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Jean Marcillet-Jaubert
Février Paul-Albert, Marcillet-Jaubert Jean. Pierre sculptée et écrite de Ksar Sbahi (Algérie). In: Mélanges d'archéologie et
d'histoire T. 78, 1966. pp. 141-185.
doi : 10.3406/mefr.1966.7512
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1966_num_78_1_7512
PIERRE SCULPTEE
PAK
M. Paul-Albert Février et Jean MARCILLET-JAπBERT
Ancien membre de l'Ecole
L'objet fut, quelque vingt ans plus tard, remis pour étude au Direc
teurdes Antiquités, Louis Leschi, par M. Fournier, de Canrobert. Ce
document est toutefois demeuré inédit.
Il se présente comme un parallélogramme allongé et très étroit,
large de 21,3 cm., haut de 12,5 cm. et épais de 5,4 cm. Sur l'une des
petites faces, un personnage est debout, excisé en méplat; sur l'autre,
au-dessus d'un visage barbu, une tête d'animal sert de déversoir; en effet,
sur la tranche supérieure, une étroite cavité, longue de 16,5 cm., large
de 1,5 cm. et profonde de 3 cm., se prolonge par une petite rigole creusée
dans la pierre et se termine, dans la gueule de l'animal, par un conduit de
0,5 cm. de diamètre. La tête de l'animal fait saillie de 6 cm.; le personnage
sculpté sur l'antre face a 1,4 cm. d'épaisseur; la longueur, hors tout, de
l'objet est ainsi de 28,7 cm. (cf. fig. p. 143, 144 et 145).
Sur l'une des grandes faces, dans un cadre décoré de divers chevrons
et de croisillons, une inscription est gravée en capitales dans un champ
épigraphique de 19 cm. de large sur 10,5 cm. de haut (inscription A).
Sur l'autre face, dans un champ bordé de chevrons, de bâtons brisés et
de triangles, figurent cinq panneaux décorés de motifs géométriques;
au-dessus d'eux court une inscription en écriture commune, finement
gravée, malheureusement endommagée au milieu (inscription B). Enfin
sur cette même face, entre le panneau central et les panneaux de droite,
un texte de même main est gravé perpendiculairement au précédent
(inscription C).
Il convient d'observer que le site de découverte de cet objet, mobile
et peu encombrant, ne saurait faire préjuger du lieu de son élaboration.
Traces de réglures nettes. Hauteur des lettres: 1,4 à 1,6 cm. Ponc
tuation par petit triangle aux lignes 1 et 2.
1 FACTAFOBMA*AD[[SEBO]]
3 MViriCIPIPVTEOSIDET
DONATVSFEC//TFOBMA
XIPTDVABTNEV//BONA
6 ESTCBEATVBABINI LÎTTER
ASBADICESAMABASEDFBVC
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGERIE) 143
Illustration non autorisée à la diffusion
Illustration non autorisée à la diffusion
« Forma » de Ksar Sbahi (vite latérale).
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI. (ALGÉRIE) 145
Aux lignes 1 et 2, les huit lettres SEEOTINV sont tracées dans une
petite cuvette, à peine sensible, mais nette. Il y a donc eu rasure et re
gravure. On note, particulièrement sur frottis ou par éclairage rasant,
quelques traces des lettres précédemment gravées. L. 1: entre E et E,
un E probable; entre Β et O, un Τ probable, ou un I. L. 2: sous Τ, Β
probable; entre Β et O, un Τ probable, ou un I. L. 2: sous Τ, Ε probable,
et sous Ι, Ε probable. Les signes regraves paraissent être de même main.
Peut-être y a-t-il eu erreur de gravure, changement de destinataire, ou
nouveau possesseur.
Aux lignes S à 6, trace d'un choc qui a fait disparaître, peut-être
lors de la mise au jour, certaines lettres. Ligne 5, après le V, trace minime
d'une haste verticale, avec, au sommet, un léger empattement à raison
duquel nous admettons qu'il s'agit d'un T.
Ligne 6, après le I, une barre verticale marquée au tiers supérieur
par un petit crochet incliné vers la droite, comme dans le dernier I de
la ligne 3.
Ces petites difficultés mises à part, l'identification des signes est
aisée. L'interprétation l'est moins. Mais, avant d'y parvenir, arrêtons-
nous au commentaire paléographique.
Paléographie
Mais alors qu'à Timgad, le trait 2 tend à s'achever par une contre-courbe,
on remarque que sur la pierre de Ksar Sbahi > il s'incurve vers le bas et à
gauche. La place de la lettre, contre le rebord du champ épigraphique,
en est peut-être responsable.
En Afrique, les autres exemples de ce A sont ou bien mal datés on
tardifs. Parmi les textes publiés à ce jour, citons des textes de Mactar,
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des hastes, sa forme est identique à celles des inscriptions du. VIe siècle
d'Aubuzza % Guelma 2, Hippone 3, Cirta 4, Timgad 5, Sétif β ou Djemila 7.
Le P, a côté d'une forme classique, présente un aspect dont nous
n'avons pas trouvé d'équivalent: si la boucle est ouverte vers le bas, ce
qui est fréquent, elle se termine, non par une contre-courbe comme les
E. d'un texte de Timgad 8, mais par un appendice horizontal dirigé vers
l'extérieur, ce qui l'apparente au rho de chrismes tardifs.
Le ductus du R est toujours net, que le trait 2 doit attaqué au som
met de la haste, comme à la ligne 7, ou au-dessous, comme à la ligne 4
dans forma 1 i v^ et [\ ·
Interprétation
suivent quelques lettres qui n'éclairent pas le texte. Car il peut y avoir
là un fundus Puteos; mais aussi fundi pourrait être le complément de nom
de puteos. L'accusatif est souvent employé en toponymie et il existe des
lieux dits antiques Putea Pollerie et Putea Nigrorum 2, auxquels corre
spondent les toponymes modernes formés sur l'arabe Bir ou son pluriel
Biar.
Mais cette coupure et cette construction font difficulté car il faut
alors expliquer le groupe id et donatus fecit forma. On ne voit pas à quoi
se rapporte le id et la raison du et donatus. Seconde difficulté: pourquoi
ne donne-t-on pas le nom du fundus et donne-t-on seulement celui du
municipe? Y a-t-il un seul fundus dans le municipe1?
Une hypothèse nous a été suggérée par M. Perrat: rattacher le mot
puteos au verbe qui suit, fecit. Dans ce cas, municipi peut être soit le com
plément de fundi (et se rattacher à l'ablatif absolu initial: facta forma ad
Serotinu magistru fundi municipi) soit le complément de puteos. Ce qui
ne change guère le sens général. A cela, il y a une grave difficulté. Id ne
peut être le sujet de fecit à cause de donatus et ne peut être un accusatif
à côté de l'autre accusatif puteos. La seule échappatoire serait de supposer
une abréviation id(em) ou une haplographie après chute du m final:
id<.e~>{m) et. Mais la chute de m est un phénomène normal dans la dési
nence de l'accusatif; ici cela paraîtrait fort étonnant.
Mais surtout avant d'accepter, soit l'idée d'une abréviation, soit la
solution d'une transcription fautive, il convient d'avoir fait le tour de
toutes les possibilités. Or il y a peut-être un moyen d'échapper à ces dif
ficultés en groupant autrement les lettres: lisons, comme nous l'a proposé
Une forma a donc été faite pour un certain Serotinus. Qu'est-ce que
cette formai Le latin a la même imprécision que le français forme et le
mot s'applique aussi bien à la qualité interne qu'à la qualité externe des
choses x. Forma, ce peut-être un moule, un tuyau, d'où le sens de con
duite d'aqueduc, et aussi un modèle. L'idée de moule ne peut être a
priori écartée, car la cavité de la face supérieure de l'objet de Ksar Sbahi,
avec sa surverse, pourrait avoir cette fonction. Mais on comprendrait mal
le sens général de la phrase puisque nous sommes arrivés à la conclusion
vraisemblable que le puteus est bien un puits réel. Dans ce cas, les deux
seules hypothèses à retenir sont celle de conduit et celle de modèle. Le
mot forma appliqué à un conduit d'eau est, en épigraphie, connu 2. Dans
ce sens on traduirait: un conduit ayant été fait chez (ou pour, ou
d'après) Serotinus, magister du domaine du municipe (ou dit Municipe),
pour le puits, si ce puits donné peut donner, cela a été dû au conduit.
L'autre traduction présente un sens beaucoup moins satisfaisant:
un conduit ayant été fait chez (ou pour, ou d'après) Serotinus, magister
du domaine du municipe (ou dit Municipe), si le puits donné peut donner,
c'est le conduit qui a réalisé cela pour le puits.
Mais il n'y a pas de raison contraignante pour éliminer la solution
forma = modèle. Et dans ce cas, la traduction la plus logique implique
que puteo se rapporte à fecit: un modèle ayant été fait chez (ou pour, ou
d'après) Serotinus magister du domaine du municipe (ou dit Municipe),
si le puits donné peut donner, c'est le modèle qui a réalisé cela pour
ce puits.
Enfin il ne faut pas éliminer une troisième hypothèse, celle d'un jeu
de mots sur forma qui pourrait avoir le sens de modèle dans un cas et
celui de conduit dans un autres. Ce qui doDne comme sens: un modèle
ayant été fait chez (ou pour, ou d'après) Serotinus, magister du domaine
du municipe (ou dit Municipe) pour le puits, si le puits donné peut donner,
c'est le conduit qui a réalisé cela pour le puits.
Après avoir examiné un certain nombre de combinaisons possibles
de coupures de mots, de constructions de phrases, et d'interprétations de
formules, dans les lignes 1 à 4, il faudrait en venir à la ligne 5. Mais
celle-ci reste pour nous une énigme et avant d'en parler, sautons à la fin
du texte où le sens de chacun des éléments qui le compose est relativement
clair. Nous lisons: Bona est creatura ômi<o>; litteras radices amaras
(syed fruc(tus).
La faute ereatuba s'explique par la ressemblance des formes capitales
du Β et du Β ^ c'est une faute de gravure plutôt que d'ordination. Quant
au redoublement du i final de bini (pour uini, fait de langue banal) et
quant à l'haplographie du s de sed, ce sont là des faits qui n'ont pas lieu
de nous surprendre dans un texte tardif. Ces restitutions sont d'autant
plus logiques qu'elles introduisent des textes pleins de sens.
Bona est creatura bini, ces mots rappellent un passage du Contra
Iulianum d'Augustin 2, bona est creatura panis et uini; on pensera au
chapitre premier de la Genèse, où revient sans cesse creauit Deus . . . et
uidit quod esset bonum, et à Paul: quia omnis creatura Dei bona 3. Quant
aux mots suivants, ils répètent un lieu commun de la littérature latine
qui est passé dans l'enseignement du grammairien latin comme était
passée chez le grammairien grec la chrie d'Isocrate 4: Chriarum exercitatio
in casu sic uariatur nominatiuo casu, numero singulari: ;c Marcus Portius
Gato dixit: litterarum radices amaras esse, fructus iucundiores; genitiuo
casu: Marcii Portii (Jatonis dictum fertur: litterarum radices . . . La for
mule est utilisée par Ausone, carpturi dulcem fructum radicis amarae 5,
et par Jérôme, de amaro semine litterarum dulces fructus carpo β. L'ex
pression est ancienne, comme en témoigne un fragment bien antérieur
de Cicéron, litterarum radices amaras, fructus dulces 7, mais persiste long
temps, puisqu'on en retrouve un écho dans le Carmen aduersus Mar-
cionem 8.
XIPTDVABTNEV // BONA
Inscriptions Β et C
ANIMOAD [ ] ÎSTTERHOMNÊSVI//I
IMDMON//FL//
Deux signes font difficulté; ils sont gravés de façon presque iden
tique: c'est une sorte de tortillis recourbé au sommet vers la gauche.
On peut penser à un signe de ponctuation, à une note tironienne ou à une
lettre. Pour les lettres, trois hypothèses peuvent être retenues: G, Ζ ou I.
1 Article à paraître.
2 C.I.L., VIII, Indices, t. III, p. 313-314. Ajouter Bull. arch, du com.,
1925, p. CLXii.
3 Publié avec un mauvais dessin par P. Alquier et J. Bosco, dans Ree.
Constantine, LVIII, 1927, p. 209-216. Une publication de ce document est
préparée par Mme N. Duval, MM. Marrou et Février. En rapprocher Bull,
arch, du com., 1912, p. cclix.
170 P. -A. FÉVRIER - J. MAECILLET-JAUBEET
saurait y voir un repère chronologique car cette forme est attestée dès
le début du IIIe siècle 1.
Le D présente deux formes; il est mené en un temps (3\ 2 ou en
DÉCOR
chevrons brisés, nous les trouvons par exemple sur la fenestrella d'une
église voisine d'Aïn Beida x (p. 174) ou sur des mosaïques: panneaux l
atéraux de la Grande Chasse de Djemila 2, cuve du baptistère de Timgad 3;
mosaïque inédite de Fouris à l'est de Mascula, tombe de Tébessa 4,
pavement de la grande basilique de cette même ville, mosaïque d'Hip-
pone 5. Les triangles servent aussi à décorer les cercles gravés sur une
face du coffret de pierre de Dalaa, la memoria Feliciani e. Quant au motif
du rectangle central dessiné sur la face de l'inscription B, il rappelle le
décor d'une barrière ou d'une transenne et peut être rapproché d'un
ornement de chapiteau de Vegesala (Ksar el Kelb) 7.
Il y a donc une série de motifs ornamentaux très simples, dessinés
à l'aide de cette géométrie élémentaire du compas et de la règle (cf.
fig. p. 175). Ces formes constituent le décor du mausolée de Blad el
Gruitoun 8 et de la porte de Ksar Kaoua 8 (p. 176).
Plus curieux sont les reliefs figurés: un personnage debout, une
tête humaine stylisée et la tête d'animal. Le personnage debout, haut
de 12,5 cm., est vêtu d'une tunique courte serrée à la taille par une cein
ture dessinée en creux. Le bras droit très maigre est ramené sur la poitrine
et la main ouverte est posée près de l'épaule gauche. Les doigts très
stylisés sont faits de sillons en creux. La tête est rattachée au corps par
un cou très large. De petits yeux ronds, un nez taillé avec des droites,
une barbe triangulaire (cf. fig. p. 178).
Conclusions
Par son décor, comme par les textes et la graphie, la pierre de Ksar
Sbahi a sa place dans des séries de monuments africains de la fin de l'An
tiquité. Cette pierre paraît surtout importante par les renseignements
qu'elle apporte pour l'histoire des faits graphiques. Les documents afri
cains relatifs à l'écriture commune ne sont pas rares, mais ils ont peu
souvent été publiés avec le soin qu'ils méritent. C'est ainsi qu'il nous
manque un catalogue iconographique des ostraka. Aussi nous a-t-il
paru nécessaire de nous attarder si longuement sur cet objet.
La règle du jeu voudrait que les auteurs qui se sont préoccupé de
publier un objet et un texte disent très précisément ce qu'est cet objet.
Nous avouons n'y être pas parvenus entièrement. Bien des parties du
texte n'ont pu être expliquées. Mais quel est le rôle de la pierre, elle-même1?
Elle était visiblement destinée à être posée de champ, visible sur ces deux
grandes faces et sur trois des côtés étroits. Un liquide pouvait couler dans
la rainure de la tranche supérieure et se déverser par la petite gargouille.
Mais notre pierre est-elle la formai Ses dimensions font qu'il est difficile
de la placer près d'un puits (si puteus a ce sens). Serait-elle un modèle?
Et l'on revient alors à l'alternative, conduit ou modèle, pour traduire
forma.
Certains éléments de solution ont été trouvés; beaucoup nous échap
pent. A d'autres de continuer x.