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Bulletin de la Société

préhistorique de France

Recherches sur le Capsien (lre série)


Dr E. Gobert

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Gobert E. Recherches sur le Capsien (lre série). In: Bulletin de la Société préhistorique de France, tome 7, n°11, 1910. pp.
595-604;

doi : https://doi.org/10.3406/bspf.1910.12067

https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1910_num_7_11_12067

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SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE DE FRANCE 595

Recherches sur le Capsien (lre série).


Par le Dr
E. GOBERT (de Redeyef, Tunisie).

L'industrie capsienne n'est encore connue que par la mention


qu'en a faite M. de Morgan dans Les Civilisations primitives [1909,
pp. 135 et 136] la description sommaire de M. P. Pallary, parue
pratiquement à la même date sous le nom de Gétulien
[Instructions pour les recherches préhistoriques dans le N.-O. de
l'Afrique, 1909, p. 45), etle mémoire de J. de Morgan, Capitan etBoudy,
dans la Revue de l'Ecole ď Anthropologie. Les numéros IV et VI,
avril et juin 1910, contiennent des dessins et un commentaire
abondant des types récoltés par le premier et le dernier des trois
auteurs à ElMekta,près Gafsa. M. Capitan les compare avec raison
aux formes aurignaciennes; mais il reste entendu, et personne ne
s'y est trompé, que les deux industries, tunisienne et française,
malgré leur parenté technique, ne peuvent être assimilées et
placées chronologiquement de niveau.
La faune capsienne est une faune chaude, qui ne semble guère
différer des faunes ibéro-maurusienne et néolithique de l'Afrique
du nord : rhinocéros, zèbre, grand bœuf, antilopes,
autruche, etc..
Le terme de Capsien, créé par M. de Morgan, n'est donc pas
inutile. Je crois lui avoir trouvé une seconde raison d'être, dans
l'évolution particulière de la culture qu'il désigne ; il rend compte
de son caractère local et de l'impossibilité de la faire entrer dans
la classification française.

Campement de l'Ain Kerma.

Les stations capsiennes sous abri, comme celle d'El Mekta,


représentent une exception. Ce sont, dans la généralité des cas,
des campements en plein air. Autour des points d'eau, au
sommet de caps dominant les plaines, dans les. cols des montagnes,
la teinte grise des cendres nues révèle leur présence.
A l'Aïn Kerma, à deux kilomètres est de Tamerza, sur la rive
droite de l'Oued en Negueb, la couche archéologique repose
directement sur des sables miocènes aquifères. Les eaux, filtrées
au travers des cendres, ont déposé à leur surface une carapace
gypseuse, qui lesa mises à l'abri des corrosions météoriques et des
remaniements. La Fig. 1 précise cette disposition. Les silex
inclus ont acquis une belle patine blanche.
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Comme à el Mekta, les pièces caractéristiques de l'outillage
rappellent certains types aurignaciens: la lame à dos, à tranchant
rabattu ou écrasé (Fig. 2, В, С, Е, К, L) ; le burin d'angle
{Fig. 2, G; Fig. 3, В), ou burin sur angle d'encoche {Fig. 2, H).
La lame, retouchée sur tout son pourtour (Fig. 2, D), a été aussi
signalée dans l'Aurignacien; elle est moins caractéristique. La
lame étranglée et le burin busqué n'ont jamais été rencontrés
dans le Capsien.

Fig. 1. — Tranchée au Campement


blanche
de l'Aïn
uneKerma.
bande —sombre.
Les cendres forment sous la carapace

Le grattoir {Fig. 2, A et F), l'encoche (Fig. 3, A etD), la lame


retouchée en scie (Fig. 3, С), ne sont figurés que pour mémoire.
Ils manquent de traits particuliers, de même que le disque (Fig.
()
La présence d'un trapèze est le fait inattendu (Fig. 2, I); c'est
le seul qu'ait encore livré le gisement qui nous occupe, mais un
atelier capsien dénudé, situé à cinquante mètres plus à l'est, de
l'autre côté de la source, en a donné un tout semblable par les
dimensions et la facture. Leur épaisseur, la maladresse de leur

(1) Voir la note I.


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forme les distinguent des silex géométriques proprement dits que
nous allons trouver au Bir Khanfous, au milieu d'une industrie
plus évoluée et plus variée.

Fig. 2. — Ain Kerma. — [2/3 Gr.]

Je dois enfin appeler l'attention sur les nuclei à pans coupés


(Fig. 3, E.) qui se trouvent dans certains campements capsiens à
l'exclusion du type pyramidal classique. Л l'Aïn Kerma les deux
formes sont présentes. Ces nuclei à pans coupés,, que je n'ai vu
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décrits nulle part et dont la figure ci-jointe suffit à préciser les
caractères, sont déjà très abondants dans l'acheuléen de déca-

Fig. 3. — Aïn [Kerma. -r- [2/3 Gr.]

dence à petits coups de poing et petits disques du sud des Hauts


Plateaux tunisiens.

Campement du Bir Khanfous.

Au Bir Khanfous, à la base nord du Djebel Negueb, au fond


d'une petite saignée dans Téocène et le danien pour la vidange
des orages, se trouve le type du campement capsien découvert :
trois cents mètres carrés de cendres, épaisses de 30 à 50
centimètres, à peine protégées, par un Ht de cailloux tombés d'une
pente voisine.
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Les silex y sont relativement abondants, incrustes de dendri-
tes, mais sans patine.
Pour ne pas faillir à la règle, les formes aurignaciennes
dominent. La lame à tranchant rabattu varie de toutes les manières,
très élégante ou plus épaisse et trapue [hig.^} A, B; D, E.). Nous
assistons au triomphe du burin d'angle, qui forme au Bir Khan-
fous plus de 40 °/° de l'outillage total (1). La figure 5 reproduit

НдЛ. — Bir Khanfous. —[2/3 Gr.]

quelques-uns de ses avatars. Les pièces С et E présentent un


burin à chacun de leur quatre angles. Les pièces D et G montrent
comment les vieilles lames à tranchant rabattu étaient utilisées
et transformées en burins : MM. Bardon et J. et A. Bouyssonie
ont publié de la grotte Lacoste (Corrèze) des exemplaires tout à

(1) Voir la note II.


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fait comparables à D. [Voir la figure 24 de leur mémoire dans la
Revue de VEcole d? Anthropologie de février 1910].
Quelques gratloirs {Fig. 4. II) méritent une mention spéciale
pour leur épaisseur et la carrure de leur profil. Les poinçons
(Fig. 4. G) ont une coupe tri ou quadrangulaire et sont encore
remarquables par leur longueur. Les disques (Fig. 6, В) restent
peu abondants. Les nuclei du type classique (Fig. 6, A et C)

Fig. 5 — Bir Khanfous. — [2/3 Gr.]

présentent quelquefois une carène comme les nuclei néolithiques


du Sahara [D. Fig. 6 a été utilisé comme percuteur] Certains
résidus de débitage, de toutes tailles, prennent l'apparence de la
pierre de jet (Fig 6, E). Mais ce qui distingue le campement du
Bir Khanfous (et quelques autres, car je l'ai choisi comme
représentatif d'une série particulière), c'est le mélange au gros outillage,
dont je viens de donner un rapide inventaire, de microlithes va-
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ries, pour la plupart de petites lames à dos, et parmi lesquels
figurent des trapèzes aussi parfaits et aussi fins que des trapèzes

Fig. 6. — BirKhanfous. — [2/3 Gr.]

néolithiques avérés {Fig. 7). — A et В de la même figure sont encore


des formes tardenoisiennes; leur base est finement retouchée

Fig. 7. - Bir Khanfous. — [2/3 Gr.]

quoique le dessin réduit en rende mal compte. Les grains de


collier découpés dans la coquille d'oeuf d'autruche {Fig. 7, J et K) et
les gravures sur les mêmes coquilles sont d'autres traces de néo-
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lithisme. Les deux objets sont relativement rares au Bir Khan-
fous (1).
Les œufs vides perforés de trous de suspension servaient de
vases allant au feu. Un grand nombre de fragments sont noircis sur
leur face externe et celui qui est ici représenté {Fig 7, H) porte '
une échancrure en demi-lune, segment d'orifice circulaire, aux
rebords polis.
Il importe de rechercher comment peut être expliquée la
présence simultanée dans les cendres du campement du Bir Khan-
fous, de formes aurignaciennes et néolithiques, si elles
appartiennent toutes deux au même moment d'une civilisation éclectique
ou ne proviennent pas plutôt d'un mélange fortuit, d'un
remaniement. Au premier examen, la seconde hypothèse semble la plus
probable. Dans cette station, les trapèzes sont plus abondants à
la surface que dans la profondeur des cendres, et j'ai trouvé
plusieurs fois la preuve que de vieux campements capsiens
dénudés avaient été exploités par des tailleurs de flèches.
Mais, pour les raisons suivantes, je tends à penser que
l'industrie du Bir Khanfous est intégralement l'œuvre des mêmes
mains:
1° II ne s'agit pas ici d'une exception. Le même mobilier
complexe se retrouve ailleurs.
2° Dans les stations néolithiques de la même région (Gafsa-
Tamerza), à feuilles de laurier et poterie poussée, les trapèzes
manquent totalement et'sont remplacés par de petits tranchets
tri- ou quadrangulaires retouchés sur tous les côtés sauf un. Un
abri h industrie saharienne (Redeyef) a fourni de nombreux
trapèzes, mais cette industrie à une telle latitude (2) est
exceptionnelle.
Aucune trace de poterie n'a jamais été relevée dans aucun
campement capsien.
3° Quelques faits semblent indiquer que les deux industries,
archéolithique ettardenoisienne, ne sont pas seulement
juxtaposées : elles se pénètrent mutuellement. Un petit silex en segment
de cercle de Bir Khanfous, long de trois centimètres, a été
transformé en burin par le « coup » caractéristique appliqué sur une
de ses pointes. Ce qui reste du tranchant montre qu'il était ébré-
ché et la pièce bien bonne pour faire un burin. Dans un autre
campement, au sommet du Djebel Sendès, où le trapèze abonde
quelques grandes lames à dos rabattu accusent la forme
géométrique précise du segment de cercle.

(1) Voir la note III.


(2) Entre le 34 et 35* degré de latitude nord.
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4° Enfin, dans une couche fermée, à l'Aïn Kerma, nous
trouvions déjà un trapèze !
possible* que'
Il me paraît donc des recherches postérieures
démontrent la nécessité de distinguer un Capsien ancien à
outillage de grande taille (ElMekta), et un Capsien récent, caractérisé
par le mélange que nous venons de signaler à Bir Khanfous.

Notk I. — M. de Morgan a prêté une signification inexacte à


la présence du disque dans le mobilier capsien. Dans une
description sommaire des Kjœkkenmœddings tunisiens (Les
premières civilisations, 1909, p. 135): « Ony rencontre, en même temps
que les racloirs, les burins, les encoches et les lames retouchées
sur un seul côté, des types plus anciens, tels que le disque. »
Dans le mémoire de la Revue de l'Ecole ď Anthropologie se
retrouve la même idée, presque sous la même forme : « En même
temps que ces objets caractéristiques du Capsien, différenciant
nettement cette industrie de celle du paléolithique, se trouvent
quelques survivances des temps précédents, entre autres le
disque, de dimensions très variables. » -
II y a là une erreur. Le disque appartient à tous les états de
civilisation lithique,et ceux qu'a dessinés M. de Morgan, pas plus
que ceux que je figure, n'ont rien dans leur aspect qui les distingue
des disques néolithiques de la région de Gafsa, et en particulier
des pièces que nous avons trouvées, M. Becque et moi, dans l'abri
de Redeyef à industrie saharienne pure, identique à celle d'Ouar-

gla- m _
Les disques paléolithiques du sud tunisien, lenticulaires ou
tronc-coniques, sont remarquables par la régularité et l'habileté
de leur taille.

Note II. — L'inventaire d'un tamisage soigneux donnera une


idée exacte de l'ensemble de l'outillage du Bir Khanfous et de
l'importance relative de ses différents éléments :
Burins d'angle 205
Lames à tranchant rabattu 39
Grattoirs 34
Grattoirs doubles 1
Petites lames à dos 110
Trapèzes 36
Triangles 4
Demies lunes 4
Eclats divers retouchés 22
Pierres de jet (?) 10
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Poinçons ♦.;...... 1
Nuclei pyramidaux 6
Percuteurs 1
; Aiguilles d'os poli (Fragments d') 4
.*
Grains de collier. . 7
Colómbelles (1) percées . .' 2~ *
Matières colorantes (2) 5
Fragments de coquille gravés 3

Note IIIl — A l'Ain Kerma, os et coquilles ont été dissous.


Au Bir Khanfous, les coquilles gravées sont rares; mais un autre

Fig. 8. — Henchir Souatir. [2/3 Gr ]

campement de même genre, à proximité de la gare d'IIenchir


Souatir, en livre un grand nombre (Fig. 8).
J. P. Johnson, dans ses Stone implements of South Africa,
(1908, page 44) figure quelques fragments d'œufs gravés dans le
même style, provenant de campements néolithiques avec poterie,
malgré le singulier épithète de solutric qu'il leur applique.

(1) Columbella rustica Linné, Coquille très répandue dans la Méditerrannée


l,Fig.l). . .
(2) Limonite très impure, contenant plus de 50 0/0 de carbonate de chaux.

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