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École pratique des hautes études.

4e section, Sciences historiques


et philologiques

Initiation à l'épigraphie nord-sémitique


Maurice Sznycer

Citer ce document / Cite this document :

Sznycer Maurice. Initiation à l'épigraphie nord-sémitique. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences
historiques et philologiques. Annuaire 1971-1972. 1972. pp. 143-153 ;

http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1972_num_1_1_5720

Document généré le 15/06/2016


MAURICE SZNYCER 143

INITIATION A L'ÉPIGRAPHIE NORD-SÉxMITIQUE (*)

Chargé de conférences : M. Maurice Sznycer (1)

La conférence, destinée en principe aux auditeurs ayant déjà


une connaissance assez approfondie d'une ou de plusieurs
langues sémitiques, a pour but de les initier à la pratique de
l'épigraphie phénicienne, punique, hébraïque et araméenne, en
leur enseignant les méthodes qu'il faut savoir appliquer, en
leur fournissant une vue générale de la nature et de l'ampleur
de la documentation, en les familiarisant progressivement avec
les différents types d'écritures et les divers documents épigra-
phiques par l'examen direct des textes sur photographies,
estampages, moulages et fac-similés.
On s'est attaché, tout d'abord, à délimiter, aussi exactement
que possible, le champ d'action de l'épigraphie nord-ouest
sémitique, car une certaine confusion persiste, encore de nos
jours, dans ce domaine. Si l'on se réfère au tableau de la famille
des langues sémitiques tel qu'on le présente traditionnellement,
et si l'on met à part, provisoirement, l'ougaritique, la branche
septentrionale du sémitique de l'Ouest comprend le phénicien,
Yhêbreu, le moabite et Y ammonite, le punique et le néopunique,
enfin, tous les dialectes et les dérivés de Y araméen, avec le
nabatéen, le palmyrénien, le hatréen, etc. Or, on continue
couramment, comme par le passé, de désigner ce groupe, et
lui seul, par le nom commun de « sémitique », comme si ce
terme générique n'incluait pas, en même temps, aussi bien le
sémitique oriental, représenté par l'assyro-babylonien, que
toute la branche méridionale du sémitique de l'Ouest, c'est-à-
dire les langues sud-arabiques et éthiopiennes et tout l'immense
domaine arabe. L'exemple le plus frappant, et le plus récent,
de cette manière d'agir est le « Bulletin » épigraphique que
J. Teixidor avait inauguré, il y a quelques années, dans la revue
Syria, et qui porte le titre de Bulletin d'épigraphie sémitique.
L'auteur le présente en ces termes : « Ce Bulletin... rendra

(*) Programme de l'année 1970-1971 : Initiation à l'épigraphie nord-sémi~


tique (phénicienne, punique, hébraïque, araméenne).
(1) M. Sznycer a été élu directeur d'études le 25 avril 1971.
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compte chaque année des publications d'inscriptions


sémitiques... Par l'adjectif sémitique j'entends les inscriptions du
nord-sémitique... » (Syria, XLIV, 1967, p. 163). On est tenté,
dans ces conditions, de se demander pourquoi J. Teixidor
n'a pas tout simplement intitulé sa publication Bulletin d'épi-
graphie nord-sémitique, ce qui aurait évité toute confusion
et rendu superflues ses explications. On a fait observer qu'il
ne s'agit pas là d'une simple querelle de mots, mais d'une
nécessaire clarification dans un domaine où plane encore une certaine
ambiguïté, héritage des anciennes conceptions, selon lesquelles
les études sémitiques en général, et l'épigraphie en particulier,
ne pouvaient servir que d'auxiliaires à l'approfondissement
des textes bibliques. Cette attitude, qui persiste encore, d'une
manière plus ou moins consciente, chez un certain nombre de
sémitisants, et qui n'est pas très propice à l'exercice rationnel
et au développement de l'épigraphie nord-sémitique, ne peut
plus être valable aujourd'hui. En effet, l'abondance et la
fréquence des trouvailles épigraphiques de toutes sortes, le
réexamen constant des anciens textes, l'amélioration de lectures et
d'interprétations dans les documents déjà connus, l'application
des méthodes toujours plus rigoureuses, les progrès notables
accomplis dans la connaissance du phénicien - punique et
de diverses branches de l'araméen, font que l'épigraphie nord-
sémitique doit être considérée comme un domaine scientifique
indépendant et autonome, qui englobe le déchiffrement, la
lecture, l'explication et l'exploitation historique de toutes les
inscriptions phéniciennes, hébraïques, puniques, néopuniques,
araméennes et autres, seules sources directes, d'une importance
souvent capitale, pour la connaissance de tel ou tel aspect de
l'histoire et de la civilisation des Phéniciens, des anciens Hébreux,
des Araméens, des Puniques, etc. On a mentionné, à ce propos,
l'intéressante communication, présentée au XXVe Congrès
international des orientalistes, en 1960, par D. Diringer (Some
problems of « Semitic Epigraphy », dans les Actes du congrès,
t. I, 1962, p. 329-336), dans laquelle l'éminent épigraphiste
de Cambridge exprime des vues analogues, en constatant que
« the tendency to disregard the possible service of Semitic
Epigraphy or even to ignore the existence of this branch of
knowledge, has produced incalculable damage to the serious-
ness of scholarship » (p. 330).
Après avoir retracé, brièvement, l'histoire de l'épigraphie
nord-sémitique, dominée, à la fin du XIXe et au début du
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xxe siècle, par deux grands noms, celui de Mark Lidzbarski,


en Allemagne, et celui de Charles Clermont-Ganneau, en France,
titulaire, pendant de longues années, d'une direction d'études
(Vépigraphie à la Section, — on s'est appliqué, plus longuement,
à l'étude des méthodes en épigraphie nord-sémitique, en
dénonçant, tout d'abord, l'amateurisme qui sévit, en ce domaine,
dans certains milieux des sémitisants et particulièrement des
biblistes, et en soulignant que le déchiffrement méthodique et
l'application des méthodes bien définies, aussi imparfaites
soient-elles, sont toujours préférables à un déchiffrement au
gré du hasard et de la chance, effectué à l'aide des dictionnaires
et des recueils que l'on ne fréquente pas autrement, et en
utilisant, par exemple, uniquement ses connaissances bibliques.
Or, il faut constater qu'il n'existe pas, ou pas encore, des méthodes
élaborées avec précision et automatiquement applicables dans
chaque cas particulier. Il s'agit avant tout des méthodes
empiriques. Seules, une longue expérience, une pratique assidue
des inscriptions nord-sémitiques, une familiarité toujours accrue
avec les différentes écritures, une connaissance développée
de la langue dans laquelle le document est rédigé, une bonne
connaissance aussi des formules employées dans chaque
catégorie d'inscriptions, peuvent contribuer efficacement à
l'élaboration et à l'application des méthodes plus précises et plus
assurées. On a insisté sur le besoin urgent d'élaborer une
méthodologie rigoureuse, en en indiquant les lignes directrices et les
points de repère. On a proposé d'employer, en partie, les
méthodes, plus élaborées, de l'épigraphie classique, en les
adaptant à nos besoins. On a pu utiliser, de ce point de vue, l'excellente
étude synthétique que M. Louis Robert a publiée sur
l'épigraphie grecque dans le volume de VEncyclopédie de la Pléiade
consacré à L'Histoire et ses méthodes (Paris, 1961, p. 453 et suiv.).
On a montré l'importance capitale d'un classement méthodique
des inscriptions nord-sémitiques en différentes séries, en citant,
à ce propos, M. Louis Robert : « C'est en effet un principe
essentiel que celui de la série. Une inscription isolée ne livre qu'une
partie de son enseignement; elle ne prend son vrai sens qu'au
sein d'une série; plus la série est abondante et variée, plus
l'inscription devient intéressante. C'est la règle d'or exprimée
pour tous les monuments archéologiques par Eduard Gehrard :
« Qui a vu un monument n'en a vu aucun, qui en a vu mille
en a vu un ». L'inscription doit être mise à la fois dans la série
des inscriptions du même lieu, de la même époque et du même
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sujet » (op. cit., p. 473). Certes, on ne serait pas en mesure, dans


l'état actuel des choses, de classer toutes les inscriptions nord-
sémitiques connues, les données, dans certains cas, en étant
encore trop maigres et les bases mêmes d'un tel classement
trop fragiles; cependant, d'ores et déjà, on pourrait
parfaitement, avec une plus ou moins grande certitude suivant les cas,
dégager de nombreuses séries, c'est-à-dire des groupes
d'inscriptions formant chacun un ensemble relié par des traits
communs. Or, les seuls classements employés jusqu'à présent sont
le classement par langues (phénicien, araméen, etc.) et le
classement géographique (pays, villes, sites). Ces deux séries générales
sont à la base de la publication du Corpus Inscriptionum Semi-
ticarum, et aussi d'autres recueils, plus restreints, comme
Kanaanâische und Aramâische Inschriften, de H. Donner et
W. Rôllig, ou Le Iscrizioni fenicie e puniche délie colonie in
Occidente, de Maria Giulia Guzzo Amadasi. On a énuméré
plusieurs autres séries qu'on pourrait dégager dans les
inscriptions nord-sémitiques, en illustrant cette énumération de
nombreux exemples : séries d'après les différentes classes
d'inscriptions (inscriptions votives, tarifs sacrificiels, inscriptions com-
mémoratives, inscriptions royales, inscriptions funéraires,
inscriptions honorifiques, traités internationaux, inscriptions ayant
trait aux sacrifices, actes publics, inscriptions sur vases, etc.),
séries d'après les supports de l'écriture (pierre, roche, métal,
cuivre, bronze, terre-cuite, etc.), séries d'après les monuments
qui portent les inscriptions (temples, statues de divinités ou
d'hommes, socles de statuettes, stèles, statues d'animaux,
monuments funéraires, urnes, petits objets, etc.), séries d'après
l'aspect extérieur de l'écriture (écriture monumentale, semi-
monumentale, cursive, etc.), séries selon les séquences
typologiques de différentes écritures, selon les écoles de scribes, etc.
Il faudrait faire également la distinction entre les séries qui sont
abondamment attestées et qu'on pourrait ainsi appeler les séries
fortes, les séries moyennes et les séries faibles. On a insisté sur
le fait que, si la constitution des corpus d'après les différentes
séries, aussi souhaitable soit-elle, n'est pas encore réalisable,
chaque épigraphiste digne de ce nom doit au moins connaître
en gros les principales séries des inscriptions nord-sémitiques,
ayant toujours présents à la mémoire les principaux textes de
chaque série pour pouvoir d'emblée classer toute nouvelle
inscription qu'il aura à déchiffrer. Afin d'illustrer ce principe,
qui nous paraît essentiel dans tout travail épigraphique sérieux,
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on a cité la publication toute récente, par un bibliste fort


estimable, d'une inscription punique de Carthage, provenant d'une
collection privée, qui appartient à la série la mieux connue et
la plus abondamment attestée dans toute l'épigrapliie nord-
sémitique (on en possède des milliers d'exemplaires). Il s'agit
d'une inscription votive dédiée « à la Dame, à Tanit, et au
Seigneur, à Bacal Hammon », où les trois personnages portent des
noms courants à Carthage. Une page, au plus, suffirait, dans
ces conditions, à la publication d'une telle inscription, qui ne
présente aucune particularité dans le contenu ni dans l'écriture.
Or, l'auteur en question y consacre neuf grandes pages in-4°!
On a donné, ensuite, des indications détaillées sur la technique
épigraphique : divers moyens d'avoir accès à une inscription
(examen direct du document, différents procédés de reproduction
de l'inscription, etc.), comment on examine et comment on
déchiffre une inscription, les règles de la restitution des lacunes,
etc. On a fourni, enfin, la bibliographie générale, ainsi que les
indications bibliographiques pour chaque sujet particulier.
Avant de commencer l'étude proprement dite des inscriptions,
on n'a pas manqué de soulever les problèmes, complexes et
difficiles, de l'origine de l'alphabet phénicien.
Traditionnellement, on attribue l'invention, ou tout au moins, l'élaboration
et la propagation de l'alphabet aux Phéniciens, opinion la plus
répandue, encore aujourd'hui. En vérité, la question est plus
compliquée et l'on avait senti cette complexité dès l'Antiquité.
Il est symptomatique, en effet, que les trois hypothèses
principales sur l'origine de l'alphabet, formulées déjà par les écrivains
de l'Antiquité classique, grecque et romaine (Hérodote, Platon,
Diodore de Sicile, Tacite, Pline l'Ancien, Lucain, Philon de
Byblos, etc.), ont été reprises postérieurement et chacune
d'elles conserve, jusqu'à aujourd'hui, ses partisans et défenseurs :
1° origine égyptienne; 2° origine mésopotamienne; 3° création
originale des Phéniciens eux-mêmes. Cette situation n'a été
que très peu modifiée par les trois grandes découvertes faites
au XXe siècle : celles des textes dits protosinaîtiques (trouvés
sur le plateau de Serabit el Khadem, dans le bassin minier
du Sinaï central), des inscriptions dites pseudo-hiéroglyphiques
de Byblos et, enfin, de Yougaritique de Ras Shamra. On a montré
aux auditeurs les spécimens de ces trois écritures, en constatant,
en ce qui concerne les textes pseudo-hiéroglyphiques de Byblos,
que la tentative de déchiffrement d'Edouard Dhorme, en 1946,
n'a pas abouti à des résultats valables, de même que les tenta-
148 RAPPORTS SUR LES CONFÉRENCES

tives de G.E. Mendenhall et de H. Sobelmann. Ces textes restent


encore tout à fait mystérieux. Quant aux inscriptions protosi-
naïtiques, peu de progrès ont été accomplis, en réalité, depuis
les premiers déchiffrements d'A. H. Gardiner (The Egyptian
origin of the Semitic alphabet, dans The Journal of Egyptian
Archaeology, vol. III, Part I, 1916, p. 1-16), malgré les travaux
de W. F. Albright et de son école (en dernier lieu, W. F. Albright,
The Proto-Sinaitic Inscriptions and their decipherment,
Cambridge, 1966). La thèse de l'origine mésopotamienne de l'alphabet
phénicien ayant quelque peu perdu de son actualité, malgré le
regain momentané qu'elle avait connu après le déchiffrement
de l'ougaritique, grâce aux efforts d'E. Ebeling (Forschungen
und Fortschritte, X, 1934, p. 193 et suiv.), deux thèses restent
actuellement en présence, chacune ayant ses défenseurs acharnés :
la thèse de l'origine égyptienne de l'alphabet (W. F. Albright,
F. M. Cross Junior) et la thèse de la création originale par les
Phéniciens (I. J. Gelb, A Study of writing, revised Edition,
Chicago, 1963). On a exposé les arguments que font valoir les
partisans de chacune de ces deux thèses, en montrant les faiblesses
de l'une et de l'autre et en soulignant l'importance d'autres
éléments dont il faut tenir compte et qui ne paraissent pas encore
tout à fait clairs : les problèmes liés avec les écritures sud-
arabiques, avec ce qu'on appelle le principe acrophonique, avec
l'ordre et le nom des lettres, etc. On s'est attaché à faire ressortir,
le plus clairement possible, la grande complexité de toutes ces
questions et à dissiper quelques confusions tenaces qui ne
facilitent pas la solution des problèmes, en faisant remarquer que,
lorsqu'on parle de l'origine de l'alphabet, on doit toujours
distinguer entre l'origine de l'idée même de la décomposition
du mot écrit en lettres, notées chacune par un signe, et l'origine
matérielle de ces signes. On a conclu en constatant que le
problème de l'origine de l'alphabet phénicien est encore loin d'être
résolu, il mérite cependant d'être soumis à un nouvel examen
à la lumière des recherches et des découvertes accomplies ces
dernières dizaines d'années, un examen détaillé et complet qui
n'a pas encore été fait et qui pourrait certainement apporter
des progrès dans la solution de ces difficiles et importants
problèmes.
On a présenté, ensuite, toute la série de documents divers,
trouvés principalement en Palestine et datant du deuxième
millénaire avant notre ère, qu'on désigne habituellement d'un
terme assez vague « textes proto cananéens » ou « textes proto-
MAURICE SZNYCER 149

phéniciens » : de Lakish (inscriptions sur une lame de poignard,


une coupe, un prisme, un brûle-parfum), de Guézer (inscription
peinte sur un tesson), de Sichem, de Bêth-Shemesh, de Megiddo,
de Tell el-Ajjul, de Tell el-Hesi, le sceau-cylindre publié,
en 1953, par Albrecht Goetze, etc. La bonne compréhension
de ces textes, qui paraissent écrits au moyen des caractères
alphabétiques dont certains sont proches de ceux du phénicien
archaïque et du protosinaïtique, pourrait, sans aucun doute,
aider à élucider les mystères de la naissance et de la propagation
de l'alphabet. On a utilisé, à cette occasion, l'article, très dense
mais quelque peu désordonné, de Frank Moore Cross Jr. {The
Origin and Early Evolution of the Alphabet, dans Eretz-Israel,
1967, p. 8-24).
L'étude des inscriptions sur les pointes de flèches ou de
javelines nous a conduits sur un terrain plus sûr. Depuis la découverte
de la première pointe de flèche inscrite, celle de Rouisseh,
publiée par S. Ronzevalle (dans Mélanges de l'Université
Saint-Joseph de Beyrouth, t. XI, fasc. 7, 1926, p. 329-358),
on en a trouvé, et on continue d'en trouver d'autres,
principalement au Liban et en Palestine, la trouvaille la plus importante
étant celle iïEl IJadr (J. T. Milik et Frank M. Cross Jr., Inscribed
Javelin-heads front the Period of the Judges : a récent Disco-
very in Palestine, dans Bulletin of the American Schools of
Oriental Research = BASOR, n° 134, avril 1954, p. 5-15).
Ces inscriptions s'échelonnent, en gros, du XIIe au Xe siècle
avant J.-C. On a signalé, en même temps, la découverte et la
publication de deux nouveaux documents de la même époque :
un sceau inscrit de la vallée d'Ayyalon (F. M. Cross Jr., An
archaic inscribed sealfrom the Valley of Aijalon, dans BASOR,
n° 168, décembre 1962, p. 12-18) et un tesson de Manahat
(Lawrence E. Stager, An inscribed potsherd from the eleventh
Century B. C, dans BASOR, n° 194, avril 1969, p. 45-52). On a
soumis à une étude détaillée, à l'aide d'un tableau paléographique,
les seize lettres attestées dans toutes ces inscriptions, en suivant
l'évolution de chacune d'entre elles et en constatant qu'à partir
du XIe siècle avant J.-C, la plupart de ces lettres ont déjà les
mêmes formes que celles de grands textes du phénicien archaïque.
On a consacré plusieurs conférences à l'examen des inscriptions
trouvées à Byblos, à partir de 1923, par la mission archéologique
française dirigée par Pierre Montet et Maurice Dunand, et qui
représentent le phénicien archaïque. Ces inscriptions
s'échelonnent du XIe jusqu'à la fin du Xe siècle avant J.-C. : l'inscription
150 RAPPORTS SUR LES CONFÉRENCES

d'Asdrubal sur une spatule de bronze (xie s.), l'inscription sur le


sarcophage du roi de Byblos Ahiram (vers 1000 av. J.-C),
le graffito gravé sur une paroi du puits au tombeau du même roi,
les inscriptions de Yehimilk (vers 950), à'Abiba*al (vers 925),
à'Eliba'al (vers 915) et de Sipipba'al (vers 900 av. J.-C), le
tesson du potier lAbdo (vers 900 av. J.-C). On a étudié
minutieusement la grande inscription âHAhiram, l'inscription de
Yehimilk et le tesson de 'Abdo, tout en mettant l'accent sur les
particularités de cette écriture phénicienne et en insistant sur
l'intérêt que présente pour les auditeurs la bonne connaissance
des formes des lettres de ces inscriptions pour la compréhension
de l'évolution ultérieure de chacune d'entre elles dans le
phénicien et les écritures dérivées.
L'étude du phénicien ancien (ixe-vnie s. av. J.-C), qui se
rattache encore assez étroitement au phénicien archaïque,
a été illustrée par les inscriptions de Sardaigne, celles de Nora
(M. A. Guzzo Amadasi, Le Iscrizioni fenicie e puniche délie
Colonie in Occidente, p. 83 et suiv., pi. XXVII, et p. 87-88,
pi. XXVIII) et de Bosa (ibid., p. 99, fig. 14), que, contrairement à
cet auteur, nous placerons au IXe siècle avant J.-C, par la grande
inscription moabite de la stèle de Mesha, qui se trouve au
Louvre, et par l'inscription phénicienne trouvée à Mouti Sinoas,
près de Limassol, à Chypre (CI. S. 5 = K.A.I. 31. — Nous
employons les abréviations habituelles : CI. S. = Corpus Inscrip-
tionum Semiticarum, Pars Prima; K.A.I. = H. Donner et
W. Rollig, Kanaanàische und Aramâische Inschriften). Les
inscriptions du « phénicien ancien » s'échelonnent, selon nous,
de la plus ancienne inscription phénicienne de Chypre, du début
du IXe siècle avant J.-C. (K.A.I. 30) jusqu'aux textes de Karatépé,
vers 720 avant J.-C, et comprennent aussi, bien entendu, les
premières inscriptions de Zendjirli, dont la grande inscription
de Kilamû (K.A.I. 24). H faut joindre à ce groupe les premières
inscriptions araméennes et hébraïques, dont l'écriture ne se
distingue guère de l'écriture phénicienne. Ce n'est qu'à partir
du vme siècle que ces deux écritures commencent à avoir,
chacune, des caractéristiques propres, tout en gardant les traits
principaux de l'écriture phénicienne. Ainsi, en ce qui concerne
les anciens textes hébreux, il conviendrait de parler non pas,
comme c'est l'usage, de l'écriture paléohébraïque, mais plutôt
de l'écriture phénico-hébraïque, comme l'a bien vu, en dernier
lieu, M. Joseph Naveh (A Paléographie note on the distribution
of the Hebrew Script, dans Harvard Theological Review, 61,
MAURICE SZNYCER 151

1968, p. 68-74). Dans cette catégorie entrent aussi bien le


calendrier de Guézer, du Xe siècle avant J.-C. (K.A.I. 182) que certains
textes trouvés à Hasor (Y. Yadin et alii, Hazor, II, 1960, pi. 169,
nos 1, 2, 3, 4; Hazor, III-IV, 1961, pi. 357, n° 1); ces derniers
textes ont été présentés aux auditeurs. En ce qui concerne les
textes araméens, on a étudié l'inscription fragmentaire sur une
lamelle d'ivoire d'Arslan Tash {K.A.I. 232) et l'inscription
de la stèle de Barhadad, trouvée à Breidj, près d'Alep (K.A.I. 201)
datant toutes les deux du IXe siècle avant J.-C, ainsi que les
inscriptions araméennes du IXe siècle trouvées récemment
en Palestine, à lEin Guev et à Dan (Tell el-Qadi) [cf. N. Avigad,
An inscribed bowl from Dan, dans Palestine Exploration
Quarterly, 160, 1968, p. 42-44]. On a pu se servir, pour l'examen
paléographique, de l'excellent livre, qui vient de paraître, de
Joseph Naveh, The Development of the Aramaic Scripts,
Jérusalem, 1970. On a présenté également quelques spécimens des
grandes inscriptions araméennes de Zakir, de Zendjirli et
de Sfiré.
On a dressé, ensuite, le tableau d'ensemble de la grande période
du phénicien moyen, ou « classique », qui commence avec les
inscriptions de Karatépé (vers 720 av. J.-C.) et qui est suivi,
aux alentours de notre ère, par le phénicien récent, peu attesté.
A l'aide des tableaux paléographiques, on a examiné l'évolution
des formes de chaque lettre à travers les inscriptions les plus
caractéristiques de cette période, en utilisant l'ouvrage récent
de J. Brian Peckham, The Development of the Late Phoenician
Scripts, Harvard University Press, 1968. On a étudié, en
particulier, les inscriptions de Sidon (celle du roi Tabnit et quelques
lignes de la grande inscription du sarcophage d'Eshmoun'azar,
qui se trouve au Louvre), de Chypre (C.LS. 47 = K.A.I. 36),
de Byblos (inscription de Batno'am, K.A.I. 11), et d'Athènes
(C.LS. 116 = K.A.I. 53; C.LS. 117 = K.A.I. 55).
Deux conférences ont été consacrées à l'étude de la cursive
phénicienne et l'on a souligné, à cette occasion, l'importance
de ce type d'écriture pour la connaissance de l'évolution
paléographique, car il est évident que les formes de l'écriture lapidaire
reflètent souvent celles de l'écriture cursive, qui est une écriture
vivante, celle qu'on emploie pour l'usage courant. Or, on est
mal renseigné sur cette écriture dont, pour des raisons faciles à
comprendre, on n'a que peu d'échantillons. Mis à part quelques
vases plus anciens de Chypre et un papyrus de Saqqara, du
vie siècle avant J.-C. (K.A.I. 50), la plus grande partie des docu-
152 RAPPORTS SUR LES CONFÉRENCES

ments conservés datent du Ve et du IVe siècle avant J.-C. :


les inscriptions sur vases d'Éléphantine, en Egypte, les « Comptes
de Kition », à Chypre (voir Y Annuaire de la IVe Section, 1969-
1970, p. 153-160), les gramtes sur les pieds du colosse d'Aboii-
Simbel (C.I.S. 111), une inscription sur jarre trouvée récemment
à Bath-Yam, en Palestine (cf. B. Peckham, An inscribed jar
from Bat-Yam, dans Israël Exploration Journal, 16, 1966,
p. 11-17), et maintenant les ostraca de Saïda (Sidon) [cf. A. Vanel,
Six ostraca phéniciens trouvés au temple d'Echmoun, près de
Saïda, dans Bulletin du musée de Beyrouth, t. XX, 1967,
p. 45-95, 4 planches et 2 tableaux; Id., Le septième ostracon
phénicien trouvé au temple d'Echmoun, près de Saïda, dans
Mélanges de l'Université Saint-Joseph, t. XLV, fasc. 20,
Beyrouth, 1969, p. 345-364]. Les travaux de l'abbé Antoine Vanel
nous ont beaucoup servi pour l'étude paléographique de la cursive
phénicienne. On a étudié, d'une manière détaillée, plusieurs
« inscriptions sur vases » d'Éléphantine, d'après l'édition de
Mark Lidzbarski, Phônizische und aramâische Krugaufschriften
aus Elephantine, dans Anhang zu den Abhandlungen der
kôniglich preussischen Akademie der Wissenschaften, Philoso-
phisch-historiche Klasse, Berlin, 1912, p. 1-20, 6 planches.
Suivant les vœux des auditeurs, qui ont préféré d'être initiés,
cette année, plus longuement au punique et au néopunique,
on s'est borné, en ce qui concerne la cursive hébraïque et la. cursive
araméenne, à leur présenter quelques ostraca hébreux de Lakish
et quelques ostraca et papyri araméens d'Éléphantine, tout en
leur fournissant toutes les indications bibliographiques et
méthodologiques.
Plusieurs conférences ont donc été consacrées à l'étude, plus
approfondie, du punique et du néopunique. On a montré, à
l'aide des exemples précis, que l'écriture punique n'est, en gros,
qu'une forme évoluée de l'écriture phénicienne, mais elle possède
ses caractères propres qui vont en se développant dans le temps
et dans l'espace. On a soulevé le problème de la datation des
inscriptions puniques : seules quelques inscriptions des princes
numides peuvent être datées avec une certaine précision, la
datation de toutes les autres, c'est-à-dire de la presque totalité,
ne s'appuie, généralement, que sur des critères archéologiques,
qui sont, comme on sait, peu sûrs et, souvent, variables. On a
souligné, à ce propos, l'urgente nécessité d'entreprendre un
classement typologique de toutes les inscriptions puniques,
en étant convaincu qu'on pourrait alors dégager des séries
MAURICE SZNYCER 153

chronologiques d'après l'évolution de chaque lettre dans l'écriture


punique. On a étudié plus particulièrement plusieurs inscriptions
puniques de Carthage, notamment C.I.S. 5704 et C.I.S. 3785
= K.A.I. 79. On est passé, enfin, à l'étude de l'écriture
néopunique, qui a éliminé progressivement l'écriture punique et qui
est beaucoup plus difficile à lire que celle-ci. Les formes des
lettres en néopunique varient suivant l'époque et la région.
On peut distinguer, en gros, trois variétés :
1. L'écriture néopunique carthaginoise, antérieure à la chute
de Carthage ;
2. La néopunique de Tripolitaine, attestée par une
cinquantaine d'inscriptions, publiées par le regretté Giorgio Levi Délia
Vida;
3. L'écriture néopunique d'Afrique du Nord, postérieure
à la chute de Carthage. Cette dernière catégorie est de loin la
plus nombreuse mais aussi la plus difficile en ce qui concerne le
déchiffrement et l'interprétation. En outre, un grand- nombre
de ces inscriptions sont encore inédites. Compte tenu des
différences locales, l'écriture néopunique est caractérisée par
l'évolution de nombreuses formes de lettres, qui confine souvent à une
schématisation extrême. Une des particularités les plus
caractéristiques du néopunique est l'emploi systématique des matres
lectionis. On a étudié, d'une manière plus détaillée, plusieurs
inscriptions néopuniques : Tripol. 29 (= K.A.I. 123), Tripol. 46,
E. H. (= El-Hofra) 90, Np. 58 et 61. On a fait remarquer, en
concluant, que le néopunique constitue sans doute, dans toute
l'épigraphie nord-sémitique, un domaine privilégié, où il y a,
actuellement, le plus de travail à accomplir pour continuer et
parachever l'œuvre de grands défricheurs, Giorgio Levi Délia
Vida et M. James-G. Février.

La conférence a été suivie régulièrement et assidûment,


pendant toute l'année, par Mmes Hélène Benichou, Marguerite
Hadida, Hélène Ruben-Lozachmeur; Mlle Anne Guilliot;
MM. Pierre Arcelin, François Bron (Suisse), Harb Farzat
(Syrien) ; et pendant les deux premiers trimestres, par MM. Jesûs
Luis Cunchillos (Espagnol), Amor Mezzi (Tunisien), Michel
Nakad (Libanais).

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