être se 3 « son », « sa », « ses »
possesseur pluriel : bese, qebese, aqebese, aqobese « leur », « leurs »
Elles sont construites de manière assez transparente à partir du pronom qe
/ qo, suivi de la postposition génitivale -se. On remarquera que cette
construction analytique postposée semble réservée dans le domaine nominal

1
Zyhlarz, 1930, p. 448-449 ; Millet, 1977, p. 320.
2
Hofmann, 1981a, p. 56 ; qo doit avoir ici, comme dans les expressions s qo ou kdi qo, la
valeur d’un démonstratif « ce », « cette », ce qui explique l’absence du déterminant : voir
p. 98. La critique ancienne de Hintze, est dépassée : elle porte sur la segmentation des
inscriptions par Zyhlarz, qui, elle, s’est révélée juste (cf. Hintze, 1955, p. 370).
3
Voir Millet-Heyler, 1969, p. 7 ; mais les trois exemples cités le sont en REM 0247
après le substantif mte. Il n’est pas impossible qu’il existe un composé mtese qui en
soit dérivé (cf. kdi « femme » > kdi-se « sœur »), auquel cas il n’y aurait pas de
possessif dans les propositions en question.
556 LA LANGUE DE MÉROÉ

aux relations de type « aliénable », ce qui n’est pourtant pas le cas ici puisque
tous ces possessifs sont attestés avec des substantifs de parenté (« mère »,
« sìur », etc.). Au pluriel s’intercale entre le pronom et la postposition le
morphème -be-, que l’on peut assimiler au suffixe de pluriel -b- qui apparaît
dans le déterminant -leb et la marque verbale de datif -b‚e-. Le possessif
singulier qe-se signifie donc originellement « de celui-ci », « de celle-ci », le
pluriel qe-be-se « de ceux-ci », « de celles-ci ».
Le possessif, comme tous les génitifs analytiques, se place à la suite du
nom. Il ne le dispense pas du déterminant, avec lequel il peut se contracter
selon la loi de Griffith : yetmde aqobetowi (< aqobese-l-owi) « c’est leur
neveu (?) / leur nièce (?) » (REM 0225). Si le substantif est suivi d’un
anthroponyme, le déterminant n’est pas nécessaire : yetmde qese Mƒye qowi
« c’est son neveu (?) /sa nièce (?) Makhaye » (REM 0215).
Bibliographie (les études principales sont en gras) :
Zyhlarz, 1930, p. 448-449 ; Hintze, 1955, p. 362-365, 368, 369-370 ; Zyhlarz, 1956,
p. 26-27 ; Vycichl, 1958, p. 76 ; Zyhlarz, 1960, p. 742 ; Trigger, 1962, p. 9 ; Hintze,
1963a, p. 4 et 24 ; Heyler, 1967, p. 109 ; Millet–Heyler, 1969, p. 2-9 ; Priese, 1971,
p. 281 [1. 31], 282 [1. 31] ; Meeks, 1973, p. 5 et 7 ; Schenkel, 1973b, p. 50-54 ;
Schenkel, 1973c, p. 55-56 ; Millet, 1973c, p. 308-314 ; Hofmann, 1974a, p. 39 ;
Hofmann, 1974b, p. 48-51 ; Hofmann, 1977a, p. 198 ; Millet, 1977, p. 320-324 ;
Haycock, 1978, p. 66, 72-73, 76, 78, 79 ; Hintze, 1979, p. 60, 195 ; Hofmann,
1981a, p. 56, 217-235, 237, 239-240, 254-255, 297, 298, 300, 301, 303, 304, 320,
321, 335-336 ; Hintze, 1989, p. 98 ; Edwards-Fuller, 2000, p. 89 ; Rilly, 2000b,
p. 108.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 557

ÉTAT DES RECHERCHES SUR LA MORPHOLOGIE VERBALE

Quelques études ont été menées sur le verbe méroïtique, notamment par
Schenkel et Hintze, et dans une moindre mesure par Millet. Chacun d’eux a
émis ses conclusions, mais elles ne concordent malheureusement pas.
Hofmann, qui a tâché d’en faire une synthèse critique en ne gardant que les
éléments à peu près assurés, aboutit à un très maigre résultat. Le principal
problème est l’incroyable disparité qu’offrent les formes verbales selon le
type de textes où on les étudie : les bénédictions funéraires présentent ainsi
des préfixes que l’on ne trouve jamais dans les inscriptions royales, et
inversement, ces dernières emploient des suffixes inconnus des bénédictions
funéraires :
« Da wir in diesen Texten [inscriptions royales] vermutlich Berichte über
irgenwelche Ereignisse oder über Tempelstiftungen zu sehen haben, sind die
Sätze dieser Inschriften wohl mehr Verbalsätze im eigentlichen Sinn. Die
wenigen Erkenntnisse, die wir aus der Struktur der Deskriptionssätze der
Totentexte gewinnen können, versagen bezeichnenderweise gegenüber diesen
Verbalsätzen fast völlig. » (Hintze, 1977a, p. 32-33)

Le fait n’est pas si étonnant si l’on considère que les stèles royales
développent probablement des narrations, tandis que les sections finales des
épitaphes contiennent des prières. Mais à l’intérieur d’un même type de texte,
on trouve aussi des divergences considérables d’un document à l’autre.
Plusieurs facteurs, que nous avons plusieurs fois évoqués, sont à l’origine
d’une telle diversité : l’évolution de la langue sur plusieurs siècles, les
différents standards orthographiques (notant ou non les assimilations par
exemple) et aussi une évidente recherche de variété d’expression de la part
des Méroïtes (cf. p. 306-307). Aussi ne voyons-nous pas dans l’immédiat
d’autre option que de présenter successivement les structures verbales
proposées dans trois grands types de textes : les filiations, pour lesquelles,
nous le verrons, la notion même de verbe est loin d’être sûre, les bénédictions
funéraires où un modèle assez cohérent a été présenté par Hintze et les
inscriptions royales où la seule recherche d’ampleur reste celle de Schenkel.
La formule générale retenue par Hofmann pour la morphologie du verbe
est la suivante (Hofmann, 1981a, p. 216) :
V= ± Präf. + V ± Inf. ± Suff.
Le premier élément est un préfixe, mais nous n’en connaissons qu’un tout
petit nombre : ps- et variantes dans les bénédictions, d- dans les décrets
oraculaires (voir p. 219), et peut-être un préfixe de graphies diverses selon
les verbes et les époques : e-, ye-, yi-, pour lequel Hintze suppose une valeur
558 LA LANGUE DE MÉROÉ

zéro, puisqu’il fait de cet élément vocalique 1 l’initiale nue du radical. Enfin,
on a depuis les travaux de Meinhof proposé un préfixe t- / te- dans les termes
de filiation, dont la nature verbale reste incertaine. La question des préfixes
verbaux est souvent lourde de présupposés dans la recherche méroïtique, car
elle se réfère plus ou moins explicitement à une théorie phylogénétique :
Meinhof et Zyhlarz, qui penchaient pour une origine chamito-sémitique,
multiplient les préfixes, fréquents dans les langues couchitiques. Griffith n’en
reconnaissait aucun, au point de se méprendre sur la structure des verbes de
bénédictions 2, parce qu’il était influencé par la morphologie verbale du
nubien, qui ne connaît que des suffixes. On peut plus ou moins en dire autant
pour Millet (cf. Millet, 1973a, p. 38) et pour Schenkel, mais dans ce dernier
cas, c’est la structure du nara (baréa), où les verbes sont également suffixés,
qui est en cause.
Le second élément est le radical verbal lui-même. Il est en effet assez
probable qu’il n’y ait pas plusieurs préfixes à la suite. Un seul verbe possède
actuellement un sens assuré : -l- « donner », attesté dans plusieurs types de
textes. Dans les bénédictions funéraires, on trouve les lexèmes verbaux
suivants : -ƒe-, -‚r- -ƒol-, -t‚- (var. -tk-), -dotedi-, -wi- / -we-, -ple- (ou -plete-),
-kle- (?), -keƒ, -tre-, -twd-. Dans les inscriptions royales, Schenkel développe
les « paradigmes » de six verbes : -bqo-, -de-, -ked-, p‚-, -tk- et -tewwi- 3. Au
début des décrets oraculaires apparaît un verbe -(i)roƒ-. Comme on le voit, la
structure syllabique de ces lexèmes est assez variée : si l’on fait abstraction
de la difficile question d’éventuelles voyelles initiales, on trouve des
monosyllabes de types CV comme -l- ou -ƒe-, quelques radicaux trisylla-
biques de type CVCVCV comme -dotedi- 4, -twd- (= /tawada/), et plusieurs
verbes dont la structure doit être CVC, comme sans doute -tre- (= /tar/ ?) ou
CVCV comme -bqo- /baqu/.
Ce que l’on appelle traditionnellement « infixe », et que nous préférons
nommer « suffixe » par exactitude terminologique 5, est constitué d’une
marque dativale, -‚(e)- au singulier, -b‚(e)- au pluriel, qui indique que le
verbe possède un second objet, le bénéficiaire du procès, comme le montre
l’exemple suivant.

1
Voir p. 292-295 pour les graphies des voyelles initiales avec support fictif y-.
2
Il considère ainsi l’évident préfixe ps- (et var.) comme le radical d’un même verbe
(Griffith, 1911a, p. 45).
3
Schenkel, 1972, p. 12-15 ; la nature verbale de tous ces lexèmes semble assurée par la
présence des suffixes -te ou -to, et du suffixe datival (« infixe ») -b‚e- dans certaines
de leurs formes.
4
On a cependant supposé que ce verbe (et le suivant) étaient composés : voir Priese, 1971,
p. 282 [1.31.6] ; Abdalla, 1989a, p. 29, 50.
5
Voir note 1, p. 168.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 559

A[pe]dem[k-i] Tneyidmni pwrite el -‚- te


Apedemak + Voc Taneyidamani vie donner – datif – impér. 2e p.s. (?)
« ô Apedemak, donne la vie à Taneyidamani ! » (REM 0405)
Creissels, qui parle de « voix applicative » et décrit le procédé pour le
kanouri, indique que sa fonction est de « coder à l’intérieur de la forme
verbale (et non par une préposition, postposition ou désinence casuelle) une
signification correspondant au concept traditionnel de datif » 1. Millet a
supposé l’existence d’un suffixe verbal parallèle -bte-/-bite-, qui indiquerait
la pluralité de l’objet, mais ce point n’est actuellement pas vérifiable 2.
Enfin il existe un certain nombre de suffixes divers, qui semblent
constituer la principale composante de la morphologie verbale, sans que l’on
puisse actuellement affirmer que c’est là que se trouvent les morphèmes de
personne, de temps, d’aspect ou de mode. Nous y reviendrons en détail dans
l’étude du verbe par type de textes.
Il est également assez probable qu’il existe des structures verbales
particulières où est utilisée une forme verbo-nominale déterminée par -l,
suivie du prédicatif -o(wi). Cette idée ancienne, que l’on trouve par exemple
chez Millet (Millet, 1973a, p. 36-39) et Abdalla (Abdalla, 1989a, p. 15-28),
avait été cependant abandonnée par Hintze et Hofmann, puisqu’elle servait
principalement à expliquer la présence du prédicatif après les termes de
parenté que l’on croyaient des verbes. Mais il est fréquent que des lexèmes
connus ailleurs comme verbaux soient suivis de -l-owi, notamment dans les
passages obscurs des épitaphes (voir p. 128-155 et surtout p. 129), dans les
inscriptions royales et dans les décrets oraculaires. On comparera par
exemple :
tewwi-b‚e (REM 1003/31) : suffixe de datif verbal b‚(e)
tewwi-l-owi (REM 1116/6) : déterminant + prédicatif
]roƒe-kese (REM 1319/12) : suffixe verbal -kese
aroƒe-l-o (REM 1088/18-19) : déterminant + prédicatif
On remarquera que, dans cette forme auxiliée, le lexème verbal semble
susceptible de recevoir avant le déterminant un certain nombre de préfixes

1
Creissels, 1991, p. 449-450. On notera que le morphème utilisé par le kanouri, langue
« nilo-saharienne » est une vélaire (g / k), comme en méroïtique et dans bien des langues
soudaniques orientales qui connaissent cette construction : cf. ci-dessus, p. 474 et 486
(item n° 38 de Greenberg). Sa place dans le complexe verbal (post-radicale) est la même
qu’en méroïtique. L’existence d’une « voix applicative » ne supprime pas pour autant les
marques dativales sur le nom ou le pronom représentant le bénéficiaire.
2
Voir un exemple (yi-kid-bite[-lowi]) p. 144-145.
560 LA LANGUE DE MÉROÉ

(-ke- 1, -se-, -te-), qui ne sont pas sans rappeler la postposition marquant
l’origine, -k(e), celle du génitif analytique -se, et celle du locatif -te. Mais on
ne peut pour l’heure appréhender leur rôle ou leur sens. On observera ainsi
pour le lexème verbal (i)roƒe 2 les formes suivantes :

aroƒe-l-owi (REM 1088)


yiroƒe-te-l-o (REM 1088)
yiroƒe-se-l-owi (GA 29) 3

Telles sont les caractéristiques à peu près assurées du verbe méroïtique.


À part le suffixe de datif verbal, aucun morphème n’est identifié et compris,
à plus forte raison, de manière indubitable. Dans les lignes suivantes, nous
exposerons les hypothèses, malheureusement inconciliables, que les prin-
cipaux méroïtisants ont avancées sur la structure du verbe dans les différents
type de textes.

Les termes de filiation sont-ils des verbes ?


Nous avons déjà examiné la situation, le rôle et la structure générale de
ces passages des épitaphes lors de notre examen des textes funéraires (voir
p. 99-105). Nous avons montré que le sujet sémantique y était le défunt cité
dans la nomination, et que la filiation se composait de deux propositions
présentatives, dont les prédicats sont deux termes désignant, l’un, l’enfant
d’une mère (l’« enfanté(e) »), et l’autre, l’enfant d’un père (l’« engendré(e) »).
Les analyses précédentes nous permettent maintenant un examen plus précis de
cette double formule, où B représente le nom de la mère et C celui du père :
B / te-d‚e / -l / -o(wi) // C / t-erike / -l / -o(wi)
B / enfanté(e) / le (la) / c’est // C / engendré(e) / le (la) / c’est
litt. « c’était l’enfanté(e) de B, c’était l’engendré(e) de C »
= « B l’a enfanté(e), C l’a engendré(e) » 4
Les deux termes te-d‚e (var. t-d‚e, ye-d‚e) et t-erike (var. y-erike) sont
en position de substantifs régissants dans un génitif antéposé (voir p. 520 sq),

1
Il est difficile pour cet élément de trouver une paire oppositionnelle : sa fréquence
devant -lo(wi) est notre principal argument pour en faire un suffixe (voir exemples de
passages obscurs d’ordre descriptif p. 130-157).
2
Peut-être « garantir » (cf. vieux-nub. ArouAgar-) ; voir Rilly, 2000c, p. 108 et note 15.
3
Nous décomposons ci-dessus la forme écrite yiroƒetowi selon la loi de Griffith.
4
On gardera à l’esprit que les temps utilisés dans la traduction littérale et l’équivalent en
meilleur français ne sont qu’une interprétation, ces propositions non verbales ne
comportant aucune indication temporelle (cf. supra, p. 541, note 3).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 561

dont les noms régis sont B et C. Il prennent de plus le déterminant usuel


puisqu’ils sont en situation de prédicats. Cependant, dès Karanóg et
jusqu’aujourd’hui, ils ont été interprétés comme des formes verbales. Griffith
les considérait comme des verbes « to bear » et « to beget » (Griffith, 1911a,
p. 23), sans davantage s’étendre sur la question. Schuchardt est plus précis :
il y voit deux participes passifs dont la marque spécifique serait la
terminaison -lo(wi). Il dégage dans les deux formes un préfixe t- et remarque
que la variante y-, rare mais presque réservée à la filiation paternelle 1
yerikelo(wi), semble témoigner d’une influence extérieure 2, mais ne peut
attribuer aucune valeur précise à ce préfixe (Schuchardt, 1913, p. 179-180).
Meinhof, considérant la rareté dans les langues africaines de termes
différents pour « engendrer » et « enfanter », renverse radicalement la
construction : les lexèmes simple -d‚e- et -erike- seraient deux substantifs
signifiant « père » et « mère » :
« Die sehr häufig vorkommenden Bildungen tez‚elêwi [= ted‚elowi] und
terikelêwi [= terikelowi], die von G. [Griffith] übersetzt werden : “geboren von”
und “erzeugt von” sind vielleicht doch nicht Partizipia, sondern Substantiva.
Da t-z‚e in der Bedeutung “Mutter” in der Inscr. 101 von G[riffith] nachgewiesen
ist und die Unterscheidung von “gebären” und “erzeugen” in afrikanischen
Sprachen ungewöhnlich ist, glaube ich, daß man vielleicht die Formen als
Nomina ansehen kann.
te- wäre dann vielleicht Genitiv des Pronomen der 3. Person sing. oder, da es mit
ye- wechselt, ein anderes pronominales Element, -l ist Artikel, -ê- [= -o-] Relativ-
pronomen und -wi Verbum “sein”, und die Worte würde heißen “dessen Mutter
ist”, “dessen Vater ist”. » (Meinhof, 1921-1922, p. 11-12)

L’hypothèse n’est pas vraisemblable. Tout d’abord, le mot « mère »,


connu par ailleurs, est en méroïtique ste. D’autre part, lorsque plusieurs
membres d’une même fratrie sont commémorés dans une commune épitaphe,
les termes de filiation deviennent respectivement t(e)-d‚e-leb-k-wi et t-erike-
leb-k-wi 3, et il serait très surprenant que le préfixe t-, s’il avait une valeur
possessive, ne varie pas au pluriel (ils passeraient en effet d’un sens « sa,
son » à « leur »).
C’est d’ailleurs une solution que Zyhlarz, pourtant disciple fervent de
Meinhof, ne retiendra pas. Pour lui, il s’agit de formes verbales comportant
un préfixe t- « réflexif » connu en chamito-sémitique, et il traduit t-ed‚e et
t-erike « mutterrechtlich verwandt sein » et « vaterrechtlich verwandt sein »

1
Voir p. 28.
2
Voir ci-dessus, p. 462.
3
Nous appliquons désormais le découpage des groupes prédicatifs établis ci-dessus, p. 542-
546.
562 LA LANGUE DE MÉROÉ

(Zyhlarz, 1930, p. 453, 461). Mais il ne fournit pas d’analyse plus détaillée
de la structure syntaxique des filiations.

Malgré les profondes divergences qui le séparent de Zyhlarz sur bien des
points, Hintze n’a pas ici une position foncièrement différente : les filiations
sont pour lui aussi des formes verbales, et t- est un préfixe (Hintze, 1955,
p. 365-366), mais les variantes en y- excluent l’idée d’un « t- réflexif »
chamito-sémitique (id. p. 369). Hintze, qui attribue à -lo(wi) une valeur de
relatif ou de participe, traduit donc « que X a enfanté(e) » et « que Y a
engendré(e) » (id. p. 366, Hintze, 1963a, p. 2, 15). Durant plus de vingt ans,
sous son impulsion, tous les termes de parenté, et non seulement de filiation,
seront considérés comme des verbes. Lorsqu’il renonce à cette interprétation
pour les termes simples comme ste « mère » ou wi « frère », il la conserve
cependant pour trois expressions : t(e)-d‚e, t-erike et yetmde (Hintze, 1979,
p. 58) qu’il regarde comme des participes ou des formes verbo-nominales. Il
avance pour cela deux raisons. La première est la présence d’un « préfixe
connu par ailleurs comme verbal », y(e)-, dans yetmde et les deux variantes
ye-d‚e et y-erike, préfixe que l’on retrouve fréquemment à l’initiale de
formes verbales, tant dans les bénédictions que dans les textes royaux. La
seconde est d’ordre sémantique : alors que « mère » ou « frère » sont des
« simples états » (« bloße Zustände »), et donc plutôt des noms, les termes de
filiation, différents pour le lien maternel ou paternel, renvoient à
l’enfantement et à la procréation, qui sont des « actions » (« Tätigkeiten »),
plus compatibles avec une nature verbale.
Il y a dans le premier argument une certaine contradiction chez Hintze,
puisqu’il définira plus loin dans le même ouvrage la syllabe ye- au début des
verbes, non comme un préfixe, mais comme une initiale vocalique
appartenant au radical (Hintze,1979, p. 70-73) 1. Le second argument est à
notre avis très sujet à caution. D’une part, il relève d’une théorie
aristotélicienne de l’opposition entre verbes / actions et noms / substances,
que les langues passent leur temps à contredire 2. D’autre part, il calque les
données culturelles et linguistiques européennes sur la civilisation
méroïtique 3 : la différenciation « exotique » entre « enfant d’une mère » et
« enfant d’un père » est ici vue à travers le prisme déformant de la société
occidentale moderne, où la famille est réduite à un couple monogame et à sa
progéniture directe. Il est évident que le mot usuel pour « fils », par exemple,
ne renvoie dans presque aucune langue à la conception et à l’accouchement.
1
Il est évident que les deux chapitres concernés (III et IV) correspondent à deux strates
différentes du travail de Hintze, qui n’ont pas été bien raccordées.
2
En grec ancien,  τóκος désigne aussi bien « l’enfantement » que « le rejeton
(enfanté) » sans aucun lien synchronique avec le verbe correspondant τíκτειν : il faut
remonter presque à l’indo-européen pour le trouver.
3
Voir ci-dessus note 2, p. 125.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 563

L’interprétation grammaticale de Hintze n’est pas invraisemblable, mais la


justification n’en est pas suffisante.
Dans sa synthèse grammaticale, Hofmann reprend la même analyse
syntaxique, faisant des termes de filiation des participes, sans pour autant se
prononcer sur la validité des arguments de Hintze, et en gardant une certaine
prudence :
« Auch ich sehe keine andere Möglichkeit als eine Interpretation der Passagen als
“der Pf Geborener war dieser” bzw. “des Pm Gezeugter war dieser”, wobei die
Fragwürdigkeit einer solcher Interpretation nicht übersehen werden darf. Denn
wir haben in diesem Komplex Formen belegt, für die eine wirklich stichhaltige
Erklärung immer noch fehlt und die sich nicht mit Sicherheit in anderen
meroitischen Satzkonstruktion nachweisen lassen. » (Hofmann, 1981a, p. 169)

Il n’est pas tout à fait exact que les formes t(e)-d‚e et t-erike soient
attestées uniquement dans les filiations. Ainsi on trouve une forme apparem-
ment verbale terikto en REM 1044/2-3, et plusieurs occurrences plutôt
nominales de td‚e : td‚-sene en REM 1044, nk : armil : td‚e-so en REM
1294, td‚e : td‚e-l : etkkte en REM 1001, td‚e Mloqorebr en REM 0101.
Mais le contexte est chaque fois trop obscur pour apporter un quelconque
éclaircissement.
Le principal problème est à notre avis la présence du même préfixe t-
devant les deux formes. Le fait qu’il puisse être remplacé par un y- dans les
deux cas, et surtout qu’il soit absent dans les plus anciennes attestations, où
l’on a simplement d‚e- et erike-, réduit d’autant les chances que cet élément
fasse partie du radical. Il ne semble pas impossible que ce préfixe soit en
relation avec un autre préfixe yet-, yit-, yete- que l’on rencontre dans le terme
de parenté yetmde, mais aussi en contexte verbal, notamment dans les
passages obscurs des épitaphes (voir passim p. 130-143). C’est probablement
de ce côté que se cache la solution, mais une recherche sur cet élément
demanderait une longue et minutieuse comparaison, et surtout un corpus
beaucoup plus étoffé. Dans l’immédiat, il n’est pas possible de se prononcer
sur la nature, verbale ou nominale, des termes de filiation.

Bibliographie (les études de base sont indiquées en gras) :


Griffith, 1911a, p. 23 ; Schuchardt, 1913, p. 179-180 ; Meinhof, 1921-1922, p. 11-
12 ; Zyhlarz, 1930, p. 453, 465 ; Hintze, 1955, p. 365-366 ; Hintze, 1959a, p. 13-16,
35-36 ; Monneret de Villard, 1960, p. 102-103 ; Trigger, 1962, p. 7 ; Hintze, 1963a,
p. 2, 15 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22, 30, 31-32, 48-49 et Table 6, p. 55, 56 ; Priese,
1971, p. 283 [1. 32. 1] ; Hintze, 1979, p. 58 ; Hofmann, 1981a, p. 168-180.
564 LA LANGUE DE MÉROÉ

Les verbes de bénédiction


C’est essentiellement à partir des bénédictions finales des épitaphes que
se sont effectuées les recherches sur la morphologie verbale. Les verbes y
sont en effet relativement nombreux puisque dix ou onze ont pu y être
repérés. De plus, on dispose d’une grande quantité de textes qui permettent
des comparaisons à vaste échelle, parfois sur plusieurs centaines
d’occurrences. Face à ces avantages, les formules de bénédiction présentent
aussi malheureusement certains inconvénients : elles ne nous offrent qu’une
construction peu variée, et surtout, elles ne possèdent pas de sujet distinct
puisqu’il s’agit de prières à l’impératif ou à l’optatif. Nous avons précé-
demment, lors de l’étude typologique de ces passages (cf. p. 167-181),
détaillé leur structure générale que nous rappelons ici :
substantif + adjectif ± déterminant ± complexe verbal
Nous avons également tâché d’établir quel était le sujet des verbes. Il est
probable qu’il s’agit des divinités funéraires Isis et Osiris, introduites dans
l’invocation initiale. Le sens général semble donc « donnez-lui (donnez-leur)
telle offrande ».
Le complexe verbal est d’une incroyable variété, en raison non seulement
du nombre de verbes utilisés, mais de la diversité étonnante des préfixes et
des suffixes qui encadrent le radical. Griffith, dans Karanóg, s’y était laissé
piéger, en partie par comparaison avec le verbe nubien où l’on ne trouve que
des suffixes : il avait ainsi supposé que la séquence initiale ps- (et var.)
contenait le lexème verbal et que les éléments qui suivaient étaient autant de
suffixes (Griffith, 1911a, p. 45). C’est Schuchardt qui le premier, indiqua
l’exacte structure des formes verbales : elles contenaient un préfixe, un
lexème verbal et un ou plusieurs suffixes. Quant à l’élément ps- (et var.), il
n’était que le plus fréquent des préfixes, mais non un radical (Schuchardt,
1913, p. 177-179). La même structure fut ensuite proposée, sans avancées
notables, par Hestermann, 1925. Entre-temps, Meinhof avait à son tour
étudié les verbes de bénédictions et en présentait une analyse aux résultats
assez contrastés. Son interprétation de la structure générale et du sens global,
fondée sur une réelle compétence linguistique et une connaissance
approfondie de plusieurs langues africaines, constituait un évident progrès :
« Die Analyse der Verbalformen führt aber noch zu weiteren Ergebnissen.
G. [=Griffith] hat angenommen, daß die ersten Buchstaben den Stamm des
Verbum darstellen. Schon Schuchardt hat gezeigt, daß das sicher unrichtigt ist.
Wenn auch die Mehrzahl der Formen mit pi-ši- (p-š-) beginnt, so sind doch auch
andere da, bei denen pi- oder ši- oder beide fehlen. Der Schluß der Formen ist -te,
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 565

-tê [=-to], -kete und ähnlich. Die Mitte wechselt, also haben wir die Mitte als den
Stamm anzusehen. Dieser Stamm erscheint gelegentlich ohne Präfix und Suffix,
wird dann also Imperativ sein,
z.B. ’tê *mƒe yiƒ [ato mƒe yiƒ-] Kar. 5
’t *mƒe yi‚r [at mƒe yi‚r-] Kar. 5
‚mlêle ƒêl [‚mlole ƒol-] Kar. 30
‚mlêl ƒêl [‚mlol ƒol-] Kar. 109, Sh. 2
Man kann zweifelhaft sein, an wen der Imperativ gerichtet ist, ob an den Toten
oder an Isis und Osiris, die ja regelmäßig auf den Denksteinen angerufen werden.
Das Wahrscheinlichste ist wohl die Anrufung des Götter. Vor diese
Imperativformen tritt öfter p-, das ich für ein Präfix halte, das den Wunsch
ausdrückt,
z.B. ‚mlêl p-ƒêl [‚mlol p-ƒol-] Kar. 14
mlêlw p-ƒl [‚mlolw p-ƒ•-] Sh. 16 » (Meinhof, 1921-1922, p. 7-8)

Il fut également le premier à clairement définir le suffixe verbal de datif


(« infixe »), que Griffith considérait assez vaguement comme une sorte de
pronom 1. En revanche, sa tentative d’interprétation sémantique des éléments
dégagés à partir des langues couchitiques étaient manifestement erronée, et
motivée par une volonté idéologique de rattacher cette langue de civilisation
à sa famille « hamitique » (Meinhof, 1921-1922, p. 8-10) 2. Les hypothèses
de Meinhof furent ensuite relayées par Zyhlarz, qui n’apporta rien de plus à
la compréhension du système verbal (Zyhlarz, 1930, p. 460-462 ; Zyhlarz,
1956, p. 27-28).
L’étape suivante fut essentiellement un travail d’inventaire des différents
éléments qui constituaient les complexes verbaux. Hintze, pour les besoins de
sa réfutation des thèses de Meinhof et Zyhlarz, fut le premier à établir un
relevé exhaustif des verbes de bénédictions et de leurs préfixes (Hintze,
1955, p. 363-365). Trigger proposa ensuite une deuxième liste raisonnée
(Trigger–Heyler, 1970, p. 51), où il suggérait un début d’explication pour la
diversité des morphèmes :
« It would appear that many, if not all, the variants of p.š and b.š are allomorphs
of the same morpheme. (...) As yet no one has formulated rules that would
account for some or all of the observed variation. Much, if not all, the variation
may have a complex morphophonemic, rather than grammatical, origin. This is a
subject deserving of careful study. » (loc. cit.)

Schenkel présenta enfin dans la Meroitic Newsletter n° 13 un inventaire


complet, réalisé à l’aide d’un programme informatisé, des éléments constitutifs

1
Griffith, 1917a, p. 25 ; Meinhof, 1921-1922, p. 7.
2
Voir ci-dessus, p. 460-464 pour les hypothèses de Meinhof et Zyhlarz, et leur réfutation
par Hintze.
566 LA LANGUE DE MÉROÉ

de ces complexes verbaux (Schenkel, 1973a). Mais, contrairement à son


étude précédente des verbes dans les textes royaux (Schenkel, 1972, voir ci-
dessous, p. 568), il ne s’engagea pas dans une interprétation sémantique des
résultats obtenus. L’ensemble était cependant d’une grande utilité pour les
recherches futures, et Schenkel y soupçonnait déjà l’importance des
phénomènes d’assimilation, qui seraient ultérieurement développés par
Hintze (Schenkel, 1973a, p. 8). La liste des affixes comprenait les éléments
suivants :
Tableau 22 : Liste des préfixes et de leurs fréquences respectives 1

ø- 14,3 % a- 0,4
%
bis- 0,2 % bs- 0,2
%
bsi- 0,4 % e- 1,4
%
i- 0,7 % p- 10,5
%
pe- 0,2 % pesi- 0,2
%
pi- 0,4 % pis- 2,3
%
pisi- 8,2 % pitosi- 0,2
%
piwi- 0,2 % ps- 25,6
%
psi- 25,1 % pso- 0,4
%
pwi- 0,5 % y- 0,4
%
ye- 2,0 % yi- 6,2
%

Tableau 23 : Liste des suffixes et de leurs fréquences respectives 2

1
D’après Schenkel, 1973a tab. 1, p. 17 (561 occ.). Les textes découverts depuis cette
parution, essentiellement à Qasr Ibrim, Sedeinga, Saï, Qustul, Ballana ne feraient
qu’augmenter les pourcentages les plus élevés et diminuer les plus faibles. Il faut signaler
que pour le verbe de bénédiction A, Schenkel propose un lexème -*oƒ-, (au lieu de -ƒ(e-)
chez Hintze), ce qui minore la fréquence du préfixe pso- et majore surtout celle de ps-.
2
Non compris les suffixes de datif verbal (« infixes »). D’après Schenkel, 1973a tab. 3,
p. 19 (573 occ.). Les textes découverts depuis cette parution (voir note précédente) ne
feraient également qu’augmenter les pourcentages les plus élevés et diminuer les plus
faibles. On notera que le chiffre de 0,08 % avancé par Hintze pour les 5 exemples du
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 567

-ø 10,0 % -k(e) 0,7


%
-ke[... 1 2,6 % -kese 5,5
%
-k(e)te 54,3 % -k(e)tese 4,5
%
-se 0,2 % -te 19,1
%
-to 2,6 % -tese 0,5
%
Tel était l’état de la question quand Hintze fit circuler, puis paraître son
étude des verbes de bénédictions (Hintze, 1979, p. 63-87). Il procéda d’abord à
un travail de réduction en éliminant un certain nombre d’affixes peu représentés
et donc susceptibles de recéler des fautes, des négligences ou des variantes sans
signification morphologique (ibid. p. 63 et note 6, p. 60, p. 69-70). C’était
notamment le cas de a-, de pitosi-, de pw- et piwi- parmi les préfixes 2, de -ke
parmi les suffixes. Les variantes où un b- initial remplace le p- habituel,
particulièment fréquentes à Arminna, ne furent pas prises en compte : il ne
s’agissait que d’un problème de graphie (cf. ci-dessus, p. 363-365).
Semblablement, les vocalisations différentes des préfixes ps-, psi-, pisi- ou
des suffixes -kte, -kete ne furent pas considérées comme pertinentes 3.
Une fois ce nécessaire ajustement effectué, la liste des préfixes se
réduisait à quatre : ø-, ps- (et var.), p-, y- (et var.). Hintze supposa ensuite
que les supposés préfixes de formes y- transcrivaient en fait une initiale
vocalique présente au début du radical verbal 4, si bien que là aussi le seul
véritable préfixe était ø-. D’un autre côté, le préfixe p- devait être la partie
restante d’un préfixe complet *ps(e)- (= /pas/-) après assimilation 5 du -s- nu
avec la consonne initiale de certains lexèmes verbaux à attaque
consonantique (par exemple -ƒol- en bénédiction C). Au terme de ces

suffixe -ke qu’il évoque (Hintze, 1979, p. 67) comporte manifestement une erreur de
décimale : il n’y a pas 6 250 formules de bénédictions connues, mais bien dix fois moins.
1
La fin de la séquence est perdue par suite de la détérioration du document.
2
Le préfixe a- peut être une variante graphique de ye- (voir p. 291), pitosi- est un hapax
étrange (REM 0223), *pwi- et *piwi- comportent très probablement, comme le suppose
Hintze, des signes s de tracé ambigu, lus faussement -w (voir Hintze, 1979, p. 69).
3
Pour les préfixes, Hintze envisage l’effet d’une harmonie vocalique (voir ci-dessus,
p. 409-410). Pour les suffixes, la recherche statistique que nous avons menée montre une
différence d’ordre diachronique, mais assez approximative : avant 200 apr. J.-C., on
rencontre deux fois plus souvent la forme -kte (= -/kat/) que -kete (= -/kŒt/ ou -/kt/), après
cette date, la proportion s’inverse. Il s’agit très probablement d’un affaiblissement du /a/
en schwa (voir p. 31).
4
Hintze, 1979, p. 70-71 ; voir p. 286-292.
5
Voir supra, p. 410-415.
568 LA LANGUE DE MÉROÉ

réductions successives, seuls deux préfixes différents subsistaient : ø- et ps-,


et tous les autres n’en étaient que des variantes morphophonologiques ou
graphiques (Hintze, 1979, p. 71-72). Ainsi, pour le verbe de bénédiction A -
ƒe-, Hintze suppose une initiale variable /i/- ou /u/- 1 (id. p. 72), et donc une
réalisation /iƒ/ (ou /uƒ/), tandis que le verbe de bénédiction C -ƒol-
comporterait une initiale consonantique /ƒ/ correspondant strictement à son
écriture, et serait donc réalisé /ƒula/. On aurait donc le scénario suivant pour
les formes préfixées de ces verbes :

préfixe ps- ps(e)- + -ƒe- = /pas/- +-/iƒ/- → /pasiƒ/- écrit psiƒ-


ps(e)- + -ƒol- = /pas/- +/ƒula/ → /paƒƒula/- écrit pƒol-

préfixe ø- ø- + -ƒe- = /ø/- +-/iƒ/- → /iƒ/- écrit yiƒ-


ø- + -ƒol- = /ø/- +/ƒula/ → /ƒula/- écrit ƒol-

Un travail similaire avait été également effectué avec les suffixes (ibid.
p. 64-69). Après élimination du rare suffixe -ke 2, il restait huit formes :
-ø, -ketese, -kete, -tese, -te, -kese, -se et -to
Une première constatation s’imposait : l’élément final -se semblait
pouvoir être ajouté ad libitum, et constituait donc un suffixe facultatif (ibid.
p. 75). Hintze rappelait que semblablement, une particule facultative -so est
employée en vieux-nubien pour renforcer l’impératif 3. Les paires -ketese
/-kete et -tese / -te qui ne différaient que par l’ajout de la particule -se
pouvaient donc se réduire à un seul suffixe chacune. De plus, dans les formes
qui comportent cet élément facultatif avaient dû se produire des assimilations
intérieures entre /t/ et /s/ :
-ketese = -/kŒtsŒ/ → -/kŒssŒ/ écrit -kese
-tese = -/tsŒ/ → -/ssŒ/ écrit -se

1
Par souci de cohérence avec le reste de notre étude, nous utilisons les mêmes transcriptions
phonologiques que précédemment : là où Hintze écrit /o/ et /e/ (qui est pour lui un schwa,
voir Hintze, 1979, p. 15), nous transcrivons /u/ et /Œ/ (voir p. 398-407).
2
Hintze, 1979, p. 67 ; contra : Millet, 1979, p. 114. Hintze déploie beaucoup d’efforts
pour montrer que dans cinq textes, on a une erreur ou une négligence. La convergence de
ces fautes paraît tout de même suspecte. Elle peut expliquer par exemple le -k final de
REM 0370. Les autres exemples, qui ont une terminaison consonantique -ke (=/k/), sont
peut-être dus à une simplification d’une finale complexe -kete (=/kt/) après chute des
schwas.
3
Elle est en fait presque systématique à l’impératif et au vétitif, et se trouve aussi dans
certains cas à l’indicatif pour renforcer l’assertion : voir Browne, 1989a, p. 24, 29, 36. On
constatera non sans malice que Hintze rappelle ce détail « als strukturelle Parallele »,
mais quand structure et morphème offrent de telle coïncidences, il est difficile de ne pas
penser à une parenté.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 569

D’autres assimilations, soit avec le suffixe de datif verbal -‚(e)- ou -


b‚(e)- (« infixe ») lorsqu’il était présent devant le suffixe final, soit avec la
consonne finale de certains lexèmes verbaux, expliquaient la disparition du
-ke- dans -tese, -te et -se. Une voyelle (de soutien ?) /a/ semblait apparaître
en ce cas (ibid. p. 65-66). Cette évolution peut être illustrée par ces deux
exemples :
psiƒeb‚ekete (REM 0255) = ps(e)- / iƒe / -b‚e / -kete =
/pasiƒba‚kŒt/
préfixe / radical / suff. datif / suffixe
→ /pasiƒba‚‚at/ écrit psiƒeb‚te (REM 0237)

psiƒekete (REM 0217) = ps(e)- / iƒe / -kete = /pasiƒkŒt/


préfixe / radical / suffixe
→ /pasiƒƒat/ écrit psiƒte (REM 0270)

Seuls les suffixes suivants offraient donc selon Hintze une réelle
différence morphologique : -ø, -kete, -to. Les autres n’étaient que des
variantes de -kete, dues à des phénomènes d’assimilation et à l’adjonction de
la particule « emphatique » -se. L’utilisation de formes assimilées et non
assimilées à même époque est un problème que Hintze tenta de résoudre en
supposant plusieurs standards orthographiques. On se référera ci-dessus aux
pages 414-415 pour un exposé plus détaillé.
Hintze proposa ensuite une signification pour les affixes ainsi mis en
évidence. Il ne présentait aucune justification, mais livrait directement ses
résultats à titre d’hypothèse (« versuchsweise ») dans le schéma suivant
(Hintze, 1979, p. 76) :
VB = + Mod + V ± Pron(A) R3 + Pron(B) R1 ± Emph.
mit den folgenden Belegungsmöglichkeiten :
Mod = Imp : /ø/ ; Opt : /pas/
Pron(A) R3 = sg. : -/ø-‚e/- , -/ø. ø/-, [pl.] : -/b-‚e/-
Pron(B) R1 = sg. 2 : -/a/ ; pl. 2 : -/ket/ ; pl. 3 : -/to/
Emph = -/se/
Les préfixes correspondraient selon cette interprétation à des morphèmes
modaux : ps- (et var.) indiquerait l’optatif et l’absence de préfixe (ø-)
caractériserait l’impératif. Le suffixe de datif verbal (« infixe », ici noté
Pron(A)) serait systématiquement présent au pluriel (-b‚e-) ; mais au singulier
(-‚e-), il serait écrit à époque ancienne et absent à époque tardive. Les
suffixes correspondraient à des marqueurs de personne (notés ici Pron(B)) :
-kete (et var.) pour la 2e personne du pluriel, et -to pour la 3e personne du
570 LA LANGUE DE MÉROÉ

pluriel (uniquement à l’optatif), tandis que la 2e personne du singulier serait


signalée par un suffixe nul (-ø). Enfin, les 2e personnes du singulier et du
pluriel pourraient être renforcées par une particule emphatique facultative
-se.
Cette théorie, et notamment ses implications sémantiques, ne suscitèrent
pas une approbation générale parmi les méroïtisants 1. Les critiques les plus
nombreuses vinrent de Hofmann, qui se livra à une attaque en règle dans son
ouvrage de synthèse Material für eine meroitische Grammatik (Hofmann,
1981a, p. 207-214). Les principales objections sont les suivantes. Pour
chacune d’entre elles, nous avons, en petits caractères, tâché de donner notre
avis, qui tend souvent à la défense de Hintze.
(1) Hofmann, 1981a, p. 207 : Hintze ne tient pas compte de l’invocation
initiale aux dieux, qui peuvent être en fait les sujets des verbes de
bénédiction. Il propose en effet que ces formules finales s’adressent aux
visiteurs des tombes (Hintze, 1979, p. 75 [3.5]).
La critique est justifiée, et un examen détaillé de la situation d’énonciation nous
avait mené aux mêmes conclusions que Hofmann (voir ici p. 164-167). Le fait que
l’on s’adresse aux divinités de l’Au-delà n’empêche peut-être pas que le verbe soit au
singulier, car, d’une part, le dieu Osiris semble totalement occulté dans la religion
méroïtique par sa compagne, à qui pourrait en utime ressort s’adresser le scripteur.
D’autre part, nous avons remarqué que le couple divin était parfois considéré comme
une seule personne, au point de ne recevoir dans l’invocation initiale qu’un seul
suffixe de vocatif (voir ci-dessus, p. 93 et 297).
(2) ibid. p. 207-208 : il est étrange que l’on rencontre dans les mêmes
épitaphes, suivant les formules funéraires, une juxtaposition de personnes
verbales différentes : les trois proposées par Hintze (2e pers. du sing. et du
plur., 3e pers. du plur.) se retrouvent ensemble dans REM 0212, d’où cette
remarque mordante de Hofmann : « Es handelt sich schließlich um eine
Totenstele und keine Sprachübung ! » (id. p. 208).
Ce genre de « variations sur un thème » grammatical ne serait pas unique. On en
possède d’autres exemples, comme pour les formules de filiation redoublées (voir ci-
dessus, p. 101-105). Le « catalogue » des verbes de bénédiction, très étendu lui aussi,
surtout si on le compare avec la relative modicité de son équivalent égyptien, semble
indiquer le goût prononcé des Méroïtes pour une certaine éloquence basée sur la
variété du vocabulaire et des formes grammaticales.
(3) ibid. p. 208-209 : plusieurs préfixes ne sont pas pris en compte par
Hintze, parce que rares ou « fautifs » : piwi-, pwi- (REM 0222, 1074, cf.
Hintze, 1979, p. 69 [2. 1]), w- (REM 0850, cf. Hintze, 1979, p. 69 [2. 1]).

1
Voir notamment : Millet, 1979, p. 113-114 ; Hofmann, 1981a (développé ci-dessus) ;
Zibelius, 1983, p. 47 ; Abdalla, 1989a, p. 15-16.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 571

Ces formes sont extrêmement rares, et le préfixe -w , par exemple, est un hapax
dans les textes funéraires ; Hintze en fait une mauvaise graphie ou une mauvaise
lecture pour -s. Voir ci-dessus note 1, p. 562.
(4) ibid. p. 209-210 : le préfixe écrit pš- est prononcé [pasa] , et la
voyelle finale empêche l’assimilation proposée /pas/ + consonne → /pa/ +
consonne géminée (cf. Hintze, 1979, p. 71-72 [2. 5]). De plus, les formes
alternatives (cf. Hintze, 1979, p. 63, note 6 /pisi/, /pisa/, /pisu/, /pasi/, /pasu/,
sont elles aussi terminées par une voyelle : « Damit sind wir allerdings wieder
bei einer Vielfalt von Präfixen, die ja eben reduziert werden sollte. »
(Hofmann, 1979, p. 209).
Il est possible qu’il y ait eu ici une réduction de la voyelle finale du préfixe en -e
= [Œ], puis un amuïssement qui aurait mis en contact les deux consonnes. Le
phénomène ne serait pas isolé en méroïtique (voir ici p. 398) et Hofmann elle-même y
recourt à plusieurs endroits.
(5) ibid. p. 210-212 : le préfixe y(i)-, que Hintze tient pour un préfixe nul
ø-, qui serait suivi de l’initiale vocalique du radical verbal (cf. Hintze, 1979,
p. 71-72 [2. 5]), se combine bien avec le suffixe -to dans les inscriptions
royales, ce qui selon les théories de Hintze, correspondrait à une 3e personne
du pluriel de l’impératif ! (Cf. stèle de Taneyidamani REM 1044).
ø- ne correspond pas à un préfixe particulier, mais à l’absence de préfixe, qui peut
sans doute caractériser bien d’autres formes verbales, et peut-être l’indicatif ou un
équivalent modal, à en juger par l’indigence de préfixes dans les formes verbales des
textes royaux. Ceci dit, l’identification de -to avec une marque de 3e personne du
pluriel reste à notre avis un point faible de la démonstration de Hintze, tant du point
de vue énonciatif que morphologique : on attendrait en ce cas un morphème de
pluriel, -k- (comme dans le prédicatif -leb-kwi et peut-être dans -kete) ou -b- (comme
dans le déterminant, les possessifs ou le suffixe de datif verbal).
(6) ibid. p. 212 : les formes « non assimilées » selon Hintze, c’est-à-dire
comprenant le suffixe -kete en entier (« etymologische Schreibung ») et les
formes assimilées (en -te , -tese ou -se) se retrouvent côte à côte dans les
mêmes textes (REM 0087, REM 0299, REM 0526, cf. Hintze, 1979, p. 67).
L’idée d’une orthographe « étymologique » n’a rien de choquant en ce qui
concerne les textes méroïtiques, où Hofmann elle-même détecte des formes et des
graphies archaïques (voir ci-dessus, p. 414-415).
(7) ibid. p. 212-213 : on trouve des formes verbales terminées par d’autres
voyelles que le -ø graphique (prononcé [a]) de Hintze (cf. Hintze, 1979, p. 75 et
schéma cité ci-dessus, p. 564), correspondant selon lui au suffixe de la 1re pers.
du singulier : -i dans psi-ƒi (REM 0250), -e dans pso-ƒe (REM 0368).
Le [a] n’est pas un morphème, mais la voyelle finale du radical verbal, comme
Hintze l’a d’ailleurs envisagé (cf. Hintze, 1979, p. 75). Son indication de morphème
-/a/ pour -ø dans le schéma général est une généralisation un peu hâtive, et qui est
572 LA LANGUE DE MÉROÉ

contredite par le signe utilisé. La désinence de 2e personne d’impératif serait alors


[zéro], comme dans la plupart des langues.
Il semble que l’essentiel de l’analyse segmentale de Hintze résiste bien à
la critique : la minoration des formes aberrantes, le rôle de l’assimilation
paraissent des acquis solides, sur lesquels on peut fonder une théorie de la
morphologie verbale du méroïtique. D’autres points, comme le sens du
morphème -to, sont moins assurés et doivent être revus à la lumière des
autres textes. Nous ne pouvons faire nôtre la conclusion d’Hofmann :
« Bei näherer Untersuchung zeigte sich also, daß das von Hintze erarbeitete
Verbalschema zumindest in der vorliegenden Form nicht akzeptiert werden kann,
da die Möglichkeit eines Überprüfung bei den Totentexten wegfällt, wenn die
Subjekte eine unbestimmbare Anzahl von Friedhofsbesuchern sind, und zum
anderen wird es durch die Verbalkomplexe in den Berichten direkt widerlegt. »
(Hofmann, 1981a, p. 213)
Malgré les imperfections soulignées par Hofmann, on ne peut purement et
simplement rejeter le travail de Hintze, et une recherche future sur le verbe
méroïtique devra se faire à notre avis dans la continuité de ses analyses.
Bibliographie (les études principales sont en gras) :
Griffith, 1911a, p. 25-26, 32-53 ; Schuchardt, 1913, p. 177-181 ; Meinhof, 1921-
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277 [1. 13. 8] et p. 281 [1. 31], p. 282 [1. 31. 5], 283 [1. 31. 8] ; Schenkel, 1972, p. 3 ;
Schenkel, 1973a, p. 1-16 ; Meeks, 1973, p. 5, 7 et 8 ; Millet, 1977, p. 315, 320, 323 ;
Hintze, 1979, p. 63-87 ; Millet, 1979, p. 113-114 ; Zibelius, 1983, p. 45-52, 75 ;
Abdalla, 1989a, p. 15-16 ; Hofmann, 1981a, p. 49, 202-216, 239-248 ; Hintze, 1989,
p. 99 ; Abdalla, 1989a, p. 10-16 ; Hofmann, 1991, p. 124-125.

Les verbes dans les inscriptions royales


Si pour les verbes de bénédiction, nous disposons désormais d’analyses
fondamentales, bien qu’imparfaites, il n’existe pour les verbes des textes
royaux 1 que deux relevés, et aucune étude fiable. Pourtant, il est certain que
ces inscriptions comportent tout ce que ne peuvent nous livrer les épitaphes :
des verbes comportant un sujet nominal ou pronominal, des formes
narratives, et une plus grande variété dans les morphèmes personnels.

1
Pour ce type de texte, voir p. 184-191.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 573

Dans son analyse de la stèle du roi Taneyidamani 1, Hintze s’était limité,


par prudence, à ne relever que les formes terminées par le suffixe -to, qui
semble le plus fréquent, et qui figure d’ailleurs également dans les
bénédictions funéraires (Hintze, 1960a, p. 160-161) :
initiale i- :
iƒlƒto (l. 4, 38, 43, 129) irƒtto 2 (l. 35) itt‘ito (l. 37)
ir‚to (l. 46) ipleto (l. 50) ip‚to (l. 112, 113, 115)
ilolto (l. 130) inweto (l. 136)
initiale e-
edeto (l. 74) elbto (l. 33)
ekedeto (l. 143, 144) ekedebto (l. 150)
initiale yo-
yoto (l. 40, 43, 86) yotremlewideto 3 (l. 30) yonp‚to (l. 34)
initiale /ya/-
ynkteketo (l. 49)
initiale a-
akitkto (l. 123) arreto (l. 6)

préfixe (?) t-
terikto (l. 3)
initiale consonantique
ƒrto (l. 27) wideto (?) (l. 30) bes‚to (l. 128)
wdto (l. 139) tkto (l. 151)
initiale incertaine
]rto (l. 65) ]eto (l. 91)
Les éléments que nous nommons ici, par prudence, « initiales », sont
alors considérés par Hintze comme des « préfixes ». Comme le texte est
archaïque (fin du IIe siècle av. J.-C.), on rencontre des initiales i- et e- qui
seront plus tard notées yi- et ye- (voir p. 292). La suggestion ultérieure de
Hintze, selon laquelle le préfixe verbal y- n’existe pas en tant que tel, mais
correspond simplement à une absence de préfixe devant un lexème verbal
d’attaque vocalique (voir ci-dessus, p. 562 et note 3), semble donc se vérifier
ici. On remarquera également la présence probable du suffixe de datif verbal
-‚- dans un certain nombre de formes devant le suffixe -to, et surtout celle

1
On rappelle qu’il s’agit d’une reprise et d’une continuation d’un premier travail laissé
inachevé par Monneret de Villard.
2
Pour le signe archaïque r , de lecture incertaine, voir supra, p. 353.
3
Comme le suggère Hintze, il est possible que le séparateur manque après -mle, et que la
forme verbale soit simplement wideto.
574 LA LANGUE DE MÉROÉ

d’un autre suffixe verbal pluriel en -b- 1 dans elbto et ekedebto, qui sont
probablement construits sur les lexèmes el- « donner » et ked « tuer (?) ».
Le second inventaire a été effectué par Schenkel, à l’aide d’un programme
informatisé, dans une étude intitulée « Versuch einer Bestimmung der
Tempusbildung der Meroitischen / Meroitisches und Barya-Verb » (Schenkel,
1972). Il s’agit d’une tentative unique de recherche systématique sur les
constituants des formes verbales dans trois textes royaux : REM 0094
(inscription tardive de Kharamadoye), REM 1003 (stèle ancienne d’Akinidad et
Amanirenas) et REM 1044 (stèle archaïque de Taneyidamani). L’entreprise
était tout à fait louable, mais elle se doublait d’une interprétation des éléments
morphologiques dégagés à partir de la conjugaison du baréa (nara) 2, une
initiative extrêmement périlleuse, qui rendait les résultats invérifiables, aucune
analyse philologique ne venant consolider les hypothèses. Il dégagea de cette
façon 9 suffixes, mais aucun préfixe, peut-être faute d’en avoir cherché,
puisque le nara, comme le nubien, n’en utilise pas dans son système verbal 3.
L’étude se termine sur les paradigmes (forcément incomplets puisque
constitués d’occurrences dans trois textes) de 6 verbes : bqo, d(e), kede, p‚, tk
et tewwi. Schenkel pense avoir repéré 6 temps / modes :
aoriste, noté par le suffixe : -ø (cf. nara -ø)
duratif, " " : -td (cf. nara -ter / -der)
parfait, " " : -t (cf. nara -t)
optatif, " " : -ke- (cf. nara - ka / -ga)
futur (?), " " : -k
participe " " : -l
Pour les désinences personnelles, il avance prudemment (id. p. 7) :
-o pour la 1re p. s.
-e, -i, -ø, pour la 3e p. s.
Hofmann juge assez sévèrement cette tentative (Hofmann, 1981a, p. 214-
216) et elle démontre, en appliquant ces données à l’analyse des bénédictions
en REM 0212, que le résultat est tout simplement absurde : les temps et les
personnes changeraient sans cesse d’une proposition à l’autre, alors que les
bénédictions comportent tout de même une unité de situation. Nous
remarquerons d’autre part que la méthode de repérage utilisée par Schenkel
est fondée sur des critères trop lâches : on trouve ainsi parmi le relevé des

1
On rappelle que le suffixe de datif verbal pluriel est écrit -b‚- à cette époque. Il doit donc
s’agir d’un autre suffixe. Il pourrait, sous toute réserve, indiquer dans le verbe la pluralité
de l’objet (voir Millet, 1973c, p. 310, 313).
2
Voir p. 477. L’hypothèse de travail était évidemment la parenté génétique du méroï-
tique et du nara, qui, bien que possible, doit être relativement lointaine.
3
Il semble cependant que la procédure de comparaison avec le nara ait suivi le repérage
des affixes (voir Schenkel, 1972, p. 2).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 575

formes verbales à l’aoriste (Schenkel, 1972, p. 10) un substantif : yireqe


« sud », le théonyme (ou épithète divine) trose, l’épithète royale Mni-tke, etc.
Il serait utile de reprendre ce travail de repérage sur un corpus plus étendu,
voire sur la totalité des textes, mais en adoptant des procédures de tri plus
exigeantes, et en se défiant des parallèles présupposés avec d’autres langues.
Il faudrait également tenir compte de la datation des textes, car il est certain
que sur les cinq siècles qui séparent la stèle de Taneyidamani de l’inscription
de Kharamadoye, les données morphologiques et phonétiques ont évolué.
Bibliographie :
Hintze, 1960a, p. 160-161 ; Schenkel, 1972, p. 1-16 ; Millet, 1973a, p. 36-39, 46, 47 ;
Hofmann, 1981a, p. 214-216 .

COORDINATION ET SUBORDINATION

Coordination des propositions et syntagmes


Il semble, d’après le témoignage des textes funéraires, les seuls que nous
puissions en partie comprendre, que le méroïtique utilise la simple
juxtaposition comme moyen habituel de coordination des propositions. Elles
se suivent sans qu’aucune marque particulière de liaison n’y apparaisse,
comme le montre cet exemple tiré de REM 0386 1 :

Yinqe-l-owi: Pqdye: te-d‚e-l-owi: Woniye: t-erike-l-owi: pelmos: Tetbe:


yetmde-l-owi
C’est Yinaqeli, Paqadaye l’a enfantée, Wuniye l’a engendrée, elle était
nièce (?) du stratège Tetabe.
Il n’y ici aucun morphème visible de liaison, et toutes les propositions qui
se succèdent sont construites à partir du même prédicatif, ce qui semble
exclure l’éventualité d’une subordination (voir p. 542-546).
La même juxtaposition se retrouve entre substantifs dans les propositions,
notamment dans les formules de description relative :
pelmos-leb: apote-leb: yetmde-l-o (REM 0130)
de stratèges (et) d’envoyés, elle était la nièce (?)
Cette structure est cependant rare, et les textes préfèrent dans ce cas
exprimer autant de prédications particulières qu’il y a de noms. Il est
néanmoins possible que ce procédé constitue, plutôt qu’une construction

1
Il se peut qu’il s’agisse d’un homme. L’absence de titre et le nombre des parentés en yetmde
nous a fait préférer une traduction au féminin. L’anthroponyme comporte un déterminant.
576 LA LANGUE DE MÉROÉ

naturelle, un moyen rhétorique d’accumulation destiné à mettre en valeur le


personnage :
Amnis‚eto qo: qor-o: ktke-l-o: (REM 1294)
Celle-ci est Amanishakheto, c’est le souverain, c’est la Candace

Il existe cependant des morphèmes explicites de liaison. Le plus commun


est kelw 1 « et (aussi) », postposé au dernier élément de l’énumération. La
plupart des exemples connus sont attestés dans des descriptions relatives
topicalisées (cf. p. 547), comme cet extrait de GA 39 (inédit du Gebel
Adda) :
ml[ekeyo]se: Treye: m[leke]yose: Atoye: mlekeyose: [..]dokeye:
le mlekeyose Taraye, le mlekeyose Atoye, le mlekeyose [..]dokeye

mlekey[o]se: Qoqoye: mlekeyose: Tkreye kelw yetmde-bese-l-o[w]i:


le mlekeyose Qoqoye, le mlekeyose Takareye aussi, la nièce (?) d’eux elle était.

= « elle était nièce du mlekeyose (titre) Taraye, etc. ... et du mlekeyose


Takareye. »
Lorsque plusieurs défunts sont nommés au début d’une épitaphe, au lieu
d’une suite de nominations particulières en qo-wi ou -l-owi, on peut ren-
contrer une nomination commune, le dernier élément étant suivi d’un
prédicatif particulier kelkeni. Le terme est évidemment dérivé du même
élément que kelw dans la construction précédente, mais il est de segmentation
délicate. Il est assez curieux de ne pas y rencontrer l’élément -o(wi) commun
aux deux autres prédicatifs :
Trqmeteli: / Arotnide / Yityeseyi: / kelkeni: (REM 0228)
« Taraqa-mete-li 2/ Arotanide / Yitayeseyi /aussi voici (?) »
= « Voici Taraqa-mete-li, Arotanide et aussi Yitayeseyi »
Bibliographie :
Heyler, 1967, p. 109 et 111 ; Priese, 1971, p. 275 [1] ; Priese, 1971, p. 280 [1. 25 ] ;
Meeks, 1973, p. 6 ; Hintze, 1979, p. 38, 47, 195 et note 14 ; Hofmann, 1981a, p. 59,
249-251, 269.

Proposition relative ?
On possède peut-être un exemple de proposition relative, mais la
construction est loin d’être certaine. En REM 1066A, une stèle d’Arminna
1
Cf. p. 457 pour une remarquable correspondance avec le vieux-nubien. Voir p. 144
pour un exemple d’emploi de kelw dans une énumération de biens (REM 1182).
2
Littéralement : Taraqa le Jeune ou Taraqa le Petit.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 577

commémorant deux défunts, apparaît dans la description relative la longue


proposition suivante :
[..]kye / mrde / peseto / -li / -se / -li // mrde / pelmos / -li / -se / -li: / kelw: //
[..]kaye / mrde / vice-roi / le / de / un // mrde / stratège / le / de / un / aussi //

‚rp‚e / -b‚e / -li // yetmde /-leb /-k-wi


commander (?) / à eux / celui // neveu (?) / les / ils sont

= « C’étaient les neveux 1 (?) de [..]kaye, mrde (titre) du vice-roi et aussi


mrde du stratège, qui leur commandait (?) ».
La traduction proposée correspond à l’analyse de cette proposition par
Hintze, 1979, mais il faut tenir compte de plusieurs incertitudes. Les premiers
signes sont abîmés et on ne peut être sûr de leur lecture. Heyler propose de
reconstruire ‘lkye (Trigger–Heyler, 1970, p. 13, 34) et indique que l’on ne
peut savoir s’il s’agit d’un titre ou d’un anthroponyme. Pour Hintze, il s’agit
bien d’un nom, et pour Hofmann, ce serait un titre, attesté par ailleurs 2.
Le choix de l’une ou l’autre solution ne change cependant rien à la structure
générale de la phrase. Le personnage référent possède la fonction de mrde
auprès de deux administrations : celle du « stratège », fonctionnaire principal
de la Dodécaschène, et du vice-roi, responsable de la Basse-Nubie. La dualité
de l’affectation est soulignée par kelw « et aussi ». Le groupe suivant, ‚rp‚e-
b‚e-li, constituerait selon Hintze la proposition relative. Il s’agit d’une
détermination supplémentaire du personnage référent, et la présence de -b‚e-,
suffixe de datif verbal, semble en faire une forme verbale incluse dans un
syntagme nominal, et donc une subordonnée relative ou un participe. Le
problème est double : ‚rp‚e est-il bien un verbe, alors que très souvent, ce
terme ne semble qu’une forme assimilée pour ‚rp‚ne « commandant »,
« gouverneur » ? Et surtout le suffixe -b‚e- ne peut-il être utilisé qu’en
contexte verbal ? On a en REM 1116 l’expression ‚rp‚e-qese-li: mlo-lowi
« c’était un homme de valeur aux yeux de son supérieur 3 », où ‚rp‚e est
suivi du possessif qese « son », ce qui en fait indubitablement un nom : si
-b‚e- peut remplacer un possessif après un substantif 4, la « proposition
relative » de Hintze devient un syntagme nominal semblable à tant d’autres et
signifie simplement « leur supérieur ».

1
Le sexe des défunts n’est pas précisable, mais leur subordination administrative ou mili-
taire à un tiers laisse plutôt supposer qu’il s’agit d’hommes.
2
Voir Hofmann, 1981a, p. 269, 270, 272 ; Millet, 1982, p. 79-81.
3
La traduction par « commandant » est ici difficile, puisque le personnage en question,
Netemakher de Sedeinga, occupe lui-même des fonctions très élevées. Voir p. 160 pour
le commentaire de ce passage.
4
Cf. français : « le salut aux armes », où le substantif est construit avec un complément de
type verbal.
578 LA LANGUE DE MÉROÉ

Bibliographie :
Zyhlarz, 1956, p. 27 ; Heyler, 1967, p. 113-114 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 34 ; Priese,
1971, p. 180, 285 ; Hintze, 1979, p. 47, 56 ; Hofmann, 1981, p. 242-246 ; Hintze,
1989, p. 98 ; Millet, 1998, p. 57.
CONCLUSION

Nous espérons avoir démontré que les recherches sur le méroïtique ne


sont pas, comme nous l’avons si souvent lu ou entendu, une cause perdue, et
que des progrès certains ont été réalisés depuis les travaux de Griffith.
Notre étude, conçue au départ comme une simple récapitulation, nous a
révélé de nombreuses pistes souvent peu explorées. Nous en avons suivi
quelques-unes, avec l’espoir d’apporter certains éléments nouveaux qui
puissent contribuer à une meilleure compréhension de l’idiome et de la
civilisation de Méroé.
Notre introduction présente ainsi une première synthèse historique sur la
langue, et fait reculer de plusieurs siècles ses plus anciennes attestations.
Dans la typologie des textes, nous avons défini un nouveau genre de
document, les décrets oraculaires amulétiques, bien qu’il reste encore
beaucoup de travail pour étayer et étendre nos analyses. La partie consacrée à
l’écriture nous a permis de dégager un certain nombre de règles
orthographiques inédites et de proposer une paléographie plus détaillée que
celles qui sont actuellement disponibles. Dans le domaine phonologique,
nous avons tâché de présenter un modèle cohérent, et nos hypothèses
semblent à même d’éclairer un certain nombre de phénomènes jusqu’ici peu
explicables, comme la loi de Griffith (/s/ + /l/ > /t/) et certaines variantes
graphiques. Notre principal apport sur le plan grammatical concerne la
théorisation des deux génitifs, l’un antéposé et direct, l’autre postposé et
indirect, ainsi que ses conséquences sur la structure générale de la langue.
Dans d’autres domaines en revanche, nous n’avons pu que présenter l’état
des recherches, sans nouvel apport conséquent. C’est notamment le cas de la
parenté du méroïtique, un problème crucial puisqu’il pourrait apporter des
éléments décisifs pour la compréhension du lexique. Nous avons
particulièrement développé et illustré l’hypothèse d’un rattachement au
phylum « nilo-saharien », et plus exactement à certaines langues septen-
trionales, comme le nara (baréa) ou le tabi (ingessana). Mais, dans cette famille
linguistique, c’est surtout le vieux-nubien qui présente les plus grandes
ressemblances typologiques et morphologiques avec le méroïtique, et les
progrès réalisés dans la connaissance des deux langues ces dernières années
n’ont fait qu’accentuer ces rapprochements, au point de remettre en cause la
580 LA LANGUE DE MÉROÉ

théorie d’une simple influence, défendue par Griffith et Bender. Toutefois,


les avancées en ce domaine ne pourront se faire que si l’on possède une
meilleure connaissance de ces langues d’un côté, et de l’autre, des données assu-
rées en méroïtique, afin d’éviter que se reproduisent certaines erreurs du passé.
Mais le point le plus obscur et le plus urgent reste la question du verbe,
qui constitue le principal obstacle à notre compréhension de la grammaire
méroïtique. Une recherche systématique sur l’ensemble du corpus, et non
seulement dans les textes funéraires, est ici nécessaire. Elle devra tenir
compte des différences diachroniques et des conventions orthographiques
pour se révéler efficace : le problème des voyelles initiales par exemple
(préfixées ou radicales ?) ne peut se traiter autrement.
Deux conditions importantes sont néanmoins requises pour permettre de
futurs progrès. La première est un accroissement conséquent du corpus. Il
serait souhaitable dans l’immédiat que l’on publie les centaines de textes qui
dorment dans les réserves des musées et des chantiers archéologiques. Mais
c’est évidemment de futures fouilles que l’on peut espérer l’apport le plus
conséquent, et sur ce plan, nous attendons beaucoup des sites de Naga
(mission du musée de Berlin), de Qasr Ibrim (Egypt Exploration Society), de
Doukki Gel (université de Genève), et peut-être d’El-Hassa (Section
française de la Direction des antiquités du Soudan). Il faut également, et c’est
la seconde condition, procéder à une relecture complète des textes connus et
la création d’une base informatisée régulièrement mise à jour, c’est-à-dire la
finalisation du Répertoire d’épigraphie méroïtique. C’est ce projet qui fera la
matière de nos prochains travaux.
Pourra-t-on un jour traduire la langue méroïtique ? Nous en sommes
convaincus : le riche potentiel archéologique du sol soudanais, les perfection-
nements technologiques appliqués à l’étude des textes et les progrès réalisés
ces dernières décennies par les méroïtisants font de ce but autrefois
inaccessible une éventualité raisonnable. Le méroïtique fut la première des
langues d’Afrique subsaharienne à accéder à l'écrit. Lui redonner sens, ce
serait rendre à ce continent une part capitale de son histoire et de sa fierté.
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582 LA LANGUE DE MÉROÉ

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INDEX
Seules les occurrences significatives ont été prises en compte. Les chiffres renvoient
aux pages de l’ouvrage, et, lorsqu’ils sont en gras, aux passages où le thème fait l’objet
d’un traitement spécifique.
Bedja (langue) 48 ; 55 ; 361 ; 366 ;
Abou Simbel 78 ; 214. 368 ; 379 ; 460-463 ; 469 ; 500.
Adjectif 25 ; 109 ; 112 ; 158 ; 164 ; Bénédictions funéraires 58 ; 91 ; 92 ;
168 ; 169 ; 183 ; 189 ; 446 ; 457 ; 133 ; 137 ; 154 ; 158 ; 163-183 ;
468 ; 486 ; 501 ; 503 ; 504 ; 506 ; 211 ; 212 ; 289 ; 306 ; 391 ; 410-
513-515 ; 528 ; 546. 411 ; 425 ; 444 ; 448 ; 461 ; 498 ;
Adjectif démonstratif 98 ; 512 ; 547 ; 508 ; 510 ; 513 ; 552 ; 553 ; 557 ;
549. 559-567.
Agglutinante (langue) 471 ; 497-499. Bénédictions royales 14 ; 22 ; 143 ;
Aliénable / inaliénable 525- 527 ; 551. 192-193 ; 217 ; 274 ; 502.
Amara 76 ; 193 ; 334 ; 338. Bilingues 78 ; 87 ; 421-423 ; 424-426 ;
Analyse structurale 59 ; 422 ; 443-445. 491.
Anthroponymes napatéens 19-27 ; 430. Bouhen 5 ; 76 ; 227.
Anthroponymes protoméroïtiques 5-11. Brugsch (Heinrich) 1 ; 49-50 ; 506.
Anthroponymes méroïtiques 63 ; 96- Candace 89, 112 ; 113 ; 132 ; 186 ;
100 passim ; 116 ; 119-124 passim ; 189 ; 214 ; 233 ; 234 ; 284 ; 300 ;
136 ; 146 ; 196-204 passim ; 214 ; 302 ; 307 ; 308 ; 320 ; 333 ; 340 ;
294 ; 306 ; 410-411 ; 462 ; 486 ; 494 ; 344 ; 359 ; 366 ; 370 ; 373 ; 392 ;
499 ; 502 ; 503 ; 506 ; 510 ; 514 ; 515- 397 ; 400 ; 425 ; 428 ; 429 ; 438 ;
526 passim ; 533 ; 540 ; 545-546. 455 ; 509 ; 525 ; 570.
Apposition 98 ; 100 ; 108 ; 110 ; 112 ; Casuel (système) 502 ; 510 ; 538 ; 552.
116 ; 120 ; 123 ; 504 ; 506 ; 514 ; Catégories grammaticales 503-505.
515-517 ; 521. Chamito-sémitique (afro-asiatique) 1 ;
Arminna 34 ; 61 ; 78-79 ; 84 ; 94 ; 99 ; 8 ; 63 ; 237 ; 287 ; 376 ; 396 ; 449 ;
107 ; 172 ; 174 ; 178 ; 182 ; 227 ; 454-455 ; 460-470 ; 472 ; 474 ; 486 ;
284 ; 291 ; 306 ; 308 ; 366 ; 369 ; 488 ; 553 ; 556-557.
390 ; 392 ; 508 ; 562. Chiffres 54 ; 129 ; 149 ; 154 ; 198 ;
Assimilation 31 ; 32 ; 36 ; 42-43 ; 58 ; 199 ; 208 ; 211 ; 227-229 ; 244 ;
94 ; 112 ; 124 ; 133 ; 135 ; 148 ; 260 ; 355-357 ; 512.
168 ; 170 ; 171 ; 173 ; 176 ; 178 ; Chronologie 22-24 ; 28-36 ; 181-182 ;
179 ; 180 ; 284 ; 300 ; 307 ; 385 ; 190 ; 210 ; 247-275 ; 340-351.
387 ; 391 ; 409 ; 410-415 ; 417 ; Colloques 67-69.
448 ; 458 ; 498 ; 509 ; 511 ; 522 ; Comparatisme 55-56 ; 59 ; 60 ; 63 ;
532 ; 538 ; 542 ; 544 ; 552 ; 561- 566 422 ; 447 ; 449-491 ; 512 ; 518 ;
passim ; 572. 525-526 ; 556-557 ; 560 ; 568-569.
Auxiliées (formes) 129 ; 134 ; 137 ; 139 ; Consonnes 361-395.
151 ; 152 ; 153 ; 157 ; 504 ; 554. Coordination 97 ; 112 ; 119-120 ; 121 ;
Ballana 33 ; 77. 457 ; 458 ; 569-571.
Baréa (ou barya, ou nara, langue) 447 ; Couchitique 1 ; 55-57 ; 268 ; 368 ; 379 ;
454 ; 472 ; 473 ; 477 ; 481 ; 483 ; 454 ; 456 ; 460-470 ; 553 ; 560.
485 ; 487 ; 531 ; 549 ; 553 ; 568 ; Cuirs inscrits 76 ; 88 ; 216 ; 220 ; 221 ;
569 ; 573. 222 ; 223 ; 317.
614 LA LANGUE DE MÉROÉ

Cursive (écriture) 245-262 ; 314-333 ; 169 ; 172 ; 174 ; 175 ; 182 ; 205 ;
340-349. 225 ; 227 ; 232 ; 310 ; 363 ; 382 ;
Datif (marque verbale) 14 ; 22 ; 29 ; 383 ; 384 ; 389 ; 397 ; 400 ; 425 ;
31 ; 36 ; 151 ; 167-180 passim ; 441 ; 516 ; 531.
412 ; 448 ; 457 ; 474 ; 486 ; 532 ; Fautes de lecture 41 ; 187 ; 202 ; 313-
536 ; 551 ; 553-554 ; 560 ; 561 ; 314 ; 354.
563 ; 564 ; 568 ; 572. Fautes d’orthographe 172 ; 293 ; 309-
Déchiffrement (écriture) 48 ; 49-54 ; 310.
231-234. Filiation (expression de la) 99-105 ;
Décrets oraculaires amulétiques 65 ; 555-558.
216-226 ; 427 ; 514 ; 525 ; 533 ; Funéraires (textes) 91-183.
534 ; 552 ; 553 ; 554. Gebel Adda 9 ; 40 ; 41 ; 42 ; 43 ; 44 ;
Démotique 18 ; 25 ; 78 ; 87 ; 96 ; 113 ; 60 ; 61 ; 65 ; 78 ; 90 ; 94 ; 124 ; 126 ;
130 ; 144 ; 153 ; 179 ; 201 ; 202 ; 140 ; 146 ; 147 ; 150 ; 154 ; 158 ;
203 ; 225 ; 226 ; 231 ; 232 ; 233 ; 177 ; 197 ; 202 ; 205 ; 308 ; 365 ;
242-262 passim ; 263 ; 266 ; 269 ; 425 ; 525 ; 570.
272 ; 277 ; 294 ; 300 ; 302 ; 324 ; Gebel Barkal 15 ; 30-31 ; 43 ; 74 ; 89 ;
331 ; 340 ; 344 ; 355 ; 356 ; 358 ; 186 ; 188 ; 191 ; 194 ; 209 ; 215 ;
362-392 passim ; 404 ; 425-427 ; 275 ; 343 ; 362 ; 367 ; 388 ; 432.
429 ; 430 ; 438 ; 516 ; 533 ; 536. Génitif 102 ; 108-114 passim ; 116 ;
Description (du défunt) 106-141. 119 ; 120 ; 121 ; 124 ; 127 ; 131 ;
Déterminant 20 ; 94 ; 95 ; 112-158 142 ; 160 ; 203 ; 207 ; 307 ; 365 ;
passim ; 160 ; 164-183 passim ; 198 ; 398 ; 412 ; 413 ; 416 ; 417 ; 436 ;
205 ; 217 ; 218 ; 300 ; 302 ; 307 ; 444 ; 468 ; 473 ; 486 ; 495 ; 498 ;
356 ; 387 ; 411 ; 413 ; 416 ; 417 ; 501 ; 502 ; 503 ; 505 ; 509 ; 510 ;
429 ; 431 ; 444 ; 446 ; 457 ; 459 ; 511 ; 512 ; 518-529 ; 530 ; 531 ;
481 ; 487 ; 495 ; 498 ; 504 ; 506- 532 ; 538 ; 541 ; 543 ; 544 ; 549 ;
513 ; 514 ; 516 ; 517 ; 518 ; 531 ; 550 ; 551 ; 555.
532 ; 534 ; 535 ; 538 ; 542-546 Genre grammatical 26 ; 55 ; 57 ; 91 ;
passim ; 549 ; 551 ; 559. 95 ; 457 ; 460 ; 462-463 ; 465 ; 468 ;
Dialectales (variantes) 29 ; 35 ; 37-45 ; 471 ; 472 ; 485 ; 497 ; 499-500 ; 514.
308 ; 398 ; 414 ; 455. Graffiti 195-204.
Diphtongues 12 ; 284 ; 295 ; 296-297 ; Grammaire 493-572.
312 ; 407 ; 508 ; 527 ; 533 ; 545. Grammaticalisation 527 ; 538.
Écriture syllabique égyptienne 5 ; 12 ; Grec (langue) 7 ; 17 ; 21 ; 31 ; 131 ;
13 ; 15 ; 16 ; 22-24 ; 35 ; 245 ; 254 ; 145 ; 153 ; 159 ; 168 ; 201 ; 202 ;
263 ; 264 ; 268 ; 271 ; 273 ; 278 ; 232 ; 233 ; 245 ; 248 ; 273 ; 291 ;
381. 294 ; 297 ; 298-302 passim ; 345 ;
El-Hobagi 33 ; 73 ; 85 ; 89 ; 206-207. 359-404 passim ; 408 ; 425 ; 426 ;
Emprunts (à l’égyptien) 6 ; 12 ; 13 ; 17- 428-429 ; 438 ; 451 ; 488 ; 537 ;
18 ; 35 ; 113 ; 132 ; 134 ; 177 ; 179 ; 549 ; 557.
217 ; 224 ; 289 ; 359 ; 362-404 Griffith (Francis Llewellyn) 50-54 ;
passim ; 412 ; 430-433 ; 438 ; 495 ; 231-234 ; 434-436.
524. Hamadab 73 ; 186.
Ellipse (du nom régissant) 114 ; 524 ; Haplographie 170 ; 218 ; 302-304 ;
525. 312 ; 327 ; 379 ; 385 ; 407 ; 413 ;
Étrusque (langue) VII ; 56 ; 360 ; 365 ; 499 ; 544.
406 ; 421 ; 423 ; 426. Harmonie vocalique 409-410 ; 562.
Faras 30 ; 39 ; 40 ; 41 ; 43 ; 76-77 ; 93 ; Heyler (André) 61-62 ; 445 ; 507.
106 ; 107 ; 111 ; 117 ; 123 ; 131 ; Hiatus 290 ; 292-295 ; 387.
132 ; 134 ; 137 ; 148 ; 158 ; 168 ;
INDEX 615

Hiératique anormal 51 ; 242-245 93 ; 94 ; 96 ; 99 ; 106 ; 117 ; 156 ;


passim ; 253 ; 259 ; 355. 159 ; 165 ; 168 ; 171 ; 175 ; 178 ;
Hiéroglyphes (méroïtiques) 263-276 ; 180 ; 186 - 226 passim ; 231 ; 233 ;
334-339 ; 350-351. 243 ; 247 ; 260 ; 261 ; 264 ; 274 ;
Hintze (Fritz) 56-60 ; 67 ; 443-445 ; 279 ; 320 ; 335 ; 345 ; 372 ; 376 ;
561-566. 388 ; 390 ; 400 ; 401 ; 425 ; 505 ;
Hofmann (Inge) 63-64 ; 67 ; 564-566. 511 ; 516 ; 525 ; 535 ; 536.
Impératif 193 ; 457 ; 458 ; 498 ; 500 ; Mesures (signes d'unités) 358.
559 ; 563- 566. Millet (Nicholas B.) 60-61 ; 144-148 ;
Incompatibilités graphiques 313-314. 216 ; 440-441.
Informatisées (méthodes) 62 ; 237 ; Nag Gamus 62 ; 79 ; 94 ; 172 ; 174 ; 308.
239 ; 316 ; 422 ; 437 ; 445-448. Naga 14 ; 22 ; 38 ; 71-72 ; 85 ; 86 ;
Initiales vocaliques 6 ; 8 ; 29-31 ; 36 ; 161 ; 165 ; 187 ; 189 ; 192 ; 193 ;
217 ; 247; 263 ; 286-292 ; 294 ; 214 ; 224 ; 231 ; 261 ; 266 ; 276 ;
305 ; 309-310 ; 397 ; 398 ; 557 ; 315 ; 334 ; 335 ; 343 ; 344 ; 367 ;
562 ; 565 ; 567 ; 568. 375 ; 386 ; 404 ; 533 ; 536 ; 574.
Invocation (dans les textes funéraires) Napata (site) 1 ; 11 ; 15 ; 19 ; 30 ; 37 ;
93-96. 38 ; 53 ; 57 ; 114 ; 156 ; 194 ; 303 ;
Invocation solennelle 39-43 ; 93-96 ; 336 ; 363 ; 364 ; 367 ; 392 ; 397 ;
293 ; 302 ; 377 ; 411 ; 412 ; 494 ; 548.
534. Nilotiques (langues) 371 ; 405 ; 472 ;
Kalabsha 20 ; 31 ; 32 ; 47 ; 81 ; 184 ; 473 ; 477 ; 486 ; 501.
189 ; 366 ; 417 ; 455 ; 496. Nominal (syntagme) 505-534.
Karanóg 38 ; 40 ; 42 ; 50 ; 51 ; 53 ; 71 ; Nomination (du défunt) 96-99 ; 540-
80 ; 85 ; 91 ; 92 ; 93 ; 99 ; 100 ; 106 ; 541 ; 545-546.
107 ; 123 ; 133 ; 134 ; 142 ; 148 ; Nubien (langue) 2 ; 9 ; 18 ; 34 ; 37 ;
153 ; 156 ; 158 ; 172 ; 174 ; 175 ; 38 ; 44 ; 45 ; 48-53 passim ; 55 ; 59 ;
176 ; 178 ; 181 ; 182 ; 208 ; 216 ; 63 ; 84 ; 134 ; 146 ; 170 ; 215 ; 239 ;
221 ; 227 ; 261 ; 304 ; 306 ; 307 ; 267 ; 284 ; 294 ; 313 ; 369 ; 371 ;
365 ; 441 ; 444 ; 525. 373 ; 376 ; 384 ; 387 ; 389 ; 392 ;
Kawa 54 ; 74-75 ; 89 ; 136 ; 148 ; 186 ; 393 ; 394 ; 405 ; 427 ; 438 ; 439 ; 449-
195-200 passim ; 244 ; 259 ; 260 ; 459 ; 461 ; 468 ; 472-487 passim ;
262 ; 320 ; 321 ; 333 ; 341 ; 494. 490 ; 491 ; 497 ; 501 ; 505 ; 506 ;
Kerma 10-11 ; 18 ; 35 ; 260. 507 ; 510 ; 518 ; 527 ; 531 ; 549 ;
Latin 7 ; 125 ; 168 ; 283 ; 359-404 553 ; 559 ; 563 ; 568 ; 570 ; 573.
passim ; 419 ; 421 ; 425 ; 426 ; 428 - Omotique 268 ; 461 ; 465-467 ; 469-
429 ; 488 ; 490 ; 497 ; 498 ; 549. 470.
Leclant (Jean) 61-62 ; 80 ; 445-447. Ordre des mots 500-502.
Légendes iconographiques 192-194. Orientation des signes 276.
Lepsius (Richard) 48-49. Origine des signes méroïtiques 242-276.
Liste de présents 144-148. Ostraca 16 ; 33 ; 34 ; 38 ; 61 ; 65 ; 72-
Livre des Morts 11-14 ; 364 ; 381. 81 passim ; 84 ; 86-87 ; 129 ; 206 ;
Loi de Griffith (-se + -l > -t) 29 ; 31 ; 211 ; 216 ; 220 ; 221 ; 222 ; 223 ;
36 ; 94 ; 106 ; 124 ; 217 ; 300 ; 370 ; 224 ; 227-229 ; 291 ; 317 ; 323 ;
382 ; 383 ; 409 ; 415-420 ; 498 ; 355 ; 358 ; 525 ; 549.
505 ; 509 ; 516 ; 525 ; 532 ; 537 ; Paléographie 315-351.
547 ; 551 ; 555. Papyrus 5 ; 15 ; 84 ; 87-88 ; 220-227
Meinhof (Carl) 55 ; 460-462 ; 559-560. passim ; 242 ; 317 ; 358 ; 427.
Méroé 1 ; 4 ; 7 ; 19 ; 28 ; 30 ; 32 ; 34 ; Parallèles (textes) 426-428.
36 ; 37 ; 38 ; 39 ; 40 ; 41 ; 42 ; 43 ; Parenté (expressions de) 57 ; 104 ; 106 ;
50 ; 51 ; 57 ; 73-74 ; 86 ; 87 ; 89 ; 116-126 ; 130-141 passim ; 150 ;
616 LA LANGUE DE MÉROÉ

152 ; 155 ; 420 ; 444 ; 446 ; 499 ; 195 ; 201 ; 202 ; 203 ; 220 ; 221 ;
501 ; 504 ; 520-523 passim ; 526 ; 223 ; 225 ; 226 ; 227 ; 261 ; 304 ;
541 ; 544 ; 548 ; 553 ; 555-558. 317 ; 320 ; 338 ; 339 ; 355 ; 365 ;
Passages biographiques (?) 148-155. 398 ; 400 ; 401 ; 408 ; 410 ; 427 ;
Passages de nature incertaine 128-157. 441 ; 452 ; 496 ; 524 ; 574.
Philae 32 ; 38 ; 42 ; 44 ; 47 ; 53 ; 55 ; Qustul 33 ; 77 ; 89 ; 205 ; 310 ; 366.
81-82 ; 94 ; 113 ; 114 ; 130 ; 135 ; Répertoire d’épigraphie méroïtique
142 ; 153 ; 193 ; 195 ; 196 ; 201 ; (REM) 61-62, 445-447.
202 ; 232 ; 233 ; 261 ; 291 ; 327 ; Revues d'études méroïtiques 66-67.
340 ; 363 ; 375 ; 379 ; 387 ; 397 ; Roi (qore) 3 ; 10 ; 16 ; 17 ; 19-27
399 ; 401 ; 426 ; 429 ; 436 ; 438 ; passim ; 22 ; 31 ; 32 ; 33 ; 37 ; 42 ;
511 ; 524 ; 530 ; 535 ; 536 ; 537. 49 ; 57 ; 74 ; 89 ; 113 ; 130 ; 138 ;
Philologique (méthode) 434-437. 160 ; 161 ; 178 ; 181 ; 184-191 ;
Phonétiques (phénomènes) 408-420. 192-194 ; 215 ; 243 ; 260 ; 269 ;
Phonologie 359-407. 282 ; 284 ; 294 ; 307 ; 308 ; 336 ;
Plaquettes de bois inscrites 79 ; 88 ; 340 ; 367 ; 375 ; 376 ; 378 ; 409 ;
223 ; 224. 413 ; 438 ; 467 ; 470 ; 487 ; 496 ;
Pluriel 14 ; 22 ; 29 ; 97 ; 100 ; 110 ; 499 ; 502 ; 509 ; 511 ; 516 ; 524 ;
113 ; 115 ; 116 ; 119 ; 124 ; 126 ; 525 ; 532 ; 547.
140 ; 141 ; 146 ; 151 ; 153 ; 168 ; Romains 2 ; 19 ; 81 ; 93 ; 113 ; 117 ;
171 ; 178 ; 179 ; 201 ; 203 ; 218 ; 135 ; 145 ; 189 ; 190 ; 215 ; 233 ;
365 ; 412 ; 413 ; 436 ; 457 ; 459 ; 248 ; 364 ; 375 ; 389 ; 401 ; 403 ;
473 ; 481 ; 485 ; 495 ; 498 ; 504 ; 425 ; 428 ; 429 ; 460 ; 504 ; 526 ;
506 ; 514 ; 522 ; 524-525 ; 531-532 ; 531 ; 541.
541-551 passim ; 554 ; 564 ; 565 ; Saï (île de) 4 ; 29 ; 37 ; 75-76 ; 88 ;
566 ; 568. 178 ; 197 ; 216-223 passim ; 232 ;
Possessifs 44 ; 116 ; 125 ; 126 ; 127 ; 307 ; 343 ; 382 ; 500.
200 ; 473 ; 521 ; 526 ; 532 ; 535 ; Schenkel (Wolfgang) 60 ; 447 ; 560-
537 ; 543 ; 549 ; 550-551 ; 572. 561 ; 568-569.
Postpositions 62 ; 112 ; 114 ; 143 ; 150 ; Schwa /Œ/ 31-32 ; 398-400.
160 ; 174 ; 178 ; 279 ; 300 ; 304 ; Sedeinga 34 ; 39 ; 40 ; 41 ; 42 ; 44 ; 45 ;
398 ; 444 ; 447 ; 457 ; 459 ; 468 ; 65 ; 75 ; 86 ; 94 ; 106 ; 107 ; 112 ;
485 ; 486 ; 487 ; 495 ; 497 ; 501 ; 123 ; 131 ; 135 ; 139 ; 142 ; 143 ;
502 ; 503 ; 504 ; 506 ; 507 ; 508 ; 148 ; 161 ; 163 ; 198 ; 232 ; 257 ;
510 ; 511 ; 518 ; 519 ; 524 ; 527 ; 286 ; 327 ; 367 ; 387 ; 432 ; 495 ;
528 ; 530 ; 531 ; 535-539 ; 554 ; 555. 530-531 ; 561 ; 572.
Prédicatif 540-548. Segmentation 493- 496.
Prénasalisées (consonnes) 300 ; 301 ; Séparateur 258-259 ; 274 ; 495-496.
361 ; 369 ; 371-374. Shablul 50 ; 51 ; 53 ; 80 ; 85 ; 90 ; 93 ;
Pronoms 26 ; 97 ; 98 ; 126 ; 146 ; 192 ; 99 ; 107 ; 172 ; 177 ; 200.
211 ; 218 ; 228 ; 229 ; 269 ; 271 ; Shokan 65 ; 78 ; 216 ; 222 ; 227 ; 261.
461 ; 462 ; 463 ; 468 ; 473 ; 486 ; Sinisra 81 ; 166 ; 205.
500 ; 504 ; 526 ; 540 ; 542 ; 543 ; Soleb 47 ; 75 ; 214.
544 ; 546 ; 547 ; 549-551 ; 554 ; 567. Songhai (langue) 373 ; 471 ; 474 ; 475 ;
Proposition relative (?) 571-572. 476 ; 487 ; 501.
Propositions présentatives 540-548. Subordination 569-571.
Proscynèmes 201-202. Sumérien 373 ; 406 ; 409 ; 422 ; 423 ;
Protoméroïtique 3-18 ; 278 ; 364. 449 ; 457 ; 501.
Qasr Ibrim 30 ; 33 ; 34 ; 40 ; 60 ; 61 ; Système graphique 277-314.
65 ; 76 ; 79-80 ; 82 ; 87 ; 88 ; 132 ; Tabo 75.
144 ; 145 ; 147 ; 177 ; 187 ; 189 ;
INDEX 617

Théonymes 5 ; 10 ; 17 ; 22 ; 26 ; 29 ; Toponymes 3 ; 4 ; 15-16 ; 34 ; 43 ;


98 ; 106 ; 110-113 passim ; 142 ; 143 106 ; 108 ; 110 ; 113 ; 114 ; 133-139
; 148 ; 196-199 passim ; 216 ; 218 ; passim ; 174 ; 228 ; 303-304 ; 362-
220 ; 296 ; 303 ; 304 ; 335 ; 360 ; 404 passim ; 428-429 ; 432 ; 446 ;
363 ; 365 ; 366 ; 367 ; 375 ; 382 ; 493 ; 494 ; 503 ; 504 ; 528 ; 530-
383 ; 389 ; 390 ; 392 ; 397 ; 401 ; 531 ; 536.
402 ; 403 ; 431-432 ; 436 ; 439 ; 446 Török (László) 60 ; 65 ; 196-204.
; 494 ; 496 ; 502 ; 504 ; 524 ; 525 ; Traduction 437-442.
527 ; 530 ; 533 ; 534 ; 535 ; 540 ; Trigger (Bruce G.) 61 ; 480-482.
569. Typologie des textes 90-229.
Titres 16 ; 30 ; 34 ; 35 ; 44 ; 91 ; 98 ; Typologie générale de la langue 497-502.
100-109 passim ; 112-124 passim ; Variations orthographiques 305-309.
130-156 passim ; 178 ; 189 ; 198 ; Verbe 552-569.
201 ; 205 ; 206 ; 217 ; 219 ; 228 ; Vocatif 93-95 ; 533-534.
232 ; 233 ; 300 ; 313 ; 327 ; 360 ; Voyelles 286-297 ; 395-407.
362-403 passim ; 411 ; 412 ; 417 ; Wadi el Arab 81 ; 43 ; 227.
426 ; 429 ; 431 ; 446 ; 467 ; 495 ; Zyhlarz (Ernst) 54-56 ; 462-464.

498 ; 499 ; 503 ; 504 ; 510 ; 514-517


passim ; 520 ; 521 ; 524 ; 525 ; 527 ;
534 ; 541 ; 543 ; 569 ; 571.
Tomas 80 ; 107 ; 128 ; 153 ; 190 ; 291.
Topicalisation 97 ; 98 ; 116 ; 120 ; 126-
127 ; 521 ; 537 ; 540 ; 547-548 ; 570.
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS .......................................................................................................VII
CONVENTIONS ET ABRÉVIATIONS ...................................................................... XI

INTRODUCTION ............................................................................................................... 1
QUESTIONS DE TERMINOLOGIE ............................................................................ 1
APERÇU HISTORIQUE ET GÉOGRAPHIQUE .......................................................... 3
La langue méroïtique : panorama historique............................................................. 3
Les premières traces du méroïtique ...................................................................... 3
Traces du protoméroïtique au Moyen Empire ................................................. 3
La liste de Crocodilopolis ................................................................................ 5
Les chapitres supplémentaires du Livre des Morts ....................................... 11
Anthroponymes et toponymes protoméroïtiques au Nouvel Empire ............ 15
Emprunts méroïtiques au moyen-égyptien .................................................... 17
Le méroïtique à l’époque napatéenne................................................................. 19
Le méroïtique, langue écrite du royaume de Méroé .......................................... 28
La disparition du méroïtique............................................................................... 32
Périodisation........................................................................................................ 35
Cadre géographique et différences dialectales........................................................ 37
HISTOIRE DE LA RECHERCHE ............................................................................... 47
La redécouverte du méroïtique................................................................................ 47
Le déchiffrement de l’écriture méroïtique .............................................................. 49
Une fausse piste : les travaux d’E. Zyhlarz ............................................................ 54
F. Hintze et l’étude des structures ........................................................................... 56
Le renouveau international des études méroïtiques................................................ 60
L’état actuel de la recherche méroïtique ................................................................. 64
Revues et colloques ................................................................................................. 66

LES DOCUMENTS .......................................................................................................... 71


FOUILLES ET SITES .................................................................................................. 71
LES SUPPORTS........................................................................................................... 84
La pierre ................................................................................................................... 85
La céramique, la faïence, le verre ........................................................................... 86
Le papyrus................................................................................................................ 87
Le bois...................................................................................................................... 88
Le cuir ...................................................................................................................... 88
Le métal.................................................................................................................... 89
TYPOLOGIE DES TEXTES ........................................................................................ 90
Les textes funéraires ................................................................................................ 91
Invocation............................................................................................................ 93
Nomination .......................................................................................................... 96
Filiation ............................................................................................................... 99
620 LA LANGUE DE MÉROÉ

Description.........................................................................................................106
Description individuelle................................................................................108
Description relative.......................................................................................119
Passages de nature incertaine ............................................................................128
Passages de type descriptif ...........................................................................130
Formules d’ordre cultuel (?) .........................................................................142
Liste de présents............................................................................................144
Passages biographiques (?) ...........................................................................148
« Stele-texts »................................................................................................156
Formules en mlo-lo(wi) ....................................................................................158
Bénédictions.......................................................................................................163
Formule A ....................................................................................................167
Formule B .....................................................................................................169
Formule C .....................................................................................................170
Formule C’ ...................................................................................................171
Formule D ....................................................................................................172
Formule E .....................................................................................................174
Formule F .....................................................................................................175
Formule G ....................................................................................................175
Formule H ....................................................................................................176
Formule I ......................................................................................................177
Formule J ......................................................................................................177
Formule K ....................................................................................................178
Formule L .....................................................................................................179
Formule X ....................................................................................................180
Ordre des bénédictions .................................................................................181
Les textes royaux....................................................................................................184
Les légendes iconographiques ...............................................................................192
Les proscynèmes et graffiti ....................................................................................195
Les « inscriptions de propriété »...........................................................................205
Les « inscriptions de travaux » ..............................................................................208
Les inscriptions d’exécration .................................................................................214
Les décrets oraculaires amulétiques .....................................................................216
Les ostraca numériques ..........................................................................................227

L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE .........................................................................................231


LES BASES DU DÉCHIFFREMENT ........................................................................231
LES DIVERSES TRANSLITTÉRATIONS ................................................................236
ORIGINE DES SIGNES .............................................................................................242
État de la question .................................................................................................242
Origine des signes cursifs ......................................................................................247
Origine des signes hiéroglyphiques .......................................................................264
Origine du système graphique ...............................................................................278
LES PRINCIPES DU SYSTÈME GRAPHIQUE........................................................281
Caractère syllabique de l’écriture ..........................................................................281
Conventions particulières.......................................................................................287
L’initiale vocalique « a » – Les voyelles initiales ............................................287
Succession de voyelles – Notation des voyelles longues .................................293
Notation des diphtongues ..................................................................................297
TABLE DES MATIÈRES 621

Succession de consonnes – Élision des nasales ............................................... 299


Haplographie ..................................................................................................... 303
Coupe des mots ................................................................................................. 306
Variations orthographiques............................................................................... 306
Fautes d’orthographe......................................................................................... 310
Synthèse du système graphique ........................................................................ 312
Incompatibilités graphiques et fautes de lecture................................................... 313
PALÉOGRAPHIE....................................................................................................... 315
Descriptif paléographique des signes cursifs ........................................................ 318
Formes et évolution des signes hiéroglyphiques .................................................. 335
Tables paléographiques et datation ....................................................................... 341
SIGNES ANNEXES ET NUMÉRAUX ..................................................................... 353
Signes d’écriture annexes ...................................................................................... 353
Chiffres................................................................................................................... 356
Signes d’unités de mesure (?)................................................................................ 358

PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES .................................................. 359


LE SYSTÈME CONSONANTIQUE.......................................................................... 363
Occlusives .............................................................................................................. 361
Bilabiales ........................................................................................................... 364
Apicales – Problème des prénasalisées ............................................................ 365
Vélaires – Vélaires labialisées .......................................................................... 374
Fricatives................................................................................................................ 383
Apicale /s/.......................................................................................................... 383
Vélaires.............................................................................................................. 385
Approximantes ....................................................................................................... 388
Latérale /l/ ......................................................................................................... 388
Palatale /y/ ......................................................................................................... 389
Labiovélaire /w/ ................................................................................................ 390
Vibrante /r/ ............................................................................................................. 390
Nasales ................................................................................................................... 392
Bilabiale /m/ ...................................................................................................... 392
Apicale /n/ – Éventualité d’autres nasales........................................................ 393
Synthèse du système phonologique des consonnes méroïtiques .......................... 396
LE SYSTÈME VOCALIQUE..................................................................................... 397
Le phonème /a/....................................................................................................... 398
Le schwa /Π/ .......................................................................................................... 401
Le phonème /e/....................................................................................................... 402
Le phonème /i/ ....................................................................................................... 403
Le phonème /u/ – Équilibre structurel du système vocalique............................... 404
Voyelles longues et diphtongues........................................................................... 409
STRUCTURE SYLLABIQUE DES MOTS ............................................................... 411
PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES.............................................................................. 411
L’hypothèse de l’harmonie vocalique ................................................................... 412
Assimilations.......................................................................................................... 413
La loi de Griffith : se + l > t .................................................................................. 418
622 LA LANGUE DE MÉROÉ

LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » ...............425


INFORMATIONS APPORTÉES PAR DES LANGUES NON APPARENTÉES .....428
Bilingues.................................................................................................................428
Textes parallèles .....................................................................................................430
Gloses gréco-latines et égyptiennes.......................................................................432
Déterminatifs napatéens .........................................................................................434
Emprunts méroïtiques à l’égyptien ........................................................................434
MÉTHODE PHILOLOGIQUE (ÉLUCIDATION CONTEXTUELLE) .....................438
Principes et exemples .............................................................................................438
Traduction et « pseudo-traduction » ......................................................................441
ANALYSE STRUCTURALE ET MÉTHODES INFORMATISÉES (REM) ............447
Analyse structurale (Hintze, 1963a et 1979) .........................................................447
Méthodes informatisées .........................................................................................449
APPROCHE COMPARATISTE – PARENTÉ LINGUISTIQUE DU MÉROÏTIQUE .453
L’hypothèse nubienne ............................................................................................454
Le nubien : un aperçu dialectologique et historique.........................................454
Nubien et méroïtique : revue des théories ........................................................456
Méroïtique et nubien : similitudes avérées et supposées..................................460
L’hypothèse chamito-sémitique.............................................................................464
Méroïtique et chamito-sémitique : revue des théories......................................464
Méroïtique et langues chamito-sémitiques : correspondances supposées........472
L’hypothèse « nilo-saharienne » (« soudanique oriental »)..................................475
Le « nilo-saharien » : définition, catalogue des langues ..................................476
Définition ......................................................................................................476
Catalogue des langues « nilo-sahariennes ».................................................479
Méroïtique et « nilo-saharien » : revue des théories.........................................480
Méroïtique et « nilo-saharien » : correspondances supposées .........................489
Les limites de l’approche comparatiste .................................................................492

GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES...................................................................497


STRUCTURES GÉNÉRALES....................................................................................497
Segmentation des éléments – Que sépare le séparateur ? .....................................497
Typologie générale de la langue méroïtique .........................................................501
Le méroïtique, langue « agglutinante » ?..........................................................501
Absence de genre...............................................................................................503
Ordre des mots ...................................................................................................504
PROBLÈMES D'IDENTIFICATION DES CATÉGORIES GRAMMATICALES ....507
LE SYNTAGME NOMINAL......................................................................................509
Le déterminant........................................................................................................510
Revue des théories .............................................................................................510
Les formes du déterminant ................................................................................512
Rôles du déterminant .........................................................................................513
Autres déterminants éventuels ..........................................................................516
L’adjectif ................................................................................................................517
L’apposition............................................................................................................519
Le génitif ...............................................................................................................522
Revue des théories .............................................................................................522
Le génitif antéposé ............................................................................................524
TABLE DES MATIÈRES 623

Le génitif analytique postposé .......................................................................... 528


Emplois respectifs des deux génitifs ................................................................ 529
Génitif alternatif en -o....................................................................................... 531
Le suffixe -(y)ose : une autre forme de génitif ?.............................................. 532
Le locatif ............................................................................................................... 534
Le pluriel des noms ............................................................................................... 535
Le vocatif .............................................................................................................. 537
LES POSTPOSITIONS............................................................................................... 539
PROPOSITIONS PRÉSENTATIVES ........................................................................ 544
Propositions présentatives sans topicalisation ..................................................... 544
Les différents types de propositions ................................................................. 544
Hypothèses sur la structure du prédicatif ........................................................ 546
Propositions présentatives avec topicalisation ..................................................... 551
PRONOMS ET COMPLEXES PRONOMINAUX ................................................... 554
ÉTAT DES RECHERCHES SUR LA MORPHOLOGIE VERBALE ....................... 557
Les termes de filiation sont-ils des verbes ? ......................................................... 560
Les verbes de bénédiction ..................................................................................... 564
Les verbes dans les inscriptions royales ............................................................... 572
COORDINATION ET SUBORDINATION............................................................... 575
Coordination des propositions et syntagmes......................................................... 575
Proposition relative ? ............................................................................................. 576

CONCLUSION................................................................................................................ 579

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ..................................................................................... 581

INDEX............................................................................................................................. 607

CARTES ET TABLEAUX.............................................................................................. 619


624 LA LANGUE DE MÉROÉ
CARTES ET TABLEAUX

Carte 1 : Répartition géographique des inscriptions méroïtiques ..............................46


Carte 2 : Les principaux sites d’inscriptions méroïtiques...........................................83
Carte 3 : Répartition des principales langues « nilo-sahariennes » .........................483

Tableau 1 : Étude phonologique de la liste de Crocodilopolis .....................................6


Tableau 2 : Liste par sites des invocations solennelles...............................................40
Tableau 3 : Variation géographique des épithètes dans les invocations solennelles ....42
Tableau 4 : Structures des descriptions individuelles (type I) attestées....................110
Tableau 5 : Structures des descriptions relatives (type II) attestées .........................116
Tableau 6 : Structure générale des formules de bénédictions ..................................183
Tableau 7 : Comparaison des « inscriptions de travaux »........................................213
Tableau 8 : Équations de Griffith permettant d’établir la valeur des signes............232
Tableau 8bis : Équations supplémentaires de Griffith..............................................233
Tableau 9 : Les divers systèmes de translittération du méroïtique ...........................241
Tableau 10 : ævolution graphique et phonétique des voyelles initiales....................292
Tableau 11 : Compatibilités graphiques ...................................................................315
Tableau 12 : Table paléographique 1 .......................................................................347
Tableau 13 : Table paléographique 2 .......................................................................348
Tableau 14 : Table paléographique 3 .......................................................................349
Tableau 15 : Table paléographique 4 .......................................................................350
Tableau 16 : Évolution du syllabaire hiéroglyphique (1re partie).............................351
Tableau 17 : Évolution du syllabaire hiéroglyphique (2e partie)..............................352
Tableau 18 : Table compararative des chiffres méroïtiques .....................................359
Tableau 19 : Signes méroïtiques représentant les décimales....................................359
Tableau 20 : Système phonologique des consonnes méroïtiques ..............................397
Tableau 21 : Conditions de déchiffrement des langues anciennes............................427
Tableau 22 : Liste des préfixes et de leurs fréquences respectives ...........................566
Tableau 23 : Liste des suffixes et de leurs fréquences respectives ...........................566

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