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SCULPTURE SUR UN ROCHER

J'ai signalé brièvement dans le Bulletin archéologique (|)


une grossière sculpture, située dans les environs immédiats
de Bulla Hegia.
Elle était à l'extrémité orientale d'une colline placée elle-
même à 00O mètres environ à l'est des ruines de la ville antique
dont la sépare une nécropole romaine des deux premiers
siècles. Vers la pointe occidentale de celte éminence, j'ai
découvert plusieurs sépultures puniques dont l'une était un
véritable caveau renfermant un mobilier de 7t pièces.
En pratiquant les soudages pour trouver d'autres sépultures
de la même époque, j'ai découvert au milieu d'un impénétrab o
fourré de faux jujub:ers lo document dont il va être question.
C'était un rocher isolé, à la face supérieure un peu arrondie,
mesurant l,aSû de hauteur sur i mètres de longueur et environ
1 mètre d'épaisseur. Il était entièrement brut, à l'exception do
l'une de ses faces, tournée vers l'est et présentant une niche
dans laquelle apparaissait un buste, un peu plus grand que do
nature, exécuté ou ne peut plus sommairement. La tète est
ronde, et des trous également circulaires, ou ovales indiquent
les yeux et la bouche. I.e cou est presque cylindrique et les
épaules représentées par deux lignes légèrement courbes. Il
est possible que les oreilles aient été indiquées, mais l'état de
la pierre ne permet pas de l'affirmer. *
Il est facile, en examinant la surface du monument, de se
rendre compte quo cette sculpture a été obtenue avec un
instrument à pointe mousse. On a ainsi fait sauter des éclats
irréguliers et c'est en répétant cette opération un nombre de
fois plus ou moins grand qu'on a pu obtenir une certaine
profondeur.
J'ai fouillé tout autour de ce rocher pour voir s'il n'y avait
point quelque tombe ou les restes d'un sanctuaire en plein air,
comme ceux que les indigènes consacraient, primitivement, a

(I) Bull, arcfi., Wrt. Rapport $ur U$ fouille* faite* à Bulla Reaia
en 1*90, p. 75.
2 SCULPTCRESCR UN ROCHERDE BLLI.-VREÇU

Jeu's divinités; je n'ai absolument rien trouvé. Mais, a quelques


mètres de là, au pied de la colline, j'ai rencontré une stèle
évidemment votive, portant l'emblème triangulaire dit de
Tanit. Il est donc probable que cette colline a porté quelquo
champ d'ex-votos plantés en terre au milieu desquets était
placée la sculplure.
On doit considérer comme une indication continuant cette
manière de voir le fait que celle grossière ligure regardait
a t'est.
J'ai montre que le temple de Saturne, à Dougga, qui avait
été précédé par un primitif sanctuaire de Ila.il, était aussi
tourné de ce côté et que pour lui donner cette orientation, il
avait fallu entailler la montagne à grands frais.
Eulin, dans le voisinage immédiat de la colline qui portait
la sculpture, on trouve les vestiges de nombreuses lombes
mégalithiques dont les dalles ont presque toutes été brisées à
ras du sol, probablement lors de l'occupation romaine, pour
servir de matériaux de construction.
Il est donc certain qu'à une époque reculée les habitants do
Huila Itcgia avaient élevé en ce point «les monuments, funé-
raires et autres, pour lesquels ils avaient une vénération
particulière.
Mais ce qui me paiait mériter surtout l'attention c'est la
situation de cette sculplure sur une surface rocheuse et les
détails d'exécution qu'elle présente,
J\l!o est bien, en ellel, sur un rocher dont les dimensions
sont à vrai dire restreintes, maisauquel on a intentionnellement
laissé sa forme primitive, à l'exception de la face qui porte une
représentation humaine.
Je serais presque tenté de donner le nom de rupestreàeette
dernière, si ce nom n'était pas, et» général, réservé a des
monuments ayant un caractère bien spécial. Néanmoins,
jusqu'à un certain point, et mémo eu tenant compte de cette
signification, ce qualificatif ne serait pas ici complètement
déplacé, car le bas-relief présenlo une autre ressemblance avec
les dessins des rochers du Sous, du Fezxan, du .Sud-Oranais,
de l'Oued Itcl, etc. C'est la manière dont il a été obtenu par
des coups donnés avec une pointe peu aiguë et qui enlevait
des éclats irréguliers de pierre.
Je dois ajouter que la se borne l'analogie, car si, sur les
rupestres proprement dits, l'instrument a agi en surface
SCL'I.ITL'RE SIR f.N ROCHERDE BfLCA «VEGIA 3

seulement, ici le sculpteur a dïi revenir à plusieurs reprises


sur un même endroit pour obtenir non une simple ligne, mais
des creux assez prononcés.
Cette différence s'explique d'ailleurs, mais par des caractères
dont l'origine doit être cherchée ailleurs. Ix> relief accentué,
l'exécution sommaire de cette figure et jusqu'à la niche où
elle se trouve rappellent d'une manière assez frappante ces
nombreux monuments, d'époque romaine roui* la plupart,
mais que l'on considère comme dus â une inspiration toule
sporadîque, comme la manifestation rudlmentaire de ce qu'on
a convenu d'appeler I* « art indigène *.
Sur les stèles funéraires, si abondantes dans la région, qui
offrent ces caractères, on voit eu effet souvent le buste d'un
personnage à l'attitude rigide dont les vêlements sont indiqués
par quelques (rails dont la tète, les yeux et la bouche sont
plus ou moins circulaires, le tout encadré par une niche ou
parle portique d'un temple proslyle.
Ces analogies m'avaient tellement frappé qu'a un premier
examen j'avais pensé être en présence de l'ébauche d'un
Monument de ce genre. Mais outre qu'on n'a pas trouvé, à
Bulla Hegia mémo, de stèles ducs à l'ail indigène, il est évident
qu'on devait (ailler celles et, leur donner la forme prismatique
ou conique qu'elles ont toujours avant d'y graver les sculptures.
De plus, le procédé employé peur y obtenir les représentations
est moins sommaire. D'un calé on s'est servi d'un poinçon ou
d'un burin à points assez fine, les traits sont continus et
forment des lignes, de l'autre c»»tc au contraire on s'est borné
à enlever avec un instrument grossier une certaine quantité
d'éclats plus ou moins gros.
la tête de Huila llegia est encore susceptible d'un autre
rapprochement. Il existe toule une série de sculptures afri-
caines remarquables, comme celle-ci, par leur exécution 1res
sommaire. Telles sont une idole du musée de Cherchell (I)
dont la (été est tout a fait comparable à celle-ci et une autre
figure analogue, mais plus fruste, du musée d'Alger (-2).
Les hétyles surtout, que l'on a trouvés à Carlhage, ressem-
blent beaucoup â la figure de Bulla Itegia (3). Le P. Delaltre

(I) Gauckter. Musée de derefitll, p».II. a' 3. p. St.


(î) Doublet. Mutéed.llger, pi IV, n«C, p. «.
(3) Mtm. de» antîq., 1804 Delaltre. La nécropole punique de Oouï-
mit, p. 287. Gauckter. Musée Alaoui. pi. Xf, n* I.
4 SCLXI'TCRKSt'R VS ROCHERDE DL'tXA REGIA.

croit que la forme ronde de celte figure indique qu'on a voulu


représenter Tanit. Tissot a fait la même réilexion à propos
d'une représentation rupeslre qui se trouve sur la rive
septentrionale du choit Djerid(l) et qui doit également être
rapprochée de celle-ci.
Mais le monument qui me parait avoir le plus de ressem-
blance sinon par c<iforme extérieure, du moins par la manière
dont les détails du visage ont été indiqués, est celui que
M. de la Marlinicre a trouvé dans les ruines de Lixus (2).
Les Irous circulaires qui représentent les yeux et la bouche
sont tout à fait les mêmes des deux côtés.
I«a sculpture de Bulla Itcgia offre donc des caractères qui
tiennent à la fois des sculptures mpestres, des slèles, portant
ou non des caractères libyques ou romains, dues à l'art
indigène, et de certaines sculptures grossières paraissant avoir
représenté des divinités africaines.
Sa situation près de nécropoles mégalithiques cl puniques,
s'accorde bien, d'ailleurs, avec ces caractère*. Et si les
rapprochements faits par le I». Delaltre et Tissot sont exacts,
quoiqu'on n'ait pas ici trouve de croissant surmontant la
représentation, on peut croire qu'on se trouve en présence de
l'image grossière de l'une de ces divinités.
De la Blanchère, â qui j'avais montré ce monument, avait
compris tout l'intérêt qu'il présentait, car il prescrivit immé-
diatement au chef de chantier qu'il avait mis à ma disposition
pour les fouilles que je dirigeais, d'en faire un moulage.
Cette opération n'ayant pas réussi, il lit briser le rocher et en
détacher une dalle portant la sculplure, qui se trouve
actuellement en deux fragments, dans un magasin du Musée
du Bardo.
Ce document mériterait, à mon avis, de sortir du coin où il
a été relégué et d'êlre placé près des slèle3 cl des bas-reliefs
libyques qui ornent l'escalier du Musée, tt dont il se rapproche
par plus d'un trail.
Docteur CARTON', )
MfJtLtnmtliiatri.l

"i vir .-
(I) Tissot. Géogr, comp. de l'Af. rom; I. p. 19), fi?. W.
fi) De te Marilotére. Bull, ar-ltéol. ISOJ. Reclterdiet iur l'empla-
cement de ta tille de Lirus. p. lit.

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