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Michel Christol
Résumé
Michel Christol et Jacques Gascou, Volubilis, cité fédérée?, p. 329-345.
L'engagement des habitants de Volubilis dans la lutte contre Aedemon au début de la conquête de la Maurétanie, que révèle une
inscription trouvée dans cette ville faisant état d'auxilia dirigés par le suffète M. Valerius Severus, invite à s'interroger sur les
relations qui pouvaient exister entre Rome et la cité maurétanienne dans la période pré-claudienne : certains traits communs que
l'on peut constater entre la situation de Lepcis Magna, civitas foederata, et celle de Volubilis, et l'examen des obligations
militaires qui unissaient normalement les cités fédérées à Rome, permettent de supposer que Volubilis était elle-même une
civitas foederata depuis la période d'« interrègne » (33-25 av. J.-C.) qui sépare la mort de Bocchus de l'avènement de Juba II sur
le trône de Maurétanie.
Gascou Jacques, Christol Michel. Volubilis, cité fédérée ?. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 92, N°1.
1980. pp. 329-345.
doi : 10.3406/mefr.1980.1236
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1980_num_92_1_1236
MICHEL CHRISTOL ET JACQUES GASCOU
1 J. Gascou, La succession des bona vacantia et les tribus romaines de Volubilis, dans
Antiquités Africaines, 12, 1978, p. 109-124.
2ILM, 116 = F.I.R.A.2, II, n° 70, p. 416-417: M(arco) Val(erio), Bostaris / fiilio),
GaKeria tribu), Severo, / aed(ili), sufeti, Ilvir(o), / flamini primo / in municipio suo, /
praefiecto) auxilior(um) adversus Aedemo/nem oppressum bello./ Huic ordo municipii
Volub(ilitani) ob me/rita erga rem pub(licam) et legatio/nem bene gestam qua ab divo /
Claudio civitatem Ro/manam et conubium cum pere/ grinis mulieribus, immunitatem /
annor(um) X, incolas, bona civium bel/lo interfectorum quorum here/ des non extabant suis
impetra/vit./ Fabia Bira, Izeltae fiilia), uxor, indulge/ ntissimo viro honore usa impensam /
remisit / et d(e) s(ua) p(ecunia) d(edit) d(e)dic(avit).
3 J. Gascou, op. cit., p. 115-119.
4 La guerre contre Aedemon a pris fin au plus tard le 24 janvier 41, date de la mort
de Caligula, si nous interprétons correctement Dion Cassius, 60, 8, 6. L'octroi du statut
municipal a eu lieu entre le 25 janvier 44 et le 24 janvier 45 (ILM, 56). L'ambassade de
Marcus Valerius Severus date donc sans doute de l'année 43. Entre la fin de la guerre
d'Aedemon et la date de l'ambassade, la Maurétanie a connu de nouveaux troubles : en
42 les deux expéditions successives de C. Suetonius Paulinus, puis de Cn. Hosidius Geta,
s'achevèrent par la défaite de Salabus, après quoi Claude organisa les deux nouvelles
provinces de Maurétanie Tingitane et de Maurétanie Césarienne (Dion, 60, 9).
5 Supra, p. 229, n. 1. Sur ces deux mesures, cf. l'interprétation proposée par J.
Gascou, Latomus, 30, 1971, p. 137-141. Sur la seconde, cf. infra, notre Appendice.
6 Cette indication pose des problèmes délicats. Lire à ce sujet notamment
J. Toutain, Notes sur la création du municipium Volubilitanum en Maurétanie Tingitane
VOLUBILIS, CITÉ FÉDÉRÉE? 33 1
(44 après J.-C), dans Mélanges Félix Grat, Paris, 1946, p. 47-49: U. Laffi, Adtributio e
Contribuito, Pise, 1966, p. 74-80; A. N. Sherwin- White, The Roman Citizenship1, Oxford,
1973, p. 243; U. Schillinger- Häfeie, Die Deduktion von Veteranen nach Aventicum, dans
Chiron, 4, 1974, p. 443-448.
7 H. Devijver, Prosopographia militariwn equestrium quae fuerunt ab Augusto ad
Gallienum, Louvain, 1977, I, p. 830-831.
8 Sur le caractère purement municipal de la carrière de M. Valerius Severus, cf.
J. Burian, Die einheimische Bevölkerung Nordafrikas, dans F. Altheim et R. Stiehl, Die
Araber in der alten Welt, t. I, Berlin, 1964, p. 466.
332 MICHEL CHRISTOL ET JACQUES GASCOU
Quant aux auxilia qui sont mentionnés, ils ne devraient pas désigner une
unité auxiliaire régulière, mais vraisemblablement une milice dont le recrut
ementest local, qui s'associa aux troupes romaines pour la durée de la guerre
contre Aedemon, et uniquement à cause de celle-ci, comme l'exprime clair
ement le texte de l'inscription. C'est une unité de durée temporaire et de
nature exceptionnelle dont les membres reçurent la dénomination d'auxilia-
rii.
A la fin de la période républicaine, les unités qui sont recrutées dans les
externae nationes sont qualifiées d'auxilia, comme le précise Varron9. C'est une
définition identique que reprend plus tard Festus10. Dans le vocabulaire des
institutions militaires de l'époque, les termes d'auxilia, d'auxiliares, d'auxiliarii
définissent cet ces contingents fournis par les alliés transmarins11. Ils étaient
placés à part dans l'organisation de l'armée12. La durée de leur engagement
était très variable13. Ce sont ces caractéristiques qui s'accordent le mieux avec
les données de l'inscription de Volubilis14. En dépit du décalage chronologi
que, on serait presque tenté d'établir une comparaison avec un renseignement
fourni par Tite-Live, 35,27, à propos de mesures prises dans les guerres
d'Espagne au IIe siècle av. J.-C. : si twnultus in Hispania esset piacere tumultua-
nos milites extra Italiam scribi a praetore. C'est l'éventualité d'une situation
d'urgence qui explique la prévision de cette levée d'hommes, dont la mobilisa
tion ne devait pas dépasser le terme du conflit. N'en est-il pas de même des
auxiliaires levés pour la guerre contre Aedemon?
Que cette troupe ait été commandée par un des premiers de la cité ne
surprendra pas non plus. Les chefs d'unités auxiliaires fournies par les alliés
italiens ou transmarins sont souvent des notables issus des collectivités que
sollicitait la puissance romaine15; beaucoup même étaient entrés déjà dans la
cité romaine. Il en est ainsi, par exemple, des praefecti sociorum étrusques de
la deuxième guerre punique16. Mais la chaîne est longue des témoignages qui
s'égrènent jusqu'à l'époque impériale où ces pratiques se poursuivent. Les
auxilia levés chez les Bataves ont à leur tête des notables locaux, vetere
instituto comme précise Tacite17; ceux-ci jouissent pour la plupart de la cité
romaine et sont parfois même distingués par la dignité équestre18.
Ainsi apparaissent de nombreux points de rapprochement entre les auxil
iavolubilitains et les auxilia des socii externarum nationum : même caractère
temporaire et occasionnel de leur création, mêmes structures de commandem
ent. Levés non d'une façon durable, mais pour les besoins d'un conflit
localisé, les auxiliaires de Volubilis s'apparentent aux contingents qu'adres
saient les États alliés aux généraux romains pour une guerre qui se déroulait
dans leur voisinage19.
15 T. Mommsen, Droit Public, VI, 2, p. 308 et suiv.; V. Ilari, op. cit., p. 127 et suiv.,
notamment p. 138, où sont analysés les cas de M. Anicius (liv., 23, 19) de Préneste,
préteur dans sa cité, et des deux préteurs de Cora {CIL, X, 6527). En revanche, dans
l'encadrement des auxilia de César, on trouve à la fois des citoyens romains (Piso
Aquitanicus, Bell. Gall, I, 12, 4, cf. III, 22, 2; Q. Iunius, ibid., V, 27, 1) et des chefs
indigènes demeurés peregrins (Dumnorix, Vertisco, ibid., VIII, 12, 4; Roucillus et Aecus,
ibid., Ill, 59, 1) : cf. M. Rambaud, La cavalerie de César, dans Hommages à Marcel Renard,
II, Bruxelles, 1969, p. 650-663.
16 W. V. Harris, Rome in Etruria and Umbria, Oxford, 1971, p. 137-138, à propos de
Liv., 27, 26, 1 1 : il s'agit de L Arrenius et de M' Aulius.
17 Tacite, Hist., TV, 12 : transmissis Mue cohortibus quas vetere instituto nobilissimi
popularium regebant; cf. G. Alfödy, Die Hilfstruppen in der römischen Provinz Germania
inferior, dans Epigraphische Studien, 6, 1968, p. 45-48, et D. B. Saddington, op. cit.,
p. 191-192. Les Bataves sont entrés dans une alliance avec Rome (Tacite, Hist., IV, 14) :
cf. P. A. Brunt, Tacitus on the Batavian Revolt, dans Latomus, 19, 1960, p. 494-517, surtout
p. 499-503 et 507-508.
18 G. Alföldy, Les «équités romani» et l'histoire sociale des provinces germaniques de
l'empire romain, Corsi di cultura sull'arte ravennate e bizantina, Ravenne, 1977, p. 7-19.
19 Ce sont ces corps de troupes qui apparaissent dans La Guerre des Juifs de Flavius
Josephe, par exemple en II, 18, 9. Il s'agit des unités qu'Arrien, Έκταξι,ς, 7, 14, qualifie de
το συμμαχικόν ou de οι, σύμμαχοι, qui se trouvent chez Hygin, De munitionibus castro-
rum, 19 et 43, derrière les termes symmachiarii et reliquae nationes : cf. M. P. Speidel,
Ethnie Units in the imperial Army, dans ANRW, II, 3, p. 206-207.
334 MICHEL CHRISTOL ET JACQUES GASCOU
Cette constatation nous conduit sur une voie qui n'avait point été explo
rée,celle des liens juridiques qui pouvaient exister entre la cité de Volubilis et
Rome. Dans le dossier qui vient d'être ouvert à l'occasion de la fonction de
praefectus auxiliorwn existent comme réalité sous-jacente les notions de foedus
ou de societas, parfois abâtardies, au Ier siècle av. J.-C. surtout, par les relations
de clientèle qu'entretenaient les grands imperatores20. Mais il apparaît tout de
même avec force que ce qui justifie la demande de Rome ou de ceux qui
détiennent Y Imperium, c'est le contrat établi dans le cadre d'une alliance entre
la collectivité étrangère, cité, royaume, voire communauté structurée sur un
mode tribal, et la cité romaine21. Si les rapprochements qui viennent d'être
établis sont légitimes et pertinents, on peut formuler l'hypothèse que Volubilis
était lors de l'annexion de la Maurétanie une cité peregrine fédérée. Liée à
Rome par une alliance, elle exécuta fidèlement les clauses de celle-ci lors de la
guerre contre Aedemon, et c'est cette manifestation de fides qui lui valut, alors
qu'elle avait souffert de la guerre, le traitement privilégié qui fut le sien,
quand Claude la promut au rang de municipe.
Cette hypothèse permet d'éclairer quelques aspects de la romanisation de
cette communauté de Maurétanie. La diffusion précoce du droit de cité
romaine au sein de la ville peregrine et certaines particularités de sa constitu
tion peuvent s'expliquer, au moins pour une part, par la structure juridique
existant entre Rome et la civitas foederata. Une comparaison avec une autre
cité fédérée, Lepcis Magna, s'impose à cet égard. Nous savons par Salluste,
Bell. Iug., 77, que Lepcis Magna est devenue une civitas foederata à l'époque de
la guerre de Jugurtha: Nam Lepcitani iam inde a principio belli lugurthini ad
Bestiam consulem et postea Romam miserant amicitiam societatemque rogatum.
Deinde, ubi ea impetrata ... Le terme societas ne peut laisser de doute sur la
nature du lien - le foedus - qui existait entre Lepcis Magna et Rome.
Cependant, à l'époque de la guerre d'Afrique, il semble bien que César rompit
le foedus pour punir Lepcis d'avoir pris le parti de Juba, puisqu'il lui infligea
une amende annuelle de trois millions de livres d'huile22. Les éditeurs des IRT
estiment même que cette ville fut peut-être réduite pendant un temps au rang
de cité stipendiaire23. Mais son monnayage indépendant, qui apparaît après la
chute de Carthage24, reprend sous Auguste et sous Tibère25, ce qui semble
indiquer que Lepcis avait recouvré sa libertas, à une date que M. Grant a
proposé de placer entre 7 et 5 av. J.-C.26. Il est permis de penser que le foedus
fut remis en vigueur27. Nulle part n'apparaît la trace d'auxilia lepcitains qui
auraient été engagés auprès des forces romaines. Toutefois, deux inscriptions
de Lepcis Magna, commémorant, l'une la «libération» de la ville au terme de
la guerre menée contre les Gétules par Cossus Cornelius Lentulus en 6 ap.
J.-C.28, l'autre la mort de Tacfarinas en 24 ap. J.-C.29, pourraient suggérer que
l'on a voulu expressément souligner que des liens de coopération militaire
existaient entre Rome et Lepcis.
Si nous considérons l'onomastique de Lepcis, nous ne constatons pas une
accession aussi précoce qu'à Volubilis d'autochtones à la citoyenneté romai
ne : les recherches de N. Degrassi30 et de J. Guey31 ont établi que les plus
23 IRT, p. 79. Pline, qui fait appel, dans sa description de ce secteur de l'Africa, à des
sources remontant soit au début du règne d'Auguste (E. Kornemann, Philologus, 60,
1901, p. 407), soit un peu antérieures (D. Detlefsen, Die Anordnung der geographischen
Bücher des Plinius und ihre Quellen, Berlin, 1909, réimp. Rome, 1972, p. 75; Die Geogra
phie Afrikas bei Plinius und Mela und ihre Quellen, Berlin, 1908, réimp. Rome, 1972,
p. 27-31), désigne Lepcis comme un simple oppidum (NH, 5, 27) : oppida . . . Leptis altera
quae cognominatur Magna, alors que Leptis (= Lepti Minus) est désigné en NH, 5, 25,
comme faisant partie des oppida libera.
24 L. Müller, Numismatique de l'ancienne Afrique, Copenhague, t. II, 1861, réimp.
Bologne, 1964, p. 2-5 et 9-13. Les éditeurs des IRT, p. 79, placent le début de ce
monnayage seulement après le moment où Lepcis devint civitas foderata.
25 L. Müller, ibid., p. 5-7 et 13-14.
26 M. Grant, From Imperium to Auctoritas, Cambridge, 1946, réimp. 1969, p. 340-341.
27 Toutes les civitates liberae ne sont pas foederatae, bien que le foedus implique
toujours la libertas, cf. Suétone, Div. Aug., 47,2 : Urbium quasdam foederatas . . . liberiate
privavit. Il pouvait arriver que la libertas fût octroyée par décision unilatérale de Rome,
sans qu'il y eût traité : cf. à ce sujet T. Mommsen, Droit Public, VI, 2, p. 283, n° 3
continuée p. 284; G. Humbert, op. cit., p. 1209; A. N. Scherwin-White, The Roman Cit
izenship2, p. 175-176 et 182.
28 IRT, 301 : ... bello Gaetulico liberata / civitas Lepcitana. Sur la date de cette
guerre, cf. Dion Cassius, 55, 28, 3-4.
29 AE, 1961, 107. Une inscription de contenu voisin fut gravée à la même époque à
Oea : AE, 1961, 108. Cf. R. Bartoccini, Dolabella e Tacfarinas in una iscrizione di Leptis
Magna, dans Epigraphica, 20, 1958, p. 3-13. Sur cet épisode final de la guerre de
Tacfarinas, cf. Tacite, Ann., Ill, 74.
30 N. Degrassi, L'ordinamento di Leptis Magna nel primo secolo dell'Impero, e la sua
costituzione a municipio romano, dans Epigraphica, 7, 1945, p. 10-12.
31 J. Guey, L'inscription du grand-père de Septime-Sévère à Leptis Magna, dans MSAF,
82, 1951, p. 187-188.
336 MICHEL CHRISTOL ET JACQUES GASCOU
grands persnnages de Lepcis sont restés peregrins jusque vers le milieu du Ier
siècle ap. J.-C. Le second de ces auteurs fait à juste titre commencer le
mouvement de naturalisation aux environs de 40 ap. J.-C.32. Or, Lepcis n'est
devenue municipe, sous la forme originale d'un municipe «suffétal»33, qu'entre
62 et 78 ap. J.-C.34. On peut donc au moins noter une analogie entre le cas de
Volubilis et celui de Lepcis Magna : la romanisation juridique a commencé à
s'y affirmer avant la constitution du municipe. Il n'est pas interdit d'attribuer,
dans les deux cas, cette tendance à une même structure juridique, le foedus
entre Rome et la ville peregrine, qui aurait incité l'État Romain à répandre ses
faveurs sur l'aristocratie locale.
Une autre ressemblance entre les deux villes mérite d'être soulignée : à
l'époque peregrine, à Volubilis comme à Lepcis Magna, l'édilité est la magis
trature subordonnée au suffétat : à Volubilis, Marcus Valerius Severus a été
édile avant de devenir suffète35; cependant qu'à Lepcis sont attestés des
aedilesib : ce terme traduit peut-être la magistrature qui porte en punique la
MEFRA 1980, 1. 22
338 MICHEL CHRISTOL ET JACQUES GASCOU
foedus entre Rome et l'une des villes de sor royaume ni dire quel prétexte
juridique aurait pu être mis en avant pour considérer Volubilis, alors sujette
d'un roi indépendant et allié de Rome, comme une cité autonome susceptible
de disposer d'elle-même au point de traiter de puissance à puissance avec
Rome et de signer une alliance avec elle. On peut donc sauter quelques
années et en venir aux événements qui suivirent la mort de César : lors du
conflit entre Antoine et Octave, Bogud, malchanceux, choisit dé soutenir le
premier contre le second, cependant que Bocchus eut la bonne fortune de
suivre le parti inverse42. Il en fut récompensé en obtenant, en 38 av. J.-C, que
le royaume de Bogud fût rattaché au sien. Toutefois, de la Maurétanie
réunifiée43, une ville fut alors détachée : Tingi, qui s'était soulevée contre
Bogud, obtint la citoyenneté romaine44, ce qui paraît signifier qu'elle fut
transformée en municipe romain45. On ne peut penser que Bocchus ait exercé
son autorité sur une ville de citoyens romains. Octave aurait-il, par la même
occasion, établi des liens privilégiés avec Volubilis? On pourrait être un
moment tenté de le supposer : on connaît un duumvir de Tingi qui est inscrit
dans la tribu Galena46, qui est celle de cinq citoyens de Volubilis, et, notam
ment, celle de Marcus Valerius Severus. On pourrait donc conjecturer que
Tingi fut inscrite dans la tribu Galeria, et qu'à la même époque certains
citoyens de la Volubilis peregrine, devenue civitas foederata, reçurent la civitas,
avec inscription dans la même tribu. Une telle hypothèse serait pourtant des
plus fragiles, car l'unique mention de la tribu Galeria à Tingi47 n'est pas
suffisante pour affirmer que c'est la tribu même de ses citoyens. La Galeria est
très fréquente en Espagne, où elle est notamment la tribu de plusieurs
52 NH., 5,5.
53 D. Detlefsen, Die Geographie Afrikas bei Plinius und Mela und ihre Quellen,
p. 20-26, 55 (n° 8), 58 (n° 17).
54 J. Desanges, RD, 50, 1972, p. 359.
55 Cette datation s'accorderait assez bien avec ce que nous pouvons savoir de
Marcus Valerius Severus, inscrit dans la tribu Galeria. Ce personnage est fils de Bostar
(cf. ILM, 116, voir supra, p. 329, n. 2). Ce n'est certes pas la preuve que son père fût
pérégrin et on ne peut pas exclure que ce dernier ce soit appelé [M. ?] Valerius Bostar et
que la filiation soit donnée par le cognomen du père, selon une habitude bien attestée
(R. Cagnat, Cours d'épigraphie latine4, Paris, 1914, p. 61). Mais dans ce cas, il est
vraisemblable que Bostar - comme le suggère l'apparence « libyco-punique » de ce nom
(cf. J. Marion, BAM, 4, 1960, p. 160) - aurait été le premier citoyen romain de sa famille
VOLUBILIS, CITÉ FÉDÉRÉE? 341
cette dualité de tribus paraît suggérer que c'est au moins à deux époques
différentes qu'il a accordé cette faveur. Il est bien établi qu'Auguste a souvent
réparti les nouveaux citoyens qu'il créait dans la tribu Galena (c'est le cas, en
Tarraconnaise, pour les colonies de Barcino56 et de Libisosa57, et pour les
municipes de Bilbilis58, d'Ilerda59, d'Iluro60, de Saguntum61; en Bétique, pour la
colonie de Corduba62, ou dans la Quirina : c'est en particulier la tribu de
plusieurs de ses colonies de Maurétanie, Cartennae63, Gunugu64, Rusguniae65.
Ce n'est pas une preuve absolue que les ascendants des Volubilitains inscrits
dans ces tribus ne l'aient pas été après la mort d'Auguste, sous Tibère ou sous
Caligula, mais comme on ne connaît aucune création municipale ou coloniale
de Tibère ou de Caligula en Afrique, et que ces princes ne paraissent pas avoir
été très généreux en matière de citoyenneté romaine66, il nous paraît préféra
ble d'admettre que c'est Auguste qui les a élevés à la civitas.
Si la date du foedus reste hypothétique, l'existence d'une alliance entre
Volubilis et Rome permet d'expliquer la place à part qui fut celle de Volubilis
ou du moins serait né peregrin (son fils, lui, porte le cognomen romain de Severus).
M. Valerius Severus a été le premier duumvir du municipe de Volubilis, en 44 ap. J.-C. :
il était alors vraisemblablement dans la force de l'âge puisqu'il avait déjà accompli une
carrière municipale dans les dernières années de la civitas peregrine, où il avait été
successivement édile, puis suffète et, sans doute en même temps, durant l'année 40,
praefectus auxiliorum; mais il n'avait certainement pas alors un âge très avancé et on ne
peut pas lui donner beaucoup plus de 40 ans en 44/45, lors de la création du municipe.
En supposant qu'il y ait eu un écart d'une trentaine d'années - ce qui correspond à la
moyenne d'une génération - entre son père et lui, on voit que Bostar n'a guère pu naître
avant 25 ou 30 av. J.-C. Né pérégrin, il aurait pu obtenir la citoyenneté romaine en même
temps que sa famille avant la fin du règne d'Auguste.
56 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 189, et H. Galsterer, op. cit., p. 27-28 et 69.
57 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 196-197, et H. Galsterer, op. cit., p. 48 et 68.
58 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 189, et H. Galsterer, op. cit., p. 25 et 69.
59 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 195, et H. Galsterer, op. cit., p. 11 et 70 (pas de
certitude absolue en ce qui concerne cette ville : la mort d'Auguste donne seulement le
terminus ante quern du municipe).
60 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 195, et H. Galsterer, op. cit., p. 71 (municipe ou
colonie avant 10 ap. J.-C).
61 J.W. Kubitschek, op. cit., p. 198, et H. Galsterer, op. cit., p. 28-29 et 71.
62 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 173, et H. Galsterer, op. cit., p. 9-10 et 66.
63 J. W. Kubitschek, op. cit., p. 163.
64 Id, ibid.
65 Id., ibid., p. 164.
66 Cependant, à en croire J.-M. Lassere, Ubique populus. Peuplement et mouvements
de population dans l'Afrique romaine de la chute de Carthage à la fin de la dynastie des
Sévères (146 a.C. - 235 p.C), Paris, 1977, p. 449, Tibère a poursuivi l'œuvre de romanisa-
tion d'Auguste dans le territoire de l'ancienne Africa Nova.
342 MICHEL CHRISTOL ET JACQUES GASCOU
67 Remarquer l'analogie avec Gadès, et peut-être avec Tingi (cf. 338, n. 45). On peut
aussi faire un rapprochement avec Utique, ville libre, mais, semble-t-il, non fédérée, qui
l'est déjà en 111 av. J.-C. (cf. Lex agraria, 79 - F.I.R.A.2, I, p. 117-118) et l'est encore en 54
av. J.-C. (Cicéron, Pro Scauro, 44-45 : Utica . . . arnica populo Romano ac libera civitas, cf.
J. Desanges, RD, 50, 1972, p. 353 et 363; Cicéron se trompe peut-être en considérant
Utique comme une ville fédérée en Pro Balbo, 51; à ce sujet, cf. A.N. Sherwin-Wite, op.
cit., p. 181, n° 6), favorisée dès 80 av. J.-C. par la concession à certains de ses citoyens de
la civitas, cf. J. Desanges, ibid., p. 363, n° 77, et qui devint municipe julien, promotion
vraisemblablement antérieure à 27 av. J.-C. (elle est datable de 36 av. J.-C, comme le
suggère très fortement Dion Cassius, 49, 16, 1).
68 Pline, NH, 5, 20 : ... Oppidwnque ibi celeberrimum Caesarea, ante vocitatum loi,
lubae regia a divo Claudio coloniae iure donata.
69 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, 16, 13.
70 Le suffétat existe à Volubilis depuis le IIIe siècle av. J.-C. : cf. J. Février, Inscrip
tionspuniques du Maroc, dans BCTH, 1955-56, p. 29-35; id., Inscriptions antiques du
Maroc, Paris, 1966, p. 95-97; G. Camps, Masinissa ou les débuts de l'histoire, dans Libyca,
8, I960, p. 164-165, - II nous semble que J. Toutain, Mélanges Félix Grat, Paris, 1946,
p. 43, va contre l'évidence en niant que Volubilis ait été «organisée à la punique».
71 II n'est pas sûr d'autre part que Rome ait tenu à bouleverser de fond en comble
les institutions locales fortement enracinées.
72 Cf. infra, notre Appendice : Le conubium des Volubilitains.
VOLUBILIS, CITÉ FÉDÉRÉE? 343
Si l'on considère les deux inscriptions ILM, 116 et ILM, 56, on est frappé
par la façon dont sont groupées les faveurs accordées à Volubilis :
a) ILM, 116 : ... ab divo / Claudio civitatem Ro/manam et conubium cum
pere/ grinis mulieribus, immunitatem / annor(um) X, incolas, bona civium bel/lo
interfectorum quorum here/ des non extabant suis impetra/ vit . . .
b) ILM, 56 : Munic(ipium) Volub(ilitanum) im/petrata c(ivitate) R(omana)
et conubio/ et oneribus remissis.
La rédaction - de façon très explicite dans la première inscription, de
manière plus résumée dans la seconde - fait apparaître deux groupements
76 Sur le sens du conubium pour les Volubilitains, cf. J. Toutain, op. cit., p. 46.
77 Gaius, Institutes, I, 75 : Ex Us quae diximus apparet, sive avis romanus peregrinarti,
sive peregrinus civem romanam uxorem duxerit, eum qui nascitur peregrinum esse ... 76 :
Loquimur autem de his scilicet inter quos conubium non sit; nam alioquin, si civis romanus
peregrinam cum qua ei conubium est uxorem duxerit, sicut supra quoque diximus iustum
matrimonium contrahitur; et tune ex iis qui nascitur civis romanus est et in potestate patris
erit. Sur cette question, E. Volterra, L'acquista della cittadinanza romana e il matrimonio
del peregrino, Studi in onore di Enrico Redenti, Milan, 1950, II, p. 3-20, et id., Sulla
condizione dei figli dei peregrini cui veneva concessa la cittadinanza romana, Studi in onore
di Antonio Cicu, Milan, 1951, II, p. 645-672. Nous devons ces références à l'amitié de M.
Humbert.
78 A. Piganiol, Le statut augustéen de l'Egypte et sa destruction, dans Scripta varia, III
(reproduction d'un art. publié dans Museum Helveticum, 10, 1952, p. 193-202), Bruxelles,
1973, p. 34. Cf. aussi J. Modrzejewski, dans Les lois des Romains, II, Naples, 1977, p. 540,
n° 65.
VOLUBILIS, CITÉ FÉDÉRÉE? 345
citoyens romains eux-mêmes. Ce sont des avantages du même genre qui sont
faits aux soldats auxiliaires à leur libération. Mais à Volubilis le contexte est
un peu différent : il ne s'agit pas de privilèges personnels, mais d'un benefi-
ciwn qui touche l'individu à travers la collectivité. Le rapprochement le plus
significatif se trouve, semble-t-il, dans la situation des municipes italiens de
l'époque républicaine qui conservaient avec les cités sœurs restées libres une
communauté de droit intacte et qui échappait, sauf exception, à la sphère
d'application du droit romain. C'est ainsi que les citoyens des nouveaux
municipes du Latium gardaient le droit de contracter mariage avec les Latins
restés libres79. Ici encore, nous retrouvons donc à Volubilis la répétition de
schémas que l'on perçoit en d'autres temps et en d'autres lieux.