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Je vais rédiger un article sur l’approche ethnostylistiue de l’œuvre de Fandrama

[…] Une tendance stylistique textuelle développée dans le prolongement de la


stylistique structurale, mais qui s’appuie sur le principe de l’immanentisme ouvert
pour insister sur le référent, le contexte d’énonciation, le hors texte et l’extra-
reférentialité afin de mieux analyser le texte grâce à sa mise en croix
communicationnelle entre ses lieux-sources et ses lieux cibles.

C’est une approche néo-structurale prenant place parmi les autres théories de
linguistique textuelle et d’analyse du discours qui mettent l’accent sur les indices
(ethnostylèmes d’ordre socio-culturel, géo-physique, historique et
anthroponymique etc…) susceptibles de constituer des moyens d’ancrage du texte
dans son contexte de production et pouvant imposer à celui-ci certaines contraintes
de style et de compréhension.

Ce livre comporte un dosage harmonieux entre « des « questions de théorie » :


parcours, mutation épistémologique ; articulation entre l’ethnostylistique et
certaines théories linguistiques connexes ; et la pratique du commentaire
ethnostylistique en compréhension : méthode, démarche ; puis en extension :
applications à des œuvres africaines et/ou non africaines.

L’option ethnostylistique présente des avenues épistémologiques ouvrables sur la


didactique, la glossairistique et la Critique de style comparée etc…

L’approche ethnostylistique développée dans cet ouvrage éprouve le texte césairien


à l’aune d’une analyse novatrice. L’ouvrage de Césaire, réputé très hermétique, est
abordé dans sa substance logocentrique à travers un univers référentiel convoquant
non seulement la Martinique, lieu de destination de ce retour au pays natal, mais
plusieurs autres lieux sources énonciatives où la situation de l’homme est bafouée
dans sa dignité. L’étude contextualise le texte et met en évidence ses spécificités
linguistiques, socioculturelles, littéraires et historiques grâce à une mise en tension
de ses composantes esthétiques et idéologiques, ainsi qu’à l’étude de la langue d’un
poète dont l’écriture est analysée à l’aide d’ethnostylèmes, de diosèmes et
d’épistémèmes. L’ethnostylistique se voit ici théorisée et appliquée pour permettre
de comprendre la pensée d’un poète dont le verbe a inspiré bien d’utopies sociales
et de mythes. La rigueur de l’outil épistémologique sondant les symbolisations et
analysant le discours rend lisible et intelligible une prose poétique rébarbative.
L’auteur ne pouvait participer davantage à la critique néo-césairienne tout en
montrant la pertinence de l’analyse ethnostylistique qui insiste sur
l’extraréférentialité et s’inscrit dans la perspective d’un immanentisme ouvert du
texte littéraire.
Propositions pour
l’ethnostylistique
Gervais Mendo Ze
p. 207-225

TEXTE NOTES AUTEURILLUSTRATIONS


TEXTE INTÉGRAL
1Le concept d’ethnostylistique traduit les préoccupations
afférentes à une problématique que l’on peut facilement
comprendre à partir d’autres notions telles que
l’ethnolinguistique, ensemble des problèmes liés aux rapports
entre la linguistique et la vision du monde 1 ou encore
l’ethnométhodologie, branche de l’ethno-sociologie qui part du
postulat qu’un discours n’a de sens que s’il est compris dans son
contexte, à la fois celui d’émission du discours et celui de
réception. Ce que De Luze2 appelle très précisément l’indexicalité.
2Cette problématique, il convient de le souligner, nous a habité
depuis les années 1980. Nous travaillions alors sur notre thèse
d’Etat en linguistique et prose
stylistique françaises : La
romanesque de Ferdinand Oyono : Essai de stylistique textuelle et
d’analyse ethnostructurale. Cette thèse, préparée sous la direction
du Professeur Michel Hausser, a été soutenue devant un jury de
l’Université de Bordeaux 3 le 7 juin 1982.
3Dans les années 1980 au siècle dernier, et même dans le
contexte de la critique qui prévaut aujourd’hui, l’analyse
structurale au sens strict se propose d’étudier les textes et les
œuvres littéraires sans tenir compte et de ce qui les précède et de
ce qui les suit. Elle ne se préoccupe ni des lieux sources, ni des
lieux-cibles de l’énoncé, encore moins des conditions dans
lesquelles le texte prend place. Pourtant, le contexte est essentiel
pour appréhender l’œuvre littéraire dans la mesure où il permet
de mieux déterminer les intentés d’écriture et de cerner les
conditions de production de l’œuvre. Celles-ci, on le sait,
imposent souvent au texte certaines contraintes qui conditionnent
sa compréhension et sa réception.
4Cette problématique nous place au confluent d’un double
questionnement.
5Tout d’abord, elle nous amène à nous demander si et dans
quelle(s) condition(s) le texte littéraire peut se comprendre en
dehors de son environnement contextuel ou en faisant fi des
circonstances et du lieu d’énonciation. Si nous parvenons à
répondre à cette première interrogation, il sera question de savoir
quelles œuvres sont plus sujettes que d’autres à rentrer dans le
quadrillage épistémologique que nous préconisons.
6Ensuite, s’agissant du champ de recherche choisi pour mener à
bien nos investigations, indiquons qu’il s’agit de la stylistique non
pas seulement comme étude de l’expression écrite et/ou orale,
mais surtout comme technique d’analyse du style : mode
d’intégration de l’individuel dans le travail de structuration
linguistique de l’énoncé, et discipline à part entière ouvrant la
voie à des méthodes d’approche de l’énoncé. Il y a non une
stylistique, mais des stylistiques et la maîtrise des connaissances
dans ce domaine est une tâche immense à cause de la diversité
des avenues méthodologiques à cerner, de la multiplicité des
centres d’intérêts à déterminer et du nombre de points d’ancrage
à considérer.
7Pour notre part, nous ne nous limiterons pas à la mère de la
stylistique c’est-à-dire la rhétorique, saisissable comme discours
à visée persuasive et permettant de maîtriser les structures du
langage, son organisation et les formes d’expression adaptées
aux diverses circonstances de la vie en société. Il ne s’agit pas
non plus de proposer une stylistique qui insiste sur les faits
d’expression du langage du point de vue de leurs contenus
affectifs, etc. Il est question d’une stylistique qui a pour objet le
texte littéraire et qui concentre ses efforts en vue de sa
compréhension pertinente. Car, quoi qu’on dise, l’objet
éminemment majeur de la stylistique se trouve être le discours ou
le texte littéraire et, essentiellement, les textes écrits3.
8Mais il s’agit de savoir si les méthodes d’analyse stylistique
proposées jusqu’ici pour l’étude des textes archi-
européens – pour n’aborder que ce canton des sciences du
langage et de la littérature – et qui procèdent majoritairement de
la tradition critique occidentale sont en mesure de produire des
résultats semblablement pertinents pour la saisie des textes
africains.
9En effet, l’examen de la pratique des différentes écoles
stylistiques, qu’elles soient de Bally (expression), de Spitzer
(génétique), de Riffaterre (structurale), de Molinié (réception) ou
de Dupriez (communication), nous a amené à la conclusion
qu’aucune d’entre elles ne tenait avec satisfaction compte de
l’approche que nous voulions pour un certain type de productions
textuelles. Il appert que dans le climat d’ébullition proposé par les
différentes méthodes pour comprendre une catégorie particulière
d’œuvres, il y a place pour une nouvelle approche que j’ai
appelée ethnostylistique, dont le champ d’application porte
prioritairement sur les textes littéraires négro-africains qui ont
fait l’objet d’un travail de recherche impressionnant de Monsieur
le Professeur Michel Hausser4.
10Cette avancée me semble d’autant plus pertinente que, d’une
part, s’observe, depuis un certain temps un intérêt sans précédent
pour l’étude des littératures africaines et que, d’autre part, des
auteurs de plus en plus nombreux estiment nécessaire de
reconsidérer les méthodes critiques occidentales pour mettre en
œuvre des grilles d’analyse propres aux textes africains qui
prennent en charge leurs spécificités.
11De notre point de vue, s’il est vrai que toutes ces formes
charrient leurs méthodes et leurs procédés sur les productions
littéraires africaines, pourtant, aucune ne peut se dire totalement
et exclusivement au service de cette littérature. Du coup, se pose
le problème des couloirs et des spécialités, anodin pour
quelques-uns, complexe pour d’autres. Autrement dit la
stylistique reste-t-elle toujours dans le champ des sciences du
langage lorsqu’elle s’intéresse à la production littéraire africaine ?
12Le stylisticien qui prend pour objet d’étude le texte africain ne
saurait être considéré comme marchant sur les plates bandes des
spécialistes de la littérature négro-africaine. Il ne peut être
considéré comme un chasseur ayant changé le fusil d’épaule. Il
faut comprendre que le texte, produit de l’activité scripturale et
résultat de l’acte d’énonciation, est commun à tous en tant que
lieu de partage et d’échange sur lequel chacun applique ses
méthodes d’investigation :
 le grammairien qui enseigne les règles de structuration de la langue
s’appuie sur le texte.
 le linguiste qui étudie les signes et montre comment la langue, outil
de communication par excellence, est mise en œuvre pour
déterminer les modalités de l’échange, travaille également avec le
texte.
 le sémioticien s’en sert aussi pour mettre en évidence la
modélisation des structures abstraites de la signification.
 le thématicien fait de même, qui scrute les modes d’inscription de la
pensée dans une œuvre ou dans un ensemble d’œuvres.

13Cette liste n’est pas exhaustive. Tous ces spécialistes de la


matière littéraire déploient leurs grilles méthodologique et
épistémologique suivant les sensibilités qui correspondent à leur
domaine de connaissances. Ainsi, le stylisticien s’intéresse à
l’analyse des textes littéraires de toutes sortes, y compris des
textes littéraires africains en combinant et en croisant les
méthodes des sciences du langage et de la littérature. Le
stylisticien, comme le footballeur moderne, exploite, grâce aux
ressources de l’outil linguistique, toutes les failles, tous les postes
laissés vacants à la fois par l’écrivain, le texte lui-même, et par les
autres disciplines qui s’intéressent au littéraire pour mieux faire
signifier le texte et mettre en relief les intentions particulières de
l’auteur.
14Mais qu’est-ce donc que l’Ethnostylistique et comment essayer
de définir dans ce contexte le texte littéraire africain auquel tant
de spécialistes africains et africanistes font une cour assidue ?

L’ethnostylistique
15Il est important de rappeler que lorsque le
mot stylistique apparaît pour la première fois en langue française
en 1872, il est un emprunt de l’allemand stylistik. Cette genèse
établit donc que le style est la motivation essentielle de la
stylistique qui a pour objet d’étude le discours ou le texte
littéraire. Or, quel que soit l’angle sous lequel on le prend,
l’œuvre africaine, comme n’importe quel texte pose à la fois des
problèmes de production et de réception. La recherche d’une
identité, qu’elle soit historique ou idéologique ; la mise en œuvre
de l’élément culturel ; la prise en charge de la praxis sociale par la
langue ; constituent autant de considérations qui intéressent la
critique des textes africains. Le substrat culturel y est important,
parce que l’écrivain, issu d’un milieu, exprime nécessairement les
réalités de celieu-source en se servant de la langue française
comme moyen de communication.
16De la sorte, les conditions de production du texte, parce
qu’elles imposent à l’énoncé des contraintes doivent être prises
en compte dans l’effort de compréhension de l’œuvre littéraire,
c’est-à-dire du résultat de cette activité langagière.
17S’agissant des textes africains, les paramètres évoqués
participent à leur texture et en sont des composantes essentielles.
Chaque texte africain est ainsi l’expression partielle ou totale
d’une culture, et tout le problème est de voir comment la langue
française peut prendre ou prend concrètement en charge
l’expression des identités culturelles, du vécu négro africain. Ce
postulat, s’il est accepté, nous plonge de plein pied dans
l’ethnolinguistique, entendue selon J. Dubois et alii 5 comme
« l’étude de la langue en tant qu’expression d’une culture et en
relation avec la situation de Communication ». Mais quelles sont
les modalités de cette expression et quelles formes prend-elle
quand elle est réalisée concrètement dans un texte ? Nous serons
attentifs à cette interrogation.
18Les problèmes abordés par l’ethnolinguistique touchent aux
rapports entre la linguistique et la vision du monde. Or, il y a bien
un mode d’expression par la langue de cette vision du monde. Cet
aspect là est à relier à la problématique de la réception des textes
comme littéraires, aux conditions verbales, formelles de ce
conditionnement. Nous sommes alors dans le champ de la
stylistique et précisément d’une stylistique particulière à la
frontière de l’ethnologie et de la stylistique : l’ethnostylistique.
19L’ethnostylistique apparaît par conséquent comme une
stylistique qui a pour objet la critique du style des textes
littéraires, pour procédé les techniques d’analyse en sciences du
langage et pour finalité la prise en compte des conditions de
production et de réception des textes (elle peut s’appliquer à
d’autres textes que les textes africains, mais à forte coloration
ethnique, culturelle, etc.) ainsi que l’étude des modes particuliers
d’expression des valeurs culturelles.
20Comme on le constate, l’ethnostylistique est une stylistique se
préoccupant de l’étude des conditions verbales et formelles, à
l’œuvre dans le discours littéraire. Elle côtoie aussi
l’ethnolinguistique lorsqu’elle s’interroge sur ce que peut signifier
l’expression d’une pratique sociale, d’une vision du monde par la
langue. L’ethnostylistique est à considérer en outre comme
l’étude formelle du message linguistique en liaison avec
l’ensemble des circonstances de communication et des conditions
particulières de l’énonciation.
21Selon une certaine tendance qui a prévalu et qui prévaut encore
aujourd’hui, le sens d’un texte est le résultat des relations de tous
ordres, à quelques niveaux que ce soit, qui se tissent entre les
diverses composantes qui le structurent. Le texte tel qu’en lui-
même est producteur de sens ; il suffit de l’interroger en tant que
tel, autrement dit de décomposer les différents mécanismes ainsi
que les points de suture qui l’organisent et participent
solidairement à sa cohésion interne, à la corrélation entre les
divers outils ou instruments qui le composent. La saisie d’un texte
peut se faire utilement sans se préoccuper, et de ce qui le
précède, et de ce qui le suit.
22Cette conception critique d’obédience structuraliste, fonde la
démarche de certains stylisticiens dont Riffaterre, représentant
éminent du structuralisme américain, et même français. Il le
confirme :
« Quand il s’agit d’art verbal, l’accent est mis sur le message conçu
comme une fin en soi et non comme un simple moyen, sur sa forme
conçue comme un édifice permanent, immuable, à jamais indépendant
des contingences externes »6

23Riffaterre ne pouvait souligner davantage que la forme est


prépondérante et qu’elle produit le sens. Du reste, ce que
Riffaterre appelait formalisme français est en fait un principe
fondamental signifiant qu’un texte littéraire est un système
combinatoire fini de signes : l’intérieur du système combinatoire
de la langue7.
24C’est d’un immanentisme « radical » qu’il s’agit et que certains
critiques comme C. Kerbrat-Orrecchioni veulent relativiser en
prônant un immanentisme ouvert. Et justement le texte africain
qui a une composante extralinguistique forte ne peut que se
réjouir de ce basculement vers l’extérieur, vers l’extra-
référentialité. Il doit y avoir une intraréférentialité8 dans les textes
africains en question, et comme on peut s’en douter, il y a une
prégnance certaine du référentiel. Le texte africain peut, de ce
point de vue, se présenter dans ses critères de compréhension, le
spécifiant à la manière d’une identité remarquable.

De trois critères définitoires du


texte littéraire africain
25Evidemment, c’est une tâche bien délicate que de vouloir
trouver même sommairement des critères authentiquement
définitoires des textes africains. Cette étroitesse provient tout
d’abord de l’acception et de l’idée plurielle qu’on peut se faire
desdits textes. Il s’agit certainement de savoir ce qui fait leur
spécificité relativement à d’autres productions. On peut dire de
façon schématique que, les textes qui nous préoccupent sont des
carrefours idéologiques, culturels et esthétiques.

Le texte africain est avant tout un


lieu idéologique
26La production littéraire africaine d’avant les indépendances a
donné naissance à des écrivains de talent qui font aujourd’hui
figure de classiques. Ces écrivains ont abordé avec une langue
hardie et dans des œuvres à thèses, la condition du Noir et le
problème de la colonisation ; la différence de statut et de destin
entre l’homme noir et l’homme blanc. Mongo Béti résume à
perfection cette polarisation. Il écrit dans Ville cruelle9, au sujet
de la ville de Tanga : deux Tanga, deux mondes, deux
civilisations. Dans cette évocation, Tanga nord symbolise le Blanc
civilisé, apporteur et porteur de civilisation et nanti ; et Tanga
sud, le Noir à peine sorti de sa barbarie et encore englué dans la
pauvreté. D’où la figuration sémiotique correspondante :

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27Dans cette grille, tous les éléments de l’ensemble A sont en


relation d’opposition systématique avec un élément de l’ensemble
B. Cette relation d’opposition est explicite ou implicite. C’est une
relation non de centralisation, mais de domination/assimilation de
B par A qui aboutit à une situation de discrimination sélective.
28Par l’écriture donc, l’écrivain veut exorciser le mal en dénonçant
une situation de domination qu’il estime insupportable et qu’il fait
vivre ensuite dans ses œuvres10.

Le texte Africain est un lieu culturel


29L’écrivain africain prône un retour aux sources pour faire
prévaloir des valeurs culturelles autochtones. Le texte apparaît
ainsi comme la peinture des hommes à la recherche de leurs
identités perdues11. En outre, l’homme africain se définit par
rapport à sa propre vision du monde. Cela se reflète très bien, de
manière consciente ou non, dans les écrits. C’est la raison pour
laquelle le texte sera marqué du sceau de la tradition et de
l’oralité.
30Le texte liminaire de Ferdinand Oyono dans Une vie
de boy12 est riche de ces évocations qu’on ne peut idéalement
saisir qu’en rapport avec une connaissance des usages, des us et
coutumes du contexte référentiel de production. Pour mieux
comprendre par exemple dans ce contexte d’adieu le rôle et la
fonction de la veillée africaine, il faut prendre en compte,
l’ensemble des circonstances de communication. En effet, c’est
lors de la veillée autour du feu que se règlent les problèmes
d’importance tels que le mariage, la séparation, etc. Car pendant
la journée, les femmes, les hommes et toutes les personnes
valides vaquent à leurs occupations ayant essentiellement trait à
l’agriculture, la pêche, la chasse et l’économie domestique. C’est
ainsi que le départ de Toundi réunit toute la communauté
villageoise pour un au-revoir collectif.
31Dans cette optique, l’énoncé c’était l’heure du repas habituel de
bâtons de manioc au poisson souligne que dans la tradition de
l’auteur, il n’y a qu’un seul vrai repas que l’on prend le soir quand
tout le monde est rentré des champs. Ce repas se prend en
groupe et tout le monde mange avec les doigts dans une seule et
même assiette. Dans le syntagme nominal (SN) repas habituel,
formé du nom repas et de l’adjectif référentiel post-posé habituel,
celui qui connaît le contexte de la culture bulu traditionnelle et
rurale dont il est question ici sait qu’il ne s’agit ni plus ni moins
du repas du soir. L’épithète habituel qualifiant le
nom repas souligne qu’il s’agit d’un indice d’ostension culturel
dont la connaissance doit être partagée par le narrateur et le
lecteur pour l’enjeu du sens et les commodités de la signification.
Même si dans le texte repas habituel apparaît marqué par une
fonction cataphorique évidente, puisque une série de détails
l’explique par la suite (composition du repas, moment
d’intervention du repas, etc.), ce syntagme ne convoque pas
moins les connaissances se situant dans une volonté de précision
anaphorique renvoyant à ce qui précède et qui permet de
constater qu’on va du général au particulier, autrement dit, du
présentatif de temporalité c’était le soir, à l’indice de
précision c’était l’heure, le lecteur est supposé partager
culturellement toutes ces références au contexte culturel bulu
servi par l’auteur.
32Une fois le repas terminé, on peut se réunir autour du feu pour
ressasser les sempiternelles aventures de la tortue et de
l’éléphant, signe que la veillée est vraiment à l’œuvre. On voit
donc que les contes et les fables ainsi que les accessoires de
convivialité tels que la kola, le vin de palme ou de raphia
alimentent la veillée au moment où les esprits somnolents sont
enclins à tomber dans les bras de Morphée.
33De même, le fait de roter à la fin du repas et de se gratter le
ventre avec l’auriculaire signifie qu’on a bien mangé et qu’on est
repu. Ce geste s’adresse en particulier à la maîtresse de maison à
qui l’on rend un hommage mérité pour ses talents culinaires.
34Aussi, l’expression nous autres français du Gabon ou du
Cameroun, replonge-t-elle le lecteur dans l’univers colonial où
certains Africains s’identifient à tort ou à raison aux ressortissants
Français, c’est-à-dire à des Blancs. En tout cas, cet énoncé est
ironique dans les deux sens et pour les Africains et pour les
Français.
35Enfin, l’énoncé parémiologique la bouche qui parle ne mange
pas est la transposition dans l’écrit d’un énoncé de vérité
générale13. Ce texte est du reste abondamment commenté dans
notre Abrégé de stylistique pratique dans l’optique de ce qui
précède14.
36A côté de Ferdinand Oyono, le roman d’Ahmadou Kourouma au
titre évocateur, Les soleils des indépendances15, désigne à partir
du pluriel augmentatif les soleils, le contexte historique des
indépendances qui n’ont pas été acquises au même moment
d’une part, et d’autre part, de façon métaphorique, l’idée de
renaissance, qui elle-même connote la liberté, l’émancipation des
peuples africains et le début d’une ère identique partout en
Afrique. Cette idée est confirmée par la parenté sémantique forte
entre le substantif soleils et son complément
déterminatif indépendances : les temps, moments, époques ou
années des indépendances.
37Au-delà, le roman de Kourouma tord littéralement le cou à la
langue française, à la fois langue de domination et
d’émancipation, langue d’affirmation d’une identité retrouvée.
38On ne peut opportunément étudier nos textes sans tenir
compte de la dimension culturelle, il peut arriver que celle-ci ne
soit pas perceptible par tous. La diversité culturelle africaine étant
si réelle qu’au sein d’un même pays peuvent cohabiter près
de 300 unités-langues. C’est le cas en particulier du Cameroun
caractérisé par la polyglossie, avec absence d’une langue
nationale dominante.

Le texte africain est un lieu


esthétique
39C’est à travers le texte que s’expriment les dons de l’oralité,
l’aptitude à maîtriser le verbe, l’art de la parole et sa mise en
œuvre dans le discours. Le texte est vécu comme un conflit où
celui qui écrit en français sent la réalité à exprimer et cherche à
domestiquer la langue pour idéalement exprimer cette réalité,
mais se rend souvent compte d’une sorte de résistance ou
d’inaptitude de la langue d’appropriation / acquisition, à épuiser
totalement la réalité dont il veut parler. Il en est ainsi du théâtre
africain si nous nous permettons cette extension16 qui puise
abondamment dans le réservoir des « succulentes veillées
africaines ». Ce théâtre a pour originalité de plonger directement
ses racines dans les réalités culturelles du milieu qui lui donne
naissance. De la sorte le souci du dramaturge est, nous semble-t-
il, de recréer l’atmosphère, l’ambiance et le décor tels qu’on les
connaît dans la culture traditionnelle. Cependant il se heurte
toujours au problème de la prise en charge des réalités d’une
culture par une langue d’adoption, le français, d’où le recours à la
traduction.
40En d’autres termes, quand on lit certains textes africains, on a
l’impression que celui qui écrit est dans la situation suivante : il a
une idée ou une vision du monde à exprimer ; il n’a pas pu ou
voulu le faire dans sa propre langue ; il a choisi de se servir du
français, langue d’adoption qu’il connaît mieux ou qu’il prétend
mieux maîtriser. Mais il se trouve très vite confronté à un certain
nombre d’obstacles, dont celui de l’intraductibilité en français de
certaines réalités à exprimer. Incidemment deux cas de figures se
présentent : soit la langue française s’avère insuffisante, soit elle
est inopérante pour traduire toute la réalité culturelle. Il procède
alors à une série de substitutions, de contournements, de
périphrases, d’images et même jusque-là, il n’est pas toujours
certain qu’il réussisse à traduire fidèlement toutes les valeurs de
sa culture en français.
41Aussi se trouve-t-il dans l’obligation d’expliquer sans cesse,
d’ouvrir des parenthèses ou des guillemets, de créer des notes de
bas de page, autant de contraintes qui brisent l’élan du lecteur 17.
Parfois l’écrivain est obligé de restituer les mots de la langue
locale tels quels et d’en donner l’explication en note
infrapaginale. Pour revenir à Ferdinand Oyono, l’on n’est pas sûr
que le fait de se « gratter le ventre avec l’auriculaire » évoqué
dans le texte sus-cité puisse être convenablement interprété par
d’autres Africains, c’est-à-dire, ceux qui sont issus d’une ère
culturelle différente de celle de l’auteur d’Une vie de boy. Par
conséquent, ces explications ne sont pas seulement destinées à
un public occidental, mais à tous ceux dont la compétence
culturelle est nulle relativement au contexte référentiel bulu.
42Dans Le Retraité18, le mot ntobo, en éwondo et qui se
prononce ntabe en bulu, signifie en français « étranger ». Mais
dans la culture béti, il a un sens péjoratif. La traduction littérale
appréhende le ntobo ou le ntabe (= « un s’asseoir ») comme un
déverbatif de s’asseoir. C’est l’allogène par opposition à
l’autochtone, plus précisément, c’est l’étranger qui, venant
d’ailleurs, au lieu de passer son chemin s’est installé dans une
communauté, s’est établi dans un lieu auquel il n’appartenait pas
à l’origine. Il y a élu domicile et s’y est assis.
43Il est aussi des situations où celui qui écrit se sent plus à l’aise
en français que dans sa langue propre, même si le français ne lui
permet pas d’exprimer toute la réalité du terroir et toutes ses
idées. Autant Cahier d’un retour au pays natal de Césaire est
devenu un classique de la littérature afro-antillaise, autant son
écriture et sa portée sont restées longtemps hermétiques.
44A contrario, la non maîtrise du français ou la méconnaissance
de la culture d’origine sont autant de handicaps. Signaler ces
divers faits, c’est souligner que les textes africains posent, du
point de vue de leur approche stylistique, une infinité de
problèmes esthétiques et linguistiques. Il faut y aller avec une
certaine polyvalence pour prétendre les expliquer. Celle-ci, du
reste, est complétée par une approche de l’intérieur. Le critique
qui les aborde doit être issu de ces cultures ou manifester une
certaine maîtrise de celles-ci : cette problématique interpelle les
chercheurs africains ou africanistes intéressés par ce corpus.
45En effet, motivé par le besoin de témoigner, provoqué par le
désir de passer d’un univers référentiel à un monde de
représentation, intégrant dans sa texture le basculement entre les
langues les cultures et les littératures pour être finalement le
modèle d’un phénomène discursif, le macrotexte négro-africain
constitue dans la plupart des cas un discours réaliste 19. Le propre
de tout discours réaliste est de s’appuyer sur un certain nombre
de repères référentiels concrets liés à des facteurs d’ordre textuel
ou extratextuel, et de recourir à certains codes socioculturels ou
linguistiques qui en authentifient les messages et en accroissent
l’acceptabilité.
46Au niveau linguistique justement, nos textes utilisent le français
dans un contexte culturel francophone pour exprimer des réalités
africaines. Cette situation est clairement décrite par Dominique
Dubarle20 :
« Rédigeant un travail en langue française sur les choses de sa propre
culture d’origine, (l’écrivain) place l’usage linguistique du français en
position, sinon de métalangage, du moins de langage de commentaire
par rapport au langage et au texte de la culture dont il veut traiter,
eux-mêmes en position similaire à un langage objet. »

47La situation décrite ici résume les enjeux ainsi que les
intentions de l’ethnostylistique dont la problématique vient d’être
esquissée dans ses tenants et ses aboutissants. Mais, s’agissant
d’un nouveau principe opératoire d’analyse textuelle, la question
peut être posée de savoir qu’elle est la démarche de
l’ethnostylistique quand il s’agit par exemple d’analyser un texte
et qui la distinguerait des autres méthodes d’approche critique.

Des principes opératoires de


l’approche ethnostylistique
48La méthode ethnostylistique que nous préconisons, même si
elle est encore à son stade expérimental, consiste en une
démarche consacrant une analyse du texte en trois stations : le
contexte d’énonciation, les modalités de l’énoncé et la
significativité.

L’étude du contexte d’énonciation


 repérage, analyse, interprétation des références (indices ou signes)
permettant de situer le texte par rapport à la culture, à la langue et
à la société, occurrentes, c’est-à-dire, les lieux sources.
 établissement des conditions et des circonstances dans lesquelles
l’acte de discours a pris place.

L’analyse des modalités ou styles de


l’énoncé
 structuration du texte, en vue de la mise en évidence de sa
dynamique interne et de sa cohésion. Evaluation aussi du marquage
de l’énoncé, du jeu entre régularité et irrégularité, stabilité et
variation.
 examen des formes caractéristiques de l’écriture du texte aux
niveaux : lexical, phonétique / phonologique, morphosyntaxique,
parémiologique, rhétorique, sémantique, etc.

49Cette étude doit pouvoir, in fine, dégager le ou les traits de


style du texte considéré. Elle peut, lorsqu’il s’agit d’un ensemble
texte ou d’une œuvre, permettre de rechercher les
caractéristiques de l’idiolecte.

Significativité
 détermination des cibles textaires et de leurs différents marqueurs.
 hiérarchisation des niveaux et des degrés de réception en rapport
avec la littérarisation du texte.
 examen du fonctionnement optimal ou non du pacte scripturaire ou
de lecture.

50Cette dernière mise en perspective aboutit à la mesure des


enjeux de la significativité du texte et de sa portée pragmatique.
51Sommairement, l’exemplification de cette démarche nous
conduit naturellement à un plus grand souci d’explicitation de
notre système tel que décliné dans les points qui précèdent ;
revenons, si vous le permettez, sur certaines notions théoriques
contenues dans l’appareil méthodologique de l’ethnostylistique
telles que dessinées antérieurement :

Le contexte d’énonciation
52Tout énoncé proféré pose son énonciateur et son énonciataire
comme instances coprésentes et corrélatives. Ces deux instances
sont en rapport d’échange discursif dans un espace déterminé et
à un moment donné. Ces coordonnées du réel ( Je, Tu, Ici,
Maintenant) doivent être repérées, analysées et interprétées par
rapport à la culture, à la langue et à la société.
53Dans Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma, le
personnage principal se présente avec fierté en ces termes : Fama
Doumbouya, Prince Doumbouya du Horodougou, totem
panthère, ...
54Il y aurait, dans cette présentation complète, toute une réflexion
à faire à la fois sur l’onomastique négro-africaine et l’enjeu
énonciatif dans un contexte où le « système de places » social est
fortement enraciné.

Signe et connotations
55Le signe saussurien est le total associatif signifiant/signifié ; ce
dualisme du contenu et de la forme naît avec la rhétorique et la
poétique aristotélicienne. L’expression, dit Aristote, est la
manifestation de la pensée à travers les mots21.
56En langue, le linguiste ne se préoccupe pas du rapport entre le
signe et son éventuel référent objectif. Il s’intéresse au pouvoir de
signification du signe, à sa fonction sémiotique qui relie le plan de
l’expression à celui du contenu.
57Quant au discours littéraire, son plan de l’expression est
constitué par les plans du contenu et de l’expression d’un langage
de dénotation22. Soit figurativement :
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58C’est-à-dire : Sa R Sé = propriété qu’a le signe de renvoyer à


un objet extérieur à la langue. C’est donc à peu près l’équivalent
de la fonction référentielle du langage. En d’autres termes Sa R Sé
décrit la relation établie par convention entre un signe et l’objet
dénoté à ce niveau. Nous sommes dans la langue ; dans le
discours en revanche, le sens dénotatif peut s’enrichir de
connotations. Sous ce rapport, le signe renvoyant à un signifié
devient un signifiant 2 renvoyant à un Sé . 2

59Par exemple, le mode de prononciation d’un mot bref ou long,


ne présente aucun intérêt en linguistique, tant qu’il n’engendre
pas un nouveau sens. Mais dans le texte africain, la substance de
l’expression est lourde de signification. Dans Le vieux nègre et la
médaille23 de Ferdinand Oyono, les mots-phrases subjectifs et les
onomatopées significatifs foisonnent :
 moooooot : imitation du bruit sourd des fesses sur un lit de bambou
 yéééééé : approbation collective
 noooooon ! : réprobation collective
 huuuuu iii iii ! y aaa aaa : appréciation élogieuse des actes d’autrui
 hrr, ! : imitation du bruit de déplacement du caméléon
60D’autres formes métaplastiques pourraient intéresser
l’ethnostylisticien comme le paragoge (étirement expressif) :
 agaaaaaaaaathaaaa ! : interpellation à haute voix d’Agatha
apparemment éloignée du locuteur
 ou ou ou ou ou ou io iiii ! : réponse d’Agatha sur la même note
 pers ooo ooo ooo n n e ! : négation énergétique et catégorique
61Comme on l’a appris, les connotations sont des sens qui ne
sont ni dans le dictionnaire, ni dans la grammaire de la langue
dont est écrit le texte24. André Martinet25 le constate aussi quand
il affirme :
« Le domaine des connotations, c’est tout ce que ce terme peut
évoquer, suggérer, expliciter, impliquer de façon nette ou vague chez
chacun des usagers. Ainsi, la connotation est une manière de
superstrat sémantique, de significations supplémentaires qui se
superposent à la fonction sémiotique ou dénotative ».

62La parole négro-africaine en général dépasse toujours la


pauvreté conceptuelle ; elle fonctionne, pour reprendre les mots
de Roland Barthes26 en étroite relation avec la culture, le savoir,
l’histoire, c’est par elle que le monde pénètre le système ;
l’idéologie serait en somme la forme (au sens hjemslevien) des
signifiés de connotation.
63La parole africaine ne peut qu’aller au-délà de la dénotation
conceptuelle, et même du référent objectif car elle cherche à
traduire, comme le disaitZadi Zaourou27 : « la face cachée de
l’univers et les rapports insoupçonnés que tissent entre eux les
phénomènes, les choses et les forces de la nature, dont
l’homme ». C’est ce que l’auteur appelle fonction symbolique
africaine au lieu de fonction référentielle que seul l’initié peut
apercevoir à travers la parole du conteur ou du griot.
64La fonction symbolique opère sur des analogies qu’elle crée,
développe et entretien elle-même. On comprend dès lors cette
tendance poétique aux expressions ésotériques, au mystère, à
l’irrationnel ; la parole africaine est donc force créatrice ; elle est
d’essence divine.

La surrhétorisation
65Le texte africain est très imagé. La fonction imageante est
valorisée par tous les poètes : glorifier le culte des images, écrit
Beaudelaire, ma grande, mon unique, ma primitive passion. Le
poète africain emprunte généralement l’image dans son
environnement, image végétale, aquatique, minérale, animalière,
etc. Dans la logique africaine, cette variété analogique se justifie
par le fait que le poète africain n’a pas une vision sécable,
fragmentée de la nature ; les existers cosmiques présentent des
solidarités ; ou comme l’affirme Senghor : « tout l’univers visible
et invisible, depuis Dieu jusqu’au grain de sable, en passant par
les génies, les ancêtres, les animaux, les plantes, les minéraux,
est composé de vases communicants, de forces vitales solidaires
qui émanent de Dieu » (L.S. Senghor, préface aux Nouveaux
contes d’Amadou Koumba).
66Citons quelques exemples dans Une vie de boy de Ferdinand
Oyono et Les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma :
– « La peau de mes genoux est devenue aussi dure que celle du
crocodile » (Une vie de boy, p. 21) (– humain image animalière).
– « Elle a tressailli comme une fleur dansant dans le vent » (Une vie de
boy, p. 74) (-humain image végétale).
– « ... Sourcils et favoris blancs comme le duvet du héron. (Les soleils
des indépendances, p. 114) (– humain image aquatique).
67Ce sont ces analogies entre l’homme et les autres êtres
existants que Senghor appelle le naturalisme cosmologique.

Les phénomènes d’appropriation du


français
68Au départ, le fait de l’absence d’une langue indigène a contraint
l’Africain à sentir en Nègre, mais à s’exprimer en français.
Senghor a beau clamer que : « le français, ce sont des grandes
orgues qui se prêtent à tous les timbres, à tous les effets, des
douceurs les plus suaves aux fulgurances de l’orage » (post-face
d’Ethiopiques), il faut avouer qu’un texte écrit en français par un
auteur africain reflète toujours des structures linguistiques
complexes intéressantes pour un commentaire ethnostylistique :
 insertion dans le texte en français d’expressions en langue
maternelle que l’écrivain ne peut traduire en français.
 interférences syntaxiques : la syntaxe de la langue maternelle est
traduite telle quelle en français.
 insertion des dictons, proverbes et aphorismes (Ex. : On ne conseille
pas à un borgne de fermer un œil, Xala de Sembène Ousmane,
p. 17).
 hypertrophie d’interjections ou exclamations, traits de l’orature
 forgeries plaisantes et emprunts de toutes sortes. Etc.

Le rythme
69Thomas Mélone28 qui s’est longuement penché sur la
prosodématique négro-africaine, a constaté que le verbe négro-
africain était rythme et musique, orfèvre et griot à la fois, formule
sacrale et son de harpe. Rien d’étonnant que pour lui, Chant
d’Ombre de Senghor soit une :
« nocturne mélopée qui s’empare de l’oreille, de l’homme tout entier, à
l’heure méditative des crépuscules africains, quand le jour et la nuit se
livrent leur ultime, gigantesque et héroïque combat, quand profitant
des faveurs de la nuit victorieuse, après les dernières convulsions du
jour, les génies inférieurs remontent dans notre monde pour
renouveler notre vie, renforcer notre force »29.

70Le texte négro-africain se fait chant, rythme et musicalité,


répétitions et incantations. Rythme par récurrence sémantique
(répétition du même souhait), mais aussi rythme syntaxique :
phrase sautillante, ponctuée de battements des mains, phrase
faite d’harmonie et de cadence enivrantes, bacchiques, mais aussi
délivrantes. Le sens de cette « vie » textuelle est éclairé par
l’ethnologue Von Sydow30 :
l’Espoir, le désir ardent de provoquer par incantations certaines
modifications dans la marche du monde, dit-il, oblige à la multiple
répétition du même souhait, car répéter la même chose, c’est la forme
la plus simple de concentration intellectuelle afin de provoquer tel effet
souhaité.
71Dans la 4 partie de sa thèse intitulée Approche sémio et
e

sémantique, Michel Hausser va plus loin en étudiant le jeu


phonique (639-703), les rythmes (703-775), les images (777-
858).

Tradition orale et impact de la généricité


72Tout texte se constitue en unité conventionnelle de la pratique
sociale grâce au genre et à ses règles. Et comme « la fonction
esthétique transforme tout ce qu’elle saisit en signe »31, le
récepteur doit être capable de comprendre ce signe. Parce qu’il
est dans un vaste système de codes collectifs (linguistique,
littéraire, socioculturel) définissant sa situation, ce récepteur est
facilement renseigné sur la façon dont il devra comprendre son
texte du point de vue compositionnel et représentationnel.
73Et justement dans le texte africain, écrit et oral, on constate que
certaines « formes » ne peuvent être commentées qu’en se
reportant à la tradition orale. Pour cerner certaines tournures dans
la parole du conteur ou du griot en effet, il faut avoir été élevé
dans la conception « religieuse » de la parole, dans la
métaphysique africaine.
74La généricité s’annonce alors comme une composante textuelle,
un ensemble de ressemblances textuelles, formelles qui relève de
tel ou tel genre ; ces faits de l’oralité s’organisent en faisceaux de
traits sémantiques empiriquement accessibles, présents
massivement dans le texte écrit ou oral africain.
75L’ethnostylisticien qui a intériorisé la tradition orale dès
l’enfance, a toute la compétence nécessaire pour traquer les faits
de style dans la phénoménalité empirique du texte.
76Mais la phénoménalité propre de la textualité africaine ainsi
comprise ne saurait être un système clos. Le paradigme
d’ethnostylèmes n’est pas saturable, le texte négro-africain, étant
un puits d’ancestralité ; il reste ouvert aux « formes » toujours
variées et complexes, expressions d’une culture, d’une vision du
monde, d’une idéologie de groupe, d’une religion.
77Et pour ne pas conclure ! Il s’agissait de tenter de proposer la
démarche ethnostylistique dont les bases épistémologiques
apparaissent perfectibles. En effet, l’ethnostylistique se fonde sur
la thèse référentialiste qui fait éclater le rapport de signification
saussurienne, la condensation signifiant / signifié pour l’élargir au
rapport de désignation qui établit la liaison du signe à l’objet, au
référent, à la chose nommée extra-linguistique. Cette conception
triadique du signe (Sa fi Sé fi Ré) sortirait ainsi l’ethnostylistique
d’une problématique sémiologique restrictive et abstraite (le
signifiant renvoie au signifié de statut mémoriel ou conceptuel)
pour une problématique sémantique référentialiste et
contextualiste, concrète et édifiante.
NOTES
1 Dubois, Jean et alii, Dictionnaire de linguistique et des sciences du
langage, Paris, Larousse, 2001.

2 De Luze Hubert., L’ethnométhodologie, Paris, Economica-Anthropos,


1997.

3 Molinié, Georges, Sémiostylistique. L’effet de l’art, Paris, PUF, 1998.

4 Hausser, Michel, Essai sur la poétique de la négritude, 2 tomes,


Thèse d’Etat présentée devant l’Université de Paris VII
le 27 septembre 1978.

5 Dubois, Jean et alii, Dictionnaire de linguistique et des sciences du


langage, Paris, Larousse, 2001.

6 Riffaterre, Michael, Essais de stylistique structurale, Paris,


Flammarion, 1971, p. 307- 308.

7 Riffaterre, Michael, ibid., p. 264.


8 Molinié, Georges, Sémiostylistique. L’effet de l’art, Paris, PUF, 1998.
C’est la 2 ème
composante du discours littéraire dans son système
théorique. Mais ici on admet grosso modo que l’extralinguistique y est
secondaire.

9 Paris, Présence Africaine, 1956.

10 Cf. J.P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, (1948).

11 Cf. Césaire, Aimé, Cahier d’un retour au pays natal (1939) et aussi
Cheik Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, (1961, épilogue).

12 Paris, Julliard, 1957

13 Voir Mendo Zé, Gervais et Tonye A., « Les enjeux connotatifs du mot
bouche en français et en bulu du sud Cameroun «, Langue et
communication n° 2, Yaoundé, Saint-Paul, 2002.

14 Mendo Zé, Gervais et Tonye A., Abrégé de stylistique pratique, Paris,


F.-X. de Guibert, 2 édition revue et corrigée, 2002, p. 112-122.
e

15 Paris, Le Seuil, 1970.

16 Mendo Zé, Gervais, « Langue et langage du théâtre


camerounais », Le français, langue africaine. Enjeux et atouts pour la
francophonie, Paris, Publisud, 1999.

17 Mendo Zé, Gervais, ibid., p. 219.

18 Mendo Zé, Gervais, Le retraité, Paris, ABC, 1992.

19 Mendo Zé, Gervais, La prose romanesque de Ferdinand Oyono, Essai


de stylistique textuelle et d’analyse ethnostructurale, Paris, ABC, 1984.

20 Dubarle, Dominique, « Question de traduction «, Langues et


cultures, Paris, Desclée De Brauwer, 1968, p. 61-71.

21 Combe D., Pensée et langage dans le style, In Georges Molinié et


Pierre Cahné, éds, Qu ’est-ce que le style ?, Paris, PUF, 1994, p. 75.
22 Hjelmslev, Louis, Prolégomènes à une théorie du langage, Paris,
Editions de Minuit, 1961.

23 Paris, Julliard, 1956.

24 Barthes, Roland, S/Z, Paris, le Seuil, 1970, p. 15.

25 Martinet, André, Eléments de linguistique générale, Paris, Armand


Colin, 1971, p. 96

26 Barthes, Roland, Essais critiques, Paris, le Seuil, 1964, p. 131.

27 Zaourou, Zadi, Fer de lance, livre 1, Paris, P.J. Oswald, 1975, p. 191

28 Melone, Thomas, De la négritude dans la littérature négro-africaine,


Paris, Présence Africaine, 1962, p. 24.

29 I., p. 125.

30 Cité par Melone, Thomas, ibid., p. 127.

31 Genette, Gérard., Théorie des genres, Paris, Le Seuil, 1972, p. 166.


L’ethnostylistique explique les productions langagières à partir des connaissances profondes
que l’on a des auteurs et établit dans quelles conditions le texte littéraire peut se comprendre
en dehors de son environnement contextuel ou en faisant fi des circonstances et du lieu
d’énonciation. Cette théorie s’inspire des avancées de la stylistique ; des acquis en
pragmatique, en linguistique et notamment en linguistiques discursives, en rhétorique et en
grammaire pour aborder le texte, objet éminemment majeur des études linguistiques. Elle se
fonde sur le fait que l’analyse de l’énoncé se devrait de prendre en considération les
circonstances et le contexte socioculturel ou linguistique d’énonciation.

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