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LA LANGUE
DU ROYAUME DE MÉROÉ
UN PANORAMA DE LA PLUS ANCIENNE
CULTURE ÉCRITE D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE
AVANT-PROPOS
1
Plutarque, Vie d’Antoine, 27 [4]. T.d.A.
2
On trouvera une critique de ce passage chez Chauveau, 1998 : Cléopâtre, au-delà du
mythe, p. 19-20. Voir aussi Hofmann, 1979, p. 23-24, Eide et al., 1996 (Fontes Historiae
Nubiorum III) p. 916-919.
3
Une synthèse récente est présentée par M. Cristofani : Introduzione alla lingua etrusca
(Florence 2e éd. 1996).
4
Langue indo-européenne des Iapiges (Italie méridionale) : voir C. de Simone et S. Marche-
sini : Monumenta linguae messapicae (Wiesbaden, 2002).
5
Voir G. Price : The languages of Britain (Londres, 1984). Notons que ces deux dernières
langues, contrairement au méroïtique et à l’étrusque, ne sont actuellement attestées que
par un corpus réduit, ce qui amenuise les chances de les voir un jour traduites.
VIII LA LANGUE DE MÉROÉ
conjectures concernant cette langue. Tout indique que nous ne sommes plus
si éloignés de la « masse critique » à partir de laquelle les hypothèses
pourront se muer en évidences et les évidences s’agréger en traductions. La
découverte de textes bilingues ou un accroissement conséquent du corpus,
pourrait suffire à enclencher la réaction.
L’objectif de la présente étude est d’offrir une synthèse critique aussi
complète que possible d’un siècle de recherche sur la langue de Méroé, et de
proposer quelques pistes nouvelles. Il n’existait pas jusqu’à présent de
synthèse d’ampleur couvrant tous les aspects de la philologie méroïtique. En
effet, le travail de Fritz Hintze, Beiträge zur meroitischen Grammatik
(Hintze, 1979) est entièrement consacré aux aspects grammaticaux des textes
funéraires et la monographie d’Inge Hofmann, Material für eine meroitische
Grammatik (Hofmann, 1981a) présente essentiellement un catalogue
commenté des structures que l’on rencontre dans ces mêmes épitaphes, suivi
d’une étude de la stèle d’Akinidad (REM 1003). Ces deux ouvrages de
grande valeur, auxquels nous nous référerons fréquemment, n’ont pas pour
ambition d’exposer un tableau d’ensemble de la recherche méroïtique, mais
de développer une réflexion personnelle sur des questions particulières. Pour
trouver un travail qui fasse le point sur les études méroïtiques, il faut, pour la
grammaire, remonter à un article assez succint de W. Vycichl, « The present
state of “Meroitic Studies” » (Vycichl, 1958) et pour la lexicographie, à la
Liste de mots méroïtiques ayant une signification connue ou supposée de
D. Meeks (Meeks, 1973). Beaucoup de travaux ont d’ailleurs été publiés
depuis lors et il était indispensable d’en inclure une revue critique au sein de
la présente synthèse. Enfin, le corpus méroïtique s’étant enrichi ces dernières
années de textes de première valeur, notamment de stèles royales et de
papyri, mais aussi d’épitaphes, il fallait rendre compte des éléments
nouveaux que ces documents apportent à la connaissance de la grammaire et
du vocabulaire.
Après une présentation diachronique, géographique et archéologique des
témoignages écrits, notre étude s’articulera selon cinq axes principaux :
typologie des textes, écriture, phonétique, méthodologie vers une traduction,
hypothèses grammaticales. Si les trois premiers domaines, la typologie,
l’écriture et la phonétique, offrent désormais quelques certitudes, la grammaire
du méroïtique reste encore largement le champ d’hypothèses et de spé-
culations étroitement subordonnées à l’approche méthodologique que l’on
peut avoir du problème méroïtique. La dimension de ce volume ne nous a pas
permis d’inclure notre « lexique méroïtique », qui fera l’objet d’une
publication séparée, dans la série du Répertoire d’épigraphie méroïtique
(Publications de l’Académie des inscriptions et belles-lettres). Chaque
section comporte des indications bibliographiques où les ouvrages sont
conventionnellement désignés par le nom de l’auteur et la date de
AVANT-PROPOS IX
CONVENTIONS ET ABRÉVIATIONS
La translittération du méroïtique adoptée ici suit les règles élaborées par Hintze et
exposées pour la première fois au congrès de Khartoum en 1970 (Hintze, 1973c =
Hintze, 1974b ; voir ci-dessous, p. 237). Dans les citations d’auteurs utilisant une
translittération différente, nous avons indiqué entre crochets l’équivalence avec celle
de Hintze.
Pour la citation des ouvrages, nous avons employé le système désormais inter-
national : nom de l’auteur, suivi de l’année de parution, éventuellement affectée d’une
lettre a, b, c, etc. pour distinguer les différentes publications parues la même année.
On trouvera les références complète dans la Bibliographie générale à la fin de ce
volume.
Les études méroïtiques étant susceptibles d’intéresser aussi bien les égyptologues
que les africanistes, nous avons essayé d’éviter les abréviations trop spécifiques à l’un
ou l’autre domaine, notamment dans le nom des périodiques, qui sont écrits in
extenso.
La liste suivante recense les conventions utilisées dans cet ouvrage, qui sont
essentiellement d’ordre épigraphique ou linguistique.
QUESTIONS DE TERMINOLOGIE
MÉROÏTIQUE, KOUSHITES, MÉROÏTES, COUCHITIQUE, ÉTHIOPIEN, NUBIEN
1
Le terme « meroitisch » fut créé par Lepsius (Lepsius, 1952 [éd.], p. 218), mais il n’est
utilisé par cet auteur qu’avec une acception géographique et historique (« das meroitische
Reich »). La langue et l’écriture sont désignées par le nom traditionnel d’« äthiopisch ».
Il semble que H. Brugsch ait été le premier à avoir employé l’adjectif « meroitisch » avec
un sens linguistique, dans sa tentative de déchiffrement des textes hiéroglyphiques
relevés par Lepsius justement dans la région de Méroé (Brugsch, 1887). Mais le mot
alterne encore dans son article avec l’ancienne dénomination d’« äthiopisch ».
2
Voir Zyhlarz, 1958 et 1960.
2 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Notamment chez Müller, 1894 ; Schäfer, 1895a ; Erman, 1897.
2
Cette imprécision reproduit le flou de l’égyptien n∆sy, qui désigne indistinctement les
peuples établis dans la Vallée du Nil au sud de l’ægypte.
3
Vocalisé /nuba/.
4
Du nord au sud de la vallée du Nil, le kenuzi, le mahas, le fadidja, le dongolawi,
auxquels s’ajoutent quelques dialectes isolés dans l’ouest du Soudan.
5
Par exemple chez Hintze, 1967 et Millet, 1996.
INTRODUCTION 3
Bien qu’elle n’ait disposé de sa propre écriture qu’à partir des IIIe-IIe
siècle avant notre ère, la langue méroïtique est très anciennement présente en
Nubie. On en trouve quelques traces disséminées dans les textes égyptiens,
de façon assurée dès la première période intermédiaire et peut-être plus tôt
encore. Nous ne pouvons ici suivre Hofmann, qui considère que le début de
la XVIIIe dynastie marque les premiers contacts entre la civilisation koushite
et l’ægypte, et estime difficile de trouver des témoignages plus anciens de la
présence de locuteurs du futur méroïtique (Hofmann, 1981c). Elle présente
les Koushites en ces termes dans sa monographie Material für eine
meroitische Grammatik : « ...eine Bevölkerungsgruppe, die seit wenigstens
dem 15. Jahrhundert im Niltal südlich des dritten Kataraktes ansässig war. »
(Hofmann, 1981a, p. 1).
Parmi les documents qui suivent, on trouvera en effet des éléments
convaincants qui tendent à prouver que les ægyptiens sont entrés en contact
avec des populations de langue protoméroïtique avant 1500 av. J.-C.
Il est fort possible que des mots méroïtiques se dissimulent dans les
toponymes et les anthroponymes étrangers cités par les sources égyptiennes
du Moyen Empire, mais le système de transcription égyptien les rend
malaisément repérables. De plus, les anthroponymes méroïtiques anciens (de
l’époque napatéenne par exemple) ne comportent pas tous, loin s’en faut, des
éléments méroïtiques ultérieurs récurrents et connus. Ainsi, dans les noms
des rois Atlanersa (653-643), Aspelta (593-568), Nastasen (335-315) 1
n’apparaît aucun segment actuellement identifiable. Pourtant il s’agit
incontestablement de souverains napatéens. Aussi est-il difficile d’affirmer
1
La chronologie donnée ici suit celle de St. Wenig, (Wenig, 1999) ; celle de Shinnie ne
diffère que pour la fin du règne de Nastasen, donnée en 310 av. J.-C. (Shinnie, 1996,
p. 104).
4 LA LANGUE DE MÉROÉ
que, parmi les noms des princes de Nubie « envoûtés » qui apparaissent sur
les figurines et les vases d’exécration de la XIIe dynastie, il n’y a pas déjà
d’anthroponymes protoméroïtiques. Posener, qui a étudié ces textes, relève
quelques régularités dans la liste des 28 toponymes nubiens relevés 1 :
« Mais c’est en établissant le catalogue des sons employés dans ces noms que l’on
fait les observations les plus intéressantes. On constate en effet l’absence totale de
p, de f, de h, de ƒ et de d ; la présence de d est douteuse (B15) ; ∆ (B21), ¡ (B25)
se rencontrent une seule fois. » (Posener, 1940, p. 38).
1
À ce sujet, voir aussi Zibelius, 1970 et Zibelius, 1972.
2
Cf. Rilly, 1999a et infra, p. 374-379.
3
Voir p. 363-365.
4
On trouve à la fin de la stèle royale REM 1044 (lignes 159-160) la formule d’offrande de
l’eau et du pain, habituelle dans les bénédictions pour les défunts, mais ici adressée à
« Koush » (Qes).
INTRODUCTION 5
La liste de Crocodilopolis
1
K3s (K3z) sur la stèle de Bouhen (Florence n° 1542 [2540]), datée de la 18e année de
Sésostris Ier (vers 1945 av. J.-C.), mais K3ë dans l’inscription d’Ameny à Beni Hassan,
datée de l’an 43 (sic) du même souverain (voir Posener, 1958, p. 45-46). Notons qu’une
graphie peut-être encore plus ancienne, K3…, apparaît sur la figurine du Caire, JE 63958
(cf. Posener, 1987, p. 23).
2
Cf. Posener, 1958, p. 46-47. Voir également ici, p. 26-27, les observations de Schäfer sur
la stèle de Nastasen.
3
Nous sommes hautement redevable au professeur Pascal Vernus d’avoir attiré notre
attention sur ce texte, qu’il avait le premier signalé comme une liste de noms « nubiens »
(Vernus, 1984, p. 479).
6 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Les noms de la liste sont trop longs pour qu’il s’agisse d’hypocoristiques terminés en -y
selon la tradition égyptienne.
2
Selon Hainsworth, 1979, p. 216-221.
3
Ainsi le « prince » Maloton (Mloton) du IIIe siècle est parfois appelé Mlotoye. Sur ce
point, voir Griffith, 1912, p. 42.
4
Transcriptions phonologiques égyptiennes d’après Vycichl, 1990, p. 83, 178.
5
Les matres lectionis indiquant les voyelles ne sont pas prises en compte, en raison de leur
caractère irrégulier. Nous avons essayé ici de systématiser une méthode assez semblable
utilisée par G. Posener sur les noms des pays et des princes de Nubie apparaissant dans
les inscriptions d’exécration (Posener, 1940) : voir supra, p. 4.
6
Nous avons préféré utiliser le « lexique » plutôt qu’un corpus de textes, puisqu’il
s’agissait de comparer deux listes de m o ts dénués entre eux de liens syntaxiques.
INTRODUCTION 7
1
On se référera également dans cet ouvrage au chapitre traitant des problèmes de
phonologie méroïtique, p. 359 sq.
8 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir p. 22.
2
Ce qui exclut notamment qu’on ait affaire à des noms hyksôs (cananéens).
3
En méroïtique tardif (néo-méroïtique), auquel appartiennent la grande majorité des mots
du lexique, l’initiale a représente indifféremment les voyelles /a/, /e/, /i/, /u/.
INTRODUCTION 9
1
L’affiliation du méroïtique au phylum « nilo-saharien », et plus exactement au groupe
« soudanique oriental » auquel appartiennent les trois langues citées ainsi que le nubien,
reste la plus vraisemblable des hypothèses de classification linguistique (voir ci-dessous,
p. 480-487).
2
On rappelle cependant que cette langue n’est attestée sous une forme écrite indépendante
(à l’aide de caractères empruntés au copte) qu’à partir du VIe siècle au plus tôt.
3
On se souvient que le /d/ est transcrit par r en égyptien, et que le suffixe final des
anthroponymes -ye est assez fluctuant.
4
REM : Répertoire d’épigraphie méroïtique ; GA : inédits du Gebel Adda.
10 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cet épisode est raconté sur une petite stèle de Karnak retrouvée en 1954. On trouvera une
étude de ce texte dans L. Habachi, « The Second Stela of Kamose and his Struggle
against the Hyksos Ruler and his Capital », Abhandlungen des deutschen archäo-
logischen Instituts Kairo 8, Glückstadt, 1972, ainsi que dans H. S. Smith et A. Smith,
« Kamose’s Texts » Zeitschrift für ägyptische Sprache, t. CIII (1976), p. 48-76.
2
Voir les remarques paléographiques dans Erman, 1911, p. 55 et note 2.
INTRODUCTION 11
1
On connaît ainsi quelques sceaux kermaïtes en égyptien (cf. Gratien, 1978).
2
Cf. Bonnet, 2000.
3
Nous remercions le professeur Pascal Vernus d’avoir également attiré notre attention sur
ces textes.
4
O2 msx ∆so Zl\ o2 l∆-s,«lms-s m s2 cgm-s M«os-s m o2 S2,Rsx. (d’après Pleyte, 1881,
transcription rectifiée). Koenig donne o2 l∆-s,«lms-s m s2 cgm-s m «o-s Mos2,Rsx « au
nord-ouest de la cime du sanctuaire de Napata de Nubie » (Koenig, 1987, p. 106), avec un
découpage différent et probablement d’après un autre papyrus (Lepsius, LXXVII, 8-9).
12 LA LANGUE DE MÉROÉ
dans la langue des Archers de Nubie » 1. Enfin le chap. 165 est une adoration
au dieu Amon, qui ne mentionne pas explicitement la Nubie, mais comporte
également des expressions en langue étrangère.
Bien que deux des chapitres se réfèrent à la Nubie, et que le second
comporte des passages rédigés selon le scribe en « langue des Archers de
Nubie », le rattachement au méroïtique semble moins immédiat que dans la
liste de Crocodilopolis. L’inventaire des phonèmes soulève en effet des
difficultés : le petit nombre de mots, leur fréquente reprise à quelques lignes
d’intervalle rendent l’échantillon statistiquement peu fiable. On relèvera
comme précédemment l’absence des graphèmes ƒ , f, ~ et Ä, mais aussi celle,
plus surprenante, de w. Les consonnes h et ∆ inexistantes en méroïtique,
apparaissent dans les deux premiers chapitres, mais les comparaisons
lexicales ci-dessous semblent prouver que les deux ∆ présents dans ces textes
proviennent d’emprunts à d’autres langues, notamment à l’égyptien 2. Il n’est
pas impossible d’autre part que certaines successions de voyelles 3 aient été
artificiellement détachées par un graphème h dans un souci de précision.
Les exemples actuellement connus de ces chapitres étant postérieurs de
plusieurs siècles à leur rédaction originelle, on peut penser que les passages
en langue étrangère, incompréhensibles pour les ægyptiens, ont été déformés
au fil des transcriptions successives. Aussi ne reste-t-il que peu de séquences
qui puissent être rapprochées de mots ou d’expressions méroïtiques, mais les
ressemblances sont dans ces quelques cas tellement étonnantes que le
parallèle présente un haut degré de vraisemblance 4.
Chapitre 163
Par deux fois, Osiris, le dieu invoqué dans ce passage, est désigné par une
expression qu’il faut sans doute lire « le dieu ša-pu » avec la
succession hiéroglyphique utilisée non comme simple déterminatif, mais
pour l’égyptien ntr « dieu ». Il s’agit sans doute de la transcription d’un
original koushite /sabumaku/, formé sur */maku/ 5 « dieu », méroïtique
ultérieur mk /maka/. Nous avons ici très probablement le nom ancien de la
1
«r l,cc ∆r Õvms«v mv S2,Rsx (d’après Pleyte, 1881, transcription actualisée). Voir
cependant Koenig, 1987, p. 107 pour une version légèrement différente (d’après Lepsius,
LXXVII, 5-6).
2
Voir ci-dessous, p. 13, la séquence finale du chap. 164.
3
Nos recherches sur la phonologie méroïtique montrent que les diphtongues et les voyelles
longues existaient en méroïtique, du moins à l’époque où il a commencé à être écrit.
L’impression d’une langue de type CVCV est essentiellement due au caractère syllabique,
largement artificiel, de l’écriture. Voir ci-dessous le chapitre « Écriture », p. 231sq.
4
Les vocalisations de l’écriture syllabique égyptienne utilisée dans ces textes sont
transcrites suivant les règles découvertes par Albright et depuis lors globalement
confirmées (cf. Albright, 1947 et Vycichl, 1990).
5
La vocalisation m(a)-ku figure dans le chap. 164.
INTRODUCTION 13
Chapitre 164
1
Le -r final du nom divin à Musawwarat est généralement interprété comme une
terminaison d’anthroponyme, mais il pourrait s'agir d'une transcription du déterminant -l.
2
Voir Priese, 1997c, p. 280-283 (catalogue Nos 298, 299, 300). Sa représentation diffère toute-
fois de celle d’Osiris, puisque ses membres sont libres et qu’il est coiffé du pschent.
3
Cf. Hintze, 1962, p. 33-34 (Inschr. N. 17). Le dieu Sebioumeker y est d’ailleurs nommé-
ment assimilé à Osiris.
4
Prononcé peut-être [irkwu] (voir Rilly, 1999a, p. 106-107).
5
Syntaxe hypothétique, l’association de ces deux mots (chacun étant de traduction
relativement assurée) n’étant pas encore attestée dans les textes ultérieurs en méroïtique.
6
Voir ci-dessus, p. 9.
14 LA LANGUE DE MÉROÉ
Chapitre 165
1
Ce roi napatéen régna dans la seconde moitié du VIe siècle av. J.-C.
2
Par exemple en REM 0015, en légende de la représentation d’Hathor. Cette bénédiction
alterne avec une autre : pwrite l-b‚-te « donne-leur la vie ». La comparaison des formes
successives m`,s`,j,kt,sh, msjkas«, et ntke lb‚te semble montrer une évolution du suffixe
verbal de datif, du préméroïtique -u- (?) au méroïtique ancien (napatéen) -b-, puis au
méroïtique récent -b‚(e)-, mais il n’est absolument pas sûr que ces formes soient
morphologiquement équivalentes : seule la dernière est assurément au pluriel.
INTRODUCTION 15
1
Si, comme il est probable, les principes de l’écriture syllabique égyptienne en usage à la
XVIIIe dynastie s’appliquent ici (voir Albright, 1934), il n’est pas sûr que la syllabe
centrale ait déjà été vocalisée /ku/ comme elle le sera à l’époque napatéenne (voir Qes
p. 21), puis en méroïtique proprement dit (cf. Rilly, 1999a, p. 107). Pour la vocalisation
de l’élément initial, équivalant au moyen- et néo-méroïtique mlo : « bon », voir p. 23-24.
2
Il s’agit d’une représentation du pharaon offrant son nom à Amon de Napata (Porter-
Moss, 1951, VII, p. 98 [5] et Zibelius, 1972, p. 138 et note 6).
3
Cette graphie apparaît notamment sur la stèle de Nastasen (Berlin n° 2268, fin du IVe
siècle av. J.-C.), suivie d’un véritable déterminatif schématisant la « Montagne pure », le
Gebel Barkal, qui domine le site de Napata.
4
Voir ci-dessous, p. 237.
16 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
La numérotation correspond à l’édition de l’Onomasticon par Gardiner.
2
Yoyotte pense toutefois que -3w- transcrit ici la voyelle [u] (Sauneron-Yoyotte, 1952,
p. 184).
3
Lecture de Yoyotte et Leclant. La seconde partie du mot semble écrite selon les règles de
l’écriture syllabique et pourrait se lire -ga-ir.
4
Voir Fischer-Elfert, 1997, p. 1-4 ; Zibelius, 1995, p. 197sq ainsi que Karola Zibelius-
Chen, « Die Königsinsignie auf der Nastasen-Stele Z. 26 », ms, note 64.
INTRODUCTION 17
1
Cf. Grimal, 1981a, p. 194 ; Kendall, 1997, p. 166.
INTRODUCTION 19
Vers le début du Ier millénaire avant notre ère se forma aux abords de la
quatrième cataracte une principauté koushite, le royaume de Napata. En
quelques générations, elle acquit une puissance suffisante pour annexer
l’Égypte entière et y installer la XXVe dynastie, dite « éthiopienne » (747-
656 av. J.-C.). Après le repli sur la Nubie face à la poussée des Assyriens,
leurs successeurs s’établirent à nouveau à Napata jusqu’au début du IIIe
siècle. À cette époque, la nécropole royale, et peut-être la capitale 1, furent
transférées plus au sud, à Méroé. Bien que les inscriptions du royaume de
Napata soient toutes rédigées en langue et en écriture égyptiennes, il ne fait
pas de doute que la langue parlée du royaume est une forme ancienne du
méroïtique. Des dizaines d’anthroponymes comportent déjà, transcrits en
hiéroglyphes égyptiens, les éléments dont seront constitués les noms de
personnes à l’époque du royaume de Méroé. On appelle « napatéen » ce
système de notation du méroïtique en écriture égyptienne réservé aux noms
propres.
La première attestation connue de ce procédé a récemment été étudiée par
Abdalla (Abdalla, 1999b). Il s’agit d’une plaque retrouvée par Reisner dans
le tumulus 6 d’El-Kurru, une tombe qui correspond aux ancêtres de la XXVe
dynastie (génération B, entre 865 et 825 av. J.-C. 2). L’inscription avait été
considérée comme illisible par l’éditeur des Royal Cemeteries of Kush
(Dunham, 1950, p. 21). Néanmoins, Priese arriva à la lire partiellement
Kiwmr[.]. Si l’on en croit la reconstitution d’Abdalla, il
faut rétablir un anthroponyme koushite K3ml[y],
correspondant peut-être au nom méroïtique ultérieur Aqomloye, porté par un
« envoyé auprès de Rome » en REM 1049/8 3. Quoique le début et la fin du
mot restent de lecture et d’interprétation incertaine, l’élément central mr/ml,
transcription de l’adjectif méroïtique mlo : « bon », « beau », « noble », est
assuré, et sa notation s’accorde avec les exemples postérieurs de cet adjectif
en écriture « napatéenne ».
Une deuxième attestation de nom méroïtique transcrit en écriture égyp-
tienne apparaît sur les murs du temple de Semna, à la frontière séculaire de
l’Égypte et de la Nubie : la représentation d’une femme en apparat princier
s’accompagne de la mention hiéroglyphique d’une « grande épouse royale et
fille de roi, K3tyml(u) ». Le nom transcrit « Katimala »
1
Contra : Török, 1997b, p. 383-384, 420-421.
2
Selon la datation révisée de Kendall, 1999, p. 97.
3
La lecture initiale de Trigger, éditeur de la stèle, porte *Aqoƒloye (Trigger, 1962, p. 6).
Heyler hésite entre ƒ et m (Heyler, 1971, p. 27). La lecture m d’Abdalla est assez
vraisemblable, mais davantage pour des raisons philologiques que paléographiques. Voir
p. 321-322 pour la confusion fréquente du m et du ƒ.
20 LA LANGUE DE MÉROÉ
À partir du règne d’Alara (mort vers 760 av. J.-C.), et surtout avec
l’avènement de la XXVe dynastie (747 av. J.-C.), les inscriptions comportant
des anthroponymes napatéens deviennent nombreuses. Il n’entre pas dans
notre propos d’étudier ici chacun d’entre eux. Une liste de soixante-dix-sept
noms royaux a été fournie par D. Dunham et M. F. L. Macadam (Dunham-
Macadam, 1949, p. 139-149). L’analyse des transcriptions napatéennes a été
initiée par Priese (Priese, 1965 et Priese, 1968a), et partiellement continuée
par Hainsworth (Hainsworth, 1979b, thèse non publiée) et Abdalla (Abdalla,
1999b) 4. Nous voudrions en revanche illustrer l’analogie entre la langue des
anthroponymes napatéens et le méroïtique proprement dit, c’est-à-dire la
langue écrite à partir du IIe siècle avant notre ère.
Un certain nombres de morphèmes et de lexèmes méroïtiques
apparaissent clairement dans ces noms 5 :
1
Voir entre autres Grapow, 1940 : Die Inschrift der Königin Katimala am Tempel von
Semne ; Dunham–Janssen, 1960, p. 11 ; Hofmann, 1981c, p. 11 ; Pierce in Eide–Hägg et al.,
1994 (FHN I) , n° 1, p. 35-41 ; Caminos, 1994, p. 73-80 ; Zibelius, 1995, p. 206 ; Török,
1997b, p. 127 ; Morkot, 1999, p. 145. Notons que Caminos propose une lecture « Karimala »
qui correspondrait mieux encore à la transcription du d rétroflexe méroïtique par un r
égyptien (voir p. 368-369).
2
La table d’offrandes REM 0841 peut être datée paléographiquement autour de 100
av. J.-C. Il est très vraisemblable, mais pas absolument certain, que Kdimloli soit ici un
anthroponyme. Ce pourrait être une simple désignation de la mère comme « dame
bonne/noble ». L’absence d’anthroponyme dans les filiations, remplacé par un simple
titre, n’est cependant attestée de façon sûre que pour le nom du père.
3
Török in Eide–Hägg et al., 1998, p. 1106, replace la grande inscription de Kharamadoye
à Kalabsha aux alentours de 430 (± 20) apr. J.-C. Voir p. 32.
4
Voir aussi Haycock, 1978, p. 54, 63, 65. On peut ajouter à cette liste une communication
d’A. M. Abdalla présentée à la 6e conférence d’études méroïtiques à Khartoum en 1989,
intitulée « Napatan-Meroitic Continuity (2) : Personal Names (1) », non encore publiée,
et à laquelle nous n’avons pas eu accès, mais dont les premiers éléments sont paru dans
Meroitica 10 (Abdalla, 1989b).
5
Les nombres entre parenthèses qui suivent les anthroponymes renvoient à leur
numérotation dans Dunham-Macadam, 1949, article qui fait toujours autorité en
l’absence d’une mise au point exhaustive plus récente.
INTRODUCTION 21
— l’élément final -qo avec probablement une valeur de copule 1, sous les
formes ou dans les noms des rois de la XXVe dynastie tradition-
nellement transcrits Chabaka, Chabataka, Taharqa et dans celui des rois de
Napata Amaniastarbaqa (n° 6), Aramatelqo 2, et des reines Piƒankhq‘w-qa
(n° 60) et Kasaqa (n° 33) ;
— le suffixe d’anthroponymes -ye 3, avec les graphies ou dans les noms
des reines Amanitakaye (n° 10), Arty (n° 16), Batahaliye (n° 24), Malaqaye
(n° 39), Masalaye (n° 45), Ñaparaye (n° 48), Sakaƒaye (n° 64) et des rois
Piankhy et Analmaƒaye (13).
— l’adjectif mlo : « bon »/« bonne », « beau », « noble », etc. sous des
graphies diverses : voir liste p. 22-24.
— l’ethnonyme Qes : « Koush », sous les formes , , dans les
noms du roi Kashta et (probablement) de la reine Kasaqa (n° 33) 4.
— le substantif mk : « dieu », sous les graphies et dans le nom de
la reine Maqomalo (n° 46) 5.
— le substantif mte : « enfant » avec les graphies , et (?)
dans le nom de la reine Madiqeñ (n° 38) 6 et peut-être du roi Aramatelqo
(voir ci-dessous note 2).
— le lexème verbal erike « être engendré » sous les diverses graphies
, , , dans les noms des rois Aman-note-yerike (n° 11), Piƒankh-
yerike-qa 7 et peut-être , dans le nom du roi Ergaménès 8.
1
Török, 1997b, p. 131, note 3 et Wenig, 1999 donnent en conséquence les transcriptions
Shabaqo, Shebitqo et Taharqo pour les trois rois de la XXVe dynastie.
2
La lecture Aramatelqo (Priese, 1965 [98] ; Priese, 1968, p. 166) est plus vraisemblable
que la transcription « Amtalqa » de Dunham-Macadam, 1949 (n° 12). La figure initiale
du faucon (représentant Horus, en méroïtique Ar [ = /ara/] ) est très reconnaissable.
3
Cet élément est souvent facultatif, et d’ailleurs omis dans certaines variantes des noms
cités ; la transcription utilisée ici est celle de Dunham-Macadam, 1949, généralement
suivie par Török, 1997b.
4
Cf. Hainsworth, 1979b, p. 343 ; Abdalla, 1999b, p. 445.
5
Transcrit « Maqmalo » chez Török, 1997b. La variante avec déterminatif, absente chez
Dunham-Macadam, 1949, se trouve dans Dunham, 1955 (RCK II), fig. 205. Voir aussi
Haycock, 1978, p. 54 ; Priese, 1977a, p. 41. Le nom de la reine, qui signifierait « la bonne
déesse », devrait en conséquence être transcrit « Makamalo », ou mieux, « Makamalu ».
6
Cf. Haycock, 1978, p. 54, Hainsworth, 1979b, p. 345, Abdalla, 1999b, p. 439.
7
Cf. Macadam, 1949 (Kawa I) p. 53-54 et 73 ; Dunham, 1957, p. 19 n° 33 ; Priese, 1968a,
p. 186-187 ; Trigger–-Heyler, 1970, p. 33, note h 86. Wenig, 1999 transcrit les deux
derniers noms « Irike-Amanote » (n° 21) et « Irike-Piye-qo » (n° 31). Ce dernier
monarque (vers 300 av. J.-C.) appartient à l’époque du royaume de Méroé.
8
Ce nom, dont la transcription grecque est rapportée par Diodore de Sicile, aurait été porté
par deux rois : Török, 1997b, p. 203-204, et Wenig, 1999 les transcrivent « Arkamani-
22 LA LANGUE DE MÉROÉ
qo » (Ergaménès Ier, n° 33) et « Arqamani » (Ergaménès II, n° 37). Il n’est cependant pas
tout à fait sûr que le nom se rattache à la racine erike-. La transcription égyptienne w
pourrait indiquer une labiovélaire (voir Rilly, 1999a, p. 102-103).
1
On a rapproché ci-dessus (cf. note 2, p. 14) le nom de ce roi de la formule de bénédiction
divine ntki lb~te ou ntke lb~te « donne-leur ntki » (REM 0015, 0016, 0018) adressée au
dieu dans l’intérêt de la famille régnante sur les murs du temple du Lion de Naga. Mais
ici le suffixe verbal de datif pluriel -b- fait difficulté pour le sens. Voir une autre
hypothèse (suffixe itératif) chez Zibelius, 1983, p. 45-49.
2
Cf. Hainsworth, 1979b, p. 344.
3
Voir Albright, 1934, particulièrement p. 43 (ma) et 47-48 (la et lu). Voir également
Lefebvre, 1955, p. 34-35 et Vycichl, 1990, p. 207-212.
INTRODUCTION 23
porté un siècle plus tard par un roi de Napata, avec une orthographe modifiée
(n° 44 a-b-c, voir ci-dessous). Dans cette graphie se combinent curieusement
écriture syllabique (?) et usage d’un déterminatif.
: ml dans le nom de la reine Maqomalo (n° 46), épouse d’Aspelta (593-
568) ; l’écriture est consonantique, mais le déterminatif est cette fois absent 1.
, et variantes , , : ml dans les noms de la reine
Malotasen (n° 43), épouse d’Aramatelqo (568-555), du roi Malonaqeñ (n°
40) [555-542], de la reine Malotaral II (n° 42), contemporaine d’Amani-
nataki-lebte (538-519), du roi Malowiebamani (n° 44 a-b-c) [463-435], et de
la reine Atasamalo (n° 20), mère d’Harsiotef (404-369) ; seules les
consonnes sont indiquées, mais le mot est précisé par le déterminatif.
Cet inventaire montre que la simplification de la graphie s’est faite
pendant la XXVe dynastie. C’est apparemment au plus tôt sous le règne
d’Atlanersa (653-643) que l’on a commencé à employer des signes égyptiens
à valeur déterminative, du moins pour mlo : « bon », « beau », mte :
« enfant » et mk « dieu », sans doute pour éviter des confusions avec des
homographes 2. Mais le procédé n’est pas encore systématique : c’est ainsi
que l’élément mdy (méroïtique mte) dans le nom de la reine Madiqeñ, femme
d’Anlamani (623-593), est écrit parfois sans, mais parfois avec le
déterminatif . De même, le nom de la reine Maqomalo 3, épouse d’Aspelta
(593-568), comporte une graphie avec l’idéogramme divin complétant mk,
et une autre où il n’apparaît pas. On comparera également le nom de la même
reine Maqomalo, où le déterminatif est absent après mlo, et celui du
particulier Malowiebamani, son contemporain, où il est présent. Après le
règne d’Aspelta en revanche, aucune graphie de mlo n’omet le déterminatif,
du moins pour les anthroponymes actuellement attestés.
Cette évolution de l’écriture napatéenne nous interdit pratiquement une
reconstitution du vocalisme ancien, puisque la plupart des éléments
méroïtiques reconnaissables sont postérieurs à la XXVe dynastie où, nous
l’avons vu, le système syllabique, pour autant qu’il ait été régulièrement
utilisé, avait fait place à une simple notation consonantique. Certes, quelques
1
Deux graphies proches et se retrouvent dans les noms des deux princesses (?)
Malaqaye (n° 39) et Mernua (n° 47), pour lesquelles aucune parenté ni datation ne
semblent assurées. Si nos hypothèses concernant l’évolution des graphies sont avérées,
on pourrait les placer entre les règnes d’Atlanersa et d’Aspelta.
2
C’est une des multiples raisons pour laquelle nous n’admettons pas l’hypothèse de Priese
selon laquelle le signe ƒm~ dans le nom du pharaon Piankhy aurait une valeur de simple
déterminatif précisant une racine méroïtique *pi/*pe signifiant « vivant » (Priese, 1968a).
Cette théorie a conduit les égyptologues à transcrire le nom « Piye » ou « Peye ». Pour
une réfutation complète de cette thèse, voir Rilly, 2001d.
3
Voir p. 21, note 5.
INTRODUCTION 25
1
On trouve ainsi et , transcrits -ƒ a- par Dunham-Macadam, 1949 dans les noms
d’Analmaƒaye (n° 13), Sakaƒaye (n° 64), Siƒaspiqa (n° 70). Il pourrait s’agir d’une voyelle
[o], correspondant à la vocalisation démotique de ce signe, mais en aucun cas précédée
d’un ƒayin, son étranger au méroïtique (voir infra les remarques de Schäfer sur la stèle de
Nastasen). La transcription de Macadam suit apparemment à la lettre celle d’Albright,
1934, p. 37-38, qui s’applique à des langues sémitiques dotées d’un ƒayin, et à un stade de
vocalisme beaucoup plus ancien.
2
C’est clairement le cas dans certaines graphies du nom royal Senkamanisken où Amani
(Amon) apparaît en tête (voir Dunham-Macadam, 1949, n° 67a).
3
Le choix de traduction de mlo par « bonne » ou « belle » ne peut être ici qu’arbitraire.
4
Voir ici p. 540.
5
Voir note 2, p. 21
26 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
La traduction de Priese par « Horus fils de son père » repose sur une mauvaise
identification du pronom-copule (voir Priese, 1965a [98] et Priese, 1968a, p. 166).
2
Zyhlarz, 1961 : « Sudan-Ägyptisch im Antiken Äthiopenreich von K’ash » ; Peust,
1999 : Das Napatanische. Ein ägyptischer Dialekt aus dem Nubien des späten ersten
vorchristlichen Jahrtausends. Texte, Glossar, Grammatik. Les arguments de Peust
n’occupent qu’une courte section de son ouvrage (p. 72-73, § 6.1.2) et ne nous semblent
pas pleinement convaincants. Ils sont en tout cas insuffisants pour justifier la description
exhaustive d’un « dialecte », d’ailleurs fondé sur trois textes (stèles d’Harsiotef, de
Nastasen et d’Ary).
3
Schäfer, 1901.
4
Schäfer, 1901, p. 72-75 ; Peust, 1999, p. 226-230.
5
On trouve ainsi p3 mw.t , lit. « le mère » : Schäfer, 1901, p. 69, 75 ; Peust, 1999, p. 231-232.
INTRODUCTION 27
En conclusion, les informations, bien que très partielles, que livrent les
anthroponymes napatéens et les fautes d’égyptien des scribes koushites
montrent que la langue du royaume de Napata est un stade du méroïtique très
proche de celui que nous connaissons par les textes ultérieurs. Les quelques
mots que nous pouvons identifier, la structure des syntagmes nominaux et
des propositions présentatives ne présentent pas de différences
fondamentales avec la langue attestée cinq siècles plus tard. Il faut
évidemment garder à l’esprit que nous n’avons aucune vue d’ensemble sur la
langue de Napata, et qu’une série d’anthroponymes ne saurait remplacer un
texte syntaxiquement complet, qui n’a sans doute jamais existé par écrit à
cette époque. La prétention de Zyhlarz d’avoir compris la langue méroïtique
grâce aux anthroponymes napatéens n’en semble que plus vaine 1. Il n’en
reste pas moins qu’une étude complète du corpus de ces anthroponymes,
augmenté des éléments textuels découverts depuis les trente dernières années,
permettrait sans doute d’accroître notre connaissance de ce stade ancien du
méroïtique, et de proposer une transcription révisée et cohérente des noms
des souverains de Napata et de leur famille 2.
1
Zyhlarz, 1956, p. 24 et note 11.
2
Voir p. 21, note 1. Les révisions proposées çà et là, notamment par les historiens, ne sont
que ponctuelles.
28 LA LANGUE DE MÉROÉ
Il est à peu près sûr que la langue officielle, celle des textes royaux, n’a
guère varié sur ce long espace de temps. La comparaison entre la stèle
d’Akinidad (REM 1003), du début de notre ère, et l’inscription de
Kharamadoye (REM 0094), du début du Ve siècle apr. J.-C. ne montre guère de
différences significatives 2. Il semble assez plausible qu’on ait ici affaire à
une langue figée, volontiers archaïsante, à l’image de ce que l’on constate,
sur une durée plus longue encore, pour l’Égypte pharaonique 3. C’est plutôt
du côté des inscriptions funéraires privées que l’on peut juger de certaines
évolutions.
Ainsi, Hintze, classant chronologiquement les épitaphes royales de
Méroé 4, avait repéré quelques changements réguliers dans les préfixes des
formules de filiation 5. Durant la période antérieure à 40 av. J.-C., (« alt-
meroitische Periode »), ce préfixe s’écrivait e-. À partir du IIIe siècle de notre
1
La première inscription connue (REM 0039) était supposée remonter à l’époque de la
reine Shanakdakhete, située par Wenig, 1999 entre 170 et 150 av. J.-C., mais que Török,
1997a, place plutôt à la fin du IIe siècle av. J.-C. Or des inscriptions découvertes
récemment à Doukki Gel sont sûrement plus anciennes (voir p. 260). Les premiers textes
longs datent du règne de Taneyidamani, dans les dernières années du IIe siècle av. J.-C.
2
Hofmann, 1980a, p. 277, 278.
3
Voir Hofmann, 1981a, p. 293.
4
Hintze, 1959a, p. 67-68.
5
Voir p. 100-101.
INTRODUCTION 29
ère (« spätmeroitische Periode »), il apparaîtrait selon Hintze sous les formes
te- et t-.
Il semble que la situation soit un peu plus complexe. Hofmann 1 fait juste-
ment observer que le préfixe te- apparaît déjà en REM 0811A et REM 0816,
inscriptions qui doivent dater toutes deux du milieu du Ier siècle de notre ère,
et que d’autre part on trouve un préfixe ye- en concurrence avec te-/t- jusque
dans les derniers textes méroïtiques (REM 0098). En fait, les formes e- et ye-
ne sont que deux graphies 2, l’une archaïque, l’autre plus tardive, du même
suffixe, utilisé régulièrement avant le milieu du Ier siècle de notre ère, puis de
manière sporadique après cette date 3, où il est communément remplacé par
un nouveau suffixe, t-/te-.
Hintze, puis Priese, remarquent plus justement un autre élément d’évo-
lution, concernant cette fois les suffixes verbaux qui confèrent à l’objet une
valeur de datif 4. Jusqu’à l’époque que Hintze appelle « mittelmeroitisch »
(40 av. J.-C.-200 apr. J.-C.), ces suffixes apparaissent sous la forme -‚- si
l’objet est singulier, -b‚(e)- s’il est pluriel. À la période tardive, dans les
verbes de bénédiction, le suffixe singulier n’est graphiquement plus marqué,
et le pluriel apparaît en conséquence sous la forme simplifiée -b-.
Hintze utilise également comme moyen de datation philologique 5 une
modification phonétique, connue à tort sous le nom de « loi d’Hestermann »,
mais que nous proposons de rebaptiser plus justement « loi de Griffith » (voir
p. 415). Selon cette loi, qui apparaît au cours de la période dite
« mittelmeroitisch » par Hintze, la succession -se + -l se contracte en -t.
« Cette sorte de mutation est une des pièces maîtresses du système chronologique
constitué par Fr. Hintze en 1959 ; elle aurait eu lieu vers les années 40 de notre
ère. Dès lors, l’article [-l] n’est plus représenté par une forme unique, et le génitif
[-se] non plus ; le système morphologique de la langue a dû s’en ressentir. »
(Heyler, 1967, p. 108)
1
Dans certains cas, l’initiale a pu rester prononcée après un mot à finale consonantique
(d’après une constatation de Griffith , 1911a, p. 71).
2
Cf. Hofmann, 1980a, p. 275-276 ; Hofmann, 1981a, p. 11, 62-63. Nous proposons à la
page suivante une autre explication qu’une simple « substitution de consonnes ».
3
On trouve aussi la variante tardive beliloke.
4
Bedewi est attesté sur une table d’offrandes de Faras (REM 0521) qu’on ne peut dater
plus tard que le milieu du Ier siècle, en raison notamment des graphies de type ancien.
5
Wenig, 1999 donne les dates de 110-90 av. J.-C.
6
Actuellement non publiée. Je remercie le professeur D. N. Edwards, qui nous en a obli-
geamment adressé des clichés ainsi qu’une copie de sa main.
7
Wenig, 1999 donne 10 av. J.-C.-0.
INTRODUCTION 31
1
Ce détail montre également l’existence d’une tradition proprement littéraire dans la
culture méroïtique, les textes anciens étant régulièrement lus, compris, et assurément
imités, comme le prouve également la formulation et la graphie archaïsante de la stèle
pourtant très tardive de Kharamadoye (REM 0094).
2
Nous ne postulons pas que a initial représente systématiquement un schwa. Il s’agit au
contraire d’un signe à valeur multiple, pouvant représenter aussi [a] ou [u] : voir p. 291.
3
Le signe e possède deux, voire trois lectures : [Œ], absence de voyelle et sans doute [e].
Voir p. 397-398 pour cette difficulté de la graphie méroïtique.
4
C’est d’ailleurs la théorie de Hintze (Hintze, 1979, p. 65-66).
5
Voir ci-dessous, p. 368-369.
6
Même interprétation phonétique chez Priese, 1984, p. 488.
7
Pour e = [u] devant labiovélaire, voir ci-dessous, p. 379 et Rilly, 1999a, p. 106-107.
32 LA LANGUE DE MÉROÉ
La disparition du méroïtique
1
Notre hypothèse, qui semble recevable pour les derniers stades de la langue méroïtique,
ne rend pas compte des transcriptions anciennes du nom de Méroé avec un b- initial
attestées dans les textes royaux napatéens de la fin du Ve siècle et du IVe siècle av. J.-C. :
Bi-r-[we] (stèle d'Irike-Amanote, Kawa IX, l. 5), Bi-ru-we (stèle d’Harsiotef, l. 101,
106, 138 et 148, stèle de Nastasen, l. 18), B-ru-we (stèle de Nastasen, l. 4 et 22).
Cependant, Hérodote, qui compose au milieu du Ve siècle, écrit bien Μερο ou Μερóη
(l’accentuation a été ajoutée par les Alexandrins), avec un Μ initial, et la liste des nomes
de Koush inscrite sur les murs du temple de Philae sous Ptolémée II Philadelphe (283-
246 av. J.-C.) donne L«qv2«. En revanche, la mention de la ville sous le nom de *M3r
dans un fragment de la stèle brisée d’Aspelta (VIIe-VIe siècle av. J.-C.) à Méroé semble
une erreur (cf. Hallof in Hinkel, 2001, p. 199 et note 28). Sur les différentes versions du
nom de Méroé, voir également Zibelius, 1972, p. 106-107 ; Grzymski, 1982 et Peust,
1999, p. 208-209.
2
Voir ci-dessous, p. 341-342.
3
C’était le thème du 8e Congrès d’études méroïtiques (Welsby, 1999).
4
Griffith, 1911a, p. 21 et note 2, Priese, 1997b, p. 255.
5
Les principales études de ce texte souvent commenté se trouvent dans Griffith, 1912, p. 26-
32 ; Millet, 1973a (en entier) ; Török in Eide–Hägg et al., 1998, p. 1103-1107 (n° 300).
INTRODUCTION 33
pouvoir défaillant des rois de Méroé 1. Il n’est cependant pas impossible que
certaines tables d’offrandes retrouvées dans les nécropoles de Qustul et de
Ballana 2 soient contemporaines de cette inscription. On y trouve les
formules funéraires habituelles, avec néanmoins quelques irrégularités et
quelques fautes qui laissent penser à une décadence des normes écrites, mais
ont au moins le mérite d’exclure la possibilité d’un réemploi. Il semble donc
que les royaumes du méroïtique final en Basse-Nubie, auxquels Reisner avait
attribué le nom de « groupe X », font encore usage de la langue et de
l’écriture méroïtiques. Sur 113 inscriptions découvertes à Qasr Ibrim durant
la saison 1976, cinquante-deux ont été retrouvées dans des strates du
« groupe X », y compris des ostraca pour lesquels il n’est pas question de
réemploi. Adams 3 envisage donc trois hypothèses de datation pour la
disparition des éléments culturels du royaume koushite, dont la première, la
plus vraisemblable selon lui, fait survivre la langue et l’écriture méroïtiques
jusqu’à l’orée de la christianisation, au milieu du VIe siècle.
Enfin, tout au sud, à El-Hobagi, cent kilomètres en amont de Méroé, les
fouilles de la Section française de la National Corporation for Antiquities and
Museums, menées par Patrice Lenoble, ont mis au jour en 1991, dans un
tumulus d’époque méroïtique finale, un bol de bronze orné d’une bande
courante gravée d’hiéroglyphes méroïtiques (REM 1222) 4. Le texte appar-
tient à la catégorie bien représentée des « inscriptions de propriété » (voir
p. 205), figurant sur des amphores, des coupes, des jarres. Un anthroponyme
y apparaît vraisemblablement, difficilement repérable malgré tout au milieu
d’une série de titres originaux en rapport avec la divinité (mk) ou le pouvoir
royal (qore). La question s’est néanmoins posée de savoir si l’on n’avait pas
affaire à une réutilisation d’un objet plus ancien 5. Plusieurs spécialistes, dont
P. Lenoble, inventeur du bol, doutent de cette possibilité et y voient une
pièce contemporaine de l’inhumation, attestant la continuité de la culture
écrite méroïtique au cours du IVe siècle de notre ère 6 dans la région
1
Une autre hypothèse fait de Kharamadoye un roi blemmye : c’est en ce sens que Zyhlarz,
et plus récemment Millet, interprétent l’élément -mado- dans son nom, qui renverrait au
dieu Mandoulis, considéré comme la divinité principale de ce peuple, et dont le temple
principal était justement celui de Kalabsha (Zyhlarz, 1960, p. 743 ; Hofmann, 1980a,
p. 270 ; Millet, 1998, p. 58-59).
2
Voir Török, 1986, Williams, 1991 incluant la contribution de Millet (Millet, 1991) et
Török in Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 1106.
3
Adams, 1982 : « Meroitic Textual Material from Qasr Ibrim », p. 212-213.
4
Une étude de N. B. Millet a été récemment publiée (Millet, 1998). Une autre, par nos
soins, figurera en contribution dans la publication des fouilles par P. Lenoble : Du
Méroïtique au Postméroïtique dans la région méridionale du royaume de Méroé.
Recherches sur la période de transition (titre actuel).
5
Török, 1996, p. 111.
6
Le site est daté au carbone 14 calibré de 350 ± 50 de notre ère (communication personnelle
de P. Lenoble).
34 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Les ostraca de Qasr Ibrim, cités par Adams (voir note 2 p. 33) n’ont pas encore fait
l’objet d’une publication.
2
Griffith, 1911a, p. 14 ; Griffith, 1913, p. 73 ; Griffith, 1916b, p. 73 ; Meinhof, 1921-
1922, p. 2 ; Hofmann, 1979, p. 30 ; Hofmann, 1981a, p. 3 ; Hintze, 1987, p. 43-44.
3
Peust émet l’intéressante hypothèse que le signe nubien ait été obtenu à partir du grec
Γ /g/ par l’adjonction d’un trait inférieur diacritique (Peust, 1999, p. 78, note 58). Dans ce
cas, les emprunts graphiques au méroïtique se réduiraient à deux signes. Il signale
également que l’écriture particulière aux graffiti vieux-nubiens de la région de Méroé et
de Soba, malheureusement peu compréhensibles, pourraient comporter d’autres emprunts
à l’écriture méroïtique (Peust, 1999, p. 78, déjà chez Zyhlarz, 1928, p. 190).
4
Hintze, 1987, p. 43, propose pour le méroïtique ‚ une valeur [Ñ], plus proche du nubien.
Nous ne souscrivons pas à cette hypothèse : voir p. 393-394.
5
Zawadowski, 1972, p. 22-23 ; contra : Vycichl, 1973b, p. 65-66 ; Haycock, 1978, p. 73-74.
Pour une survivance du titre royal qore en fur (langue du Darfour), voir Arkell, 1956.
INTRODUCTION 35
Périodisation
« Because of the lack of evidence, neither the territorial extension of the Nubian-
speaking and Meroitic-speaking population groups nor their movements can be
defined with any precision and the emergence of Meroitic in the 2nd century BC
as well as its disappearance in the AD 4th-5th century as a written language are to
be interpreted as political and cultural rather than ethno-historical develop-
ments. » (Török, 1997b, p. 40).
1
Török, 1997b, p. 40 ; Priese, 1997a, p. 208 ; voir aussi Morkot, 2000 (Introduction). On trouvera
un bref exposé de cette question dans Dafa’lla, 1999 : The Origin of the Napatan State.
2
Hofmann, 1981a, p. 1 ; Hofmann, 1981c, p. 11.
3
D’après les textes égyptiens d’« exécration » du Moyen Empire (Posener, 1940, Posener,
1987). Voir supra, p. 4.
4
Priese, 1973c et notamment p. 161 : « Ne faut-il pas prendre en considération que le
méroïtique était certes la langue des rois de Koush et celle de la classe dirigeante, alors
que les nombreuses autres tribus plus ou moins vassales, en dehors de la région de Méroé
proprement dite, parlaient d’autres langues ? ».
38 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Trigger, 1973a, p. 264 ; Hofmann, 1991, p. 215-216.
2
Mohammed, 1986 : The Archaeology of Central Darfur (Sudan) in the 1st Millenium A.D.
3
On a retrouvé à Sennar, sur le Nil Bleu, à 250 km au sud-ouest de Khartoum, un sphynx
au nom du roi Shabaqo et une nécropole y a été sommairement fouillée dans les années
1920 mais aucune inscription méroïtique n’y a été répertoriée (Dixon, 1963). Quelques
traces laissent supposer que l’influence (mais probablement pas le territoire) du royaume
de Méroé s’étendait jusqu’au confluent du Nil Blanc et de la Sobat, à plus de six cents
kilomètres en amont de Khartoum, mais aucune fouille systématique n’a été réalisée aussi
loin : voir Arkell, 1950, p. 40 et Dixon, 1963, p. 234 et note 16.
INTRODUCTION 39
« Little systematic attention has been paid to regional differences, or lack of diffe-
rence, in Meroitic grammar and orthography, in part because most of the funerary
inscriptions found to date come from Lower Nubia and there is, as yet, relatively
little comparable material between north and south. » (Trigger, 1973a, p. 254)
1
Griffith parle d’« extended invocation ». Voir ici p. 93.
2
Voir ci-dessous, p. 94.
3
Hofmann, 1978a, p. 50 ; Hofmann, 1978c, p. 111 ; Hofmann, 1981a, p. 33 ; et avec moins
d’assurance, Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 50 (« zum vielleicht dialektisch bedingten
Unterschied...»), l’inscription étudiée, REM 1195, se conformant aux théories de Heyler.
4
Priese, 1977a, p. 46 [2.51] ; Hintze, 1999, p. 233-234 et n. 9 p. 234 ; Grzymski, 1982,
p. 28-29.
5
Voir à ce sujet le chapitre « Paléographie », p. 315 sq.
40 LA LANGUE DE MÉROÉ
(REM 0437, 1195), et que les dernières (REM 1182, REM 1183) datent très
probablement du début du IVe siècle 1. Il n’est pas impossible, comme le
suggère l’observation des données, que l’usage en soit né dans le Sud (Méroé)
et se soit ensuite répandu dans le Nord à partir du IIe siècle. Les plus
anciennes épitaphes de Sedeinga (REM 1092, 1121 et 1240) comportent en
effet une invocation simple, mais toutes les suivantes (voir Tableau 2 ci-
dessous) présentent une invocation solennelle. La prédominance numérique
des inscriptions septentrionales (23 sur 34 ont été retrouvées en amont de la
deuxième cataracte) s’explique essentiellement par l’histoire de l’archéologie
nubienne : le Nord a été l’objet de fouilles nombreuses et systématiques
depuis un siècle, surtout en raison des élévations successives du barrage
d’Assouan, alors que beaucoup de sites méridionaux restent à découvrir.
1
La datation de REM 1182 a été établie par N. B. Millet sur des bases assurées (Millet,
1982, p. 79).
2
Les épitaphes du Gebel Adda étant encore inédites, aucune illustration publiée n’en est
disponible. Nous nous sommes appuyé sur les transcriptions autrefois préparées par
A. Heyler en collaboration avec N. B. Millet, et obligeamment mises à notre disposition
par le professeur J. Leclant.
INTRODUCTION 41
1
La restitution du texte de cette table d’offrandes très érodée, connue uniquement par un
cliché difficilement exploitable et un fac-similé très fautif (in Vila, 1982, p. 55, 173), mal
rectifié de plus par Hainsworth (Hainsworth, 1982b), semble une véritable gageure. La
présence d’une invocation solennelle est par contre certaine. La première initiale q- se
déduit de l’étendue de la lacune, la seconde est partiellement visible.
42 LA LANGUE DE MÉROÉ
La variation, si elle est progressive, n’en est pas moins marquée : la partie
septentrionale du royaume méroïtique, jusqu’à Toshka au sud, soit une bande
d’une centaine de kilomètres, semble exclusivement réaliser ces épithètes
avec initiale w-. Cette prononciation reste majoritaire jusqu’à la deuxième
cataracte, plus de cent kilomètres au sud de Toshka. Puis elle devient
minoritaire sur plus de cent cinquante kilomètres jusqu’à Sawarda. À partir
probablement de la troisième cataracte, et jusqu’à Méroé, on trouve exclu-
sivement l’initiale q-.
Dans l’hypothèse d’une différence dialectale, le mélange des deux formes
dans les mêmes textes au Gebel Adda et à Sedeinga ne remet pas vraiment en
question le modèle général. Les deux sites sont en effet situés dans la zone de
transition et le choix des initiales dans les inscriptions ne semble pas fait au
hasard : lorsqu’elles coexistent, la forme en w- est systématiquement réservée
à Isis et la forme en q- à Osiris. Il s’agit probablement d’une utilisation de la
différence dialectale à des fins théologiques qu’il est difficile de préciser.
Peut-être Isis, déesse de Philae, était-elle en ces lieux ressentie comme
septentrionale, et Osiris, maître de l’Au-delà, était-il associé aux rois défunts
dont la nécropole était au sud, à Méroé. Mais il faudrait davantage
d’éléments pour étayer ce qui n’est pour l’heure qu’une spéculation.
« Da wir hier kein Nebeneinander der verschiedenen Formen haben, möchte ich
in diesem Fall die phonetische Erklärung der orthographischen vorziehen und
in diesem Unterschied zwischen Nord und Süd einen Dialektunterschied
sehen. » (Hintze, 1979, p. 68)
Un peu plus loin dans le même ouvrage, Hintze se livre à une rapide
comparaison sur sept sites de plusieurs marques morphologiques : préfixes et
suffixes verbaux, mais aussi initiale des épithètes divines dans les
invocations solennelles. Les résultats généraux correspondent d’assez près à
ceux de notre précédente analyse.
« Bei diesen kombinierten Merkmalen, die die einzelnen Gruppen voneinander
unterscheinen, scheint sich ein kontinuierlicher Übergang von Meroe nach
Unternubien abzuzeichnen, der aber nicht durchweg der geographischen
Aufeinanderfolge der Orte von Süden nach Norden entspricht. Bei allen
Merkmalen nimmt aber die Gruppe Faras + Nag Gamus gewisserma”en eine
Mittelstellung ein. » (op. cit. p. 82)
Hintze reconnaît ainsi une distinction entre les formes méridionales et les
formes septentrionales, avec une région de transition, située il est vrai un peu
plus au nord, mais correspondant tout de même aux abords de la deuxième
cataracte. La partie sud du royaume apparaît plus conservatrice, tandis que le
Nord, entre la première et la deuxième cataracte, semble favoriser des formes
nouvelles avec assimilation.
Le même Hintze, dans un article posthume (Hintze, 1999, p. 233-234),
avance également d’autres différences d’ordre dialectal concernant deux
mots méroïtiques. Le terme pour « sœur » est connu en effet sous deux
formes : kdise et kdite. La première serait selon Hintze caractéristique du
Sud, tandis que la seconde correspondrait au dialecte du Nord. Ici, la
distinction est plus complexe, puisque le terme kdise apparaît sur l’ensemble
du royaume méroïtique, depuis Dakka (au sud de la première cataracte)
jusqu’à Méroé. La forme kdite ne se trouve, dans l’état actuel de nos
connaissances, que sur trois sites septentrionaux : le Wadi el-Arab (REM
1019), Toshka (REM 1049) et surtout Gebel Adda (GA. 22, 29, 30, 37), où
coexistent les deux formes, mais sur des inscriptions différentes 1. Il faudrait
donc envisager une variante locale, utilisée sporadiquement à l’écrit, en
concurrence avec une graphie officielle, reconnue sur l’ensemble du
territoire.
1
L’Index inédit du REM donne aussi kdite en REM 1044 (Gebel Barkal) et REM 1038
(Méroé). La première occurrence correspond à un mauvais découpage de la séquence
Amni-skdi-te : « Amon de Shakadi », inclus dans une série de séquences de structure :
divinité + toponyme + suffixe locatif -te. La seconde occurrence semble un anthro-
ponyme (cf. Hintze, 1960a, p. 278-279) porté par l’épouse du roi Amanikhabale. Les
occurrences de kdite en GA. 22 et 30 ont échappé à Hintze, en GA. 37 à l’Index du REM.
44 LA LANGUE DE MÉROÉ
Plus limitée encore apparaît l’autre variante régionale avancée par Hintze,
mais cette fois en faveur du Nord. Il s’agit du titre pelmos généralement
traduit par « stratège » à l’imitation de son étymon égyptien p3-mr-mëƒ. Le
terme n’est attesté que pour la partie nord du royaume, de Philae à Sedeinga.
Au Gebel Adda et à Toshka est attestée une curieuse variante polmos,
étymologiquement peu justifiée : elle supposerait une réalisation /pulamusa/,
à côté de la forme habituelle pelmos, réalisée /plamusa/ conformément à
l’égyptien tardif /p(Œ)lem‘sa/, copte p-lemhh0e. On peut penser que dans
cette variante s’est glissé un o épenthétique substituant une structure CV à la
structure initiale CCV. Cette graphie pourrait alors correspondre à une
réalisation apparaissant entre la première et la deuxième cataracte 1, mais
rarement présente dans les inscriptions officielles, plus respectueuses de la
forme originelle égyptienne. Une fois de plus, les inscriptions du Gebel Adda
comportent les deux formes, confirmant peut-être pour cette région le rôle de
zone de transition que nous lui avions précédemment reconnu : il faudrait
cependant que la variante polmos puisse un jour être retrouvée sur d’autres
inscriptions entre Toshka et Sedeinga. 2
Comme on a pu le constater, il reste beaucoup à faire pour établir
clairement, à l’aide d’exemples nombreux, des différences dialectales
raisonnées en méroïtique 3. Trois faits marquants semblent cependant se
dégager. Tout d’abord, il a existé une langue officielle, correspondant
généralement à celle du Sud, qui faisait autorité sur l’ensemble du royaume
(exemple de kdise). En second lieu, la souplesse du système graphique
méroïtique, à base phonétique, a permis à quelques variantes régionales de
s’introduire dans les textes écrits, et ce d’autant plus qu’elles étaient motivées
par des institutions ou des idéologies locales (titre de pelmos, initiales
d’épithètes w- pour Isis, q- pour Osiris). Enfin, il a sans doute existé une
forme de méroïtique spécifique à la partie septentrionale du royaume, parlée
entre la première et la deuxième cataracte, et dont l’influence s’étendait
1
Voir Hintze, 1999, p. 233, bien que cet auteur privilégie l’idée de simples variantes locales.
2
Nous ne considérons pas comme « dialectales » les variantes du possessif pluriel bese,
qebese, aqebese, aqobese (selon une première hypothèse de Millet-Heyler, 1969, p. 5).
Le peu d’exemples que nous ayons pu documenter paléographiquement semble
privilégier la seconde hypothèse de ces auteurs, une distinction d’ordre diachronique
(aqebese/qebese/bese) ou orthographique (aqebese/aqobese , voir Rilly, 1999a, p. 106 et
p. 109, note 18)
3
Nous ne suivons pas Peust qui distingue deux dialectes méroïtiques, dont l’un serait
l’ancêtre du vieux-nubien (Peust, 1999, p. 75, § 6.2.3 et p. 80-81, § 6.2.8). La distinction
qu’il établit se fonde sur la différence de vocabulaire entre d’une part les stèles de
Taneyidamani (REM 1044) et d’Akinidad (REM 1003), et d’autre part l’inscription de
Kharamadoye (REM 0094). La distance chronologique entre ces documents (500 ans
séparent REM 1044 de REM 0094) et surtout la nature différente du contenu des textes
(difficilement précisable) suffisent selon nous à expliquer la disparité dans le lexique.
Pour les relations du méroïtique avec le vieux-nubien, voir ci-dessous, p. 457.
INTRODUCTION 45
HISTOIRE DE LA RECHERCHE
La redécouverte du méroïtique
1
Voir à ce sujet Griffith, 1909, p. 43-46 ; Leclant, 1974b, p. 107-108.
2
Gau, 1822 : planche 14, n° 44 ; il s’agit des quatre premières lignes d’un graffito en cursif
au nom du prince Akinidad (REM 0093).
3
Waddington-Hanbury, 1822 : planche face à la page 286, commentaire p. 289.
4
Cailliaud, 1826 : Voyages à Méroé, au Fleuve Blanc, au-delà du Fâzoql, dans le midi du
royaume de Sennâr, à Sywah et dans cinq autres oasis, faits dans les années 1819, 1820,
1821 et 1822, pl. 5 et 6.
48 LA LANGUE DE MÉROÉ
C’est avec le grand égyptologue allemand Richard Lepsius que fut enfin
reconnue la civilisation de Méroé. Son œuvre prodigieuse, les Denkmäler aus
Aegypten und Aethiopien, est le fruit d’une expédition de trois ans, de 1842 à
1845, le long de la vallée du Nil. L’ouvrage parut de 1849 à 1858. Les
volumes V et VI, consacré à la Nubie, comportait, outre de nombreuses
planches détaillant les monuments, cinquante-trois relevés d’inscriptions, qui
allaient permettre à deux générations de savants d’exercer leur sagacité.
Premier d’entre eux, Lepsius avança déjà un certain nombre d’observations
et d’hypothèses dont certaines étonnent par leur fulgurante clairvoyance :
1
Il s’agit de la cursive méroïtique.
2
Lepsius, 1952 : Briefe aus Ägypten, Äthiopien und der Halbinsel des Sinai. Lettre du 22
avril 1844, écrite des pyramides de Méroé (p. 218-219).
3
Il changea plus tard d’opinion, selon le témoignage d’Erman (Erman, 1897).
4
C’est du moins l’avis de Griffith (Griffith, 1909, p. 45), probablement d’après les
indications d’Erman, 1897.
INTRODUCTION 49
1
Voir notamment pour l’existence de cet enjeu Erman, 1897, p. 152.
2
Il s’agit des cartouches bilingues du reposoir de barque de Wad Ben Naga (REM 0041),
qui furent à l’origine du déchiffrement de Griffith (voir p. 231).
50 LA LANGUE DE MÉROÉ
Bien qu’il n’eût pas encore atteint les plus hauts rangs de l’Université,
Francis Llewellyn Griffith (1862-1934) était sans conteste à cette époque le
plus brillant philologue de Grande-Bretagne dans le domaine égyptologique.
INTRODUCTION 51
1
Griffith, F. Ll., Stories of the High Priests of Memphis, Oxford, 1900 ; Catalogue of the
Demotic Papyri in the Rylands Library at Manchester, Manchester, 1909.
2
Voir Griffith, 1912, p. VIII (Preface).
52 LA LANGUE DE MÉROÉ
Dès le début de cette année 19111 parut dans le Zeitschrift für ägyptische
Sprache, qui avait déjà accueilli les tentatives de déchiffrement de Brugsch et
de Erman, un bref article de deux pages : « A Meroitic funerary text in hiero-
glyphic », où Griffith démontrait qu’il « tenait l’affaire », pour reprendre la
célèbre formule de Champollion. Le savant britannique donnait en effet une
analyse de la table d’offrandes de Takideamani (REM 0060), le seul exemple
alors connu d’épitaphe en écriture hiéroglyphique, ramené à Berlin par
l’expédition prussienne. L’article débutait par un hommage aux travaux de
Lepsius, suivi – in cauda venenum – de quelques lignes où Griffith s’étonnait
qu’une pièce aussi capitale pour le déchiffrement n’eût pas été publiée dans
les Denkmäler. Suivait une reproduction du texte hiéroglyphique, puis une
transcription en cursive qui n’avait pas d’autre utilité que de montrer
l’ampleur des avancées de Griffith sur les deux formes de l’écriture
méroïtique. Enfin, une brève analyse du contenu, donnant le nom des
divinités invoquées, celui du défunt et de ses parents, prouvait, si besoin en
était, que le déchiffrement était complet, et que le travail sur le lexique était
déjà bien entamé.
Effectivement, l’année 1911 vit la publication des trois volumes en
préparation : Karanóg, les Meroitic Inscriptions I et le chapitre de Meroë
(Garstang et al., 1911) consacré à la transcription des textes méroïtiques.
Cette dernière contribution, écrite rapidement, n’offrait que peu d’études
approfondies des textes et fut surtout pour Griffith l’occasion de prouver la
justesse de son déchiffrement. De leur côté, les Meroitic Inscriptions I, qui
avaient bénéficié d’un plus long mûrissement, livraient de nombreuses
analyses, notamment lexicales, où Griffith, revenu de ses premières théories,
proposait divers parallèles nubiens. Mais c’est dans Karanóg, le plus achevé
des trois volumes et le premier à paraître, qu’il déployait toute la mesure de
son génie. Les trois chapitres d’introduction constituent en effet une synthèse
sur la langue et l’écriture méroïtique à laquelle, aujourd’hui encore, il n’y a
rien ou presque à changer. Les données qui lui avaient permis le dé-
chiffrement sont tout d’abord exposées avec une grande clarté en une série
d’équivalences avec l’égyptien, le copte et le grec 2. Le deuxième chapitre,
consacré à l’étude de la paléographie, définit les trois styles de cursive
(archaïque, transitionnel, tardif), en un classement qui fait toujours autorité.
Le troisième chapitre résume les données phonologiques, lexicales et
grammaticales que Griffith avait réunies en quatre ans de labeur acharné. Là
encore, il y a peu à rectifier, et ces quelques pages constituent toujours le
1
Le numéro 48 du ZÄS est faussement daté de 1910 sur les en-têtes des pages intérieures.
Il ne parut en réalité que l’année suivante. Nous avons cependant gardé pour cette référence
la notation Griffith, 1910, tant par tradition (voir par ex. Hofmann, 1981a, p. 352) que pour
éviter un décalage général des nombreux ouvrages de Griffith publiés cette année-là.
2
Voir ci-dessous, p. 231-235, pour le détail de la démonstration de Griffith.
INTRODUCTION 53
1
Cf. supra, p. 91.
2
Voir Griffith, 1916b, p. 123, et notre chapitre consacré aux études comparatives, p. 449.
3
Griffith, 1916a et b ; 1917a et b.
54 LA LANGUE DE MÉROÉ
« Griffith believed that if he could concentrate solely on Meroitic for five years
longer, he knew enough to solve most of its problems, but he had to spend much
time in organizing and raising funds for his favourite project, the Oxford
excavations in Nubia which dug at Sanam (New Merowe), Faras and Kawa, and
also on pure Egyptology, since he was acknowledged as the leading expert of his
generation on Egyptian hieratic and demotic writing, and well-meaning
colleagues heaped such texts on him, not understanding the greater importance of
his Meroitic researches. » (Haycock, 1978, p. 59)
1
Il édita entre autres vingt-cinq volumes des Archaeological Survey of Egypt.
2
Griffith, 1925a (Meroitic Studies V), 1929b (Meroitic Studies VI). Il faut également
signaler l’étude des inscriptions funéraires de Faras (Griffith, 1922) et quelques articles
des Liverpool Annals of Archaelogy and Anthropology (Voir bibliographie générale en
fin d’ouvrage, p. 575sq).
INTRODUCTION 55
1
Notamment par Hestermann, 1925 et Hintze, 1955.
2
Meinhof rassemblait sous ce nom toutes les ethnies pastorales d’Afrique, depuis les Peuls
de l’Ouest jusqu’aux Massaï du Kenya. L’arrivée de ces peuples d’origine « caucasoïde »
représentait selon lui un « progrès » par rapport aux populations « négroïdes »,
notamment par l’utilisation de genres grammaticaux. On trouvera chez Greenberg, 1966
une critique sans appel de ces théories.
3
Il fallut attendre Browne, G. (1989) : Introduction to Old Nubian, pour que fût publiée
une mise au point plus récente.
4
De l’aveu même de Hintze, son principal adversaire, « die Arbeiten von Zyhlarz enthalten
sehr viel wichtiges und förderndes Material » (Hintze, 1955, p. 357).
5
Hintze, 1955 ; Vycichl, 1958.
56 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Il conclut cette première étude par une citation de Greenberg, 1950 : « The language does
not appear to be related to any existing language of Africa ». Greenberg changea
cependant d’opinion plus tard (Greenberg, 1971) ; voir ici p. 481.
2
Nous proposons, à la suite de Hofmann, une autre identification grammaticale pour les
termes de parenté : ce sont, selon nous, non des verbes, mais des substantifs en position
d’attributs : voir p. 124-125.
3
Voir Hintze, 1962a (édition des textes) ; Hintze, 1962b ; Hintze, 1963b ; Hintze, 1968 ;
Hintze, 1971b ; Hintze, 1972 ; Hintze, 1993.
58 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Hintze, 1973c = Hintze, 1974b.
2
Griffith, 1916b, p. 120, 121.
3
On doit d’ailleurs à Hintze une série de travaux sur l’application en archéologie de
méthodes statistiques (« cluster analysis »).
4
Voir ci-dessous, p. 443.
5
Voir ici p. 564.
INTRODUCTION 59
1
Millet, 1979 ; Hofmann, 1981a, p. 207-212.
2
Beobachtungen zur altnubischen Grammatik (I à VI), voir Hintze, 1971a ; Hintze, 1975a
; Hintze, 1975b ; Hintze, 1977b ; Hintze, 1986.
3
Hintze, 1999 est une communication faite en 1992 au Congrès d’études Méroïtiques de
Gosen, publiée à titre posthume dans les actes de la conférence.
4
Il reste cependant l’éditeur et le commentateur de la stèle de Taneyidamani (REM 1044),
mais dans la première partie de sa carrière (Hintze, 1960a).
5
Voir p. 483.
60 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Priese, 1968. Voir supra, p. 19sq.
2
Voir infra, p. 568.
3
On ne peut passer cependant sous silence les études de l’Italien Monneret de Villard
(Voir en bibliographie générale Monneret de Villa r d, 1959 et 1960).
4
Les travaux, nombreux et remarquables, du Hongrois László Török n’ont pas été cités
ici : il ne s’agit pas en effet de recherches philologiques, mais historiques et
sociologiques (voir cependant p. 196).
5
Notamment dans son analyse de l’inscription de Kharamadoye REM 0094 (Millet,
1973a). Voir en revanche de très pertinentes hypothèses sur les textes de Qasr Ibrim,
p. 144-146.
INTRODUCTION 61
1
Voir ci-dessous, p. 480-487. Cette hypothèse sera confirmée dans un ouvrage intitulé La
famille linguistique du méroïtique, publié prochainement aux éditions Peeters.
2
Sur le REM, voir Leclant–Heyler, 1968 ; Leclant–Heyler, 1969a ; Leclant–Heyler, 1969b ;
Heyler, 1970 ; Leclant, 1970a ; Leclant–Heyler, 1972 ; Leclant, 1974a ; Leclant, 1974b ;
Leclant–Heyler–Hainsworth, 1975 ; Leclant–Hainsworth, 1977 ; Leclant–Hainsworth,
1978 ; Leclant–Hainsworth, 1982 ; Tiradritti, 1994 ; Carrier, 1999.
62 LA LANGUE DE MÉROÉ
Trigger fit remarquer au Congrès de Berlin que « Leclant has thus taken
Meroitic studies from the level of a cottage industry to the threshold of its
own industrial revolution » (Trigger, 1973a, p. 258).
Malheureusement, la mort inopinée de Heyler, en 1971, porta un coup
terrible au projet français. J. Leclant put cependant continuer quelque temps
ce travail grâce à la collaboration de Michael Hainsworth, un jeune chercheur
qui s’était spécialisé assez rapidement dans le traitement par ordinateur des
données linguistiques. Bientôt, un premier résultat sous forme de listings
informatiques put être distribué aux participants du IIIe Colloque d’études
nubiennes de Chantilly, en 1975, ainsi qu’un index provisoires de toutes les
séquences (« mots ») méroïtiques. Mais avec l’abandon de Hainsworth au
milieu des années quatre-vingt, l’espoir d’une publication finale s’éloigna 1.
La seconde étape dans le projet français, l’analyse informatisée de la
langue, ne fut qu’effleurée 2, et se heurta à quelques achoppements méthodo-
logiques. Le principal, fort compréhensible pour une entreprise pionnière
comme l’était une recherche par ordinateur dans les années soixante,
consistait à trop attendre de l’informatique : elle ne pouvait pas bien entendu
se substituer en bloc au travail du philologue. Ainsi, les séquences isolées par
la machine devaient être systématiquement vérifiées dans les textes avant
d’être considérées comme de véritables morphèmes ou lexèmes, ce qui n’a
pas toujours été fait, particulièrement après Heyler, si bien que des cas
patents d’homonymie sur les morphèmes ont échappé à l’attention 3, notam-
ment dans la rédaction des index. Malgré la puissance des outils mis en
œuvre, les progrès dans la compréhension de la langue restèrent modestes.
Quant aux chercheurs espagnols, ils avaient obtenu, dans le cadre de la
campagne de sauvetage en Basse-Nubie, la concession des fouilles de Nag
Gamus, où l’équipe de Martin Almagro mit au jour une vingtaine de stèles
funéraires inscrites. Leur publication fut extraordinairement rapide. Dans
deux des volumes consacrés à ces fouilles (Almagro, 1964 et 1965),
l’archéologue proposait une translittération et une traduction partielle des
textes méroïtiques. Les ambitions philologiques en étaient cependant
modestes, et plusieurs lectures durent par la suite être rectifiées dans un
article des Meroitic Newsletters rédigé en collaboration avec Hainsworth
(Almagro-Basch–Hainsworth, 1977).
Une école d’études koushites se développa également en URSS dès la fin
des années soixante, sous la houlette de deux égyptologues : l’historien
Isidor Katznelson et le philologue Youri Zawadowski. Ce dernier publia
quelques articles, dont une recherche approfondie sur la phonologie
1
Voir cependant ci-dessous, p. 65.
2
Notamment Leclant–Hainsworth, 1978 ; Hainsworth, 1980 et 1984.
3
Voir particulièrement les confusions entre -te, suffixe verbal et postposition locative dans
Leclant, 1981-1982, p. 204.
INTRODUCTION 63
1
Pour des éléments critiques sur cette étude, voir p. 359-407 passim.
2
Voir p. 454-455.
3
Hintze, 1979, p. 23-26. Voir également ci-dessous p. 494.
64 LA LANGUE DE MÉROÉ
l’Afrique interne. Il s’agit en fait d’un ouvrage dans la lignée des travaux de
Hintze. Priorité est donnée en effet aux structures, particulièrement dans
l’examen des textes funéraires. Mais une analyse très serrée accompagne
chacun des exemples cités, où Hofmann récapitule avec une vertigineuse
érudition les études de ses prédécesseurs, avançant inlassablement des
rectifications, des améliorations, des suggestions. Son intérêt s’étend bien au-
delà des épitaphes, puisqu’elle étudie des graffiti et des proscynèmes, et se
livre à une analyse poussée – à défaut de traduction – d’un long texte
« historique », la stèle d’Akinidad (REM 1003). Moins dogmatique, moins
novatrice que Hintze, Hofmann se montre plus précise, plus proche des
textes. Sa monographie est à ranger à côté des ouvrages indispensables à tout
méroïtisant, avec ceux de Griffith et de Hintze. Une autre étude, parue dix
ans plus tard, Steine für die Ewigkeit / Meroitische Opfertafeln und
Totenstelen (Hofmann, 1991), fait également partie de ces ouvrages
fondamentaux. Il s’agit d’une somme exhaustive de données sur les textes
funéraires, tant archéologiques qu’historiques ou sociologiques. Elle contient
aussi un ensemble de tables paléographiques qui en font une référence
obligée en la matière.
Inge Hofmann a consacré également beaucoup de temps à la formation de
jeunes chercheurs et a ainsi créé une véritable école viennoise d’études
méroïtiques, comprenant des noms comme Michael Zach ou Herbert
Tomandl, qui ont publié, souvent de concert avec elle 1, plusieurs travaux sur
les inscriptions et la culture méroïtiques.
Dans les dernières années, Millet et Abdalla ont exposé régulièrement les
résultats de leurs recherches (Millet, 1998 et 1999, Abdalla, 1994, 1999 a et
1999b 1). On peut ajouter à ces contributions quelques articles ponctuels
comme Edwards, 1994b et Kormysheva, 1998, ainsi que les commentaires
par László Török des principaux textes méroïtiques de portée historique
publiés dans les Fontes Historiae Nubiorum (Török in Eide et al., 1994,
1996, 1998). Plus récemment encore, on peut signaler trois études consacrées
au napatéen (Peust, 1999 et 2000, Rilly, 2001d), deux articles traitant de
problèmes orthographiques et phonétiques (Rilly, 1999a et b), un autre de
problèmes lexicaux (Rilly, 2000b), deux autres encore définissant un
nouveau type de textes, les décrets oraculaires amulétiques (Edwards-Fuller,
2000 et Rilly, 2000c), et un dernier traitant de paléographie (Rilly, 2001c).
La reprise de la parution des revues Meroitica en Allemagne et Meroitic
Newsletters en France laisse bien augurer d’un prochain regain d’intérêt pour
les études méroïtiques. L’année 2000 a vu la publication finale des trois
premiers tomes du REM 2, des ostraca de Shokan 3 et de certains documents
de Qasr Ibrim 4 ; l’année 2001 celles de la stèle du vice-roi Abratoye5 et des
textes inédits de Sedeinga6. La publication des graffiti de Musawwarat 7 et
celle des textes du Gebel Adda sont attendues incessamment.
1
Les références datées de 1999 correspondent pour ces deux auteurs aux actes du Congrès
d’études méroïtiques de Gosen, tenu en 1992.
2
Leclant–ÉHeyler–Berger-El Naggar–Carrier–Rilly, 2000. Il ne s’agit pas encore de la
translittération et de l’étude philologique des textes, qui fera l’objet des deux tomes
suivants, le tome VI constituant le « Lexique ».
3
Jacquet-Gordon, 2000.
4
Edwards-Fuller, 2000.
5
Carrier, 2001c.
6
Carrier, 2001d.
7
Deux articles préliminaires sont parus récemment (Wolf, 1999a et b).
66 LA LANGUE DE MÉROÉ
Revues et colloques
Les études méroïtiques ont été – et restent en majeure partie – une
branche de l’égyptologie. Aussi une importante proportion des études et des
articles consacrés à la langue de Koush sont-elles parues dans les revues
traditionnellement axées sur la philologie égyptienne. La Zeitschrift für
ägyptische Sprache de Berlin fut assurément la première à accueillir les
tentatives de déchiffrement, jusqu’à l’article fondateur de Griffith 1. C’est
ensuite très logiquement le Journal of Egyptian Archaelogy de Londres qui
ouvrit ses colonnes aux six « Meroitic Studies » du déchiffreur, puis aux
articles de Macadam (Macadam, 1950) et Trigger (Trigger, 1967b). Depuis
les années quatre-vingt, plusieurs articles consacré à la langue méroïtique par
Hofmann, Zach, Rilly, Peust sont parus dans les Göttinger Miszellen.
Quelques travaux de méroïtisants ont également été publiés dans des
revues d’études africaines. L’essai de Meinhof sur la langue de Méroé
(Meinhof, 1921-1922) avait ainsi ouvert un numéro du Zeitschrift für
Eingeborenen Sprachen de Berlin. Cette même revue, déplacée à Hambourg
après la dernière guerre et rebaptisée Afrika und Übersee, a accueilli deux
articles de Hofmann. Plusieurs autres études méroïtiques de Hofmann et une
de Marianne Bechhaus-Gerst ont paru dans Sprache und Geschichte in Afrika
(SUGIA) de Cologne.
Cependant, depuis les années cinquante s’est développé un certain
nombre de revues spécialisées dans l’étude de la Nubie ancienne. Cet essor a
coïncidé avec l’intérêt nouveau éveillé par la campagne de sauvetage des
monuments de Nubie et avec la transformation, encore partielle, des études
méroïtiques en discipline indépendante. À Khartoum même, le Service des
Antiquités du Soudan a publié à partir de 1953 le périodique Kush, qui a
accueilli les contributions de Monneret de Villard, Hintze, Vycichl, Zyhlarz
et Trigger. En sommeil dans les années quatre-vingt, la parution a repris,
avec deux numéros en 1993 et 1997.
À Paris, sous les auspices de Jean Leclant et Bruce G. Trigger, une revue
fut lancée en 1968, les Meroitic Newsletters (Bulletin d’informations
méroïtiques). Elle permit d’enregistrer les avancées du REM et donna aux
spécialistes de l’archéologie et de la philologie méroïtiques un espace de
publication fort apprécié, recevant les contributions de tous les grands noms :
Hintze, Trigger, Millet, Heyler, Vycichl, Hofmann, Abdalla, Wenig, Török,
Edwards, Lenoble et bien d’autres. Là aussi, le rythme de parution se ralentit
dans les années quatre-vingt. Cinq numéros ont été récemment publiés, en
1999 (n° 26), 2000 (n° 27), 2001 (n° 28), 2002 (n° 29), 2003 (n° 30).
1
Griffith, 1910 (mais voir note 1, p. 52).
INTRODUCTION 67
Les Congrès d’études méroïtiques, lancés par Fritz Hintze et Jean Leclant
en 1971, et tenus régulièrement tous les trois, puis quatre ans, ont joué
également un rôle capital dans la recherche méroïtique, tant historique que
philologique. Six sur huit ont fait l’objet d’une publication :
1
La revue Nubica a cependant publié en 1999 un essai de « traduction » très contestable,
par C. A. Winters, de la grande stèle de Taneyidamani REM 1044 (Winters, 1999, voir
p. 56).
68 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir également Actes du XXIXe Congrès international des orientalistes, Paris,
L’Asiathèque, 1975, vol. II, p. 109-115.
2
Voir Orientalia, 46 (1977), p. 478.
3
Voir Orientalia, 40 (1971), p. 473.
INTRODUCTION 69
1
Voir Orientalia, 42 (1973), p. 383-384.
2
Voir Orientalia, 48 (1979), p. 529-530.
3
Voir Orientalia, 52 (1983), p. 271-273.
70 LA LANGUE DE MÉROÉ
FOUILLES ET SITES
Naga (Naqƒa) 3
Ce complexe cultuel a fourni une ample moisson de légendes
hiéroglyphiques du Ier siècle de notre ère accompagnant l’iconographie
divine et royale des temples d’Apedemak (REM 0003 à 0020) et d’Amon
(REM 0023 à 0038). Dans le petit temple de l’est ont été découverts deux
cartouches hiéroglyphiques au nom de la reine Shanakdakhete, actuellement
considérés comme les plus anciens écrits méroïtiques datables (REM 0039A
et B, voir note 1, p. 28). Les seules inscriptions en cursive sont deux graffiti
1
Pour un panorama complet de l’archéologie méroïtique, accompagné d’une bibliographie
exhaustive, on pourra se référer à Török, 1997b, p. 7-27. Voir aussi Salah Mohamed
Ahmed (1997) : « Cent soixante-quinze ans d’archéologie au Soudan » dans Wildung et
al., 1997, p. 1-5 et Reinold, 2000 : Archéologie au Soudan.
2
Une liste des fouilles restées inédites à ce jour figure dans Van Moorsel, 1995. Des
rapports réguliers sur l’avancement des travaux archéologiques en Égypte et au Soudan
ont été publiés régulièrement par Jean Leclant dans la revue romaine Orientalia.
3
Les formes entre parenthèses indiquent des transcriptions alternatives utilisées dans certaines
publications.
72 LA LANGUE DE MÉROÉ
Musawwarat es-Sufra
Le vaste ensemble de Musawwarat, connu surtout pour son temple dédié
au dieu-lion Apedemak, comporte plusieurs autres sanctuaires et un édifice
nommé « la Grande Enceinte », peut-être dévolu à la conservation d’animaux
pour les chasses royales. On trouve sur tout le site, outre des inscriptions
cultuelles en hiéroglyphes égyptiens, près de 150 graffiti méroïtiques d’époques
variées. Certains semblent de ductus très ancien (IIe siècle av. J.-C. ?). Seules
25 de ces inscriptions ont été publiées : REM 0042-0044 (Griffith, 1911c),
1034, 1045 (Hintze, 1960b, p. 391), 1051-1054 (Hintze, 1962, p. 45-46),
1111, 1112 (Hintze, 1968, p. 676, 679-680), 1142 (Hintze, 1972, p. 263),
1164-1167 (Hintze U., 1979), 1283-1288 (Wolf, 1999b, p. 47-52), ainsi que
trois modestes ostraca : REM 1289-1291 (Fitzenreiter et al., 1999, p. 94 1).
Les fouilles de ce site sont depuis la fin des années cinquante menées par
l’équipe berlinoise de la Humboldt-Universität. Une première publication par
Hintze (Hintze, 1962a) a été complétée plus tard (Hintze-Priese, 1993). Deux
articles récents de Pawel Wolf (Wolf, 1999a et b) laissent espérer une édition
prochaine de l’ensemble des graffiti.
1
On envisagera avec prudence la lecture proposée pour ces ostraca dans l’ouvrage cité.
LES DOCUMENTS 73
El-Hobagi
Ce lieu servit de nécropole à des souverains du méroïtique final qui y
firent édifier leurs tumuli funéraires. Le site a partiellement été fouillé par la
section française de la NCAM sous la direction de Patrice Lenoble (Lenoble–
Sharif, 1992 ; Lenoble, 1994a). Une seule inscription méroïtique en hiéro-
glyphes 1, gravée sur un bol de bronze, a été découverte (REM 1222, voir
Millet, 1998), mais elle est d’importance puisqu’il s’agit peut-être de la plus
tardive actuellement connue (milieu du IVe siècle ?). Il n’est pas exclu que la
fouille des tumuli restants puisse dans l’avenir livrer d’autres textes.
Hamadab
Un petit temple de briques crues, fouillé en 1913-1914 par l’équipe
britannique dirigée par J. Garstang et W. J. Phythian-Adams (Garstang–
Phythian-Adams, 1914-1916) a livré deux stèles royales au nom du prince
Akinidad (REM 1003 et 1039). La première a été éditée par Sayce (Sayce,
1914-1916), puis de façon plus satisfaisante dans Griffith, 1917b. Une
nouvelle analyse figure dans Hofmann, 1981a, p. 279-284. La seconde stèle,
très lacunaire, a été publiée dans Monneret de Villard, 1959, p. 111-113, puis
dans Hintze, 1961, p. 279-282.
Méroé
Le site de Méroé, très étendu, comporte plusieurs lieux de fouilles : les
nécropoles royales et princières de Begrawwiya-Nord, Sud et Ouest, la cité et
ses cimetières propres, les bâtiments cultuels. Les anciens relevés de Lepsius
(op. cit. vol. V et VI) avait permis de publier plus d’une vingtaine
d’inscriptions (REM 0047-0073) gravées sur les murs des pyramides ou sur
des stèles dont la majeure partie se trouvent actuellement dans les musées de
Berlin. Ces textes furent étudiés par Griffith dans le premier tome des
Meroitic Inscriptions (Griffith, 1911c).
Entre 1909 et 1914, J. Garstang fouilla les temples de la ville et sa
nécropole (dite dès lors « cimetière Garstang ») sur une vaste échelle. Une
première collection d’inscriptions cultuelles (REM 0401-0422) et de textes
funéraires (REM 0423-0451) fit l’objet d’une étude de Griffith (Griffith,
1911b) dans un chapitre du seul volume qui parut alors (Garstang et al.,
1911). Deux textes royaux issus des mêmes fouilles (REM 1038, 1041)
furent étudiés ultérieurement par Hintze (Hintze, 1961), et une inscription
isolée (REM 1180) le fut par Priese (in Wenig, 1978, p. 218). Une seconde
partie des textes retrouvés par Garstang, essentiellement des fragments de
stèles, des ostraca et des graffiti (REM 1251-1272), ne fut publiée que
1
Voir p. 33-34.
74 LA LANGUE DE MÉROÉ
Gebel Barkal
La principale métropole religieuse de l’empire méroïtique, aux abords de
la quatrième cataracte, resta peu connue jusqu’en 1916. Les Meroitic
Inscriptions de Griffith (Griffith, 1912) ne citent que quatre textes d’époque
archaïque (REM 0075-0078) : trois inscriptions murales et une autre, assez
longue, au dos d’une statue d’Isis ramenée à Berlin par Lepsius (REM 0075).
De 1916 à 1919, les fouilles de Reisner dans les temples et les nécropoles
royales de Barkal, El-Kurru et Nuri mirent au jour plusieurs inscriptions
archaïques de natures variées (REM 0801, 0807, 0812, 1004, 1044, 1138,
1139, 1140, 1191, 1192) qui ne furent publiées que beaucoup plus tard
(Dunham, 1957 et 1970, Kendall, 1982). Parmi elles, il faut distinguer la
grande stèle du roi Taneyidamani (REM 1044), inscrite sur ses quatre faces,
le plus long texte méroïtique actuellement connu avec ses 161 lignes (édité
par Hintze, 1960a).
Des fouilles ultérieures, menées par S. Donadoni pour l’université de
Rome à partir de 1973 (Donadoni, 1993) ont exhumé parmi les décombres
d’un palais du roi Natakamani un protocole hiéroglyphique (REM 1181) et
une stèle royale (REM 1221).
Kawa
Les temples de Kawa ont été fouillés par Griffith dans les années trente,
mais il n’eut pas le temps de publier les résultats de ces travaux : c’est son
disciple, M. F. L. Macadam, qui s’en chargea en deux volumes imposants
LES DOCUMENTS 75
Soleb
Ce lieu, surtout connu pour le grandiose temple jubilaire bâti par
Amenhotep III, a été fouillé à partir de 1957 par une mission italo-française
dirigée par Michela Schiff Giorgini. Les résultats de ces travaux ont paru en
deux tomes (Schiff Giorgini – Robichon – Leclant, 1965a et 1971). En marge
des vestiges pharaoniques, trois textes en cursive méroïtique, dont un graffito
mural et deux inscriptions sur poterie, ont été publiés dans la revue Kush
(Schiff Giorgini, 1958), s’ajoutant à un graffito anciennement étudié par
Griffith (REM 0079 in Griffith, 1912).
Sedeinga
Déjà visitée par Lepsius qui en rapporta trois fragments de tables
d’offrandes (REM 0080, 0081 et 0141) étudiés ultérieurement par Griffith
(Griffith, 1911c et 1912), l’importante nécropole de Sedeinga a été fouillée
par l’équipe italo-française de M. Schiff Giorgini (Schiff Giorgini, 1965a, b,
et 1973), relayée par la mission française dirigée par Jean Leclant (Leclant,
1970b). Le site, contenant plus de cinq cents sépultures, a fourni une belle
moisson de textes funéraires méroïtiques, partiels ou complets (REM 1042,
1061, 1072 1, 1090-1092, 1114-1125, 1144, 1146, 1193, 1234, 1240, 1281).
Les fouilles françaises actuellement menées par Catherine Berger-El Naggar
continuent de livrer chaque année de nouvelles inscriptions. Les pièces
inscrites les plus récentes, essentiellement des textes funéraires, ont été
publiés en 2001 (Carrier, 2001d).
Saï
1
Cette stèle ne comprend pas les éléments habituels des textes funéraires et pourrait être
plutôt de nature administrative ou religieuse.
76 LA LANGUE DE MÉROÉ
Deux graffiti (REM 0083 et 0084), gravés sur des blocs du temple de
Thoutmosis III ramenés au musée de Khartoum, avaient déjà été étudiés par
Griffith (Griffith, 1912). Les sites antiques de l’île furent fouillés par
l’équipe française du professeur J. Vercoutter de 1954 à 1957 (Vercoutter,
1958), puis de 1969 à 1981 (Vercoutter, 1985), sans que fussent mises au
jour de nouvelles inscriptions méroïtiques. Depuis 1993, les fouilles
françaises ont été reprises sous la direction de Francis Geus (Geus, 1994,
1995, 1996 a et b, 1997 a et b, 1998) et ont commencé à livrer des textes :
trois épitaphes (REM 1241, 1249, 1273) et surtout deux cuirs inscrits du plus
grand intérêt 1 (REM 1236 et 1237).
Amara
Le petit temple construit par le roi Natakamani et la reine Amanitore, déjà
visité par Lepsius, contient huit colonnes inscrites en hiéroglyphes
méroïtiques, publiées partiellement par Griffith (REM 0084 in Griffith,
1912), puis in extenso par Wenig, 1977 (REM 0144-0150). Cette dernière
étude est la seule consacrée à ce site. La nécropole, inédite, n’est connue que
par une épitaphe (REM 0085), conservée à Khartoum et publiée également
par Griffith (op. cit., voir également Vila, 1977).
Bouhen
Ce lieu est surtout connu pour sa forteresse du Moyen Empire,
maintenant sous les eaux du lac Nasser, comme tous les sites que nous allons
désormais évoquer, à l’exception de Qasr Ibrim. Buhen comptait également
deux temples, fouillés en 1909-1910 par Woolley et Randall-MacIver qui y
trouvèrent quelques ostraca (REM 0591-0596) ultérieurement étudiés par
Griffith (« Meroitic Studies V » = Griffith, 1925a). Sur les colonnes figuraient
encore au tout début du siècle plusieurs dipinti et un graffito. Seul ce dernier
(REM 0086) était encore lisible lors du passage de Griffith 2. Le site fut
étudié plus récemment (Caminos, 1974 et Smith, 1976) lors du démontage
des temples en 1962-1963 dans le cadre du sauvetage par l’Unesco des
monuments de Nubie, opération qui permit la découverte d’un ultime
ostracon (REM 1148).
Faras
Les fouilles de l’université d’Oxford, menées par Griffith entre 1910 et
1912 (voir Griffith, 1926), permirent la découverte de trois mille sépultures
et d’une centaine de textes en cursive méroïtique qui vinrent s’ajouter à la
seule stèle précédemment connue (REM 0129), ramenée à Londres au siècle
1
Voir p. 220-226.
2
Cf. Griffith, 1912, p. 16.
LES DOCUMENTS 77
Qustul
Le site servit de nécropole à des princes du méroïtique final de Basse-
Nubie, dont les sépultures furent d’abord fouillées par Walter B. Emery lors
du Second Archaeological Survey of Lower Nubia (1929-1934), rendu
nécessaire par une première surélévation du barrage d’Assouan. Les résultats
de ces travaux furent publiés dans les deux tomes des Royal Tombs of
Ballana and Qustul (Emery, 1938). Ils comprenaient deux inscriptions
méroïtiques : l’une, lapidaire, sur un fer de lance (REM 1027) et l’autre,
lacunaire, sur un fragment de stèle (REM 1028). Le chantier fut repris par
une équipe égyptienne sous la direction de Shafik Farid, qui y découvrit en
1958 trois tables d’offrandes de graphie tardive 2 (REM 1068-1070), publiées
dans Kush par Mohammed Bakr (Bakr, 1964). Une dernière étude du site a
été réalisée lors de l’Expédition en Nubie de l’Oriental Institute de
l’université de Chicago et publiée (Williams, 1991) avec une contribution de
N. B. Millet sur les textes funéraires méroïtiques exhumés à cette occasion
(Millet, 1991 : REM 1205-1207, 1212, 1213, 1216, 1217, 1219).
Ballana
Comme Qustul, voisin, mais situé sur l’autre rive du Nil, ce site est connu
pour sa nécropole du méroïtique final, où furent retrouvés par W. B. Emery,
lors du Second Archaeological Survey of Lower Nubia (1929-1934), des
couronnes royales identifiant les défunts comme monarques (Emery, 1938).
De nouvelles fouilles assurées par l’équipe américaine de Bruce B. Williams
1
L’étude de cette pièce figure dans Griffith, 1912. La stèle REM 0132, publiée dans le
même ouvrage et conservée au musée Pouchkine de Moscou, est supposée originaire de
Faras par le REM, mais cette hypothèse ne repose que sur une similitude avec le nom du
défunt en REM 0528, qui pourrait être une simple homonymie.
2
Et non transitionnelle, voire archaïque, comme l’avance Bakr (Bakr, 1964, p. 293, 294)
pour les deux premières.
78 LA LANGUE DE MÉROÉ
Gebel Adda
L’équipe de l’American Research Center dirigée par Millet et Mills a
effectué sur ce site, de 1963 à 1965, une fouille de sauvetage qui a permis la
mise au jour d’une nécropole méroïtique. Une cinquantaine de textes,
essentiellement des stèles funéraires et des tables d’offrandes, d’un grand
intérêt sur le plan philologique, y fut retrouvée. Seuls des extraits en ont
malheureusement été publiés jusqu’ici 2, et le résultat des fouilles n’est connu
partiellement que par quelques rapports (Millet, 1963, 1967a et b). Une
inscription bilingue démotique / méroïtique (REM 1223), malheureusement
très fragmentaire, figure sous forme de fac-similé dans Phillips, 1993.
Abou Simbel
Ce site évidemment connu pour ses temples rupestres ramessides a
également fourni quelques textes méroïtiques. Le Second Archaeological
Survey of Lower Nubia, mené entre 1929 et 1934 (Emery–Kirwan, 1935), a
permis d’exhumer de la nécropole 214, au sud des temples, quatre tables
d’offrandes inscrites en cursive méroïtique tardive (REM 1022-1025).
Conservées au musée du Caire, elles ont été étudiées par Monneret de Villard
dans la revue Kush (Monneret de Villard, 1960). Un dernier survey effectué
pour l’Egypt Exploration Society (Smith, 1962) a ajouté deux autres tables
1
Voir supra, p. 33.
2
Notamment dans Millet–Heyler, 1969 et Millet, 1996. La publication de ces textes, prête
pour l’impression, pourrait se faire prochainement.
3
On peut y ajouter une étude de J. Jacquet : « Remarques sur l’architecture domestique à
l’époque méroïtique. Documents recueillis sur les fouilles d’Ash-Shaukan », Beiträge zur
ägyptischen Bauforschung, t. XII (1971), p. 121-131.
LES DOCUMENTS 79
d’offrandes (REM 1047 et 1048) retrouvées dans les nécropoles 250 et 251,
et actuellement conservées au musée d’Assouan.
Arminna (Ermenne)
Les premières fouilles avaient été menées pour l’Académie des sciences
de Vienne par Hermann Junker durant la seule saison 1911-1912 (Junker,
1925), et n’avaient permis la publication que d’un fragment de stèle funéraire
(REM 1011). Dans le cadre de la campagne de sauvetage de l’Unesco, une
équipe de l’université de Pennsylvanie et du Peabody Museum de Yale,
dirigée par W. K. Simpson et B. G. Trigger reprit les fouilles en 1961 (voir
Simpson, 1962, 1964, 1967). Sur le site de la ville d’Arminna-Ouest furent
exhumés des ostraca souvent fragmentaires (REM 1096-1107) et, dans la vaste
nécropole attenante, on découvrit sept stèles funéraires plus ou moins
complètes (REM 1063-1067, 1137) ainsi que des fragments (REM 1093-1095,
1133-1137). Ces textes importants, d’époque tardive, ont été magistralement
étudiés et publiés par Trigger (Trigger, 1967a ; Trigger–Heyler, 1970).
Nag Gamus
La nécropole de ce site a été fouillée, dans le cadre du sauvetage des
monuments de Nubie, par l’équipe espagnole dirigée par Martin Almagro.
Une vingtaine de tables d’offrandes et de stèles d’époque paléographique
tardive (REM 1059, 1060, 1073-1087, 1149, 1150) furent publiées dans la
série des Memorias de la Mision Arqueologica en Nubia (Almagro, 1964 et
1965), ainsi que dans Almagro-Basch–Hainsworth, 1977.
Qasr Ibrim
La citadelle de Qasr Ibrim, l’ancienne Primis 1, perchée sur un piton
rocheux, reste le seul site émergé de Basse-Nubie, même si l’équipe anglaise
qui le fouille depuis 1961 2 doit se battre contre les infiltrations de plus en
plus difficiles à juguler. C’est également un lieu exceptionnel à d’autres
titres : son occupation est attestée en continu depuis l’époque pharaonique
jusqu’au début du XIXe siècle, et il a fourni une incroyable manne de textes
méroïtiques les plus variés : papyri complets ou fragmentaires (REM 1110,
1173, 1174, 1176, 1322, 1323), ostraca (REM 1162, 1175), stèles funéraires
1
Il semble qu’il y ait eu deux Primis, mér. Pedeme : Qasr Ibrim au nord (Primis mikra « la
petite Primis », chez le géographe Ptolémée) et Amara plus au sud (Primis megale « la
grande Primis », chez Ptolémée). Voir Török, 1997b, p. 417, 454.
2
Menées au début par J. M. Plumley, ces fouilles sont actuellement dirigées par Pamela
Rose. Elles sont régulièrement commentées : on pourra ainsi consulter Adams, 1982 ;
Adams, 1983 ; Adams–Alexander, 1983 ; Anderson, 1979 ; Driskell, et al., 1989 ;
Edwards, 1994a et b ; Frend, 1974 ; Horton, 1991 ; Mills, 1982 ; Plumley, 1967, 1971 et
1977 ; Rose, 1996a et b ; Rose, 1998 ; Rose, 2000 ainsi que les rapports annuels du
bulletin de l’Egypt Exploration Society, du Journal of Egyptian Archaeology et de la
revue Orientalia.
80 LA LANGUE DE MÉROÉ
Karanóg
Ce site joue un rôle particulier dans l’histoire de la recherche méroïtique
puisque l’important corpus de stèles et de tables d’offrandes, retrouvé dans la
grande nécropole par D. Randall-MacIver (voir supra, p. 50), a permis les
principales avancées de Griffith. Ces textes funéraires (REM 0201-0344) et
les ostraca et graffiti retrouvés pour la plupart dans le bourg antique (REM
0345-0365) ont été étudiés et publiés dans Griffith, 1911a. La plupart
présentent un ductus correspondant à la fin de la période transitionnelle ou à
l’époque tardive, et semblent donc dater du IIe au IVe siècle de notre ère.
Tomas (Tumas)
Menées en 1961 et 1964, les fouilles de l’équipe française de l’université
de Strasbourg dirigée par J. Leclant et J.-P. Lauer ont donné lieu à quelques
brefs rapports (Leclant, 1963, 1964, 1965a) ainsi qu’à une étude partielle de
deux textes, découverts à Tomas, mais probablement originaires de Karanóg
(Heyler-Leclant, 1969) : une table d’offrandes (REM 1088) et une stèle
(REM 1333) 2, toutes deux au nom du vice-roi Abratoye (vers 260 apr. J.-C.).
Ces deux épitaphes présentent ce qu’il est convenu d’appeler des « passages
biographiques » 3, d’où leur grand intérêt sur le plan philologique.
Shablul
Ce site a été le premier fouillé dès 1907 par Randall-McIver et une
première publication des résultats a paru dans Areika (Randall-MacIver –
Woolley, 1909). Une vingtaine de stèles funéraires et tables d’offrandes
(REM 0366-0387) exhumées dans la nécropole ont été publiées et étudiées
1
Voir supra, p. 33 et note 2.
2
Musée du Caire JE 90008. Cette stèle a récemment été publiée par les soins de Claude
Carrier dans les Meroitic Newsletters, 28 (Carrier, 2001c).
3
Voir infra, p. 148.
LES DOCUMENTS 81
Sinisra
Dans le cadre du sauvetage par l’Unesco des monuments de Nubie, une
mission de l’université du Caire, dirigée par Abd el-Moneim Abu Bakr, a
fouillé en 1961-1962 le proche site d’Aniba (Abu Bakr, 1967) et étendu ses
recherches jusqu’au cimetière méroïtique de Sinisra, situé quelque six kilo-
mètres en amont sur la rive gauche. Six inscriptions (REM 1126-1131) y ont
été retrouvées : il s’agit principalement de textes funéraires de facture assez
grossière et de ductus tardif, publiés dans Kush par Mohamed Bakr (Abu
Bakr, 1963).
Wadi el Arab
La zone du Wadi el Arab n’est connue que par le survey d’Emery et
Kirwan (Emery–Kirwan, 1935). Les vestiges d’une agglomération antique et
d’une nécropole ont fourni quelques ostraca (REM 1016-1018) et une belle
table d’offrandes (REM 1019). Ces pièces, publiées par Emery et Kirwan
(op. cit.) et étudiées par Monneret de Villard (Monneret de Villard, 1960) sont
d’un ductus tardif (sauf l’ostracon REM 1018, qui doit dater du Ier siècle).
Dakka (Dakke)
Ce centre cultuel contenait un grand temple ptolémaïque de Thot,
actuellement remonté au-dessus du site immergé de Wadi es-Sebua, plus de
cinquante kilomètres en amont. Sur les murs de ce sanctuaire, étudié par
l’expédition de l’Académie de Berlin en Nubie (G. Roeder, 1930 : Der
Tempel von Dakke), deux inscriptions ont été gravées au nom du prince
Akinidad, qui vivait vers 20 av. J.-C. (REM 0092 et 0093). Elles ont été
publiées par Griffith (Griffith, 1912 et 1930). Un ostracon (REM 0597) et
une stèle funéraire (REM 0130), tous deux tardifs, font partie de matériel
anciennement découvert sur le site (?) dans la seconde moitié du XIXe siècle.
texte le plus tardif rédigé en méroïtique (voir p. 32). Déjà copié par Lepsius,
ce document a été publié et travaillé par Griffith, 1912, puis fit l’objet d’une
nouvelle translittération et d’une nouvelle étude par Millet (Millet, 1973a).
Philae
Le lieu par excellence du culte antique d’Isis était pour les Méroïtes non
seulement un sanctuaire capital, souvent nommé dans leurs textes, mais aussi
un enjeu stratégique disputé avec l’Égypte romaine, et surtout un endroit de
pèlerinage. Une trentaine d’inscriptions tardives en méroïtique gravées sur
les murs (REM 0095-0125) témoignent de la dévotion particulière des gens
de Koush pour la déesse. Il s’agit en bonne partie de proscynèmes, mais les
REM 0097-0111 forment un ensemble de légendes accompagnant les per-
sonnages d’un défilé gravé dans le temple d’Isis, sur les murs d’une pièce
nord-est, passé le premier pylône, appelée couramment la « chambre
méroïtique ». Toutes ces inscriptions, étudiées par Griffith (Griffith, 1912)
ont depuis été totalement érodées par les variations de niveau du lac de
retenue de l’ancien barrage d’Assouan. Le déplacement des temples de
Philae sur l’îlot voisin d’Agilkya lors du sauvetage par l’Unesco n’a, semble-
t-il, pas révélé de nouvelles inscriptions.
1
Voir Leclant, 1974b, p. 107.
LES DOCUMENTS 83
LES SUPPORTS
Bien que rédigés dans une autre langue et un autre système graphique, les
documents méroïtiques ne diffèrent pas foncièrement, tant par leur support
que par les moyens matériels d’écriture, de leurs équivalents égyptiens
contemporains. Les instruments sont essentiellement le burin 1 pour la
gravure des signes – ou tout autre outil à pointe dure lorsqu’il s’agit de
graffiti grossiers – et le jonc taillé pour le tracé à l’encre 2. Ce dernier type
d’écriture correspond très probablement aux origines de la cursive
méroïtique, ainsi que le signale K.-H. Priese :
« L’écriture cursive est employée également pour les inscriptions gravées dans la
pierre ; mais la forme des signes et leur évolution montrent clairement que cette
écriture était surtout utilisée pour les textes sur papyrus et sur ostracon, dont
quelques exemples seulement nous sont connus. » (Priese, 1997b, p. 253)
1
Dans de nombreux cas, on est sûr que le trait du graveur était repassé avec un pigment de
couleur rouge, parfois encore discernable, notamment à Arminna (voir Trigger–-Heyler,
1970, p. 2).
2
Parfois appelé improprement « pinceau ». Le calame, utilisé pour le démotique à partir de
l’époque romaine, ne semble pas avoir été utilisé avant l’époque chrétienne : on
comparera dans Edwards, 1994a, p. 69 les fragments de papyrus en méroïtique, où les
signes sont tracés avec un jonc, et en vieux-nubien, où ils sont écrits au calame.
3
Il s’agit du trait oblique inférieur des lettres a, k, n, p, prolongé souvent à droite jusque
sous les signes précédents : voir Tableau 15, p. 349. Ce détail confère à l’écriture
méroïtique un aspect caractéristique, bien qu’à l’occasion, les scribes démotiques
prolongent semblablement la lettre k. Griffith notait d’ailleurs que « a tail to the right (...)
though permissible in hieratic, is exceedingly rare in demotic » (Griffith, 1909, p. 50).
4
Le fait avait déjà été noté par Lepsius dans l’introduction de sa Nubische Grammatik
(Lepsius, 1880, p. CXXIV).
5
Sur la question d’une population méroïtique en bonne partie alphabétisée, voir Trigger,
1967b, p. 169.
LES DOCUMENTS 85
La pierre
Les inscriptions gravées sur pierre constituent plus de la moitié des textes
actuellement connus. C’est en particulier le cas de toutes les inscriptions
hiéroglyphiques, à l’exception du bol de bronze tardif d’El-Hobagi (REM
1222) et d’une plaquette de verre (REM 0417) : cette écriture exceptionnelle
était confinée à un usage monumental et demeurait sans doute une
prérogative des dieux et des souverains. Elle est en effet employée pour les
légendes cultuelles des temples (ainsi à Naga) et les titulatures royales 1.
La gravure sur pierre caractérise également la quasi-totalité 2 des textes
funéraires et la totalité des textes « royaux ». Les premiers se présentent sous
trois formes 3 : les tables d’offrandes, les plus nombreuses (plus de 250 dans
le corpus méroïtique), sont carrées ou rectangulaires, et comportent généra-
lement un bec servant de déversoir pour les libations. Un cadre intérieur en
creux contient le plus souvent des représentations gravées d’offrandes : vases
ou amphores d’où coule une libation, pains ronds, fleurs. Une quarantaine
d’exemplaires portent la représentation de deux divinités, habituellement
Anubis et une déesse, Isis ou Nephthys, versant la libation sur un autel.
L’inscription court le long de ce cadre, sur le bord de la stèle, généralement
dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (stèles sinistrogyres). Le sens
inverse (dextrogyre) est rare. Il peut arriver que l’inscription, faute de place,
se termine en quelques lignes dans le déversoir, voire au milieu de la repré-
sentation centrale. Ces tables d’offrandes étaient disposées sur un socle,
parfois retrouvé, à l’extérieur du tombeau.
Le second type de textes funéraires est constituée de stèles : près de 160
exemplaires inscrits sont connus. Elles sont généralement rectangulaires,
souvent cintrées en haut, un disque ailé flanqué d’uraei surmontant
éventuellement le texte. Les représentations y sont rares, mais dans ce cas,
c’est le défunt qui y est peint le plus souvent. Dans deux exemples anciens
(REM 0049, 0832) de stèles princières, la moitié supérieure est gravée d’un
relief figurant Osiris sur son trône. Le texte est gravé en lignes horizontales.
Il semble que ces stèles étaient encastrées dans le mur du tombeau, à
l’intérieur. Plusieurs sépultures ont livré à la fois stèle et table d’offrandes.
1
Exceptionnellement pour quelques tables d’offrandes royales (REM 0060, 0828, 0834).
2
On trouve toutefois quelques rares stèles peintes et écrites à l’encre, à Karanóg (REM
0331) et Shablul (REM 0385).
3
Pour la typologie des tables d’offrandes et des stèles funéraires d’un point de vue
archéologique, on pourra consulter Hainsworth, 1976b, Harting, 1984 et surtout
Hofmann, 1991.
86 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir à ce propos Griffith, 1917b, p. 162.
2
Fac-similés dans Dunham 1957, p. 73, fig. 44 c et 44d.
LES DOCUMENTS 87
des deux lignes est inversé, et le meilleur état de conservation permet de voir
que ce qu’on aurait pu considérer comme une inscription méroïtique *]op :
d[ est en fait une ligne d’égyptien démotique, un peu gauche, se lisant
probablement «rp (n) Kmj : « vin d’Égypte » 1. Il y a donc de bonnes raisons
de penser qu’il s’agit, non d’un véritable ostracon, mais d’un morceau
d’amphore ayant contenu du vin, déposée en guise de présent funéraire dans
la pyramide, le contenu en étant précisé par un dipinto 2. La distinction entre
ostracon et inscription sur poterie est pour nous d’une grande importance,
puisque le message de cette dernière, beaucoup plus restreint, se limite
probablement au contenu ou au destinataire, comme nous le verrons plus
loin.
Dans quelques rares cas, les inscriptions sur poterie sont gravées (REM
1009, 1015, 1036, 1037, 1159), mais la plupart du temps, comme pour les
ostraca, les lettres sont tracées à l’encre noire. Quelques ostraca écrits à
l’encre blanche sur céramique rouge semblent caractéristiques de l’époque
tardive 3.
Un cas très particulier d’usage de matériau céramique concerne les tables
d’offrandes royales en faïence, dont nous ne possédons malheureusement que
de petits fragments, parfois jointifs, en raison de l’extrême fragilité du
support. Les vestiges de ces monuments funéraires ont été retrouvés par
Lepsius, puis Reisner dans les fouilles des pyramides de Méroé : il s’agit de
REM 0061, 0073 A-E, 0805, 0811A-B, 0817-0820, 0828, 0834, 0851. Enfin,
l’on peut citer ici le cas isolé d’une plaque de verre bariolé, ornée d’un
portrait du dieu Amon et portant quelques traces de légende en hiéroglyphes
méroïtiques (REM 0417).
Le papyrus
1
Je remercie le professeur M. Chauveau pour cette suggestion.
2
S’il s’agit d’un bilingue, ce qui est possible, qomo-so [kwumuÈu] est peut-être à comparer
avec l’égyptien Km.t, démotique Kmj, copte khme, avec un vocalisme [u] comme dans
Wos [uúÈa] : « Isis », face à l’ég. 3s.t, copte hse. Ce syntagme pourrait alors signifier
« c’est (originaire) d’Égypte ». Voir infra, « Inscriptions de propriété », p. 205.
3
Cf. Griffith, 1925a, p. 218 ; Trigger, 1967a, p. 73 et note 16.
88 LA LANGUE DE MÉROÉ
Le bois
L’autre nouveau support mis en évidence par les fouilles de Qasr Ibrim
est la tablette de bois. Deux catégories doivent être distinguées : certaines, ne
comportant que du texte (REM 1158, 1163, 1178), semblent une alternative
au papyrus ; les autres 4, plus larges, sont peintes d’un décor : le faucon
d’Horus, coiffé du pschent (REM 1197), ou une gazelle (REM 1198, 1199).
Elles sont percées pour être suspendues par une cordelette de coton parfois
conservée. Quelques lignes, tracées en dessous, doivent avoir un contenu
cultuel.
Le cuir
Les fouilles récentes de Saï sous la direction de Francis Geus ont permis
d’exhumer, parmi le matériel d’une tombe, deux morceaux de cuir inscrits à
l’encre noire (REM 1236, 1237). Les traces d’usure semblent indiquer que
ces documents avaient été pliés, liés d’une cordelette et longtemps portés en
amulettes 5. Il ne s’agit donc pas vraiment de parchemins, comme il a parfois
été écrit. Nous ne possédons pas à l’heure actuelle d’autres textes sur ce
matériau.
1
Voir Hainsworth, 1984, p. 445.
2
Cf. Griffith, 1925a, p. 218.
3
On trouvera quelques lectures dans Hainsworth, 1982a, une courte étude de REM 1173 et
1174 dans Hainsworth, 1984, et un examen plus approfondi dans Edwards-Fuller, 2000.
4
Sur ces plaquettes peintes, voir Driskell et al., 1989, p. 20. Trois autres, inscrites, restent
encore inédites.
5
Pour leur destination et leur contenu, voir infra, p. 221.
LES DOCUMENTS 89
Le métal
1
Voir Macadam, 1966, pour une étude de cette pièce.
90 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Carrier, 2000 et Carrier, 2001a pour les données les plus récentes, postérieures à la
publication des premiers volumes du REM.
2
Les REM 0001 à 0137 correspondent à Griffith, 1911c et 1912 (Meroitic Inscriptions) ;
REM 0138 à 0150 aux textes de publication antérieure aux travaux de Griffith et non
repris par lui ; REM 0201 à 0355 à Griffith, 1911a (Karanóg) ; REM 0356 à 0365 à
Woolley, 1911 (Karanóg, the Town) ; REM 0366 à 0367 à Randall-MacIver–Woolley,
1909 (Areika, textes de Shablul) ; REM 0368 à 0387 à Griffith, 1911a (Karanóg, textes
de Shablul) ; REM 0401 à 0451 à Griffith, 1911b (Meroë) ; REM 0501 à 0546 à Griffith,
1922 (Faras) ; REM 0551 à 0597 à Griffith, 1925a (« Meroitic Studies » V) ; REM 0601
à 0707 à Macadam, 1949 (Kawa) ; REM 0801 à 0851 à Dunham, 1957 et 1963 (Royal
Cemeteries of Kush) ; REM 1001 à 1342 aux textes isolés publiés entre les grandes séries
et aux séries parues après 1958.
3
Voir p. 71-82 : Musawwarat, Wad Ben Naga, Méroé, Tabo, Gebel Adda, Qasr Ibrim.
LES DOCUMENTS 91
la traduction, mais on doit garder à l’esprit que ce n’est qu’un choix presque
aléatoire. Les deux points correspondent à la ponctuation méroïtique, et les
lettres pointées sont de lecture incertaine.
REM 0273
Wos-i : Sorey-i :
Ô Isis ! ô Osiris !
qo ¯deliye-qowi :
Celle-ci, c’est ¯deliye,
pqr-leb : yetmde-lo :
elle était apparentée (nièce?) à des vizirs (?),
peseto-leb : yetmde-lowi :
elle était apparentée (nièce ?) à des vice-rois,
mlomrse : Nlotete-lowi :
elle était ressortissante (?) de Nalote (Karanóg).
at mƒe ps-‚r-kete
du pain abondant, puissiez-vous lui donner (?),
‚-mlo-l : p-ƒol-kete :
un bon repas, puissiez-vous lui accorder (?).
mlo-lo :
C’était (une femme) de valeur.
Cette épitaphe comprend les éléments les plus communs : invocation aux
dieux de l’Au-delà, nomination du défunt, filiation, description (situation
sociale), bénédictions (ici les trois formules appelées A, B, C par Griffith, les
plus fréquentes), conclusion (mlo-lo). Dans certains textes peut se rajouter
une invocation finale ; dans d’autres, plus étendus, un passage (voire
plusieurs) de nature incertaine, peut s’intercaler entre la description et les
bénédictions. L’ordre donné ci-dessus est généralement respecté, mais les
fréquentes interversions, portant notamment sur la place des filiations,
montrent que les rédacteurs des épitaphes disposaient d’une certaine liberté.
Nous nous proposons maintenant d’étudier tour à tour chacun de ces éléments.
LES DOCUMENTS 93
Invocation
1
Cette idée, déjà esquissée par Heyler, se heurtait alors à l’interprétation non syllabique
qu’on donnait du système graphique méroïtique (voir : Heyler, 1964, p. 31 ; Hofmann,
1978c, p. 113 ; Hofmann, 1981a, p. 49-50). Priese a repris et amélioré cette suggestion
(Priese, 1968a, p. 183, note 101 ; Priese, 1977a, p. 54-55). Le cas nous paraît parallèle à
celui du déterminant « masqué » de qore (cf. Rilly, 1999b et ci-dessous, p. 509).
2
Le passage de p-trose-l-i à ptroti s’explique par la loi de Griffith (cf. p. 415-420).
LES DOCUMENTS 95
1
La présence du déterminant -l est due à des raisons syntaxiques propres à la langue
méroïtique (voir « déterminant » p. 507-510) et n’a pas de valeur sémantique. Le français
ne recourant jamais à l’article dans ce type de construction, il est normal de ne pas le
traduire.
2
Deux contre-exemples se trouvent néanmoins en REM 0129 et 0437 (Wos qetrr-i, voir
p. 40-41).
3
Cf. lingala (langue bantou, sans genre) nzambe : « dieu », « déesse », nzambe (ya)
mwasi : « déesse » (lit. « dieu-femme »).
4
C’est ce que propose Griffith (voir Griffith, 1911a, p. 34).
96 LA LANGUE DE MÉROÉ
Invocation finale :
Griffith, 1911a, p. 42 ; Griffith, 1922, p. 599 ; Almagro, 1965, p. 227 ; Trigger–
Heyler, 1970, p. 23, 53-54, 55 ; Millet, 1982, p. 76.
Invocation solennelle :
Griffith, 1911a, p. 33-34 ; Griffith, 1912, p. 13, p. 59 ; Griffith, 1922, p. 599 ;
Trigger, 1962, p. 6-7 ; Heyler, 1964, p. 25-36 ; Heyler, 1965a, p.192 ; Almagro,
1965, p. 231 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 37 et notes 100-103, p. 38 et notes 111, 112,
p. 53-54, 55 ; Priese, 1977a, p. 45-56 ; Millet, 1982, p. 74.
Nomination
La partie la plus importante de l’épitaphe est à l’évidence la nomination
du défunt, qui suit généralement l’invocation. À la différence de Griffith et
Hintze et à la suite de Hofmann 1, nous distinguerons ici la « nomination »
proprement dite, où figure le nom du défunt (traditionnellement désigné par
la lettre A depuis Griffith), et la filiation, qui indique les noms de ses parents
(traditionnellement B et C).
Il n’existe probablement pas d’épitaphe sans nomination, ce qui semble
d’ailleurs naturel pour une civilisation imprégnée des conceptions égyptiennes
plaçant la répétition du nom au centre de la survie post mortem. Les quelques
exemples de nomination manquante, cités par Hofmann et concernant des
tables d’offrandes archaïques de Méroé (REM 0427, 0428, 0434, 0441, cf.
Hofmann, 1981a, p. 51), sont manifestement erronés : le nom du défunt est
effectivement absent du début de l’épitaphe, où les seuls anthroponymes qui
figurent sont ceux de ses parents, mais il est donné en fin de texte. C’est
clairement le cas en REM 0427, où le personnage commémoré s’appelle
®mosidt 2. En REM 0441, quelques traces du nom subsistent à la fin. Les tables
d’offrandes, REM 0428 et 0434, sont trop abîmées pour que le nom soit
reconnaissable, ne serait-ce qu’en partie ; mais, à l’instar des deux textes
précédents, de mêmes époque et origine, il devait originellement figurer en
conclusion 3. Quelques rares « épitaphes », en revanche, semblent ne comporter
que le nom du défunt : c’est apparemment le cas des REM 0313 et 0385. Mais
il s’agit de simples blocs à peine dégrossis et il n’est pas sûr qu’ils aient eu le
même statut que les véritables monuments funéraires proprement méroïtiques 4.
1
Griffith confond en une seule partie la nomination, la filiation et la description (situation
sociale et familiale) [Griffith, 1911a, chap. IV, p. 35-41]. Hintze distingue la nomination,
où il inclut la filiation, de la description (Hintze, 1959a, p. 12, et Hintze, 1979, p. 17).
Hofmann dissocie les trois (Hofmann, 1981a, p. 51), ce qui nous semble syntaxiquement
plus pertinent, les trois ensembles formant clairement des phrases nominales distinctes.
2
La lecture de Griffith (Kmsidti, Griffith, 1911b, p. 75) nous paraît partiellement inexacte
d’après le cliché de Meroë (Garstang et al., 1911, pl. LV 3).
3
C’est d’ailleurs l’avis de Griffith (Griffith, 1911b, p. 75-76).
4
REM 0313 comporte d’ailleurs une première ligne inscrite en démotique égyptien.
LES DOCUMENTS 97
1
Voir infra, p. 540-548.
2
D’autres exemples proposés par Hofmann : REM 0446, 1024B, ont l’un -qowi, l’autre -lo.
3
Voir infra, p. 547.
4
Voir Hofmann, 1977a, p. 198 ; Hofmann, 1978c, p. 111 ; Hintze, 1979, p. 61-62, 194-195 ;
Hofmann in Török, 1997a, p. 277.
5
Voir infra, p. 542-546.
6
Cette traduction par « noble » figure encore dans Millet, 1991, p. 163, 135, 138.
Hofmann remarque très justement que le terme devrait alors figurer au côté des noms des
parents dans la filiation, ce qui n’arrive évidemment jamais.
7
Voir p. 542-546 pour une discussion sur la présence probable du déterminant du
substantif précédent dans ce prédicatif.
98 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir p. 547-548.
2
En REM 0305 et 0326, l’élément ske suivi du séparateur pourrait éventuellement
appartenir à l’anthroponyme. Il peut en effet arriver qu’un morphème (souvent un
théonyme) entrant dans la composition d’un nom propre soit disjoint du reste par le
séparateur.
3
Peut-être « son neveu » ou « sa nièce », au sens large.
4
Cf. Hintze, 1979, p. 195 et Hofmann, 1981a, p. 55-56.
5
Hofmann (loc. cit.) préfère « personne », mais il serait curieux qu’une épitaphe ait besoin
de préciser que le défunt est une « personne ». L’absence de genre en méroïtique peut
expliquer en revanche que le sexe du défunt soit mentionné en exergue. Cependant, le
terme pour « homme » (mâle), abr, n’est jamais attesté dans ce genre de proposition.
LES DOCUMENTS 99
Comme dans le type le plus fréquent de nomination, -qo n’est ici qu’un
simple morphème, même s’il n’assure peut-être pas ici de prédication.
Bibliographie (les études de base sont indiquées en gras) :
Griffith, 1911a, p. 32, 35-36 ; Griffith, 1922, p. 599 ; Zyhlarz, 1930, p. 428 ; Trigger,
1962, p. 7 ; Heyler, 1967, p. 112, 116 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22, 48-49 et
Table 4 ; Priese, 1971, p. 275, 278-281 ; Hofmann, 1977a, p. 197 ; Priese, 1979,
p. 116-118 ; Hofmann, 1981a, p. 51-59 ; Hofmann, 1991, p. 191-192 ; Hintze, 1999,
p. 230-232 ; Abdalla, 1999a, p. 407-409, 412, 413.
Filiation
1
Autre exemple à Karanóg en REM 0323.
2
Pour la différence entre ces deux types de descriptions, voir infra, p. 107.
3
REM 0215, 0233, 0241, 0246, 0247, 0258, 0263, 0287, 0292, 0293, 0300, 0306, 0311,
0315, 0326, 0327, 0328, 0331. La liste donnée par Griffith (Griffith, 1911a, p. 36) est
partielle. Hintze indique un chiffre de 49 sur 266 épitaphes étudiées, ce qui correspond à
un pourcentage de 18 % et recoupe assez bien notre calcul (Hintze, 1999, p. 231, tab. 2).
4
Voir aussi Hintze, 1974a, p. 28, p. 31, note 6 ; contra : Hofmann, 1977a, p. 220 ; Hintze,
1979, p. 43 ; Hintze, 1999, p. 231, 235.
100 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Trigger–Heyler, 1970, p. 49 et tab. 6 ; Hintze, 1999, p. 230-231 et tab. 2, tab. 3.
2
Voir Trigger–Heyler, 1970, p. 32 et note h80.
3
Cf. Hintze, 1979, p. 58 : « Jedenfalls liegen in td‚e- und terike- keine einfachen Nomina
“Mutter” bzw. “Vater” vor (“Mutter” hei”t šte) ». On retrouve cependant encore cette
interprétation dans Peust, 2000, p. 90.
LES DOCUMENTS 101
1
La photographie de Woolley – Randall-MacIver, 1910 (pl. 17) semble indiquer Ntsili,
sans que soit visible la queue caractéristique du k, et c’est ainsi que le lit Heyler dans le
REM (« Enregistrement des textes »). Cependant REM 0295, découvert à proximité de
REM 0296, donne un matronyme Ntkili, que Griffith, dont nous suivons la lecture, pense
retrouver ici (Griffith, 1911a, p. 69).
2
La meilleure revue critique de ces hypothèses se trouve dans Hofmann, 1981a, p. 169-174.
102 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Éventuellement une forme verbo-nominale, qu’elle soit relative ou participiale. Voir ci-
dessous p. 554.
2
Cf. p. 518.
LES DOCUMENTS 103
1
Les arguments qu’il développe en ce sens sont assez convaincants (Trigger–Heyler, 1970,
p. 31). Voir également Hofmann, 1981a, p. 169 (« möglicherweise eine irrtümliche
Schreibung »).
104 LA LANGUE DE MÉROÉ
Il semble que si les mêmes individus étaient définis plusieurs fois comme
enfants de leur mère, on aurait un pluriel ted‚e-leb à chaque fois (comme
pour yetmde précédemment), et non un incontestable singulier ted‚e-li. On
voit que l’hypothèse d’une répétition emphatique, assez plausible dans un
premier temps, résiste mal aux analyses syntaxiques.
1
Pour Griffith, ce passage « must be a blunder » (Griffith, 1911a, p. 37). Hofmann range
cet exemple aux côtés des précédents sans commentaire particulier (Hofmann, 1981a,
p. 169).
2
Ce terme très débattu pourrait signifier « neveu », « nièce » au sens large, c’est-à-dire
cadet(te) dans la lignée maternelle (voir Hintze, 1999).
LES DOCUMENTS 105
Description
La « description », telle que l’a nommée Griffith, situe le défunt dans son
contexte familial et social : elle indique ses titres éventuels et sa parenté avec
des personnes apparemment prestigieuses, dont les noms et les charges sont
donnés. Il s’agit sans conteste de la partie la plus accessible et la plus
intéressante des épitaphes, et il n’est pas étonnant qu’elle ait fait l’objet de
multiples études, tant syntaxiques et lexicographiques que sociologiques. Les
deux ouvrages les plus aboutis de Hintze : « Die Struktur der “Deskriptions-
sätze” in den meroitischen Totentexten » (Hintze, 1963a) et « Beiträge zur
meroitischen Grammatik » (Hintze, 1979) sont en tout ou en partie consacrés
à l’étude des descriptions. Il en va de même de l’étude cardinale de
Hofmann : Material für eine meroitische Grammatik (Hofmann, 1981a).
Plusieurs analyses sociologiques ont été également fondées sur ces
descriptions, notamment tirées des épitaphes de Karanóg : on peut citer entre
autres Hofmann, 1977a : « Zur Sozialstruktur einer spätmeroitischen Staat in
Unternubien », Török, 1977 : « Some Comments on the Social Position and
Hierarchy of the Priests on Karanóg Inscriptions », Millet, 1981 : « Social
and Political Organisation in Meroe ». Sur le plan philologique, les descriptions
restent notre principale source lexicographique pour les titres, les théonymes
(indiquant les divinités servies par les prêtres), les toponymes (correspondant
aux lieux où étaient exercées les fonctions citées), ainsi que les relations « de
parenté ».
Cependant, elles ne sont attestées que sur un espace géographique et
temporel relativement limité : les monuments funéraires de Méroé en sont
dénués, si bien que nous ne connaissons pas d’attestation de formules de ce
type en amont de la troisième cataracte. Pareillement, il semble que les textes
anciens (auxquels appartiennent d’ailleurs les tables d’offrandes de Méroé)
en soient dépourvus. Ainsi, à Sedeinga, où les épitaphes du IIe et du IIIe
siècle sont exceptionnellement riches en phrases descriptives, le texte
funéraire non fragmentaire d’époque la plus reculée, la table d’offrandes
REM 1092, ne fait pas usage de ces formules. De fait, parmi toutes les
épitaphes méroïtiques, la plus ancienne qui en comporte semble être la table
d’offrandes de Faras REM 0521, datable du début de notre ère 1 ; encore n’y
trouve-t-on pas les relations de parenté (description « relative ») qui
deviendront habituelles par la suite.
sur la fréquence des phrases de ce genre (Hintze, 1976), Hintze relève que
sur un total de 247 textes, 86 en sont dénués, soit un bon tiers. À Shablul, ce
pourcentage atteint 55 %, et à Faras 57 %. Trigger, qui relève cette particularité,
l’attribue au rang social modeste des inhumés :
« The Shablul texts are, for the most part, short, and the deceased lack titles. This
may reflect the relative unimportance of the cemetery and of the people who were
buried there. Many of the texts from Faras are likewise short and may have come
from the humbler parts of that great cemetery. » (Trigger–Heyler, 1970, p. 50)
1
Les tables d’offrandes étant exposées sur un socle à l’entrée de la sépulture, il est fort
possible que des effets de mode ou d’émulation se soient produits entre familles d’une
même nécropole.
2
Nous avons préféré garder ici les transcriptions traditionnelles des noms méroïtiques,
quand elles sont d’emploi courant, même si elles contiennent une grande part d’approxi-
mation et d’arbitraire.
3
Cette distinction correspond à celle qu’effectue Hofmann entre « Satztyp I » (ici
« description individuelle », voir p. 108sq) et « Satztyp II » (ici « description relative »,
voir p. 119sq) ; voir Hofmann, 1981a, p. 60. Cependant, pas plus chez Hofmann que chez
Hintze, 1963a, cette différenciation n’est-elle fondamentale dans la typologie générale
des propositions descriptives, qui sont avant tout classées selon les éléments du
syntagme.
108 LA LANGUE DE MÉROÉ
Description individuelle
Il n’arrive cependant jamais, dans les textes que nous connaissons, que
ces cinq éléments, dont seuls le premier et le dernier sont obligatoires, soient
tous réunis. Les descriptions les plus complexes en comportent quatre : on
trouve ainsi en REM 0247 et 1088 womnise-lƒ : Akine-te-lo : « c’était un
premier womnise (prêtre d’Amon ?) en Basse-Nubie », où se combinent un
substantif womnise, un adjectif lƒ (« grand », « premier »), un toponyme au
locatif Akine-te et le prédicatif final -lo : « c’est », « c’était » 1.
1
Voir aussi l’exemple (8) p. 111, où se combinent quatre éléments.
LES DOCUMENTS 109
1
« Bürger etwa in Sinne von “Freien” o. ä. », « Einwöhner », « Abkömmling », selon
Hofmann, 1978b et 1981a.
2
Cf. cette remarque de Millet à propos de REM 0094 : « we are dealing here with a
personal designation, one of those terms we in our ignorance come to lump together as
‘titles’ » (Millet, 1981, p. 132).
3
On trouve cependant en REM 0259 une épithète obscure amoke après la « carac-
térisation » mlomrse.
110 LA LANGUE DE MÉROÉ
Tous les syntagmes décomposés ici sont suivis dans la description du prédicatif
-lo(wi), parfois au pluriel -leb-kwi [en (1) seulement]. Les numéros entre parenthèses,
correspondant à la structure, renvoient aux exemples ci-contre.
sans
expansion (1)
simple (2)
théonyme (5) 1
supérieur hiérarchique (6)
génitif
avec
expansion indirect substantif régissant
sous-entendu (7)
= ? « celui (appartenant au
bureau) de »
affectation (8)
locatif (9)
(1) Hintze, 1963a [1], [3], [4], [5], [6], [8], [10 ?], [11 ?], [12], [13 ?], [15],
[18 ?], [19 ?], [22], [23], [24], [25], [66] ; Hofmann, 1981a 5.1.1, 5.1.3.
(2) Hintze, 1963a [9], [14], [16], [17], [28] à [34], [37], [38], [46] à [50], [99 ?] ;
Hofmann, 1981a 5.1.2, 5.1.4, 5.1.5, 5.1.6 (?), 5.1.7.
(3) Hintze, 1963a [89], [100] Hofmann, 1981a 5.2.2.
(4) Hintze, 1963a [121], [122], [124], [134] ; Hofmann, 1981a 5.3.2, 5.3.3.
(5) Hintze, 1963a [51] à [53], [55]à [65], [68] à [70], [72], [74] à [88], [135] ;
Hofmann, 1981a 5.2.1, 5.2.5, 5.3.6.
(6) Hintze, 1963a [67], [73], [90], [91 ?], [95], [96 ?], [96a], [97], [98] ;
Hofmann, 1981a 5.2.3, 5.2.4 (104 à 112), 5.3.7, 5.3.8.
(7) Hintze, 1963a [11 ?], [20], [21], [26], [27 ?], [94] ; Hofmann, 1981a 5.2.8.
(8) Hintze, 1963a [54], [88a], [92],[93] ; Hofmann, 1981a 5.2.4 (113 à 119).
(9) Hintze, 1963a [101] à [118], [123], [125], [128] à [133], [b], [331] ;
Hofmann, 1981a 5.3.2, 5.3.3, 10.1 [472] à [475].
1
Les hypostases d’une divinité, marquées généralement par un toponyme (Mni Pedeme-te :
« Amon de Primis »), ou plus rarement par un génitif (Ms arb-li-se en REM 1319 et
1325), sont ici considérées sur le même plan que les divinités au nom simple. Ce sont en
effet des divinités distinctes, d’ailleurs susceptibles d’être honorées en plusieurs lieux
(cf. Hofmann, 1978b, p. 275-276).
LES DOCUMENTS 111
EXEMPLES
(1) apote-lowi
substantif + -lowi
« c’était un envoyé » (REM 1083)
(2) ssor-lƒ-lowi
substantif + épithète + -lowi
« c’était un premier scribe (?) » (REM 0241)
(7) ssor-li-se-lo
(substantif sous-entendu + ) génitif direct (supérieur hiérarchique) + -lowi
« c’était (un homme appartenant au bureau) d’un scribe (?) » (REM 0311)
On peut constater que chacun de ces nombreux titres est développé dans
une proposition particulière, possédant son prédicatif propre -lowi. La
coordination de ces titres est assurée par la juxtaposition des propositions, et
non par une juxtaposition des syntagmes nominaux eux-mêmes dans le cadre
d’une proposition unique.
Une seconde catégorie d’expansion consiste en un génitif indirect 2,
dépendant du substantif initial, et marqué par l’adjonction de la postposition
génitivale -se. Si le nom régi est un nom de personne simple (en l’occurrence
toujours un théonyme), la postposition est placée immédiatement à sa suite.
Si le nom régi est un substantif (« nom commun ») ou un théonyme composé
(voir ci-dessus), il doit être suivi du déterminant -li à la suite duquel se place
la postposition 3. Bien qu’il s’agisse d’une même structure syntaxique, nous
avons, dans le Tableau 4, distingué plusieurs usages sémantiques de ce
génitif. Dans les structures (5) et (3), le génitif est un théonyme simple
(Mni-se : « d’Amon », Wos-se : « d’Isis », etc.) ou un théonyme composé
(Mnp : Bedewe-te-li-se : « d’Amanap de Méroé », Mnp : Pedeme-te-li-se :
1
Le terme apparaît ainsi en REM 1091 d’abord comme épithète (ligne 2), puis comme
substantif indiquant à lui seul un titre (fin ligne 3).
2
Par opposition au génitif direct antéposé, tel que nous le verrons dans les descriptions
relatives (voir p. 124) et tel qu’il sera développé p. 520.
3
Ceci vaut également pour les substantifs qore « souverain » et ktke « Candace », même si
dans le premier cas, le déterminant assimilé se réduit à un simple -i : voir Rilly, 1999b et
infra, p. 413.
LES DOCUMENTS 113
Enfin, le génitif peut désigner ce que nous avons appelé une « affectation »
[structure (8)]. Nous entendons particulièrement sous ce terme le domaine où
s’exerce le pouvoir d’un officiel : on trouve ainsi après le titre pelmos
« général », parfois le génitif ato-li-se : « de l’eau » (cf. ég. oÕ lq lëƒ m oÕ
lv : « le général de l’eau » 2), d’autres fois le génitif adb-li-se : « de la
terre (?) », « de la province (?) ». Nous regroupons également sous cette
structure l’affectation d’un envoyé (apote) : le mot peut en effet être suivi du
génitif Arome-li-se : « (auprès) du (pouvoir) romain 3 » ou de qor-i-se :
« auprès du roi ». Dans ce dernier cas, nous supposons à la suite de Hofmann 4
que le génitif indirect n’a pas la même valeur sémantique que qor-i-se dans les
structures (6) ou (7), où il marque un simple supérieur hiérarchique.
1
Le théonyme (A)mnp « Amanap », de l’égyptien Õlm,;l=,Õo-s : « Amon d’Opet » est
de structure simple en méroïtique, l’emprunt ayant été fait à l’égyptien après la
composition du nom. La situation est moins claire pour (A)mnpte : « Amon de Napata »
et Mno : « Amon-de-la-Ville (?) » (< ég. Õlm,'m(,m«v-s ?), puisque les variantes Amnpte-
te (rare) et Amno-te, comportant la postposition locative -te, présentent ces deux noms
divins comme composés incluant un toponyme. Peut-être s’agit-il d’une réinterprétation
partielle d’originaux égyptiens à l’intérieur du cadre de la syntaxe méroïtique. Ainsi on
ne trouve jamais une forme purement indigène *(A)mni Npte-te parallèles à (A)mni
Pedeme-te « Amon de Primis » (attesté en REM 0361A et 1236).
2
Le terme égyptien est attesté dans les proscynèmes démotiques de Philae. Il s’agit
probablement d’une charge administrative, et non militaire.
3
Probablement auprès du pouvoir romain en Égypte ou dans la Dodécaschène ; litt. « du
(territoire de) Rome ».
4
Hofmann, 1978b, p. 271-272.
114 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Hofmann, 1978b, p. 273-274.
2
Voir Hofmann, 1978b, p. 276-278.
LES DOCUMENTS 115
1
Voir p. 545 pour une segmentation probable de -lo(wi).
116 LA LANGUE DE MÉROÉ
Tous les syntagmes analysés ici forment un groupe régi suivi dans la description d’un
nom régissant (formule de lien social ou familial) et du prédicatif -lo(wi), au pluriel
-lebkwi si plusieurs défunts sont associés dans la même épitaphe. On trouvera p. 118
la correspondance avec les numérotations de Hintze et Hofmann.
simple .......................................................(1)
anthroponyme
suivi d’un titre + déterminant -l(i) ..........(2)
+ anthroponyme ....................................................................(6)
+ anthroponyme .................(7)
+ anthroponyme ...............(19)
plusieurs substantifs topicalisés, repris par le possessif pluriel à la suite d’un nom régissant (23)
LES DOCUMENTS 117
EXEMPLES
(1) Hintze, 1963a : [159], [186 rect.], [188], [295 fin rect.], [315]-[318] ;
Hofmann, 1981a : 5.4.1.
(2) Hintze, 1963a : [319 rect.], [320], [321], [323], [324], [325], [327 ?], [327a] ;
Hofmann, 1981 a : 5.9.5 ; 5.9.6 ; 5.9.7.
(3) Hintze, 1963a : [7 ?], [136]-[138], [140]-[142], [143], [145 ?], [146 ?], [147] ;
Hofmann, 1981 a : 5.11.3.
(4) Hintze, 1963a : [39 ?], [119 ?], [120 ?], [150]-[155], [156 ?], [157], [158], [160]-[179],
[295 rect.1re partie], [328 1re partie] ; Hofmann, 1981 a : 5.4.2.
(5) Hintze, 1963a : [144 rect.], [180]-[185a], [203], [204] ;
Hofmann, 1981 a : 5.4.6 ; 5.4.10 ; 5.4.11 (avec répétition du nom régissant de parenté)
(6) Hintze, 1963a : [139], [187], [206 ?], [229], [230], [231a], [232 ?], [233], [234 ?], [235]-
[239], [241]- [244], [247a], [248], [250], [252], [253], [255], [256 ?] ;
Hofmann, 1981 a : 5.7.1 ; 5.7.5 ; 5.8.3 (2e partie).
(7) Hintze, 1963a : [231], [240], [245], [246 ?], [249 ?], [251], [258 ?], [259 ?], [260], [329 ?] ;
Hofmann, 1981 a : 5.7.2 ; 5.7.3 ; 5.7.4 ; 5.9.4 (?)
(8) Hintze, 1963a : [150] ; Hofmann, 1981 a : 5.4.3.
(9) Hofmann, 1981 a : 5.4.7 ; 5.6.4.
(10) Hintze, 1963a : [306], [307 ?], [312 ?] ; Hofmann, 1981 a : 5.9.2.
(11) Hintze, 1963a : [293 ?] ; Hofmann, 1981 a : 5.6.2.
(12) Hintze, 1963a : [266], [267], [269]-[273], [294 rect.] ; Hofmann, 1981 a : 5.8.1 ; 5.8.5.
(13) Hintze, 1963a : [190]-[191a], [193]-[199], [208 ?], [328 2e partie] ;
Hofmann, 1981 a : 5.5.1 ; 5.5.3.
(14) Hintze, 1963a : [200], [201] ; Hofmann, 1981 a : 5.5.5 ; 5.5.6.
(15) Hintze, 1963a : [192], [202], [268], [276], [277 fin] ; Hofmann, 1981 a : 5.5.2.
(16) Hofmann, 1981a : 5.8.2 (ex. 318)
(17) Hintze, 1963a : [277 fin] ; Hofmann, 1981 a : 5.8.4 (2e partie )
(18) Hintze, 1963a : [277 début] ;
Hofmann, 1981 a : 5.8.3 (1re partie) ; 5.8.4 (1re partie ) ; 5.8.6 ; 5.9.3 (2e partie).
(19) Hintze, 1963a : [299], [300 début], [305], [308]-[311] ;
Hofmann, 1981 a : 5.9.1 ; 5.9.3 (1re partie)
(20) Hintze, 1963a : [278]-[287], [288 ?], [298 ?], [298a ?], [322] ;
Hofmann, 1981 a : 5.6.1 ; 5.6.5 (?)
(21) Hintze, 1963a : [289]-[292] ; Hofmann, 1981 a : 5.6.3.
(22) Hintze, 1963a : [203], [204] ; Hofmann, 1981 a : 5.4.8 ; 5.4.9.
(23) Hintze, 1963a : [205], [274], [275], [297] ; Hofmann, 1981 a : 8.1.
Description relative
1
Abdalla, 1994, p. 2 et passim.
LES DOCUMENTS 121
1
Voir infra, p. 522 et 524.
2
C’est selon Hainsworth-Abdalla, 1981 le cas de 15 % des noms de personnes. Le
déterminant semble obligatoire (comme en français) lorsque l’anthroponyme comporte
une différenciation entre « l’aîné » (lƒ-l) et « le cadet » (mete-l).
3
Voir notamment Griffith, 1916a, p. 27 (à propos du mot Apoteye).
4
Voir Hofmann, 1977a, p. 219.
122 LA LANGUE DE MÉROÉ
charges élevées (peseto : 39/46, pqr : 18/22, beloloke : 18/19) et rare pour les
charges moindres (ant : 7/24, apote : 2/11, pelmos : 1/9). De plus, les titres
sont généralement accompagnés de noms lorsqu’ils ne désignent pas des
personnages contemporains des textes. Le résultat semble paradoxal : si l’on
comprend bien qu’il n’ait pas été nécessaire de préciser l’identité de
personnages importants et sûrement connus de tous, comme le peseto (vice-
roi) de Basse-Nubie contemporain, il est étonnant de constater que l’identité
de fonctionnaires apparemment subalternes, comme ceux qui portent le titre
de ant « prêtre », est laissée dans l’ombre, alors qu’il devait exister un bon
nombre de personnes partageant la même fonction. On ne peut croire que
dans ce dernier cas, le scripteur de l’épitaphe, en omettant le nom du
personnage référent, s’attendait à ce que l’éventuel lecteur le complétât de
mémoire. Une explication plus vraisemblable est donnée par Trigger, à la
suite de Millet :
« Millet 1 has recently presented evidence to show that titles alone may have been
sufficient to demonstrate the importance and social standing of the deceased,
because many of these were probably hereditary in particular lineages or at least
limited to a small number of lineages. » (Trigger–Heyler, 1970, p. 23 et note 55)
Il est en effet possible que cette partie de l’épitaphe ait eu en bien des cas
une fonction plus honorifique que véritablement informative. Quoi qu’il en
soit, ce détail pose une question d’ordre contextuel : à quel lecteur étaient
destinées les épitaphes ? Aux simples dieux, comme le laisserait croire
l’invocation initiale ? Aux descendants du défunt, éventuels desservants du
culte funéraire ? Ou à tout passant, à la manière de l’« appel aux vivants »
des stèles égyptiennes ?
1
Il s’agit de la thèse non publiée Meroitic Nubia (Millet, 1968). Voir également Millet,
1981, p. 128.
2
Voir aussi Hofmann, 1981a, p. 166, qui cite l’hypothèse de Hintze et ci-dessous, p. 516.
LES DOCUMENTS 123
« Die eben erwähnte Struktur [...] ist nicht die normale Konstruktion der Appo-
sition bei P, die N + P ist 1. [...] Da hier in allen Fällen die P ägyptische Namen
sind und gerade in diesen beiden Texten auch sonst ägyptische Personennamen
vorkommen (also eine “meroito-ägyptische” Familie vorliegt), möchte ich bei
die-ser Form der Apposition einen Einfluß der ägyptischen Syntax vermuten,
denn die Apposition Name + Titel ist gut spät-ägyptisch. » (Hintze, 1979, p. 43
[4.7.3])
Il faut tout de même signaler que l’ordre : titre + anthroponyme, donné ci-
dessus par Hintze ne vaut que pour les textes funéraires. Dans les protocoles
royaux, l’anthroponyme précède généralement le titre. Mais sans doute faut-
il considérer que c’est le titre qui est alors apposé à l’anthroponyme et non
l’inverse. Dans les épitaphes au contraire, l’élément premier est bien le titre
du personnage référent et son nom, souvent omis, est une précision
facultative. La structure (2) paraît donc exceptionnelle et nous ne souscrivons
pas à la thèse d’Abdalla, qui, sous le nom de « Situation 3 : Apposition », en
fait une construction rare mais régulière (Abdalla, 1994, p. 9). On remarquera
d’ailleurs qu’il a été contraint, pour illustrer son propos, d’emprunter un
exemple à la stèle « historique » d’Akinidad (REM 1003), en dépit de la
restriction du corpus aux textes funéraires annoncée dans le titre et
l’introduction de son article.
1
La lettre N symbolise ici le substantif, et la lettre P l’anthroponyme.
124 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir supra, p. 64 et note 3. Une bonne photo du linteau REM 1116 figure dans le
catalogue de l’exposition, voir Priese, 1997b, p. 262.
2
Mais on trouve au pluriel slƒs-leb (REM 0211) et sn(e)te-leb (REM 0287 et 0334), où le
-l- pourrait être purement graphique, et maintenu par désir de clarté (voir à ce sujet Rilly,
1999b, p. 85).
3
Dans qore dek-lowi, qui paraît être devenu un titre simple et qui figure au milieu de la
description individuelle en REM 0247 et 0520.
4
Il serait tentant d’y voir une assimilation de l’article après amuïssement de la voyelle
finale (voir p. 413) dans slƒs et atos, mais en ce cas la loi de Griffith aurait dû
s’appliquer et le résultat aurait été *slƒt et *atot.
5
Voir notamment Hintze, 1955, p. 371 et Hintze, 1963a, p. 15. Pour la structure de -lo(wi),
voir ici p. 545.
6
Dans une épitaphe inédite du Gebel Adda (GA. 30/8) apparaît l’expression kdite-lƒ-lowi :
« elle était la grande (?) sìur de... » (cf. Millet, 1981, p. 128), où la présence de l’adjectif
lƒ après kdite indique bien la nature nominale du terme de parenté.
LES DOCUMENTS 125
1
Voir p. 520-523 (génitif antéposé).
2
Hofmann fait justement remarquer que ces sens ne sont attestés que par rapport à un
référent mâle, puisqu’on ne trouve apparemment jamais dans les textes de femme comme
personnage référent (Hofmann, 1981a, p. 125). Aussi la plus grande prudence doit-elle
être appliquée dans ce domaine : nous avons vu dans la filiation (cf. p. 99) que l’enfant
d’une mère et l’enfant d’un père étaient désignés par un terme différent. Une langue aussi
peu exotique que le latin, qui distingue strictement dans son vocabulaire la tante
maternelle (matertera) de la tante paternelle (amita), alors qu’on les confond en français
sous le même mot, devrait nous mettre en garde.
126 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Pour un point actuel sur le débat, voir Hintze, 1999.
2
L’article qui a le premier étudié la compréhension de cette structure est celui de Millet et
Heyler en 1969. De nombreux exemples des textes d’Adda y constituent la seule partie
publiée des épitaphes de ce site.
LES DOCUMENTS 127
anticipé par un pronom de rappel 1. Qu’on compare ainsi ces deux exemples
égyptiens tirés du même texte, un conte du Moyen Empire :
vm,«m «a m ∆l<e pa
« ensuite le cìur de Sa Majesté fut rafraîchi » (Pap. Westcar 6.1-2)
1
Gardiner, 1957, p. 114-115 ; Lefebvre, 1955, p. 286-287 ; Grandet-Mathieu, 1997, p. 554.
2
Dans un exemple précédent de topicalisation au sein de la nomination, nous avions
observé (cf. p. 97-98) un usage systématique de la ponctuation entre topique et rhème,
contrastant avec la structure non topicalisée. Ici en revanche, la ponctuation ne nous est
d’aucun secours pour préciser le découpage syntaxique : elle n’est pratiquement jamais
omise après le génitif antéposé [structure (22) non topicalisée], et est toujours présente
après le topique dans la structure (23).
128 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Hofmann y mêle toutefois les textes funé r aires aux ostraca et aux textes historiques.
2
Voir Heyler-Leclant, 1969, p. 382-383.
LES DOCUMENTS 129
Quatorze textes offrent des passages incertains que l’on peut de manière
hypothétique grouper dans cet ensemble. Une des difficultés principales tient
ici à l’utilisation de termes de parenté (ou au moins de lien social) que nous
ne savons comprendre ni même caractériser de manière approximative. Ils
sont en effet rares ou n’interviennent pas dans des familles connues ou bien
représentées, ce qui nous interdit de préciser leur sens à partir d’une enquête
généalogique, comme Griffith a pu le faire à Karanóg pour les liens
élémentaires de parenté. Dans d’autres cas, la structure syntaxique se dérobe,
notamment parce qu’il est possible qu’y apparaissent des propositions non
plus nominales, comme dans les descriptions classiques, mais verbales, pour
lesquelles nos lumières sont encore trop faibles.
1
Traduit d’après la transcription de Burkhardt, 1985, p. 119-120.
2
Voir Burkhardt, 1982 et Burkhardt, 1985, p. 89-96.
LES DOCUMENTS 131
Cette interprétation, sans doute beaucoup trop optimiste, n’a été reprise ni
par Hintze ni par Hofmann, qui tous deux rangent ce passage dans la
catégorie « Unklares » (Hintze, 1963a [189], [334], [334a] 1 ; Hofmann,
1981a 10.3 [488] et 10.4 [499]). Malgré les problèmes lexicaux relevés par
les uns et les autres, la thèse de Griffith ne peut être écartée en totalité, en
raison des similitudes troublantes entre les proscynèmes cités et REM 0089.
De plus, ce type de description tout à fait inhabituel par rapport au schéma
traditionnel ne serait pas si surprenant dans une épitaphe dont nous avons
déjà pu constater l’originalité, jusque dans la syntaxe, peut-être sous
influence égyptienne (cf. p. 122-123). Cependant, la construction de la
première proposition rappelle de très près les descriptions relatives : un titre
connu (plsn : « lesonis 2 ») affecté d’un génitif qui peut représenter une
divinité (qbne-se) et du déterminant -li est placé sous la dépendance d’un
mot, yeteke, que suit le prédicatif -lo, à l’instar des termes dits de « parenté ».
Le groupe penn 5-ni est peut-être un circonstant, et c’est ainsi qu’il est
interprété par Millet qui « traduit » cette proposition par « he performed-the-
office-of (?) the lesonis (for) five years » (Millet, 1977, p. 322). La seconde
proposition pourrait elle aussi constituer une description, à condition que sor,
comme le suppose Hofmann (loc. cit.), soit un titre, et non un substantif
signifiant « livre » 3. Cependant le complexe final y[i]roƒete-lo apparaît
dans d’autres textes comme un élément verbal : si nous avons ici affaire à
une description, elle utilise des moyens syntaxiques totalement différents de
ceux que nous avions précédemment listés dans les Tableaux 4 et 5.
En REM 0129 (stèle de Faras), figurent deux passages obscurs. Le
premier 4, aux lignes 5-6, apparaît au milieu de la description individuelle du
défunt, un notable important, aux titres nombreux (qorene, womnise, ssimete)
nommé Mlowitr :
apotelw : qorete : mƒeyose-l : nte : yd.[.]„s‚y¡i : yetek…-lo
1
Hintze y lit la première proposition : plsn : qbne-se-li : penn 9 ¤ni yeteke-lo. L’endroit
est abîmé sur la stèle.
2
Ce titre, transcrit du grec λεσωνις (< ég. mr-šn), désigne l’administrateur d’un temple.
3
La traduction par « livre » possède néanmoins de sérieux atouts.
4
Griffith, 1912, p. 55 ; Hintze, 1963a [338] ; Millet, 1977, p. 321 ; Hofmann, 1981a [500].
5
REM 1234 ; cf. Rilly, 2000b.
132 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Lue différemment par Millet, 1977, p. 321 : yd.‚•-s‚i-ni.
2
La photo de Griffith, 1912 (pl. XLII) ne nous a pas permis de meilleure lecture, pas plus
que le cliché pris récemment par le British Museum pour le REM (Leclant et al., 2000,
p. 288), l’état de la pierre s’étant encore dégradé depuis 1912. En désespoir de cause, le
fac-similé de Griffith (op. cit. pl. XLIII) reste la source la plus sûre.
3
REM 1183, voir Priese, 1997c, p. 268 qui pense à un emprunt égyptien signifiant « le
Danseur » : ce serait le dieu Bès.
4
Le lexème sqke pourrait être une variante d’un obscur substantif seqk apparaissant en
REM 1333, ligne 6, et suivi d’un élément -neyi comme certains titres élevés (qore :
« souverain », ktke : « Candace » ou ‚rp‚ne : « gouverneur [?] ») dans les formulations
des textes dits « historiques ».
5
Brièvement étudié par Griffith, 1912, p. 57 ; Hintze, 1963a [253], [320] ; plus détaillé
chez Hofmann, 1981a §10.3 [493], § 10.4 [511].
LES DOCUMENTS 133
Une autre table d’offrandes de Karanóg (REM 0278), celle d’un peseto
Akinete (« vice-roi de Basse-Nubie ») nommé Netewitr comporte, à la fin de
la description individuelle et avant une unique formule de description
relative, la proposition obscure suivante (lignes 12-15) :
nbr : wne-li : ip‚ete-lo : wi
1
Cf. p. 149-151.
2
Voir p. 114.
3
Notre traduction repose sur la segmentation de Akile en Akine-le (avec assimilation
régressive) : le déterminant n’apparaît en effet jamais après le nom d’une localité. Nous
supposons que c’est donc le territoire qui est ici désigné, et étendons le même principe au
toponyme obscur Twete (nom du nome de Sedeinga, de l’ég. T3-w3d, nome de Nubie cité
dans la liste du temple de Philae ?). Notons que le même phénomène pourrait expliquer
l’usage du déterminant dans le terme connu Arome-li, qui désignerait alors « l’Empire
romain » et non « Rome » elle-même ou, comme il a été supposé, « le Romain ».
136 LA LANGUE DE MÉROÉ
La deuxième proposition a été considérée, tant par Griffith (loc. cit.) que
par Hintze (Hintze, 1963a [254]) ou Heyler (REM), comme une formulation
de parenté (yireke-) avec un personnage référent nommé ¬rimli, portant le
titre de akilikw. Hofmann, qui parle à propos de ce passage de « phrase
incompréhensible », le range à juste titre dans son chapitre « Unklares ». Elle
relève la ressemblance entre akilikw et le toponyme Akile qui apparaît en
REM 1333 (voir page précédente). Nous pensons que ce nom n’est autre que
le nom de la Basse-Nubie, Akine, combiné avec le déterminant tardif -le, qui
a absorbé par assimilation régressive la syllabe finale du toponyme :
Akine-le > Akile. En REM 0521, le même phénomène s’est produit avec la
forme classique du déterminant, -li : Akine-li > Akili. Le suffixe -kw semble
indiquer le point d’origine : « de », « depuis ». Quant à ‚ § rimli, qu’il faut
sans doute lire ‚rimli, c’est un terme qui apparaît, comme le relève Hofmann,
dans les graffiti de Kawa REM 0610, 0633, 0659 (Hofmann, 1981a, p. 252).
Or la différence de ductus entre REM 0610 et REM 0659 laisse supposer
plus d’un siècle entre les deux inscriptions, ce qui semble exclure qu’on ait
affaire à un anthroponyme 2. D’autres éléments de ces graffiti se rapprochent
d’ailleurs du passage cité de REM 0521 : on trouve ainsi mnebereke en REM
0610 et 0633 face à itebereke en REM 0521, [...]ereke-lo en REM 0659 face
à yireke-lo en REM 0521. Malheureusement, les inscriptions de Kawa sont
trop obscures pour nous éclairer davantage. Elles permettent en tout cas
d’infirmer l’interprétation de Griffith et de Hintze : la deuxième proposition
du passage de REM 0521 n’est pas une formulation simple de description
relative. Elle commence par un complément de lieu, et prolonge donc peut-
être la première proposition dans le cadre d’une description individuelle, où
apparaît le nom d’Akine, « Basse-Nubie », dont le défunt était « vice-roi ».
La dernière proposition semble bien relever de la description relative, et a
été rangée dans cette catégorie par Hintze, 1963a (ex. [255]). Les incertitudes
qu’on y relève tiennent pour l’essentiel à notre méconnaissance du
vocabulaire. Le premier terme itebereke est généralement considéré comme
un titre composé 3. Le mot suivant s¤ni pourrait alors être un anthroponyme.
L’expression finale yiwdke-lo rappelle une épithète d’Horus en REM 0407,
ywid, à laquelle Griffith avait attribué un sens hypothétique « enfant »
(Griffith, 1911b, p. 66, 67). Si les deux mots participent effectivement de la
même racine, une relation de parenté serait envisageable pour la proposition
1
Voir p. 536.
2
On constate en effet une extrême diversité des noms de personnes méroïtiques, à
l’exception de quelques rares exemples auxquels n’appartient pas ce mot.
3
Voir la courte étude de cette proposition par Hofmann, 1981a, p. 276 [508].
LES DOCUMENTS 137
La table d’offrandes REM 0532 de Faras présente une inscription assez mal
conservée, où apparaît aux lignes 4-6, entre filiation et bénédiction, le passage
obscur suivant :
3
[...]‡r : mloy… § s¤mok : t‘ite : Pƒrse-te-le : tkite-lowi :
Hintze (voir ci-dessous note 1) songe ici à une description relative où le
défunt serait en relation tkite avec un personnage référent identifié par son titre
composé suivi d’un locatif (Pƒrse-te : « à Faras »). Il reviendra plus tard sur
cette structure pour indiquer que le locatif doit selon lui qualifier en facteur
commun deux titres différents plutôt qu’un titre composé (Hintze, 1979, p. 44).
Hofmann (voir ci-dessous note 3), bien qu’elle range ce passage dans le chapitre
« Unklares », est d’avis que le lexème tkite désigne une relation de parenté entre
1
Voir l’analyse de REM 0278/12-15, p. 134 pour un problème identique.
2
Une offrande nommée eqete apparaît dans une formule de bénédiction (REM 0832B/3-4).
3
Il s’agit de la lecture du REM, fondée essentiellement sur l’étude de la stèle par D. Meeks
au British Museum (Meeks, 1972, p. 27), et reprise par Hofmann, 1981a, p. 272 [494]
(attribuée faussement à REM 0521). Griffith, 1925a (p. 588), suivi par Hintze, 1963a (ex.
[293]) donne : [...] : mlo[..] : y[.] ƒmk : Pƒrse-te-lowi. L’examen d’un cliché récent
du British Museum (REM p. 884) ne permet pas de se prononcer.
138 LA LANGUE DE MÉROÉ
La stèle REM 1067 d’Arminna, dont une large portion supérieure est
perdue, offre un très long passage initial obscur (lignes 8-12) que Trigger,
éditeur du texte, a rangé sous le titre d’« unclassified text » (cf. Trigger–
Heyler, 1970, p. 38). Cette partie précède la description relative classique :
1
Voir également Hofmann, 1981a, p. 273, 10.4 [497]. Les stèles d’Arminna, découvertes
au moment de la publication de « Struktur der “Descriptionssätze” » (Hintze, 1963a), ne
pouvaient évidemment y être étudiées.
2
Trigger–-Heyler, 1970, p. 40 et note 115. Voir ci-dessous, p. 358.
LES DOCUMENTS 139
Hofmann suppose ici une faute sur la place du toponyme connu Tmne. Le
texte correct serait selon cette hypothèse : * mlekye pelmesi : Tmne-te-li :
yiroƒete-l : yetmde-lo. On aurait donc une structure du type II (11), avec un
titre composé mlekye pelmesi où le second élément devrait être une forme de
pelmos « stratège ». De plus, la formule de parenté serait ici complexe et
comprendrait deux éléments : yiroƒete 1 et yetmde, un peu comme dans les
rares exemples de filiation croisées 2 (cf. p. 102). En fait l’accumulation des
difficultés syntaxiques et des incertitudes lexicales nous fait renoncer pour
l’instant à l’espoir de comprendre cette proposition inextricable, mais qui a
clairement sa place dans la description relative en raison du terme yetmde.
Parmi les textes retrouvés à Sedeinga, les plus intéressants sont sans
conteste les épitaphes d’un puissant personnage nommé Netemakher. Sa stèle
REM 1090 et un seuil funéraire inscrit, REM 1116, comportent deux
passages très proches, également obscurs :
1
Ce mot apparaît également dans les « textes oraculaires », voir p. 216.
2
Hofmann, 1981a, p. 170, 10.3 [489].
3
Cf. Hofmann, 1981a, p. 273 10.4 [496a et b].
140 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Hofmann, 1981a, p. 245.
LES DOCUMENTS 141
Bien que les termes de parenté soient ici inconnus (yiwi rappelle cependant
wi « frère »), il est probable que nous avons affaire à des propositions d’ordre
descriptif. Il se pourrait cependant qu’elles ne concernent pas directement la
défunte, mais de proches parents : la première et la troisième propositions
comportent en effet chacune deux syntagmes terminés par le déterminant, ce
qui suggère que le premier, ste-li : « [sa ?] mère », est ici en position de sujet.
Ce serait la mère de la défunte qui serait située par rapport à un référent
singulier terminé en ]ete-li 1 dans la première proposition, puis à des
référents pluriels ]tewese-leb 2 dans la troisième. Cette description relative
« indirecte » n’est pas sans rappeler le passage obscur de GA 19B évoqué plus
haut, où il était question de « mères ».
1
De nombreux titres peuvent ici être suggérés : menete-li, senete-li, ssimete-li, etc.
2
Il est plus difficile ici de proposer une restitution : il ne s’agit pas en tout cas d’un titre
connu par ailleurs.
3
Il s’agit d’une variante de wrt‚n que Griffith traduisait par « grande musicienne »
(égyptien vq-s c~m « grande de musique »).
4
L’élément d’anthroponyme mli, var. ou dérivé de l’adjectif mlo « bon », semble restreint
aux noms féminins.
5
Voir ci-dessous, p. 219.
142 LA LANGUE DE MÉROÉ
Trois textes présentent des passages que, faute de mieux, nous avons
rangés dans une catégorie « formules d’ordre cultuel ». Des noms de
divinités et du vocabulaire clairement religieux y apparaissent en effet. Les
théonymes n’y sont pas au génitif, contrairement à ceux des descriptions qui
indiquent l’affectation de prêtres ou de fonctionnaires au service d’un dieu
[voir I. (3) et II. (12), (13), (14)]. On ne peut toutefois exclure que ces
propositions contiennent la même idée sous une forme différente, sans doute
verbale.
Les deux premiers passages, assez brefs, doivent être présentés en parallèle.
Le premier provient de REM 0247, la stèle du vice-roi ¬witror à Karanóg 1, et
le second du seuil inscrit de la tombe de Netemakher à Sedeinga 2.
REM 0247 (ligne 14) Tbwe : wwi-ke-lo
REM 1116 (lignes 6-7) pelmosi : [...]… : Wos Tebwe : te wwi-lowi :
adb•i : k…-lo
Les deux passages sont situés à la fin des deux textes, qui ne comportent
pas de bénédictions. On y reconnaît le toponyme Tebwe, qui désigne
l’Abaton, lieu de culte et de pèlerinage consacré à Isis et à Osiris sur l’île de
Biggeh, près de Philae. Le nom d’Isis (Wos) est explicite en REM 1116, mais
il semble implicite en REM 0247, notamment dans l’utilisation d’un lexème
obscur wwi (verbe ?), qui apparaît souvent en relation avec le culte de cette
déesse 3.
Un passage de même nature figure sur la stèle inédite du vice-roi (peseto)
Abratoye. Aux lignes 4-5, entre la première partie de la description
individuelle et quelques propositions de type biographique, on trouve :
‚” wte-li : Pileqe : md tni : yeteke-lo :
Tebwe : wwi : tni : yeteke-lo :
1
Cf. supra, p. 133. Le passage traité ici est abordé rapidement par Hofmann, 1981a 10.4,
p. 276 [509].
2
Voir supra, p. 139.
3
Cf. REM 0075 et REM 1003/30, 34, 40.
LES DOCUMENTS 143
1
Schiff Giorgini, 1966, p. 256 (W8).
2
Voir ci-dessous, p. 184 pour les « textes royaux ». La division en propositions que nous
proposons pour le passage obscur de REM 1072 est très incertaine, à la limite de
l’arbitraire.
144 LA LANGUE DE MÉROÉ
Liste de présents
1
Pour cette identification, voir Millet, 1982, p. 79. Cette interprétation du méroïtique kisri
Mkesemene est déjà phonétiquement pertinente pour chacun des deux termes pris
séparément et, à plus forte raison, pour une combinaison des deux. On peut s’étonner
qu’elle n’ait pas encore été exploitée par les historiens.
2
D’après le démotique qll « collier » et nb « or ».
LES DOCUMENTS 145
pesetoli : yikid-ke :
klmes..................... 1
a[se]..................... 1
mlekye : qoleb : yikid-bite[-lo :]
1
Bien que Millet ne le dise pas ici explicitement, il faudrait reconnaître en yed l’« argent »
(métal, égyptien ∆c) et en tlt le « talent » ( = /tala(n)ta/, du grec τáλαντα, au pluriel).
146 LA LANGUE DE MÉROÉ
Plusieurs textes parmi les épitaphes inédites du Gebel Adda, étudiées par
Millet mais à cette heure jamais publiées 4, comportent des passages
parallèles à ceux-ci. Ainsi on trouve en GA 13/16 (lignes 2-6), ce fragment
dont il reste impossible de préciser la situation dans l’épitaphe puisque le
reste est perdu 5 :
1
Millet, 1982, p. 78. Nous avons transposé les mots méroïtiques selon la translittération de
Hintze utilisée ici.
2
La traduction de qoleb par « image », proposée par Griffith, est peu vraisemblable : voir
Hintze, 1960a, p. 148, et ci-dessous, p. 549.
3
Le génitif areqise est peut-être une forme assimilée pour *areqe-li-se (voir p. 413). On
pourrait éventuellement comparer le substantif *areqe (= [urkw] ?) avec le nubien dair
orti, nobiin urti : « mouton », tabi er, fur uri. Toutes ces langues « nilo-sahariennes »
sont parlées au nord du Soudan.
4
Voir supra, p. 78.
5
D’après le manuscrit inédit obligeamment communiqué par Nick Millet, complété par la
lecture des inédits du REM par Heyler. Un extrait est également donné dans Millet, 1982,
p. 72.
LES DOCUMENTS 147
La ressemblance avec le passage de REM 1182 étudié plus haut saute aux
yeux : la structure est identique à la deuxième proposition de l’épitaphe de
Qasr Ibrim, malgré les signes manquants ou illisibles. On a de même une liste
de biens dénombrés, où apparaissent les mêmes termes teketin, beltore et tlt.
Le dernier syntagme est conclu par l’enclitique kelw « et », « et enfin ». Le
passage s’achève sur la forme verbale a‚ide, comme la première proposition
en REM 1182. Ces éléments permettent de supposer qu’on a ici aussi une
liste de présents, de tributs ou de biens négociés.
1
La lecture de Heyler donne ¡ pour ce signe. Millet a très probablement raison de
l’identifier comme un numéral, mais si tlt signifie effectivement « talent » (voir note 1,
p. 145), un nombre plus réduit comme 8, qui ressemble encore davantage au signe k, est
plus vraisemblable. Nous rappelons cependant qu’aucun cliché ni fac-similé des textes
d’Adda n’est actuellement disponible, ce qui interdit toute vérification.
2
Cette proposition est insérée entre deux autres passages obscurs qui nous ont semblé
relever plutôt de structures « biographiques » : voir p. 148. Nous suivons ici la
transcription du REM, également inédite, par André Heyler. La première proposition se
trouve aussi chez Millet, 1998, p. 57 : la lecture mƒo n’est pas assurée, on pourrait avoir
mso, mais cette dernière interprétation est moins vraisemblable et ne figure d’ailleurs pas
dans le REM, contrairement à une première interprétation de Heyler.
148 LA LANGUE DE MÉROÉ
Hintze, qui classe cet extrait en section « Unklares », considère arede tni
comme un anthroponyme (Hintze, 1963a [335]). Cette identification nous
1
Probablement les ancêtres des Nubiens, au sens ethnolinguistique du terme : voir supra, p. 2.
2
Hofmann propose une traduction de ce verbe par « affecter [à un temple] ». Pour une
critique de l’interprétation de ces passages comme « biographiques », voir Hofmann,
1981a, p. 294-298.
3
Voir p. 134-137 pour deux autres passages obscurs. Aucun des quatre passages n’est
contigu au suivant. On remarquera que les trois derniers ont tous été gravés au centre de
la table d’offrandes, comme un ajout ultérieur : l’inscription sur la bordure aurait
apparemment pu suffire, car elle se termine par les bénédictions.
4
Voir ci-dessous, p. 158.
150 LA LANGUE DE MÉROÉ
Il semble donc plutôt que arede et arelo soient deux formes d’un même
verbe 1, qu’on retrouve sous la forme aredeto en REM 0092/13-14. Le terme
tni (= t-ni ?) correspondrait à s‚i-ni en GA 19B. Ce pourrait être un quanti-
ficateur : on sait que -ni est fréquent à la suite de numéraux, où il semble
prendre la place occupée ailleurs par le déterminant dans le syntagme
nominal.
On peut certes discuter l’intérêt d’une traduction, même pondérée par des
points d’interrogation 3 pour un tel passage, mais cette interprétation a le
mérite de présenter une structure assez plausible. Nous émettons cependant
des réserves pour tout ce qui concerne le terme mƒo (l’hypothèse ethnique
peut être mise en doute), et pour la traduction de tni par une postposition
« sous ».
Après les formules en mlo-lo(wi) (cf. p. 158) apparaît un second passage
obscur (lignes 26-28), très clairement verbal, qui pourrait faire suite à
l’extrait précédemment étudié :
aƒrrb : Tketore-te-li aƒrrb : Amod-te-li tereki : tk-b‚e-lo :
1
Contra : Hofmann, 1981a, p. 296, pour qui arelo contient le titre de « gardien », une
traduction proposée par Griffith pour le substantif are (Griffith, 1922, p. 580-581). Il
s’agit manifestement d’un paronyme.
2
Le signe initial, s’il était isolé, ne pourrait être qu’un s, mais il est situé sur une ligne
étroite où le manque de place a pu contraindre le scripteur à un tracé plus ramassé que les
autres m de l’inscription (voir Griffith, 1922, pl. X, au centre de la table d’offrandes).
Griffith lit cependant s.
3
Voir p. 437-442 pour les problèmes liés à la traduction en général.
LES DOCUMENTS 151
aƒrrb : Amod-te-li (« l’aƒrrb à Amoda 1 »), tous deux étant repris par le
suffixe verbal de datif pluriel -b‚e- « à eux ». Cette interprétation est tout à
fait vraisemblable, et offre d’ailleurs l’un des rares exemples de phrase
verbale dont la structure soit à peu près élucidée. Elle a d’ailleurs plus tard
été reprise par le même Hintze, avec cette concession qu’on ait en tk-b‚e-lo
une forme verbale « nominalisée » en raison de la présence de l’élément -lo,
qu’il considérait désormais comme copule en phrase nominale (Hintze, 1979,
p. 52, 56). Hofmann s’abstient prudemment d’inclure le passage parmi les
descriptions, et le range dans un chapitre consacré aux suffixes verbaux de
datif (Hofmann, 1981a, 8.4. [462]). Elle suppose dans un premier temps que
tk n’est pas ici un lexème verbal, mais un « suffixe » qu’on trouve
occasionnellement accolé aux noms kdi « femme » et br « homme » en REM
1088. Le syntagme nominal ainsi défini tereki-tk serait, en REM 0521,
prédiqué par la copule -lo, ce qui permet à Hofmann de suggérer une
« traduction » réintégrant le passage dans les descriptions : « einem aƒrrb
von Tketore und einem aƒrrb von Amod, ihnen ein tereki-tk war dieser ».
Mais cette interprétation, outre le peu de clarté qu’elle apporte, bute
évidemment sur la présence du suffixe verbal de datif, et Hofmann se voit
contrainte in fine d’admettre à titre hypothétique l’analyse de Hintze. Millet,
qui lit a‘rrb pour aƒrrb 2, propose pour sa part la « traduction » suivante :
« he was the one whom the a‘rrb in Taketore (and) the a‘rrb in Amoda tk’d
tereki (for ?) » (Millet, 1981, p. 138, note 70).
1
Cette localité ne peut être autrement précisée, mais une agglomération de ce nom apparaît
dans l’itinéraire de Juba, chez Pline (VI, 35).
2
Bien que, comme souvent, il soit ici difficile de garantir une lecture ƒ et non m, nous
suivons la lecture de Hintze et Hofmann, d’ailleurs reprise de Griffith, 1922, p. 581.
3
Voir infra, p. 553-554.
152 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Trigger–Heyler, 1970, p. 33-34 et note h. 87-93.
2
Voir structures des descriptions relatives p. 116.
3
Voir Millet, 1981, p. 126. Cet auteur a ensuite opté pour une forme verbale (Millet, 1999,
p. 621).
4
Voir supra, p. 149.
5
Le terme br-lƒ , littéralement « grand homme », nous paraît plutôt signifier « chef ». On
trouve des parallèles dans les stèles napatéennes où la très fautive expression égyptienne
s2i o2 vq « homme le grand » remplace l’égyptien classique vq.
LES DOCUMENTS 153
La traduction donnée par Millet, comme souvent, fait la part belle à l’ima-
gination, notamment dans la seconde proposition. Mais elle donne, semble-t-il,
une idée assez juste de la structure de ce passage, qui débute apparemment
par un complément de lieu, suivi de deux constructions parallèles incluant un
objet et une forme verbale auxiliée :
« From Noba[-land] to Kush, Noba, adult male 1 he ...’d ;
cow(s) ? ?, animals ? ? [i.e., head] 14 he ...’d » (Millet, 1996, p. 613).
Le vice-roi (peseto) Abratoye est connu par deux graffiti de Philae, l’un
en grec et daté de 253 apr. J.-C., l’autre, en démotique, de 260. Deux
épitaphes méroïtiques ont été retrouvées à son nom sur le site de Tomas, une
table d’offrandes (REM 1088) et une stèle de grande dimension récemment
publiée (REM 1333) 1. Le bec de la table d’offrandes avait été mis au jour
dans les fouilles de Karanóg (REM 0321), ce qui laisse raisonnablement
penser que c’est là que se situait la tombe de ce notable, et non à Tomas où
ce matériel avait par la suite été transporté et réutilisé.
La table d’offrandes REM 1088 présente un passage « biographique » assez
étendu, entre la description individuelle et les bénédictions (lignes 16-20) :
atbe : qorene-lƒ dot-li [: a]roƒe-leb : [..]‹tesw[..]†¤…-lo
nob 335 2 [ked] :
asebe : k¥i-tk : br-tk 203 3 m…qeseke 3 ane›… : „se-tk : mreke-tk 171 4
aroƒe-lo
‘lkye : mselƒ ¡qosebde : atebote 1 yiroƒetelo
1
Musée du Caire JE. 90008. Cette stèle longtemps restée inédite a été publiée par les soins
de Claude Carrier dans les Meroitic Newsletters, n° 28 (2001), p. 21-53.
2
Heyler lit « 735 » (Heyler, 1971, p. 45), Millet propose « 535 » (Millet, 1996, p. 612).
Les signes numéraux sont encore mal connus en méroïtique (voir p. 355).
3
Heyler : « .3 », Millet : « 1003 ».
4
Heyler : « 700 », Millet : « 1700 ».
5
Cf. p. 542-545.
154 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Pour les divergences de lecture sur les chiffres, voir supra, notes 2-4, p. 153.
2
Cf. également p. 139 et note 1.
3
Voir Carrier, 2001c, notamment p. 30-31.
4
Voir note 4 p. 190.
LES DOCUMENTS 155
Ici, presque aucun élément ne nous est connu. C’est en fait le complexe
verbal (?) moke-lowi qui nous pousse à considérer ce passage comme
« biographique » : ce terme figurait en REM 1057 et en GA 19A (voir
ci-dessus). Le terme ase 2 est également attesté dans d’autres passages bio-
graphiques, et une hypothétique traduction « vache » a été avancée par
Millet.
1
La seconde proposition figure dans Millet, 1999, p. 618 et 621 (cit. 17) : elle y est
rectifiée en ase tkereke tsds 5-ni moke-lowi. Les divergences de lecture nous ont amené
à ajouter quelques points sous certaines lettres de lecture discutée.
2
Voir supra, p. 146.
156 LA LANGUE DE MÉROÉ
« Stele-texts »
Cette dernière catégorie est tout à fait marginale : elle ne concerne qu’un
seul texte, la stèle REM 0241 de Karanóg. Après la description du défunt, au
lieu des bénédictions ici absentes, apparaît à la fin de l’épitaphe, aux lignes
13-15, le passage suivant :
dmse-qol klke-l† ysbdbse-lo :
yseqeretestse-lo
1
D’après Woolley-MacIver, 1910, pl. 19.
LES DOCUMENTS 157
Bibliographie :
Hintze, 1963a, p. 24-25 ; Heyler, 1967, p. 133, note 94 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 2-8,
p. 34, note h 95 ; p. 38-40 et 48-54 ; Hofmann, 1981a, p. 257-277 ; Millet, 1982,
p. 76 ; Millet, 1996, p. 610-614 ; Török in Eide et al., 1996, p. 673-674 ; Millet, 1998,
p. 56-58 ; Millet, 1999, p. 620-621.
158 LA LANGUE DE MÉROÉ
Formules en mlo-lo(wi) :
1
Dans 27 épitaphes : REM 0130/11, 0132/17, 0211/10, 0221/12, 0227/13-14, 0247/14,
0252/14-15, 0273/11-12, 0288/15-16, 0302/3, 0323/6-7, 0324/16, 0325/15, 0504/14-15,
0510/5-6, 0544/17, 1019/13, 1021/7, 1025/6-7, 1031/27, 1057/12, 1060/12, 1132/11-12,
GA 04/10, GA 29/21-22, GA 41/6, GA 42/5.
2
En REM 0327/15-17, 0521/24-25, 1020/11-13, 1067/19-21, 1116/4-5.
3
Dans les 21 % restants, les bénédictions sont absentes ou perdues.
4
Voir supra, p. 106.
5
Cf. Hofmann, 1981a, p. 67.
6
Il semble que plus tard, Griffith ait douté de cette interprétation. Dans son étude des
textes de Faras, mlo-(lowi) est simplement retranscrit malê, avec vocalisation mais sans
traduction (Griffith, 1922, p. 574, 581, 588).
LES DOCUMENTS 159
1
Priese, 1971, p. 285 [1.44].
2
Haycock, 1978, p. 77.
3
Et non *qore mlo-lo, contrairement à la lecture de Trigger–Heyler, 1970, p. 15, 38 et 42-
43 (cf. Rilly, 1999b, p. 81, note 16).
160 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir p. 520.
2
Voir ci-dessous, p. 538.
3
Rilly, 2000b, p. 109.
4
Priese, 1971, p. 285 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 43.
5
Ou « elle était bonne, etc. », puisque le sexe du défunt ne peut ici être précisé.
6
Nous comprenons ‚rp‚e-qese-li comme une forme assimilée pour ‚rp‚ne-qese-li, litt.
« le commandant de lui ».
7
Voir ci-dessus, p. 94 et note 2.
LES DOCUMENTS 161
1
Ou « elle était bonne, etc. », puisque le sexe du défunt ne peut ici non plus être précisé.
2
Selon notre interprétation sémantique dans un article récent (Rilly, 2000b, p. 109-110).
3
Il peut s’agir directement du vice-roi (peseto) ou du vizir (pqr ?), puisque le défunt,
Netemakher, occupait lui-même des fonctions supérieures à Sedeinga. Priese,
commentant ce passage, parle de « position honorable devant (?) le roi, “le dieu” »
(Priese, 1997b, p. 262).
4
Rilly, 1999b, p. 82.
162 LA LANGUE DE MÉROÉ
Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 41 ; Griffith, 1912, p. 56, 57 ; Griffith, 1922, p. 574, 581 ; Hintze,
1963a, p. 9 [1.3.2.2.] ; Heyler, 1967, p. 121-122 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 42-43 ;
Leclant, 1970-1971, p. 181 ; Priese, 1971, p. 280 [1.23.2], p. 285 [1.44] ; Haycock,
1978, p. 77 ; Priese, 1979, p. 120 ; Hofmann, 1981a, p. 67 ; Rilly, 1999b, p. 82.
LES DOCUMENTS 163
Bénédictions
1
REM 0132, 0219, 0226, 0232, 0241, 0244, 0247, 0249, 0256, 0274, 0285, 0286, 0302,
0306, 0312, 0313, 0329, 0378, 0435 (?), 0436, 0504, 0518, 1022, 1031, 1057, 1061 (?),
1069, 1081, 1090, 1116, 1202, 1205, 1206.
2
Voir p. 139.
3
Voir p. 99 pour une hypothèse semblable concernant l’absence de filiation.
164 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Gardiner, 1957, p. 170-172 ; cependant Grandet-Mathieu, 1997, p. 388-390, lisent
c m'x(rv-s ∆so Vriq c<e oq'-s(,~qv--. et traduisent : « fasse le roi que s’apaise Osiris,
de sorte qu’il donne... ». Dans tous les cas, si le cheminement théorique de l’offrande
demeure complexe, le verbe unique reste 'q(ci « donner » à la troisième personne.
2
Cette interprétation reste celle de Millet, 1982, p. 73.
3
Cf. Meinhof, 1921-1922, p. 8 ; Abdalla, 1973, p. 22.
LES DOCUMENTS 165
qu’il garde l’idée d’une prière aux dieux funéraires et une première
traduction conforme à celle de Griffith ou de Zyhlarz, propose une
construction alternative impersonnelle 1 :
« Danach bilden diese Inschriften vermutlich einen zusammenhängenden Text
nach folgendem Schema : “O Isis, o Osiris, dem NN, den die X geboren hat, den
der Y gezeugt hat, der ... ist, frisches Wasser möge ihm gespendet werden, ...
möge ihm gegeben werden” usw., bzw. “... möget ihr ihm spenden, ... möget ihr
ihm geben”. » (Hintze, 1955, p. 362)
Cette seconde traduction est la seule qui figure dans son étude des descrip-
tions (Hintze, 1963a, p. 2), sans que cette position soit théorisée pour autant :
« Der ganze Text ist vielleicht als ein zusammenhängendes Satzfüge aufzufassen :
“ (I) O Isis, o Osiris, (II) dem A, den die B geboren hat, den der C gezeugt hat,
(III) der ... ist, ..., (IV) möge frisches Wasser gespendet werden ...”. »
Dans ses Beiträge, il récapitule ses positions antérieures, mais avance une
troisième interprétation :
« Es scheint mir jetzt aber wahrscheinlicher, daß es sich um eine Aufforderung
zum Totenopfer an die Nachkommen, bzw. an die Grabbesucher und Leser der
Inschrift handelt. » (Hintze, 1979, p. 75)
Curieusement, cette nouvelle hypothèse n’est, pas plus que les
précédentes, justifiée par un quelconque appareil théorique. Peut-être Hintze
a-t-il vu dans ces bénédictions l’équivalent méroïtique de l’« appel aux
vivants » des stèles égyptiennes : « ô vivants, vous qui êtes sur terre, ... vous
prierez le dieu en vue d’une offrande invocatoire pour NN ».
Hofmann récuse la thèse de Hintze pour deux raisons (Hofmann, 1981a,
p. 194). La première fait appel au bon sens : pourquoi y aurait-il dans les
épitaphes une invocation aux dieux, si ce n’est pas à eux que s’adresse le
message ? L’autre argument rapproche les bénédictions divines adressées à la
famille royale par les dieux, notamment au temple d’Apedemak à Naga
(REM 0003-0020) et à Méroé (REM 0405) : on y trouve un complexe verbal
l-‚-te « donne-lui » ou l-b‚-te « donne-leur », qui ne s’adresse évidemment
pas aux visiteurs des temples. Or la même formule est attestée dans les
bénédictions des plus anciennes tables d’offrandes (par ex. REM 0427).
Semblablement le lexème verbal -ƒo-, qui doit être une variante de -ƒe-
utilisé dans la bénédiction funéraire A 2, apparaît sur un texte du temple
d’Amon où les dieux du Nil sont invités clairement à « donner de l’eau »
(REM 0026, 0028, 0030, 0032).
1
Également chez Haycock, 1978, p. 58, 72.
2
Voir Rilly, 1999a, p. 106-107 pour les variantes graphiques o/e après labiovélaires, une
observation qui vient à l’appui de cette hypothèse de Hofmann.
166 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
En REM 0253 on trouve effectivement des bénédictions sans invocation, ni initiale, ni
finale, mais la première ligne, qui n’a pas été complétée ainsi que le remarque Griffith,
commence toutefois par le w- initial de Wos-i « ô Isis ».
2
Il n’est pas sûr que REM 1127, une inscription sommaire de Sinisra, soit une épitaphe.
3
Voir supra, p. 93.
LES DOCUMENTS 167
: 3 “Give (good/plentiful water / bread, ... etc.) to” or “may you give
(good / plentiful water / bread, ... etc.) to”. The verb is Active of Voice, and the
Subject is the pronoun Second Person Singular or Dual / Plural referring to Isis
and / or Osiris (...), invoked in the funerary inscription. The Mood is the
Imperative, as a wishful statement, or Optative, as a prayer.
: 4 The same rendering as the last is envisaged, in which the pronoun refers
to the deceased person’s offspring (?) or the grave-visitor(s). This is Hintze’s
proposal. » (Abdalla, 1989a, p. 13).
Il est évident d’après notre précédente observation que, parmi ces quatre
solutions, on ne peut retenir que la troisième. Cependant, la « traduction »
proposée par Abdalla n’est pas la seule possible. Il n’envisage en effet pour
la forme verbale que trois équivalences, « donner », « offrir », « servir », qui
sont sémantiquement proches. Il est néanmoins étrange de constater le
nombre impressionnant de verbes méroïtiques pour lesquels a été avancée,
souvent faute de mieux, une traduction similaire 1. Macadam évoquait, non
sans ironie, « those all-too-numerous verbs for which we can at present
render no more precise meaning than “give”, “grant”. 2 » Il est certes possible
que la langue méroïtique ait possédé un vocabulaire d’une grande richesse,
mais une telle foule de quasi-synonymes éveille la suspicion. Peut-être ces
verbes ont-ils été en partie choisis en fonction du type d’offrandes :
« verser » (de l’eau), « découper » (de la viande), « servir » un repas, etc.
Mais il ne s’agit que d’une hypothèse de plus, peut-être contestable en raison
de l’usage des mêmes verbes dans certaines formules différentes.
L’étude de la morphologie des verbes de bénédictions, notamment
étudiée par Hintze, 1979, n’entre pas dans notre propos pour l’instant, et sera
l’objet d’une section particulière du présent ouvrage (p. 559). Nous nous
limiterons ici à un inventaire et une brève analyse des différentes formules de
bénédictions, suivant l’excellente classification qu’en a fait Griffith.
Formule A
1
C’est le cas des verbes de bénédictions ƒe, ƒol, ‚r, t‚, tk, tre, et, dans d’autres contextes,
des verbes d, kid, te, toƒ, yiroƒe. Le seul verbe pour lequel ce sens soit assuré est l.
2
Macadam, 1950, p. 43.
3
Le terme ato « eau » est un des rares mots purement méroïtiques dont la traduction soit
assurée. Dans les épitaphes royales, la formule de bénédiction L remplace la formule A.
168 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Nous préférons ce terme à celui d’« infixe » généralement adopté. Un « infixe » devrait
en toute logique être situé à l’intérieur du radical verbal, à l’instar de l’infixe nasal des
langues indo-européennes : latin tango, tetigi, grec λανθáνω, λαθον, anglais to think,
thought. En méroïtique, tel n’est pas le cas : l’« infixe » verbal de datif n’est que le
premier des suffixes.
2
On rappelle que /a/ est la voyelle par défaut de toute syllabe écrite sans signe vocalique
(voir p. 278sq).
3
Pour une analyse de ces différentes formes, voir infra, p. 559-567.
LES DOCUMENTS 169
Formule B
Il s’agit de l’offrande du pain 1. Elle apparaît aussi dans presque toutes les
épitaphes de particuliers comportant des bénédictions, où elle suit le plus
souvent l’offrande de l’eau (A). La formulation est généralement la suivante :
at mƒe préfixe + verbe -‚r- + (suffixe datif) + suffixe
du pain abondant (?) donnez / apportez à lui / elle / eux
Assez souvent, un séparateur est tracé entre le syntagme nominal et le
complexe verbal, et très rarement entre le nom et l’adjectif. Dans le groupe
verbal, les affixes et leurs variantes sont les mêmes que pour la formule A
(voir supra, p. 167). On ne trouve en revanche jamais la vocalisation pso-
pour le préfixe, contrairement à ce qu’on peut souvent constater dans la
formule A. Les formes les plus fréquentes sont donc :
psi-‚r-k(e)te (pl. psi-‚r-bƒe-k(e)te)
ps-‚r (pl. psi-‚r-b)
psi-‚r-te (pl. psi-‚r-b‚-te)
1
Le sens de at « pain » semble lui aussi assuré. Dans les épitaphes royales, la formule de
bénédiction K remplace la formule B.
170 LA LANGUE DE MÉROÉ
Formule C
1
Voir cependant l’usage de la formule E en REM 0445, et de la formule C en REM 0049.
LES DOCUMENTS 171
Formule C’
1
Il semble que d’autres cas de correspondance entre le méroïtique ‚- ou ƒ- et le nubien k-
puissent être reconnus (cf. Peust, 1999, p. 78). Voir p. 455. La graphie ‚blol (REM 0277)
peut alors s’expliquer par l’introduction d’un b épenthétique après affaiblissement de la
voyelle /a/ devant -lol : voir p. 31. Il est possible que le lexème soit /‚ar/ : il se rappro-
cherait alors du verbe ‚r attesté dans la formule B (celle du pain). La forme archaïque
amlol, hapax en REM 0049, reste cependant incompréhensible.
2
D’où l’hypothèse inverse de Griffith : « some desirable offering, and perhaps rather
liquid than solid » (Griffith, 1911a, p. 51).
172 LA LANGUE DE MÉROÉ
formule C (Griffith, 1911a, p. 51, note 1). C’est bien plutôt sa destination qui
a poussé Hintze à la distinguer de la simple formule C par une notation C’
(Hintze, 1959a, p. 35) : elle s’adresse en effet aux membres de la famille
royale, notamment aux souverains, dont les tables d’offrandes ont été
retrouvées par Lepsius, puis par Reisner, dans les pyramides de Méroé. Les
épitaphes, étonnamment simples, ne comportent aucune description, les
formules particulières K, L et C’ (au lieu de A, B, C) suffisant apparemment
à situer le rang royal du défunt. Il est vrai aussi qu’elles proviennent du Sud,
où les textes funéraires sont généralement laconiques, contrastant avec les
prolixes épitaphes de la Basse-Nubie.
Douze tables d’offrandes royales ou princières présentent la bénédiction
C et ses variantes 1. En REM 0825 (épitaphe d’Aritene-yesbokhe 2), on
trouve la formule C habituelle pour les particuliers : ‚-mlo-l ƒol-kete. Les
autres épitaphes comportent des formules qu’on peut grouper en quatre
catégories 3 :
formule C’1 : ‚-mlo-lw (:) (p)ƒol-kete (REM 0050, 0059, 0816, 0829)
formule C’2 : ‚-mlo-wi (:) (p)ƒol-k(e)te (REM 0061, 0815, 0837)
formule C’3 : ‚-mlo-witw (:) (p)ƒol-kete(se) (REM 0844, 0848, 0850)
formule C’4 : ‚-mlo-t : lot : .. : Œƒol-kete (REM 0060).
Formule D
1
En REM 0828, la formule C’ n’est pas conservée, contrairement à la reconstitution de
Hintze, 1959a, p. 60, suivie par la translittération du REM : le fragment E, censé porter
l’inscription hiéroglyphique ]™‡•[, porte en fait le déterminant -lw de la formule K et
constitue le coin précédant directement le fragment D.
2
Voir Hofmann, 1991, p. 185-186 pour cette table d’offrandes, qui présente de plus un
décor habituellement réservé aux particuliers et non aux souverains.
3
La numérotation des deux premières formules figure dans Hintze, 1959a, p. 35. Pour les
suivantes, qui n’apparaissent pas chez Hintze, nous avons suivi sa logique.
LES DOCUMENTS 173
après les bénédictions A et B (REM 0212, 0237, 0279, 0534, 0537, 1021). Le
plus souvent néanmoins, elle la suit. Seules 20 occurrences sont actuellement
attestées 1, et, à l’exception de deux exemples à Faras (REM 0534, 0537),
toutes proviennent de Karanóg et de ses environs (Shablul, El Malki, Nag
Gamus, Arminna).
Griffith avait divisé en deux sous-groupes les propositions de ce type : un
groupe régulier, D1, et un groupe irrégulier D2 (Griffith, 1911a, p. 51-52). Le
premier présente la structure suivante :
‚-lƒ-l(e) préfixe + verbe -t‚- + (suffixe datif) + suffixe
ou -ƒol-
ou -pl-
un grand ? ? ? donnez / servez (?) à lui/elle/eux
1
Nous excluons REM 0236, où la formule ‚-mlo-li{li| pisi-t‚-kte relève plutôt de la
bénédiction C, qui n’y apparaît pas par ailleurs. Pour le redoublement peut-être fautif du
déterminant -li, voir l’analyse du groupe D2 ci-dessous, p. 173.
2
Une simple métathèse graphique n’est pas possible en raison du ƒ initial, de tracé fort
différent du signe ‚. Une confusion phonétique entre ‚-lƒ-l, prononcé [xalaxwala], et
ƒƒll, prononcé [xwaxwalala] semble plus plausible. Une objection majeure tient cependant
à l’aspect relativement soigné de l’inscription.
174 LA LANGUE DE MÉROÉ
Formule E
1
D’après relecture sur une photographie récente du British Museum (REM : Leclant et al.,
2000, p. 876).
LES DOCUMENTS 175
Formule F
Cette bénédiction est extrêmement rare : elle n’est attestée qu’en REM
0137B, 0311 et 0326, trois tables d’offrandes de facture assez semblable. La
première a été achetée à Assouan et les deux autres proviennent de Karanóg.
Les trois exemples sont rédigés comme suit :
REM 0137B : sr m‚ : yi-we-b‚-te (pluriel)
REM 0311 : sr [m]ƒ psi-l-ke
REM 0326 : sr : mƒ psi : w† 1
Formule G
1
Griffith donne l pour le dernier signe (Griffith, 1911a, p. 52). D’après le cliché de
Karanóg (Griffith, 1911a, pl. 25), un i semble plus vraisemblable, bien qu’incertain. Voir
les remarques épigraphiques de Hofmann, 1981a, p. 196-197.
2
Hofmann, 1982c, p. 50-52.
176 LA LANGUE DE MÉROÉ
Formule H
1
L’inscription est ambiguë à cet endroit et peut se lire att m~e-l ou attƒ ‚e-l. Dans tous les
cas, il manquerait une lettre, soit à la fin du substantif, soit au début de l’adjectif.
2
Comparer avec les syntagmes initiaux en bénédiction C p. 170 et C’ p. 171.
3
Cf. Hofmann, 1981a, p. 197.
LES DOCUMENTS 177
Formule I
Formule J
1
On trouvera une segmentation à peu près similaire chez Hofmann, 1981a, p. 197.
178 LA LANGUE DE MÉROÉ
Formule K
atƒe mƒe-lw + préfixe + verbe -tre- + suffixe de datif verbal ? + suffixe final
1
Priese, 1971, p. 282 et 1979, p. 120, 132.
2
Ce passage de la stèle est cependant peu lisible. Voir ci-dessus en formule G, p. 175,
pour une semblable alternance entre -l(i) et -l~e.
3
Ces deux formules ont été étudiées par Griffith, non dans Karanóg (Griffith, 1911a),
comme les précédentes, mais dans les Meroitic Inscriptions I (Griffith, 1911c, p. 83-84).
Nous avons suggéré, dans un article récent (Rilly, 2001c), que la présence de ces
bénédictions royales sur des stèles retrouvées dans la nécropole ouest de Begrawwiya
(REM 0838, 0843, 0848) était due, non à leur déplacement tardif depuis le cimetière royal
Begrawwiya Nord, mais à l’« usurpation » des formules royales par des princes locaux.
4
Sur quatorze tables d’offrandes : en REM 0828 et 0831B, la formule K était sans doute
présente à l’origine, mais elle ne figure pas sur les rares fragments conservés.
5
Ces deux tables d’offrandes, au nom des rois Aryesbokhe et d’Amanitaraqide, ont
d’ailleurs été retrouvées dans la même pyramide (Beg. N. 16) et sont paléographiquement
très proches. Hintze distingue une formule K1 avec mƒe d’une formule K2 avec mlo
(Hintze, 1959a, p. 35).
LES DOCUMENTS 179
atƒe n’est pas encore compris, bien que de nombreuses hypothèses ait été
avancées : « pain abondant » (comme at mƒe), « pain-bière », « mille
pains », « gâteaux » 1. On ne peut donc dire avec certitude si cette formule
royale correspond à une offrande liquide (comme la bénédiction A pour les
particuliers) ou solide (comme la B), bien qu’elle soit généralement
considérée comme une variante de la formule du pain (B) 2.
Le complexe verbal est généralement p-tre-kete, forme d’un verbe -tre-
spécifique à cette bénédiction (quelques exemples archaïques cependant en A
et B). Le préfixe initial peut être absent (REM 0059, 0816, 0838). Le suffixe
de datif verbal, s’il est présent, n’est jamais apparent au singulier puisqu’il
s’assimile devant le suffixe final. On ne possède pas de datif pluriel, puisque
la quasi-totalité des stèles appartiennent à des souverains toujours commé-
morés isolément. En REM 0815, le suffixe final est absent ; en REM 0837, il
a la forme -to, et la forme élargie -ketese en REM 0844.
Formule L
1
Cf. respectivement Macadam, 1966, p. 49 et note 17 ; Haycock, 1978, p. 77 ; Hofmann,
1991a, p. 185.
2
Par exemple Hintze, 1959a, p. 34 et Hofmann, 1981a, p. 200. Notons à l’appui de cette
thèse que le substantif atƒe apparaît à la place de at mƒe « du pain en abondance » en
REM 0292 et 0440.
180 LA LANGUE DE MÉROÉ
Formule X
1
Didinga iúra « lait », berta err « lait » (voir Greenberg, 1966a, p. 102, 124).
2
Hintze distingue une formule L1 avec mlo et une formule L2 avec mƒe (Hintze, 1959a,
p. 35).
3
Peut-être « verser », « apporter », selon l’hypothèse de Priese (Priese, 1977a, p. 44 et note
24).
4
Hofmann, 1981a, p. 198-200.
5
Voir Wenig, 1978, p. 197 (catalogue de l’exposition Africa in Antiquity).
6
Lecture à partir du cliché dans Wenig, 1978. Hofmann (loc. cit.) suit la curieuse lecture
de Heyler dans la translittération du REM et donne *tremel au lieu du très lisible premes.
LES DOCUMENTS 181
lƒ « grand » (D1)
D ‚- « repas (?) » mƒe « abondant » -l -t‚- ou -ƒol-
(D2)
-ƒol- ou
E nse doke -l dole(k)
-dotedi-
mƒ(e) -wi-/-we- ou
F sr « viande (?) » absent
« abondant » -l- « donner »
1
Le tableau rend compte de la majorité des bénédictions : pour plus de précision sur les
variantes possibles, notamment sur les déterminants, on se référera à l’analyse formule
par formule qui précède, p. 167-181.
184 LA LANGUE DE MÉROÉ
En second lieu, ces textes sont attestés de façon quasi régulière sur un
espace de temps particulièrement long, puisque le premier (REM 1044)
remonte à la fin du IIe siècle avant J.-C., tandis que le dernier a récemment
LES DOCUMENTS 185
été situé au début du Ve siècle de notre ère 1. C’est ainsi plus de cinq cents
ans de l’histoire de la langue méroïtique qui s’étalent devant nos yeux, même
s’il s’agit souvent d’une langue de cour, volontiers archaïsante.
Malheureusement, ce qui fait l’intérêt des textes royaux fait aussi leur
difficulté. L’originalité de la plupart des formulations empêche la
comparaison entre textes, qui s’était avérée si fructueuse pour la
compréhension des épitaphes :
« In the funerary texts, of which a multitude have been discovered and published,
the scheme is so clear that it is easy to pick out names and titles and even to
hazard a meaning for entire phrases ; but it is quite different with other classes of
writings which are on no fixed plan of phrasing and have few finger-posts to
guide the would-be interpreter. » (Griffith, 1917b, p. 159)
Une approche originale a récemment été tentée par Peust (Peust, 2000) :
la comparaison d’éléments récurrents de ces textes royaux avec ceux qu’on
peut observer dans les inscriptions en égyptien des derniers monarques
napatéens, notamment les stèles des rois Harsiotef et de Nastasen (IVe siècle
av. J.-C.). Les conclusions de Peust ne portaient que sur une expression
précise, nete se mlo-l(w), qu’il comparait à l’égyptien Õlm Mox's( o2i<i «s
meq : « mon bon père Amon de Napata ». Nous les avons réfutées dans un
article récent (Rilly, 2000b), mais nous restons persuadé que cette démarche
comparative peut donner quelques résultats si elle tient mieux compte des
éléments connus de la grammaire et du lexique méroïtiques. On ne peut
toutefois en attendre de progrès spectaculaire eu égard au nombre réduit de
textes à comparer, particulièrement du côté napatéen. De plus, la phraséo-
logie méroïtique s’avère souvent d’une surprenante originalité par rapport à
son modèle égyptien, comme on l’a constaté dans l’étude des bénédictions
funéraires.
1
Cf. Hofmann, 1981a, p. 11. Pour la datation basse de REM 0094, cf. Török in Eide et al.,
1998, p. 1106.
2
Nous suivons ici la chronologie de Tö r ök, 1997b, p. 204-206.
186 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Nous n’incluons pas parmi les « textes royaux » le verso de la petite stèle de Méroé
(REM 0405B et C) figurant le roi Taneyidamani devant Apedemak : l’inscription (une
prière au dieu) ne comporte en effet pas de protocole royal et doit donc être rangée avec
les légendes iconographiques. Le recto de la stèle, REM 0405A, présentant un ductus
plus ancien, est manifestement antérieur de plusieurs décennies pour le moins. Pour une
lecture et une analyse sommaire, on consultera Griffith, 1911b, p. 62-64 ; lecture et
commentaire plus étoffé dans Török in Eide et al., 1996, p. 671-672.
2
On ne mentionnera que pour information la « traduction » fantaisiste de REM 0405 et
1044 par Winters, 1999, élaborée à partir d’une comparaison avec le tokharien (voir ci-
dessus, p. 56).
3
Tenir compte des rectifications dans Griffith, 1917b, p. 164-165.
LES DOCUMENTS 187
1
Les fragments REM 0128, 1255 et l’inédit de l’Ashmolean Museum MO 41 constituent
peut-être les restes d’une autre stèle de Méroé, en granite sombre, au nom de la reine
Amanishakheto (voir REM = Leclant et al., 2000, p. 286-287, 1898-1899). D’une
troisième stèle inscrite sur trois faces, seul a subsisté un fragment trop réduit pour être
rangé avec assurance dans les textes royaux (REM 1251 ; voir Török, 1997a, p. 102).
2
Basée sur les translittérations du REM (version inédite de Heyler), cette lecture est
partielle et fautive. Le bloc ayant été rapporté récemment au musée de Khartoum, nous
avons pu récemment en produire une lecture et un commentaire : Claude Rilly,
« l’Obélisque de Méroé », dans Meroitic Newsletters, n° 28 (2002), p. 95-190.
3
Le professeur David N. Edwards nous en ayant fait obligeamment parvenir de bons
clichés ainsi que deux fac-similés de sa main, il nous a été possible d’en produire une
lecture et une analyse non encore publiées, mais dont on trouvera un court extrait dans
Rilly, 2000b, p. 105.
4
Nous sommes ici redevable au professeur Dietrich Wildung qui nous a envoyé de bons
clichés, reproduits d’ailleurs dans la Meroitic Newsletters, n° 27, avec son aimable
permission. La lecture et l’analyse de REM 1293 et 1294 que nous avons ainsi pu
effectuer pourraient prendre place dans une prochaine publication.
5
Voir note précédente.
188 LA LANGUE DE MÉROÉ
REM 1139 (24 fragments d’une stèle brisée découverte dans le temple
d’Amon au Gebel Barkal) : nom royal non conservé mais probablement
présent à l’origine, type paléographique correspondant au début de notre
ère ; aucune étude ni commentaire publiés étant donné l’état du
document.
REM 1089 (socle d’or d’une statuette de même métal, gravé de 5 lignes,
originaire du Gebel Barkal) ; reine Nawidemak, première moitié du Ier
siècle de notre ère ; lecture et étude dans Macadam, 1966, p. 42-71.
REM 1038 + 1001 (stèle brisée de Méroé ; la partie supérieure, REM 1038,
comporte deux lignes incomplètes et la partie inférieure, non jointive,
REM 1001, comprend 21 lignes) : roi Amanikhabale, milieu du Ier siècle
de notre ère ; lecture et commentaire de REM 1038 dans Monneret de
Villard, 1959, p. 102-103 et dans Hintze, 1961, p. 278-279 ; lecture et
commentaire de REM 1001 dans Zawadowski, 1977, p. 15-21 ; lecture et
étude de l’ensemble dans Török in Eide et al., 1998, p. 837-840.
REM 0126 (fragment de stèle de provenance inconnue, comportant les restes
de 10 lignes) : roi Natakamani, Candace Amanitore, prince Arikankharor,
seconde moitié du Ier siècle de notre ère ; lecture et courte analyse dans
Griffith, 1912, p. 53 et Hodjash-Berlev, 1982, p. 238-241.
REM 1221 (stèle du palais de Natakamani au Gebel Barkal, comprenant 12
lignes) : Candace Amanitore, prince Arikankharor, seconde moitié du Ier
siècle de notre ère ; lecture et commentaire dans Tiradritti, 1992, p. 69-75 1.
REM 1138 (inscription sur un pylône du temple d’Amon au Gebel Barkal,
comportant 28 lignes incomplètes) : souverain inconnu, mais on peut
supposer qu’il s’agit d’un texte royal en raison notamment de sa
localisation dans le temple 2 ; daté par Hofmann de la première moitié du
IIe siècle apr. J.-C. ; lecture et commentaire dans Hofmann et al., 1989a,
p. 139-156.
REM 0408, 409, 410 (trois socles gravés sur leurs quatre faces, comprenant
douze lignes chacun, trouvés à Méroé) : roi Teqorideamani, autour de 260
apr. J.-C. ; lecture et étude sommaire dans Griffith, 1911b, p. 68-69.
1
Voir aussi Rilly, 2000b, p. 107 (restitution des premières lignes), avec une datation
différente, tirée de Wenig, 1999, où Amanitore et Arikankharor sont placés au début du
Ier siècle de notre ère.
2
On comparera avec la localisation de la stèle de Taneyidamani (REM 1044) dans le
temple B500 du Gebel Barkal, devant le premier pylône, où elle faisait face à la stèle
napatéenne du prince Khaliut (cf. Hintze, 1960a, p. 127-128). Ici aussi, les restes d’une
inscription parallèle en langue et écriture égyptienne ont été retrouvés de l’autre côté du
pylône (cf. Hofmann et al., 1989, p. 139-140).
LES DOCUMENTS 189
Une grande partie de ces textes, et notamment les plus longs, sont
supposés contenir des éléments historiques. C’est particulièrement le cas de
la fameuse stèle d’Akinidad (REM 1003), que Griffith a interprétée comme
le récit de la guerre qui opposa les Méroïtes aux troupes du préfet romain
Petronius en 25-24 av. J.-C. Cette identification repose entièrement sur trois
éléments lexicaux récurrents du texte : Qes désignerait « Koush », arme-
yose « Rome » ou « le Romain » et le verbe -ked, qui intervient dans des
décomptes d’« hommes » (abr), signifierait « tuer ». Aussi a-t-elle été
fortement mise en doute par Hofmann dans son analyse détaillée de la stèle 2,
où elle récuse ces trois traductions : Qes serait un substantif ou un verbe,
dont la réalisation phonétique s’éloignerait trop du nom de « Koush », arme-
yose serait un titre, et -ked signifierait plutôt « affecter à un culte ». Pour
Hofmann, la stèle commémorerait donc plutôt des donations faites à un
temple, incluant des affectations de serviteurs ou d’esclaves. Nous espérons
avoir démontré dans un article récent des Göttinger Miszellen que
l’identification de Qes avec « Koush » était tout à fait vraisemblable (Rilly,
1999a, p. 107). Nous partageons en revanche les suspicions de Hofmann sur
le substantif arme-yose : la stèle d’Amanishakheto, récemment découverte à
Naga (REM 1294), comporte dans le protocole royal une proposition
nk armi-l td‚e-so = ? ? ? « elle est de la descendance de la nk armi(l) », où
armi est peut-être un adjectif ou un substantif 3 dont arme-yose est dérivé, et
qui doit qualifier un ascendant royal. On imagine difficilement la Candace
Amanishakheto se réclamer d’une aïeule « romaine », bien que l’éventualité
1
Il ne s’agit pas de Yesbokhe-amani, comme le suppose Török ; la séquence yeseboƒe qui
y apparaît a une valeur lexicale (verbe ou substantif), et n’est pas un anthroponyme.
2
Hofmann, 1981a, p. 279-328, et particulièrement p. 291-298.
3
Une possibilité demeure qu’il s’agisse d’un anthroponyme de forme Armil, comme le
laisserait supposer son occurrence après un titre en REM 1293.
190 LA LANGUE DE MÉROÉ
Il est possible que les textes royaux REM 0093, 1138, 1139, 1121, 1141
possèdent un contenu similaire et se rapportent à des fondations ou des
donations aux temples.
1
L’Empire romain est de plus régulièrement désigné par le terme Arome, de vocalisation
différente, mais le mot n’est pas attesté avant la seconde moitié du IIe siècle de notre ère
(REM 0312).
2
Le verbe utilisé pour les femmes est tkk (une fois kb). Une liste comparative des
propositions comportant ce vocabulaire se trouve dans Hofmann, 1981a, p. 295.
3
« Hofmann’s arguments remain unconvincing » (Török in Eide et al., 1996, p. 721).
4
À ces textes « historiques », il convient probablement d’ajouter la très singulière stèle du
vice-roi (peseto) Abratoye, retrouvée à Tomas (REM 1333), et que nous avons
précédemment décrite (voir p. 154).
LES DOCUMENTS 191
1
Les inscriptions de ce genre dénuées de noms royaux sont trop rares pour faire l’objet
d’une section particulière dans notre typologie : il s’agit de REM 0075, un hymne gravé
au dos d’une statue d’Isis retrouvée au Gebel Barkal et nommant cette déesse, et de REM
0406, une stèle de contenu probablement religieux découverte dans le temple d’Ape-
demak à Méroé. Encore cette dernière est-elle trop lacunaire pour que l’on ait l’assurance
qu’un nom royal n’y figurait pas, comme c’est le cas de la stèle très semblable REM 0407,
retrouvée dans le même lieu. Voir également p. 143 le problème posé par REM 1072.
192 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Les contre-exemples sont en nombre réduit : quelques tables d’offrandes, toutes royales
(REM 0060, 0073C, 0828, 0834), un bol gravé d’une « inscription de propriété » (REM
1222), deux proscynèmes (REM 1046A et B), une amulette (REM 0704). Ces trois
derniers textes, les seuls issus de contextes non royaux, sont d’ailleurs inscrits dans un
mélange d’hiéroglyphes et de cursive, peut-être par précaution superstitieuse.
2
Voir ci-dessus, p. 96.
3
On pourra comparer avec les formes anciennes des bénédictions A et B, voir ci-dessus,
p. 168-169. Dans l’inscription de Naga, on observera l’ordre étrange des colonnes : le
texte commence au centre, se poursuit sur la gauche et se termine sur la colonne de
droite. Voir Griffith, 1911c, p. 56-60 ; Hofmann, 1981b, p. 43-46. Zibelius, à tort selon
nous, s’oppose à cet ordre de lecture (Zibelius, 1983, p. 31-32, 67-68).
LES DOCUMENTS 193
2 3
Apedemk-i pwrite : l-b‚-1te : ntki : l-b‚-te
ô Apedemak, vie donne-leur force (?) donne-leur
« ô Apedemak, donne-leur la vie 1 et la force (?) »
On trouve ce genre de bénédiction dans plusieurs autres inscriptions,
notamment en REM 0001, 0005-0020 (autres légendes iconographiques de
Naga), 0034, 0405B, 0084, 0144-0150, 1044A, 1293.
1
Pour l’identification de ce mot, voir Rilly, 2001d, p. 357-358.
2
Il s’agit d’études philologiques, et non archéologiques. Pour ces dernières, on pourra
consulter la liste donnée dans Török, 1997b, p. 410-416, table S et notes correspondantes.
194 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir ci-dessus, p. 186, note 1.
LES DOCUMENTS 195
1
Traduction consacrée, mais inexacte de l’Iliade, XXIII, 206-207. Le texte parle des
« Éthiopiens qui offrent des hécatombes aux Immortels ».
2
Voir ci-dessus, p. 72.
3
La publication de Macadam, 1949, toute luxueuse qu’elle fût, présentait déjà une
synthèse des inscriptions méroïtiques assez peu ambitieuse.
196 LA LANGUE DE MÉROÉ
les proscynèmes de Philae qui aient fait l’objet d’analyses fécondes, comme
on peut le constater dans la bibliographie par site indiquée ci-dessus.
Ces graffiti sont en revanche d’un immense intérêt pour l’étude de
l’écriture méroïtique et de ses origines, car il semble bien que l’on tienne
avec certains d’entre eux les plus anciennes inscriptions actuellement
connues : c’est notamment le cas de REM 0619B, 0638, 0648A, 0650, 0662,
0694 et 0700 pour Kawa, et de REM 0042, 1052, 1166 et 1167 pour
Musawwarat.
La tentative la plus complète de classification de ces textes demeure celle
de László Török dans le chapitre III, intitulé Proskynemata and Related
Inscriptions, de sa communication pour le 7e Congrès d’études méroïtiques
de Berlin (Török, 1984a, p. 173-181). Il propose un classement en dix
catégories, fondé sur une typologie lexicale, la seule actuellement possible en
raison du caractère hautement hypothétique des analyses syntaxiques
proposées pour ces inscriptions :
I. simple anthroponyme (un seul ex.)
II. nom de dieu au vocatif + anthroponyme + texte (5 ex.)
III. type yd‚no (8 ex.)
IV. type (y)ereƒlo / ariƒlo (45 ex.)
V. type yd‚no + yereƒlo (2 ex.)
VI. prière (un seul ex. : REM 0091C)
VII. type aleqese (3 ex.)
VIII type tewiseti (9 ex.)
IX. type stqo (6 ex.)
X. divers (7 ex.)
On observera néanmoins que les 87 inscriptions ainsi classées ne
recouvrent pas la totalité des épigraphes de cette catégorie, même si l’on tient
compte du fait que depuis cette étude, une quarantaine de textes supplé-
mentaires ont été publiés 1. Il y a en effet une réelle difficulté à inclure
certains graffiti dans cette classification, soit parce que leur caractère
religieux, requis par Török, n’est pas évident, soit, le plus souvent, parce
qu’ils sont illisibles ou trop fragmentaires. Une revue plus précise de chacun
de ces types, incluant les graffiti publiés récemment, est nécessaire pour une
meilleure présentation de ce genre de textes.
Type I : simple anthroponyme
Török ne donne qu’un seul exemple, l’inscription tardive de Kawa REM
0611 : Piy¤mni .r-li. Il ne nous paraît pas sûr que le second mot, auquel ne
manque que l’initiale, soit un patronyme : les exemples invoqués par Török
1
Le « catalogue » de Török s’arrête à REM 1112.
LES DOCUMENTS 197
(Ph. 115, 333) sont égyptiens et l’on sait que la filiation paternelle n’est pas
impérative chez les Méroïtes. Elle aurait d’ailleurs été explicitée par une
expression du type terike-lo(wi) « il / elle a été engendré par ».
Il semble que d’autres graffiti d’ordre religieux commencent par un
anthroponyme, parfois seul (REM 0043 1), parfois suivi d’un texte
inintelligible (REM 0042). On pourrait donc requalifier ce premier type
comme « anthroponyme + textes divers », tout en veillant bien sûr à ce que le
texte additionnel ne comporte pas d’éléments comme yereƒlo ou yd‚no qui
ressortissent à d’autres catégories.
Type II : nom de dieu au vocatif + anthroponyme + texte
Török donne trois exemples très abîmés : REM 0143 (île de Saï), 0620,
0621 (Kawa), un autre difficilement intelligible en raison du mélange
d’hiéroglyphes égyptiens et méroïtiques (REM 0644, Kawa), un autre encore
où apparaît effectivement le nom du dieu Amanap, mais sans être au vocatif
(REM 0702, Kawa). Un seul, dédié à Apedemak, est vraiment indubitable
(REM 1111, Musawwarat). Cet ensemble est géographiquement et chrono-
logiquement très hétérogène.
Type III : graffiti comportant la séquence yd‚no
Cette séquence est généralement interprétée comme une forme verbale 2,
bien que le seul élément de reconnaissance, très ambigu, soit le possible
préfixe verbal y-. Les graffiti de ce type sont connus pour l’essentiel à Kawa
et à Musawwarat. À la liste donnée par Török 3, on peut ajouter REM 0666A
et 0693A pour Kawa, REM 1034, 1045, et peut-être REM 1284 pour
Musawwarat. L’expression yd‚no suit généralement le nom d’une divinité,
Apedemak à Musawwarat et Amon de Napata à Kawa. La présence
d’anthroponymes semble parfois probable, mais ne peut être vérifiée dans
tous les cas. Cette catégorie comprend des textes qui correspondent
paléographiquement aux premiers siècles de notre ère.
Type IV : graffiti comportant la séquence yereƒlo
La quasi-totalité de ces graffiti est attestée sur les murs des sanctuaires de
Kawa, où ils constituent plus de la moitié des textes publiés par Macadam,
1949. Un autre provient cependant de l’île de Saï (REM 0082), et un dernier
de Méroé, trouvé par Garstang sur un bloc du temple M 291 (REM 1257). Il
s’agit donc du type de graffiti le plus représenté, avec une cinquantaine
1
Repris par un malheureux doublon dans les Meroitic Newsletters, n° 27 sous l’appellation
REM 1283.
2
Cf. Trigger–Heyler, Index p. 60.
3
REM 0658, 0661, 0664, 0673 (Kawa), 1051, 1054, 1112 (Musawwarat) et un inédit du
Gebel Adda (GA 6G).
198 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Aux 45 exemples de Török, on pourra ajouter REM 0609, 0637, 0663, 0666B, 0681,
0687, 0691, 0692, 0693B, 0696, 0707A (Kawa), 1257 (Méroé). L’étude de Török sur les
graffiti en yereÄlo figure également dans son article du ZÄS (Török, 1984b, p. 66).
2
Notamment en raison de la théorie de Griffith, reprise par Macadam, selon laquelle e-
initial était une orthographe défective pour ye . Il nous semble bien qu’à l’inverse, ye- est
une graphie artificielle pour e- initial. Sur cette question, voir ci-dessous, p. 292.
3
Voir ci-dessus, p. 148.
4
La présence dans cette séquence du prédicatif -lo nous paraît cependant très plausible.
Mais elle ne permet pas d’assurer la nature nominale ou verbale de (y)ereƒ-, puisque ce
morphème est probablement aussi utilisé comme auxiliaire verbal (voir infra, p. 554).
LES DOCUMENTS 199
« Thus the inscriptions with numerals probably record a certain amount of goods
brought to the temple of Amun in Kawa. Insofar as these texts really record goods
presented to the temple, these goods are probably also denoted by the nouns
following the numerals. » (Török, 1984a, p. 178-1791).
Cette hypothèse est séduisante, mais on pourra objecter que dans la
plupart des cas, aucun substantif susceptible de représenter une offrande
n’apparaît devant le numéral, et que les termes qui figurent après les chiffres
ne sont probablement pas en relation avec eux, puisque, comme dans les
textes égyptiens, le numéral suit, et non précède, la notion qu’il quantifie.
Comme on le voit, il reste bien du travail à faire pour pénétrer la signification
des graffiti en yereƒlo.
Type V : graffiti comportant les deux séquences yereƒlo et yd‚no
Deux inscriptions de Kawa, très lacunaires, comportent les deux
séquences : REM 0615 et 0616. Elles correspondent à la même période (Ier
siècle de notre ère ?) et sont situées l’une à proximité de l’autre sur le mur
sud du temple de Taharqo. La première débute par l’invocation Mnp¤-i « ô
Amon de Napata ». Seule la seconde a conservé des chiffres après yereƒlo.
L’état fragmentaire des graffiti ne permet guère de reconstituer une
quelconque structure.
Type VI : prière
Török ne range dans cette catégorie qu’un seul texte, originaire du Gebel
Abou Dirwa près de Dakka, REM 0091. Il s’agit d’un graffito rupestre de dix
lignes, dont deux, isolées, s’apparentent aux présentations des défunts dans
les épitaphes. La première donne une nomination claire 2 Iline-qo « c’est
Iline » (REM 0091A), la seconde une autre nomination moins évidente 3 :
s-qo skin-lo « ce seigneur (?), c’est Shakinali » (REM 0091B). Cette seconde
ligne semble légender la représentation gravée d’un homme vêtu d’un pagne
et tenant un bâton. Dans le troisième ensemble de huit lignes (REM 0091C),
seuls sont compréhensibles 4 trois théonymes : Mnp-i « ô Amanap », Ams-i :
« ô Mash » et plus loin dans le texte, Wos « Isis ». Les deux premiers, au
vocatif, constituent une invocation initiale qui permet de deviner en ce texte
une prière. On pourra toutefois s’étonner que Török en fasse une catégorie à
part, car il est évident que la plupart des graffiti pieux qu’il recense, et dont
1
Même idée dans Török, 1997b, p. 490.
2
Voir supra, p. 97.
3
Voir supra, p. 98.
4
Une longue étude et une « traduction » de ce texte figurent dans Zyhlarz, 1960, p. 741-
744, mais il n’y a malheureusement presque rien à en sauver (voir supra, p. 54-56). Un
commentaire déjà spéculatif, mais moins fantaisiste, apparaissait dans son premier article sur
le méroïtique (Zyhlarz, 1930, p. 448). Török envisage la présence d’un verbe s « écrire »
(ligne 2 du texte principal), mais d’une part la segmentation du passage est arbitraire et on
peut d’autre part, émettre de sérieuses réserves sur l’existence même de ce verbe.
200 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Ainsi pour Kawa (Type IV), REM 0680 (9 lignes) et 0695 (5 longues lignes).
2
Il n’est pas impossible qu’à la ligne 2 du texte principal (REM 0091C) apparaisse une
séquence d‚no, ce qui permettrait alors de classer l’inscription dans le Type III de Török
(voir Griffith, 1912, pl. XI c ; le fac-similé de Griffith [pl. XII] donne d’…‚no).
3
Communication personnelle de Hofmann à Török, cf. Török, 1984a, p. 176.
4
On observera notamment l’allongement des queues du a, du n, du k, la réduction de la
boucle du d et du triangle du q, la simplification des te, l’inclinaison de se et du y.
LES DOCUMENTS 201
1
Voir bibliographie p. 195 (sous « Temple d’Isis à Philae ») pour les principales études.
On pourra également consulter Heyler, 1967, p. 114, 120 ; Millet, 1969, p. 396 ; Bakr,
1973, p. 76 (REM 1109) ; Leclant, 1978-1979, p. 186 (présence d’anthroponymes) ;
Hofmann, 1982c, p. 43-44 ; Török, 1984a, p. 173-181 ; Burkhardt, 1985 ; Leclant, 1985-
1986, p. 254 (place de l’anthroponyme) ; Rutherford, 1998, p. 242-256 (étude sur le
pèlerinage à Philae) ; Rilly, 2000b, p. 109.
2
Et non REM 1064A comme l’indique Török, 1984a, p. 177. Sur ces deux textes, voir
supra, note 1, p. 192.
3
Cette traduction, très hypothétique, suit Hintze, 1955, p. 368. Il s’agit évidemment d’un
calque des proscynèmes démotiques : s2, vës-s m W si l,a2∆ Hr-s « l’adoration de X en
présence d’Isis est ici ».
4
Ce malgré un mauvais fac-similé de Hainsworth, 1982b, p. 36. On reconstitue nénmoins
sans peine tewiseti Tne yeso d¤ tbo Mnp n-lw berwi.
202 LA LANGUE DE MÉROÉ
peut dans d’autres cas se demander si le ye- initial de yeso n’est pas plutôt le
suffixe de l’anthroponyme qui précède.
Bien entendu, tous les proscynèmes ne sont pas aussi simples, et l’on peut
s’attendre à ce que de plus longs textes comme REM 0123 recèlent quelques
subtilités, comme les trente-six autres rédigés en démotique par (ou pour) des
visiteurs méroïtes de Philae ou de Dakka. Dans l’excellente étude que leur a
consacrée Adelheid Burkhardt, elle oppose la sécheresse des proscynèmes
laissés par les Égyptiens à l’originalité et la faconde de ceux que nous ont
transmis les Méroïtes :
« Die Analyse der demotischen Inschriften von Meroiten hat ergeben, da” die
Meroiten sehr bewußt und gekonnt die Möglichkeiten der demotischen Sprache –
entweder aufgrund hervorragender eigener Beherrschung des Demotischen oder
mit Hilfe ägyptischer Priester – beim Verfassen ihrer Graffiti eingesetzt haben.
(...) Man hat sich jeweils ganz spezifischer grammatikalischer Mittel bedient, um
Anliegen unterschiedlicher Art zu formulieren. Die hier gewonnenen Erkennt-
nisse könnten die Untersuchung vergleichbaren meroitischen Materials neu
beleben, da die Meroiten ganz offensichtlich eine für sie typische Art des
Ausdrucks auch in den demotischen Graffiti benutzten. » (Burkhardt, 1985, p. 12)
1
Les graffiti de pieds votifs de Qasr Ibrim (REM 1147 in Frend, 1974, pl. X et REM 1242-
1247 in Rose, 1996, p. 103-107 et fig. 3.13-3.42), qui figurent sur une ancienne chaussée
de pierre, sont pour la plupart trop arasés pour qu’on puisse en assurer une lecture
comparative. La translittération des inscriptions méroïtiques donnée dans l’ouvrage de
P. Rose est de plus parfois fautive. Néanmoins, il ne semble pas qu’elles contiennent la
séquence stqo. Le graffito REM 1245, le plus clair de la série, présente ainsi une inscription
e¡ne-lo, probablement un anthroponyme ou un titre. Tous ces graffiti paraissent de
paléographie ancienne (à comparer avec REM 1248, plus lisible et offrant les mêmes
ductus), sauf REM 1147. Un graffito inédit du Gebel Adda (GA. 6C) ne comporte pas
davantage le terme stqo, mais un anthroponyme suivi d’une séquence obscure.
2
Ph. 235, 242, 376, 377 et surtout Ph. 237 (voir Burkhardt, 1985, p. 22, 108), où apparaît
un personnage nommé en démotique Is-mt et qui pourrait être le Semeti de REM 0114,
0116, 0117.
LES DOCUMENTS 203
1
On pourra à ce sujet consulter Griffith, 1912, p. 42-43, p. 71 Index A ; Griffith, 1929,
p. 70 ; Zyhlarz, 1930, p. 460 ; Hofmann, 1981a, p. 231, 348 ; Hofmann, 1982a, p. 50-52 ;
Török, 1984a, p. 177, 180 ; Leclant, 1985-1986, p. 253.
2
Pour le premier, voir Hintze, 1972, p. 263 ; pour les suivants, Hintze (Ursula), 1979 (sans
analyse philologique).
204 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Török, 1997a, p. 141-145, avec une lecture de Hofmann. Le graffito REM 1257 est de
type yereƒlo (cité ci-dessus, p. 197).
LES DOCUMENTS 205
1
Il n’est pas impossible qu’un pot de Méroé (REM 0821) et une amphore de Gemai (REM
1015) soient également porteurs d’une inscription de ce type. La faible dimension des
clichés et la piètre qualité des fac-similés publiés ne permettent pas de l’affirmer.
Hofmann, 1989-1990 lit cependant Neƒror-so en REM 0821, où Neƒror serait
évidemment un anthroponyme d’après la fréquente terminaison -ror. L’inédit du Gebel
Adda GA 79, un dipinto très lacunaire sur amphore (Toronto, ROM 66 : 3 : 47),
appartient aussi à cette catégorie.
2
Bates-Dunham, 1927, p. 41 : Griffith y propose un anthroponyme « Shakha‹li ».
3
Lit. « grand homme », var. probable de br-lƒ : voir ci-dessus note 5, p. 152.
4
Hofmann propose pour ce titre « porteur de sistre » en raison du dessin de l’instrument
qui suit la mention de ce mot (Hofmann in Török, 1997a, p. 276).
5
On a proposé « épouse royale » (Griffith, 1911a, p. 57) ou à l’inverse « époux de la
reine » (Török, 1979, p. 40).
206 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Retrouvées dans les fouilles de J. Garstang à Méroé dans la tombe n° 800, elles sont
répertoriés 800-b (REM 1270), 800-c (REM 1271) et 800-d (REM 1272). Voir Török,
1997a II, pl. 159 pour fac-similés. Hofmann les date paléographiquement du milieu du IIe
siècle apr. J.-C., tandis que Török, sur des bases archéologiques, les fait remonter au Ier
siècle. Cette divergence est un exemple emblématique des difficultés de la datation
paléographique (cf. ci-dessous, p. 345). Un quatrième dipinto sur fragment d’amphore,
appartenant au même ensemble retrouvé par Garstang à Méroé (Bruxelles, E 3652, REM
1332), présente une inscription parfaitement parallèle : [te]lepeyo : bobos[b]-li-so :
wosmro-li[-so]. Voir Carrier, 2001b.
2
Une première analyse figurait dans un article précédent (Hofmann, 1989-1990, p. 229-230).
LES DOCUMENTS 207
C’est également ce qui permet à Millet, dans son analyse du bol d’El-Hobagi,
d’avancer pour -so une traduction « made it [the obeisance] » où il envisage
qu’on ait ici affaire à une sorte de proscynème.
L’élément -so apparaît comme une sorte de particule de prédication assez
proche du suffixe génitival -se, tant par sa forme que par sa construction
après des noms définis par le déterminant -li. Hofmann y voit une
combinaison de -se et d’une copule de forme -o, telle que l’avait envisagée
Hintze, 1979, p. 116-117. Selon cette hypothèse, X-so signifierait : « c’est à
X », « qui appartient à X », un sens tout à fait acceptable.
L’inscription REM 1009 (dseke-li-so), évoquée plus haut, était traduite
par Griffith, son inventeur : « from (or by, for) the zasake » (Griffith, 1924,
p. 177, avec lecture ancienne du d). Nous ne croyons pas qu’on puisse
avoir affaire dans ces groupes en -(li)-so à des signatures d’artisans, une
pratique connue des Grecs, mais étrangère aux civilisations du Nil. Il doit
s’agir de dédicaces funéraires, et deux solutions semblent envisageables : soit
ces inscriptions renvoient au défunt, et signifient en gros « pour X » ou
« appartenant à X », soit elles indiquent l’origine du récipient offert et
doivent se comprendre « de la part de Y ». Nous ne disposons malheu-
reusement d’aucune inscription de ce type qui puisse être comparée au nom
du défunt à l’aide d’un autre élément du mobilier funéraire, mais la première
solution semble évidemment la plus vraisemblable : c’est le disparu qui est
évoqué. Le bol d’El-Hobagi en apporte une preuve décisive puisque pour la
première fois, on n’a plus un graffito ou un dipinto dédiant le récipient au
moment des funérailles, mais une inscription hiéroglyphique dont la présence
était probablement prévue lors de la fabrication de l’objet, et dont l’exécution
soignée est l’œuvre d’un artisan. L’utilisation de l’écriture sacrée est pour
l’instant unique dans ce contexte et doit s’interpréter comme une puissante
protection appelée sur un personnage de sang royal. Il serait donc tout à fait
incohérent qu’elle ne mentionne pas le défunt à qui elle était destinée.
Bibliographie :
Griffith, 1924, p. 177 et pl. LXIX/4 (REM 1009) ; Bates-Dunham, 1927, p. 41 (REM
1013) ; Millet in Säve-Söderbergh, 1982, p. 51 (REM 1188) ; Hofmann, 1989-1990,
p. 229-230 ; Hofmann in Török, 1997a, p. 275-279 ; Millet, 1998, p. 59-60 (REM
1222) ; Rilly (à paraître) : ætude de l’inscription méroïtique hiéroglyphique REM
1222 (contribution à la publication finale des fouilles d’El-Hobagi par P. Lenoble).
208 LA LANGUE DE MÉROÉ
Sous ce nom contestable, mais que nous conserverons tant par tradition
que par commodité, se cache l’ensemble d’épigraphes le plus énigmatique de
cette typologie. Dans sa publication des textes des cimetières de particuliers à
Méroé, Griffith avait brièvement étudié deux blocs inscrits, REM 0444 et
0451, qui ne s’apparentaient guère aux épitaphes communes, puisque aucun
nom de défunt n’y apparaissait, bien que l’une des inscriptions (REM 0444)
présentât une invocation initiale à Isis et à Osiris, fragmentaire mais
clairement restituable. Leur lexique avait des traits communs et pouvait
également être mis en parallèle avec l’inscription ajoutée au bas de la stèle de
Karanóg REM 0241, qu’il avait désignée sous le nom de « Stele-text » 1
(Griffith, 1911a, p. 53). La comparaison des trois textes, toute justifiée et
prometteuse qu’elle fût, ne permettait malheureusement aucun éclair-
cissement sémantique ou même syntaxique :
« Many parallels can be seen and interesting variations of words in changing
contexts : but it is useless to suggest a translation when nearly all is unknown. »
(Griffith, 1911b, p. 78)
Griffith notait que chaque inscription, loin d’être un simple graffito, avait
été gravée avec soin sur la face est des deux pyramides. Il interprétait les
deux chiffres comme une date, indiquant le mois ou la saison et l’année 3, et
traduisait donc :
1
Pour l’étude de ce passage, voir ci-dessus, p. 156. On consultera le Tableau 7, p. 213
pour les transcriptions des inscriptions de la présente section.
2
La première étude qu’il en avait faite cinq ans plus tôt s’était limitée à une simple lecture
(Griffith, 1911c, p. 84, 85-86).
3
Respectivement ‚lbi « mois » et dime « année ». Ces traductions de Griffith restent très
controversées, et ne reposent principalement que sur l’hypothèse ci-dessus.
LES DOCUMENTS 209
« The honourable Zamakte : having finished (or dedicated) this in season (?) 3
year 4 (24 on Pyr. A311). » (Griffith, 1916a, p. 30)
REM 0076 : « Der edle ƒqƒjƒsƒ (Orekot ?) (ist) Erbauer (?). Das Jahr seiner
Berechnung [= das Jahr, er rechnet es] s«rkjƒ (ist) XII. » (ibid.)
1
« Zamakte » pour dmkte avec l’ancienne translittération de d par z. La numérotation
actuelle des pyramides est celle de Reisner : A31 y est devenu Beg N. 18.
2
Il lui avait auparavant consacré un bref paragraphe, consistant essentiellement en une
lecture encore imprécise, dans ses Meroitic Inscriptions (Griffith, 1912, p. 4).
3
Voir p. 237 pour le système de translittération adopté par Zyhlarz.
4
Voir p. 54.
5
Hintze, 1959a, p. 54.
210 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir ci-dessus, p. 97.
2
D’après Hofmann, 1980b, p. 50. Le texte REM 1195 sera évoqué par la suite.
LES DOCUMENTS 211
1
Voir supra, p. 167sq.
2
Le terme qoli semble un composé du pronom qo, voir p. 549.
212 LA LANGUE DE MÉROÉ
côté. Elle proviendrait de Méroé, où elle aurait peut-être été découverte dans
les fouilles de Garstang. Elle ne contient pas moins de trois invocations à Isis
et à Osiris, l’une initiale, l’autre finale, et la troisième, du type solennel 1, au
milieu du texte. Quelques éléments lexicaux la relie aux bénédictions funé-
raires 2, notamment les substantifs ato « eau » (formule A), sr « viande (?) »
(formule F). Il semble difficile dans ces conditions d’imaginer un contexte
autre que funéraire, et Hofmann, dans l’étude de cette inscription, ne
renouvelle pas son hypothèse de « serments » :
« Zum Inhalt unseres Textes können wir nur so viel sagen, da” es kein üblicher
Totentext ist (...). Abschlie”end müssen wir uns eingestehen, da” wir im Grunde
genommen nicht weitergekommen sind als Griffith vor genau 75 Jahren, und alle
Raterei hilft uns nicht weiter. » (Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 55-56)
1
Voir supra, p. 94.
2
Cf. Tableau 6, p. 183.
3
Voir supra, p. 156.
LES DOCUMENTS 213
0241B 1 1
dmse qol klkel† 2ysbdbto : yseqe3retestto
1
[]wos[ :] tro3ˆ™… : klke : sb4tn : seqe : re5¤… :
0444 2
dmse qol :
so[re]yi : [...]qe 6[...]qe
klkeli[ :] 3sklw : mlon : yetlw[ :]
1
0451 [...] 2 : dmte qoli : 4
mlonki : tkkete : a5sori : pwrit
troˆ 6¥rpne qese drp’…7k : likel
l‚ke : sklw mlo3n : yetlw mlon
1
yedne qe4se : drpn : wos qetne5ineli :
wosi :
1195 2
dm se qol asori : qe6tneyineli : ato qe7t mke :
asoreyi :
amet keyne : 8sr : qet pke : ap[.]
9
keyne : asorey[i :] 10wosi
0064 1
dmkte qo : ‚lbi 3 2dime 24 kelw 3qe nsperlo :
0070 1
dmkte qo : ‚lbi 3 2[di]me 4 kelw qe n3sperlo :
0076 1
arekete : qo2li : nsper : 3dimel : yteke4s : tiselke : 512
0809 1
dmkte qoli : nsper : 2dime 29
1
Il s’agit du passage additionnel en fin de stèle, qu’il convient désormais de distinguer de
l’épitaphe proprement dite (REM 0241A).
214 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
En ce sens, il aurait été possible de classer ce type d’inscription parmi les « légendes
iconographiques » (voir supra, p. 192). On ne possède apparemment pas de textes de ce
genre comportant de véritables formules magiques.
2
Cf. Posener, 1940, p. 35-62 et Posener, 1987, notamment p. 23 ; Vila, 1963, p. 135-160 ;
Koenig, 1990, p. 101-185 ; Wildung et al., 1997, p. 85. Voir également ci-dessus, p. 3-4.
3
Cf. Schiff Giorgini, 1958, p. 82-98 ; Vercoutter–Leclant, 1976, p. 68-70.
4
Les mieux conservés donnent : Awir, Ayk, Bres‚, Indo, Kmti, Ptrme, Toseni, Wke. Une
nouvelle lecture de ce texte par J. Hallof a été récemment publiée (Hallof in Hinkel,
2001, p. 200-201).
LES DOCUMENTS 215
1
Voir Carrier, 2000, p. 5 et p. 27, fig. 18 ; Wildung, 2000, p. 14.
2
Cf. Wenig, 1978, p. 218 (Cat. n° 139), avec une traduction contestable de Priese. La
lecture de cette inscription nous semble sûre et nous ne nous associons donc pas aux
réticences exprimées à ce sujet dans Hofmann et al., 1989b, p. 277-278.
3
On rectifiera en n n les signes k + o ok dessinés par Török : la succession k + o est
théoriquement impossible dans l’écriture méroïtique (cf. Rilly, 1999a, p. 106). La lecture
n a pu récemment être assurée par l’examen d’un moulage de l’inscription appartenant au
fonds Leclant. Il semble que nob-o soit un génitif en -o de l'ethnique (voir ci-dessous p.
527-528).
4
Le terme set ne désigne assurément pas un « Nubien » comme le propose Kendall
(Kendall, 1982, p. 55) : le terme S2,rs« « le pays de l’arc », nom générique de la Nubie en
égyptien, est parfois utilisé par les rois de Koush pour désigner leur propre territoire. Il serait
étrange que le mot soit passé en méroïtique pour nommer un peuple ennemi. Les anciens
locuteurs de l’actuel nubien (les Noba) sont assez sûrement désignés par le terme nob.
5
Cette inscription est lue différemment par Kendall : nobelo edeqe, et traduite « Edeqe, of
the Noba tribe » (Kendall, 1984, p. 56).
6
Leclant–Clerc, 1989, p. 417 et fig. 74. Voir aussi REM : Leclant et al., 2000, p. 1780.
216 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Il ne nous paraît pas impossible que wte, pour lequel on a longtemps suggéré une
traduction « vie » (Meeks, 1973, p. 17) soit en fait un emprunt à l’égyptien wd3.t : « œil
sain d’Horus », et désigne donc une protection magique.
2
Par exemple au début de la stèle de Taneyidamani REM 1044 ou en REM 0405.
3
Par exemple en REM 1195.
4
Selon la loi de Griffith (voir p. 415-420). Pour la présence dans des formes verbales de la
copule -lo(wi), habituellement connue dans des propositions nominales, voir p. 554.
5
C’est le cas de 58 % des langues actuelles (Hagège, 1982, p. 114).
6
On rappelle que dans son étude des verbes de bénédictions, Hintze considère que les
marques personnelles sont systématiquement suffixées (Hintze, 1979, p. 76). Il refuse
d’autre part de voir en y- un véritable préfixe verbal : il s’agit selon lui d’une simple
convention orthographique marquant l’initiale vocalique du radical verbal en l’absence de
préfixe (op. cit., p. 72-73). Voir ci-dessous, p. 562.
218 LA LANGUE DE MÉROÉ
La formule (b) comporte soit un, soit deux noms de divinités, souvent
suivis de qualificatifs ou de locatifs qui les définissent comme autant d’hypo-
stases particulières. Le syntagme n’est pas au vocatif, et ne comporte aucun
déterminant : peut-être constitue-t-il le sujet d’une forme verbale, mais il est
actuellement impossible de préciser laquelle. On pencherait naturellement
pour un des complexes contenus dans la formule (c), dans la mesure où
l’élément -lowi [en formule (a)] est habituellement attesté en fin de
proposition, mais on possède par ailleurs des cas de sujet manifestement
postposés et dénués de déterminant comme ici 1. Nos connaissances sur la
langue méroïtique sont trop partielles pour que nous puissions définir dans
tous les cas la place du sujet et ses éventuelles marques flexionnelles.
La formule (c) comporte un complément d’objet mlowi, connu par
ailleurs à Naga pour désigner un autre don divin, ainsi qu’un complexe
verbal (?) dont l’initiale ainsi que le suffixe varie comme précédemment : on
trouve parfois yni, sans doute à décomposer phonologiquement en /y-an-
ni/ 2 , et ailleurs dneto, à décomposer en /d-an-tu/ 3, suivi alors d’une reprise
de mlowi. Dans les deux cas, la formule (c) se termine par un complexe
obscur bnebeseni. Peut-être s’agit-il d’une forme verbale de 3e personne du
pluriel dont les théonymes constitueraient le sujet, mais on ne peut l’assurer
car les possibilités de segmentation sont multiples et contradictoires. On
notera que la formule (c) est totalement absente en AWK.6-1 (REM 1321), et
qu’en REM 1236 (cuir de Saï) elle s’arrête à dneto.
Ensuite commence dans tous les cas un texte principal non stéréotypé, au
lexique extrêmement varié, qui contient probablement l’objet principal du
discours et devait être adapté à chaque destinataire. On peut l’appeller « la
partie spécifique » de chaque document.
1
Ainsi sur le recto de la petite stèle de Taneyidamani à Méroé (REM 0405A), un syntagme
mk Dqri-te, « le dieu (qui réside) à Daqari », constitue apparemment le sujet non
déterminé d’un verbe qui précède (etoƒto). Voir infra, p. 510.
2
L’hypothèse de Millet faisant de yni un pronom dépendant de la 1re personne du singulier
(reprise par Edwards-Fuller, 2000, p. 89), reposait sur l’identification de ce type de
document comme épistolaire. Avec la nouvelle identification proposée ici, elle tombe
d’elle-même puisque ce sont plusieurs dieux, et non un seul humain, qui sont censés
s’exprimer dans ces textes.
3
Dans le cas de yni comme de dneto, la racine est apparemment -/an/-. Les conventions
orthographiques du syllabaire méroïtique brouillent la relation entre les deux formes : /a/
interne n’est jamais écrit, le signe graphique e transcrit (entre autres) l’absence de voyelle
en syllabe fermée, et les voyelles doubles sont écrites comme simples (haplographie) :
voir ci-dessous, p. 311-312.
LES DOCUMENTS 219
formule (a)
X-i ou substantif + -li / wte-li / pke-li / y-iroÄetowi
Nom ou titre au vocatif / Objet1 / Objet2 / Complexe verbal (?)
formule (b)
nom(s) divin(s) + qualificatif(s)
Sujet (?)
formule (c)
mlowi / y-ni / bnebeseni
Objet / Complexe verbal (?) / Complexe obscur
2e cas : préfixes d- :
(REM 0361, 1174 (?), 1236, 1322, 1323, 1324)
formule (a)
X-i ou substantif + -li / wte-li / pke-li / d-iroƒetowi
Nom ou titre au vocatif / Objet1 / Objet2 / Complexe verbal (?)
formule (b)
nom(s) divin(s) + qualificatif(s)
Sujet (?)
formule (c)
mlowi / d-ne-to / mlowi / bnebeseni
Objet / Complexe verbal (?) / Objet / Complexe obscur
220 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
L’analyse qui suit est le fruit de longues et fréquentes discussions avec Mme Catherine
Berger-El Naggar, directeur d’études au CNRS, que je voudrais ici remercier pour ses
remarques, ses suggestions et ses indications bibliographiques.
2
Pour le cuir de Saï, on se reportera au REM (Leclant et al., 2000, p. 1860) où figurent
deux photographies du document avant et après dépliage. Le titre de prêtre (ant) y
apparaît. Pour Qasr Ibrim, l’existence de telles « adresses », observée apparemment sur
des textes encore inédits, nous a été rapportée par David N. Edwards (communication
personnelle).
3
Voir Edwards-Fuller, 2000, p. 90 et Zauzich, 1999.
4
Amm. XIX, XII, 4. Traduction d’après le texte édité aux Belles-Lettres (1970).
LES DOCUMENTS 221
1
Cf. Schubart, 1931, p. 113 ; Erichsen, 1942, p. 17 ; Kakosy, 1980 in Lexikon, 27, col. 600.
2
Sur cette campagne de fouilles, voir Geus, 1996.
3
Voir par exemple Sauneron, 1970, p. 8-9.
4
Voir ci-dessus note 1, p. 79.
222 LA LANGUE DE MÉROÉ
que leur longueur varie de 11 à 16,5 cm. Les décrets oraculaires amulétiques
égyptiens sont de longueur originelle très variable (de 32,5 à 147 cm), mais
ont une largeur relativement standardisée autour de 6 cm. Dans les deux cas,
la fonction amulétique explique l’étroitesse des documents, qui, une fois
roulés ou repliés, devaient occuper le plus petit volume possible pour rester
portables sans gêne. Les plaquettes de bois de Qasr Ibrim ont approxi-
mativement le même format que les papyri, à l’imitation desquels elles ont
sans doute été conçues. Quant aux ostraca, leur format ne pouvait être
similaire pour d’évidentes raisons techniques, ce qui n’avait guère
d’importance, puisqu’ils étaient manifestement prévus pour servir de protec-
tion domestique dans les maisons où ils ont été retrouvés 1.
On notera ensuite que trois décrets oraculaires amulétiques égyptiens sur
vingt et un 2 comportent au bas du verso une « adresse » indiquant le nom du
destinataire de l’oracle, ainsi que nous l’avions également constaté pour
certains des documents méroïtiques, notamment le cuir de Saï. Comme le fait
observer I. E. S. Edwards, il semble probable que pour d’autres papyri
égyptiens incomplètement conservés, elle ait figuré sur la portion disparue,
mais pas plus en Égypte que plus tard dans le royaume méroïtique, cette
disposition n’est-elle systématique. Une hypothèse plausible serait d’y voir
une information destinée à la personne chargée de recueillir le message divin,
puis de le ramener à son destinataire final : il n’est pas impossible qu’elle ait
pu effectuer cette commission pour plusieurs personnes, notamment si,
comme dans le cas des cuirs de Saï, elle venait de loin. Les « adresses »
auraient dans ce cas servi à identifier les destinataires parmi plusieurs
documents, sans qu’il fût besoin de les déplier. Si le destinataire ou un
membre de sa famille s’était rendu en personne auprès de l’oracle, ou si le
mandataire n’était chargé de le consulter qu’à l’intention d’un seul
bénéficiaire, l’« adresse » était alors inutile.
Le texte des décrets oraculaires amulétiques égyptiens présente également
plusieurs points communs avec celui, tout obscur qu’il nous soit, des
documents méroïtiques. Tous deux suivent le même schéma général : une
courte introduction comprenant les noms et les épithètes des divinités
tutélaires ainsi que le nom du bénéficiaire, puis une longue série de
promesses. En Égypte comme en Nubie, les divinités protectrices sont
souvent multiples, généralement au nombre de trois dans les textes égyptiens,
de deux dans les textes méroïtiques. Il peut arriver qu’une seule divinité soit
nommée sous forme de plusieurs hypostases différentes, comme c’est le cas
pour Khonsou sur les deux papyri hiératiques BM. 10083 et Turin 1985, et
pour la déesse Isis sur l’ostracon méroïtique REM 1096. Dans les documents
1
Il est possible que les plaquettes de bois aient eu le même usage.
2
Edwards, 1960, p. XI-XII : il s’agit des pap. Louvre E.3234, NY Metropolitan 10.53,
Berlin 10462.
224 LA LANGUE DE MÉROÉ
hiératiques comme dans les textes méroïtiques, les divinités apparaissent, non
au vocatif, mais en position de sujet syntaxique. Enfin, à la très grande
diversité des situations évoquées dans les « promesses » des papyri
égyptiens, correspond la très grande variété observée dans le vocabulaire de
la « partie spécifique » des textes méroïtiques.
Des divergences existent, ce qui n’est pas surprenant en raison de la
distance chronologique, géographique et culturelle entre la Thébaïde de la
IIIe période intermédiaire et la Nubie méroïtique. On pourra même s’étonner
qu’elles ne soient pas plus nombreuses. La longueur du texte hiératique
dépasse de loin les équivalents méroïtiques qui sont de trois à dix fois plus
courts. Le support des décrets égyptiens semble exclusivement le papyrus, et
l’on ne connaît pas de copies sur cuir ou sur ostracon. On remarquera
cependant qu’il existe des décrets divins égyptiens, bien que de nature
légèrement différente, sur plaquette de bois, témoin l’un des deux décrets de
déification de la princesse Nes-khons (Le Caire 46891), vers 995 avant notre
ère 1. On notera aussi que les décrets oraculaires amulétiques égyptiens
semblent principalement destinés à de jeunes enfants 2, alors que leurs
équivalents méroïtiques nomment expressément des dignitaires de haut rang,
comme un vice-roi (peseto) et un grand-prêtre (? beliloke), qu’on imagine
mal posséder de telles fonctions à un âge précoce 3. Les dieux protecteurs, à
part Amon, sont également différents : Isis est bien représentée dans les
textes méroïtiques (REM 1096, 1324), alors qu’elle figure paradoxalement
sur les papyri hiératiques comme une divinité dont les maléfices pourraient
nuire aux humains (Pap. B.M. 10251/49 4). Khonsou, omniprésent dans les
textes égyptiens, n’apparaît pas dans les documents méroïtiques, ni sous son
nom égyptien probablement transcrit ¬s 5, ni même sous son nom méroïtique
Aqedise 6. Dans les textes méroïtiques sont également attestés des dieux
indigènes comme Apedemak ou Mash, évidemment absents des textes
égyptiens. Remarquons enfin qu’aucun des décrets oraculaires amulétiques
hiératiques, contrairement aux documents méroïtiques, ne s’adresse
directement au bénéficiaire par l’intermédiaire d’un vocatif, mais que c’est la
1
Cf. Gunn, 1955 , avec un « Appendix » d’I. E. S. Edwards.
2
Edwards, 1960, p. XVI.
3
Voir cependant Hofmann, 1991, p. 206 pour une éventuelle fonction de beliloke connue
pour un enfant.
4
Edwards, 1960, p. 21. Notons cependant que dans le même papyrus, le dieu tutélaire
Khonsou-de-Thèbes-Neferhotep est censé protéger la bénéficiaire de l’influence néfaste
de Khonsou !
5
Hapax en REM 0269/8. Probablement vocalisé /‚ansa/, et donc emprunté à l’égyptien
avant 1300 av. J.-C.
6
Le nom Aqedise est attesté en REM 0009 (en légende de sa représentation à Naga), 0023,
0036, 0038, 0128B, 0230, 1041, 1044.
LES DOCUMENTS 225
troisième personne qui y est employée, sans doute en raison du jeune âge des
protégés, ainsi que le suppose I. E. S. Edwards.
La principale difficulté tient en fait à l’éloignement chronologique des
deux types de documents, égyptien et méroïtique, et à l’absence de relais
connus. Les décrets oraculaires amulétiques hiératiques publiés par
I. E. S. Edwards ont été assez sûrement datés des XXIe-XXIIe dynasties (vers
1000-800 av. J.-C.), notamment parce qu’y apparaît le nom d’un pharaon
Osorkon 1. La datation des textes parallèles méroïtiques peut se faire sur des
bases paléographiques. Nous avons précédemment relevé une remarquable
uniformité dans l’écriture, sans doute due à la diffusion de ces textes à partir
d’un centre unique, en l’occurrence l’oracle de Qasr Ibrim. Une comparaison
paléographique avec la stèle REM 1333 du vice-roi Abratoye est instructive
(voir Rilly, 2000c, p. 117-118, tableaux 1 et 2). Or on possède pour ce
personnage deux dates précises, 253 et 260 apr. J.-C. La proximité des ductus
de cette stèle avec ceux des textes oraculaires indique qu’ils sont approxi-
mativement contemporains. L’épitaphe de Makheye retrouvée à Faras (REM
0544), où sont cités trois vice-rois après Abratoye, montre une ressemblance
paléographique plus étroite encore avec nos textes. Ils peuvent donc être
replacés avec une certaine assurance autour de la fin du IIIe siècle apr. J.-C.
Une distance de plus d’un millénaire sépare donc les décrets oraculaires
amulétiques égyptiens de leur lointaine descendance méroïtique. Or on ne
connaît pas de source égyptienne qui atteste une continuité de ce genre de
texte après la période libyenne. Aucun document démotique de ce type n’est
actuellement publié ou connu 2. Il paraît donc assez vraisemblable que cette
tradition se soit plutôt conservée dans le royaume napatéen, puis méroïtique
et qu’elle ait été ensuite introduite en Basse-Nubie depuis le sud, et non
depuis la Thébaïde. Quelques faibles indices sont constitués par la
découverte d’étuis tubulaires proches de ceux qui étaient utilisés pour les
décrets oraculaires amulétiques. Neuf pyramides royales de Nuri ont fourni
de tels cylindres en métal précieux 3, aux noms des rois napatéens Aspelta,
Amanistiarbarqa, Amani-nataki-lebte (VIIe-Ve siècle av. J.-C.). En raison de
leur structure particulière, ouverte vers le haut, on ne pouvait y conserver en
sécurité des amulettes, mais un système de double manchon emboîté à
l’intérieur devait permettre d’y glisser, puis d’y bloquer une feuille de
papyrus de faibles dimensions, qui n’a malheureusement jamais été retrouvée
en place : on peut supposer qu’après la mort de leur porteur, les décrets,
devenus inutiles et peut-être néfastes puisqu’ils concernaient la vie terrestre,
1
Edwards, 1960, p. XIII-XV ; Luft, 1978, p. 26. Ce dernier auteur penche plutôt pour la
XXIe dynastie.
2
Communication personnelle de M. Chauveau, directeur d’études en démotique à l’École
pratique des hautes études de Paris.
3
Leur hauteur varie de 7,5 à 12,4 cm, et leur diamètre de 2,9 à 3,2 cm. Voir Leclant, 1980,
p. 106-107 (avec une abondante bibliographie) ; Priese, 1997a, p. 226-230.
226 LA LANGUE DE MÉROÉ
étaient retirés de leur étuis. Les décors très délicats gravés sur le métal
représentent des divinités souvent citées dans les papyri publiés par I. E. S.
Edwards : Mout, Amon, Montou, ainsi que Hathor, qui, elle, apparaît dans le
papyrus de Qasr Ibrim REM 1323. D’autres porte-amulettes tubulaires en or
ont été retrouvé à Méroé, mais il s’agit de cylindres fermés qui se
rapprochent plutôt d’un type bien connu autour de la Méditerranée. Ils n’ont
sans doute pas contenu de papyrus amulétique 1.
La façon dont se sont perpétués durant plus de mille ans les décrets
oraculaires amulétiques reste donc encore à découvrir, mais il ne faut pas
douter que les sites du Soudan, encore si partiellement fouillés, nous le
révèlent un jour, car la filiation entre les papyri de I. E. S. Edwards et ceux
de Qasr Ibrim semble difficilement réfutable. Il serait également du plus
grand intérêt de savoir si, parmi les nombreux documents démotiques
retrouvés à Qasr Ibrim et actuellement inédits, il ne s’en trouve pas qui soient
parallèles aux décrets oraculaires amulétiques rédigés en méroïtique, ce qui
permettrait de notables avancées vers la compréhension de cette langue.
1
Cf. Leclant, 1980, p. 106 et note 27.
LES DOCUMENTS 227
1
Seuls REM 0556 et 1297 sont gravés.
2
Dans le relevé suivant, nous nous sommes limité aux ostraca porteurs de chiffres et à
ceux qui s’y apparentaient par leur formulation, mais où les chiffres devaient figurer sur
des portions manquantes aujourd’hui. On n’y a évidemment pas inclus les décrets
oraculaires amulétiques sur ostracon, comme REM 0361 de Karanóg, ou REM 1096,
d’Arminna (voir supra, p. 219). On observera que très peu de ces ostraca numériques ont
été découverts isolés (REM 1018 au Wadi el-Arab, REM 1235 à Kedurma), ce qui
confirme leur appartenance à de véritables archives sans doutes commerciales ou
administratives.
228 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir infra, p. 358.
2
Aucune localisation de ces centres urbains ne peut actuellement être donnée avec certitude.
3
Nous avons quelques réticences sur cette identification : la métathèse (arbte = /arabat(e)/) est
difficilement explicable, et surtout on attendrait un signe, éventuellement emprunté au
démotique, plutôt qu’un mot en toutes lettres. Le terme appartient cependant bien au
domaine économique : le titre composé arebetke est en rapport avec la perception d’impôts
dans la Dodécaschène (cf. Griffith, 1911a, p. 82, note 2).
4
L’ensemble qoli kene (REM 0556-0561, 1298, 1299) pourrait signifier « et ceci aussi » ou
quelque chose d’approchant, ce qui conviendrait particulièrement à des listes de produits.
5
Griffith, 1925a, p. 222 .
LES DOCUMENTS 229
REM 0562 :
texte principal : qoli v 15 7/12 ‚ 4/12 (+) ½
mention ajoutée : ariketo 2
REM 0563 :
texte principal : qoli v 5 5/12 ‚ 6/12
mention ajoutée : ariketo
Natakamani N, k,
(a) Natakamani
inmktn
t, m
Amanitêre m, n,
(b) Amanitore
eroinm
u, r
amoun,
(c) Amani Amon nm, nma -αµéνης
a,m , n
ousire,
(e) Ašêri Osiris irosa
*ousiri
s, r
a, r
(f) Ar Horus ra Ãq xwr, xar-
eqelip
Pileqe,
p ,i ,
(g) Pilaqe, Pilaqê eqlip dém. P-3ylq pilak
Philae l ,q
oqelip
Atiye y,a, t
(h) Sedeinga
eyita Ã-s S«x = /∆a-teye/ (?)
tewisti toua0te T, w,
(i) itSiwT dém. t-wšte *toue0ti
adoration S, t
p, e, l,
(j) pelamêš somlep dém. o,lq,lëƒ plemhh0e
stratège *plemh0 m, o, s
perite p, e,
(k) Tirep dém. p-rt p-rht
agent r, T
qêreñ q, r,
(l) Neroq transcr. dém. qrnj
un titre N
Paƒaras paywras, p , H,
(m) SrHp
Παχωρας
Faras r, S
équivalents équivalents
graphie inscription
équation mot méroïtique égyptiens et coptes ou
méroïtique REM
démotiques grecs
1
En dépit des progrès dans la compréhension du système graphique et phonologique du
méroïtique, la filiation avec les étymons égyptiens n’est pas entièrement éclaircie.
2
Ici aussi les translittérations du méroïtique, du démotique et de l’égyptien sont celles de
Griffith. Nous avons en revanche substitué la numérotation du REM aux références de
Griffith (Inscr. 1= REM 0001, etc.) et procédé à quelques ajouts entre crochets.
234 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Griffith, 1911a, p. 13.
2
Le terme était faux, puisqu’il s’agit d’un syllabaire (voir infra, p. 277). L’ordre des signes
adopté par Griffith, et par tous les méroïtisants après lui, est celui des égyptologues, avec
quelques adaptations pour les signes vocaliques.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 235
a a a
e e e
o o ê
i i i
y y y
w w w
b b b
p p p
m m m
n n n
N N ñ
r r r
l l l
h h ~
H H Ä
s s s
S S š
k k k
q q q
t t t
T T te
u u tê
d d z
236 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Même un spécialiste aussi aguerri que Török écrit ainsi *yeë pour yes (= yese dans le
système de Hintze) dans sa translittération du proscynème REM 1046A de Medik
(Török, 1984a, p. 177, VIII.9). Ce n’est malheureusement qu’un exemple parmi des
dizaines d’autres chez des auteurs variés.
2
Nous y avons adopté l’ordre alphabétique latin. Il n’y a pas de raison de continuer à
employer l’ordre phonologique spécifique utilisé pour l’égyptien ancien, particulièrement
incommode pour une écriture vocalisée.
3
Voir ci-dessus, p. 235.
4
Pour l’appareil théorique soutenant cette translittération, voir infra, p. 368.
5
Une coquille a d’ailleurs deux fois transformé le petit r initial en apostrophe (Griffith,
1930, p. 375 in fine).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 237
1
Dans Zyhlarz, 1960, il emploie cependant Ä pour son ancienne translittération par χ des
signes H, H. Zyhlarz, 1956 fait usage de notations phonétiques vocalisées, qui ne sont
donc pas à proprement parler des translittérations, mais des reconstitutions plus ou moins
arbitraires.
2
Voir infra, p. 460.
3
Macadam, 1949, Macadam, 1950, Macadam, 1966. Sur le choix de son système de
translittération, et la critique de ceux de Zyhlarz et Monneret de Villard, voir Macadam,
1966, p. 58, note 42.
4
Voir p. 286-292.
5
Monneret de Villard, 1937. On retrouve le même système de translittération dans ses
articles ultérieurs : Monneret de Villard, 1959 et 1960.
238 LA LANGUE DE MÉROÉ
translittération que d’un outil à visée purement pratique : dans leurs articles
théoriques, les spécialistes français continuaient en général à user de la
transcription classique initiée par Griffith. Néanmoins, quelques travaux
utilisèrent fâcheusement cette translittération 1, ce qui conduisit certains
linguistes ou égyptologues, non avertis de son aspect conventionnel, à des
confusions regrettables 2.
1
Particulièrement Meeks, 1973.
2
Voir notamment Bender, 1981a et le petit lexique compilé par Fantusati dans Bongrani-
Fanfoni, 1996.
3
Cette étude a été publiée deux fois : Hintze, 1973c (Meroitica 1) et Hintze, 1974b (Actes
de la conférence de Khartoum). Pour les principes de la nouvelle translittération, voir
Hintze, 1973c, p. 321-322, 327-329.
4
Deux de ces modifications avaient déjà été proposées par Vycichl : o et to (Vycichl,
1958, p. 74-75).
5
S’ajoutaient à ce phénomène d’« inertie » quelques réticences sur l’interprétation sylla-
bique du système graphique méroïtique qu’avait exposée Hintze : voir infra, p. 281.
6
Voir aussi Hofmann et al., 1989a, p. 144 ; Hofmann, 1989-1990, p. 225-226.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 239
1
Hintze, 1989, p. 98-99 ; voir infra, p. 393-394.
2
Cf. Hintze, 1999, p. 232, note 8.
3
Millet, 1998. La communication référencée « Millet, 1999 » utilise le second système du
REM, mais il s’agit des actes d’une conférence tenue en 1992. C’est sa nouvelle
translittération qu’emploie Millet dans la publication des textes du Gebel Adda actuel-
lement en préparation.
240 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 357-361, Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III)
p. 762-763. Török explique la conservation du ñ par congruence avec les noms propres
utilisés par les historiens, qui continuent généralement à utiliser cette lettre (par ex.
Tañyidamani).
2
Voir critique de cette translittération vocalisée dans Rilly, 2000b, p. 103, note 3.
Tableau 9 : Correspondance entre les systèmes de translittération du méroïtique
signes signes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
hiéroglyphiques cursifs Griffith Zyhlarz Macadam Monneret REM 1 Hintze 73 REM 2 Hintze 89 Millet 96 FHN
o
a a a ƒ a A a a a a a
b b b b b B B b b b b b
d d z ¥ d Í D d d d d d
e e e ƒ e ƒ E e e e e e
h h ~ ‚ ‚ ° G ‚ hí g x ‚
H H Ä χ Ä X X Ä Ä h h Ä
i i i « i Õ I i i i i i
k k k k k K K k k k k k
l l l l l L L l l l l l
m m m m m M M m m m m m
n n n n n N N n n n n n
N N ñ ½ ñ ú J ne ne ne ne ñ
o o ê 3 ‘ 3 O o o o o o
p p p p p P P p p p p p
q q q q q Q Q q q q q q
r r r r r R R r r r r r
s s š š š Š Z s s s s s
S S s s s S S se se se se se
t t t t t T T t t t t t
T T te tƒ te Ì V te te te te te
u u tê t3 t‘ T U to to to to to
w w w w w W W w w w w w
y y y y y Y Y y y y y y
: : : espace : : ,, ou ,, : ,, ou ,, : espace ,,,ou,,
242 LA LANGUE DE MÉROÉ
État de la question
Il ne doutait pas alors que les fouilles en cours mettraient au jour des
témoignages de cet ancêtre supposé de l’écriture méroïtique :
« Before it began to be used for inscriptions on stone, the cursive alphabet may
have had a long history as a writing on papyrus or on skins, and we may hope for
the discovery of such documents in the excavations now being carried to Nubia.
As yet the only ink writings found in it are on pottery ; they are brief and frag-
mentary, and apparently of the same age as the stone inscriptions. » (ibid., p. 51)
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 243
1
Ce type d’écriture, particulier à la région thébaine et attesté par quelques dizaines de
documents, essentiellement des contrats, s’est en effet éteint sous le règne du pharaon
Amasis (vers 550 av. J.-C.).
2
Mêmes observations dans l’étude des textes de Méroé REM 0434, 0435, 0436, 0431,
rédigés dans une cursive archaïque « in some signs closely following portions of the
outlines in the corresponding hieroglyphs » (Griffith, 1911b, p. 58).
244 LA LANGUE DE MÉROÉ
Il se fait encore plus précis encore dans ses Meroitic Inscriptions II, où il
cite Diodore de Sicile :
« “He took a decision worthy of the kingdom, and entered the holy place when
the golden shrine of the Ethiopians was there, and slew the priests.” This, as
Lepsius insisted1, must have been a turning-point in the history of the Meroite
kings, and would probably have had the effect of diffusing culture and a
knowledge of letters among the people ; and it was probably then that the
Meroitic alphabet was invented (...). » (Griffith, 1912, p. 24)
« Whatever be the true explanation it is clear that in these two graffiti we have
examples of the earliest cursive Meroitic writing yet found, scarcely weaned from
its parent demotic. » (Macadam, 1949, p. 110)
1
Il s’agit d’un passage de la Nubische Grammatik, p. CXXIV, où figurait déjà en effet
cette hypothèse .
2
Cette idée figure par exemple le chapitre consacré à l’écriture méroïtique dans Février, 1959,
p. 135-136.
3
Voir Macadam, 1949, p. 105-106, 109-110.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 245
1
Les fréquentes mentions de l’hiératique anormal, notamment dans la comparaison signe à
signe et le tableau final, ont pu faire croire que Priese y voyait l’origine de la cursive
méroïtique : c’est cette opinion que rapporte à tort Török, avec référence à la
communication de Priese, dans les Fontes Historiae Nubiorum (Eide–Hägg et al., 1996,
p. 359 ; Eide–Hägg et al., 1998, p. 762). Le seul signe rapproché explicitement de
l’hiératique anormal par Priese est la cursive n n.
2
Nous rappelons que le terme « napatéen » est ici utilisé pour qualifier ce système de
transcription des noms méroïtiques en écriture égyptienne et non avec le sens large
(ancien méroïtique ou encore « dialecte » égyptien de Koush) qu’on lui donne parfois.
Voir p. 19 et 26.
3
L’utilisation de l’écriture syllabique dans la transcription des noms dynastiques du royaume
de Napata, d'ailleurs assez fluctuante, a été étudiée ci-dessus p. 22-24.
246 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Ainsi Leclant, 1974b, p. 112, et même Priese, 1997b, p. 253. Hofmann, 1981a, qui
consacre pourtant douze page à l’écriture méroïtique, résume en cinq lignes la théorie de
Priese (p. 2).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 247
b translittéré b
Voir Priese, 1973b, p. 286 et tab. Ia.
Griffith ne donne pas de généalogie pour ce signe. Priese le fait très juste-
ment remonter au démotique , correspondant à l’hiéroglyphe égyptien b,
d’ailleurs utilisé avec cette valeur dans un texte méroïtique en hiéroglyphes
archaïques au lieu du b habituel (REM 0401, cartouche n° 1). Le caractère
démotique n’a pas subi de changement notoire depuis l’époque saïte jusqu’au
ptolémaïque (El-Aguizy, 1998, p. 250-251).
1
Suivant la tradition, les hiéroglyphes égyptiens sont ici écrits de gauche à droite s’il s’agit
de napatéen, mais de droite à gauche s’il s’agit d’étymons des signes démotiques, afin de
respecter le sens de cette dernière écriture.
2
Il est en cela suivi par Hintze, 1959a Abb. 34 (Mer. 5) et Priese, 1973b, p. 284, 285 (1C)
et tab. Ia.
248 LA LANGUE DE MÉROÉ
d translittéré d
Voir Griffith, 1909a, p. 50 ; Priese, 1973b, p. 294-296 et tab. Id.
1
Dans le passage de Griffith, 1929 cité ci-dessus, il n’aborde pas la généalogie du signe
cursif, contrairement à ce qu’indique Priese, 1973b, p. 294.
2
Il indique certes p. 277 que cette origine est « paläographisch unsicher ». Mais elle n’en
figure pas moins dans son tableau final.
3
Voir supra, p. 21-22, les quelques lexèmes méroïtiques repérables en napatéen : aucun ne
comporte malheureusement de /d/ méroïtique. Plus tard, ce phonème sera transcrit par un
simple r en égyptien.
4
Voir infra, p. 264.
5
REM 0401 (cartouche 9).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 249
e translittéré e
Voir Griffith, 1911a, p. 12 ; Priese, 1973b, p. 298 et tab. Id.
Cette théorie est reprise, avec quelques précautions 2, par Priese, qui y
adjoint une comparaison avec le démotique ancien . Nous sommes cepen-
dant assez réservé sur l’interprétation de Macadam : le signe étrange suit en
effet un caractère se assez clair, et la succession se + e est théoriquement
impossible en méroïtique, ou du moins, pour citer Griffith, « très rare et
suspecte » 3. Pareillement, l’évolution graduelle que suppose Priese à partir
du démotique ancien > > ne correspond guère au ductus du signe.
Peut-être cette lettre est-elle aussi, comme le pensait Griffith, une
stylisation de la plume e, son équivalent hiéroglyphique. Mais l’influence
inverse, de la cursive sur l’hiéroglyphe, est tout aussi plausible, comme nous
le verrons dans l’examen de ce signe. L’origine du caractère méroïtique e
reste donc incertaine.
1
La graphie est ici empruntée à Erichsen, 1954, p. 604.
2
Il indique que cette généalogie reste « paläographish unsicher » (Priese, 1973b, p. 277).
3
Griffith, 1917b, p. 168 et note 3. Voir infra, p. 313-314. De plus, si l’hypothèse de
Macadam, selon laquelle le graffito méroïtique REM 0662 transcrit le nom égyptien
gravé en dessous (Õlm,rmq), est juste, on attendrait un n ou un ne, et non un e. L’ins-
cription n’est connue qu’en fac-similé, ce qui interdit actuellement toute vérification.
250 LA LANGUE DE MÉROÉ
h translittéré ~
Voir Priese, 1973b, p. 289 et tab. Ib
H translittéré Ä
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Macadam, 1966, p. 49 ; Priese, 1973b, p. 279,
289-291 et tab. Ib
1
Erichsen, 1940 donne de ce signe une transcription ( ), Johnson, 1986 donne
simplement tandis que El-Aguizy, 1998 distingue issu de et issu de
(p. 272-273).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 251
certains textes probablement aussi anciens que REM 0405A, ne présente pas
le trait médian : on a ainsi en REM 0638 ou 0650. L’hypothèse de
Macadam ne peut donc être totalement récusée.
i translittéré i
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 297 et tab. Id
Griffith note que le signe cursif est sans rapport avec les équivalents
hiératiques ou démotiques du signe égyptien , qui est en revanche à l’ori-
gine de l’hiéroglyphe méroïtique i correspondant à la cursive i. Cette
observation, nous le verrons, peut être contredite à la lumière des textes
démotiques publiés depuis l’époque de Griffith. Priese propose un
développement séparé de deux signes j + w, avec une ligature tardive (voir
ci-dessus une hypothèse semblable pour d). Selon lui, le signe démotique
ancien (hiér. ég. ) se serait lié au caractère suivant (hiér. ég. ) pour
former un signe composite i, parfois écrit . La paléographie démotique
offre des formes anciennes (d2), (d3), (d5), ptolémaïque ancien
et pour le groupe jw (El-Aguizy, 1998, p. 242-243, g1-g2), dont le ductus
semble assez proche du caractère cursif.
On ne saurait cependant exclure comme le faisait Griffith, une forme
démotique du signe hiéroglyphique attesté en napatéen, et pour lequel la
paléographie récemment publiée indique des graphies ptolémaïques de
Haute-Égypte et (El-Aguizy, p. 289, g1 et g2), que Griffith,
apparemment, ne connaissait pas. En démotique, le signe sert notamment
comme interjection, de lecture «+ ce qui convient parfaitement à la valeur du
signe méroïtique.
k translittéré k
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Priese, 1973b, p. 291-292 et tab. Ic
l translittéré l
Voir Priese, 1973b, p. 278, 289 et tab. Ib
Griffith ne propose aucune explication pour ce signe. La stylisation
démotique du lion, l’hiéroglyphe méroïtique de même valeur, présente une
forme ou qui ne correspond pas à la cursive méroïtique. La
suggestion de Priese, selon laquelle elle provient du démotique ancien
(hiér. ég. ) est à première vue très intéressante, dans la mesure où l’on sait
que le groupe mr était souvent en égyptien une graphie de /l/. Ainsi lq,lëƒ,
« chef d’armée » est transcrit en grec λεµεισα, et lq,ëm, « administrateur de
temple » devient λεσωνις. Cependant M. Chauveau attire notre attention sur
le fait que l’usage alphabétique de mr pour /l/ est très tardif, n’étant connu
qu’à partir de la fin de l’époque ptolémaïque 2, près d’un siècle après les plus
anciennes attestations de l’écriture méroïtique. Les graphies napatéennes de
l’adjectif mlo « bon » 3 utilisent toutes les hiéroglyphes ou pour rendre
le méroïtique /l/, ce qui prouve que cette transcription ne semblait pas poser
de problème. L’origine du signe cursif l reste donc également à préciser.
m translittéré m
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 11, 14 ; Priese, 1973b, p. 287
et tab. Ia
Il en va tout autrement du caractère cursif pour m, dont la filiation
évidente avec le démotique (hiér. ég. ) de même valeur a été
1
Nous suivons ici l’excellente suggestion du p rofesseur M. Chauveau.
2
Voir également Clarysse-Van der Veken, 1983, p. 142 : le lambda dans les noms grecs
d’époque ptolémaïque est systématiquement transcrit ou . Priese modère cependant
sa suggestion en précisant que le signe démotique mr n’est pas attesté en napatéen, et n’a
habituellement pas de valeur phonétique (Priese, 1973b, p. 278).
3
Voir supra, p. 23-24.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 253
immédiatement notée par Griffith, tant dans Areika (Griffith, 1909) que dans
Karanóg (Griffith, 1911a). Elle est bien sûr confirmée par Priese.
n translittéré n
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 287 et tab. Ib
N translittéré ne
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 278, 288 et tab. Ib
Ici aussi, Griffith relève que le signe cursif ne peut remonter à une
version hiératique ou démotique du groupe hiéroglyphique égyptien , à
l’origine de l’hiéroglyphe méroïtique N pour ne : la forme hiératique ne
ressemble pas, et la forme démotique n’existe pas 2. Priese pense au
démotique issu de (voir ci-dessus). Or l’apparition d’une boucle
dans ce signe est accidentelle (cf. El-Aguizy, 1998, p. 260-261). Les
exemples donnés par Priese comportent des boucles qui sont apparemment
dues au simple contact des tracés : ainsi le démotique wjn « lumière », s’écrit
généralement . Il est vrai que Priese prend soin de préciser l’aspect
1
Il semble que la graphie donnée par Priese soit exceptionnelle, et due à une ligature. On a
généralement en hiératique n3n (cf. Möller, 1909 II p. 64).
2
Voir cependant Joachim F. Quack, « Weitere Korrekturvorschläge », dans Enchoria t. 25,
p. 45, pour une possible occurrence d’un équivalent démotique de dans Setne II
[n(w)n.t « racine» ]. La forme est cependant très différente de N.
254 LA LANGUE DE MÉROÉ
otranslittéré o
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 297-298 et tab. Id
p translittéré p
Voir Priese, 1973b, p. 286-287 et tab. Ia
q translittéré q
Voir Priese, 1973b, p. 292-293 et tab. Ic
1
Voir infra, p. 377-379. Une évolution parallèle, mais quelque peu différente, a abouti en
démotique à une valeur q pour ce groupe (voir Günther Vittmann, « Zum Gebrauch des
ka-Zeichen im Demotischen », dans Studi di Egittologia e di Antichità Puniche [Pise],
t. 15 [1996], p. 1-12).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 255
r translittéré r
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 277, 288-289 et tab. Ib
s translittéré s
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 291 et tab.
Ic
S translittéré se
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 291 et tab. Ic
1
Priese la qualifie d’ailleurs de « paläographisch unsicher » (ibid. p. 277).
2
Priese analyse également l’origine du signe « en drapeau » qui apparaît cinq fois sur la
stèle du roi Taneyidamani (REM 1044), ainsi que sur une table d’offrande de Méroé et
qui selon lui figure aussi un s. Il lui rattache le signe de forme carrée sur quelques
autres tables d’offrandes de Méroé, qui pourrait en fait représenter s ou si. Pour ces
signes exceptionnels, voir infra, p. 352-354.
3
Voir infra, p. 382-383.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 257
t translittéré t
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 293 et tab. Ic
T translittéré te
Voir Priese, 1973b, p. 293 et tab. Ic
1
Voir supra, p. 236-237 et Tableau 9, p. 241.
2
On se référera aussi aux différentes versions du nom de Koush en égyptien, p. 4-5 .
258 LA LANGUE DE MÉROÉ
u translittéré to
Voir Priese, 1973b, p. 293 et tab. Id
w translittéré w
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 286 et tab. Ia
1
Le to enroulé apparaît cependant de temps en temps à époque tardive, notamment à
Sedeinga, sous une forme modifiée : voir ci-dessous la paléographie du signe to, p. 331.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 259
y translittéré y
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 286 et
tab.Ia
: translittéré « : » (séparateur)
Voir Griffith, 1909, p. 51 ; Priese, 1973b, p. 282-283
1
Pour l’usage de ce signe, qui parfois sépare des morphèmes, voir p. 495-496.
260 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Ainsi en REM 1222 (bol inscrit tardif d’El-Hobagi). Voir cependant p. 339 pour deux
exceptions.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 261
1
C’est également le cas de la majorité des chiffres (6, 8, 9, 30, 50, 70, 80, 100, 200, 300,
800) : voir Tableau 18, p. 357. Le cas du chiffre 20, proche de l’hiératique anormal, et
sur lequel s’est focalisée l’attention de Griffith et de Priese (Griffith, 1916a, p. 24 ;
Priese, 1973b, p. 274), semble totalement isolé.
2
Cf. Hintze, 1959a, p. 36 ; Török in Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 360 (avec une
erreur : il ne s’agit pas du roi Tarekeniwal, connu au IIe siècle de notre ère).
3
Hintze, 1959a, p. 33 ; Shinnie, 1996, p. 104 ; Török, 1997b, p. 204-205 ; Wenig, 1999,
p. 181.
4
Voir Tableau 12, p. 346.
262 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Nous suivons ici une communication personnelle de M. Chauveau sur les inscriptions
méroïtiques de Shokan (inédites) et de Méroé (accompagnant les dipinti méroïtiques sur
jarre REM 0804B, C, D). L’inscription démotique la plus méridionale est un proscynème
gravé sur le mur sud du temple d’Apedemak à Naga et a été étudiée par Griffith (Griffith,
1911c, p. 61) et H.-J. Thissen (in Zibelius, 1983, p. 38-39) ; elle est contemporaine de
l’ægypte romaine. On citera évidemment les proscynèmes des temples de la Dodécaschène
(Maharraqa, Dakka, Dendour, Philae), dont 36 ont été gravés par (ou pour) des Méroïtes
(Griffith, 1937 ; Burkhardt, 1985). Parmi ces inscriptions, cinq remontent au tournant de
l’ère chrétienne (Eide–Hägg et al., 1996 [FHN II] p. 728-736). Plusieurs graffiti
démotiques ont aussi été retrouvés à Musawwarat (cf. Wolf, 1999a, p. 44). Une
inscription portant un nom égyptien suivi d’une épitaphe méroïtique provient de Karanóg
(cf. Griffith, 1911a, p. 72). D’autres ont été, comme à Méroé, tracées sur des amphores
où elles voisinent avec des inscriptions méroïtiques (REM 0090, 1188 : cf. Leclant et al.,
2000 [REM], p. 196-197 et Säve-Söderbergh, 1982, p. 51). Enfin, de nombreux textes
démotiques inédits ont été exhumés à Qasr Ibrim, siège d’un oracle d’Amanap, mais certains
sont clairement l’œuvre de pèlerins égyptiens (cf. Zauzich, 1999).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 263
1
Nous remercions Mme Dominique Valbelle qui nous en a aimablement communiqué un
fac-similé.
2
Cf. Priese, 1973b, p. 279 : c’est en fait un des rares arguments forts de Priese en faveur
d’une filiation avec le démotique ancien (voir aussi l’origine de la cursive k k).
264 LA LANGUE DE MÉROÉ
b translittéré b
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 286.
1
Il s’agit du « prothétique qui apparaît sporadiquement au début de certaines formes
verbales et qui transcrit probablement une voyelle de soutien devant double consonne
initiale (Gardiner, 1957, p. 209 : Lefebvre, 1955, p. 120-121). La graphie est plutôt
en égyptien, mais on trouve fréquemment en napatéen.
2
Cf. Dunham-Macadam, 1949 pl. XV (1) à (5). Dans son étude des stèles napatéennes,
Peust signale : « Dieser Gruppenschriftgraphem kommt nur am Wortanfang und
signalisiert vokalischen Anlaut » (Peust, 1999, p. 104). Cette remarque s’accorde bien avec
le rôle de a , a en méroïtique.
3
Voir Albright, 1934, p. 33-34 (valeur confirmée par la suite). Il est cependant possible
que le nom des Achéens ait transité par une langue sémitique, auquel cas il aura
probablement été affecté d’un aleph initial.
4
Dans certains mots (par ex. yereƒlo), on a hésitation entre a- et yi- ou ye-, ce qui semble
prouver que /e/, /Œ/ et /i/ pouvaient aussi être écrits a-. Voir ci-dessous, p. 291, Tableau 10.
5
Cf. Dunham-Macadam, 1949 pl. XV (6), (7), (9), (23), etc.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 265
d translittéré d
Voir Griffith, 1916b, p. 117 ; Priese, 1973b, p. 280, 294.
e translittéré e
Voir Griffith, 1909, p. 52 ; Griffith, 1911a, p. 12 ; Priese, 1973b, p. 280, 298.
1
Voir Albright, 1934, p. 39-40, mais /ba/ doit être possible, du moins en napatéen, où /bi/
semble de préférence transcrit .
2
Dans le nom de la reine Madiqene, le d transcrit un /t/ méroïtique : voir supra, p. 21.
266 LA LANGUE DE MÉROÉ
deliberately substituted the latter for aesthetic reasons ; in late Egyptian stelae,
&c., often looks like an attenuated . » (Griffith, 1911a, p. 52)
h translittéré ‚
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 289
1
On pourra comparer par exemple les inscriptions égyptiennes du temple de Musawwarat
(vers 220 av. J.-C.) in Hintze, 1962a, ou sur le reposoir de barque de Natakamani et
Amanitore (accompagnant l’inscription méroïtique REM 0041, vers 50 après J.-C.) : voir
Griffith, 1911c, p. 67-68 et une bonne photographie dans Wildung et al., 1997, p. 257.
2
Voir les graphies de ~oq (Abb. 1, 4, 5, 14), de lm~ (Abb. 11), de ~oë (Abb. 11), de
~zs|re (Abb. 11).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 267
H translittéré ƒ
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Macadam, 1966, p. 49 ; Priese, 1973b, p. 280, 289-291
1
La seconde transcription phonétique correspond à notre hypothèse dans Rilly, 1999a,
p. 107. Voir ci-dessous, p. 384-386.
2
Cette origine de l’hiéroglyphe ƒ est reprise par Haycock, 1978, p. 58.
3
Cf. Gauthier, 1917 (Livre des rois) tome 4, p. 429.
268 LA LANGUE DE MÉROÉ
i translittéré i
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 280, 297
k translittéré k
Voir Griffith, 1909, p. 52 ; Griffith, 1911a, p. 15 ; Macadam, 1949, p. 49 ;
Priese, 1973b, p. 280, 291-292
1
Voir Lefebvre, 1955, p. 277.
2
Par confusion avec le canard pilet : cf. Gardiner, 1957, p. 471, G38-39.
3
D’après Greenberg, 1966b, p. 96, 134-135 ; pour ces langues, voir p. 475-478.
4
Haycock, 1978, p. 68 suggère quant à lui que l’oiseau de l’hiéroglyphe k serait une
déformation de , le cormoran égyptien de lecture ƒq, plutôt que l’oie de Geb, comme le
supposait Griffith. On remarquera cependant que ce signe n’est pas attesté en napatéen.
5
Voir une solution parallèle de Macadam pour l’origine de l’hiéroglyphe H. Une hypothèse
d’acrophonie indigène des signes k, b, u, d figure aussi chez Bechhaus-Gerst,
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 269
l translittéré l
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 289
m translittéré m
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 287
n translittéré n
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 287
N translittéré ne
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 288
Griffith note la filiation évidente avec le groupe hiéroglyphique égyptien
, de lecture nn. Il rappelle que ce signe est déjà utilisé dans les inscriptions
napatéennes pour transcrire le son /n/ dans les noms « éthiopiens », comme
l’avait déjà relevé Schäfer (Schäfer, 1895a p. 133). La difficulté est d’ordre
phonétique, puisque le groupe originel représente un double /n/, alors que le
méroïtique N se transcrit ne. Le phénomène n’est pas identique au précédent
(n), qui semblait d’ordre proprement graphique.
Priese propose une explication complexe mais plausible. Les scribes de
Koush auraient considéré le démonstratif ancien « ceux-ci », utilisé dans
l’égyptien de tradition, comme l’équivalent hiéroglyphique de la copule
démotique n3y (ou n3.w) « ce sont », dont la prononciation devait déjà
s’approcher du copte ne qui en descend.
o translittéré o
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Griffith, 1916b, p. 118, 122 ; Priese, 1973b, p. 297-298
1
Voir Dunham-Macadam, 1949 pl. XV (37) et pl. XVI (50). Dans le premier exemple, le
nom de la reine Khensa, épouse de Piankhy, toutes les graphies comportent un n double,
si bien qu’une lecture Khenensa ne peut être exclue tant que des attestations avec un n
simple ne sont pas retrouvées. Dans le second exemple, le nom de la reine Nasalsa,
épouse de Senkamanisken, le double n accompagne toujours un double jonc et peut
être dû à une contagion de ce signe sur le suivant (cf. la graphie ég. XVIIIe dyn. .
nn « ceux-ci »). Dans les deux cas, l’époque est ancienne (VIIIe/VIIe siècle av. J.-C.) et
bien antérieure au phénomène du double n démotique invoqué par Priese.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 271
Revenant sur cette hypothèse quelques années plus tard (Griffith, 1916b,
p. 122), il propose une lecture alternative o qui ne sera reprise que quarante
ans plus tard par Vycichl, puis Hintze (voir p. 238). Le choix de la tête de
bœuf s’explique bien selon lui comme substitut de la face humaine dont le
nom copte xo (∆n) devait correspondre à la réalisation égyptienne tardive de
l’hiéroglyphe. Les Méroïtes, ne connaissant pas le son ∆, auraient adopté ce
signe pour sa voyelle 1.
Cette thèse est entièrement reprise par Priese, qui donne quelques autres
variantes napatéennes 2 de , comme ou même un étrange signe (stèle
de Nastasen).
Il ne donne pas en revanche de précisions sur la conversion de la face
humaine en tête de bovin, qui reste jusqu'à présent insuffisamment
argumentée.
p translittéré p
Voir Griffith, 1911a, p. 14 ; Priese, 1973b, p. 280, 287
q translittéré q
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 292
Ici aussi, la filiation égyptienne est évidente, bien que rares soient les
textes 4 où apparaît la forme de l’hiéroglyphe originel , égyptien q. Les
graphies napatéennes du phonème méroïtique /q/ 5 hésitent entre , , et
(voir le nom de « Koush » p. 21). Les scribes méroïtiques ont
apparemment privilégié la forme la plus simple, même si elle était phonéti-
1
Peust, dans son étude des stèles napatéennes, reste dubitatif sur cette hypothèse :
« Jedoch stimmt die Form nicht genau überein (...) Ich lasse das Zeichen in der
Transkription ganz unberücksichtigt » (Peust, 1999, p. 99).
2
Voir Schäfer, 1901, p. 58 pour d’autres graphies possibles.
3
Gardiner, 1957, p. 500 (Q 3).
4
REM 0401 (inscription archaïque), 0402 (au nom d’Akinidad, un peu avant l’ère
chrétienne).
5
Probablement réalisé [kw] (Rilly, 1999a, p. 102).
272 LA LANGUE DE MÉROÉ
r translittéré r
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 288-289
s translittéré s
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 291
S translittéré se
Voir Griffith, 1911a, p. 15 ; Priese, 1973b, p. 280, 291
t translittéré t
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 280, 293
T translittéré te
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 280, 293
1
Voir Peust, 1999, p. 105 : le signe n’apparaît qu’à la ligne 14 de la stèle de Nastasen,
dans le titre indigène sr~s, ailleurs écrit avec l’hiéroglyphe (ligne 61).
2
Voir Dunham–Macadam, 1949 pl. XV (24), XVI (74). Voir également pour ce groupe
hiéroglyphique Leclant, 1969-1970, p. 198
3
Dunham–Macadam, 1949 pl. XV (9), (10), (18), (30), (34), XVI (51), (53), (69), (75), (76).
4
Cf. Vycichl, 1983, p. 209-210 : P3-t3-rsy « la terre du Sud » est déjà transcrit Pa-tu-ri-si
en assyrien (Ranke, 1900, KM 31).
274 LA LANGUE DE MÉROÉ
u translittéré to
Voir Griffith, 1911a, p. 16 ; Priese, 1973b, p. 280, 293-294
1
Les trois transcriptions grecques données ci-dessus proviennent des différentes versions
de la liste de Manéthon (IIIe s. av. J.-C.). Elles sont donc les plus anciennes et, partant,
les plus dignes de foi. Trois siècles plus tard, Strabon (I, 61) donne Τεáρκω. Seul Flavius
Josèphe (Ier s. apr. J.-C.), dont les sources ne sont pas toujours sûres, donne Θαρσíκης
(Ant. Jud. X, 17) avec un thêta.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 275
w translittéré w
Voir Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 280, 286
y translittéré y
Voir Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 13 ; Priese, 1973b, p. 280, 286
: translittéré « : » (séparateur)
Voir Griffith, 1909, p. 51 ; Priese, 1973b, p. 282-283
1
Il s’agit de la bénédiction finale L, aujourd’hui presque totalement effacée, comme nous
avons pu le constater en travaillant sur la pièce originale lors de l’exposition « Royaumes
sur le Nil » à Paris, en 1997. Un autre y, au début de la même inscription (dans Asoreyi),
est très classiquement écrit au moyen de deux rosea ux.
276 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Trigger, 1973a, p. 244 : « The hieroglyphic alphabet was used mainly in certain royal
inscriptions of a monumental character and was obviously devised to resemble, as
closely as twenty-three characters could, an inscription in Egyptian hieroglyphs. »
2
On doit de plus noter que la cursive n’était pas dénuée de tout prestige : on remarquera
ainsi que la stèle de Taneyidamani (REM 1044), rédigée dans cette écriture, était érigée
devant le premier pylône du temple B 500 du Gebel Barkal de manière à faire pendant à
la stèle en hiéroglyphes égyptiens dédiée au prince Khaliout, fils de Piankhy (cf. Hintze,
1960a, p. 127-128).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 277
1
Sur cette écriture, on pourra consulter l’excellente synthèse de Février, 1959, p. 156-162.
2
Cf. Priese, 1997b, p. 253 : « Le parallélisme avec le système d’écriture vieux-perse est
remarquable, sans que l’on puisse parler d’interaction réciproque dans l’invention ».
3
Cette écriture a de toute façon une origine fort différente, puisqu’elle dérive de l’écriture
sabéenne, elle-même apparentée aux écritures sudarabiques.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 279
1
Pour cette question, on pourra se référer à l’ouvrage déjà cité de James Février, un peu
ancien mais nullement dépassé (Février, 1959, notamment p. 152-171 et 333-343).
2
Nous rappelons que sur l’écriture syllabique égyptienne, le principal travail reste
Albright, 1934, qui doit cependant être utilisé à la lumière des études postérieures, parfois
critiques : Edel, 1949 ; Lefebvre, 1955, p. 34-36 ; Albright-Lambdin, 1957 ; Vycichl, 1990,
p. 207-212.
3
Voir ci-dessus, p. 24.
280 LA LANGUE DE MÉROÉ
début du IIe siècle avant notre ère, cette élimination est presque terminée, et
les premières inscriptions cursives attestées ne comportent plus que le nom
d’Amon et sans doute le déterminatif « homme » qui ne soient pas encore
écrits phonétiquement (voir p. 262). Une seconde évolution en parallèle a
drastiquement réduit le nombre de signes : on a adopté, pour presque toutes
les syllabes de même attaque consonantique, un signe de base identique,
suivi d’un modificateur vocalique lorsque le timbre de la syllabe était
différent de /a/. Au IIe siècle avant J.-C., seuls subsistent cinq signes à syllabe
fixe : ne, se, te, to et peut-être si, à condition que notre lecture du signe carré
et variantes, qui apparaît sur les tables d’offrandes archaïques de Méroé,
soit la bonne 1. Au siècle suivant, ne restent que les signes ne, se, te, to,
probablement conservés parce qu’ils représentaient des morphèmes
courants : -ne comme suffixe de dérivation nominale, -se en tant que
postposition génitivale, -te et -to comme désinences verbales 2. À l’exception
de ces archaïsmes pratiques, le système apparaît totalement rationalisé au Ier
siècle av. J.-C., et rappelle fortement le procédé syllabique utilisé par les
écritures indiennes. Comme elles, il combine les avantages de la précision et
de la simplicité, à l’instar d’un système alphabétique, et y ajoute celui de la
concision, dans la mesure où la fréquente voyelle /a/ n’a pas besoin d’être
écrite ailleurs qu’à l’initiale, contrairement à ce qui se passe avec un
alphabet. Trigger a admirablement résumé l’originalité et l’élégance de ce
système dans ses conclusions du Congrès de Berlin de 1971 :
« The papers by Professor Hintze and Dr. Priese indicate that the invention of the
Meroitic script was a more sophisticated undertaking than has been believed
hitherto. (...) This completely reverses older theories, which postulated the
deterioration among the Meroites of literary skills originally acquired from the
Egyptians and which interpreted the invention of the Meroitic script as the
haphazard creation of a simplified writing system among a people no longer able
to manage the complicated Egyptian script. » (Trigger, 1973b, p. 339-340)
1
Voir ci-dessous, p. 352-353.
2
Cette explication rend compte de l’existence de signes distincts pour trois des syllabes en
t- mieux qu’une différenciation phonétique supposée par Meinhof, 1921-1922. Voir aussi
Shinnie, 1967, p. 137-138 : « Though it is likely that, in the main, the phonetic equivalent
are right, there remains some doubt about the value of the vowel signs, and the several
writings for “t” or “t and a vowel” are somewhat suspicious. »
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 281
Il fallut plus d’un siècle pour que soit compris le système graphique du
méroïtique. Lepsius avait conclu, eu égard au nombre modique des signes,
que l’écriture méroïtique était un alphabet (Lepsius, 1852, p. 218). Griffith,
dès Areika, abondait dans ce sens :
« it is impossible that so few characters should make a syllabary. We are here
undoubtedly dealing with an alphabet. » (Griffith, 1909, p. 47)
La même idée d’une « écriture défective » fut reprise et amplifiée par les
successeurs directs de Griffith (Schuchardt, 1913, p. 166-167 ; Zyhlarz,
1930, p. 415, Zyhlarz, 1956, p. 23-24). Alors que Griffith pensait que la
voyelle /a/ principalement 2 n’était pas marquée en position intérieure ou
finale, Zyhlarz étendait cette imprécision à tout le système vocalique, où
seule la longueur était selon lui notée. Ainsi il reconstituait en *man¥u la
séquence -medo- dans le nom propre Smedoli 3 (Zyhlarz, 1960, p. 743). Cette
conception n’a d’ailleurs pas été abandonnée par tous les méroïtisants 4.
1
Même dénomination dans Griffith, 1911c, p. 50 ; Griffith, 1912, p. XV ; Griffith, 1916b,
p. 112 et passim ; Griffith, 1929, p. 70.
2
Griffith n’exclut cependant pas que d’autres voyelles puissent être non marquées : « It is
of course impossible to decide in most cases where a vowel is to be inserted, and some
other vowel than a may often be required. » (Griffith, 1911a, p. 16).
3
En fait Smedtli en REM 0277.
4
Voir Priese, 1977a, p. 40 [2.11] (nom d’Isis), p. 41 [2.2] (nom d’Osiris), mais aussi
Millet, 1999 passim.
282 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Nous rappelons que cette communication (la seule à notre connaissance que Hintze ait
publié en anglais, probablement pour lui donner le plus large retentissement possible) a
été présentée deux fois, à Khartoum en 1970, puis à Berlin l’année suivante : elle a donc
été publiée par A. M. Abdalla dans les actes de Khartoum (Hintze, 1974b), ainsi que par
Hintze lui-même dans les actes du congrès de Berlin de 1971 (Hintze, 1973c).
2
On nous pardonnera cette longue citation, mais l’apport théorique est tel qu’elle se
justifie. C’est sur cette base que s’est fondée la description développée ici. Nous en avons
écarté le point (4), qui concerne, non le système graphique, mais la translittération des
voyelles (cf. supra, p. 238) et leur phonologie (cf. infra, p. 395). Le soulignement de
certains termes est de Hintze lui-même.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 283
Mais la principale justification tenait selon lui au fait qu’il n’avait que
systématisé certaines remarques de Griffith (Hintze, 1987, p. 41).
L’hommage était noble et la modestie admirable, car s’il est vrai que le grand
savant britannique avait déjà observé l’agencement par syllabes des
inscriptions en colonnes 1 et subodoré l’usage du e comme marque d’une
absence de voyelle (Griffith, 1916, p. 120), nulle part chez Griffith n’apparaît
une quelconque indication qui aurait pu l’orienter vers une théorie syllabique
de l’écriture méroïtique. La découverte en revient donc bien à Hintze, et à lui
seul.
Pourtant, les preuves de la justesse de cette interprétation ne manquent
pas, et nous voudrions ici en ajouter quelques-unes à celle qu’a développée
Hintze lui-même. Tout d’abord, le texte gravé sur l’avers de la petite stèle au
nom du roi Taneyidamani (REM 0405A) et que nous avons défini comme
fort ancien (voir p. 260), présente une étrange particularité : alors que
l’inscription est tracée en lignes horizontales, les signes indiquant les
voyelles sont réduits et souscrits, sauf pour les voyelles qui constituent à elles
seules une syllabe. Ainsi wteli etoƒto (lignes 2-4) est écrit 2 wteli etoƒto. Ce
système de souscription est certes unique et ne sera jamais repris à notre
connaissance, mais il témoigne bien du caractère syllabique de l’écriture.
On pourra pareillement observer que dans les textes méroïtiques, à toutes
les époques, les coupes de mots en fin de ligne ne séparent jamais un signe
1
Griffith, 1911a, p. 7 : « indeed, some demotic inscriptions tend to be written in groups of
syllables, and when a hieroglyphic inscription is in columns the signs are written singly
except that a vowel sign is often put by the side of its consonant. ».
2
On rappelle que te et to sont écrits avec un seul signe. Il convient de signaler que les
deux voyelles souscrites en REM 0405A sont en fin de ligne, si bien qu’on ne peut
exclure un « rattrapage » maladroit, de préférence à un procédé réfléchi. Dans les deux
cas cependant, le scripteur était conscient de l’unité indissociable de la syllabe.
284 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Pour toutes ces écritures, voir supra, p. 277-278.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 285
1
Voir notamment Trigger, 1973b, p. 339 ; Hofmann, 1981a, p. 30 ; Hofmann, 1982c,
p. 47-48 ; Schenkel, 1994, p. 296 (qui parle très justement pour le méroïtique d’une
« écriture syllabique de type devanagari ») ; Davies, 1994, p. 177 ; Török in Eide–Hägg
et al., 1996 (FHN II) p. 359 ; Török in Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 762 ; Rilly,
1999a, p. 102, 104, 106-107, p. 109, note 22.
2
Voir par exemple Rilly, 1999b pour une réalisation [kwur] du mot qore « roi ».
3
Cf. Browne, 1989a, p. 8.
286 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Même remarque chez Trigger–Heyler, 1970, p. 52.
2
Voir infra, p. 307.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 287
Conventions particulières
« also the initial a might represent other vowels than a, as when it corresponds
to ou in the Meroitic Asori for Coptic ousire and to u in cuneiform uputi. »
(Griffith, 1916b, p. 122)
palatale [y] vor palatalen Vokalen ([e], [i]) und das velare [w] vor velaren
Vokalen ([u]). Vor dem neutralen Vokal [a] 1 entwickelte sich verständlicherweise
kein Gleitlaut.
(3) Da es neben diesen kombinatorischen Gruppen auch die Verbindungen
palataler Gleitlaut + velarer Vokal (/y/ + /u/) und velarer Gleitlaut + palataler
Vokal (/w/ + /i/) gab, wurden die phonetischen Gleitlaute phonologisiert und dann
nach anfänglicher Unsicherheit in der späteren Orthographie auch regelmäßig
geschrieben. (Ein gutes Beispiel für Unsicherheit in der Orthographie ist die
bekannte Stele des Akinidad ; REM 1003, vgl. Hintze 1959, 68).
Die so entstandenen Verhältnisse lassen sich am Besten in der folgenden Tabelle
veranschaulichen :
1
Nous rétablissons ici les crochets omis par Hintze.
2
Griffith pensait toutefois que l’orthographe ancienne e- et i- était défective et corres-
pondait aux syllabes [je] et [ji] (Griffith, 1917b, p. 166, note 4). La même idée figure
dans les premiers travaux de Hintze (cf. Hintze, 1960a, p. 133).
290 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Écriture ancienne de Bactriane et du Nord-Ouest de l’Inde (250 av. J.-C. / 450 apr. J.-C.).
2
Pour toutes ces écritures, voir Février, 1959. On se méfiera cependant du tableau de
l’écriture tibétaine (p. 353), qui mêle voyelles initiales et modificateurs vocaliques. Quant
au syllabaire éthiopien, comme il transcrit des langues sémitiques, il ne connaît pas de
voyelles initiales non précédées de ƒayin ou aleph.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 291
vocalique a était employée. Mais à la fin du Ier siècle eurent lieu deux
importantes modifications : l’une phonétique, avec un affaiblissement de
certaines voyelles, et l’amuïssement des schwas ; l’autre graphique, qui
proscrivait désormais l’usage alphabétique des signes vocaliques, ce qui
correspondait d’ailleurs à une généralisation finale du procédé syllabique.
Dans ce type d’écriture en effet, le signe vocalique n’a pas de sens s’il est
utilisé seul, et il serait d’ailleurs plus juste de l’appeler « modificateur
vocalique », puisqu’il modifie le timbre (le « noyau ») d’une syllabe qui en
son absence est vocalisée [a]. Au terme de cette double évolution, la graphie
des voyelles initiales s’est trouvée singulièrement compliquée, superposant
trois procédés différents. D’une part, le signe a continuait à transcrire [a], [Œ],
et [u] (et peut-être [o] 1), mais aussi apparemment [i] 2. D’autre part, une
seconde méthode consistait à placer devant les signes vocaliques e ou i un y
purement graphique, leur servant de support neutre 3, comme nous l’avons vu
dans l’écriture kharo›¤ri et tibétaine, sauf que dans ces écritures, c’est le a
initial qui occupe la fonction de support. Il eût certes été plus simple pour les
Méroïtes de faire comme ces deux écritures, et d’employer leur a initial
comme base commune pour toutes les voyelles : on aurait alors eu *ea
pour le [Œ] et le [e] 4 initiaux,*ia pour le [i] initial, *ua pour le [u]
initial. Mais, on le voit bien, le fait que ce a initial était déjà composé de
deux segments, dont le second était identique au signe e, a dû empêcher
l’adoption d’un tel procédé. Enfin, comme si la situation n’était pas assez
complexe, une troisième méthode assez désinvolte fut parfois utilisée pour
[Œ] et peut-être pour [a] et [u] initiaux. Un certain nombre de mots semblent
en effet avoir perdu, lors de l’affaiblissement vocalique qui se produisit au
cours du Ier siècle, leur voyelle initiale : on trouve ainsi Mni pour Amni
« Amon », sr pour asr « viande (?) », etc. 5 Mais la persistance
d’orthographes étymologiques avec a- a dû donner l’impression que ce signe
pouvait être ajouté ou omis ad libitum. Aussi trouve-t-on à époque tardive
des mots où l’initiale vocalique est absente alors même qu’elle était
prononcée. C’est par exemple le cas du nom du vice-roi bien connu
1
Pour l’existence de cette voyelle, voir infra, p. 402-407.
2
Le terme yiroƒe fréquent dans les passages obscurs des épitaphes (cf. par ex. REM 1088,
p. 153), est ainsi parfois transcrit aroƒe.
3
Le même procédé a été employé pour réduire les hiatus, voir infra, p. 292-296.
4
Pour [e] comme l’une des réalisations possibles de e, voir p. 400. On rappelle que selon le
système de Hintze, suivi par Hofmann, le signe e n’a que deux valeurs, [Œ] et zéro.
5
Sur cette évolution phonétique, voir p. 30-31. La conservation ou la disparition de la
voyelle initiale est sûrement due à des phénomènes prosodiques qu’il conviendrait
d’étudier de près. On observera cependant que cette aphérèse ne s’est jamais faite devant
la consonne r, qui ne peut être initiale en méroïtique (cf. p. 389). Dans certains cas,
l’aphérèse n’est qu’apparente : la voyelle initiale est simplement écrite à la fin du mot
précédent et ainsi isolée du reste du mot suivant (voir infra, p. 305). On pourrait alors
parler d’un quatrième procédé de transcription des voyelles initiales.
292 LA LANGUE DE MÉROÉ
Abratoye, qui est écrit Brtoye (REM 1088) ou Bertoye (stèle inédite de
Tomas, Caire JE. 90008), bien que les graphies grecques contemporaines
présentent ce nom à Philae sous la forme Αβρατοεις 1, correspondant à une
graphie méroïtique *Abertoye jamais attestée 2. L’anthroponyme est d’ailleurs
composé sur le mot br « homme », orthographié abr à époque plus ancienne.
De plus, il n’est pas impossible que, parallèlement au système d’insertion
d’un y- purement graphique, la succession wo-, voire we-, ait servi dès le Ier
siècle avant notre ère à noter un [u] initial long : il semble que ce soit le cas
pour Wos « Isis », qui était probablement réalisé [uúÈa]. La variante rare et
archaïque As (REM 0049), correspondant à [uÈa], s’expliquerait alors plus
facilement.
Pour rendre compte un peu plus clairement des voyelles initiales en
méroïtique, nous proposons ci-dessous un tableau synthétisant les différents
cas de figure. On comprendra qu’il ne soit qu’expérimental, en raison de
l’imbrication des divers procédés graphiques, de l’insuffisance du corpus et
de sa difficile interprétation.
Tableau 10 : Évolution graphique et phonétique des voyelles initiales
Jusqu’au Ier siècle apr. J.-C. À partir du Ier siècle apr. J.-C.
1
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) n° 265, p. 1020-1023.
2
Un ostracon d’Arminna récemment publié (REM 1320) donne une graphie Abrtoye, mais
il doit s’agir d’un personnage homonyme plus ancien, si l’on en croit la paléographie (cf.
Edwards-Fuller, 2000, p. 80).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 293
Jusqu’au Ier siècle apr. J.-C. À partir du Ier siècle apr. J.-C.
REM 0440, qui doit dater du IIe siècle de notre ère, offre même un hapax
Sori en invocation finale 1, alors même que le texte commence par un
habituel Soreyi.
La question est évidemment de savoir si ce -y- avait une valeur purement
graphique ou phonétique. Griffith opte clairement pour un procédé graphique
(voir citation supra, p. 292) 2, Zyhlarz pour un phénomène phonétique qu’il
étend abusivement à d’autres séquences (Zyhlarz, 1930, p. 422). Heyler parle
de « y de rupture intervocalique », ce qui reste flou (Heyler, 1964, p. 31, note 1,
p. 34 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 27). Hofmann, qui dans un premier temps
restait également dans une prudente ambiguïté (Hofmann, 1974b, p. 50),
différencie phonétiquement par la suite les deux graphies : Soreyi serait
/surŒyi/ et Sorei /suri/ (Hofmann, 1981a, p. 42, 44).
On s’étonnera que personne n’ait tâché d’expliquer comment, à partir
d’une séquence initiale Asori 3 + -i, on ait obtenu une graphie Asorei ou
Asoreyi, et non *Asorii, qui n’existe pas, ou Asoriyi, qui existe certes mais
est largement minoritaire. Or si l’on observe les différentes variantes de
l’invocation à Osiris, on trouve une certaine unité phonétique malgré la
diversité des graphies 4 :
(A)soreyi : passim
(A)sorei : REM 0309, 0316, 0317, 0325, 0380, 0383, 0435, 1076, 1132
(A)soriyi : REM 0214, 0217, 0218, 0223, 0236, 0294, 0308, 0311, 0294, 1208
Sori : REM 0440
Asoreri : REM 0425
Seule une réalisation [(u)Èuriú] avec i long semble à même de rendre compte
de toutes ces formes. Le /i/ long est issu de la contraction de la voyelle finale
du nom Asori « Osiris » avec le suffixe vocatif -i. Dans (A)sorei, la voyelle
finale est indiquée comme une syllabe à part et donc séparée du r précédent
par le signe e de valeur zéro. C’était d’ailleurs la suggestion de Hofmann, si
l’on en croit sa transcription phonologique /suri/. Mais son interprétation
n’explique pas pour quelle raison on n’a pas partout la forme simple (A)sori
qui n’est qu’une fois attestée en REM 0440. En fait, les Méroïtes ont utilisé
la graphie -rei parce que le i était long, et que cette longueur le différenciait
1
Priese, 1977a, p. 37 le considère comme fautif (« fehlerhaft »), ce qui est probable, mais
cette faute n’est pas sans enseignement.
2
Il est fidèlement suivi par Haycock, 1978, p. 55.
3
La forme nue pour Osiris est effectivement Asori (c’est ainsi qu’elle apparaît dans les
invocations solennelles, voir p. 94) et non *Asore, comme on le trouve parfois, dû à un
découpage simpliste de la forme Asorei, Asoreyi.
4
Les deux graphies Soryi (REM 0315) et Sorey (REM 0423) sont fautives : la première
s’explique probablement par le changement de ligne après Sor-, la seconde par le
manque de place en fin de ligne, qu’un séparateur termine à la diable sur le trait du
décor. Il existe également des graphies présentant un e central au lieu du o habituel, mais
ce détail n’entre pas ici dans notre propos.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 295
1
Nous ne croyons pas à la possibilité d’un -r- épenthétique comme parfois en nubien, une
hypothèse proposée par Priese, 1977a, p. 41 et citée par Hofmann, 1981a, p. 44. Le cas
est en effet unique et s’explique sans complication par la reprise du r précédent.
2
Cf. Griffith, 1916b, p. 114 [équation kk].
3
Voir p. 528.
296 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Si le mot était prononcé [maxwu], comme le laisse supposer la variante mƒo (pour la
graphie e de [u] après consonne labialisée, voir Rilly, 1999a, p. 106). Il n’est cependant
pas impossible que mƒeyose soit une graphie pour [maxwuúÈ(Œ)]. Voir mleyose ci-dessus.
2
Voir Rilly, 1999b, p. 80 sq.
3
On ne s’étonnera donc pas que le même procédé soit utilisé dans le syllabaire amharique,
bien que sur une échelle beaucoup moins étendue (voir Cohen, 1995, p. 53). Il semble
aussi avoir été en usage en linéaire B (voir Chadwick, 1994, p. 208-209).
4
Notamment tneyi et ses composés, le déterminant (?) -neyi, etc.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 297
1
Cf. Edwards-Fuller, 2000, p. 89.
2
Cf. Creissels, 1994, p. 35-36.
3
L’hypothèse est citée par Hofmann, 1981a, p. 43, avec la référence à Priese.
298 LA LANGUE DE MÉROÉ
constitue un premier pas, il faut donc d’autres faits pour étayer l’existence de
diphtongues en méroïtique.
Or, dans certaines invocations des épitaphes, on trouve, à la place du
traditionnel Wosi : Asoreyi « ô Isis, ô Osiris » un étrange Woso : Soreyi
(REM 0311, 1019, 1020, 1082). Griffith pensait à une faute en REM 0311
(Griffith, 1911a, p. 33), mais la découverte par la suite de trois autres
occurrences a rendu cette interprétation douteuse. Hofmann y voit une
marque d’harmonie de timbre vocalique. Cependant, comme nous le verrons,
il ne semble pas que ce phénomène existe en méroïtique 1. Une autre
explication nous paraît plus vraisemblable. On remarquera que dans certaines
invocations, l’ensemble Isis + Osiris est traité comme une unité syntaxique,
et le suffixe vocatif reporté à la fin, si bien que l’on trouve des formes
Wos(:)(A)soreyi « ô Isis-Osiris » 2 au lieu de Wosi Asoreyi « ô Isis, ô
Osiris ». Nous supposons qu’il en va de même dans Woso : Soreyi mais que
la succession [uúÈa] + [uÈuriú] a abouti à une diphtongaison [uúÈaMuÈuriú], un
complexe que les Méroïtes ont syllabiquement transcrit 3 Woso + Soreyi,
négligeant, comme dans Wosi précédemment, la première partie de la
diphtongue.
Enfin, nous possédons depuis peu ce qui semble la plausible transcription
méroïtique du nom César, noté Kisri en REM 1182 4. Si, comme l’on peut le
croire, le mot suit la prononciation grecque Κασαρ, le mot devait être
réalisé [kaMiÈari]. Ici aussi, seul le second segment de la diphtongue est noté.
Ces trois observations se recoupent avec suffisamment de cohérence pour
que nous puissions avancer l’existence de diphtongues en méroïtique, au
moins [aMu], notée -u et [aMi], notée -i. Malheureusement, l’aspect défectif de
cette transcription nous interdit de savoir quelle était leur fréquence 5 : les
trois seules occurrences que nous ayons repérées se situent, soit à l’interface
des lexèmes et des morphèmes, ou des lexèmes entre eux, soit dans un nom
étranger connu par ailleurs. Il paraît impossible en revanche de savoir si un i
à l’intérieur d’un mot donné purement méroïtique représente la voyelle
simple [i] ou la diphtongue [aMi].
1
Voir infra, p. 409.
2
REM 0310, 0442 (cf. Priese, 1973b, p. 290 et Priese, 1977a, p. 37). Il convient de
rectifier quelques inexactitudes dans le dernier passage cité de Priese. REM 0442 n’est
pas un texte archaïque. Les invocations initiales en 0425, 0428, 0434 montrent un
caractère carré archaïque après Wo- qui représente peut-être la syllabe graphique si (voir
p. 352-353). En REM 0427, le -i est visible après Wos.
3
Voir infra, « Coupe des mots » p. 305.
4
L’identification de Millet nous semble sûre : voir note 1, p. 144.
5
On observera néanmoins que dans les écritures syllabiques de langues où les diphtongues
sont importantes, un système a toujours été élaboré pour les transcrire, soit de manière
analytique comme en linéaire B ou en syllabaire chypriote (/eu/ est noté /e/ + /u/), soit de
manière synthétique par l’adaptation d’appendices vocaliques spécialisés (devanagari,
tibétain).
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 299
1
Pour cette revue des différents expédients utilisés par les écritures syllabiques pour noter
les successions consonantiques, voir Février, 1959, p. 156-171 et 333-383.
300 LA LANGUE DE MÉROÉ
signes, chacun caractérisé par une voyelle, respectivement [X] 1, [u], [i], [a],
[ye], [Œ], et [o]. Une consonne non suivie de voyelle sera automatiquement
transcrite par un signe du 6e ordre :
« En fait, le 6e ordre est l’expression graphique d’une voyelle très brève, et
caduque, c’est-à-dire en alternance avec zéro ou absence de voyelle ; c’est de la
même manière que s’emploie l’e dit muet en français et la voyelle dite šŒwa
[“schwa”] dans l’hébreu vocalisé. » (Cohen, 1995, p. 44)
Le procédé est tout à fait rationnel, puisque c’est la voyelle la plus faible
qui a été choisie comme « voyelle fictive », mais il comporte un grave
inconvénient déjà signalé : l’impossibilité de savoir quand il faut prononcer
la voyelle, ce qui n’est réellement possible que par un apprentissage de
chaque mot écrit. Des règles existent (par exemple, en fin de mot, on ne la
prononce pas), mais elles sont complexes et souffrent de nombreuses
exceptions (voir Cohen, 1995, p. 57-62).
L’écriture méroïtique procède de façon similaire : comme l’avait déjà
partiellement découvert Griffith, puis confirmé totalement Hintze 2, le signe e
est utilisé comme support vocalique fictif dans les successions de consonnes.
Ce n’est cependant pas sa seule valeur et il possède donc selon nos
recherches trois réalisations possibles 3 :
[e] dans ktke « Candace », /kantake/ grec κανδáκη , ég. jms'«(jx
[Œ] dans ted‚e-lowi « enfanté par », /tŒda‚Œ(?)luwi/ 4
zéro dans peseto « vice-roi », /psentu/, grec ψεντης
Cette triple valeur n’a rien d’étonnant : nous avons précédemment remar-
qué que le syllabaire cypriote utilisait la même notation pour [e] et zéro en
finale de mot, que l’écriture éthiopienne employait les mêmes signes pour
une syllabe de voyelle [Œ] et une consonne non suivie de voyelle. Enfin, on
rappellera que le français du Nord prononce [ε] le e de « versa », [Œ] celui de
« creva » et zéro celui de « bouleversa ». Le e latin était en effet la voyelle
écrite la plus proche phonétiquement de la voyelle centrale [Œ], et le passage
de [Œ] à zéro tient historiquement à la nature labile de ce schwa.
1
Voyelle centrale d’aperture quasi maximale (API 324) notée a barré par Cohen, 1995.
Les ouvrages de vulgarisation utilisent généralement « a » pour le 1er ordre et « ~ » pour
le 4e.
2
Griffith, 1911a, p. 9, 12 ; Griffith, 1916b, p. 119-121 ; Hintze, 1973c, p. 322-323 (4), 323
(5), (6) ; Hintze, 1973d, p. 334-335 ; Hintze, 1979, p. 15, 30 ; voir aussi Priese, 1973b,
p. 298 ; Hofmann, 1981a, p. 31-32 ; Millet, 1982, p. 79, Böhm, 1987, p. 6 ; Rilly, 1999a,
p. 104 ; Rilly, 1999b, p. 80 et note 8, p. 81 et note 9, note 21 p. 83.
3
Deux pour Hintze (Hintze, 1973c, p. 322) et Hofmann (Hofmann, 1981a, p. 30-31) qui
n’admettent que les valeurs [Œ] et zéro, et récusent donc la valeur [e] établie par Griffith.
Voir ci-dessous, p. 398-401.
4
La valeur phonétique du second e de ce mot ne peut actuellement être précisée.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 301
1
Griffith, 1911a, p. 10, 14 ; Griffith, 1912, p. 51 ; contra : Hintze, 1987, p. 46.
2
Repris par Meinhof, 1921-1922, p. 5 ; Haycock, 1978, p. 67 ; Hainsworth, 1979b, p. 378
(qui donne des exemples d’alternances de graphies avec nasales et de graphies sans
nasales pour les mêmes anthroponymes).
302 LA LANGUE DE MÉROÉ
Comme on l’a vu, quatre théories s’opposent sur la question : ou bien les
nasales étaient simplement élidées dans l’écriture (Griffith, Meinhof,
Haycock, Hainsworth, Hintze in fine), ou bien elles formaient avec
l’occlusive ou la fricative suivante une prénasalisée, et ne constituaient donc
pas un graphème indépendant (Zyhlarz, Hofmann, Zibelius, Böhm, Peust),
ou bien elles n’existaient que dans les transcriptions égyptiennes et grecques,
soit pour marquer la réalisation nasale de certaines voyelles (Macadam), soit
comme artifice de notation de consonnes voisées (Priese). En fait, cette
dernière hypothèse nous semble peu plausible. D’une part, on trouve des
alternances en méroïtique entre graphies avec et sans nasales, le meilleur
exemple étant sans doute le mot ant « prêtre », souvent écrit at à époque
tardive. Une évolution du type /an(n)ata/ > /an(n)Œta/ > /anta/ correspondrait
tout à fait à l’affaiblissement vocalique que nous avons supposé pour le
1
Même idée dans Priese, 1968a, p. 184-185.
2
Hofmann, 1977b, p. 1401, p. 1407, note 17 ; Hofmann, 1980a, p. 276 ; Hofmann, 1981a,
p. 34-35 ; Hofmann, 1981c, p. 12, note 4 ; Hofmann, 1982c, p. 48 ; Hofmann, 1991,
p. 195. Ses idées ont été reprises dans Zibelius, 1983, p. 56, 70 ; Böhm, 1987, p. 6 ;
Peust, 1999, p. 208-209.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 303
néo-méroïtique (cf. p. 31-32). La forme finale /anta/ aurait bien été écrite at,
comme ktke « Candace » pour /kantake/. D’autre part, puisqu’il arrive que
l’égyptien transcrive justement les sonores du grec par l’adjonction d’un
signe nasal devant la sourde correspondante 1, on s’attendrait selon toute
logique à une divergence entre les versions égyptiennes et grecques des mots
méroïtiques, par exemple jmsjx en égyptien et *καδáκη en grec pour le
méroïtique ktke « Candace ». Or ce n’est pas le cas : le grec a bien κανδáκη.
L’absence d’écriture des nasales devant certaines consonnes est donc bien un
phénomène interne au système graphique méroïtique. Il n’entre pas ici dans
notre propos de l’étudier au niveau phonétique et de savoir si l’on a affaire à
une simple élision ou à des prénasalisées. Cette question n’est pas simple et
nous tenterons de la traiter dans le chapitre suivant (cf. p. 371).
Haplographie
1
Voir Vycichl, 1990, p. 28 (γ du grec transcrit par ng ou nk en démotique, δ par nt).
2
Ainsi rl«<rm e écrit pour rl«<rm m<e « ils lui rapportèrent » ; cf. Gardiner, 1957,
p. 52-53, 422.
3
Voir supra, p. 93-94.
304 LA LANGUE DE MÉROÉ
forme complète (Priese, 1971, p. 277 [1.14], Priese, 1977a, p. 55). Enfin, il
voit également une haplographie (« Simplexschreibung von Doppelkon-
sonanz ») à l’origine de mkdi « déesse » pour mk « dieu » + kdi « femme »
(Priese, 1977a, p. 41).
Cependant les trois cas traités par Priese ne peuvent s’expliquer par une
simple haplographie. Les séquences graphiques *-ll- dans -l + lo(wi), -tt-
dans wettrri, *-kk- dans mk + kdi doivent évidemment être interprétées,
d’après le système syllabique de l’écriture méroïtique, comme -/lal/-, -/tat/- et
-/kak/-. Aussi faut-il supposer que ce /a/ interconsonantique s’est d’abord
progressivement amuï par affaiblissement vocalique (voir p. 31-32), et que ce
n’est qu’ensuite que l’haplographie a pu jouer. Cette évolution s’est
certainement produite dans le cas de mk + kdi, moins sûrement pour wettrri,
et probablement pas sous cette forme pour -lo(wi), car les graphies les plus
anciennes ont -lo et jamais *-llo.
La pratique de l’haplographie bien comprise, c’est-à-dire intégrée dans
une conception vocalique du système graphique, a été ensuite théorisée par
Hintze, suivi par Hofmann 1. On doit cependant observer qu’il est difficile
d’en avoir des preuves directes, puisqu’il s’agit de traquer un phénomène
qui, par définition, n’apparaît pas dans l’écriture. Les trois exemples donnés
par Priese, nous l’avons vu, sont pour deux d’entre eux plus complexes qu’il
n’y paraît, et le troisième fort discutable. Il en va de même pour les noms des
hypostases d’Amon cités par Zyhlarz, puis repris par Priese dans l’étude
commentée ci-dessus (Priese, 1977a, p. 55) :
(A)mnp « Amanap » < Amn + Np(te) : « Amon de Napata »
(A)mnpte < Amn + Npte : « Amon de Napata »
(A)mnote < Amn + Note : « Amon de la Ville » (égyptien Õlm,m«vsx)
Amnbse < Amn + Nbse : « Amon de (P)noubs »
1
Hintze, 1973c, p. 322 ; Hintze, 1979, p. 15 ; Hofmann, 1974a, p. 45, note 8 ; Hofmann,
1981a, p. 30 ; Hofmann, 1982a, p. 50 ; Hofmann, 1982c, p. 48.
2
Cf. Rilly, 2000b, p. 104-105.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 305
1
Il n’est donc pas besoin, comme l’avait fait Heyler, de supposer un insolite redoublement
de la postposition à partir de formes comme *Nlo ou *Twe (in Leclant–Heyler, 1978,
p. 29-32 : Index des toponymes).
2
REM 1182, 1183, 1232, 1233, 1322-1326.
3
Dans le titre sacerdotal teter, en REM 1182.
4
Voir Rilly, 1999b, p. 82 et note 17.
306 LA LANGUE DE MÉROÉ
Variations orthographiques
Tous les chercheurs qui depuis Griffith ont travaillé sur le méroïtique, ont
observé ç et souvent déploré ç, la grande variabilité des graphies. Or il ne
pouvait pourtant en être autrement pour une écriture qui cumulait tant de
facteurs d’instabilité : une tradition scripturale relativement récente, un
éclatement de la population en centres urbains dispersés sur un ruban fluvial
de près de deux mille kilomètres, et surtout une notation simple et purement
1
Cf. supra, p. 258-259 pour son origine, infra, p. 495-496 pour son usage syntaxique.
2
C’est par un semblable cas de découpage syllabique que la pierre fine autrefois nommée
« l’ejade » (de l’espagnol piedra de la ijada : « pierre du flanc ») est devenue en français
moderne « le jade ».
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 307
1
Hainsworth, 1979b, p. 378. Mêmes observations chez Griffith, 1912, p. 42 ; Griffith,
1916a, p. 27 ; Hofmann, 1977a, p. 218 ; Hofmann, 1980a, p. 278 ; Zach, 1994, p. 104.
308 LA LANGUE DE MÉROÉ
mƒe puis m‚e (ou inversement) dans une bonne quinzaine d’épitaphes, sur
des sites aussi éloignés que Karanóg, Arminna ou l’île de Saï 1.
Il ne faudrait évidemment pas conclure de ce qui précède que la plus
grande anarchie et la fantaisie la plus débridée régnaient sur l’écriture
méroïtique. S’il semble avéré qu’il n’y avait pas vraiment de norme
exclusive, il existait tout de même des modèles et des traditions, notamment
au sein de l’administration royale et sacerdotale. Les variantes
orthographiques attirent notre attention parce qu’elle se produisent souvent
sur des mots importants (Wos / Wis « Isis », ktke / kdke / ktwe / kdwe
« Candace »), mais elles ne sont pas si nombreuses, comme on le constatera
plus loin, et concernent le plus souvent les voyelles, pour lesquelles le
système graphique méroïtique n’offrait pas, semble-t-il, une notation
suffisamment claire et stable. L’existence d’une tradition orthographique,
voire philologique, apparaît surtout dans la notation des assimilations ou des
contractions. Nous avons ainsi constaté dans une étude consacrée à
l’assimilation du déterminant utilisé avec le mot qore « roi », que des formes
assimilées coexistaient à même époque et parfois dans les mêmes textes 2.
Ainsi le scripteur de la stèle royale REM 1003 emploie une forme non
assimilée qoreli « le souverain », s’il veut privilégier la clarté et peut-être
éviter une confusion avec des termes oralement proches de la forme assimilée
/qurri/. En revanche, pour le génitif du même mot, il utilise la forme
assimilée qorise (*qore-li-se « du souverain »), qui devait correspondre à la
prononciation.
Les variantes graphiques sont évidemment d’un grand intérêt pour l’étude
du système phonologique méroïtique, et Griffith notamment en fit grand
usage pour asseoir certaines de ses lectures (Griffith, 1911a, p. 7-16 passim).
Aussi y reviendrons-nous dans l’examen de la phonologie de la langue, ou du
moins de ce que nous pouvons en reconstituer. Il n’est cependant pas inutile
de donner ici une liste des principaux échanges de signes que l’on y trouve.
Dans les paires figurant ci-dessous, la première graphie est donnée comme
base, l’autre comme variante, dont nous avons indiqué, lorsque c’était
possible, les caractéristiques (période, répartition géographique, fréquence).
Nous avons écarté de la liste les variantes qui semblent dues à une évolution
morphologique plutôt que phonétique ou orthographique, comme yerikelowi
≈ terikelowi, mais nous ne pouvons totalement garantir que certaines des dif-
férences relevées ci-dessous ne soient pas de cet ordre.
1
REM 0212, 0234, 0236, 0238, 0255, 0284, 0317, 0368, 0383, 0512, 0533, 0534, 0539,
1065 et 1273, ce qui représente tout de même près de 5 % des textes comportant des
bénédictions.
2
Rilly, 1999b. Voir p. 413 pour une explication possible de ce paradoxe.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 309
e tardif ≈ /a/ tardif (assez fréquent) ex. ted‚elowi ≈ td‚elowi « c’est l’en-
fanté(e) de »
e ≈ i (assez fréquente)
ex. perite ≈ pirite « agent »
/‚a/ ≈ a (douteuse, un seul ex.) ex. ‚mlol ≈ amlol « un bon repas (?) »
p ≈ b (rare, limitée aux préfixes verbaux) ex. psi‚rto ≈ bs‚rto (< ‚r), forme verbale
de bénédiction B
1
On rappelle que le [a] intérieur, voyelle « par défaut » ou « inhérente » du système
syllabique méroïtique, n’est pas marqué.
310 LA LANGUE DE MÉROÉ
Fautes d’orthographe
1
Même idée déjà chez Hintze, 1977, p. 22-23. Voir aussi Hofmann, 1990, p. 49.
2
Trigger tenta de donner une justification étymologique à ces deux dernières graphies, qui
sont pourtant des hapax (Trigger, 1968, p. 5), par l’absence ici d’un infixe -‚- / -k-
présent ailleurs. Mais son hypothèse, peu crédible, a été abandonnée.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 311
1
Voir aussi Hintze, 1979, p. 69 (-so- oublié en REM 0277) et Hofmann – Tomandl, 1986b,
p. 138 pour un signe -te superflu au début d’une nouvelle ligne en REM 0045/7.
2
Cf. Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 45-46.
3
Voir Hintze, 1979, p. 62 ; Hofmann, 1982c, p. 44-45.
4
Hofmann, 1977c, p. 43 ; Hofmann, 1978c, p. 105 ; Hofmann, 1982b, p. 148.
312 LA LANGUE DE MÉROÉ
A. Principes généraux
L’écriture méroïtique est syllabique. Elle utilise quinze signes de base,
translittérés par convention b, d, ‚, ƒ, k, l, m, n, p, q, r, s, t, w, y. Tout
signe de base représente une syllabe de timbre /a/ par défaut. Pour obtenir
une syllabe de timbre différent, on ajoute à la suite du signe de base un
des trois modificateurs vocaliques, transcrits par convention e, i, o. Leurs
réalisations phonétiques, parce qu’elles sont multiples et encore incer-
taines, seront désignées sous le terme de « valeurs vocaliques e, i, o ». Il
existe de plus quatre signes de timbre fixe, non modifiable : ne, se, te, to.
B. Initiale vocalique
Si un mot commence à l’oral par une voyelle, cinq procédés
coexistent selon les valeurs vocaliques ou les époques (époque ancienne :
jusqu’au Ier siècle de notre ère ; époque récente : à partir de la fin du Ier
siècle).
(1) On emploie un signe spécial que l’on transcrit par convention a.
À époque ancienne, il sert pour /a/, /Œ/ et la valeur vocalique o. À
époque plus tardive, son usage peut s’étendre ponctuellement aux
valeurs vocaliques e et i.
(2) On utilise un modificateur vocalique comme signe de base. Ce
procédé, possible uniquement pour les valeurs vocaliques e et i,
n’existe qu’à époque ancienne.
(3) On emploie comme support fictif le signe de base y. Cette
méthode remplace la précédente à époque récente ; on aura donc ye et
yi pour les valeurs vocaliques e et i.
(4) On omet purement et simplement la voyelle initiale dans l’écriture.
Ce procédé est utilisé à époque récente pour certains mots
commençant par /a/ et peut-être d’autres voyelles.
(5) On marque cette voyelle initiale à la fin du mot précédent. Il n’est
actuellement pas possible de préciser les modalités d’emploi de cette
méthode difficilement repérable.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 313
F. Succession de consonnes
Si deux consonnes se suivent dans un mot, la première est notée par le
signe de base qui lui correspond, affecté d’un modificateur vocalique e,
dont l’une des fonctions est justement de marquer l’absence de voyelle. Si
cette première consonne est un /n/, /s/, ou /t/, les signes spéciaux ne, se,
te sont employés seuls. La voyelle /n/ n’est apparemment pas écrite si elle
est suivie d’une occlusive ou des fricatives /‚/ et /ƒ/.
G. Consonnes finales
Si un mot se termine à l’oral par une consonne, on utilise le même
procédé que précédemment : le signe de base lui correspondant suivi du
modificateur e, ou les signes spéciaux ne, se, te.
H. Haplographie
Si une consonne est géminée à l’oral dans un mot, elle s’écrit comme
si elle était simple. La gémination (si du moins elle existait phonétiquement
en méroïtique) n’apparaît donc pas à l’écrit.
314 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
On rappelle qu’il transcrivait néanmoins ne par ñ, notamment en raison de la récupération
du signe méroïtique par le vieux-nubien pour la notation de sa nasale palatale [ñ] (le -gn-
du français « agnelle »).
2
Une relecture attentive des textes méroïtiques indique respectivement en REM 0241
aroƒe(lowi), en REM 0250 Tqoƒete, en REM 0331 ®elƒiye.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 315
a _ _ _ o _ _ _
b + + + p + + +
d + + + q + rare +
e _ _ _ r + + +
‚ + + _ s _ + +
ƒ + rare + se _ _ _
i _ _ _ t _ + _
k + + _ te _ _ _
l + + + to _ _ _
m + + + w + + +
n _ + + y + + +
ne _ _ _
316 LA LANGUE DE MÉROÉ
PALÉOGRAPHIE
1
On lira avec amusement les tribulations du graveur de la stèle d’Akinidad REM 1003
telles que les reconstitue Griffith (Griffith, 1917b, p. 162). Certaines pièces particuliè-
rement soignées, comme REM 1001 (stèle Touraieff) ou REM 1294 (stèle de la reine
Amanishakheto à Naga) montrent toutefois une véritable recherche calligraphique.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 317
Nous n’en sommes malheureusement pas encore là, mais on peut espérer
qu’avec l’aide de l’informatique, les méroïtisants disposeront bientôt de
bases de données textuelles et lexicographiques suffisantes et immédiatement
disponibles pour guider leurs choix au moment de la translittération 1.
1
Cf. Préface du Répertoire d’épigraphie méroïtique (Leclant et al., 2000, p. XIV) pour la
mise en place d’un tel projet.
318 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir notamment Jean Mallon, Paléographie romaine, 1952, Madrid.
2
Pour un exemple très clair du « poids » de ces signes, on se référera au fragment de
papyrus de Qasr Ibrim REM 1232 (voir Leclant et al., 2000, p. 1852).
3
Voir Tableau 14, p. 348.
4
Pour ces problèmes de déséquilibre géographique du corpus, voir p. 38.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 319
tracée avec une série de chiffres indiquant l’ordre de succession des traits,
autrement dit son ductus. La grille utilisée permet d’apprécier le « module »
du caractère, son angle, ainsi que sa situation relative dans l’espace : la travée
horizontale au centre de la figure correspond à la ligne de base, là où se
situent notamment les angles principaux des signes et la barre horizontale des
i, c’est-à-dire les éléments qui ordonnent la position fondamentale des
caractères entre eux.
SIGNE a
Les textes les plus anciens (cf. Tableau 12, p. 346) offrent pour ce signe
plusieurs formes alternatives dont les deux principales, et montrent
une graphie plus verticale et occupant un espace moindre. C’est vers la fin du
IIe siècle av. J.-C. que se met en place la forme et le « module » représentés
ci-dessus. Dans les textes royaux autour du début de l’ère chrétienne (cf.
Tableau 13, p. 347), le signe présente souvent une parfaite symétrie des deux
segments. À partir du milieu du IIe siècle apr. J.-C., la queue du premier
segment (à gauche) a tendance à s’allonger, atteignant à époque tardive des
dimensions imposantes qui la font parfois courir sous les deux ou trois signes
précédents. Le signe peut alors être confondu avec la séquence ke, car le
tracé du k présente parfois à ce stade de l’écriture une courbe simple qui le
fait ressembler au segment initial du a. À toutes les époques, il peut arriver
qu’en raison de la dureté du support, les courbes du a soient remplacées par
des formes plus anguleuses, triangles ou carrés ouverts (par ex. en REM
1115 ou 0246).
320 LA LANGUE DE MÉROÉ
SIGNE b
SIGNE d
SIGNE e
SIGNE ‚
Ce signe a connu au cours des siècles une série de modifications qui ont
peu affecté son ductus, formé originellement de trois traits, puis de deux par
arrondissement de l’angle inférieur gauche, mais qui ont concerné surtout son
angle d’ouverture et son orientation par rapport à la ligne d’écriture. À époque
archaïque, l’angle d’ouverture est moyen et l’orientation du signe est
horizontale (voir Tableau 12). À partir de la fin du Ier siècle av. J.-C. (début de
la période transitionnelle), l’angle s’ouvre et son orientation s’élève (voir
Tableau 13). Le signe peut alors être confondu avec un b (voir par ex. REM
0440 sur le Tableau 13). Dans certains textes royaux aux noms des Candaces
322 LA LANGUE DE MÉROÉ
SIGNE ƒ
Dans certains textes archaïques (voir REM 0405A et B, 0832, 0833, 1044
sur le Tableau 12) et transitionnels anciens (voir REM 0628, 1141, 1294,
1293, 1041 sur le Tableau 13), le ƒ comporte un décalage entre ses deux
courbes successives, parfois souligné par un petit trait vertical, qui permet la
distinction avec le m : on ainsi ou . Mais ce détail est loin d’être
généralisé à tous les documents, et il disparaît complètement à partir du Ier
siècle de notre ère. Il peut donc être utile d’établir une liste de critères qui
permettent de différencier le ƒ, le m et le s.
1
On trouvera des remarques similaires chez Griffith, 1911a, p. 4, 54 ; Griffith, 1922,
p. 566 ; Macadam, 1949, p. 95 ; Trigger, 1962, p. 3 ; Trigger, 1967a, p. 73 ; Trigger–
Heyler, 1970, p. 9 ; Haycock, 1978, p. 67 ; Hofmann, 1981a, p. 40-41 ; Hofmann et
al., 1989a, p. 144 ; Hofmann, 1991, p. 209 ; Millet, 1998, p. 57-58. Voir également
supra, p. 198 pour une ambiguïté sur la formule yereƒlo commune dans les graffitis de
Kawa.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 323
courbe supérieure :
— très petite et souvent arrondie pour m ;
— petite et souvent aplatie en triangle pour ƒ ;
— beaucoup plus ample pour s ;
courbe inférieure :
— légèrement incurvée pour m ;
— souvent réduite à une droite oblique pour ƒ ;
— fortement recourbée pour s ;
axe du signe :
— penché nettement sur la droite pour m ;
— légèrement penché sur la droite pour ƒ ;
— vertical pour s.
SIGNE i
certaine évolution. Dans les textes les plus anciens, il est souvent de taille
réduite, mais à partir de la fin de la période archaïque, son module rejoint
celui des signes de base (les « consonnes »). Pareillement, les deux hampes
du signe sont le plus fréquemment verticales à époque archaïque : (voir
Tableau 12). Dès le début de la période transitionnelle, elles ont tendance à
s’incliner parallèlement sur la droite : , bien que les i droits soient encore
attestés en nombre conséquent (voir Tableau 13). Durant le IIe siècle se
répand une graphie où la hampe centrale s’allonge et reçoit une courbure
spécifique : . Cette graphie est presque systématique dans l’écriture peinte
des ostraca et papyri du IIIe siècle apr. J.-C., et largement présente dans les
textes gravés contemporains. Enfin, il faut noter que ce signe est le seul à se
lier au précédent, mais cette ligature n’apparaît qu’au début de la période
transitionnelle, peu avant l’ère chrétienne. Auparavant, le caractère s’écrivait
indépendamment dans tous les cas. Le terme de « ligature » est d’ailleurs
exagéré, puisqu’il ne s’agit que d’un contact du trait horizontal du i,
éventuellement prolongé, avec le signe consonantique qui le précède sur la
gauche et dont il dépend. Le i syllabique (par ex. dans ireqw « vers le sud »
cf. p. 292 ou dans Asorei « ô Osiris », cf. p. 292-293) ne se lie évidemment
pas au signe de gauche, puisqu’il n’appartient pas à la même syllabe
graphique.
SIGNE k
Doué d’une grande stabilité dans son ductus depuis ses plus anciennes
attestations, le signe k a surtout évolué dans les proportions de ses traits. Au
départ, il présente une superposition de lignes brisées posée sur un pied
horizontal de même largeur . Mais à partir du début de l’ère chrétienne
(voir Tableau 13), le pied se mue en queue de plus en plus allongée, tandis
que le corps de la lettre tend à s’amincir et son relief à s’estomper. Il peut
arriver à époque tardive que ce corps se simplifie en une courbe simple :
dans ce cas, on ne peut plus distinguer la séquence ke du signe a .
Une autre confusion est possible si, comme il arrive souvent, la partie
supérieure du signe est endommagée ou mal tracée, car on ne peut alors le
distinguer d’un p. On remarquera que les angles peuvent à toute époque être
arrondis en courbes, et certains textes présentent même une alternance de k
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 325
anguleux ou arrondis (voir REM 0246 sur le Tableau 14). Une variante
intéressante, parce que chronologiquement limitée, se constate sur certains
textes de paléographie transitionnelle B (seconde moitié du Ier siècle de notre
ère) : le trait supérieur se recourbe pour former un « chapeau » caractéristique.
On observera ce détail sur les textes REM 0628, 0077/78, 1038, 0521
(Tableau 13).
SIGNE l
SIGNE m
ductus simplifié. Comme pour k, on observera une variante dans les textes
officiels du Ier siècle apr. J.-C., où le trait supérieur se mue en une sorte de
« chapeau » (voir p. 324). Les confusions possibles avec ƒ et s ont été
précédemment traitées (cf. p. 321-322).
SIGNE n
SIGNE ne
1
Voir Rilly, 1999a, p. 106-107 et ici p. 378-379.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 327
SIGNE o
SIGNE p
SIGNE q
1
On trouve d’ailleurs qoleb à la ligne suivante, dans la même formule (qoleb : witese :
yesebe). Pour ces exemples d’omission d’un trait après q, voir Griffith, 1911a, p. 15 et
note 3 ; Griffith, 1912, p. 43 ; Macadam, 1949, p. 116 ; Hofmann, 1981a, p. 286 ;
Hofmann in Török, 1997a, p. 144.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 329
SIGNE r
Ce signe présente très peu de différences au fil des siècles : deux formes
alternatives, l’une, anguleuse, en forme de W, l’autre, arrondie, en forme de
ω, se relayent parfois à l’intérieur du même texte (voir par ex. REM 0294 sur
le Tableau 14). Tout au plus peut-on constater qu’à partir de la période
transitionnelle B (Ier siècle de notre ère), le signe montre assez souvent une
légère dissymétrie de la boucle gauche, reliée à la suivante non plus par le
haut : , mais sur le côté : .
SIGNE s
SIGNE se
SIGNE t
Bien qu’il n’ait pas subi de modification dans son ductus, ce signe a vu
cependant sa forme légèrement modifiée au cours des siècles. Il présente une
forme relativement ample depuis l’époque archaïque jusqu’à la période
transitionnelle B (fin du Ier siècle de notre ère). Par la suite, il se rétrécit, les
deux montants verticaux deviennent parallèles et tous deux inclinés sur la
droite : . Pour peu que le point caractéristique soit omis, il peut à époque
tardive être aisément confondu avec un l. L’absence de ce point est en effet
assez fréquente, mais particulièrement à la période archaïque 1, ce qui
confirme le caractère diacritique que nous lui avons attribué (cf. p. 256) et
qui ne s’est imposé que progressivement.
1
Voir Tableau 12 : REM 0632, 0617, 0694, 0635, 0707, 0636, 0637, 0434, 0833 ; Tableau
13 : REM 1003, 0816 ; Tableau 15 : REM 0101, 1208.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 331
SIGNE te
1
Voir Griffith, 1911a, p. 16 et 71.
332 LA LANGUE DE MÉROÉ
SIGNE to
SIGNE w
1
Cf. Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 45.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 333
Tableau 13). Au cours des siècles suivants, la forme varie peu, mais elle est
souvent plus arrondie . À côté du ductus dominant montré sur le schéma
ci-dessus, où la boucle est tracée en partant de la gauche, il existe un ductus
alternatif où elle est dessinée à partir de la droite, puis complétée par un trait
vertical à gauche (voir par ex. REM 0628 sur le Tableau 13). Pour peu que la
boucle soit alors mal fermée, la confusion est possible avec la lettre s s 1.
SIGNE y
1
À l’inverse, le s peut par mégarde être fermé par le graveur et il sera alors lu w : on a
ainsi Wowi pour Wosi à la fin de REM 1195 (voir Hofmann-Tomandl, 1986a, p. 45-46)
et le préfixe verbal pwi- pour psi- en REM 0222, 0268, piwi- pour pisi- en REM 0325.
2
Voir Griffith, 1911a, p. 13, 33 ; Monneret de Villard, 1960, p. 96, 111 ; Trigger, 1962,
p. 6.
3
Peut-on expliquer ainsi l’alternance des graphies yotise / ytise « jusqu’à » (voir p. 538) ?
334 LA LANGUE DE MÉROÉ
SÉPARATEUR
1
Hofmann in Török, 1997a, p. 127 ; voir également Monneret de Villard in Hintze, 1960a,
p. 133, 142.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 335
1
Cf. supra, note 1, p. 192.
336 LA LANGUE DE MÉROÉ
SIGNE d. Les formes du IIe siècle avant J.-C. présentent parfois l’ìil
simple (REM 0401, 1044) sans les prolongements spécifiques à l’ìil oudjat,
bien que celui-ci apparaisse de manière sûre dans l’inscription de la reine
Shanakdakheto (REM 0039), et peut-être déjà en REM 0401 (cartouche 8),
mais les traces interprétées en ce sens par Griffith sont douteuses 1. Au siècle
suivant, l’oudjat se généralise et semble désormais la seule graphie employée
jusqu’aux dernières inscriptions 2.
1
Voir Garstang et al., 1911 Pl. XXXIV, à comparer avec le fac-similé de Griffith en
pl. LXI. La forme simple (cartouche 9) que nous avons retenue dans le Tableau 16 pour
REM 0401 est par contre sûre.
2
En REM 0009 (nom du dieu Aqedis au temple du Lion à Naga), la pierre est abîmée sous
le signe de l’œil, si bien que Griffith y reconstitue l’oudjat (Garstang et al., 1911 pl. XIX,
9) tandis que Zibelius opte pour l’œil simple (Zibelius, 1983, p. 21).
3
Voir supra, p. 262-264. Pour le sens de l’écriture hiéroglyphique, voir p. 276.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 337
1
Török in Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 936-938 considère que ce cartouche
contient le nom du roi Amanakhareqerem (d’après Wenig, 1978, p. 209). Cette opinion
est reprise par G. et J. Hallof, qui remarquent cependant que les vestiges des derniers
signes sont problématiques (voir Hallof–Hallof, 2000, p. 170, note 3). Griffith, 1916c
lisait ce cartouche Mn‚nowol, Dunham, 1970 (p. 34) donne Mn‚nqermo ou
Mn‚tqermo, Hofmann, 1970 le lit *Mn‚.oermo, ce qui est impossible, bien que cette
lecture soit fidèle au dessin de Steindorff, 1938.
2
Je remercie les ornithologues Frédéric Malher et Paul van Gasse qui m’ont fait bénéficier
de leur savoir sur les rapaces nocturnes du Soudan.
338 LA LANGUE DE MÉROÉ
divinité adjuvante dont seule demeure la main tendant au prince une grappe
d’ennemis : « donne-lui ... (?) » ou une autre forme du même verbe. L’aspect
de l’hiéroglyphe ne est ici intermédiaire entre la graphie traditionnelle et
celle qui nous occupe : ce pourrait être une herbacée à plusieurs étages de
feuilles plutôt que des branches de palmiers. Griffith en tire cependant un
argument paléographique pour dater la plaquette Cargill (Griffith, 1917a,
p. 24 et note 1 ; voir aussi Monneret de Villard, 1959, p. 103). Il semblerait
donc que ces palmes soient une alternative plutôt rare aux deux joncs
habituellement utilisés pour transcrire la syllabe graphique ne. La résurgence
de cette variante en REM 1222, parmi des hiéroglyphes fort différents de
ceux du temps de Natakamani, indique apparemment qu’elle n’a pas cessé
d’être employée après le Ier siècle, mais les raisons qui amènent les scripteurs
à choisir parfois cette forme sont obscures.
SIGNE q. Les graphies les plus anciennes (IIe/Ier siècle avant J.-C.), sans
1
tout à fait correspondre au signe égyptien , s’en approchent néanmoins.
er e
Les formes ultérieures (I /II siècle apr. J.-C.) ont un profil caractéristique
qui rappelle la pyramide méroïtique . Au IIIe siècle, la ressemblance avec
ce type d’édifice semble complétée par l’adjonction d’une base (REM
0060). La dernière attestation (REM 1222) voit le triangle s’aplatir et la base
se détacher . La même forme apparaît sur une inscription inédite au nom
du souverain tardif Yesbokheamani, gravée sur un lion retrouvé à Qasr Ibrim
et conservé au musée d’Assouan2. On ne peut certifier, à partir du peu
d’exemples que nous connaissons, que les Méroïtes ont voulu figurer une
pyramide, mais l’évolution du signe s’accorde bien avec cette hypothèse.
SIGNE r. Les graphies anciennes, depuis le IIe siècle av. J.-C. jusqu’au
er
I siècle de notre ère, présentent toutes un petit cercle sur le côté du
rectangle, qui perpétue peut-être le trait de l’original égyptien (voir
p. 271). Sous Natakamani, il arrive déjà que ce cercle soit absent,
particulièrement si le signe est flanqué d’un caractère vocalique, et il
disparaît totalement par la suite. Assez souvent, le rectangle reçoit alors un
trait horizontal en son centre, qui n’est pas sans rappeler celui que l’on trouve
à même époque dans le signe ‚. En REM 1222, le signe semble présenter une
confusion avec l’hiéroglyphe te T, ou du moins son segment inférieur. On
pourrait croire à une décadence finale des conventions graphiques si une
inscription du temple d’Amara (REM 0084), associée avec le roi Natakamani
1
Le fac-similé de Griffith semble toutefois exagérer la forme en triangle rectangle du
signe archaïque : comparer Garstang et al., 1911 pl. XXXIV avec le cliché pl. LXI. 15.
2
Je remercie le professeur J. Hallof qui m’en a fait parvenir une excellente photographie.
340 LA LANGUE DE MÉROÉ
SIGNE se. Dans le texte archaïque REM 0401 (IIe siècle av. J.-C.),
l’hiéroglyphe semble reproduire un unique verrou égyptien (ancien z). Au
siècle suivant (REM 0402), le signe s’est dédoublé et l’on aboutit à une
forme géométrique qui se conserve apparemment sans modification jusqu’à
la fin du royaume.
1
Il semble assez probable que (a) et (b) devaient correspondre à l’hiéroglyphique
archaïque (en REM 0401) et « classique » (REM 0402). Mais aucune numérotation de
ces styles n’apparaît dans l’ouvrage.
2
On rappelle que si Meroë (Griffith, 1911b) fut publié après Karanóg (Griffith, 1911a), ce
dernier avait été élaboré après le précédent (voir p. 52).
3
Détail emprunté à Griffith, 1929, p. 70. Dans Karanóg, comme dans Meroë, Griffith se
contente de signaler que ce style correspond aux fontes utilisées dans l’ouvrage.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 343
1
Griffith, dans sa table paléographique précédemment citée, est d’ailleurs souvent obligé
de distinguer les faces de REM 0405 par un a ou un b dans la même colonne.
2
On remarquera cependant que l’orthographe respecte les conventions archaïques (e-
initial par ex.) : on peut se demander quelles motivations ont présidé à l’inscription de ce
passage. Le sens trop obscur ne permet pas actuellement de les préciser.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 345
1
Nous remercions les mathématiciens Mme Jacqueline Mac Aleese et M. G. Le Bouffant
pour l’aide précieuse qu’ils nous ont apportée dans cette recherche (cf. Rilly, 2001c).
2
Cf. Macadam, 1949, p. 101 : « Now the cursive inscriptions which mention Amanirenas
are all in the early style except this one [REM 0628], which has an inclination toward the
transitional, whereas those of the period of Natakamani and Amanit‘re are purely
transitional. »
3
Nous ne possédons pas actuellement de textes en cursive que l’on puisse dater avec
certitude de la première moitié du Ier siècle av. J.-C (entre les règnes de Taneyidamani et
Teriteqas).
4
Cette précision plus grande est due à la datation absolue de REM 1088 et REM 0829
grâce aux graffiti démotiques de Dakka (règne du César Trébonien Gallus) et à la
mention de Maximin Gaius en REM 1182 (texte contemporain de REM 1183).
5
Nous retenons pour REM 0094 la datation basse autour de 420 apr. J.-C. par Török
(cf. Eide–Hägg et al., 1998 [FHN III] p. 1104-1106).
346 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir entre autres Griffith, 1911b, p. 64 ; Griffith, 1917a, p. 24 et note 1 ; Monneret de
Villard, 1959, p. 94 ; Trigger, 1962, p. 3-5 ; Rosenvasser, 1963, p. 140 ; Heyler, 1964,
p. 30 et note 1 ; Bakr, 1964, p. 293-296 passim ; Trigger, 1967a, p. 74-77 passim ;
Trigger–Heyler, 1970, p. 7-8 ; Hofmann, 1977a, p. 195 ; Hofmann et al., 1989a, p. 155 ;
Rilly, 2001c.
2
Cf. Haycock, 1978, p. 58.
3
Voir Trigger–Heyler, 1970, p. 6 pour les variations dans la forme des lettres, parfois au
sein d’une même inscription.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 347
1
Cf. Griffith, 1911a, p. 4. Il y adjoint les signes de forme égyptienne pour b, n et se que
l’on trouve dans l’inscription archaïque REM 0401, ce qui pose un problème théorique :
ou bien l’on admet, comme nous l’avons fait (cf. p. 214, 264, 272), que ces hiéroglyphes
sont méroïtiques, bien qu’archaïques, ou bien l’on doit considérer toute l’inscription
(apparemment des ethnonymes) comme égyptienne, ce qui paraît difficile eu égard au
nombre de signes proprement méroïtiques.
2
Il faut ajouter à ces trois exemples deux autres avec une hampe à gauche plus
développée, apparaissant sur une table d’offrandes inédite de Toronto (ROM 921.4.8),
probablement retrouvée dans les fouilles de Garstang à Méroé, et signalée par Millet
(Millet, 1973c, p. 319 et note 31).
354 LA LANGUE DE MÉROÉ
L’affaire est cependant plus complexe qu’il n’y paraît car sur la grande
stèle de Taneyidamani retrouvée au Gebel Barkal figure un signe assez
semblable. Hintze, dans la première étude du texte, le reproduit . Il apparaît
dans quatre séquences : eqermde (ligne 3), irƒtto, (ligne 35), „rleqoleb,
(ligne 68), nerose (ligne 75), qui n’aident guère à établir sa valeur puisqu’il
s’agit de termes inconnus. Hintze suggère h, qu’il suppose avoir existé en
méroïtique d’après les noms napatéens (Taharqo par exemple), et qu’il
propose de relier à l’hiéroglyphe égyptien correspondant h (Hintze, 1960a,
p. 133). Les quatre occurrences, et particulièrement nerose, indiquent
effectivement qu’il doit s’agir d’un signe de base (« consonne ») et non d’un
signe vocalique ou à syllabe fixe : le caractère o, même à l’époque archaïque,
ne peut constituer à lui seul une syllabe, à l’opposé de e et de i 1. Cependant,
nous sommes réticent devant la valeur avancée par Hintze, car le phonème
/h/ est absent des plus anciennes attestations du méroïtique (voir p. 4, 6, 8).
Dans le nom du pharaon Taharqo, nous avons montré que le h qui n’apparaît
ni dans la transcription assyrienne, ni dans la transcription grecque, n’avait
probablement pas la valeur d’un phonème indépendant (voir supra, p. 273).
Priese reprit plus tard l’étude du signe particulier de la stèle de Taneyidamani
et l’assimila à celui que l’on trouve sur les tables d’offrandes archaïques de
Méroé (Priese, 1973b, p. 291, p. 304, note 8). Il lui donne donc aussi la
valeur s que nous avons récusée ci-dessus, et lui attribue un tracé fermé qui
s’accorde mieux avec le signe des tables d’offrandes. Or la comparaison des
trois séries de clichés publiés jusqu’ici pour REM 1044 2 montre assez
clairement que deux des occurrences (l. 3, 68) offrent un carré supérieur
ouvert correspondant à la forme avancée par Hintze 3, tandis que les deux
autres (l. 35, 75) ont un carré fermé conformément au dessin de Priese. Il
serait cependant déraisonnable de supposer qu’il s’agit de deux signes
différents, qui auraient alors une fréquence quasi-nulle chacun (1,2 ‰).
Toutefois, il se peut que le signe ne soit pas le même que celui des tables
d’offrandes de Méroé, dont la valeur syllabique si [ÈaMi], assez sûre, ne
semble pas convenir dans les séquences où apparaît le signe particulier de
REM 1044. Millet a supposé que le signe, par un jeu d’alternance phonétique
s / t, attesté dans certains mots (par ex. kdise / kdite « sœur ») transcrirait la
syllabe si dans les tables d’offrandes et la syllabe ti en REM 1044 (Millet,
1973c, p. 315-316). Il met en effet en parallèle la séquence eqermde (ligne
3) et des séquences eqetid, eqetip‚e, eqetis‚e dans le même texte. Le signe
pourrait selon lui avoir été tiré du numéral démotique pour 9 (ég. djw). La
1
Voir supra, p. 289-292.
2
Hintze, 1960a pl. XXXII, XXXIV ; Dunham, 1970 pl. XXXIX, XLII ; Leprohon, 1991 3,
146 et 148.
3
Cette forme est notamment reprise par Hofmann dans sa table paléographique (Hofmann,
1991, p. 127) ; mais elle la range au côté des signes en drapeau des stèles de Méroé, en
lui attribuant la valeur s.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 355
1
Voir la liste chez Hintze, 1960a, p. 143.
2
Correspond aux lignes 2 et 18 de Monneret de Villard, qui pensait que la bande
transversale au-dessus du texte contenait une ligne disparue.
3
Incertitude reprise par la translittération du REM, cf. Heyler, 1971, p. 3. Török, dans
Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 720, donne areseli.
4
Trigger, qui reprend à cette occasion l’hypothèse de Monneret de Villard, garde malgré
tout la lecture e dans sa translittération (Trigger, 1967a, p. 74).
356 LA LANGUE DE MÉROÉ
Chiffres
Les signes numériques n’ont fait l’objet que d’une seule étude, au reste
assez succincte, par Griffith, dans la première de ses « Meroitic Studies »
(Griffith, 1916a, p. 22-25 et pl. VI). Elle comporte un tableau comparatif des
chiffres en hiératique tardif, en hiératique anormal, en démotique sur
plusieurs périodes et bien sûr en méroïtique 1, et quelques réflexions rapides
sur l’origine des signes.
Les chiffres ne sont fréquents en méroïtique que sur les ostraca (cf.
p. 227-229), et encore s’agit-il d’indications qui atteignent rarement les
dizaines. Pour les chiffres supérieurs à 40, nous sommes réduits à quelques
rares attestations, notamment sur les stèles royales ou dans certains
« passages obscurs » des épitaphes (cf. par ex. p. 153). C’est ainsi que nous
ignorons les signes pour 60, 90, 400, 900, 4 000, et au-delà de 5 000. Les
chiffres proposés pour 80 et 700 sont peu sûrs parce qu’uniques. Un certain
nombres de signes numériques sont difficilement identifiables, notamment en
REM 1141 (stèle d’Amanishakheto de Qasr Ibrim) et sur la stèle inédite
d’Abratoye, et ne figurent donc pas sur le Tableau 18. Il n’est donc pas
possible pour l’instant d’établir une paléographie évolutive des chiffres
méroïtiques.
Griffith avait été frappé par la ressemblance du signe 20 méroïtique avec
son équivalent hiératique tardif et anormal, et en avait déduit un rattachement
avec ces types d’écritures (Griffith, 1916a, p. 23). Cette théorie,
abondamment relayée (voir supra, p. 245, note 1), ne résiste cependant pas à
un examen attentif des filiations possibles pour les chiffres méroïtiques (voir
Tableau 18). Les ressemblances avec l’hiératique anormal ne concernent que
les signes pour 10, 20, 40 et 50. On trouve autant de rapports avec les formes
tardives de l’hiératique commun, notamment les chiffres 6, 40, 300, 100.
Mais la majorité des signes numériques méroïtiques offrent plutôt une
analogie frappante avec les formes ptolémaïques correspondantes. C’est le
1
Cette table, reproduite dans notre Tableau 18 (p. 357), est également la seule paléographie
actuellement publiée des chiffres égyptiens tardifs (El-Aguizy, 1998 ne traite pas des signes
numériques en démotique). On trouvera quelques indications ponctuelles sur les chiffres et
les nombres méroïtiques dans Griffith, 1909, p. 47 ; Griffith, 1912, p. 74 ; Meinhof, 1921-
1922, p. 12 ; Griffith, 1922, p. 597 ; Griffith, 1925a, p. 219 ; Zyhlarz, 1930, p. 444-447 ;
Macadam, 1949, p. 95 ; Zyhlarz, 1961, p. 243 ; Hintze, 1960a, p. 155, 156, 160 ; Trigger,
1967a, p. 74 et note 21, p. 76 et fac-sim. 7, p. 77 et fac-sim. 12 ; Millet, 1969, p. 393-398 ;
Trigger–Heyler, 1970, p. 13, 15 ; Meeks, 1973, p. 6 ; Hainsworth, 1975b, p. 35 ; Millet,
1982, p. 78-79 ; Leclant in Säve-Söderbergh, 1982, p. 51 ; Hofmann–Tomandl, 1986b,
p. 137 ; Hofmann et al., 1989a, p. 139-156 passim ; Hofmann in Török, 1997a, p. 97 ; Rilly,
2000c, p. 101.
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 357
cas pour 6, 8, 9, 30, 50, 80, 100, 200, 300, 800. Il semble donc que le
système, bien que présentant un certain nombre d’archaïsmes qui témoignent
sans doute d’un développement local 1, est principalement dérivé, comme la
cursive méroïtique, du ptolémaïque ancien. On trouve par exemple la même
ambiguïté gênante entre les signes 8 et 9, où seule l’orientation de la queue
plus ou moins oblique permet une distinction 2.
Comme en égyptien, la notation numérique suit la chose quantifiée, mais,
alors qu’en égyptien il semble que cet ordre soit purement graphique 3, en
méroïtique, où le déterminant suit toujours le déterminé, l’ordre correspond
très probablement à une réalité linguistique. Le nom, comme en égyptien et
dans bien d’autres langues, reste au singulier. On trouve ainsi en REM
1088/16-17 : nob 735 ked : « il tua (?) 735 Noba (?) ».
Il se peut que le séparateur suive le nombre (par ex. en REM 1138), mais
il ne le sépare jamais de l’entité qu’il détermine 4. Il arrive parfois que le
chiffre soit suivi d’un déterminant -ni : il correspond peut-être alors à un
ordinal, et l’on songe naturellement au suffixe égyptien -nw(.t), qui a le
même valeur, mais cette interprétation ne fait pas l’unanimité (voir Millet,
1982, p. 78-79).
On trouvera dans le Tableau 18 la liste (colonne de droite) les chiffres
méroïtiques entiers (plus la fraction 1/2), comparés avec leurs équivalents
hiératiques ou démotiques, pour lesquels nous avons suivi Griffith, 1916a.
Une colonne reprend la liste donnée un peu plus tard par Erichsen, 1940
(Demotische Lesestücke II p. 186-187). La liste méroïtique de Griffith a été
enrichie d’attestations publiées ultérieurement, et issues des REM 0552,
0557, 0562, 0569, 0570, 0577, 0583, 0612, 0636, 0656, 0657, 0809, 1044,
1088, 1102, 1138, 1141, 1187 et 1333 (stèle du vice-roi Abratoye). Le
Tableau 19 (p. 357) donne la liste des décimales, figurées par une série de
points disposés en quadrats, un système totalement original par rapport à la
tradition égyptienne, où la fraction 1/x est représentée dans tous les types
d’écriture par le chiffre x surmonté du caractère r. Est également originale la
nature duodécimale de ce système (il s'agit de douzièmes et non de dizièmes
comme en égyptien), déjà évoquée comme une simple possibilité par Griffith,
mais récemment mise en évidence par Carsten Peust 5. L'existence de fractions
composées de dix points semblablement disposés dans deux ostraca inédits
d'Attiri (Khartoum, SNM 20165 et 22883) ne laisse guère de doute à ce sujet.
1
Voir p. 260-262. Les chiffres pour 5, 7, 500, ½ sont eux entièrement originaux, et les
quatre premiers chiffres semblent dérivés de l’égyptien hiéroglyphique.
2
Ainsi, il semble que là où Griffith lisait parfois un 9 (Griffith, 1925a, p. 222 : F.O.20/2 [=
REM 0570/2]), il faille plutôt lire 8.
3
Cf. Gardiner, 1957, p. 193.
4
Voir Rilly, 2000c, p. 101.
5
Cf. « Eine Revision der Werte der meroitischen Zahlreichen », Göttinger Miszellen 196
(2003), p. 49-64.
358 LA LANGUE DE MÉROÉ
L’ÉCRITURE MÉROÏTIQUE 359
1
Voir également Griffith, 1916b, p. 113 et note 4 ; Griffith, 1925a, p. 220 sq. ; Trigger,
1967a, p. 74 et p. 75 fac-sim. 3, p. 76 et fac-sim. 7 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 36 et notes
h 110-116, p. 38 ; Leclant in Säve-Söderbergh, 1982, p. 51.
2
Hainsworth avait envisagé l’existence d’un signe de forme ou en REM 1148/6 et
1176/3, mais il semble qu’il s’agit d’une forme ancienne du to qui correspondrait paléo-
graphiquement aux tracés des autres signes sur les mêmes ostraca.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES
1
Dans la suite du chapitre, comme dans le reste de l’ouvrage, l’italique indique une simple
translittération, par ex. s ; les traits obliques signalent une transcription phonologique, par
ex. /s/, tandis que les crochets droits proposent une reconstitution phonétique par ex. [È].
Nous n’avons pas voulu alourdir la notation par l’adjonction d’un astérique devant cette
dernière forme, mais on gardera à l’esprit qu’elle ne peut être qu’hypothétique.
362 LA LANGUE DE MÉROÉ
LE SYSTÈME CONSONANTIQUE
Occlusives
1
Nous suivons généralement ici la terminologie qu’emploie Creissels, 1994 (Aperçu sur
les structures phonologiques des langues négro-africaines, 2e édition). Nous préférons
cependant le terme d’« occlusives », consacré par la tradition, à celui de « plosives ».
2
L’existence d’une éventuelle série de prénasalisées sera abordée p. 371-374.
364 LA LANGUE DE MÉROÉ
Bilabiales
– anthroponyme ég. O2 A'i(j « le faucon » (gr. Πβηχις, lat. Beces) / mér. Beke
– anthroponyme ég. S2 A'i(j'-s( « le faucon femelle » (gr. Τβηχις) / mér. Tebiki 2
– anthroponyme mér. B(e)rtoye « Abratoye » 3/ transcr. dém. 2aqsj , gr. Αβρατοεις
– anthroponyme mér. Bekemete / transcr. dém. Ajlsx
– toponyme ég. Cv,vƒa « cime pure » / mér. Tew:webi (le Gebel Barkal)
– toponyme mér. Qerbe (loc. incertaine) / transcr. lat. Corambim, Curambeta 4
– toponyme ég. 'Oq,(Mar « Pnoubs » (grec. Πνοúψ, lat. Nups) 5 / mér. -Nbse
– toponyme ég. A2p« / mér. Beqe, Boq- / transcr. gr. Αβονκις (?), lat. Bocchis 6
– toponyme mér. Aborepi « Musawwarat » / transc. ég. *Õaqo 7
– titre mér. arebetke (fonction fiscale) / transcr. dém. Õqasfƒxd, Õqasmfxƒ
1
Une partie de ces équivalences ont été utilisées par Griffith dans les « équations » qui lui
ont permis d’établir la valeur des signes (Griffith, 1911a, p. 13-14, Griffith, 1916b
passim : voir Tableaux 8 et 8bis p. 232-233).
2
Attesté en REM 0185 et 0284.
3
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 1020-1023.
4
Peut-être Γερβẃ chez Ptolémée (Geogr. 4.7.[6]), mais l’identification n’est pas satis-
faisante sur le plan vocalique.
5
Forme latine d’après les itinéraires de Bion et de Juba chez Pline l’Ancien.
6
D’après Pline Hist. Nat. VI-181-182 (itinéraire de Pétronius). Le toponyme désigne
probablement l’actuel Qubban, l’antique Contra-Pselchis.
7
Le terme original comporte une métathèse « cryptique » : voir Rilly, 2001d.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 365
Pour Griffith, qui avait relevé presque tous ces parallèles, et pour ses
successeurs directs, l’opposition entre l’occlusive bilabiale sourde [p] et la
sonore [b] paraissait aller de soi 6. C’est Vycichl qui le premier émit quelques
doutes sur cette question (Vycichl, 1958, p. 75). Les études phonétiques sur
l’égyptien ancien avaient en effet progressé et l’on savait qu’au moins en
égyptien tardif (contemporain du méroïtique) et en copte, la consonne /b/,
bien qu’elle puisse phonologiquement constituer avec /p/ une paire
pertinente, n’était phonétiquement pas de même nature qu’elle. Il s’agissait en
1
Attesté en REM 0089. Var. de la transcription grecque (de l’égyptien) : *Σαιψις
(> génitif Σαιψιος) : voir Demotische Namenbuch (Luddeckens et al., 1996), I, 14,
p. 1086.
2
Attesté en REM 0088 et 0090. Var. grecques Παïσις, Παüσις, Φαüσις (d’après leur
génitif), voir Demotische Namenbuch (Luddeckens et al., 1985), I, 5, p. 354.
3
La vocalisation du terme méroïtique semble correspondre plutôt au copte lašane « chef
de village », qu’au grec.
4
Graffito Dakka 30.
5
Chez Ptolémée et Pline Hist. Nat. VI-181 (lat. Primi[i]s dans la relation de la campagne
de Pétronius). Le même Pline donne selon d’autres sources Pidema (ibid. VI-179 :
itinéraire de Juba) et Pindis (ibid. VI-180 : citation de Bion de Soles).
6
Griffith, 1911a, p. 13-14, 22, repris par Meinhof, 1921-1922, p. 3 ; Zyhlarz, 1930, p. 421.
366 LA LANGUE DE MÉROÉ
effet d’une fricative bilabiale [β] 1, comme celle qui apparaît en position
intervocalique dans l’espagnol saber ou llave. Vycichl ne se prononce pas
clairement sur l’existence d’occlusives voisées en méroïtique, mais son étude
a le mérite de montrer que les parallèles relevés ci-dessus ne prouvent pas
indubitablement l’existence d’une opposition de voisement entre p et b. Un
peu plus tard, Zawadowski calquera simplement les faits égyptiens en
proposant pour /b/ une fricative bilabiale (Zawadowski, 1972, p. 25).
On objectera peut-être que les transcriptions grecques comportent des β et
des π, qui représentent dans cette langue deux occlusives bilabiales
respectivement sonore et sourde. Mais dans presque tous les exemples, le
grec ne fait que transcrire l’égyptien, et non directement le méroïtique. Or les
règles qu’il observe habituellement en ce cas assimilent par une sorte
d’automatisme le p égyptien au π grec, et le b égyptien au β 2. La seule
exception oriente justement l’analyse dans un sens opposé : il s’agit du
toponyme Napata, dont on peut penser qu’il existe des transcriptions
grecques ou latines directement issues du méroïtique. Et justement le
toponyme est transcrit le plus souvent (τà) Νáπατα ou Νáπατη, mais aussi
Νáβατη 3. On retrouve pareillement en latin, à côté de Napata, les formes
Nabata et Nabatta 4.
D’autres indices semblent montrer que le voisement n’était pas
originellement un critère phonologiquement pertinent pour les bilabiales. Les
vestiges les plus anciens du méroïtique, à savoir la liste de Crocodilopolis
(cf. p. 5), ne comportent de p qu’à l’initiale, jamais en position interne ou
finale. Les passages en idiome étranger dans le chapitre supplémentaire 165
du Livre des Morts, sûrement protoméroïtique (cf. p. 11), présentent
plusieurs fois le graphème b, mais jamais de p.
De plus, si l’on recense dans notre « lexique » les mots méroïtiques
comprenant le graphème p, on s’aperçoit que 35 occurrences sur 61 sont des
emprunts reconnaissables à l’égyptien 5, mais il y en a probablement d’autres,
moins évidents. Pour les rares mots et morphèmes purement méroïtiques où
1
Voir Vergote, 1973 : Grammaire copte, tome Ia p. 16-17 pour un exposé clair et argu-
menté des faits en copte, et Loprieno, 1995, p. 28-50 (particulièrement p. 41) pour une
synthèse récente de la phonétique diachronique.
2
Voir Clarysse-Van der Veken, 1983, p. 135-137.
3
Cf. Priese, 1984, p. 495.
4
Nabata chez Pline, Hist. Nat. VI, 184. Il s’agit de l’expédition envoyée par Néron à la
découverte des sources du Nil, et on peut penser que Pline utilise ici le toponyme
transcrit directement du méroïtique par les Romains (voir Eide–Hägg et al., 1998 = FHN
III, p. 887), échappant ainsi au prisme déformant de l’égyptien. La transcription Nabata
se retrouve aussi dans les Res Gestae Divi Augusti, 26.5. La leçon Nabatta figure dans
l’itinéraire de Juba, également chez Pline (Hist. Nat. VI-179), mais la désignation est ici
moins assurée en raison d’un découpage erroné dans les manuscrits qui nous ont été
transmis.
5
Remarque similaire chez Hofmann, 1981a, p. 34.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 367
1
Pour des variantes p / b dans les anthroponymes, voir Zach, 1994, p. 104.
2
On comparera avec les deux sigma de l’alphabet grec moderne (σ et ς), de même valeur
mais utilisés selon la position de /s/ dans le mot. Semblablement l’étrusque, qui a gardé le
K, le C et le Q des alphabets grecs archaïques pour écrire le même phonème /k/, emploie
respectivement K devant la voyelle A, C devant E ou I, et Q devant U. Il ne semble pas
cependant que l’usage de p et b en méroïtique, à supposer que notre hypothèse soit juste,
ait revêtu un caractère aussi systématique que ces deux exemples.
368 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Griffith, 1911a, p. 16 ; Griffith, 1916b passim ; Griffith, 1929, p. 70-72.
2
REM 0404 pour le mér., Ph. 411 pour le dém. Le personnage du proscynème égyptien
apparaît sous la graphie Atkinideye en REM 1049 (il est pelmos « stratège » comme en
Ph. 411), un parallèle que personne n’a relevé à notre connaissance. Le nom Tenekitnide
serait plutôt un homonyme, avec une graphie différente : voir Eide–Hägg et al., 1998,
p. 990-991.
3
Il s’agit d’un souverain connu : Ph. 416 pour le dém. Cf. Eide–Hägg et al., 1998, p. 1003,
1005, 1007.
4
Itinéraire de Bion de Soles (auteur du IIIe s. av. J.-C.) transcrit du grec (d’où l’astérisque)
par Pline l’Ancien (Hist. Nat. VI. [177], [180]), et itinéraire de Juba II (ibid. [179]). Pour
les transcriptions égyptiennes, dont la correspondance avec le méroïtique semble
beaucoup moins sûre, voir Priese, 1984.
5
Priese, 1984 propose d’identifier ce toponyme avec l’actuel Qustul.
6
Cette équivalence est refusée par Hintze, 1987, p. 46.
7
Griffith rattache à cette équivalence les variations que l’on trouve sur le nom du dieu
Mandoulis (Griffith, 1929, p. 71), gr. Μανδουλις, Μονδουλευος, dém. Lqvkd, Lmsvk,
Lkvkd, Lsvkd, mais le nom méroïtique de ce dieu, particulièrement adoré par les
Blemmyes à Kalabsha, n’est pas attesté de manière certaine. On peut noter que le bedja,
probablement descendant de la langue des Blemmyes, possède lui aussi un [Ç] rétroflexe
susceptible d’être transcrit r dans d’autres langues où ce type d’apicales est inconnu.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 369
1
Il s’agit du roi Natakamani (vers 50 après J.-C.). La transcr. ég. Msj,Õlm provient du
support de barque Berlin 7261, Msf,Õlm d’un mur du temple d’Amon à Méroé (Garstang
et al., 1911 pl. XII et LXIX), et Mcj2lm de l’entrée de la salle hypostyle du temple B
514 au Gebel Barkal (LD V, 149).
2
Il s’agit de la Candace Amanitore, épouse du précédent. La transcription ég. Õlm,
s2z-vx|qx'-s( provient du support de barque Berlin 7261, Õlm,cq'-s(,x '-s( d’un bloc de
chapelle funéraire Berlin 2259 (LD V, 47) : pour cette dernière transcription au lieu de
*Õlm,ƒqx-s suggéré par Török (Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 902), nous proposons
de voir en une graphie approximative pour dr.t (voir également Griffith, 1911a
note 5, p. 6, qui propose t ).
3
REM 0088 (voir Eide–Hägg et al., 1998 [FHN III] p. 974-975). Transcriptions grecques
alternatives (de l’égyptien) : Ταησαι, Ταησε, Ταηση, Ταησις, Ταïσις (d’après leur
génitif), voir Demotische Namenbuch (Luddeckens et al., 1997), I, 15, p. 1166-1167.
4
Dans les noms propres égyptiens transcrits en grec, on a aussi -µωτ-, -µουτ, -µυτ
(cf. Brunsch, 1978, p. 112) ; pour une tentative d’explication de la conservation en
démotique du suffixe fém. /t/, généralement amuï, voir ibid. p. 123-128.
370 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
S’il s’agit effectivement d’une variante pour Adere, il est possible qu’une influence
étrangère (noba ?) en soit responsable. On remarquera que le vieux-nubien présente des
alternances graphique d / r (cf. Browne, 1989a, p. 5), qui sont peut-être un vestige du
méroïtique.
2
Voir Dunham, 1957, p. 13-14 ; Heyler, 1967, note 2, p. 126 ; Wenig, 1967, p. 38, note
194 ; Trigger–-Heyler, 1970, note h 29, p. 25 ; Priese, 1973b, p. 294-295 ; Hintze, 1973c,
p. 328 ; Leclant, 1975-1976, p. 217 ; Leclant, 1977, p. 157 et note 22 ; Hofmann, 1981a,
p. 39 ; Grzymski, 1982, p. 29 ; Hintze, 1987, p. 49 ; Böhm, 1987, p. 6, 7 ; Rilly, 1999a
notes 2 et 7, p. 108. L’interprétation de Zawadowski, qui voit en d une palatalisée [dj]
(Zawadowski, 1972, p. 23-24), repose sur une comparaison du méroïtique avec l’arabe
soudanais actuel, ce qui paraît pour le moins hasardeux en raison de la distance
chronologique et linguistique qui les sépare (cf. Vycichl, 1973b, p. 64-66).
3
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 549-557.
4
Voir Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 804-809.
5
Certains des toponymes de la liste de Bion (Megadale, Bagada, Radata, Aedosa)
comportent cependant un d intervocalique simple, mais on ne connaît pas pour eux
l’original méroïtique.
372 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Les transcriptions phonétiques sont ici modernisées (en API.).
2
On la retrouve cependant chez Böhm, 1987 (p. 10-12), qui différencie 3 valeurs de /t/ : t1
(= te) =[tMl] (« laterale Verschlu8laut » en raison de la loi de Griffith), t2 (devant /a/ et /i/)
=[tj] ou [tMsj] (« palatal ») et t3 (devant /u/) =[¤] (« ähnlich dem arabischen ¤ »). Mais Böhm
semble ignorer que la loi de Griffith (voir ci-dessous, p. 415) ne concerne pas seulement
/se/ + /lŒ/, mais s’applique aussi à /se/ + /lo/ (valeur [3] du /t/) et /se/ + /la/ (valeur [2] du
/t/) : ainsi on a -towi issu de -se-lowi et -t (=/ta/) issu de -se-l (=/se/+/la/). Comme dans
chacun de ces cas, le signe t est issu de la même contraction, il s’agit vraisemblablement
du même phonème. De plus, Böhm suppose que l’opposition pertinente entre t1e, t2a, et
t3o se fait au niveau de la consonne, obligeant les Méroïtes à utiliser des signes différents,
alors que c’est bien évidemment la voyelle qui change. Il est probable que cette variation
vocalique a entraîné comme partout des différences dans la réalisation du /t/, plus ou
moins labialisé, palatalisé ou vélarisé. Ce n’est cependant pas cette finesse phonétique
qui a motivé l’usage de signes différents en méroïtique, mais bien la fréquence des
syllabes graphiques ne, se, te, to et leur utilisation comme morphèmes récurrents. Telles
autrefois les théories de Zyhlarz, celles de Böhm posent comme postulat une parenté du
méroïtique avec le chamito-sémitique (et ses trois ordres d’occlusives), puis tâchent de
plier les faits à cette hypothèse de départ.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 373
jamais été transcrit à l’aide d’un r en égyptien et en grec, c’est parce que sa
qualité non voisée réduisait les vibrations de l’apex audibles dans la sonore
correspondante [Ç], qui faisaient ressembler cette dernière à un /r/.
Cependant, le caractère rétroflexe des apicales méroïtiques n’explique pas
la série de correspondances notée (2) ci-dessus (p. 366), où un groupe
égyptien nt, nd, ou grec νδ, ντ représente un d méroïtique. Nous avons dans
le chapitre précédent étudié cette question sous l’angle de l’écriture, et abouti
à la conclusion que c’était bien au sein du méroïtique lui-même qu’il fallait
chercher la clef du problème, et non dans les techniques de transcription
utilisées par l’égyptien ou le grec 1. Trois solutions peuvent être retenues :
(a) Le phénomène est entièrement phonologique : il existe en méroïtique une
série de consonnes prénasalisées. Le segment nasal n’est pas marqué par
le méroïtique, qui écrit donc la prénasalisée comme la consonne simple
correspondante. C’est la théorie de Zyhlarz, 1930 et Hofmann, 1981a.
(b) Le méroïtique possède des voyelles nasales, que l’écriture transcrit selon
les conventions utilisées pour les voyelles simples, sans marquer leur
différence. L’égyptien et le grec les représentent approximativement par
l’adjonction d’un n. C’est la théorie de Macadam, 1950.
(c) Le phénomène est purement graphique : lorsque l’on a une succession
nasale + consonne, la nasale n’est pas écrite en méroïtique, mais elle l’est
en égyptien ou en grec. C’est la théorie de Hintze, 1987.
La solution (a) applique au méroïtique une caractéristique fréquente des
phonologies africaines : l’existence de prénasalisées, que l’on retrouve par
exemple en peul, en gbaya (langue oubanguienne de Centrafrique), dans de
nombreuses langues bantoues, etc. 2 On remarquera cependant qu’elles
semblent attestées principalement dans le phylum Niger-Congo de Greenberg 3,
et que les grandes langues « nilo-sahariennes » du Soudan, auxquelles on tend à
rattacher le méroïtique 4, ne leur accordent pas de statut phonologique : on n’en
trouve ainsi ni en daju, ni en nubien, ni dans les langues nilotiques. Il semble en
revanche qu’elles existent en kanouri, langue saharienne du Tchad.
L’hypothèse de prénasalisées en méroïtique permettrait d’expliquer de façon
satisfaisante la différence entre les graphies indigènes et les transcriptions
égyptiennes et grecques. En effet, si elles appartenaient au système
phonologique, elles n’étaient pas ressenties comme juxtaposant deux segments
différents, mais comme une unité indissociable que l’on ne pouvait noter que
par un signe unique. L’égyptien et le grec, ne les connaissant pas en tant que
1
Voir supra, p. 300-302 ; on y trouvera également l’état des théories sur la question.
2
Voir cependant Creissels, 1994, p. 105-107 pour une critique de la systématisation de
prénasalisées dans les descriptions phonologiques de langues africaines.
3
Greenberg, 1966b (2e éd. revue de l’ouvrage initial paru en 1963).
4
Voir ci-dessous, p. 471-487.
374 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Nous adoptons ici une notation phonologique hypothétique pour d’éventuelles
réalisations phonétiques [nd] (ou [nÇ]), [nt] (ou [n™]), [Ñk] (ou [Ñg]) et [Ñx]. On a aussi
supposé l’existence d’une prénéalisée [mb] (Böhm, 1987, p. 8) qui expliquerait les
alternances m/b que l’on rencontre dans Medewi / Bedewi « Méroé » et le titre
ameloloke / beloloke, mais nous avons précédemment vu qu’il s’agissait d’une évolution
phonétique probablement due à une épenthèse (voir p. 31). En revanche, cette hypothèse
expliquerait peut-être la différence, beaucoup plus ancienne, entre le napatéen Bi-ru-we
(et var.), et le grec contemporain Μερóη (voir note 7, p. 31-32).
2
Hofmann, 1980a, p. 276 ; Hofmann, 1981a, p. 34. L’autre exemple similaire donné dans
le premier article : Trebineti (REM 0206) et Trebit (REM 0223) est moins sûr : il semble
qu’il s’agisse de deux personnages différents (cf. Hofmann, 1991, p. 195).
3
On peut se demander dans quelle mesure la graphie majoritaire Akinidd n’était pas
archaïsante, car il est difficile de concevoir que l’amuïssement du i se soit produit (et ait
été graphiquement noté) en l’espace des quelques décennies où le personnage a pu exercé
ses fonctions.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 375
Cette évolution aurait déjà dû être acquise au Ier siècle avant notre ère,
lorsqu’apparaît le titre dans les textes, écrit sans n dès ses premières
attestations. Or le mot « prêtre », ant, n’est écrit at, soit *[ã™a] si l’on suit la
théorie de Macadam, qu’à partir de la seconde moitié du IIe siècle de notre ère,
et encore de manière marginale (REM 0234, 0249, 0259). Autrement dit, pour
ktke, la pertinence phonologique de la voyelle nasale aurait été acquise plus de
deux siècle avant celle de at, ce qui paraît pour le moins étrange : les mutations
phonologiques, parce qu’elles affectent l’équilibre d’un système, ne s’étirent
pas sur de longues périodes, contrairement aux changements phonétiques.
1
Voir Creissels, 1994, p. 74-89.
2
Thomsen, 1984, p. 38-39.
3
Du moins sur un plan synchronique : que l’on compare ainsi « ennemi » et « ennuyer »,
« s’enivrer » et « tenir ».
4
Cf. Hagège, 1982, p. 21 ; Creissels, 1994, p. 87.
376 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Roper, 1930, p. 4 pour le bedja et Louis Renou, Grammaire sanscrite, 1975, Paris,
p. 51 pour le sanscrit.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 377
1
Dakka 30, voir Burkhardt, 1985, p. 78. Le terme latin (expédition romaine sous Néron
rapportée par Pline) semble indiquer une localité précise plutôt qu’un territoire.
2
La première forme figure dans la Bible des Septante, les deux autres autres dans des
transcriptions grecques de l’anthroponyme démotique P3-jgš « le Koushite » (cf. Leclant,
1954, p. 70).
378 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Griffith, 1911a, p. 22 ; Griffith, 1916b, p. 116 ; Griffith, 1917a, p. 17 ; Griffith, 1917b,
p. 165.
2
Depuis Griffith, d’autres cas sont apparu : on a ainsi les titres beloloke / beloloqe,
amoke / amoqe et le substantif atepoke / atepoqe. Mais la substitution du q au k (ou
l’inverse) reste rare, et conditionnée, comme nous le verrons plus loin, par la proximité
de la voyelle vélaire /u/.
3
Selon Török, qui suit ici Priese, il ne s’agirait pas du même roi (voir Eide–Hägg et al.,
1996 [FHN II] p. 566-567, 586-590). Nous n’avons d’ailleurs pas retenu cette corres-
pondance dans nos listes parce que les noms de ces rois (IIIe siècle av. J.-C.) ne sont pas
encore transcrits en écriture méroïtique, et que la version de Diodore semble par trop
hellénisée. Macadam identifie Εργαµéνης avec Arnekhamani, et en déduit une valeur gh
(API. [γ]) pour le phonème méroïtique /k/.
4
Il classe ainsi /k/ et /y/ dans les « alvéolaires » (sic). Le phonème /q/ apparaît dans les
« vélaires », donc avec un point d’articulation postérieur au /k/.
5
Voir Loprieno, 1995, p. 32-33.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 379
1
Cette hypothèse, alors moins développée, figurait déjà chez Priese, 1971, p. 227. On la
retrouve dans Priese, 1977a, p. 41 et note 16.
2
Cf. Loprieno, 1995, p. 38, 41.
3
Heyler, 1964 et Heyler, 1965 : voir Introduction, p. 39 pour une étude complète de la
question.
4
Il propose alors une uvulaire labialisée [qw] (Böhm, 1988). Les travaux de Böhm sur le
méroïtique, fort contestables, ont fait l’objet d’une revue critique dans notre
Introduction : voir p. 56.
5
Pour les détails et les exemples de la démonstration, on se reportera à Rilly, 1999a. Les
passages en italiques correspondent à des arguments supplémentaires absents dans cet
article et ajoutés à la suite de nos dernières recherches.
380 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
À l’exception de la transcription Msf,Õlm du nom royal méroïtique Ntkmni. Le g ne nous
y semble par sûr, à juger par le cliché original (Garstang et al., 1911 pl. XII, 7).
2
Voir note 2, p. 366.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 381
1
Une étude de la diffusion aréale des labiovélaires dans les langues africaines a été réalisée
par Joseph Greenberg (Greenberg, 1983).
382 LA LANGUE DE MÉROÉ
t k
b d»
Fricatives
Apicale /s/
1
Voir Hintze, 1973c, p. 322. On n’admettra pas notamment l’interprétation de
Zawadowski qui oppose un š « dental » (ici transcrit s) à un s palatal ou palatalisé (ici se)
à partir d’éléments très partiels ou discutables, comme l’existence d’un substrat
méroïtique argumentable dans l’arabe soudanais actuel (Zawadowski, 1972, p. 23-24, 26-
28). La nouvelle interprétation du système graphique méroïtique initiée par Hintze rend
caduques les thèses de Zawadowski : pourquoi en effet aurait-on une palatalisée devant
consonne (se lorsque -e marque l’absence de voyelle) et non devant la voyelle palatale i, où
l’on a s ?
2
Voir Griffith, 1916b, p. 117 ; Meinhof, 1921-1922, p. 3 ; Zyhlarz, 1956, p. 22 et note 7 ;
Vycichl, 1958, p. 75.
384 LA LANGUE DE MÉROÉ
mér. s / ég. s, š , copte s, 0, z / gr. -σ, [-σ dans ψ, τ (?) / lat. [-s] dans x
– théonyme ég. Vr«q « Osiris » (gr. Οσιρις , copte ousire) / mér. Asori
– théonyme ég. Õr- s « Isis » (gr. Ισις, copte hse) / mér. Wos
– théonyme ég. °mrv, gr. Χóνς « Khonsou » / mér. ¬s (?)
– anthroponyme dém. S2,ëoëi-s « la Noble » (gr. Τσεψις, Σεψις) / mér. Sipesiye
– anthroponyme dém. Rrm / mér. Ssno 1
– anthroponyme mér. Snpte(-li) / transcr. dém. Rmosi
– anthroponyme dém. O`,Õr-s « Celui d’Isis » (gr. Πασις) / mér. Pyesi
– anthroponyme dém. S`,Õr-s : « Celle d’Isis », gr. Θασις / transcr. mér. Tyesi
– anthroponyme dém. Õr,ls , gr. Σµιθις / mér. Semeti
– anthroponyme lat. Maximinus / trancr. mér. Mkesemene
– toponyme ég. J2ë « Koush » (gr. Χος, -κυσ-, -γυσ-) / mér. Qes
– toponyme ég. (Pr-)Nbs « Pnoubs » (grec. Πνοúψ, lat. Nups) / mér. -Nbse
– toponyme mér. Pƒrse « Faras » / transc. gr. Παχωρας, copte paywras
– toponyme mér. Sye « Saï » / moyen-ég. ü2ƒ-s (copte zah)
– toponyme mér. Selele « Shellal » / transc. gr. Τεληλις (inscription du roi Silko) 2
– titre lat. Caesar « César », grec Κασαρ / dém. Fxrq'r( / mér. Kisri
– titre ég. o2,lq,lëƒ « le stratège » (gr. [πλεµεισα) / mér. pelmos
– titre ég. o2,lq,ëm « l’administrateur de temple » (gr. [πλεσωνις) / mér. plsn
– titre mér peseto « vice-roi » / transcr. grecque ψεντης, transcr (?) ég. o ri,mri
– substantif ég. s'Õ(, vës-s « l’adoration » (copte t-oua0te) / mér. tewiseti
Il est probable que le /s/ méroïtique, comme les occlusives apicales /d/ et
/t/, avait une réalisation rétroflexe. Ce type de cohérence est répandu dans
tous les systèmes phonologiques où les fricatives utilisent souvent le même
point d’articulation que les occlusives qui leur correspondent. De plus la
qualité rétroflexe du /s/ méroïtique éclaire certaines caractéristiques a priori
étonnantes que l’on constate pour ce phonème. Une intéressante description
de ce type de consonne figure chez Martinet, 1996, p. 51 :
« Les fricatives rétroflexes, du fait de leur articulation énergique qui détermine un
étroit orifice d’issue de l’air, et en raison du volume assez considérable de la
1
Attesté en REM 0088 pour le mér., pour le dém. en Ph. 223 et 409 : cependant la lecture
n’est pas sûre (cf. Burkhardt, 1985, p. 108, 113), et Pa-sn est également possible.
2
La transcription du s méroïtique par un tau grec est étrange : y a-t-il une influence de la
loi de Griffith, qui devrait effectivement s’appliquer à ce nom (on devrait avoir *Telis) ?
La langue parlée à la cour de Silko n’est probablement plus le méroïtique : voir Eide–
Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 1147-1153.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 385
cavité comprise entre la zone de friction et les lèvres, ressemblent assez à des
chuintantes et se confondent souvent avec elles. »
Vélaires
– anthroponyme ég. O'2(,ƒÄl (copte paxwm), gr. Παχουµις / mér. Pƒome, Pƒeme
– toponyme mér. Pƒrse « Faras » / transc. gr. Παχωρας, copte paywras
– titre mér. ƒoƒonete (charge inconnue) / transcr. dém. ÄÄmÕsi
postpalatale sourde [ç] 1. Plus tard, Meinhof, fit des phonèmes ‚ / ƒ une paire
de fricatives dorso-vélaires s’opposant selon un trait de voisement [γ] / [χ]
(Meinhof, 1922, p. 2). Les mêmes valeurs furent reprises cinquante ans plus
tard par Priese (Priese, 1973 Tab. I b) 2. On retrouvait donc entre /‚/ et /ƒ/ la
même opposition qu’entre /k/ et /q/.
Ici aussi, nous proposons une nouvelle interprétation. Nous avons toutes
raisons de penser que la différence de caractère entre les deux vélaires,
comme précédemment pour /q/ face à /k/, n’est pas le voisement, mais la
labialisation. Les indices en sont moins nombreux, mais le parallélisme
phonologique entre les occlusives dorso-vélaires /k/ et /q/ d’une part, et les
fricatives dorso-vélaires /‚/ et /ƒ/ d’autre part représente déjà en soi-même un
fort argument théorique. Les signes graphiques utilisés par les Méroïtes
montrent une étroite correspondance entre le méroïtique ‚ et son équivalent
égyptien, mais pour ƒ, ils sont de peu de secours : la filiation avec l’écriture
égyptienne n’est ici éclaircie ni pour la cursive, ni pour l’hiéroglyphique
(voir supra, p. 250-251 et 266).
Deux transcriptions méroïtiques de noms propres égyptiens sont, elles,
d’un grand apport. Il s’agit de l’anthroponyme Pƒome (variante : Pƒeme),
cité plus haut, et du toponyme Pƒrse, l’actuel Faras, de fondation
probablement pharaonique (cf. Griffith, 1925b, p. 267).
Le premier transcrit l’égyptien (non vocalisé) O'Õ(,ƒ Äl : « le faucon
sacré », devenu à la christianisation le prénom copte « Pacôme » sous la
forme paxwm, et en grec sous la graphie Παχουµις. La voyelle copte w,
comme la voyelle grecque ου, représente un o long fermé [o :] 3, que les
Méroïtes ont dû assimiler à leur [u] marqué o. La fricative dorso-vélaire
précédente (conservée dans le copte x) s’en est trouvée naturellement
labialisée, et elle a donc été notée ƒ. Comme nous l’avons vu avec q, on
trouve une forme alternative -ƒe- avec modificateur vocalique neutre, le
timbre labiovélaire de la syllabe étant dans ce cas estimé suffisamment noté
par le choix d’une consonne labialisée.
Le toponyme Pƒrse reprend, lui, un nom égyptien non attesté, mais dont
il nous reste le copte paywras et le grec Παχωρας 4. Là aussi, la syllabe de
1
Pour les valeurs de /‚/ et de /ƒ/ en égyptien, on peut se reporter à Loprieno, 1995, p. 33.
2
Le signe cursif méroïtique pour ‚ a été récupéré par l’alphabet du vieux-nubien pour
noter la nasale vélaire [õ]. Aussi les méroïtisants ont-ils été souvent tentés de donner cette
valeur à la consonne méroïtique (hypothèse alternative chez Priese, 1973, p. 288,
formelle chez Hintze 1987, p. 43 et 47), bien que les faits plaident plus largement pour
une valeur fricative. Voir p. 393-394.
3
La voyelle possédait déjà au VIIIe siècle avant notre ère le même timbre d’après Vycichl,
1990, p. 183.
4
Les équivalents démotiques (O2,iv,k,r) et grecs (Φθουρις chez Ptolémée) proposés par
Priese, 1984, p. 489-490 ne nous paraissent guère convaincants.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 387
1
Creissels, 1994, p. 112 : « La comparaison entres parlers apparentés permet souvent de
supposer que les occlusives doubles labio-vélaires sont issues de vélaires labialisées,
elles-mêmes issues d’un processus de “dislocation” de voyelles postérieures labialisées se
décomposant en une voyelle antérieure non labialisée et un élément u allant s’associer à
l’attaque de la syllabe :
Il existe cependant d’autres modes d’apparitions de vélaires labialisées dans les langues
d’Afrique : renforcement d’approximantes labiovélaires (berbère) ou adaptation d’empha-
tiques (emprunts à l’arabe en comorien).
388 LA LANGUE DE MÉROÉ
Approximantes
Nous suivons ici Denis Creissels, qui groupe sous ce terme emprunté à la
phonétique anglo-saxonne « des sons qu’on pourrait décrire comme des
“constrictives faibles”, c’est-à-dire des sons dont la production met en jeu
une constriction qui n’est pas suffisante pour provoquer l’apparition du bruit
de frottement caractéristique des constrictives fortes que sont les fricatives »
(Creissels, 1994, p. 127). Comme dans la plupart des langues, on trouve en
méroïtique les trois approximantes /l/, /w/, /y/ 1. Leur réalisation phonétique
ne semble pas pas poser de problèmes : les équivalences données ci-dessous
sont en effet univoques.
Latérale /l/
Contrairement à l’égyptien, où l’individualisation du phonème /l/ n’est
pas toujours évidente 2, au point qu’il dut attendre l’écriture démotique pour
disposer d’une notation régulière, il n’y a aucune ambiguïté en méroïtique :
non seulement le /l/ dispose d’un signe particulier, mais on ne connaît pas
actuellement de variante où il soit remplacé par un autre phonème (cf. p. 308-
309), ce qui n’est pas si fréquent parmi les consonnes méroïtiques. Les
équivalences avec les autres langues sont rares (cinq exemples), mais vont
toutes dans le même sens :
mér. l / ég.r / l , mr (= /l/), dém. l / grec λ :
– toponyme mér. Tolkte « Naga » / transcr. ég. Sv'«(kjs
– toponyme mér. Selele « Shellal » / transc. gr. Τεληλις
1
Dans les systèmes phonologiques d’autres langues, on note généralement cette dernière
/j/. On rappellera cependant qu’une notation phonologique n’est pas tenue de suivre les
conventions de l’API. Nous avons préféré la rapprocher autant que possible de la
translittération, et suivre ainsi une certaine tradition (cf. Hofmann, 1981a, qui cependant
utilise une notation semi-phonétique /Ç/ pour la rétroflexe /d/).
2
Voir Loprieno, 1995, p. 31.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 389
Palatale /y/
1
Cf. Browne, 1996, p. 102-107.
2
Voir Rilly, 1999b, p. 83-85.
3
Les graphies -ne-lo (voir Hofmann, 1981a, p. 35-36, 141) doivent être tenues pour
étymologiques, et motivées par le désir de maintenir graphiquement le prédicatif -lo.
Voir ci-dessous, p. 414.
390 LA LANGUE DE MÉROÉ
Labiovélaire /w/
Vibrante /r/
1
La graphie archaïsante -wwi du méroïtique, de réalisation -[wawi], dans ce nom pourtant
attesté tardivement, est en contradiction avec le /w/ simple du démotique : il semble donc
qu’à cette époque, l’ancienne voyelle /a/ s’était transformée en schwa, puis amuïe dans ce
lexème fréquent (voir p. 30-31).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 391
1
Voir Browne, 1989a, p. 5, 7. Pour des distributions complémentaires de r et l dans les
langues africaines, cf. Creissels, 1994, p. 129-130.
2
Transcription grecque du nom d’Horus dans les anthroponymes égyptiens théophores.
3
Cf. Griffith, 1911a, p. 15, 22 ; Schuchardt, 1913, p. 167 ; Griffith, 1917b, p. 165.
392 LA LANGUE DE MÉROÉ
Gqvli, qui ne fait que reproduire l’aspiration (« esprit rude ») du rhô initial
grec.
Nasales
Bilabiale /m/
La nasale /m/ était réalisée comme une bilabiale [m], ainsi que l’attestent
les parallèles suivants avec l’égyptien, le grec et le latin, où la transcription
est constante :
mér. m / ég. m / grec µ / lat. m
Il est possible que devant le /b/, le phonème /m/ n’ait pas été écrit, à
l’instar du /n/ devant apicales : on ne peut cependant avancer qu’un exemple, le
toponyme méroïtique Qerbe, de localisation discutée, qui correspond peut-être
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 393
1
La même évolution est attestée dans des langues diverses : on comparera le grec βλẃσκω
« je vais » / aor. µολον « j’allai » / parf. µéµβλωκα « je suis allé », où le présent et
le parfait ont le degré zéro de la racine mel / mol / ml avec épenthèse en β et où, au présent,
l’iniale complexe *µβ s’est simplifiée par chute du µ. Pour plus de détail sur cette évolution
en méroïtique, voir Introduction p. 37.
2
Contra : Hofmann, 1981a, p. 195.
394 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Griffith, 1911a, p. 14. Pour l’emprunt de signes méroïtiques par le vieux-nubien, voir ci-
dessus, p. 34.
2
Voir Meinhof, 1921-1922, p. 5, Meinhof, 1930, p. 3, Zawadowski, 1972, p. 28 pour
l’interprétation phonologique. Pour la translittération ñ, voir Tableau 9, p. 241.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 395
1
Le vieux-nubien comporte quatre nasales phonologiquement distinctes : /m/, /n/, /õ/ et /ñ/
(voir tableau chez Browne, 1989a, p. 4).
396 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir supra, p. 384.
2
Cf. ci-dessus, p. 306-307.
3
Probablement s’agit-il de la localité nommée Αβονκις chez le géographe Ptolémée.
Depuis la rédaction de cette note, nous avons eu la confirmation, par le professeur Jehan
Desanges, de l’existence de cette forme grecque, telle que nous l’avions reconstituée,
dans les Ethnika de Stéphane de Byzance (éd. Meineke, s. v. p. 191).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 397
apicales vélaires
bilabiales palatales vélaires
/rétroflexes labialisées
voisées /b/ [b] /d/ [Ç]
occlusives
/p/ [p] ?
non voisées /t/ [™] /k/ [k] /q/ [kw]
(< égyptien)
fricatives
/s/ [È] /‚/ [x] /ƒ/ [xw]
(non voisées)
approximantes /l/ [l] ou [}] /y/ [j] /w/ [w]
LE SYSTÈME VOCALIQUE
1
Sur le système vocalique du méroïtique, les principales études sont : Griffith, 1916b,
p. 118-122 ; Meinhof, 1921-1922, p. 4 ; Zawadowski, 1972, p. 16-22 ; et surtout Hintze,
1973d (« Die meroitische Vokalschreibung »).
398 LA LANGUE DE MÉROÉ
It seems impossible to make any consistent scheme for the vowels. If the
vocalisation of a word is known some kind of explanation of the reasons for the
use of the vowel signs in writing it can be given, but it is impossible to judge how
a word was vocalised from the evidence of the Meroitic writing alone. » (Griffith,
1916b, p. 121)
Le phonème /a/
1
Cf. Griffith, 1911a, p. 22 ; Griffith, 1916b, p. 118, 121 ; Trigger, 1973a, p. 248 ;
Macadam, 1966, p. 49-50 ; Zawadowski, 1972, p. 16 ; Hainsworth, 1979b, p. 378.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 399
1
47,5 % en position interne, auxquels il faut ajouter une grande partie des initiales
vocaliques, qui représentent 6 % des voyelles.
2
Pour le détail des équivalences citées dans cette section entre le méroïtique et les autres
langues, on se reportera aux pages 361-407. Pour l’interprétation graphique de l’initiale
vocalique, voir p. 286-292.
3
Voir supra, p. 17-18.
4
Et non [y] : voir Clarysse – Van der Veken 1983, p. 149.
400 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Introduction p. 35-37.
2
Semblablement on trouve 16 fois la graphie Amnp « Amon de Louxor » pour 8 fois Mnp,
mais une seule fois Amnp-se contre 50 occurrences de Mnp-se.
3
Elle n’est pratiquement jamais dans l’écriture disjointe de son régime par un séparateur.
4
Le même calcul sur les stèles tardives de Méroé donne 53/47. Il ne s’agit donc pas d’un
phénomène dialectal réservé au Nord.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 401
Le schwa /Œ /
La voyelle neutre /Œ/ est généralement notée par le graphème e, bien que,
comme nous venons de le voir, elle ait pu tardivement connaître une graphie
concurrente. Griffith avait déjà remarqué que dans certains cas, le signe e
transcrivait une voyelle extrêmement faible et labile :
« In (j) [pelmos], (k) [perite] it is the vowel of the Egyptian definite article, which
in Coptic is almost or quite vowelless, and in (g) [Pilqe] it terminates the name of
Philae, which in Coptic has no terminal vowel. (...) It stands for [yi] in early
writing but is evidently a very weak vowel. » (Griffith, 1911a, p. 9)
1
Le η grec était depuis le IIIe siècle av. J.-C. prononcé le plus souvent [iú] (iotacisme), mais
l’ancienne valeur semble s’être mieux conservée dans les transcriptions, notamment celles
effectuées par les lettrés (cf. Clarysse–Van der Veken, 1983, p. 148 ; Pestman, 1993, p. 488).
2
On parle aujourd’hui plutôt de « tendances », souvent appuyées statistiquement, que de
véritables contraintes (cf. Comrie, 1981, p. 19-22 ; Hagège, 1982, p. 3-12).
402 LA LANGUE DE MÉROÉ
Le phonème /e/
1
Cf. Hagège, 1982, p. 22 : « Les voyelles atones qui, en toute position, se réduisent ou
tombent, tendent à être, par ordre de fréquence décroissante, les brèves centrales et
antérieures fermées, les postérieures fermées, les ouvertes. Il se trouve que la hiérarchie est
la même dans le cas, inverse, d’insertion de voyelle entre consonnes. Il est compréhensible
que les moins ouvertes soient, à la fois, les plus disponibles pour syllabifier un groupe
compact peu prononçable, et les plus menacées (faible clarté de leur timbre) ».
2
Voir Brunsch, 1978, p. 65.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 403
Un cas particulier est celui des finales en -ις, un élément que les Grecs
d’Égypte ont ajouté systématiquement après les consonnes (sauf /t/ et /d/)
dans les termes indigènes afin de leur fournir une base de déclinaison 1.
Comme d’autre part, un sigma final était adjoint dans le même but aux noms
terminés par une voyelle, on ne peut savoir, pour un toponyme comme
Πρµις (mér. Pedeme) « Qasr Ibrim » chez le géographe Ptolémée, s’il faut
rétablir une prononciation [pÇem] avec schwa final amuï ou [pÇeme] avec un
[e] fermé. Dans d’autres cas, où l’on possède des parallèles coptes, on peut
être sûr que la terminaison grecque -ις est entièrement artificielle : les noms
méroïtiques empruntés à l’égyptien Beke et Pƒome sont très probablement
terminés par un schwa.
Le phonème /i/
Ce phonème pose beaucoup moins de problèmes que les précédentes, et
correspond généralement au grec ι ou au latin i dans les équivalences
connues : on a ainsi mér. Asori / gr. Οσιρις « Osiris » (copte ousire),
1
Cf. Pestman, 1993, p. 485, 488.
404 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Hintze, 1973c, p. 322 ; Hintze, 1973d, p. 334.
2
Voir ci-dessus, p. 291.
3
Creissels rapporte de tels exemples de « dislocation » (cf. ci-dessus note 1, p. 385) :
« gu → gwi ku → kwi
L’observation des emprunts appuie cette hypothèse : en tswana [langue bantoue du
Botswana] par exemple, les termes pour “foulard”, “école” et “sucre” sont
respectivement tdkd – tdkwR, sXk\l\ – sXk\lJ – sXkwJlJ, sdkXrR – swRkXrR ; dans chacun de
ces trois cas, la première variante correspond certainement à la forme sous laquelle le
terme a été emprunté, les autres résultant d’évolutions qui se sont produites
ultérieurement. » (Creissels, 1994, p. 112).
4
Par exemple le titre sacerdotal beloloke / beliloke et quelques var. de noms propres (voir
Hofmann, 1981a, p. 43).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 405
Il était donc naturel qu’il supposât pour le graphème o une valeur [eú],
tirée des équivalences avec le copte et nullement contredite par les variantes
en [iú] du grec Οσιρις et Ισις, ces variations de timbre dans les trans-
criptions étant fréquentes. Il trouvait un élément de confirmation dans
l’origine du signe hiéroglyphique o, qu’il pensait dérivé de l’égyptien «∆.t
« vache », copte exe, que le méroïtique aurait transformé en [eú] après
élimination du ∆ étranger à sa phonologie (Griffith, 1911a, p. 13). Il proposa
donc pour ce caractère une translittération ê.
Dans ses « Meroitic Studies II », revenant sur ce signe, Griffith émit
quelques réserves : de nouvelles équivalences mises en lumière depuis la
rédaction de Karanóg le faisaient plutôt pencher en faveur d’une valeur /o/ :
mér. apote « envoyé » / ég. wpwt« (transcr. u-pu-ti en akkadien) ; mér. Arome
« Rome » / gr. Ρẃµη ; mér. B(e)rtoye « Abratoye » / gr. Αβρατοεις ; mér.
Pƒome / copte paxwm, gr. Παχουµις « Pacôme », ainsi que la transcription
de l’élément -to- dans le nom de la reine Amanitore par le signe égyptien
pour la « terre » t3, to en copte. À cela s’ajoutait que le signe hiér. o
pouvait aussi bien être interprété comme une variante de l’ég. ∆r, copte
xo 3. Enfin, on pouvait être sceptique sur la possibilité pour une langue de ne
pas posséder de voyelles postérieures 4 (Griffith, 1916b, p. 121-122).
Toutefois, une nouvelle équivalence, le grec ψεντης face au mér. peseto
« vice-roi », s’ajoutait à celles de Karanóg, et stabilisait en quelque sorte les
deux plateaux de la balance, si bien que, ne pouvant se prononcer en faveur
de l’une ou l’autre hypothèse, Griffith refusa de changer sa translittération
initiale et conserva ê.
Meinhof, puis Zyhlarz, intégrèrent la voyelle [o] (ou [u]) dans le répertoire
phonétique méroïtique, sans toutefois préciser clairement quel était son statut
1
Pour l’évolution parallèle des conventions de translittération du signe o, voir ci-dessus,
p. 237-238.
2
On rappelle que la translittération donnée ici, sauf indication contraire, est celle de
Hintze, 1973c, uniformément utilisée dans l’ensemble de notre étude (voir p. 238).
3
Voir ci-dessus, p. 269-270.
4
Griffith avait été en effet ébranlé par les remarques de Schuchardt, parues peu après
Karanóg : « Unerklärlich (...) erscheint uns der Mangel eigener Zeichen für o, u. Wir
können uns eine Sprache ohne dunkeln Vokal überhaupt nicht gut vorstellen, am
wenigsten eine als deren direkte Vorsetzung man das Nubische betrachten möchte. »
(Schuchardt, 1913, p. 167).
406 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Sa théorie a été reprise par Hofmann, mais avec une notation phonologique /u/
(Hofmann, 1981a, p. 32).
2
On peut ajouter à ces deux contributions celle de Vycichl dans la Meroitic Newsletter
n° 13, qui n’envisage les faits que d’un point de vue phonétique, et aboutit à une
réalisation [o] pour le graphème o. Il reste prudent sur l’existence d’un [u] en méroïtique,
bien qu’il estime que c’est probablement ainsi qu’était réalisée l’initiale vocalique dans
Asori « Osiris ». Il doute de l’existence de la voyelle centrale /Œ/, dont les preuves lui
paraissent à cette époque insuffisantes (Vycichl, 1973b, p. 62).
3
Nous excluons de notre examen les mots Wos, Asori, peseto et pelmos, qui avaient égaré
Griffith, et pour lesquels il semblent bien que la vocalisation ne corresponde pas à celle
communément admise pour leurs étymons égyptiens (influence dialectale ?).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 407
1
Chiffres sur un corpus de 754 langues actuelles d’après Hagège, 1982, p. 17-18.
2
Langue « nilo-saharienne », comme le kanouri : voir p. 477. On notera que, dans ce
phylum, les langues proprement nilotiques comme le dinka, le maasaï, le bari, ont un
système vocalique beaucoup plus complexe comportant un ou deux degrés d’apertures
supplémentaires.
3
Cf. Browne, 1989a, p. 3.
408 LA LANGUE DE MÉROÉ
/i/
/ε/ /Ø/
/a/
1
Nous remercions Mme Martine Vanhove, linguiste au LLACAN et spécialiste du maltais,
pour cette précision.
2
Voir Thomsen, 1984, p. 38-40.
3
Voir L. Bonfante : L’ætrusque dans Bonfante, L., Chadwick, J. et al. (1994), La
Naissance des æcritures. Paris, éditions du Seuil, p. 421, 424.
4
Cf. Bonfante, 1994 p. 424 (voir ci-dessus note 3 pour cette référence).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 409
PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES
1
Voir Griffith, 1911a, p. 22.
2
Voir note 1, p. 79. Le mot provient sans doute du néo-égyptien pÕ-dm« † k` bhs› ∞, selon
une suggestion de Priese reprise par Hofmann (Hofmann, 1981a, p. 114), ce qui corres-
pondrait peut-être à une prononciation originelle /pŒdime/, adaptée ensuite en méroïtique.
412 LA LANGUE DE MÉROÉ
Assimilations
Le méroïtique présente de fréquentes assimilations, mais il fallut
beaucoup de temps pour qu’elles fussent reconnues comme un phénomène
régulier susceptible d’expliquer bien des irrégularités. Elles échappèrent ainsi
entièrement à Griffith. Zyhlarz fut le premier à leur accorder une place, mais
ses hypothèses étaient erronées. Il supposait en effet que l’anthroponyme
féminin Sweyibye en REM 0136 était issu du masculin Sweyibr (REM 0229,
0250, 0269) par l’adjonction d’un suffixe féminin -ye assimilé selon le
processus r + y > yy (Zyhlarz, 1930, p. 418, 427). En fait, la même base
1
Il ne s’agit évidemment pas d’une quelconque parenté : voir p. 501.
2
Avec cependant au fil des siècles une diminution des séquences a + a au profit de a + e,
due à l’affaiblissement vocalique en néo-méroïtique.
3
Fréquent par ex. en breton, ainsi butun « tabac », issu du français « pétun » ; voir aussi les
phénomènes de dilation vocalique (« Umlaut ») dans les pluriels germaniques
(ang. woman / women, all. Sohn / Söhne).
414 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Contra : Priese, 1968, p. 183, note 101 et Priese, 1977a, p. 54-55. La réfutation de Priese
ne tient cependant pas entièrement compte de la nature syllabique de l’écriture
méroïtique. Voir aussi Hofmann, 1978c, p. 113.
2
Hintze, 1963a note 8, p. 3 ; Millet, 1969, note 9, p. 276 ; Heyler, 1967, p. 108 ; Priese,
1971 [1.13.3] p. 276 ; Trigger, 1973a, p. 254 ; Zawadowski, 1981, p. 42 ; Hofmann,
1981a, p. 35-36, 276-277.
3
Hintze, 1963a note 8, p. 3 ; Hintze, 1979, p. 62 ; Hofmann, 1981a, p. 141.
4
Hintze, 1979, p. 71-72 ; la notation phonologique /u/ est la nôtre, Hintze écrivant /o/ en
contradiction avec ses théories (voir ci-dessus, p. 403-404).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 415
1
Hintze, 1979, p. 64-65 ; la notation phonologique /Œ/ est aussi la nôtre, Hintze écrivant /e/
(voir ci-dessus, p. 400-402). La même hypothèse sur l’assimilation des suffixes figure
déjà chez Schenkel, 1973, p. 8.
2
Voir chez Hofmann, 1981e des objections fondées contre cette hypothèse par ailleurs
généralement admise.
3
Voir ci-dessus, p. 170 : nous proposons plutôt une variante kal attestée aussi en vieux-
nubien, et un lexème méroïtique /‚al/ ou /‚ar/.
416 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
On rappelle que pour qu’il y ait succession de deux consonnes en méroïtique, il faut que
la première soit suivie en translittération d’un graphème e.
2
Dans les apparentes exceptions comme aqebese, Beqe, le premier e transcrit en fait une
voyelle /u/, comme le montrent les variantes aqobese ou Boq(e) (voir supra, p. 379 pour
l’explication de cette convention graphique).
3
On observera qu’une possible épenthèse s’est ici produite puisque l’on attendrait
*qorebse */qurbas/ et non qorbse /qurabas/. La voyelle inhérente /a/ ajoutée pourrait en
fait être ici un /Œ/ (cf. p. 398).
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 417
Il va sans dire que les deux premières solutions ne peuvent guère s’appli-
quer à des textes royaux où l’on trouve pourtant ce genre de juxtaposition, et
qui sont rédigés dans la langue officielle 2. La troisième hypothèse, elle, nous
semble assez plausible. Il faudrait supposer que le scripteur avait le choix,
pour certaines formes, entre une orthographe un peu artificielle, mais claire,
et une orthographe naturelle, mais effaçant partiellement les frontières
morphologiques 3. Hofmann parle d’orthographe « étymologique » pour la
première 4, ce qui supposerait de la part des Méroïtes un recul, une réflexion
1
On a ainsi en REM 0094 (inscription tardive de Kharamadoye) la graphie non assimilée
qore lÄ « grand souverain » à la ligne 8 et la graphie assimilée qorÄ à la ligne 18.
2
La critique de I. Hofmann va dans le même sens (Hofmann, 1981a, p. 212).
3
Cette liberté de choix peut être comparée à la latitude dont disposaient également les
scripteurs méroïtiques dans l’utilisation des deux points de séparation. Certains allaient
jusqu’à découper ainsi des éléments de désinence ou de suffixes. (cf. p 495)
4
Hofmann, 1981a, p. 212, note 26.
418 LA LANGUE DE MÉROÉ
sur leur langue dont nous les croyons tout à fait capables 1. Mais on aurait
sûrement dans ce cas, comme dans toutes les écritures de longue tradition, un
clivage entre une orthographe lettrée sans assimilation, respectant
l’étymologie et utilisée dans les textes officiels, et une orthographe plus
populaire, notant les assimilations, et employée par exemple dans certains
textes funéraires ou graffiti. Or, on retrouve des formes assimilées et des
formes non assimilées dans les même textes. Aussi vaut-il mieux parler avec
Hintze d’« orthographe morpho-phonologique » qu’« étymologique ».
Hofmann relève un intéressant détail : les formes assimilées ou non
assimilées sont souvent cohérentes dans les épitaphes d’une même famille :
ainsi, parmi de nombreux autres exemples, les textes REM 0325, 0290, 0322,
1132, qui appartiennent à une mère et à ses trois enfants, portent tous des
formes verbales assimilées psi‚te dans la formule de bénédiction A, alors
que REM 0289 et 0221, qui concernent une femme et son fils ont une forme
sans assimilation psoƒekete (Hofmann, 1981b, p. 46).
1
Voir Hofmann, 1981a, p. 12, 293 ; Hofmann, 1991, p. 142 pour des témoignages de
rédaction et d’écriture archaïsantes et ci-dessus Introduction p. 30-31 ({B|medewi en
REM 1044).
2
Cf. Zyhlarz, 1930, p. 419 et note 18.
3
Rectifié dans Hintze, 1979, p. 71.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 419
1
Voir Griffith, 1916b, p. 124. Selon lui, le suffixe -se du génitif devant le « connective » -l
passe à -t, d’où son interprétation de l’adjectif lÄ « grand » comme composé de l + ƒ
puisqu’on a womnitƒ « grand prophète d’Amon » pour womnise-lƒ. Il est clair par cet
exemple qu’il pense à un phénomène attaché à un morphème particulier, et non pas
proprement à une loi phonétique.
2
Rilly, 2000b, note 30, p. 109 ; Rilly, 2000c note 2, p. 103.
3
Cf. Hintze, 1960a, p. 133.
420 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Monneret de Villard, 1960, p. 102 pour un exemple d’application variable de la loi
de Griffith dans un même texte : le nom de personne Sdesel apparaît en REM 1020 à
côté de formes en -towi pour -se-lowi.
2
Cf. Tableau 15, p. 349.
3
Voir Introduction p. 32-33.
4
Dans le résumé qui suit, nous alignons les conventions de notation phonologiques et
phonétiques employées initialement par Vycichl sur celles utilisées ici.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 421
Il est évident que cette théorie n’est pas compatible avec l’interprétation
syllabique de l’écriture méroïtique développée par Hintze, que nous avons
longuement illustrée dans le chapitre précédent, et dont les preuves sont trop
nombreuses et concordantes pour que l’on puisse la remettre en question. Les
syllabes /si/ et /su/ sont ainsi bien représentées en méroïtique, et le passage de
/s/ à /t/ devant /l/ n’est pas compréhensible si, comme Millet, on ne propose
pas une articulation spécifique pour le phonème /s/ méroïtique.
1
Cf. Millet, 1973c, p. 310-311, 314-315 et note 30, p. 319.
2
Il s’agit en effet d’une recherche destinée à relier le méroïtique au chamito-sémitique
ancien. L’ensemble de l’article est un tourbillon d’idées presque sans références à des
exemples méroïtiques précis, mais où l’on peut çà et là relever quelques suggestions
intéressantes, qu’il faut cependant étayer plus sûrement. Voir ci-dessus, p. 56 et 377.
422 LA LANGUE DE MÉROÉ
de supposer pour les phonèmes /s/ et /t/ une réalisation particulière afin
d’expliquer la loi de Griffith :
« Wie sollte aber ein s vor l zu t geworden sein ? – Da der Charakter des l
aufgrund der hieroglyphischen Schreibung mit l hinreichend feststeht, müssen
wir nach den eigentlichen Charakteren des “s” und des “t” fragen. Für einen
sowohl dem Zischlaut als auch der lateralen Liquida ähnlichen t-Laut kommt m.
E. einzig der laterale Verschlußlaut tMl (einphonemig ; durch Sprengung eines l-
Verschlusses an den Seitenrändern der Zunge erzeugt) [...] in Betracht.
Entstehung eines solchen aus einem s-Laut ist leichter vorstellbar, wenn wir für
diesen nicht einen alveolaren Sibilanten sondern den dentalen Reibelaut Þ
voraussetzen. Die Entwicklung Þ + l > tMl erscheint uns somit nicht mehr
absonderlich. » (Böhm, 1987, p. 11)
L’hypothèse est séduisante, mais elle achoppe sur les faits : le phonème
méroïtique /s/ n’est pas une fricative dentale […] (notation API de [z]). On
pourrait cependant imaginer une coalescence du [È] rétroflexe avec la latérale
/l/ ; or les quelques cas connus ne débouchent pas sur la création d’une
occlusive latérale [tMÌ] (notation API de [tMl]), mais d’une fricative latérale [Ì] 1,
semblable au ll gallois du prénom Llewel[l]yn. Enfin, l’articulation rétroflexe
du /t/ est assez vraisemblable : il faudrait imaginer que les Méroïtes, face à la
fricative latérale obtenue par la contraction du /s/ et du /l/, aient d’instinct
considéré cette production comme une variante articulatoire du phonème /t/,
ce qui paraît assez peu plausible.
Il existe une explication à notre avis plus simple du phénomène, qui fait
appel à la phonétique articulatoire. Le /s/ et le /l/ sont en effet des consonnes
d’articulations presque opposées. Qu’il soit apico-alvéolaire comme en
anglais, prédorso-alvéolaire comme en français, ou rétroflexe comme le ›
sanscrit, le /s/ est réalisé par une occlusion des bords du palais par les côtés
de la langue, la partie médiane de cet organe laissant passer l’air venu des
poumons. À l’inverse, le /l/ est réalisé par une remontée de la partie centrale
de la langue contre le palais, l’air s’écoulant sur les côtés, d’où le nom de
« latérale ». Le passage immédiat du /s/ au /l/ exige donc une souplesse
particulière de l’organe lingual, qui d’une position concave doit passer à une
position convexe. Beaucoup de langues éludent la difficulté, soit en
modifiant l’articulation du /s/, comme l’allemand qui présente le groupe -
schl- issu d’un ancien *-sl- , soit en introduisant une consonne épenthétique
comme dans le bas-latin sclavus, devenu « esclave » en français, et provenant
de l’ethnonyme « Slave ». Cependant, bien des langues s’accommodent de
cette gymnastique et les nombreux termes anglais commençant par sl-
prouvent que si l’articulation n’est pas trop contraignante, comme c’est le cas
avec les apico-alvéolaires de l’anglais, la réalisation du groupe /sl/ peut se
1
Cf. Creissels, 1994, p. 121.
PHONOLOGIE ET PHÉNOMÈNES PHONÉTIQUES 423
faire sans difficulté. Or la situation est différente avec les rétroflexes, qui
sont des consonnes dont l’articulation très énergique ne permet pas une
grande souplesse de la langue, coincée contre le haut du palais. Dans la
prononciation du groupe /sl/, le passage d’une position concave de l’apex à
une position convexe a abouti le plus souvent à une position moyenne, où
non seulement les côtés de la langue étaient en contact avec le palais, comme
pour /s/, mais aussi la partie médiane, comme pour /l/. Le résultat était
naturellement une occlusion totale en position rétroflexe. Quant au
voisement, il était naturel qu’il y eût une harmonisation entre /s/ et /l/ 1. C’est
le caractère non voisé du /s/ qui l’emporta, puisqu’il n’y a pas de /z/ en
méroïtique. Le son obtenu était donc une occlusive rétroflexe sourde, c’est-à-
dire justement un [™], peut-être géminé.
Il est cependant possible que la loi de Griffith ne soit pas l’unique
traitement réservé à la séquence /s/ + /l/. On trouve en effet en REM 0279 et
0534, deux épitaphes tardives du IIIe siècle apr. J.-C., la séquence kdi-lowi là
où on attendrait kditowi (< kdise-lowi) « c’était la sœur de ». Griffith
supposait que le titre précédent snemdese / stmdese était mis au féminin par
l’adjonction du mot kdi « femme » 2. Il pourrait s’agir d’une orthographe
alternative avec assimilation /s/ + /l/ > /l/ ou /ll/, auquel cas les deux femmes
évoquées ne seraient pas détentrices du titre elles-mêmes, ce qui est
rarissime, mais plutôt sœurs de tels dignitaires : en REM 0279, la proposition
apparaît d’ailleurs au milieu de la description relative de la défunte. Il
convient certes de rester prudent, car la même épitaphe comporte aussi
plusieurs fois la séquence régulière kditowi qui suit la loi de Griffith. Mais,
comme nous l’avons déjà constaté, la juxtaposition de graphies différentes à
l’intérieur d’un même texte n’est pas impossible 3.
1
Ainsi dans le mot français « communisme », le groupe final est prononcé parfois [zm]
avec deux sonores, mais on entend majoritairement un [s] suivi d’un [‘] (non-voisé).
Dans les deux cas, il y a harmonisation de voisement.
2
Griffith, 1911a, p. 67 : « shañamazes-lady (?) » ; Griffith, 1922, p. 590 : « female
shatamazês ».
3
Voir p. 414-415. Une autre hypothèse serait que le terme kdi « femme », qui n’est
habituellement pas un terme de parenté, ait revêtu localement le sens d’« épouse » (à la
424 LA LANGUE DE MÉROÉ
place de sem qui n’est présent ni en REM 0279, ni en REM 0534), à la manière du terme
woman dans le créole jamaïcain.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA
« QUESTION MÉROÏTIQUE »
1
Il s’agit de deux des quatre tablettes d’or trouvées en 1964 à Pyrgi (actuel Cerveteri),
mais le texte étrusque ne comporte que 36 ou 37 mots et la traduction phénicienne est très
approximative.
426 LA LANGUE DE MÉROÉ
Quelques années plus tard, Hintze ajoutera une autre approche : l’analyse
structurale (« strukturanalytische Methode »), inspirée des protocoles de la
grammaire distributionnelle (Hintze, 1979, p. 21-23), bien que, comme nous
le verrons, cette démarche ne vise pas directement à la traduction. On peut
donc grouper comme suit, sous quatre rubriques principales, les méthodes
utilisées pour tenter de résoudre la « question méroïtique » :
— informations apportées par des langues non apparentées ;
— méthode philologique (élucidation contextuelle) ;
— analyse structurale et méthodes informatisées (REM) ;
— approche comparatiste (recherche d’une langue apparentée).
Quelles chances y a-t-il de voir un jour les textes méroïtiques compris et
traduits ? Il est bien difficile de le dire. Dans le Tableau 21 ci-contre figure
un aperçu de l’état de déchiffrement d’un certain nombre de langues
anciennes redécouvertes à l’époque moderne, et des conditions, favorables
ou défavorables, dont ont disposé les chercheurs 2.
Malgré l’extrême schématisation à laquelle oblige un tel relevé, qui passe
sous silence les conditions spécifiques à chaque langue, on peut vérifier
quelques constantes. Les éléments les plus favorables à un déchiffrement
sont, dans l’ordre, l’existence de langues apparentées, ensuite l’attestation de
bilingues et enfin la grande quantité de textes. Si la langue est isolée, il faut
un grand nombre de bilingues et de textes, comme c’est le cas du sumérien,
pour parvenir à une compréhension satisfaisante. En revanche, toutes les
langues que l’on peut replacer dans une famille linguistique ont pu être
1
Voir également Trigger, 1979, p. 147 ; Hofmann, 1982c, p. 43-52.
2
Il s’agit bien entendu d’un échantillonnage réduit. Il convient de préciser quelques données :
La notation « ± » indique une situation intermédiaire. L’époque indiquée est approxi-
mative et concerne les documents écrits, et non la langue elle-même : ainsi le sumérien
est une langue morte dès le début du Ier millénaire av. J.-C. ; le vieux-perse continue
d’être parlé bien après 350 av. J.-C., mais il est évincé dans l’écriture par l’araméen ; les
dialectes mayas sont toujours vivants, mais l’écriture disparaît véritablement avec la
conquête espagnole, et elle était déjà presque oubliée à cette époque. Pour la colonne
« écriture », on observera que l’élamite au cours de sa longue existence est transcrit par
plusieurs écritures, dont une variante du cunéiforme suméro-akkadien, d’où le signe
« ± » ; pour le hittite, nous n’avons pas tenu compte des documents hiéroglyphiques, qui
malgré le nom de « hittite hiéroglyphique », transcrivent probablement une autre langue
anatolienne, le louvite. En ce qui concerne la dernière colonne, nous y avons indiqué la
possibilité de traduire tout type de document de façon suffisante, et non une parfaite
connaissance de la langue.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 427
méroïtique _ _
?
_
+
428 LA LANGUE DE MÉROÉ
Bilingues
1
Le déchiffrement en cours des inscriptions mayas utilise bien évidemment des procédés
informatiques, mais, plutôt que de traduire une langue disparue, il s’agit d’élucider
l’écriture d’une langue globalement connue.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 429
Textes parallèles
On possède en revanche une série de textes parallèles : les proscynèmes
de Philae, et les invocations votives qui accompagnent les empreintes de
pieds gravées (REM 0095, 0096, 01120-0114, 0116-0117, 0121-0125). Ils
suivent en méroïtique la même formulation générale que leurs équivalents
démotiques ou grecs. Pour le contenu de ces textes d’adoration généralement
adressés à Isis, ainsi que pour leur comparaison avec le démotique, on se
référera ci-dessus aux pages 201-202. La découverte par Griffith de ces
parallèles a été d’un grand secours pour assurer la traduction de certains
termes, comme il le reconnaissait lui-même :
« This series of seven graffiti is of great importance as offering a number of key-
words parallel to or taken from those in the Egyptian demotic graffiti at Philae,
and a large number of varying forms of words that ultimately throw much light on
the Meroitic language. » (Griffith, 1912, p. 49)
On peut ainsi citer les expressions n-l(w) « en présence de », stqoleb « (ce
sont) les pieds », Tebwe « Abaton », Pil(e)qe « Philae », des titres comme
pelmos ato-li-se « général de l’eau », apote « envoyé » ou peseto « vice-
roi », etc., les proscynèmes permirent d’avancer des hypothèses qui restent
encore à vérifier, mais qui constituent un premier pas.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 431
1
Pour réfutation de ses hypothèses sémantiques, voir Rilly, 2000b et ci-dessus, p. 185.
2
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 549-557 pour Bion, Eide–Hägg et al., 1998
(FHN III) p. 804-809 pour Juba.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 433
1
Pour les toponymes méroïtiques en général, voir Griffith, 1911a, p. 81-82, 83 ; Griffith,
1925b, p. 259-261 ; Macadam, 1949, p. 117 ; Zyhlarz, 1956, p. 21 ; Zyhlarz, 1958 passim ;
Leclant, 1966-1967, p. 93 ; Heyler–Leclant, 1969, p. 388 ; Zibelius, 1970 passim ;
Trigger, 1970 (frontispice) ; Zibelius, 1972 passim ; Priese, 1973a in extenso ; Priese,
1976 in extenso ; Leclant, 1977 in extenso ; Haycock, 1978, p. 55 ; Leclant–Hainsworth,
1978, p. 29-32 ; Hofmann, 1978b, p. 271-272 ; Priese, 1984 in extenso, Desanges, 1993
passim ; Török, 1997b, p. 417-419.
2
Cf. Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 882-888.
3
Cf. Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 828-835.
4
Cf. Eide–Hägg et al., 1998 (FHN III) p. 926-931.
5
Voir notamment Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 549-551.
6
Cf. Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 564-566, 614-630.
7
La parenté des deux termes n’est pas sûre. L’élément ate, attesté dans le titre sacerdotal
atepedemo pourrait être une variante graphique tardive de ant « prêtre ». Pour une étude
des apports du conte de Setne à la connaissance de la civilisation méroïtique, voir
Hofmann, 1993.
434 LA LANGUE DE MÉROÉ
Déterminatifs napatéens
« souverain » ont été empruntés par les gens de Koush, sous quel forme
pourrons-nous les trouver puisqu’aucune des consonnes qui les composent
n’existe en méroïtique ?
D’autres emprunts parmi des titres attestés, mais souvent de sens inconnu,
ont été suggérés, mais ne restent pour l’heure que des hypothèses :
amero < ég. (mr) ƒmrw « panetier » (Almagro, 1965, p. 226-227)
are < ég. «ry(-ƒ3) « gardien » (Griffith, 1922, p. 580-582)
mreperi < moy.-ég. «my-r(3)-pr « intendant » (Hofmann, 1974a, p. 43sq)
s « seigneur (?) » < ég. s3b « dignitaire » (Hofmann, 1974a, p. 41, 44)
smt < ég. smt« « juge » (Hofmann, 1974a, p. 46)
snn < ég. snny « conducteur de char » (Hofmann, 1974a, p. 42, 44)
ssmri < ég. smr « Ami (du roi) » (Hofmann, 1974a, p. 41, 44)
wo- dans womnise « prophète d’Amon » < ég. wƒb « prêtre » (Hintze, 1973e)
wrt‚n < wr.t d‚n « grande de musique » (danseuse sacrée) (Griffith, 1911a, p. 10)
1
Nous transcrivons mr le moyen-égyptien «my-r(3) « directeur », chaque fois qu’il aboutit
à un -l- en méroïtique, conformément à sa valeur phonétique en démotique.
2
Voir Introduction p. 17-18.
436 LA LANGUE DE MÉROÉ
Tous les dieux méroïtiques ne sont pas pour autant d’origine égyptienne.
Ainsi Mash, Sebioumeker, Apedemak, sa parèdre Amesemi, sont vraisem-
blablement des divinités indigènes. On observera avec surprise que les noms
méroïtiques des dieux Anubis et Thot, tous deux bien représentés pourtant
dans l’iconographie funéraire, ne sont pas connus. Parmi les termes
méroïtiques qui désignent des divinités, il n’en est aucun en tout cas qui
suggère un emprunt à l’ég. D∆wty « Thot » ou Õnpw « Anubis ».
Certains toponymes sont également d’origine égyptienne et correspondent
à des fondations pharaoniques : Atiye « Sedeinga », provient de ∆(w)t-T«y
« le château de Tiyi », car c’est là qu’Amenhotep III fit édifier un temple
pour son épouse. Le nom Tew:webi, qui désigne probablement le Gebel
Barkal, provient sans doute de l’ég. Dw-wƒb « la Cime Pure ». Le séparateur
interne dans ce toponyme renvoie à l’étymon égyptien composé de deux
mots. Il semble assez plausible, suivant l’hypothèse de Hofmann, que le
toponyme Pedeme « Primis », provienne de l’ég. P3-Dm« « la Cité ». Pour
d’autres, il est difficile de savoir lequel des deux mots a précédé l’autre : si,
comme le suggère Zibelius, le mér. Akine « Basse-Nubie » correspond bien à
l’ég. Õqn, désignant au Moyen Empire la forteresse de Mirgissa, s’agit-il d’un
nom originellement égyptien transcrit ensuite en méroïtique, ou l’inverse,
puisque nous connaissons maintenant la grande antiquité de la langue de
Koush ?
Enfin, on a suggéré pour quelques substantifs des étymons égyptiens,
mais il s’agit souvent de simples hypothèses :
adb « terre », « province » < ég. «db.w « rives » (Haycock, 1978, p. 58)
atepoke « offrandes (?) » < ég. ∆tp.w (Zyhlarz, 1930, p. 442)
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 437
Principes et exemples
La « méthode philologique » ne repose pas sur un fondement théorique
longuement élaboré. Elle est pour l’essentiel une pratique et ses règles
s’établissent de manière empirique. Griffith, qui fut le premier à l’appliquer,
ne s’en expliqua jamais 1. Aucune réflexion théorique sur les procédures
d’approche de la « question méroïtique » ne fut d’ailleurs publiée avant la
contribution de Trigger lors de la conférence de Berlin (Trigger, 1973a).
Dans cette étude que nous avons citée en ouverture de ce chapitre, le savant
canadien ne parle pas de « méthode philologique », mais de « contextual
analyses which compare the patterning of morphemes in texts » (op. cit.
p. 244). Le terme « philologique » est en fait introduit par Hintze qui définit
ainsi cette approche :
« Untersuchung der Texte auf ihren möglichen Inhalt hin, mit dem Ziel einer
unmittelbaren Übersetzung derjenigen Passagen, die sich einer einigermaßen
einleuchtenden Interpretation erschließen ; man kann dies als die “philologische
Methode” bezeichnen. » (Hintze, 1979, p. 21-22)
Un bon exemple de cette méthode nous est fourni dans les pages de
Karanóg consacrées par Griffith à l’invocation initiale des épitaphes Wosi :
(A)soreyi « ô Isis, ô Osiris » 1 (Griffith, 1911a, p. 33-34). Bien que les
éléments ne soient pas rigoureusement présentés dans cet ordre, on peut
reconstituer le cheminement de Griffith vers la compréhension de cette
formule en quatre étapes :
(1) Il constate l’indépendance syntaxique de la formule par rapport au
reste de l’épitaphe ;
(2) Il constate l’indépendance syntaxique de chacun des deux groupes
l’un par rapport à l’autre ;
(3) Il dégage un suffixe commun ;
(4) Il identifie les noms qui y apparaissent.
Pour rendre compte des moyens que Griffith met en œuvre pour parvenir
au résultat, il faut entrer dans le détail de la démonstration.
Étape (1). La formule Wosi : (A)soreyi est parfois absente (REM 0247,
0253, 0306, 0313, 0385). Dans certains textes, elle est répétée au milieu ou à
la fin. Elle ne subit pas de variation lorsque plusieurs personnes sont
commémorées sur un même monument, contrairement à toutes les autres
formules où apparaît alors une marque de pluriel [-lebkwi remplace -lo(wi)].
On a donc un groupe totalement autonome, qui peut difficilement être autre
chose qu’un vocatif.
1
Voir ci-dessus, p. 93.
2
Voir p. 297.
440 LA LANGUE DE MÉROÉ
On voit bien que la méthode suivie par Griffith, bien qu’elle puisse être
qualifiée d’« élucidation contextuelle », ne consiste pas seulement à proposer
un sens possible pour des éléments inconnus. Le terme de « philologique »,
tiré par Hintze du travail du lexicographe classique qui cherche à donner une
signification à un mot obcur, grec ou latin, d’après le contexte du document,
semble beaucoup trop restreint pour un travail qui s’étend dans toutes les
directions. Griffith utilise d’abord des éléments internes : il compare les
formulations de plusieurs textes, en pesant la valeur statistique des solutions
alternatives employées par les différents scripteurs (adjonctions, suppressions,
interversions) ; il observe les marques d’accord ; il tient compte de la
ponctuation (séparateurs). Mais il a recours également à des éléments extérieurs
au contenu écrit des documents : le contexte archéologique (monuments
funéraires), l’iconographie (stèle REM 0049), les sources classiques
(Hérodote), la comparaison avec l’égyptien (le nom d’Osiris).
Cette approche que l’on pourrait qualifier de « multicontextuelle » est
sûre et permet d’obtenir des résultats spectaculaires, comme tous ceux que
Griffith présenta dans Karanóg. C’est elle qui a permis d’identifier les
morphèmes caractéristiques du génitif analytique, du locatif et du pluriel, et
de préciser, à défaut de traduire, un grand nombre de titres et de théonymes.
Mais elle possède deux inconvénients majeurs 1 : elle demande beaucoup de
temps pour chaque élément identifié 2, et surtout, elle ne peut s’appliquer
qu’à des types de documents relativement courts, présentant un schéma
stéréotypé répété sur un grand nombre de textes 3. C’est pourquoi beaucoup
ont désespéré des chances de réussite d’une telle méthode :
1
Un troisième inconvénient est lié à la « profondeur sémantique » qu’on peut espérer
atteindre. Ce problème étant commun avec l’approche informatisée, il sera traité dans la
section suivante : cf. p. 445-448.
2
Bechhaus-Gerst parle joliment de « detektivischer Kleinstarbeit » pour ce type de
recherches (Bechhaus-Gerst, 1989, p. 101).
3
Voir notre étude des « décrets oraculaires amulétiques » ci-dessus, p. 216-226, effectuée
sur une quinzaine de textes dont la plupart nouvellement publiés.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 441
« It seems improbable that any further advance can be made on internal evidence
alone. » (Shinnie, 1967, p. 138-139)
Traduction et « pseudo-traduction »
1
Voir Millet, 1974 ; Priese, 1977b, p. 253.
2
29 mots en tout, mais le terme (a)sr figure sous deux entrées, d’abord « viande », puis
« animal ». La liste s’adresse en priorité aux africanistes, à fin de comparaison linguis-
tique, d’où cette répétition.
442 LA LANGUE DE MÉROÉ
pour « lion » et aritene pour « seigneur » sont très loin d’être assurés, ne
serait-ce qu’à demi. Le premier a été avancé par Hintze à partir d’une
spéculation assez peu vraisemblable sur les cartouches du roi Taneyidamani,
le second est un théonyme pour lequel une origine égyptienne ne peut être
écartée. Semblablement, la plupart des méroïtisants ont suivi l’hypothèse de
Griffith selon laquelle le terme wyeki- aurait désigné une « étoile »
(Hofmann, prudente, ne retient pas ce mot dans sa liste). Mais les seuls
arguments sont la comparaison avec le nubien wiñji « étoile » et le fait qu’un
membre d’une famille d’astrologues porte en REM 0089 le nom de Wyekiye.
Voilà de bien faibles indices : d’une part, la parenté du nubien avec le
méroïtique n’est pas encore sûre, et en tout cas ne peut pas actuellement
constituer une preuve ; et imagine-t-on d’autre part des familles de généraux
donner à leur enfant le nom d’« épée » ou de « forteresse » ?
Il nous semble que l’on pourrait quantifier le degré de sûreté de la
traduction d’un mot ou d’une expression suivant le nombre d’indices. Ces
indices sont de plusieurs ordres, en voici les principaux :
(A) compatibilité sémantique et syntaxique avec le contexte textuel, quand
celui-ci du moins comporte des éléments identifiés ;
(B) parallélisme avec un élément connu dans des formulations identiques ;
(C) adéquation avec l’iconographie ;
(D) adéquation avec le support d’écriture ;
(E) rapport direct avec le contexte archéologique ou culturel ;
(F) identification d’un étymon égyptien (voire grec 1) ;
(G) traduction du terme dans une autre langue.
Tous ces indices ne sont cependant pas d’égale valeur. L’indice (G),
lorsqu’il existe, peut suffire à assurer le sens d’un mot. Mais on ne peut guère
citer que ktke, « Candace », traduit par le grec τν το βασιλéως µητéρα
« la mère du roi » chez Bion 2, qore, traduit en démotique par pr-ƒ3
« pharaon » (Ph. 416/8) 3, peseto, « vice-roi », semblablement traduit par
p3 sj-nsw « le fils royal » (Ph. 416/15) 4. L’indice (F), lorsque la
correspondance est évidente, peut aussi servir de preuve formelle : c’est le
cas de pelmos « stratège », de l’égyptien p3-mr-mšƒ, la correspondance
phonétique étant assurée par le grec [π]λεµεισα et le copte p-lemhh0e.
Quant aux autres indices, il est clair qu’il faut en produire plusieurs avant de
parler de « traduction ». Si l’on ne dispose que d’un seul, il y a juste
« suspicion » sur le sens d’un mot ou d’une expression. Si deux d’entre eux
1
Voir note 1, p. 145.
2
Voir Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 551.
3
Il s’agit du proscynème démotique de Pasan à Philae, citant le roi Teqorideamani et le
vice-roi Abratoye (cf. Burkhardt, 1985, p. 114sq.).
4
Voir note précédente. On rappelle que « fils royal de Koush » désigne officiellement au
Nouvel Empire le vice-roi égyptien de Nubie.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 443
1
Si, comme nous l’espérons, le nubien est dans un proche avenir considéré comme parent
du méroïtique, un rapprochement pourrait être tenu pour un indice supplémentaire
équivalent au type (F). Mais tel n’est pas encore le cas.
2
Pour deux exemples de traduction téméraire, voir Griffith, 1911c, p. 73 (REM 0049) et
p. 77 (REM 0056).
444 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Hintze, 1960a, p. 157 (REM 1044/146) ; Hintze, 1961, p. 279.
2
Cf. Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 52-53 qui critiquent ainsi la traduction fantaisiste par
Mertens (non publiée) de l’inscription REM 1195 conservée à Munich.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 445
Aussi n’est-ce pas étonnant que Millet ait souvent recouru à la « pseudo-
traduction » 1, un procédé qui permet de présenter de manière synthétique les
résultats de l’étude d’un texte, sans pour autant verser dans les spéculations
invérifiables auxquelles oblige la traduction suivie. La méthode est ancienne
puisqu’elle est déjà appliquée partiellement par Griffith dans le « catalogue »
des textes de Karanóg (Griffith, 1911a, p. 54-78) et, de façon plus
systématique, dans l’étude des épitaphes de Faras (Griffith, 1922, p. 567-
599). Griffith traduit tout ce qui, dans chaque texte, lui paraît
compréhensible, et laisse en méroïtique (vocalisé) tout ce qui ne l’est pas. Le
résultat est parfois déroutant, comme on peut le juger par la traduction
suivante de la stèle de Faras REM 0503 :
« O Wêsh ! O Ashêri ! Marazewitar : born of Atapi(l) : begotten of the maraperi
Yereqaye : masqêrês in Pakharas : masqêrês in Tanar : great shashêr katatare :
zala-tabaqê katatare : mañabache in Aleket [...] » (Griffith, 1922, p. 569)
1
Le terme semble être de Millet (« pseudo-translation »). Voir notamment Millet, 1969,
p. 395, 397, Millet, 1973a, p. 32 sq. (où l’on est plus proche de la « traduction » selon
Zyhlarz que de la « pseudo-traduction »), Millet, 1977, p. 318, 319, 321-324 ; Millet
1982, p. 73, 77-78 ; Millet, 1996, p. 611-613.
2
Voir Trigger–-Heyler, 1970, p. 22.
446 LA LANGUE DE MÉROÉ
En fait, on constate que l’apport promis a été bien mince. On peut ainsi
comparer une des propositions de l’épitaphe de Karanóg REM 0289 : ant
Mnpse Brtre stelo. L’analyse de Hintze en constituants immédiats permet de
décomposer ainsi ce passage (Hintze, 1979, p. 36) :
ant mnpse brtre stelo
N + N-se + P + V-lo
N + P + V-lo
+
N-l V-lo
1
Ainsi la discussion sur le génitif (Hintze, 1979, p. 30), la valeur du déterminant (ibid.
p. 32, 33), l’influence possible de la syntaxe égyptienne (ibid. p. 43), le repérage des
possessifs (ibid. p. 60, où il recourt à la traduction !), etc.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 449
Méthodes informatisées
Le méroïtique a probablement été la première langue ancienne à
bénéficier d’un traitement informatique, grâce aux travaux de Jean Leclant et
André Heyler 2. Leurs efforts, depuis le début des années 1960, permirent
l’enregistrement de l’ensemble des inscriptions méroïtiques sous forme de
banque de données. Le travail de l’équipe française a surtout porté sur
l’enregistrement des textes, qui nécessitait une relecture systématique des
documents, et ne laissait donc que peu de temps pour leur étude linguistique.
Cependant, un système de découpage des textes en « stiches » 3, des stiches
1
Voir Hofmann, 1981a, p. 25.
2
Voir Introduction p. 61-62 et note 2, p. 61 pour la bibliographie du REM.
3
« Grâce aux “séparateurs”, on a pu isoler différents mots et supputer une segmentation
des textes en groupes de mots, segments qui ont été dénommés par convention “stiches”,
pour ne pas préjuger de la nature de la structure ainsi isolée » (Leclant, 1974c, p. 71). On
peut aujourd’hui parler de « propositions ».
450 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Leclant et al., 2000 Préface p. XIV pour ce projet. La liste des abréviations donnée
ci-dessus est tirée de Leclant–Hainsworth, 1978, p. 8. Nous n’y avons pas fait figurer les
exemples. Les passages entre crochets sont des gloses personnelles.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 451
1
Ph. Cibois signale « 13 405 mots, qui peuvent eux-mêmes être analysés en 21 926
thèmes non sécables et éléments de mots ». (Philippe Cibois, « L’enregistrement par
informatique des textes méroïtiques : création d’un langage d’interrogation des
données », dans Meroitic Newsletters, t. 12, [1973], p. 23). Le travail de réduction des
erreurs, entrepris à ce moment, a permis des simplifications : il était étrange que le
nombre des thèmes et des morphèmes dépassât celui des mots entiers.
2
Voir Hofmann, 1981a, p. 214-215 pour une critique de ces deux études. Le principal
écueil qui a fait considérer avec méfiance les résultats de Schenkel, 1972 n’est pas le fait
de la recherche informatisée, mais la comparaison avec le baréa (nara), fortement
spéculative.
452 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
L’existence d’assimilations est cependant envisagée sur une petite échelle par
Schenkel, 1973, p. 8. Elle sera reprise et systématisée par Hintze, 1979, p. 63-87.
2
Ce détail figure néanmoins dans la transcription informatisée du REM (translittération des
textes) par une notation spécifique. Mais il n’a pas été retenu pour la confection des
index.
3
Voir ci-dessous, p. 553-554.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 453
1
Voir Tableau 21, p. 423.
2
Nous ne tenons pas compte des rattachements fantaisistes (tokharien, sumérien, hongrois,
dravidien, etc.) : voir p. 56.
3
Habituellement cité comme Greenberg, 1963. Nous avons cependant utilisé la seconde
édition revue et corrigée, parue en 1966.
454 LA LANGUE DE MÉROÉ
L’hypothèse nubienne
1
Les appellations des dialectes nubiens peuvent fortement varier selon les auteurs. Le
chiffre des locuteurs est malaisé à établir en raison encore de la grande discordance entre
les sources. Bender, 2000 (p. 51) estime la population parlant toutes les formes de nubien
à 891 000 locuteurs, ce qui paraît très optimiste. Thelwall n’indique en effet pour tout le
Soudan que 167 831 locuteurs du nobiin (mahas-fadidja), qui concerne pourtant la
majorité des nubiophones (Robin Thelwall, « Introductory Profile », dans Aspects of
Language of the Sudan, Londonderry, 1978, p. 12).
2
Voir Jungraithmayr, 1981, p. 273.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 455
1
Cf. Adams, 1977 ; Priese, 1973c ; Priese, 1974 ; Zyhlarz, 1928 ; Trigger, 1977, p. 427-
429 et surtout Trigger, 1978, p. 318-322.
2
Voir ci-dessus, p. 189-190.
3
Voir p. 343 la datation paléographique de l’inscription (règne de Taneyidamani).
456 LA LANGUE DE MÉROÉ
retrouvés à travers la Nubie : en tout et pour tout, pas plus de vingt pages
imprimées de texte original. L’histoire des études nubiennes est ici
étonnamment parallèle à celle des études méroïtiques, puisque les deux
successeurs de Griffith en ce domaine furent Zyhlarz et Hintze. Le premier
est l’auteur d’une grammaire du vieux-nubien (Zyhlarz, 1928) qui fit
longtemps autorité, ce en quoi il fut plus heureux qu’avec le méroïtique.
Hintze, quant à lui, publia une série d’articles sur la syntaxe de cette langue
(Hintze, 1971a ; Hintze, 1975a et b ; Hintze, 1977b ; Hintze, 1986). Depuis
1981, la philologie du vieux-nubien est presque entièrement l’ìuvre d’un
seul homme, Gerald M. Browne, auteur d’une quarantaine d’études et de
monographies sur la question. Ses publications, notamment celle, en trois
volumes, de soixante-deux documents retrouvés dans les fouilles de Qasr
Ibrim (Plumley-Browne, 1988 ; Browne, 1989b ; Browne, 1991), mais aussi
de deux textes du Pseudo-Chrysostome et de plusieurs autres, ont quadruplé
en deux décennies le matériel disponible en vieux-nubien et permis
l’élaboration d’une grammaire (Browne, 1989a) et d’un dictionnaire
(Browne, 1996). S’il reste encore quelques points obscurs, on peut désormais
dire que le vieux-nubien est une langue assez bien connue.
1
Lepsius, 1880, cf. p. 48.
2
Schäfer, 1895a et b, Schäfer, 1901. Voir aussi Introduction p. 26-27.
3
Cité par Strabon, 17.1.2, cf. Eide–Hägg et al., 1996 (FHN II) p. 559 sq.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 457
La même conclusion pessimiste se retrouve cinq ans plus tard dans ses
« Meroitic Studies II », nourrie par la publication des Meroitic Inscriptions
(Griffith, 1911c et 1912) ainsi que des Nubian Texts of the Christian Period
(Griffith, 1913). Les similitudes entre les deux langues s’expliquaient selon
lui par des emprunts dus à une longue cohabitation :
« From Schäfer’s analyses of Ethiopian names preserved by classical writers there
can be no doubt that Nubian was spoken in some part of the Nile valley ;
borrowing of individual words may therefore have gone on freely between
Nubians (Nobatae ?) and Meroites, but so far the language of the Meroitic
inscriptions does not appear to have been the ancestor of the Nubian dialect. »
(Griffith, 1916b, p. 123)
nobiin (n) k k
meidob – r r
Nous avons indiqué la première colonne entre parenthèses car elle est
fondée sur un rapprochement hasardeux (voir supra). Les deux autres, qui
correspondent aux parallèles relevés ci-dessus, présentent un intérêt certain, à
condition de les illustrer à l’avenir sur un plus ample matériel. Nous ne
sommes pas sûr que ces correspondances aillent dans le sens des théories de
Peust. Si l’on suppose que le méroïtique est apparenté au nubien, on
remarquera que la parenté du meidob et du nobiin est plus étroite que celle
qu’ils entretiennent avec le méroïtique, puisque tous deux confondent les
deux phonèmes k et ƒ originellement distingués en méroïtique, le nobiin sous
la forme k, le meidob sous la forme d’une consonne amuïe (notée r). Or l’on
sait que la séparation du meidob et du nobiin est ancienne, puisqu’ils sont les
plus éloignés des dialectes nubiens. La parenté du méroïtique serait donc
encore antérieure, et les chances pour que le méroïtique soit du nubien sont à
peu près équivalentes à celles qu’a le gotique d’être un dialecte anglais.
Comme nous l’avons constaté dans les lignes précédentes, il n’est pas un
méroïtisant, fût-il partisan d’un rattachement au couchitique, qui n’ait
recouru à un moment ou un autre à une comparaison avec le nubien. Le fait
s’explique aisément : les ressemblances entre le vieux-nubien et le
méroïtique existent ; elles sont même assez nombreuses, mais extrêmement
irrégulières, et très différentes de l’idée que l’on peut se faire d’une parenté
linguistique classique. Ainsi, la syntaxe présente quelques similitudes
stupéfiantes, avec l’utilisation de morphèmes (déterminant, prédicatif,
postpositions) parfois presque identiques. Mais à l’opposé, le lexique semble
singulièrement éloigné, et les quelques mots courants que l’on connaît en
méroïtique ont peu de cognats évidents parmi le vocabulaire courant du
vieux-nubien. Les rares similitudes que l’on trouve çà et là peuvent
éventuellement s’expliquer par l’emprunt, comme le nom de trois points
cardinaux (voir page précédente) : leurs équivalents français ne proviennent-
ils pas d’ailleurs du vieil anglais ? On comprend donc la grande méfiance des
comparatistes exigents, comme Greenberg, Vycichl, ou Hintze, à se
prononcer sur l’apparentement des deux langues 1.
1
Voir infra, p. 480-487, notamment pour Hintze, 1989 : Meroitisch und Nubisch, eine ver-
gleichende Studie, qui nous a servi de base de départ pour le relevé des similitudes
syntaxiques et morphologiques qui suit.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 461
Bien que la liste soit assez impressionnante, il faut savoir que certaines
caractéristiques sont typologiquement liées et se rencontrent simultanément
dans d’autres langues sans aucun lien de parenté ni avec le méroïtique, ni
avec le nubien. Ainsi les points (1), (2), (3), (4), (6) se retrouvent sembla-
blement en sumérien 3, avec des morphèmes différents en (4) et (6). Mais il
reste quelques éléments troublants, comme la prédication non verbale, la
1
Voir infra, p. 500-502.
2
Par influence probable du grec δé « et aussi », un morphème -de suit de plus chaque
membre. (Browne, 1996, p. 38 sq.)
3
Cf. Hintze, 1989, p. 97-98 ; Thomsen, 1984, p. 49, 51-52 ; Hawkins, 1983, p. 285.
462 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Browne, 1989a, p. 5.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 463
L’hypothèse chamito-sémitique
1
Voir Introduction p. 48.
2
Voir notamment Eide–Hägg et al., 1998, p. 1055-1059, 1060-1066, 1079-1081, 1083-
1092, 1107-1121, 1153-1165, 1175-1176, 1182-1194, 1196-1202.
3
Voir Griffith, 1929, p. 74 : on se demande quel contentieux personnel a poussé le
paisible Griffith à écrire sur ce peuple une page d’une telle violence.
4
Pour que les théories de Meinhof fussent définitivement réfutées, il fallut attendre la
parution de Languages of Africa (ici Greenberg, 1966b), où Greenberg montre
clairement qu’on ne saurait établir une classification linguistique sur des critères
ethnographiques ou raciaux. Semblablement, les similitudes syntaxiques comme
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 465
l’existence d’un genre ne prouvent rien tant que l’on a pas assuré qu’elles s’expriment
par des morphèmes apparentés.
1
Les indications entre parenthèses correspondent à la classification de Greenberg, 1966b,
p. 48-49. L’originalité de la famille « omotique » a été initiée par H. Fleming, The
Classification of West Cushitic within Hamito-Semitic dans Eastern African History, sous
la direction de D. M. Call, New York, 1969, Praeger : p. 3-27.
2
Meinhof avait été précédé en cela par Schuchardt, 1913, comme il le reconnaît d’ailleurs
lui-même.
466 LA LANGUE DE MÉROÉ
Aller plus loin, c’est ce que tenta de réaliser Zyhlarz en reprenant l’hypo-
thèse « hamitique », et en cherchant à mieux l’illustrer encore (Zyhlarz,
1930). Ainsi, il pensa avoir découvert plusieurs marques du genre. La
terminaison d’anthroponymes fréquente -ye caractériserait des noms propres
féminins. Le verbe comprendrait à la 3e personne du singulier un préfixe y-
au masculin, t- au féminin (ibid. p. 461). Il existerait également une forme
d’article féminin préfixé t- (ibid. p. 460). Évidemment, tout ceci rapprochait
le méroïtique du chamito-sémitique, où le féminin est indiqué par un
morphème t préfixé ou/et suffixé, et plus encore du bedja où le préfixe verbal
de la 3e personne du singulier est i- / e- au masculin et ti- / te- au féminin 1.
Enfin, pour la 1re personne du singulier, Zyhlarz dégageait d’une inter-
prétation arbitraire de REM 0071 un pronom indépendant ano (ibid. p. 449),
à comparer avec le bedja ane, saho anu¯, galla 2 ani, et de REM 0125 un
préfixe verbal a- (ibid. p. 435) semblable au préfixe verbal bedja a-,
correspondant aussi à la première personne (verbes forts). Il reprenait de plus
certains des préfixes verbaux typiquement couchitiques avancés par Meinhof,
1921-1922 : s- /si- pour le causatif, t- pour le réflexif, ni- pour le passif (ibid.
p. 461). Tous ces parallèles lui permettaient d’asseoir fermement la thèse
d’une appartenance du méroïtique à la famille couchitique :
« Der eben gezeigte lineare Abriß grammatischer Momente innerhalb des
meroïtischen Sprachbildes wird zur Genüge dargetan haben, daß sich der
hamitische Sprachcharakter des Meroïtischen mehr als deutlich präsentiert.
Sämtliche der bisher zur Beobachtung gelangten Züge finden ihre Parallele für
den Kenner der südlichen Hamitensprachen innerhalb des Sprachgebietes :
Be¥auye und die sogenannten Kuschitensprachen, wie bereits MEINHOF heraus-
gefühlt hat. » (ibid. p. 463)
1
Cf. Roper, 1930, p. 55 (système morphologique des verbes forts).
2
Principale langue couchitique (groupe oriental) d’Éthiopie, appelée aujourd’hui
« oromo » par les linguistes.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 467
« To study Meroitic is not necessary to stray from the paths of Egyptology, for
Egyptian, largely Semitic as it is, nevertheless contains at least a modicum (some
scholars say much more) of Hamitic, and what is to the profit of one may
ultimately prove to be the profit of the other. » (Dunham-Macadam, 1949, p. 139)
1
L’hypothèse de Zyhlarz a d’ailleurs été reprise par Millet (Millet, 1977, p. 320) ; contra :
Hofmann, 1981a, p. 56.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 469
pour la reconnaissance de leurs droits civils battait son plein. Les barrières
mentales qui empêchaient qu’on envisageât l’origine de la langue méroïtique
quelque part en Afrique Noire tombaient les unes après les autres.
L’hypothèse couchitique, qui avait plus ou moins consciemment servi de
rempart contre une telle idée 1, fut temporairement abandonnée.
Mais au bout d’une vingtaine d’années, les comparaisons avec les langues
« nilo-sahariennes » se révélèrent beaucoup moins fructueuses qu’on l’avait
espéré dans l’enthousiasme des débuts. Entre-temps, les recherches sur les
langues de la Corne de l’Afrique avaient montré que la situation linguistique
au sein de la famille couchitique de Greenberg était beaucoup plus complexe
et diverse qu’on ne l’avait cru. Dès 1977, le même Trigger, refaisant le point
de la situation, opta pour une attitude prudente et, sans lui accorder une
position trop favorable, remit en selle l’hypothèse couchitique, ou plus
exactement chamito-sémitique (« Afroasiatic ») :
« Hintze’s criticisms of Meinhof and Zyhlarz are valid and mark a valuable,
though negative, step forward in the study of Meroitic. I am certain, however, that
Hintze would readily admit that it is more difficult to demonstrate that Meroitic is
not an Afroasiatic language than it is to prove that Zyhlarz’s arguments are
invalid. Moreover, the recent splitting of the Cushitic branch of Afroasiatic into
two co-ordinate branches – Cushitic and Omotic – indicates greater complexity
among these languages than was formerly realized. It is therefore more prudent to
conclude that Hintze proved the inadequacy of any existing arguments
that Meroitic is an Afroasiatic language rather than Meroitic is not Afro-
asiatic. » (Trigger, 1977, p. 422)
Il concluait son article (ibid. p. 433-434) en évoquant un ordre de proba-
bilité, essentiellement fondé sur une approche historique et géographique,
dans lequel la filiation chamito-sémitique arrivait en troisième position derrière
le « soudanique oriental » (« Eastern Sudanic ») et l’ensemble « nilo-saharien ».
L’ensemble très morcelé des langues parlées autour de la vallée de l’Omo,
en Éthiopie, que Greenberg rattachait au couchitique sous le nom de « Western
Cushitic » (Greenberg, 1966b, p. 49) présente en effet quelques caractéristiques
très différentes du reste des langues chamito-sémitiques, au point que l’on a
parfois douté de leur appartenance à cette super-famille 2. La tendance actuelle
est d’en faire un groupe séparé très tôt du reste du phylum 3, ce qui expliquerait
son caractère atypique. Ainsi, un certain nombre de ces langues ne présentent
pas de genre grammatical, et l’on comprend que ce détail ait intéressé quelques
linguistes en quête d’un nouvel apparentement linguistique pour le méroïtique.
1
Cf. Hofmann, 1982c : p. 46 : « Zumindest bei Zyhlarz stand aber hinter seiner Arbeits-
weise der Gedanke, da” ein Kulturvolk wie die Meroiten keine “Negersprache”
gesprochen haben könnte. »
2
Voir par ex. Loprieno, 1995, p. 5.
3
Cf. Fleming, 1983, p. 22 ; Ehret, 1987 ; Blench, 1997, p. 4.
470 LA LANGUE DE MÉROÉ
C’est Böhm qui le premier a tenté d’exploiter cette nouvelle donne, dans
un article intitulé « Beobachtungen zur Frage meroitisch-omotischer Wort-
beziehungen » (Böhm, 1986). Le point de départ semble sain puisqu’il se sert
de la liste des 28 mots méroïtiques dont la traduction est relativement sûre,
publiée dans Hofmann, 1981a 1. Mais il ne peut proposer d’équivalences que
pour onze mots, alors que la comparaison porte sur vingt langues omotiques
et couchitiques, si bien que la part du hasard dans les ressemblances relevées
peut être élevée. D’autre part, les équivalences sémantiques acceptées sont
très larges : ainsi pour « nord », méroïtique ƒr, le seul cognat proposé est le
terme kafa (omotique) har. Or le mot signifie « se lever (en parlant d’un
astre) » (Böhm, 1986, p. 116), et on ne voit pas le lien nécessaire avec le
« nord ». L’est aurait bien mieux fait l’affaire ! Semblablement, on ne voit
guère en quoi on peut rapprocher, tant sur le plan sémantique que
phonétique, le méroïtique mk « dieu » et le janjero (omotique) wona¯ « jour ».
Toutes les comparaisons ne sont pas de cette eau, mais au bout du compte, il
ne reste guère plus de trois cas sur onze où le rapprochement est tentant
(yireqe « sud », sr « animal », ato « eau ») 2. Si l’on ramène ce chiffre aux
28 termes proposés par Hofmann, on obtient à peu près une proportion de 10
%, ce qui correspond à une ressemblance aléatoire 3. Malgré ce premier
résultat peu convaincant, Böhm considéra sans doute l’affiliation chamito-
sémitique du méroïtique comme suffisamment prouvée puisque l’année
suivante, il tenta d’intégrer le méroïtique dans son schéma de développement
historique du système phonologique du chamito-sémitique (Böhm, 1987).
Comme Zyhlarz, auquel ses travaux font de plus en plus penser 4, il relève les
caractères « archaïques » du méroïtique au sein du phylum :
« Das Phonemsystem beruht auf semito-hamitischer Grundlage und bewahrt
einzelne kostbare Archaismen. » (Böhm, 1987, p. 16)
Et de fait, en 1988, Böhm fit paraître Die Sprache der Aithiopen im Lande
Kusch, une tentative de traduction du méroïtique entièrement fondée sur des
rapprochements aléatoires avec les langues couchitiques. Hofmann, auprès
de qui Böhm avait reçu son initiation au méroïtique (cf. Böhm, 1986, p. 115),
constate avec une certaine amertume :
« Ich konnte zwar von der Richtigkeit seiner Zuordnung nicht überzeugt werden –
die willkürliche Zergliederung meroitischer Wörter und die Unterlegung einer
Bedeutung durch solche kuschitischen Sprachen, die in keinem Fall am
1
Voir ci-dessus, p. 437.
2
On remarquera que deux de ces termes ont aussi, ironiquement, des cognats en nubien :
voir ci-dessus, p. 458-459.
3
Le pourcentage aléatoire pour la comparaison lexicale est fixé à 8 % par les glotto-
chronologistes. C’est probablement un des rares points pour lesquels on puisse leur faire
confiance.
4
Cf. note 2, p. 370.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 471
1
Pour le titre qore « roi » Bechhaus-Gerst, 1989 propose quelques parallèles omotiques et
couchitiques troublants, maji (omotique) kure : « roi et expert rituel », sidamo
(couchitique) k’oro : « chef ». La présence de ce mot dans des langues chamito-
sémitiques pourrait s’expliquer par un emprunt : le prestige de la royauté méroïtique
devait dépasser largement les frontières de l’empire. De la même façon, le nom de César
est à l’origine du titre de « tsar », malgré la distance géographique et chronologique.
2
On ne citera que pour mémoire les théories invraisemblables du R.P. Antonio Orlando,
qui rattache le méroïtique aux langues sémitiques modernes, entre autres l’arabe et
l’amharique (Orlando, 1999 et Orlando, 2000).
472 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. aqebese, qebese « leur » ; voir p. 549-551.
2
Millet propose ainsi pour diverses occurrences de la séquence kid « donner (?) » et
« cadeau (?) » (Millet, 1982, p. 71-73 et 76-77). Si l’hypothèse de Millet est avérée, le
déverbatif serait le radical nu.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 473
1
Voir par ex. Salem Chaker. Comparatisme et reconstruction dans le domaine chamito-
sémitique, Coll. Travaux du Cercle linguistique d’Aix-en-Provence, t. 8, 1990, p. 161-186.
474 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Griffith, 1909, p. 53, 54.
2
Il faut bien évidemment relativiser ces observations. Le monosyllabisme fréquent des
langues nilotiques et le développement de groupe vocaliques complexes est sans doute un
phénomène récent, comme en anglais, ainsi que le rappelle Greenberg, 1966b, p. 92.
D’autre part, le système graphique du méroïtique, hérité de l’égyptien, est obligé, comme
nous l’avons précédemment vu, de transcrire par un même signe plusieurs voyelles.
476 LA LANGUE DE MÉROÉ
Définition
1. nubien 6. temein
3. baréa 7. tama
2. didinga-murle 8. daju
4. ingassana 9. nilotique
5. nyimang 10. nyangiya
Sa cohésion est assurée par une comparaison lexicale portant sur 131
mots (Greenberg, 1966b, p. 95-108). La première préoccupation de
Greenberg dans la constitution de cette première famille fut néanmoins de
rétablir l’unité des langues nilotiques, que Meinhof avait divisées en un
groupe proprement « nilotique », sans genre grammatical, et un groupe
« hamito-nilotique », avec genre grammatical 3. La nouvelle classification,
d’autre part, réduisait l’importance de l’ensemble nilotique, qui, parce qu’il
1
Ces trois langues comptent cependant plusieurs dialectes. Pour ne pas alourdir la
présentation des arguments de Greenberg par de constantes notations géographiques et
démographiques, nous décrirons sommairement les langues dont il est question ici
dans la section suivante, p. 475-478.
2
Cette famille avait déjà été étudiée par Tucker et Bryan (voir synthèse dans Tucker-
Bryan, 1966).
3
Voir ci-dessus, p. 460-461.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 477
1
On trouve la même prise de recul dans sa classification des langues bantoues au sein du
phylum Niger-Congo.
478 LA LANGUE DE MÉROÉ
28. pluriels en « -i »
29. pluriels spécifiques par alternances consonantiques
30. plur. de noms animés en « -r »
31. le mot « nom » considéré comme un pluriel syntaxique
32. alternance sing. / plur. en « n » / « k »
33. alternance sing. / plur. en « t » / « k »
34. préfixe de déverbatifs, participes et agents en « a- »
35. préfixe de dérivation nominale en « k- »
36. préfixe flottant « k- » dans les substantifs
37. morphème verbal pluriel « -k »
38. datif verbal [tous les exemples donnés sont en « -k- »]
39. inchoatif en « -n »
40. causatif en « t- »
41. passif ou intransitif en « -a », « -o »
42. passé en « k »
43. futur en « ba », « bi »
44. pluralité verbale [itératifs, etc.] en « l »
45. négation verbale en « k »
46. négation verbale en « m » ou « b »
1
Voir Blench, 1995, ainsi que Edgar. A Gregersen, « Kongo-Saharan », dans Journal of
African Languages, t. 11 (1972), p. 69-89.
2
Merritt Ruhlen, The Origin of Language. Tracing the Evolution of the Mother-Tongue
Jonn Wiley & sons, Stanford, 1994 : la reconstitution de 27 racines « universelles »
recourt 21 fois au « nilo-saharien », pourtant peu parlé et peu étudié, contre 22 fois à
l’indo-européen.
3
Robert Nicolaï, Parentés linguistiques. À propos du songhay, Paris, 1990.
4
Ainsi le lingala le long du fleuve Congo, et peut-être l’égyptien ancien le long du Nil
inférieur. En ce qui concerne le méroïtique, l’impossibilité de naviguer au Soudan sur
de longues distances, à cause des cataractes et du Sadd, le barrage naturel des
marécages en amont du confluent avec la Sobat, a dû limiter les échanges fluviaux.
480 LA LANGUE DE MÉROÉ
même peut changer du tout au tout suivant que l’on a affaire à l’appellation
indigène, à celle des voisins, souvent péjorative (ainsi barya ou baréa signifie
« esclave » en amharique, ingessana voudrait dire « ingrats » en arabe local),
à une désignation géographique (tabi, autre nom de l’ingessana, parlé dans
les monts Tabi) ou ethnonymique (beni amer pour un dialecte bedja). Ainsi
pour une langue comme le kunama, parlé en Érythrée, on trouve aussi les
dénominations suivantes 1 : baza, baaza, bazen, baazen, baazayn, baden,
baaden, bada, baada, cunama, diila, et une telle variété n’est pas rare ailleurs.
Les chiffres donnés pour le nombre de locuteurs suivent Bender, 2000, mais
étant donné la situation politique dans certaines régions comme les monts
Nuba et le Bahr el-Ghazal au Soudan, ou la frontière érythréo-éthiopienne,
les chances de survie de quelques-unes de ces langues sont très minces. Elles
ne sont parfois entretenues que par des diasporas de réfugiés à Khartoum et
dans les autres métropoles.
1
D’après Barbara F. Grimes et al., the Ethnologue, 13th edition, Summer Institute of
Linguistics, 1996 (www@sil.org).
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 481
À ces langues citées et classées par Greenberg, Bender ajoute deux petites
familles de langues : le gumuz, parlé le long du Nil Bleu à l’Ouest de
l’Éthiopie (90 000 locuteurs), et habituellement rangé dans les langues
Coman, et le kadu ou kadugli-krongo, un groupe de langues difficilement
classables parlées originellement dans les monts Nuba du Kordofan (123 000
locuteurs), anciennement appelé « tumtum ».
1
Selon des sources récentes du ministère de l’Éducation de l’Érythrée, le nombre de locuteurs
du kunama s’éléverait à 65 000.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 483
C’est Trigger qui lança cette nouvelle filiation, dans son article de Kush :
« Meroitic and Eastern Sudanic : A Linguistic Relationship ? » (Trigger, 1964).
Il utilisa les travaux de Greenberg, tout récents alors, et proposa d’inclure le
méroïtique dans la nouvelle famille « nilo-saharien », et plus exactement
dans le noyau « soudanique oriental ». L’hypothèse reste aujourd’hui la plus
probable, et en tout cas la plus couramment citée, en dépit des attaques de
Hintze, et de la faible valeur de l’échantillon comparé : Trigger reprenait en
effet huit comparaisons de Griffith avec le nubien, auxquelles il rajoutait une
neuvième correspondance, et, pour le reste du domaine soudanique oriental,
utilisait neuf mots méroïtiques, dont six probablement fantaisistes, avancés
sur des bases jamais justifiées par Zyhlarz, 1956, ainsi que quatre morphèmes
dont deux très douteux. Sa conclusion, bien que positive, restait prudente :
« The scanty data presently available suggest that Meroitic is a member of
Greenberg’s Eastern Sudanic family. Membership in this grouping would account
for the various similarities between Meroitic and Nile Nubian that cannot be
explained as being the result of direct borrowing, as well as the similarities
between Meroitic and the other Eastern Sudanic languages. We are not able,
however, to determine the position of Meroitic within this grouping. » (Trigger,
1964, p. 192-193)
1
Voir particulièrement Priese, 1968a, p. 174-175.
2
Priese, 1971, p. 275, 277 [1.15.1], 280 [1.23.2], 282 [1.31.2] [1.31.6], 284 [1.32.4], note
18, p. 279 ; Priese, 1977a, p. 44-45, p. 49-54 (rédigé à la même époque). Voir Trigger,
1979, p. 151 pour une critique de l’usage que fait Priese de la comparaison en
morphologie. Ses positions ont ensuite évolué vers un certain pessimisme (cf. Priese,
1997b, p. 253).
3
Poussé dans ses retranchements, il reconnaît cependant lors du Congrès de Berlin de
1971 : « This claim was based on only a small number of presumed cognates. »
4
Bender rapporte une communication personnelle que Greenberg lui a faite à propos du
méroïtique : « He later told the present author that he thinks East Sudanic is the right
place to look for possible connections. » (Bender, 1996, p. 59).
486 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir ci-dessus, p. 238 et note 2. La critique de Hofmann, 1982c, p. 49-53 va dans le
même sens. Elle rappelle l’article de Thelwall, 1978 (comparaison lexicographique
entre nubien, daju et dinka), où seuls les termes méroïtiques ato : « eau », et kdi :
« femme » pouvaient être rapprochés avec succès du nubien des monts Nuba.
488 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Ainsi le tabi (ingessana, gaam), qui par sa position isolée sur les hauteurs du Soudan
oriental, présente un grand intérêt pour une éventuelle comparaison avec le
méroïtique, n’a fait l’objet que de quelques courtes études (Verri, 1955, Lister, 1966,
Launer, 1981) et d’un glossaire préliminaire (Ayre-Bender, 1980). On pourrait
malheureusement multiplier les exemples.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 489
glaube, daß die Antwort darauf leider “Nein !” lauten muß. Und dies
hauptsächlich aus zwei Gründen :
(1) Strukturelle Merkmale sind nicht ausreichend, um eine genealogische
Verwandtschaft zwischen Sprachen nachzuweisen. Wir haben oben gesehen, daß
in gleichen strukturellen Typen auch genealogisch nicht verwandte Sprachen
zusammengefäßt sein können. Übereinstimmung in strukturellen Merkmalen
weisen daher nur auf die Möglichkeit von verwandtschaftlichen Beziehungen hin.
(2) Der andere Grund ist der, daß die Existenz der “Eastern Sudanic Language
Group” selbst noch nicht wirklich bewiesen ist. Es sind noch keine Protosprachen
herausgearbeitet worden. Deswegen ist der Vergleich von Meroitisch mit nur
einer Sprache – (Alt)nubisch – nur ein Experiment. Aber es wird notwendig sein,
Meroitisch nicht mit einer Einzelsprache zu vergleichen, sondern mit einer
bestimmten Protosprache der ESLG [Eastern Sudanic Language Group], je nach
der taxonomischen Struktur dieser Gruppe. Aber gerade diese taxonomische
Struktur ist uns noch so gut wie unbekannt.
Deswegen ist es die wichtigste Aufgabe, diese Sprachen eingehend zu
bearbeiten und ihre Verwandtschaftsverhältnisse zu erforschen. » (Hintze, 1989,
p. 102-103). 1
1
On nous pardonnera la longueur de cette citation, justifiée par l’importance du propos
et la pertinence des remarques.
2
D’après Jungraithmayr, 1981 et Tucker, 1981.
490 LA LANGUE DE MÉROÉ
Sur le plan lexical, nous avons inventorié dans le relevé qui suit les
cognats supposés dans le domaine nilo-saharien, en indiquant pour le nubien
un simple rappel à la liste correspondante p. 458-459. Ici encore, nous avons
écarté les parallèles non satisfaisants, ou bien parce que les formes proposées
1
Les dialectes nubiens sont représentés dans les items 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 30, 39, 42, 43, 46. Ce score, le plus élevé de
toutes les langues du phylum, est dû entre autres à la position centrale du nubien dans
la recherche de Greenberg. On peut dire sans exagérer que le « soudanique oriental » a
été en grande partie établi par une comparaison entre le nubien et le nilotique, les deux
groupes de langues les mieux connus du groupe (cf. Bender, 2000, p. 54).
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 491
abr « homme » / nara (SO) abuko « homme » [Trigger], songhai boro « homme »,
mangbetu (SC) -bèlu [Bender], berti (saharien) baru « mâle » [Militarev] ;
adb « terre (?) », « province (?) » / Nb, nara (SO) do « terre » [Bender] ;
ari-« ciel (?) » (traduction induite) / Nb, afitti (nyima, SO) áreÑ gà « pluie »,
nyimang (SO) ár¡Ñè « pluie », tama (SO) arr « pluie », soo (kuliak) war « pluie »,
merarit (SO) ¢¯ ri « soleil », fur uri « étoile » [Bender] ;
-dik « tout le long (vers) » / nara (SO) -dege « vers », « de » [Trigger] ;
-ke « de » / nara (SO) -ge « vers », « de » [Trigger] ;
kelw « et aussi » / gumuz (koman) kŒ « aussi », kwama (koman) gi, majang (surma)
kØ [Bender] ;
kdi « femme » / Nb, kwama (koman) kaduwa « femme », afitti (nyima, SO) kíri,
nyimang (SO) ké r, nandi-suk (SO) korko, baka (SC) kárá [Bender] ;
‚r « (faire) manger (?) » / nara (SO) kŒ l « manger » [Bender] ;
-l déterminant / fur, maba, tama (SO), nyimang (SO), berta, gumuz (koman) -l-
[Bender] ;
l‚ « grand » / maba léké « long », shatt (daju, SO) lØ¿Ø i « long » [Bender] ;
mde parenté d’oncle à neveu ou nièce (?) / tabi (SO) ammet « oncle » [Bender] ;
mƒe « abondant » / shatt (daju, SO) maÑÑ e « beaucoup », baka (SC) móngó
« beaucoup » [Bender] ;
Ms dieu solaire (interprétation induite) / Nb, berta mØ sØ [Bender] ;
qore « roi » / tabi (SO) aur « chef » [Bender] ;
-se postposition génitivale / daju (SO) -s [Bender] ;
ste(qo) « pied », « empreinte » / nara (SO) šokna « pied », t&wampa (koman) š(w)ok,
gumuz (koman) cogwa, zilmamu (surma, SO) šowa, dinka (SO) cok, soo (kuliak)
tεg [Bender] ;
-te « dans » / nara (SO) -t, -ta, -ti, dinka (SO) -t, maasai (SO) t-, didinga (SO) -to, -ti,
tabi (SO) -te, merarit -ta, daju (SO) -ti , Nb [Trigger] ;
tr « grand (?) » / maba tŒ ljin « grand », tabi (SO) talgŒ [Bender].
492 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Sur les problèmes théoriques de l’approche comparatiste pour le méroïtique, outre les
références déjà citées (Trigger, 1973a ; Trigger, 1973b ; Hintze, 1973c ; Trigger, 1977 ;
Trigger, 1979 ; Hofmann, 1982c), on pourra consulter Thelwall, 1975 ; Thelwall, 1989 et
surtout Hofmann, 1982a : « Der Vergleich des Meroitischen mit anderen Sprachen ».
2
Voir Renfrew, 1990 pour un exposé et une critique mesurée de cette discipline.
LES DIFFÉRENTES APPROCHES DE LA « QUESTION MÉROÏTIQUE » 493
1
Nous remercions M. Bernard Caron, spécialiste de ces langues, qui a bien voulu nous
communiquer ces données partiellement inédites.
2
Voir Renfrew, 1990, p.161-174.
494 LA LANGUE DE MÉROÉ
STRUCTURES GÉNÉRALES
1
Voir notamment Abdalla, 1979 ; Abdalla, 1988 et 1989a passim.
2
Le terme désigne ici tout signe consonantique nu (représentant phonétiquement
consonne + /a/) ou suivi d’un modificateur vocalique (e, i, o) : voir ci-dessus, p. 280-285.
3
Abdalla, 1999a. Le proscynème démotique Ph. 417 le transcrit comme un anthroponyme
simple sans que le nom de Kawa y apparaisse (cf. Burkhardt, 1985, p. 118).
4
Cf. Heyler, 1967, p. 117 ; Hintze, 1979, p. 17.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 499
Dans des textes offrant des passages identiques, comme REM 1090 et
1091 (linteau et stèle de Netemakher à Sedeinga 2), ou en REM 0094 à
1
Voir p. 258-259 pour l’origine du séparateur.
2
Cf. p. 139 pour les épitaphes de Netemakher.
500 LA LANGUE DE MÉROÉ
Kalabsha et 1228 à Qasr Ibrim (protocole royal), on peut constater pour les
mêmes syntagmes d’importantes divergences dans l’usage du séparateur :
REM 0094 REM 1228 1
mnote : se : lw : mnoteselw
ariteneliselw : ariteneliselw :
‚lbi : lise : lw : ‚lbiliselw :
1
Cf. Edwards, 1994b, p. 24.
2
Voir ci-dessous, p. 535.
3
Il arrive également qu’une ponction dans la pierre puisse faire croire à la présence d’un
séparateur. C’est manifestement ce qui s’est produit en REM 1020, où Monneret de
Villard lit un séparateur dans *ted:~elowi « c’était l’enfant (de telle mère) » (Monneret de
Villard, 1960, p. 103). Un examen de la photo (id. pl. XXVIIc) révèle un éclat dans la
pierre à cet endroit, ce qui donne l’impression d’un séparateur. Cette lecture a été utilisée
par Trigger, 1968 pour une interprétation probablement fausse des termes de parenté
(voir note 2, p. 309).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 501
1
Voir notamment Hagège, 1982, p. 7-9.
2
Il suit en cela les travaux de Sapir et de Greenberg.
502 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
La vocalisation n’est pas sûre : on attendrait *qoreb, mais le terme n’est actuellement
attesté que dans le génitif qorb-se « celui (= serviteur) des rois », où la modification du
schème vocalique est peut-être due à l’ajout de la postposition génitivale -se.
2
Voir ci-dessous, p. 561.
3
Cf. p. 414-415.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 503
complexes verbaux était toujours présent à l’esprit des scripteurs, alors même
qu’il était souvent brouillé dans la prononciation courante. La nature
« fusionnelle » du verbe méroïtique doit donc être nuancée.
La définition du méroïtique comme langue « agglutinante » par Griffith
semble donc globalement confirmée : les formes construites présentent un
« indice de fusion » particulièrement bas, malgré des accidents de frontières
apparemment réversibles ou en tout cas trop récents pour avoir effacé la
structure originelle.
Absence de genre
1
Hapax en REM 0123. On trouve en REM 1323 et 1333 la var. mkde dans le groupe mkde
Tmne-te : « la déesse (qui est) à Tamane », désignant Hathor.
2
Cf. Macadam, 1966, p. 46.
3
Hofmann, 1975, p. 19 ; Hofmann, 1979, p. 28-29 ; Hofmann, 1989-1990, p. 232 ; et
Hofmann in Török, 1997a, p. 279. La même idée se trouvait déjà chez Schuchardt, 1913,
p. 180, à propos des mêmes préfixes : « Kurz ich empfange den Eindruck daß zwei
verschiedene Systeme sich gekreuzt haben, von denen das eine vielleicht in einer
fremder Sprache wurzelt. »
504 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Hintze, 1955, p. 358-361.
2
Notamment Greenberg, 1966a (ouvrage de base) ; Theo Venneman, « Analogy in genera-
tive grammar, the origin of word-order », Proceedings of the Eleventh International
Congress of Linguists, édité par Luigi Heilman, Bologne, 1972, 2, p. 79-83 ; Hawkins,
1979 (utilisé par Hintze, 1989) ; Comrie, 1981, p. 80-97 ; Hawkins, 1983. Pour un
examen critique de ces travaux, voir Hagège, 1982, p. 56.
3
Cf. ci-dessus, p. 457. Cet ordre fondamental est déjà proposé par Hintze, 1989, p. 97 et
note 4.
4
Cf. Comrie, 1981, p. 6, 81-82.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 505
1
Millet, 1982, p. 72 et 76. Voir ci-dessus, p. 145, où nous proposons une interprétation
différente de type SOV.
2
Voir ci-dessous, p. 520-523 et Rilly, 2000c, p. 106 et note 17.
3
Greenberg, 1963a, Appendix II p. 108-110, repris par Hawkins, 1983, p. 283-287.
4
Il convient de noter que le sumérien possède également un « génitif anticipé » avec
reprise par un possessif (cf. Thomsen, 1984, p. 91-92).
5
Hawkins, 1983 cite 50 langues dans le type 24.
6
Les langues nilotiques sont de type 1 (VSO/Pr/NG/NA) ou de type 9 (SVO/Pr/NG/NA).
Le songhai (voir ci-dessus, p. 476) est de type 16 (SVO/Po/GN/NA).
506 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Ces termes « devant » et « après » sont généralement bannis du vocabulaire actuel des
linguistes : nous les conservons cependant en raison des ambiguïtés dues au sens
d’écriture du méroïtique, inverse du nôtre : un morphème placé « avant » est à gauche en
translittération, un morphème placé « après » est à droite.
2
Voir ci-dessous, p. 554.
3
« With much better than chance frequency, if the common noun usually precedes the proper
noun, the dependent genitive precedes its governing noun. » (Greenberg, 1963a, p. 90)
4
Greenberg précise bien : « There are a few marginal cases or possible exceptions. » (ibid.
p. 98)
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 507
Abdalla, 1986, p. 7 et note 14, p. 18 (ordre VSO dans les verbes composés [?]) ; Rilly,
2000c, p. 106 (place du sujet).
Il n’est pas dans notre intention de développer ici une théorie des
catégories grammaticales qui fasse écho aux nombreuses discussions entre
linguistes sur la distinction entre noms et verbes, noms et adjectifs, etc., et
ceci pour deux raisons. D’une part notre compréhension du méroïtique est
actuellement trop réduite pour que nous puissions y appliquer un travail de ce
genre, et d’autre part le but primordial que se sont fixé les méroïtisants reste
la traduction des textes, ce qui n’oblige pas à une parfaite correspondance
entre les moyens grammaticaux utilisés par les Méroïtes et les catégories
existantes dans la langue d’arrivée. Bien évidemment, il ne s’agit pas pour
autant de calquer aveuglément sur le méroïtique les catégories de la
grammaire des langues occidentales, et nous nous réservons, le cas échéant,
la possibilité de discuter du bien-fondé de certaines distinctions, notamment
entre nom et adjectif, qui ne semblent pas toujours pertinentes en méroïtique.
Nous avons utilisé, dans les pages qui vont suivre, une nomenclature
traditionnelle, de précision moyenne, qui semble néanmoins représenter les
éléments constitutifs de la plupart des langues, notamment africaines (cf.
Creissels, 1991) : noms propres (anthroponymes, théonymes, toponymes,
ethnonymes), substantifs, déterminants, adjectifs, postpositions, prédicatif(s),
pronoms, verbes, adverbes, conjonctions 1.
Il importe également d’indiquer quels sont actuellement nos moyens
d’identification, hélas souvent insuffisants. Le repérage des noms propres se
fait essentiellement sur des critères sémantiques : on sait que les anthro-
ponymes interviennent dans la nomination et la filiation des épitaphes. En
dehors de ces textes, s’ils ne contiennent pas d’éléments qui les désignent
comme tels 2, il est très difficile de les identifier. Il est par exemple assez
fréquent (15 % des cas selon Hainsworth, 1980) qu’ils se terminent par le
déterminatif -l(i), ce qui peut les faire passer pour des substantifs. Les
théonymes, outre ceux qui ont été empruntés à l’égyptien, peuvent être
repérés par leur utilisation au génitif analytique (postposition -se) à la suite
de titres identifiés clairement comme sacerdotaux (ant « prêtre », beliloke
« grand-prêtre [?] », etc.). Les toponymes ne sont identifiables que s’ils sont
1
Ces deux dernières catégories ne comptent actuellement que quelques mots dont
l’identification est totalement hypothétique. Ainsi, dans notre « lexique » figurent seule-
ment les adverbes supposés asy, atmi, dik, -k, krekre, mroso, sdk, tmot, wido, et les
conjonctions supposées ky, seb, yesebe. Pour kelkeni, kelw voir p. 570-571.
2
Cf. Hainsworth, 1980 pour la liste de ces éléments. On citera notamment le suffixe -ye,
qui à époque tardive, devient systématique.
508 LA LANGUE DE MÉROÉ
divergences sur la nature de bien des éléments. Ainsi les termes de parenté
(ste « mère », kdise / kdite « sœur », wi « frère », etc.) ont longtemps été
considérés par Hintze comme des verbes (« être mère », « être sœur », « être
frère »), parce que l’existence du génitif antéposé n’était pas clairement
reconnue. Semblablement un grand nombre de termes sont considérés
comme des anthroponymes par certains, comme des substantifs par d’autres.
Ici, c’est avant tout l’accroissement du corpus et son exploration
systématique qui permettra de départager les avis.
Bibliographie (il s’agit de courtes remarques, aucune étude détaillée n’existant
sur la question) :
Trigger–Heyler, 1970, note h 95, p. 34 (titres / anthroponymes) ; Priese, 1971, p. 275
[1.3], p. 281 (« verbes » de parenté ?) ; Hintze, 1977a, p. 29 (idem) ; Haycock, 1978,
p. 64 (distiction noms / substantifs / adjectifs) ; Hofmann, 1980b, p. 49-50 (distinc-
tion verbes / anthroponymes dans les « inscriptions de travaux ») ; Hofmann, 1981a,
p. 121 [179] ; Hofmann, 1981c, p. 7 (titres / anthroponymes) ; Hofmann et al., 1989a,
p. 150 ; Hofmann, 1991, p. 132 ; Abdalla, 1991, p. 80.
LE SYNTAGME NOMINAL
1
Dans la grammaire sumérienne, qui connaît également ce phénomène, on parle de
« chaînes nominales ». L’ordre des éléments est d’ailleurs similaire comme le montre cet
exemple : /é šeš lugal-ak-ak-a/, littéralement « maison-frère-roi-de-de-dans », soit :
« dans la maison du frère du roi » (Thomsen, 1984, p. 91). Dans le domaine « nilo-
saharien », on trouve de telles « chaînes » en moru, langue soudanique centrale (voir
un exemple chez Hagège, 1982, p. 60) et dans une moindre mesure en vieux-nubien.
2
On a rétabli la succession étymologique -se-leb, écrite -teb conformément à la loi de Griffith.
510 LA LANGUE DE MÉROÉ
Le déterminant
Ce que nous appelons ici « déterminant » est principalement l’élément
suffixé -l ou -li, pluriel -leb. Nous préférons cette dénomination au terme
« article » habituellement employé par les méroïtisants, car elle évacue le
débat autour d’une valeur « définie » ou « indéfinie », qui, nous le verrons,
semble inopérante dans cette langue. Il est certain que d’autres déterminants
existent, et plusieurs éléments récurrents dans les textes pourraient avoir cette
nature. Mais il ne s’agit que d’hypothèses encore vagues et fragiles sur
lesquelles nous reviendrons en fin de section.
1
Pour plus de détail sur les structures attestées de ces syntagmes nominaux à « enchâs-
sement », on se reportera aux pages 108-127, et notamment aux Tableaux 4 et 5.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 511
La même idée est enfin reprise par Hofmann, 1981a, p. 331-332 3. Elle
cantonne de plus le rôle de -li à la démarcation et à la détermination, soit aux
valeurs (a) et (c) de Hintze, sans relever un rôle de « nominalisant » qui, dans
la définition de Hintze, reliait encore -li à -lowi. La séparation complète de
1
Cf. Browne, 1989a, p. 13-15.
2
La rédaction de l’article date de 1971, ce qui explique l’importante évolution que marque
Hintze, 1979 en ce domaine.
3
Voir également Rilly, 1999b, p. 85 : « Il ne s’agit plus de savoir si on a affaire à un
article défini ou indéfini (c’est une question de traduction dans telle ou telle langue),
mais de préciser les constructions où son emploi est régulier. »
512 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Pour ce processus phonétique, voir p. 30-31. Comme l’essentiel du contenu de cette
section, il s’agit d’une hypothèse personnelle.
2
Voir ci-dessus, p. 296-297.
3
Pour les trois valeurs du signe e, voir p. 398-401.
4
L’alternance ‚ / k est connue par exemple dans les textes d’Arminna, où les verbes de
bénédictions t‚ et ‚r apparaissent sous les formes tk et kr.
5
Priese, 1971, p. 285 [1.44].
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 513
et une postposition. Mais elles ne vont pas sans difficultés, puisqu’il est
fréquent que dans des passages similaires, on ait indifféremment -li et -l‚e
(bénédiction G 1), ou -l, -li et -lw (formules en mlo-lo(wi), proscynèmes 2).
Nous avons dans deux articles fait état de ce problème, sans pouvoir y
apporter jusqu’ici de solution évidente 3.
Enfin, on doit signaler que le déterminant peut être suivi du suffixe de
vocatif -i : on trouve par exemple des invocations d’épitaphes mk-lƒ-li « ô
grand dieu », « ô grande déesse » 4. Ce composé -li ne doit pas être confondu
avec la forme longue du déterminant, bien que leur réalisation phonétique ait
dû être la même.
Le déterminant est généralement écrit sans séparateur à la suite du
substantif. Il peut arriver que des accidents phonétiques altèrent la zone de
contact. Le plus courant est la loi de Griffith 5 : si le substantif est terminé par
-se, ou qu’il s’agisse d’un syntagme comprenant un génitif analytique avec
postposition -se, cette syllabe graphique (phonologiquement /s/) se contrac-
tera avec le -l du déterminant, et produira un t. Moins fréquemment, des
assimilations progressives et régressives sont possibles 6. Ainsi qor provient
de qore « souverain », suivi du déterminant -l 7, et l’on peut penser que la
graphie qore qui en néo-méroïtique remplace l’ancien qor après les noms des
rois n’est pas le substantif nu, mais une forme assimilée pour qore + -le.
Rôles du déterminant
Pour pouvoir être utilisé dans une phrase, du moins dans toutes les places
où il exerce lui-même une fonction déterminative, le substantif doit être
actualisé par une détermination minimale assurée par l’élément -l(i). Il n’est
donc pas l’équivalent exact de notre article défini ou de notre article indéfini,
mais pourra souvent se traduire par l’un, par l’autre ou par aucun, suivant les
contextes :
Amnirense / qor (<*qore-l) / kdke-l (REM 0628)
« Amanirenas, / le souverain, / la Candace (article défini)
ssor-li / kdise-lowi (REM 0301)
1
Cf. ci-dessus « formule G », p. 175.
2
Voir ci-dessus, p. 195.
3
Cf. Rilly, 1999b note 18, p. 82 ; Rilly, 2000c, p. 109 et note 29. Voir toutefois ci-dessous,
p. 538.
4
Voir ci-dessus, p. 95.
5
Cf. p. 415-420.
6
Voir ci-dessus, p. 410-415.
7
Voir Rilly, 1999b : « Assimilation et détermination en méroïtique : le déterminant
masqué du mot qore “roi” ».
514 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Pour d’autres exemples, voir Tableau 5, p. 116-117, structures (2) et (6).
2
Cf. Browne, 1989a, p. 13, qui désigne ce cas comme « subjective ».
3
Voir ci-dessus, p. 167-171.
4
On rappelle qu’une notion dense est quantifiable, mais continue (« eau », « pain »),
tandis qu’une notion compacte n’est pas quantifiable (« vie », « force »). Heyler
suggère que l’absence d’article en bénédictions A et B représente un partitif (Heyler,
1967, note 106, p. 134).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 515
Dans ces deux exemples, -li revêt plutôt un rôle démarcatif (borne
syntaxique 5) que déterminatif : il permet dans un syntagme nominal général,
1
Voir Hofmann, 1978b, p. 272-273 pour le sens de ce terme, qui n’est probablement
pas une charge militaire, mais administrative et religieuse.
2
C’est-à-dire « auprès du souverain ».
3
On a d’ailleurs longtemps supposé que le mot qore n’avait pas besoin du déterminant
pour cette raison. Il est en fait caché par l’assimilation dans qorise, mais présent tout
de même : voir Rilly, 1999b.
4
Pour mklte, voir Hintze, 1960a, p. 145, 159 ; pour qorte, voir Hofmann, 1981a, p. 322.
5
Voir : Leclant, 1970-1971, p. 80 ; Hintze, 1979, p. 33 (« Grenzsignal »).
516 LA LANGUE DE MÉROÉ
chiffres, et nous doutons fort qu’ils puissent être écrits littéralement dans les
textes, comme l’a récemment suggéré Millet 1.
L’adjectif
On ne connaît guère plus d’une douzaine de mots que l’on puisse
considérer comme des adjectifs, et parmi eux seuls quatre ont une
signification à peu près sûre : lƒ « grand », mete « petit », « jeune », mƒe
« abondant », mlo « bon », « beau ». D’autres ont un sens probable, mais leur
nature adjectivale n’est pas assurée : s‚i, synonyme de mete, sedew,
synonyme de mƒe, tr(e), synonyme de lƒ, qorode « royal (?) ». Enfin,
certains ne sont qu’hypothétiques : doke, dole, dot semblent avoir un sens
positif dans les bénédictions, tme dans les anthroponymes.
1
Voir Millet, 1999. On comparera avec l’extrême rareté des nombres écrits en toutes lettres
en égyptien, sur un corpus pourtant infiniment plus étoffé que celui du méroïtique.
518 LA LANGUE DE MÉROÉ
On comprendra donc que nos certitudes sur les adjectifs soient peu
nombreuses. On ne peut même pas à vrai dire être sûr que cette catégorie
existe de manière indépendante en méroïtique 1. Il n’est pas impossible que
les mots cités ci-dessus ne soient que des substantifs utilisés en apposition. Il
est par exemple sûr que lƒ et mlo sont également des substantifs : on trouve
ainsi en GA 20 une charge honorifique lƒ Wrose-te : « grand à Warush (?) »,
et en REM 1012 un titre mlo qorise « homme de valeur (auprès) du roi ».
S’agit-il de substantivation, à la manière dont nous parlons d’un « Grand »
d’Espagne, ou d’un « brave » ? Il semble en effet qu’il existe un substantif
abstrait, mlowi ou mleyi 2, formé sur mlo, et qui pourrait désigner la « bonne
santé » dans les prières aux dieux et les décrets oraculaires amulétiques. Il y a
donc quelque chance que mlo ne soit pas lui-même un nom de qualité, car on
l’aurait alors trouvé dans ce rôle.
On a supposé que certains adjectifs étaient formés à partir d’un préfixe m-,
et il est vrai que parmi les quatre premiers que nous avons cités, trois
comportent cette initiale. Mais il peut tout aussi bien s’agir d’un hasard, car
les autres, ajoutés depuis lors à la liste, n’ont pas cette caractéristique.
L’adjectif épithète figure directement à la suite du nom : apote lƒ « grand
messager », « premier messager », ato mƒe « de l’eau abondante ». Il n’y a
pas de marque d’accord, ni en classe, ni en genre, tous deux inexistants en
méroïtique, ni en nombre. Si le substantif est au pluriel, le déterminant
spécifique -leb est ajouté en fin de syntagme, éventuellement après l’adjectif
quand celui-ci en est le dernier élément : apote lƒ-leb « de grands
messagers ».
La situation est plus incertaine si la prédication porte sur l’adjectif. Dans
les formules en mlo-lo(wi) des épitaphes 3, le terme mlo est prédiqué en fin de
proposition non verbale par le prédicatif -lo(wi), exactement de la même
manière qu’un nom. Mais s’agit-il véritablement d’un adjectif en ce cas, et
non d’un substantif correspondant à une dignité ? Abdalla, qui a travaillé
essentiellement sur les anthroponymes, y aurait repéré des adjectifs antéposés
qui seraient selon lui en position de prédicat. Le phénomène n’est pas
impossible. On connaît bien des langues où l’adjectif suit le nom en position
1
Certaines langues en effet ne connaissent pas de vrais adjectifs, ou très peu, et utilisent en
fait soit des verbes, soit des noms pour nos adjectifs de qualité (cf. Hagège, 1982, p. 74).
En lingala (bantou) un « homme fort » est un « homme de force » ; à l’inverse, en
moru (nilo-saharien) et en haoussa (tchadique), un « chien blanc » est « une blancheur
de chien ». Il est sûr en revanche que le méroïtique n’utilise pas un système génitival,
comme dans ces langues, en raison de la place de l’ « adjectif » et de l’absence de
morphème spécifique.
2
Le terme mleyi apparaît comme un substitut de mlowi en REM 1096 et 1326, deux
décrets amulétiques oraculaires, dans des formules stéréotypées.
3
Cf. p. 158-162.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 519
L’apposition
On peut définir trois types d’appositions en méroïtique, suivant qu’elles
incluent un anthroponyme, qu’elles reprennent un substantif pour le préciser,
ou qu’elles juxtaposent deux substantifs. Cette dernière construction appelle
cependant quelques réserves, comme nous le verrons. Ces trois configurations
ne peuvent actuellement être étudiées que dans les épitaphes et les protocoles
royaux, en propositions non verbales, ce qui restreint le champ d’observation.
Les appositions les plus courantes et les plus claires sont celles qui
ajoutent un anthroponyme à un titre 3. Dans la quasi-totalité des cas, le titre
précède l’anthroponyme, et n’est donc pas déterminé par -l(i), le nom propre
1
D’après Cohen, 1984, p. 19.
2
Cf. p. 25.
3
Voir p. 121-122 pour une discussion sur la présence ou l’absence d’anthroponymes
dans les descriptions relatives des épitaphes.
520 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
C’est la seule construction à laquelle Abdalla, 1994 réserve le terme d’« apposition »,
ce qui nous paraît indûment restrictif.
2
Voir p. 122-123.
3
La structure étant complexe, nous avons exceptionnellement présenté deux niveaux
d’analyse sous le texte : morphologique et syntaxique. Nous avons aussi séparé les
éléments contractés par la loi de Griffith. L’élucidation de cette proposition est due à
Heyler, 1967, p. 111-112. Le titre sacerdotal de mesen est associé au culte d’Amon de
Primis ou à celui d’Amanap, mais ne peut actuellement être précisé davantage.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 521
mesen / -li // mesen / Mnp / Pedeme / -te / -li / -se / -li // terike / -lowi
[subst.+dét.] [subst. [ théon. [ topon. + loc. ] dét.+gén.] dét.] [ subst. ] [copule]
[ nom régi ] [ ← apposition →] [nom régissant] [prédicatif]
mesen / un // mesen / Amanap / Primis / dans / celui / de / un // enfant engendré / c’était
« un mesen (titre), un mesen d’Amanap, (celui qui est) à Primis, l’a
engendrée. »
Tout se passe ici comme si le scribe avait voulu tardivement préciser un
titre qui lui paraissait incomplet, mais qui était déjà clos par le déterminant
-li. Heyler traduit d’ailleurs « Le mesn, (c’est-à-dire) le mesn du Mnp de
Primis » (Heyler, 1967, p. 112, soulignement de Heyler).
Un type beaucoup plus courant juxtapose dans un même syntagme deux
titres différents, ou du moins connus séparément dans d’autres textes, mais
on peut se demander s’il s’agit bien d’une apposition. On trouve par exemple
en REM 0129 :
qorene / kroro / -lowi
scribe royal (?) / prince (?) / c’était
Le terme (a)kroro est parfois attesté seul (kroro-lowi « c’était un prince
[?] », en REM 1091/6), ce qui le fait considérer comme un substantif
constituant à lui seul un titre.
On observera néanmoins que ces structures ne sont attestés que dans les
descriptions individuelles des épitaphes. Or dans ces passages, les titres
différents font systématiquement l’objet de prédications séparées. On n’écrit
jamais « c’était un X et un Y », mais toujours « c’était un X, c’était un Y » 1.
Il faut donc supposer que dans ces prétendues appositions, le second titre
n’est pas différent du premier, mais apporte une précision supplémentaire,
sans quoi sa présence serait inutile. Or l’inventaire des mots attestés en
seconde position 2 est particulièrement réduit : on trouve (a)kroro, ssimete et
kttre, et parmi ces trois-là, seuls les deux premiers peuvent être utilisés de
manière isolée. On ne voit donc pas comment des termes qui accompagnent
des titres par ailleurs très divers et dont plusieurs sont des hapax (qorene,
sob‚e, siremroke, smt, smrso, wleke, womnise, mlewye, sekesekine, etc.)
pourraient en eux-mêmes être plus précis qu’eux. Il semble donc beaucoup
plus probable que ces mots ne constituent pas ici des titres, mais revêtent une
valeur adjectivale. On ne peut donc pas parler vraiment d’apposition, mais à
la rigueur de qualification.
1
Voir ci-dessus, p. 112.
2
Voir Hofmann, 1981a, p. 71-78. Un certain nombre des constructions proposées ne
semblent pas relever de cette catégorie, mais il pourrait s’agir de structures verbales
(nos 45, 46) ou incluant un génitif alternatif en -(y)ose (nos 42, 43, 44, 52).
522 LA LANGUE DE MÉROÉ
Bibliographie :
Trigger, 1962, p. 7 ; Heyler, 1967, p. 111-112, 118 ; Hofmann, 1974b, p. 48-49 ;
Hintze, 1979, p. 26, 43 ; Priese, 1979, p. 120-121 ; Hofmann, 1981a, p. 71-76, 180 ;
Abdalla, 1994, p. 8-11.
Le génitif
Notre principal apport dans cette partie sera d’établir l’existence et de
définir les rôles respectifs de deux génitifs en méroïtique, l’un analytique, où
le nom régi est postposé et le rapport de dépendance marqué par la
postposition -se (N + G + -se), l’autre construit par simple antéposition du
nom régi, sans adjonction de morphème spécifique (G + N). La situation
n’est pas sans rappeler celle de l’anglais, qui possède un « génitif saxon »
(« cas possessif ») du type the King’s daughter et un « génitif normand » du
type the name of the King, à la différence près que ces deux constructions
possèdent des marqueurs. Comme en anglais, il est également assez probable
que le génitif analytique soit de formation plus récente, sans que l’on puisse
avancer une époque pour son apparition, probablement ancienne. Quoi qu’il
en soit, à l’époque où la langue est écrite, les deux coexistent, avec une
évidente spécialisation de chacun, le génitif antéposé étant notamment utilisé
pour les relations familiales, et le génitif analytique pour des relations plus
contingentes, comme les affectations auprès de tel ou tel dignitaire.
L’existence de ces deux génitifs a été çà et là suggérée par certains
méroïtisants, mais n’a jusqu’ici jamais fait l’objet d’une analyse approfondie.
1
Voir ci-dessus, p. 457.
2
Actuellement transcrit pestol : yetmde « un parent (neveu ?) du vice-roi ».
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 523
Il ne semble pas que l’on ait fait grand cas de cette remarque discrète,
puisqu’elle n’a été reprise par aucun des successeurs de Griffith 1. Aussi bien
Meinhof que Zyhlarz ne reconnaissent apparemment qu’un seul génitif en
méroïtique, la construction analytique en -se. Il faut attendre le bref exposé
grammatical de Vycichl dans Kush pour voir réapparaître l’idée de deux
génitifs en méroïtique. Cependant la structure avec antéposition GN n’est
pour lui qu’un ancêtre supposé de la construction NG-se. Il avance en effet
que les postpositions comme -se et -te (locatif) sont d’anciens noms utilisés
dans une relation génitivale antéposée, qui auraient ensuite été
grammaticalisés 2 (Vycichl, 1958, p. 80-81). La structure GN est donc chez
Vycichl une simple reconstitution historique et il n’établit aucun rapport avec
les syntagmes exprimant la parenté. Son hypothèse ne sera reprise que par
Priese, pour justifier un point de démonstration sur la construction d’un nom
koushite ancien (Priese, 1968a, p. 180, note 84).
Il faut dire qu’entre-temps, Hintze avait imposé une tout autre analyse des
formules de parenté. Une expression du type pesto-l yetmde-lowi (voir note
2, p. 518) n’était plus interprétée, ainsi que chez Griffith, comme un
syntagme nominal, mais comme une structure verbale, où yetmde était un
verbe transitif signifiant « être apparenté à », et pesto-l l’objet de ce verbe. Il
en allait de même de tous les mots exprimant une parenté (Hintze, 1963a,
p. 15). L’idée même de génitif antéposé se trouvait donc évacuée, puisque
ces formules contenaient justement les seuls exemples clairs de construction
de ce type. On ne la trouve pas effectivement chez Millet 3, Trigger, Heyler.
Seul Abdalla, depuis ses débuts, a gardé une indéfectible fidélité à l’idée de
Griffith, distinguant un « génitif direct » (GN) et un « génitif indirect » (NG-
se), sans toutefois théoriser leur différence :
« ... kdis “sister”, ëte : “mother”, sm “wife”, wi “brother”, ste and swi, all of which
are known to act as governing nouns (N1 : nomen regen[s]) following their
genitives in direct genitive relationships.» (Abdalla, 1994, p. 6-7) 4
1
Voir bibliographie en fin de section, p. 523.
2
Voir ci-dessous, p. 538. On pourrait comparer, dans le domaine prépositionnel, le
français « le long de », où le groupe formé par le nom régissant et le morphème
génitival est devenu une préposition. Voir également Greenberg, 1966a, p. 78-79.
3
Il semble toutefois que la traduction par Millet de REM 1222 suppose une construction de
type GN (Millet, 1998, p. 60).
4
Voir également pour une semblable théorie Abdalla, 1988, p. 6, 9 ; Abdalla, 1989a,
p. 18, 21. Il semble probable que cette distinction figure aussi dans sa thèse inédite
524 LA LANGUE DE MÉROÉ
Le génitif antéposé
L’existence d’un génitif antéposé GN peut se prouver assez facilement
depuis que l’on a admis, à la suite de Hintze, 1979, que les termes de parenté
étaient comme dans la plupart des langues des substantifs. On comparera à
(Abdalla, 1969), à laquelle nous n’avons pas eu accès. Dans notre translittération, les
termes donnés par Abdalla seraient : kdise, ste, sem, wi, sete, sewi.
1
Elle écrit par exemple à propos de la traduction par Millet et Priese de qoresem par
« épouse royale » : « Sie wiederspricht den bisher erkannten Regeln der meroitischen
Grammatik, nach denen ein bisher nicht belegtes *sm qoris- [= *sem qorise] zu erwarten
wäre » (Hofmann, 1981a, p. 70).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 525
cet effet les deux propositions suivantes qui contiennent le titre pesto « vice-
roi » 1 :
pesto-lo (REM 0543)
pesto-l wi-lowi (REM 0250).
L’ensemble pesto-l wi- dans le second exemple est l’équivalent de pesto
dans le premier. Ce ne peut donc être qu’un syntagme nominal. On sait que le
défunt cité en REM 0250, n’est pas lui-même vice-roi. Il n’est donc pas
possible que wi- (le terme de parenté) soit une apposition. La relation qu’il
entretient avec pesto-l est syntaxiquement simple puisqu’elle n’a pas d’autre
marqueur que la succession en un ordre donné des deux termes. On a donc
affaire au rapport le plus élémentaire qui soit entre deux substantifs au sein
d’un groupe nominal, une dépendance génitivale. Le nom régissant ne peut
être pesto-l puisque, comme nous l’avons dit, le défunt n’exerce pas de
fonction si élevée. C’est donc wi- , et pesto-l est le nom régi. Le fait que dans
presque tous les cas, le nom régi comporte le déterminant s’accorde bien
avec une des fonctions essentielles de cet élément, du moins en méroïtique :
apporter à un substantif une détermination suffisante pour lui permettre à son
tour de déterminer un autre terme (cf. p. 509-510).
Cette construction n’est cependant pas réservée à un génitif focalisé,
comme l’avait supposé Hintze. Pour ce, on comparera ces deux propositions :
REM 0122 :
perite / Wos /-se / -l / qorene / Wos / -se / -l / yetmde / -lo
agent / Isis / de / un / scribe royal (?) / Isis / de/ un / neveu (?) / c’était
Il était neveu (?) d’un agent d’Isis et d’un scribe royal (?) d’Isis
GA 04 :
perite / Wos /-se / -leb / qorene / Wos /-se / -leb / yetmde /-qebese / -lowi :
agent / Isis / de / des / scribe royal (?) / Isis / de / des / neveu (?) / d’eux / c’était
litt. : Des agents d’Isis et des scribes royaux (?) d’Isis, il était leur neveu (?)
Ces deux phrases sont presque identiques à l’exception, dans la seconde,
du pluriel ajouté aux référents, et surtout du possessif (qe)bese « d’eux »,
« leur », qui indique une topicalisation du groupe initial (voir p. 547). Or,
si l’on suit Hintze, elles comporteraient déjà une focalisation du génitif, et la
seconde contiendrait donc la topicalisation d’une focalisation, ce qui semble
très douteux. Il n’existe par conséquent qu’une solution : le génitif antéposé
est une construction neutre au point de vue énonciatif, et indépendante (en
contexte synchronique) de la structure concurrente N + G + -se.
1
On rappelle que -lo est une simple variante de -lowi. Voici les traductions respectives des
deux passages : « c’était le vice-roi » (REM 0543), « c’était le frère d’un vice-roi » (REM
0250). Pour les besoins de le démonstration, nous n’avons pas indiqué cette traduction
à la suite des exemples.
526 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir Tableau 5, p. 116-117, structure (1). La rareté de cette construction est compré-
hensible : dans les épitaphes, les titres des personnages référents, avec lesquels le
défunt revendique sa parenté, sont plus importants que leurs noms, souvent absents
(cf. p. 121-122).
2
On en compte 13 sur plus d’un millier de génitifs antéposés. Voir p. 123-124.
3
Voir ci-dessous, p. 545.
4
Pour qore forme tardive de qor > qore-l, voir ci-dessus, p. 509. Le mot n’est
effectivement attesté qu’en néo-méroïtique. Si notre hypothèse sur la formation de ce
mot est exacte, il devrait se présenter sous la forme *qorsem à époque ancienne. Ce
terme semble décrire parfois un personnage masculin (cf. Hofmann, 1981a, p. 69-70).
5
L’équivalence proposée en français reste hypothétique. Ces passages sont en effet fort
débattus. Notre traduction de qoresem par « épouse royale » dans la deuxième phrase est
induite par l’anthroponyme féminin (terminé par kdi-l « la femme »). Le séparateur
interne qui figure sur le fac-similé de Griffith dans le terme de parenté obscur semte (lu
*se :mte) en REM 0217 nous paraît erroné : il s’agit en fait d’une dégradation de la pierre
(voir Woolley-McIver, 1910, pl. 18). Ce détail a empêché la compréhension de la
structure de cette proposition par Hintze et Hofmann (Hintze, 1977a, p. 24-25 ; Hofmann,
1981a, p. 232-235.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 527
Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 23 ; Griffith, 1917b, p. 166 ; Vycichl, 1958, p. 80 ; Priese, 1968a
note 84, p. 180 ; Hintze, 1979, p. 56-57 ; Abdalla, 1988, p. 6 et 9 ; Abdalla, 1989a,
p. 18, 21 ; Abdalla, 1994, p. 2-7 passim, p. 12 ; Rilly, 1999b, note 5, p. 79 ; Abdalla,
1999a, p. 414-415, 416, 417 ; Rilly, 2000b, p. 106 et note 17.
528 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cf. Priese, 1971, p. 282 [1.31.3]. Contra : Hintze, 1977a, p. 24-25.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 529
le titre qorbse (var. qorpse), qui signifie sans doute « (serviteur) des souve-
rains ». Dans ce cas, il faudrait supposer un traitement vocalique particulier
puisque l’on aurait attendu qorebse pour *qore-leb-se (voir note 3, p. 413).
On trouve également en REM 0358/2, un ostracon de Karanóg, une séquence
mutilée ...]itebse qui a de fortes chances d’être un génitif pluriel ...]*ise-leb-
se avec application de la loi de Griffith. Enfin, une bande de tissu du Gebel
Adda présente une inscription inédite (GA 47) où apparaît une séquence t‚bo
sebetelebse 1 : le second élément, malgré l’obscurité du passage, paraît bien
un génitif analytique pluriel.
Le déterminant final ne semble pas indispensable à la complétude du
groupe nominal contenant un génitif analytique, contrairement à ce que l’on
constate pour le génitif antéposé. Ainsi dans les décrets oraculaires
amulétiques, on trouve en position probable de sujet Ms arb-li-se « Mash de
l’arb (sens inconnu) » (REM 1325) et Wos mlwi-li-se « Isis du mlwi (sens
inconnu) » (REM 1096), sans que le syntagme ainsi formé soit suivi du
déterminant 2. Le fait que le nom régissant dans ces exemples soit un
anthroponyme ne suffit pas à expliquer cette absence puisqu’avec un locatif
nominal, de construction exactement semblable (postposition -te au lieu de
-se), le déterminant apparaît lorsque le groupe est mis au génitif : ant Mnp
Bedewi-te-li-se « prêtre d’Amanap (qui est) à Méroé » (REM 0521).
On notera aussi qu’assez fréquemment, le génitif analytique est utilisé
avec ellipse du nom régissant. Cette construction est notamment attestée dans
certains titres comme qorbse / qorpse que nous avons vu précédemment, et
son singulier qorise. Littéralement qorise (< *qore-li-se) signifie « (celui) du
souverain », « (serviteur) du souverain », qorbse (< *qore-leb-se) « (celui)
des souverains », « (serviteur) des souverains », où le pluriel désigne peut-
être le roi et la Candace. Le nom régissant est souvent un théonyme : Mnp-se
« (serviteur) d’Amanap » (REM 0201), Mni-se « (serviteur) d’Amon (REM
0201), Wos-se « (serviteur) d’Isis » (REM 0119).
1
D’après la lecture de Millet (The Meroitic Inscriptions from Gebel Adda, ms,
aimablement transmis par l’auteur)
2
Voir Rilly, 2000c, p. 106.
530 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Cl. Hagège signale ainsi les différences à ce sujet entre certaines langues
austronésiennes (Hagège, 1982, p. 76 et note 2) : ainsi en rennell (îles Salomon), le
terme « fille » est aliénable, tandis que « fils » est inaliénable.
2
Cf. Claudi-Heine, 1989, p. 3.
3
Voir infra, p. 549-551.
4
Cf. notamment Hintze, 1999, p. 234-236 et Hofmann, 1981a, p. 125-134.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 531
est inaliénable 1), le fait que yetmde soit uniquement employé dans des
génitifs antéposés semble donner tort à Hofmann.
On a souvent relevé que, dans bien des langues, le génitif indirect
(possession aliénable) utilisait des marqueurs d’origine spatiale 2. Il est assez
probable que ce soit également le cas en méroïtique. La postposition génivale
-se serait alors le résultat de la grammaticalisation ancienne d’un nom
exprimant un lieu, peut-être phonétiquement simplifié comme il arrive
souvent en ce cas, et placé après son régime dans une construction
antéposée 3, la seule qui existât alors. Le génitif de structure GN serait donc,
contrairement à ce que supposait Hintze (voir ci-dessus, p. 501) et comme en
vieux-nubien, la forme fondamentale en méroïtique.
Bibliographie (les analyses détaillées sont en gras) :
Griffith, 1911a, p. 23, 40 ; Griffith, 1912, p. 39, p. 45 ; Schuchardt, 1913, p. 168,
174-177, note 2, p. 174-175 ; Meinhof, 1921-1922, p. 5-6 ; Zyhlarz, 1930, p. 430,
445, 462 ; Zyhlarz, 1956, p. 26 ; Vycichl, 1958, p. 76 ; Zyhlarz, 1960, p. 751 ; Hintze,
1963a, p. 8, 10 ; Heyler, 1967, p. 110 ; Priese, 1968a, p. 180 ; Millet, 1969, p. 396 ;
Trigger–Heyler, 1970, note 105, p. 35, note h 105, p. 35 ; Priese, 1971,
p. 276 [1.13.4], 281 [1.31], 282 [1.31.3] ; Hintze, 1977a, p. 24-25 ; Hintze, 1977a,
p. 23-25 et notes 1-15, p. 32, 33, p. 31 ; Priese, 1977a, p. 39 [2.13] ; Hofmann,
1978b, p. 265, 269-271, 273, 278 ; Hintze, 1979, p. 30-31, 59 ; Priese, 1979, p. 119-
120 ; Zawadowski, 1981, p. 41 ; Leclant in Save-Söderbergh, 1982, p. 51 ; Hofmann,
1981a, p. 79-81, 93-95 ; Hintze, 1989, p. 97-98, 100 ; Kormysheva, 1998, p. 36, 37,
41 ; Millet, 1998, p. 60 ; Rilly, 1999b, p. 79 et notes 2 et 3, p. 80, 84-85.
Génitif alternatif en -o
Dans quelques très rares textes, il semble que l’on trouve une marque
différente de génitif postposé, écrite -o. La forme n’est attestée que pour
deux théonymes. On a ainsi at Ms-o « prêtre de Mash » en REM 0234, 0249,
0259, tetere Ms-o « teter (titre) de Mash » en REM 0270, ant Mn-o « prêtre
d’Amon (?) 4 » en REM 1202. Dans le syntagme atepedemo, peut-être ate
Pedem-o « prêtre (?) de / à Primis », présent en REM 0227, 0268, 0287,
1
Cf. Claudi-Heine, 1989, p. 13.
2
Ibid. p. 5-7.
3
Cette hypothèse est proche de celle avancée par Vycichl pour la formation de la
postposition locative -te (Vycichl, 1958, p. 80).
4
Il peut s’agir d’Amon (mér. Mni) si l’on suppose que Mno est réalisé /maniMu/, bien que
l’occurrence soit suffisamment tardive (fin IVe siècle) pour que le /i/ se soit éven-
tuellement amuï. Il existe également un dieu Mno / Mnote « Amon-de-la Ville » (< ég.
Õmn-n-N«w.t), auquel on pourrait penser ici, bien que la séquence Mn-o en REM 1202 ne
soit pas un théonyme nu, puisque ant « prêtre », la précède. Mais il n’est pas sûr que la
succession *Mno-o, produisant un /ã/ long, se serait aussi écrite Mno. Pour ces
problèmes de graphies des voyelles longues et des diphtongues, voir supra, p. 292-297.
532 LA LANGUE DE MÉROÉ
0290, 1083, le suffixe est le même, mais il pourrait avoir une valeur locative.
Toutes ces formes sont tardives et cantonnées à la Basse-Nubie. Le suffixe -
o, prononcé [u] ou [o] 1 est sans doute aussi une postposition comme -se dans
le génitif analytique habituel et il n’est pas sans rappeler la postposition -w,
prononcée [wa], qui semble avoir entre autres une valeur locative.
Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 60 ; Schuchardt, 1913, note 3, p. 175 ; Hintze, 1963a, p. 18 [208],
20 [262] ; Millet-Heyler, 1969, p. 4 (11) ; Hintze, 1977, p. 25 et note 15, p. 35 ;
Hofmann, 1981a, p. 187-188, 223, 316 ; Hofmann, 1984, p. 94 ; Hintze, 1987, p. 47 ;
Millet, 1991, p. 163 (REM 1202) ; Hofmann, 1993, p. 210.
1
Cf. ci-dessus, p. 402-407.
2
C’est le cas des termes suivants : ameyose, armeyose, mƒeyose, mlekeyose, mleyose,
mlewose, mlowose, mseqorose, nkdeyose, qorose, pdƒose, pelmetreyose, pnqose, sdƒose,
splose, ssimetriqose.
3
La différence entre -yose et -ose est purement graphique : cf. p. 292-293.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 533
seuls comme titres, comme souvent mleyose et ses variantes. En tout cas, ce
suffixe ne semble pas une forme alternative de génitif.
Le locatif
1
Pour un locatif alternatif en -o, rarement attesté, voir ci-dessus, p. 527.
2
Hofmann, 1978b, p. 274 ; Hofmann, 1981a, p. 107.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 535
Comme pour la postposition génitivale -se, une origine nominale est assez
probable pour la postposition locative -te. Vycichl propose un substantif
signifiant « ventre » (Vycichl, 1958, p. 80). Ce terme est effectivement tou
en vieux-nubien (Browne, 1996, p. 181), taua en nara (baréa), tuu en gaam
(ingessana), trois langues soudaniques orientales peut-être apparentées au
méroïtique. Si on admet cette hypothèse, la postposition -te signifierait alors
étymologiquement « dans le ventre de », « au sein de », et son régime aurait
été originellement un nom régi antéposé.
1
Voir Millet, 1973c, p. 310.
2
On ne peut exclure ici la possibilité d’une assimilation du -l- initial du déterminant
pluriel -leb. L’inscription de Kharamadoye présente une curieuse coexistence de
formes assilées et non-assimilées (ainsi qor-ƒ et qore lƒ « grand roi »). Voir p. 414.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 537
Le vocatif
Le vocatif était jusqu’ici connu pour l’essentiel d’après le témoignage des
invocations funéraires (voir p. 93-96), et ne concernait que les théonymes et
quelques épithètes divines. La récente découverte de décrets oraculaires
amulétiques en méroïtique 1, dont l’introduction stéréotypée débute par une
apostrophe au bénéficiaire, nous permet désormais d’ajouter à cette liste des
anthroponymes et des titres, et de confirmer certaines règles, notamment sur
le plan morphophonologique. Le suffixe du vocatif semble uniformément -i.
Il est suffixé directement aux noms propres, formant éventuellement une
diphtongue avec la voyelle finale du nom 2 :
Wos /ãsa/ « Isis » → Wos-i /u¯saMi/ « ô Isis ! » (passim)
1
Dans Edwards-Fuller, 2000 et Rilly, 2000c. Voir ci-dessus, p. 216-226.
2
Voir p. 296-297.
3
Cet anthroponyme est attesté uniquement au vocatif. La séquence finale -doye est
fréquente dans les noms de personne : A‚doye en REM 1084, ¬rmdoye en REM 0094,
etc., et figure très vraisemblablement dans la forme simple de ce nom. La reconsti-
tution phonologique est hypothétique.
4
Il s’agit de la parèdre d’Apedemak, traditionnellement appelée « la déesse-nègre » ou
« la déesse au faucon », dont le nom n’est apparu que récemment dans les fouilles de
Naga en 1999. Le timbre précis de la voyelle initiale ne peut être déterminé avec
assurance, mais sa propension à l’amuïssement laisse supposer un schwa (cf. p. 289-
291). La transcription des voyelles translittérées e n’est pas sûre : on peut tout aussi
bien avoir /e/ ou une absence de voyelle (voir p. 398-401).
538 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Il s’agit de l’anthroponyme démotique bien connu P3-dj-Õs.t. Seul le vocatif est attesté en
méroïtique. La forme nue est reconstituée d’après les noms méroïtiques voisins Tyesi
(< dém. Ta-Õs.t) et Pyesi (< dém. Pa-Õs.t).
2
Voir p. 95.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 539
1986, p. 116 ; Abdalla, 1994, p. 5 ; Kormysheva, 1998, p. 35, 36 ; Wolf, 1999b, p. 49-50 ;
Jacquet-Gordon, 2000, p. 33 ; Edwards-Fuller, 2000, p. 89 ; Rilly, 2000c, p. 105.
LES POSTPOSITIONS
Les deux postpositions les plus fréquentes sont les morphèmes -se du
génitif analytique et -te du locatif. Nous leur avons précédemment réservé un
traitement particulier qui doit plus à la tradition méroïtisante et à la nécessité
où nous étions de distinguer les deux types de génitifs, qu’à une quelconque
différence avec les autres postpositions. La construction semble identique,
trois cas différents pouvant être distingués :
nom propre + postposition
ex. : Wos-n-lw « en présence d’Isis » (REM 0124)
Medewi-ke « (qui vient) de Méroé » (REM 1141)
substantif + déterminant + postposition
ex. : mk-l-w « pour (?) le dieu » (REM 1116)
qor (<*qore-l) n-l « en présence du souverain » (REM 1003)
théonyme + expansion (ici locatif) + déterminant + postposition
ex. : Wos Pileqe-te-l-‚e « pour (?) Isis (qui est) à Philae » (REM 0101)
Wos Tebwe-te-li-n-lw « en présence d’Isis (qui est) à l’Abaton » (REM 0122)
Il nous semble que l’on peut distinguer deux sortes de postpositions, les
unes simples, souvent appelées « suffixes », comme -w, -‚e ou -k(e), les
autres composées comme n-lw ou se-lw. Ces dernières sont clairement
construites à l’aide d’un substantif (n et se), et doivent être décrites comme
des syntagmes comportant un génitif antéposé déterminé, suivi de la
postposition simple -w : n-lw < n-l-w litt. « par la présence », se-lw < se-l-w
litt. « par l’autorité (?) de ».
Leur statut de postpositions, et non de simples syntagmes nominaux, se
déduit néanmoins de la tendance qu’elles ont à se simplifier, perdant
notamment leur finale en -w, la postposition simple qui avait permis de les
construire. On trouve ainsi n-l en REM 0095, n-le en REM 0094, et se-l au
lieu de se-lw en REM 1003, 1044, 1039, 1221, 1293. Le substantif qui les
compose reste cependant assez distinct pour recevoir une expansion,
possessif ou adjectif :
n-betw < *n-bese-l-w : « en leur présence » (REM 0123)
540 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Ce terme reste mystérieux et pose ici de réels problèmes de syntaxe (dans toutes les
hypothèses que l’on peut faire à son sujet, il devrait être déterminé). Voir Rilly, 2000b,
p. 103-107.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 541
(3) n-lw est un des rares termes méroïtiques pour lequel nous possédons
un équivalent égyptien. Il apparaît en effet dans les proscynèmes (voir ci-
dessus, p. 201-202) où il correspond à l’égyptien m-b3∆ « en présence de »
(παρá dans les versions grecques). On trouve ainsi en REM 0122 :
Wos Pileqe-te-li Wos Tebwe-te-li-n-lw berwi
« il [le proscynème] reste (?) en présence d’Isis (qui est) à Philae et
d’Isis (qui est) à l’Abaton. »
(4) -se-lw apparaît principalement après les noms de dieux dans des
titulatures royales en REM 0094, 0101, 1141, 1228, 1293. Deux graphies
avec séparateurs internes se : lw : (REM 0094, 0101) montrent clairement la
structure de cette postposition. Le sens n’est pas établi avec certitude, mais la
comparaison des différents passages, notamment en REM 0094 et 1228,
permet de proposer quelque chose comme « par l’autorité de », « par le
pouvoir de », « sous la protection de » 4. Millet propose « on behalf of ». On
relèvera notamment les deux exemples suivants :
1
Cf. Millet, 1977, p. 318.
2
Pour la même formule, on a Akile-k (« depuis la Basse-Nubie ») en REM 1088 et Akile-
kw en REM 1333.
3
Nous avons décomposé ici la séquence n-betw, contraction de n-bese-lw selon la loi de
Griffith (voir p. 415-420).
4
Voir Rilly, 2000b, p. 107-110.
542 LA LANGUE DE MÉROÉ
(5) -w serait la postposition simple à partir de laquelle sont bâties les deux
précédentes. Priese a suggéré une traduction « vers » (?), « près de » (?).
Nous avons supposé dans une étude récente (Rilly, 2000b, p. 109) que cette
postposition au sens assez vague, s’il faut en juger par ses occurrences, était,
au moins dans n-l-w (= ég. m-b3∆), l’équivalent de la préposition médio-
égyptienne m, qui elle aussi entre dans la composition d’un grand nombre de
locutions prépositionnelles. Il semble que dans certains de ses emplois, elle
ait eu un sens assez proche de celui d’un datif 3 :
mlo-lowi mk-l-w mlo-lo qor-w mlo-lo
« C’était un femme de valeur ; c’était une femme de valeur pour la
divinité ; c’était une femme de valeur pour le souverain. »
(REM 0327/15-17 ; qor-w forme assimilée pour *qore-l-w).
On remarquera que dans plusieurs passages parallèles des épitaphes, dont
certains pourtant assez anciens (REM 0521, début de notre ère), les formes
en -l-w alternent avec d’autres en -li. Certains en ont conclu qu’il n’y avait
pas de différence entre elles et donc que -lw était une variante du déterminant
-l(i) 4. Nous serions assez enclin pour notre part à penser que -w est une
ancienne postposition en perte de vitesse en néo-méroïtique, mais qui
constituait auparavant un suffixe casuel important. Cette hypothèse
demanderait évidemment des preuves plus étendues pour être étayée.
1
qoreyi forme assimilée pour *qore-neyi.
2
Il est possible que le groupe postpositionnel ait une fonction dans le reste de la propo-
sition, actuellement intraduisible.
3
La traduction donnée ci-dessus reste hypothétique et approximative. Pour sa justification,
on se référera à la section « formule en mlo-lo(wi) », p. 158-162.
4
Cf. Hofmann, 1981a, p. 182, 186.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 543
(6) -yte (REM 0094/11, 13, 27), -ytise (REM 1088, 1333), -yotise (REM
0247, 1088, 1333) sont peut-être des variantes d’une même postposition qui
indique le terme d’un parcours et peut se traduire « jusqu’à » 1. Mais il ne
nous semble pas impossible que les deux dernières formes comprennent en
fait un génitif, et remontent après assimilation à une structure Y-y(o)te-li-se :
« de la (région qui va) jusqu’à Y ». Elles sont en effet attestées comme
compléments des titres ant « prêtre » et tbqo, de sens obscur, alors que la
postposition simple yte semble intervenir dans des contextes verbaux.
D’autres termes souvent obscurs (ainsi -nte, -tk, -tni) 2 ont été interprétés
comme de possibles postpositions. Mais dans certains cas, les occurrences
sont insuffisantes pour se prononcer ; dans d’autres, la construction n’est pas
satisfaisante pour une telle hypothèse. Enfin, pour la postposition -o, variante
rare de -se (génitif) ou de -te (locatif), on se référera à la page 527.
Bibliographie :
Griffith, 1911a, p. 23-25 ; Meinhof, 1921-1922, p. 12-13 ; Zyhlarz, 1930, p. 433-436 ;
Vycichl, 1958, p. 77 ; Priese, 1971, p. 281, 282, 285 ; Hintze, 1989, p. 98 ; Hofmann,
1981a, p. 181-186, 241-242, 257-260, 316-317 ; Rilly, 2000b, p. 108-109.
1
La structure des complexes où elle apparaît a été citée dans le passage consacré ci-dessus
à la postposition -k(e), p. 536.
2
Pour -nte, Millet propose « unto ? », pour -tni, « under ? » (voir Millet, 1998, p. 56-57).
La « particule » -tk apparaît à de nombreuses reprises en REM 1138, voir Hofmann et al.,
1989, p. 147, 149-154.
544 LA LANGUE DE MÉROÉ
PROPOSITIONS PRÉSENTATIVES
1
Voir p. 545 pour une hypothèse de segmentation de cet élément.
2
Voir ci-dessus, p. 108-115.
3
Nous avons choisi de traduire par un imparfait dans les épitaphes, en raison du
contexte funéraire, et par un présent dans les stèles royales ou les légendes
iconographiques. Il n’y a bien sûr aucune indication de temps dans ces phrases non-
verbales.
4
Voir ci-dessus, p. 116-127.
5
Il s’agit d’une femme et son « petit » (mte : fils adoptif ? petit frère ?). La traduction
« neveu » ou « nièce » (au sens large) que nous avons adoptée à la suite de Hintze
peut donc difficilement être utilisée ici.
546 LA LANGUE DE MÉROÉ
Griffith, dans Karanóg, estimait déjà que -lo(wi) occupait une fonction de
« copule » (Griffith, 1911a, p. 23) 1, et observait l’aspect facultatif de -wi, qui
n’apparaît pas dans certaines inscriptions (ibid. p. 35) . En revanche, il
estimait que qo(wi) était un qualificatif signifiant « noble », tout en relevant
qu’il « introduisait le nom du défunt » (ibid. p. 120, Index C).
Meinhof a ensuite présenté une segmentation de -lowi, où se succéderait
un déterminant -l, un pronom relatif -o- et une forme du verbe « être » -wi
(Meinhof, 1921-1922, p. 11).
Hintze, dès ses premiers travaux, proposait à son tour un découpage de
-lo(wi), qui avait selon lui une fonction « participiale » ou « relative » 2, si
bien que les propositions que nous considérons ici comme indépendantes
étaient pour lui subordonnées à la nomination initiale. Il y relevait un déter-
minant constitutif -l, une terminaison participiale -o et, comme Griffith, un
élément facultatif -wi au rôle non précisé (Hintze, 1963a, p. 2-3).
Heyler, quant à lui, s’oppose à juste titre à l’idée que les propositions en
-lo(wi) soient des subordonnées relatives. Il rappelle notamment qu’elle
apparaissent parfois dans la nomination, au début de l’épitaphe, et que l’on
voit mal sur quelle principale elles pourraient alors prendre appui. Il leur
accorde donc une valeur d’indépendante (Heyler, 1967, p. 114-115) et
propose une traduction « c’est... », « voici... ». Il estime d’autre part que les
initiales q- et l- dans -lo(wi) et qo(wi) correspondent à des démonstratifs
(ibid. note 80, p. 131), et que le morphème -wi est un élément de cohérence
syntaxique des textes (ibid. p. 115). Il ne donne pas en revanche d’inter-
prétation claire pour -o-.
Priese, qui s’est intéressé ensuite à la question, rejette une quelconque
segmentation de l’élément -lo dans -lo(wi) : il rappelle que ce morphème est
également utilisé, dans la nomination du défunt, à la suite de noms propres
qui n’ont par nature pas besoin de déterminant. Dans les structures où -lowi
suit un substantif (comme la description relative), il suggère une
assimilation 3 *-l-lo-(wi) > -lo-(wi), ce qui expliquerait le pluriel -leb-k-wi
1
Nous rappelons que jusqu’en 1971, et souvent après, ces termes étaient translittérés
qê(wi) et -lê(wi). Par souci de cohérence, nous avons utilisé ici comme ailleurs, et quel
que soit l’auteur cité, la transcription actuelle.
2
On n’oubliera pas que Hintze était alors partisan d’une nature verbale des termes de
parenté (cf. ci-dessus, p. 124-125).
3
Cette hypothèse ne s’accorde pas avec la conception syllabique de l’écriture méroïtique,
que Hintze a présentée après la rédaction de l’article de Priese (la graphie *-l-lo
correspondrait en fait à une réalisation /lalu/, ce qui rend une assimilation difficile).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 547
sans qu’il soit besoin de segmenter -lo (Priese, 1971, p. 277). Cet élément -lo
(plur. -k) serait alors un pronom sujet « der, welcher » (plur. « die, welche »).
Quant à -wi, il constituerait la copule dont la présence serait facultative 1 (ibid.
p. 278). Dans le cas de qo(wi), cette hypothèse dégagerait un élément simple qo
où Priese, dans la tradition de Griffith, voit un qualificatif honorifique, traduit
par « noble », utilisable également comme substantif antéposé (ibid. p. 279).
Dans ses Beiträge zur meroitischen Grammatik, Hintze revient sur ses
idées antérieures, tout en présentant quelques nouvelles hypothèses, et en
attaquant les théories de Priese. Il abandonne notamment la suggestion de
Griffith selon laquelle le terme qo(wi) serait un qualificatif signifiant
« noble ». La composition suffisamment claire d’un possessif qe-se « son »,
pluriel qe-be-se « leur », semble prouver l’existence d’un pronom démons-
tratif qe « celui-ci, celle-ci ». Dans qo s’y ajouterait la copule -o- qu’il
envisageait comme élément relatif dans sa première étude (Hintze, 1963a,
voir supra, p. 542). Par une semblable composition, -lo proviendrait du
déterminant -l, qui prendrait ici une valeur de pronom personnel « il, elle »
(Hintze, 1979, p. 192-195). Quant au morphème -wi, Hintze lui garde sa
valeur emphatique, ce qui expliquerait son caractère facultatif (ibid. p. 55).
On peut résumer ces thèses dans le schéma suivant :
qo (wi) < qe « celui-ci, celle-ci » + copule -o- ± élément emphatique wi
= « celui-ci est, celle-ci est » (1re caractérisation du défunt par un démonstratif)
-lo(wi) < -l « il, elle » + copule -o- ± élément emphatique wi
= « il est, elle est » (caractérisations suivantes du défunt par un anaphorique)
Cette interprétation est reprise par Hofmann avec quelques légères
modifications (Hofmann, 1981a, p. 334-338). Elle préfère en effet voir dans
qe / qo un pronom personnel, et dans -l / -lo un démonstratif, en raison
notamment de l’emploi exclusif de qe (et non de -l) dans les possessifs qe-se
et qe-be-se. Elle apporte d’autre part une contribution importante à la
reconnaissance de -o comme copule : dans les « inscriptions de propriété »,
tracées sur certains objets (voir ci-dessus, p. 205), la structure générale est de
type X-so, qu’elle décompose en X-se + -o « c’est à X » (litt. « c’est de X »),
soit un génitif suivi de la fameuse copule -o- (Hofmann, 1991, p. 233). On
aurait donc selon elle trois formations parallèles :
-se + -o > -so -l(i) + -o > -lo qe + -o > qo
« c’est à ... » « celui-ci est, celle-ci est » « il est, elle est »
Les hypothèses de Hintze et Hofmann semblent les plus abouties et les
plus cohérentes. On peut cependant leur apporter trois objections.
1
Repris dans Priese, 1979, p. 116-117, avec l’exemple de l’oromo, qui possède une
copule -¥a, également facultative.
548 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
On se souvient que ce problème embarrassait Priese (voir ci-dessus, p. 542-543).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 549
1
Pour la notation des diphtongues, voir p. 296-297.
2
« Le prédicat est au sujet, au niveau de l’énoncé, ce que le déterminant est au déterminé,
au niveau du groupe » (Cohen, 1984, p. 46).
3
En REM 1208, le fac-similé de Millet, qui indique un séparateur devant -lowi, semble
contredit par le cliché de la stèle, où seule une légère ponction accidentelle apparaît
(Millet, 1991 pl. 101a et 109a).
550 LA LANGUE DE MÉROÉ
finale un adjectif comme lƒ « grand » (REM 0130), s‚i « petit, jeune » (REM
0267, 0510), mete, synonyme de s‚i (REM 0250), et que la présence de
l’article après ces qualificatifs est en ce cas habituelle. Enfin, en REM 0515
apparaît dans la filiation un individu nommé Mlis‚-li, qui doit être le même
que le défunt de la stèle REM 0510, où la nomination comporte simplement
Mlis‚i-lo. L’article final de ces anthroponymes doit être, comme pour les
descriptions et les filiations, inclus dans le supposé prédicatif -lo(wi), qu’il
faut rectifier en -o(wi).
Ces nouveaux éléments ne permettent pas cependant de résoudre
totalement la question de la segmentation du prédicatif. En effet, le rôle de la
particule facultative -wi reste actuellement incertain. Soit elle n’a qu’une
valeur « emphatique », ainsi que le supposent Hintze et Hofmann, soit elle
représente en fait la véritable copule, comme le pensaient Priese et Haycock.
Il n’est pas rare en effet de trouver des langues où la copule n’apparaît pas
lorsque la structure est claire : c’est par exemple le cas en guèze 1. Trois
solutions nous semblent donc possibles :
1. La copule est un pronom -o (= /u/) au singulier, pluriel -k- (=/ka/). La
particule finale -wi peut s’y ajouter avec un simple rôle d’emphase. Le
complexe prédicatif des nominations qo(wi) est composé de qe + o(wi)
« celui-ci / celle-ci est ... ». Les descriptions et les filiations sont de type
x-l o(wi) : « c’est un(e) x » ou x-leb k(wi) « ce sont des x ».
1
Cf. Cohen, 1984, p. 37 et note 90. Sur la question de l’origine des prédicatifs non
verbaux, on consultera également Creissels, 1991, p. 428-430.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 551
ex : beloloke Npte -te -li Pedeme -te -li ste -bese -l- owi
grand-prêtre (?) / Napata / à / un / Primis / à / un / mère / d’eux / la / elle est
litt. « un grand-prêtre (?) à Napata et un à Primis, elle est la mère de ceux-là. »
= « elle est mère d’un grand-prêtre (?) à Napata et d’un autre à Primis 1. »
Bibliographie
(la liste comprend la quasi-totalité des traductions et des citations de
morphèmes prédicatifs, les études plus détaillées figurant en gras) :
Griffith, 1909, p. 50 ; Griffith, 1911a, p. 5, 23, 32, 35-36, note 1, p. 37, p. 38, 39, 40,
63, 109, Index C p. 117 ; Griffith, 1911c, p. 57, 60, 77, 81, 85 ; Schuchardt, 1913,
p. 169-176 passim, p. 179 ; Griffith, 1917a, p. 23 et note 5, p. 24, 25 ; Griffith,
1917b, p. 171 ; Meinhof, 1921-1922, p. 5, 11 et note 2, p. 15 ; Zyhlarz, 1930, p. 424,
428, 431-432, 434, 443, 455, 456, 461 ; Macadam, 1949, p. 9, 73-74 et note f, note
1, p. 124, note 1, p. 127 ; Zyhlarz, 1949-1950, p. 293 ; Macadam, 1950, p. 43, 44,
45 ; Sauneron–Yoyotte, 1952, note 2, p. 185 ; Hintze, 1955, p. 359, 368 ; Zyhlarz,
1956, p. 27 ; Monneret de Villard, 1959, p. 94, 95, 96 ; Monneret de Villard, 1960,
p. 96 ; Zyhlarz, 1960, p. 741, 743, 748 et note 15, 749 ; Trigger, 1962, p. 7 ;
Rosenvasser, 1963, p. 140 ; Hintze, 1963a, p. p. 2-3 et notes 6 et 7, p. 3 et note 9 ;
Heyler, 1967, p. 107, 112 et 115, p. 114, note 87, p. 131, notes 89 et 93, p. 132 ;
Trigger, 1967a, p. 72 et note 10 ; Leclant, 1967-1968, p. 115 ; Trigger, 1968, p. 4, 6-
8 ; Priese, 1968a, p. 172 et notes 38 et 39, 182, 186 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 22,
23, p. 28 et note 76, p. 29 et note 87, p. 38, 40, 42, 43, 44, 48-49 (Table 4), Index C
p. 62, 66, 67, Index C p. 66 ; Priese, 1971, p. 275-278 ; Millet, 1973a, p. 33, 48 et
pl. 6 ; Meeks, 1973, p. 6, 8, 14 ; Millet, 1973c, p. 312 ; Trigger, 1973a, p. 250 ;
Hintze, 1974a, p. 31, note 9 ; Hainsworth, 1975a, p. 10, 12 et note 11 ; Hainsworth,
1975b, p. 37-38, 39, 40 ; Almagro-Basch–Hainsworth, 1977, p. 9, 12 ; Hintze, 1977a,
p. 29-32 et notes 23-29, p. 34-35 ; Millet, 1977, p. 318 ; Hofmann, 1977a, p. 198,
219 ; Priese, 1977a, p. 55 [2.52.1] ; Zawadowski, 1977, p. 18 ; Haycock, 1978, p. 56,
64, 66, 73, 80 ; Wenig, 1978, p. 218 ; Haycock, 1978, p. 56, 64, 66, 69, 73, 79, 80 ;
Leclant, 1978-1979, p. 186 ; Priese, 1979, p. 116-118 ; Hainsworth, 1979a, p. 27-28 ;
Hainsworth, 1979b, p. 343 ; Hintze, 1979, p. 34, 52, 53-56, 61-62, 192-194 ; Priese,
1979, p. 116-118 ; Hofmann, 1979, p. 28 et note 22, p. 32 ; Hainsworth, 1980, p. 24,
27 ; Hofmann, 1980b, p. 50 ; Bender, 1981b, p. 7-8 ; Hainsworth, 1981, p. 35 ; Millet,
1981, p. 125 ; Hainsworth–Abdalla 1981, p. 8, 17 ; Hofmann, 1981a, p. 40, 52-58,
330-339 ; Millet, 1982, p. 76 ; Zibelius, 1983, p. 52-53 et note 178, p. 55, 59, 64, 65,
66, 70 ; Militarev, 1984, p. 157, 158-159 ; Leclant, 1985-1986, p. 253 ; Abdalla,
1986, p. 11 ; Hofmann–Tomandl, 1986a, p. 48 ; Hintze, 1989, p. 98-99 ; Abdalla,
1989a, p. 11, 44, 45 ; Hofmann, 1989-1990, p. 232-234 ; Millet, 1991, p. 163, 165,
168 ; Hofmann, 1991, p. 191-192 ; Tiradritti, 1992, note 13, p. 73 ; Abdalla, 1994,
p. 3 et note 5, p. 6 ; Millet, 1996, p. 611 ; Török in Eide–Hägg et al., 1996, p. 664,
673 ; Hofmann in Török, 1997a, p. 277-278, 279 ; Török, 1997b, p. 205, 215, 528 ;
Millet, 1998, p. 56 ; Török in Eide–Hägg et al., 1998, p. 1019 ; Abdalla, 1999a, p. 397,
1
Je ne vois pas de solution acceptable pour garder en français la topicalisation méroïtique
du génitif. Voir Cohen, 1984, p. 24 (ex. 6) et 53 pour des exemples de ce genre en arabe.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 553
403, 407-408, 409, 410, 415 ; Rilly, 1999a, p. 104, 106 ; Rilly, 1999b, p. 82 ; Rilly,
2000b, p. 105, 108 ; Edwards, 2000, p. 42.
554 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Zyhlarz, 1930, p. 448-449 ; Millet, 1977, p. 320.
2
Hofmann, 1981a, p. 56 ; qo doit avoir ici, comme dans les expressions s qo ou kdi qo, la
valeur d’un démonstratif « ce », « cette », ce qui explique l’absence du déterminant : voir
p. 98. La critique ancienne de Hintze, est dépassée : elle porte sur la segmentation des
inscriptions par Zyhlarz, qui, elle, s’est révélée juste (cf. Hintze, 1955, p. 370).
3
Voir Millet-Heyler, 1969, p. 7 ; mais les trois exemples cités le sont en REM 0247
après le substantif mte. Il n’est pas impossible qu’il existe un composé mtese qui en
soit dérivé (cf. kdi « femme » > kdi-se « sœur »), auquel cas il n’y aurait pas de
possessif dans les propositions en question.
556 LA LANGUE DE MÉROÉ
aux relations de type « aliénable », ce qui n’est pourtant pas le cas ici puisque
tous ces possessifs sont attestés avec des substantifs de parenté (« mère »,
« sìur », etc.). Au pluriel s’intercale entre le pronom et la postposition le
morphème -be-, que l’on peut assimiler au suffixe de pluriel -b- qui apparaît
dans le déterminant -leb et la marque verbale de datif -b‚e-. Le possessif
singulier qe-se signifie donc originellement « de celui-ci », « de celle-ci », le
pluriel qe-be-se « de ceux-ci », « de celles-ci ».
Le possessif, comme tous les génitifs analytiques, se place à la suite du
nom. Il ne le dispense pas du déterminant, avec lequel il peut se contracter
selon la loi de Griffith : yetmde aqobetowi (< aqobese-l-owi) « c’est leur
neveu (?) / leur nièce (?) » (REM 0225). Si le substantif est suivi d’un
anthroponyme, le déterminant n’est pas nécessaire : yetmde qese Mƒye qowi
« c’est son neveu (?) /sa nièce (?) Makhaye » (REM 0215).
Bibliographie (les études principales sont en gras) :
Zyhlarz, 1930, p. 448-449 ; Hintze, 1955, p. 362-365, 368, 369-370 ; Zyhlarz, 1956,
p. 26-27 ; Vycichl, 1958, p. 76 ; Zyhlarz, 1960, p. 742 ; Trigger, 1962, p. 9 ; Hintze,
1963a, p. 4 et 24 ; Heyler, 1967, p. 109 ; Millet–Heyler, 1969, p. 2-9 ; Priese, 1971,
p. 281 [1. 31], 282 [1. 31] ; Meeks, 1973, p. 5 et 7 ; Schenkel, 1973b, p. 50-54 ;
Schenkel, 1973c, p. 55-56 ; Millet, 1973c, p. 308-314 ; Hofmann, 1974a, p. 39 ;
Hofmann, 1974b, p. 48-51 ; Hofmann, 1977a, p. 198 ; Millet, 1977, p. 320-324 ;
Haycock, 1978, p. 66, 72-73, 76, 78, 79 ; Hintze, 1979, p. 60, 195 ; Hofmann,
1981a, p. 56, 217-235, 237, 239-240, 254-255, 297, 298, 300, 301, 303, 304, 320,
321, 335-336 ; Hintze, 1989, p. 98 ; Edwards-Fuller, 2000, p. 89 ; Rilly, 2000b,
p. 108.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 557
Quelques études ont été menées sur le verbe méroïtique, notamment par
Schenkel et Hintze, et dans une moindre mesure par Millet. Chacun d’eux a
émis ses conclusions, mais elles ne concordent malheureusement pas.
Hofmann, qui a tâché d’en faire une synthèse critique en ne gardant que les
éléments à peu près assurés, aboutit à un très maigre résultat. Le principal
problème est l’incroyable disparité qu’offrent les formes verbales selon le
type de textes où on les étudie : les bénédictions funéraires présentent ainsi
des préfixes que l’on ne trouve jamais dans les inscriptions royales, et
inversement, ces dernières emploient des suffixes inconnus des bénédictions
funéraires :
« Da wir in diesen Texten [inscriptions royales] vermutlich Berichte über
irgenwelche Ereignisse oder über Tempelstiftungen zu sehen haben, sind die
Sätze dieser Inschriften wohl mehr Verbalsätze im eigentlichen Sinn. Die
wenigen Erkenntnisse, die wir aus der Struktur der Deskriptionssätze der
Totentexte gewinnen können, versagen bezeichnenderweise gegenüber diesen
Verbalsätzen fast völlig. » (Hintze, 1977a, p. 32-33)
Le fait n’est pas si étonnant si l’on considère que les stèles royales
développent probablement des narrations, tandis que les sections finales des
épitaphes contiennent des prières. Mais à l’intérieur d’un même type de texte,
on trouve aussi des divergences considérables d’un document à l’autre.
Plusieurs facteurs, que nous avons plusieurs fois évoqués, sont à l’origine
d’une telle diversité : l’évolution de la langue sur plusieurs siècles, les
différents standards orthographiques (notant ou non les assimilations par
exemple) et aussi une évidente recherche de variété d’expression de la part
des Méroïtes (cf. p. 306-307). Aussi ne voyons-nous pas dans l’immédiat
d’autre option que de présenter successivement les structures verbales
proposées dans trois grands types de textes : les filiations, pour lesquelles,
nous le verrons, la notion même de verbe est loin d’être sûre, les bénédictions
funéraires où un modèle assez cohérent a été présenté par Hintze et les
inscriptions royales où la seule recherche d’ampleur reste celle de Schenkel.
La formule générale retenue par Hofmann pour la morphologie du verbe
est la suivante (Hofmann, 1981a, p. 216) :
V= ± Präf. + V ± Inf. ± Suff.
Le premier élément est un préfixe, mais nous n’en connaissons qu’un tout
petit nombre : ps- et variantes dans les bénédictions, d- dans les décrets
oraculaires (voir p. 219), et peut-être un préfixe de graphies diverses selon
les verbes et les époques : e-, ye-, yi-, pour lequel Hintze suppose une valeur
558 LA LANGUE DE MÉROÉ
zéro, puisqu’il fait de cet élément vocalique 1 l’initiale nue du radical. Enfin,
on a depuis les travaux de Meinhof proposé un préfixe t- / te- dans les termes
de filiation, dont la nature verbale reste incertaine. La question des préfixes
verbaux est souvent lourde de présupposés dans la recherche méroïtique, car
elle se réfère plus ou moins explicitement à une théorie phylogénétique :
Meinhof et Zyhlarz, qui penchaient pour une origine chamito-sémitique,
multiplient les préfixes, fréquents dans les langues couchitiques. Griffith n’en
reconnaissait aucun, au point de se méprendre sur la structure des verbes de
bénédictions 2, parce qu’il était influencé par la morphologie verbale du
nubien, qui ne connaît que des suffixes. On peut plus ou moins en dire autant
pour Millet (cf. Millet, 1973a, p. 38) et pour Schenkel, mais dans ce dernier
cas, c’est la structure du nara (baréa), où les verbes sont également suffixés,
qui est en cause.
Le second élément est le radical verbal lui-même. Il est en effet assez
probable qu’il n’y ait pas plusieurs préfixes à la suite. Un seul verbe possède
actuellement un sens assuré : -l- « donner », attesté dans plusieurs types de
textes. Dans les bénédictions funéraires, on trouve les lexèmes verbaux
suivants : -ƒe-, -‚r- -ƒol-, -t‚- (var. -tk-), -dotedi-, -wi- / -we-, -ple- (ou -plete-),
-kle- (?), -keƒ, -tre-, -twd-. Dans les inscriptions royales, Schenkel développe
les « paradigmes » de six verbes : -bqo-, -de-, -ked-, p‚-, -tk- et -tewwi- 3. Au
début des décrets oraculaires apparaît un verbe -(i)roƒ-. Comme on le voit, la
structure syllabique de ces lexèmes est assez variée : si l’on fait abstraction
de la difficile question d’éventuelles voyelles initiales, on trouve des
monosyllabes de types CV comme -l- ou -ƒe-, quelques radicaux trisylla-
biques de type CVCVCV comme -dotedi- 4, -twd- (= /tawada/), et plusieurs
verbes dont la structure doit être CVC, comme sans doute -tre- (= /tar/ ?) ou
CVCV comme -bqo- /baqu/.
Ce que l’on appelle traditionnellement « infixe », et que nous préférons
nommer « suffixe » par exactitude terminologique 5, est constitué d’une
marque dativale, -‚(e)- au singulier, -b‚(e)- au pluriel, qui indique que le
verbe possède un second objet, le bénéficiaire du procès, comme le montre
l’exemple suivant.
1
Voir p. 292-295 pour les graphies des voyelles initiales avec support fictif y-.
2
Il considère ainsi l’évident préfixe ps- (et var.) comme le radical d’un même verbe
(Griffith, 1911a, p. 45).
3
Schenkel, 1972, p. 12-15 ; la nature verbale de tous ces lexèmes semble assurée par la
présence des suffixes -te ou -to, et du suffixe datival (« infixe ») -b‚e- dans certaines
de leurs formes.
4
On a cependant supposé que ce verbe (et le suivant) étaient composés : voir Priese, 1971,
p. 282 [1.31.6] ; Abdalla, 1989a, p. 29, 50.
5
Voir note 1, p. 168.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 559
1
Creissels, 1991, p. 449-450. On notera que le morphème utilisé par le kanouri, langue
« nilo-saharienne » est une vélaire (g / k), comme en méroïtique et dans bien des langues
soudaniques orientales qui connaissent cette construction : cf. ci-dessus, p. 474 et 486
(item n° 38 de Greenberg). Sa place dans le complexe verbal (post-radicale) est la même
qu’en méroïtique. L’existence d’une « voix applicative » ne supprime pas pour autant les
marques dativales sur le nom ou le pronom représentant le bénéficiaire.
2
Voir un exemple (yi-kid-bite[-lowi]) p. 144-145.
560 LA LANGUE DE MÉROÉ
(-ke- 1, -se-, -te-), qui ne sont pas sans rappeler la postposition marquant
l’origine, -k(e), celle du génitif analytique -se, et celle du locatif -te. Mais on
ne peut pour l’heure appréhender leur rôle ou leur sens. On observera ainsi
pour le lexème verbal (i)roƒe 2 les formes suivantes :
1
Il est difficile pour cet élément de trouver une paire oppositionnelle : sa fréquence
devant -lo(wi) est notre principal argument pour en faire un suffixe (voir exemples de
passages obscurs d’ordre descriptif p. 130-157).
2
Peut-être « garantir » (cf. vieux-nub. ArouAgar-) ; voir Rilly, 2000c, p. 108 et note 15.
3
Nous décomposons ci-dessus la forme écrite yiroƒetowi selon la loi de Griffith.
4
On gardera à l’esprit que les temps utilisés dans la traduction littérale et l’équivalent en
meilleur français ne sont qu’une interprétation, ces propositions non verbales ne
comportant aucune indication temporelle (cf. supra, p. 541, note 3).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 561
1
Voir p. 28.
2
Voir ci-dessus, p. 462.
3
Nous appliquons désormais le découpage des groupes prédicatifs établis ci-dessus, p. 542-
546.
562 LA LANGUE DE MÉROÉ
(Zyhlarz, 1930, p. 453, 461). Mais il ne fournit pas d’analyse plus détaillée
de la structure syntaxique des filiations.
Malgré les profondes divergences qui le séparent de Zyhlarz sur bien des
points, Hintze n’a pas ici une position foncièrement différente : les filiations
sont pour lui aussi des formes verbales, et t- est un préfixe (Hintze, 1955,
p. 365-366), mais les variantes en y- excluent l’idée d’un « t- réflexif »
chamito-sémitique (id. p. 369). Hintze, qui attribue à -lo(wi) une valeur de
relatif ou de participe, traduit donc « que X a enfanté(e) » et « que Y a
engendré(e) » (id. p. 366, Hintze, 1963a, p. 2, 15). Durant plus de vingt ans,
sous son impulsion, tous les termes de parenté, et non seulement de filiation,
seront considérés comme des verbes. Lorsqu’il renonce à cette interprétation
pour les termes simples comme ste « mère » ou wi « frère », il la conserve
cependant pour trois expressions : t(e)-d‚e, t-erike et yetmde (Hintze, 1979,
p. 58) qu’il regarde comme des participes ou des formes verbo-nominales. Il
avance pour cela deux raisons. La première est la présence d’un « préfixe
connu par ailleurs comme verbal », y(e)-, dans yetmde et les deux variantes
ye-d‚e et y-erike, préfixe que l’on retrouve fréquemment à l’initiale de
formes verbales, tant dans les bénédictions que dans les textes royaux. La
seconde est d’ordre sémantique : alors que « mère » ou « frère » sont des
« simples états » (« bloße Zustände »), et donc plutôt des noms, les termes de
filiation, différents pour le lien maternel ou paternel, renvoient à
l’enfantement et à la procréation, qui sont des « actions » (« Tätigkeiten »),
plus compatibles avec une nature verbale.
Il y a dans le premier argument une certaine contradiction chez Hintze,
puisqu’il définira plus loin dans le même ouvrage la syllabe ye- au début des
verbes, non comme un préfixe, mais comme une initiale vocalique
appartenant au radical (Hintze,1979, p. 70-73) 1. Le second argument est à
notre avis très sujet à caution. D’une part, il relève d’une théorie
aristotélicienne de l’opposition entre verbes / actions et noms / substances,
que les langues passent leur temps à contredire 2. D’autre part, il calque les
données culturelles et linguistiques européennes sur la civilisation
méroïtique 3 : la différenciation « exotique » entre « enfant d’une mère » et
« enfant d’un père » est ici vue à travers le prisme déformant de la société
occidentale moderne, où la famille est réduite à un couple monogame et à sa
progéniture directe. Il est évident que le mot usuel pour « fils », par exemple,
ne renvoie dans presque aucune langue à la conception et à l’accouchement.
1
Il est évident que les deux chapitres concernés (III et IV) correspondent à deux strates
différentes du travail de Hintze, qui n’ont pas été bien raccordées.
2
En grec ancien, τóκος désigne aussi bien « l’enfantement » que « le rejeton
(enfanté) » sans aucun lien synchronique avec le verbe correspondant τíκτειν : il faut
remonter presque à l’indo-européen pour le trouver.
3
Voir ci-dessus note 2, p. 125.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 563
Il n’est pas tout à fait exact que les formes t(e)-d‚e et t-erike soient
attestées uniquement dans les filiations. Ainsi on trouve une forme apparem-
ment verbale terikto en REM 1044/2-3, et plusieurs occurrences plutôt
nominales de td‚e : td‚-sene en REM 1044, nk : armil : td‚e-so en REM
1294, td‚e : td‚e-l : etkkte en REM 1001, td‚e Mloqorebr en REM 0101.
Mais le contexte est chaque fois trop obscur pour apporter un quelconque
éclaircissement.
Le principal problème est à notre avis la présence du même préfixe t-
devant les deux formes. Le fait qu’il puisse être remplacé par un y- dans les
deux cas, et surtout qu’il soit absent dans les plus anciennes attestations, où
l’on a simplement d‚e- et erike-, réduit d’autant les chances que cet élément
fasse partie du radical. Il ne semble pas impossible que ce préfixe soit en
relation avec un autre préfixe yet-, yit-, yete- que l’on rencontre dans le terme
de parenté yetmde, mais aussi en contexte verbal, notamment dans les
passages obscurs des épitaphes (voir passim p. 130-143). C’est probablement
de ce côté que se cache la solution, mais une recherche sur cet élément
demanderait une longue et minutieuse comparaison, et surtout un corpus
beaucoup plus étoffé. Dans l’immédiat, il n’est pas possible de se prononcer
sur la nature, verbale ou nominale, des termes de filiation.
-tê [=-to], -kete und ähnlich. Die Mitte wechselt, also haben wir die Mitte als den
Stamm anzusehen. Dieser Stamm erscheint gelegentlich ohne Präfix und Suffix,
wird dann also Imperativ sein,
z.B. ’tê *mƒe yiƒ [ato mƒe yiƒ-] Kar. 5
’t *mƒe yi‚r [at mƒe yi‚r-] Kar. 5
‚mlêle ƒêl [‚mlole ƒol-] Kar. 30
‚mlêl ƒêl [‚mlol ƒol-] Kar. 109, Sh. 2
Man kann zweifelhaft sein, an wen der Imperativ gerichtet ist, ob an den Toten
oder an Isis und Osiris, die ja regelmäßig auf den Denksteinen angerufen werden.
Das Wahrscheinlichste ist wohl die Anrufung des Götter. Vor diese
Imperativformen tritt öfter p-, das ich für ein Präfix halte, das den Wunsch
ausdrückt,
z.B. ‚mlêl p-ƒêl [‚mlol p-ƒol-] Kar. 14
mlêlw p-ƒl [‚mlolw p-ƒ•-] Sh. 16 » (Meinhof, 1921-1922, p. 7-8)
1
Griffith, 1917a, p. 25 ; Meinhof, 1921-1922, p. 7.
2
Voir ci-dessus, p. 460-464 pour les hypothèses de Meinhof et Zyhlarz, et leur réfutation
par Hintze.
566 LA LANGUE DE MÉROÉ
ø- 14,3 % a- 0,4
%
bis- 0,2 % bs- 0,2
%
bsi- 0,4 % e- 1,4
%
i- 0,7 % p- 10,5
%
pe- 0,2 % pesi- 0,2
%
pi- 0,4 % pis- 2,3
%
pisi- 8,2 % pitosi- 0,2
%
piwi- 0,2 % ps- 25,6
%
psi- 25,1 % pso- 0,4
%
pwi- 0,5 % y- 0,4
%
ye- 2,0 % yi- 6,2
%
1
D’après Schenkel, 1973a tab. 1, p. 17 (561 occ.). Les textes découverts depuis cette
parution, essentiellement à Qasr Ibrim, Sedeinga, Saï, Qustul, Ballana ne feraient
qu’augmenter les pourcentages les plus élevés et diminuer les plus faibles. Il faut signaler
que pour le verbe de bénédiction A, Schenkel propose un lexème -*oƒ-, (au lieu de -ƒ(e-)
chez Hintze), ce qui minore la fréquence du préfixe pso- et majore surtout celle de ps-.
2
Non compris les suffixes de datif verbal (« infixes »). D’après Schenkel, 1973a tab. 3,
p. 19 (573 occ.). Les textes découverts depuis cette parution (voir note précédente) ne
feraient également qu’augmenter les pourcentages les plus élevés et diminuer les plus
faibles. On notera que le chiffre de 0,08 % avancé par Hintze pour les 5 exemples du
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 567
suffixe -ke qu’il évoque (Hintze, 1979, p. 67) comporte manifestement une erreur de
décimale : il n’y a pas 6 250 formules de bénédictions connues, mais bien dix fois moins.
1
La fin de la séquence est perdue par suite de la détérioration du document.
2
Le préfixe a- peut être une variante graphique de ye- (voir p. 291), pitosi- est un hapax
étrange (REM 0223), *pwi- et *piwi- comportent très probablement, comme le suppose
Hintze, des signes s de tracé ambigu, lus faussement -w (voir Hintze, 1979, p. 69).
3
Pour les préfixes, Hintze envisage l’effet d’une harmonie vocalique (voir ci-dessus,
p. 409-410). Pour les suffixes, la recherche statistique que nous avons menée montre une
différence d’ordre diachronique, mais assez approximative : avant 200 apr. J.-C., on
rencontre deux fois plus souvent la forme -kte (= -/kat/) que -kete (= -/kŒt/ ou -/kt/), après
cette date, la proportion s’inverse. Il s’agit très probablement d’un affaiblissement du /a/
en schwa (voir p. 31).
4
Hintze, 1979, p. 70-71 ; voir p. 286-292.
5
Voir supra, p. 410-415.
568 LA LANGUE DE MÉROÉ
Un travail similaire avait été également effectué avec les suffixes (ibid.
p. 64-69). Après élimination du rare suffixe -ke 2, il restait huit formes :
-ø, -ketese, -kete, -tese, -te, -kese, -se et -to
Une première constatation s’imposait : l’élément final -se semblait
pouvoir être ajouté ad libitum, et constituait donc un suffixe facultatif (ibid.
p. 75). Hintze rappelait que semblablement, une particule facultative -so est
employée en vieux-nubien pour renforcer l’impératif 3. Les paires -ketese
/-kete et -tese / -te qui ne différaient que par l’ajout de la particule -se
pouvaient donc se réduire à un seul suffixe chacune. De plus, dans les formes
qui comportent cet élément facultatif avaient dû se produire des assimilations
intérieures entre /t/ et /s/ :
-ketese = -/kŒtsŒ/ → -/kŒssŒ/ écrit -kese
-tese = -/tsŒ/ → -/ssŒ/ écrit -se
1
Par souci de cohérence avec le reste de notre étude, nous utilisons les mêmes transcriptions
phonologiques que précédemment : là où Hintze écrit /o/ et /e/ (qui est pour lui un schwa,
voir Hintze, 1979, p. 15), nous transcrivons /u/ et /Œ/ (voir p. 398-407).
2
Hintze, 1979, p. 67 ; contra : Millet, 1979, p. 114. Hintze déploie beaucoup d’efforts
pour montrer que dans cinq textes, on a une erreur ou une négligence. La convergence de
ces fautes paraît tout de même suspecte. Elle peut expliquer par exemple le -k final de
REM 0370. Les autres exemples, qui ont une terminaison consonantique -ke (=/k/), sont
peut-être dus à une simplification d’une finale complexe -kete (=/kt/) après chute des
schwas.
3
Elle est en fait presque systématique à l’impératif et au vétitif, et se trouve aussi dans
certains cas à l’indicatif pour renforcer l’assertion : voir Browne, 1989a, p. 24, 29, 36. On
constatera non sans malice que Hintze rappelle ce détail « als strukturelle Parallele »,
mais quand structure et morphème offrent de telle coïncidences, il est difficile de ne pas
penser à une parenté.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 569
Seuls les suffixes suivants offraient donc selon Hintze une réelle
différence morphologique : -ø, -kete, -to. Les autres n’étaient que des
variantes de -kete, dues à des phénomènes d’assimilation et à l’adjonction de
la particule « emphatique » -se. L’utilisation de formes assimilées et non
assimilées à même époque est un problème que Hintze tenta de résoudre en
supposant plusieurs standards orthographiques. On se référera ci-dessus aux
pages 414-415 pour un exposé plus détaillé.
Hintze proposa ensuite une signification pour les affixes ainsi mis en
évidence. Il ne présentait aucune justification, mais livrait directement ses
résultats à titre d’hypothèse (« versuchsweise ») dans le schéma suivant
(Hintze, 1979, p. 76) :
VB = + Mod + V ± Pron(A) R3 + Pron(B) R1 ± Emph.
mit den folgenden Belegungsmöglichkeiten :
Mod = Imp : /ø/ ; Opt : /pas/
Pron(A) R3 = sg. : -/ø-‚e/- , -/ø. ø/-, [pl.] : -/b-‚e/-
Pron(B) R1 = sg. 2 : -/a/ ; pl. 2 : -/ket/ ; pl. 3 : -/to/
Emph = -/se/
Les préfixes correspondraient selon cette interprétation à des morphèmes
modaux : ps- (et var.) indiquerait l’optatif et l’absence de préfixe (ø-)
caractériserait l’impératif. Le suffixe de datif verbal (« infixe », ici noté
Pron(A)) serait systématiquement présent au pluriel (-b‚e-) ; mais au singulier
(-‚e-), il serait écrit à époque ancienne et absent à époque tardive. Les
suffixes correspondraient à des marqueurs de personne (notés ici Pron(B)) :
-kete (et var.) pour la 2e personne du pluriel, et -to pour la 3e personne du
570 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Voir notamment : Millet, 1979, p. 113-114 ; Hofmann, 1981a (développé ci-dessus) ;
Zibelius, 1983, p. 47 ; Abdalla, 1989a, p. 15-16.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 571
Ces formes sont extrêmement rares, et le préfixe -w , par exemple, est un hapax
dans les textes funéraires ; Hintze en fait une mauvaise graphie ou une mauvaise
lecture pour -s. Voir ci-dessus note 1, p. 562.
(4) ibid. p. 209-210 : le préfixe écrit pš- est prononcé [pasa] , et la
voyelle finale empêche l’assimilation proposée /pas/ + consonne → /pa/ +
consonne géminée (cf. Hintze, 1979, p. 71-72 [2. 5]). De plus, les formes
alternatives (cf. Hintze, 1979, p. 63, note 6 /pisi/, /pisa/, /pisu/, /pasi/, /pasu/,
sont elles aussi terminées par une voyelle : « Damit sind wir allerdings wieder
bei einer Vielfalt von Präfixen, die ja eben reduziert werden sollte. »
(Hofmann, 1979, p. 209).
Il est possible qu’il y ait eu ici une réduction de la voyelle finale du préfixe en -e
= [Œ], puis un amuïssement qui aurait mis en contact les deux consonnes. Le
phénomène ne serait pas isolé en méroïtique (voir ici p. 398) et Hofmann elle-même y
recourt à plusieurs endroits.
(5) ibid. p. 210-212 : le préfixe y(i)-, que Hintze tient pour un préfixe nul
ø-, qui serait suivi de l’initiale vocalique du radical verbal (cf. Hintze, 1979,
p. 71-72 [2. 5]), se combine bien avec le suffixe -to dans les inscriptions
royales, ce qui selon les théories de Hintze, correspondrait à une 3e personne
du pluriel de l’impératif ! (Cf. stèle de Taneyidamani REM 1044).
ø- ne correspond pas à un préfixe particulier, mais à l’absence de préfixe, qui peut
sans doute caractériser bien d’autres formes verbales, et peut-être l’indicatif ou un
équivalent modal, à en juger par l’indigence de préfixes dans les formes verbales des
textes royaux. Ceci dit, l’identification de -to avec une marque de 3e personne du
pluriel reste à notre avis un point faible de la démonstration de Hintze, tant du point
de vue énonciatif que morphologique : on attendrait en ce cas un morphème de
pluriel, -k- (comme dans le prédicatif -leb-kwi et peut-être dans -kete) ou -b- (comme
dans le déterminant, les possessifs ou le suffixe de datif verbal).
(6) ibid. p. 212 : les formes « non assimilées » selon Hintze, c’est-à-dire
comprenant le suffixe -kete en entier (« etymologische Schreibung ») et les
formes assimilées (en -te , -tese ou -se) se retrouvent côte à côte dans les
mêmes textes (REM 0087, REM 0299, REM 0526, cf. Hintze, 1979, p. 67).
L’idée d’une orthographe « étymologique » n’a rien de choquant en ce qui
concerne les textes méroïtiques, où Hofmann elle-même détecte des formes et des
graphies archaïques (voir ci-dessus, p. 414-415).
(7) ibid. p. 212-213 : on trouve des formes verbales terminées par d’autres
voyelles que le -ø graphique (prononcé [a]) de Hintze (cf. Hintze, 1979, p. 75 et
schéma cité ci-dessus, p. 564), correspondant selon lui au suffixe de la 1re pers.
du singulier : -i dans psi-ƒi (REM 0250), -e dans pso-ƒe (REM 0368).
Le [a] n’est pas un morphème, mais la voyelle finale du radical verbal, comme
Hintze l’a d’ailleurs envisagé (cf. Hintze, 1979, p. 75). Son indication de morphème
-/a/ pour -ø dans le schéma général est une généralisation un peu hâtive, et qui est
572 LA LANGUE DE MÉROÉ
1
Pour ce type de texte, voir p. 184-191.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 573
préfixe (?) t-
terikto (l. 3)
initiale consonantique
ƒrto (l. 27) wideto (?) (l. 30) bes‚to (l. 128)
wdto (l. 139) tkto (l. 151)
initiale incertaine
]rto (l. 65) ]eto (l. 91)
Les éléments que nous nommons ici, par prudence, « initiales », sont
alors considérés par Hintze comme des « préfixes ». Comme le texte est
archaïque (fin du IIe siècle av. J.-C.), on rencontre des initiales i- et e- qui
seront plus tard notées yi- et ye- (voir p. 292). La suggestion ultérieure de
Hintze, selon laquelle le préfixe verbal y- n’existe pas en tant que tel, mais
correspond simplement à une absence de préfixe devant un lexème verbal
d’attaque vocalique (voir ci-dessus, p. 562 et note 3), semble donc se vérifier
ici. On remarquera également la présence probable du suffixe de datif verbal
-‚- dans un certain nombre de formes devant le suffixe -to, et surtout celle
1
On rappelle qu’il s’agit d’une reprise et d’une continuation d’un premier travail laissé
inachevé par Monneret de Villard.
2
Pour le signe archaïque r , de lecture incertaine, voir supra, p. 353.
3
Comme le suggère Hintze, il est possible que le séparateur manque après -mle, et que la
forme verbale soit simplement wideto.
574 LA LANGUE DE MÉROÉ
d’un autre suffixe verbal pluriel en -b- 1 dans elbto et ekedebto, qui sont
probablement construits sur les lexèmes el- « donner » et ked « tuer (?) ».
Le second inventaire a été effectué par Schenkel, à l’aide d’un programme
informatisé, dans une étude intitulée « Versuch einer Bestimmung der
Tempusbildung der Meroitischen / Meroitisches und Barya-Verb » (Schenkel,
1972). Il s’agit d’une tentative unique de recherche systématique sur les
constituants des formes verbales dans trois textes royaux : REM 0094
(inscription tardive de Kharamadoye), REM 1003 (stèle ancienne d’Akinidad et
Amanirenas) et REM 1044 (stèle archaïque de Taneyidamani). L’entreprise
était tout à fait louable, mais elle se doublait d’une interprétation des éléments
morphologiques dégagés à partir de la conjugaison du baréa (nara) 2, une
initiative extrêmement périlleuse, qui rendait les résultats invérifiables, aucune
analyse philologique ne venant consolider les hypothèses. Il dégagea de cette
façon 9 suffixes, mais aucun préfixe, peut-être faute d’en avoir cherché,
puisque le nara, comme le nubien, n’en utilise pas dans son système verbal 3.
L’étude se termine sur les paradigmes (forcément incomplets puisque
constitués d’occurrences dans trois textes) de 6 verbes : bqo, d(e), kede, p‚, tk
et tewwi. Schenkel pense avoir repéré 6 temps / modes :
aoriste, noté par le suffixe : -ø (cf. nara -ø)
duratif, " " : -td (cf. nara -ter / -der)
parfait, " " : -t (cf. nara -t)
optatif, " " : -ke- (cf. nara - ka / -ga)
futur (?), " " : -k
participe " " : -l
Pour les désinences personnelles, il avance prudemment (id. p. 7) :
-o pour la 1re p. s.
-e, -i, -ø, pour la 3e p. s.
Hofmann juge assez sévèrement cette tentative (Hofmann, 1981a, p. 214-
216) et elle démontre, en appliquant ces données à l’analyse des bénédictions
en REM 0212, que le résultat est tout simplement absurde : les temps et les
personnes changeraient sans cesse d’une proposition à l’autre, alors que les
bénédictions comportent tout de même une unité de situation. Nous
remarquerons d’autre part que la méthode de repérage utilisée par Schenkel
est fondée sur des critères trop lâches : on trouve ainsi parmi le relevé des
1
On rappelle que le suffixe de datif verbal pluriel est écrit -b‚- à cette époque. Il doit donc
s’agir d’un autre suffixe. Il pourrait, sous toute réserve, indiquer dans le verbe la pluralité
de l’objet (voir Millet, 1973c, p. 310, 313).
2
Voir p. 477. L’hypothèse de travail était évidemment la parenté génétique du méroï-
tique et du nara, qui, bien que possible, doit être relativement lointaine.
3
Il semble cependant que la procédure de comparaison avec le nara ait suivi le repérage
des affixes (voir Schenkel, 1972, p. 2).
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 575
COORDINATION ET SUBORDINATION
1
Il se peut qu’il s’agisse d’un homme. L’absence de titre et le nombre des parentés en yetmde
nous a fait préférer une traduction au féminin. L’anthroponyme comporte un déterminant.
576 LA LANGUE DE MÉROÉ
Proposition relative ?
On possède peut-être un exemple de proposition relative, mais la
construction est loin d’être certaine. En REM 1066A, une stèle d’Arminna
1
Cf. p. 457 pour une remarquable correspondance avec le vieux-nubien. Voir p. 144
pour un exemple d’emploi de kelw dans une énumération de biens (REM 1182).
2
Littéralement : Taraqa le Jeune ou Taraqa le Petit.
GRAMMAIRE : FAITS ET HYPOTHÈSES 577
1
Le sexe des défunts n’est pas précisable, mais leur subordination administrative ou mili-
taire à un tiers laisse plutôt supposer qu’il s’agit d’hommes.
2
Voir Hofmann, 1981a, p. 269, 270, 272 ; Millet, 1982, p. 79-81.
3
La traduction par « commandant » est ici difficile, puisque le personnage en question,
Netemakher de Sedeinga, occupe lui-même des fonctions très élevées. Voir p. 160 pour
le commentaire de ce passage.
4
Cf. français : « le salut aux armes », où le substantif est construit avec un complément de
type verbal.
578 LA LANGUE DE MÉROÉ
Bibliographie :
Zyhlarz, 1956, p. 27 ; Heyler, 1967, p. 113-114 ; Trigger–Heyler, 1970, p. 34 ; Priese,
1971, p. 180, 285 ; Hintze, 1979, p. 47, 56 ; Hofmann, 1981, p. 242-246 ; Hintze,
1989, p. 98 ; Millet, 1998, p. 57.
CONCLUSION
Abu Bakr, 1967 : ABU BAKR (Abd el Moneim), « Rapport préliminaire sur les résultats des
fouilles entreprises par la Mission archéologique du Caire dans la région d'Aniba en
Nubie. Saison 1961-1962 », dans Fouilles en Nubie (1961-1963), Le Caire, 1967, p. 1-26.
Adams, 1977 : ADAMS (William Y.), Nubia, Corridor to Africa, Londres, 1977.
Adams, 1982 : ADAMS (William Y.), Meroitic Textual Material from Qasr Ibrîm, 1977,
dans Nicholas B. MILLET et A. L. KELLEY, Meroitic Studies, Proceedings of the Third
International Meroitic Conference, Toronto 1977, Berlin, 1982 (Coll. Meroitica 6),
p. 212-213.
Adams, 1983 : ADAMS (William Y.), « Primis and the “Aethiopian” Frontier », dans
Journal of the American Research Center in Egypt (Boston), t. 20 (1983), p. 93-104.
Adams – Alexander et al., 1983 : ADAMS (William Y.) – ALEXANDER (John A.) et
ALLEN (R.), « Qasr Ibrim 1980-1982 », dans Journal of Egyptian Archaeology
(Londres), t. 69 (1983), p. 43-60.
Albright, 1934 : ALBRIGHT (William Foxwell), The Vocalization of the Egyptian Syllabic
Orthography, New Haven, 1934 (American Oriental Series. V).
Albright – Lambdin, 1957 : ALBRIGHT (William Foxwell) et LAMBDIN (Thomas Oden),
« New Material for the Egyptian Syllabic Orthography », dans Journal of Near
Eastern Studies (Chicago), t. 2 (1957), p. 113-127.
Almagro, 1965 : ALMAGRO (Martin), La Necropolis meroitica de Nag Gamus (Masmas,
Nubia Egipcia), Madrid, 1965 (Coll. Memorias de la Mision Arqueologica en Nubia, 8).
Almagro-Basch – Hainsworth, 1977 : ALMAGRO-BASCH (Martin) et HAINSWORTH
(Michael), « Inscripciones de la Necropolis Meroitica de Nag Gamus-Masmas », dans
Meroitic Newsletters (Paris), t. 18 (1977), p. 3-14.
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Zauzich, 1999 : ZAUZICH (Karl-Theodor), « Zwei Orakelbitten aus Qasr Ibrim », dans
Enchoria (Wiesbaden), t. 25 (1999), p. 178-182.
Zawadowski, 1981 : ZAWADOWSKI (Youri), « Problems of the Article in the Meroitic
Language », dans Meroè (Moscou), t. 2 (1981), p. 39-44.
Zawadowski, 1972 : ZAWADOWSKI (Youri), « Some Considerations on Meroitic
Phonology », dans Meroitic Newsletters (Paris), t. 10 (1972), p. 15-31.
Zawadowski, 1977 : ZAWADOWSKI (Youri), « Analiz “Turaevskoi Stel” Ermitaja »
[Analyse de la stèle Turaiev du Musée de l’Ermitage], dans Meroè (Moscou), t. 1
(1977), p. 15-21 et pl. p. 209.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE 611
Cursive (écriture) 245-262 ; 314-333 ; 169 ; 172 ; 174 ; 175 ; 182 ; 205 ;
340-349. 225 ; 227 ; 232 ; 310 ; 363 ; 382 ;
Datif (marque verbale) 14 ; 22 ; 29 ; 383 ; 384 ; 389 ; 397 ; 400 ; 425 ;
31 ; 36 ; 151 ; 167-180 passim ; 441 ; 516 ; 531.
412 ; 448 ; 457 ; 474 ; 486 ; 532 ; Fautes de lecture 41 ; 187 ; 202 ; 313-
536 ; 551 ; 553-554 ; 560 ; 561 ; 314 ; 354.
563 ; 564 ; 568 ; 572. Fautes d’orthographe 172 ; 293 ; 309-
Déchiffrement (écriture) 48 ; 49-54 ; 310.
231-234. Filiation (expression de la) 99-105 ;
Décrets oraculaires amulétiques 65 ; 555-558.
216-226 ; 427 ; 514 ; 525 ; 533 ; Funéraires (textes) 91-183.
534 ; 552 ; 553 ; 554. Gebel Adda 9 ; 40 ; 41 ; 42 ; 43 ; 44 ;
Démotique 18 ; 25 ; 78 ; 87 ; 96 ; 113 ; 60 ; 61 ; 65 ; 78 ; 90 ; 94 ; 124 ; 126 ;
130 ; 144 ; 153 ; 179 ; 201 ; 202 ; 140 ; 146 ; 147 ; 150 ; 154 ; 158 ;
203 ; 225 ; 226 ; 231 ; 232 ; 233 ; 177 ; 197 ; 202 ; 205 ; 308 ; 365 ;
242-262 passim ; 263 ; 266 ; 269 ; 425 ; 525 ; 570.
272 ; 277 ; 294 ; 300 ; 302 ; 324 ; Gebel Barkal 15 ; 30-31 ; 43 ; 74 ; 89 ;
331 ; 340 ; 344 ; 355 ; 356 ; 358 ; 186 ; 188 ; 191 ; 194 ; 209 ; 215 ;
362-392 passim ; 404 ; 425-427 ; 275 ; 343 ; 362 ; 367 ; 388 ; 432.
429 ; 430 ; 438 ; 516 ; 533 ; 536. Génitif 102 ; 108-114 passim ; 116 ;
Description (du défunt) 106-141. 119 ; 120 ; 121 ; 124 ; 127 ; 131 ;
Déterminant 20 ; 94 ; 95 ; 112-158 142 ; 160 ; 203 ; 207 ; 307 ; 365 ;
passim ; 160 ; 164-183 passim ; 198 ; 398 ; 412 ; 413 ; 416 ; 417 ; 436 ;
205 ; 217 ; 218 ; 300 ; 302 ; 307 ; 444 ; 468 ; 473 ; 486 ; 495 ; 498 ;
356 ; 387 ; 411 ; 413 ; 416 ; 417 ; 501 ; 502 ; 503 ; 505 ; 509 ; 510 ;
429 ; 431 ; 444 ; 446 ; 457 ; 459 ; 511 ; 512 ; 518-529 ; 530 ; 531 ;
481 ; 487 ; 495 ; 498 ; 504 ; 506- 532 ; 538 ; 541 ; 543 ; 544 ; 549 ;
513 ; 514 ; 516 ; 517 ; 518 ; 531 ; 550 ; 551 ; 555.
532 ; 534 ; 535 ; 538 ; 542-546 Genre grammatical 26 ; 55 ; 57 ; 91 ;
passim ; 549 ; 551 ; 559. 95 ; 457 ; 460 ; 462-463 ; 465 ; 468 ;
Dialectales (variantes) 29 ; 35 ; 37-45 ; 471 ; 472 ; 485 ; 497 ; 499-500 ; 514.
308 ; 398 ; 414 ; 455. Graffiti 195-204.
Diphtongues 12 ; 284 ; 295 ; 296-297 ; Grammaire 493-572.
312 ; 407 ; 508 ; 527 ; 533 ; 545. Grammaticalisation 527 ; 538.
Écriture syllabique égyptienne 5 ; 12 ; Grec (langue) 7 ; 17 ; 21 ; 31 ; 131 ;
13 ; 15 ; 16 ; 22-24 ; 35 ; 245 ; 254 ; 145 ; 153 ; 159 ; 168 ; 201 ; 202 ;
263 ; 264 ; 268 ; 271 ; 273 ; 278 ; 232 ; 233 ; 245 ; 248 ; 273 ; 291 ;
381. 294 ; 297 ; 298-302 passim ; 345 ;
El-Hobagi 33 ; 73 ; 85 ; 89 ; 206-207. 359-404 passim ; 408 ; 425 ; 426 ;
Emprunts (à l’égyptien) 6 ; 12 ; 13 ; 17- 428-429 ; 438 ; 451 ; 488 ; 537 ;
18 ; 35 ; 113 ; 132 ; 134 ; 177 ; 179 ; 549 ; 557.
217 ; 224 ; 289 ; 359 ; 362-404 Griffith (Francis Llewellyn) 50-54 ;
passim ; 412 ; 430-433 ; 438 ; 495 ; 231-234 ; 434-436.
524. Hamadab 73 ; 186.
Ellipse (du nom régissant) 114 ; 524 ; Haplographie 170 ; 218 ; 302-304 ;
525. 312 ; 327 ; 379 ; 385 ; 407 ; 413 ;
Étrusque (langue) VII ; 56 ; 360 ; 365 ; 499 ; 544.
406 ; 421 ; 423 ; 426. Harmonie vocalique 409-410 ; 562.
Faras 30 ; 39 ; 40 ; 41 ; 43 ; 76-77 ; 93 ; Heyler (André) 61-62 ; 445 ; 507.
106 ; 107 ; 111 ; 117 ; 123 ; 131 ; Hiatus 290 ; 292-295 ; 387.
132 ; 134 ; 137 ; 148 ; 158 ; 168 ;
INDEX 615
152 ; 155 ; 420 ; 444 ; 446 ; 499 ; 195 ; 201 ; 202 ; 203 ; 220 ; 221 ;
501 ; 504 ; 520-523 passim ; 526 ; 223 ; 225 ; 226 ; 227 ; 261 ; 304 ;
541 ; 544 ; 548 ; 553 ; 555-558. 317 ; 320 ; 338 ; 339 ; 355 ; 365 ;
Passages biographiques (?) 148-155. 398 ; 400 ; 401 ; 408 ; 410 ; 427 ;
Passages de nature incertaine 128-157. 441 ; 452 ; 496 ; 524 ; 574.
Philae 32 ; 38 ; 42 ; 44 ; 47 ; 53 ; 55 ; Qustul 33 ; 77 ; 89 ; 205 ; 310 ; 366.
81-82 ; 94 ; 113 ; 114 ; 130 ; 135 ; Répertoire d’épigraphie méroïtique
142 ; 153 ; 193 ; 195 ; 196 ; 201 ; (REM) 61-62, 445-447.
202 ; 232 ; 233 ; 261 ; 291 ; 327 ; Revues d'études méroïtiques 66-67.
340 ; 363 ; 375 ; 379 ; 387 ; 397 ; Roi (qore) 3 ; 10 ; 16 ; 17 ; 19-27
399 ; 401 ; 426 ; 429 ; 436 ; 438 ; passim ; 22 ; 31 ; 32 ; 33 ; 37 ; 42 ;
511 ; 524 ; 530 ; 535 ; 536 ; 537. 49 ; 57 ; 74 ; 89 ; 113 ; 130 ; 138 ;
Philologique (méthode) 434-437. 160 ; 161 ; 178 ; 181 ; 184-191 ;
Phonétiques (phénomènes) 408-420. 192-194 ; 215 ; 243 ; 260 ; 269 ;
Phonologie 359-407. 282 ; 284 ; 294 ; 307 ; 308 ; 336 ;
Plaquettes de bois inscrites 79 ; 88 ; 340 ; 367 ; 375 ; 376 ; 378 ; 409 ;
223 ; 224. 413 ; 438 ; 467 ; 470 ; 487 ; 496 ;
Pluriel 14 ; 22 ; 29 ; 97 ; 100 ; 110 ; 499 ; 502 ; 509 ; 511 ; 516 ; 524 ;
113 ; 115 ; 116 ; 119 ; 124 ; 126 ; 525 ; 532 ; 547.
140 ; 141 ; 146 ; 151 ; 153 ; 168 ; Romains 2 ; 19 ; 81 ; 93 ; 113 ; 117 ;
171 ; 178 ; 179 ; 201 ; 203 ; 218 ; 135 ; 145 ; 189 ; 190 ; 215 ; 233 ;
365 ; 412 ; 413 ; 436 ; 457 ; 459 ; 248 ; 364 ; 375 ; 389 ; 401 ; 403 ;
473 ; 481 ; 485 ; 495 ; 498 ; 504 ; 425 ; 428 ; 429 ; 460 ; 504 ; 526 ;
506 ; 514 ; 522 ; 524-525 ; 531-532 ; 531 ; 541.
541-551 passim ; 554 ; 564 ; 565 ; Saï (île de) 4 ; 29 ; 37 ; 75-76 ; 88 ;
566 ; 568. 178 ; 197 ; 216-223 passim ; 232 ;
Possessifs 44 ; 116 ; 125 ; 126 ; 127 ; 307 ; 343 ; 382 ; 500.
200 ; 473 ; 521 ; 526 ; 532 ; 535 ; Schenkel (Wolfgang) 60 ; 447 ; 560-
537 ; 543 ; 549 ; 550-551 ; 572. 561 ; 568-569.
Postpositions 62 ; 112 ; 114 ; 143 ; 150 ; Schwa /Œ/ 31-32 ; 398-400.
160 ; 174 ; 178 ; 279 ; 300 ; 304 ; Sedeinga 34 ; 39 ; 40 ; 41 ; 42 ; 44 ; 45 ;
398 ; 444 ; 447 ; 457 ; 459 ; 468 ; 65 ; 75 ; 86 ; 94 ; 106 ; 107 ; 112 ;
485 ; 486 ; 487 ; 495 ; 497 ; 501 ; 123 ; 131 ; 135 ; 139 ; 142 ; 143 ;
502 ; 503 ; 504 ; 506 ; 507 ; 508 ; 148 ; 161 ; 163 ; 198 ; 232 ; 257 ;
510 ; 511 ; 518 ; 519 ; 524 ; 527 ; 286 ; 327 ; 367 ; 387 ; 432 ; 495 ;
528 ; 530 ; 531 ; 535-539 ; 554 ; 555. 530-531 ; 561 ; 572.
Prédicatif 540-548. Segmentation 493- 496.
Prénasalisées (consonnes) 300 ; 301 ; Séparateur 258-259 ; 274 ; 495-496.
361 ; 369 ; 371-374. Shablul 50 ; 51 ; 53 ; 80 ; 85 ; 90 ; 93 ;
Pronoms 26 ; 97 ; 98 ; 126 ; 146 ; 192 ; 99 ; 107 ; 172 ; 177 ; 200.
211 ; 218 ; 228 ; 229 ; 269 ; 271 ; Shokan 65 ; 78 ; 216 ; 222 ; 227 ; 261.
461 ; 462 ; 463 ; 468 ; 473 ; 486 ; Sinisra 81 ; 166 ; 205.
500 ; 504 ; 526 ; 540 ; 542 ; 543 ; Soleb 47 ; 75 ; 214.
544 ; 546 ; 547 ; 549-551 ; 554 ; 567. Songhai (langue) 373 ; 471 ; 474 ; 475 ;
Proposition relative (?) 571-572. 476 ; 487 ; 501.
Propositions présentatives 540-548. Subordination 569-571.
Proscynèmes 201-202. Sumérien 373 ; 406 ; 409 ; 422 ; 423 ;
Protoméroïtique 3-18 ; 278 ; 364. 449 ; 457 ; 501.
Qasr Ibrim 30 ; 33 ; 34 ; 40 ; 60 ; 61 ; Système graphique 277-314.
65 ; 76 ; 79-80 ; 82 ; 87 ; 88 ; 132 ; Tabo 75.
144 ; 145 ; 147 ; 177 ; 187 ; 189 ;
INDEX 617
AVANT-PROPOS .......................................................................................................VII
CONVENTIONS ET ABRÉVIATIONS ...................................................................... XI
INTRODUCTION ............................................................................................................... 1
QUESTIONS DE TERMINOLOGIE ............................................................................ 1
APERÇU HISTORIQUE ET GÉOGRAPHIQUE .......................................................... 3
La langue méroïtique : panorama historique............................................................. 3
Les premières traces du méroïtique ...................................................................... 3
Traces du protoméroïtique au Moyen Empire ................................................. 3
La liste de Crocodilopolis ................................................................................ 5
Les chapitres supplémentaires du Livre des Morts ....................................... 11
Anthroponymes et toponymes protoméroïtiques au Nouvel Empire ............ 15
Emprunts méroïtiques au moyen-égyptien .................................................... 17
Le méroïtique à l’époque napatéenne................................................................. 19
Le méroïtique, langue écrite du royaume de Méroé .......................................... 28
La disparition du méroïtique............................................................................... 32
Périodisation........................................................................................................ 35
Cadre géographique et différences dialectales........................................................ 37
HISTOIRE DE LA RECHERCHE ............................................................................... 47
La redécouverte du méroïtique................................................................................ 47
Le déchiffrement de l’écriture méroïtique .............................................................. 49
Une fausse piste : les travaux d’E. Zyhlarz ............................................................ 54
F. Hintze et l’étude des structures ........................................................................... 56
Le renouveau international des études méroïtiques................................................ 60
L’état actuel de la recherche méroïtique ................................................................. 64
Revues et colloques ................................................................................................. 66
Description.........................................................................................................106
Description individuelle................................................................................108
Description relative.......................................................................................119
Passages de nature incertaine ............................................................................128
Passages de type descriptif ...........................................................................130
Formules d’ordre cultuel (?) .........................................................................142
Liste de présents............................................................................................144
Passages biographiques (?) ...........................................................................148
« Stele-texts »................................................................................................156
Formules en mlo-lo(wi) ....................................................................................158
Bénédictions.......................................................................................................163
Formule A ....................................................................................................167
Formule B .....................................................................................................169
Formule C .....................................................................................................170
Formule C’ ...................................................................................................171
Formule D ....................................................................................................172
Formule E .....................................................................................................174
Formule F .....................................................................................................175
Formule G ....................................................................................................175
Formule H ....................................................................................................176
Formule I ......................................................................................................177
Formule J ......................................................................................................177
Formule K ....................................................................................................178
Formule L .....................................................................................................179
Formule X ....................................................................................................180
Ordre des bénédictions .................................................................................181
Les textes royaux....................................................................................................184
Les légendes iconographiques ...............................................................................192
Les proscynèmes et graffiti ....................................................................................195
Les « inscriptions de propriété »...........................................................................205
Les « inscriptions de travaux » ..............................................................................208
Les inscriptions d’exécration .................................................................................214
Les décrets oraculaires amulétiques .....................................................................216
Les ostraca numériques ..........................................................................................227
CONCLUSION................................................................................................................ 579
INDEX............................................................................................................................. 607