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Revue des Études Anciennes

XLV. A la Gayolle
Camille Jullian

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Jullian Camille. XLV. A la Gayolle. In: Revue des Études Anciennes. Tome 12, 1910, n°1. pp. 16-20;

doi : https://doi.org/10.3406/rea.1910.1608

https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1910_num_12_1_1608

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NOTES GALLO-ROMAINES

XLV

A LA GAYOLLE

J'ai eu l'occasion, en octobre 1908, d'aller à La Gayolle ; cette


même année, j'ai consacre quelques leçons, au Collège de
France, au célèbre sarcophage qu'y découvrit Peiresc et dont
les sculptures sont aujourd'hui conservées au Petit Séminaire
de Brignoles1. Je me permets de résumer en quelques lignes
ce que j'ai essayé de prouver au sujet de ce monument, la
plus célèbre des ruines du christianisme primitif3.
1. Contrairement à l'opinion courante3, il n'offre aucun
emprunt à des pensées païennes. Toutes ces figures peuvent
être ramenées à des allégories ou à des croyances chrétiennes.
2. A gauche, le soleil, quelle que soit la signification qu'on
lui donne, n'est là ni comme ornement, ni comme survivance
mythologique, ni comme emblème mithriaque. J'incline à y
voir la représentation symbolique de « la face de Dieu » 4,
éclairant les scènes qui suivent.
3. Le pêcheur qui amène le poisson peut être la traduction
en image du salut des âmes5.
4· L'ancre, les brebis, les arbres où sont posés des oiseaux,

1. Cf. p> 30, η. s. — En dernier lieu, Espérandieu, n° ko, 1. 1. Je n'ai pas besoin
de dire que l'inscription, du yi" siècle, a été ajoutée bien après coup,
a. « Monument unique, » Le Blant, p. 157.
3. « La sculpture offre un curieux mélange de sujets païens et chrétiens »
(Espérandieu). « Singulier mélange des images chrétiennes et païennes » (Le Blant). Gar-
rucci, Storia, V, p. io5, inclinait davantage dans le même sens que nous.
4. A propos du Christ, resplenduit faciès ejus sicut sol (Mathieu, 17, 2). — On peut
aussi penser aux justes, qui fixlgebunt sicul sol in regno Patris eorum (Mathieu, i3, 43)*
— Bien entendu, il faut, pour commenter ce monument, chercher dans les plus
anciens textes chrétiens.
5. Piscatores hominum (Mathieu, U, 19).
NOTES GALLO-ROMAINES
l'orante, sont des figures
fréquentes sur tous les
sarcophages chrétiens.
5. Le personnage assis,
tenant un bâton, parlant
à un enfant, est l'image
du Christ en fonction de
pédagogue * .
6. Le « bon pasteur »
avec la brebis sur l'épaule,
ne doit pas être étudié à
part : il faut le rapprocher
du personnage assis,
tenant à la main le bâton
de commandement Ce
personnage, c'est, je
crois, Dieu en fonction
de chef de maison ou de
père de famille2, et le
bon pasteur, qui est le
Christ, lui apporte la
brebis sauvée3.
7. Toutes ces
représentations doivent être
rapprochées l'une de
l'autre. Elles raóontent la vie
de l'âme chrétienne,
convertie, sauvée, priant,
instruite, amenée à son
Dieu. Et, comme cadre
de ce récit, les arbres du
jardin céleste.
8. Cet effort pour faire
tableau, la sobriété du

i. Lex psedagogas nosterfuit in Christo (Paul, Ad Galatas, 3, 2


a. Cf. erat paterfamilias (Mathieu, ao, 33), etc.
3. Ego sum pastor bonus... et agnosco Patrem (Jean, 10, i4-i5).
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bas-relief, le style des figures, certains détails des moulures,
nous ramènent, semble-t-il, à la seconde moitié du second
siècle, au plus tard.
9. L'influence de l'art grec paraît visible.
10. Ce monument révèle un effort sérieux et délicat pour
accommoder à la traduction de pensées chrétiennes les figures
et les scènes consacrées de l'art hellénistique.
n. Effort semblable à celui que nous trouvons dans la
littérature chrétienne de ce temps, et notamment dans. certaines
apologies ' .
12. Mais il y avait un grand danger à figurer ainsi par des
scènes complètes les croyances chrétiennes (par exemple Dieu
sous forme d'un père de famille). C'était que, par cette voie
détournée de l'allégorie, l'anthropomorphisme ne reparût dans
le culte chrétien. Car on pouvait être atnené, après avoir
symbolisé Dieu en père de famille, à le figurer ainsi d'une manière
permanente, et, le sens allégorique disparaissant, il ne restait
plus que l'image, c'est-à-dire déjà l'idole. On dut voir le
danger. Et c'est sans doute pour cela que les représentations
du genre de celle-ci ont disparu.
13. Il est probable, mais non certain, que ce sarcophage a
été, dès son origine, destiné à un habitant de La Gayolle, et
qu'il a été découvert là où il a toujours servi.
i4- Dans ce cas, La Gayolle aurait été, dès le second siècle,
un centre chrétien. Et cela n'a rien que de très naturel. Nous
sommes ici sur la grande route d'Italie en Gaule, et près du
point (Tourves) où un grand chemin se détache vers Marseille.
Tourves a toujours été comme une succursale archéologique
de Marseille3. Or, comme, dès le second siècle, il y a des
chrétiens à Marseille, rien n'empêche que La Gayolle n'ait eu
aussi les siens.

1. Renan, L'Église Chrétienne, p. 364 et s., Marc-Aurèïe, p. 102 et s.; etc.


2. Voyez l'énorme trésor de monnaies marseillaises trouvé à Tourves (Revue
numismatique, iç)o3, p. iG4; Blanchet, n° 247). Cf. Hist, de la Gaule, I, p. 4og. —
Précisément, ce chemin, de Tourves à Marseille, par le bas-fond que domine la Sainte-
Baume et par la vallée de l'Huveaune, par Saint -Zacharie, Auriol, Roquevaire, le
vallon de Garguier, Aubagne, Saint- Marcel, est plein tout à la fois de vestiges
marseillais (trésor d'Auriol, etc.) et de sculptures ou inscriptions chrétiennes des
plus anciens temps.
NOTES GALLO-ROMAINES I9
1 5. Mais il faudrait bien se garder- de parler, à propos de
La Gayolle, d'une communauté chrétienne. Il n'y a jamais eu
de ville ou de village à La Gayolle. Le pays ne s'y prête pas.
C'est un
vallon de
culture,
bien
arrosé, avec
arbres,
vignes et
prairies,
mais peu
étendu,
fermé par
des
montagnes
âpres et nues. Il n'a pu y avoir là que ce que nous y
trouvons aujourd'hui encore, une exploitation rurale, un grand
domaine1.
16· Ce sarcophage, de marbre, très bien travaillé, ne peut
être que la tombe d'un homme riche. On peut donc supposer
que c'est celui du propriétaire de ce domaine, chrétien
hellénisant, et peut-être d'origine marseillaise.
17. Et il faut tenir compte, lorsqu'on étudie le christianisme
primitif, de ces domaines de grands seigneurs convertis, au
même titre que des communautés populaires dans les grandes
villes.

J'ajoute que mon ami Clerc et moi nous avons étudié avec
soin les ruines de La Gayolle, où il a bien voulu me suivre.

1. Notre maître, l'abbé Albanès, qui a^eu le mérite de retrouver le monument


de La Gayolle, oublié depuis Peiresc, a étudié les possesseurs de ce domaine au
v* ou vi' siècle, dans une brochure d'une extrême rareté (Deux inscriptions métriques
trouvées à La Gayole, Marseille, 1886, in-8·). — Le vieux prieuré de La Gayolle n'a pu
être qu'un de ces oratoria établis par les grands seigneurs sut leurs domaines
(cf. Fustel de Coulanges, La Monarchie franque, p. 618-9). — ^a maison seigneuriale
a dû être près de là, là où se trouve aujourd'hui encore le château de l'endroit,
Saint- Julien. La présence, sur ce terroir, d'une source abondante, nie fait également
supposer la possibilité de trouvailles païennes.
20 REVUE DES ETUDES ANCIENNES
Tous les abords et les murs du vieux prieuré sont pleins de
débris, qui s'échelonnent du m" au xine siècle. Nulle part en
Gaule, nous ne trouverons un pareil champ de fouilles, où il
sera possible de résoudre quelques-uns des problèmes de
l'archéologie chrétienne. Et fouiller, sur ce sol meuble, souvent
à fleur de terre, cela ne coûterait presque rien l .
Camille J ULLI AN.

M. Radet a reçu la lettre suivante :


«Septèmes, banlieue de Marseille, a 5 décembre 1909.
» ...Sur la demande de M. C. Jullian je vous fais parvenir le cliché qui
reproduit un fragment de buste trouvé à La Gayolle, près Brignoles,
Provence, en faisant quelques petites fouilles.
» Ce marbre était au-devant même du fameux tombeau dont la face
antérieure a été décrite par E. Le Blant. C'est
en creusant dans la terre que la pioche l'a heurté.
La cuve du sarcophage si précieux, attribué
par Le Blant à la fin du 11e siècle, est encore en
place au fond du bras gauche de la chapelle de
La Gayolle2. La nature de ce marbre que j'ai fait
analyser est du type de Paros 3 ou de Carrare. Le
grain est luisant, transparent, effervescent. A
le polir on lui donne un aspect très artistique.
» La composition du marbre qui a servi au
bas-relief dont j'apporte la représentation est
exactement la même. Même épaisseur aussi.
» Ce morceau de sculpture mesure om55 de
haut. Le personnage est drapé. Il tient la main
sur la poitrine. En le sortant de terre, à côté même du tombeau, dans
ladite chapelle, il n'a reçu aucun coup, ni fracture. Sa forme, sa
couleur, son aspect nous ont impressionné, mais sa mutilation de longue
date, sans doute, nous a donné surtout des regrets. Espérons que
dans de prochaines fouilles en ce lieu vénérable par ses antiquités de
tous ordres, nous aurons un complément satisfaisant de profitables
découvertes... „ Abbé M CHAILLAN. »

1. J'apprends à l'instant même que des fouilles se font à La Gayolle et qu'elles


donnent des résultats : voir la lettre qui suit. Voir encore p. 90.
a. [On sait en effet que la partie sculptée de la tombe a été enlevée et transportée
jadis à la Bibliothèque du Petit Séminaire de Brignoles. Il serait vraiment désirable
qu'on restaurât le célèbre monument.]
3. [Gela est à noter pour confirmer l'origine hellénistique des figurations.]

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