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Paul-Albert Février

Jean Marcillet-Jaubert

Pierre sculptée et écrite de Ksar Sbahi (Algérie)


In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 78, 1966. pp. 141-185.

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Février Paul-Albert, Marcillet-Jaubert Jean. Pierre sculptée et écrite de Ksar Sbahi (Algérie). In: Mélanges d'archéologie et
d'histoire T. 78, 1966. pp. 141-185.

doi : 10.3406/mefr.1966.7512

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1966_num_78_1_7512
PIERRE SCULPTEE

ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE)

PAK
M. Paul-Albert Février et Jean MARCILLET-JAπBERT
Ancien membre de l'Ecole

Le Bureau des Antiquités de l'Algérie possède un petit objet en cal


caire dur décoré de reliefs, sur lequel ont été gravées plusieurs inscriptions.
Le 27 mai 1931, M. Necib Brahim ben Lamri, propriétaire à Ksar
Sbahi x près de Oum el Bouaghi, ex-Canrobert (Département de Cons-
tantine), signalait à la société archéologique du département la découverte
d'une pierre de 50 à 60 cm. de haut, portant la tête d'un bélier. La pierre
fut alors transportée à Oanrobert 2. Lors de la séance suivante, le 24 juin,
le secrétaire donna lecture d'une note parue dans la Dépêche de Cons-
tantine du 17 juin, sous la signature de J. Bosco. Celui-ci déclarait en par
ticulier: « Je connaissais déjà l'inscription. Elle est en latin. On y remar
quele delta grec; elle fourmille d'abréviations. Il s'agit de la création
d'une œuvre que je ne saisis pas pour l'instant, par un Donatus, magist
rat, du Minicipe [sic] . . . Je suis débordé par l'actualité. Je ne dirai
qu'un mot aujourd'hui au sujet du nom. J'ai lu: Puteo Bidet. Puteo est
romain mais Bidet est phénicien et signifie « champ ». Le mot Bidet devient
en grec Zadé λ 3. Ce texte, excellent exemple d'un style de journaliste,
nous confirme l'origine de l'objet publié ici puisque, malgré des dimensions
erronées, nous retrouvons à la fois le nom de lieu, celui de l'artisan, les
D « en forme de delta », ainsi que la tête d'animal signalée lors de la dé
couverte.

1 Atlas archéologique de l'Algérie, Paris, 1911, feuille 28, n° 9.


2 Bull. mens, de la soc. arch, de Constantine, 1931, n° 46, p. 253.
3 Ibid., n° 47, p. 276-277.
142 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET- JAUBERT

L'objet fut, quelque vingt ans plus tard, remis pour étude au Direc
teurdes Antiquités, Louis Leschi, par M. Fournier, de Canrobert. Ce
document est toutefois demeuré inédit.
Il se présente comme un parallélogramme allongé et très étroit,
large de 21,3 cm., haut de 12,5 cm. et épais de 5,4 cm. Sur l'une des
petites faces, un personnage est debout, excisé en méplat; sur l'autre,
au-dessus d'un visage barbu, une tête d'animal sert de déversoir; en effet,
sur la tranche supérieure, une étroite cavité, longue de 16,5 cm., large
de 1,5 cm. et profonde de 3 cm., se prolonge par une petite rigole creusée
dans la pierre et se termine, dans la gueule de l'animal, par un conduit de
0,5 cm. de diamètre. La tête de l'animal fait saillie de 6 cm.; le personnage
sculpté sur l'antre face a 1,4 cm. d'épaisseur; la longueur, hors tout, de
l'objet est ainsi de 28,7 cm. (cf. fig. p. 143, 144 et 145).
Sur l'une des grandes faces, dans un cadre décoré de divers chevrons
et de croisillons, une inscription est gravée en capitales dans un champ
épigraphique de 19 cm. de large sur 10,5 cm. de haut (inscription A).
Sur l'autre face, dans un champ bordé de chevrons, de bâtons brisés et
de triangles, figurent cinq panneaux décorés de motifs géométriques;
au-dessus d'eux court une inscription en écriture commune, finement
gravée, malheureusement endommagée au milieu (inscription B). Enfin
sur cette même face, entre le panneau central et les panneaux de droite,
un texte de même main est gravé perpendiculairement au précédent
(inscription C).
Il convient d'observer que le site de découverte de cet objet, mobile
et peu encombrant, ne saurait faire préjuger du lieu de son élaboration.

Inscription A (p. 146)

Traces de réglures nettes. Hauteur des lettres: 1,4 à 1,6 cm. Ponc
tuation par petit triangle aux lignes 1 et 2.
1 FACTAFOBMA*AD[[SEBO]]

3 MViriCIPIPVTEOSIDET
DONATVSFEC//TFOBMA
XIPTDVABTNEV//BONA
6 ESTCBEATVBABINI LÎTTER
ASBADICESAMABASEDFBVC
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Illustration non autorisée à la diffusion
Illustration non autorisée à la diffusion
« Forma » de Ksar Sbahi (vite latérale).
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Illustration non autorisée à la diffusion

(Phot. C.R.A.M., Alger)


«Forma» de Ksar Sbaht (vue -par dessus).

Aux lignes 1 et 2, les huit lettres SEEOTINV sont tracées dans une
petite cuvette, à peine sensible, mais nette. Il y a donc eu rasure et re
gravure. On note, particulièrement sur frottis ou par éclairage rasant,
quelques traces des lettres précédemment gravées. L. 1: entre E et E,
un E probable; entre Β et O, un Τ probable, ou un I. L. 2: sous Τ, Β
probable; entre Β et O, un Τ probable, ou un I. L. 2: sous Τ, Ε probable,
et sous Ι, Ε probable. Les signes regraves paraissent être de même main.
Peut-être y a-t-il eu erreur de gravure, changement de destinataire, ou
nouveau possesseur.
Aux lignes S à 6, trace d'un choc qui a fait disparaître, peut-être
lors de la mise au jour, certaines lettres. Ligne 5, après le V, trace minime
d'une haste verticale, avec, au sommet, un léger empattement à raison
duquel nous admettons qu'il s'agit d'un T.
Ligne 6, après le I, une barre verticale marquée au tiers supérieur
par un petit crochet incliné vers la droite, comme dans le dernier I de
la ligne 3.
Ces petites difficultés mises à part, l'identification des signes est
aisée. L'interprétation l'est moins. Mais, avant d'y parvenir, arrêtons-
nous au commentaire paléographique.

Paléographie

A se présente sous cinq aspects, représentant trois formes différentes;


aux lignes 1, 2, 4, 5 et 7, on trouve le A ordinaire de la capitale, qui n'est

Mélanges d' Arch, et d'Hist. 1966, 1. 10


Illustration non autorisée à la diffusion
Inscription A.
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transversalement barré qu'à la ligne 2; il a toujours un empattement à


la base et, au sommet, apparaît une petite barrette, selon un type connu
dès le IIIe siècle, par exemple sur des inscriptions d'Ala Miliaria de
235-239, conservées au musée d'Oran *.

Le A de la fin de la ligne 5 est fait selon le ductus ,j ^ Q^ , qui est

celui de V Epitome Liuii et de la nouvelle écriture latine 2. Le plus ancien


exemple gravé qui soit daté, est le A d'une inscription de la grotte du
Taya (cf. fig. p. 148), au nord-ouest de Guelma, inscription qui est du 31
mars 239 3; très sensiblement contemporaines en sont les célèbres inscrip
tions de Timgad4, à propos desquelles les épigraphistes ont souvent parlé
— selon une terminologie héritée de Hübner — de lettres onciales. Il im
porte de rappeler que si l'on peut parler d'un alphabet oncial, alphabet
d'ailleurs extrêmement composite, cette dénomination ne saurait s'ap
pliquer à un signe isolé 5, et notamment au A. Les inscriptions de Timgad,
où nous voyons les premières manifestations de la minuscule, sont à
cet égard particulièrement intéressantes, puisqu'elles nous montrent,
dans un système commun d'écriture, des variantes calligraphiques;
c'est ainsi que se retrouve un A très proche de celui de la forma sur trois
textes e; la panse est faite d'un trait gras arrondi (p. 149 et 150). Mais
par contre, sur deux autres pierres 7 si le ductus reste le même, il est mené

1 Bull, de la soc. de géorjr. et d'archéologie . . . d'Oran, LVII, 1936, p. 107-


108.
2 J. Mallo η , Paléographie romaine, Madrid, 1952, p. 84 et 108.
3 (J.I.L., VIII, 18833. Dessin dans J. et P. Alquier, Le Ghettaba et les
grottes à inscriptions latines du Ghettaba et du Taya, Oonstantine, 1929, p. 151,
n° 22. Cette inscription a été révisée en 1965 par MM. H. G. Pflaum et P. -A.
Février; le A est bien fait en deux temps. Il est difficile d'accepter comme
contemporain de la rédaction un a qui figure sur un acte des Frères Arvales,
A.D. 59-60, reproduit dans A. Gordon, Album of dated latin inscriptions, t. I,
Berkeley-Los Angeles, 1958, n° 111, pi. 48 b, ligne 11.
4 G.I.L., VIII, 17909 à 17911; E. Hübner, Exempta scripturae epigraphi-
cae, Berlin, 1885, 1147-1148. Bull, arch du com., 1909, p. 110; Bec. des not.
et mém. de la soc. arch, de Oonstantine, 1908, p. 295 = A. Ep., 1909, n° 156.
6 J. Mallon, Paléographie romaine, p. 93-104.
« C.I.L., VIII, 2393 (vers 242 p. (J.), 17910 et A. Ep., 1909, n° 156.
» O.I.L., VIII, 17909 et 17911; voir aussi Rev. phil., 1895, p. 214-217 et
Boeswillwald, Gagnât et Ballu, Timgad, une cité africaine sous l'empire romain,
Paris, 1905, p. 236, fig. 105.
148 P. -A. FÉVRIER - J. MARCII/LET-JAUBERT

{Phot. P.- A. Février)


Grotte du Tata: inscription de 239 {moulage)
(noter en particulier à la ligne 4 le m et le a).

non plus en deux, mais en trois temps (p. 151 et 152).

Mais alors qu'à Timgad, le trait 2 tend à s'achever par une contre-courbe,
on remarque que sur la pierre de Ksar Sbahi > il s'incurve vers le bas et à
gauche. La place de la lettre, contre le rebord du champ épigraphique,
en est peut-être responsable.
En Afrique, les autres exemples de ce A sont ou bien mal datés on
tardifs. Parmi les textes publiés à ce jour, citons des textes de Mactar,
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 149

(Phot. P.- A. Février)


Inscription de Timgad: Fl. Pcdens Pomponianus (= G.I.L., VIII, 17910).
150 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET-JAUBERT

(Phot. P.- A. Février)


Inscription de Timgad (= O.I.L., VIII, 2393.
Lire Panagrius à la dernière ligne).
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 151

{Phot. P.- A. Février)


Inscription de Timgad: Virria Flavia Severiana
(= Bull. arch, du com., 1909, p. 110).
152 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET-JATJBERT

(Phot. P.- A. Février)


Inscription de Timgad ( = Rev, Phil., 1895, p. 214-217).
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dont celili du Moissonneur1, et les graffites des catacombes d'Hadrumète2.


L'inscription de Donatianus de Madaure est très vraisemblablement
d'époque vandale, même si elle ne date pas de 445 3. Quant au texte de
Mascula, il est de 578-579 4. Ajoutons à cela une inscription sur mosaïque
à Tipasa 5.
Deux autres documents africains doivent être versés au dossier de
ce A. C'est d'abord l'inscription martyrologique peinte d'Henchir Ter-
list, conservée actuellement au Bureau des Antiquités e. C'est aussi le
seul manuscrit latin trouvé en Afrique, le manuscrit manicliéen qui
provient d'une grotte de la région de Telidjen, au sud de Tébessa 7.
Hors de l'Afrique, nous ne prétendrons pas faire un décompte exhaust
if; mais, au moins pour éviter d'attribuer prématurément à l'Afrique
une place privilégiée dans la création de la nouvelle écriture, il convient
de citer des exemples extérieurs à ces provinces. Les granites de la crypte
des papes à la catacombe de Callixte sont mal datés 8. Mais on pensera à
un granite récemment découvert au Vatican, et qui pourrait avoir été
tracé dans la seconde moitié du IIe ou au début du IIIe siècle (il est en
tout cas, selon les fouilleurs, antérieur à 211-217); on y voit un A tracé
en trois temps selon le nouveau ductus, comme sur les pierres de Tim-

1 (J.I.L., VIII, 11824; voir aussi 654 = Hübner, Exempta . . . , n° 1152.


2 Mgr. Leynaud, Les catacombes africaines, Housse- Hadrumète, 3e éd.
Alger, 1937, p. 159, 164, 167 et 170.
3 Inscriptions latines de Γ Algérie, t. I, Paris, 1922 (cité I.L.Alg., I),
2759. (Je texte serait selon Gsell de 540, d'où I.L.O.V., 4452. Par contre, il
serait plus ancien pour M. N. Duval et remonterait à 445 {Recherches sur la
datation des inscriptions chrétiennes d'Afrique en dehors de la Maurétanie,
dans Atti del III congr. intern, di epigrafia greca e latina, Rome, 1959, p. 256
et pi. XXXII). Mais une inscription de Djemila à paraître dans le Bulletin
d archéologie algérienne, et des ostraka découverts dans la région de Ferkane
montrent qu'il n'y a ni ère de 439 ni ère de 533, mais soit une datation par
années de règne, ou une ère partant de 484, chaque fois que l'on lit anno
. . . Karthaginis.
4 G.I.L., VIII, 2245.
5 St. Grsell, Recherches archéologiques en Algérie, Paris, 1893, p. 60, n° 11.
En rapprocher une autre inscription sur mosaïque de Carthage.
β M. Labrousse, dans M.E.F.R., LV, 1938, p. 247, fig. 9.
7 Reproduit par H. Omont, dans Comptes rendus de V Ac. des Inscr.
et Belles-Lettres, 1918, p. 241-250 avec photo de 2 pages.
8 G. B. De Rossi, La Roma sotterranea cristiana, Rome, 1863-1877, t. II,
pi. XXX; Ο. Marucchi, Le catacombe romane, Rome, 1933, p. 189, en
particulier Marciana.
154 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET-JAUBERT

gad 1. A Rome toujours, le A minuscule apparaît au milieu de signes en


capitale sur une inscription de 338 2. Sur un fragment d'inscription de
Zosime mort en 418, plusieurs types de A sont tracés, et certains sont
proches de celui de notre pierre 3. On en rapprochera, en Gaule, l'inscrip
tion d'Artonne, du règne de Theudebert, connue par d'anciens dessins 4.
Et bien des documents non datés peuvent être apportés en appoint,
qu'il s'agisse d'inscriptions 5 ou de monnaies e.
Les A des lignes 6 et 7 appartiennent aussi au système nouveau;
ils sont un aboutissement du A précédent, par un phénomène de cursivité,
qui consiste en un tracé conduit sans que se lève la main. Moins encore
que le terme d'oncial appliqué au A de la ligne 5, ne convient celui de
semi-oncial au A des lignes 6 et 7. Les recoupements papyrologiques 7
et épigraphiques, grâce à la confusion des u et des a ouverts 8, permettent
d'établir l'existence de cette forme dès le début du IIIe siècle 9. De tels
A se rencontrent parmi les gramtes de la crypte des papes dans la cat
acombe de Oallixte, au milieu de textes transcrits en capitales 10. En Afrique

1 M. Guarducci, Nuove iscrizioni nella zona del circo di Nerone in Vati


cano, dans Bend, della pont. acc. rom. di arch., XXXII, 1959-1960, p. 123-132;
Rom. Quartarlschrift, 57, 1962, p. 74-77 et 1964, p. 247-254. Eeproduit par
A. Degrassi, dans Latomus, XXIV, 1965, pi. XXXII et p. 346-352.
2 J. Mallon, Paléographie romaine, pi. XXIV, n° 5.
3 Monumenta epigrafica cristiana saec. XIII ant. quae in Italiae finibus
adhue extant, éd. Silvagni, Rome, 1943, pi. II, n° 1; voir aussi les inscriptions
plus récentes pi. XXXVIII, nos 3 et 4.
4 E. Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au VIIIe
siècle, t. II, Paris, 1865, p. 322, n° 556 D, pi. 74, n° 446.
5 Par ex. Sylloge inscriptionum veterum musei Vaticani, Helsinki, 1963,
éd. H. Zilliacus, p. 60, n° 71 et p. 67, n° 79. Il serait intéressant de poursuivre
cette enquête sur le A en étudiant les inscriptions romaines de la partie orien
talede l'Empire. On citera seulement d'après les copies figurées: C.I.L., III,
12044, 12133, 13619, 13623 et 13624.
6 Par ex. H. Groodacre, Λ handbook of the coinage of the byzantine empire,
Londres, 1957, p. 15.
7 Pap. Dura, 4, A.D. 202-207 = L'écriture latine de la capitale romaine
à la minuscule . . . , documents réunis par J. Mallon, R. Marichal et Ch. Perrat,
Paris, 1939, 28, pi. XX.
8 J. Marcillet-Jaubert, Philologie et inscriptions, dans Rev. études
anciennes, LXII, 1960, p. 362-382.
9 Premier exemple bien assuré sur un milliaire de Tripolitaine, 237 p.C:
The inscriptions of roman Tripolitania, Rome-Londres, 1952, n° 934 (cité
I.R.Tr.).
10 Voir plus haut p. 153, n. 8: ornamentum marti/rum.
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du Nord, ce type de A se voit sur une inscription d'époque byzantine à


Sabratha % et très vraisemblablement sur une inscription de Henchir
Sidi Amara en Tunisie, où les éditeurs n'ont pas reconnu cette lettre et
parlent d'un chrism e accosté de ωω, là où nous pensons qu'il faut voir
un A à panse ouverte et un ω 2. Sur le coffret de saint Pastor d'Henchir
Akhrib 3 sont mêlées des formes en capitale et des formes de l'écriture
commune; à la ligne 3, le A de in pace est ouvert. Il existe aussi sur l'in
scription de Madaure 4. Comme d'ordinaire, les mosaïstes adoptent toutes
les formes de l'écriture des inscriptions sur pierre, même celles qui parais
sent les moins susceptibles de se prêter à la composition en cubes; et sur
une mosaïque tombale d'Hippone existent deux A à panse plus ou moins
ouverte 5. Hors d'Afrique, ce type de lettre existe en Espagne 6 comme
en Gaule 7; et lorsque l'on possédera, à défaut d'une iconographie exhaust
ive, des inventaires photographiques importants, il sera aisé de multip
lierles exemples de ces variantes. On doit en rapprocher, sur des monum
ents écrits en un seul temps, un ostrakon de Henchir el Maiz, près de
Tébessa, où l'identification du groupe ab est faite cob 8.
Les lettres C et G n'ont rien que de classique. La forme du trait
inférieur du G se voit par exemple aussi bien en 257 à Altana *, qu'au

1 I.E.Tr., n° 207, pi. IV: ianuar(i).


2 A. Merlin, Inscriptions latines de la Tunisie, Paris, 1944, (cité L.L.T.),
n« 596 complétant Ö.I.L., VIII, 12196.
3 P. Monceaux, Enquête sur V épigraphie . . . , dans Mém. prés, par
divers savants à V Ac. des Inser. et Belles- Lettres, t. XII, 1907, p. 250, n° 281,
1. 4. Photo: .1. Lassus, Les reliquaires du musée St. G- sell, Alger, 1958, p. 16-17.
4 Voir p. 153, n. 3.
5 E. Maree, Monuments chrétiens d'Hippone, Paris, 1958, p. 57 b et 62
(mal dessiné).
β J. Mallon, Uépitaphe de Rogata, dans Emerita, XV, 1947, pi. IV et VIII
(9 et 10) = Paléographie romaine, pi. XXIII, 1 = Hübner, Inscriptionum
Hispaniae christianorum supplementum, Berlin, 1900, p. 264-265 et 158 =
J. Vives, Inscripciones cristianas de la Espana romana y visigoda, Barcelone,
1942, p. 106, 273 et 293.
7 Ö.I.L., XII, 5755 = V. Lieutaud, dans Bull, de la société . . . des Basses-
Alpes, XIV, 1909-1910, p. 202, n° 17.
8 G.I.L., VIII, 22646, 20 = I.L.Alg., I, 3719 = Chr. Courtois, Les
Vandales et l'Afrique, Paris, 1955, p. 380, App. II, Β, η° 108 (496-523);
Lecture Omont: Rev. études grecques, 1900, p. 226 ou ab est transcrit
o>b ; Courtois transcrit ab.
» C.I.L., VIII, 21724.
156 P. -A. FÉVRIER - J. MAECILLET-JAUBERT

VIe siècle à Sufetula 1. On notera que les deux formes C^ et y coexi


stent sur un plomb épigraphique de Sila, daté de 585 2.
Le D, dont le trait 3, primitivement arrondi, s'est raidi ici en une
ligne oblique, ce qui ne justifie pas l'appellation de D en forme de delta,
révèle, à la ligne 3, par son trait 2, horizontal, une ordinatio faite au pin
ceau. Il y a là une recherche d'élégance par un trait souple et ondulé
que l'on voit sur les inscriptions africaines du Haut Empire. Il en va
de même du Τ par son trait supérieur. Ce maniérisme graphique n'est
pas absent des inscriptions tardives, et se note à Dj emila par exemple 3.
Le F, avec son premier élément vertical prolongé vers le bas et la
gauche se rencontre dès le début du IIIe siècle à Altana 4 et encore à
basse époque dans la région d'Hippone 5 comme à Madaure6; il figure
en 547 sur un reliquaire d'Aïn Guigba 7. De même s'emploie jusqu'au
VIe siècle le L dont le second trait part du milieu ou du tiers inférieur
de la haste pour descendre vers la droite, ce qui l'a fait nommer par
d'aucuns «en forme de lambda»; on le rencontre tardivement à Bouis
et à Upenna 8.
Le M dont les deux barres médianes sont plus courtes que les traits
1 et 4, qui sont inclinés, se présente sous cette forme dès 309 sur une
inscription inédite à? Altana 8.
Le Ν est remarquable, car c'est la seule lettre qui puisse être bien
datée; par son trait intermédiaire qui occupe en hauteur le tiers central

1 N. Duval, dans M.E.F.B., LXVIII, 1956, p. 277.


2 A. Berthier, Les vestiges du christianisme antique dans la Numidie
centrale, Alger, s.d. [1942], p. 42.
3 Article à paraître.
4 Bull. Oran, XLIX, 1928, p. 30. Et à Lambèse, Bull. arch, du com.>
1912, p. 350, n° IV.
5 Libyca, III, 1955, p. 163-166.
6 I.L.Alg., I, 2759.
7 L. Leschi, dans Comptes rendus de VAc. des Inscr. et Belles-Lettres,
1934, p. 237 = Etudes d'épigraphie, d' archéologie et d'histoire africaines, Paris,
1957, p. 314.
8 P. Monceaux, Enquête . . ., p. 336, n° 337 et p. 187, n° 238.
9 J. Marcillet-Jaubert, Inscriptions d' Aitava, thèse manuscrite pour le
doctorat de IIIe cycle soutenue à Alger en 1964 (exemplaire au Centre de
recherches sur l'Afrique méditerranéenne), n° 19. Cette forme existe au VIe
siècle sur le plomb de Sila: réf. p. 156, n. 2.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE BE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 157

des hastes, sa forme est identique à celles des inscriptions du. VIe siècle
d'Aubuzza % Guelma 2, Hippone 3, Cirta 4, Timgad 5, Sétif β ou Djemila 7.
Le P, a côté d'une forme classique, présente un aspect dont nous
n'avons pas trouvé d'équivalent: si la boucle est ouverte vers le bas, ce
qui est fréquent, elle se termine, non par une contre-courbe comme les
E. d'un texte de Timgad 8, mais par un appendice horizontal dirigé vers
l'extérieur, ce qui l'apparente au rho de chrismes tardifs.
Le ductus du R est toujours net, que le trait 2 doit attaqué au som
met de la haste, comme à la ligne 7, ou au-dessous, comme à la ligne 4

dans forma 1 i v^ et [\ ·

Rappelons l'aspect particulier des I aux lignes 3 et 6 barrés au tiers


supérieur, et le monogramme formé, ligne 6, par les deux hastes de Τ
sous un même linteau.
Par ses lettres prises isolément, l'inscription doit être placée dans
une zone « VIe siècle »; cette impression est renforcée par le fait que l'on
retrouve à basse époque de mêmes groupements de lettres: les F, G, L,
à Sufetula 9, les L et les D à Upenna 10, les D, L et M à Henchir Fellous u,
les D, L et S" à Aubuzza 12. De surcroît, l'attention doit se porter sur ce
mélange de formes en capitale et en écriture commune, et de dérivés
en écriture monumentale de formes communes. Bon nombre d'inscriptions

1 (J.L.L., Vili, 16396 - P. Monceaux, Enquête . . ., p. 205, n° 250.


2 Ibid., p. 223, ri» 261 et pi. II -- L.L.Alg., I, 427 (époque byzantine).
3 Bull. arch, du corn., 1928-1929, p. 90-91 -= A. Ep., 1928, n° 35, comp
lété par H. I. Marrou, dans Libyca, Γ, L953, p. 217, n. 10 (587 ou 602).
Voir aussi un autre texte daté par indiction: photo dans E. Maree, op. cit.,
p. 101 d = dessin erroné donné par M. Maree à M. Marrou, dans Libyca, I,
1953, p. 218.
4 L.L.Alg., II, 1937 (époque byzantine).
5 Bull. arch, du corn., 1911, p. cc-cci = J.L.G.V., 805. Autre texte iden
tique découvert récemment: Bull. arch, du com., 1941-1942, p. 133-134 =
L·. Leschi, Etudes ..., p. 232; reproduit: L. Lesehi, Algérie antique, Paris,
1957, p. 124.
6 G.L.L., VIII, 8433.
7 Inscription inédite datée par l'ère de Carthage (cf. p. 156, n. 3).
8 O.L.L., VIII, 17910.
9 N. Duval, dans M.E.F.B., LVIII, 1956, p. 227, 281 et pi. V, flg. 3.
10 P. Monceaux, Enquête ..., p. 186-187, n° 238.
11 Lbid., p. 199-200 et pi. II.
12 Lbid., p. 205-206, n° 250.
158 P. -A. FÉVRIER - J. MARCLLLET-JAUBERT

tardives offrent semblable disposition à Eome % en Italie 2, ou en Afri


que 3; et nous allons voir sur l'autre face de cette forma un texte gravé
entièrement en écriture commune. Cela révèle l'usage de ce type courant
par les graveurs ou les ordinatores.
Nous voyons sur la pierre de Ksar Sbahi comment l'écriture monu
mentale africaine était en train de se transformer, comme se transfor
mait à la même époque l'écriture monumentale des inscriptions de Gaule
et d'Italie pour donner naissance à de nouvelles formes calligraphiques
gravées dans la pierre. Le document est donc, à cet égard, particulièr
ement précieux.

Interprétation

L'interprétation du texte soulève de nombreuses difficultés, tant


pour donner un sens à certains groupes de lettres (1. 3 et 5) ou pour cou
per les membres de phrases entre eux (1. 3), que pour déterminer la valeur
exacte de certains mots. Nous ne sommes pas toujours arrivés à une
solution satisfaisante, tant s'en faut.
Le texte, dans une première approximation, pourrait S3 décomposer
en trois parties: une série de mots dont le sens est relativement clair
(1. 1 à 4), puis brutalement des signes graphiques qui, pris isolément, sont
nets, mais dont le sens est pour le moins douteux (1. 5), enfin l'extrémité
de la ligne 5 et les deux dernières lignes. Mais nous verrons que cette-
coupure n'a qu'un intérêt didactique, car une partie du sens du texte
dépend de la façon dont sont reliées les lignes 4 et 5.
Dans les lignes 1 à 4, la principale difficulté est dans la façon de
grouper les lettres de la ligne 3 et de construire l'ensemble de la phrase.
Une première solution consiste à couper: municipi puteos id et dona-
tus. Dans ce cas, deux solutions de construction sont possibles selon que
l'on fait de puteos un nom de lieu ou un nom de chose.

1 Par ex. Inscriptiones christianae urbis Romae septimo saeculo anteriores,


n.s., t. II, Eome, 1935, n° 4898, pi. Xa5 (435) et 4949, pi. Xb4 (458 à 474);
J. Mallon, Paléographie romaine, pi. XXIV, 5; A. E. Grordon, op. cit., t. III,
1965, pi. 156, no 330, 374 p.O. et pi. 173, n° 356, 426 p.O.
2 Monumenta epigraphica Christiana saec. XIII ant., t. I, fase. I, n° 4 =
G.I.L., V, 6257 (Milan).
3 O.I.I. , VIII, 23127 = J. Mallon, Paléographie romaine, pi. XXVI, a« 3.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 159

L'idée d'un municipium Puteos ne peut être a priori exclue. Sur un


ostrakon d'Henchir el Abiod, près de Chéria, transporté au Louvre (où
il est resté introuvable malgré l'obligeance de M. Braemer), Cagnat et
Omont ont lu λ :
] caricis agrarie [—
casarum nigrensium cera d[
fundi puteos agra [

suivent quelques lettres qui n'éclairent pas le texte. Car il peut y avoir
là un fundus Puteos; mais aussi fundi pourrait être le complément de nom
de puteos. L'accusatif est souvent employé en toponymie et il existe des
lieux dits antiques Putea Pollerie et Putea Nigrorum 2, auxquels corre
spondent les toponymes modernes formés sur l'arabe Bir ou son pluriel
Biar.
Mais cette coupure et cette construction font difficulté car il faut
alors expliquer le groupe id et donatus fecit forma. On ne voit pas à quoi
se rapporte le id et la raison du et donatus. Seconde difficulté: pourquoi
ne donne-t-on pas le nom du fundus et donne-t-on seulement celui du
municipe? Y a-t-il un seul fundus dans le municipe1?
Une hypothèse nous a été suggérée par M. Perrat: rattacher le mot
puteos au verbe qui suit, fecit. Dans ce cas, municipi peut être soit le com
plément de fundi (et se rattacher à l'ablatif absolu initial: facta forma ad
Serotinu magistru fundi municipi) soit le complément de puteos. Ce qui
ne change guère le sens général. A cela, il y a une grave difficulté. Id ne
peut être le sujet de fecit à cause de donatus et ne peut être un accusatif
à côté de l'autre accusatif puteos. La seule échappatoire serait de supposer
une abréviation id(em) ou une haplographie après chute du m final:
id<.e~>{m) et. Mais la chute de m est un phénomène normal dans la dési
nence de l'accusatif; ici cela paraîtrait fort étonnant.
Mais surtout avant d'accepter, soit l'idée d'une abréviation, soit la
solution d'une transcription fautive, il convient d'avoir fait le tour de
toutes les possibilités. Or il y a peut-être un moyen d'échapper à ces dif
ficultés en groupant autrement les lettres: lisons, comme nous l'a proposé

1 Bull. arch, du corn,., 1908, p. ccxlvii-ccxlix.


2 Ch. Tissot, Géographie comparée de la province romaine d'Afrique, t. II,
Paris, 1888, p. 207, 228 et 230; P. Salama, Les voies romaines de l'Afrique du
Nord, Alger, 1951, p. 132.
160 P. -A. FÉVRIER - J. MARCLLLET-JATJBERT

M. Mandouze, municipi puteo si det. Ce qui donne: facta forma ad serotinu


magistru fundi, municipi puteo, si det donatus, fecit forma ou: facta forma
ad serotinu magistru fundi municipi, puteo, si det donatus, fecit forma;
deux solutions très voisines l'une de l'autre. Nous ne reviendrons donc
plus dans le reste de la discussion sur la place de la virgule après ou avant
municipi.
Cette lecture si det a l'avantage de faire l'économie d'abréviation ou
de correction et de faire apparaître des procédés de style: facta forma. . .
fecit forma, det donatus. Mais pour aller plus avant, il convient de donner
un sens à certains mots: donatus, forma. Donatus peut être un nom de
personne, répondant au Serotinus mentionné dans l'ablatif absolu. Dans
ce cas, det serait pris sans complément et aurait un sens voisin de « faire
donation». Une forma aurait été réalisée pour Serotinus1; un certain
Donat se serait proposé pour faire un don; dans le cas de ce don, la forma
permettrait la réalisation. Le subjonctif s'explique alors comme une att
énuation de la valeur de dare: si Donat a pu donner. La présence d'un
subjonctif présent et d'un parfait ne pose pas de difficulté.
Il y a une autre solution. Donatus peut être un participe passé appar
tenant au groupe sujet de det, un nom au masculin étant sous-entendu,
vraisemblablement le plus proche, c'est-à-dire, puteus. Dans ce cas, det
est aussi construit absolument, mais il ne peut avoir le même sens que
précédemment puisqu'il détermine l'action du puits et non plus celle
d'une personne. On pensera donc à « le puits donne » comme l'on dit d'une
source qu'elle donne. Reste à savoir si puteo est complément de facta
forma, de fecit ou des deux à la fois, solution qui paraît séduisante à cause
de la place centrale que le mot tient dans la phrase, comme un pivot.
Yoici les trois traductions possibles:
une forma ayant été faite chez (ou pour, ou d'après) Serotinus,
magister fundi (peut-être municipi) pour le puits, si le puits donné peut
donner, c'est la forma qui l'a fait;
ou bien: une forma ayant été faite chez (ou pour, ou d'après)
Serotinus, magister fundi (peut-être municipi), si le puits donné peut
donner, c'est la forma qui aura réalisé cela pour le puits;
ou bien encore: une forma ayant été faite chez (ou pour, ou
d'après) Serotinus, magister fundi (peut-être municipi) pour le puits,

1 Nous reviendrons sur les détails p. 162.


PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAE SBAHI (ALGÉRIE) 161

si le puits donné peut donner, c'est la forma qui aura réalisé ce


la pour le puits.
Nous laissons de côté un certain nombre d'autres possibilités, dans
le désir de faire l'économie de corrections. On pourrait supposer une
correction puteo<s:s^>si det donatus ou bien fecit forma(m). Il ne faudra y
revenir que si nos hypothèses du paragraphe précédent sont re jetées.
Restent à expliquer les mots qui n'ont pas été jusqu'à présent tra
duits: Serotinus magister fundi et forma. C'est un phénomène bien connu
que la chute du m final x dans ad Serotinu magistru. On ne s'attardera pas
non plus sur la réduction de la voyelle simple des deux i désinentiels du
génitif municipi. L'existence d'un magister sur un fundus est attestée par
plusieurs textes africains 2; il est également question de magistri locaux
dans une dédicace faite par les possessores du fundus Tapp ( ) 3;
on connaît aussi des magistri sur un saltus 4. Dans le Haut Empire, ces
fundi ou ces saltus seraient des municipes en formation selon M. P. Vey-
ne 5. Mais nous sommes à basse époque et alors le mot de magister
paraît employé très souvent e. Notons dans les Tablettes Albertini l'exi
stence d'un Lucianus magister et d'un Quadratianus magister qui parti
cipent à la rédaction des actes 7. Ainsi dans l'acte V: [Lucia]nus magister
petitus a Vigïlianus et Iugalis ei[us uendito]res qui litteras nescint signum
sum f [adente] . . . Ego Lucianus magister seriosi et subscribsi. Le magister
qui écrit à Tuletianos, site souvent désigné comme un fundus 8, pourrait
être un magister fundi, comme notre Serotinus. Ce nom de Serotinus,
pour n'être pas fréquent, se rencontre néanmoins en Afrique 9. Resterait
à déterminer si municipi est le nom du fundus ou s'il s'agit d'un fundus
d'un municipe. La question ne paraît pas pouvoir être tranchée.

1 Tablettes Albertini, Paris, 1952, p. 76.


2 A. Ep., 1893, n° 66 et G.I.L., VIII, 23022 (Henchir Salah); O.I.L.,
VIII, 11217 (près Kairouan), 25902, I, 31 (Hr. Mettich). Voir I.L.T., 1568.
3 I.L.T., 628.
4 C.I.L., VIII, 10570 = I.L.S., 6870.
6 Karthago, IX, 1958, p. 104-109.
« O.I.L., VIII, 21551 et Libyca, I, 1953, p. 167. A ce propos P. Salama,
dans Libyca, II, 1954, p. 215.
7 Tablettes Albertini, V, 40 et 52; VI, 27; IX, 31; X, 18 et XXV, 18-19
et 25. Rapprocher O.I.L., VIII, 4354 = I.L.O.V., 28.
8 Tablettes..., indices, p. 320.
8 G.I.L., VIII, 23030(38), 23521.

Mélanges d' Arch, et d'Hist. 1966, 1. 11


162 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET-JATJBERT

Une forma a donc été faite pour un certain Serotinus. Qu'est-ce que
cette formai Le latin a la même imprécision que le français forme et le
mot s'applique aussi bien à la qualité interne qu'à la qualité externe des
choses x. Forma, ce peut-être un moule, un tuyau, d'où le sens de con
duite d'aqueduc, et aussi un modèle. L'idée de moule ne peut être a
priori écartée, car la cavité de la face supérieure de l'objet de Ksar Sbahi,
avec sa surverse, pourrait avoir cette fonction. Mais on comprendrait mal
le sens général de la phrase puisque nous sommes arrivés à la conclusion
vraisemblable que le puteus est bien un puits réel. Dans ce cas, les deux
seules hypothèses à retenir sont celle de conduit et celle de modèle. Le
mot forma appliqué à un conduit d'eau est, en épigraphie, connu 2. Dans
ce sens on traduirait: un conduit ayant été fait chez (ou pour, ou
d'après) Serotinus, magister du domaine du municipe (ou dit Municipe),
pour le puits, si ce puits donné peut donner, cela a été dû au conduit.
L'autre traduction présente un sens beaucoup moins satisfaisant:
un conduit ayant été fait chez (ou pour, ou d'après) Serotinus, magister
du domaine du municipe (ou dit Municipe), si le puits donné peut donner,
c'est le conduit qui a réalisé cela pour le puits.
Mais il n'y a pas de raison contraignante pour éliminer la solution
forma = modèle. Et dans ce cas, la traduction la plus logique implique
que puteo se rapporte à fecit: un modèle ayant été fait chez (ou pour, ou
d'après) Serotinus magister du domaine du municipe (ou dit Municipe),
si le puits donné peut donner, c'est le modèle qui a réalisé cela pour
ce puits.
Enfin il ne faut pas éliminer une troisième hypothèse, celle d'un jeu
de mots sur forma qui pourrait avoir le sens de modèle dans un cas et
celui de conduit dans un autres. Ce qui doDne comme sens: un modèle
ayant été fait chez (ou pour, ou d'après) Serotinus, magister du domaine
du municipe (ou dit Municipe) pour le puits, si le puits donné peut donner,
c'est le conduit qui a réalisé cela pour le puits.
Après avoir examiné un certain nombre de combinaisons possibles
de coupures de mots, de constructions de phrases, et d'interprétations de
formules, dans les lignes 1 à 4, il faudrait en venir à la ligne 5. Mais

1 Thesaurus linguae latinae, s.v. forma, t. VI, col. 1065 suiv. et en


particulier 1078.
2 C.I.L., IX, 3308 et XI, 4860.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 163

celle-ci reste pour nous une énigme et avant d'en parler, sautons à la fin
du texte où le sens de chacun des éléments qui le compose est relativement
clair. Nous lisons: Bona est creatura ômi<o>; litteras radices amaras
(syed fruc(tus).
La faute ereatuba s'explique par la ressemblance des formes capitales
du Β et du Β ^ c'est une faute de gravure plutôt que d'ordination. Quant
au redoublement du i final de bini (pour uini, fait de langue banal) et
quant à l'haplographie du s de sed, ce sont là des faits qui n'ont pas lieu
de nous surprendre dans un texte tardif. Ces restitutions sont d'autant
plus logiques qu'elles introduisent des textes pleins de sens.
Bona est creatura bini, ces mots rappellent un passage du Contra
Iulianum d'Augustin 2, bona est creatura panis et uini; on pensera au
chapitre premier de la Genèse, où revient sans cesse creauit Deus . . . et
uidit quod esset bonum, et à Paul: quia omnis creatura Dei bona 3. Quant
aux mots suivants, ils répètent un lieu commun de la littérature latine
qui est passé dans l'enseignement du grammairien latin comme était
passée chez le grammairien grec la chrie d'Isocrate 4: Chriarum exercitatio
in casu sic uariatur nominatiuo casu, numero singulari: ;c Marcus Portius
Gato dixit: litterarum radices amaras esse, fructus iucundiores; genitiuo
casu: Marcii Portii (Jatonis dictum fertur: litterarum radices . . . La for
mule est utilisée par Ausone, carpturi dulcem fructum radicis amarae 5,
et par Jérôme, de amaro semine litterarum dulces fructus carpo β. L'ex
pression est ancienne, comme en témoigne un fragment bien antérieur
de Cicéron, litterarum radices amaras, fructus dulces 7, mais persiste long
temps, puisqu'on en retrouve un écho dans le Carmen aduersus Mar-
cionem 8.

1 Exemple semblable: kaba pour /cara; E. Grose, Katalog der frühchrist


lichen Inschriften in Trier, Berlin, 1958, n° 68, p. 21.
2 Contra Julianum, 3, 20, 41, Patr. lat., t. XLIV, col. 722.
3 I Tim. 4, 4.
4 H. I. Marrou, Histoire de Véducation dans Vantiquité, Paris, 1948,
p. 379; voir Diomède, Ars drammatica, éd. H. Keil, Grammatici latini, t. I,
Lepzig, 1855, p. 310.
6 Ausone, 322, 72.
6 Epist., 125, 12.
7 Fragm. inc., J 18.
8 4, 178: mortis amarum interine fructum dulcem. Sur la date approxi
mative: P. de Labriolle, Histoire de la littérature latine chrétienne, Paris, 1947,
t. II, p. 476 et 477.
164 P. -A. FEVRIER - J. MAÎtCILLET-JAUBERT

II y a donc à la fin de l'inscription de Ksar Sbahi deux citations


mises bout à bout, sans qu'on devine un véritable lien logique entre les
deux membres de phrase, l'un inspiré d'un auteur ecclésiastique, l'autre
provenant de souvenirs scolaires ; nous sommes amenés à rapprocher par
l'esprit des citations, ce texte de celui d'une inscription d'Hippone pu
bliée par M. H. I. Marrou λ où quelques réminiscences virgiliennes vien
nent s'introduire dans un texte sans construction claire ni idées logiqu
ementordonnées. « On peut se demander si le graveur, dont l'étourderie
est manifeste, n'a pas omis des vers entiers » et M. Marrou ajoute: « On
peut se demander si la citation d'un vers de Virgile n'avait pas une valeur
en soi, d'ordre quasi magique, en dehors de toute adaptation à un contexte
rationnel ». Cela est possible; il se peut aussi que de simples réminiscences
scolaires ou religieuses suffisent à expliquer ce fait. Ainsi constate-t-on
de nos jours dans des correspondances de semi-lettrés des formules d'i
ntroduction ou de politesse qui ne s'adaptent nullement au reste du dis
cours, épaves d'une culture qui s'amenuise ou qui n'a pas été assimilée.
On peut pourtant tenter d'établir un lien entre les lignes 1-4 et 6-7,
mais les interprétations sont très subjectives et fort hypothétiques. La
dernière citation fait allusion aux bienfaits de l'effort: l'étude est difficile
mais les fruits en sont doux. L'effort pour aménager le puteus a été pé
nible; mais le résultat est agréable. Ce qui se comprend plus difficil
ement,c'est ce que vient faire l'allusion à la création du vin. Faut-il penser
que comme dans le cas des litter ae, il convient seulement d'y voir une
maxime générale: toute création est bonne? Cela n'est pas impossible.
Car on ne voit pas de lien évident entre le vin et le puits (à moins que
puteus puisse avoir un sens technique autre que celui de puits), ni entre
les lettres ou les fruits et le puits.
Il reste à expliquer la ligne 5; mis à part le dernier mot, et peut-être
l'avant-denier, rien n'est clair. Nous lisons sans difficulté:

XIPTDVABTNEV // BONA

Le signe qui suit le V semble bien être un T, d'où peut-être la lec


ture: ut bona est creatura bini. Pour le reste, aucune conjecture que nous
avons faite ou qui nous ait été proposée, ne nous satisfait. Nous n'osons
pas lire dans XI le génitif de Christus. Serait-ce un chiffre? Mais alors à

1 Libyca, I, 1953, p. 220-230.


PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 165

quoi se rattacherait-il, puisqu'il n'y a pas de mot au pluriel qui le précède1?


Les lettres qui suivent n'offrent pas davantage de sens. On voit bien dua,
mais la coupure est-elle bonne? La solution à laquelle nous sommes
contraints n'en est pas une, mais tant pis; avouons notre ignorance.

Inscriptions Β et C

Ces deux textes sont gravés sur la face postérieure, en lettres de


l'écriture commune, Β étant perpendiculaire à C.
En B, les lettres sont hautes de 5 à 7 mm. Nous lisons (p. 166 et 167):

ANIMOAD [ ] ÎSTTERHOMNÊSVI//I

La cassure a fait disparaître quatre à six lettres et l'on peut resti


tuer un verbe comme ad[sunt]. Homnes semble bien une forme vulgaire
pour homines, plutôt qu'une aspiration placée mal à propos. Mais comme
le sens du texte nous échappe . . . Une autre difficulté vient de la re
ssemblance entre les E et les S, d'où l'incertitude à la fin de la ligne entre
uisi et uiri. Bien que le E du groupe TEE et le S lié au E précédent
soient vraisemblables, on n'osera affirmer que l'identification des signes
est certaine.
L'inscription C paraît de même main, bien qu'elle soit écrite en
caractères plus forts de 7 à 12 mm. (p. 168):

IMDMON//FL//
Deux signes font difficulté; ils sont gravés de façon presque iden
tique: c'est une sorte de tortillis recourbé au sommet vers la gauche.
On peut penser à un signe de ponctuation, à une note tironienne ou à une
lettre. Pour les lettres, trois hypothèses peuvent être retenues: G, Ζ ou I.

Le G classique est tracé en trois temps: \^_. ce qui donne le ductus

du manuscrit de saint Hilaire conservé au Vatican où les traits 1 et 2


5
sont menés en même temps l x. Mais de là comment passer au signe

1 L'écriture latine, n° 64, pi. XLIII = Lowe, Codices latini antiquiores,


t. I, Oxford, 1935, n° 1. Rapprocher aussi du Gr du manuscrit manichéen
cité p. 153, n. 7-
Illustration non autorisée à la diffusion
Inscription Β (partie gauche).
Illustration non autorisée à la diffusion
Inscription Β (partie
Illustration non autorisée à la diffusion
Inscription Ο.
PIERRE SCULPTEE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 169

de la pierre de Ksar Sbahi1? Car il faut alors supposer que la gravure a


camouflé le tracé initial et la caractéristique du G qui est le dépassement
vers la droite du dernier trait. Cela n'est pourtant pas invraisemblable
car une récente découverte vient de faire connaître sur un même objet
deux formes de G dont la seconde est très proche comme ductus du signe
qui fait difficulté. Sur un ostrakon de Bir Trouch x, on voit en effet le
nom du roi Gunthamund:

II n'y a pas de difficulté graphique à lire à Ksar Sbahi un Ζ qui


rendrait le son ti ou di. Penser à Bonifacia, Vincenzo, pour Vincentia ou
zaconus pour diaconus 2.
M. Perrat nous a suggéré de lire un I. En effet sur le plomb de la
région de Télergma 3, on trouve le même signe. Mais il est toujours en
ligature avec un T, d'autre part, dans le texte C de Ksar Sbahi, il y a
un I indubitable au début de la ligne.
Or le reste du texte ne peut servir à nous éclairer sur la valeur à
donner à ce signe. Les tildes abréviatifs au-dessus du M et du MO sug
gèrent un développement en imperante) d(o)m(in)o. L'identification du
signe incertain comme un signe ou une lettre introduit quatre poss
Ν"
ibilités: Ν est pour n(ostro) et FL est l'abréviation d'un nom; est
le nom et FL devient soit un autre nom soit l'abréviation F(e)l(iciter);
Ν est pour n(ostro) et FL est pour F(e)l(iciter). Dans ce dernier cas, ou
bien le nom du souverain aurait été omis, ou bien ce serait une invocation
à Dieu.
Si le signe incertain est une lettre, il y a de fortes chances pour qu'il
faille lire: vm {per ante) d(o)m(ino) n(ostro) G, I ou Ζ ; on voit dès lors que
c'est la lecture I qui est logiquement la plus satisfaisante car elle intro-

1 Article à paraître.
2 C.I.L., VIII, Indices, t. III, p. 313-314. Ajouter Bull. arch, du com.,
1925, p. CLXii.
3 Publié avec un mauvais dessin par P. Alquier et J. Bosco, dans Ree.
Constantine, LVIII, 1927, p. 209-216. Une publication de ce document est
préparée par Mme N. Duval, MM. Marrou et Février. En rapprocher Bull,
arch, du com., 1912, p. cclix.
170 P. -A. FÉVRIER - J. MAECILLET-JAUBEET

duit le développement f(e)li(cîter). Mais par prudence, nous n'éliminerons


par les autres possibilités.
La question qui se pose donc est la suivante: existe-t-il un sou
verain dont le nom commence par N, FL, G, Ζ ou I? La difficulté est
rendue d'autant plus grande que l'on peut penser, étant donnée la date
à laquelle conduit l'examen graphique, à un souverain vandale, à un
empereur byzantin et à un prince berbère. N'oublions pas en effet l'em
ploi dHmp(e)r(ator) sur l'inscription de Masties à Arris x. Par contre la
formule im(perante) d(o)m(ino) n(ostro) n'a jamais encore été trouvée sur
des documents d'époque vandale 2.
Parmi les princes berbères, bien peu sont connus et l'on est toujours
à la merci d'une découverte comme celle d' Arris. Parmi les rois vandales,
ceux auxquels on peut penser sont Genserie, Gunthamund et Gélimer.
Mais alors que voudrait dire FLZ ou FLG? Si l'on lit un I (qui soulève
une difficulté d'ordre graphique), la solution qui vient à l'esprit est un
développement en Justin ou Justinien 3.
Nous n'avons pu aller plus loin dans la solution de ces difficultés
et nous pensons préférable de présenter les diverses possibilités (d'autres
s'ajouteront plus tard), car ls doute est meilleur qu'une fausse cer
titude.
Les lettres des inscriptions Β et C appellent quelques commentaires.
Le A ouvert est à rapprocher des lettres de même type gravés sur l'autre
face, dans une écriture moins libre. Nous en avons d'autres exemples
parmi des textes écrits aussi entièrement en écriture commune, comme le
plomb de Télergma 4 (p. 171) ou le reliquaire d'Henchir el Bahira 5.
On remarquera que sur les deux ostraka datés de 359 et 419 e, dont nous
possédons les photographies, le A n'a pas cette ouverture; mais on ne

1 J. Carcopino, dans Rev. études aciennnes, XL VI, 1944, p. 94-120 =


A. Ep., 1945, n° 97 — Chr. Courtois, Les Vandales et l'Afrique, p. 382, App.
II Β, η° 132.
2 Cf. l'appendice de Chr. Courtois, Les Vandales et V Afrique. A quoi on
ajoutera les ostraka récemment découverts dans la région de Ferkane.
3 Nous n'osons proposer un I(esu); penser pourtant à I.L.G.V., 4677:
regnancte domino nos[tr]o Hiesum cristum . . .
* Voir p. 169, n. 3.
6 A. Berthier, Les Vestiges ..., p. 109-110.
6 Bull. arch, du com., 1915, p. cxcn et 1913, p. ccxxxi.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 171
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172 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET- JATJBERT

saurait y voir un repère chronologique car cette forme est attestée dès
le début du IIIe siècle 1.
Le D présente deux formes; il est mené en un temps (3\ 2 ou en

deux (\ 3. L'une et l'autre forme se rencontrent sur les ostraka déjà

cités 4. On note enfin, comme sur le reliquaire publié par M. Berthier %


la simultanéité des formes capitales et minuscules du ïï\
Nous nous trouvons avec les textes Β et C encore une fois dans une
zone «VIe siècle». On comparera en effet, nos lettres à celles des gloses du
Cod. vat. Bembinus, lat. 3226, dans les marges d'un exemplaire du Phor-
mion β et aux caractéristiques plus générales du manuscrit de saint Hilaire»
Vat. lat. 9916 7. On se rapportera aussi au manuscrit de Paris, Bibl. nat.
lat. 8907 du Contra Ambrosianum 8 qui ne saurait être antérieur au mi
lieu du Ve siècle.
M. Perrat nous fait remarquer que cette seconde face présente une
écriture curieusement apparentée à la « curiale «, cursive utilisée à Rome
pour la rédaction des actes pontificaux et dont l'origine exacte n'a pu
encore être précisée 9.

DÉCOR

Les sculptures qui ornent l'objet de Ksar Sbahi sont de deux


types: les unes sont purement géométriques, les autres figuratives.
Les bordures sont obtenues, soit par des bâtons brisés disposés en
chevrons, soit par des triangles opposés par le sommet ou juxtaposés,
soit encore par des ornements en feuilles de fougère. Tout ce décor est
fait d'une taille en méplat et d'incisions plus ou moins profondes. Ces

1 Voir ci-dessus p. 154, n. 8.


2 L'écriture latine, n° 46, pi. XXXIII, Epitome Livii.
3 Ibid., n° 35, pi. XXIV.
4 Bull. arch, du com., 1912, p. cclix, n° 3; 1913, p. ccxxxi, n° 1 et p.
ccxxxii, n° 2; 1915, p. cxcni. Voir aussi le plomb de Télergma.
5 Les vestiges . . ., p. 110, ligne 3.
β L'écriture latine, n° 41, pi. XXIX = Lowe, op. cit., n° 12.
' Voir p. 165, n. 1.
8 L'écriture latine, n° 50, pi. XXXV.
8 P. Rabikaushas, Die römische Kuriale in der päpstlichen Kanzlei,
Rome, 1958.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGERIE) 173

chevrons brisés, nous les trouvons par exemple sur la fenestrella d'une
église voisine d'Aïn Beida x (p. 174) ou sur des mosaïques: panneaux l
atéraux de la Grande Chasse de Djemila 2, cuve du baptistère de Timgad 3;
mosaïque inédite de Fouris à l'est de Mascula, tombe de Tébessa 4,
pavement de la grande basilique de cette même ville, mosaïque d'Hip-
pone 5. Les triangles servent aussi à décorer les cercles gravés sur une
face du coffret de pierre de Dalaa, la memoria Feliciani e. Quant au motif
du rectangle central dessiné sur la face de l'inscription B, il rappelle le
décor d'une barrière ou d'une transenne et peut être rapproché d'un
ornement de chapiteau de Vegesala (Ksar el Kelb) 7.
Il y a donc une série de motifs ornamentaux très simples, dessinés
à l'aide de cette géométrie élémentaire du compas et de la règle (cf.
fig. p. 175). Ces formes constituent le décor du mausolée de Blad el
Gruitoun 8 et de la porte de Ksar Kaoua 8 (p. 176).
Plus curieux sont les reliefs figurés: un personnage debout, une
tête humaine stylisée et la tête d'animal. Le personnage debout, haut
de 12,5 cm., est vêtu d'une tunique courte serrée à la taille par une cein
ture dessinée en creux. Le bras droit très maigre est ramené sur la poitrine
et la main ouverte est posée près de l'épaule gauche. Les doigts très
stylisés sont faits de sillons en creux. La tête est rattachée au corps par
un cou très large. De petits yeux ronds, un nez taillé avec des droites,
une barbe triangulaire (cf. fig. p. 178).

1 Héron de Villefosse, Musée africain du Louvre, Paris, 1906, pi. XVII,


4, n° 144. Photo J. Lassus, Les reliquaires du musée Ht.-Gsell, Alger, 1958, p. 9.
2 Dans la Maison de Bacchus, reproduite par L. Leschi, Djemila, Alger,
1953, p. 15.
3 A. Ballu, Les ruines de Timgad. Sept années de découvertes (1903-1910),
Paris, 1911, photo entre p. 42 et 43.
4 Bev. Afr., C, 1960, p. 415 et pi. I = I.L.Alg., 3450.
5 E. Maree, Monuments chrétiens d'Hippone, p. 148 a.
6 St. G-sell, dans M.E.F.B., XVI, 1896, p. 483-484; 1898, p. 528; P.
Monceaux, Enquête . . ., p. 239-242, n° 275; J. Mallon, dans Libyca, II, 1954,
p. 195-199.
7 L. Leschi, Etudes . . . , p. 97, fig. 2.
8 St. Gsell, dans Comptes rendus de Vac. des Tnscr. et Belles -Lettres, 1898,
p. 481-499.
9 Lacave-Laplagne, dans Bull. trim, de la soc. de géogr. et d'arch. d'Oran,
XXXI, 1911, p. 38-43 et pi. II, fig. 2.
174 P. -A. FÉVRIER - .7. MARCILLET-JAUBERT

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(Phot. C.R.A.M., Alger)


« Penesteella » d'Aïoun Berich
(voir Cahiers arch., IX, 1957, p. 81, fig. 6).
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 175

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(Phot. C.R.A.M., Alger)


Alger, musée: base de colonne.
176 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET-JAUBEKT
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PIERRE SCULPTEE ET ECRITE DE KSAR SB AHI (ALGERIE) 177

Le type du personnage à la barbe en pointe doit retenir l'attention:


c'est celui qui figure sur la stèle d'Abisar du musée d'Alger l, sur celle
de Souama 2. Sur ces stèles libyques représentant des guerriers, existe
aussi une bordure autour de la tête; nous la retrouvons à Ksar Sbahi:
elle cerne la tête comme pour évoquer la chevelure (p. 179).
La tête dessinée sur l'autre face au-dessous de la gargouille présente
des caractéristiques semblables; mais là la barbe est en creux et les rai
nures évoquent ses poils. Sur la tête animale, peut-être cornue (on ne
saurait préciser si ce sont des oreilles ou des cornes qui sont figurées),
les sillons sont tracés pour suggérer le pelage. Les yeux sont deux trous
très profonds; deux autres trous dessinent les narines (p. 180 et 181).
Il est en Afrique du Nord quantité d' œuvres éparses de technique
voisine, travail en méplat ou décor géométrique. Ces monuments sont
tous d'époques très différentes, qu'il s'agisse de la stèle du cavalier parthe
de Cherchel 3, du sarcophage de la nécropole de Salsa à Tipasa 4 (p. 182),
de la stèle inédite de Djemila avec figuration d'un cavalier, ou des sculp
tures de Ksar Kaoua près d'Ammi Moussa 5, ou bien encore du sarco
phage de Tadjnanet (ex Saint-Donat) β (cf. fig. p. 183). Il y a là des pro
cédés de stylisation qui sont de toutes les époques et il serait vain de
vouloir dater ces objets les uns par les autres. Surtout alors que nous
ne disposons d'aucun inventaire, même incomplet, des sculptures de
l'Afrique romaine.
La sculpture de Ksar Sbahi se place dans ce filon d'art populaire
qui affleure à tous les moments de l'antiquité de l'Afrique du Nord,
comme dans le reste du monde romain 7. A certains moments, et dans

1 J.-B. Chabot, Recueil des inscriptions libyques, Paris, 1940, p. 185,


n° 841; Atlas arch., feuille 6, n° 53.
2 J.-B. Chabot, op. cit., p. 184, n° 846. Rapprocher aussi p. 181, n° 850.
Sur l'interprétation de ces documents: Gr. Camps, Aux origines de la Ber-
bérie. Monuments et rites funéraires protohistoriques, Paris, 1961, p. 102 et 555.
3 En rapprocher les stèles de soldats de Tipasa: Libyca, II, 1954,
p. 146-147.
4 L. Leschi, dans Comptes rendus de Vac. des Inscr. et Belles -Lettres,
1932, p. 86 = Etudes. . ., p. 368-369.
5 Photographies au Service des Antiquités et Bull. Oran., XXXI, 1911,
pi. II, fig. 1 et pi. Ill, fig. 2.
β Photo dans Archeologia, n° 3, 1965, p. 65.
7 En particulier lire en dernier lieu, R. Bianchi Bandinelli, Naissance et
dissociation de la koinè hellénistico -romaine, dans VIIIe congrès intern, d'arch.

Mélanges d'Arch. et d'Hist. 1966, 1. 12


178 P. -A. FEVRIEE - J. MAECILLET-JAUBEET

certains ateliers, ces traditions reprennent vie. Il faudra bien un jour


consacrer un travail à tout ce courant
fort mal connu. G. Marçais avait, dans
un article sur Fart chrétien d'Afrique et
l'art berbère1, insisté sur ce style indigè
ne, mais il ne disposait pas de documents
lui permettant d'affirmer que cet art
plongeait ses racines dans l'art profane.
Que les artistes des IYe-Ve-YIe siècles
aient particulièrement apprécié ce décor
géométrique ou les sculptures stylisées,
cela est hors de doute. Mais cet art n'est
Illustration non autorisée à la diffusion
en fait qu'une résurgence de traditions
parfois étouffées par l'art classique. Il
suffit de penser à certaines stèles de haute
époque comme celle de Ténès 2 avec son
décor de rosaces en étoiles (cf. fig. p. 184).
Hors de l'Afrique, des dessins semblables
existent: il suffit de penser aux stèles fu
néraires d'Espagne 3.
Pour l'Afrique, le problème est de
savoir comment, quand et pourquoi, ces
{Phot. C.R.A.M., Alger) formes ont pris ou repris vie, comment
Forma » de Ksar Sbahi elles se sont développées ou ont disparu,
{petit côté). et où cela s'est produit, car l'Afrique n'est
pas une, ni dans l'espace, ni dans le temps.
class., Paris, 1963. Le rayonnement des civilisations grecques et romaines sur les
cultures périphériques, Paris, 1965, p. 451.
1 Gr. Marçais, Art chrétien d'Afrique et art berbère, dans Mélanges Bequinot,
Annali dell'Istituto universitario di Napoli, Eome, 1949, p. 63-75. — Mélanges
d'histoire et d'archéologie de l'Occident musulman, I, Alger, 1957, p. 131-140.
Voir aussi W.H.C. Frend, The revival of herber art, dans Antiquity, dec.
1942, p. 342-353; S. Laiicel, dans M.E.F.B., 1956, p. 313-333.
2 G.I.L., VIII, 21508.
3 A. Garcia y Bellido, Esculturas romanas de Espana y Portugal, Madrid,
1949, nos 327-353, pi. p. 258-263, nos 376-381, pi. p. 271-272; Id., Les mas
bellas estelas geometrieas hispano-romanas de tradicion celtica, dans Hommages
à A. Grenier, Bruxelles, 1962, p. 729-743. Voir aussi sur les rosaces étoilées,
F. Benoit, dans Oahiers arch., X, 1959, p. 49-51, et dans des monuments plus
récents: M. Vieillard-Troiekouroff, dans Arts de France, 1961, p. 264-269.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 179

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{Phot. C.R.A.M., Alger)


Alger, musée: stèle d'Abisar.
180 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET -JA UBEET

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(Phot. C.R.A.M., Alger)


Forma» de Ksar Sbahi; gargouille (vue de face).
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAE SBAHI (ALGÉRIE) 181

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(Phot. C.R.A.M., Alger)


«Forma» ρε Ksar Sbahi; gargouille {vue de côté).
Saiîcophage de la nécropole de Salsa à Tipasa.
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 183
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PS
γ/2
184 P. -A. FÉVRIER - J. MARCILLET-JAUBERT

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(Phot. Serv. Ant., Alger)


Stèle de Ténès (= O.I.L., VIII, 21508).
PIERRE SCULPTÉE ET ÉCRITE DE KSAR SBAHI (ALGÉRIE) 185

Conclusions

Par son décor, comme par les textes et la graphie, la pierre de Ksar
Sbahi a sa place dans des séries de monuments africains de la fin de l'An
tiquité. Cette pierre paraît surtout importante par les renseignements
qu'elle apporte pour l'histoire des faits graphiques. Les documents afri
cains relatifs à l'écriture commune ne sont pas rares, mais ils ont peu
souvent été publiés avec le soin qu'ils méritent. C'est ainsi qu'il nous
manque un catalogue iconographique des ostraka. Aussi nous a-t-il
paru nécessaire de nous attarder si longuement sur cet objet.
La règle du jeu voudrait que les auteurs qui se sont préoccupé de
publier un objet et un texte disent très précisément ce qu'est cet objet.
Nous avouons n'y être pas parvenus entièrement. Bien des parties du
texte n'ont pu être expliquées. Mais quel est le rôle de la pierre, elle-même1?
Elle était visiblement destinée à être posée de champ, visible sur ces deux
grandes faces et sur trois des côtés étroits. Un liquide pouvait couler dans
la rainure de la tranche supérieure et se déverser par la petite gargouille.
Mais notre pierre est-elle la formai Ses dimensions font qu'il est difficile
de la placer près d'un puits (si puteus a ce sens). Serait-elle un modèle?
Et l'on revient alors à l'alternative, conduit ou modèle, pour traduire
forma.
Certains éléments de solution ont été trouvés; beaucoup nous échap
pent. A d'autres de continuer x.

Paul- Albert Février et Jean Marcillet-Jaubert

1 La naissance de cet article a été difficile. Le lecteur s'en sera rendu


compte. Mais elle aurait été bien plus pénible si de nombreuses personnes
ne nous avaient aidés. M. Ch. Perrat et M. A. Mandouze, pour les problèmes
paléographiques et linguistiques, nous ont fait maintes suggestions. Le texte
a d'autre part été retourné dans tous les sens au cours des séances des réu
nions d'un séminaire de recherches à Alger. Les photographies C. U.A.M.
ont été faites à Alger par Mme E. Roche.

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