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Yiannis Panidis
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RÉSUMÉ
Dans le septième livre des Politiques, Aristote défend la thèse selon
ABSTRACT
In the seventh Book of The Politics, Aristotle claims that the practice
of abortion must be forbidden when the embryo acquires sensation and
life because, in this case, it constitutes an impious act. My aim in the
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σθαι καὶ ζωὴν ἐμποιεῖσθαι δεῖ τὴν ἄμβλωσιν· τὸ γὰρ ὅσιον καὶ τὸ μὴ
διωρισμένον τῇ αἰσθήσει καὶ τῷ ζῆν ἔσται [Il faut, dès lors, qu’une limite
numérique à la procréation soit fixée, et si des couples conçoivent, transgres-
sant ainsi cette limite, il faut pratiquer l’avortement avant que <l’embryon>
n’acquière sensation et vie ; la sensation et la vie <de l’embryon> déterminent
le moment à partir duquel l’acte d’avorter est à considérer comme un acte
impie ou non (notre traduction)].
4 Pour de plus amples précisions concernant la fonctionnalité démogra-
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the Politics of Aristotle, Chapel Hill and London, The University of North
Caroline Press, 1998, p. 246-7 ; J. Chuska, Aristotle’s Best Regime : A Reading
of Aristotle’s Politics VII.1-10, Maryland, University Press of America, 2000,
p. 77-9 et p. 347, n. 25 ; R.G. Mulgan, Aristotle’s Political Theory. An Intro-
duction for Students of Political Theory, Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 92 ;
Id., « Was Aristotle an “Aristotelian Social Democrat ?” », Ethics, 111/1,
2000, p. 94 ; G.E.R. Lloyd, Aristotle : The Growth and Structure of his
Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1968, p. 259 ; J. Lombard,
J.M. Oppenheimer, « When sense and life begin : background for a remark in
Aristotle’s Politics (1335b24) », Arethusa, 8/2, Fall 1975, p. 331 ; M.P. Gol-
ding et N.H. Golding, « Population policy in Plato and Aristotle : Some value
issues », Arethusa, 8/2, Fall 1975, p. 355-6 ; G.N. Viljoen, « Plato and Aristotle
on the exposure of infants at Athens », Acta Classica, 2, 1959, p. 69 ; L. Edel-
stein, « The Hippocratic Oath : text, translation and interpretation », dans
O. Temkin et C.L. Temkin (éd.), Ancient Medicine. Selected Papers of Ludwig
Edelstein, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1967, p. 18 ; Hippo-
crate, L’art de la médecine, Présentation, traduction, chronologie, bibliogra-
phie et notes par Jacques Jouanna et Caroline Magdelaine, Paris, GF Flamma-
rion, 1999, p. 247, n. 3 ; Μ.-Τ. Fontanille, Avortement et contraception dans
la médecine gréco-romaine, Paris, Laboratoires Searle, 1977, p. 44-5 ;
J.M. Riddle, Contraception and Abortion from the Ancient World to Renais-
sance, Cambridge, Harvard University Press, 1992, p. 18 ; Ph. Caspar, Penser
l’embryon : d’Hippocrate à nos jours, Tournai, Editions Universitaires, 1991,
p. 23 ; R.C. Bernard, E. Deleury, F. Dion et P. Gaudette, « Le statut de l’em-
bryon humain dans l’Antiquité gréco-romaine », Laval théologique et philoso-
phique, 45/2, 1989, p. 186-7 ; L. Kourkouta, M. Lavdaniti et S. Zyga, « Views
of ancient people on abortion », Health Science Journal, 7/1, 2013, p. 117 ;
P. Carrick, Medical Ethics in the Ancient World, Dordrecht / Boston / Lancas-
ter, D. Reidel Publishing Company, 1985, p. 115, 117-8 et 124-5 ; N. Demand,
Birth, Death and Motherhood in Classical Greece, Baltimore and London,
The Johns Hopkins University Press, 1994, p. 203, n. 57 ; V. den Boer, Pri-
vate Morality in Greece and Rome : Some Historical Aspects, Leiden, Brill,
1979, p. 272.
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Selon Aristote, les conditions sine qua non pour qu’il y ait concep-
tion sont l’émission du sperme mâle durant la copulation et l’excrétion
des menstrues de la femme (GA II 4, 739a26-28). Dans un premier
temps, le sperme mâle sécrété se situe au niveau du col de l’utérus (II
4, 739a35-37). Si les conditions requises sont réunies, alors la semence
est retenue dans l’utérus, ce qui donne lieu à la conception (II 4,
739b9-14). Le processus en question s’accomplit dans les sept pre-
ment synonymes, pour autant subsiste une différence en quelque sorte technique,
à savoir que le terme « κύημα » désigne plutôt le produit constitué durant les
premiers stades de la conception tandis que celui de « ἔμβρυον » plutôt le fœtus
déjà mobile, cf. P.-M. Morel, « Aristote contre Démocrite, sur l’embryon », dans
L. Brisson, M.-H. Congourdeau et J.-L. Solère (éd.), L’embryon : Formation et
animation. Antiquité grecque et latine, traditions hébraïque, chrétienne et isla-
mique, Paris, Vrin, 2008, p. 44, n. 5. A contrario, dans la langue médicale
contemporaine, le terme d’embryon désigne le produit de la fécondation jusqu’à
la fin du 2e mois de la grossesse, tandis que le terme de fœtus le désigne à partir
du 3e mois. Pour éviter tout malentendu sémantique, précisions que nous ferons
tout le long de ce texte usage de la terminologie aristotélicienne, traduisant dès
lors le terme « κύημα » par fœtus et le terme « ἔμβρυον » par embryon.
12 Cf. GA I 20, 729a9-11 ; I 22, 730a24-730b2 ; IV 1, 765b10-15. À titre
gie dans la Génération des Animaux d’Aristote », Revues des Études Grecques,
93 (fasc. 440-441), 1980, p. 61-2.
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sperme mâle s’unit avec les menstrues, donnant lieu à un fœtus, sont
transmis à ce dernier à la fois la faculté nutritive de l’âme (θρεπτικόν)
à travers les menstrues et la faculté sensitive de l’âme (αἰσθητικόν) à
travers le sperme mâle14. En se penchant d’un peu plus près sur le rôle
actif (ποιοῦν) et créatif (δημιουργοῦν)15 qu’Aristote attribue au
sperme mâle, celui-là même qui transmet au fœtus le principe de l’âme
(τὴν τῆς ψυχῆς ἀρχήν, II 3, 737a29-30) et l’eidos, nous pouvons sou-
tenir sans grand risque que le sperme mâle, outre l’âme sensitive, est
ce qui transmet également cette partie de l’âme constitutive de l’eidos
child », dans J.E. Grubbs, T. Parkin et R. Bell (éd.), The Oxford Handbook of
Childhood and Education in the Classical World, Oxford, Oxford University
Press, 2013, p. 19.
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ce qu’il nomme τὸ ζῆν20. Ceci étant, la vie est une notion qui, pour le
Stagirite, s’entend de plusieurs manières : πλεοναχῶς δὲ τοῦ ζῆν
λεγομένου (DA ΙI 2, 413a21). Quelle signification du ζῆν devrions-
nous retenir à l’occasion de l’actualisation de l’âme nutritive ? Tou-
jours d’après le philosophe, l’âme nutritive est la seule âme dont dis-
posent les plantes21 et dont la présence leur permet d’appartenir à la
catégorie des organismes vivants (τὰ ζῶντα)22. À cet égard, elles par-
et 741a24-26.
22 Cf. GA III 7, 757b16-18. Cf. sur ce point, P. Pellegrin, « Le De Anima et
ticipent au ζῆν23, sans pour autant être considérées comme des ani-
maux (ζῷα), car elles sont dépourvues de l’âme sensitive. Nous
serions alors enclin à penser que la vie dont il est ici question renvoie à
la vie végétale. En est-il de même dans le cas du fœtus humain ? L’ac-
quisition de l’âme nutritive chez le fœtus humain signifie-t-elle que
celui-ci vit la vie d’une plante ?
Certainement pas24. Quand bien même le fœtus humain et la plante
ont en commun l’âme nutritive, le statut de la vie d’un fœtus humain
ne se réduit pas au statut de la vie d’une plante. En effet, malgré le fait
considérant que « in the earlier weeks, the embryo ‘lives the life of a plant’ ».
25 Cf. GA V 1, 779a1-2 et II 3, 736b12-13. Cf. aussi, G. Aubry, « La doc-
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du fœtus et qui, au stade suivant, donnera lieu à une vie, tout aussi tran-
sitoire, préalable à la vie accomplie, soit la vie humaine. Compte tenu
du fait qu’à ce stade la seule partie de l’âme qui est actualisée est l’âme
nutritive, nous proposons, empruntant le terme employé par Aristote
dans l’Éthique à Nicomaque (I 6, 1097b33-1098a3), de qualifier la vie
du fœtus humain de vie nutritive (θρεπτικὴ ζωή), évitant ainsi tout
malentendu possible avec la vie végétale. Cette vie transitoire s’avère
nécessaire afin que le passage du fœtus à l’embryon soit assuré, c’est-
à-dire du passage d’un animal en puissance inachevé (δυνάμει ἀτελὲς
ζῷον) à un animal en puissance achevé (δυνάμει τέλειον ζῷον).
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ἐπὶ τὸ πολὺ), est de quarante jours si la femme est enceinte d’un gar-
çon et de quatre-vingt-dix jours si elle est enceinte d’une fille (HA VII
3, 583b3-5)29. Dès lors, en matière d’attribution temporelle, la formu-
lation aristotélicienne πρὶν αἴσθησιν ἐγγενέσθαι καὶ ζωὴν ἐμποιεῖ-
σθαι δεῖ τὴν ἄμβλωσιν serait à entendre comme suit : l’avortement
doit avoir lieu durant les quarante premiers jours s’il s’agit d’un garçon
et quatre-vingt-dix premiers jours s’il s’agit d’une fille30.
Qu’est-ce à dire pour un embryon humain que d’acquérir la sensa-
tion ? Dans De la génération des animaux, Aristote pose de manière
καὶ τότε πρῶτόν ἐστι ζῷον ὅταν αἴσθησις γένηται πρῶτον [mais s’il est
nécessaire que l’animal possède la sensation, c’est-à-dire qu’il commence
d’être animal aussitôt que la sensation commence d’apparaître (trad. Lefeb-
vre)]; cf. aussi I 23, 731b4 ; II 2, 736a30-31 ; III 7, 757b15-16 ; PA II 8,
653b22-24 ; III 4, 666a34 ; IV 5, 678b2-4.
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est donc de retenir que la sensation est ce qui marque pour un orga-
nisme le passage de l’état de ζῆν à celui de ζῷον (DA II 2, 413b1-2) et
donc le passage d’un statut à un autre. De surcroît, d’après ce que le
philosophe évoque dans le neuvième livre de l’Éthique à Nicomaque
(IX 9, 1170a16-17), la présence de la sensation dans un organisme
n’est pas seulement la condition permettant de définir un animal, mais
également celle permettant de définir la vie animale, tandis que la pré-
sence dans un organisme de la sensation et l’intellect sont les condi-
tions pour définir la vie humaine : τὸ δὲ ζῆν ὁρίζονται τοῖς ζῴοις
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l’avortement non pas au fait que l’embryon vit mais au fait qu’il dispose en
puissance de l’intellect, il aurait alors certainement pu formuler les choses
ainsi : πρὶν αἴσθησιν ἐγγενέσθαι καὶ νόησιν ἐμποιεῖσθαι δεῖ τὴν
ἄμβλωσιν. Or, à deux reprises, lignes 1335b24 et b26, il fait le choix d’utiliser
les termes « ζωὴν » et « ζῆν » et non pas ceux de « νόησιν » ou « νοεῖν », un
choix sémantique qui peut difficilement être considéré comme fortuit.
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acte39 quant à son γένος mais un être humain en puissance quant à son
εἶδος40. Pour le dire autrement, il s’agit d’un embryon humain en acte
et par voie de conséquence d’un être humain en puissance41. C’est sur
ce point que se situe sa différence substantielle d’avec tout autre
embryon animal et qui ne nous autorise pas à identifier l’embryon
humain à l’embryon animal.
38 Pour rappel, Aristote (GA V 1, 778b5-7) postule que la genèse est subor-
pour Aristote, l’embryon est non seulement un animal mais aussi un être
humain en-puissance ».
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« For the gradualists, as Aristotle, human life starts at a certain point during the
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course of pregnancy, when the fetal parts are formed and movements percep-
tible » (c’est nous qui soulignons).
44 Cf. R.H. Feen, « Abortion... », art. cit., p. 294.
45 Cf. R. Kraut, op. cit., p. 155-6 ; M.-H. Congourdeau, L’embryon..., op.
cit., p. 307-8 ; Α. Cameron, « The exposure of children and Greek ethics », The
Classical Review, 46/3, 1932, p. 109 ; L.R. Angeletti, « Le concept de vie dans
la Grèce ancienne et le serment d’Hippocrate », Revue Philosophique de Lou-
vain, 90, 1992, p. 168 ; J. Tricot, La Politique, Paris, Vrin, 1970, p. 542, n. 2 ;
E. Littré, Œuvres complètes d’Hippocrate, T. VIII, Paris, J.B. Baillière, 1853,
p. 526-7 ; P. Brulé, « Infanticide et abandon d’enfants : Pratiques grecques et
comparaisons anthropologiques », dans La Grèce d’à côté. Réel et imaginaire
en miroir en Grèce antique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007,
p. 39 ; J. Lombard, Éthique médicale et philosophie. L’apport de l’Antiquité,
Paris, L’Harmattan, 2009, p. 49-50 ; D. Lipourlis, Ιπποκράτης. Ιατρική
δεοντολογία, νοσολογία, Ζètros, Thessaloniki, 2001, p. 62-3, n. 17.
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qu’il prône constitue une interdiction morale telle que nous l’enten-
dons. Ceci étant posé, quelle lecture pourrions-nous proposer, si nous
tenons à nous écarter d’un tel anachronisme conceptuel ?
C’est dans la phrase suivante de l’extrait des Politiques (VII 16,
1335b25-26) examiné jusqu’à présent que nous avons pu dégager des
éléments de réponse, celle-là même où Aristote affirme de manière
catégorique que ce sont la sensation et la vie qui détermineront le
caractère impie ou pas de l’avortement : τὸ γὰρ ὅσιον καὶ τὸ μὴ
διωρισμένον τῇ αἰσθήσει καὶ τῷ ζῆν ἔσται47. Sur un mode tout
secunda editio, Graz, 1955, 532b31-2), il s’agit dans l’extrait en question des
Politiques de τὸ ὅσιον καὶ τὸ μὴ περὶ τὴν ἄμβλωσιν. On retrouve sous la
plume des traducteurs des Politiques d’Aristote plusieurs traductions des
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actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Paris, Picard, 1992, p. 30-6 ;
Gh. Jay-Robert, Le sacré et la loi. Essai sur la notion d’hosion d’Homère à
Aristote, Paris, Kimé, 2009, en part. p. 65-74, 96-9 et 109-132 ; J. Blok,
« Hosiē and athenian law from Solon to Lykourgos », dans V. Azoulay et
P. Ismard (dir.), Clisthène et Lycurgue d’Athènes. Autour du politique dans la
cité classique, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 234-9 ; K.J. Dover,
Greek Popular Morality in the Time of Plato and Aristotle, Indianapolis /
Cambridge, Hackett Publishing Company, 1994, p. 246-54.
50 La corrélation juste / justice avec non impie / piété est notable dans la
majorité des sources pré-citées ou citées plus-bas. Cf. aussi sur ce point Platon,
Euthyphron 11e-13a ; Apologie de Socrate 32d ; Lois II 663d ; Commentaire
sur Ploutos d’Aristophane, 415.9 ; Jean Stobée, Anthologie, 2.7.25.34-35.
51 Cf. Platon, Gorgias 507a-b ; Elias, Commentaire de l’Isagoge de Por-
phyre, 18.12-14 ; Jamblique, Protreptique, 89.6-9. Il est à noter que dans la lit-
térature grecque, outre les termes ὅσιον et ὁσιότητα, deux autres termes sont
utilisés pour qualifier le comportement de l’individu à l’égard des dieux, ceux
de εὐσεβὲς et εὐσέβειαν. D’après S. Broadie, « Aristotelian Piety », Phrone-
sis, 48/1, 2003, p. 54, n. 1 : « eusebês applies to persons and acts performed,
while hosios also applies to actions considered as what is performed. The for-
mer is more positive ; the later need mean no more than ‘not religiously for-
bidden’ ». Plus généralement au sujet de la signification du terme εὐσέβεια,
voir L. Bruit Zaidman, Le commerce des dieux. Eusebeia essai sur la piété en
Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 2001, en particulier la seconde partie de
son livre qui présente une étude historique du terme. Voir aussi B. Colot, s.v.
pietas, dans B. Cassin (éd.), op. cit., p. 942-5.
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ment pieux et lois non écrites. Plus précisément, nous savons qu’à
cette époque prévalait une série de règles / prescriptions, la majorité
d’entre elles relevant du champ du juste naturel ou du juste non écrit et
qui, contrairement aux lois écrites, ont comme le signale Aristote dans
l’Éthique à Nicomaque partout la même portée52 ; autrement dit, leurs
effets sont perceptibles indépendamment de la région géographique et
du régime politique en vigueur. Parmi les lois non écrites ou com-
munes les plus caractéristiques, la foi en les dieux, l’interdit de l’homi-
cide, du parricide et du matricide, le respect envers les parents, la
9), la loi non écrite équivaut à la loi commune (κοινός νόμος), c’est-à-dire la
loi qui fait autorité pour tous (παρὰ πᾶσιν ὁμολογεῖσθαι), comme par
exemple, d’après le commentateur Anonyme (Commentaire sur la Rhétorique
d’Aristote, 58.19-22), le respect des parents.
53 D’après plusieurs sources, les lois non écrites sont désignées sous les
York, Cornell University Press, 1986, p. 46), les lois non écrites présentent la
forme suivante : « Everyone knows it’s wrong to... ».
55 Cf. J. de Romilly, La loi dans la pensée grecque, Paris, Les Belles
prescrit, permis par la loi divine, mais dans les rapports humains (...) Les
devoirs dits hósia (...) sont des devoirs envers les hommes (...) prescrits (...)
par une loi divine (hósia) ». Cf. également, J. Blok, art. cit., p. 235 ; Gh. Jay-
Robert, op. cit., p. 55-8 ; K.J. Dover, op. cit., p. 248 ; B. Le Guen-Pollet, La vie
religieuse dans le monde Grec du Ve au IIIe siècle avant notre ère : choix de
documents épigraphiques traduits et commentés, Toulouse, Presses Universi-
taires du Mirail, 1991, p. 77, n. 87 et p. 86, commentaire 7 ; L. Bruit Zaidman
et P. Schmitt Pantel, La religion grecque dans les cités à l’époque classique,
Paris, Armand Colin, 2011, p. 8.
58 Cf. W. Burkert, La Religion grecque à l’époque archaïque et classique,
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de ses parents et leur obéit, quand il ne violente pas ou tue pas un des
membres de sa famille, etc.59 Ainsi, nous dirions que les règles non
écrites qui déterminent le comportement pieux s’inscrivent dans le
champ des lois non écrites ou mieux constituent une sous-catégorie des
lois non-écrites, celles relatives aux dieux, la famille et la patrie.
the Female Body in Ancient Greece, London & New York, Routledge, 1998,
p. 124 : « In ancient Greek culture further parallels were drawn between fighting
and, if necessary, dying for his city (...) and childbirth (...) Both war and child-
birth were viewed as forms of combat involving pain ». Plus généralement au
sujet de l’équivalence entre ponos (douleur) guerrier et celui de l’accouchée,
voir Ν. Loraux, « Le lit, la guerre », L’Homme, 21/1, 1981, p. 37-67.
62 J. Aubonnet, Aristote, Politique, Livres I et II, Paris, Les Belles Lettres,
2002, p. 138, n. 9 ; W.L. Νewman, The Politics of Aristotle, Vol. II, Oxford,
Clarendon Press, 1887, p. 241.
63 Cf. R. Garland, Daily Life of the Ancient Greeks, Westport / Connecticut /
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Selon L. Edelstein, op. cit., p. 16, n. 30, cette information est une invention tar-
dive, « determined by the thought of the Christian era » et ne peut donc être rece-
vable pour étayer l’existence de lois interdisant l’avortement à cette époque.
70 Cf. L. Edelstein, op. cit., p. 15-6 ; M.T. Fontanille, op. cit., p. 33-8 et 193 ;
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En d’autres termes, la loi, tant écrite que non écrite, à l’œuvre dans la
grande majorité des cités grecques reste silencieuse à l’égard de la pra-
tique de l’avortement, autorisant ainsi aux femmes le recours à cette
pratique sans la peur de la sanction de la loi71, puisque l’avortement en
tant que tel ne constituait pas un acte illégal72. Pour conclure et en met-
tant de côté les questions afférentes d’efficacité et de fréquence, ques-
Athenian law », dans A. Lanni (éd.), Athenian law in its democratic context
(Center for Hellenic Studies On-line Discussion Series), republié dans
C.W. Blackwell (éd.), Dēmos : Classical Athenian Democracy (A. Mahoney et
R. Scaife (éd.), The Stoa : A Consortium for Electronic Publication in the
Humanities [www.stoa.org]), Édition du 22 mars, 2003, p. 12-3. Seule excep-
tion, le cas où l’avortement avait lieu soit à l’insu du mari soit sans son consen-
tement. Citons à titre d’exemple le Κατὰ Ἀντιγένους ἀμβλώσεως (ou περὶ
τῆς ἀμβλώσεως ou περὶ τοῦ ἀμβλωθριδίου) discours de Lysias (fr., 332.16-
333.11 [Thalheim]), dans lequel Antigène accuse sa femme de meurtre pour
avoir eu recours à l’avortement. Retenons qu’y compris dans ce cas, la loi
intervient non pas parce que l’avortement constitue un crime contre l’enfant
mais pour protéger les droits du père vis-à-vis de l’enfant en tant que ce dernier
est son héritier. Cf. sur ce point R.H. Feen, « Abortion... », art. cit., p. 291-2 ;
M.-T. Fontanille, op. cit., p. 34.
72 Cf. A.J.L. Hooff, « Abortion in the ancient world by Konstantinos
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tions qui ne sauraient être traitées dans le présent article, nous sommes
en mesure d’affirmer que la pratique de l’avortement, tout comme
celle de l’exposition / infanticide, constituait au sein des sociétés clas-
siques une pratique connue et socialement reconnue73, dont la décision
relevait de la sphère privée et qui contribuait tant au contrôle des nais-
sances qu’au planning familial74, ce qui revient à dire que dans le
champ du social l’avortement ne constituait pas un acte moralement
condamnable ou impie75.
J.M. Riddle, op. cit., p. 64 ; P. Carrick, op. cit., p. 101-3 ; L. Dean-Jones, op. cit.,
p. 203 ; H. King, op. cit., p. 139 ; A. Cameron, art. cit., p. 106 et 108 ;
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abortifacients during classical Antiquity and the Middle Ages », Past & Pre-
sent, 132, 1991, p. 24 et 28 ; A. Preus, « Biomedical... », art. cit., p. 251 ;
P. Carrick, op. cit., p. 106-7 ; A. Bresson, art. cit., p. 13-4 ; G. Androutsos,
« Contraception et planning familial dans la Grèce antique », Andrologie,
2002, 12/1, p. 105-9 ; M. Bujalkova, « Birth control in Antiquity », Bratisl Lek
Listy, 108/3, 2007, p. 163 et 166 ; L.P. Wilkinson, « Classical approaches to
population planning », Population and Development Review, 4/3, 1978, p. 448 ;
H.G. Daugherty et K.C.W. Kammeyer, An Introduction to Population, New
York, The Guilford Press, 1995, p. 14-5.
75 Cf. L. Edelstein, op. cit., p. 13 ; D. Lipourlis, op. cit., p. 62 ; L. Dean-
posent.
textes médicaux anciens signalant que pour la majorité des médecins de l’An-
tiquité, l’avortement et surtout l’avortement thérapeutique n’était pas une pra-
tique proscrite. Ce qui orientait leur positionnement en matière de pratique
abortive était le critère de dangerosité pour la santé de la femme enceinte.
C’est la raison pour laquelle ils étaient favorables à un avortement précoce
(durant les 30-40 premiers jours de la grossesse) du fait que les méthodes abor-
tives conseillées durant cette période sont les moins nocives pour la santé de la
femme enceinte. Voir sur ce point Y. Panidis, « Avortement : la φθορά
(phthora) provoquée de l’embryon dans les textes médicaux de l’Antiquité »,
Philosophia, 43, 2013, p. 221-40.
76 C’est à n’en pas douter la référence la plus importante du Stagirite à ce
sujet parmi les 14 occurrences du mot ὅσιον (ou de ses dérivés) dans l’en-
semble de son œuvre, cf. supra note 49.
77 Notons que d’après la terminologie de la Poétique (14, 1453b1-26), les
meurtres entre sujets présentant un lien de parenté du premier degré font partie
de la catégorie des choses terribles (δεινὰ / οἰκτρὰ), autrement dit de la caté-
gorie de ces éléments qui, dès lors qu’ils font partie de la composition du
mythe, provoquent la pitié (ἔλεον) et la crainte (φόβον) du spectateur. Plus
globalement au sujet de la piété filiale, voir X. Schutter, « Piété et impiété
filiale en Grèce », Kernos, 4, 1991, p. 219-43 ; A. Damet, La septième porte.
Les conflits familiaux dans l’Athènes classique, Paris, Publications de la Sor-
bonne, 2012, p. 213-4 et 401-4.
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Conclusion
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