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42-1 | 2020
La grammaire arabe étendue
Jean-Patrick Guillaume (dir.)
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/hel/457
DOI : 10.4000/hel.457
ISSN : 1638-1580
Éditeur
Société d'histoire et d'épistémologie des sciences du langage
Édition imprimée
Date de publication : 28 septembre 2020
ISSN : 0750-8069
Référence électronique
Jean-Patrick Guillaume (dir.), Histoire Épistémologie Langage, 42-1 | 2020, « La grammaire arabe
étendue » [En ligne], mis en ligne le 28 octobre 2021, consulté le 29 octobre 2021. URL : https://
journals.openedition.org/hel/457 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hel.457
SOMMAIRE
Hommage
Valérie Raby
(1967-2019)
Jean-Marie Fournier
Présentation
Jean-Patrick Guillaume
Varia
Les options de catégorisation du participe des temps composés dans les grammaires des
langues romanes (XVe-XVIIIe siècles)
Alejandro Díaz Villalba
Lectures et critiques
Sériot, Patrick, dir. 2019. Le nom des langues en Europe centrale, orientale et
balkanique
Limoges : Lambert-Lucas. 304 p.
Émilie Aussant
Hommage
Valérie Raby
(1967-2019)
Jean-Marie Fournier
Valérie Raby
longtemps et qu’elle accomplisse les projets qu’elle dessinait dans sa vie de chercheuse
et de professeure récemment élue à la Sorbonne Nouvelle.
4 Il y a une ironie tragique à devoir prononcer les mots convenus du deuil, pour elle qui
l’était si peu, qui déjouait toujours d’un trait d’ironie souriante, jamais blessant, ou d’un
éclat de rire aux notes graves, ce qui précisément est convenu ou empesé dans les
discours et les postures.
5 Valérie a été secrétaire de la SHESL de 2008 à 2014, elle en était la vice-présidente
depuis 2014.
6 Elle a commencé à codiriger HEL avec Jean-Luc Chevillard en juin 2012, puis elle en a
assuré seule la direction à partir de janvier 2015. Elle s’est acquittée de cette direction
impeccablement, insufflant avec une fermeté et une efficacité tranquilles vigueur et
stabilité à notre revue.
7 Son parcours était celui, classique, de plusieurs d’entre nous : elle avait obtenu
l’agrégation de lettres modernes de 1990 et occupé différents postes dans
l’enseignement secondaire en collège puis en lycée pendant une dizaine d’années.
8 Parallèlement, elle a suivi la formation en sciences du langage de l’université Paris 7 où
elle a d’abord obtenu une maîtrise (1995), puis un DEA de linguistique théorique et
formelle avant de s’inscrire en doctorat sous la direction de Sylvain Auroux en 1997 et
soutenir sa thèse trois ans plus tard en 2000 (une thèse en histoire des théories
linguistiques bouclée en trois ans c’est rare !). C’est à partir de cette date qu’elle a donc
été accueillie dans le laboratoire HTL et que nous l’avons croisée régulièrement au
séminaire de Sylvain Auroux au septième étage de la tour centrale de Jussieu.
9 Elle a été recrutée l’année suivante en 2001 comme maître de conférences à l’université
de Champagne-Ardennes où elle a occupé ce poste jusqu’en 2008 ; date à laquelle elle a
obtenu sa mutation pour l’université Paris Sorbonne.
10 Enfin elle a soutenu son HDR en 2017 et a été recrutée comme professeure de
linguistique française à la Sorbonne Nouvelle en 2018.
11 Pendant une vingtaine d’années, elle a donc été partie prenante, comme participante
ou comme coordinatrice non seulement de tous les projets du laboratoire inscrits dans
le champ de la grammatisation du français et des vernaculaires européens, mais
également de plusieurs programmes transversaux comme le programme « Grammaires
étendues » de l’axe 7 du Labex sous la direction d’Émilie Aussant ; ou le programme
« Énoncé » qu’elle a coordonné ; ou encore l’axe « Grammaires et outils linguistiques »
de l’organigramme du laboratoire qu’elle a codirigé avec Bernard Colombat.
12 Elle a été en particulier une cheville ouvrière infatigable et rigoureuse de ces projets
éditoriaux de longue haleine et de grande ampleur que sont la base de données des
grammaires françaises chez Garnier, l’édition critique des grammaires de la tradition
française (elle a conduit à bien l’édition d’un des premiers ouvrages paru dans la
collection mise en place chez Garnier), ou encore le Dictionnaire historique de la
terminologie linguistique (DHTL), pour n’en citer que les principaux.
13 Elle a dirigé de nombreux numéros de revues et ouvrages collectifs.
14 Elle a publié un grand nombre d’articles sur des sujets très variés, dans lesquels on peut
distinguer deux ensembles principaux :
i. d’un côté, des questions d’histoire des théories grammaticales, relatives notamment à la
syntaxe dans les grammaires françaises (en particulier autour des notions de phrase et
Présentation
Jean-Patrick Guillaume
1 Issu d’une journée d’études organisée le 17 novembre 2017 par le laboratoire HTL en
partenariat avec le Labex EFL, ce dossier entend apporter une première contribution à
une question encore peu étudiée : celle de la « grammaire arabe étendue », c’est-à-dire
de la manière dont le système grammatical arabe traditionnel a été réemployé et
adapté à la description d’autres langues. De fait, en dehors de quelques chapitres dans
Auroux et al. (2000), traitant de l’influence de la grammaire arabe sur d’autres
traditions (p. 321‑336), cette problématique n’a guère retenu l’attention jusqu’à
présent. En raison du cloisonnement des disciplines et de la rareté des contacts entre
des chercheurs eux-mêmes peu nombreux, les traditions concernées ont été le plus
souvent abordées isolément les unes des autres, ce qui ne favorisait guère l’émergence
de problématiques communes et nuisait à la visibilité des travaux existants en dehors
des spécialistes de l’aire culturelle concernée.
2 Les contributions rassemblées ici couvrent la majeure partie de ce que l’on pourrait
nommer l’aire de grammatisation arabe2. Aire passablement étendue dans l’espace et le
temps, puisqu’elle va de l’Andalousie des IXe-Xe siècles, avec la première grammatisation
de l’hébreu, à l’Insulinde du XIXe, où paraissent les premières grammaires autochtones
du malais. La diversité génétique et typologique des langues concernées n’est pas moins
considérable ; elle n’est pas pour autant exceptionnelle et se situe dans le même ordre
d’idées que celle de la grammaire sanskrite étendue (voir Aussant 2017). À l’intérieur de
cette diversité, on peut toutefois tenter de proposer quelques remarques générales.
3 Tout d’abord, l’ensemble des langues grammatisées à partir du modèle arabe sont des
langues savantes, ou à tout le moins des langues de culture. Certaines le sont depuis
fort longtemps, comme le copte, qui a plus d’un millénaire d’existence au moment de sa
grammatisation ; certaines au contraire sont émergentes, comme le turc, qui, avec
l’avènement de l’Empire seldjoukide (milieu du XIe siècle), se développe comme langue
de cour, à côté de l’arabe et du persan. Il faut également remarquer le cas particulier du
syriaque, grammatisé dès le VIe siècle sur le modèle grec, où Bar Hebraeus se borne à
introduire quelques outils empruntés à la grammaire arabe, tels que la notion de
transitivité, étudiée ici par Georges Bohas.
4 On peut également remarquer que, dans la quasi-totalité des cas, on a affaire à des
processus d’endogrammatisation, au sens où leurs auteurs, s’ils ne sont pas à
proprement parler des locuteurs natifs des langues en question – ce qui, pour des
langues savantes, n’a guère de sens –, en sont au moins des usagers, et où elles sont un
élément essentiel de leur identité, ethnique ou confessionnelle ; le cas de l’Andalou Abū
Ḥayyān al-Andalusī (ou al-Ġarnāṭī, mort en 1344), auteur d’une grammaire du turc
rédigée en arabe3, fait figure d’exception qui confirme la règle. D’une manière générale,
les grammairiens arabes, du moins dans l’exercice de leur profession, ne se sont jamais
intéressés aux langues autres que l’arabe, y compris à celle qui, dans bien des cas, était
leur langue maternelle : elles n’auraient rien eu à leur apprendre, puisque l’arabe,
affirmaient-ils, était supérieure aux autres par la « sagesse » (ḥikma) qui se manifestait,
à tous les niveaux, dans son organisation. De ce fait, la grammaire, qui cherche à
dégager cette « sagesse » inhérente à la langue, ne saurait se limiter à une discipline
purement utilitaire, mais peut se poser en science spéculative 4.
5 Cet aspect spéculatif n’était sans doute pas le plus facile – ni le plus immédiatement
utile – à transposer dans la description d’autres langues ; il n’en reste pas moins que,
dans la plupart des cas considérés ici, la grammatisation s’accompagne d’une volonté,
plus ou moins clairement assumée, de promotion, d’« illustration » de la langue
concernée, parfois liée à une période de renouveau culturel et littéraire, comme c’est le
cas pour l’hébreu dans l’Andalousie du Xe siècle, avec l’émergence d’une poésie profane
(Itzhaki 2013), ou pour le copte au XIIIe, comme le souligne ici même Adel Sidarus. De
même, le premier chapitre du Qavâʾed-e fârisyyat de ʿAbd al-Karīm Iravānī, l’une des
premières grammaires autochtones du persan, publiée en 1846, commence par un
chapitre intitulé « Du mérite éminent du persan et de l’éloge des Persans » (Jeremiás
1993), qui fait pendant à l’éloge de la langue arabe par lequel s’ouvrent certains traités
de grammaire arabe dus à des auteurs persophones, tel le Mufaṣṣal d’al-Zamaḫšarī
(mort en 1144). Dans le cas du malais, enfin, comme le souligne Kees Versteegh, la
motivation de l’auteur est plutôt de préserver le bon usage d’une langue écrite contre
les erreurs propagées par les locuteurs allophones qui usent du malais comme langue
de communication ; ici encore, on retrouve un thème familier aux grammairiens
arabes, qui ont toujours présenté la lutte contre la « corruption de la langue » (fasād al-
luġa) consécutive à l’expansion de l’arabe hors de la péninsule Arabique comme le
principal enjeu de la grammatisation de l’arabe.
6 Un dernier ordre d’observations concerne la langue de description, qui peut être soit
l’arabe, dans les premières grammaires de l’hébreu (Valle 2000) ainsi que dans celles du
copte et du turc, soit la langue décrite elle-même, comme pour le syriaque, le persan et
le malais. Dans le premier cas, le grammairien dispose d’une terminologie toute faite ;
ce qui ne veut pas dire qu’elle soit directement utilisable telle quelle, et qu’il ne faille
pas l’adapter aux besoins de la langue décrite, ce qui est parfois acrobatique (voir dans
la contribution d’Adel Sidarus ce que deviennent les ḥurūf al-ziyāda) ; le second suppose
d’élaborer une terminologie vernaculaire, par emprunt et/ou par calque de l’arabe.
Cette terminologie, au demeurant, peut être antérieure à la grammatisation
proprement dite et s’être constituée par le biais de traductions ou de gloses en langue
vernaculaire utilisées dans l’enseignement, comme le note Kees Versteegh à propos du
malais. On notera ici encore le cas particulier de la grammaire syriaque, pour lequel il
existait déjà une terminologie inspirée du modèle grec, sur laquelle se sont seulement
greffés quelques emprunts ponctuels à la tradition arabe.
pour des grammairiens raisonnant à partir de l’arabe, est de savoir si, et dans quelle
mesure, il est possible de faire coïncider les deux systèmes.
12 Nous abordons le domaine copte avec la contribution d’Adel Sidarus, tout
particulièrement centrée sur la question de l’adaptation de la terminologie
grammaticale arabe à la description de cette langue. Après une présentation détaillée
des grammaires existantes et de leur organisation, l’exposé aborde le traitement de la
morphologie, et notamment les problèmes posés par le caractère agglutinant du copte,
très différent en cela de l’arabe. La question de la phonographématique retient
également l’attention : contrairement aux autres langues abordées ici, qui ont toutes
des systèmes graphiques de type sémitique ne notant pas les voyelles 6, le copte a un
alphabet dérivé du grec, ce qui a de curieuses implications terminologiques.
13 Le sixième et dernier article occupe une place un peu décalée relativement aux autres ;
on pourrait y voir une manière d’« heureuse transition » (ḥusn al-taḫalluṣ, comme
disent les rhétoriciens arabes) entre le dossier proprement dit et la section « Varia ».
Cela étant, la manière dont les grammaires arabisantes, d’Erpenius à nos jours, ont
compris et présenté la phrase nominale (jumla ismiyya) des grammairiens arabes n’est
pas sans rapport avec la problématique centrale de l’intertraductibilité – s’il est permis
d’employer ce néologisme un peu barbare – des catégories linguistiques d’une tradition
à l’autre.
14 Tel qu’il est, ce dossier n’a nullement la prétention d’épuiser une matière dont on a pu
mesurer la richesse : sans parler des langues qui n’ont pu être abordées ici (il existe
aussi, semble-t-il, des grammaires du berbère et du kurde sur le modèle arabe), il reste
bien des questions en suspens, et bien des textes à explorer. Souhaitons simplement
que cette première étape soit poursuivie par des travaux futurs, et que se prolongent
les échanges auxquelles ce projet a donné lieu.
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Pour une présentation plus générale de cette problématique, qui ne concerne pas que la
grammaire arabe, voir Aussant (2017).
2. Sur la grammaire persane, qui n’est pas abordée ici, on pourra se reporter aux travaux d’Éva
M. Jeremiás, (notamment Jeremiás 1993, 1997, 1999 et 2000 ; Jeremiás et MacKenzie 2010), qui
abordent les principaux aspects de cette tradition.
3. Elle a été traduite et analysée dans Ermers (1999).
4. Sur cette « vulgate épistémologique » qui sous-tend globalement la tradition linguistique
arabe, voir Guillaume (2012).
5. Notons que cette notion existe en fait dans la tradition grecque, notamment chez Apollonius
Dyscole, sous le nom de diabasis (Lallot 1997, vol. 2, p. 418) ; toutefois, absente de la Tekhnè, elle
n’a pas été reprise par les premières grammaires syriaques (d’après une communication orale de
G. Bohas).
6. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser des problèmes dans le cas des langues ayant adopté
l’écriture arabe, comme le souligne notamment Kees Versteegh à propos du malais, ainsi que
Jeremiás et MacKenzie (2010) à propos du persan.
AUTEUR
JEAN-PATRICK GUILLAUME
CNRS, Histoire des théories linguistiques (UMR 7597, HTL), Paris, France
4 The translating tradition created a stock of technical terms in the vernacular language.
The teaching of Latin in the abbey of Saint Gall, for instance, took place with Old High
German as an auxiliary language. As a result, a host of Old High German loan
translations of Latin terms entered the language (Grotans 2006). In other cases, the
Latin terminology was taken over wholesale in the form of loanwords. In the Irish
tradition, two sets of terminology were used, one with mostly Irish loan translations,
intended for an audience of students and learners, the other with mostly Latin
loanwords, used by scholars (Poppe 1999). In much of the Islamic world, the Arabic
tradition was followed faithfully and its technical lexicon predominated, so that Arabic
loanwords constituted the bulk of new technical terminology, with only a relatively
small number of loan translations, as in Persian and Turkic grammar. In this respect,
the Malay tradition was an exception, since, along with Arabic loanwords, it frequently
used loan translations.
5 The coexistence of two languages in education is likely to provoke a comparison of
their structure and qualities. The vernacular language is usually seen as a poorer
variety, more lively, perhaps, and better suited to the expression of feelings, but not as
rich or rational as the learned language, and certainly not deserving a grammatical
analysis of its own. Most people speak the vernacular language as their mother tongue
anyway and do not feel the need for a grammar. Yet, in some cases, scholars took the
initiative to write a grammar of their vernacular language, for which they depended on
the grammatical framework of the learned language. In Europe, Latin, the language in
which all religious and scientific literature was written (Waquet 1998), provided the
framework for all grammar study. The universality of its structure was taken for
granted, even when people were aware of the differences with their own vernacular.
6 The full emancipation of the vernacular language became possible only when the socio-
political context changed. In Europe, the triggering factor was the establishment of
political entities that focused on their identity as a nation with a language of its own.
After the Reconquista had been completed, the Spanish kings strove at founding an
empire with one ruler, one religion, and one language. The publication of Nebrija’s
grammar of Castilian in 1492, the first of its kind in Europe, showed that this new
imperial language was just as capable of expressing anything as the prestige language,
Latin. Nonetheless, the linguistic framework in which this newly emancipated language
was described remained the Latin one.
7 In the Arabic-speaking world, too, vernacular languages were generally seen as inferior
to Arabic and not deserving a grammar of their own. Exceptions to this view are few
and far between. In a discussion about the Syriac language that took place in 364/1026
between the Christian bishop Elias of Nisibis and the vizier ʾAbū l-Qāsim al-Ḥusayn
ibn ʿAlī, the Syrian bishop vigorously defended the superior quality of the Syriac
language (Bertaina 2011): Not only is it possible to say in Syriac whatever you can say in
Arabic, but it is even superior. When Elias is asked by the vizier whether Syriac
distinguishes between the agent and the object by means of case endings (ʾiʿrāb), he
explains that in Syriac a particle, l-, is used for the object, at least in those cases where
confusion is possible. This is much better than the Arabic system, he says, which breaks
down in words with virtual endings, like ḍaraba ʿīsā mūsā ‘ʿĪsā hit Mūsā’. Elias states
that the ʾiʿrāb fails in its main function, i.e. removing ambiguity (labs, iltibās), not only
between fāʿil (agent) and mafʿūl (object), but also between sentence types, such as
assertion and question (Majālis: 116-118). In spoken Arabic and Syriac, such distinctions
are expressed by intonation (naġamāt al-ṣawt; ibid.: 113.8), but while in written Arabic
there is no way to indicate them, Syriac scholars have devised a system of
interpunction (ʿalāmāt) for this purpose (ibid.: 122).
8 The pride Elias takes in the Syriac language may have had something to do with the fact
that before the emergence of the Arabic tradition Syriac possessed a grammatical
tradition of its own. In other cases, language communities developed their own
tradition in Islamic times. The revival of Coptic and the emergence of Coptic grammars
in the thirteenth century CE, for instance, came at a time of social and cultural
emancipation of the Copts, when Coptic scholars aimed to demonstrate the rich texture
of their language (Sidarus 2010). A similar apologetic aim is found in the dictionary of
the Turkic languages by al-Kāšġarī (11th century CE). In his Dīwān luġāt al-Turk, he
intended to show that the Turkic languages were just as capable as Arabic to express
complex thoughts, with an equally rich lexicon (Ermers 1999: 17).
9 While Syriac could not qualify for ʾiʿrābhood because it does not have endings, some
languages do have declensional endings. In Persian, the direct object suffix -rā was
interpreted by Persian grammarians as a ḥarf-i taḫṣīṣ ‘particle of specification’, until
later grammarians named it ʿalāmat-i mafʿūl ‘marker of the object’ (Jeremiás 1997: 174
& 180, n. 20). In Turkic, the ending -nī of the direct object was called by some
grammarians ʿalāmat al-naṣb ‘marker of the accusative’ (Ermers 1999: 163-284). The
Persian and Turkic endings received the Arabic name of the function they expressed
(naṣb, mafʿūl), but were not analyzed as instances of ʾiʿrāb: they expressed the same
syntactic categories as the ones marked by ʾiʿrāb in Arabic, but used different tools to
mark them. This approach parallels the description of European vernacular languages
within a Latin framework: their lack of declensional endings was compensated by
applying Latin case names to the syntactic functions of words.
10 Since the pioneers who started to focus on the vernacular language had been trained in
the powerful linguistic model of the learned grammatical tradition, which had the
status of a universal grammar, valid for all languages, they had to find a way to
accommodate the structure of their own language to this model. In the next section, we
shall see how this played out in the description of Malay in Southeast Asia.
grammar, which until then had been used in Southeast Asia exclusively for the study of
Arabic. Yet, since the teaching method in all Islamic disciplines, including grammar and
Qurʾānic exegesis, was based on Malay translations, an indigenous Malay terminology
had gradually been developed (Riddell 2017). Thus, when these pioneers started to
write a grammar of their own language, they did not need to develop all of its
terminology from scratch, but could draw on an existing stock of Malay terms
(Versteegh 2019).
13 The first and foremost Malay-written grammar of Malay was that of Raja Ali Haji
(probably d. 1873), a scholar from the Sultanate of Johor-Riau. At the sultan’s court, a
form of Classical Malay had become the cultural language shared by courtiers and
Dutch colonial administrators alike. In his Bustān al-kātibīn [Garden of writers] (1857),
Raja Ali Haji provides a grammatical analysis of this Malay, 2 while his incomplete
dictionary Kitab pengetahuan bahasa [Book of the knowledge of the language], written in
the 1850s, aims at exploring the lexicon of the language. It opens with a compendium of
Arabic grammar (Pengetahuan: 1-27) and features a large number of Arabic grammatical
terms (van der Putten 2002).
14 One of the factors motivating Raja Ali Haji to engage in this project was the deficient
performance of many speakers, for whom Malay was a second language, used for
interlanguage contact and for dealing with the colonial administration. He explains
that many people make mistakes while writing Malay:
I have met many people, either Malays from Johor, or other Malays, not to mention
people from other nations, who did not have Malay as their own language and
whose faulty practice even reached the point where they started to teach each
other, while believing themselves to be experts in this science (Telah banyaklah aku
dapat orang Melayu Johor atau Melayu yang lainnya, apalagi orang yang lain-lain bangsa
daripada bangsa yang bukan bahasa Melayu itu bahasa dirinya, hingga berpanjanganlah
amalnya yang palsu itu hingga mengajarlah setengahnya akan setengahnya padahal ia
menyangkakan akan dirinya ahli pada ilmu itu; Bustān: 6).
15 This is a recurrent theme in his treatise: as people make mistakes in writing or
speaking Malay, their work becomes worthless. What is worse, they are not even aware
of the fact that their Malay is faulty. Since a number of letters of the Arabic alphabet
are not used in spoken Malay, people err by adding or omitting letters (ibid.: 13), or by
writing the wrong ligatures (ibid.: 14). This shows that they possess only “stolen
knowledge” (ilmu yang dapat dicurinya; ibid.: 14.18f.). The concluding chapter of the
treatise (ibid.: 48-51) touches upon yet another aspect of the author’s didactic ambition
in writing his grammar. It is dedicated to the art of epistolography and includes precise
instructions on the proper way to address people of different rank, urging the reader to
use a polite style of Malay (ibid.: 49).
16 Like the Coptic, Turkic, and Syriac grammarians, Raja Ali Haji describes his own
language on the premiss that anything said in Arabic can also be said in Malay. Both
languages share an underlying structure that is identical with the model of the Arabic
grammarians. He does not aim at a full-scale grammatical description of the Malay
language, but only at a short instruction for those wishing to improve the quality of
their writing and speaking. Yet, some rules are necessary:
Nonetheless I have, where necessary, borrowed explanations, analogies, and
methods from the science of the Arabs, such as ṣarf ‘morphology’, naḥw ‘syntax’,
luġa ‘lexicography’ and others from the scientific literature, to compose this book...
(Syahadan sungguhpun yang demikian itu tempatnya aku mengambil petua dan kias dan
jalan memperbuat kitab ini, iaitu ilmu Arab juga seperti ṣarf dan naḥw dan luġa dan
lainnya daripada kitab ilmu...; Bustān: 24.33-25.1).
17 And, indeed, he freely uses Arabic grammatical terminology and, in some sections,
snippets of linguistic theory taken from the Arabic grammatical literature. The main
source for his description is the ʾĀjurrūmiyya and its commentaries, 3 as is clear from the
parallels in treatment. In addition, he must have been familiar with the ʾAlfiyya
tradition. Since the elementary grammatical treatises and commentaries are highly
interdependent, it is not always possible to pinpoint the exact source. Viain’s (2014)
detailed comparison of the structure of the ʾAlfiyya (2014: 228-253, 504-508) and the
ʾĀjurrūmiyya (2014: 254-259, 509-511) points out the following differences between
them:
i. Both texts have a rough division into nouns and verbs, but the ʾĀjurrūmiyya first treats
general rules of ʾiʿrāb, while the ʾAlfiyya first deals with a number of other constructions
(relatives, numerals, ḥikāya).
ii. The ʾĀjurrūmiyya starts with the verb, the ʾAlfiyya with the noun; for the noun, both
traditions follow a division into marfūʿāt, manṣūbāt, maḫfūḍāt.
iii. Within the nominative constructions, the ʾĀjurrūmiyya starts with the fāʿil, the ʾAlfiyya with
the mubtadaʾ.
iv. Within the accusative constructions, the ʾĀjurrūmiyya begins with the mafʿūl bihi, followed
by the mafʿūl muṭlaq, while the ʾAlfiyya has the reverse order.
v. Within the satellite constructions, the order in the ʾĀjurrūmiyya is naʿt − taʾkīd − ʿaṭf −
badal; in the ʾAlfiyya tradition taʾkīd and ʿaṭf switch places.
18 A look at the chapters of the Bustān (Table 1) shows that sometimes their order reflects
that of the ʾĀjurrūmiyya, for instance by treating first the mafʿūl bihi and then the mafʿūl
muṭlaq, but at other times it follows more closely that of the ʾAlfiyya tradition, for
instance in treating the noun before the verb, and the mubtadaʾ before the fāʿil. Within
the chapters, the relationship with the ʾĀjurrūmiyya commentaries is evident, yet it
appears that the author inserted remarks from an amalgam of different traditions.
Obviously, as a nineteenth-century Muslim intellectual he must have been familiar with
commentaries from both traditions.
introduction p. 3-11
§1 letters p. 12
§2 alphabet p. 12f.
§3 Jawi spelling p. 13
§24 tamyīz p. 45
§25 taʾkīd p. 45
§27 ṣifa p. 46
§28 ʾiḍāfa p. 47
epilogue p. 51-53
19 There is one aspect in which Raja Ali Haji’s work differs from the commentaries in the
Arabic tradition: his preoccupation with spelling and orthography. Spelling rules did
not form part of Arabic grammar, but were crucial in Southeast Asia because of the
idiosyncrasies of the Jawi script. Raja Ali Haji’s discussion of ʾiʿrāb (Bustān: 20f.) starts
with the observation that it consists of a stroke (baris) above or underneath the letter,
indicating a vowel, in combination with a letter wāw, yāʾ, or ʾalif. This clearly addresses
the representation of vowels in Jawi script, rather than declension, which is inexistent
in Malay. But then, confusingly, he continues by defining ʾiʿrāb as “changes in the
endings of speech due to the difference in governing words, overt or implicit” (mā
taġayyara ʾawāḫir al-kalām li-ḫtilāf al-ʿawāmil al-dāḫila ʿalayhā lafẓan ʾaw taqdīran; ibid.:
20.14f.).4 However, he says, the rules of ʾiʿrāb are very difficult and “it is not my purpose
to translate the ʿilm al-naḥw, but only to set up rules for writing and speaking Malay”
(bukan maksudku hendak menterjemahkan ilmu nahu, hanyalah maksudku hendak mengatur
peraturan tertib surat-suratan dan perkataan bahasa Melayu juga; ibid.: 24.29-31). Therefore,
he returns to the rules for correctly spelling the vowels in Malay, which are dealt with
in the first nine sections of his treatise after the introduction (ibid.: 12-25). The main
problem is that in Jawi script vowels are sometimes marked with and sometimes
without a glide consonant. A word like kepada ‘for’ is spelt correctly <kpd>, but di dalam
‘within’ is spelt <ddʾlam>. According to Raja Ali Haji, people without an education are
confused by this orthography and do not grasp the underlying rules (ibid.: 21). The
main rule, he says, is that in words that are free from ambiguity, there is no need for
any additional letters to indicate the pronunciation: <drpd> is immediately recognized
as daripada ‘from’, so there is no need for clarification. But in words like kota ‘city’, kata
‘word’, kita ‘we [incl.]’, writing the glide <kʾt>, <kwt>, and <kyt> is necessary in order to
distinguish them from each other (ibid.: 23).5
20 It is not clear whether Raja Ali Haji regards Arabic as a superior language. He seems to
believe firmly in the richness of his own language, at least for those who know how to
speak it well. Occasionally, however, he refers to a qualitative difference in the
linguistic inventory, for instance with respect to the negations. After explaining that
the Malay negation tiada is used for both generic and specific negations, he remarks:
Malay is extremely poor compared to Arabic. In Arabic there are two, three, four
different negative particles, each with its own rules (Sangatlah miskinnya bahasa
Melayu ini jika dibangsakan dengan bahasa ʿArab. Adapun pada bahasa ʿArab ḥarf tiada
itu ada dua, tiga, empat jenis, masing-masing dengan hukumnya; ibid.: 35.23-26).
21 Differences between the two languages are noted throughout the Bustān, for instance in
the verbal system. Raja Ali Haji explains that there are three classes of verbs, fiʿl māḍī
(perfect), fiʿl muḍāriʿ (imperfect), and fiʿl ʾamr (imperative). In Arabic, these three
classes have different forms, but in Malay, the same meanings can be expressed by
adding a particle (ibid.: 30.2f.): “As the sign of the fiʿl māḍī telah may be used, e.g. telah
memukul ‘he hit’” ( Adapun tanda fiʿl māḍī itu, boleh ditanggungkan telah seperti telah
memukul). The term tanda is used here as an equivalent of ʿalāma ‘sign, marker’, which
occurs elsewhere. Likewise, the fiʿl muḍāriʿ is expressed by adding lagi akan, e.g. lagi
akan memukul ‘he’ll hit’ (ibid.: 31.7).
22 Another example occurs in the discussion about those particles that govern the
genitive (jarr), where it is stated explicitly that the two languages express the same
meaning with different syntactic means:
When this particle occurs in Arabic, it needs its majrūr [i.e. genitive] which is
governed by it.6 In Malay there is no mention of its majrūr, only of its intention and
its meaning (Jika pada bahasa ʿArab datang ḥarf itu berkehendaklah majrūrnya yang
dikhabarkannya. Jika pada bahasa Melayu tiadalah dibicarakan majrūrnya itu melainkan
kehendaknya dan maknanya jua, adanya; ibid.: 32.12-15).7
23 In the next section, we shall follow the order of the chapters of the Bustān to see how
Raja Ali Haji extends the rules of Arabic grammar to Malay.
dan kedua, fiʿl yakni perbuatan, dan ketiga ḥarf. Maka dikehendak ḥarf di sini ḥarf yang
ada baginya makna; ibid.: 25f.).
25 After having introduced the three parts of speech with their Arabic names and the
Malay equivalent for the noun (nama) and the verb (perbuatan), Raja Ali Haji deals with
each part in a separate section under its Arabic name (ism, ibid.: 26-29; fiʿl, ibid.: 29-32;
ḥarf, ibid.: 32-38). The order of treatment, first the noun, then the verb, follows that of
the ʾAlfiyya, as the ʾĀjurrūmiyya begins with the verb.
26 Within the sections about the noun and the verb, the pattern of the ʾĀjurrūmiyya is
followed more or less closely. For the nouns, the division into indefinite (nakira) and
definite (maʿrifa) nouns9 follows right after the classification of the parts of speech
(ibid.: 26-29). The definite nouns are divided into five categories, ḍamīr (personal
pronoun), ʿalam (proper noun), ʾišāra (demonstrative), mawṣūl (relative), ʾiḍāfa
(annexion), omitting the noun with the definite article, but splitting the category of
mubham (a generic term for demonstrative and relative pronouns) of the ʾĀjurrūmiyya
into demonstratives and relatives.10
27 For the analysis of the verbal forms in Malay, we need to go to the Kitab pengetahuan
bahasa. According to van der Putten (2002: 426), two verbal forms are analyzed by Raja
Ali Haji as nominals: the meN- form, which focuses on the agent, is called ism fāʿil and
translated as orang yang... ‘someone who...’, whereas the di- form, which focuses on the
patient, is called ism mafʿūl and translated as orang yang kena... ‘someone who is affected
by...’. A typical example is found in the lemma ubat (obat) ‘medicine’ (Pengetahuan: 87f.),
with its derived forms (Table 2). The term ism fiʿl is used to indicate the root word ubat,
which can only be used nominally.11 While the explanation of the derived forms does
not impose a nominal interpretation per se, the terminology used in classifying them
does not seem to leave room for any alternative interpretation.
ubat
[explanation of what a medicine is] ism fiʿl
‘medicine’
mengubat “i.e., someone who heals someone” (iaitu orang yang mengubatkan
ism fāʿil
‘to heal’ orang)
diubatkan “i.e. someone who has undergone treatment” (iaitu orang yang kena
ism mafʿūl
‘to be treated’ ubat)
berubat
“i.e., someone who has fallen ill takes a medicine” (iaitu orang yang
‘to take a ḥāl
kena penyakit berubat ia)
medicine’
perubatan
“i.e., people are discussing the act of taking medicine” (iaitu orang yang taʾwīl
‘taking
berkhabar-khabar akan pekerjaan berubat-ubatan) maṣdar
medicine’
ubatan ism
“i.e., some components” (iaitu beberapa juzuk)
‘medicine’ maṣdar
28 Within the category of particles (ḥurūf), Raja Ali Haji distinguishes between the ḥurūf
jarr (prepositions) and those particles that serve to add a meaning to the sentence. The
criterion by which the two categories are distinguished is the category of the Arabic
equivalent of the Malay particle. To the former category belong those particles that
correspond to Arabic particles governing the genitive, such as dengan (Arabic bi- ‘with’,
‘by [in oaths]’, etc.), daripada (Arabic min ‘from’), kepada (Arabic li- ‘for’), seperti (Arabic
ka- ‘as’), etc. To the latter category belong particles used to address someone, like hai,
wai, weh, corresponding to the ḥurūf al-munādāt (vocative particles); melainkan,
introducing exceptions; and tetapi ‘but’, a ḥarf al-istidrāk (Bustān: 34). 12
29 There is yet a third category of particles, discussed by Raja Ali Haji under the label of
ḥarf Melayu ‘Malay particles’ (ibid.: 37.5), apparently because they have no direct Arabic
equivalent. He shows himself to be an acute observer of the fine pragmatic nuances
that some of these particles convey, for instance when he states that the particle amboi
‘gosh!’ may indicate both amazement and disappointment, depending on the intonation
(ibid.: 37.30-34).
30 The next chapter (ibid.: 38f.) introduces the distinction between perkataan ‘speech’ and
kata kata ‘words’, corresponding to that between kalām ‘speech’ and kalima ‘word’ in
Arabic linguistic theory. In the ʾĀjurrūmiyya tradition, the four distinctive features of
kalām are the following (Carter 1981: 8-10): it is a formal utterance (lafẓ), composite
(murakkab), informative (mufīd), and conventional (bi-l-waḍʿ). This excludes, among
other things, speech by someone sleeping, and self-evident statements of the type al-
samāʾu fawqanā ‘the sky is above us’ and al-ʾarḍu taḥtanā ‘the earth is beneath us’. Two
of these criteria are repeated almost verbatim by Raja Ali Haji, who defines perkataan as
“an utterance that conveys useful information” (lafaz yang memberi faedah; ibid.: 38.26f.).
He then gives the Malay translation of the two Arabic sentences quoted above, langit di
atas kita and bumi di bawah kita, and declares that these fall outside the definition of
speech (perkataan), because they do not convey new information. 13
31 In his discussion of syntax, Raja Ali Haji parses Malay sentences in the same way as in
Arabic grammar. A sentence may begin with a noun serving as mubtadaʾ (topic), on
which a ḫabar (predicate) is ‘made to lean’, in other words, ‘which supports a
ḫabar’ (ibid.: 39). The terms for the sentence constituents are introduced with their
Arabic form, but also with a Malay translation, permulaan (mubtadaʾ), berita (ḫabar); the
verb bersandar ‘to lean on’/ disandarkan ‘to be made to lean on’ apparently reflects
Arabic musnad/ʾisnād, which is not used in this text.14 As an example of a nominal
sentence he cites zaydun qāʾimun ‘Zayd is standing’, which is translated as si zaid yang
berdiri, where the relative sentence yang berdiri ‘who is standing’ translates Arabic
qāʾimun.15
32 The rules (hukuman) for the nominal sentence are taken directly from Arabic syntax,
for instance, the restriction that the mubtadaʾ cannot be an indefinite noun. Their
dependence on the rules of Arabic grammar makes some of these restrictions difficult
to understand when applied to Malay. One set of rules concerns the placement of the
predicate, which in principle follows its topic. In some cases, this position is
compulsory. Al-Širbīnī (Nūr: 202-204) mentions three of them: i) when there might be
confusion because both topic and predicate are definite, as in zaydun ʾaḫūka ‘Zayd is
your brother’, unless the context makes clear which is the predicate, as in ʾabū yūsufa
ʾabū ḥanīfata ‘ʾAbū Yūsuf is ʾAbū Ḥanīfa’; ii) when the topic might become confused with
the agent, so that the nominal sentence turns into a verbal sentence, as in qāma zaydun
‘Zayd stood up’; and iii) when the predicate is accompanied by ʾillā or ʾinnamā.
33 All three cases are mentioned by Raja Ali Haji, even though they are hardly valid for
Malay. For the first case, he mentions the sentence si zaid itu saudaramu ‘Zayd is your
friend’ as an example of a sentence in which the predicate needs to be placed last. This
restriction does not apply, he says, when the context indicates the predicate, as in ʾabū
yūsufa ʾabū ḥanīfata ‘ʾAbū Yūsuf is ʾAbū Ḥanīfa’ (Bustān: 41.8f.).
34 The second restriction deals with the relationship between nominal and verbal
sentences:
35 Don’t say telah berdiri si zaid ‘Zayd stood up’! If something like that is said, i.e. telah
berdiri si zaid, it does not fall under the heading of topic/predicate, but under the
heading of verb/agent (Maka jangan dikata telah berdiri si zaid, dan jika dikata juga seperti
itu yaʿni telah berdiri si zaid, maka bukanlah pada bab mubtadaʾ ḫabar ini, tetapi adalah ia
pada bab fiʿl dengan fāʿil; ibid.: 20-23).
36 As for the third restriction, he simply states that in a sentence with hanya sungguhnya
‘only’ or melainkan ‘except’ the predicate always follows ( ibid.: 41.31f.). The rather
unnatural sounding example he cites for this restriction, tiada ada si zaid itu melainkan
yang berdiri ia, probably means something like ‘It is not the case that Zayd is [anything
else] than that he is standing’.
37 The author also deals with the elision of the topic or the predicate (cf. Carter 1981: 204).
One of the cases he mentions is that of the predicate after the Malay equivalent of lawlā
‘if it weren’t for’. The example sentence in Malay, jikalau tiada si zaid binasalah si ʿumar
‘If it weren’t for Zayd, ʿUmar would be lost’ (Bustān: 42.7), looks constructed. This
particular case derives from the commentaries on the ʾAlfiyya (v. 138), for instance by
Ibn ʿAqīl (Šarḥ I: 248; see also Zamaḫšarī, Mufaṣṣal: 14.6f.; Ibn Hišām, Qaṭr: 121).
38 Some of the rules are incomprehensible outside the context of Arabic grammar, for
instance the rule that with a predicate consisting of a single word no pronoun is
expressed. This is explained in the following passage, one of the few instances of an
Arabic grammarian being mentioned by name:
39 In a ḫabar mufrad, such as si zaid saudaramu ‘Zayd is your friend’, the rule of the ḫabar is
not to receive a pronoun, i.e. ia ‘he’. But according to al-Kisāʾī [d. 189/805] and al-
Rummānī [d. 384/994], and a group of others, a pronoun must be understood here, as
when you say si zaid saudaramu yaʿni ia ‘Zayd is your friend’, i.e. ‘he’ (adapun misal ḫabar
yang mufrad itu ‘si zaid saudaramu’ adalah hukum ḫabar ini tiadalah diberi ḍamīr yakni ‘ia’;
akan tetapi pada Syeikh Kisaʾi dan Syeikh Rumani dan beberapa jamāʿah, harus ditanggungkan
ḍamīr, seperti katamu ‘si zaid saudaramu’ yaʿni ‘ia’; Bustān: 40).
40 The issue concerning the presence of a pronoun in a nominal sentence, which is
irrelevant for Malay, derives from a well-known controversy in Arabic grammar (see
Ibn al-ʾAnbārī, ʾInṣāf: 30f.) about the question of whether a single noun as ḫabar in a
sentence like ʿamr ġulāmuka ‘ʿAmr is your slave’ contains a pronoun referring to the
mubtadaʾ. According to the Kufans (i.e. al-Kisāʾī) and al-Rummānī, this predicate
contains a pronoun, since it is equivalent to a participle ḫādimuka ‘your servant [lit.
your serving one]’, which according to all grammarians contains a pronoun. This
particular statement probably derives from the commentaries on the ʾAlfiyya: Ibn ʿAqīl
(Šarḥ I: 205) mentions the opinion of al-Kisāʾī wa-l-Rummānī wa-jamāʿa, which is similar
to the passage in the Bustān.
41 After the topic/predicate, our text discusses the agent (fāʿil) and the verb (fiʿl), which is
the order of treatment in the ʾAlfiyya, though not in the ʾĀjurrūmiyya. 16 Nothing much is
said about this sentence type, but mention is made of the fact that the agent may be
overt (ẓāhir) or hidden (tersembunyi); the latter term translates Arabic muḍmar. This is
followed by brief sections on the different types of object (mafʿūl): mafʿūl bihi, mafʿūl
muṭlaq, mafʿūl lahu, mafʿūl fīhi, and mafʿūl maʿahu, followed by other accusative
constructions, ḥāl, tamyīz. In general, the order of treatment of these sections follows
that of the ʾĀjurrūmiyya in putting the direct object first, followed by the mafʿūl muṭlaq,
whereas the ʾAlfiyya tradition starts with the verbal noun. Note that our author uses
mafʿūl muṭlaq instead of maṣdar; the latter is the term used by Ibn ʾĀjurrūm, for which
he is criticized by al-Širbīnī (Carter 1981: 344; cf. Kasher 2019: 206). Raja Ali Haji also
uses mafʿūl fīhi where the ʾĀjurrūmiyya has ẓarf; this is mentioned as an alternative term
by the commentators (ʾAzharī, Šarḥ: 100.6; Kafrāwī, Šarḥ: 261.5; Širbīnī, Nūr: 352).
42 In the ʾĀjurrūmiyya tradition, the next sections deal with the tawābiʿ, satellite
constituents that derive their case ending from the word they follow, i.e. attribute
(naʿt), corroboration (taʾkīd), coordination (ʿaṭf), and apposition (badal). The author of
the Bustān leaves out coordination and deals with the adjective ( ṣifa) at the end.
Concerning taʾkīd, he repeats almost literally the explanation in Daḥlān’s commentary
(Šarḥ: 428-429; absent in al-Širbīnī): corroboration is needed to discard any ambiguity.
When you say ‘Zayd came’, someone might assume that a letter or a messenger from
him has arrived, but this possibility vanishes when you add nafsuhu/dirinya ‘himself’
(Bustān: 45).
43 The section on badal (ibid.: 45f.) follows the ʾĀjurrūmiyya and its commentaries (Širbīnī,
Nūr: 312ff., 318-320) closely. Four kinds of substitution are mentioned:
i. badal al-kull min al-kull: this is not the term used in the ʾĀjurrūmiyya, which has badal al-šayʾ
min al-šayʾ:17 lalu aku dengan saudara engkau si zaid ‘I passed your friend, Zayd’, Arabic jāʾa
zaydun ʾaḫūka ‘Zayd came, your brother’.
ii. badal al-baʿḍ min al-kull: makan aku roti sepertiganya ‘I ate the bread, one third of it’, Arabic
ʾakaltu l-raġīfa ṯulṯahu.
iii. badal al-ištimāl: telah mencengangkan daku si zaid ilmunya ‘I was amazed by Zayd, by his
knowledge’, Arabic ʾaʿjabanī zaydun ʿilmuhu.
iv. badal al-ġalaṭ: aku lihat akan laki akan ḥimār ‘I saw a man, a donkey’, Arabic raʾaytu zaydan al-
farasa ‘I saw Zayd, the horse’.
44 The section on ṣifa ( Bustān: 46) contains a succinct description of the adjective’s
function, not found in the commentaries on the ʾĀjurrūmiyya. According to Raja Ali
Haji, the adjective has five different roles: it serves to specify (taḫṣīṣ), to praise, to
blame, to express commiseration, and to confirm. This last role is illustrated with Q.
69/13 “and when the trump will be blown once” (fa-ʾiḏā nufiḫa fī l-ṣūri nafḫatun
wāḥidatun), translated into Malay as maka apabila ditiuplah pada sangkakala dengan tiup
yang satu.18 Presumably, Raja Ali Haji has taken over from an Arabic commentary a
remark about wāḥidatun emphasizing the singular of the masdar and applied it to the
Malay translation, where the numeral does not have this function.
4 Conclusion
47 In compiling his grammar of Malay, Raja Ali Haji followed the model of the grammatical
literature in which he was raised. It is hard to ascertain exactly which treatises were his
main authority, but it seems that he mostly followed the ʾĀjurrūmiyya tradition,
although he borrowed rules and remarks from other commentaries as well. In a fair
number of cases, the grammatical rules and examples cited in the Bustān are irrelevant
for the structure of Malay. His desire to find Malay analogues for Arabic constructions
is evident, even to the point where he constructs Malay sentences rather than deriving
them from living speech. The Malay practice of learning Arabic texts by heart together
with a Malay translation may have increased the acceptability of “translationese”, and
may even have led to the introduction of new constructions into the language in much
the same way as European languages introduced constructions taken over by Latin,
often on the basis of Bible translations from Latin or Hebrew.
48 With respect to lexicography, Raja Ali Haji himself noted the difference between his
own approach and that of the Western scholars with whom he was in contact, as van
der Putten (1995) reports. Presumably, he felt that his own discursive approach was
more in line with the Arabic dictionaries, which he believed to be better suited to the
Islamic language that was Malay.
49 Since Raja Ali Haji was a pioneer in writing about Malay grammar in Malay, the
creation of a technical lexicon must in large part be attributed to him, although some
Malay terminology in Qurʾānic exegesis and Arabic grammar was available. He provides
Malay equivalents for a considerable number of Arabic grammatical terms in the form
of loan translations, and in some cases even replaces an Arabic term with a Malay one,
for instance in the ʾisnād terminology. As the text is written in Jawi, it is not always
possible to see whether an Arabic term is used in the original form or as an integrated
loanword. The written word lafẓ, for instance, was probably pronounced lafaz, and fiʿl
was pronounced fiʾil. The integration of Arabic loanwords is evident in a number of
derivations, such as disifatkan ‘to be described’ (Bustān: 42.25) or dikhabarkan ‘to be
predicated’ (ibid.: 32.13).20
50 Raja Ali Haji’s work remained a relatively isolated attempt at describing Malay within
an Arabic framework. Even though he is still revered as a hero of the Malay language, 21
modern grammars follow a different framework, that of Western linguistics, as in
Moeliono and Dardjowidjojo’s (1988) standard grammar, which has traces of Arabic
grammatical terminology, but almost always opts for the Western terminology.
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NOTES
1. I wish to thank David Bertaina (University of Illinois Springfield) for kindly sending me a copy
of his article on Elias of Nisibis, and Jan van der Putten (Universität Hamburg) for his help in
obtaining some of the Indonesian material. Thanks are also due to an anonymous reviewer for
some corrections and a useful reference to the Kāfiya as a possible source.
2. See Kridalaksana (1991); Kaptein (2000); Hidayatullah (2012); Mustari (1998). In quotations
from the Bustān, I use, with slight changes in the transliteration of the Arabic words, the
transliterated edition by Hashim bin Musa (2005), which also contains a facsimile of the Leiden
ms. Kl 107. The manuscript used by van Ronkel (1901) for his Dutch translation of the text, Leiden
no. 218, is identical to the lithograph edition of Pulau Penyengat (Riau) [1851], but it has one
additional paragraph about separate writing of words and one about ʾiʿrāb; both are missing in
the other manuscripts (see van Ronkel (1901): 533 & 550).
3. In the East Indies, the most popular commentaries on the ʾĀjurrūmiyya were those by al-
ʾAzharī (d. 905/1499), al-Kafrāwī (d. 1207/1787), and ʾAḥmad ibn Zaynī Daḥlān (d. 1304/1886), a
contemporary Meccan scholar (van Bruinessen 1990). I do not know whether al-Širbīnī’s
(d. 977/1569) extensive commentary Nūr al-sajiyya was used in Southeast Asia. An important
commentary on the ʾAlfiyya is that by Ibn ʿAqīl (d. 769/1367). Another popular treatise was Qaṭr
al-nadā wa-ball al-ṣadā with autocommentary by Ibn Hišām (d. 761/1360).
4. This definition is almost identical with the one in the ʾĀjurrūmiyya (Carter 1981: 34), which has
taġyīr ʾaḥwāl ʾawāḫir al-kalām.
5. The discussion is complicated by Raja Ali Haji’s use of technical terms, for instance when he
states that it is sometimes obligatory “to use ʾiʿrāb with a letter” (wajib diiʾrabkan dengan huruf;
Bustān: 23.21) in cases like kumbang ‘bumblebee’ <kwmbŋ> and kambing ‘goat’ <kmbyŋ>. He seems
to suggest that there are two ways of indicating vowels (mengiʾrabkan), with baris and with huruf,
but the text is not very clear.
6. It is not clear to me why dikhabarkannya ‘to be predicated by it’ is used here; presumably, he
means that the particle is the operator of the majrūr.
7. As an example, the author refers to the famous issue of ʾakaltu l-samaka ḥattā raʾs-i/a/u-hu ‘I
ate the fish without/with/with its head’, but without quoting the Arabic sentence (Bustān: 33; van
Ronkel 1901: 551). Here, too, the problem of ambiguity exists in both languages, but they have
different tools to solve them: while Arabic has declensional endings, Malay uses particles
(Versteegh 2019).
8. This expression refers to the description right at the beginning of Sībawayhi’s Kitāb where the
term ḥarf is specified as ḥarf jāʾa li-maʿnā ‘particle that brings a meaning’, presumably in order to
distinguish it from ḥarf in the sense of ‘letter’.
9. In the ʾĀjurrūmiyya, this is dealt with in the chapter on the naʿt.
10. The later commentaries (Kafrāwī, Šarḥ: 209; Širbīnī, Nūr: 266) take Ibn ʾĀjurrūm to task for
having omitted the relatives.
11. Elsewhere Raja Ali Haji uses ism fiʿl in the sense of ‘interjection’ (Bustān: 28).
12. In the case of melainkan ‘except’, a distinction is made between the positive and the negative
exception. In Arabic, this distinction has a function since it determines the case ending in the
excepted noun after ʾillā, whereas in Malay it does not.
13. According to al-Kafrāwī (Šarḥ, p. 13) ‘conventional’ (bi-l-waḍʿ) excludes foreign languages
from the definition of “speech”, so this is not the most appropriate criterion to be used in a
grammar of Malay. The shorter form of the definition in the Bustān corresponds to the one in
Ibn Hišām (Qaṭr: 54) “speech is a meaningful utterance” (al-kalām lafẓ mufīd).
14. Note that bersandar and disandarkan are also used as translation for ʾiḍāfa (Bustān: 47.2).
15. For the interpretation of berdiri as a relative sentence, see above.
16. In his commentary on the ʾĀjurrūmiyya, al-Širbīnī (Nūr: 150ff.) mentions the alternative
sequence of starting with the topic, which he attributes to Ibn Mālik and Ibn Hišām.
17. Al-Širbīnī mentions the former, but states that it is less appropriate; it is mentioned as an
alternative name by Daḥlān (Šarḥ: 437.1) and al-Kafrāwī (Šarḥ: 232.15). Ibn Hišām (Qaṭr: 288) has
badal kull min kull.
18. These categories of adjectives are mentioned by al-Zamaḫšarī (Mufaṣṣal: 46), who also quotes
the Qurʾānic verse as an example of an adjective used for the purpose of taʾkīd. The same
categories are distinguished by Ibn Hišām (Qaṭr: 267), who cites the same example for the
function of taʾkīd and adds a sixth function, that of clarification (tawḍīḥ). Ibn al-Ḥājib (Kāfiya:
115f.) leaves out commiseration, replacing it with tawḍīḥ.
19. The third type is mentioned also by some of the commentators on the ʾĀjurrūmiyya (ʾAzharī,
Šarḥ: 125; Širbīnī, Nūr: 458-460; Kafrāwī, Šarḥ: 313), who attribute it to Ibn Mālik, but without
quoting any example. It is mentioned indeed in the commentaries on Ibn Mālik’s ʾAlfiyya (v. 386),
for instance by Ibn ʿAqīl (Šarḥ II: 43), and by Ibn Hišām (Qaṭr: 237). The ʾAlfiyya tradition discusses
the ʾiḍāfa construction before the satellite constructions, rather than after them.
20. The number of derivates is relatively low compared to the general lexicon and the
specialized lexicon of Qurʾānic exegesis (Riddell 1990: 245-250), possibly because Raja Ali Haji
seems to prefer loan translations over loanwords.
21. A memorial sign in Tanjung Pinang on the island of Riau calls him “The father of Malay/
Indonesian, an intellectual of the beginning of the twentieth century” (Bapak bahasa Melayu-
Indonesia budayawan di gerbang abad XX); see e.g. http://liputankepri.com/catatan-sejarah-pulau-
penyengat-tanjungpinang (downloaded 30.07.2018).
ABSTRACTS
Throughout history, a number of languages have achieved the status of learned language, i.e., a
language included in the curriculum of an educational system without yielding any
communicational benefits. In large parts of the Islamic world, Arabic was (and still is) such a
learned language. Acquisition of the learned language took place through the memorization of
texts, with instruction and/or translation in vernacular languages. The vernacular languages
themselves were not deemed to be in need of grammatical description, which explains why
grammars for them were late to be developed. The present paper focuses on Malay, the lingua
franca of choice in Southeast Asia for both Muslim missionaries and British and Dutch colonial
administrators, while serving as the auxiliary language in the Islamic curriculum. The first
grammars of Malay were published by the British and Dutch. Malay grammars written by native
speakers did not make their appearance until the nineteenth century. Their main representative
is Raja Ali Haji (d. probably 1873). In his Bustān al-kātibīn, he used the grammatical framework of
Arabic grammar for a grammatical sketch of Malay, using in part the Malay terminology that had
been developed in traditional education for the study of Arabic grammar and Qurʾānic exegesis.
À travers les siècles certaines langues ont fonctionné comme des langues savantes, c’est-à-dire
des langues enseignées dans les écoles pour leur valeur culturelle intrinsèque, mais sans pour
autant constituer une langue de communication. Dans le monde islamique, l’arabe a longtemps
servi comme langue savante, dont l’acquisition se faisait sous la forme de mémorisation de textes
joints à leur traduction dans la langue vernaculaire, qui servait comme langue d’instruction dans
les écoles. Dans le présent article, nous prenons comme point de départ la position de l’arabe en
Asie du Sud-Est, où le malais, tout en fonctionnant comme langue d’instruction dans les écoles,
fut choisi par l’administration coloniale comme langue intermédiaire dans sa communication
avec la population indigène. Par conséquent, ce furent les Anglais et les Néerlandais qui
publièrent les premières grammaires de cette langue vernaculaire, composées dans le cadre de la
linguistique européenne. Les premières descriptions du malais fondées sur un modèle
linguistique arabe n’apparurent qu’à la fin du XIXe siècle. Le représentant principal de cette
tradition linguistique est Raja Ali Haji (m. probablement en 1873). Dans son traité Bustān al-
kātibīn, il emprunta le modèle de la tradition grammaticale arabe afin de composer une esquisse
de la structure du malais, dans laquelle il se servait en partie de la terminologie grammaticale
malaise qui avait été développée dans le système scolaire traditionnel pour l’étude de la
grammaire arabe et l’exégèse coranique.
INDEX
Keywords: ʾĀjurrūmiyya, Arabic grammatical tradition, extended grammar, grammar,
Indonesia, learned language, loan translation, loanwords, Malay, Malaysia, Raja Ali Haji,
terminology
Mots-clés: ʾĀjurrūmiyya, calque, emprunt lexical, grammaire, grammaire étendue, Indonésie,
langue savante, malais, Malaisie, Raja Ali Haji, terminologie, tradition grammaticale arabe
AUTHOR
KEES VERSTEEGH
Radboud Universiteit, Nijmegen, The Netherlands
Introduction
1 Au tournant du XIe siècle, l’on assiste à une véritable révolution de la grammaire
hébraïque. Abu Zakariyya Yaḥya ibn Dawud, connu sous le nom de Judah Ḥayyuj (Fez,
950 – Cordoue, ca 1000), emprunte à la tradition arabe la notion de trilitéralité des
racines. Pour la mettre en œuvre, il doit faire preuve d’une grande créativité, en raison
du comportement des consonnes faibles. Il est, en effet, le premier à noter qu’elles
peuvent ne pas être visibles dans certaines formes verbales, tout en restant présentes
dans la forme théorique de base. Il reste, cependant, une difficulté majeure pour les
apprenants : comment identifier la racine d’une forme nominale ou verbale complexe ?
Dans un chapitre original de sa grammaire, le Maʿaseh efod 1, Profiat Duran (Perpignan,
< 1360 – Catalogne, ca 1414) propose des techniques didactiques d’identification,
systématiquement reprises dès la Renaissance par les humanistes chrétiens et ce,
jusqu’au XIXe siècle.
que réside l’originalité de son analyse car si la trilitéralité de la racine est fortement
influencée par la tradition grammaticale arabe4, Ḥayyuj a dû faire preuve d’une grande
créativité pour l’adapter à la morphologie hébraïque. Rappelons qu’en arabe, les trois
radicales sont presque toujours apparentes et relativement aisées à retrouver quand
elles ne le sont pas, ce qui n’est pas le cas en hébreu.
3 Jusque-là, les écoles linguistiques partageaient une conception minimaliste de la racine.
C’était, pour elles, un lexème/sémantème composé des consonnes qui restaient visibles
dans les différentes formes verbales ; on avait ainsi des racines à 1, 2 ou 3 consonnes. Le
traité grammatical, Maḥberet, de Menaḥem ben Saruq (Tortose ca 910 – Cordoue ca 970)
reflète cette conception de la racine5 tout en l’organisant selon l’ordre alphabétique.
4 Avant que la trilitéralité des racines ne soit établie, les exégètes qui éprouvaient
quelques difficultés à identifier les racines de certains mots usaient de subterfuge pour
en indiquer le sens. C’est notamment le cas du célèbre Salomon ben Isaac, dit Rashi
(1040-1105), qui renvoyait fréquemment à la traduction araméenne accompagnant
traditionnellement le texte biblique dans les manuscrits ashkénazes, quand il ne
parvenait pas à discerner la racine d’une forme verbale et souhaitait néanmoins
l’expliciter. Rashi commente ainsi le mot wa-yyåronnū (Lv 9,24), également analysé par
Ḥayyuj, kə-targumo « comme le Targum d’Onqelos [l’a traduit] », qui renvoie à
l’araméen wə-šabbåḥū, « ils louèrent ». De fait, le Targum traduit toutes les occurrences
de la racine hébraïque RNN par des formes équivalentes de la racine ŠBḤ, une
indication qui a assurément échappé à Rashi. S’il avait pu parcourir l’ensemble de la
Bible, avec en vis-à-vis la version du Targum, il aurait été en mesure de rapprocher
cette forme verbale d’un autre mot de la même racine.
5 C’est en examinant les formes verbales irrégulières que Ḥayyuj a réussi à établir que la
forme phonologique (morpho-phonétique) de base peut être altérée lors de la
dérivation. Ce phénomène avait induit en erreur ses prédécesseurs qui avaient
considéré qu’il pouvait exister des racines biconsonantiques, voire même
monoconsonantiques. Dans un second temps, le grammairien a décrit le comportement
des consonnes faibles de l’hébreu et a noté que les lettres alef, he, waw et yod ont un
statut particulier : elles peuvent ne pas être prononcées, se substituer les unes aux
autres, être supprimées ou assimilées. La lettre devient ainsi « נעלםנחune [lettre]
quiescente cachée (sākin layyin) », qui peut disparaître graphiquement tout en faisant
partie de la racine. Il convient, dès lors, d’être attentif aux variations vocaliques,
notamment l’allongement de la voyelle précédente, qui peut constituer une trace de
leur existence et à la présence de dageš compensatoire. Ḥayyuj a ensuite exposé
quelques règles générales permettant l’identification des racines :
[…] et yissoḇ (Gn 42,24) yåḥom (Is 44,16) et autres formes semblables ressemblent à
yåšūḇ (Lv 13,16) et yåqūm (Ex 21,19) et autres formes sœurs, et on peut les confondre
[…] et en retrouvant pour chacun des deux types le sens primordial et la racine, on
comprend la différence. De plus, les unes sont marquées d’un dageš et la lettre
géminée est visible en ce qu’elle est absorbée par la seconde puisqu’on dit wa-
yyåsobbū (Jos 6,14), wa-yyåronnū (Lv 9,24). Les autres sont marquées d’un rafeh [trait
suscrit qui marque la prononciation fricative de certaines consonnes, en quelque
sorte le contraire du dageš] puisqu’aucune lettre n’a été absorbée et les waw que
[ces formes verbales] contiennent correspondent à la deuxième consonne de la
racine, comme wa-yyåqūmū (Gn 24,54), wa-yyåšuḇū (Jg 8,33). Ainsi, tu comprendras
que si ces formes sont marquées d’un dageš6 lorsqu’on ajoute d’autres lettres
(suffixes), il s’agit d’un verbe géminé comme wa-yyåsobbū, wa-yyåronnū (Lv 9,24) et
wə-hinneh təsubbēnåh (Gn 37,7). Et s’il y a un rafeh, il s’agit d’un verbe dont la
deuxième radicale est faible, comme wa-yyåqūmū (Gn 24,54), wa-yyåšūḇū (Jg 8,33) et
tåšoḇnåh (I S 7,14)7.
6 C’est à ces méthodes permettant d’identifier les racines comportant des consonnes
faibles que nous allons nous intéresser, et à leur devenir dans les ouvrages postérieurs.
Peu de grammaires hébraïques en contiennent alors qu’elles figurent dans un nombre
non négligeable de grammaires latines de l’hébreu.
2. Pour identifier les racines, il convient « d’examiner toutes les formes existantes
[dans le texte biblique] pour tenter de trouver une preuve de la racine ».
3. « Il faut être attentif à la présence ou l’absence de dageš, s’il ne s’agit pas d’un
verbe régulier qu’il est facile d’appréhender, comme nous le verrons. Si l’on repère
un dageš, même s’il n’est pas présent à toutes les formes, on doit en déduire que l’on
a affaire à une racine géminée ». Il signale ensuite que Ḥayyuj avait déjà indiqué ce
4. « Le quatrième moyen est de s’aider de la vocalisation pour une partie des cas,
puisqu’à l’accompli, seule la voyelle notée sous la lettre initiale de la racine permet,
au paʿal, de faire la différence entre les verbes ʿayin-waw [verbes dont la deuxième
radicale est un waw] et les géminés : un qameṣ pour compenser la lettre faible
disparue [verbes ʿayin waw] et un pataḥ pour les verbes géminés ».
6. « Et la sixième façon concerne les racines des noms dont on ne sait comment ils
fonctionnent et varient dans le texte biblique mais s’il se trouve un verbe
dénominatif et selon ce que l’on trouvera concernant le verbe, on en établira la
racine du nom […] De même pour dåg ‘poisson’, étant donné que l’on a wə-yidggū lå-
roḇ, ‘qu’ils foisonnent abondamment’ (Gn 48 : 16), nous comprenons qu’il a une
troisième consonne faible et non une deuxième comme l’ont cru certains […] Et
certains noms nous renseignent sur d’autres […] et nous avons statué, [concernant
la racine], pour ḥåron par analogie avec gåron17 ».
7. « Et la septième façon, [c’est d’] examiner les noms et les verbes avec [des formes]
bibliques semblables qui te semblent plus évidentes et cela te permettra d’identifier
la racine cachée mais il faut se garder de toute erreur : il peut souvent arriver que
tu voies deux mots dont le schème se ressemble et que tu veuilles substituer les
racines [de façon erronée] ».
Dans les noms [ayant une racine] quiescente, comme מקֹום ָ måqom ‘lieu’, מאוֹר
ָ måʾor
‘luminaire’, une fois enlevé le mem אוֹרaccidentel, il reste les lettres radicales []מ
שׁו ּבָהEt dans .קֹום,šūḇåh et צו ּר ָהṣūråh, une fois enlevé le signe hedu féminin, il []ה
reste les lettres radicales שׁו ּבŠWḆ, צו ּרṢWR. Et dans מרו ּצ ָה ְ mərūṣåh ‘course’,
משׁו ּבָה
ְ məšūḇåh ‘conversion’, une fois enlevés les mem et [ ]מheaccidentels, il []ה
reste les lettres radicales רו ּץRWṢ, שׁו ּבŠWḆ. Parfois en revanche, dans les mots
quiescents, les trois lettres radicales ne sont pas visibles en acte, comme dans
l’exemple précédent, mais en puissance des « voyelles royales », qui ont en
puissance les lettres quiescentes, comme sont les voyelles camés, séri, chiric, suivies
d’un yod, cholem. Comme ז ָדֹוןzådon ‘la superbe’, une fois enlevées les lettres
accidentelles vau et [ ]וnun ז ָדil reste ,[ ]נzåd et en puissance le camés est vauEt .[]ו
ainsi זו ּדZWD est la racine. Et dans ז ֵדוֹןzedon ‘superbe’, une fois enlevés
pareillement vau et [ ]וnun ז ֵדil reste ,[ ]נzed et le séri est vauen puissance et ainsi []ו
la racine est זו ּדZWD32 [...] 33 Et dans הנ ָפ ָה ֲ hănåp̄åh ‘tamisage’, une fois enlevés les
deux he נ ָףaccidentels, il reste [ ]הnåp̄. Et le camés est le vauen puissance et ainsi []ו
la racine est נו ּףNWP̄. Et dans או ָה ֲ ַת
ּ taʾăwåh ‘désir’ et תְעָל ָה
ּ təʿålåh ‘santé 34’, une
fois enlevé le tauʿåLåH. Et על ָה ָ ʾåWåH et או ָה ָ accidentel, il reste les radicaux []ת
dans תַבְניִ ת
ּ taḇnit ‘modèle’, תַכ ְל ִית ּ taḵlit ‘achèvement’, une fois enlevés les deux
lettres tau et [ ]תiod de la voyelle royale dans laquelle [ ]יheest en puissance, il []ה
reste les racines בָ ּנ ָהḆåNåH et כ ָ ּל ָהKåLåH.
Dans les noms [ayant une racine] défective où il manque généralement le nunou []נ
le iod que le [ ]יdaghés ou une voyelle royale supplée, comme dans שֹור ּ מ
ַ massor ‘scie’,
ַמב ּו ּע
ַ mabbūʿa ‘source’, une fois enlevé le mem accidentel et mis le [ ]מnunqui ,[]נ
est dans le dagés en puissance, les lettres radicales seront שר ַֹ ָ נNåSaR et נ ָבַעNåḆaʿ.
Et dans תָנ ָה ּ מ
ַ mattånåh ‘présent’, טר ָה ָּ מ
ַ mattåråh ‘garde’, une fois enlevées les
lettres mem et [ ]מhe accidentelles, et mis le [ ]הnun qui est dans le ,[ ]נdagés en
puissance, les lettres radicales seront נ ָתַןNåTaN et טר ַ ָ נNåTaR. Et dans מֹושָׁבmošåḇ
‘enceinte’, ׁ מוֹר ָשmoråš ‘possession’, une fois enlevées les lettres mem et [ ]מvau[]ו
[accidentelles], et mis le iod qui est en puissance dans le [ ]יcholemles lettres ,[ֹ]ו
radicales sont שב ַ ָ יYåŠaḆ et י ָר ַשYåRaŠ. Et dans חהָ ֵ תֹוכ
ּ toḵeḥåh ‘remontrance’, une
fois enlevées les lettres accidentelles tau et [ ]תhe et mis le ,[ ]הiodqui est dans le ,[]י
cholem שֵׁנ ָהYåḴaḤ. Et dans י ָכ ַחen puissance, les lettres radicales sont [ ]ֹוšenåh
‘sommeil’, ֵד ּעָהdeʿåh ‘science’, une fois mis le iod qui est en puissance dans le [ ]יséri
et enlevé le signe du féminin he YåDaʿ et י ַָדעles lettres radicales sont ,[שן ]ה ַ ָ יYåŠaN.
Dans les géminés parfaits, en revanche, c’est-à-dire dans ceux qui ont trois lettres
radicales, il n’y a pas de possibilité de se tromper. Dans les autres verbes, il faut
considérer que le daghés, qui supplée, fait fonction de vicaire des lettres défectives,
comme dans מג ִל ָ ּה
ְ məgillåh ‘rouleau’, חל ָ ּה
ִ ְת
ּ təḥillåh35 ‘commencement’ », une fois
enlevées les lettres mem ou [ ]מtau et [ ]תhequi sont des lettres accidentelles, et ,[]ה
mis le lamed qui est en puissance dans le [ ]לdaghés, il reste les radicales ג ָל ַלGåLaL
et חל ַל
ָ ḤåLaL. Et dans מה ָּ ִ זzimmåh ‘dessein’, תָהּ ח
ִ ḥittåh ‘peur’, une fois enlevé le
signe he du féminin et mis le [ ]הtau et le [ ]תmemqui sont en puissance dans le []מ
daghés, les lettres radicales sont חתַת ָ ḤåTaT et מם ַ ָ זZåMaM. Et dans עֹזʿoz ‘force’,
חםֹ ḥom ‘chaleur’, une fois mis le [deuxième] zain et le [deuxième] [ ]זmemqui []מ
sont en puissance dans le cholem, les radicales sont ַ עָזזʿåZaZ et מם ַ ח
ָ ḤåMaM.
14 Ce long développement très didactique, qui ne figurait pas dans la grammaire de
Profiat Duran, ne peut être dissocié des deux listes de noms qu’a insérées Pagnini en
prologue au Thesaurus36 qui est, on le sait, une adaptation du Sefer ha-shorashim ou
Dictionnaire des racines de David Qimḥi : une première (3r‑4v) où figurent les substantifs
ordonnés en fonction des préformantes – האמנתיhe, alef, mem, nun, taw, yod – et une
seconde (5r‑5v), rangée selon l’ordre alphabétique, faisant apparaître les racines des
substantifs « défectifs [noms auxquels manquent une consonne de la racine sans
compensation], quiescents [noms comportant une consonne quiescente cachée] et
géminés ». Seul, le dernier paragraphe de ce chapitre 4 reprend fidèlement le point 6
du Efod, que nous avons résumé plus haut37.
De plus, s’il y a [dans la Bible] un verbe dénominatif, tu pourras juger du nom à
partir de ce verbe. Nous disons que ׁ עָשʿåš ‘vers’ est géminé, car nous trouvons dans
le Psaume 31:2138, « Et mes osּ שו ׁ ש
ַׁ ע
ָ ʿåšašū disparaissent ». Quant à ָד ּגdåg ‘poisson’,
nous disons qu’il dérive de ָד ּג ָהDåGåH non seulement parce que dans le pluriel, il
n’y a pas de daghés [ce qui aurait été l’indice d’une racine géminée], mais aussi parce
que nous trouvons en Genèse 48:16, ּ ו ְיְִדג ּוwə-yidggū ‘qu’ils foisonnent
abondamment’. Et חרֹון ָ ḥåron ‘la colère’, nous disons que le mot dérive du verbe
ḤåRåH ; et חר ָה ָ teḇelBåLaL ; et בָ ּל ַלmonde’, nous disons qu’il vient de‘ תֵבֵל ּ
məgeråh פ ָה
ּ ח
ֻ GåRaR ; et ג ָ ּר ַרscie’ de‘ מג ֵר ָה
ְ ḥuppåh ‘dais nuptial’, non seulement en
raison du daghés mais aussi parce qu’on trouve [dans la Bible] חפ ַף ָ ḤåP̄aP̄, nous
considérons qu’il fait partie des géminés. Les dissyllabiques avec daghés prouvent
que les monosyllabiques dérivent des géminés, פ ַת ּ pat ‘morceau’ et קל ַ qal ‘léger’
dérivent de תִים
ּ ִפ
ּ pittīm39 ‘morceaux’ et קל ִ ּים ַ qallīm ‘légers’ (point 6)40.
15 Le chapitre 5 est entièrement consacré aux verbes. L’auteur commence par traiter des
verbes parfaits ou réguliers, verborum perfectorum, ceux qui gardent les trois consonnes
de la racine à toutes les formes :
Découvrir les racines de verbes parfaits, qui ont toujours trois lettres radicales ne
pose pas de difficulté quel que soit le binián. Une fois enlevées les lettres
accidentelles, comme celles qui constituent les personnes, par exemple, ou les
genres, ou les nombres, ou les modes, ou bien celles qui sont formatives des
conjugaisons, il reste les radicales, qu’il est facile de voir dans les cas singuliers des
binianím, c’est-à-dire les conjugaisons, mentionnés plus haut. Cependant, plus
précisément, dans les verbes parfaits de première et seconde conjugaison, dans la
troisième personne du masculin accompli, qui n’a aucune lettre accidentelle, se
trouve la racine de toutes les formes qui dérivent d’elle, dont les personnes, le
genre, le nombre et le mode. Et ainsi dans les verbes dont la première lettre est le
iod quiescent : ou la dernière qui est ,[ ]יalef ou [ ]אheune fois trouvé l’accompli ,[]ה
dont on a parlé, ou même l’impératif, outre le radical, ils n’ont pas de lettres
serviles : comme פ ָנ ָה ּ pånåh ‘il se tourna’, פ ְנ ֵה
ּ pəneh ‘tourne-toi’, une fois que l’on a
trouvé, on en juge que la racine de ו ַי ִ ּפ ֶןwa-yyip̄ɛn ‘il se tourna’ est פ ָנ ָה ּ PåNåH. Et de
même, ו ַי ֵ ּר ֶדwa-yyerɛd ‘il descendit’ de י ָר ַדYåRaD ; et ו ַי ִ ּצ ֶרwa-yyiṣɛr ‘ il forma’, de
YåṢaR ; י ָצ ַרet ו ַי ַ ּר ְאwa-yyarʾ ‘il vit’, de אה
ָ ָ רRåʾåH ; et ש ַ ּ ַ ו ַיwa-yyaʿas ‘il fit’, de שה
ֹ ע ָֹ ָע
ʿåSåH, et de même pour les autres (point 1).
Mais dans les verbes dont la deuxième [lettre] est un vauquiescent, nous en ,[]ו
jugerons à partir du maqor ou du futur : dans ceux qui ont un וquiescent, à
l’accompli ou au participe, dans ceux-là, le vauest seulement en puissance dans []ו
la voyelle royale camés. Comme ל ָקו ּםlå-qūm ‘se lever’, et ל ָשׁו ּבlå-šūḇ ‘revenir’. Ou
אקו ּם
ָ åqūm ‘je me lèverai’, שו ּב
ׁ א
ָ åšūḇ ‘je reviendrai’, nous déduisons que קם ָ qåm ‘il
se leva’, שָׁבšåḇ ‘il est retourné’, קם
ָ qåm ‘se levant’, מיםִ ק
ָ qåmīm ‘se levant (pl.)’, שָׁב
šåḇ ‘revenant’ et שָׁבִיםšåḇīm ‘revenant (pl.)’, viennent de קו ּםQWM et שו ּב ׁ ŠWḆ
(point 2).
Il y a une autre façon d’identifier les verbes et les noms communs, nous devons
faire l’effort de ne pas ignorer la signification des verbes et des noms. En effet (par
exemple), que נ ָז ַדnåzad est ‘il cuisinait’, nous pouvons immédiatement déduire que
ו ַיזָ ּ ֶדwa-yyåzɛd est ‘Jacob cuisina’ (Gn 25:29), à partir du verbe mentionné
précédemment. De même, si l’on sait que אֹז ֶןʾozɛn signifie ‘oreilles’ et le verbe
dénominatif, ‘percevoir avec les oreilles’, ou ‘incliner les oreilles’, nous comprenons
le verset Pv 17:4, « le menteur מז ִין ֵ mezīn (bien que le alef soit manquant) incline
l’oreille vers la langue pernicieuse (dangereuse) » : on le déduit de אֹז ֶןʾozɛn et la
forme régulière est אז ִין ֲ מ
ַ maʾazīn. Parce que nous savons que תוֹפ ֵפוֹת
ּ top̄ep̄ot signifie
‘jouant du tambourin’, nous comprenons que תֹוף ּ top̄, ‘tambourin’, vient de תָפ ַף ּ
tåp̄ap̄. Et nous pourrons de même discerner facilement les autres cas (point 5).
Il y a aussi une autre manière de reconnaître les [noms] communs, c’est-à-dire que
par analogie, nous pouvons déduire ce qui n’est pas connu à partir de ce qui lui
ressemble. Si l’on sait que la racine de י ָקו ּםyåqūm ‘il se lèvera’ est קו ּםQWM, j’en
déduirai que la racine de י ָשׁו ּבyåšūḇ ‘il reviendra’ est שו ּב ׁ ŠWḆ, parce qu’ils sont
semblables et l’on doit étendre cette déduction aux autres cas similaires. Et de
même pour les autres verbes et noms, comme אקו ּם ָ åqūm ‘je me lèverai’ et אשׁו ּב ָ
åšūḇ ‘je reviendrai’, et מה ּ ּ təqūmåh ‘édification’, et שו ּבָה
ָ תְקו ׁ ְת
ּ təšūḇåh ‘le retour’, et
ּ ּ ז ַכוzakkū ‘ils sont purs’, et ּ ּקלו
ַ qallū ‘ils sont légers’ […] qui appartiennent aux
géminés. Mais cette méthode peut induire en erreur les débutants/ignorants, parce
qu’il y a des formes semblables qui ont des racines différentes, comme חה ָ ֵ תוֹכ ּ
toḵeḥåh ‘remontrance’, et תֹועֵבָה ּ toʿeḇåh ‘abomination’ ; la racine du premier est en
effet י ָכ ַחYåḴaḤ et de l’autre עב ַ ָת
ּ TåʿaḆ […] בְ ּר ָכ ָהbəråkåh ‘bénédiction’ et מעָר ָה ְ
məʿåråh ‘grotte’ viennent [respectivement] de בָ ּר ַךBåReḴ et ער ָה ָ ʿåRåH, et non de
MåʿaR, comme certains le pensent (point 5). C’est pour cette raison que ce *ער ַ מ ָ
mode de déduction demande une attention non moindre, pour que nous ne nous
trompions pas dans les analogies. Mais nous venons de traiter quelques règles très
utiles pour la compréhension des écritures sacrées (point 7).
16 Au XVIIe siècle, un autre hébraïsant chrétien, Johannes Buxtorf, résume en cinq points
l’essentiel de cette démonstration dans l’introduction à son livre Epitome grammaticae
hebraeae41, sous le titre Regulae de themate facile investigando et cognoscendo « Règles pour
reconnaître et identifier facilement la racine » :
1. Si après avoir supprimé les lettres serviles, il reste trois lettres, celles-ci
constituent la racine : comme קד
ֹ ְ אפ
ֶ ɛp̄qod ‘je visiterai’, de PaQaD.
2. S’il n’en reste que deux, et que la première est marquée d’un dageš, alors ce dageš
correspond le plus souvent à la première lettre radicale נnun et plus rarement à י
yod, qui a été absorbée : comme ׁאג ָ ּש
ֶ ɛgåš ‘j’approcherai’ de נ ָג ַשNåGaŠ ; הציִ ּ ב
ִ hiṣīḇ
‘il installa’ de י ָצ ַבYåṢaḆ.
3. Si c’est la dernière des deux qui restent, qui est marquée d’un dageš, il s’agit d’une
racine géminée : comme ּ סב ּו ַ sabbū ‘ils ont entouré’ de סבַב ָ SåḆaḆ. Sauf
premièrement, si le dageš est un des traits de la conjugaison et que l’on peut
identifier par la forme, dans ce cas il faut placer à la fin un הhe : commeּ ג ִ ּלוgilū de
GåLåH ; deuxièmement, si les noms avec suffixes pronominaux sont marqués ג ָ ּל ָה
d’un dageš dans la seconde lettre, ils ont pour consonne intermédiaire [deuxième
radicale] nun : comme טה ָּ ח
ִ ḥittåh ‘blé’ de חנ ַט
ָ ḤåNaT, אף
ַ ʾap̄ ‘colère’ de אנ ַף
ָ ʾåNaP̄,
בַ ּתbat ‘fille’ de בָ ּנ ָהBåNåH.
4. Si la dernière des deux consonnes qui restent n’est pas marquée d’un dageš, soit la
première lettre est un יyod ou un נnun, plus rarement un אalef ; soit la lettre
intermédiaire est un וwaw, soit la dernière lettre est un הhe et plus rarement un א
alef.
5. Si après avoir supprimé les lettres serviles, il ne reste qu’une lettre radicale, dans
ce cas, il faut placer comme première lettre soit נnun, soit יyod et mettre à la fin un
הhe, excepté pour תֵת ּ tet ‘donner’, dont la racine est נ ָתַןNåTaN.
17 Il termine par ces mots : Quiconque deviendra un très bon grammairien n’aura pas
besoin de ces règles ou d’autres semblables.
18 Ces règles sont versifiées dans l’édition Leusden42 (1691) et déplacées au chapitre 6.
1. Abjice Serviles, et tres si fortè supersunt,
Radicem thematis noveris esse tui.
2. Sin tantùm remanere duas conspexeris, adde
Nun vel Yod capiti, vel dato Wau medio,
Aut He postponas, aut conduplicato secundam
Vera statim Radix pullulat inde tibi.
3. Unica sed remanet mihi litera, quando removi
Serviles : Radix dic agè qualis erit?
Nun da principio, vel Yod superadde quiescens,
He fini : Radix inde petita venit.
4. Qui quid analogico normae dissentit ab usu;
Hoc exercitium, lector amice, dabit.
19 On les retrouve ensuite dans de nombreux ouvrages postérieurs. Adrianus Reeland
(1721, p. [2]) les reprend en les faisant précéder du titre Investigationi Radicum plurimum
inserviunt sequentes Versiculi. Dans une grammaire de l’hébreu, en anglais cette fois,
James Noble (1832, p. 122) signale qu’il est « habituel de donner dans les grammaires
hébraïques, ce que l’on qualifie de Règles pour identifier la racine ». Et, ajoute-t-il, « le
fait est que la grammaire [hébraïque] n’est rien d’autre qu’un système de règles
permettant d’identifier la racine. Ainsi, trouver la racine pour quelqu’un qui maîtrise la
grammaire n’est guère difficile ; quant à celui qui ne la maîtrise pas bien, aucune règle
sur le sujet ne sera d’une grande utilité ».
Conclusion
20 Ainsi, si les prémisses de ces passages didactiques permettant d’identifier les racines
faibles sont déjà présentes dans les traités de Judah Ḥayyuj et dans le Sefer ṣaḥot
d’Abraham ibn Ezra, elles ne sont devenues systématiques qu’au moment où
l’enseignement de la grammaire hébraïque a franchi les frontières des communautés
juives et ce, à mon sens, pour deux raisons : le processus d’apprentissage de l’hébreu
débutait dès l’enfance sous la direction d’un maître qui guidait ses élèves et pouvait, en
fonction de ses aptitudes pédagogiques, leur fournir les clés permettant d’identifier les
racines ; la connaissance intime des prières et des textes classiques facilitait le
rapprochement entre mots dérivés de la même racine, dont l’un pouvait avoir conservé
les trois radicales. Profiat Duran écrivit son ouvrage grammatical après avoir été
converti de force en 1391, peut-être à destination de ses frères d’infortune qui ne
pouvaient bénéficier d’un enseignement organisé, et il fut, semble-t-il, le premier à
consacrer un chapitre entier à ce point. Sa démarche novatrice fut reprise par Sancte
Pagnini dont les ouvrages ont influencé d’autres hébraïsants chrétiens, et ce jusqu’au
XIXe siècle43. Pour terminer, je souhaiterais mentionner un manuel français, celui de
l’abbé Ladvocat, dont le titre confirme mon sentiment, à savoir que les règles énoncées
par Profiat Duran avaient pour but d’aider un apprenant solitaire : Grammaire hébraïque
à l’usage des écoles de Sorbonne, avec laquelle on peut apprendre les principes de l’hébreu, sans
le secours d’aucun maitre44.
BIBLIOGRAPHIE
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Aleph, no 6 : 13‑55.
NOTES
1. Friedländer (1865). Ce sujet a déjà été abordé dans une perspective différente, voir Kogel
(2018). Pour des raisons de lisibilité, nous avons adopté une translitération simplifiée pour les
noms propres, les titres d’œuvres, les noms de lettres, ainsi que les voyelles. En revanche, il nous
a semblé nécessaire de distinguer entre les lettres b, k et p et leur réalisation fricative ḇ, ḵ et p̄ (et
non v, kh et f) dans la traduction des différents extraits grammaticaux, pour permettre au lecteur
de suivre plus aisément les explications de Profiat Duran et de Sante Pagnini.
2. Ces deux traités ont été traduits une première fois, au XIe siècle, par Moïse Gikatilla, sous le
titre Sefer otyot ha-naḥ we-ha-meshekh et Sefer baʿaley ha-kefel (Ḥayyuj 1870) et une seconde fois, à
Rome vers 1140‑1142, par Abraham ibn Ezra, sous le titre Sefer otyot ha-naḥ et Sefer peʿaley ha-kefel
(Ḥayyuj 1844). En ce qui concerne la traduction d’Abraham ibn Ezra, voir l’article de Shlomo Sela
et Gad Freudenthal (2006).
ultérieures retiendront la mention figurant à la fin du livre, expliciunt Quatuor Libri Institutionum
Hebraicarum (1549).
19. Les deux grammaires de l’hébreu imprimées précédemment en France étaient assez
rudimentaires : Tissard (1508 ou 1509) ; Qimḥi ([1520]).
20. Schwarzfuchs (2008 : 16‑19).
21. Voir Kessler-Mesguich (2013 : 127 et n. 26).
22. La première édition du Mikhlol date de 1545 (Venise : Daniel Bomberg), tandis que le Maʾaseh
efod n’a pas été publié avant 1865.
23. Kessler-Mesguich (2013 : 145) : « Le Maʾaseh efod n’est explicitement cité que cinq fois, à
propos des différences de prononciation entre les différentes communautés juives, et à propos
des conjugaisons passives ».
24. Ibid. : 138.
25. Dans l’édition de 1549, les chapitres 4 et 5 sont réunis sous le titre Modus inveniendi radices, hoc
est themata, et primitiva omnium Hebraicarum dictionum avec comme sous-titre Ratio inveniendi
radices nominum, « méthode pour trouver les racines des noms » (p. 434‑437) pour le chapitre 4 et
Ratio inveniendi radices verborum, « méthode pour trouver les racines des verbes » (p. 437‑439)
pour le chapitre 5.
26. Thème latin = racine et le suffixe, sans les désinences personnelles. Pour un nom, on pourrait
parler en hébreu de schèmes nominaux. Dans la préface du Dictionarium hebraicum, Münster
désigne le « Livre des racines » dont il s’inspire, Sefer ha-shorashim de David Qimḥi, par
l’expression liber de Radicibus et il ajoute sic enim illa gens themata dictionum vocat « car c’est ainsi
que ces gens appellent les thèmes des mots » (1523, f. Aa2v).
27. Pagnini emploie plusieurs termes pour désigner les voyelles : nequdot, tenuʾot, rešamim et
melaḵim ( Hebraicarum institutionum : 6). Kessler-Mesguich (2013 : 132) fait remarquer que la
présentation de Pagnini rassemble des termes métalinguistiques provenant de plusieurs
grammairiens. Le terme melaḵim ‘rois’, bien qu’employé dans le Mikhlol de David Qimḥi, renvoie
au système le plus ancien, celui des sept rois, c’est à dire des sept timbres, auxquels s’oppose le
« serviteur », le šewa (ibid., n. 132).
28. C’est un passage du Efod (Friedländer 1865 : 141).
29. Ces lettres permettent de former la phrase mnémotechnique que David Qimḥi (1548, f. 38r)
cite au nom de son frère Moïse : moše kataḇ ʿelenu « Moïse nous a écrit » en revanche, ce dernier a
repris dans le Mahalakh celle qui figurait déjà dans le Maḥberet : etkenah mešali bo (Qimḥi, M. 1519
: 6).
30. Ces lettres forment le mot heʾemanti ‘j’ai eu confiance’.
31. L’édition 1529 a un shin et non un אשבעtsade, une erreur corrigée dans celle de 1549.
32..dans l’édition de 1529 צוד
33. L’édition de 1529 comporte une phrase qui a été supprimée de l’édition de 1549 : « Et dans עִיר
ʿīr ‘ville’, une fois enlevé le iod en puissance [et ]ערsigne de voyelle royale, il reste [ ]יchiric [est]
vau, et la racine est עו ּרʿWR. »
34. Jr 30 : 13. La traduction de ces deux termes ne figure pas dans l’édition de 1529.
35. L’édition de 1529 a « מחילהmeḥīllah ‘commencement’, une fois enlevées les lettres memet []מ
he.une erreur corrigée dans l’édition de 1549 ,« []ה
36. Pagnini (1529).
37. Friedländer (1865 : 144) : והדרך הששי.
38. Référence erronée dans Pagnini (1529).
39. Ibid. תִים
ּ ִפ
ּ : pattīm.
40. La formulation est laconique. Les monosyllabiques ne dérivent pas de la forme plurielle mais
bien de la racine géminée que l’on identifie grâce à la présence du dageš dans les dissyllabiques.
41. Buxtorf (1629 : f. 6r-v de l’introduction). Seuls quelques exemples supplémentaires des points
2 et 5 n’ont pas été reproduits ici.
42. Buxtorf (1691 : 30‑31) : « 1. Enlève les serviles, et s’il reste trois lettres, tu peux considérer
qu’elles forment la racine du thème. 2. Si deux lettres seulement restent, tu peux ajouter soit nun,
soit yod au début, ou insérer un waw au milieu, ou encore mettre un he à la fin, ou doubler la
deuxième lettre, ce qui permettra de trouver la racine recherchée. 3. S’il reste une lettre
seulement, après avoir enlevé les serviles, tu dois mettre soit un nun soit un yod au début, et un he
à la fin ; la racine sera ainsi identifiée. 4. Tout ce qui s’écarte de ces règles, l’expérience, cher
lecteur, te le fournira. »
43. James Noble (1832 : 122‑124) cite le compendium de Adrianus Reeland (1721) et bien sûr
l’ouvrage de Johannes Buxtorf (1629 : f. 6r‑v de l’introduction), maintes fois édité. La filiation
entre ces ouvrages est indiquée par les auteurs. Voir également Sámuel Zsigmondy (1828 : 90) où
ne figurent que les trois premières règles précédées de la mention Antiquiores Grammatici
secundum hos versus verborum radicem investigabant.
44. Ladvocat (1755).
RÉSUMÉS
La notion de trilitéralité des racines, fortement inspirée par la tradition arabe, a demandé une
grande créativité pour être mise en œuvre dans la grammaire hébraïque. Judah Ḥayyuj (Fez,
950 – Cordoue, ca 1000) fit œuvre de pionnier en analysant le comportement des consonnes
faibles qui peuvent ne pas être visibles dans certaines formes verbales tout en restant présentes
dans la forme théorique de base. Ses travaux ont été poursuivis par Jonah ibn Janaḥ (Cordoue, ca
985/990 – ca 1050) dont les ouvrages, adaptés ou traduits en hébreu, ont permis la diffusion des
doctrines grammaticales de l’hébreu en Europe chrétienne et l’adoption définitive de la théorie
des racines trilitères. Les dictionnaires des racines sur le modèle du Kitāb al-uṣūl d’Ibn Janaḥ, outil
commode pour classer le lexique biblique, devinrent populaires en Provence médiévale. Il restait
cependant une difficulté majeure, à savoir les manières d’identifier la racine d’une forme
nominale ou verbale complexe. Profiat Duran (Perpignan, < 1360 – ca 1414) fut le premier auteur
à insérer dans sa grammaire, le Maʿaseh efod, un chapitre décrivant les différentes méthodes
permettant l’identification des racines. Ce passage, adapté ou résumé, fut fréquemment repris
par les humanistes chrétiens dans leurs ouvrages linguistiques, et ce jusqu’au XIXe siècle.
The notion of triconsonantal roots was borrowed from the Arabic tradition and a great deal of
creativity was required in order to apply it to Hebrew grammar. Judah Ḥayyuj (Fez, 950 –
Cordoba, ca 1000) was the first to note that weak consonants have a different comportment, that
they may not be visible in certain verbal forms, but remain present in the theoretical basic form.
His work was carried on by Jonah ibn Janaḥ (Cordoba, ca 985/990 – ca 1050), whose writings were
adapted or translated into Hebrew. This led to the diffusion of Hebrew grammatical knowledge in
Christian Europe and the adoption of the theory of triconsonantal roots. Dictionaries of roots
patterned on Ibn Janaḥ’s Kitāb al-uṣūl, which are a convenient tool for classifying the lexicon of
biblical words, became popular in medieval Provence. A major difficulty remained, namely how
to identify the root of a complex nominal or verbal form. Profiat Duran (Perpignan < 1360 – ca
1414) was the first author to include in his grammar, Maʿaseh efod, a chapter describing the
different methods for identifying the roots. This chapter, through adaptations or summaries, was
often used by the Christian humanists in their linguistic works down to the nineteenth century.
INDEX
Mots-clés : Qimḥi (David), identification de la racine en hébreu, Duran (Profiat), racines
trilitères en hébreu, Pagnini (Sancte), tradition grammaticale hébraïque
Keywords : Qimḥi (David), Hebrew grammatical tradition, identifying roots in Hebrew, Duran
(Profiat), Pagnini (Sancte), triconsonantal roots in Hebrew
AUTEUR
JUDITH KOGEL
CNRS, Institut de recherche et d’histoire des textes (UPR 841 IRHT), Aubervilliers, France
NOTE DE L’ÉDITEUR
La version originale de cet article a été publiée dans Dichy et Hamzé (2004 : 253‑267). Il
est republié ici avec l’aimable autorisation de l’Ifpo, sous une forme légèrement
retouchée et augmentée, revue par l’éditeur. Une version anglaise est également parue
en 2018 dans Coptica 17 : 11‑24.
1 Dans le courant du XIIIe siècle, les Coptes connurent une renaissance intellectuelle et
littéraire dans un contexte dominé par la langue et la culture arabes 2. À cette époque,
Le Caire était en voie de devenir la nouvelle capitale de l’islam arabe, par suite de la
destruction de Bagdad par les Mongols. Et dans ce cadre, l’étude intensive et
systématique de leur langue nationale et religieuse, qui cessait progressivement d’être
une langue vivante, mérita une attention particulière. D’autant plus que tout
renouveau intellectuel sérieux – nous le savons – touche, sous une forme ou une autre,
le champ linguistique.
2 Si la lexicographie pouvait se prévaloir d’une tradition nationale plusieurs fois
millénaire, égyptienne pharaonique et, plus tard, copte hellénique 3, la grammaire,
jusque-là inexistante (!), ne pouvait se développer que dans le giron de la tradition
linguistique arabe, dont les principaux mentors se trouvaient alors en Égypte (Makram
1980).
3 C’est ainsi que, parmi les grammaires nationales qui surgirent au Moyen Âge dans la
dépendance de cette vigoureuse tradition4, la grammaire copte – qui se prolonge
jusqu’à nos jours en milieu égyptien – mérite, à un triple titre, une attention
particulière : (a) elle est rédigée entièrement en langue arabe ; (b) elle n’a recours à
aucune autre tradition autochtone antérieure ; (c) elle décrit une langue non sémitique.
De plus, cette production linguistique copto-arabe a exercé, à son tour, un rôle
déterminant dans la naissance de la tradition nationale de philologie éthiopienne
(Moreno 1949 ; Cohen 1963).
4 La grammaire copte de langue arabe est appelée muqaddima (« préface, introduction,
prolégomènes »). Bien que cette appellation se trouve occasionnellement en arabe,
l’appellation semble s’être imposée historiquement à ce domaine de la philologie copte
à cause de la première de toutes les grammaires, celle de Yūḥannā al-Sammanūdī
(fl. 1230‑1260)5. Non seulement elle se présente, du point de vue de la forme et du
contenu, comme une véritable « introduction » grammaticale au vocabulaire copto-
arabe intitulé Sullam kanāʾisī (« Scala ecclesiastica »), objet premier de l’auteur, mais
c’est sous l’impulsion directe ou indirecte de cette première ébauche, communément
connue sous le nom d’al-Muqaddima al-samannūdiyya, qu’auront surgi les autres
grammaires.
5 Il n’y a pas lieu de nous attarder ici sur l’histoire littéraire de ce genre, que nous avons
exposé ailleurs6. Pour l’essentiel, on dira que nous avons un ensemble de sept ou huit
traités grammaticaux. Les six premiers ont vu le jour vers le milieu du XIIIe siècle, dans
un bref laps de temps d’une vingtaine ou trentaine d’années. Ils portaient sur le copte
bohaïrique, c’est-à-dire sur le dialecte, ou idiome, de la Basse-Égypte (al-Buḥayra). Les
septième et huitième traités ne sont apparus qu’un siècle plus tard dans la région de
Qous, en Haute-Égypte (al-Ṣaʿīd) ; ils traitent du sahidique 7. Le premier est une
reformulation de la grammaire de Sammanūdī adaptée au sahidique ; le second, dû au
futur évêque de Qous, Aṯanāsiyūs (fl. 1350‑1380), et titré pompeusement Qilādat al-
taḥrīr / fī ʿilm al-tafsīr (« Le collier tressé [égrenant les bases de] l’art de l’interprétation
[de la langue] »). L’auteur en a donné lui-même un long « Commentaire » (Šarḥ), à la
manière des grammairiens arabes de l’époque, lequel pourrait être considéré comme
une véritable neuvième grammaire, malgré l’état fragmentaire dans lequel il nous est
parvenu8. De toute manière, l’œuvre grammaticale d’Athanase de Qous, le dernier
grand écrivain arabo-copte du Moyen Âge9, constitue la description la plus complète, la
plus pertinente et la mieux structurée de la langue copte (voir tableau 1 ci-dessous).
6 Parmi les questions qui se posent à l’historien de la linguistique, surtout dans une
perspective comparatiste, la principale concerne les modalités de l’application des
catégories grammaticales arabes à la description de la langue copte : quels sont les
termes ou expressions techniques qui ont le plus ou le mieux servi à cet effet ? De
quelles écoles ou traités grammaticaux proviennent-ils ? Dans quelle mesure ces termes
arabes, forgés pour rendre compte d’une langue sémitique, ont-ils été appliqués au
copte d’une manière satisfaisante ?
7 Par ailleurs, quel a été le sens nouveau que certains termes ont dû prendre ? Quels
néologismes ont dû être forgés ? Existe-t-il des parallèles dans les autres traditions
grammaticales dépendantes de la linguistique arabe ? Dans quelle mesure, enfin, les
grammairiens coptes de cette basse-époque connaissaient-ils leur langue d’origine et
avaient l’appréhension correcte de ses règles et de sa structure elle-même ?
8 Évidemment, seule pourrait répondre à ces questions une étude systématique et
historique de la terminologie et des catégories grammaticales des muqaddimāt coptes.
9 L’entreprise a été inaugurée par Bauer (1972 : 71‑150), qui a procédé à l’analyse critique
du vocabulaire technique d’Athanase de Qous, à partir de la Qilādat al-taḥrīr. Il faut
aujourd’hui étendre cette étude à son Šarḥ, dont l’existence était ignorée par Bauer.
D’autre part, on manifestera une certaine réserve à l’égard de plusieurs cas considérés,
trop facilement, comme néologismes : non seulement Bauer a consulté relativement
peu de sources originales, mais elle a négligé, ou n’a pas pu avoir accès à la masse des
traités grammaticaux arabes d’époque tardive, surtout de tradition égyptienne 10 –
ceux-là mêmes qui ont dû inspirer, en premier lieu, les grammairiens coptes.
10 Ceci dit, les résultats de l’étude circonscrite de Bauer sont largement corroborés par la
lecture des prédécesseurs d’Athanase, dont aucun des écrits, fort malheureusement, n’a
connu d’édition critique11.
11 Dans les limites du présent essai, il ne sera sans doute pas possible de remédier à tout
cela, ni de répondre intégralement à toutes les interrogations posées antérieurement.
Après avoir fourni des éléments complémentaires sur ce genre d’écrit philologique
bilingue, nous nous contenterons d’exposer quelques exemples de la stratégie adoptée
pour décrire convenablement en arabe la langue copte.
Tableau 1. Structure de la Qilādat al-taḥrīr d’Athanase de Qous (milieu du 8 e/XIVe siècle ; double
version sahidique et bohaïrique)
1. Le masculin
2. Le féminin
3. Le pluriel
6. Le nom indéfini
9. Le vocatif
12. Le démonstratif
33. Mise en relief de l’objet dans la voix passive (version bohaïrique solo)
14 On note aussi que, contrairement à la tradition arabe, la syntaxe n’est pas traitée
séparément. Elle est intégrée, en général, dans l’exposé morphologique, si bien qu’on
peut affirmer que les grammaires coptes médiévales nous offrent largement une
morphosyntaxe de la langue. En tous cas, il s’agit d’une syntaxe assez élémentaire, en
même temps que lacunaire et confuse. Sans doute, le modèle arabe, tout centré qu’il est
sur l’iʿrāb (flexion casuelle), ne pouvait guère servir pleinement.
15 D’autre part, suivant en cela les péripéties de l’histoire littéraire copto-arabe 12, le
processus d’élaboration de la grammaire copte a connu certaines ruptures, comme
nous l’avons dit. Cela aura entravé une évolution progressive dans le sens d’une analyse
syntaxique plus poussée et adéquate de l’idiome national d’origine.
2 Le traitement de la morphologie
19 Nous avons vu que la morphologie représente la partie principale des grammaires
coptes de tradition arabe. Sachant toutefois que le traitement de la morphologie dans
cette tradition linguistique, le taṣrīf, est vraiment sui generis, la question se pose
réellement de savoir en quoi consiste le taṣrīf copte : comment a fonctionné ici le
modèle arabe ? Quel changement de sens a pris ce terme et les mots de la même famille
(ṣarrafa, taṣarrafa, inṣarafa, mutaṣarrif, munṣarif...) qu’on trouve partout dans ces
grammaires (Bauer 1972 : 111‑114 et 316) ?
20 Rappelons d’abord que dans la grammaire arabe le taṣrīf (aujourd’hui ṣarf) s’applique
principalement à identifier les multiples schèmes morphématiques (ʾawzān, ʾabniya) du
mot et les règles de possibles variations phonologiques (ʾaḥwāl) 14. Ce procédé découle
directement du système morphologique arabe qui se présente très régulier : racine ou
base consonantique (ʾaṣl) combinée avec des « schèmes » vocaliques et un nombre
limité d’« augments » (ḥurūf zawāʾid). Dans une large mesure, c’est bien le cas des autres
langues sémitiques, comme l’hébreu ou le syriaque, pour la description desquelles cette
approche s’est avérée suffisamment adéquate15.
21 Mais le copte, on l’a dit, n’est pas une langue sémitique. Et tant les structures de base
que la construction des mots n’ont rien à voir avec ce type linguistique. En tant que
dernier avatar de l’égyptien ancien, il appartient certes à la grande famille chamito-
sémitique – ou « afro-asiatique », d’après une terminologie plus récente. Malgré cela,
quant à la structure des mots (noms et verbes), le copte se présente, dans ses différents
dialectes16, comme une langue éminemment agglutinante. Dans le tableau 2 ci-dessous,
nous en donnons un exemple extrême, tiré du bohaïrique et que Dulaurier (1849: 737)
avait jadis relevé.
22 Le grammairien al-Wağīh al-Qalyūbī (mort après 1271) avait bien vu cette particularité
du copte en opposition à l’arabe. Il écrit dans le prologue à sa grammaire intitulée al-
Kifāya17 :
Chaque langue recourt, pour son intelligence, à des marques (ʿalāmāt) distinguant le
singulier du pluriel, le masculin du féminin, le défini de l’indéfini […] 18.
Or il est des langues dont les marques [ distinctives sont exprimées] par des
voyelles19 ( fa-min al-luġāti mā ʿalāmātu-hu bi-l-ḥarakāt) – comme l’arabe. Dans
d’autres, ces marques [sont exprimées] par des segments [morphématiques] qui
s’ordonnent dans le mot lui-même (wa-min-hā mā ʿalāmātu-hu bi-ḥurūfin tantaẓimu fī
nafsi l-kalima) – et la langue copte appartient à ce type.
23 Ainsi donc, l’objet du taṣrīf copte sera très différent de l’arabe. Le terme et ses dérivés
s’appliqueront, en premier lieu, à l’analyse du phénomène omniprésent de l’affixation
du pronom personnel aux différentes catégories de mot, d’une part, et aux préfixes ou
« préformantes » définissant les temps et les modes du verbe, en second lieu (cf. Bauer
1972 : 111‑114). Dans le tableau 3 ci-dessous, nous donnons une idée de ce fait
linguistique.
24 On aura noté, dans le passage cité, l’emploi particulier du mot ʿalāma dans le sens de
« marque grammaticale, signe distinctif, morphème ». Nous avons affaire là à une
notion-clé de la grammaire copte, contrairement à l’arabe, où le terme, dans son sens
générique de « marque, signe », désigne parfois les segments morphématiques suffixés
tels que le tanwīn (marque d’indéfinitude), le suffixe -at du féminin (tāʾ marbūṭa ) ou le
suffixe -iyy servant à marquer l’adjectif de relation (nisba). En syntaxe, on a l’expression
technique ʿalāmāt al-iʿrāb pour exprimer les voyelles casuelles finales : /a, i, u, ø/. En
copte, par contre, le terme s’applique autant aux segments-lettres qu’aux mots-
particules dans leur fonction grammaticale propre ; d’où l’emploi constant du terme
(cf. Bauer 1972 : 137‑138).
25 Dans un sens plus technique, le terme désigne tantôt les suffixes pronominaux, dont
l’usage est très fréquent, tantôt les préfixes propres aux formes verbales (voir tableau
3).
ϯ–ⲙⲉⲧ–ⲣⲉϥ–ⲉⲣ–ⲡ–ⲉⲧ–ϩⲱⲟⲩ
(verbe d’état)
(+ particule relative)
(+ préfixe d’abstraction avec article défini fém. sing.) → la méchanceté, malice, perversité, iniquité
1 –ⲓ/ⲁ/ⲧ ⲉ– Présent II
3m. –ϥ ⲁ– Parfait I
1 –ⲛ ◌︥ⲛⲧⲁ– Parfait II
pluriel
2 –(ⲧⲉ/ⲏⲩ)ⲧ︥ⲛ ⲛⲉ– Imparfait
ⲧⲁⲣ(ⲉ)– Finale
◌︥ⲛ(ⲧ)– Subjonctif
ⲧⲣ(ⲉ)– Causatif
etc.
27 En graphémologie arabe, ḥarf (pl. ḥurūf) veut dire « lettre-consonne » et ḥaraka « signe-
voyelle ». En copte, le premier terme a pris le sens de « lettre » tout court, c’est-à-dire
« consonnes » et « voyelles » indifféremment − ḥarf signifie donc « lettre-son » ou
« graphème-phonème ». Quand il fallait parler univoquement de « voyelles », les
grammairiens coptes ont créé le néologisme ḥurūf ṣawtiyya ou nawāṭiq = « lettres
sonnantes/vocales ou articulantes » (sans doute sur le modèle du grec στoιχεῖα
φωνήεντα). Et pour indiquer les sept graphèmes d’origine égyptienne (démotique) qui
complètent l’alphabet grec adopté pour écrire le copte, ils ont emprunté au registre de
la terminologie morphologique arabe l’expression ḥurūf zawāʾid (« lettres
additionnelles/supplémentaires ») qui désigne les « augments » qui entrent en jeu dans
certains schèmes morphologiques, comme signalé plus haut.
28 Conformément au système d’écriture arabe, l’expression ḥarf muḥarrak veut dire
« consonne vocalisée/voyellée » (voir plus haut). En copte, l’expression a servi pour
exprimer l’anaptyxe : prothèse ou épenthèse (cf. Bauer 1972 : 118‑119). Dans la
prothèse, une consonne initiale reçoit une voyelle prothétique (« attaque vocalique »),
marquée par un signe supra-linéaire : un point, une barre ou une sorte d’accent grave,
selon les différentes traditions graphiques. C’est ou bien pour éviter la prononciation
d’un amas consonantique initial (peut-être par influence de l’arabe : alif al-waṣl), ou
bien pour prononcer séparément une consonne préfixée à fonction grammaticale. Dans
le cas de l’épenthèse, deux consonnes contiguës reçoivent une voyelle intermédiaire
« chuchée » (cf. le schwa), toujours signalée par le même type de « signe ».
29 Dans ce double phénomène, il est évident que le mot ḥaraka indique le signe
graphique20. Ce qui ne s’éloigne pas de l’un des sens primaires du mot arabe, puisque la
voyelle (ḥaraka) est nécessairement exprimée graphiquement par un signe supra- ou
infra-linéaire, dit ḥaraka de même, et que – sans doute par extension – un nombre de
ḥarakāt-signes indiquent graphiquement des faits phonologiques non vocaliques,
comme la gémination (šadd), la liaison (waṣl), etc. Dans la même ligne de restriction du
sens, du point de vue purement phonologique, et considérant le système alphabétique
du copte, le terme ḥaraka ne peut signifier qu’« anaptyxe » (prothétique ou
épenthétique), « voyelle prothétique », « voyelle intermédiaire chuchée ».
30 En alternative à ḥaraka/muḥarrak, on trouve aussi hamz/mahmūz (cf. Bauer 1972 :
119‑121). Si dans le cas de la prothèse, il y a identité entre l’attaque vocalique et
l’occlusive glottale (hamza) si caractéristique de l’arabe, dans le cas de l’épenthèse
copte, ce n’est plus le cas : on a affaire à un cas d’« extension du sens » (tableau 4).
Arabe Copte
(alphabet consonantique) (alphabet consonantique et vocalique)
ḥarf (pl.
= lettre-consonne ḥarf = lettre-son/graphème-phonème
ḥurūf)
ḥurūf
= lettres sonantes/articulantes (gr.
ḥaraka = signe-voyelle ṣawtiyya/
στoιχεῖα φωνήεντα)
nawāṭiq
4 Conclusion
31 Les limites de cette contribution ne nous permettent guère d’aller au-delà des quelques
exemples que nous venons de présenter, portant sur de grands chapitres de la
grammaire. Il s’agissait de donner une idée de la méthode suivie par les grammairiens
coptes de culture arabe pour décrire leur langue d’origine sous le signe de la
linguistique arabe. Historiens de cette tradition linguistique ou spécialistes de la
grammaire comparée pourront approfondir la question, en reprenant les données
recueillies par Bauer (1972) ou en analysant, après édition critique, certains des écrits
du genre, en vue d’assurer une perspective historique plus circonstanciée (cf. Sidarus
1977 : 27 et 33).
32 De toute façon, il nous semble pouvoir affirmer que les philologues coptes du Moyen
Âge ont, d’une manière générale, bien mené leur tâche. Grâce aux ajustements
nécessaires : extensions ou restrictions de sens, dérivations ou compositions, analogies
ou néologismes, les termes et les catégories grammaticaux arabes se sont révélés, sous
leur plume, assez aptes à décrire la langue des anciens Égyptiens dans sa dernière
phase. Les lacunes qu’on pourra relever dans leur labeur – telle l’absence du traitement
satisfaisant de la syntaxe ou de la sémantique des formes grammaticales – tiennent plus
des conditionnements externes de leur activité philologique et intellectuelle que
d’éventuelles limites de la tradition linguistique arabe comme telle 21.
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Trad. par W. Wright. 3e éd. revue par W. Robertson Smith et M. J. de Goeje. 2 vol. Cambridge :
Cambridge University Press.
NOTES
2. Graf (1947 : 344‑444, § 112‑134) Aṯanāsiyūs al-Maqārī (2011 : I, 297‑655). Tentatives de
synthétisation et caractérisation dans Sidarus (1993) et (2010).
3. Sidarus (1990b), (1990c), (2007) et (2016a) ; EI2, s.v. « Sullam » [nouvelle version en préparation
pour l’édition en ligne EI3].
4. Pour une présentation d’ensemble de cette tradition, voir Sidarus (2000).
5. Pour une nouvelle mise au point sur l’homme, évêque de sa ville natale et traducteur du copte
à l’arabe, ainsi que sur l’ensemble de son œuvre, voir Sidarus (2017).
6. Sidarus (1978) et (2001), en plus de la bibliographie plus récente portant sur les auteurs clés
qui sont mentionnés dans ces pages.
7. La tradition occidentale a fixé ainsi la même lettre h pour deux phonèmes arabes distincts : ḥ
(gutturale fricative sourde) et ʿayn (gutturale fricative sonore). En français, il aurait été meilleur
d’adopter un i tréma dans le second cas : saïdique.
8. MS Vatican, Borgia copte 139 (possible autographe) ; éd./trad. partielle par Petersen (1913),
dont le travail est resté ignoré jusqu’à très récemment : Sidarus (2000 : 280-281, M13) et (2001 :
74). Dernière mise au point dans Sidarus (2012b). Une première note sur l’existence même du
texte et sa nature, dans Sidarus (1977 : 28b).
9. Bauer (1972 : 10-14) Sidarus (1977). Nous avons établi définitivement, dans cette dernière
étude, de même que dans les nouvelles mises au point biobibliographiques (Sidarus 2018 et 2020),
que notre personnage appartient bien à la seconde moitié du 8 e/XIVe siècle. Dans cette dernière
publication de 2020, nous avons longuement évoqué le mouvement linguistique qui s’était
développé tardivement en Haute-Égypte.
10. Makram (1980). On notera, du reste, que certains termes ou expressions jugés nouveaux dans
l’analyse en question se trouvent être d’usage courant dans l’enseignement indigène de nos jours.
11. On se reportera sur ce point à nos exposés ci-dessus mentionnés, en plus de Sidarus (1990a).
Certains textes ou parties de texte ont été édités (parfois mal) à partir d’un seul manuscrit dans
les études ou ouvrages suivants : Kircher (1643) ; Dulaurier (1849) ; Mallon (1956) ; Munier (1930) ;
Van Lantschoot (1948) ; Wadīʾ (2005) et (2016). Il faut donc prendre les références à l’ouvrage de
Bauer (1972) comme purement indicatives.
12. En attendant la parution de notre Petite histoire de la littérature copto-arabe médiévale
(Beyrouth), on peut consulter Sidarus (2010), (2018) et (2020).
13. Voir plus bas le tableau 3. Pour tout ce qui est de la grammaire copte « réelle », on peut
consulter : Stern (1880) ; Mallon (1956) ; Till (1961) ; Layton (2000). Voir aussi les différentes
entrées de CopEnc VIII.
14. Pour tout ce qui concerne la terminologie linguistique arabe et les théories sous-jacentes, à
part les anciens ouvrages classiques de Wright (1896‑1898) et de Fleisch (1961), on peut se
reporter aux travaux plus récents de : Bohas et Guillaume (1984) ; Owens (1988) et (1990) ;
Versteegh (1977) et (1997) ; Ryding (2014). Voir aussi : Troupeau (1976) ; Abd al-Masīḥ et Tābirī
(1990).
15. On se rapportera aux chapitres respectifs du manuel d’Auroux et al. (2000). Voir de même
dans l’une ou l’autre des contributions du présent volume.
16. On peut en compter, selon les auteurs, jusqu’à une douzaine de dialectes ou sous-dialectes, le
bohaïrique et le sahidique étant les plus importants. Certains coptologues contemporains les
considèrent comme des langues à part entière (CopEnc VIII : 97-101 et 133-141).
17. Apud Wadīʾ (2016 : 3‑4). Voir aussi : Mallon (1906 : 127) Van Lantschoot (1948 : 76‑77). Dans la
traduction, nous soulignons les termes techniques jugés importants.
18. Suivent quelques autres catégories grammaticales.
19. Il faut entendre « accents/signes vocaliques ».
20. En arabe, le mot signifie originellement « mouvement, motion » (cf. le terme grammatical
grec kinèsis). De là le néologisme copte djinkim, plus ou moins « inventé » par les coptisants
modernes pour désigner le signe graphique que nous venons de décrire : Polotsky (1949) ; CopEnc,
s.v. Sur l’emploi du signe lui-même, voir aussi Stern (1880 : 9-11).
21. À propos de ces déboires, liés à la prise du pouvoir par la soldatesque mamelouke avec toutes
ses séquelles, voir maintenant l’annexe 7 de Sidarus (2020).
22. Il s’agit pratiquement de la version arabe de la partie sur les coptes de GCAL II‑IV, partant de
la traduction réalisée par Wilyam Kāmil (actuel Anbā Kīrillus, év. copte catholique. d’Assiout)
dans les années 1970 et restée inédite depuis. On y trouve une légère mise à jour, surtout pour ce
qui est des manuscrits des monastères d’Égypte, de Saint-Macaire au premier chef.
23. Cet ouvrage concerne le copte bohaïrique. Le sahidique est traité succinctement en
appendice.
RÉSUMÉS
Quand, vers le milieu du XIIIe siècle, les grammaires coptes apparurent pour la première fois, leurs
auteurs ne pouvaient recourir qu’au modèle linguistique arabe dominant : terminologie et
catégories grammaticales. La langue copte n’appartient pourtant pas à la même famille que
l’arabe ; elle était par ailleurs en voie de disparaître comme langue vivante. À partir de quelques
exemples typiques, ayant trait à l’écriture, à la phonologie et à la morphologie, nous essayons de
donner une idée de la méthode suivie pour appliquer ou adapter les outils conceptuels et
terminologiques arabes dans la description de l’ancienne langue égyptienne à sa dernière phase
et de démontrer que, d’une manière générale, les philologues coptes du Moyen Âge ont bien
mené leur tâche. Si l’on peut relever des lacunes, celles-ci ne sont pas nécessairement imputables
à la tradition linguistique qui a servi de modèle, mais plutôt aux conditionnements externes qui
ont présidé au labeur intellectuel des protagonistes.
When Coptic grammars appeared for the first time (middle of the thirteenth century), only the
dominant Arabic linguistic tradition could serve as a point of reference. However, Coptic, which
was losing its status of vernacular, does not belong to the same family as Arabic. Through some
typical samples related to script, phonology, and morphology, this paper tempts an insight into
the way the Arabic conceptual and terminological apparatus was applied and adapted to Ancient
Egyptian in its final stage. We show that in general medieval Coptic grammarians did in fact
succeed in their undertaking. Whatever deficiency one may find, this should not necessarily be
imputable to the linguistic tradition that acts as a model, but rather to the external conditions
affecting the very intellectual activity of the protagonists.
INDEX
Mots-clés : grammaire copte, langue arabe, linguistique comparée, terminologie grammaticale
arabe
Keywords : Arabic language, Arabic linguistic terminology, comparative linguistics, Coptic
grammar
AUTEUR
ADEL Y. SIDARUS
Université d’Evora (Portugal), City, Country
Introduction
1 La propriété « transitif/intransitif » ne figurant pas dans la grammaire de Denys le
Thrace1, qui, ayant été traduite par Joseph d’Ahwaz (mort en 580), a été le berceau des
grammaires syriaques, la tradition syriaque l’a négligée, jusqu’à Bar Hebræus, qui,
selon Merx, l’a empruntée à Zamaḫšarī :
Etiam aliam rem ex grammatica arabica haustam Syriacae adhibuit, distinctionem verbi
transitivi, dupliciter transitivi et intransitivi, quam a Zamakhchario depromsit…
Il y a encore une autre chose puisée dans la grammaire arabe qu’il introduisit en
syriaque : la distinction verbe transitif, verbe doublement transitif et verbe
intransitif, qu’il emprunta à Zamaḫšarī (Merx 1889: 253).
2 L’objet de cette communication est de voir comment la notion a transité de l’arabe au
syriaque et comment Bar Hebræus (désormais BH) l’a « acclimatée » dans son modèle.
Quant à savoir comment le concept de transitivité s’est élaboré dans la tradition
grammaticale arabe jusqu’à Zamaḫšarī, cela n’entre évidemment pas dans le cadre de la
présente étude.
3 Il n’est pas inutile de mentionner que Zamaḫšarī est mort en 1144 et BH en 1286 : plus
d’un siècle les sépare donc, mais BH est presque contemporain d’Ibn Yaʿīš (1158-1245),
l’auteur du grand commentaire sur le Mufaṣṣal2, puisqu’il est né en 1226. Que BH ait
emprunté à Zamaḫšarī, illustre l’influence très importante qu’il a connue en Orient
arabe et dans le monde iranophone.
4 Rappelons d’abord que le texte de Zamaḫšarī sur la transitivité se trouve p. 257-58 celui
de BH se trouve dans le livre 2 consacré au verbe, p. 92-95. Dans la notation des
exemples syriaques nous négligerons la spirantisation des bgdkpt. Nous adopterons la
vocalisation occidentale (jacobite). Comme nous l’avons montré dans Bohas (2008), BH
traite des lettres et non pas des sons. Nous veillerons donc dans notre transcription à
garder les lettres, particulièrement le ʾōlaf que nous transcrirons par ʾ. De plus, nous ne
transcrirons pas ī, mais īy, nous ne transcrirons pas ē, mais ēy pour garder la voyelle et
la lettre et rester cohérent avec sa pensée. Le seul problème concerne le w que nous
gardons tel quel lui aussi.
Tout verbe, ou bien ne transite pas du sujet vers l’objet, mais se restreint au sujet 3
et est appelé intransitif comme ʾetōʾ feṭrōws [‘Pierre est venu’], ʾezal fōwlōws [‘Paul
est parti’], npal ywdōʾ [‘Judas est tombé’], qōm matīyaʾ [‘Mattiyas s’est levé’].
Ou bien il transite de l’un à l’autre et est appelé transitif, comme ʾaqīym [‘il a fait
lever’], ʾaḥet [‘il a fait descendre’], ʾapeq [‘il a fait sortir’], ʾaʿel [‘il a fait entrer’].
Certains4 appellent simple un intransitif comme bōt [‘il a passé la nuit’] et composé
un transitif comme ʾabīyt [‘il a fait passer la nuit’].
Élucidation
Tout verbe transitif passe à partir du sujet ou bien vers un objet comme mḥōʾ mōryōʾ
lmeṣrōye1 [‘Le Seigneur a frappé les Égyptiens 1’], ou bien vers deux objets comme :
qademtōyhy1 burqtōʾ tōbōʾ 2 [« Tu lui1 as offert une bonne bénédiction2 » : Ps 21,4], ou
bien vers trois comme : mkartkwn1 gēyr lgabrōʾ2 ḥad btwltōʾ dkīytōʾ 3 deʾqareb lamšīyḥōʾ
[« Je vous ai fiancés à un homme (comme) une vierge pure, lequel je présenterai au
Christ » : I Cor, 11, 2].
– de škeb [‘être étendu7’] à ʾaškeb [‘faire se coucher’] : ʾaškeb ʾenwn ʿal ʾarʿōʾ [‘Il les fit
se coucher à terre’ : II Sam, 8, 2] ;
– de sged [‘se courber’] à ʾasged [‘adorer’] : wfwmeh ʾasgdeh galyōʾīyt [‘Sa bouche le
fit adorer distinctement’] ;
– de qʿōʾ [‘crier’] à ʾaqʿīy [‘faire crier’] : wkeʾbōʾ dḥašeh maqʿeʾ līy [‘Et la douleur
qu’il ressentit me fit crier’] ;
– de mak [‘être courbé’] à ʾamek [‘incliner’] : waʾmek rišōʾ lšalīyṭō [‘Il inclina la tête
vers le puissant’] ;
– de hgōʾ ‘réfléchir’ à ʾahgīy ‘enseigner’ : wmanw ktab lōk ʾōlaf bēyt dhōʾ ʾahgeʾ lōk
hafkoʾīyt [‘Qui t’a écrit l’alphabet ? Car regarde, il t’a enseigné de travers’].
Il en va de même pour dkar hw [‘il s’est souvenu’] et ʾadker laḥrōnōʾ [‘il a rappelé à un
autre’] : waʾnt dkart ʿlay ʿawlōʾ daʾnttōʾ [Mot à mot : ‘Tu te souviens contre moi de la
faute (ou d’une faute) d’une femme (ou de la femme, ou concernant la femme)’ : II
Sam, 3, 8]8 ; tehweʾ ʾarʿōʾ dīyhwd lmeṣrōyōʾ lswrōdōʾ wkul dnadkr īyh leh netrheb [‘La
terre de Juda deviendra la honte de l’Égypte, chaque fois qu’on la lui rappellera elle
sera terrorisée’ : Isaïe 19, 17].
Ainsi, à partir de bṣar [‘être petit’], gmar [‘être complet’], twōʾ [‘s’irriter’], dwīy [‘être
faible’], ḥsar [‘manquer’] où la première est quiescente, on obtient baṣar
[‘diminuer’], gamar [‘achever’], tawīy [‘gourmander’], dawīy [‘affaiblir/frapper 9’],
ḥasar [‘manquer’] en vocalisant la première avec un a
– tawīy : wtawīy dawīyd lgabreʾ dʿameh [‘Et David gourmanda les hommes qui étaient
avec lui’ : I Sam 24, 8] ;
– dawī : dawīyt ʾenwn bḥemty [‘Je les ai frappés dans ma fureur’] [Isaïe 63, 6] ;
– ḥasar : mōryōʾ nerʿēyny wmedem lōʾ nḥasar līy [‘Le Seigneur me fait paître et il ne
me laisse manquer de rien’ : Psaume 23, 1].
10 Une remarque s’impose ici. Dans une forme comme baṣar, la consonne médiane est en
fait géminée, et elle est bien prononcée géminée de nos jours dans la version orientale
du syriaque, en revanche dans la version occidentale, il n’y a pas de gémination. BH,
comme nous l’avons rappelé ci-dessus, ne prend pas en compte les sons mais bien les
lettres, donc pour lui [baṣṣar], qui est écrit baṣar est bien un trilitère, avec vocalisation
de la première consonne par un a, ce qui l’oppose à la première forme bṣar où cette
consonne est quiescente. Nous le suivons en cela, pour la cohérence de
l’argumentation.
Élucidation
Parfois l’action transite par le biais d’un mot ou d’une lettre qui indique le
complément, comme dans :
– ʾetpanīy lwōty wašmaʿ bōʿwty [‘Il s’est tourné vers (lwōt) moi (y) et il a écouté ma
demande’] ;
– weʾnōʾ ldōdy wa ʿlay fnoyteh [‘Je suis à mon bien-aimé et sur (ʿal) (= vers) moi (y)
son retour (i.e. : il est revenu vers moi)]’ : Cantique, 7, 11] ;
– waṣbayt mōryōʾ baʾrʿōk [‘Tu t’es complu, Seigneur, dans (b) ta terre’ : Ps 85, 2].
Dans ces exemples en effet, c’est par vers lwōt, sur ʿal, et dans b qu’ont transité du
sujet vers l’objet le fait de se tourner, de revenir et de se complaire.
11 On retrouve ici la troisième « cause de transitivité » mentionnée par Zamaḫšarī
(Mufaṣṣal : 257) : la « transitivité par préposition » (al-taʿdiya bi-ḥarf ğarr), par laquelle
un verbe intransitif devient transitif. Ainsi ḫarağtu (‘je suis sorti’) devient transitif par
l’ajout de la proposition bi- (et acquiert par la même occasion une valeur causative)
dans ḫarağtu bi-hi (‘je l’ai fait sortir’), équivalant à ʾaḫrağtu-hu. Selon Zamaḫšarī, le
même procédé peut concerner les verbes transitifs, qui deviennent alors doublement
transitifs, ainsi ġaṣabta l-ḍayʿata (‘tu t’es emparé de force de la propriété’) et ġaṣabta
ʿalay-hi l-ḍayʿata (‘tu l’as spolié de la propriété’) :
Élucidation
Quand une cause de transitivité s’applique à un verbe qui transite [déjà] vers un
complément, elle le rend doublement transitif, comme de gbōʾ [‘choisir’] à ʾagbīy
[‘faire choisir’] : ʾagbyan yōrtwteh [‘Il nous1 a laissés choisir son héritage2’ : Psaume
47, 5]. De rḥem [‘aimer’] à ʾarḥem [‘faire aimer’] : yahb lhwn waʾrḥem ʾenwn lʿammeʾ
[‘Il leur a donné et les1 a fait aimer des peuples2’ : Deutéronome, 33, 3]. De šbōʾ
[‘emmener en captivité’] à ʾašbeʾ [‘faire conduire en captivité’, inaccompli] : waʾšbeʾ
šbīyteky baynōthēyn [‘Je ferai conduire en captivité tes prisonniers 1 au milieu
d’elles2’ : Ézéchiel 16, 53]. De sʾen [‘chausser’] à ʾasʾen [‘faire revêtir des
chaussures’] : waʾsʾenteky msōneʾ [‘Je te1 ferai revêtir des chaussures2’ : Ézéchiel 16,
10]. De baz [‘piller’] à ʾabez [‘donner à piller’, d’où ‘mépriser’] : weʾn ʾōmrīytwn
bmōnōʾ ʾabezn šmōk [‘Et si vous dites : en quoi1 avons-nous donné à piller ( i.e.
méprisé) ton nom2’ : Malachie 1, 6]. De ʾeḥad [‘prendre’] à ʾaḥed [‘louer, donner en
location’] : waʾwḥdeh lfalōḥeʾ [‘Et il la1 loua à des travailleurs2’ : Matth. 21, 33 et Luc,
20, 9]10.
– ʾazhar [‘briller’] : wmazhar hwōʾ lbwšeh [‘Et ses vêtements brillaient’ : Marc, 9, 3] ;
– ʾaḥwar [‘être blanc’] : wmaḥwar ʾayk talgōʾ [‘et étaient blancs comme neige’ : Marc
9, 3] ;
– ʾagreb [‘être lépreux’] wʾīydeh magrbōʾ ʾayk talgōʾ [‘Sa main était lépreuse comme
neige’ : Exode 4, 6] ;
– ʾagah [‘briller’] : ʾōf tagahyʾ11 šalhebīytōʾ dnwreh [‘Aussi brillera la flamme de son
feu’ : Job 18, 5] ;
Les verbes galīy [‘se découvrir’], karīy [‘être court], gardīy [‘cesser’], maṭīy [‘arriver’],
faraḥ [‘voler’] et damīy [‘être semblable’] ont bien la première vocalisée d’un a, mais
ils ne sont pas transitifs :
– galīy [‘se découvrir’] : meṭul dmen lwōty galīyty wasleqty [‘Car d’auprès de moi tu t’es
découverte et tu es montée’ : Isaïe 57, 8] ;
– karīy [‘être court’] : wmeṭul dkarīy mōʾnōʾ wmeštīytōʾ qeṭnat [‘Car la couche est
courte et la couverture petite’ : Isaïe 28, 20] ;
– gardīy [‘être dépouillé, ôté’ 12] : wlōʾ temneʾ mōry bīyšōtan dlōʾ mgardeʾ ʿawlan menan
[‘Et ne tiens pas compte, Seigneur, de nos turpitudes, car notre iniquité ne peut
être ôtée de nous’] ;
– maṭīy [‘arriver’] : zabnōtō sagīyʾōtōʾ lmawtōʾ maṭīyt [‘Bien des fois je suis parvenu
jusqu’à la mort’ : Ecclésiastique 34, 13] ;
– faraḥ [‘voler’] : ʾayk ṣefrōʾ damfarḥōʾ ʿal ʾegōreʾ [‘Comme le passereau qui vole sur
les toits’ : Psaume 102, 8] ;
Élucidation
– fraʿ ḥawbtōʾ [‘il a rétribué un péché’] et ʾafraʿ, c’est-à-dire ‘il a fait germer’.
– ḥfar gwbōʾ [‘il a creusé une tombe’] et ʾaḥfar c’est-à-dire « avoir honte ».
13 Parmi les nombreux exemples donnés par BH, j’en conserverai deux qui portent sur la
vocalisation en a de la première consonne (équivalant à la FII faʿʿala de l’arabe) : šrōʾ
(‘délier’) et šarīy (‘commencer’) ; glōʾ (‘découvrir, manifester’) et galīy (‘exiler’).
14 On pourrait trouver un cas analogue en arabe moderne où ʾaḍraba (‘faire grève’) est
tout à fait étranger au sens de ḍaraba (‘frapper’), mais ici l’explication par le calque sur
l’anglais résout le problème. Toutefois, on en trouve bien d’autres du même genre,
qu’on ne saurait attribuer à un calque sur une langue étrangère, comme : ṣalā (‘toucher,
atteindre’) et ṣallā (‘prier, faire sa prière’) ; faraṭa (‘devancer’) et farraṭa (‘agir avec
négligence, éloigner, détourner’) ; qabila (‘accueillir, recevoir’) et qabbala (‘donner un
baiser’) ; kalama (‘blesser’) et kallama (‘adresser la parole à quelqu’un’).
Ces verbes sont comme gazīy laʾḥrīyn [‘il a privé d’enfants un autre’] et gazīy hw beh
[‘il s’est privé d’enfants lui-même’] ; ḥsan laʾḥrīyn [‘il l’a emporté sur un autre’] et
ḥsan hw beh [‘il été fort en lui-même’].
16 À nouveau, BH multiplie les exemples et consacre même une demi-page à des
attestations scripturaires dont nous allons rapporter quelques-unes particulièrement
significatives :
– Pour le verbe ḥsan : transitif ‘l’emporter sur’ – wtarʿeʾ dašywl lōʾ neḥsnwnōh [‘Les
portes de l’enfer ne l’emporteront pas sur elle’ : Matth. 16,18] ; intransitif « être
dur, pénible » : wyeldat rōḥēyl wḥesnat kad yōldōʾ [‘Rachel accoucha et elle fut à la
peine en accouchant’ : Genèse 35, 16].
– Pour le verbe nfaḥ : transitif ‘souffler sur’ – wkad nfaḥ bhwn ʾemar [‘Et après avoir
soufflé sur eux, il leur dit’ : Jean 20, 22] ; intransitif ‘gonfler, enfler’ : wnefḥat karsōh
weʾtmsīy ʿaṭmōtōh [‘Et son ventre enflera et ses os s’affaibliront’ : Nombres, 5, 27].
– Pour le verbe ʾamlek : transitif ‘établir comme roi’ – waʾmlek malkōʾ dBōbel
laMtanyōʾ [‘Et le roi de Babel établit comme roi Mattanya’ : 2 Rois 24,17] ; intransitif
‘régner’ : mōryō ʾamlek wgaʾywtōʾ lbeš [‘Le seigneur règne et il s’est vêtu de
splendeur’ : Psaume 93, 1]. Il s’agit bien du même ʾamlek qui dans un cas est
transitif, ‘nommer quelqu’un roi’, et dans l’autre intransitif, ‘régner’.
5 Conclusion
17 Si BH a emprunté le concept de transitivité à Zamaḫšarī, il en a donné un traitement
qui dépasse largement sa source. En effet, la seule préoccupation du grammairien arabe
est d’assurer que tous les compléments sont bien à l’accusatif et d’identifier les causes
de la transitivité. N’ayant pas ce problème d’assignement de l’accusatif, BH discute non
seulement de la transitivité (simple, double ou triple) et de ses causes (en arabe, FIV et
FII) comme le fait Zamaḫšarī, mais en outre, il envisage aussi l’échec de ces causes : les
cas où elles ne produisent pas la transitivité et les cas où elles produisent autre chose
que de la transitivité, à savoir un sens nouveau étranger. Les mêmes échecs se
produisent en arabe, mais Zamaḫšarī se garde bien d’en parler ici. Enfin, BH étudie en
détail les verbes labiles qui sont à la fois transitifs et intransitifs, sujet que Zamaḫšarī
n’aborde pas.
18 En fait, ces phénomènes d’échec des causes de transitivité et de labilité ont bien été
observés par les lexicographes arabes, entre autres par al-Sijistānī (255 H), al-Zajjāj (310
H) et al-Jawāliqī (540 H). Le titre de ce dernier est particulièrement explicite : Mā jāʾa
ʿalā faʿaltu wa-ʾafʿaltu bi-maʿnan wāḥid (‘Les cas où faʿaltu et ʾafʿaltu ont le même sens’). Il
s’agit donc de faire l’inventaire des cas ou faʿala (FI) et ʾafʿala (FIV) ont un sens
identique, comme : bašartu (FI) al-rajula, ʾabšartuhu (FIV) et baššartuhu (FII) qui veulent
tous dire : ‘j’ai annoncé une bonne nouvelle à quelqu’un’ (mot-à-mot ‘quelque chose de
réjouissant’). Dans sa préface, al-Zajjāj précise qu’il va parler :
• des verbes pour lesquels ʾafʿala et faʿala ont le même sens (voir l’exemple ci-dessus) ;
• des verbes où ils ont un sens totalement différent comme : ḏakartu (FI) al-šayʾa ‘j’ai
mentionné la chose’ et ʾaḏkara (FIV) al-rajulu, ‘l’homme a engendré un enfant mâle’ ; il s’agit
ici d’un cas analogue à fraʿ ḥawbtō ‘il a rétribué un péché’ et ʾafraʿ ‘il a fait germer’ de BH ;
• des cas où les deux formes étant attestées avec un sens identique, on préfère la forme IV
comme dans ʾabanna l-rajulu fī makān ‘l’homme a résidé dans un lieu’ ;
• des cas où l’on préfère la forme I, comme dans batartu al-šayʾa : j’ai coupé la chose à la racine.
19 Mais les grammairiens n’ont pas intégré ces données à leur traitement. Jusque dans l’un
des derniers avatars des théories des grammairiens arabes, le Ğāmiʿ al-durūs al-ʿarabiyya
d’al-Ġalāyīnī (1909), le traitement de la transitivité (I : 31-32) et celui de la forme IV 13
(II : 224) ne mentionnent aucunement les données rebelles recueillies par les
lexicographes. En revanche, BH propose un traitement qui intègre les règles et les
exceptions, la grammaire et le lexique. Cela est cohérent avec son orientation vers les
faits, qui se matérialise dans l’abondance des données, scripturaires ou non, citées par
lui.
BIBLIOGRAPHIE
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al-Zamaḫšarī, Abū l-Qāsim. Al-Mufaṣṣal fī ʿilm al-ʿarabiyya. Beyrouth : Dār al-jīl. S.d.
Bar Hebræus, G. Ktōbō d-Ṣemḥē. Dans Le livre des splendeurs, la grande grammaire de Grégoire Bar
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Sources secondaires
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Lallot, J. 1989. La grammaire de Denys de Thrace. Sciences du langage. Paris: Éd. du CNRS.
Merx, A., éd. 1889. Historia artis grammaticae apud Syros. Abhandlungen für die Kunde des
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Moberg, A. 1907-1913, Buch der Strahlen: die grössere Grammatik des Barhebräus. Leipzig : O.
Harrassowitz.
Thesaurus = Payne Smith, R., éd. 1879. Thesaurus Syriacus. 2 vol. Oxford : Clarendon Press.
NOTES
1. Voir Lallot (1989).
2. Voir la notice sur le Mufaṣṣal dans le Corpus des textes linguistiques fondamentaux (http://
ctlf.ens-lyon.fr).
3. Chez Zamaḫšarī (Mufaṣṣal : 257), taḫaṣṣaṣa bi-l-fāʿil (‘concerne exclusivement le sujet’).
4. Comme Bar Zoʿbī, voir Bohas (2003).
5. On pourrait dire « transitiviser », si le mot existait en français.
6. Équivalence déjà relevée par tradition syriaque antérieure (voir Bohas 2003).
7. BH cite les verbes à la troisième personne du singulier du passé qui est, pour lui, la forme de
base du verbe. Je me conforme à l’usage occidental qui consiste à citer le verbe à l’infinitif.
RÉSUMÉS
Cette contribution aborde la façon dont Bar Hebræus a emprunté au grammairien arabe
Zamaḫšarī la notion de transitivité et comment il l’a reformulée dans le cadre de sa grammaire
du syriaque. Je procède en traduisant et commentant son texte et en comparant avec celui de
Zamaḫšarī. Son chapitre s’organise en quatre sections : 1. Première section : à propos d’exemples
de verbes intransitifs et transitifs ; 2. Deuxième section : des causes de la transitivité ;
3. Troisième section : à propos de l’échec des causes de la transitivité ; 4. Quatrième section : à
propos des verbes qui sont à la fois transitifs et intransitifs. C’est dans ces deux dernières
sections que se manifeste le mieux la différence entre les deux grammairiens ; et il apparaît que
si Bar Hebræus a emprunté le concept de transitivité à Zamaḫšarī, il en a donné un traitement
qui dépasse largement sa source. En effet, la seule préoccupation du grammairien arabe est
d’assurer que tous les compléments sont bien à l’accusatif et d’identifier les causes de la
transitivité. N’ayant pas ce problème d’assignement de l’accusatif, Bar Hebræus discute non
seulement de la transitivité (simple, double ou triple) et de ses causes (pour nous, FIV et FII)
comme le fait Zamaḫšarī, mais en outre, il envisage aussi l’échec de ces causes : les cas où elles ne
produisent pas la transitivité et les cas où elles produisent autre chose que de la transitivité, à
savoir un sens nouveau étranger. Les mêmes échecs se produisent en arabe. Enfin Bar Hebræus
étudie en détail les verbes labiles qui sont à la fois transitifs et intransitifs.
This contribution deals with how Bar Hebræus borrowed the notion of transitivity from the
grammarian of Arabic, Zamaḫšarī, and how he reformulated it within his grammar of Syriac. I
proceed by translating and commenting his text and comparing it with the text by Zamaḫšarī.
His chapter is organised into four sections: 1. First section: concerning examples of intransitive
and transitive verbs; 2. Second section: on the causes of transitivity; 3. Third section: concerning
the failure of the causes of transitivity; 4. Fourth section: concerning verbs which are both
transitive and intransitive. The difference between the two grammarians is manifest in the final
two sections in which it appears that although Bar Hebræus borrowed the concept of transitivity
from Zamaḫšarī, his treatment goes far beyond what is found in his source. Indeed, the only
concern of the grammarian of Arabic is to ensure that all the complements are in the accusative
and to identify the causes of transitivity. Without the problem of assigning the accusative, Bar
Hebræus not only discusses transitivity (single, double or triple) and its causes (for us, FIV and
FII) as Zamaḫšarī does, but he also envisages the failure of these causes: the cases in which they
do not produce transitivity and the cases in which they produce something different from
transitivity, namely, a new foreign sense. Finally, Bar Hebræus studies in depth the labile verbs
which are both transitive and intransitive.
INDEX
Mots-clés : Bar Hebræus, grammaire arabe, grammaire syriaque, transitivité, Zamaḫšarī
Keywords : Arabic grammar, Bar Hebræus, Syriac grammar, transitivity, Zamaḫšarī
AUTEUR
GEORGES BOHAS
ENS de Lyon, Interactions, corpus, apprentissage, représentations (UMR 5191 Icar), Lyon, France
8 Arabic uses morphological infixes, prefixes and suffixes which are placed onto a three-
consonantal root. In the Arabic grammatical tradition, the notion of prefixes and
infixes to this root is illustrated in an abstract way with the help of the paradigmatical
root f-ʿ-l, which in turn is derived from the verb faʿala ‘to do’. 3 When filled with the
appropriate vowels, the pattern faʿala signifies ‘he did’.
9 With the help of the appropriate paradigmatic form, the base consonants from any root
can easily be distinguished from any additions. In Arabic grammar, the augmented
meaningful elements are called ḥurūf al-ziyāda; all augments are consonants. For
example, the augmented consonant in the paradigmatical form ʾa-fʿala (paradigm IV in
Western studies of Arabic) is ʾa, and the same holds for the prefix in-, in-faʿala where
the augment is n only (paradigm VII). After the insertion of the pre- and infixes, often a
(secondary) shift of the vowels (naql al-ḥaraka) occurs, for example, often the first root
consonant, f-, loses its vowel.
10 In some paradigms, meanings are added by the simultaneous augmentation of two
consonants. For example, the paradigm (VI) ta-f-ā-ʿala signifies reciprocity, i.e. the
action of the verb is carried out together or reciprocally by several agents.
11 Note that in the Arabic morphological tradition the concept of long vowels as
morphemes did not exist. The so-called long vowels were understood as a sequence of a
consonant, a glide, preceded by a vowel sign: ā = /a”/, 4 ī = /iy/, ū = /uw/. In this way, for
example, the verbal pattern of the conative form, fāʿala, is understood as /fa”ʿala/, and
the additional meaning is attributed to ʾalif, represented as /”/.
12 Earlier (Ermers 1999: 270‑282) I analysed how Arab grammarians dealt with transitivity
and causativity in Turkic. My conclusions were that they tried to uphold their theories
regarding the correlations between form and function for Turkic as well (see also
Ermers 2007). Yet they had to recognize that in other languages functions could be
expressed by different syntactical and morphological elements that did not resemble
their Arabic counterparts.5 They were forced, to some extent, to engage in comparative
and universal linguistics. In this contribution, I intend to examine how they dealt with
the passive form.
13 In Arabic grammar, there are two distinct notions of the passive. The first is the so-
called internal or apophonic passive of the verb, on the pattern fuʿila. This passive
stands out in Arabic grammar because it is not expressed by means of an infix or, in
Arabic terms, a meaningful particle, but by a vowel change: faʿala → fuʿila. The
imperfect tense is subjected to changes in the pattern too: yafʿilu → yufʿalu. The subject
of an internal passive verb is referred to in Arabic grammatical theory as an-nāʾib ʿan al-
fāʿil, which can be translated as “subject by proxy” or “substitute subject” (Soltan 2009:
535). The verb is “built for the patient” or “the logical object” (mabnī li-l-mafʿūl).
14 In the traditional Arabic grammatical theory, passivization is regarded as a process in
which the agent of a transitive verb (fiʿl mutaʿaddin) is deleted or kept hidden or
“unknown” (maǧhūl), although not absent, leaving the former object and the verb
(Bazzi-Hamzé 2007b: 94). “The subject of the apophonic passive in Arabic is obviously
not the agent of the process but rather one who is affected by the process” (Maalej
2008: 224).
15 This new situation is reflected in the verb, which assumes a new vowel pattern. Then
there occurs a (superficial) syntactical shift, in which the direct object of the original
verb assumes the subject position, i.e. the syntactic role of agent, and receives a
corresponding nominative case ending (Carter 1981: 168ff).
16 The second way for indicating a passive is the use of the pattern infiʿāl. This pattern
indicates an action without an evident cause:
17 The infiʿāl-pattern by itself expresses an action which the subject carries out by itself,
without an agent being implied. According to Abboud-Haggar (2006: 616), it “was used
as an alternative for the internal passive” in early texts, such as Qurʾanic Arabic.
18 However, the infiʿāl pattern is also used in relation to the semantical notion of muṭāwaʿa
‘compliance’, where there is a cause implied; hence Larcher’s (2003: 69) interpretation
as a ‘résultatif’. Versteegh (2014: 119) explains the morphological reasoning behind
compliance as follows:
Muṭāwaʿa was regarded as the opposite of taʿdiya, that is, decreasing the valency of
the verb with one, for example, kasara ‘to break [transitive]’ versus inkasara ‘to
break [intransitive]’; ʿallama ‘to instruct someone about something’ versus taʿallama
‘to be instructed, to become learned in something’ (Larcher 2012: 75‑77). What
mattered to the grammarians was the fact that the augment (ziyāda) correlated
with an additional meaning.
“[t]here is implicit causation underlying all forms of compliance” summarizes Maalej
(2008: 225), e.g. fataḥtu l-bāba fa-nfataḥa ‘I opened the door and it opened’ (An-Nādirī
1995: 353 apud Maalej 2008: 225). An-Nādirī, still according to Maalej (2008: 226), writes
that the complier is not necessarily intransitive (lāzim), it can also be transitive
(mutaʿaddī), which makes sense when the muṭāwaʿa is basically a resultative. The
muṭāwaʿa, from a morphological perspective, therefore does not depend on one single
verbal pattern, but can be expressed with several, intransitive and transitive, i.e., VII
infiʿāl, infaʿala; VIII iftiʿāl, iftaʿala ġamamtu-hu fa-ġtamma ‘I saddened him, so he was filled
with grief’; V tafaʿʿul, tafaʿʿala: kassartu l-ʾaqlāma fa-takassarat ‘I broke the pencils, so
they broke’ (Maalej 2008: 226), and others.6 Larcher (2009: 642) writes that Form VII
itself is already “the resultative of Form I”, although “in many dialects it is used as a
passive of the base form.” The internal passive has become rare in modern Arabic
dialects, and this process must have begun a long time ago (Carter 1981: 171). It subsists
in some modern dialects on the Arabian Peninsula, e.g. in Qatar it occurs with the u-i
form, e.g. ḥad qutil hina? ‘was somebody killed here?’ (Belova 2009: 306), while for Oman
the imperfect 3msg form prefix has been registered, e.g. yibā ʿ ‘it is sold’ (Al-Balushi
2016: 107; for Yemen see Simeone-Senelle 1997: 407). Instead of the internal passive,
therefore, in most variants of Arabic the passive is expressed by means of consonantal
prefixes and infixes to the verbal root. As a consequence, the distinctions between the
agent-less fuʿila passive on the one hand and patterns like infiʿāl on the other have
disappeared.
hit.PASS.3sg.PAST Zayd-NOM
COMPL-break.3sg.PAST DEF-glass-NOM
19 In all Turkic languages, semantic and voice changes to verbs are added to a stem. The
morphemes added can involve one or more consonants (and occasionally vowels). The
most common passive suffix is -(V)l-, ört- ‘cover’ → ört-ül- ‘be covered’, kör- ‘see’
→ kör-ül- ‘be seen’ (Róna-Tas 1998: 75; Johanson 1998: 42). In Kazakh (and Turkish),
the verbal form with ‑l‑ is bi-functional. It serves to form both “non-passives without
implied agents”, e.g. yesik aš-ıl-dı ‘the door opened’ (Kazakh), and “true passives with
implied agents” ‘the door was opened (by someone)’ or, in other words, “intransitivized
transitive verbs” (Şahan Güney 2006: 128).
20 When a verbal stem ends in a vowel or ‑l‑, ‑(V)n‑ is in Turkic used to indicate
passivization, e.g. sı:- ‘break (trans.)’ → sı-n- ‘break’ (Clauson 1972). 7 This then
coincides with the verbal suffix ‑(V)n‑ which indicates reflexivity, e.g. yu:- ‘wash
(trans.)’ → yu:-n- ‘wash oneself’ (ibid.: 870 & 942). Therefore, verbal forms in -n- under
some conditions can express either passivity or reflexivity, e.g. kör-ün- (< kör- ‘see’):
‘to be seen’ (passive), ‘become visible’ (reflexive). A third signification of ‑(V)n‑ is the
middle voice, e.g. Karakhanid al-ïn- ‘take for oneself’ (< al- ‘take’) (Johanson 1998: 42).
The form of the vowel V in the passive and reflexive suffixes is subjected to the
principles of fourfold vowel harmony in nearly all Turkic languages: u/ü (rounded:
back/front) and ı/i (unrounded: back/front). These cannot be rendered in Arabic script
(on Kipchak passive suffixes, see Berta 1998: 160).
24 In some sources, the logic behind the distribution of l and n is not explained at all. In
the Margin Grammar for example, the author writes quite vaguely that the rule
regarding the use of l and n is what one actually hears (al-samāʿ: MG 36a top). Kāšġarī
writes at the entry ʾaġirla-n- (< ʾaġirla- ‘praise’, ʾukrima ‘he was praised’) that n in this
verb can be replaced (mubdala) by l, yielding the alternative form ʾaġirla-l-, but he does
not explain why (Dīwān 148,6; Clauson 1972: 94).
25 The Margin Grammar writes that an unvocalized l is added before the marker of the
personal pronoun (muḍmar), i.e. probably in case of the past tense verb, or before the
marker of the future tense (istiqbāl) (MG, 37B right) —an important note, since in Arabic
the imperfect tense, used for the future tense, contains elements that express gender
and number.
26 Kāšġarī states:
For every biradical (ṯunāʾī) transitive (mutaʿaddī) verb, if you add an l to it, it
becomes an intransitive (lāziman) and passive verb (maǧhūlan) as explained before.
Wa-kull fiʿl ʾiḏā kāna ṯunāʾiyyan mutaʿaddiyan fa-ʾiḏā ʾadḫalta fīhi al-lāma yakūnu fiʿlan
lāziman wa-fiʿlan maǧhūlan kamā maḍā. (Dīwān 490)
27 The anonymous author of Qawānīn provides a short analysis:
The substitute agent (al-nāʾib ʿan al-fāʿil).9 The rule (qāʾida) in this is that you insert
(tuqḥim) an unvocalized l [or an unvocalized n] between the imperative form and
whatever marker follows.
Al-nāʾib ʿan al-fāʿil − al-qāʾida fīhi ʾan tuqḥim lāman sākina [ʾaw nūnan sākina] bayna fiʿl
al-ʾamr wa bayna mā yalī min ʿalāma. (Qawānīn 26)
28 The author does not elaborate further. Yet ʾAbū Ḥayyān in a very concise manner
provides more detailed rules regarding the distribution of -n-:
If [the verb] is uniradical or biradical, and its second consonant is either vocalised
or a silent l, or if [the verb ends in] lā, which serves the action (ʿamal), the addition
(mazīd) is an unvocalized n (ʾIdrāk 133).
29 ʾAbū Ḥayyān bases his distribution of -n-, on the following criteria:
1. the verb is uniradical, i.e. CV- or
2. the verb is biradical:
a. the final consonant of the [biradical] verb is vocalized (i.e. the stem ends in a vowel), i.e.
CVCV- or
30 Qawānīn describes four contexts which determine the form of the suffix, i.e. when an n
is used:
The rule (ḍābiṭ) regarding the position (mawḍiʿ) of the n is [1] that the verb 10
consists of one single consonant, like y [i.e. ya-] meaning ‘eat!’ (kul), [2] or of two
consonants, the second of which is vocalised (mutaḥarrik), like tuša, meaning
‘spread!’ (ufruš), [3] or it consists of two consonants the second of which is not
vocalised, but it is an l [that is used], e.g. ʾal meaning ‘take!’ (ḫuḏ), ṣal meaning
‘throw!’ (irmi), [4] or the verb has more consonants, the final one being lā which
serves the action (ʿamal) [i.e. used to construct denominal verbs], e.g. yumruq-lā
[< yumruq ‘fist’] ‘punch!’ (ulkum) ʾaylā! ‘work!’ [< ʾay ∼ e:ḏ ‘material’ 11] (iʿmal) and
sūy-lah! [< söz ‘word’] ‘talk!’ (taḥaddaṯ) and the like. These are the positions of the
n, and all the rest [is] the position of the l. [5] So you say in the constructions of
these examples according to their order: yi-n-il-dī [‘he was eaten’] and tuša-n-dī
[‘it was spread’], ʾal-in-ḍī [‘it was taken’], ṣal-in-ḍī [‘it was thrown’], yumruq-la-n-
dī [< yumruq ‘fist’ > yumruq-la- ‘to punch’] [‘he was punched’] and sū-la-n-dī [< sū
‘water’ > sū-la- ‘to water’] [‘it was watered’] and use this as a general rule (qis).
Wa-l-ḍābiṭ li-mawḍiʿ al-nūn ʾan yakuna al-ismu [ sic, al-fiʿl, R.E.] [1] ʿalā ḥarf [wāḥid]
naḥwa ya bi-maʿnā ‘kul’. [2] ʾaw ʿalā ḥarfayni wa-l-ṯānī minhumā mutaḥarrik naḥwa tuša
bi-maʿnā ufruš’. [3] wa-ʿala ḥarfayni wa-l-ṯānī minhumā sākin wa-lakinnahu lām, naḥwa
ʾal bi-maʿnā ‘ḫuḏ’, wa-ṣal bi-maʿnā ‘irmi’. [4] aw yakūna al-fiʿl ʿalā ʾakṯar min ḏālika wa-
ʾāḫiruhu lā, allati li-l-ʿamal naḥwa yumruq-lā12 bi-maʾna ‘ulkum’, ʾaylā bi-maʿnā ‘iʿmal’
wa-sūylah bi-maʿnā ‘taḥaddaṯ’ wa-naḥwa ḏalika. Fa-hāḏihi mawāḍiʿ al-nūn wa-mā ʿadāhā
mawḍiʿ al-lām. [5] Fa-taqūlu fī bināʾ hāḏihi l-ʾamṯila ʿalā t-tartīb yi-n-il-dī wa-tuša-n-dī,
ʾal-in-ḍī, ṣal-in-ḍī, yumruq-la-n-dī wa-sū-la-n-dī wa-qis ʿalā ḏālika. (Qawānīn 26)
31 If we rephrase Qawānīn’s statements in a more formal notation, the following picture of
the distribution of n emerges:
1. CV- —one consonant, e.g. ya-;
2. CVCV- —two consonants, a vowel follows the second consonant, e.g. tuša-;
3. CVl- —two consonants, the last one being an l, e.g. ṣal-;
4. -lā —verbal stem ends in -lā— this category includes denominal verbs —e.g. yumruq-lā-, a
denominal verb from yumruq ‘fist’.
32 Yet the examples Qawānīn gives still deviate from these rules. For example, instead of
yi-n-il-dī, [‘it was eaten’], which contains a combination of n and l, i.e. a two passive
suffixes on the stem yi- ‘to eat’, one would expect a form like yi-n-. 13 Another point is
that in his account the anonymous author does not account for the distribution of l.
33 If we combine this statement with ʾAbū Ḥayyān’s concise summary, it evolves that they
are essentially identical:
1. (CV)CV- —one or two consonants;
2. (CV)CVl- —two consonants, the final one being an l;
3. verbal stem ending in -lā.
35 All sources deal with the internal passive, yet not in the same way. Qawānīn, for
example, relates Turkic l and n to the Arabic u-i pattern in the unmarked verb: “The
rule (qāʿida) in this is that n is that you insert ( tuqḥim) an unvocalized l [or an
unvocalized n] between the imperative form and whatever marker follows” (cf. also
4.1). Examples (without Arabic equivalents) are ya-n-il-dī ‘it was eaten’ (which contains
a double passive, one -n, directly after the stem, ya- ‘eat’, and a second passive suffix in
-il-), tuša-n-dī ‘it was spread out’ [< tuša-], ʾal-in-ḍī ‘it was taken’ [< ʾal- ‘take’], ṣal-in-
ḍī ‘it was set free’ (< ṣal-), yumruq-la-n-ḍī ‘he was punched’ [< yumruq-la- ‘to punch’
[denominal v. < yumruq ‘fist’], sūla-n-dī ‘it was watered’ [< sū-la-, denominal v. < sū-
‘water’] (Qawānīn 26).14
36 ʾAbū Ḥayyān briefly discusses the passive form with -Vl- under the heading “Chapter
on the addition” (al-Qawl fī al-ziyāda) where a great number of nominal and verbal are
listed (ʾIdrāk 111‑116). He writes: “[the l] is added (tuzādu) as an indication (dalālatan)
that [the verb] is ‘formed for the passive form’” (bināʾ al-fiʿl li-l-mafʿūl ) (ʾIdrāk 115), i.e.
the internal passive:
37 Not only l, according to ʾAbū Ḥayyān, but also n serves the function of marker of the
internal passive as well. Elsewhere, in the “Chapter on the substitute of the agent”
(ʾIdrāk 133), ʾAbū Ḥayyān gives the following examples of n and the internal passive: ya-
dī − ʾakala, ya-n-dī − ʾukila; ṣi-dī − kasara, si-n-dī − kusira. Some of these examples
recur in a summary under the header “the logical object whose agent is not
mentioned” (al-mafʿūl mā lam yusamma al-fāʿilu-hu) (ʾIdrāk 112) albeit without
translations into Arabic.
(3) ʾur-il-dī
beat-PASS-3sg.PAST
38 The author of the Margin Grammar chooses an approach based upon the passive
participle, which in Turkic is marked by a passive stem plus the ending -KAn:
[1] The “passive participle” in Arabic —as is well-known— can only be [derived]
from the transitive verb (al-fiʿl al-mutaʿaddī); the same is true in Turkic. [2] Its
marker (ʿalāma) [i.e. of the passive participle] is that you insert (tudḫil) an
unvocalized (sākin) l or an unvocalized (sākin) n between the basic imperative verb
(fiʿl al-ʾamr al-muǧarrad) and the marker of the connected agent (al-fāʿil al-mawṣūl).
[1] Ism al-mafʿūl − wa-qad ʿulima fī al-ʿarabiyya ʾannahu lā yakūnu ʾillā min al-fiʿl al-
mutaʿaddī fa-kaḏālika fī al-turkiyya. [2] Wa-ʿalāmatuhu ʾan tudḫila bayn fiʿl al-ʾamr al-
muǧarrad wa-ʿalāma al-fāʿil al-mawṣūl lāman sākinan (sic) ʾaw nūnan sākinan (sic). (MG
36a top)
39 The author here says, first, that a passive form can only be construed from a transitive
verb. This is not entirely true, because in Arabic grammar intransitive verbs, e.g.
ḏahaba ‘go’, the formation of impersonal passives is allowed (Girod 2007: 315): e.g.
ḏuhiba ʾilā al-qudsi, lit. ‘it was went to Jerusalem’ (Saad 2019 [1982]: 2).
40 He then explains that the marker l is put after the stem, but before -KAn. He
exemplifies this with wur-ġān (al-ḍārib) ‘the hitter’ and wur-ul-ġān (al-maḍrūb) ‘the
one that is hit’. He then analyses the participle ending -ġān as the marker of the
connected agent (al-fāʿil al-mawṣūl), and thus appears to assign other significations to it,
perhaps because this same ending is also used for the active participle. The Turkic
ending does not contain any information regarding gender, number or passivity:
41 A similar statement can be found in Tuḥfa. The passive participle (ism al-mafʿūl) and the
passive according to the pattern fuʿila (al-mabnī li-mā lam yusamma fāʿiluhu):
“Its marker [i.e. of the passive participle] is an unvocalized l which follows (talī) the
verb (fiʿl) [i.e. the verbal stem] in the three tenses (ḥālāt) for all pronouns”.
ʿAlāmatuhu lām sākina talī al- fiʿl ṯalāṯ ḥālāt fī jamīʿ aḍ-ḍamāʾir. (Tuḥfa 47v5)
42 The Arabic examples given here, surprisingly, contain conjugated verbs with the
internal passive rather than their passive participles, e.g. musiktu (‘I was taken’) and
their Turkic equivalents with ‑(V)l‑, e.g.:
(4) wur-ġān
hit-PART.PAST
(5) wur-ul-ġān
hit-PASS-PART.PAST
(6) ṭūṭ-ūl-dū-m
take-PASS-PAST-1sg
‘I was taken’
46 The Turkic verb [bassiq-], Kāšġarī writes, derives from an original form (ʾaṣl) bas-dī
plus the ḥarf q. Bas- is, in fact, a common verb which is used in the sense of ‘to attack’.
47 In Kāšġarī’s view, the verb in 7b too consists of a stem (bal-) plus the suffix k/q. In
Turcology though, baliq is not derived from the stem bal-, but from an obsolete stem
ba:.20 Kāšġarī seems to acknowledge this, because he lists bāliġ as a noun elsewhere in
his work, with the meaning ‘the wounded one’ [al-ǧarīḥ, p. 205; also p. 107 & 131].
Perhaps a more accurate translation of 7b therefore may be ‘the man was a wounded
one’.
buyyita al-raǧulu
ǧuriḥa al-raǧul
48 The grammarians could not always decide whether the Turkic augments l/n stood for
the internal passive or for other forms. It appears that they prefer the infiʿāl rather
than the internal passive, possibly because this also involves the addition of a
consonant.
49 ʾAbū Ḥayyān in his ʾIdrāk deals with the l/n both in the context of the internal passive,
as I discussed above, but also in the compliance. He writes:
If the verb consists of one consonant (ʿalā ḥarf wāḥid), like their utterance ‘he broke
(tr.)’ (kasara) si-dī, in the compliance (muṭāwaʿa) a silent n is used instead of an l.
Thus for ‘he broke (intr.)’ (inkasara) you say si-n-dī.
Fa-in kāna al-fiʿl ʿalā ḥarf wāhid naḥwa qawlihim kasara si-dī fa-l-ḥarf allaḏī gīʾa bihi li-l-
muṭāwaʿa nūn sākina badala al-lām fa-taqūlu fi inkasara si-n-dī. (ʾIdrāk 110)
50 He does not give any other conditions for the change.
51 On the same page, ʾAbū Ḥayyān, again, discusses this l under the heading of “consonant
of the compliance” (ḥarf al-muṭāwaʿa). There he translates the Turkic passive verbal
form 3.sg kas-il-dī with Arabic in-qataʿa, which we can analyse as follows:
52 It is difficult to tell at this point whether ʾAbū Ḥayyān here refers to the muṭāwaʿa in
the semantical-interpretative sense, or whether he interprets all instances of infiʿāl as
muṭāwaʿa throughout. The lack of any context in this phrase suggests that the latter
may have been the case.
53 The author of the Margin Grammar is more explicit. According to him [in Turkic], no
distinction is made between the “passive form” (mā lam yusamma fāʿiluhu) and the infiʿāl
form: they overlap. In Turkic, he writes:
[1] There is no difference between this form [i.e. the form in fuʿila] and the infiʿāl-
form; both are rendered by means of addition (ziyāda) of the l, regardless of
whether it is in the past tense (māḍī) or the future tense (mustaqbal).
[2] You say for example ʾur-ul-dī i.e. ‘he was beaten’ (ḍuriba) and likewise aṣ-il-dī
‘he was hung’ (ṣuliba), and ʾič-il-dī ‘it was drunk’ (šuriba) and the like.
[3] The difference between al-infiʿāl and [the form fuʿila] is that al-infiʿāl is
intransitive (lāzim) [while] this [the base form without ‑l‑] is transitive (mutaʿaddin).
[...]
[4] the infiʿāl occurs with an n, you say ʾari-n-dī [‘he is cleansed’] or the infiʿāl-form
of ‘the cleansing’ (al-naẓāfa), and likewise kur-u-n-dī [‘he is seen’] or the infiʿāl-
form of ‘the staring’ (al-ʾibṣār).
[1] Bāb mā lam yusamma fāʿilu-hu − lā farqa bayna-hu wa-bayn al-infiʿāl fī ziyāda al-lām
fī l-māḍī wa-l-mustaqbal; [2] taqūl min ḏālika ʾur-ul-dī ʾay ḍuriba wa-kaḏālika ʾaṣ-il-dī
ʾay ṣuliba wa-kaḏālika ʾič-il-dī ʾay šuriba wa-naḥwa-hunna. [3] Wa-l-farq bayna al-infiʿāl
wa-bayna-hā ʾanna al-infiʾāl lāzim wa-haḏā mutaʿaddin [...] [4] wa-qad yaʾtī al-infiʿāl bi-l-
nūn fa-taqūlu ʾār-in-dī ʾay infaʿala min al-naẓāfa w-kaḏālika kur-un-dī ʾay infiʿāl min al-
ʾibṣār. (MG 52A right)
54 The reference to the tenses is not without importance either. In Arabic, the past tense
verb of the 3.m.sg is the standard form without any additional consonants. The
present/future tense (muḍāriʿ or mustaqbal) is formed by means of an extra prefix and a
change in the pattern of the stem, e.g. in ḍaraba/yaḍribu (‘he hit’/‘he hits or will hit’). In
the Turkic verbal paradigm, these are only added to the verbal stem.
55 According to Kāšġarī, the effect of the insertion of n is that “the verb shifts from
transitivity to intransitivity” (fa-lamma ʾadḫalta al-nūna yuqlabu al-fiʿl min al-taʿdiya ʾilā l-
lāzim: (Dīwān 490).21 Kāšġarī suggests that both in Turkic and Arabic there is a similar
morphological process in which the n causes intransivity: 22
ʾar tukūn yaz-dī (ḥalla al-raǧul al-ʿuqda) ‘the man loosened the knot’ but then the n
is attached and they say tukūn yaz-in-dī23 i.e. ‘the knot is loosened’ (inḥallat al-
ʿuqda) and the verb has become intransitive because of the attachment of the n to it.
ʾAr tukūn yaz-dī ʾay ḥalla al-raǧulu al-ʿuqdata ṯumma yulḥaqu bi-hi al-nūn fa-yuqālu
tukūn yaz-in-dī ʾay inḥallat al-ʿuqdatu fa-ṣāra al-fiʿl lāziman bi-ʾilḥāq al-nūn bihi. (Dīwān
490‑491)
56 Perhaps they maintain that the functions of n in Turkic and Arabic here coincide, i.e. namely passivization of transitive verbs. 24
(8) in-qataʿa
PASS.RESULT-cut-3m.sg.PAST
57 In his work Ḥilyat al-Insān, Ibn Muhannā writes a brief yet elaborate explanation of the
passive forms. He announces a discussion of three items: “the fourth chapter on [1] the
verb whose agent is not mentioned (fiʿl mā lam yusamma fāʿiluhu), i.e. the fuʿila form [2]
the form infiʿāl and [3] the form tafaʿʿul”25 (Ḥilyat 129). The patterns infiʿāl and tafaʿʿul
are in Arab grammar often used in the context of compliance (muṭāwaʿa).
58 Then Ibn Muhannā proceeds with a description of four instances in which in Turkic an
unvocalized l is added. His point of departure is formed by the contexts in which one of
the passive forms is used in Arabic. The first of these is the internal passive (maǧhūl) in
which the l is, in Ibn Muhannā’s terms, inserted (ʾadḫalta) to the “roots” (ʾuṣūl) of the
verb, e.g.:
• ʾaḫaḏa — ʾal-dī, ʾuḫiḏa — ʾal-il-dī* ‘he took’, ‘he was taken’;
• ḍaraba — ʾur-dī, ḍuriba — ʾur-ul-dī, ‘he hit’, ‘he was hit’;
• kasara — sin-dur-dī, kusira — sin-dur-.l-dī, ‘he broke’, ‘he was broken’.
59 In all of these examples, the Arabic equivalents have the internal passive. The Turkic
forms differ from another. The choice for ʾal-il- is peculiar, for the regular passive
form of ʾal- is, according to the rules, ʾal-in-, ʾal-il- being quite rare (Clauson 1972:
145). Further, sin-dur- is surprising too, because it is a causative form (-dur-) and the
passivization process shown here (sin-dur-ul-) thus contains a cluster of one causative
and one passive suffixes.
60 Secondly, Ibn Muhannā explains, the unvocalized l in Turkic occurs as a marker where
in Arabic the verbal pattern infaʿala is used. He illustrates this with the following
examples:
• ṭahura ‘he was clean’ — ʾarī-dī, taṭahhara26 — ʾar-īl-dī ‘he was cleansed’;
• ʿallaqa ‘he hung’ — ʾas-dī, taʿallaqa — ʾas-īl-dī ‘he was hung’;
• farraqa ‘he separated’ — taġ-dī, tafarraqa — taġ-īl-dī ‘it was dispersed’.
61 Interestingly, while all Turkic forms indeed contain a passive in -Vl-, none of the Arabic
examples are an actual illustration of the VII pattern (infaʿala). Instead, they are all
V forms (tafaʿʿala). Perhaps Ibn Muhannā did not intend to refer literally to the VII
infaʿala form but rather the notion of muṭāwaʿa often associated with this pattern.
62 In the third place, according to Ibn Muhannā, a q is used as a marker of passivity, e.g.:
• kasara, s.n-dī ‘he broke’, takassara, s.n-uq-dī ‘it was broken’.
63 Yet a verbal stem s.n-uq-, as far as I know, does not exist; the form sın-uq is an
adjective to which, in a regular procedure, a past tense ending can be added (Clauson
1972: 837). Moreover, while no doubt derived from the verb sı- ‘break’, the adjective
already contains -n-, which denotes passivity. In proposing here q as a suffix, Ibn
Muhannā either follows Kāšġarī (cf. 3.2.2), who also proposes q as a marker of passivity,
albeit with a less adequately chosen example, or, alternatively, he has had access to
sources used by Kāšġarī.
64 In a fourth statement, Ibn Muhannā remarks that instead (ʿiwaḍ) of the l and the q an
unvocalized n can be used. The condition for using n is, he writes, that the preceding
consonant is vocalized with an a (maftūḥ) or a u (maḍmūm). This same n also serves as
the marker of the equivalent to the V tafaʿʿul pattern, the reflexive:
• ġasala — yū-dī ‘he washed’, taġassala — yū-n-dī ‘he washed himself’
• ḥarraka ‘he moved (tr.)’ — t.brā-dī ‘he moved (intr.)’, taḥarraka — t.brā-n-dī ‘he (was)
moved’.
65 Ibn Muhannā here appears to be saying that in regard to n, in Turkic no difference is
made between the internal passive and the other passive forms. However, again,
neither of the two examples he gives is an internal passive. In addition, his choice of
the second Turkic example, t.brā-dī is not very adequate, since it is intransitive and
clearly not the equivalent of the transitive verb ḥarraka.27
66 The suffixes l and n occasionally occur in combination with each other in Turkic verbs,
e.g. yaz-l-in- ‘become loose’ and yuv-lu-n-28 ‘roll’. In the reasoning of the Arab
grammatical tradition, doubling poses a problem, since these are both meaningful
suffixes which essentially serve the same function. Although Kāšġarī (490‑411) does not
mention this theoretical problem, he analyses the facts in some detail, in relation to the
passive-reflexive verbs yaz-li-n- ‘become loose’ and yuv-lu-n- ‘roll (pass.)’ [< yuv- ‘to
roll (trans.)’], which convey the same meaning as the simpler alternative passive forms
yaz-il- and yaz-in- and yuv-ul-, respectively. In Kāšġarī’s analysis, many of the issues
discussed above come together:
[1] Then the n is combined (turakkabu) with the l and they say yaz-li-n-dī, i.e. ‘the
knot loosens by itself’ (inḥallat al-ʿuqdatu bi-ṭabʿihi) (sic).
[2] They also say ʾar tubuq yuv-dī29 ‘the man rolled the ball’ (daḥraǧa al-raǧul al-
kurrata). Then they say tubuq yuv-ul-dī ‘the ball was rolled by the action of
something else’ (duḥriǧat al-kurra bi-fiʿili ġayrihi). The same applies in case of [the
Arabic verbal form] tadaḥraǧa ‘it rolled (intr.)’ [i.e. there is no implied agent]. Then
the n is attached to it (yulḥaqu), and they say yuv-lu-n-dī, i.e. ‘it rolled by itself’
(tadaḥraǧa bi-ṭabʿihi).
[3] Before the attachment of the n to the l [i.e. yaz-il-], the verb was transitive
(lāziman) in two aspects (waǧhayni). One of them30 was that the action affected it [i.e.
the semantic object] (wāqiʿan ʿalayhi) through an unknown agent (fāʿil maǧhūl) and
the verb follows the same course (maǧrā) as the l in it. 31
[1] ṯumma turakkabu al-nūn maʿa al-lām fa-yuqāl yaz-li-n-dī ʾay inḥallat al-ʿuqdatu bi-
ṭabʿihi [2] wa-kaḏālika yuqālu ʾar tubuq yuv-dī ʾay daḥraǧa al-raǧul al-kurrata. Ṯumma
yuqālu tubuq yuv-ul-dī ʾay duḥriǧat al-kurra bi-fiʿli ġayrihi wa-kaḏālika ʾiḏā tadaḥraǧa
ṯumma yulḥaqu bihi al-nūn fa-yuqālu [491] yuv-l-un-dī ʾay tadaḥraǧa bi-ṭabʿihi. [3] fa-
qabla ʾilḥāq al-nūn bi-l-lām kāna al-fiʿl lāziman ʿalā waǧhayni, ʾaḥaduhumā kāna yaǧūzu
ʾan yakūn al-fiʿlu wāqiʿan ʿalayhi min fāʿil maǧhūl fa-yaǧrī al-fiʿlu maǧrā al-lām fīhi.
67 What Kāšġarī appears to be saying in this section is that yuv-ul- is a passive form with
an implied, hidden (or unknown) agent. Yet after the addition of the n, resulting in
yuv-lu-n-, which contains a (vowel shift and a) combination of suffixes —impossible in
Arabic—, the verb looses the notion of implied or hidden agent and the action is carried
out by itself (bi-ṭabʿihi), expressed in Arabic by a passive-reflexive form such as
tadaḥraǧa.32 Thus he not only distinguishes semantically and functionally the Arabic
internal passive from the infiʿāl-form, he also assigns distinct functions to Turkic verbal
morphemes.
68 While in Arabic the pre- and infixes are inserted before the verbal (or nominal) root
called ʾaṣl33 and between its consonantal elements, in Turkic all suffixes are attached to
an (almost) invariable stem and clustered to one another. Because of the distinct
qualities, the Turkic stem cannot be equivalent to the Arabic root
69 In the Margin Grammar and in Qawānīn, as we have seen above, therefore the terms fiʿl
al-ʾamr ‘imperative verb’ and fiʿl al-ʾamr al-muǧarrad ‘the bare imperative verb’ are used.
This makes sense, because the Turkic bare stem, devoid of any suffixes, conveys the
imperative. Other sources (Tuḥfa, Dīwān) use fiʿl for the verbal stem. Ibn Muhannā uses
once ‘roots’ in relation to verbs (ʾuṣūl, see 3.3.1). In yet another context, the Margin
Grammar uses al-ʾaṣl al-mufrad al-muǧarrad ‘the basic bare root’ (MG 36B top).
4 Conclusions
70 It is obvious that the Arab grammarians recognized the two Turkic suffixes, l and n,
that are attached to the verbal stem in order to indicate the passive form. Yet there are
different points of confusion as to the distribution of these suffixes. For example, for
some reason they link the distribution of the n to mono- or biradical verbs.
71 Another problem is the signification. In Arabic, the passive can be expressed by means
of an internal passive along the patterns /fuʿila/ —a change within the root (wazn)— or
/mafʿuwl/, or via changes to the root, VII infaʿala or V tafaʿʿala each signifying different
things. While the internal passive refers to an unknown, hidden agent, the VII and V
forms refer to an absent agent, the subject of the verb carries the action out by itself.
These forms are used in the concept of compliance, the resultative (muṭāwaʿa) in which
an agent carries out the action, while there is a causing element. In Turkic no such
differences exists and n can be assigned the same signification as the equivalent suffix
in Arabic: intransitivization. Most sources take the functional overlap of l and n, when
transferred to Arabic, for granted; only the Margin Grammar explicitly says that they
coincide. It seems the authors are confused by this overlap; they would have preferred
to assign the Turkic suffixes l/n distinct functions.
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NOTES
1. The author wishes to thank the anonymous reviewer for his critical remarks.
2. The importance of Dīwān is so great, that most Turkic peoples, from Turkey to Kazakhstan,
claim it as part of their cultural heritage. In addition, Dīwān formed the basis for Clauson’s
etymological dictionary of Turkic languages (Clauson 1972).
3. See, e.g. Yavrumyan (2006).
4. /”/ represents the ʾalif, which is preceded by /a/ (fatḥa), which then can only be realised as a
long vowel (see Bohas and Guillaume 1984: 256‑259).
5. It remains to be investigated whether they discerned new functions that were unknown to the
Arabic system.
6. Khawla (2012: 129‑130) lists eleven verbal patterns for the muṭāwiʿ, one of them, in fuʿila, as in
ǧadaʿahu fa-ǧudiʿa ‘he deceived him, so he was deceived’.
7. Clauson (1972) notes the rare form al-ıl- as a passive of al-; also bil-il- ‘be known’ (< bil-)
(Berta 1998: 160).
8. In the sources, the vowels in Turkic morphemes are occasionally not explicitly written; in
those cases, a period is used in the transcription, e.g. –.l- and –.n-.
9. On al-nāʾib ʿan al-fāʿil, cf. Bazzi-Hamzé (2007a: 82).
10. Correction for ‘noun’: R.E.
11. Clauson (1972: 57).
12. Em. by the editor.
13. The variant ye-n- does exist in the same meaning. The Turkic verb yaŋ- (pronounced with
front vowels as [yeŋ-] ‘to beat, conquer’, yeŋ- [Clauson 1972]) has a regular passive form, i.e. yaŋ-
il- ‘be conquered’. In Ottoman Turkish, the two verbs yen- and yeŋ- have merged into yenmek
‘to overcome’, ‘to be eaten’ (Redhouse 1978 [1890]).
14. Qawānīn repeats this same text almost literally when describing how the passive participle is
formed (p. 51; see discussion in 3.2.1).
15. K represents the morphemes k or q depending on whether the word is pronounced back or
front.
16. Note that in Clauson’s transcription of Turkic −q is not used. Whether a word is pronounced
back or front is to be inferred from the vowels.
17. Cf. Clauson (1972: 22, 962, 270 & 928).
18. Cf. Clauson (1972: 22, 962 & 738).
19. According to Clauson (1972: 337), Kāšġarī here mistakes the -q for the suffix -siq.
20. Cf. ibid.
21. If we take this remark to also be valid for verbs with −il-, this is not entirely true, because
there are verbs without ‑l‑ that are transitive, e.g. igle-l-, (< igle: ‘be sick’); a disease igle-l-di
‘was suffered’ (Clauson 1972: 107).
22. Kāšġarī elsewhere remarks that the n in general causes intransitivity, e.g. for the medio-
passive or reflexive verbs (596‑597).
23. Correction for yaz-li-n-dī, which Kāšġarī mentions as an alternative later on in the text.
24. A step further would be the suggestion that Kāšġarī believed that -n has a cross-linguistic
signification and that it is the same morpheme in the two languages.
25. Numbers added: R.E.
26. Note that taṭahhara is the passive form to ṭahhara ‘cleanse’, not ṭahura, as Ibn Muhannā seems
to be asserting here.
27. Hence its causative form tepre-t-, cf. Clauson (1972).
28. Cf. ibid.: 987.
29. On yuv- cf. ibid.: 873.
30. Contrary to what one would expect here, a second aspect is not mentioned.
31. On maǧrā, see Maróth (2009: 13).
32. Kāšġarī adds in a subsequent passage on the same page that tetra-radical (rubāʾī) verbs that
are the result of a procedure of combining, such as yuv-lu-n-dī, are transferred (manqūla) from a
bi-radical (ṯunāʾī) verb (yuv-) to tri-radical (ṯulāṯī), and from tri-radical to tetra-radical.
33. On ʾaṣl, cf. Baalbaki (2009: 191); Bohas and Guillaume (1984).
ABSTRACTS
This paper deals with the analyses of medieval Arab grammarians of passive and resultative
verbs in Turkic. In Arabic grammatical theory, certain forms are correlated with unique
meanings. In Arabic there are basically two types of passives: first, an internal apophonic passive,
indicated by a vowel shift within the verbal root, e.g. /faʿila/ → /fuʿila/; secondly, a passive
indicated by the prefix in- attached to the root, i.e. Form VII, which results in the infinitive
pattern infiʿāl —yet verbal forms construed according to the VII paradigm are in addition often
interpreted as resultative verbs. In Turkic, verbs can be passivized by adding an -Vl- to the verbal
stem (under some criteria this is -Vn-), e.g. ʾur- ‘hit’ → ʾur-ul- ‘be hit’; the Turkish -Vn- form
also expresses the reflexive form, e.g. ʾur-un- ‘hit oneself’. In addition, other suffixes may
indicate passivization. This poses problems for the grammarians, which they tackle in similar but
also very distinct ways: the distinctions between the two passive forms in Arabic, the missing
resultative in Turkic, the passive in Turkic, the notion of stem in Turkic versus root in Arabic
theory, the position of the inserted element, the criteria according to which the Turkic passive
form is not -Vl- but instead -Vn-, to name but a few.
Cette contribution se penche sur les analyses des verbes passifs et résultatifs en turcique menées
par les grammairiens arabes. Dans la théorie grammaticale arabe, certaines formes sont corrélées
à une valeur unique. En arabe, il y a essentiellement deux types de passif : un passif apophonique
interne, indiqué par une variation des voyelles à l’intérieur de la racine verbale, e. g. /faʿila/ → /
fuʿila/, et un passif marqué par le préfixe in- attaché à la racine, autrement la forme VII, qui
donne l’infinitif infiʿāl ; toutefois les formes verbales de la forme VII sont en outre souvent
interprétées comme des verbes résultatifs. En turcique, les verbes peuvent être construits au
passif en ajoutant au radical un suffixe -Vl- (dans certains cas -Vn-), e. g. ʾur- ‘frapper’ → ʾur-ul-
‘être frappé’. La forme -Vn- en turc peut également exprimer la forme réfléchie, e. g. ʾur-un- ‘se
frapper soi-même’. Il existe en outre d’autres suffixes qui peuvent marquer le passif. Cela pose
des problèmes aux grammairiens, qui les traitent de manières diverses encore que voisines : la
distinction entre les deux passifs en arabe, l’absence de résultatif en turcique, le passif en
turcique, la notion de radical en turcique opposée à celle de racine en arabe, les critères qui
distinguent les passifs en -Vl- des passifs en -Vn-, pour n’en nommer que quelques-uns.
INDEX
Keywords: ʾAbū Ḥayyān al-Andalusī, Al-Tuḥfa al-Zakiyya fī l-Luġa al-Turkiyya, Arabic
grammatical theory, Ibn al-Muhannā, Kitāb al-Qawānīn li-Ḍabṭ al-Luġa al-Turkiyya, Maḥmūd al-
Kāšġarī, passive in Arabic, passive in Turkic, Turkic grammars in Arabic
Mots-clés: ʾAbū Ḥayyān al-Andalusī, Al-Tuḥfa al-Zakiyya fī l-Luġa al-Turkiyya, grammaires du
turcique en arabe, Ibn al-Muhannā, Kitāb al-Qawānīn li-Ḍabṭ al-Luġa al-Turkiyya, Maḥmūd al-
Kāšġarī, passif en arabe, passif en turcique, théorie grammaticale arabe
AUTHOR
ROBERT ERMERS
Radboud Universiteit, Nijmegen, The Netherlands
1 Préliminaires
1 Bien qu’elle ne relève pas de la grammaire étendue au sens strict du terme, la
grammatisation en Occident d’une langue comme l’arabe, disposant déjà d’une longue
tradition linguistique, pose des problèmes qui ne sont pas substantiellement différents
de ceux qu’ont abordés les autres communications de ce dossier. Ici comme là, les
auteurs des grammaires arabisantes1 ont dû choisir, adapter ou réinterpréter les outils
fournis par la tradition arabe, dans un contexte différent et en réponse à des enjeux
nouveaux. À cet égard, la question de la phrase nominale et de ses avatars dans les
grammaires arabisantes du XVIe siècle à nos jours est particulièrement révélatrice de la
manière dont la tradition arabe a été reçue en Occident.
2 Il se trouve, en effet, que celle-ci a, depuis ses origines, identifié une « phrase
nominale » (jumla ismiyya), qui, en dépit d’une ressemblance partielle et superficielle,
n’a que peu à voir avec ce que l’on a l’habitude de nommer ainsi en linguistique
générale, au moins depuis Meillet (1906), à savoir une phrase « comportant un prédicat
nominal, sans verbe ni copule » (Benveniste 1950). De fait, la phrase nominale des
grammairiens arabes n’a cessé de poser des problèmes aux auteurs de grammaires
arabisantes, qui leur ont apporté des solutions diverses, sans qu’aucune, semble-t-il, se
soit imposée sur le long terme. Ce sont quelques-uns de ces problèmes et de ces
solutions que je voudrais aborder ici, en m’attachant avant tout aux grammaires qui, à
un titre ou à un autre, ont marqué l’histoire des études arabes.
3 Toutefois, avant d’entrer en matière, il est nécessaire de préciser ce que les
grammairiens arabes entendent par « phrase nominale », et comment ils l’ont
théorisée ; dans la mesure où les faits concernés sont assez complexes, cela prendra un
peu de temps. Les arabisants, pour qui ces choses n’ont pas de secret, pourront
avantageusement se dispenser de lire la section suivante.
1a qāma Zayd-un
1b qāma al-rijāl-u
1c * qām-ū al-rijāl-u
2a Zaydun qāʾimun
2b Zaydun fī al-dāri
2d al-rijāl-u qāmū
2e Zayd-un qāma
Zayd-NOM s’est-levé
8 Cette analyse peut être étendue à 2d, pour peu que l’on admette, comme le font les
grammairiens arabes, que les marques de personne du verbe sont en fait des pronoms
sujets amalgamés à celui-ci :
9 Dans cette analyse donc, qāmū constitue à lui seul une phrase, qui contient bien un
pronom renvoyant au thème ; cela permet de rendre compte de l’opposition entre 1b
(qāma l-rijālu, avec le verbe au singulier) et 2d (al-rijālu qāmū, avec le verbe au pluriel 4).
Reste maintenant le cas de 2e, Zaydun qāma ; pour le résoudre, il faut franchir un pas de
plus dans l’abstraction et poser, comme le font les grammairiens arabes, que quand un
verbe à la 3e personne du singulier n’a pas de sujet exprimé, il comporte
nécessairement un « pronom caché » (ḍamīr mustatir) dépourvu de représentation
phonétique (donc représentable par un élément-zéro). Moyennant ce principe, il est
possible d’appliquer le même schéma à la phrase qui nous intéresse :
abordée que sous le rapport de l’accord du verbe avec le sujet, c’est-à-dire l’opposition
1b vs 2d (qāma al-rijālu avec le verbe au singulier vs al-rijālu qāmū, avec le verbe au
pluriel) :
Concordia Substantivi cum Adjectivo, Relativi cum Antecedente ac Nominativi cum Verbo
eadem hic quae in aliis linguis. Solum observandum est :
[…]
2. Plurali humano eleganter quoque praeponi Verbum singulare, […] ut qāla al-nāsu 6
dixerunt homines, yaqūlu al-ḥukamāʾu […], dicunt sapientes, si verbum postponatur
omnia sunt regularia : ut al-nāsu qālū wa yaqūlūna, homines dixerunt et dicunt. (p. 196)
[…]
2. qu’au pluriel humain, dans le bon usage, on antépose le verbe au singulier […],
comme qāla al-nāsu, « les hommes ont dit », yaqūlu l-ḥukamāʾu […], « les sages
disent » ; si le verbe est postposé, tout est régulier, comme al-nāsu qālū wa-yaqūlūna,
« les hommes ont dit et disent »
12 Ce passage est tout à fait représentatif de la méthode suivie par Erpenius : il ne s’agit
pas, à ce stade, de traiter exhaustivement et systématiquement de la syntaxe, mais de
signaler, à des débutants familiers de la grammaire latine, les points sur lesquels l’arabe
se comporte différemment des « autres langues ». Dans cette perspective, se livrer à des
considérations abstraites sur la différence entre 1a (qāma Zaydun) et 2e (Zaydun qāma)
ne serait guère efficace : il suffit de poser une règle d’accord ad hoc pour faire un sort à
l’opposition 1b vs. 2d, d’autant que les phénomènes d’accord en genre et nombre en
arabe présentent d’autres particularités au regard du latin et des langues européennes.
Cette démarche a évidemment un coût, puisque, posant que Zayd est sujet dans 2e
comme dans 1a, elle fait évidemment l’impasse sur 2c (Zaydun qāma ʾabū-hu) ; cela
étant, on peut considérer qu’à ce stade il est inutile d’en faire état, quitte à y revenir
lorsque les apprenants auront atteint un stade plus avancé. De fait, à l’intention de ce
public, Erpenius a donné en 1617 une édition accompagnée d’une traduction et d’un
commentaire de deux abrégés de syntaxe arabe la Muqaddima Ājurrūmiyya
d’Ibn Ājurrūm (mort en 1343) et les Miʾat al-ʿawāmil d’al-Jurjānī (mort en 1078), où la
doctrine traditionnelle est reprise et expliquée.
13 Les Institutiones linguae arabicae de Martellotto 7 (15??‑1617), parues à Rome en 1620,
suivent, quant à elles, une démarche nettement différente : il s’agit d’un ouvrage
beaucoup plus développé (quelque 500 pages in-quarto, à comparer aux 170 pages in-
octavo d’Erpenius). Le livre III notamment, consacré à la syntaxe (p. 352‑483), est un
exposé minutieux et précis de la doctrine des grammairiens arabes, dont s’inspirera
Silvestre de Sacy, comme nous le verrons sous peu. La question qui nous concerne ici
figure dans le deuxième chapitre de ce livre III, consacré aux différents types de
phrase ; elle est traitée dans trois passages, que je donne ici à la suite.
[Oratio] simplex duas obtinet species. Prima dicitur ismiyyatun nominalis, cum scilicet al-
musnad, siue enunciatum est nomen […] ut al-insān ḥayawān homo animal […]. Secunda
dicitur fiʿliyyatun verbalis, haec autem est illa, in qua al-musnad connexum est verbum
praecedens, veluti qāma Zaydun stetit Zaidus. Dicimus autem (quando connexum est
verbum praecedens;) nam si verbum subsequatur; tunc summa non est simplex, ut infra
[La phrase] simple est de deux espèces. La première est dite ismiyya, « nominale », à
savoir lorsque al-musnad, c’est-à-dire l’énoncé [i.e. le prédicat] est un nom, comme
al-insān ḥayawān, « l’homme [est] un être vivant » […]. La seconde est dite fiʿliyya,
« verbale » ; c’est celle dans laquelle al-musnad, « le relié » [i.e. le prédicat], est un
verbe antéposé, comme qāma Zaydun « Zayd s’est levé ». Nous disons toutefois
« quand le relié est un verbe antéposé » ; en effet, si le verbe est postposé, alors il ne
s’agit pas d’une somme [i.e. d’une phrase, jumla] simple, comme il apparaîtra plus
loin.
Secundo autem modo accidit oratio composita, quando loco simplicis alicuius membri eius
collocatur, ac substituitur summa integra, veluti cum dicitur Zaydun māta abū-hu, Zaidus
mortuus est pater eius, vel Zaydun ibnu-hu ḥasanun, Zaidus filius eius pulcher. (p. 357)
Si verbum non praecedat, sed subsequatur, dicetur potius Mobtadaum, unde cum dicitur
Zaydun ḍaraba Zaidus percussit, Zaidus non dicitur agens, sed Mobtadaum […] Quod si
Zaidus praeponatur atque dicatur Zaydun ḍaraba Zaidus percussit, tunc Zaidus erit
Mobtadaum, ut dictum est, agens vero erit pronomen eius, mustatir opertum, siue
occultum, nempe huwa ipse latens in eodem verbo ḍaraba. (p. 364 sq.)
Si le verbe ne précède pas [le sujet], mais le suit, on parle plutôt de Mobtada [i.e.
« thème », mubtadaʾ] ; par conséquent, lorsque l’on dit Zaydun ḍaraba, « Zayd a
frappé », alors Zayd n’est pas dit agent [i.e. sujet du verbe], mais Mobtada. […] Si
Zayd est antéposé et que l’on dit Zaydun ḍaraba, « Zayd a frappé », alors Zayd sera
Mobtada, comme on l’a dit, et l’agent sera son pronom mustatir « recouvert », c’est-
à-dire caché, à savoir huwa, c’est-à-dire « lui », latent dans ce même verbe ḍaraba.
14 Ce passage se passe presque de commentaires : on aura pu constater que Martellotto
reproduit fidèlement l’analyse et le raisonnement des grammairiens arabes, tels qu’ils
ont été exposés plus haut. On pourra simplement noter que la distinction entre phrase
simple et phrase complexe – également présente chez certains grammairiens arabes 8–
permet de séparer, dans l’exposé, le cas de la phrase nominale « simple » (celle qui a
seulement un prédicat nominal), en lui donnant de facto le statut de prototype.
15 On aura pu également remarquer le principal défaut de cette grammaire : une
terminologie technique à la fois pléthorique et redondante, où une notion peut être
désignée tantôt par le terme arabe, en graphie originale (e. g. al-musnad) ou sous une
forme latinisée (e. g. mobtadaum pour mubtadaʾ ‘thème’), tantôt par sa traduction
littérale dans son acception non technique (e. g. summa ‘somme’ pour jumla ‘phrase’),
tantôt par son équivalent latin (oratio pour le même jumla). Ce défaut, joint aux
dimensions considérables de l’ouvrage9, explique sans doute que celui-ci, malgré ses
qualités incontestables, n’a jamais connu le succès de celui d’Erpenius.
16 Cela étant, il faut insister sur le fait que la différence entre les deux grammairiens n’est
pas d’ordre théorique, mais pratique ou plus exactement stratégique : l’un et l’autre
admettent implicitement ou explicitement la théorie de la phrase des grammairiens
arabes et ne cherchent nullement à lui substituer une autre qui serait plus vraie ou plus
adéquate ; simplement, là où Martellotto s’applique d’emblée à l’exposer, Erpenius
préfère la passer provisoirement sous silence, quitte à y revenir dans des ouvrages
destinés à un public plus avancé, et se borne à fournir une règle ad hoc qui permet, à ce
stade, de parer au plus pressé.
4 Silvestre de Sacy
17 Avec la Grammaire arabe de Silvestre de Sacy (1758‑1838), nous abordons une nouvelle
étape dans l’histoire des théories linguistiques : ce savant, dont il est inutile de
souligner le rôle dans le développement des études orientales 10, est aussi l’un des
derniers représentants majeurs de la Grammaire générale. Celle-ci lui fournit d’emblée
un modèle théorique, censément universel, pour l’analyse de la phrase arabe, modèle
qu’il expose succinctement au début du livre III, consacré à la syntaxe :
3. […] toute proposition n’étant autre chose que l’énonciation d’un jugement de
notre esprit et devant être le tableau fidèle de notre jugement, il est nécessaire
qu’elle exprime un sujet, un attribut et l’existence intellectuelle de ce sujet avec
relation à cet attribut […].
4. De ces trois parties dont l’ensemble forme une proposition, le sujet, qui est la
première, est toujours un nom ou un pronom […]. La seconde des trois parties d’une
proposition, l’attribut, peut toujours être rendue par un nom, un pronom ou un
adjectif ; et la troisième, qui est l’expression de l’existence intellectuelle du sujet
avec relation à l’attribut, est exprimée par le verbe substantif, ou abstrait, le seul
qui ne contienne rien d’étranger à la nature du verbe proprement dit, c’est-à-dire
aucun attribut déterminé. (t. II, p. 3)
18 Silvestre de Sacy précise ensuite qu’il s’agit d’un modèle général et abstrait, qui peut se
réaliser de diverses manières selon les langues :
Tantôt le sujet et l’attribut seuls sont exprimés, et le verbe abstrait […] est supprimé
[…]. Tantôt un seul mot exprime l’attribut et l’existence intellectuelle du sujet avec
la relation à cet attribut ; et c’est là la fonction de tous les verbes autres que le verbe
abstrait […] ; aussi n’est-il aucun de ces verbes qui ne puisse être rendu par le verbe
abstrait et par un attribut : je mange, je vais, je lis équivalent à je suis mangeant, je suis
allant, je suis lisant. (ibid., p. 4)
19 Dans un tel cadre, il est bien évident que la distinction entre phrase nominale et phrase
verbale n’a plus de raison d’être : dans une phrase nominale « simple » comme 2a
(Zaydun qāʾimun, « Zayd [est] debout ») ou 2b (Zaydun fī al-dāri, « Zayd [est] dans la
maison »), on dira que le verbe abstrait est sous-entendu, et dans une phrase verbale
comme 1a (qāma Zaydun, « Zayd s’est levé », on posera que le verbe qāma est
décomposable en un verbe abstrait et un attribut, nom ou adjectif. Il est bien évident
aussi qu’il n’y a plus de sens à maintenir deux analyses distinctes pour 1a (qāma Zaydun)
et 2e (Zaydun qāma)11 :
89. Le sujet de tout verbe […] se met au nominatif, ce qui a également lieu soit que le
nom précède ou suive le verbe auquel il sert de sujet. Exemple ; Allāhu yaʿlamu mā
tafʿalūna12 ou bien yaʿlamu Allāh Dieu sait ce que vous faites. (t. II, p. 43)
20 Cette approche a une conséquence évidente : comme Erpenius, mais pour des raisons
entièrement différentes, Silvestre de Sacy a besoin d’une règle d’accord ad hoc pour
tenir compte de la différence entre 1b (qāma al-rijālu, avec le verbe au singulier) et 2d
(al-rijālu qāmū, avec le verbe au pluriel). Cette règle, comme je l’ai relevé plus haut, n’est
cependant pas exagérément coûteuse sur le plan pédagogique, même si elle peut laisser
sur sa faim un apprenant curieux de comprendre le pourquoi des choses.
21 Il reste toutefois le cas de 2c (Zaydun qāma ʾabū-hu, « Zayd, son père s’est levé »), qui,
présente en apparence l’étrange particularité d’avoir deux « sujets », au sens où
l’entend Silvestre de Sacy. En apparence seulement, et il ne lui est pas exagérément
difficile de faire rentrer cette donnée récalcitrante sous le régime commun :
93. Il arrive très souvent que le complément objectif d’un verbe qui devrait être à
l’accusatif, celui d’une préposition qui devrait être au génitif, ou le complément
déterminatif d’un nom qui devrait aussi être au génitif […] sont déplacés du lieu qui
leur appartient dans la proposition et mis au commencement de la phrase : on les
met alors au nominatif et ils sont remplacés, dans le lieu qu’ils devraient occuper
naturellement, par un pronom personnel affixe. Ainsi l’on dit : […] Allāhu rasūlu-hu
ʿinda-kum Dieu, son apôtre est au milieu de vous. […]
Une phrase dont le sujet et le prédicat sont des noms est appelée par les
grammairiens arabes jumla ismiyya, « phrase nominale », et celle dont soit le
prédicat, soit le prédicat et le sujet, sont exprimés par un verbe est appelée jumla
fiʿliyya, « phrase verbale ».
28 Cette formulation reprend en substance celle de Martellotto et se fonde sur l’idée,
partagée par la grande majorité des grammairiens arabes, que la phrase nominale
prototypique est celle qui est constituée de deux noms, comme on l’a signalé plus haut.
Elle n’en comporte pas moins une certaine ambiguïté, dans la mesure où elle semble
définir la phrase nominale par la nature du prédicat, ce qui est évidemment réducteur.
La suite du texte montre toutefois qu’il s’agit d’une formulation provisoire : Caspari
précise quelques lignes plus loin que « le prédicat peut aussi être une préposition avec
son régime » (praedicatum etiam praepositio esse potest cum genitivo suo, p. 246) et, à
propos des phrases du type 2c (Zaydun qāma ʾabū-hu) et 2e (Zaydun qāma), reprend
exactement l’analyse des grammairiens arabes :
Ubi nomen (nomen substantivum vel pronomen) primo, verbum secundo loco collocatum est,
illud non agens sed inchoativus, hoc non verbum, sed enuntiativus et enuntiatio non
verbalis, sed nominalis est; quae, ex inchoativo et integra enuntiatione, verbali, cujus agens
ipsa verbi forma continetur, enuntiatio composita dici potest, ut Zaydun māta Zeidus,
mortuus est, Zeid, er ist gestorben (māta = māta huwa), ʾanā qultu ego dixi, ich, ich
habe gesagt (agens est τὸ tu τoῦ qultu). (p. 247)
Lorsque le nom (substantif ou pronom) est situé en première position et le verbe en
seconde, celui-là n’est pas agent mais l’inchoatif [i.e. le thème] et celui-ci n’est pas le
verbe mais l’énonciatif [i.e. le propos], et la phrase n’est pas nominale mais verbale ;
celle-ci, constituée d’un inchoatif et d’une phrase complète dont l’agent est contenu
dans la forme verbale elle-même, peut être dite complexe, comme Zaydun māta,
« Zayd, [il] est mort, Zeid, er ist gestorben » (māta = māta huwa), ʾanā qultu, « Moi, j’ai
dit, ich, ich habe gesagt » (l’agent est [le morphème] -tu de qultu).
29 On peut observer ici que Caspari a parfaitement perçu le caractère thématique de ce
qu’il appelle, à la suite de Silvestre de Sacy l’« inchoatif » ; il prend même la peine de
rendre ses exemples en allemand, où cette valeur est apparemment plus facile à mettre
en évidence qu’en latin. Il n’en reste pas moins qu’il y a là une certaine ambiguïté, une
certaine tension, entre l’idée, suggérée par le début du texte, que la « vraie » phrase
nominale serait une phrase sans verbe et ce que je serais tenté de nommer le principe
de réalité, qui impose de prendre en compte les cas de type 2c-e en les intégrant à une
description cohérente.
30 Dans l’édition allemande, toutefois, le premier des deux fragments est entièrement
remanié, comme si Caspari se rendait compte du caractère insatisfaisant de la première
rédaction :
Ein jeder Satz, welcher mit dem Subject, sei dies nun ein Nomen oder ein Pronomen, beginnt,
wird von den arabischen Grammatikern jumlatun ismiyyatun, ein Nominalsatz genannt.
Ob das folgende Prädicat selbst wiederum ein Nomen oder eine Präposition mit dem von ihr
regierten Substantiv […], oder ob es ein Verbum (Verbalsatz) ist, das ist dabei gleichgiltig
(Zaydun māta gilt den arabischen Grammatikern ebensowohl für einen Nominalsatz als
Zaydun ʿālimun und Zaydun fīl-masjid, was den Nominalsatz, nach ihnen, charakterisirt,
ist immer die Abwesenheit einer durch ein Verbum finitum gegebenen oder in einem solchen
enthaltenen logischen Copula). (p. 322 sq.)
Toute phrase qui commence par le sujet, qu’il s’agisse d’un nom ou d’un pronom,
est pour les grammairiens arabes jumla ismiyya, « une phrase nominale ». Que le
prédicat qui le suit soit un nom, une préposition avec son régime ou un verbe (une
phrase verbale), cela n’entre pas en ligne de compte (Zaydun māta [« Zayd, il est
mort »] est pour eux tout autant une phrase nominale que Zaydun ʿālimun [« Zayd
est savant »] et Zaydun fī l-masjid [« Zayd est à la mosquée »] ; pour eux, la phrase
nominale est toujours caractérisée par l’absence d’une copule logique exprimée par
un verbe fini ou bien contenue dans celui-ci).
31 Le début du paragraphe rétablit la doctrine orthodoxe des grammairiens arabes : ce qui
caractérise la phrase nominale n’est pas la nature du prédicat, qui « n’entre pas en
ligne de compte » (das ist dabei gleichgiltig), mais l’antéposition du sujet. La dernière
phrase, en revanche, apparaît passablement obscure, pour ne pas dire confuse. D’une
part, elle prétend expliquer la position des grammairiens arabes en faisant appel à une
notion, celle de copule, qui leur est totalement étrangère : s’il n’existe pas, en arabe, de
verbe copule, ils pouvaient difficilement remarquer son absence, et encore moins
supposer qu’un verbe fini pût en contenir une. D’autre part, si l’on admet un tel
présupposé (qui semble repris à la Grammaire générale, autant que je puisse en juger),
on peut s’interroger sur sa pertinence pour qualifier un énoncé comme Zaydun māta,
qui contient bien un « verbe fini » et donc une copule ; la seule manière dont on puisse,
me semble-t-il, comprendre cette phrase serait de dire que la copule contenue dans le
verbe māta relie non pas celui-ci à Zayd, mais au « pronom masqué » qui lui sert de
sujet. Cela étant, l’impression demeure que la phrase nominale des grammairiens
arabes est désormais devenue un objet un peu encombrant, que l’on conserve faute de
mieux, dans la mesure où il permet de rendre compte des faits de manière cohérente,
mais que l’on a un peu de mal à valider. Symptomatique à cet égard est le régime
d’évidentialité des fragments cités plus haut : Caspari se borne à rapporter la position
des grammairiens arabes, sans la reprendre à son compte ni la rejeter explicitement, ce
qui est une façon de prendre ses distances avec elle, tout en conservant son potentiel
descriptif.
32 Cela étant, il faut insister sur le fait que Caspari – comme l’avait fait jusqu’à un certain
point Silvestre de Sacy – a clairement perçu certaines des particularités sémantico-
pragmatiques de la phrase nominale. Une « Remarque » insérée dans la 5 e édition de sa
grammaire (Caspari 1887), et due sans doute à son réviseur, August Müller, va
également dans ce sens :
Anmerk. Die Wichtigkeit, welche im Systeme der arabischen Grammatik dem Unterschiede
zwischen Nominalsatz und Verbalsatz beigemessen wird, ist keine künstliche, sondern
durchaus im Wesen der Sprache begründet. Der mit dem Ausdrucke für die Thätigkeit
beginnende Verbalsatz ist die gegebene Form für die Erzählung von Handlungen und
Ereignissen, der Nominalsatz, in welchem von dem voranstehenden Subject durch das
Prädikat etwas ausgesagt wird, dient ebenso natürlich der Beschreibung von Personen oder
Sachen […]. Dieser Unterschied wird, falls nicht der Wunsch nach Hervorhebung eines oder
des anderen Wortes eine Veränderung in der Wortstellung herbeiführt, im guten alten
Arabisch mit grosser Regelmässigkeit festgehalten. (p. 332)
Le prédicat est soit un nom, soit une expression relationnelle [i.e. un groupe
prépositionnel], soit un verbe fini : le trait caractéristique de la première et la
seconde catégorie n’est pas l’absence de copule, mais l’absence de verbe fini. Les
phrases dont le prédicat est un verbe fini sont qualifiées de phrases verbales, toutes
les autres de phrases nominales.
34 Comme on peut le constater, cette définition permet accessoirement d’évacuer la
question un peu encombrante de la copule, ou plus exactement de son absence (si tant
est que l’absence de quelque chose puisse être encombrante) ; il semble d’ailleurs qu’il y
a là une réponse implicite à la phrase de Caspari relevée plus haut. Dès lors, l’analyse
des grammairiens arabes n’est plus mentionnée que pour mémoire :
[…] die Grammatiker der Araber eben an dem Voranstehen des Subj. den Nominalsatz
erkennen und an dem Voranstehen des Praed. den Verbalsatz. Der Verbalsatz mit Inversion
(§ 22) ist für sie ein zusammengesetzter Nominalsatz, das praedizirende Verbum selbst ein
Satz, also Zaydun ḍaraba = „Zeid, er schlug“. (p. 2)
1. The equational sentence […]. This consists of subj. + pred. only and contains no verbal
copula or any other verbal element. It asserts that the subj. is identical with the pred. (which
cannot therefore be a verb) […]e.g. al-šamsu ḥāriqatun “the sun is burning” (i.e. in the
class of something which burns).
2. The topic + comment sentence […]. This also contains no verbal copula, but the comment
is an entire clause (either an equational or a verbal sentence). […] It thus differs
fundamentally from the single term predicate of the equational sentence in that the
comment is always compound […].
3. The verbal sentence. This consists of a verb, always in the first position […] accompanied
by its agent […]. (p. 306)
La phrase nucléaire ou basique en arabe est soit sujet + prédicat soit verbe + agent.
Dans le cas des phrases sujet + prédicat, une subdivision peut être faite selon la
structure du prédicat, ce qui donne trois types de phrases :
2. La phrase topique + commentaire […]. Celle-ci ne contient pas non plus de copule
verbale, mais le commentaire est une phrase complète (équationnelle ou verbale).
Elle diffère donc fondamentalement du prédicat constitué d’un seul terme, en cela
que le commentaire est toujours composé. […]
(Zaydun qāma ʾabū-hu etc.). Cela étant, elle pèche quelque peu du côté de la cohérence.
Ce défaut apparaît d’emblée dans le disparate de la terminologie employée : « phrase
équationnelle » renvoie à la sémantique, « phrase topique + commentaire » à la
pragmatique et « phrase verbale » à la syntaxe. Au demeurant, la dénomination
« phrase équationnelle » n’apparaît pas très heureuse, même si elle semble assez
répandue comme synonyme de « phrase nominale » : définie comme assertant l’identité
du sujet avec le prédicat, elle ne vaut au sens strict que pour les définitions (e. g. « Un
célibataire est un homme non marié »)20 ou encore pour les phrases nominales dont le
propos est référentiel (e. g. « Walter Scott est l’auteur de Waverly ») ; en revanche, on ne
voit guère comment y faire entrer les autres, de loin les plus fréquentes. À cet égard, la
glose proposée pour al-šamsu ḥāriqatun illustre bien cette difficulté : on est passé
inopinément de l’assertion d’une identité à celle de l’appartenance à une catégorie, ce
qui n’est pas la même chose. L’incertitude s’accroît encore si l’on fait intervenir les
phrases nominales dont le propos est un groupe prépositionnel (e. g. Zaydun fī l-dār
« Zayd [est] dans la maison »), mentionnées quelques lignes plus loin : ici, il ne saurait
évidemment être question d’identité entre sujet et prédicat, et oserait-on gloser cette
phrase par « Zayd appartient à la classe de quelque chose qui est dans la maison » ?
43 D’un autre point de vue, on ne voit pas très bien pourquoi la dénomination « phrase
topique + commentaire » serait réservée au cas où ledit commentaire est une phrase :
rien, semble-t-il, n’empêche de l’appliquer aux constructions de type 2a (Zaydun
qāʾimun) et 2b (Zaydun fī al-dāri), comme l’indique notamment le fait que, dans les deux
cas, le « sujet » doit en principe être défini (on ne peut construire, par exemple,
*rajulun qāʾimun ‘un homme est debout’), ce qui correspond bien à ce que l’on attend
d’un thème. Autrement dit, la distinction entre phrase équationnelle et phrase
topique + commentaire apparaît en définitive largement artificielle.
44 On pourrait sans doute répondre à cela qu’elle a au moins le mérite de ne pas faire
l’impasse sur une partie des données – ce qui n’est pas le cas de tout le monde – tout en
préservant la conception communément admise de ce qu’est la phrase nominale, fût-ce
au prix d’un artifice de langage. On pourrait également répondre qu’une grammaire
n’est pas prioritairement destinée à des linguistes coupeurs de cheveux en quatre, mais
à des apprenants, et qu’elle reflète nécessairement un compromis entre efficacité
pédagogique et cohérence théorique. Comme on a pu le voir, il s’agit d’un débat qui ne
date pas d’hier et que je n’ai pas la prétention de trancher ici.
8 Conclusion
45 Que retenir de ce long périple à travers les grammaires arabisantes ? Le point principal
qui s’en dégage, me semble-t-il, est qu’il illustre parfaitement les pièges et les limites de
l’inter-traductibilité des catégories linguistiques. Il est inutile de s’appesantir
davantage sur le cas de la phrase nominale : on a suffisamment vu les malentendus et
les hésitations découlant du fait qu’une dénomination identique recouvre des objets
construits de manière fondamentalement différente. Toutefois, au-delà de cette
constatation quelque peu triviale, le nœud du problème – comme l’avaient déjà relevé
Ayoub et Bohas (1981) – réside dans la tendance constante dans les grammaires
arabisantes (sauf, dans une certaine mesure, la dernière citée) à classer indistinctement
sous la catégorie de sujet aussi bien le thème (mubtadaʾ) de la phrase nominale que
l’agent (fāʿil) de la phrase verbale et à penser l’un et l’autre sous l’opposition sujet/
prédicat : cet outillage ne leur permettait guère de donner une description réellement
précise et rigoureuse de la phrase nominale en arabe, lors même que certains d’entre
eux, tels Silvestre de Sacy ou Caspari en percevaient assez clairement certaines
particularités sémantico-pragmatiques. Ces outils existaient pourtant dès la seconde
moitié du XIXe siècle, avec la notion de « sujet psychologique » élaborée par Georg
von der Gabelentz, Hermann Paul et Phlipp Wegener (Nerlich et Clarke 1999), puis les
travaux de Charles Bally et du cercle de Prague. Cela conduit à s’interroger sur le
rythme et les réseaux par lesquels les innovations en linguistique se transmettent des
travaux théoriques aux grammaires d’apprentissage ; mais c’est là une question qui
dépasse autant les limites de cet exposé que les compétences de son auteur.
BIBLIOGRAPHIE
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1580‑1950. Trad. par A. Hamilton. Boston MA : Brill.
NOTES
1. Par convention, on désignera ainsi les grammaires produites en Occident à l’usage d’un public
occidental, et par « grammaire arabe » le système autochtone.
2. Je ne tiens pas compte ici d’un certain nombre de constructions que la tradition a rattachées,
plus ou moins arbitrairement, à la phrase nominale, comme les constructions locatives du type fī
l-dāri Zaydun (« Dans la maison [il y a] Zayd »), que certains considèrent d’ailleurs comme un type
de phrase distinct, ou encore des données très marginales comme ʾa-qāʾimun al-Zaydān (« Est-ce
qu’il est [sic] debout, les deux Zayd ? »).
3. Le seul grammairien à rejeter explicitement cette affirmation, à ma connaissance, est al-
Astārābāḏī, qui la juge « dépourvue de fondement » (Šarḥ al-Kāfiya, I, 8).
4. Notons au passage que, dans l’optique des grammairiens arabes, ce n’est pas à proprement
parler le verbe qui est au singulier ou au pluriel, mais bien le pronom qui lui est amalgamé.
5. Sur cet ouvrage et son auteur, voir notamment Fück (1955 : 59‑72) ; Jones (1988 : 187‑212) ;
Vrolijk et van Leeuwen (2014 : 31‑40) ; Guillaume (2018).
6. Dans les citations, sont composés en romain les passages en graphie arabe dans l’original.
7. Sur cet ouvrage et son auteur, voir Girard (2010).
8. Par exemple Ibn Hišām, Muġnī l-Labīb, p. 490 sq.
9. À noter qu’une version abrégée de la grammaire de Martellotto a été donnée par son élève
Filippo Guadagnoli, sous le titre Breves Arabicae linguae institutiones (Rome, 1642). Celui-ci ramène
à de justes bornes la prolixité de son maître, sans pallier les incertitudes de sa terminologie.
10. Les différents aspects de la carrière et de l’œuvre de Silvestre de Sacy sont abordés, avec une
abondante bibliographie, dans Espagne et al. (2014). Sur sa Grammaire arabe, voir également
Guillaume (2019).
11. Le passage ci-dessous est assorti d’une longue note, où l’auteur déclare en substance qu’il
s’écarte sur ce point de la doctrine des grammairiens arabes ; celle-ci, dont la connaissance est
selon lui « indispensable à quiconque veut entendre les grammairiens, les lexicographes et les
scoliastes arabes » (t. I, p. ix) est en revanche exposée au livre IV de la Grammaire, pour lequel
Silvestre de Sacy déclare avoir « pris pour guide » le livre III de Martellotto (ibid., p. x).
12. Dans les citations en français, sont composées en italique les passages en graphie arabe dans
l’original.
13. Sur cet ouvrage et son auteur, voir Fück (1955 : 167) ; Guillaume (2020).
14. Auquel il rend toutefois un vif hommage « non seulement pour l’étendue de sa science, mais
encore pour la remarquable pureté de son âme » (non ob doctrinae solum copiam sed ob animi
candorem insignam, vol. I, p. v).
15. Je tiens à remercier Pascale Rabault-Feuerhahn, qui m’a aidé à comprendre et à traduire
plusieurs des textes en allemand cités ici.
16. C’est le cas, par exemple, de la grammaire de Socin (1 re éd. 1885), qui est pour l’essentiel un
abrégé de celle de Caspari ; maintes fois rééditée et traduite, elle donna lieu elle aussi à plusieurs
remaniements (voir Socin 1909 : 103‑107).
17. Parmi lesquels ils citent Caspari, ce qui est un peu réducteur et néglige notamment ce qu’il
doit à Ewald.
18. Il est bien évident que l’absence de copule dans une langue donnée – et partant, la tentation
de la « rétablir » là où l’on pense qu’elle devrait être – ne peut être ressentie que si l’on examine
les faits à partir d’une autre langue qui en est pourvue. Faute de prendre conscience de cette
vérité première, on ne peut que faire dire des sottises aux grammairiens arabes et s’enferrer soi-
même dans d’inextricables confusions.
19. Soulignons que ce grand arabisant – qualificatif que l’on ne saurait non plus refuser à
Blachère et à Gaudefroy-Demombynes – était aussi, en son temps, l’un des meilleurs connaisseurs
des textes grammaticaux arabes ; toutefois sa lecture restait surdéterminée par la vulgate
positiviste alors dominante, pour qui ils relevaient d’un « stade métaphysique » désormais
irrémédiablement dépassé.
20. C’est notamment en ce sens que l’emploie Jakobson (1963 : 52 et 218).
RÉSUMÉS
En dépit de ressemblances superficielles, la phrase nominale (jumla ismiyya) de la tradition
grammaticale arabe n’a que peu à voir avec ce qu’il est convenu de nommer ainsi en linguistique
générale depuis au moins Meillet (1906). Elle ne se caractérise pas par l’absence de verbe ou de
copule, mais par une structure thème + propos (mubtadaʾ + ḫabar), et regroupe un ensemble assez
consistant de faits, tout en permettant d’en donner une explication cohérente. Cet article étudie
la manière dont ces faits sont présentés et analysés dans un ensemble de grammaires produites
en Europe depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours, posant le problème de l’inter-traductibilité des
catégories linguistiques d’une tradition à l’autre.
In spite of superficial similarities, the nominal sentence (jumla ismiyya) according to the Arabic
grammatical tradition has little if anything to do with what is usually called by this name in
general linguistics since Meillet (1906). It is not characterized by the lack of any verb or copula,
but by a topic + predicate (mubtadaʾ + ḫabar) structure, and covers a substantial set of facts, while
explaining them in a self-consistent way. This paper discusses how these facts are presented and
analyzed in a set of Arabic grammars written in Europe from the 17th century to the present day,
raising the issue of the inter-translatability of linguistic categories from one tradition to another.
INDEX
Mots-clés : Badawi (Elsaid), Blachère (Régis), Carter (Michael), Caspari (Carl Paul), Erpenius
(Thomas), Ewald (Georg Heinrich), Gaudefroy-Demombynes (Maurice), grammaires européennes
de l’arabe, Gully (Adrian), jumla ismiyya, Martellotto (Francesco), phrase nominale, Reckendorf
(Hermann), Silvestre de Sacy (Antoine-Isaac), tradition grammaticale arabe, Wright (William)
Keywords : Arabic grammars in Europe, Arabic grammatical tradition, Badawi (Elsaid), Blachère
(Régis), Carter (Michael), Caspari (Carl Paul), Erpenius (Thomas), Ewald (Georg Heinrich),
Gaudefroy-Demombynes (Maurice), Gully (Adrian), jumla ismiyya, Martellotto (Francesco),
nominal sentence, Reckendorf (Hermann), Silvestre de Sacy (Antoine-Isaac), Wright (William)
AUTEUR
JEAN-PATRICK GUILLAUME
Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Histoire des théories linguistiques (UMR 7597 HTL), Paris,
France
Varia
Lionel Dumarty
unique référent7 » (par ex., ϕίλoς ‘ami’ + σoϕóς ‘sage’ → ϕιλóσoϕoς ‘philosophe’). Le
simple n’a pas de définition propre, il n’est que le contraire du composé : un mot qu’on
ne peut subdiviser en unités lexicales concevables séparément 8. Quant au dérivé de
composé, il ne se définit pas autrement que comme un dérivé dont la base est un
composé9 (par ex., le comparatif ϕιλoσoϕώτερoς ‘plus philosophe’) et il s’analyse donc
formellement comme un composé10.
3 Comme on le voit, concernant la figure, l’approche des grammairiens est purement
analytique et synchronique : ils n’explorent pas la syntaxe interne des composés et se
contentent de descriptions en termes morphologiques11. En outre, ils ne disent rien des
procédés de formation. C’est sur ce dernier point que je voudrais porter mon attention.
En effet, d’après un double témoignage précis et longuement argumenté d’Apollonius
Dyscole, grammairien alexandrin du IIe siècle apr. J.-C., il existerait dans la langue
(grecque) de nombreux mots simples issus de mots composés, c’est-à-dire des mots
formés à partir d’un composé par suppression de l’une de ses parties. Ce témoignage
d’Apollonius, unique en son genre, intervient dans le cadre d’une controverse sur le
mérisme – i.e. la détermination du statut grammatical – de certaines formes,
« signalées » comme irrégulières, à cause de leur accentuation (motif fréquent
d’irrégularité). Le grammairien entend ramener ces formes à la régularité par une
hypothèse de formation surprenante : ce seraient des mots simples issus de mots
composés. La question se pose alors de savoir si cette hypothèse de formation, pour le
moins contre-intuitive, n’est qu’un artifice argumentatif parmi d’autres, visant à
justifier l’irrégularité pour sauver, par tous les moyens, la logique de la langue, ou si
elle s’inscrit dans le cadre d’une authentique théorie de la formation des mots – et s’il
faut alors tenir ce témoignage pour l’un des rares vestiges d’une réflexion plus
générale, aujourd’hui perdue, sur les procédés de formation.
adverbes déverbatifs en -στί (par ex., ἑλληνίζω ‘je parle grec’ → ἑλληνιστί ‘en grec’,
ἰάζω ‘je parle ionien’ → ἰαστί ‘en ionien’ etc.), de même, c’est à partir du verbe composé
privatif ἀεκάζω ‘je ne consens pas (?)’20 qu’on a dérivé, par analogie, la forme
adverbiale ἀεκαστί, qui, après quelques transformations morphologiques dialectales
(changement ionien de l’α en η et chute du σ), a donné la forme ἀέκητι. Celle-ci n’a pas
conservé l’accent propre au type des adverbes en -στί, auquel elle n’est désormais plus
formellement identifiable21. 3) Pour prouver ensuite la régularité accentuelle de ἕκητι,
Apollonius pose qu’il est possible de tirer une forme simple d’un mot composé. Or, s’il
provient de ἀέκητι (par suppression de l’ἀ privatif) 22, il est tout à fait normal que ἕκητι
conserve l’accent de la forme dont il est issu23.
6 À partir de ce point, l’essentiel de la démonstration (Adv. 135, 21-137, 19 24) consiste à
montrer, à grands renforts d’exemples, qu’un tel procédé de formation, a priori contre-
intuitif, non seulement n’a rien d’extraordinaire, mais est au contraire d’un usage tout
à fait courant.
7 Dans un premier temps, Apollonius dénonce une δóκησις, une « idée répandue », selon
laquelle ce sont toujours les mots composés qui proviennent des mots simples, et
jamais l’inverse.
Δóκησιν µὲν ἔχει πρoϋπάρχoυσαν τoῦ ἀέκητι, καθὸ τὰ ἁπλᾶ πρoϋϕέστηκε τῶν
συνθέτων. Ἀλλ’ ἔστι γε ἀπoδεῖξαι πάµπoλλα ἁπλᾶ ἀπὸ συνθέτων γεγoνóτα ὡς ἔστι
γε ἐπινoῆσαι καὶ ἐπὶ τῶν κατὰ σύµπηξιν σωµάτων ἀπoβoλάς τινων µερῶν,
ἁπλóτητoς µὲν ἐχoµένας, δηλoύσας δὲ τήν πoτε γενoµένην αὐτoῖς σύµπηξιν, ὡς εἰ
κλινιδίoυ πoὺς ἤ τι τoιoῦτoν µερικóν. Τὸ ὑπóδειγµα ἐπὶ πoλλὰ συντείνει. Ἔστιν
oὖν τις τρóπoς καὶ τoιoῦτoς ἐν λέξεσιν, ὃς δoκεῖ µὲν ἁπλoῦς εἶναι, ὑπóµνησιν δὲ
ἔχει τoῦ ἐκπεπτωκέναι ἐκ συνθέτoυ λέξεως. (Adv. 135, 21-136, 4)
On pense couramment qu’il (sc. ἕκητι) est antérieur à ἀέκητι, puisque les mots
simples préexistent aux composés. En réalité, on peut tout à fait démontrer qu’un
très grand nombre de mots simples proviennent de composés, tout comme on peut
aussi, quand il s’agit des corps qui sont formés par assemblage, concevoir des
parties isolées qui, tout en étant simples, nous révèlent l’assemblage dont elles ont
été les éléments, comme un pied de lit ou quelque partie de ce genre. L’exemple
s’applique à de nombreux cas. Ce phénomène existe aussi dans le lexique, où [une
forme] est simple en apparence mais garde la mémoire du mot composé dont elle
s’est détachée.
8 Ce premier point est délicat et mérite qu’on s’y arrête. Apollonius réfute très
clairement l’idée reçue (δóκησις) selon laquelle un mot simple précède forcément le
mot composé dont il est lui-même, par ailleurs, un élément constitutif, et qui est
formulée incidemment dans une scholie à la Technè, dans des termes très proches de
ceux de notre passage : « Les simples précèdent (πρoτερεύoυσι) les composés ; de fait
l’existence du simple σoϕóς précède l’existence du composé ϕιλóσoϕoς25. » L’erreur
serait de croire qu’Apollonius cherche à remettre en cause ici un principe ontologique
élémentaire, qui veut que la partie préexiste au tout. Aussi, afin de dissoudre tout
malentendu, le grammairien fait-il, contre ses habitudes 26, un détour hors du champ de
la langue et recourt à une métaphore (le « pied de lit ») pour établir une analogie : on
peut concevoir l’existence de corps « formés par assemblage », dont les parties, si on les
isole, ne sauraient être perçues, dans leur simplicité, autrement que comme des
éléments relatifs au tout dont elles participent – et c’est à cette condition qu’on dit que
le tout leur préexiste. Autrement dit, Apollonius ne prétend pas que le lit précède
(ontologiquement) le pied dont il est constitué ; il veut dire que, isolément, le pied de lit
ne doit son identité propre que relativement au tout dont il a été abstrait – comme son
nom l’indique : κλινιδίoυ πoύς « pied de lit ». On retrouve, bien plus tard, exactement le
même raisonnement chez Chœroboscus, grand lecteur d’Apollonius, à propos de la
forme δέσπoτα (tirée, selon lui, du composé ἀδέσπoτα). Les métaphores produites par le
maître byzantin apportent, comme souvent, un éclairage supplémentaire :
Τὸ µέντoι ἀπὸ συνθέτoυ γίνεσθαι ἁπλoῦν oὐκ ἔστι ξένoν · ἔχoµεν γὰρ τoῦτo καὶ
ἐπὶ ϕυσικῶν πραγµάτων, ὥσπερ ἀπὸ δένδρoυ ἐάν τις ἀπoσπάσῃ κλάδoν, γίνεται
ἁπλoῦν ἀπὸ συνθέτoυ, καὶ ἐὰν ἀπὸ ζῴoυ ἀπoσπάσῃ τις χεῖρα ἢ πóδα, γίνεται
ὁµoίως ἀπὸ συνθέτoυ ἁπλoῦν. (GG IV 1, 392, 15-19)
Car, oui, qu’il (sc. δέσπoτα) provienne d’un composé n’a rien d’insolite. En effet, on a
cela également dans la nature, comme lorsqu’on retranche une branche à un arbre,
le simple vient du composé, et lorsqu’on retranche une main ou un pied à un vivant,
on a pareillement un simple tiré d’un composé.
9 Là encore, point de branche d’arbre sans un arbre, point de main, point de pied sans un
être vivant. Étendu au domaine linguistique, le raisonnement vise à montrer qu’il existe
des mots simples qui, de même que le pied de lit pour le lit ou la branche d’arbre pour
l’arbre, « gardent la mémoire (ὑπóµνησιν ἔχει) d’un composé dont ils se sont écartés »
(Adv. 136, 2).
10 Apollonius commence par l’analyse d’un cas. Il n’est pas possible d’expliquer la
formation du nom ἠνoρέα ‘virilité’, si on part du principe qu’il est dérivé du nom
simple ἀνήρ ‘homme’, car celui-ci, d’après son type morphologique, ne pourrait
produire que la forme *ἀνερία – comme αἰθήρ produit αἰθερία etc. En revanche, comme
élément de composition, ἀνήρ subit une double altération : l’α initial se transforme en
η et l’η en ω : par exemple ἀντ-ήνωρ (ἀντί ‘à-la-place-de’ + ἀνήρ : ‘qui tient lieu
d’homme’), ἀγαπ-ήνωρ (ἀγαπάω ‘chérir’ + ἀνήρ : ‘qui chérit l’homme’) ou encore εὐ-
ήνωρ (εὐ ‘bien’ + ἀνήρ : ‘qui convient à l’homme’). Et c’est de cette dernière forme
qu’on a dérivé le nom εὐηνoρία ‘virilité’, altéré d’abord en εὐηνoρέα, puis en ἠνoρέα,
par ellipse (ἔλλειψις) du premier élément de composition 27.
11 Apollonius cite ensuite de nombreux exemples, tirés des textes d’Homère, afin de
montrer que, loin d’être un phénomène isolé, le procédé est tout à fait « courant 28 ». Il
commence par signaler d’autres mots simples, qui, comme ἠνoρέα, ont perdu l’adverbe
εὖ, premier élément de composition : dans κρητῆρα τετυγµένoν29 « un cratère
ouvragé », τετυγµένoν signifie εὖ τετυγµένoν ‘bien ouvragé’ ; de même, dans δóµoις ἔνι
πoιητoῖσι30 « dans les maisons construites », l’adjectif πoιητóς signifie εὖ πεπoιηµένoις
‘ayant été bien construites’. Il montre ensuite que la partie ellipsée peut appartenir à
une autre catégorie que l’adverbe et peut être, par ex., une préposition ou un nom. Une
préposition : ἔρχεσθε, dans ἀλλ’ ὑµεῖς ἔρχεσθε31, a le sens du composé ἀπέρχεσθε
(ἀπó + ἔρχεσθε), « mais vous, allez (= allez -vous-en) » ; ἔχoυσαι, dans πικρὰς ὠδῖνας
ἔχoυσαι32, signifie ἐπέχoυσαι (ἐπί + ἔχoυσαι), « qui ont (= soulagent) des douleurs
amères » ; ἐν πύλῳ, dans ἐν πύλῳ ἐν νεκύεσσι 33, signifie ἐν πρoπύλῳ, « à la porte
(= l’avant-porte), au milieu des morts ». Un nom : γείτoνες ‘voisins’, dans oἵ σϕιν
γείτoνες ἦσαν34, a le sens de ἀστυγείτoνες (ἄστυ ‘cité’ + γείτoνες), « ceux qui étaient
leurs voisins (= voisins -de-cité) ». Enfin, il arrive aussi que le composé produise un
simple par ellipse du second élément de composition. Dans πάρα δ’ ἀνήρ, ὃς
καταθήσει35, la forme πάρα vaut pour πάρεστι, « ici (= ici -est) un homme qui
l’installera » ; de même, ἄνα, dans ἀλλ’ ἄνα, εἰ µέµoνάς γε 36, est mis pour ἀνάστηθι,
« eh bien debout (= mets-toi-debout), si du moins tu le veux ».
comme pour celle du composé, à ceci près que, dans ce dernier cas, c’est la composition
(σύνθεσις) qui détermine le sens du tout – ce qui nous renvoie encore à la définition du
composé (καθ’ ἑνὸς ὑπoκειµένoυ « [appliqué] à un unique référent »). Enfin, la formule
conclusive, τὸ ἀϕῃρηµένoν ἐν λεκτῷ καθίσταται « la partie supprimée se maintient
dans le signifié44 », qui vise à justifier (ἐπεί…) ce trait morphosémantique, n’est autre
que l’énoncé d’une règle qui est au fondement de la pathologie grammaticale (théorie
des altérations45), règle maintes fois rappelée par Apollonius46, en vertu de laquelle une
altération affecte la forme d’un mot sans affecter son sens.
15 Le propre d’une forme altérée, c’est qu’elle n’est précisément qu’une variante
morphologique, puisqu’elle garde le sens qu’elle avait avant l’altération. C’est donc ainsi
qu’il faut comprendre que la forme simple « garde la mémoire du mot composé dont
elle s’est écartée » (cf. Adv. 136, 2, cité ci-avant) : la partie ôtée du composé est restée
dans le simple, pour le sens (ἐν λεκτῷ)47. Par conséquent, le reste de la formule, « [une
forme] est simple en apparence », se comprend bien : ces mots simples issus de
composés par aphérèse ne sont que des apparences de mots simples, puisque, pour le
sens, ce sont toujours des composés.
16 Ce passage nous invite à rappeler que, si la langue peut être appréhendée du point de
vue de la forme comme du point de vue du sens, chez Apollonius, c’est toujours le sens
qui constitue le critère normatif, au niveau du mot (λέξις) comme au niveau de l’énoncé
(λóγoς)48. Ainsi, c’est le sens et non la forme qui établit les rapports syntaxiques et
fonde les parties du discours49. On peut donc observer, à un autre niveau, des
irrégularités apparentes semblables à celle décrite dans ce passage. Par exemple, à
propos des adverbes qui ne se construisent pas avec un verbe (comme les interjections
ou certaines exclamations), Apollonius dit là aussi que ce n’est qu’en apparence que le
verbe est absent, car, au niveau du sens, il y a toujours un acte verbal (πρᾶγµα), auquel
se rapporte nécessairement l’adverbe, et sans lequel l’énoncé ne peut qu’être
incomplet50. Suivant la même logique, Apollonius affirme qu’un mot peut être « simple
en apparence » (ὃς δoκεῖ µὲν ἁπλoῦς εἶναι), tout en restant, dans sa structure
profonde (i.e. au niveau sémantique), un composé.
18 Le seul témoignage qui, à ma connaissance, aille a priori dans le sens de cette hypothèse,
nous vient d’un fragment d’Hérodien (le fils d’Apollonius Dyscole). Voici ce qu’il affirme
à propos de la formation du nom δάκρυ ‘larme’ :
Δάκρυ oὐ γέγoνεν ἀπὸ τoῦ δάκρυoν κατ’ ἀπoκoπήν, ἀλλὰ κατὰ σχηµατισµóν.
Ἔστι γὰρ ἀπὸ συνθέτoυ λέξις ἁπλῆ. Ἔστι γὰρ ἀρίδακρυς πoλύδακρυς ἀρίδακρυ
πoλύδακρυ καὶ δάκρυ. Οὕτως Ἡρωδιανὸς Περὶ παθῶν. (GG III 2, 211, 3)
Δάκρυ n’est pas issu par apocope de δάκρυoν [larme] ; il est formé par figure (κατὰ
σχηµατισµóν). En effet, c’est un mot simple issu d’un composé : on a ἀρίδακρυς [aux
larmes-abondantes] ou πoλύδακρυς [même sens], [puis les neutres] ἀρίδακρυ ou
πoλύδακρυ, puis δάκρυ. Voilà ce que dit Hérodien dans son traité Des altérations.
19 Bien qu’il manque un contexte pour expliquer la position d’Hérodien soutenant cette
étymologie un peu surprenante, on peut tirer de ce fragment quelques observations : 1)
Hérodien décrit explicitement la formation d’un mot simple à partir d’un mot composé
(ἀπὸ συνθέτoυ λέξις ἁπλῆ) ; 2) cette modification du composé en simple appartient à
un certain type de formation, dit « κατὰ σχηµατισµóν », qui se distingue de la
formation κατ’ ἀπoκoπήν, i.e. par altération52 ; 3) s’agissant précisément de la
formation d’un simple à partir d’un composé, il semble que le terme σχηµατισµóς
renvoie ici spécifiquement à l’accident de la figure (σχῆµα) 53 – le mot δάκρυ est formé
« κατὰ σχηµατισµóν » parce qu’il change de figure, passant du composé (ἀρίδακρυ ou
πoλύδακρυ) au simple (δάκρυ) ; 4) on peut, enfin, opposer au κατὰ σχηµατισµóν
d’Hérodien, qui est un hapax, l’expression κατὰ πάθoς, très fréquemment employée
chez les grammairiens anciens, et en particulier chez le même Hérodien, pour qualifier
toute formation « par altération ». Ainsi, contrairement à la forme altérée qui n’a aucun
signifié propre, puisqu’elle renvoie à un autre signifiant (la forme intègre) 54, la figure
(σχῆµα) est porteuse d’un sens propre. Voilà en quoi l’on peut dire aussi, peut-être, que
la figure est une forme « qui donne accès au sens », pour reprendre la définition du
scholiaste (citée plus haut)55.
20 Il faudrait donc établir la même distinction entre le simple ἕκητι et toutes les formes
données en exemples par Apollonius : ἠνoρέα, γείτoνες, ἄνα et les autres formes
homériques renvoient forcément, en tant que formes altérées, au signifié d’une forme
intègre (εὐηνoρία, ἀστυγείτoνες, ἀνάστηθι). L’adverbe ἕκητι, qui, en revanche, n’est
pas une simple variante morphologique, a un sens propre, différent de celui de sa base.
Pour illustrer cette règle, on peut exhiber une foule d’autres exemples. Φρoνεῖν,
ψευδής et σαϕής ne sauraient être formés d’une autre manière, si on ne concède pas
que ce sont des formes secondes issues d’ensembles dits composés. Il y a aussi [ἄνα,
dans] ἀλλ’ ἄνα, µηκέτι κεῖσo, et [πάρα, dans] πάρα δ’ ἀνήρ, qu’on rapportera au
même [procédé] [= ἀνάστηθι et πάρεστι].
22 Dans cet extrait, Apollonius semble confirmer ce qu’il disait plus haut (Conj. 232, 23 sq.),
à savoir que l’aphérèse qui affecte le composé privatif s’apparente à un πάθoς.
23 Dans le traité Des adverbes, en revanche, il en va autrement. Les trois formes, ϕρoνεῖν,
ψευδής et σαϕής, ne sont pas citées pêle-mêle avec d’autres exemples, mais sont
regroupées dans une liste à part et font l’objet d’une étude spécifique, dans une
deuxième partie de la démonstration.
24 Cette seconde partie fait pendant à la première, comme on le voit notamment dans la
formule d’introduction de l’analyse de ϕρoνεῖν ‘avoir sa raison’ (136, 28 « là encore, le
verbe ϕρoνῶ ne sera pas non plus bien formé (oὐδὲ… πάλιν… συστήσεται) »), qui
répond à la formule qui introduisait précédemment l’analyse de ἠνoρέα (136, 5
« ἠνoρέα, tant qu’il sera conçu comme mot simple, ne sera pas bien formé (oὐ
καταστήσεται) »). La démonstration, qui vise le même objectif – montrer qu’il s’agit d’un
mot simple issu d’un dérivé de composé –, reproduit scrupuleusement l’ordre
d’exposition de la première partie : 1) rejet de la formation communément admise :
certains ont cru à tort que ϕρoνῶ était dérivé du verbe ϕρενῶ ‘je ramène à la raison’,
par changement de l’ε en o – or ce phénomène ne se produit qu’à partir de verbes
barytons (i.e. non contractes), comme ϕέρω ‘je porte’, πέρθω ‘je détruis’, νέµω ‘je
partage’, qui ont donné respectivement les variantes ϕoρῶ, πoρθῶ, νoµῶ ; 2)
établissement de la forme correcte : en composition, ϕρήν ‘esprit’ change son η en ω,
donnant ainsi des mots comme ἄϕρων ‘déraisonnable’, dont on a dérivé le verbe
ἀϕρoνῶ ‘je suis déraisonnable’ 56. Et c’est de ce verbe qu’est issu, par suppression de l’ἀ
privatif, ϕρoνῶ. Pour clore sa démonstration, Apollonius suggère qu’on pourrait faire
le même « examen approfondi » pour les formes ψευδής ‘menteur’ et σαϕής ‘distinct’,
qui sont elles-mêmes issues des composés privatifs ἀψευδής ‘non-menteur’ et ἀσαϕής
‘indistinct’57.
25 Cette double structure argumentative et cette répartition raisonnée des exemples, si
elle met l’accent sur les similitudes structurelles, témoigne à coup sûr d’une volonté de
distinguer l’aphérèse dans les composés à premier élément privatif de celle qui affecte
les autres composés ou composés positifs.
Puisque les composés privatifs sont également employés avec un sens affirmatif,
pour peu qu’on retranche le privatif [ἀ], on a fait ϕρoνῶ pour affirmer le contraire
de ἀϕρoνεῖν.
Mais, au contraire, il n’est pas possible de ne pas accueillir dans la même espèce la
partie de phrase qui est employée (παραλαµβανóµενoν) « au privatif » 59, attendu
qu’elle conserve la même finale et le même signifié (τὸ αὐτὸ δηλoύµενoν), avec
seulement [l’indice de] la privation en plus.
29 Le composé privatif garde le signifié (δηλoύµενoν) du simple, auquel il « adjoint en
plus » (περιττευoύσης)60 la notion de privation. Dans cette définition, on note d’ailleurs
l’absence du terme « composé » (σύνθετoν) – il n’est plus question que d’un mot
(simple) « employé “au privatif” » ; et il en va de même en Adv. 137, 5, qui se laisse
traduire littéralement ainsi : « les mots employés “au privatif” (τὰ ἐν στερήσει
παραλαµβανóµενα) sont employés “au positif” (ἐν καταϕάσει παραλαµβάνεται) une fois
l’élément privatif supprimé ». Le composé privatif et son simple (positif) n’étant pas
tant conçus comme deux mots différents, appartenant à deux figures différentes, que
comme deux emplois d’un seul et même mot, la relation des éléments {privatif
ἀ + simple} s’apparente davantage à une structure juxtapositive du type {négation
oὐ + X}. De fait, pour Apollonius61, le privatif ἀ ‘in-’ et la négation oὐ ‘ne… pas’ ne
diffèrent l’un de l’autre que du point de vue du mode de construction : tandis que la
négation oὐ se construit avec un mot ou un groupe de mots par juxtaposition, le
privatif ἀ se construit toujours en composition avec un mot unique 62. En revanche, au
plan fonctionnel, les deux adverbes63 sont complètement assimilés l’un à l’autre :
Ἐπὶ καταϕάσει τινῶν τὰ τoιαῦτα µóρια παραλαµβάνεται εἰς ἀναίρεσιν τῆς
καταϕάσεως. (Adv. 133, 24-25)
Appliqués à une affirmation, ces mots (sc. les adverbes de privation et de négation)
sont employés pour abolir l’affirmation64.
30 Ils sont assimilés au point qu’on substitue volontiers le privatif à la négation, lorsque
celle-ci porte sur un mot unique :
Ἡ oὔ ἀπóϕασις, ἀναιρoῦσά τινα µέρη λóγoυ, καὶ εἰς τὴν α µεταλαµβάνεται
στέρησιν, oὐ ϕίλoς ἄϕιλoς, oὐ σέβω ἀσεβῶ. (Conj. 231, 26-27) 65
35 Il est difficile de dire si les grammairiens anciens avaient, d’une manière ou d’une
autre, réfléchi à un tel classement. Contentons-nous de constater que, dans cet unique
témoignage, Apollonius ne s’appuie sur aucune théorie, n’invoque aucune autorité et
présente la formation des simples à partir de composés comme une hypothèse
théoriquement envisageable, afin de sauver la logique de la langue, quitte à établir, ce
faisant, des analogies dangereuses.
BIBLIOGRAPHIE
Références primaires
Les références aux textes des grammairiens et scholiastes grecs sont données dans l’édition des
Grammatici Graeci (Grammatici Graeci, recogniti et apparatu critico instructi, Leipzig, Teubner,
1878-1910), notée GG. Les traductions d’Apollonius Dyscole sont celles des éditions d’usage les
plus récentes (cf. références secondaires). Les autres traductions de grammairiens et de
scholiastes sont miennes.
Ap. Dysc. : GG II = 1. Apollonii Dyscoli scripta minora, éd. R. Schneider, 1878 ; 2. Apollonii Dyscoli de
constructione libri quattuor, éd. G. Uhlig, 1910. — Pron. : Du pronom = GG II 1, 1, p. 1-116. — Adv. : Des
adverbes = GG II 1, 1, p. 117-200. — *Adv. : Partie apocryphe du traité Des adverbes = GG II 1, 1,
p. 201-210. — Conj. : Des conjonctions = GG II 1, 1, p. 211-258. — Synt. : De la construction (Syntaxe)
= GG II 2.
Aristote, La Poétique, éd. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Seuil, 1980 (réimpr. 2011).
Sch. D. Thr. : GG I 3 = Scholia in Dionysii Thracis artem grammaticam, éd. A. Hilgard, 1901.
Tryphon : Tryphonis grammatici Alexandrini fragmenta, éd. A. von Velsen, Berlin, F. Nicolai, 1853.
Références secondaires
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linguistique générale, vol. 2 : 161-176. Paris : Gallimard.
Blank, D. L. 1982. Ancient philosophy and grammar. The Syntax of Apollonius Dyscolus. American
Classical Studies 10. Chico (CA) : Scholars Press.
Blank, D. L. 1993. Apollonius Dyscolus. Dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt. Geschichte
und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung, 2, Principat, 34.1, Sprache und Literatur. Éd. W.
Haase et H. Temporini, 708-730. New York – Berlin : W. de Gruyter.
Chantraine, P. 1999 [1968-1980]. Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots.
Avec un supplément sous la dir. de A. Blanc, Ch. de Lamberterie et J.‑L. Perpillou. Paris : Klincksieck.
Dalimier, C. 2001. Apollonius Dyscole, Traité des conjonctions. Introduction, texte, traduction et
commentaire. Paris : J. Vrin.
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anciens. Histoire Épistémologie Langage 5/I : 23-30.
Dumarty, L. à paraître. Apollonius Dyscole. Traité des adverbes. Introduction, texte, traduction et
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Ildefonse, Fr. 1997. La naissance de la grammaire dans l’Antiquité grecque. Histoire des doctrines de
l’Antiquité classique. Paris : J. Vrin.
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Lallot, J. 19982 [1989]. Denys de Thrace, La grammaire de Denys le Thrace, traduction annotée. Paris :
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Lallot, J. 2004. Σχῆµα chez les grammairiens grecs. Dans Skhèma-Figura : formes et figures chez les
Anciens. Rhétorique, philosophie, littérature, Actes du colloque, Paris-Créteil, 27-29 mai 1999. Éd. par M. S.
Celentano, P. Chiron et M.‑P. Noël, 159-168. Paris : Éd. Rue d’Ulm.
Matthaios, S. 2008. Théories des grammairiens alexandrins sur la formation des mots. Dans
Regards croisés sur les mots non simples. Éd. par B. Kaltz, 35-49. Langages. Lyon : ENS Éditions.
Sluiter, I. 1990. Ancient Grammar in Context. Contributions to the Study of Ancient Linguistic Thought.
Amsterdam : VU University Press.
NOTES
1. Pour cela, voir Matthaios 2008.
2. Sch. D. Thr. (<Stephani>), GG I 3, 229, 9-10 : « Σχῆµα εἴρηται παρὰ τὴν σχέσιν τὴν πρὸς τὸ
σηµαινóµενoν ». À propos de cette définition, voir Lallot (2004 : 164, qui souligne le caractère
« artificiel » de l’interprétation suggérée par ce rapprochement, et Matthaios (2008 : 39-40). J’y
reviens plus loin.
3. Voir les étymologies du Cratyle, par exemple. Cf. Lallot (2004 : 162-163).
4. Cf. Sch. D. Thr. (<Heliodori>), GG I 3, 378, 3 sq.
5. Lallot (1998 : 137).
6. Mais non forcément « dicible », i.e. dont le signifié propre reste perceptible, car dans la forme
l’élément de composition peut être incomplet – cf. infra et Lallot (1998 : 138).
7. Sch. D. Thr. (<Heliodori>), GG I 3, 378, 7 : « Σύνθετα δὲ τὰ ἐκ δύo ἢ καὶ πλειóνων λέξεων ἰδίᾳ
νoητῶν συντεθειµένα, ἐν ἑνὶ τóνῳ καθ’ ἑνὸς ὑπoκειµένoυ λαµβανóµενα ». Définition encore
largement admise par les modernes. Comparer, par ex., avec Benveniste (1974 : 171) : « Il y a
composition quand deux termes identifiables pour le locuteur se conjoignent en une unité
nouvelle à signifié unique et constant ». L’idée que les parties du composé ne sont pas par elles-
mêmes signifiantes remonte à Aristote, Poétique 20, 1457a 12 ; 21, 1457a 32.
8. Sch. D. Thr. (<Heliodori>), GG I 3, 378, 6 : « ἁπλᾶ µέν ἐστιν ὅσα µὴ πέϕυκε διαιρεῖσθαι εἰς δύo ἢ
καὶ πλείoνας λέξεις ἰδίᾳ νoητάς. » À noter que le scholiaste ( GG I 3, 378, 5-6) parle tout d’abord,
non du simple, mais du non composé : « [La figure est] la forme du mot sous un unique accent et un
unique esprit soit composé soit non composé (ἀσύνθετoς). »
9. Sch. D. Thr. (<Stephani>), GG I 3, 229, 12-14.
10. Voir les nombreuses fois où, chez Apollonius Dyscole, le terme σύνθετoν s’applique à un mot
défini par ailleurs comme « dérivé de composé » : Adv. 135, 23 ; 137, 5 etc. Le fait qu’il ne concerne
que peu de parties du discours – d’après Sch. D. Thr. (<Heliodori>), GG I 3, 379, 35-37, seul le nom
connaît des dérivés de composé ; il faudra ajouter l’adverbe, cf. infra – contribue sans doute à en
faire une figure à part : le scholiaste (GG I 3, 318, 3-9 ; 543, 19-21) formule deux définitions de la
figure sans même mentionner les παρασύνθετα.
11. Technè, GG I 1, 30, 1-4 : « Il y a quatre variétés de composés : les uns sont faits de deux (mots)
complets, comme Χειρίσoϕoς ; d’autres de deux (mots) incomplets, comme Σoϕoκλῆς ; d’autres
d’un (mot) incomplet et d’un complet, comme Φιλóδηµoς ; d’autres d’un (mot) complet et d’un
incomplet, comme Περικλῆς. » (trad. Lallot 1998 : 53).
12. Adv. 133, 15-18 : « il a la même valeur que ἕνεκα [à cause de] – en tout cas, on peut signaler
[cette forme], à cause de la construction qui s’y rapporte, ἕκητι σέθεν [par ta volonté] ; il en va
comme pour ἕνεκα σoῦ : la conjonction se porte sur un génitif et [la construction] signifie
quelque chose comme ἑκóντoς σoῦ [toi voulant] – comprenons : ἐθέλoντoς σoῦ [toi consentant]. »
13. Cf. Adv. 133, 13-137, 19 ; Conj. 231, 4-234, 12. La chronologie relative des œuvres d’Apollonius
reste aujourd’hui un sujet épineux, et sur ce chapitre en particulier, puisque chacun des deux
traités renvoie à l’autre : cf. Adv. 133, 13 : « il faut examiner ἕκητι, au sujet duquel nous nous
sommes déjà expliqué, dans le traité Des conjonctions, pour savoir s’il fallait le compter parmi les
conjonctions causales etc. » (et de même Adv. 133, 21) ; Conj. 232, 11 : « Voilà le raisonnement qui
est rapporté clairement dans le traité Sur les adverbes. »
14. Puisque celle-ci ne signifie rien par elle-même, ce n’est jamais sur elle seule que porte la
négation mais sur le tout qu’elle forme avec les mots qu’elle unit : elle peut donc recevoir la
négation oὐ, mais jamais le privatif ἀ. Cf. Adv. 133, 22-134, 11 ; Conj. 231, 8-232, 3.
15. Litt. ‘privation’, le terme στέρησις est souvent employé pour désigner, par extension, l’ἀ
privatif.
16. Le grammairien Tryphon d’Alexandrie ( Ier siècle av. J.-C.), d’après Apollonius. Cf. Tryphon, fr.
48 Velsen (Adv. 134, 19 sq. ; Conj. 231, 8 et 232, 4).
17. Cf. Adv. 134, 20 sq.
18. Au passage, Apollonius complète donc la liste de la Technè : les adverbes aussi connaissent la
figure du dérivé de composé – contre le scholiaste (Sch. D. Thr., GG I 3, 379, 35-37), qui affirme
qu’on ne trouve de παρασύνθετα que dans la catégorie du nom. Mais, p. 96, 18, il donne des
exemples d’adverbes dérivés de composés. Voir encore Sch. D. Thr., GG I 3, 273, 34 ; 428, 31.
19. Cf. Adv. 170, 22 sq.
20. Seule la forme de participe ἀεκαζoµένη est attestée (Il. VI, 458).
21. Ce principe est formulé plusieurs fois par Apollonius, cf. Adv. 135, 11 ; 138, 8 ; 166, 4.
22. Chantraine (1999, s.u. ἑκών) a retenu cette formation (« Sur ἀέκητι a été formé ἕκητι »).
23. On suppose qu’il devait y avoir une règle au nom de laquelle Apollonius s’autorise à affirmer
cela, mais les sources nous font défaut.
24. Voir aussi Conj. 232, 22-233, 23.
25. Sch. D. Thr., GG I 3, 114, 8 : « τὰ δὲ ἁπλᾶ πρoτερεύoυσι τῶν συνθέτων, καὶ γὰρ τὸ σoϕóς
ἁπλoῦν ὑπάρχoν πρoτερεύει τoῦ ϕιλóσoϕoς συνθέτoυ ὑπάρχoντoς. »
26. Ou seulement en de très rares occasions. Cf. Pron. 20, 17, où la masse des locuteurs est
comparée à un corps.
27. Adv. 136, 5-14 ; Conj. 233, 2-10.
28. Cf. Adv. 137, 16 : « des mots simples sont couramment (συνήθως) issus de composés ». Voir
aussi Conj. 233, 10 (oὐκ ἀσυνήθως).
29. Il. XXIII, 741 ; Od. IV, 615 et XV, 115. Cf. Adv. 136, 17.
30. Od. XIII, 306 ; Il. V, 198. Cf. Adv. 136, 15 ; Conj. 233, 12.
31. Il. IX, 649. Cf. Adv. 136, 20.
32. Il. XI, 271. Cf. Adv. 136, 22. En Synt. 5, 13, où il cite le même passage, Apollonius interprète
ἔχoυσαι comme une forme ellipsée de παρέχoυσαι (prép. παρά).
33. Il. V, 397. Cf. Conj. 233, 23.
34. Od. IX, 48. Cf. Adv. 136, 24. En Conj. 233, 21, Apollonius cite Od. IV, 16 (γείτoνες ἠδὲ ἔται).
35. Od. XVI, 45. Cf. Adv. 136, 26 ; Conj. 233, 19.
36. Il. IX, 247. Cf. Adv. 136, 27. En Conj. 233, 17, Apollonius cite Il. XVIII, 178 (ἀλλ’ ἄνα, µηκέτι
κεῖσo).
37. Le mot σχῆµα n’a pas ici le sens technique de ‘figure’, mais désigne simplement, comme le
plus souvent chez Apollonius, la ‘forme’ d’un mot.
38. Je reproduis, ici et dans les autres citations du traité Des conjonctions, le texte établi par
Dalimier (2001).
39. Les anciens avaient classé les altérations de la forme en quatre types : addition, soustraction,
transformation, transposition. Sur ce sujet, on pourra se référer, par ex., à Desbordes (1983) et
Lallot (1995).
40. Cf. e. g. Adv. 158, 14.
41. Voir la définition du composé, supra.
42. Apollonius précise, dans le traité Des adverbes, que, dans certains mots simples, il peut se
produire des apocopes de deux syllabes (cf. Adv. 157, 17 ; 158, 6). À propos de la distinction entre
syllabe et mot, cf. Conj. 249, 12 : « là où on n’a pas de [simples] syllabes, on a des mots (λέξεις) ».
43. ‘Intègre’ (ὁλóκληρoς, ἐντελής), c’est-à-dire qui est antérieur à l’altération formelle (πάθoς).
Pour ne prendre qu’un exemple, cf. Adv. 158, 15-17 : « Après l’apocope (de ‑µα), δῶ signifie
(toujours) δῶµα [la maison] ; ἐθέλω [je veux] signifie la même chose (τὸ αὐτὸ σηµαίνει), après
aphérèse de l’ε – θέλω [je veux] –, et même après une nouvelle aphérèse dans la forme λῶ [je
veux]. » Ce type de formation par troncation est très vivant dans les langues modernes, qu’il
s’agisse de l’ellipse d’une syllabe ([mas]troquet, cinéma[tographe]…) ou d’un élément lexical dans
certains composés ([bateau à] vapeur…).
44. Le terme λεκτóν, emprunté au vocabulaire technique des Stoïciens, désigne toujours, chez
Apollonius, le contenu sémantique d’un mot, par opposition à la forme (ϕωνή).
45. Théorie qui vise à définir une norme des irrégularités phonétiques. Sur ce sujet, on pourra se
référer par exemple à Blank (1982 : 41 sq.) et Lallot (1995).
46. Cette règle, qu’on fait remonter à Aristarque (cf. Erbse 1980 : 238), est formulée à plusieurs
reprises par Apollonius. Cf. Adv. 136, 32 : « les altérations affectent, non pas les signifiés, mais les
formes (τὰ πάθη oὐ τῶν λεκτῶν, τῶν δὲ ϕωνῶν) ». Voir encore Adv. 158, 14 ; 164, 6 ; 184, 17 ;
Conj. 224, 14 ; 254, 6 ; *Adv. 209, 17.
47. Dans un autre passage, Apollonius utilise la même formule au sujet d’une forme simple
altérée par apocope (Adv. 157, 23) : « il existe aussi des formes altérées par apocope qui gardent la
mémoire (ὑπoµνήσεις ἔχoυσι) des syllabes coupées. »
48. Cf. Sluiter (1990 : 69) : « Semantics [ sic, comprendre things signified] are intrinsically more
important than ϕωναί. This is especially manifest from the fact that semantic considerations are of a
higher order than morphological ones and are decisive in matters of µερισµóς. » Voir aussi, par ex.,
Blank (1993 : 719) et Ildefonse (1997 : 263 sq.)
49. Pron. 67, 6 : « Οὐ γὰρ ϕωναῖς µεµέρισται τὰ τoῦ λóγoυ µέρη, σηµαινoµένoις δέ. »
50. Voir la définition de l’adverbe en Adv. 119, 5-6 « un mot non fléchi, qui prédique les verbes
(…) sans lesquels il ne saurait exprimer une pensée achevée ». Pour cet exposé sur les verbes
« passés sous silence », cf. Adv. 121, 14-26 et 122, 13-15.
51. C’est avec une infinie précaution que je choisis d’employer ce néologisme, qui, dans ce
contexte, dit bien ce qu’il veut dire. En effet, il ne faudrait pas confondre le dé-composé (avec un
tiret), dont il est ici question, c’est-à-dire un mot simple issu d’un composé, avec le décomposé
(sans tiret) ou « dérivé de composé » (comme on appelle déverbatif un dérivé de verbe, etc.),
d’après le decompositum latin, calque de παρασύνθετoν.
52. GG III 1, 523, 14 : « [Κάρ] dans ‘ἐξ ὀρέων ἐπὶ κάρ’ ( Il. XVI, 392) [du haut des montagnes, sur la
tête…] est formé par altération (κατὰ πάθoς). En effet, il vient de κάρη [tête] par apocope (κατὰ
ἀπoκoπὴν) de l’η. »
53. Au sens lâche, le terme σχηµατισµóς désigne simplement la ‘configuration formelle’ d’un mot.
C’est le sens qu’on lui trouve le plus souvent chez Apollonius. Cf. Adv. 119, 7 ; 129, 26 ; 131, 8 ; etc.
54. Cf. e. g. Adv. 136, 31 : « On ne peut pas prétendre que c’est par altération (κατὰ πάθoς) que l’ε
[de ϕρενῶ] a été changé en o dans ϕρoνῶ, car le sens n’est pas le même – puisque les altérations
affectent, non pas les signifiés, mais les formes. »
55. D’après une scholie à la Technè (GG I 3, 229, 9-11), on appelle « σχῆµα » la figure « à cause de la
‘relation’ (σχέσις) au signifié, car c’est d’après la figure (σχῆµα) que nous comprenons ce que veut
signifier le mot ».
56. Comparer 136, 34 (« Τὸ ϕρήν πάλιν συντιθέµενoν τὸ η εἰς τὸ ω µεταβάλλει, ϕρήν ἄϕρων,
σώϕρων. » « À l’inverse, c’est en composition que ϕρήν change l’η en ω : ϕρήν → ἄϕρων,
σώϕρων. ») à 136, 8‑9 (« Τὸ ἀνήρ συντιθέµενoν τὸ α εἰς η µεταβάλλει, τὸ δὲ η εἰς ω. Ἀνήρ
ἀντήνωρ… » « en composition, ἀνήρ change l’α en η et l’η en ω : ἀνήρ → ἀντήνωρ etc. »).
57. Apollonius ne donne pas la raison d’une telle hypothèse de formation pour ces formes-là,
mais il est possible de la supposer, d’après un autre passage du traité Des adverbes (170, 22 sq.), où
il compare l’accentuation de plusieurs noms simples à celle de formes composées de ces noms :
καλóς est oxyton mais l’accent est remonté normalement dans πάγκαλoς ; en revanche, ψευδής et
σαϕής ont le même accent que les composés ἀψευδής et ἀσαϕής, ce que la formation par dé-
composition permet d’expliquer, comme on l’a vu pour ἀέκητι/ἕκητι.
58. Voir la définition du scholiaste (GG I 3, 378, 7), citée ci-avant.
59. Le simple et son composé privatif appartiennent à la même espèce (εἶδoς), autrement dit, l’un
n’est pas le dérivé de l’autre.
60. Sur le sens du verbe περιττεύω, voir ci-après.
61. Il est remarquable que, sur la question du rapport entre l’adverbe de privation ἀ et l’adverbe
de négation oὐ, les seuls témoignages que nous ait laissés la littérature grammaticale ancienne
sont, à ma connaissance, ceux d’Apollonius Dyscole et de Chœroboscus (GG IV 1, 334, 15 sq.).
62. Cf. Adv. 134, 4 sq. ; Conj. 231, 24 sq.
63. Sur le statut d’adverbe du privatif ἀ chez les Anciens, voir ci-avant.
64. Chœroboscus affirme, dans des termes proches de ceux d’Apollonius, que « la négation et le
privatif ne diffèrent pas l’un de l’autre (oὐδὲ γὰρ διαϕέρoυσιν ἀλλήλων), puisqu’ils ont tous
deux le pouvoir d’annuler (κατὰ τὸ εἶναι ἄµϕω ἀναιρετικά) » ( GG IV 1, 334, 19) – voir encore Ap.
Dysc., Synt. 164, 12 ; 348, 1 (pour la négation) ; Conj. 231, 13 (pour le privatif).
65. Voir aussi Adv. 134, 10-12.
66. Cf. Synt. 164, 12 ; 347, 12 sq. (III § 90-93).
67. Le verbe περιττεύω est formé sur l’adjectif περισσóς (att. περιττóς), litt. « superflu,
redondant », qui, dans un sens technique, qualifie toujours un élément ajouté par pléonasme. Cf.
e. g. Adv. 152, 2 et 8 ; 188, 24 ; 193, 17. De la même manière, on lit, plus haut dans le traité Des
conjonctions (218, 24-28) que « la négation est ajoutée par pléonasme » (τὸ πλεoνάζoν ἀπoϕάσει…
ἐπλεóνασε τῇ ἀπoϕάσει) à un énoncé pour former « l’énoncé opposé » (ἀντικείµενoν).
68. Et les contradictions apparentes, notamment en Conj. 232, 23 sq., ne sont qu’un effet de la
structure un peu lâche de l’argumentation : après avoir établi l’analogie avec la formation de
simples par altération, Apollonius entreprend, comme à son habitude, une digression sur
l’altération par aphérèse, cette fois-ci au sens large (de fait, il finit par mentionner des cas de
formation par apocope, sans le moindre rapport avec la formation du simple issu de composé
privatif), et il n’est déjà plus question de la forme ἕκητι, lorsqu’il formule la loi d’airain de la
pathologie en Conj. 233, 2.
RÉSUMÉS
Dans un témoignage unique, Apollonius Dyscole soutient que certains mots simples seraient
formés à partir de mots composés privatifs, par suppression de l’ἀ privatif (ἀέκητι → ἕκητι).
L’examen de ce procédé par Apollonius s’avère paradoxal. En effet, le grammairien assimile cette
formation à un pathos (une altération formelle) ; or une forme altérée, de l’aveu même
d’Apollonius, doit toujours garder le sens de la forme de base, tandis qu’un mot simple signifie
forcément le contraire de son composé privatif. Cet article vise à montrer ce que cette position
inattendue d’Apollonius, qui remet en cause le principe même de la pathologie, nous apprend du
statut particulier du composé privatif et de sa place dans la théorie grammaticale ancienne.
In an isolated testimony, Apollonius Dyscolus argues that some simple words are formed from
words compounded with alpha privative, by means of the deletion of the alpha (ἀέκητι → ἕκητι).
The way Apollonius discusses this formation is paradoxical. Indeed, the grammarian regards this
formation as a pathos (morphological change). However, a corrupted word-form, according to
Apollonius himself, should always retain the meaning of the original form, whereas a simple
word necessarily means the opposite of its privative compound. This article aims to show what
this conception of Apollonius, which challenges the very principle of pathology, teaches us about
the particular status of the privative compound and its place in ancient grammatical theory.
INDEX
Mots-clés : Apollonius Dyscole, altération (πάθoς), figure (σχῆµα), mot composé, mot composé
privatif, mot dérivé de composé, mot simple, tradition grammaticale grecque
Keywords : Apollonius Dyscolus, compound word, decompound word, figure (σχῆµα), Greek
grammatical tradition, morphological change (πάθoς), privative compound word, simple word
AUTEUR
LIONEL DUMARTY
Université Lyon 2 Lumière, Histoire et sources des mondes antiques (UMR 5189 HiSoMA), Lyon,
France
1 Préambule
1.1 Les temps composés : le modèle latin face aux données des
langues vernaculaires
1 La série des tiroirs verbaux appelés communément « temps composés » (désormais TC)
constitue un phénomène morphologique commun aux différentes langues romanes, du
moins pour le type avoir + participe (j’ai chanté), car le type être + participe (je suis arrivé)
ne subsiste aujourd’hui que dans une partie des langues, comme le français et l’italien.
La coalescence de avoir + participe, pour exprimer des contenus temporels et
aspectuels, fait figure d’innovation à l’égard du latin classique. Si une telle structure y
est attestée en tant que périphrase verbale résultative, l’association de avoir au
« participe des temps composés » (désormais PTC) a été vraiment exploitée dans les
langues modernes, qui ont restructuré de fond en comble le système verbal.
2 Lorsque la grammatisation des langues romanes, s’appuyant sur les grammaires latines,
émerge aux XVe et XVIe siècles, l’existence des formes verbales composées est une
donnée déjà bien en place dans ces langues. Ainsi, l’examen du traitement des TC
constitue un excellent terrain d’observation pour étudier les modalités du transfert du
cadre conceptuel et explicatif du latin vers le traitement des vernaculaires. En d’autres
termes, il s’agit d’observer la manière dont les grammairiens de la Renaissance
s’emparent du modèle disponible, élaboré pour le latin, et initialement pour le grec,
afin de traiter d’objets nouveaux.
7 Un des aspects abordés par les premiers grammairiens est le caractère analytique d’une
partie de la conjugaison verbale, plus particulièrement l’expression de la diathèse
passive (je suis aimé) et celle de la diathèse active (j’ai aimé, je suis venu). Il importe de
souligner deux faits remarquables dans ce que l’on pourrait appeler une approche
périphrastique du verbe : d’une part, la prégnance de l’organisation binaire (temps
simple vs temps double) de la morphologie vernaculaire, dont la manifestation la plus
aboutie apparaît dans les chapitres consacrés aux formes périphrastiques chez Nebrija
(1981 [1492] : 187-188), Barros (1540, f. 25r-26r), l’Anonyme de Louvain (1966 [1559] : 55)
et chez Ramus (1562 : 100-107) ; d’autre part, la variation terminologique pour
exprimer le caractère composé. Les désignations les plus fréquentes sont en latin
2.2 L’auxiliarité
8 Le rôle des verbes être et avoir dans la conjugaison des langues vulgaires fait, très tôt,
l’objet d’une innovation terminologique dans les grammaires du français ou rédigées
dans cette langue. À partir de l’idée d’aide que ces verbes prêtent à la formation des
temps, on forge le terme latin auxiliarium – la première attestation se trouve chez Pillot
(1561 [1550] : 73) – ainsi que le français auxiliaire dans la décennie suivante. Le mot
désigne une classe fonctionnelle ad hoc, le nouveau type venant s’ajouter aux types des
verbes envisagées par la grammaire latine, en même temps qu’il sert à les distinguer :
déjà, chez Pillot avoir était l’auxiliaire des actifs, comme être était celui des passifs
(Colombat 2003 : 103). Dans les autres langues romanes, il faudra attendre le siècle
suivant pour observer des attestations de termes équivalents. Toutefois, des remarques
sur l’importance, pour le paradigme verbal, de ces verbes est attestée de façon générale
dans toutes les traditions. Cependant, on ne saurait réduire le traitement de
l’auxiliarité verbale à la seule notion d’aide (Chevalier 1999, Díaz Villalba 2017).
montrer qu’il s’agit de moyens de conceptualisation n’opérant pas sur le même plan.
Dans certains textes, ils peuvent être opposés : Dumarsais (1751), qui soutient que les
TC du français sont des périphrases, catégorise les PTC en tant que noms abstraits et
métaphysiques1, en même temps qu’il critique le concept d’auxiliaire.
11 On met ici l’accent sur le fait que les deux dernières questions (c’est-à-dire le statut de
l’auxiliaire, et celui de l’auxilié) sont à même de modifier le système de classification
des mots de la grammaire latine, soit parce qu’elles introduisent des nouvelles sous-
classes, soit parce qu’elles interrogent les propriétés des classes héritées. Certes, le
concept de verbe auxiliaire connaîtra un grand succès dans la tradition occidentale, ce
qui pourrait nous faire oublier qu’une réflexion sur la nature et les propriétés de la
forme de l’auxilié est présente dans la même tradition. Aussi proposerons-nous un
panorama historique de la catégorisation de la forme du verbe principal, appelé
communément participe, dans les TC de la voix active.
par les grammaires dans l’ensemble de la Romania (Díaz Villalba 2017). Parmi ceux
empruntés au nom, le genre et le nombre permettent de traiter convenablement la
morphologie, alors que le cas est écarté assez tôt. Toutefois, ce sont les accidents
verbaux, la signification et le temps, qui servent à désigner les sous-classes du participe.
Ainsi, dans les grammaires françaises des XVIe et XVIIe siècles, aimé est un participe
« passif » et « passé » ou « prétérit »5, aimant est un participe « actif » et « présent »6.
16 Du point de vue de son fonctionnement, le participe en latin peut être défini, dans une
terminologie moderne, comme un mot flexionnel verbo-adjectif (parfois substantivé) :
il remplit des rôles prototypiques d’adjectif (attribut ou modificateur adnominal,
principalement), mais il peut aussi admettre des compléments propres au verbe. En
revanche, le PTC associé à avoir, dans les langues romanes, est d’une autre nature. En
effet, les TC sont le résultat d’un processus de grammaticalisation avancée, si bien que
l’on ne peut plus parler d’adjectif pour la forme participiale. En revanche, cette
dernière montre une forte coalescence avec le verbe auxiliaire (ordre fixe de deux
constituants). De même, le rapport que le participe établissait, dans les langues
médiévales, avec l’accusatif du verbe, manifesté par l’accord en genre et en nombre (du
type les lettres que j’ai écrites), a disparu (espagnol, portugais) ou est resté cantonné à
certaines configurations syntaxiques (français, italien), ce qui représente l’abandon
d’une morphosyntaxe adjective du participe. Du point de vue sémantique, la perte de ce
lien implique également l’absence de signification passive.
17 Bien évidemment, d’autres questions connexes doivent compléter la problématique
(notamment la concurrence de l’auxiliaire être et la manifestation de l’accord du
participe) ; cependant, nous nous occuperons uniquement de la catégorisation du PTC
en coalescence avec avoir.
Passivos, os quaes, aindaque por elle se formem, tem todos ambos os generos, e terminações,
por ser isto da natureza do Participio. (Figueiredo 1811 [1799] : 84-85) 8
20 L’extrait affiche nettement la polycatégorisation des formes participiales : on y
appréhende comme « supin » le type invariable en compagnie de ter ou haver, et comme
« participe de passé passif » le type variable.
désignation pour le
métalangue/langue- choix de
date auteur participe des temps
objet (si différente) l’étiquette
composés
Arnauld et
1660 FR gérondif gérondif
Lancelot
participio preterito de
1685 IT Mambelli participe
significazione attiva
1765a,b
FR Beauzée supin supin
1767
participio de preterito
1769 ES San Pedro participe
(activo)
participio de preterito
1770 PT Lobato participe
indeclinavel
participio de preterito
1770 ES Puig (significacion activa, voz participe
neutra)
Real Academia
1771 ES participio auxîliar participe
Española (RAE)
37 Il existe encore une caractéristique commune ayant trait à la nature même de ces
classes en tant qu’elles sont conceptualisées comme classes proches du substantif. En
effet, les grammairiens assimilent ces classes verbales à des noms. Ainsi, Lancelot
affirme à propos de l’infinitif : « L’Infinitif venant à perdre l’affirmation qui est propre
au verbe, doit estre consideré comme un nom substantif dans toutes les langues. »
(Lancelot 1660b : 82).
38 C’est pourquoi la prise en compte des seules désignations peut s’avérer insuffisante
pour saisir tous les enjeux de la catégorisation. Ce phénomène est patent dans le
caractère nominal indissociable des formes non personnelles du verbe. Par ailleurs, la
dimension de parenté avec le nom entre en résonance avec d’autres options théoriques,
telles que nombre participial infinito (Nebrija 1492), nom substantif abstrait et métaphysique
(Dumarsais 1730) participe substantif (Condillac 1775), ou encore nominativo 12 indeclinavel
(Bacelar 1783). La mise en réseau des textes fait ressortir le fait que les connexions
possibles entre les propositions théoriques sont multiples et complexes.
5 Conclusion
42 La catégorisation des mots, dont la macrostructure visible est le système des parties du
discours, constitue un dispositif essentiel de la grammatisation des vernaculaires
romans. Notre étude s’attache à examiner la façon dont les grammairiens adoptent ce
cadre théorique et explicatif pour traiter de nouveaux sujets.
43 La mise en série d’une quarantaine de grammaires, rarement réunies dans l’analyse, est
guidée par la présence d’un même objet : tous les textes proposent un terme
catégorisant, souvent soutenu par une armature théorique, pour conceptualiser la
nature ou les propriétés du participe des TC. Il nous est apparu, dans les textes
sélectionnés, deux grands choix dans la façon de s’approprier les outils de la
catégorisation. Le premier consiste à modifier le système de classification, soit par
l’invention d’une partie du discours (l’option de Nebrija : le nombre participial infinito),
soit par l’introduction de nouvelles subdivisions au sein d’une classe, telles le partizipio
ministro (Correas). Généralement, le traitement de la sous-classe représente la mise en
avant d’une propriété remarquable : partefice passato (Castelvetro) ou terminacion neutra
(Muñoz). Le deuxième choix met à contribution des classes grammaticales (nom,
gérondif, infinitif, supin) qui présentent des caractéristiques aptes à expliquer le
comportement du participe. La recatégorisation du PTC à l’aide de ces étiquettes n’est
d’ailleurs pas incompatible avec le premier choix. Ainsi, l’infinitif passé actif (Meigret)
n’est pas une simple transposition de l’infinitif latin, mais le texte du grammairien
implique une ré-élaboration argumentée de la classe pour expliquer les faits
linguistiques du français. C’est pourquoi, les deux options constituent des possibilités
complémentaires des ressources disponibles dans la boîte à outils qu’est le modèle
fondé en classes et en accidents (propriétés ou catégories grammaticales).
44 Optant pour une approche d’ensemble ou extensive, l’investigation doit être complétée
par des analyses particulières du traitement dans des parcelles de la série. Choisir le
long terme en histoire, c’est aussi se donner les moyens de mieux comprendre la
transmission des choix explicatifs, ainsi que le rythme du changement théorique. Sans
doute l’existence d’une communauté du savoir métalinguistique, issue du transfert du
cadre latin, a-t-elle favorisé la circulation des idées dont témoigne la diffusion de
certaines propositions théoriques.
45 Néanmoins, l’objectif de la présente étude se veut plus général : il s’agit d’une
illustration de l’intérêt de l’histoire comparée des grammaires. Ainsi, l’alignement d’un
ensemble de textes permet de délimiter un objet historiographique dans la
grammatisation des langues romanes, dont on peut affirmer la longévité et la
récurrence.
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Visser, Louise. 2010. The Participle in Latin Grammars in the Early Middle Ages (400-900 AD). A
Linguistic, Philological, and Cultural-historic Study. Thèse de doctorat. Katholike Universiteit Leuven,
Louvain.
NOTES
1. Le terme métaphysique joue un rôle important dans le métalangage grammatical de Dumarsais
(Seguin 1980), dont l’emploi le plus connu se trouve dans adjectif métaphysique, catégorisation
qu’approfondira Beauzée (Fournier et al., 2019 : 177-178) pour traiter ce qu’on appelle aujourd’hui
les déterminants. La désignation noms abstraits et métaphysiques renvoie à une conceptualisation
propre au langage de l’ordre du contenu grammatical ; ces « noms » se distinguent, en vertu de
leur signification méta-abstraite, par exemple dans avoir aimé, des autres noms abstraits (honte,
froid, soif), qui ont une signification lexicale, par exemple, dans avoir honte (Díaz Villalba 2015a).
2. « Le participe est une partie du discours ainsi appelée du fait qu’elle prend une part du nom et
une part du verbe. En effet, il prend du nom les genres et les cas, du verbe les temps et les
significations ; il prend de l’un et de l’autre le nombre et la figure. Six accidents échoient au
participe : le genre, le cas, le temps, la signification, le nombre et la figure. » (Nous traduisons)
3. On rappellera que les verbes communs sont, chez Donat (Holtz 1981 : 635-636), ceux terminés
en −r à la première personne qui peuvent se construire à l’actif ou au passif : criminor te « je
t’accuse », face à criminor a te « je suis accusé par toi ». Les classifications des verbes selon la
diathèse articulent, dans les grammaires latines, des critères formels et sémantiques, pour
arriver à différentes divisions du verbe : actif, passif, neutre, déponent et commun.
4. Chez Priscien, le participe en −tus exprime sous une seule forme les valeurs de prétérit parfait
et de plus-que-parfait.
5. On mentionnera ici le participe « passif » chez Meigret (1980 [1550] : 98) et le « Participe
preterit » chez Estienne (1557 : 72), pour ne citer qu’eux.
6. Par exemple, « actif » chez Meigret (1980 [1550] : 98), « Participe de temps pres[ent] terminé en
ant » chez Maupas (1618, f. 155v). On trouvera un inventaire complet chez Díaz Villalba (2017 :
273-277, 686-687).
7. « Notre langue possède une partie du discours qui ne peut être réduite à aucune des neuf
autres. Elle n’existe pas en grec, ni en latin, ni en hébreu, ni non plus en arabe. Comme elle n’a
pas encore de nom chez nous, nous osons l’appeler nom participial infini : nom, parce qu’elle
signifie la substance et elle n’a pas de temps ; participial, parce qu’elle est similaire au participe du
temps passé ; infini, parce qu’elle n’a ni genre, ni nombre, ni cas, ni personne déterminés. » (Nous
traduisons)
8. « Le supin, étant la forme active de l’infinitif qui se joint, dans tous les verbes, aux auxiliaires
ter (avoir) et haver (avoir) pour former les temps composés ou temps par circonlocution, n’a pas
de pluriel, ni de terminaison féminine, ce qui le différencie des participes passifs du prétérit :
bien que ces derniers soient formés sur lui, ils comportent les deux genres et des terminaisons,
car la nature du participe consiste en cela. » (Nous traduisons)
9. Sont exclus les auteurs qui catégorisent le PTC comme un simple participe. Nous avons relevé
les étiquettes terminologiques pour les PTC et les sous-classes du participe dans 97 grammaires
(Díaz Villalba 2017 : 680-691).
10. Cette sous-série est composée d’influences : Irson s’inspire de Maupas, Vallart (1744 : 234)
reconnaît l’influence de Dangeau, notamment par l’emprunt terminologique de participe
auxiliaire, et la RAE se fait l’écho de la proposition de Correas, un auteur que l’institution place
dans son horizon de rétrospection (cf. RAE 1771/Sarmiento 1984).
11. « Le participe simple, que nous appelons parfois supin [...] dans les périphrases de la voix
active, signifie l’action, si bien que dire yo e amado (j’ai aimé), c’est comme dire « c’est de moi que
l’action d’aimer est provenue ». (Nous traduisons)
12. Dans ce cas, le terme nominativo n’a pas le sens traditionnel de nominatif, il désigne le nom.
RÉSUMÉS
Les formes participiales des temps composés font l’objet d’un traitement particulier chez les
grammairiens des différentes langues romanes depuis la Renaissance. Les formes participiales
posent en effet un problème assez spécifique, dès lors que dans ces vernaculaires elles présentent
des propriétés incompatibles avec la classe du participe telle que la définit la tradition latine.
Certains proposent de recatégoriser ces formes en leur affectant une désignation ou une nouvelle
classe avec des propriétés plus adaptées. La mise en série des options théoriques relevées dans un
corpus étendu (XVe-XVIIIe s.) tend à souligner l’importance de cette manière d’appréhender les
données qui mettent à l’épreuve le modèle descriptif latin. Par ailleurs, la récurrence et la
commensurabilité des solutions théoriques dans diverses traditions montrent l’intérêt de sortir
du cadre des histoires nationales.
The participles of compound tenses have been the subject of special treatment among
grammarians of Romance languages since the Renaissance. Such forms raise a fairly specific issue
since their properties do not appear to be compatible with the class of participles as the Latin
tradition defines it. Some suggest recategorizing these words by giving them a new designation
or assigning them to a new class with more suitable properties. This study brings together a
series of texts (15th-18th centuries) in which theoretical options are proposed, and it highlights
the importance of recategorization for dealing with data that challenge the Latin descriptive
model. Furthermore, the recurrence and commensurability of theoretical solutions in various
traditions show the interest of going beyond the framework of national histories.
INDEX
Keywords : categorization, Romances languages, grammar, participle, series of texts, compound
tense, grammatical tradition, word class, auxiliary verb
Mots-clés : catégorisation, langues romanes, grammaire, participe, série textuelle, temps
composé, tradition grammaticale, classe de mot, verbe auxiliaire
AUTEUR
ALEJANDRO DÍAZ VILLALBA
Histoire des théories linguistiques (UMR 7597)
1 Nous publions ici les lettres d’Émile Benveniste à Claude Lévi-Strauss 1, conservées par
ce dernier et qui sont consultables (sous réserve d’autorisation) à la Bibliothèque
nationale de France dans le Fonds Claude Lévi-Strauss sous la cote NAF 28150 (183) 2.
Malheureusement il n’a pas été possible de publier les lettres de Lévi-Strauss à
Benveniste, toute la correspondance reçue par Benveniste ayant disparu 3. La
correspondance publiée ici (et qui est possiblement incomplète) débute en 1948, aux
lendemains de la soutenance de la thèse de doctorat d’état de Lévi-Strauss 4, par une
discussion concernant l’organisation de la parenté indo-européenne, et se poursuit
jusqu’en 1967. D’après la correspondance Jakobson / Lévi-Strauss publiée par
Emmanuelle Loyer et Patrice Maniglier et complétée par Pierre-Yves Testenoire 5, où il
est souvent question de Benveniste, les deux hommes se rencontrent en 1946, et
commencent à échanger en 19476 dans le contexte de l’écriture de la thèse sur la
parenté, Benveniste apportant à Lévi-Strauss sa connaissance du domaine indo-
européen7. En effet, de 1945 à 1952 Benveniste poursuit au Collège de France 8 un
enseignement sur le « vocabulaire des institutions indo-européennes », développant
chaque année une étude particulière de tel ou tel domaine institutionnel. Ces études
seront publiées en 1969 dans l’ouvrage du même nom9 et la question de la parenté indo-
européenne y occupe un long chapitre10 ; elle fait également l’objet d’un article
spécifique publié en 1965 dans L’Homme11.
2 Au dire de Lévi-Strauss (se confiant à Jakobson), Benveniste était le seul membre de son
jury de thèse à même de suivre la démarche d’analyse développée dans les Structures
élémentaires : « Je ne vous parle pas de la soutenance : ce fut une longue corvée, et
Benveniste a été le seul membre du jury à comprendre ce que j’ai voulu faire 12 ». Cette
compréhension mutuelle ne se limite pas à la thématique de la parenté qu’ils abordent
tous les deux, mais elle tient à leur manière de l’aborder. En effet, à plusieurs reprises
Benveniste confie à Lévi-Strauss qu’il entrevoit dans l’approche structurale qui guide
ses recherches un avenir ouvert pour les sciences humaines : « Je ne sais quel accueil y
feront les ethnologues qualifiés, mais je crois que tôt ou tard la méthode d’analyse
structurale s’imposera ici comme ailleurs et que vous aurez le mérite d’avoir ouvert
une voie neuve. Votre ouvrage alimentera les discussions les plus fécondes, d’où non
seulement ce problème, mais quantité d’autres sortiront transformés ». Ailleurs,
Benveniste conçoit la « structuralisation » comme une « des qualités que l’ethnologie
est en train d’acquérir13 ».
3 Le structuralisme n’a jamais eu une définition unanimement acceptée. Celui de Lévi-
Strauss, relativement constant, ne coïncide pas avec celui de Benveniste, toujours en
évolution depuis les années 1930 jusqu’à la fin des années 1960, quand il n’est plus
évident qu’il reste structuraliste du tout14. Son enthousiasme pour la démarche de Lévi-
Strauss est donc assez surprenant, mais témoigne de sa capacité à apprécier un type
d’analyse qui n’est pas le sien mais qui rend possible une percée scientifique dans un
champ où il a un vif intérêt – l’analyse culturelle – et ne réclame pas une unique
autorité. Comme Benveniste, Lévi-Strauss rapprochait ethnologie et linguistique,
contre la pratique traditionnelle qui reléguait la linguistique aux marges. Dans le cas de
Benveniste, on doit identifier sa fidélité à un héritage intellectuel au moins double,
d’une part l’enseignement de Meillet, relatif à la dimension sociologique de la
linguistique, et d’autre part la lecture de Marcel Mauss, qui orientait davantage vers
l’anthropologie.
4 Un mois après sa soutenance de thèse, Lévi-Strauss rapporte à Jakobson une discussion
à propos de la comparaison des structures linguistiques (sud-asiatiques, indo-
européennes, américaines) et des structures de la parenté : Benveniste « considère le
parallélisme sans signification parce que, dit-il, la structuration n’existe dans la langue
qu’au niveau des éléments différentiels et qu’on ne peut la retrouver au niveau de la
grammaire ou du vocabulaire. Il ne pense donc pas qu’il y ait des structures formelles
coextensives au champ entier de la pensée inconsciente15 ». Dans son texte « L’analyse
structurale en linguistique et en anthropologie16 » publié en 1945 dans le premier
numéro de la revue Word et qui fonde l’approche structurale en ethnologie, ou dans
« Histoire et ethnologie17 », Lévi-Strauss fait de la reconnaissance du caractère
inconscient des faits linguistiques et sociaux une base essentielle de l’analyse
structurale18, et c’est dans la phonologie de Troubetzkoy et surtout dans les propos sur
l’inconscient linguistique formulés par Boas dans l’Introduction au Handbook of
American Indian Languages19 qu’il voit l’émergence de ce principe d’analyse. Benveniste
se montre enthousiaste concernant les réflexions de Lévi-Strauss – « Est-il besoin de
vous dire que j’adhère à ce que vous dîtes du caractère inconscient des faits
linguistiques et sociaux. Vous devriez une fois traiter en détail le problème du
symbolisme dans les faits sociaux20 » –, mais lorsqu’il parle de l’inconscient dans un
article qu’il a écrit pour une nouvelle revue lancée par Jacques Lacan (La Psychanalyse),
ce sera dans un cadre freudien ; et quant au social, Benveniste insistera dans ses
derniers écrits et ses dernières conférences sur le fait que « la langue contient la
société », comme il le démontre à chaque page du Vocabulaire des institutions indo-
européennes, et sur le fait que les autres systèmes sémiologiques ont besoin de la langue
comme interprétant. Ce ne sont pas les préoccupations de Lévi-Strauss ; on ne peut
parler ni d’une dispute, ni même d’un dialogue. L’analogie la plus apte est peut-être
avec les « monologues collectifs » de Piaget.
5 Lévi-Strauss joue un rôle dans la mise en œuvre de certains projets de Benveniste en
Amérique du Nord : il le met en relation en février 1950 avec Edward D’Arms de la
(1)
Cher Monsieur,
des castes ou classes aryennes avec les (Os) blancs et noirs 30. J’ai l’impression qu’il
s’agit de choses différentes. Les “couleurs” aryennes sont emblématiques de classes
ou d’états, non de fractions tribales ou de “moitiés”. Il ne faudrait pas non plus tirer
du texte indien que vous citez (je n’ai malheureusement plus votre ms.) une
équivalence trop précise entre l’opposition ārya / dāsa et celle blanc / noir. La
couleur qui est ici celle du visage n’est qu’indirectement impliquée dans une
opposition qui n’est, littéralement prise, qu’ethnique.
Enfin sur les transcriptions de mots sanskrits : écrire gotra (sans signe de longue)
et svayaṃvara (sans signe de longue non plus).
Un mot encore. La position que vous prenez vous donne incontestablement le
droit de juger vos devanciers. La justice coïncide-t-elle avec le jugement qui énonce
« Malinowski, avec la légèreté qui le caractérise … » ? L’œuvre de Malinowski n’est-
elle vraiment <">caractérisée<”> que par la légèreté ?
Mes félicitations encore pour votre brillante soutenance et mes remercie-/ments
pour les indications relatives au Handbook de Boas.31
Croyez-moi, je vous prie, votre cordialement dévoué,
EBenveniste
(2)
Cher Monsieur,
EBenveniste
(3)
Cher Monsieur,
Il me semble que la manière dont vous appréciez les relations des nabānazdišta
rend bien compte, à l’intérieur de la structure iranienne, de cette exogamie
régulièrement contaminée d’endogamie qui caractérise la société avestique, au
moins dans ses représentants nobles41. La filiation patrilinéaire est certaine. Le
point intéressant est de pouvoir faire ressortir, par l’analyse des relations de
parenté, la fréquence des mariages consanguins.
J’ai cherché à préciser le problème des nabānazdišta, mais n’ai pu découvrir malgré
mes recherches de texte plus explicite que celui qui vous occupe. Il reste un
problème, mais qui ne comporte pas en ce moment, pour la même raison, de
solution : celui de la dénomination de nabānazdišta. Celle-ci est purement
iranienne : la forme correspondante du skr. n’est attestée que dans un nom propre
Nabhānediṣṭhaḥ et n’enseigne rien42. On est conduit à se demander si ce n’est pas là
la désignation spécifique de la parenté telle qu’elle résultait de ce type de mariage.
On ne peut que poser la question.
Un autre point mérite l’attention, surtout à cause de faits connexes qu’il évoque.
Nous avons affaire à une parenté qui se manifeste à l’occasion du deuil. Or je suis
intrigué depuis un certain temps par un fait singulier de la terminologie grecque,
qui est sans parallèle à ma connaissance. En grec, un même terme 43 désigne la
parenté par alliance et le deuil. La notion de rendre les derniers devoirs et celle de
s’allier par un mariage ont la même expression. Est-ce le reflet d’une exogamie
stricte, selon laquelle le clan où je prends femme assume l’obligation d’ensevelir
mes morts à charge de réciprocité ? Connaît-on d’autres exemples de prestations
funéraires aussi rigoureusement liées à l’échange de femmes ?
Il y a quelques jours, avant d’avoir reçu votre lettre, j’ai eu l’occasion de voir M.
Dumézil44 et d’évoquer avec lui les noms de ceux qui pourraient assumer les
enseignements vacants à la Ve section. Le vôtre a naturellement été prononcé, / et
j’ai dit ce que je pensais d’une œuvre que M. Dumézil n’était pas encore à même de
connaître, mais sur laquelle son sentiment sera, on peut le présumer, favorable.
Veuillez me croire, cher Monsieur, votre bien dévoué,
EBenveniste
(4)
Cher Monsieur,
EBenveniste
(5)
Cher Monsieur,
Je veux, d’un mot au moins, vous dire combien j’ai trouvé d’intérêt à relire, cette
fois « objectivés » par la forme imprimée, vos deux travaux, la description si
suggestive des Nambikwara où une analyse très stricte ne fait pas tort à la
sympathie humaine, et surtout le beau livre sur la parenté. Je ne sais quel accueil y
feront les ethnologues qualifiés, mais je crois que tôt ou tard la méthode d’analyse
structurale s’imposera ici comme ailleurs et que vous aurez le mérite d’avoir ouvert
une voie neuve. Votre ouvrage alimentera les discussions les plus fécondes, d’où
non seulement ce problème, mais quantité d’autres / sortiront transformés.
Avec tous mes souhaits pour le développement de vos recherches et mes
sentiments cordiaux,
EBenveniste
(6)
Cher Monsieur,
J’ai lu avec grand intérêt les deux travaux que vous m’avez aimablement
communiqués. Dans le Southwestern J. of Soc. l’article de Capell est riche de faits
instructifs que j’aimerais discuter par écrit et en tout cas utiliser 50. Mais pour
l’instant je n’en ai pas le loisir.
Le travail de Garvin sur le Ponape est un bon exemple de monographie strictement
descriptive et conduite selon la méthode bloomfieldienne orthodoxe 51. C’est une
étude de bonne qualité, encore qu’elle ne soit pas complète, surtout dans la partie
syntaxique. Le problème me paraît surtout pratique et d’ordre financier : une étude
longue et d’impression coûteuse ne risque-t-elle pas / d’obérer dangereusement les
ressources de L’Homme dès le début ? Et si on la mettait en réserve pour un des
exercices à venir, l’auteur accepterait-il de se voir renvoyé à une date imprévisible ?
Je me suis demandé si on ne pourrait pas se borner à une partie seulement, en
retranchant p. ex. les conversations-phonogrammes, utiles mais vraiment longues
et les portions trop techniques. Mais ce serait peu seyant et l’auteur n’accepterait
probablement pas.
Vous avez mon avis – ou plutôt mes inquiétudes. J’ai peur que cette dépense, si on
l’entreprend, ne paralyse pour longtemps l’effort de l’« Homme ».
Je vous dépose les deux travaux à l’Ecole.
Croyez-moi, cher Monsieur, votre bien cordialement dévoué,
EBenveniste
Lundi soir. J’ai trouvé au Collège votre article de la Rev. de Métaph. 52, dont je vous
remercie. Vous posez avec / lucidité un problème de grande portée. La critique de
Malinowski est pertinente. Mais je ne suis pas certain que vous ne fassiez pas
l’histoire plus belle qu’elle n’est, en lui prêtant implicitement quelques unes des
qualités que l’ethnologie est en train d’acquérir – la structuralisation et tout ce qui
en découle53 –, de quoi les historiens actuels me paraissent loin d’avoir pris
conscience. – Est-il besoin de vous dire que j’adhère à ce que vous dîtes du caractère
inconscient des faits linguistiques et sociaux 54. Vous devriez une fois traiter en
détail le problème du symbolisme dans les faits sociaux.
(7)
Le 3/4/50
Cher Monsieur,
La fin des cours me permet enfin de souffler. J’ai à vous remercier de votre
instructive observation sur mon article de la RHR55. Sans doute aurais-je dû
dissocier explicitement la légende rapportée par Eschyle, Pindare etc. de l’épisode
mythologique, qui me paraît tout différent. Je ne saurais dire comment ni pourquoi
les deux se sont associés, mais je doute qu’on puisse donner de l’ensemble
une explication unique et cohérente.
J’aurais également dû insister sur l’optique différente sous laquelle nous
envisagerons les Suppliantes, selon que nous nous interrogeons sur les intentions
d’Eschyle ou sur la motivation réelle de la légende. Il est bien certain que le poète
n’a / pas songé à émouvoir les Athéniens avec un drame du cousinage croisé. C’était
des « suppliantes » qu’il s’agissait pour lui, du drame des fugitives et de la
protection à leur accorder, même au risque d’une guerre, et cela faisait revivre une
EBenveniste
(8)
Cher Monsieur,
J’ai lu avec un vif intérêt vos ingénieuses considérations sur l’agencement des
éléments dans le vocabulaire des parties du corps en kepkiriwat. 56 Mais je me sens
très embarrassé pour formuler un avis. Non seulement je ne connais de cette langue
que ce que vous en citez, mais dans ma lecture je me suis heurté à des difficultés de
principe auxquelles je ne sais si une réponse est possible. Je me borne à les énoncer.
La principale est celle-ci : comment analyser les mots ? C’est-à-dire comment
analyser les morphèmes ? Il faudrait procéder à une comparaison systématique de
ces termes corporels avec le reste du vocabulaire, sans notion préconçue, et voir en
particulier selon quels principes s’agencent les éléments identifiables. Il se peut par
exemple que des morphèmes qui ont l’air identiques ne puissent l’être en toute
position et remplissent selon leur répartition des fonctions distinctes : je pense p.
ex. à kap qui apparaît <entre> uzabilisep « cils » et uzabilikapsep « sourcil » et qui ici
ne se ramène pas facilement à la définition générale indiquée p. 13.
Une autre difficulté, connexe d’ailleurs à la précédente, résulte de l’incertitude où
l’on est quant à la structure générale de la langue. Y a-t-il des préfixes, des
suffixes ? Voici un fait précis. Vous notez une différence singulière entre un groupe
de termes, obtenus en indiquant les parties du corps de l’informateur, et un autre
groupe qui se rapporte au corps d’animaux dépecés. Ceci me suggère
immédiatement une conjecture, que vous avez peut-être envisagée. Cette différence
est une différence entre deux préfixes possessifs. Les mots de la première série,
commençant tous par u-, se réfèrent au corps de l’informateur ; ici « bras » doit
signifier « mon bras ». Ceux de la deuxième série, appliqués à un animal, auraient un
s- qui serait le possessif de 3 e sg. Et ici le mot traduit « estomac » serait « son
estomac ». Ce n’est qu’une hypothèse, mais a priori les noms de parties du corps,
obtenus de cette manière, doivent être munis d’indices de possession. Ceci
modifierait passablement l’interprétation des termes.
Il y a aussi dans ce vocabulaire des discordances : pour « cils » on trouve à la fois
unzapisep (p. 11, 12) et undjakapsep (p.13), sans différence ? – Dans les formes
énumérées p. 7, je soupçonne que les traductions doivent être rectifiées : sur quoi
repose l’interprétation d’une série de formes par des infinitifs, d’une autre par un
impératif (tisser / pose-le …), quand la finale est identique ? A-t-on des raisons
d’écrire en un mot umambikutangen et en deux unanbu kutanga ? Et d’une manière
générale ces formes ont-elles été obtenues dans des conditions qui permettent
d’exclure des expressions complexes quand on attendait des termes simples ? par
exemple, l’informateur a-t-il donné « poing » simplement ou « je ferme le poing » ?
Il est fort possible qu’il y ait à la base d’un grand nombre de ces termes, comme
vous le supposez, certains procédés de composition analogues à ceux du guato. C’est
à des problèmes préliminaires que je m’arrête, car toute l’analyse en dépend, et je
ne le fais que pour assurer les bases d’une interprétation. Il faudrait en tout cas un
examen de tous les faits recueillis pour déterminer les classes de formes
(nominales, verbales, simples, composées, suffixées, etc.) et procéder plus sûrement
à l’analyse de ces termes.
Croyez toujours, cher Monsieur, à mes sentiments cordialement dévoués,
EBenveniste
(9)
Le 11 Février 1952
Cher Monsieur,
Surtout ne croyez pas que mes observations impliquent une critique du procédé de
représentation que vous proposiez57. Simplement une réserve sur la possibilité de
justifier une analyse morphologique rigoureuse. Je me suis donc tenu très en deçà
du plan où vous portiez la discussion, en me bornant à voir si le matériel lexical
(dont je sais dans quelles conditions difficiles il a été recueilli) permettait
d’identifier à coup sûr les éléments en combinaison. Il serait néanmoins intéressant
de vérifier votre interprétation dans une langue beaucoup mieux connue, comme
l’algonkin, où l’analyse est assurée pour l’essentiel. Vous en auriez l’occasion en
travaillant cette année auprès de Voegelin58.
J’ai décliné une proposition américaine pour l’été prochain. Si j’y allais, je voudrais
pouvoir enquêter chez les Indiens, mais c’est inconciliable avec une période
d’enseignement, et j’ai beaucoup à faire ici.
Croyez-moi, cher Monsieur, votre cordialement dévoué,
EBenveniste
(10)
14/11/53
Au cours de mon enquête59, qui a été longue et dure et assez fructueuse, je n’ai pas
perdu de vue la question qui vous intéressait. Chez les Tlingit, pas de réaction
caractérisée au corbeau zoologique. Mais en athapaske du nord, chez les
« Loucheux » du Haut Yukon, un indice curieux : le corbeau est nommé
descriptivement « excréments autour de la bouche60 », car, disent ces chasseurs-
trappeurs, le corbeau ne vit que de charogne, il est incapable de tuer quelque être
que ce soit. Cela n’empêche pas le corbeau mythologique d’avoir l’importance que
vous savez.
Croyez, cher Monsieur, à mes sentiments cordiaux,
EBenveniste
(11)
Cher Monsieur,
J’ai commencé votre livre61 pendant les heures lucides que me laissait une récente
EBenveniste
PS. Je suis affligé d’un œil qui ne peut rien sauter dans une lecture. J’espère que,
pour une nouvelle édition de votre livre, une gracieuse Nambikwara consentira à
dévorer la dernière lettre du « poux » (p. 298 fin), et que vous transfériez à « sans
que je m’aperçus » (p. 315) l’appendice gênant de « se départissait » (p. 284). Est-ce
pour préparer la tâche d’un futur traducteur qu’il y a un anglicisme p. 357 « il
s’exprime par et trouve … dans un jeu … » ? Excusez ces vétilles.
(12)
Cher Monsieur,
J’ai à vous remercier de l’envoi de votre remarquable étude sur les organisations
dualistes62, qui pose un important problème en termes qui le rendent non
seulement accessible, mais instant pour d’autres que les sociologues aussi. J’espère
que cette vigoureuse démonstration suscitera en anthropologie un débat – où je me
garderai bien d’entrer. Mais depuis que je vous ai lu, je suis en proie à des
perplexités que, faute de connaître d’assez près les faits que vous articulez, je ne
saurais même formuler exactement. Voici le type de questions que je me pose : 1°)
est-il vraiment possible de réduire l’un à l’autre les systèmes qui commandent les
organisations diamétrales et concentriques respectivement ? La notion de centre, et
de cercle autour d’un centre, me semble quelque chose d’hétérogène et
d’irréductible ; il détermine un autre type de structure logique, qui ne répond pas et
ne se ramène pas à la structure bipartie des organisations dualistes – ni
inversement. – 2°) La division établie sur l’opposition : proximité / éloignement du
centre ne paraît pas avoir le même sens que la division : possibilité / impossibilité
du mariage ; 3°) Les organisations triadiques, d’après vos exemples, peuvent fort
bien coexister dans une société avec une structure dualiste ; elles n’ont pas le même
objet ; est-il donc nécessaire d’imaginer que ce dualisme est toujours un triadisme
EBenveniste
(13)
Cher Monsieur,
J’apprends avec satisfaction que la chaire est créée63 ; cette fois la création s’est
faite, me semble-t-il, dans des délais assez courts, mais naturellement il ne sera pas
question d’une nouvelle visite64. Aucun problème ne devrait surgir maintenant, et la
seconde étape vous acheminera au but.
– Il serait dommage de renoncer à éditer l’Homme en France ; je ne sais rien de
l’aspect commercial du problème, mais il faudrait essayer de tenir, au moins jusqu’à
ce que / le CNRS, qui répugne, on le sait, à s’engager pour longtemps, vous ait fait
connaître sa décision.
Vous n’avez plus besoin de souhaits. Je vous dis seulement mes sentiments bien
cordiaux,
EBenveniste
PS. Je reçois à l’instant les papiers de Sol Tax au sujet de Current Anthrop. 65 J’hésite
un peu à m’engager dans cette nouvelle entreprise qui semble conçue pour devenir
accaparante.
(14)
Cher Monsieur,
C’est avec retard que je vous réponds. J’ai passé trois semaines à l’hôpital à me
délivrer d’une sorte de grippe infectieuse, et quelques jours de convalescence dans
le Midi. Veuillez m’excuser de me borner aujourd’hui à la question la plus urgente :
celle de l’Homme. (Votre communication antérieure était restée en souffrance ici).
Je déplore le tour qu’a pris la correspondance entre Plon et le CNRS, et j’approuve
tout à fait la ligne de conduite / que vous avez adoptée. Il faut que nous restions
maîtres de publier ce que nous jugeons notable, et donc que le soutien accordé à la
collection reste global. Je souhaite que vous puissiez aboutir dans ces nouvelles
démarches ; il nous faudrait un éditeur un peu hardi, mais pas tellement, car
finalement cela paraît se vendre.
Je veux vous remercier de vos observations sur mes articles, mais y mieux réfléchir
avant de vous répondre. Vos remarques sont de grande importance. Croyez-moi
votre bien cordialement dévoué,
EBenveniste
(15)
Cher ami,
Merci pour votre message. Chez moi il n’y a que des dégâts matériels, portes
arrachées, entrée ravagée. A un mètre près, j’ai échappé dans mon bureau, à la
projection des portes. Mais je n’ai pas éprouvé de commotion sérieuse 66.
Tout cela sera, je pense, bientôt réparé. Votre sympathie m’est précieuse.
Votre aimablement dévoué,
EBenveniste
(16)
Cher ami,
Permettez-moi, ayant lu vos deux livres à la suite67, de les englober dans un même
remerciement. J’ai suivi avec admiration ces deux exposés complémentaires, le
premier critique et réfutant le totémisme par ses contradictions, le second
synthétique et intégrant le totémisme dans une vaste classification. Cette analyse
des classifications ou de la pensée classificatoire en ses multiples aspects abonde en
observations importantes et alimentera certainement des recherches nouvelles. J’ai
été personnellement très séduit par vos observations / sur la nature classificatoire
des noms propres68, comme à un autre point de vue, j’ai trouvé une vive saveur à
vos remarques sur la pensée de Bergson69.
Je vous félicite de fournir ainsi de belles réinterprétations des problèmes
classiques de l’anthropologie et une contribution de valeur à l’analyse de la culture.
Croyez-moi bien votre amicalement dévoué,
EBenveniste
(17)
Cher ami,
Je suis content que mon livre ne vous ait pas semblé trop rebutant 70. Il est si
difficile en ce domaine de dépasser le niveau de la pure technique où l’on se
confinait, et d’atteindre celui des vrais problèmes.
Vous en avez discerné un, et fort justement : en effet antiyant- « gendre » témoigne
pour la matrilocation. Mais dans la complexité de la culture hittite où des
influences divines se croisent, l’absence de la formule « conduire (la femme 71) »
pourrait n’être pas / encore à expliquer par là. Cela semble néanmoins fort
probable, et un hittitologue m’a confirmé, depuis, que la seule expression usitée est
« prendre en mariage ».
Merci, et croyez à mes sentiments amicaux,
EBenveniste
(18)
Cher ami,
EBenveniste
(19)
Cher ami,
J’ai un peu tardé à vous remercier de votre envoi. C’est que j’ai mis du temps à lire
Le Cru et le Cuit.75 Il faut lire ce livre ou très vite et d’un trait, ce que je ne pouvais
faire, ou à petites étapes et en rêvant un peu, ce que j’ai fait, et sans me flatter
d’avoir pu suivre de tout point vos exégèses, je suis émerveillé de l’ingéniosité et de
la rigueur que vous apportez à découvrir – puis à interpréter dans des connexions
systématiques, les éléments signifiants des mythes. Je pense en particulier à tout le
développement sur cuisine et bruit, mais il faudrait s’arrêter à maint autre endroit.
C’est un ouvrage d’une richesse très singulière, où s’entrelacent tant d’appels et
d’échos que, indépendamment des références musicales qui l’encadrent, je pensais
sans cesse à une composition de Messiaen, à tort ou à raison, je ne sais.
En tout cas vous avez promu l’étude du mythe à un plan tout nouveau et qui
annonce une transformation de votre méthode d’analyse.
Tous mes remerciements pour ce beau livre et croyez à mes sentiments amicaux,
EBenveniste
(20)
Cher ami,
EBenveniste
(21) [Remarques adressées par Benveniste à Lévi-Strauss en octobre 196179 concernant l’article
sur « Les Chats » de Baudelaire80].
QUELQUES REMARQUES
1) D’après l’éd. de Sacy, il y a une variante. Aux vv. 7-8, le texte du Corsaire porte :
l’Erèbe les eût pris … s’il pouvait … Cela mériterait mention, par ex. p. 23.
2) Dans l’analyse des rimes, il faudrait considérer aussi ce « système interne » des
demi-vers :
1 ã – ɛr
2ã–õ
3u–õ
4 ø – ɛr
3) p. 19 le dernier alinéa n’est pas clair. Est-ce intentionnellement qu’on parle ici (et
ici seulement) de « lignes » au lieu de « vers » ?
4) Il y a quelques flottements dans ces pages, me semble-t-il, sur le statut de
l’« Erèbe ». Il est partout pris comme inanimé (cf. p. 20, 23), mais aussi parfois
comme un être (p.25, 32). Une personnification ne peut être réduite à l’inanimé :
d’ailleurs l’Erèbe est frère de la Nuit. Ou alors il faudrait instituer un « genre »
spécial pour les êtres mythiques, ce qui serait admissible ici.
5) Un motif n’est pas relevé dans cette analyse, c’est celui de la « mûre saison ». Il
m’a toujours paru significatif : de Baudelaire dans sa notion de la beauté, et de ce
sonnet. La « mûre saison » est médiatrice entre « amoureux fervents » et « savants
austères » : c’est dans leur mûre saison qu’ils se rejoignent, pour s’identifier
« également » aux chats. Car rester « amoureux fervents » jusque dans la « mûre
saison » signifie déjà qu’on est hors de la vie commune, tout comme sont les
« savants austères » par vocation. La situation initiale du sonnet est celle de la vie
hors du monde (néanmoins la vie souterraine est refusée) et elle se développe,
transférée aux chats, de la réclusion frileuse vers les grandes solitudes étoilées où
science et volupté sont rêve sans fin.
Baudelaire, Œuvres complètes, éd. S. de Sacy, Paris, Club du Meilleur Livre, 1955,
tome I, p. 1227 [notes sur Les Chats] :
14 novembre 1847, Le Corsaire (dans le feuilleton de Champfleury : « Le Chat Trott »).
1848, Revue de Belgique (p.280-281, dans un article de Retchezken 81).
–––––––
Str. II, v.3-4. Ils présentent un sens différent selon que l’on donne au verbe prendre
son sens propre ou le sens figuré de considérer, regarder comme, ce dernier sens
s’accordant mieux avec la syntaxe de cette phrase. Remarquons d’ailleurs que Le
Corsaire et la Revue de Belgique font écrire à Baudelaire :
S’il pouvait au servage incliner leur fierté.
désignant ainsi l’Erèbe.
Voilà la source de mon observation, d’après une édition que vous pouviez ne pas
avoir sous la main. La variante aurait donc été donnée deux fois.
Veuillez croire à mes sentiments amicaux.
E. Benveniste
BIBLIOGRAPHIE
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Brill.
NOTES
1. Françoise Bader (2012) dans un article portant également sur cette archive, publiait quatre des
vingt lettres de Benveniste et en débutait l’analyse du point de vue de l’histoire
intellectuelle. Le présent travail édite l’intégralité des lettres et apporte un appareil de
références plus complet.
2. Nous remercions ici Monique Lévi-Strauss de nous avoir autorisés à consulter et à publier cette
archive, ainsi que Michel Zink, Secrétaire perpétuel de l’AIBL, de nous avoir autorisé à publier les
lettres d’Émile Benveniste.
3. Pour être précis, il n’est pas exclu qu’une partie de cette correspondance soit actuellement
entre des mains privées, mais nous n’avons pas identifié les détenteurs de ces précieux
documents.
4. Lévi-Strauss soutient son doctorat d’État le 5 juin 1948 (thèse principale : Les Structures
élémentaires de la parenté ; thèse complémentaire : « La vie familiale et sociale des Nambikwara ». Le
directeur de thèse est un sociologue durkheimien, Georges Davy, et le jury est composé d’Albert
Bayet (sociologue), Émile Benveniste, Jean Escarra (juriste sinologue), et Marcel Griaule
(ethnologue africaniste).
5. Jakobson et Lévi-Strauss (2018), et Testenoire (2019).
6. Lettre du 29 décembre 1947 de Lévi-Strauss à Jakobson : « nous avons passé deux heures à une
discussion si animée du système de parenté indo-européen que ni [Benveniste] ni moi n’avons
plus pensé à la question [de la participation du Cercle linguistique de New York à un Congrès de
linguistique] ». Jakobson et Lévi-Strauss (2018 : 75).
7. Lévi-Strauss à Jakobson le 4 juillet 1948 : « Benveniste et moi échangeons une longue
correspondance sur des problèmes de parenté hindous, iraniens et grecs ; nous nous entendrions
très bien s’il n’était si défiant et cérémonieux. C’est au compte-gouttes, et avec mille précautions,
qu’il se décide, peu à peu, à me communiquer un renseignement ou à me consulter sur un
problème. Enfin, ces relations épistolaires contribuent à la préparation de la suite de mon
travail ». Jakobson et Lévi-Strauss (2018 : 93). Dans la section des Structures élémentaires (Lévi-
Strauss [1949a] 1967 [2e édition] : 454-547) consacrée au système de la parenté en Inde et dans le
monde indo-européen, Lévi-Strauss fait référence (459 n. 17, 545 n. 33) à deux articles de
Benveniste (Benveniste 1932 et 1938).
34. Littéralement, “les plus proches par la parenté” (Bartholomae 1904 : 1040) ; le premier terme
nabā° est apparenté à av. nāfa-, nāfah- « parenté, famille », originellement « nombril », cf. véd.
nābhi- « nombril, moyeu, centre, origine, parenté » ; voir Mayrhofer 1956-1976, II : 135, 153 et
Mayrhofer 1986-1996, II : 13-14, avec références.
35. Discussion reprise dans Benveniste (1969a : 259-261 et 264-265), dans le chapitre « Formation
et suffixation des termes de parenté ». Scénario de Benveniste contesté par Szemerényi (1977 :
62-63) ; discussion et autres références dans Mayrhofer (1986-1996, II : 281).
36. La dactylographie est sûre pour wrōrǝ. Il faut cependant lire wrārǝ, cf. Morgenstierne (1927 :
89, n° 277) (wrārǝ ‘nephew’) et Morgenstierne (2003 : 91) (idem, ‘nephew, brother’s son’. Le nom
pašto pour « frère » est wror, hérité de l’étymon iranien, et le terme wrārǝ est rapproché d’av.
brātruya-, comme le reprend Benveniste.
37. Sur ce terme, qui est dérivé du nom avestique de la fille (duγdar-), voir Szemerényi (1977 : 58
n. 222).
38. Il faut évidemment lire Mīmāṃsā.
39. Texte du Tantravārttika sur le mariage d’Arjuna et Vāsudeva, traduit par Renou (1961 :
213-214). Voir Lévi-Strauss (1949a [1967] : 466, n. 54).
40. Cette lettre comporte des mots grecs écrits en marge au crayon, sans accent ni esprit
(« εδνoν / γαµειν / ηγεισθαι / εγγυησις », « εδνoν »), mais ils ne sont pas de l’écriture de
Benveniste. Ils sont probablement dus à la personne qui a eu les papiers en main et qui les a triés
à un certain moment.
41. Allusion à cette pratique dans Lévi-Strauss (1967 : 545). Voir désormais Skjaervø (2013).
42. En fait, forme de ce nom propre en védique est Nā́bhānédistha- (nom d’un poète), dérivé
patronymique, qui signifie donc « descendant d’un proche parent », *nabhā-nediṣṭha- = avestique
nabā-nazdista-. Voir Mayrhofer (2003 : 50, 2.1.272).
43. Il s’agit de κῆδoς (depuis Homère) “soin, souci”, qui s’est spécialisé dans les deux emplois
mentionnés par Benveniste : « deuil, honneurs rendus à un mort » (Hom., ion. −att.) et « union,
parenté par mariage, par alliance » (Eschyle, Hérodote), sens qui se retrouve dans plusieurs
dérivés, voir Chantraine (1968-1980 : 523) ; Beekes (2010 : 684).
44. Georges Dumézil (1898-1986) était directeur d’études à la V e section (Sciences religieuses) de
l’École Pratique des Hautes Études. Il occupera la chaire des civilisations indo-européennes au
Collège de France de 1949 à 1968, puis, soutenu par Lévi-Strauss, sera élu à l’Académie française
en 1978.
45. On pourrait être tenté de mettre en relation la curiosité de Lévi-Strauss pour ce « vase à
double coupe » avec sa fascination répétée pour les choses doubles, jumelles, scindées. Cf. par
exemple Lévi-Strauss (1991).
46. Interprétation littérale, cf. Chantraine (1968-1980 : 600) et (Beekes 2010 : 804), avec
références.
47. Cette interprétation était celle d’Aristote (Histoire des Animaux, 624a), qui considérait le vase
en question comme une coupe dont le pied creux forme lui-même une coupe. Il y comparait les
cellules des ruches d’abeilles.
48. Fernand Chapouthier (1899-1953), professeur de langue et littérature grecques en Sorbonne,
et directeur adjoint de l’École normale supérieure.
49. Allusion à la mission de Benveniste en mai 1949, pour donner des conférences à l’université
de Londres, cf. Annuaire du Collège de France, année 1948-1949, p. 159.
50. Capell (1949 : 169-189).
51. Paul L. Garvin a fait circuler ses diverses études sur la langue ponapéenne sous forme de
miméographe (par ex. « A Linguistic Study of Ponapean » et « A Definitional Grammar of
Ponapean », que Kenneth L. Rehg et Damian G. Sohl déclarent « invaluable » dans la préparation
de leur propre Ponapean Reference Grammar, Honolulu : University of Hawaii Press, 1981), mais
elles sont restées inédites. Celle à laquelle Benveniste réagit est sans doute « Ponapean, a
Micronesian Language », dont un compte rendu cinglant par Aurélien Sauvageot est paru dans le
Journal de la Société des Océanistes. Voir Sauvageot (1951 : 315-317).
52. Lévi-Strauss 1949b (« Histoire et ethnologie »).
53. Voir par exemple dans cet article : « On dira peut-être que ces malencontreuses incursions
dans le domaine de la sociologie comparée sont, après tout, des exceptions dans l’œuvre de
Malinowski. Mais l’idée que l’observation empirique d’une société quelconque permet d’atteindre
des motivations universelles y apparaît constamment, comme un élément de corruption qui
ronge et amenuise la portée de notations dont on connaît, par ailleurs, la vivacité et la richesse ».
Lévi-Strauss ([1949b] 1958 et 1974 : 26).
54. Voir Lévi-Strauss ([1949b] 1958 et 1974 : 32-39) concernant ses idées sur l’inconscient
ethnologique et linguistique.
55. Benveniste ([1949] 2015 : 209-216), « La Légende des Danaïdes ». L’article contient ([p. 137n.]
p. 215 n.]) une référence aux Structures élémentaires de la parenté.
56. Les investigations de Lévi-Strauss sur la population kepkiriwát (or kep-kiri-uat, kepikiriwat,
Kepi-keri-uate, Quepiquiriuate etc.) de la région rondônienne (du nom du général Rondon) de
l’Amazonie brésilienne datent de 1938-1939. Leur langue tupienne occidentale est aujourd’hui
éteinte, selon www.ethnologue.com. Lévi-Strauss fait référence à cette population dans plusieurs
textes ; voir Lévi-Strauss (1948 et 1950a). Pour le détail de la mission Lévi-Strauss-Vellard voir
Loyer (2015 : 199) sv., et Lévi-Strauss (1938 : 384-386).
57. Lévi-Strauss semble ne pas avoir apprécié les critiques de Benveniste énoncées dans la lettre
précédente, à tel point qu’il suspend la publication d’un article. Il confie à Roman Jakobson dans
une lettre du 13 mars 1952 : « Je suis d’autant plus agacé par cette polémique [polémique de
chercheurs concernant son article « Language and the Analysis of Social Laws » (1951)] qu’ayant
récemment terminé mon étude sur les noms des parties du corps dans les langues sud-
américaines dont vous aviez aussi approuvé l’esquisse je l’ai montrée à Benveniste, qui l’a
complétement condamnée. Or, aussi défectueux que soient le matériel et naïve ma méthode, il y
avait tout de même dedans quelque chose de curieux : c’est que, dans les langues considérées, les
termes paraissent formés par une combinaison de morphèmes, laquelle paraît interprétable en
chaînes de Markov. Même si ce n’est pas vrai, il me semble que l’hypothèse méritait d’être
vérifiée ; et j’avais signalé à Benveniste qu’une personne compétente pouvait le faire sur
l’algonkin, où les mots sont manifestement construits par le même procédé. Devant l’attitude
critique de Benveniste, j’ai renoncé à envoyer le manuscrit à l’impression ». Voir. Roman
Jakobson et Claude Lévi-Strauss (2018 : 149-150).
58. Charles Voegelin (1906-1986), linguiste et anthropologue américain, professeur à l’université
d’Indiana à partir de 1947, éditeur de l’International Journal of American Linguistics à partir de 1944,
après la mort de F. Boas. Auteur de nombreux articles et monographies sur les langues
amérindiennes de l’Amérique du Nord.
59. Il s’agit du second séjour d’enquête d’Émile Benveniste sur la côte Nord-Ouest américaine,
durant lequel il travaille principalement sur let Tlingit, mais aussi le Gwich’in (Loucheux) et
l’Inupiak.
60. Voir Benveniste ([1953] 2015). Pour l’analyse du nom du corbeau, voir p. 237.
61. Lévi-Strauss (1955), Tristes tropiques.
62. Lévi-Strauss ([1956] 1958), « Les organisations dualistes existent-elles ? ».
63. Chaire d’Anthropologie sociale, créée par l’assemblée générale des professeurs au Collège de
France le 30 novembre 1958. Lévi-Strauss sera élu lors de l’assemblée du 15 mars 1959 (voir Loyer
2015 : 447-448).
64. Selon la tradition, les candidats à une chaire au Collège de France doivent effectuer des visites
auprès de chaque professeur.
65. L’anthropologue américain Sol Tax (1907-1995) a fondé la revue Current Anthropology
66. Cette lettre fait référence aux attentats de l’OAS à Paris et dans la région parisienne du
mercredi 7 février 1962 : dix plasticages à la porte du domicile parisien d’hommes politiques,
d’intellectuels, de professeurs, de journalistes, voir entre autres Le Monde, daté 9 février 1962. Il
n’est pas certain que Benveniste ait été personnellement visé. Il se peut que son appartement ait
été endommagé par un plasticage qui eut lieu sur le même palier. L’immeuble du 1, rue Monticelli
était (et est encore) la résidence de nombreux universitaires.
67. Claude Lévi-Strauss ([1962a] 2002), Le totémisme aujourd’hui et (1962b), La pensée sauvage.
68. Cf. Lévi-Strauss (1962b : 202-259).
69. Voir Lévi-Strauss [1962a] 2002 : 136 sv., concernant la discussion des thèses d’Henri Bergson
sur le totémisme telles qu’énoncées dans Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932) et son
rapprochement avec les conceptions de Radcliffe-Brown.
70. Benveniste (1962), Hittite et indo-européen : Études comparatives. Sur hitt. antiyant-, voir
spécialement p. 12, glosé par Benveniste comme ‘qui entre dans la famille du beau-père’.
71. Allusion à la formule indo-européenne reflété par lat. uxorem ducere, cf. Benveniste (1969a :
240-241), dans le chapitre « L’expression indo-européenne du mariage ».
72. Jean Cuisenier (1927-2017) est un ethnologue français, spécialiste des traditions populaires,
en particulier de l’architecture rurale. En 1971, il soutient une thèse, Économie et parenté, leurs
affinités de structure dans le domaine turc et dans le domaine arabe sous la direction de Raymond
Aron.
73. Cuisenier (1962).
74. Il pourrait s’agir de la Légion d’honneur, au grade d’officier. Claude Lévi-Strauss est fait
Grand Officier de la Légion d’honneur en 1985, et Grand Croix en 1991.
75. Lévi-Strauss (1964), Le cru et le cuit.
76. Lévi-Strauss (1967), Du miel aux cendres.
77. Benveniste a publié deux livres en 1966 : Problèmes de linguistique générale et Titres et noms
propres en iranien ancien. Il semblerait assez prévisible qu’il ait considéré le premier comme
spécialement destiné à Lévi-Strauss, dans le contexte du « structuralisme » parisien de l’année
1966.
78. Matthieu, né en 1957 de l’union de Claude Lévi-Strauss avec Monique Roman.
79. Manuscrits conservés dans le fonds Lévi-Strauss, dans le dossier NAF 28150 (67). Voir
Jakobson et Lévi-Strauss (2018 : 243-245) et Testenoire 2019, lettre 12.
80. Jakobson et Lévi-Strauss (1962 : 5-21).
81. « Retchezken est un pseudonyme utilisé par trois auteurs belges lorsqu’ils écrivent
conjointement : Léon Jouret (1828-1905), musicologue et compositeur, Léon Gauchez (1825-1907),
critique et marchand d’art, et Edouard Wacken (1819-1861), dramaturge, poète et critique, et
directeur de la Revue de Belgique, dans laquelle ces textes paraissent ». (Jakobson et Lévi-Strauss
2018 : 244 n.2)
RÉSUMÉS
Ce travail présente et édite 20 lettres d’Émile Benveniste adressées à Claude Lévi-Strauss entre
1948 et 1967. Il permet de documenter l’histoire du structuralisme, du dialogue et du
rapprochement de la linguistique et de l’ethnologie, par exemple dans les discussions concernant
la parenté ou l’organisation sociale, ou celles accompagnant la création de la revue L’Homme.
We here provide a presentation and edition of 20 letters sent by Émile Benveniste to Claude Lévi-
Strauss between 1948 and 1967. They shed new light on the history of structuralism, the dialogue
between linguistics and ethnology, for example in the discussions concerning kinship or social
organization, or surrounding the creation of the journal L’Homme.
INDEX
Keywords : Benveniste (Emile), Lévi-Strauss (Claude), ethnology, history of the structuralism
Mots-clés : Benveniste (Emile), Lévi-Strauss (Claude), ethnologie, histoire du structuralisme
AUTEURS
JOHN E. JOSEPH
The University of Edinburgh, School of Philosophy, Psychology & Language Sciences, Edinburgh,
UK
CHLOÉ LAPLANTINE
CNRS, Histoire des théories linguistiques, Paris, France
GEORGES-JEAN PINAULT
École Pratique des Hautes Études, Paris, France
Lectures et critiques
Émilie Aussant
RÉFÉRENCE
Sériot, Patrick, dir. 2019. Le nom des langues en Europe centrale, orientale et balkanique.
Limoges : Lambert-Lucas. 304 p. ISBN 978-2-35935-251-1.
1 Ce recueil fait suite à une série d’ouvrages inaugurée en 1997 par Andrée Tabouret-
Keller aux éditions Peeters, intitulée Le nom des langues (je renvoie le lecteur aux trois
comptes rendus que j’ai rédigés dans les numéros 31.2 et 32.2 d’HEL). On peut
également signaler les volumes dirigés par Akin (1999), Aussant (2009) et Koren (2016),
qui abordent la question de la nomination des langues selon d’autres perspectives. Les
études que le présent recueil réunit, sous la direction de Patrick Sériot, couvrent la
partie orientale de l’Europe, cette « autre Europe », « au-delà du Danube ». Outre une
préface rédigée par Andrée Tabouret-Keller (p. 7-12), qui rappelle l’esprit du projet
initié il y a plus de 20 ans, et la présentation du recueil (Sériot, p. 13-16), ce volume se
compose de quatre parties : 1) « Deux modèles » (p. 19-36, une contribution),
2) « Europe centrale » (p. 39-77, deux contributions), 3) « Europe orientale » (p. 81-200,
cinq contributions), 4) « Europe balkanique » (p. 203-302, quatre contributions).
2 C’est l’article de Lia Formigari, « Langue, nation, nationalité. Du jacobinisme à
l’Internationale », qui ouvre le recueil. L’auteure retrace, de la Révolution à la
Deuxième Internationale, en passant par la Völkerpsychologie, l’évolution des notions de
« langue », « nation », « nationalité » ainsi que celle de leurs rapports. Cet article dense
– on y croise Bernhardi, Fichte, Hamann, Herder, F. Schlegel, Schelling, Humboldt,
Steinthal, Lazarus, Engels, Renan, Bauer et Kautsky – nous invite à revenir sur
contemporaine (dérivation de žẽmė ʻterreʼ). Ils terminent leur étude sur un aperçu de
l’histoire – complexe – des trois glottonymes žemaičiai, lituanien et aukštaičiai.
7 Dans son article « La langue universelle slave de Juraj Križanić. Le cas de la
terminologie militaire dans les Discours sur le gouvernement », Valérie Geronimi revient
sur l’entreprise du penseur croate Juraj Križanić (1618-1683), théoricien et praticien
d’une langue slave écrite qu’il désignait sous le nom de russe. L’auteure, qui cherche à
mettre au jour les raisons de l’insuccès de Križanić, montre que celui-ci est davantage
lié au caractère xénophobe du projet linguistique du croate qu’à l’artificialité de la
langue qu’il crée.
8 L’étude menée par Michael Moser et Serhij Wakoulenko, intitulée « Un dédale
glottonymique : quelques noms de la langue ukrainienne », raconte de façon détaillée
les aléas de l’histoire – longue et complexe – de la nomination et du statut de la langue
que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’« ukrainien » et qui désigne l’unique langue
d’État en Ukraine. Celle-ci s’est vu imposer toute une série de glottonymes artificiels
(ruthène, cosaque, ukrainien, petit-russe/petit-russien, r(o)u(s)sn(i)aque), dont aucun
n’embrassait la totalité de l’aire où cette langue était parlée. Sans surprise, le nom
ukrainien – qui finit par s’imposer – fut choisi par la communauté linguistique elle-
même.
9 Dans son article « De quoi la langue moldave est-elle le nom ? », Patrick Sériot étudie la
façon dont les linguistes ont pris part à la querelle de la nomination de la langue
moldave, dont l’enjeu est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Quel(s) discours ces
professionnels ont-ils tenu(s) ? Dans quelle mesure s’articulent-ils aux
« représentations sur la langue » et, finalement, que nous disent-ils de l’objet
<langue> ? L’auteur rappelle à quel point toute réflexion sur la question de la langue
impose une délimitation nette de ce que le terme même de « langue » recouvre (langue
maternelle ? langue ethnique ? langue officielle ? langue littéraire ? langue d’État ?
langue parlée ?...). La langue moldave constitue un cas exemplaire d’« entité à
géométrie variable », ouvrant la voie à des argumentations variées et contradictoires,
et qui pose de façon aiguë la question de la frontière entre les langues.
10 Paul Garde consacre son étude intitulée « Serbo-croate, serbe et/ou croate : petite histoire
de cinquante-neuf noms de langue(s) » aux noms attribués aux langues slaves, des
origines à nos jours, de quatre États qui furent tous, entre 1945 et 1991 des républiques
yougoslaves : Bosnie-Herzégovine, Croatie, Monténégro, Serbie. Cet ensemble
linguistique, à la fois un et multiple, aura connu pas moins de 59 noms. Se fondant sur
de nombreuses sources, l’auteur revient sur la vie et la mort de ces appellations variées
(slavon, serbe, slavo-serbe, serboulien [srbuljski], langue croate [hrvatski], slovine
[slovenski], stribiligo illyrica, scythica lingua, dalmate, dubrovački, slovino-bosnien
[slovinsko-bosanski], serviana, ilirski/ilirički, bosniaque (bošnjački), langue yougoslave
(jugoslavenski), serbo-croate (srpskohrvatski), croato-serbe, bosnien-croate-monténégrin-
serbe… pour n’en citer que quelques-uns). Mais cette profusion de noms ne saurait
masquer l’omniprésence, tout au long de l’histoire, de serbe et croate – termes
autochtones et ethnonymes.
11 Dans leur article « Les noms du grec moderne », Irini Tsamadou-Jacoberger et Maria
Zerva reviennent sur la nomination du grec moderne entre le XVIII e et la première
moitié du XXe siècles, ainsi que sur les problématiques qui y affèrent : la question de la
langue de l’État à créer (seconde moitié du XVIIIe siècle) et, de fait, celle de l’identité
grecque à construire et à légitimer, la relation du grec moderne au grec ancien,
notamment. Les auteures passent également en revue les différents noms du grec
moderne (katharévoussa, démotique, graikiki, roméique, hellénique, néohellénique…),
ainsi que l’évolution de leurs référents, en faisant la part belle aux « donneurs de
noms », i. e. aux acteurs impliqués dans le processus de dénomination (le philosophe
Damodos, les écrivains Rhoïdis et Psichari, les linguistes Triandafyllidis et Kriaras,
entre autres).
12 Patrick Sériot, dans son étude intitulée « Faut-il que les langues aient un nom ? Le cas
du macédonien », montre à quel point la nomination d’une langue – le macédonien en
l’occurrence – cristallise des enjeux qui dépassent de (très) loin les problématiques de
la linguistique. Occupée par les Turcs ottomans de 1318 à 1912, la Macédoine devient, à
partir de la 1re guerre balkanique, l’objet de tensions sans fin entre la Serbie, la Grèce et
la Bulgarie. D’un point de vue strictement linguistique, on n’est ni plus ni moins en
présence d’un continuum. Mais pour les Bulgares, les Macédoniens parlent bulgare ;
pour les Serbes, ils parlent le serbe ou un dialecte indifférencié ; pour les Grecs, le
macédonien n’est rien d’autre que du grec. De 1912 à 1918, la langue officielle de la
Macédoine fut le bulgare, puis le serbo-croate de 1918 à 1941, et à nouveau le bulgare,
de 1941 à 1944. Or les dialectes locaux n’étaient ni l’un ni l’autre. L’existence officielle
de la nation macédonienne est proclamée en août 1944 et le macédonien, langue
normée de Macédoine, dérivé d’un dialecte slave parlé dans la région de Skopje, devient
finalement la langue de cette nouvelle république. Ce qui ne signifie pas que tous les
problèmes soient résolus... tout au moins pas sur tous les fronts.
13 Dans son article « Arvanitika, Vlachika and Slavika: Languages of Greece? », Peter
Trudgill aborde la situation linguistique de la Grèce au travers des concepts de Ausbau
(« langue par élaboration ») et d’Abstand (« langue par distance »), qui permettent de
distinguer les langues sur la base de critères linguistiques et socio-culturels. Le grec
moderne a le statut de langue Abstand : il n’est pas typologiquement proche d’autres
langues d’Europe et il ne fait pas partie d’un continuum dialectal comme l’allemand et
le néerlandais. Cette « distance linguistique » suffit à en faire une langue « à part
entière ». Ce statut n’est pas sans conséquence sur le plan identitaire : les Grecs
seraient, in fine, ceux qui parlent grec. Or tout le monde ne parle pas (que) grec en
Grèce. C’est notamment le cas des communautés albanaise, valaque et slave. L’auteur
nous montre comment ces minorités composent avec l’idéologie monolingue de la
Grèce.
14 Dans la lignée des volumes précédents, l’ouvrage dirigé par Sériot montre que la
querelle des noms de langue dans cette « autre Europe » est avant tout liée à des débats
de nature religieuse, culturelle et politique, non linguistique (ou alors de manière –
très – marginale). Si l’enjeu était seulement linguistique, il n’y aurait pas querelle, a
priori. Le nom d’une langue appelle celui d’un territoire et celui d’un peuple. Les enjeux de
la nomination des langues vont donc bien au-delà des questions qui intéressent les
linguistes. Il n’y a là rien de surprenant. Mais si « le nom des langues n’est pas un
problème de linguistes », comme l’affirme Sériot (p. 285), il reste un des domaines où
l’imaginaire épilinguistique se cristallise avec une acuité toute singulière. Ne sommes-
nous pas là, aussi, au cœur de la langue ?
BIBLIOGRAPHIE
Akin, S., dir. 1999. Noms et re-noms : la dénomination des personnes, des populations, des langues et des
territoires. Rouen : Presses de l’université de Rouen.
Aussant, É., dir. 2009. La nomination des langues dans l’histoire (numéro thématique). Histoire
Épistémologie Langage 31/2.
Koren, R., dir. 2016. La nomination et ses enjeux socio-politiques (numéro thématique).
Argumentation et analyse du discours 17.
AUTEURS
ÉMILIE AUSSANT
CNRS, HTL
Nick Riemer
RÉFÉRENCE
Hirschkop, Ken. 2019. Linguistic turns. 1890-1950. Oxford : Oxford University Press.
xiv-323 p. ISBN 978-0-19-874577-8.
1 Ken Hirschkop (H.) propose dans Linguistic turns (LT) une analyse riche, stimulante et
novatrice de travaux théoriques de penseurs importants, surtout anglais, allemands,
français et russes, issus de champs disciplinaires différents et portant sur des questions
de langue et de langage entre la dernière décennie du XIXe siècle et le milieu du siècle
suivant.
2 Dans une période caractérisée par les débuts d’une réflexion explicite sur les rapports
entre le langage et la société, H. fait une lecture socio-politique très subtile et
révélatrice de textes pour la plupart classiques en philosophie, études littéraires et
linguistique, entre le Saussure des années 1890 et les travaux d’Orwell, Austin et
Wittgenstein dans les années 1940-1950. Ces textes n’abordent pas toujours les
questions politiques de manière avouée. Mais, au-delà des grandes différences de cadre
intellectuel entre, par exemple, Bakhtine, Benjamin, ou Ogden, H. décèle néanmoins la
présence d’enjeux sociétaux déterminants pour les propos théoriques que tiennent les
auteurs sur les structures et les pratiques langagières. Rejetant l’idée d’un seul
« tournant linguistique » – terme rendu courant en philosophie par l’anthologie de
Richard Rorty (1967) –, H. suit avec une grande érudition les évolutions de divers
savants vers une conception qu’il dénomme « langage en tant que tel » (language as
such), conception qui permet d’aborder, souvent sous forme tacite (on hésite à la
qualifier d’ « allégorique », mais le terme paraît parfois juste), les problèmes d’un ordre
social en pleine transformation, ou crise, démocratique.
3 C’est chez Bakhtine, sujet d’un ouvrage précédent (Hirschkop 1999), que H. a fait pour
la première fois l’hypothèse d’un « lien métonymique étroit entre le bon langage et la
bonne politique » (p. 185), constatant le passage effectué par le savant russe d’une
philosophie éthique systématique dans les années 1920, conçue comme essentielle au
« sauvetage » de l’Europe, vers une « identification du langage avec une conception de
la vie sociale » (p. 138) dans les recherches sur Dostoïevski à la fin de la même décennie.
Celui de Bakhtine n’était qu’un seul parmi toute une « constellation » de tournants
linguistiques, aucunement limités à un seul champ disciplinaire et reflétant de manière
très diverse les évolutions des sociétés modernes. Comme l’explique l’auteur (je
traduis) :
le XIXe siècle avait effectué une identification entre les langues et les « peuples ». En
même temps que ces « peuples » devenaient la substance des sociétés politiques et
que la politique même devenait responsable de l’instauration et du maintien de
l’ordre dans ces sociétés, les discussions sur la nature de l’ordre et du consentement
linguistiques ont été investies d’une urgence toute particulière. (p. 153)
4 Ainsi, explique H. de façon convaincante, au fil des décennies qu’il a étudiées, le
langage servait dans la production théorique de métonymie pour des ensembles
politiques et sociaux plus importants : à travers leurs propos sur le langage, les
chercheurs traitaient en filigrane de la politique. Cette métonymie était à l’origine de
divers surinvestissements théoriques. Certains, comme Benjamin, Bakhtine, Cassirer ou
Šklovskij, ont trop misé sur le « langage en tant que tel », surestimant ainsi les
possibilités politiques qu’il offrait, alors que d’autres, à l’instar de Saussure ou Ogden,
se livraient à une vision plus pessimiste, exagérant combien les langues réelles sont
défectueuses ou décevantes, trop rétives au changement. La lecture de Saussure et de
Wittgenstein qu’avance H. est particulièrement éclairante :
5 Ces versions du « langage en tant que tel » n’étaient-elles pas un modèle, ou peut-être
plus précisément, une vision de communauté et d’ordre social à un moment où l’ordre
social semblait dépourvu de toute logique et de tout fondement ? Ne fournissaient-elles
pas un modèle qui acceptait l’individualisme atomistique de la société européenne, tout
en démontrant comment celle-ci pourrait néanmoins être liée ensemble par un
système ? Ce système, n’était-il pas une synthèse merveilleuse de la démocratie et de la
quiétude politique ? Car « le langage » chez Saussure et Wittgenstein était, d’un côté,
démocratique et auto-inventé – tout le monde participait à sa construction, et rien au-
delà ne le fondait – et, de l’autre côté, immunisé contre le débat public, dans la mesure
où on ne pouvait pas proposer de raisons pour le changer. Dans une époque de crise,
c’était une image d’équilibre social. (p. 103)
6 Au détour des huit chapitres, H. retrace la façon dont le langage permettait aux
penseurs de la première moitié du siècle dernier de penser la politique, la nation, le
consentement démocratique ou les fondements d’un ordre social, et d’analyser la
bonne manière de prendre des décisions collectives. Pour certains d’entre eux, comme
Saussure ou Wittgenstein, le langage fournissait un modèle de consensus et d’ordre.
Pour d’autres – Ogden, Orwell, Bakhtine, Frege – et, parfois, pour Saussure aussi, il
détenait une force motrice passionnelle, envisagée soit comme une menace à la
démocratie, soit comme sa composante nécessaire.
7 Chez des penseurs célèbres dans les sciences humaines, tels Jean-François Lyotard,
Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ou Judith Butler, comme l’affirme H. dans sa préface,
les déferlantes structuralistes et post-structuralistes ont transformé le langage en
BIBLIOGRAPHIE
Bauman, R. et Briggs, Ch. L. 2003. Voices of modernity. Language ideologies and the politics of
inequality. Cambridge : Cambridge University Press.
Boas, Fr. 1945. Race and democratic society. New York : J.J. Augustin.
Hirschkop, K. 1999. Mikhail Bakhtin: An aesthetic for democracy. Oxford : Oxford University Press.
Hutton, Chr. M. 1999. Linguistics and the Third Reich. Mother-tongue fascism, race and the science of
language. Londres : Routledge.
Polivanov, E. D. 2014. Pour une linguistique marxiste. Éd. par Elena Simonato. Trad. par Elena
Simonato et Patrick Sériot. Limoges : Lambert-Lucas.
Rorty, R., dir. 1967. The linguistic turn. Recent essays in philosophical method. Chicago : University of
Chicago Press.
AUTEURS
NICK RIEMER
The University of Sydney, HTL
Jacqueline Léon
RÉFÉRENCE
Gambier, Yves et Stecconi, Ubaldo, dir. 2019. A world atlas of translation. Amsterdam/
Philadelphie : Benjamins. vii-493 p. ISBN 9789027202154.
chantier en cours visant à terme l’exhaustivité. À partir du constat qu’il n’existe pas, à
l’heure actuelle, de définition opérationnelle et transculturelle de la traduction, les
directeurs de l’ouvrage critiquent la position européocentriste, adoptée par nombre de
théoriciens de la traduction, selon laquelle on ne peut aborder la traduction qu’à partir
des théories et des catégories construites au fil des siècles en Occident et fondées sur
l’hypothèse d’universaux. Ils revendiquent une démarche empirique et inductive
(bottom-up) afin de déterminer s’il est possible de définir a posteriori une notion de
traduction à partir des données.
4 Chaque chapitre se présente ainsi comme un « rapport » (report) sur une tradition
donnée. Les généralisations sont effectuées à partir de données comparables et
collectées « sur le terrain », rassemblant toutes formes et modes de communication
rencontrés dans les communautés examinées (textes écrits et oraux, audio et vidéo,
enregistrements, textes numérisés, etc.). Ces rapports ont pour tâche de rendre compte
de la perception de la traduction qu’ont les locuteurs et les traducteurs d’une tradition
donnée, ainsi que de la place et la fonction de la traduction dans ces traditions.
5 L’Atlas revendique de viser une certaine exhaustivité, obtenue au terme de
développements et remaniements futurs. Il se définit comme un chantier en cours
devant être augmenté par l’ajout de traditions non encore explorées, et susceptible
d’être modifié par la réinterprétation des résultats déjà obtenus. La postface se
présente ainsi comme une sorte d’évaluation, voire une autocritique du travail
accompli.
6 La préface fait état des instructions fournies aux contributeurs des rapports. Elles ont
été définies par six universitaires consultants, spécialistes des grandes régions du
monde traitées dans l’ouvrage. Ceux-ci ont eu pour tâche d’identifier les traditions à
partir d’aires géographiques et linguistiques, et de déterminer les critères de définition
de ce qu’est une traduction. Sont distingués les concepts de traduction, à savoir les
idées sur la traduction, déterminées historiquement et culturellement selon les
traditions (input de la recherche), et la notion de traduction, à savoir une description
interculturelle constituant l’objectif de la recherche (output de la recherche).
7 Dans leurs instructions aux auteurs, figurent les questions auxquelles ceux-ci devront
s’attacher à répondre : déterminer les termes utilisés pour dénoter la traduction dans
une tradition donnée, situés dans leur évolution historique ; s’interroger sur la
traduction comme pratique autonome et entité culturelle, sur les relations entre
traduction et autres formes de communication ; examiner en quoi la traduction est une
pratique culturelle qui reflète et formate les idées venant de l’étranger, autrement dit
en quoi elle constitue un transfert d’idées d’une tradition à une autre. Il s’agit aussi
d’examiner les relations de pouvoir dans lesquelles peut être impliquée la traduction,
comment elle intervient dans les échanges et stratégies de domination et de résistance.
Seront aussi étudiées les relations entre politiques linguistiques et traduction, ainsi que
l’impact des nouvelles technologies de communication et des nouveaux modèles de
gestion (business models) sur le concept de traduction.
8 Dans leur postface auto-évaluative, les directeurs de l’ouvrage admettent qu’une
définition claire de la notion de traduction n’émerge pas de l’étude. Ils invoquent
l’hétérogénéité des données, notamment l’absence de traces non écrites avant
l’apparition des moyens d’enregistrement, de même que l’archivage imparfait des
documents écrits. Cette disparité tient aussi à la diversité des traditions et à l’approche
inductive où chacun rend compte de sa tradition dans ses propres termes. Ils déplorent
cette diversité des approches et des méthodologies adoptées par les contributeurs,
qu’elles soient économique, sociologique, historique, ou linguistique, tout en
reconnaissant qu’ils ne voulaient en aucun cas interférer sur le mode d’approche
adopté. Ils observent toutefois que certains traits sont communs à des traditions
différentes, comme par exemple la traduction comme véhicule de la modernisation
dans les traditions thaï, altaïque et russe ; le rôle joué par la traduction dans la
colonisation et par les missionnaires dans le Pacifique, l’Australie, l’Angola et le Brésil.
Au contraire, la traduction a pu jouer un rôle dans l’autodétermination et la résistance
à la colonisation dans les traditions slave, nord-américaine, hispano-américaine, arabe
et hébraïque. Certains traits n’apparaissent que dans certaines traditions, comme l’idée
selon laquelle la traduction n’est pas un mouvement qui éloigne du texte mais un
changement à l’intérieur du texte, que l’on retrouve dans la plupart des traditions
européennes.
9 Ainsi émerge une conception de la traduction comme frontière. D’une part, comme lieu
où des approches conflictuelles, des intérêts et des relations de pouvoir s’affrontent et
s’installent. La traduction est une région frontière, un territoire qui ne peut être occupé
de façon permanente et qu’on négocie (notion de negotiating border). Elle réfère soit à
une frontière géographique – il s’agit d’un atlas –, soit à des frontières temporelles
comme les phases de transition historiques ou culturelles, ou bien encore à une
circulation des informations et des savoirs accessibles d’un côté d’une frontière et non
de l’autre. Il y a traduction quand un ensemble de signes, pratiques et habitudes sont
tirées à l’intérieur d’une frontière par les membres d’une communauté linguistique et
culturelle (par exemple la volonté de modernisation d’un gouvernant comme dans la
tradition thaï), ou quand elles sont poussées de l’autre côté de la frontière (comme la
diffusion de textes sacrés dans la tradition angolaise).
10 Pour conclure, on constate que, malgré l’hétérogénéité des méthodes et des approches,
inhérente à la démarche inductive et empirique, et que n’a pas toujours réussi à réduire
le cadre fourni aux auteurs, l’ouvrage reste tout à fait cohérent. Même si les approches
linguistiques restent très succinctes – seul le chapitre sur les cultures slaves présente
une analyse morphologique des termes nommant la « traduction » – et que ce sont les
aspects sociolinguistiques, notamment de politique linguistique, qui dominent les
analyses, l’ouvrage s’avère, par son ampleur, tout à fait intéressant. On regrettera un
peu que, bien qu’elles figurent dans les indications données aux auteurs, ne soient pas
du tout abordées les questions d’aide informatisée à la traduction (dictionnaires
informatisés, bases de données terminologiques, corpus numérisés, corpus alignés,
etc.), dont l’impact sur l’activité de traduction a pourtant été très important ces
dernières décennies.
11 Enfin, bien que, contrairement à l’ouvrage dirigé par Émilie Aussant (2015), concentré
sur les théoriciens du langage d’un nombre plus restreint de traditions et sur la façon
dont leur posture théorique a orienté l’activité de traduction, l’Atlas ait des visées
moins historiques et épistémologiques, en particulier si l’on se réfère à son objectif de
découverte inductive d’une définition de la traduction, cet ouvrage présente un intérêt
certain pour les historiens de la linguistique par la qualité de la réflexion sur la
traduction et par la richesse des données et des références que comportent chacun des
rapports.
BIBLIOGRAPHIE
Aussant, É., dir. 2015. La traduction dans l’histoire des idées linguistiques. Représentations et pratiques.
Paris : Geuthner
AUTEURS
JACQUELINE LÉON
CNRS, HTL
NOTE DE L’ÉDITEUR
Les « collaborateurs d’HEL » sont les membres du laboratoire HTL ainsi que les
membres du bureau de la SHESL. Leurs ouvrages ne peuvent donner lieu à compte
rendu dans HEL. / “Associates of HEL” refers to members of HTL research unit and to
members of the SHESL board. Their publications shall not be reviewed in HEL.
La néologie, phénomène universel des langues vivantes, touche pratiquement tous les
domaines des sciences du langage et son traitement varie selon les modèles
linguistiques empruntés (saussurien, martinetien, chomskyen…). Ce livre a pour
objectif de proposer un tour d’horizon aussi complet que possible de ces questions et
des réponses qui y sont apportées. Trois grandes parties exposent successivement :
(1°) les concepts-clefs des créations lexicales avec leurs évolutions, leurs définitions et
leurs rapports avec les dictionnaires ; (2°) les différentes typologies qui en ont été
proposées et, après distinction entre configuration et matrice, un tableau raisonné des
matrices suivi de l’examen de cas délicats ; (3°) les utilisations et les utilisateurs de la
néologie considérés dans ses aspects énonciatifs, de politique linguistique et de
relations sociales.
2 Bisconti, Valentina, De Angelis, Rossana et Curea, Anamaria, dir. 2020. Héritages,
réceptions, écoles en sciences du langage : avant et après Saussure. Paris : Presses de la
Sorbonne Nouvelle. 366 p. ISBN 978-2-37906-030-4.
Ce livre est un recueil de propositions pour une didactique des langues vulnérables ou
en danger. Il apporte une pierre de touche aux méthodes et théories de la
« revitalisation » de ces langues. Il se présente comme un kaléidoscope de méthodes et
d’idées pour développer des ateliers de développement de ressources pédagogiques en
langues autochtones (TERPLO), à partir de multiples ateliers d’écriture réalisés
principalement par et avec des locuteurs d’une trentaine de langues mésoaméricaines,
mais également sous d’autres latitudes, comme l’Estonie. Des langues (nahuatl,
mazatec, zapotec, etc.), ou des variétés dialectales d’un domaine linguistique (võro,
mulgi et une variété orientale d’estonien, de Kodavere) qui, malgré la distance
géographique et typologique, partagent les processus de résistance et de résilience
sociolinguistique investis par leurs locuteurs. Cette dynamique de résistance, mais aussi
de création et d’invention, d’élaboration et d’affinement de leur lexique et de leurs
grammaires à travers la pratique pédagogiquement orientée de l’écriture, se reflète
dans chacun des ateliers analysés ici. Ces travaux co-participatifs, menés aux côtés de
linguistes et d’anthropologues qui partagent leurs connaissances techniques et
méthodologiques avec les instituteurs, les élèves des écoles et les étudiants des
universités interculturelles, démontrent que l’écriture n’est pas un instrument
appartenant exclusivement aux langues « dominantes », mais plutôt un outil de
communication, un processus par lequel l’oralité reste certes un élément inhérent à la
vitalité linguistique et donc de la pérennité de ces langues. L’écrit agit plutôt comme
une ressource que comme une barrière. L’oralité et l’écriture, le transfert des
connaissances, l’autonomisation, la dialectologie sociale et perceptuelle, la
confrontation des points de vue (de l’expert et de l’usager), l’optimisme et le
pessimisme constituent quelques-uns des axes qui soutiennent ces TERPLO, ou ateliers
d’écriture didactique des « langues de tradition orale » ou de toute langue menacée,
contribuant à la construction épistémologique, méthodologique et écologique de cette
praxis éducative et sociolinguistique qu’est la revitalisation des langues « en danger ».
4 Colombat, Bernard et Lahaussois, Aimée, dir. 2019. Histoire des parties du discours.
Louvain : Peeters. Orbis/Supplementa 46. xxii + 563 p. ISBN 978-90-429-3952-3.
Comment définir le nom ? Qu’est-ce qu’un verbe ? Faut-il faire du pronom une
catégorie distincte du nom ? Pourquoi l’article est-il une catégorie reconnue seulement
dans certaines langues ? À partir de quel moment a-t-on fait de l’adjectif une classe de
mots à part ? Peut-on trouver des interjections dans toutes les langues ? Y a-t-il des
classes de mots universelles ? Pourquoi le nombre de parties du discours varie-t-il
d’une langue à l’autre ? C’est à ces questions et à quelques autres que cet ouvrage veut
répondre, en présentant une histoire des classes de mots (les « parties du discours »)
dans la tradition occidentale et dans deux traditions « orientales » : arabe et sanskrite.
Son originalité est d’inscrire cette histoire dans le long terme, en partant des classes
identifiées dans la tradition grammaticale gréco-latine et en examinant ensuite le
devenir de ces classes dans la grammaire française et d’autres traditions européennes.
Le volume comporte quatorze chapitres : le premier est consacré à une étude des
parties du discours dans leur ensemble, avec leurs « accidents », c’est-à-dire les
catégories linguistiques qui les affectent, le deuxième au mot et les dix suivants à
chacune des classes de mots (nom, article, adjectif, pronom, verbe, participe, adverbe,
préposition, conjonction, interjection). Les deux derniers chapitres traitent des
traditions grammaticales arabe et sanskrite. L’ouvrage se termine par une copieuse
bibliographie et par trois index (auteurs, langues, concepts).
5 Tran Duc Thao. La dialettica materialista della coscienza. Éd. par Jacopo D’Alonzo. Rome :
Castelvecchi. Le Navi. 2019. 96 p. ISBN 9788832828047
Cos’è la coscienza? E qual è il metodo per studiarla? Con questo saggio, pubblicato tra il
1974 e il 1975 e qui compendiato da note critiche e una ricca bibliografia, Tran Duc
Thao, filosofo vicino a Sartre e a Merleau-Ponty e figura chiave della fenomenologia
francese del secondo dopoguerra, propone un’inedita metodologia per lo studio della
coscienza. Questa passa per un progetto semiologico, fortemente debitore della
tradizione marxista, il quale non manca di alcuni elementi di grande originalità, come
la nozione di “linguaggio della vita reale”. Sullo sfondo di un bilancio biografico e
teorico del suo percorso intellettuale, che non risparmia critiche all’individualismo e
all’idealismo, Thao accoglie le sfide provenienti dalle scienze (linguistica, psicologia,
biologia, paleoantropologia, genetica) e rivendica il ruolo svolto dal corpo,
dall’interazione pratica con il mondo reale, dal linguaggio e dalle relazioni sociali nella
formazione della coscienza.
6 Binaghi, Francesco et Sartori, Manuel, dir. 2019. Fuṣḥā écrit contemporain : usages et
nouveaux développements. Marseille : Diacritiques Éditions. 271 p. ISBN
979-10-97093-04-4.
Suite au colloque qui s’est tenu à Aix-en-Provence en juin 2015, intitulé « Matériaux
pour l’établissement de grammaires descriptives du fuṣḥā écrit contemporain. Entre
norme(s) et pratiques au cours des 50 dernières années », ce recueil propose d’ouvrir la
réflexion sur la langue arabe écrite contemporaine et, plus particulièrement, sur ce qui
est réputé dans le monde arabe comme étant du fuṣḥā écrit contemporain
(Contemporary Written Fuṣḥā – CWF).
À partir de données nouvelles, en termes de faits de langue, provenant d’un travail sur
corpus écrits (littérature, presse, blogs, etc.) issus de divers supports (papier ou
internet), ce recueil propose l’analyse de quelques aspects de cet arabe écrit
contemporain. L’objectif est de rendre compte des évolutions notables de cette variété
de langue, qui intéressent au premier chef la syntaxe, mais qui relèvent tout aussi
d’évolutions sémantiques et d’usages sociolinguistiques.
7 Aussant, Émilie et Lahaussois, Aimée, dir. 2019. « Grammaires étendues » et
descriptions de morphologie verbale (numéro thématique). Faits de langues 50/2.
Cette livraison de Faits de langues rassemble quelques-uns des travaux présentés lors
d’une journée d’étude consacrée aux « retombées » du phénomène des « Grammaires
étendues » en linguistique descriptive, organisée en novembre 2016 avec le soutien du
Labex EFL. Cet ensemble d’articles, rédigés par des linguistes descriptivistes qui
s’interrogent sur les modèles grammaticaux utilisés, au cours de l’histoire, pour la
description des langues ou des aires sur lesquelles ils travaillent, est éclairant à – au
moins – deux titres : il connecte les pratiques actuelles avec l’histoire des descriptions,
faisant émerger, pour une langue ou un sous-groupe de langues, l’évolution des termes
et représentations utilisés ; il montre, à ceux qui travaillent « au présent », toute
l’utilité des descriptions des langues réalisées par le passé. Outre les données que ces
descriptions rassemblent, qui intéressent les descripteurs pour la dimension
diachronique qu’elles donnent à voir, elles prouvent à quel point le « bricolage » des
prédécesseurs est riche d’enseignements, à bien des égards.