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C’est une approche néo-structurale prenant place parmi les autres théories de
linguistique textuelle et d’analyse du discours qui mettent l’accent sur les indices
(ethnostylèmes d’ordre socio-culturel, géo-physique, historique et
anthroponymique etc…) susceptibles de constituer des moyens d’ancrage du texte
dans son contexte de production et pouvant imposer à celui-ci certaines contraintes
de style et de compréhension.
L’ethnostylistique
15Il est important de rappeler que lorsque le
mot stylistique apparaît pour la première fois en langue française
en 1872, il est un emprunt de l’allemand stylistik. Cette genèse
établit donc que le style est la motivation essentielle de la
stylistique qui a pour objet d’étude le discours ou le texte
littéraire. Or, quel que soit l’angle sous lequel on le prend,
l’œuvre africaine, comme n’importe quel texte pose à la fois des
problèmes de production et de réception. La recherche d’une
identité, qu’elle soit historique ou idéologique ; la mise en œuvre
de l’élément culturel ; la prise en charge de la praxis sociale par la
langue ; constituent autant de considérations qui intéressent la
critique des textes africains. Le substrat culturel y est important,
parce que l’écrivain, issu d’un milieu, exprime nécessairement les
réalités de celieu-source en se servant de la langue française
comme moyen de communication.
16De la sorte, les conditions de production du texte, parce
qu’elles imposent à l’énoncé des contraintes doivent être prises
en compte dans l’effort de compréhension de l’œuvre littéraire,
c’est-à-dire du résultat de cette activité langagière.
17S’agissant des textes africains, les paramètres évoqués
participent à leur texture et en sont des composantes essentielles.
Chaque texte africain est ainsi l’expression partielle ou totale
d’une culture, et tout le problème est de voir comment la langue
française peut prendre ou prend concrètement en charge
l’expression des identités culturelles, du vécu négro africain. Ce
postulat, s’il est accepté, nous plonge de plein pied dans
l’ethnolinguistique, entendue selon J. Dubois et alii 5 comme
« l’étude de la langue en tant qu’expression d’une culture et en
relation avec la situation de Communication ». Mais quelles sont
les modalités de cette expression et quelles formes prend-elle
quand elle est réalisée concrètement dans un texte ? Nous serons
attentifs à cette interrogation.
18Les problèmes abordés par l’ethnolinguistique touchent aux
rapports entre la linguistique et la vision du monde. Or, il y a bien
un mode d’expression par la langue de cette vision du monde. Cet
aspect là est à relier à la problématique de la réception des textes
comme littéraires, aux conditions verbales, formelles de ce
conditionnement. Nous sommes alors dans le champ de la
stylistique et précisément d’une stylistique particulière à la
frontière de l’ethnologie et de la stylistique : l’ethnostylistique.
19L’ethnostylistique apparaît par conséquent comme une
stylistique qui a pour objet la critique du style des textes
littéraires, pour procédé les techniques d’analyse en sciences du
langage et pour finalité la prise en compte des conditions de
production et de réception des textes (elle peut s’appliquer à
d’autres textes que les textes africains, mais à forte coloration
ethnique, culturelle, etc.) ainsi que l’étude des modes particuliers
d’expression des valeurs culturelles.
20Comme on le constate, l’ethnostylistique est une stylistique se
préoccupant de l’étude des conditions verbales et formelles, à
l’œuvre dans le discours littéraire. Elle côtoie aussi
l’ethnolinguistique lorsqu’elle s’interroge sur ce que peut signifier
l’expression d’une pratique sociale, d’une vision du monde par la
langue. L’ethnostylistique est à considérer en outre comme
l’étude formelle du message linguistique en liaison avec
l’ensemble des circonstances de communication et des conditions
particulières de l’énonciation.
21Selon une certaine tendance qui a prévalu et qui prévaut encore
aujourd’hui, le sens d’un texte est le résultat des relations de tous
ordres, à quelques niveaux que ce soit, qui se tissent entre les
diverses composantes qui le structurent. Le texte tel qu’en lui-
même est producteur de sens ; il suffit de l’interroger en tant que
tel, autrement dit de décomposer les différents mécanismes ainsi
que les points de suture qui l’organisent et participent
solidairement à sa cohésion interne, à la corrélation entre les
divers outils ou instruments qui le composent. La saisie d’un texte
peut se faire utilement sans se préoccuper, et de ce qui le
précède, et de ce qui le suit.
22Cette conception critique d’obédience structuraliste, fonde la
démarche de certains stylisticiens dont Riffaterre, représentant
éminent du structuralisme américain, et même français. Il le
confirme :
« Quand il s’agit d’art verbal, l’accent est mis sur le message conçu
comme une fin en soi et non comme un simple moyen, sur sa forme
conçue comme un édifice permanent, immuable, à jamais indépendant
des contingences externes »6
47La situation décrite ici résume les enjeux ainsi que les
intentions de l’ethnostylistique dont la problématique vient d’être
esquissée dans ses tenants et ses aboutissants. Mais, s’agissant
d’un nouveau principe opératoire d’analyse textuelle, la question
peut être posée de savoir qu’elle est la démarche de
l’ethnostylistique quand il s’agit par exemple d’analyser un texte
et qui la distinguerait des autres méthodes d’approche critique.
Significativité
détermination des cibles textaires et de leurs différents marqueurs.
hiérarchisation des niveaux et des degrés de réception en rapport
avec la littérarisation du texte.
examen du fonctionnement optimal ou non du pacte scripturaire ou
de lecture.
Le contexte d’énonciation
52Tout énoncé proféré pose son énonciateur et son énonciataire
comme instances coprésentes et corrélatives. Ces deux instances
sont en rapport d’échange discursif dans un espace déterminé et
à un moment donné. Ces coordonnées du réel ( Je, Tu, Ici,
Maintenant) doivent être repérées, analysées et interprétées par
rapport à la culture, à la langue et à la société.
53Dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma, le
personnage principal se présente avec fierté en ces termes : Fama
Doumbouya, Prince Doumbouya du Horodougou, totem
panthère, ...
54Il y aurait, dans cette présentation complète, toute une réflexion
à faire à la fois sur l’onomastique négro-africaine et l’enjeu
énonciatif dans un contexte où le « système de places » social est
fortement enraciné.
Signe et connotations
55Le signe saussurien est le total associatif signifiant/signifié ; ce
dualisme du contenu et de la forme naît avec la rhétorique et la
poétique aristotélicienne. L’expression, dit Aristote, est la
manifestation de la pensée à travers les mots21.
56En langue, le linguiste ne se préoccupe pas du rapport entre le
signe et son éventuel référent objectif. Il s’intéresse au pouvoir de
signification du signe, à sa fonction sémiotique qui relie le plan de
l’expression à celui du contenu.
57Quant au discours littéraire, son plan de l’expression est
constitué par les plans du contenu et de l’expression d’un langage
de dénotation22. Soit figurativement :
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La surrhétorisation
65Le texte africain est très imagé. La fonction imageante est
valorisée par tous les poètes : glorifier le culte des images, écrit
Beaudelaire, ma grande, mon unique, ma primitive passion. Le
poète africain emprunte généralement l’image dans son
environnement, image végétale, aquatique, minérale, animalière,
etc. Dans la logique africaine, cette variété analogique se justifie
par le fait que le poète africain n’a pas une vision sécable,
fragmentée de la nature ; les existers cosmiques présentent des
solidarités ; ou comme l’affirme Senghor : « tout l’univers visible
et invisible, depuis Dieu jusqu’au grain de sable, en passant par
les génies, les ancêtres, les animaux, les plantes, les minéraux,
est composé de vases communicants, de forces vitales solidaires
qui émanent de Dieu » (L.S. Senghor, préface aux Nouveaux
contes d’Amadou Koumba).
66Citons quelques exemples dans Une vie de boy de Ferdinand
Oyono et Les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma :
– « La peau de mes genoux est devenue aussi dure que celle du
crocodile » (Une vie de boy, p. 21) (– humain image animalière).
– « Elle a tressailli comme une fleur dansant dans le vent » (Une vie de
boy, p. 74) (-humain image végétale).
– « ... Sourcils et favoris blancs comme le duvet du héron. (Les soleils
des indépendances, p. 114) (– humain image aquatique).
67Ce sont ces analogies entre l’homme et les autres êtres
existants que Senghor appelle le naturalisme cosmologique.
Le rythme
69Thomas Mélone28 qui s’est longuement penché sur la
prosodématique négro-africaine, a constaté que le verbe négro-
africain était rythme et musique, orfèvre et griot à la fois, formule
sacrale et son de harpe. Rien d’étonnant que pour lui, Chant
d’Ombre de Senghor soit une :
« nocturne mélopée qui s’empare de l’oreille, de l’homme tout entier, à
l’heure méditative des crépuscules africains, quand le jour et la nuit se
livrent leur ultime, gigantesque et héroïque combat, quand profitant
des faveurs de la nuit victorieuse, après les dernières convulsions du
jour, les génies inférieurs remontent dans notre monde pour
renouveler notre vie, renforcer notre force »29.
11 Cf. Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal (1939) et aussi
Cheik Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, (1961, épilogue).
13 Voir Mendo Zé, Gervais et Tonye A., « Les enjeux connotatifs du mot
bouche en français et en bulu du sud Cameroun «, Langue et
communication n° 2, Yaoundé, Saint-Paul, 2002.
27 Zaourou, Zadi, Fer de lance, livre 1, Paris, P.J. Oswald, 1975, p. 191
29 I., p. 125.