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Bulletin de la Société

préhistorique française. Comptes


rendus des séances mensuelles

Les sculptures préhistoriques du Sud-Brésilien


André Prous

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Prous André. Les sculptures préhistoriques du Sud-Brésilien. In: Bulletin de la Société préhistorique française. Comptes
rendus des séances mensuelles, tome 71, n°7, 1974. pp. 210-217;

doi : https://doi.org/10.3406/bspf.1974.8327

https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1974_num_71_7_8327

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Bulletin de la Société Préhistorique Française, tome 71, 197-1, C.R.S. M. n° 7

Les sculptures préhistoriques du sud-brésilien

par André Prous

Les peuplades préhistoriques du littoral sud- deux datations les plus anciennes indiquent le
brésilien ont développé un art plastique original, début du sixième millénaire B.C. et un grand
caractérisé par la sculpture sur pierre et sur os nombre s'échelonnent entre 3 000 B.C. et le
de représentations humaines et animales. premier millénaire de notre ère).
Le présent travail se propose de présenter La période suivante montre l'apparition d'une
quelques-uns des problèmes que soulève céramique locale non décorée au sommet des
l'approche de ces œuvres sur les plans de derniers sambaquis et de divers campements.
l'esthétique et de la signification (1). Le lecteur étant Les tous derniers siècles avant la conquête
probablement peu familier de la préhistoire hispano-portugaise virrent un bouleversement
brésilienne, nous en exposerons brièvement les culturel avec l'arrivée sur le littoral des groupes
grandes lignes (2). agricoles tupiguaranis.
Les cultures du littoral. La culture matérielle des indigènes de la
période précéramique, la seule qui nous intéresse
Le littoral sud-brésilien est isolé des terres de ici, comporte des objets en pierre taillée de
l'intérieur par un rebord de plateau escarpé, la technique souvent très fruste (chopping-tools,
« Serra do Mar ». La côte elle-même est basse, hachettes), en pierre polie (haches, ornements, et dans
formée par la succession de plages sableuses certaines régions des plats et des bols d'une
avec de grandes baies parsemées d'îles rocheuses. très belle facture), mais l'essentiel se résume
Le voisinage des eaux salées de la haute mer, en poids de filet, broyeurs et enclumes de galet
saumâtres des marigots et douces des rivières à peine travaillés. L'industrie osseuse, parfois
et des lacs dans un milieu de forêt tropicale, abondante, comporte des pointes de trait, des
permit l'installation de groupes qui se aiguilles, des hameçons, des couteaux et des vases
spécialisèrent surtout dans l'exploitation du milieu en os de cétacés.
aquatique : pêche, collecte de mollusque, chasse aux C'est dans ce cadre que se développa la
mammifères et reptiles d'eau, la collecte statuaire très particulière qui fait l'objet de cet
végétale fournissant l'appoint. Dans ces conditions, article. Il s'agit d'objets polis ou bouchardés
la plupart des sites d'occupations sont du type sculptés dans l'os de baleine ou dans une pierre
amas de coquilles, formés essentiellement des locale (diabase ou diorite en général) qui
restes de bivalves marins ; leur taille est souvent représentent divers animaux avec un réalisme inégal.
imposante ; ces « sambaquis », comme on les Dans plus de quatre-vingt pour cent des cas, ces
appelle au Brésil, pouvant atteindre trente figurations sont creusées d'une cavité ventrale
mètres de hauteur. ou latérale, de dimensions variables. Ces zoo-
D'autres sites, ou « campements », et qui morphes sont considérés par les auteurs (3)
paraissent généralement plus récents que la comme un « fossile conducteur » de la culture
plupart des sambaquis, ont une taille plus modeste des sambaquis, encore qu'aucun n'ait jamais été
et montrent une moindre part de la pêche dans trouvé in situ par un archéologue professionnel.
l'alimentation. Leur cavité les fait considérer comme des
mortiers et leur belle facture, inhabituelle dans
On trouve enfin des sites qui semblent avoir l'ensemble industriel, comme des objets céré-
été de simples dépôts ou « caches » de matériel, moniels.
sans qu'aucune trace d'habitation ou de sépulture
y soit décelable, à la différence des gisements
précédents. (1) L'ensemble du problème fait l'objet d'une thèse de
Cette « culture des sambaquis », encore assez Troisième Cycle à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.
mal connue, s'étendit sur plus de mille (2) Voir Emperaire et Laming, Laming-Euiperaire, op. cit.
pour plus de détails.
kilomètres de côte et dura des milliers d'années (les (3) Serrano, op. cit.
210
Fis. 1. — Carte îles sites.

En fait, aucune étude d'ensemble n'a encore permettent pas d'envisager une succession de
été tentée de ces pièces, dont nous avons l'une à l'autre des phases proposées.
répertoriés plus de deux cent vingt exemplaires. Quant à la situation des objets eux-mêmes
dans les sites, elle est inconnue, sauf pour de
La localisation des pièces. trère rares exceptions : il semble certain que
dans deux sambaquis au moins, des zoomorphes
Les zoomorphes ont été trouvés dans vin aient été associés à des sépultures ; dans le cas
nombre très restreint de sites, sambaquis ou des caches, des zoolithes ont été trouvés isolés
caches ; cinq gisements seulement ont livré le ou en groupes, parfois recouverts d'un bloc de
tiers du total, alors que les sambaquis fouillés et pierre.
détruits se comptent par centaines ; certains
auteurs en ont déduit qu'il existait plusieurs Enfin, il faut signaler que quelques-uns ont
« faciès culturels » dans les sambaquis, été déterrés hors de la zone de répartition des
déterminés par l'absence ou la présence de ces pièces sambaquis, le long d'une voie fluviale de Rio
(4). Nous croyons cependant qu'il s'agit plutôt Grande do Sul, et en Uruguay (5).
d'une spécialisation relative des sites ; d'autre (4) Beck, op. cit.
part, même les rares données chronologiques ne (5) Pour l'Uruguay, voir Maruca Sosa, op.
211
Dans l'ensemble, ces pièces se retrouvent donc région méridionale et sont caractéristiques de ce
dans une zone bien délimitée, qui paraît cultu- que l'on pourrait appeler Г « Ecole de Laguna ».
rellement homogène, sans que l'on puisse — Des « Nucléiformes A », galets de basalte à
déterminer ni influence extérieure à l'origine, ni peine modifié par l'Homme pour présenter un
postérité certaine pour cette statuaire. appendice suggestif, et ne possédant pas de
cavité. Toutes ces pièces, souvent très frustes,
Typologie. proviennent de la région de Torres.
Si les zoomorphes se distinguent nettement du — Des « Nucléiformes В », provenant de la
reste de la production industrielle, ils ne forment même région que les précédents, sont des pièces
cependant pas un tout homogène et nous avons encore massives mais qui possèdent une cavité
distingué un certain nombre de types, en ventrale et de rares détails anatomiques (tête
fonction de leur forme, de celle de la cavité et du dégagée de l'ensemble ovale, parfois une incision
traitement thématique. Les catégories les plus marquant le bec).
remarquables ou les plus nombreuses sont :

Fia,. 3. — Nucléiforme « В ». Découvert dans un sambaqui du


littoral de Sao Paulo. Cliché Museu Paulista.
— Des pièces en os, souvent de très belle
facture ont été trouvées dans une aire très restreinte
et représentent des cétacés et des oiseaux. Ils
caractérisent notre « Ecole du Parana » (Join-
ville-Matinhos).

Fig. 4. — Zoomorphe en os de baleine. Cette « tête de chouette »


a été faite dans une vertèbre dont on peut voir un
exemplaire non travaillé à droite. Sambaqui du Parana. Musée
de Joinville.

Fig. 2. — Anthropomorphe. Provenance : île Sao Francisco, Les autres types se retrouvent par contre dans
près de Joinville. Musée de Florianópolis. toute l'aire de répartition des zoolithes :
— Des « Cruciformes » sont le développement
— Des « Platit" ormes », animaux marins des « Nucléiformes В » par adjonction de deux
(poissons plats et raie), dont l'épaisseur n'excède pas saillies latérales interprétées généralement
le neuvième de la longueur (parfois le comme étant des ailes ; les pièces peuvent être
vingtième) ; traités dans un style très particulier, très grossières, ou avoir une tête bien dégagée
ils présentent une grande cavité rase (1/15° à et travaillée. Certaines de ces pièces sont de
l/90e de la longueur de la pièce) creusée sur le véritables doublets l'une de l'autre. Ce type forme
côté gauche. Toutes ces pièces proviennent de la 40 % des zoomorphes.
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— Des « Perchés » : pièces qui montrent une l'os. La disparition du bois avec le temps
différenciation nette entre l'espace réservé à la expliquerait alors également l'absence de figurations
cavité, logée dans un socle élevé, et la dans la plupart des sites.
représentation zoomorphe, toujours très réaliste, qui lui Le choix d'un type particulier de pierre est
est superposée. parfois net. On a recherché des roches porphy-
Les quadrupèdes, peu nombreux, se laissent riques, plus rares que la diorite ou la diabase et
mal répartir en types. On doit mentionner dont les couleurs ajoutent à la beauté des pièces.
l'existence de quatre figurations humaines, dont Les « Platif ormes A » furent toujours faits d'une
trois construites rigoureusement sur le même diabase de grain particulièrement fin, alors que
modèle. les autres pièces des mêmes sites se devaient
La taille des zoolithes varie de sept à soixante- contenter d'une matière moins « noble ». Plus
douze centimètres et leur poids de quarante spectaculaire est l'utilisation d'inclusions
grammes à plus de cinq kilogrammes. naturelles dans les roches utilisées : à Torres, où
des basaltes beiges ont « digéré » des grès
roses, des plaques roses ont subsisté dans la
Le choix de la matière première masse ; un curieux quadrupède fut sculpté dans
un de ces galets beige, et son axe de symétrie est
Nous avons déjà noté que les zoomorphes d'une justement une veine rose bien régulière. Dans le
petite région étaient parfois faits en os de même site fut retrouvée une pièce qui est un
baleine, matière qui se prête mieux à un travail galet non travaillé, mais qui présente deux
fin de sculpture que la pierre ; cette matière a inclusions naturelles de quartz symétriques évoquant
servi à fabriquer de nombreux objets dans des yeux alors que la forme générale rappelle
presque tous les sambaquis. Pourquoi pas aussi à celle des « Nucléiformes A » locaux.
A noter également, la forme et les dimensions
des blocs choisis ; si la majorité des pièces a un
« indice d'encombrement » assez faible, on note
que se détachent quelques pièces de dimensions
très supérieures, sans qu'existent des
intermédiaires ; deux sites voisins, ayant eu
probablement accès aux mêmes sources ont l'un des
pièces de grande taille, l'autre des zoomorphes
presque miniatures. Il y a également des
variations d'un type à l'autre ; tous les « cruciformes »
en croix latine sont nettement plus grands que
ceux dont la forme affecte celle d'une croix
grecque. Les « Platif ormes A », pour leur part,
furent fabriqués dans des plaquettes et non à
partir de galets.
On a aussi cherché à profiter des formes
naturelles dans le cas des zoomorphes d'os ; par
exemple, une tête de chouette fut obtenue à
partir d'une vertèbre caudale de baleine dont les
canaux médullaires servirent à encastrer deux
boules d'os figurant les yeux, sans qu'aucun autre
travail ait été nécessaire.
L'étude de la matière première permet donc
de conclure que les zoomorphes ont bien été
fabriqués sur place (6), et qu'une attention
particulière a été accordée aux couleurs et aux
particularités naturellement évocatrices. D'autre part,
l'utilisation presque exclusive par les indigènes
de roches dures mais qui ne se prêtent pas à
un grand contrôle dans les opérations de taille,
la nécessité de rattrapages difficiles, entraînent
pour nous l'impossibilité d'être trop strict dans
l'évaluation des intervales, des mesures et des
Fig. 5. — Albatros en os de baleine. Il provient du même proportions ; du même coup diminue la valeur
snnibaqui que la chouette figure 4. Musée de Paranaguá. probatoire de résultats fondés sur des
approximations, dans une étude stylistique du type de
sculpter des zoomorphes, hors de Г « Ecole du
Parana » ? Nousl'ignorons, mais nous ne pouvons (6) De nombreux auteurs prétendirent que les habitants des
pas exclure l'hypothèse qu'ait été utilisé le bois, sambaquis, incapables d'une telle virtuosité technique, avaient
acquis ces objets par commerce avec des peuples plus
dont les propriétés sont voisines de celles de avancés.
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celles de A. Leroi-Gourhan ou de Ouy ou de l'emploi de « formes » semi-circulaires (en
Ouy-Parczewska (7). bois ?) pour vérifier l'exactitude des
circonférences. L'importance de l'emploi des formes
La forme ovales permet quant à elle de donner une vie et
un naturel même aux représentations figées. Par
Les habitants des sambaquis avaient autant la contre, il ne nous a pas encore été possible de
notion des volumes géométriques purs (utilisés noter avec certitude la recherche par les artistes
dans la fabrication de diverses pièces de longueurs ou de proportions régulières
d'utilisation inconnue) que celle des figurations. Les (intervalles isométriques de Leroi-Gourhan ou sys-
zoomorphes comprennent des figurations
géométriques à éléments juxtaposés (Cruciformes et
Nucléiformes A), synthétiques (dans un type
non décrit), voire analytique (surtout pour les
Platif ormes et les Perchés). Cependant, si les
cruciformes utilisent une construction
d'ensemble juxtaposée, la tête peut comporter des
éléments enchaînés.

Fig. fi. — Petite coupe d'andésite avec détails animaliers.


Sainbaqui de la région de Joinville. Musée de Joinville.

La majorité des pièces présentent une


symétrie axiale, anatomique ; quand il s'agit de
poissons, chaque extrémité du bloc peut représenter
une tête ; il s'ajoute alors au plan de symétrie
qui passe par le milieu du ventre et du dos,
une symétrie par dédoublement binaire. Un autre Fig. 7. — Cruciforme, face ventrale. Il provient du même
cas est celui d'une pièce organisée non autour sambaqui que les objets figures 4 et 5. Musée de Paranaguá.
de la représentation zoomorphe, mais autour de
la cavité ; les traits figuratifs sont alors limités tèmes construits de Ouy ; certaines pièces
à de petits reliefs et à des incisions réparties pourtant donnent bien l'impression d'avoir été
autour de la coupe centrale, donnant alors une construites sur la base de une ou deux mesures
symétrie rayonnante. On est frappé par le constamment répétées, mais on ne relève pas
nombre de solutions employées isolément, montrant de constante d'une pièce à l'autre, à moins
une très grande liberté d'invention par rapport d'accepter des équivalences très grossières. Nous
aux « canons » dominant. La même impression avons d'ailleurs signalé plus haut la difficulté
se dégage de l'observation du mouvement : nul, d'une telle recherche dans notre cas particulier.
en représentation « figée étalée » dans 90 %
des cas, mais avec des exceptions notables Le traitement des détails est extrêmement
montrant une animation coordonnée. variable d'un type à l'autre ; dans le cas commun
des Cruciformes, ils se limitent à une incision
Quant au cadrage, il varie selon les types pour le bec et à deux yeux évoqués par des
définis par nous : rectangulaire pour les cavités rases bouchardées. Quelques pièces sont
anthropomorphes, cruciforme pour le type qui en a traitées avec plus de naturalisme et les détails
pris le nom, ovale pour les Nucléiformes B, peuvent alors être figurés dans un style régional
circulaire pour les Perchés... Il est remarquable à bien déterminé : telle les stries qui marquent
ce propos que la perfection des cercles et demi- les nageoires des « Platiformes A » de l'Ecole
cercles dans ce dernier type fasse soupçonner de Laguna, ou les events des cétacés de Г « Ecole
du Parana ». De toute façon, la partie qui semble
(7) Op. cil. Nous empruntons la terminologie descriptive à avoir le plus intéressé le sculpteur est la tête ;
M. Leroi-Gourhan. parfois sont notées les narines (par de petites
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perforations coniques), des crêtes sommitales...
une gorge est parfois creusée sous la tête, qui
pourrait représenter la saillie des os de la
mâchoire inférieure (nette chez les sauriens, par
exemple). Mais ces derniers détails, rares bien
que caractéristiques, se retrouvent du nord au
sud de l'aire de dispersion des zoolithes. Le reste
du corps, sauf dans le cas des animaux marins
et terrestre, est totalement négligé : à part la
tête, il semble que seule importait la cavité.
Une question à laquelle nous n'avons toujours
pas trouvé de réponse est de savoir comment se
présentaient les pièces devant le public
préhistorique. Leur finition est souvent aussi poussée
sur la face dorsale que sur la ventrale (qui
contient la cavité). Spontanément, on pose Fig. 9. — « Platiforme » représentant le mâle Geophagus (à
actuellement le zooinorphe cruciforme (la moitié presque droite) et sa femelle (à gauche). La cavité est à peine
des pièces) et bien souvent aussi les autres sur le marquée. Provient de Torres. Musée de Rio de Janeiro.
ventre, ce qui a le double avantage de le mettre
en position anatomique « normale » et de le voir mille kilomètres, non seulement dans le
tenir en équilibre, car il repose alors sur le rebord traitement des ensembles mais dans celui des détails
de la cavité ou sur une surface plane. Mais dans qui nous paraissent à première vue sans intérêt.
ce cas, quel est le sens d'une cavité invisible, Cela n'empêche pas les « Ecoles » régionales
d'un « récipient » renversé ? de se distinguer, à tel point que les pièces de
l'Uruguay nous paraissent plus proches de celles,
très éloignées, du Parana ou de Sao Paulo, que
de leurs voisines de Laguna ou de Torres qui les
en séparent. Et à l'intérieur d'une même
« Ecole », il nous arrive de sentir en regardant
les diverses réalisations d'un thème local, la
copie du chef-d'œuvre par une main plus
malhabile ou négligente.

Les thèmes traités


II nous a semblé intéressant de diviser les
représentations selon le domaine auquel elles
se référaient : marin, aérien et terrestre.
— Domaine marin : 30 pièces (près de 15 %
du total), presque toutes identifiables
immédiatement au niveau du genre, de l'espèce, voire
Fig. 8. — « Zoolithe perché », baleinoptère à sillons de la sous-espèce. Le sexe est parfois reconnais-
jugulaires en grès. Les nageoires ont été cassées. Le lieu d'origine sable. Animaux utiles et dangereux (baleines,
est inconnu. Musée National de Rio de Janeiro. requins, raies), de pêche facile et appréciée
(poissons genre Mugil), à organes électriques faibles
Quant à l'érosion différentielle qui a laissé ses sont aussi représentés et sont les pièces les plus
traces sur les deux faces, elle ne donne que des naturalistes de tous les zoomorphes. La majorité
renseignements difficilement interprétables. Les vient du Sud de Santa Catarina et de Torres pour
Platiformes ont une face latérale creusée qui les poissons et du Nord de Santa Catarina ou du
est également la plus soignée ; de par leur Parana pour les cétacés.
forme, ils concilient seuls l'exposition vers le — Domaine terrestre : les représentations sont
haut, et de la cavité et de la partie la plus agréable très rares (7 % des pièces) et, sauf dans un cas
au regard. Quelques autres pièces possèdent une (tatou), totalement faitaisistes ; ce sont des
gorge non loin d'une des extrémités, qui a pu quadrupèdes sans aucun rapport avec les exemples
servir à retenir un lien ; il n'est pas impensable de la Nature. Ce groupe se distingue par le fait
qu'elles aient pu être exposées au bout d'une que la plupart de ses représentants a été trouvée
corde. Deux oiseaux en os furent retrouvés fixés hors de sambaquis.
à des « bâtons » en os de baleine ; de tels bâtons — Domaine aérien : suivant en cela tous les
ornés, avec ou sans zoomorphes, furent trouvés
associés à des sépultures dans divers sambaquis auteurs, nous avons un moment considéré
de la zone Paraná-Joinville. comme oiseaux toutes les pièces cruciformes, ce
qui donnait au règne aérien plus de quarante
Nos premières études des types de pour cent de représentation ; en fait, nous avons
représentations nous permettent de souligner la certitude pour plusieurs d'entre eux qu'il n'en
l'extraordinaire unité de la culture côtière sur plus de n'est rien, et le reste ne donne prise à aucune
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certitude. D'oiseaux certains, il n'y en a sieurs zoolithes ont une extrémité nettement
finalement que très peu : on remarque surtout un phalliforme et diverses pièces géométriques
albatros (oiseau qui n'arrive jamais vivant sur les d'usage inconnu provenant des mêmes sites ont
côtes du Brésil, mais que les vagues rejettent un aspect non équivoque. Par contre, on ne sait
— très rarement — sur les plages) qui est le chef- trop comment interpréter dans cette perspective
d'œuvre de cet art, deux chouettes et un rapace l'existence de doubles hétérogènes (animaux
difficilement identifiable. (Il y a aussi une différents opposés sur le même support) (8). De
représentation probable de chauve-souris). Toutes toutes façons, ce dernier cas se limite à de rares
espèces fort peu intéressantes économiquement. pièces.
Il est possible qu'il y ait eu une prohibition à Cet aperçu des thèmes montre un réalisme
la reproduction, du moins réaliste, des oiseaux, réservé essentiellement aux animaux marins.
qui semblent liés à certains rites funéraires. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils si peu nombreux ?
L'albatros, connu seulement mort, et les autres Pourquoi n'y a-t-il aucune représentation de
animaux volants détaillés, tous nocturnes, coquillages, ni des animaux terrestres cependant
auraient alors bénéficié d'une clause d'exception ? connus, au lieu de ces caricatures de
Les anthropomorphes : ces quatre pièces quadrupèdes ? Il est certain que les raisons économiques
montrent des caractéristiques absolument semblables, n'expliquent pas à elles seules le choix des
malgré la distance qui les sépare et l'absence de thèmes. Ce choix est certainement déterminé en
« relais » figuratifs. grande partie par l'utilisation projetée.
Un cas particulier est celui des pièces doubles ; L'utilisation des zoomorphes
homogènes, ou hétérogènes. Homogènes, c'est-à-
dire que les deux animaux représentés 1) Les traces : Elles sont peu nombreuses. Les
appartiennent à la même espèce : une sculpture représente pièces sont généralement intactes et les cavités
deux oiseaux copulant, deux autres au moins conservent leurs stries de polissage initial. On

Fig. 10. — « Platiforme » représentant probablement un Archosargus, dont les deux grandes nageoires auraient été
découpées en tronçons qui figureraient les rayures de couleur. Il provient du Sud de Santa Catarina. Musée de Rio de
Janeiro.

des couples de poissons ; dans un des deux cas, peut cependant relever quelques faits isolés :
une opposition de sexe est indiquée (la bosse un des sambaquis les plus riches en objets de
frontale du mâle de Goephagus brasiliensis le cette sorte a livré huit fragments (surtout des
distingue de sa femelle) ; il n'est donc pas
impossible que certains d'entre les zoolithes soient liés
à des préoccupations d'ordre reproductif ; plu- p. (8)10.Ce cas fut signalé en premier par Castro Faria, op. cit.,

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têtes) sur douze zoolithes et sans que les autres trent les sépultures, qui en contenaient
parties aient pu être retrouvées dans le reste du jusqu'à trois. Le manque de précision sur les
site. Ce cas est unique et certainement conditions de découverte jouent leur rôle dans
intentionnel. Des petites boules d'une sorte de résine ont cette impossibilité d'y voir plus clair. Enfin,
été relevées sur deux autres pièces ; nous le problème de l'attachement éventuel du groupe
attendons actuellement le résultat des analyses pour à ces éventuels symboles est posé par la
connaître leur composition exacte. découverte de pièces hors de l'habitat « normal » ;
doit-on voir là le signe d'un commerce, d'un
rapt ou de migrations (l'hypothèse d'une
imitation semblant devoir être exclue) ?
On reste finalement perplexe devant un art
primitif aussi complexe et varié, et dont on ne
sait ni comment il est né ni comment il s'est
terminé. Il faut espérer que les derniers samba-
quis encore épargnés par le vandalisme seront
suffisamment protégés pour nous apporter les
informations qui nous manquent. Bien que le
problème des zoomorphes intéresse plus
particulièrement les archéologues sud-américains, il
nous a semblé que cette présentation aux
préhistoriens français pouvait ne pas manquer
d'à-propos, en des temps où l'on cherche à
confronter les arts primitifs des diverses aires
géographiques, à la recherche des constantes du
comportement et de la vision du monde chez
les Hommes.

BIBLIOGRAPHIE
Fig. 11. — « Platiforme » représentant un Chai'todipterus
faber. Sambaqui du Sud de Santa Oatarina. Collection A. Beck, E. Medeiros Araujo & G. M. Duarte. —
C. Remor.
Sintese do litoral Norte de Santa Catarina. A nais
do Museu de Antropologia da UFSC, n° III, 1970,
2) Les possibilités : L'hypothèse courante est pp. 23-34.
celle d'une utilisation comme mortiers cérémo- O. R. Cabral. — De la rareté des zoolithes plati-
niels ; nous avons déjà souligné que près du f ormes. Bull. Soc. Suisse des Américanistes, n° 34,
cinquième de ces objets était privé de toute 1970, pp. 13-18.
cavité ; les autres n'ont guère qu'une contenance L. de Castro-Faria. — A arte animalista dos
moyenne de dix centilitres ; et les cavités étant Paleoamerindios do litoral do Brasil. Public, du
ventrales, la forme du dos ne permet jamais un Museu Nacionál de Rio de Janeiro, n° 24, 15 p. et
bon équilibre dorsal, à moins de supposer les 22 pi., Rio 1959.
pièces calées dans du sable. De plus un broyage J. Emperaire et A. Laming. — Les sambaquis de la
aurait laissé des traces tant dans la coupe que côte méridionale du Brésil (compagnes de fouilles
sur les points d'appui dorsaux, ce qui n'est 1954-1950). Journal de la Société des Américanistes
jamais le cas. L'hypothèse de mortiers fut de Paris, 1956, pp. 5-163.
propagée par Serrano, qui croyait les zoolithes A. Laming-Emperaire. — Missions archéologiques
brésiliens inspirés des mortiers à narcotique tiahua- françaises au Chili austral et au Brésil méridional.
nacoides ; mais il s'avère certains que les formes Datations de quelques sites par le radiocarbone.
brésiliennes, d'ailleurs très différentes, sont Journal de la Société des Américanistes de Paris, 1968,
antérieures aux formes andines. Il nous semble que pp. 76-99.
le rôle de la cavité ait été purement symbolique ; A. Leroi-Gourhan. — Observations technologiques
elle est parfois remplacée par une simple cupule sur le rythme statuaire, in Echanges et
bouchardée ou polie, qui semble remplir le même Communications, Mélanges Lévi-Strauss, Paris 1970, 1, pp. 658-
office. On reste donc devant une énigme. Il est 676.
d'ailleurs probable qu'à chaque type de pièce il R. Maruca Sosa. — La Naciôn Charrua.
faille attacher une signification particulière. Montevideo, 1957, 318 p.
Quant à voir dans ces objets des « symboles G. Ouy et K. Ouy-Parczewska. — Les origines des
claniques » comme on le fait pour les zoo- règles de l'Art. Annales E.S.C., 1972, n° 6, pp. 1264-
morph.es de Colombie britannique, une telle 1316.
supposition serait gratuite ; la répartition des A. Serrano. — The sambaquis of the Brazilian
types et des représentations dans les différents Coast, in Handbook of South American Indians, I,
sites et les différentes régions ne nous donne 1946, pp. 401-407.
pas encore suffisamment d'éléments. Tout au G. Tiburtius & I. K. Bigarella. — Objetos zoomor-
plus peut-on noter que les zoomorphes fos do litoral de Santa Catarina e Parana. Pesquisas,

peuvent être liés à un individu, comme le 7, 1960, 51 p., dont 13 de fig.
217

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