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Dix-huitième Siècle

Le rire et la parodie. Freud ou Bergson ?


Martine de Rougemont

Abstract
Parodic laughter : between Freud and Bergson.
Theatrical parody, a genre which defined its forms in the 18th Century, occupies a place in the theatrical landscape. Its almost
instantaneous composition, sometimes in complicity with the object of attack, means that it is as much advertisement (albeit
buffoon-like) as criticism. It familiarizes audiences with the noble genres, brings out the criteria of well-crafted theatre and
teaches the spectator to be inside/outside. The parodies by Parisau, La Veuve de Cancale, Richard, Le Roi Lu, are here studied
as examples of this procedure, through themes, language and direct or indirect ways of addressing the public. Is parodie
laughter made of exclusion and condemnation or of almost affectionate familiarity which undermines the authority of great
literature ? Parisau seems closer to Freud than to Bergson.

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de Rougemont Martine. Le rire et la parodie. Freud ou Bergson ?. In: Dix-huitième Siècle, n°32, 2000. Le rire. pp. 51-66;

doi : https://doi.org/10.3406/dhs.2000.2337

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2000_num_32_1_2337

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LE RIRE DE LA PARODIE

FREUD OU BERGSON ?

La parodie théâtrale apparaît comme genre constitué au


18e siècle en France. On avait déjà vu des scènes parodiées, chez
les Comédiens Italiens bien sûr, mais aussi dans des pièces des
troupes françaises, souvent d'après Corneille (les « Percé jusques
au fond... »). Mais une pièce entière consacrée à la réécriture
comique d'une ou de plusieurs pièces de théâtre représentées
semble bien être une invention des théâtres forains, née de Fuze-
lier en 1709. L'opéra est la première cible ; ce seront ensuite
les tragédies individuelles, puis le genre lui-même.
Sans entrer dans une histoire détaillée de la parodie théâtrale,
on notera, en trois temps : que sa naissance est liée à la guerre
des théâtres entre les forains et la Comédie Française. Que le
genre une fois établi est repris par le Nouveau Théâtre Italien,
sans que celui-ci soit vraiment en guerre avec les Français : le
contexte est plutôt celui d'une concurrence que d'une lutte pour
la vie. Et qu'au moment des grandes parodies canoniques de la
tragédie moderne (Pierrot Romulus aux marionnettes de la Foire,
Agnès de Chaillot chez les Italiens : 1722 et 1723), même si La
Motte donne quelques signes d'irritation \ il semble bien être
admis que la parodie ne nuit pas vraiment à la cible qu'elle
touche.

Notons encore que nombre d'auteurs « sérieux » écrivent aussi


des parodies pour d'autres théâtres, voire pour les mêmes théâtres,
et voire des parodies de leurs propres pièces. De même qu'on
peut écrire pour les Français et pour les Italiens (Marivaux par
exemple), ou pour les Français et pour les forains (comme Piron),
on peut faire comme Delisle de la Drevetière qui couronne son
Arlequin au banquet des sept Sages (créé le 15 janvier 1723) par

de 1.M.D.L.M.
1738
Voirchez
les Parodies
sur
Briasson
les Parodies
;duici,
Nouveau
de», Fuzelier,
PNTI,
Théâtre
I, «Discours
p.Italien
XIX-XXXV.
(désormais
à l'occasion
PNTI),
d'undans
discours
l'éd.

DIX-HUITIÈME SIÈCLE, n° 32 (2000)


52 MARTINE DE ROUGEMONT

un Banquet ridicule, représenté au même Théâtre Italien le


3 février suivant : « Cette parodie, qui n'eut pas beaucoup plus
de succès que la pièce qui y avait donné lieu, est composée de
quatre scènes ; et les acteurs qui les remplissent sont Arlequin,
Polichinelle, Pierrot, Jean Farine, et un garçon du cabaret où
l'action se passe. C'est en mangeant et buvant que les quatre
premiers personnages font la critique du Banquet des sept
Sages » 2. Dans ce cas, l'appellation « Parodie » couvre une « Cri¬

tique
àtragi-comédie
parodie
part
la de
parodie
» au
parodie,
sans
senssa
non
»moliéresque,
au
part
c'est-à-dire
théâtrale,
même
de critique
théâtre
ainsi
sur
sansla
que
qu'il
la
rire.
même
scène
len'y
fait ilaannée.
dès
n'y
delecritique
titre
aContrairement
pas
« Parodie,
plus
sans de
sa

La parodie a trouvé sa place dans un dispositif théâtral. Sa


création suit de près celle de la pièce qu'elle prend pour cible.
Commentant le fait que Le Serdeau des Théâtres soit livré à
l'impression avant les œuvres qu'il accommode, Fuzelier prétend
ne vouloir que « contenter mille personnes de la première distinc¬
tion qui en demandent des copies », mais il souligne cet effet
d'immédiateté (PNTI, II, p. 153). Quand l'auteur contribue lui-
même à se parodier, ce n'est pas autre chose que la prise en
charge ouverte du dispositif.
La parodie et sa cible se constituent alors en publicités récipro¬
ques. Peut-on faire la publicité de quelque chose en le ridiculi¬
sant ? Oui, j'appellerai cela l'effet Tabarin : les questions saugre¬
nues de Tabarin désarçonnent son maître Mondor pendant le
temps de la parade, et le laissent souvent sans voix ; mais quand
« l'impudent vilain » s'est tu, et que les rires du public s'apaisent,
voici ces mêmes badauds hilares tout prêts à gober les drogues
du charlatan, car il n'a pas perdu son prestige. La parodie comme
la parade attire l'attention tout en semblant la détourner. Elles
sont moins perverses assurément que nos publicités télévisées,
qu'on ne peut s'empêcher de suivre pour découvrir où elles
mènent (s'agira-t-il d'une automobile ? d'une assurance-décès ?
d'un dessert ?...). Et si le parodiste est inspiré, on se dit que la
pièce n'est pas fade. Le Serdeau des Théâtres confirme cet aveu :
« Si les pièces critiquées étaient tombées brusquement, leur paro¬
die aurait eu le même sort ; il y a même des observateurs qui
prétendent avoir remarqué que les parodies, bien loin d'affaiblir

de 2.l'Isle
« Catalogue
(Petite Bibliothèque
des pièces dedes
de Théâtres,
1' Isle » dans
1783),
Chefs-d'œuvre
p. 9-10. de La Drevetière
LE RIRE DE LA PARODIE 53

les représentations des pièces parodiées, en augmentent le nom¬


bre, et y attirent tous les juges intègres qui ne veulent décider
qu'après avoir bien entendu les deux avocats » (PNTI, II, p. 154).
Entre ce que la parodie fait (elle fait rire), et ce qu'elle veut
ou voudrait (s'il faut qu'elle veuille), se situe le discours de ses
apologistes, dont nous discernons mal aujourd'hui quand il est
ou non parodique. Sommes-nous au tribunal pour juger les auteurs
(ou plutôt, les œuvres) ? Sommes-nous à l'école pour nous former
le goût et le sens critique ? La parodie théâtrale tout spécialement
embarrasse les théoriciens : Gérard Genette par exemple ne sait
qu'en faire 3. Et Fréron en son temps éprouvait le même embar¬

ras
Petite
A
parodie
mais
moyen
noble,
pour
satire
spécialiste
contrario,
: rire
exigeant
le
burlesque,
Iphigénie
prise
de
mot
anglaise
»la5.
de
en
simple
"jecible
Dryden
« de
citerais
général
une
: mais
« incongruité
"Favart,
La
est
parodie
l'analyse
son
ou
ou
cible
peut-être
en
de
objet
« particulier.
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Ce
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Hume
fait
besoin
années
récusait
parodie
laévidente,
tragédie
sur
est
d'être
1720
une
»La
au
4.

Si l'on évoque les conditions culturelles et sociales, ce n'est


pas la même chose quand la Foire parodie l'Opéra et quand les
Italiens parodient les Français, car les publics des Italiens et des
Français sont du même milieu, mais ceux de la Foire et de
l'Opéra sont aux extrêmes et en principe incompatibles. Je vou¬
drais pourtant plaider ici, à la suite de Lanson dans un excellent
article 6, que le but de la parodie théâtrale n'est rien d'autre

qu'une construction
spectateur du 19e siècle.
du spectateur,
La parodiepeut-être
parle dans
en préfiguration
un théâtre plus
du

Palimpsestes
les
Daniel
Pascal
p.
(1895),
au
(Oxford,
1994).
3.public,
4.
5.
253.
6.parodies
Robert
Jeéd.,
Fréron,
Gustave
Sangsue,
p.renvoie
Clarendon
261-293
qui
L'Autre
théâtrales,
(Seuil,
D.
L'Année
Lanson,
neHume,
évidemment
Las'en
; notamment
1982
Press,
Parodie
«Iphigénie»
«ch.
littéraire
doutait
La
Henry
; xxiv,
éd.
1988),
parodie
au
(Hachette
citée
pas
p.
Fielding
texte
p.
(1758),
273,
p.
(Presses
non
coll.
192-201.
dramatique
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Supérieur,
Points
(c'est
vol.
base
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parodie
universitaires
Sur
l'apprentissage
V,
Essais
moi
sur
the
aules
p.«18e
les
coll.
London
qui
sans
267-271,
théories
n°siècle
parodies,
traduis).
257).
«s'en
Concours
de»,
Theatre
du
d'un
douter,
En
d'après
Perpignan,
Hommes
genre,
Gérard
ceart
qui
littéraires
faisait
1728-1737
Jean-Noël
réaliste.
voir
concerne
Genette,
et 1997),
livres
aussi
faire
»,»
54 MARTINE DE ROUGEMONT

« bas » d'un genre plus « élevé ». Elle opère, qu'elle le veuille


ou non, un double rapprochement croisé. Le public « populaire »
se familiarise avec les goûts du public « noble » : les sujets
ramenés à l'expérience quotidienne, les citations, les « airs paro¬
diés » apprivoisent ces monstres. Le public noble, lui, va trouver
dans ce spectacle populaire de justes critiques et pas seulement
de la bouffonnerie : les genres bas tels la parodie acquièrent une
légitimité.
Des catégories différentes se rejoindraient ainsi dans une « pro¬
fession : spectateur », pour parodier le titre d'une émission de
Lucien Attoun. Ils ne se parlent pas, sans doute, mais ils sont
tous amateurs de théâtre et ils apprennent à partager les critères
du « théâtre bien fait », critères de bon sens et non de règles.
La parodie des défauts du théâtre dit régulier fait ressortir, explici¬
tement ou implicitement, des absurdités dans la structure dramati¬
que, dans la caractérisation, dans les vers.
C'est un jugement implicite que la bouffonnerie des raccour¬
cis : toutes les parodies sont plus rapides que leurs œuvres cibles,
et l'agencement des épisodes s'en trouvant désarticulé, les ques¬
tions de rythme et de durée surgissent. Sans transition, les délibé¬
rations d'Alphonse, roi de Portugal, surnommé le Justicier (v. 799
à 838 d'Inès de Castro ) sont ramenées à quatorze vers dans Agnès
de Chaillot, ce qui provoque le double dilemme : « Punissons...
pardonnons... soyons dur... soyons tendre. » Bouffonnerie encore
des déplacements temporels, géographiques et sociaux, bouffon¬
nerie pleine de sens ; « les actes extrêmes, acceptés des demi-
dieux antiques, déplaisent quand c'est un voisin qui les commet,
le crime héroïque devient crapuleux vu de près » . La leçon des
parodistes n'est pas du tout celle que profère Beaumarchais :
« Que me font à moi, sujet paisible d'un État monarchique du

intérêt
Au
raire
ridicule,
Et
de
18epour
tout
siècle,
sacrifice
: cela
puis-je
cela
déplacer.
quand
lesme
il
d'une
révolutions
n'est
prendre
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le
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beaucoup,
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même
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d'Athènes
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mort
nécessaire,
l'aune
cela
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Aulide
de
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la
n'en
Rome
fait
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? du
», ?etc.
horreur,
déplaise
Quel
Péloponnèse
8.humanité.
àAu
véritable
ou
Fréron,
cont¬
c'est
?

Ou bien la leçon de théâtre est explicite : ce sont les personna¬


ges qui commentent l'action (« Je suis venu trop tard, tantôt, /

l'Université
7. Je
8. Beaumarchais,
reprends
de Saint-Étienne,
cette
«Essai
phrase
surColl.
à lema
genre
«Lire
préface
dramatique
le 18e
de siècle»,
Paradrames
sérieux»
1998),(1767).
(Publications
p. 13. de
LE RIRE DE LA PARODIE 55

Et je me suis tué trop tôt »), la psychologie (« Romulus est tantôt


Gascon, / Et tantôt il est Céladon. ») 9, qui en appellent à l'histoire
et à lales
citent vraisemblance,
vers mêmes de
et leur
qui souvent,
cible. Comme
c'est la
Dicéopolis
plus cruelle
dans
satire,
Les
Achamiens, ils font l'inventaire des ressources tragiques : des
batailles et des songes à n'en plus finir, des emphases rhétoriques,
des « obstacles mous » 10, et des reconnaissances comme s'il en
pleuvait... Souvent ces personnages se révoltent, prennent à
témoin le parterre (et c'est encore Aristophane : la parabase) ;
ils renvoient un inutile, ils suppriment un épisode, ils substituent
à la catastrophe un dénouement heureux — combien de coupes
empoisonnées
Chaillot à Monsieur
ont déclenché
Cassandre
de ! grandes coliques, d'Agnès de

Par rapport à leurs rôles, les personnages se tiennent ainsi


dedans et dehors, et par rapport au spectacle les spectateurs
apprennent à en faire autant. Le critère de jugement n'est pas
«j'aime» ou «je déteste». Je partage les émotions, j'admire
les beautés, je ris des fautes, j'adhère sans perdre mon bon sens.
Félix Gaiffe a forgé pour la parodie la notion de « comique
d'idées », qui me semble très juste ; je propose encore, à la
manière du « vrai-faux » de Jacques Scherer, celle du « dedans-
dehors » n. Dedans-dehors qu'il s'agit de décrire de façon plus
précise. Il
quelque deux
faut cents
choisir
parodies,
un corpus
et ; Valleria
or Gustave
B. Lanson
Grannisrépertoriait
ou David

Trott en évoquent bien davantage 12 . Du colloque « Parodie et


série dans la littérature française du 1 8e siècle » tenu en Sorbonne
en novembre 1998, une grande leçon se dégage, dont j'espère
avoir tenu compte dans des énoncés prudents : d'aucun corpus
déterminéentre
diffèrent on neelles,
peut tirer
elles des
ontuniversaux.
leur cohérence
Les séries
mais de
la parodies
suite en

est imprévisible.
Je me suis donné un corpus très modeste, les trois parodies
imprimées de Pierre-Germain Parisau, qui sont à la fois typées

Romulus,
Beaumarchais
notamment,
York,
un 9.
12.
10.
11.
répertoire
JeInstitute
Très
Voir
Valleria
cite
dans
utile
Félix
etqui
successivement
(Nizet,
Jacques
B.
lenotion
of Gaiffe,
sera
Grannis,
Théâtre
French
1954),
diffusé
Scherer,
proposée
Le
Studies,
de
Dramatic
Rire
Pirame
la
ch.
surDramaturgies
Foire.
IV.
par
et
le1931).
la
réseau.
Parody
Jacques
etscène
Thisbé,
David
française
inScherer,
duthe
Trott
PNTI,
vrai-faux
18th-Century
est
dans
(Boivin,
III,
enLa
(P.U.F.,
train
p. Dramaturgie
362,
1931),
France
de 1994).
etconstituer
p.Pierrot
24-25
(New
de
56 MARTINE DE ROUGEMONT

et diverses. De Parisau lui-même (1753 ? - 1794) je sais peu de


choses. Le Désœuvré, ou l 'espion du boulevard du Temple raconte
que « ce libertin de Parisau » (ou « ce pauvre Parisau ») « a quitté
le commerce d'agiotage, qui lui valait plus de deux mille écus
de rente, pour se mettre directeur [du Spectacle des Élèves pour

publiées
Cette
qu'il
de
(de
même
des
la
factums
le
92),
un
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et Théâtre
Danse
comédie
Nicolet
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Comédie
assez
1783
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Comédiens
puis
dirigeait,
aventure,
temps
livrets
en
large
de
disparaît.
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àde
(de
depuis
1785),
1789,
l'Opéra],
sont
qu'il
Française.
Monsieur,
éventail,
1781
Parisau
pour
1779-1780,
Italiens
en
jouées
ilapparaît
puis
quelques
Les
àtrois
écrit
la1783),
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trente-quatre
des
musique
aux
bientôt
Pendant
jusque
(de
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la
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Variétés
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1780
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la
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l'àqu'il
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œuvres
Paisiello.
Révolution,
Après
Amusantes
textes
1788),
la
comédies
théâtre
d'ouverture
Révolution.
avait
Théâtre
decinq
aux
répertoriées
et
Brabant
contractée
de
Ses
même
Grands
dans
et
pièces
(1785-1786),
Popincourt
Feydeau
après
de
trois
ou
le
livrets
est
une
d'Audinot
de
au
répertoire
Danseurs
quelques
couvrent
parodies
de
célèbre)
théâtre
clôture
(1790-
fois
jouer
pour
» en
13.à

La Veuve de Cancale, créée le 3 octobre 1780 à la Comédie


Italienne, parodie en trois actes et en vers la tragédie de Lemierre,
La
seulement
Veuve du
à Malabar
sa création
, ou en
l'Empire
1770, mais
des coutumes,
trente fois
jouée
lorssix
defois
sa
reprise en 1780 14. Lemierre situe l'action dans une ville maritime
sur la côte du Malabar ; l'éloignement du lieu compense la proxi¬
mité de la date, au moment des conquêtes françaises du milieu
du siècle. Le premier acte présente le Grand Bramine, impatient
de voir se sacrifier une jeune veuve, Lanassa, pour refanatiser
le peuple qui est tenté de se soumettre à l'armée française, tandis

Parisau
List
nés,
Pierre
37
1947),
(1789-1792)
1998),
its
1782),
13.
14.
;repertory,
le
ofPerchellet
les
Le
En
que
et
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même
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plays
chiffres
pour
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qui
1716-1793
ouvrage,
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L'Héritage
Comédie
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concerne
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Comédie-Française
Italienne,
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les
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1992).
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La
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les
(1700-1789)
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Le
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Brenner,
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1680
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laBibliographical
(tant
1815
Théâtre
thèse
chez
la1782),
1961).
Révolution
(Londres,
(Paris
celles
mention¬
l'auteur,
de Italien
p.
Jean-
20-
III,
de
LE RIRE DE LA PARODIE 57

qu'un jeune Bramine, chargé de conduire la victime au bûcher,


proteste contre cette cruauté. A l'acte II, Lanassa explique le
rituel à sa suivante (persane) ; elle est prête à mourir, ne s 'étant
jamais consolée de son amour pour un étranger disparu avant
son mariage. Le jeune Bramine vient la voir ; Lanassa et lui se
découvrent frère et sœur, également victimes du fanatisme (il a
été exposé à l'âge de trois jours), mais elle refuse de fuir avec
lui. Cependant, une trêve militaire est décidée. A l'acte III, le
Général français envoie chercher des nouvelles de son amante
perdue, Lanassa, mais son officier revient bredouille, car on ne
parle en ville que du sacrifice préparé. Le généreux Général veut
sauver la veuve inconnue ; une scène de débat l'oppose au Grand
Bramine, qui le dupe. Le IVe acte, très animé (10 scènes sur 33),
est partagé entre les hésitations de Lanassa (désormais « vêtue
de lin »), enfin décidée à courir au bûcher pour éviter la perte
du généreux Français, et ce Général à qui le jeune Bramine
montre le souterrain qui mène de la mer au dessous du bûcher.
Changement de décor pour le Ve : « Le théâtre représente le
parvis de la pagode des Bramines, entouré de rochers ; un bûcher
est dressé au milieu de la place ; on voit au loin la mer ». (Ce
bûcher fît sensation.) On croit les Français perdus et leur flotte
en feu ; le jeune Bramine se révolte en vain ; devant le Grand
Bramine triomphant, on entraîne Lanassa « égarée » sur le bûcher.
Mais voici le Général avec son armée sortant des rochers ;
reconnaissance, joie, et l'on proclame la gloire de Louis, sa
justice et son « humanité » (c'est le dernier mot de la pièce).
Transportant l'action à Cancale (à la Halle et au puits au milieu
de la place), Parisau devait changer le rituel : en Basse-Bretagne,
c'est le méchant Bailli qui marie les veuves, et il veut épouser
lui-même Lassana, veuve du grand Colas (ancien bedeau). Celle-
ci explique à sa chambrière (champenoise) cet usage local, et
son regret d'un Sergent disparu (« On eût dit que l'Amour s'était
fait racoleur. / Mon père aimait à boire, et tous les trois nous
bûmes ; / Il me vit, je lui plus, il me plut, nous nous plûmes. »).
Son frère révolté, c'est le Greffier ; Cancale est en émoi parce
qu'on tire au sort la milice, sous les ordres du Sergent Brisefer.
Les trois petits actes de la parodie suivent exactement, sur ces
données, le déroulement des cinq actes de la tragédie cible.
L'année suivante, la Comédie Italienne donne le 2 septembre
Richard , parodie de la tragédie de Barnabé Farmian de Rozoi,
Richard III, créée sans grand succès à la Comédie Française (six
représentations du 6 au 21 juillet 1781), dont je n'ai réussi à
58 MARTINE DE ROUGEMONT

trouver un unique exemplaire que dans le Fonds Rondel, exem¬


plaire qui annonce d'ailleurs à tort une reprise en 1782. La
pièce
de Toulouse,
utilise peu
se vante
celle d'avoir
de Shakespeare
rétabli le: rôle
M. dede Rozoi,
la France
Citoyen
dans

cet épisode historique. Au Palais royal à Londres, au premier


acte Richard, triomphant et féroce, est amoureux de sa nièce
Elisabeth d'York ; pour l'empêcher de faire souche avec le dernier
Lancastre, Richemont, qu'elle aime, il décide de l'épouser le
lendemain. Marguerite de Lancastre, mère de Richemont, attend
l'armée de son mari, Thomas Stanley ; mais celui-ci arrive pour
annoncer le naufrage de toute sa flotte, et la disparition de Riche¬
mont. Acte II, l'espoir : le vieux duc de Buckingham, qui avait
soutenu l'usurpateur Richard, se repent et lève une armée gal¬
loise ; arrive Montmorenci, chevalier français, qui conduit une
armée Richard
Mais pour soutenir
revientElisabeth,
victorieuxaimée
au IIIe
deacte
son : ami
les Gallois
Richemont.
ont

trahi, Buckingham et Stanley sont prisonniers. « La nuit tombe. »


Elisabeth veut se tuer, Marguerite lui arrache le poignard, Riche¬
mont paraît, sauvé, mais séparé de ses troupes. Acte IV, le com¬
plot : Richard prend Richemont en amitié, les femmes s'associent
à la feinte. Dans un nouveau décor de plaine et de rochers
praticables, l'acte V présente Marguerite à la tête du peuple,
arrachant Elisabeth aux soldats. Enfin, le jour se lève et Montmo¬
renci et Richemont triomphent de Richard. Les derniers mots
reviennent au Chevalier français : « Si quelque prix se doit à
mes faibles vertus, / Il est à mon Pays, de qui je les ai reçus »
(sic).
Le parodiste a tranché dans cet imbroglio d'armées (noyée,
galloise, française, anglaise et populaire). Ses dix-neuf scènes
(la tragédie en compte trente-sept), en vaudevilles avec très peu
de prose, gardent le simple cadre historique anglais : plus de
Gallois ni de Français, Buckingham est « le duc », Montmorenci
« l'ami de Richemont ». La coupe des vaudevilles introduit des
dissonances : sur l'air Que ne suis-je la fougère, Elisabeth défie
Richard : « Que ne puis-je en ombre affreuse / Sortant du fond
des tombeaux, / Entrer pâle et ténébreuse, / Dans les plis de tes
rideaux ? » et il répond sur le même air : « Ma chère enfant, la
nuit sombre / Permet tout à la frayeur, / Et j'irais chiffonner
l'ombre, / Pour me guérir de la peur. » (sc. II) La compression
a été
où Elisabeth
si énergique
se tire
queles
Parisau
cartespeut
en attendant
introduire la
une
finscène
de lanouvelle,
bataille

(sc. X, ajout à III, 1), et saluer la mode des « tableaux » en


LE RIRE DE LA PARODIE 59

faisant intervenir à un moment crucial un Dessinateur qui arrête


tout (sc. XIX, ajout à V, 7).
La parodie la plus célèbre de Parisau, Le Roi Lu, jouée au
moins trente-trois fois en sa nouveauté (du 8 avril au 8 octobre
1783) au Théâtre des Grands Danseurs du Roi ou Théâtre de
Nicolet 15, suit encore une tragédie « shakespearienne », Le Roi
Léar de Ducis, créée le 20 janvier (dix-huit représentations jus¬
qu'au 28 mars). Ducis a travaillé la matière anglaise, et en particu¬
lier l'onomastique, que Parisau retravaille en burlesque : King
Lear devient Léar (ou Lire, d'où le Lu de Parisau) ; ses méchantes
filles, Volnérille (Verdrille) et Régane (Régale) épouses d'Alba¬
nie et du méchant duc de Cornouailles (Cornailles) ; la douce
Cordelia s'appelle Helmonde (Rémonde). Comme Gloucester est
éliminé, le comte de Kent (Kinkin dans la parodie) récupère ses
deux fils, Edgard (Déségards) et son double Lenox (Linot). Le
cruel agent de Cornouailles, Oswald (Osval) a pour contraire
l'adjuvant des jeunes premiers, un pauvre vieillard, Norclète.
Une utilité chez Ducis, Strumort, sera pour Parisau Crumort. Les
deux premiers actes de la tragédie se passent dans le château
de Cornouailles. Le premier est d'exposition : Léar souffre chez
Volnérille ; Edgard a caché Helmonde dans les bois chez
Norclète ; il réunit une armée pour rétablir Léar sur le trône, et
son frère s'associe à lui ; le comte de Kent, rappelé d'exil, veut
y entraîner ses fils qui lui cachent leur complot dans une scène
pathétique (I, 5). L'action se noue au Ilème acte où Léar, égaré,
arrive au château ; Kent lui dénonce l'hypocrisie de Régane, que
Léar maudit ; les deux pères sont chassés tandis que la nuit tombe
et l'orage prélude. Les trois actes suivants se passent dans la
forêt, près d'une caverne. C'est là qu'à l'acte III Edgard réunit
les conjurés, à qui Helmonde s'adresse. Sous la tempête, Léar
apparaît seul, retrouve Kent ; Norclète sort de sa caverne, suivi
d' Edgard puis d' Helmonde, que le pauvre Léar reconnaît :
« LÉAR : Es-tu mon sang ? HELMONDE : Mon père ! LÉAR :
O moment plein de charmes ! / HELMONDE : Helmonde est dans
vos bras, voyez couler ses larmes. / LÉAR, tirant son épée et
voulant s'en percer : Hé bien ! puisque tu l'es, voilà mon châti¬
ment. / HELMONDE : Que faites-vous, grand dieux ! LÉAR : Je
te venge. HELMONDE : Un moment ! / Je vous trompais, seigneur ;

Shakespeare
François
15. Le Ducis
relevé
for 1769-1792,
des
the représentations
Age ofStudies
Reasonaon:ététhe
Voltaire
faitearliest
par n°295
John
stage
Golder
(1992),
adaptations
dans
p. 151.
son of
précieux
Jean-
60 MARTINE DE ROUGEMONT

vous n'êtes point mon père » (III, 8). L'acte IV prépare la guérison
du roi fou, mais tous sont arrêtés. A l'acte V, un discours d'Edgard
prisonnier fait mutiner l'armée de Cornouailles, et Léar sort d'un
dernier délire pour abdiquer en faveur d'Edgard et d'Helmonde
qu'il marie.
Parisau condense ces quarante-six scènes (nombre considérable
pour l'époque) en vingt-cinq plus petites, sans changer les person¬
nages et les circonstances et en simplifiant à peine l'action (mais
il renonce aulapathos
château-fort, forêt et
de la111,8).
caverne.
Son Ses
décor
alexandrins
unique juxtapose
sont assez
le

proches
à la manière
de ceux
de...de: Ducis, qu'ils déforment à la manière... d'un

Ducis : Admirables présents, végétaux précieux,


Pour guérir les mortels, nés du souffle des dieux,
Si vous pouvez m'entendre et sentir mes alarmes,
Fleurissez pour mon père, et croissez sous mes larmes !
(IV, 5)
Parisau : Végétaux précieux, qui ne m'entendez point,
Témoins du sort de Lu, témoins de mes alarmes,
Croissez sous l'arrosoir de ses augustes larmes (sc. XVI).

Fait assez rare, la publication du Roi Lu donna lieu, dans


L'Année littéraire, à 32 pages de recension signées Geoffroy,
prétexte
d'une réelle
assurément
admiration.
pour critiquer Ducis, mais aussi témoignage

Ces trois parodies ont des cibles assez semblables : des tragé¬
dies modernes, à sujets historiques, remplies d'événements et de
discours, comportant chacune un changement de lieu et autant
de figurants qu'à l'Opéra, malgré une unité de temps ostentatoire.
Seule, La Veuve du Malabar délivre un message idéologique
— violemment anticlérical — , et seule elle fait l'objet d'un
travestissement complet. Parisau ne se risque pas plus sur ce
terrain que sur celui du patriotisme, qu'il efface aussi du
Richard III parodié. Dans Richard et Le Roi Lu, le travestissement
social n'est fourni que par les niveaux de langage : le vaudeville,
globalement, dans Richard, avec ses tournures et ses refrains
grotesques, un ton direct, un vocabulaire concret. Ducis inspire
particulièrement Parisau : « Je mangeais mal et tard, jamais cuit,
toujours froid », se plaint le roi Lu (sc. VIII), où Ducis avait
osé : « Seul et dans l'ombre assis, confus, humilié, / Je mangeais,
en pleurant, le pain de la pitié. » (III, 4) Et quand le roi Léar
dit à Kent : « Cher ami, tu le vois, / La Nature en fureur n'épargne
pas les rois » (III, 6), Lu amplifie :
LE RIRE DE LA PARODIE 61

Philosophons à l'air sur ce terrible orage.


On est Roi ; c'est égal, tu vois, il pleut sur vous,
La nature en fureur n'a point d'égards pour nous ;
La foudre, mon ami, n'est pas respectueuse (sc. XIV).
— comme un bouffon shakespearien... ou hugolien. Cette
dégradation est forte et efficace ; elle représente sans doute, pour
le lecteur d'aujourd'hui, l'intérêt et la drôlerie de ces parodies.
On riait peut-être plus, à l'époque, de leurs aspects critiques.
Ils portent, à l'occasion, sur le langage : le Bailli de Cancale
répète Lemierre : « Pensez-vous que du sang dont on sait qu 'elle
sort... » et le Greffier le coupe : « Faut-il siffler ainsi, pour nous
parler en maître ? » Richard cite, plus méchamment : « comme
on l'a dit très mélodieusement ...... Le salut de l'état est plutôt
l'œil qui voit que le bras qui combat. — CATESBI : Toujours le
mot pour rire. » (sc. I) Plus loin, Parisau signale par l'italique
une citation (que je n'ai pas retrouvée), quand Richard sent sa
raison vaciller : « La mienne est éclipsée tout à fait, essayons
de lier deux idées ensemble. (Avec emphase.) La gloire est un
jour pur sorti du sein des ombres. Ah ! c'en est fait, je ne sais
plus ce que je dis. » (sc. XIX)
Les parodies multiplient les dénonciations du discours tragi¬
que : « Sortons, vous raisonnez comme une Tragédie. / — La
plus folle souvent est la plus applaudie. » (fin de l'actel de La
Veuve de Cancale ) « Avec de la raison peut-on être tragique ? »
{Le Roi
vrais amateurs
Lu, sc.des
XXI),
lettres
argument
et du théâtre
que reprend
doiventGeoffroy
être consternés
: « Les

du succès d'une Tragédie telle que Le Roi Léar ; car ce succès


prouve évidemment que la raison est désormais inutile sur la
scène », etc. Aussi les personnages, sur le ton de la conversation,
commentent-ils leurs actes les plus absurdes — « Mais ne devi¬
nons rien pour être mieux surpris » (La Veuve de Cancale) —
tandis qu'Elisabeth d'York tire les cartes, et Kinkin compte sur
ses boutons (pair... impair...) si c'est Rémonde ou une autre qui
vers
sortira
dans
de La
la caverne...
Veuve : Une grande scène est expédiée en six

Si nous allions tous deux nous reconnaître ici !


Le moyen est usé ; mais qu'importe... Ah ! mon frère.
— Ah ! ma sœur. — Quoi ! c'est vous ? — Lassana, quoi ! c'est toi ?
— C'est moi, c'est toi, c'est nous, je ne sais pas pourquoi ;
N'épuisons
Que nous aurons
pas nos
encore
cris et
unenos
reconnaissance.
gestes ; je pense

Richard enfin dans ses hallucinations croit voir sa postérité,


sur l'air Ma grand'mère était pinte : « L'un m'y livre aux pleurs,
62 MARTINE DE ROUGEMONT

aux sanglots / Dans une tragédie. / Affublé d'airs et de grelots, /


L'autre me parodie ; / Mon œil qui confond / Tragique et bouf¬
fon / Est d'une perfidie / Qu'à peine je peux / Distinguer des
deux / Quelle est la parodie » (sc. XVIII).
Mais à la fin de la pièce, quand l'un ou l'autre bouffon s'adresse
au public, le ton change, et le dernier message est de conciliation
et de complicité :

Brisefer : : Que
Elisabeth Melpomène
En
Le
Nul Parodiste
les
ne
celui
travestissant,
saitUn
qui
mieux
àrit,
auteur
son
s'occupe
mais
tour
priser
j'admire
jamais
doit
à les
chercher
m'
beautés
ses
ilaccorder
n'outrage
héros,
ses
d'un
défauts.
ma; ouvrage,
grâce ;

TropCelui-ci
heureux si
N'est point un censeur
Quand sa main Vous fait passer un moment
Lance un trait badin, Gaîment ;
Il peut user, Car on n'a bien fait,
Sans abuser, En effet,
Du droit de vous amuser : Que du jour où l'on vous plaît.
Remonde Soyez Lu bien longtemps.
Lu : Lu ? Non ; mais écouté.
Desegards On peut défigurer plan, caractère et style
(i au Public ) : Sous les traits d'un pinceau badin :
Ce travestissement
Du ridicule, hélas ! n'est
le sublime
jamaisestdifficile
voisin :;
Sans fiel, sans amertume, et sans dessein
de nuire,
Le Parodiste ici n'a rien à désirer,
Si le Roi Lu fait autant rire
Que le Roi Lir a fait pleurer.
Quel rire donc pour la parodie, ou quels rires ? Si j'appelle
« Bergson » un rire d'exclusion, qui dénonce l'inadaptation
sociale et conforte le groupe normal face à la déviance, la parodie
Bergson condamnerait une forme qui durcit dans un moule 16,
et quele la
ainsi rirevie
adressé
naturelle
aux du
reconnaissances
théâtre rejette.théâtrales
On peut etcomprendre
aux effets

rhétoriques : un rire de critique dramaturgique, un rire, si l'on


veut, progressiste. Cette vision ne contredit pas au lien entre la

16. Reboux et Muller concluent la dernière note de leur Racine : « Les chefs-
d'œuvre du théâtre classique sont tous fondus dans le même moule. Au théâtre, le
public applaudit toujours les moules. Les spectacles contemporains en fournissent
maints exemples ». Voir la réédition récente de A la manière de... (Grasset (Les
Cahiers Rouges), 1998) vol. I, p. 187.
LE RIRE DE LA PARODIE 63

parodie et sa cible dans le dispositif théâtral : la critique fait


connaître l'œuvre dont elle fait rire, et la référence à la cible
attire l'attention sur la parodie. Cependant il faut rappeler que
le rire bergsonien chante plutôt « vae victis », alors que la parodie
préfère les vainqueurs. Et que la reconnaissance, toujours aussi
mécanique, toujours aussi risible, continue de triompher sur les
scènes françaises jusqu'à Victor Hugo, ou Dumas fils : l'exclusion
n'a pas eu lieu.
Mais progressiste ? du côté du vivant et de l'évolutif ? Si Le
rire essaie de se présenter de la sorte, il n'y réussit pas jusqu'au
bout. « Le rire est, avant tout, une correction. [...] Il a pour
fonction d'intimider en humiliant. » Le comparant à l'écume sur
les vagues de la mer, Bergson termine son livre en disant : « Le
rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l'extérieur de la vie
sociale, les révoltes superficielles. Il dessine instantanément la
forme de ces ébranlements. Il est, lui aussi, une mousse à base
de sel. Comme la mousse, il pétille. C'est de la gaîté. Le philo¬
sophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d'ailleurs quelque¬
fois, pour
tume » 17. une petite quantité de matière, une certaine dose d'amer¬

Je ne reconnais pas ici le rire de la parodie, ni dans le progres¬


sisme, ni dans l'amertume. La parodie attaque bien les topoi
usés, mais elle attaque surtout avec insistance, dans les cas que
j'étudie 18, la modernité : ce qui veut briser les moules. Si la

tragédie
bien
d'effets
par spectaculaires
une
moderne,
mixtureà assez
la(que
findétonante
lede19e
l'Ancien
siècle
de redistribue
culte
Régime,
de « l'humanité
entre
se caractérise
théâtre
» et
à

thèse et drame romantique...), on plaidera tout au plus, avec


Lanson, que la parodie apprivoise cette modernité, la rend fami¬
lière, et la fait donc progresser dans l'attente des spectateurs.

amertume,
Mais un et
riresans
amer,
dessein
celui de
denuire,
la parodie
» déclarait
? « Sans
Parisau,
fiel, «sans
Le

parodiste rit, mais jamais il n'outrage. » C'est bien exprès que


j'ai cité longuement les fins de ses parodies : on peut mettre en
doute ses paroles, mais ce doute est-il nécessaire ou inévitable ?
J'ai l'impression qu'on trouve de plus en plus souvent, dans les
parodies postérieures à la guerre des théâtres, ces discours de

p. 18.
le 17.
150
drame
Henri
Les
à 153.
bourgeois
analyses
Bergson,
présentes
et Le
le drame
Rireconfirment
(1906,
terrible.
1924)
celles(P.U.F.,
des Paradrames
coll. «Quadrige»,
(voir note 1985),
7) sur
64 MARTINE DE ROUGEMONT

sortie lénifiants qui affirment la bonne entente entre parodiste


et parodié 19 . Ils sont d'ailleurs nuancés, ce qui les rend plus

plausibles
d'égards
ton
l'industrie
de
â'Hernani
Duvert,
est peut-être
pour
: théâtrale,
en
celle
le 1830),
vaudeville
deplus
d Rozoi,
'Harnali
siencore
âpre
l'ondont
final
àcompare
ou
assez
l'époque
la
de bonhomme
tragédie
contrainte
Richard
à romantique,
celles n'a
de
montre
par
: Parisau
pascor
quand
réussi.
assez
(parodie
lesrègne
fins
peu
Le

QUASIFOL : La
Dieu,
L'auteur
Le
Et s'il
temps,
raison
que
change
est
reviendra...
l'Académie
le jeune
temps
de route,
encore
viendra
(Elle
estavec
: près
son
tombe.)
pour
quelques
de
talent
corriger
Charenton
est
efforts,
fertile
le style,
! ;

HARNALI, toujours étendu. Pour extirper les cors.


Et celle de Marionnette, parodie jouée au moment des repré-
sentationsde Marion Delorme (1831) :
(On aperçoit un sac vide qui traverse le théâtre .)
MARIONNETTE, effrayée. Grand Dieu !
Idiot et Cuirverni. Qu'a-t-elle donc ?
Marionnette. O ciel ! quelle disgrâce !
Regardez, regardez... la recette qui passe °.
Je n'ai pas rencontré de finale aussi acerbe au 18e siècle, ce
qui ne veut certainement pas dire, je m'en doute, qu'il n'y en
ait pas...
Or si je décide d'appeler « Freud » l'exercice jubilatoire de
la parodie, qui sous prétexte d'une critique adulte et responsable
permet de jeter sens dessus-dessous l'esthétique théâtrale classi¬
que, il me semble qu'on se tient plus près de ce genre, en tout
cas comme
subite, semblable
le pratique
à celle Parisau,
de l'enfant,
« lorsqu'une
vient leverveine
l'interdit
de gaieté
de la

critique » 21 . La distinction que Freud établit entre le comique


et l'esprit
de la réception
peut d'ailleurs
de la parodie
aider àpar
comprendre
des publics
deslettrés
aspects
oudifférents
illettrés.

trad.
(1971),
Favart,
20.
21.
19. M.Bonaparte
Un
Théâtre
Sigmund
ici,La
exemple
p. Petite
194.
choisi
Freud,
: et
Iphigénie
D'un
En
«deM.Nathan
ParTrop
Leles
F.
des
mot
-A.
mérite
parodiant,
heureux
talents
(1757),
Duvert
d'esprit
si(Gallimard,
égaux
rare
le(Charpentier,
dans
etnous
théâtre
ses
admirateurs
charment
J.-N.
ramassons
rapports
1930);
oùPascal,
l'auteur
1877),
leavec
modestes,
éd.
leurs
spectateur
ouvr.
citée,
vol.
l'inconscient
et restes.
l'acteur
cité,
I, coll.
p.! p.»120154-155.
«Idées»
(1905),
et 312.
LE RIRE DE LA PARODIE 65

Pour les spectateurs populaires, la tragédie (comme la tragédie


lyrique) est une institution noble, royale même, quelque peu
étrange, abstraite, obscure, effrayante. La parodie lui juxtapose
une version burlesque : « La comparaison devient indubitable¬
ment comique », écrit Freud, « lorsque la différence de "niveau"
de la dépense en abstraction s'accroît entre les deux termes de
la comparaison, lorsque le sérieux et l'inconnu, surtout dans
l'ordre intellectuel et moral, entrent en parallèle avec le vulgaire
et le banal » (p. 325). Dans une rare référence à la parodie, il est
plus spécifique : « La caricature, la parodie et le travestissement,
comme son contraire pragmatique, le démasquage, s'attaquent
aux personnes et aux objets à qui l'on doit le respect, qui détien¬
nent quelque autorité, qui s'élèvent, dans un sens ou dans l'autre,
au-dessus du commun » (p. 308). La parodie serait-elle, alors,
non plus seulement progressiste mais carrément révolutionnaire ?
Ce n'est certainement pas la pensée de Freud, plus sensible
aux « racines infantiles du comique, soupçonnées par Bergson »
(p. 345),
mais libératrice.
qui lui semblent déterminantes. Révolutionnaire, non,

L'« esprit », sans aucun doute, va plus loin, et dans ses formes
les plus tendancieuses il « ébranle le respect dû aux institutions
et aux vérités auxquelles l'auditeur croyait jusqu' alors » (p. 202).
C'est que « l'esprit est, pour ainsi dire, au comique, la contribu¬
tion qui lui vient du domaine de l'inconscient» (p. 321, c'est
Freud qui souligne). Il permet de rire de contraintes qui ont été
intériorisées : les sentiments honnêtes, les manières polies, le
langage millimétré, les obligations dues à la naissance et à l'édu¬
cation, le contrôle de soi dans l'ostentation, le public privilégié
des théâtres privilégiés pourra en rire « à ventre déboutonné »,
comme dit Collé ou Beaumarchais. A ce public il faut un alibi
de « sens dans le non-sens » pour accéder au « caractère primor¬
dial de l'élaboration spirituelle, qui consiste dans la libération
du plaisir par la levée des inhibitions » (p. 203). Termes savants
pour dire que l'enfant proteste contre tous les apprentissages, et
que l'adolescent puis l'adulte, qui ont été dressés à ne plus
protester, ne peuvent le faire qu'en simulant une complicité avec
leurs dresseurs. Ainsi fonctionne donc l'esprit : « Raison — juge¬
ment critique — répression, voilà les puissances qu'il combat
tour à tour ; il ne renonce jamais à son plaisir primitif de jouer
avec les mots, et, dès le stade de la plaisanterie, il fait jaillir de
nouvelles sources de plaisir en levant les inhibitions » (p. 208).
Les alibis intentionnels de la critique sont-ils la vérité de la
parodie ? Est-ce nous, aujourd'hui, parce que notre formation
66 LE RIRE DE LA PARODIE

scolaire nous a donné en modèle la tragédie classique, qui ferions


erreur en prenant au sérieux les parodies ? Ne faudrait-il pas
plutôt, comme déjà, horresco referens, Francisque Sarcey parlant
de Duvert, saluer leurs absurdités et leur « langue abracada¬
brante »? 22 Ajoutons un mot pour rappeler, dans l'argument

général,
la dernière
l'humour
phrase des
du auto-parodies,
livre de Freudet: nous
« Carpourrons
cette euphorie,
reprendreà
laquelle nous nous efforçons par là d'atteindre, n'est rien autre
que l'humeur d'un âge où notre activité psychique s'exerçait à
peu de frais, l'humeur de notre enfance, temps auquel nous
ignorions le comique, étions incapables d'esprit et n'avions que
faire de l'humour pour goûter la joie de vivre » (p. 366).
Martine de Rougemont
Université de Paris III

22. Sarcey dans Théâtre choisi de F. -A. Duvert, vol. VI, p. XXV. On trouve
dans cette notice de Sarcey des informations très curieuses sur les fonctions
de la parodie dans
rétroactivement la situation
le dispositif
au 1 8ethéâtral
siècle. autour de 1830, qui peuvent éclairer

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