Vous êtes sur la page 1sur 4

Entraînement à la dissertation : corrigé complet de la dissertation proposée en DS.

Sujet : Avec Le Malade imaginaire, Molière n’offre-t-il qu’un spectacle


divertissant ?

Au brouillon : l’analyse du sujet.


Il importe dans un premier temps de « faire parler » les mots du sujet :
La comédie : genre dramatique qui, au XVIIe, se définit en opposition avec la tragédie (voir cours intro).
Qui dit spectacle dit :
- Représentation
- Mise en scène (et travail du metteur en scène qui se superpose à celui de l’auteur)
- Dimension visuelle : voir étymologie de spectacle, spectare en latin qui veut dire regarder.
- Effets spectaculaires qui vont charmer les sens des spectateurs grâce aux choix sonores, visuels : mu-
siques, danses, mouvement des corps.
- Les corps sont engagés dans un spectacle : performance des acteurs, danseurs, chanteurs.
- Divertissement, plaisir du spectateur.

Qui dit divertissant dit :


- Qui a pour effet de divertir = étymologiquement : détourner l’attention, distraire, faire penser à autre
chose
- Amusant, drôle
- Etonnant (attire donc l’attention)
- Distrayant
- Cette dimension divertissante peut aussi être liée ici au genre de la pièce : une comédie…

Et qui dit comédie dit :


- Comique et différents ressorts de comique
- Rire
- Visée cathartique du rire (on se libère des tensions, des angoisses)
- Satire (la comédie a souvent une visée satirique : une satire est une critique qui passe par le ridicule,
le rire, la moquerie)
- Commedia dell’arte : genre théâtral venu d’Italie, représenté à Paris par la troupe des Comédiens ita-
liens que connaît très bien Molière, et qui se caractérise par des personnages stéréotypés et récurrents
(Colombine, Arlequin, Polichinelle) et par un type de comique fondé sur les situations, les gestes et
les pitreries des acteurs, l’absence de texte écrit par un auteur, les acteurs improvisant leurs répliques
en fonction d’une trame de scénario assez succincte.

Ces mots que vous faites émerger au brouillon quand vous faites l’analyse du sujet, il va falloir les réinvestir
ensuite dans votre devoir.

Il faut ensuite formuler clairement la THESE contenue implicitement dans la question du sujet : le Malade
imaginaire ne serait qu’un spectacle, un divertissement destiné au plaisir du spectateur. C’est cette thèse
qu’il va falloir questionner et remettre en cause. Le sujet posant une question fermée, il va falloir choisir un
plan dialectique, ou tout au moins concessif. Attention à la formulation du sujet : c’est le « n’offre-t-il
que » qu’il faut interroger, c’est la restriction qu’il apporte. Ce n’est pas la notion de spectacle qu’il faut
remettre en cause. Par son statut de comédie-ballet, Le Malade imaginaire est un spectacle, c’est indéniable,
Molière l’a voulu comme tel. Ce qu’il faut remettre en cause, c’est l’idée que ce ne serait rien d’autre qu’un
spectacle.
Le Malade imaginaire, avant même d’être un spectacle appelant une mise en scène, est un texte écrit par un
auteur, Molière, et dans ce texte on va retrouver les points de vue de l’auteur, certains sujets qui lui tiennent
à cœur.
D’où la problématique : la comédie du Malade imaginaire, en plus de sa vocation spectaculaire et
divertissante, n’a-t-elle pas également un objectif sérieux et critique ? Tout en savourant le spectacle
proposé, ne peut-on aussi comprendre cette pièce comme une réflexion critique très efficace sur la médecine
de l’époque ?

I/ Le Malade imaginaire est avant tout une comédie-ballet, un spectacle total conçu pour divertir le
spectateur (Cette première partie reprend la thèse et la justifie en donnant des arguments).
1. La comédie du Malade imaginaire se présente comme un spectacle dans un spectacle : dans le 1er
prologue, une troupe de bergers apprend le retour du roi et le dieu Pan leur demande de songer à faire
plaisir au Roi. Oui mais comment ? C’est bien la comédie du Malade imaginaire qui servira de diver-
tissement au roi et de délassement après ses campagnes militaires. Les bergers, à la fin du prologue,
doivent se préparer pour assister au spectacle en tant que spectateurs ou même acteurs. Les person-
nages du premier spectacle vont rentrer dans le 2e spectacle où de nouveaux personnages vont diver-
tir ceux du premier spectacle. De même, à la fin de l’acte II, Béralde introduit le spectacle dans le
spectacle, en proposant à son frère un divertissement qui va en même temps réjouir le public (le 2 ème
intermède). Par ce procédé de mise en abyme, Molière met en évidence son choix de concevoir un
spectacle divertissant et d’y intégrer tout le monde. Son but est de rendre son spectacle vivant pour le
plus grand plaisir du spectateur, et dès le prologue il met en scène son rapport avec son public, sa
volonté de lui plaire et de le divertir. En outre, nombreuses sont les scènes de « théâtre dans le
théâtre », où les personnages jouent la comédie, endossent d’autres identités que la leur, ou encore
font semblant de ressentir des émotions ou de vivre des situations imaginaires : on peut citer la
fameuse scène dite « du poumon », dans l’acte III, scène 10, où Toinette interprète magistralement un
« médecin passager » spécialisé dans les « maladies d’importance » ; ou bien celle où la petite
Louison, jouant avec son père attendri, fait mine de parler « à son petit doigt » et l’accuse de
mensonge ou encore, la double comédie de la mort que joue Argan, d’abord pour Béline, la
manipulatrice manipulée, puis pour Angélique. Dans ce spectacle, Toinette se fait metteur en scène et
actrice, Argan acteur et Béralde spectateur, ce qui offre une véritable réflexion sur les fonctions
même du théâtre.
2. La pièce nous divertit aussi grâce aux différents univers qui défilent sur la scène et à
l’impression de foisonnement, de mouvement perpétuel donné par la diversité des scènes et des
personnages. En effet, d’une scène à l’autre, ou d’un acte à son intermède, le spectateur est
transporté d’un cadre à un autre, d’un univers à un autre : celui de la pastorale par exemple,
bucolique et merveilleux, avec ses dieux et ses bergers (prologue) ; celui de la commedia dell’ arte,
avec les aventures de Polichinelle dans le 1er intermède ; celui de l’exotisme avec les danseurs
déguisés en égyptiens dans le 2ème ; ou encore celui du carnaval, évoqué par le défilé costumé des
médecins à la fin de la pièce… tout cela alternant avec le décor réaliste d’une maison bourgeoise
dans les différents actes. Mais l’éblouissement du spectateur passe surtout par le mélange des
différents arts : danse, musique et théâtre, qui sont habilement « cousus ensemble » et parfois même
intégrés les uns aux autres, comme par exemple dans la scène 5 de l’acte II où Angélique et Cléante,
jouant la comédie du maître et de son élève, improvisent un petit opéra en musique pour se déclarer
leur amour. En outre le spectacle est aussi celui offert par la variété de masques et des
déguisements portés par les personnages eux-mêmes (Toinette en médecin, Cléante en maître de
musique) ou par les danseurs, tous plus originaux et extravagants les uns que les autres. Enfin, la
pièce impressionne également par le tourbillon permanent qui anime la scène : les
personnages (très nombreux pour une comédie classique), servante, épouse, filles, médecins
virevoltent autour d’Argan, offrant un ballet ininterrompu de conflits et de jeux de scène
cocasses. Toinette courant autour de la chaise de son maître pour le rendre fou dans la scène 5 de
l’acte II ou lui jetant les oreillers sur le visage, offre ainsi des scènes où le comique de farce est
prépondérant. Le spectateur goûte aux plaisirs d’un spectacle varié, étourdissant, qui lui rappelle
que la pièce s’inscrit dans l’ambiance du carnaval et se déroule dans une ambiance festive : on
chante, on se déguise, on danse, on bouge.
3. Enfin le spectacle divertit son public grâce aux ressorts comiques que l’auteur utilise pour faire
rire le spectateur. Du comique de caractère à celui de moeurs en passant par la farce, la
diversité des sources du comique est époustouflante. Qu’il ait des accents scatophiles peu
bienséants ou une dimension cathartique plus profonde, le rire est permanent. On assiste par exemple
au spectacle ridicule d’Argan se précipitant aux toilettes pour évacuer ses « humeurs », ou demandant
à Toinette si son « lavement a bien opéré ». Le comique de mots fait aussi partie du spectacle,
notamment lors de la cérémonie finale où les faux médecins entonnent des chants dans une langue
latine plus que douteuse, ou lorsque Molière parodie le langage précieux dans le compliment que
Thomas Diafoirus adresse à Angélique, parlant des « astres resplendissants » de ses yeux… Les
nombreux quiproquos, relevant du comique de situation, ponctuent également la pièce, tels que
l’erreur naïve commise par Angélique sur l’identité du prétendant dont lui parle son père, ou celle,
hilarante, de Thomas Diafoirus prenant sa future fiancée pour sa belle-mère ! Mais c’est sans doute le
comique de caractère qui est le plus présent dans l’ensemble de l’œuvre. Celui incarné par Argan,
bien sûr, monomaniaque aveuglé par son égoïsme et son hypocondrie, qui pique des colères tel un
enfant capricieux, tapant du pied, criant « je suis méchant quand je veux » ou se laissant cajoler
comme un bébé par une épouse vénale dont il est incapable de percevoir l’hypocrisie. Et surtout celui
de Toinette, servante insolente et maline, sorte de double féminin de l’Arlequin de la commedia
dell’arte. Ses réparties pleines d’esprit, révélant par leur ironie mordante une vérité souvent très
amère, sont attendues à chaque scène par le spectateur, telle que la flèche : « il faut qu’il ait tué bien
des gens, pour s’être fait si riche ! » décochée au sujet de la fortune de M. Purgon ! Et celui,
évidemment, de tous les médecins, grotesques pantins incompétents, qui gesticulent et vocifèrent,
ridiculisant leur profession, tel le duo des Diafoirus, ou le ridicule Purgon menaçant son patient de
l’abandonner à sa « mauvaise constitution » parce qu’il a refusé de prendre son 4ème lavement de la
journée.
Ainsi cette comédie-ballet, par son incroyable diversité et son foisonnement presque baroque,
constitue un spectacle total, mêlant avec brio les arts et le rire, pour le plus grand plaisir du
spectateur.

II/ Néanmoins, à travers ce spectacle, Molière invite le spectateur à réfléchir sur des sujets sérieux qui
lui tiennent à cœur : les abus et les dérives de la médecine à son époque, mais aussi les mariages
arrangés, l’hypocrisie sociale ou encore le rôle libérateur et thérapeutique du théâtre face aux maux
de l’humanité.
1. Par la voix de Béralde, son porte-parole, mais aussi de Toinette, la servante qui se caractérise par son
parler populaire mais sa grande lucidité et intelligence, Molière dénonce des médecins incompé-
tents et avides d’argent, qui profitent de la naïveté et des angoisses de leurs patients pour les main-
tenir sous leur dépendance. Le dernier intermède met en scène une fausse cérémonie de remise de di-
plôme à un médecin, où on comprend clairement, malgré l’usage d’un latin de cuisine, que le ba-
chelier obtient son diplôme en donnant toujours la même réponse mécanique quelle que soit la ques-
tion et quelle que soit la maladie, et qu’à la fin il obtient une certification qui correspond au droit de
tuer en toute impunité. L’incompétence et la vénalité des médecins ressort ici de manière particuliè-
rement évidente.
2. Le spectacle est un excellent moyen de dénoncer ce qu’est la médecine, à savoir un spectacle,
une grande illusion, « le roman de la médecine ». Les médecins sont avant tout des acteurs, ils se
déguisent (robe, bonnet, barbe) pour mettre en scène un savoir illusoire ; ce sont de bons acteurs, de
beaux parleurs, qui jouent de leur apparence et de leur maîtrise de la langue latine pour impressionner
leurs patients. Molière peut ainsi parodier les médecins et la manière dont ils se donnent en spectacle
aux yeux de leurs patients. Toinette, à l’acte III, en fait la démonstration, se mettant en scène lors de
la fausse consultation et qui met au jour le ridicule de la médecine.
3. A la satire de la médecine, Molière ajoute un 2e sujet qui lui tient particulièrement à cœur : les
mariages arrangés. L’hypocondrie d’Argan le conduit à vouloir pour sa fille un mari médecin. La
scène 5 de l’acte II est de bout en bout un spectacle qui va dénoncer la situation des jeunes filles
soumises aux choix arbitraires de leur père, sans aucune considération pour leurs sentiments et leurs
choix personnels. Le moment où Thomas Diafoirus récite son compliment est un spectacle grotesque
qui témoigne de la bêtise et du formatage d’esprit de ce futur médecin et futur mari. Le spectacle
pastoral que donnent Cléante et Angélique sous prétexte de jouer un petit opéra de bienvenue aux
Diafoirus est une sorte de contre-spectacle qui permet aux deux amants de se déclarer leur amour
librement malgré la présence tyrannique d’Argan.
 Le spectacle est donc au service de la satire et de la dénonciation. C’est grâce à la force comique de
ce spectacle que la comédie peut conduire efficacement le spectateur à une attitude critique sur le
monde qui l’entoure.
4. Enfin, en mettant le spectacle au service d’un objectif critique et satirique, Molière fait aussi la
démonstration à son public de la grandeur et de l’intérêt de la comédie, genre souvent dénigré
en regard de la tragédie. A travers le Malade imaginaire, il fait l’éloge du théâtre comique et de
ses vertus (ses fonctions, son action positive sur l’esprit du spectateur). Ainsi, Le Malade imaginaire
n’est pas seulement un spectacle : c’est aussi un éloge du théâtre. Le théâtre comique est un
divertissement salutaire qui fonctionne comme un antidote au spectacle toxique de la médecine. Il
permet de se délivrer de l’hypocondrie (voir les propos de Béralde à l’acte III, 3 mais aussi le 2e
intermède, et l’intermède final). Plus largement, la comédie est un spectacle qui a pour vocation de
faire éclater la vérité et de dénoncer tous les faux-semblants et toutes les formes d’emprise et de
manipulation. C’est paradoxalement une illusion au service de la vérité. Voir la scène où Toinette
demande à Argan de contrefaire le mort : cela va permettre de démasquer Béline.

Conclusion. Dans cette pièce riche en divertissements variés, Molière a su réunir tout ce qui fait son talent.
Le Malade imaginaire est bien un spectacle de grande ampleur, face auquel le public a de quoi être ébloui
par le mélange des arts, la splendeur des décors et des costumes, le mouvement continuel et les diverses
formes de comique qui se succèdent ou se superposent sans lui laisser le temps de reprendre son souffle..
Mais c’est aussi un spectacle qui donne à penser, dont l’enjeu didactique ou moraliste n’est pas à négliger et
qui se révèle finalement d’une profondeur peu commune pour une comédie.
Idées d’élargissement :
- Sur la grande idée de l’époque classique selon laquelle l’art a une double fonction, qu’on retrouve
ici : docere et placere.
- Sur le genre de la comédie ballet ancêtre de la comédie musicale dans lequel on peut, également,
trouver une réflexion critique et un éloge de l’art : voir par exemple La la land, comédie musicale qui
réfléchit sur les mécanismes de la réussite dans notre société et qui est aussi un vibrant hommage
rendu au jazz.

Vous aimerez peut-être aussi