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Dramaturge vénitien, Carlo Gozzi (1720-1806) se fait d’abord remarquer en

publiant des pièces et poèmes satiriques. Défenseur de la commedia dell’ arte


et de la littérature toscane contre les influences étrangères, il se pose en rival
de Goldoni et de son théâtre réaliste. Il devient célèbre pour ses fables
théâtrales, qui font se côtoyer sur scène la bouffonnerie des masques italiens
et le merveilleux des contes populaires et littéraires, autour de situations
puissantes. L’Amour des trois oranges (1761), Le Roi-cerf et Turandot (1762),
de véritables triomphes en leur temps, traversent encore la culture
occidentale.
Modèles de création pour les romantiques allemands (Goethe, Schiller et
surtout Hoffmann), ses pièces ont inspiré de nombreux compositeurs d’opéra
(Wagner, Puccini, Prokofiev) et ont été servies au XXe siècle par de grands
metteurs en scène (Meyerhold, Copeau, Pitoëff, Strehler, Besson, La MaMa),
confirmant ainsi leur vocation essentiellement théâtrale.

Parallèlement à sa production scénique, Carlo Gozzi n’a cessé de mener une


réflexion sur le théâtre et le jeu de l’acteur, dans son Discours ingénu et
histoire sincère de l’origine de mes dix fables théâtrales, ses nombreuses
préfaces et d’autres écrits théoriques, éclairant ainsi sa poétique. Lucie
Comparini et Eurydice El-Etr, spécialistes de Gozzi et du théâtre italien du
XVIIIe siècle, redonnent vie, par la publication de ces textes inédits en français, à
l’une des premières “dramaturgies de l’acteur”.
ACTES SUD - PAPIERS
Editorial : Claire David

Les traductrices tiennent à remercier


Françoise Decroisette pour sa relecture avisée.

© ACTES SUD, 2010 pour la présente édition


ISSN : 0298-0592
ISBN : 978-2-330-10555-6
 

 
CARLO GOZZI
ÉCRITS SUR
 
LE THÉÂTRE
 

Dramaturgie de l’acteur
et poétique théâtrale
 

Introduction, traduction et notes


Lucie Comparini
Eurydice El-Etr
 

Apprendre 30
INTRODUCTION

Le meilleur auteur est celui qui sait donner les


couleurs de la vérité à l’invraisemblable.

CARLO GOZZI,
préface à Zeim, roi des génies.

Carlo Gozzi est de ces auteurs qu’on connaît sans le savoir, et dont les œuvres
traversent en filigrane la culture occidentale. Dramaturge vénitien du XVIIIe
siècle, rival de Goldoni et grand défenseur de la commedia dell’arte, il a été
célèbre en son temps pour ses fiabe teatrali, des pièces servies par des
situations puissantes, qui font se côtoyer sur scène la bouffonnerie des
masques de la commedia dell’arte et le merveilleux des contes et des romans
épiques  ; un mélange inédit qui n’a pas laissé insensibles écrivains,
compositeurs d’opéra et metteurs en scène. Modèle de création pour les
romantiques allemands et jouissant de l’admiration de Goethe et de Schiller,
des frères Schlegel et de Hoffmann, Gozzi a aussi exercé sur les compositeurs
d’opéra une force d’attraction toujours renouvelée qui, de la Turandot de
Busoni au Roi-cerf de Henze, en passant par Les Fées de Wagner, la Turandot
de Puccini, L’Amour des trois oranges de Prokofiev ou La Femme-serpent de
Casella, ne s’est pas encore démentie. Enfin, après une longue hibernation, les
fiabe de Gozzi ont été remises à l’honneur sur les scènes de théâtre dans les
premières années du XXe siècle, et ont continué depuis à être montées ou
adaptées par les représentants des esthétiques les plus variées, confirmant
ainsi leur vocation essentiellement théâtrale – citons notamment Meyerhold,
Vakhtangov, Reinhardt, Copeau, Pitoëff, Strehler, Benno Besson, Andrei
Serban, La MaMa, etc. La sélection d’écrits sur le théâtre que nous publions
ici vise à donner une connaissance plus profonde de cet auteur qui,
parallèlement à sa fertile production dramatique, ne cessa de mener aussi une
réflexion sur le théâtre.

Carlo Gozzi (1720-1806) naît dans une famille de nobles de province


installés depuis longtemps à Venise, mais rattachés par leurs terres au Frioul.
Les difficultés financières ne permettent pas à ses parents de dispenser à leurs
nombreux enfants la même éducation solide et prolongée qu’ils réservent au
seul aîné Gasparo, qui deviendra un intellectuel et moraliste modéré,
rédacteur de la Gazette vénitienne et de L’Observateur vénitien dans une
république oligarchique peu progressiste. C’est donc en autodidacte déterminé
que Carlo se forme une connaissance profonde de la littérature et de la langue
italiennes. Attaché à la culture et aux valeurs traditionnelles, respectueux
d’une hiérarchie sociale à ses yeux nécessaire, taciturne à la plume acérée, le
comte Carlo Gozzi s’oppose ouvertement aux modes et aux idées nouvelles,
où il ne voit qu’imposture, fausse philosophie et danger social. Le
pseudonyme de “Solitaire”, qu’il choisit en 1747 pour ses activités au sein de
la conservatrice mais rieuse académie littéraire des Couillons (Accademia dei
Granelleschi), traduit assez bien son esprit indépendant, en décalage par
rapport à un siècle qu’il occupe pourtant largement de sa naissance à sa mort.
Dès  1757, dans un poème satirique aux vers burlesques, La Tartane des
influences pour l’année bissextile  1756, il critique l’entreprise de Carlo
Goldoni, imitée de près par Pietro Chiari, prolifique auteur de pièces en tous
genres, de faire sortir progressivement le théâtre italien des structures et
modalités de la commedia dell’arte. Gozzi voit d’un mauvais œil la volonté de
Goldoni de transformer cette dernière en comédie de caractère ou de mœurs,
régulière et réaliste (plus tard aussi exotique et romanesque), entièrement
écrite et susceptible d’accéder à la dignité littéraire par l’édition. C’est avec le
même esprit polémique qu’il écrit ensuite le pamphlet Le Théâtre comique à
l’hôtellerie du Pèlerin tombé aux mains des académiciens Couillons (publié
en  1805, mais circulant dans sa version manuscrite dès  1758). Le texte est
une attaque non voilée de la pièce de Goldoni Le Théâtre comique, que Gozzi
transforme pour l’occasion en véritable personnage, et qu’il fait dialoguer avec
“le Solitaire”, c’est-à-dire lui-même. C’est ainsi que voit le jour une querelle
mouvementée entre les trois dramaturges, soutenus chacun par ses partisans,
qu’il s’agisse de lettrés ou de simples spectateurs.
Carlo Gozzi se veut le défenseur de la seule forme de théâtre national
valable pour lui, la commedia dell’arte, ou comédie à l’impromptu, dont la
vitalité est à ses yeux loin d’être éteinte, malgré la pernicieuse influence du
théâtre étranger sur les auteurs et les acteurs. Il décide alors de renouveler le
genre afin d’en prouver la popularité à Goldoni et Chiari ainsi qu’à leurs clans
respectifs. C’est ce jeu de contradictions, ce pari contre-réformiste plaisantin,
mais peut-être aussi un réel désir de création autonome qui donnent naissance
à l’adaptation par Gozzi de contes pour enfants racontés par les grands-mères
ou inspirés de récits de la tradition littéraire, à grand renfort de merveilleux et
de métamorphoses, puis d’exotisme et de romanesque. L’Amour des trois
oranges, représenté en  1761  (et publié onze ans plus tard sous forme
d’“analyse réflexive”), est aussi bien la mise en action polémique de ses
positions que l’expression d’un génie et d’une maîtrise dramaturgiques
personnels. Gozzi crée ainsi un genre qui n’avait pas encore été exploité dans
le théâtre comique parlé : la fiaba teatrale. Dix pièces de cette veine voient le
jour, et le succès considérable qu’elles remportent sanctionne la victoire
temporaire de Gozzi sur ses deux rivaux.
A Venise, la querelle théâtrale est aussi une querelle des théâtres, car ces
derniers (qui portent le nom de la paroisse où ils se trouvent), très nombreux,
sont la propriété de patriciens qui en retirent des revenus en les louant aux
chefs de troupe. Le comte Gozzi refuse de vendre ses services aux troupes de
théâtre, contrairement au roturier Goldoni, auteur à gages obligé de se
soumettre à la logique du théâtre marchand (il était tenu par contrat d’écrire
huit pièces nouvelles par an). Gozzi décide d’offrir gratuitement son soutien à
une troupe de commedia dell’arte talentueuse et non “réformée”, celle de
l’excellent Truffaldin et chef de troupe Antonio Sacchi, dont le succès est
d’abord incertain, en raison d’une longue absence et de son retour précipité du
Portugal après le tremblement de terre de Lisbonne. De plus, la faveur du
public lui est sans cesse disputée par la représentation sur les autres scènes
vénitiennes de drames larmoyants traduits du français (entre autres par la fille
du journaliste Domenico Caminer, Elisabetta Caminer Turra), par les pièces
que Goldoni envoie de Paris où il s’est exilé, et par la reprise de pièces
réformées ou la création de pièces nouvelles. L’actrice Teodora Ricci, à
laquelle Gozzi s’attachera plus qu’à aucune autre comédienne, sera
progressivement placée au premier plan des créations du théâtre de San Luca
lorsqu’il s’agira de contrer les succès de Caterina Manzoni, première actrice
du théâtre de Sant’Angelo.
Dans une seconde période, persuadé que les genres nouveaux s’usent d’eux-
mêmes et lassent le public (mais est-ce la seule raison  ?), Gozzi passera au
genre des tragicomédies inspirées du théâtre espagnol du siècle précédent,
sans pour autant exclure les masques, personnages-types traditionnels de la
commedia dell’arte (Pantalon, Tartaglia, Brighella, Truffaldin-Arlequin, ainsi
que Smeraldina, qui ne porte pas le masque). Comme les fiabe, les
tragicomédies procèdent d’un mélange du registre élevé, voire tragique, et du
registre comique, voire farcesque, répartis entre les personnages selon leur
rang social.
Gozzi critique Goldoni pour avoir, de  1749  à 1762, essayé d’imiter une
réalité triviale et inconvenante, pour avoir mis en scène des personnages
nobles sous un jour négatif et ridicule, et pour avoir incarné ses prétendues
vertus dans des personnages subalternes dangereusement sérieux ou
pathétiques. Il ne montrera quant à lui que rois et princes parlant en vers,
entourés de conseillers ou d’écrivains ridicules au langage bigarré (prose
toscane ou vénitienne laissant une place pour l’improvisation), et serviteurs au
comique populaire qui s’expriment en vénitien (sauf la soubrette qui a
toujours eu un statut à part) et auxquels sont réservés la plupart des lazzis. Le
naturel ne peut donc pas être chez Gozzi imitation de la réalité  : c’est une
vérité morale et psychologique enrobée dans l’allégorie, qui n’exclut pas
l’émotion et le rire.
Gozzi, qui avait affiché son désintéressement matériel et son mépris pour
les prétentions éditoriales des mauvais dramaturges, décide pourtant de
publier ses pièces, agacé de les voir transformées par les reprises en tournée,
ou pillées par des troupes besogneuses, et sans doute aussi poussé par un désir
de reconnaissance littéraire face aux critiques récurrentes du clan réformiste.
Mais le texte de ses pièces prend en compte la représentation telle qu’elle a
réellement eu lieu : à côté des dialogues “sérieux” entièrement écrits, typiques
du théâtre d’auteur, on trouve des scènes à l’impromptu, où les répliques sont
tantôt seulement évoquées, tantôt précisément transcrites, et qui rappellent les
canevas traditionnels de la commedia dell’arte. Continuant à affirmer la
fonction de divertissement de son écriture, il qualifie ses pièces de
“plaisanteries” ou “futilités”, “caprices”, “fantaisies”, “bizarreries poétiques”,
“extravagances”, voire “monstres scéniques”, mais il ne manque pas d’en
souligner aussi l’habile construction, les situations fortes, l’expression des
passions, la portée allégorique et l’indéfectible moralité.
L’édition de ses œuvres, qui commence en 1772  chez Colombani, est
préparée par un Ma nifeste , sorte d’avis de lancement non intégré à la
publication. Elle s’ouvre par un long Discours ingénu qui rappelle le parcours
créatif de Gozzi et ses prises de position, et s’inspire, parfois textuellement,
de sa récente préface à la traduction qu’il a donnée de Fayel, tragédie de
Baculard d’Arnaud. Placé en exergue du premier tome, ce Discours est suivi,
au tome IV, d’un Supplément au Discours ingénu, qui en continue le propos
théorique et polémique en insistant sur la nécessité d’endiguer l’invasion des
drames français en Italie, et en proposant une renaissance du théâtre italien
soutenue par une politique culturelle qui rétribuerait enfin auteurs et acteurs.
En l’absence d’une telle politique qui, de toute évidence, n’est pas à l’ordre du
jour, il est inévitable, selon Gozzi, que le théâtre d’acteur s’impose face à un
théâtre d’auteur qui, pour lui, a disparu depuis la Renaissance. Il est donc
essentiel de sauvegarder les techniques du métier propres à la tradition de la
commedia dell’arte ; et Gozzi de donner dans son texte un exemple de canevas
ancien afin d’en prouver à la fois la souplesse et la difficulté d’exécution liée à
la maîtrise des situations, des tirades et des lazzis.
Sans doute y a-t-il une contradiction chez lui entre son éloge inconditionnel
du jeu à l’impromptu et son souci de fixer le texte de ses pièces dans des
livres, en les accompagnant de discours théoriques, préfaces programmatiques
et préfaces-bilan, ou postfaces sous forme de lettre-conseil à un jeune auteur
dramatique imaginaire (La Plus Longue Lettre de réponse qui ait jamais été
écrite). Mais cette contradiction permet justement de ne pas le cantonner dans
le rôle du conservateur polémiste, ni, à l’inverse, dans celui du porte-drapeau
de la liberté scénique ; elle met en valeur plutôt l’évolution de ses expériences
théâtrales et de sa réflexion théorique, et ses tentatives d’enrayer la décadence
de la comédie et de la tragédie classiques, qui le rapprochent parfois de ses
rivaux. Riche de ses contradictions, Carlo Gozzi n’apparaît pas comme un
simple épigone de la commedia dell’arte ou de la tragicomédie espagnole ; sa
contre-réforme est en réalité une réforme autre, visant à régénérer le théâtre
italien, qui lui semble encore inabouti au moment où il publie ses œuvres,
même s’il reconnaît quelque mérite à Goldoni.
Un dernier mot  : malgré ses airs de lettré misanthrope, Gozzi est un
homme de théâtre au vrai sens du terme, un auteur qui modèle ses rôles sur la
personnalité et les capacités des acteurs avec lesquels il travaille1, qui
compose ses intrigues en imaginant leur représentation théâtrale, et va jusqu’à
régler très concrètement avec les machinistes la réalisation de certains effets
scénographiques, comme en témoigne la longue didascalie de Chimène Pardo.
Un homme de théâtre qui, scrutant les réactions de son public pendant les
représentations, se fait à son tour spectateur de ses spectateurs, et ne cesse de
s’étonner de l’intensité de l’illusion théâtrale. Il s’émerveille ainsi de la
fascination que les intrigues, même hors du théâtre, continuent d’exercer sur
le public – témoin l’anecdote relatée dans la préface de La Femme-serpent –
  et, à l’inverse, de l’émerveillement du public devant la représentation sur
scène de réalités qui lui sont pourtant familières et quotidiennes : les statues
de Venise représentées dans L’Oiseau vert, ou Cigolotti, fameux conteur
vénitien, imité sur scène par un des personnages du Roi-cerf. Mais sa
conscience d’homme de théâtre ne transparaît pas seulement dans son écriture
et l’attention qu’il porte à son public  : elle affleure aussi dans son intérêt
constant pour l’amélioration du spectacle de théâtre. Il recommande ainsi aux
acteurs un professionnalisme accru et une formation culturelle plus
importante, et préconise que les propriétaires des théâtres rémunèrent acteurs
et auteurs. Un homme tout en contradictions, jusque dans son style volontiers
tourmenté et noueux, mais émaillé de formules lapidaires et pleines d’humour
qui rappellent parfois celles de La Bruyère.

Récemment, en Italie, les études gozziennes ont connu un nouvel essor, en


particulier grâce à la découverte en 2000 de nombreux manuscrits2, intégrés à
la Bibliothèque nationale Marciana de Venise en  2003, et ouverts à la
consultation en 2006, année du bicentenaire de la mort de Gozzi. Un projet
d’édition nationale critique de ses œuvres est en cours chez l’éditeur Marsilio
de Venise, le même qui édite les œuvres de Goldoni, pièce par pièce,
depuis  1993. Le premier volume devrait rassembler des pièces ou des
adaptations inédites de Gozzi trouvées parmi ces manuscrits (Comédies en
comédie, Les Compétitions théâtrales, Les Con vulsions, Le Souper mal
apprêté) 3 . En outre, la connaissance de l’auteur sera enrichie par la
publication en Italie de certains textes théoriques qui n’ont parfois connu
qu’une seule édition, celle d’origine (seuls sont accessibles en italien deux
écrits sur le théâtre dont la réédition remonte à plus de vingt ans)4.
Depuis 2002, un site web faisant le point bibliographique sur les éditions et la
critique est consultable en italien grâce aux soins d’un chercheur espagnol5.
En France, les écrits de Carlo Gozzi sur le théâtre n’ont jamais été
accessibles. Neuf de ses pièces, appartenant toutes au genre des dix fiabe, ont
été publiées, souvent dans des adaptations plus que dans de véritables
traductions, et toutes sont épuisées. Deux traductions récentes ont cependant
vu le jour  : L’Amour des trois oranges, traduit par Eurydice El-Etr, et
L’Oiseau vert, par Françoise Decroisette6. Ginette Herry a proposé la
traduction d’extraits liés à la polémique entre Carlo Gozzi et Carlo Goldoni
(1990), ainsi qu’une étude comparée des deux hommes qui nuance la
traditionnelle dichotomie transmise par la critique (2002).
Les études universitaires sur Gozzi se résument en France à quelques
articles, et à un ouvrage important de Gérard Luciani, publié en  1977  et
réédité en  2001, dans une version réduite et actualisée, et sous un nouveau
titre  : Carlo Gozzi ou l’Enchanteur désenchanté  ; cet ouvrage comporte de
nombreuses informations et de courtes mais précieuses citations traduites.
En 2006, un colloque international, organisé à l’université Paris-Sorbonne par
Andrea Fabiano, a réuni de nombreux chercheurs, et donné lieu à une
publication intitulée Carlo Gozzi, entre dramaturgie de l’auteur et dramaturgie
de l’acteur : un carrefour artisti que européen .
Enfin, cette année  2010  a vu paraître la première traduction française
complète et critique, d’après l’édition vénitienne de  1797, des volumineux
Mémoires inutiles de la vie de Carlo Gozzi écrits par lui-même et publiés par
humilité. Françoise Decroisette a dirigé les travaux d’un groupe de neuf
traducteurs et de trois annotateurs, auxquels nous avons activement participé.
Cette traduction collective a constitué une expérience importante pour la
réalisation du présent ouvrage, dont le but majeur est de faire découvrir les
écrits les plus éclairants de Carlo Gozzi sur le théâtre. Les textes proposés ici
sont tous inédits en français, et certains n’ont pas encore revu le jour en Italie
depuis le XVIIIe siècle.
Le choix de ces extraits, dont certains sont très étendus, vise à rendre
compte de la variété des perspectives adoptées par Gozzi et de l’évolution de
sa réflexion théâtrale. Ils sont classés en deux parties : les textes théoriques et
polémiques, conçus comme tels, d’une part, et de l’autre, les préfaces
argumentatives ou les notes ponctuelles de pièces individuelles, où sont
également jetées les bases d’une poétique théâtrale. A l’intérieur de chaque
partie, les textes sont présentés dans l’ordre chronologique, afin de permettre
une lecture au plus près de la succession des œuvres dans le processus créatif
et éditorial (voir les fiches chronologiques concernant la biographie ou la
production théâtrale, le catalogue des deux éditions, et la bibliographie, à la
fin de l’ouvrage). Quant aux notes, elles ne concernent pas la traduction en
tant que telle, mais l’élucidation de références ou d’allusions contenues dans le
texte et jugées obscures pour un public de non-spécialistes.
La répartition des paragraphes, la ponctuation, le rythme et la syntaxe de la
phrase gozzienne ont été conservés (sauf en de très rares cas où la
compréhension du lecteur risquait d’être compromise)  : inversions,
répétitions, énumérations, liens ou fusions elliptiques des concepts, inventions
lexicales ironiques et métaphores sont des caractéristiques du style de Gozzi
que nous n’avons pas voulu perdre. L’emploi foisonnant des majuscules de
noms communs (propre au siècle où écrit Gozzi) a toutefois été réduit et nous
avons imposé au texte une modernisation de la graphie des noms et des titres.
La traduction de quelques termes-clés qui sont aussi des concepts
dramaturgiques fondamentaux est le fruit d’un choix réfléchi en fonction du
contexte sémantique et du raisonnement logique. Par exemple, le mot genere
apparaît souvent sous la plume de Gozzi, signifiant parfois “genre”, parfois
simplement “production” ou “pièce” sans aucune implication de classement
générique. Plutôt que d’uniformiser les catégories évoquées par Gozzi, nous
avons essayé de sauvegarder la diversité des appellations des œuvres citées. La
variété des qualificatifs renvoie aux diverses expériences dramaturgiques de
leur auteur. Les pièces de Goldoni et de ses imitateurs sont souvent qualifiées
de commedie famigliari (“comédies bourgeoises”), les œuvres françaises dont
Gozzi critique l’introduction en Italie sont cataloguées comme drammi flebili
(“drames larmoyants”) ou, selon le cas et de manière moins conventionnelle,
de tragedie urbane (“tragédies bourgeoises”), tandis que les pièces à
l’impromptu (improvvise ou improvvisate) sont opposées aux pièces
entièrement écrites (premeditate).
Les titres gozziens eux-mêmes ne fixent pas définitivement le genre des
œuvres. Ainsi, l’adjectif qui spécifie le genre des dix fiabe teatrali du début de
la carrière dramaturgique de Gozzi (1761-1765) varie entre “tragicomique”,
“tragique”, “chinois tragicomique”, “philosophique”, et “comico-sérieux”
(seriofaceto). Le second groupe de pièces, plus important en nombre et plus
étendu dans le temps (deux premières créations en  1762, puis une longue
période allant de  1767  à  1803), appartient en grande partie à un genre
tragicomique d’inspiration espagnole que Gozzi nomme généralement, dans
ses préfaces et ses divers écrits, drammi spagnoleschi. Toutefois, parmi les
titres de cet ensemble de vingt-deux pièces (dont Les Drogues d’amour,
interdites, puis publiées avec les Mémoires inutiles), nous trouvons deux
“drames tragiques”, quatre “drames”, un “drame fabuleux allégorique”, trois
comédies, une “fable pastorale comico-sérieuse pour la musique” et même
une “action scénique morale”. Par commodité, dans la table des matières,
nous avons nommé les pièces de cette seconde période “tragicomédies et
drames”, mais, dans le corps du texte, nous avons conservé la diversité
sémantique adoptée par Gozzi.
Le seul choix épineux qui s’imposait était la traduction du terme fiaba lui-
même. L’expression fiaba teatrale n’est fixée par Gozzi qu’en 1772, dans son
Discours ingénu, puis déclinée en différentes variations selon les pièces
publiées  : fiaba teatrale tragicomica, tragedia fiabesca, fiaba filo sofica ,
fiaba seriofaceta. L’hésitation des traducteurs est significative (les choix vont
du calque “fable” au néologisme “fiabesque” en passant par “féerie”, avec une
certaine récurrence de “conte7,”) soulignant la polysémie du terme : la fiaba
est un petit récit fantastique d’origine populaire où se mêlent le merveilleux,
le comique et le dramatique, mais en vénitien fiaba, ou fola (autre terme
qu’utilise Gozzi dans ses préfaces, avec le plus toscan favola), désigne aussi
de simples petits récits spirituels et extravagants8. Les sources de Gozzi étant
assez variées (contes de Giambattista Basile, Pompeo Sarnelli, Pétis de La
Croix, contes des Mille et Une Nuits, contes populaires, poèmes épico-
chevaleresques de Boiardo, l’Arioste ou le Tasse, pièces de Shakespeare,
sujets-canevas de commedia dell’arte9 eux-mêmes inspirés d’œuvres théâtrales
en tous genres, etc.), et son intention morale étant affirmée de façon claire et
répétée, il fallait un terme pouvant s’appliquer à l’ensemble des compositions,
comme à la récurrence des substantifs fiaba, favola, fola et des adjectifs
fiabesco et favoloso dans le discours critique de Gozzi. L’expression “fable
théâtrale” nous a semblé un compromis acceptable  –  malgré le risque de
confusion avec le genre de la fable-apologue  –  en raison de son étymologie
latine (fabula signifie pièce de théâtre) et de son usage moderne (la fable
d’une œuvre désigne son élément narratif) aussi bien que de son homophonie
avec l’italien, dont il conserve le genre féminin.
Nous espérons que ce travail contribuera à une connaissance moins
parcellaire des écrits de Carlo Gozzi sur le théâtre, à un intérêt renouvelé et à
une diffusion plus étendue et plus diversifiée de l’œuvre de cet auteur.

1 Comme Goldoni l’avait fait dès la fin des années  1740  (pour une affirmation théorique de cette
qualité, voir entre autres la préface à la comédie goldonienne La Castalda).
2 Cf. Fabio Soldini, Carlo Gozzi 1720-1806. Stravaganze sceniche, letterarie battaglie, Venise, Marsilio,
2006.
3 Edités par Fabio Soldini et Piermario Vescovo. Ont déjà été publiées des lettres inédites  : Carlo
Gozzi, Lettere, édition établie par Fabio Soldini, Venise, Marsilio, 2004.
4 Cf. bibliographie. Anna Scannapieco proposera bientôt une édition critique du Ragionamento ingenuo
qui comprendra l’Appendice, mais aussi les textes théoriques préparatoires de ces écrits : Manifesto et
préface du traducteur de Fajel (Fajel est le titre italien donné par Gozzi, Fayel sa version française).
5 Il s’agit du site en italien de Javier Gutiérrez Carou  : www.carlogozzi.com. Voir aussi l’ouvrage de
Javier Gutiérrez Carou Carlo Gozzi. La vita. Le opere. La critica. Con un inedito componimento in
veneziano, Lido di Venezia, Supernova, 2006.
6 Cf. Liste chronologique des pièces traduites en français. Pour tous les titres évoqués dans ce
paragraphe, voir la bibliographie à la fin de l’ouvrage.
7 Plus récemment, Eurydice El-Etr choisit le terme “conte” pour sa traduction de l’“Analyse réflexive”
de L’Amour des trois oranges (Paris, La Délirante, 2009). Dans la dernière traduction des Mémoires
inutiles de Gozzi (Paris, Alain Baudry et Cie, 2010), la solution collectivement adoptée est “fable”, de
même que dans la traduction de L’Oiseau vert par Françoise Decroisette (Strasbourg, Circé, sous
presse).
8 Boerio, Dizionario del dialetto veneziano, Venise, Giunti, 1856, p. 268.
9 Les favole rappresentative de Flaminio Scala (publiées en 1611), sont un exemple de ces “sujets” ou
“histoires à jouer” mêlant la comédie, la pastorale, la tragédie.
N. B. : Le Manifeste, la préface de Fayel, le Supplément au Discours ingénu,
La Plus Longue Lettre et les préfaces des tragicomédies et des drames ont été
traduits par Lucie Comparini.
Le Discours ingénu et les préfaces des fables théâ trales ont été traduits par
Eurydice El-Etr.
ŒUVRES THÉORIQUES
MANIFESTE DU COMTE CARLO GOZZI
DÉDIÉ À MESSIEURS LES ÉMINENTS JOURNALISTES,
PRÉFACIERS, ROMANCIERS, AUTEURS DE MANIFESTES
ET FEUILLES VOLANTES DE VENISE

Carlo Gozzi
à son public très humain

Parmi les nombreuses raisons qu’avancèrent mes amis pour me convaincre de


faire publier les œuvres théâtrales que j’ai écrites par pur divertissement pour
les offrir à la troupe de comédiens dite de Sacchi, laquelle mérite d’être aidée,
certaines m’ont décidé à franchir le pas. Je les exposerai à mes concitoyens
pour qu’on ne pense pas que j’envoie mes œuvres aux presses par une
ambition particulière, les jugeant dignes de voir le jour.
Les trames de mes pièces ayant été dérobées au théâtre de Sacchi par
différentes troupes italiennes poussées par le succès de ces œuvres,
subrepticement volées, mal reproduites et misérablement vêtues de dialogues
par des écrivaillons, il se trouve que des monstres illégitimes parcourent les
théâtres d’Italie.
En outre, ces mêmes représentations, que la troupe de Sacchi reprend elle
aussi toujours avec certain succès, sont aujourd’hui rendues en maints endroits
différemment de ce quelles étaient à l’origine. Allant de ville en ville durant
ses tournées, cette troupe est obligée, à cause de la chaleur de la saison
estivale, d’éliminer ou de démembrer des scènes pour ne pas ennuyer les
spectateurs qui supportent mal d’être trop longtemps enfermés dans la
touffeur d’un théâtre. Les changements qui surviennent nécessairement dans
la composition des troupes de théâtre font que l’on distribue les rôles à des
acteurs peu talentueux qui impatientent le public et qui obligent à tronquer ou
mutiler les dialogues parce qu’ils sont mal interprétés et qu’on veut éviter le
susdit ennui. Tout en excusant Sacchi, à qui j’ai offert, en même temps que
mes œuvres, la possibilité d’en retirer des bénéfices au mieux de ses intérêts,
je peux aussi asséner l’infaillible vérité que mes œuvres, proposées par lui sur
les scènes actuelles, sont très différentes de ce qu’elles étaient lors de leur
première représentation ; cela dit, je n’ai aucunement l’intention d’en faire le
reproche à un bon et honnête comédien à qui je sais gré d’avoir soutenu
toutes mes pièces aussi bien par la qualité du jeu de sa troupe que par
l’attention et le faste qu’il a accordés aux décors.
Toutes ces raisons ne m’auraient peut-être pas décidé à publier ce que j’ai
écrit pour le théâtre afin de divertir ma patrie, passer le temps et aider une
troupe talentueuse aux bonnes mœurs  ; la raison qui fut pour moi la plus
convaincante est la suivante.
Monsieur Giuseppe Baretti 1 , qui avait vu il y a plusieurs années à Venise
la représentation de quelques-unes de ces œuvres, d’une espèce sans nul doute
nouvelle, originale et fantasque, a voulu en faire l’éloge dans certains textes
édités à Londres où il a pris la défense de l’Italie outragée par un auteur
anglais2, et il l’a fait avec cette énergie qui lui est propre.
Cela a conduit certains petits esprits étranges, malheureux et tourmenteurs
dont tous les temps furent toujours pourvus et qui, pour les raisons que l’on
sait, éditent furieusement, comme illustration de ce siècle, tout ce qu’on leur
fait connaître, non seulement à contredire monsieur Baretti, mais à dénigrer
les œuvres théâtrales évoquées, avec cette grâce, cette politesse, cette
assurance et cette élégance pleine de justifications que l’on peut facilement et
à peu de frais remarquer.
Un public respectable qui a honoré et honore encore ces pièces de sa
présence et de sa patience ne doit pas être pris pour un imbécile avec une
telle arrogance triviale, malhonnête et enragée  ; et les garder inédites serait
désormais comme avouer qu’elles sont indignes des honneurs qu’elles ont
reçus et comme offenser, en accord avec les malotrus, un public bienveillant
mais avisé auquel tout auteur est redevable de l’approbation si désirable de
son talent. […]
Je déclare aussi que je caresse modestement l’espoir de voir mon aimable
juge plein de perspicacité remarquer également, à la lecture de mes œuvres
imprimées, que la cause principale de ses applaudissements réside dans leur
essence même, et non dans leurs titres ni leurs sujets enfantins, ces derniers
étant volontiers donnés en pâture au mépris des critiques puérils qui, aveugles
soit par nature soit par malice, ne peuvent, ne savent ou ne veulent distinguer
ni la construction de l’intrigue, ni la vigueur des passions placées dans des
péripéties frappantes, ni la force de l’éloquence élevée, éloquence abandonnée
aujourd’hui à cause d’une inertie misérable et d’une ignorance crasse,
méprisable, mais qui sera toujours un conducteur harmonieux et très efficace
de l’expression des sentiments utiles en direction de leur centre qui est le
cœur.
Les auteurs qui n’admettront pas qu’il est plus difficile, avec des sujets
fictifs et enfantins, de maintenir éveillée l’attention du public et de l’émouvoir
jusqu’aux larmes qu’avec des sujets naturels et vraisemblables seront toujours
des auteurs qui, par leur écriture, courront le risque de faire rire avec les
sujets les plus tristes, d’ennuyer avec les sujets les plus intéressants et de faire
pleurer avec les sujets les plus drôles. […]
Je n’opposerai rien aux discours en partie faux, en partie rances et
complètement pédants des articles sur les œuvres théâtrales qui n’ont aucun
rapport avec le divertissement traditionnel et admis3  et, de même que je ne
me moquerai pas des bons traducteurs ni des œuvres étrangères de qualité, je
rirai sans dégoût des traducteurs malheureux et de ceux qui, pour masquer
l’aridité de leur talent ou leur but intéressé, font la grâce d’offrir à l’Italie,
comme exemple de réforme, les copies ratées des nouveautés les plus
mélancoliques venues de France, qui ne présentent chez nous aucun caractère
de nouveauté, et qu’à Paris, où la culture règne de la salle d’audience à la
cuisine4, on ne souffre pas, préférant les chasser vers les villes de province
moins cultivées, d’où elles vont ennuyer les esprits transis du Nord comme des
oiseaux nocturnes de mauvais augure semant effroi et hébétude ; les faits me
diront ce que je devrai décider quant à la générosité de ce don ou cadeau.
Si je soutiens que, chez nous, avant messieurs Mercier, Beaumarchais5,
Falbaire et d’autres, monsieur Goldoni, parmi les nombreuses nouveautés
avec lesquelles il a assailli notre public, a proposé le genre mélancolique avec
ses hé roïques prudences des Pantalon 6 , ses Pamela7 et autres œuvres de sa
plume, je ne commettrai aucune bourde, mais je ne ferai pas rougir non plus
les imposteurs qui spéculent sans vergogne sur la denrée qu’ils louent et
auxquels est soumise la renommée de ce concitoyen.
Je croirai opportuns tous les genres, aussi bien les joyeux que les
mélancoliques, à condition qu’ils divertissent plaisamment le public de nos
théâtres, qu’ils soient utiles aux recettes de nos comédiens et ne présentent
aucun danger pour les mœurs, surtout dans leurs maximes fondamentales, et
je me réserve le droit de dire ce que pourront nous apprendre certaines pièces
de l’espèce nouvelle que nous avons vues8.
J’inciterai les Italiens à des productions qui leur sont propres en montrant
que, sur nos scènes, parmi les représentations mélancoliques traduites du
français, Le Philosophe sans le savoir9, très belle œuvre, n’eut pas de succès, et
que Le Déserteur, œuvre pleine d’impropriétés, fut très applaudi, je prouverai
par des comparaisons d’une irréfutable vérité que ce sont les situations fortes
qui retiennent l’attention des spectateurs italiens, et non l’art des seuls
sentiments délicats dans les pièces larmoyantes à l’intrigue réduite, et je
conclurai en montrant par l’expérience qu’aucune nation ne connut ni
n’inventa mieux les situations théâtrales fortes que la nation espagnole […].

1 Auteur du périodique Le Fouet littéraire, Giuseppe Baretti s’est rangé du côté des pourfendeurs de la
réforme goldonienne du théâtre. Installé définitivement à Londres à partir de 1766, il y fait, dans l’essai
Mœurs et coutumes d’Italie paru en anglais en 1768 (traduit en français en 1773), l’éloge de Gozzi, dont
le génie est selon lui à la hauteur de celui de Shakespeare, éloge auquel Gozzi répondra entre autres par
une longue lettre (1777) avant que la relation entre les deux hommes ne se dégrade à la suite de la
déception de Baretti à la lecture des œuvres de Gozzi. (Les notes, sauf mention contraire, sont des
traductrices.)
2 Samuel Sharp, Letters from Italy, 1766.
3 Expressions employées par Gozzi dans la préface à la traduction de Fayel.
4 “Préface au recueil des traductions Caminer” (N.d.A.). Il s’agit des quatre volumes des Compositions
théâtrales modernes édités par Elisabetta Caminer Turra à Venise cette même année 1772. Elisabetta
Caminer collabore dès dix-sept ans aux gazettes de son père et commence à traduire des drames
larmoyants français dont la diffusion en Italie est fortement décriée par Carlo Gozzi. Domenico
Caminer, père d’Elisabetta, collabore d’abord à La nuova gazzetta veneta (La Nouvelle Gazette
vénitienne), puis fonde en  1768  L’Europa letteraria (L’Europe littéraire) et en  1774  Il giornale
enciclopedico (Le Journal encyclopédique).
5 “Boumarchais” dans le texte.
6 Expression de Gozzi sans doute forgée à partir de L’Homme prudent (L’uomo prudente), comédie de
Goldoni, représentée la première fois à Mantoue en  1748  et éditée en  1750. Ecrite pour le Pantalon
“réformé” Cesare D’Arbes, elle a pour protagoniste un bon père qui reconstitue sa famille où les vices
du siècle ont provoqué des désordres.
7 Ecrite et représentée en  1750, Pamela est la première comédie sans masques de Goldoni. Elle est
tirée du roman de Richardson (Pamela ou la Vertu récompensée) qui inspira plusieurs dramaturges
européens dès les années 1740. Cf. Pamela européenne. Parcours d’une figure mythique dans l’Europe
des Lumières, études dirigées et rassemblées par Lucie Comparini, Presses universitaires de
Montpellier, collection “Le spectateur européen”, numéro hors série, 2009.
8 “Dans la préface au recueil des traductions Caminer, on soutient comme utiles à l’éducation
L’Honnête Coupable, Le Déserteur, Jenneval” (N.d.A.). Il s’agit des drames suivants : L’Honnête Criminel
ou l’Amour filial, de Fenouillot de Falbaire (publié en  1767), Le Déserteur (1770) et Jenneval, ou le
Barnevelt français (1770) de Louis Sébastien Mercier.
9 Comédie de Michel Jean Sedaine (1765). Voir le Supplément au Discours ingénu, p. 86 et n 1.
PRÉFACE DU TRADUCTEUR
À FAYEL1,
TRAGÉDIE DE MONSIEUR D’ARNAUD
TRADUITE EN VERS LIBRES

Toutes les productions théâtrales tragiques, tragicomiques et comiques


entièrement écrites et non improvisées, si nous les considérons strictement du
point de vue de leur succès sur scène, ne sont qu’éphémères et passagères.
Procédant à un juste examen du temps passé, nous trouverons que des
auteurs dramatiques, s’ils ont voulu œuvrer au bénéfice des troupes de théâtre,
ou à leur propre bénéfice, furent obligés de changer l’aspect de leurs pièces
tous les quinze ou vingt ans, leur conférant un air de nouveauté capable
d’éblouir, de provoquer l’affluence et d’éveiller la curiosité et les discussions
du public. […]
Il existe de mauvaises pièces qui, bien que non dépourvues de passions, ont
une heureuse issue sur les planches, mais, dans le torrent des compositions
théâtrales, peu nombreuses sont celles qui méritent d’être conservées comme
de précieux dépôts dans les bibliothèques, et je fais une grande différence
entre les théâtres qui divertissent tout un public et les bibliothèques qui ne
divertissent que quelques cerveaux bien éduqués.
Une fois évanoui l’air éblouissant de nouveauté d’une mauvaise pièce écrite
et représentée, le public voit toutes ses absurdités et ses défauts, et ne s’en
soucie plus  ; après avoir apprécié une bonne pièce aux nombreuses
représentations et lui avoir fait une place dans les bibliothèques, il a raison de
ne pas se rendre continûment au spectacle de copies pour le moins sans grâce
et dont il connaît le texte par cœur : qui peut l’en blâmer ?
Voilà pourquoi en Italie, où règne un engouement particulier pour le
théâtre, et où les théâtres et les troupes abondent, triomphe depuis trois
siècles sur toutes les scènes la comédie à l’impromptu. Cette dernière,
toujours la même, est toujours renouvelée dans son aspect et dans ses
dialogues grâce aux nouveaux esprits originaux qui la jouent, recueillant à
juste titre les faveurs du public et ennoblissant l’art, les personnages et les
saillies au fur et à mesure que les siècles les affinent.
Je n’ai jamais vu les acteurs d’Italie, qui ont abandonné pour leur
inéluctable malheur l’exercice de la comédie à l’impromptu (particularité
originale de notre seul pays), dans une plus dangereuse posture
qu’aujourd’hui. Nous les voyons désormais (après la décadence de monsieur
Goldoni qui, malheureusement pour eux, ne leur apporta avec succès qu’un
soutien temporaire) mal conseillés et secourus plus mal encore, réduits à faire
dépendre leur sort de quelques monstres théâtraux romanesques enfantés par
la France, qu’ils s’arrachent et se disputent à cause d’une affluence fortuite et
accidentelle, fruit de la rareté des productions des Italiens et d’un public à la
recherche de divertissement et de nouveauté.
Cette nouveauté aussi est moribonde, et je plains l’Italie pour ses
comédiens et ses poètes dramatiques, les premiers trompés par leur erreur
d’appréciation, les seconds coupables d’une honteuse indolence et de la vile
soumission aux écrivains étrangers qui réduisent les auteurs talentueux à
gratter le sol comme les poules et à flairer l’air comme les roquets, traduisant
comme ils peuvent les œuvres de Français que leurs narines estiment capables
de porter secours en Italie aux troupes de comédiens et de régaler le goût du
public.
En disant cela je ne suis pas audacieux ni impertinent au point de
prétendre que l’Italie ne doive pas apprécier, bien transposés dans sa langue et
sur ses scènes par de bonnes plumes, Gustave Wasa2  de Piron, Zaïre3  de
Voltaire ou quelques autres œuvres de Français dignes d’admiration ; je veux
seulement encourager les créateurs de notre Italie à engendrer des œuvres qui
soient italiennes, qui fassent honneur à leur patrie et ouvrent les yeux des
comédiens italiens sur leur métier. […]
Les théâtres étant autorisés par les gouvernements avisés pour amuser les
populations avec d’innocentes facéties et l’image d’une saine morale, si la
comédie italienne à l’impromptu bien jouée est, depuis trois siècles, un
divertissement permis et adopté par notre pays, si monsieur Cicognini4  et
d’autres au siècle passé, messieurs Goldoni et Chiari durant notre siècle, par
un déluge de compositions de toutes sortes, ne purent dissuader l’Italie
d’abandonner ce divertissement, je peux franchement dire à ceux qui, par
fanatisme ou par une lâche indulgence, ont accepté de combattre la comédie à
l’impromptu, se composant plaisamment une moue de dégoût et traduisant
cyniquement certaines œuvres étrangères, que leur talent mercenaire est bien
mal employé, et je peux même dire davantage.
Celui qui, tout en se rendant compte  –  et on ne peut que s’en rendre
compte par l’expérience  – qu’il est impossible durant toute une saison
théâtrale de proposer au public un divertissement éloigné de ses habitudes et
de ses goûts, essaie, par un faux zèle et par l’imposture, de le mécontenter et
le dégoûter de ce dont il jouit est un traître envers son public. […]
Je ne suis pas d’avis que les œuvres comiques au caractère romanesque et
aux péripéties larmoyantes soient avantageuses et capables d’honorer les
auteurs dramatiques, en particulier pour la postérité. Il est bon, selon moi, de
réserver l’effet des larmes aux tragédies et de faire en sorte que des comédies
jaillissent arguties, traits d’esprit, critiques des mœurs, bon exemple et
jovialité, mais avec cette décence digne d’un écrivain auquel il est légitime de
donner le titre d’écrivain plutôt que celui d’écrivaillon. […]
Je déclare toutefois que, comme les esprits sublimes et hautains ne
daigneront pas s’abaisser à traiter des sujets et des intrigues pour tenir occupé
un public bien-aimé par le rire, la compassion, la surprise et l’implication du
cœur dans une même œuvre, je n’élèverai jamais ma plume à traiter de sujets
qui procurent ennui et effroi à mon public, et je m’abstiendrai
particulièrement de souiller la moralité des scènes d’Italie avec l’infâme image
de personnages communs scélérats et des sujets terribles, nouveautés qui
pourraient offrir quantité d’exemples dramatiques aptes non pas à encourager
mais à effrayer tout auteur vénitien de tragédies ou de comédies. […]
Libre aux nouveaux restaurateurs de faire changer de goût à notre patrie,
libre à moi d’amuser ma patrie selon son tempérament avec la nouveauté et la
culture qui me paraissent à propos, et libre à ma patrie de se rendre au théâtre
qui la divertit le plus.
Au vers de monsieur d’Arnaud5 : Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est
durable, je réponds que, pour les auteurs, il n’y a que l’art qui puisse rendre
beaux et immortels aussi bien le vrai que l’imaginaire, que l’auteur sans art ne
fait que gâter les sujets de vérité comme de fiction, que toutes les vérités ne
sont pas des objets représentables et que rien, concernant le spectacle de
théâtre, n’est durable ; opposant donc à sa vérité française cette autre vérité
italienne : Est beau parmi nous seulement ce qui plaît, je me retire au milieu
de mon public adoré qui a grandement raison d’apprécier ce qu’il apprécie et
de ne pas vouloir succomber aux maux des hypocondriaques.

1 La tragédie Fayel de Baculard d’Arnaud (1770) est traduite par Gozzi (sous le titre de Fajel) et
représentée au théâtre de San Luca en janvier 1772. Avec cette traduction, Gozzi, sur les instances du
chef de troupe Antonio Sacchi, rivalise avec celle de Gabrielle de Vergy, tragédie sur le même thème de
Dormont de Belloy, réalisée par Elisabetta Caminer Turra, publiée en  1770  sous le titre Gabriella di
Vergy et représentée au théâtre de Sant’Angelo en 1771, avec Caterina Manzoni dans le rôle principal.
2 Tragédie d’Alexis Piron écrite et représentée en 1733.
3 Tragédie de Voltaire écrite et représentée en 1732.
4 Giacinto Andrea Cicognini (1606-1660), dramaturge et librettiste florentin, auteur d’une cinquantaine
de pièces et baptisé “le Térence toscan” (assidûment lu par le jeune Goldoni).
5 Il s’agit en réalité d’un vers de Nicolas Boileau (Epître IX).
DISCOURS INGÉNU ET HISTOIRE SINCÈRE
DE L’ORIGINE
DE MES DIX FABLES THÉÂTRALES 1

Innombrables sont ceux qui, pour assurer leur subsistance, font leurs moissons
des passions humaines. Je ne me hasarderai pas à dresser la liste authentique
des institutions, innombrables et variées, ni à dévoiler les divers visages
derrière lesquels se cachent ces agriculteurs industrieux  : de telles
démonstrations et révélations seraient hardies et dangereuses. Je me limiterai
à dire qu’il faut sans nul doute, parmi eux, citer les acteurs, une profession qui
prospère à mesure que se répand l’usage des plaisirs.
Quand nous voyons représenter, au théâtre, la fiction d’intrigues et
d’actions naturelles ou surnaturelles, nous attendons de pouvoir rire, pleurer et
nous émerveiller. Si nous payons notre place à l’entrée, souvent à prix d’or, et
que nous supportons patiemment un inconfort extrême, c’est que nous
désirons très ardemment être ébranlés par l’un de ces trois effets.
Il y a bien longtemps que ces contrées fertiles ont été découvertes dans nos
cœurs, et que la colonie des acteurs les cultive.
Une engeance d’hommes qui se prétendent poètes, motivés par le désir
d’acquérir, les uns – et c’est la minorité – la louange populaire, les autres – et
c’est la majorité – un profit financier, exigea des acteurs qu’ils se plient à leurs
doctes directives pour cultiver ces contrées. L’ignorance de ces derniers leur
peignit cette sujétion comme nécessaire. Molière, en France, démontra le
contraire, et fut pour sa colonie excellent acteur et excellent poète.
Si ceux qui deviennent de bons acteurs avaient reçu une éducation correcte,
je crois que la poésie théâtrale fleurirait dans leurs rangs, et qu’ils n’auraient
nul besoin du secours d’une armée qui leur arrache la moitié du maigre fruit
de leur sueur.
Ils accepteraient les pièces des poètes illustres, afin de les honorer et de
leur attirer un capital d’applaudissements du public, tout en œuvrant pour leur
bénéfice personnel  ; mais, au risque de finir leurs jours à l’hospice, ils
n’accepteraient jamais d’acheter ces pièces dites régulières.
Les grands seigneurs libéraux ne sont pas rares en Italie, qui font
représenter ces pièces dans leurs salles privées  ; et les propriétaires des
théâtres publics devraient être aussi nombreux, pour rémunérer tout à la fois
les acteurs, par un salaire suffisant à représenter honorablement ces pièces
dites régulières, et pour récompenser les auteurs comme ils le méritent.
Les hommes de talent doivent être protégés, encouragés, applaudis et
récompensés, mais la récompense octroyée à un art noble doit venir de la
main des grands seigneurs, et non de celle d’une troupe misérable d’individus
qui se privent eux-mêmes du fruit chétif de leur labeur, pour payer des poètes
qu’une telle pratique dégrade et couvre de honte.
Je précise que je ne parle ici que de l’Italie, qui foisonne en troupes
théâtrales se disputant leur pain, et où les récoltes tiennent davantage de la
stérilité que de l’abondance. Ces pauvres gens, contraints chaque année à
chercher trois ou quatre refuges où poser leurs appeaux, sont continuellement
éprouvés et ruinés par leurs dépenses obligées en décors imposants et
costumes fastueux.
La comédie à l’impromptu, dite commedia dell’arte2, fut de tous temps la
plus profitable aux troupes italiennes. Elle existe depuis trois cents ans. Elle
fut toujours combattue, mais ne périt jamais. Il semble impossible que
certains individus, qui passent de nos jours pour auteurs, ne voient pas
combien ils sont comiques lorsqu’ils rabaissent leur sérieux à une plaisante
colère contre un Brighella, un Pantalon, un Docteur, un Tartaglia, un
Truffaldin3. Cette colère causée, semble-t-il, par les vapeurs du vin, atteste
clairement de la persistance de la commedia dell’arte en Italie, et même de sa
vigueur, puisqu’elle résiste à des persécutions plus comiques encore qu’elle ne
l’est elle-même  ; vérité qui, redoublant la bile et l’aveuglement desdits
écrivains, les fait sombrer dans un notable égarement qui les rend doublement
comiques. Dans leur désespoir, ils prétendent que les beaux esprits
réformateurs du théâtre italien ont enterré la fruste comédie à l’impromptu et
supprimé ses masques, quand justement les théâtres de commedia dell’arte
sont plus fréquentés que tous les autres, et que les princes, pour leur
divertissement, font venir les masques à leur cour.
Les acteurs perspicaces, spirituels et vifs, capables de plaire même aux
talents les plus éveillés, et qui interprètent les masques anciens de notre
comédie à l’impromptu, aidés par leurs mimiques typiques et leurs plaisants
costumes traditionnels, ont dans leurs mains les armes d’un comique marqué
si précis, tangible et efficace qu’il agira toujours sur le public. Pour ce
dernier, il aura toujours le droit de prendre plaisir à ce qui lui plaît, de rire de
ce qui le chatouille, et de se jouer des Catons de carnaval qui voudraient
l’empêcher de ressentir le plaisir qu’il a.
Les Français, si cultivés, n’ont pas cultivé dans leur nation la comédie à
l’impromptu, mais ils ont l’opéra-comique, qui y ressemble. Pierrot, Arlequin,
Pantalon, Mezzetin, Scapin, Scaramouche, le Docteur4 et bien d’autres
masques composent la troupe de ce genre franchement comique et fort prisé,
qui fait pâlir la gravité des meilleures tragédies comme la plaisante urbanité
des comédies écrites.
Cette nation qui, par la quintessence de sa culture, est devenue chez nous
un terrifiant modèle à imiter, à tel point que nous voyons aujourd’hui, sans
nous en étonner ni en rire, des Français de Venise, des Français de Padoue,
des Français de Milan, des Français de Bergame, etc., cette même nation fit
venir à Paris notre comédie à l’impromptu qui, par un privilège du roi,
continue à y exister depuis plus d’un siècle5.
L’histoire et l’expérience me portent à prédire que, à moins que les théâtres
d’Italie ne ferment tous, la commedia dell’arte ne s’éteindra jamais, pas plus
que ne seront décimés ses masques.
Il n’est pas d’autre nation qui la pratique. Les Italiens sont les seuls esprits
hardis qui surent, depuis tant de siècles, pratiquer le genre des pièces à
l’impromptu.
Je regarde le théâtre italien d’un tout autre œil que ces poètes bilieux,
animés moins par un amour zélé de leur patrie que par leur rage à ne pouvoir
dompter et soumettre les esprits fantasques qui jouent la comédie à
l’impromptu.
Je vois dans ce type de comédie un sujet de gloire pour l’Italie, et je le tiens
pour un divertissement radicalement différent des comédies écrites élaborées.
Pour ces dernières, j’encourage les talents cultivés à en produire de bonnes et
de régulières  ; mais je n’ai pas l’impudente ivresse de nommer vile et
ignorante plèbe cette noble assistance qu’on retrouve, je le vois de mes
propres yeux, aussi bien aux comédies écrites qu’aux comédies à l’impromptu.
J’ai infiniment moins de considération pour les poètes improvisés que pour
les excellents acteurs improvisateurs qui, sans rien dire, s’attirent
l’émerveillement des foules qui se pressent pour les écouter.
Aux Pilotti, Garelli, Cattoli, Campioni, Lombardi 6 , pour ne pas évoquer
des temps plus reculés, succédèrent les D’Arbes, les Collalto, les Zanoni, les
Fiorilli, les Sacchi, et bien d’autres encore7. Et des esprits courageux, nourris
aux comédies à l’impromptu, leur succéderont à leur tour dans cette pratique.
Ils divertiront par leur acuité, leurs lazzis, leurs mots d’esprit, leur éloquence.
Ils ennuieront s’ils sont sots, froids et lourds, comme c’est déjà souvent le cas
aujourd’hui, et seront délaissés par le public ; et les sots et froids poètes, avec
leurs comédies régulières, n’auront pas meilleure fortune.
En Italie, une troupe de théâtre, qui, pour subvenir à ses besoins et assurer
sa subsistance, doit donner environ deux cent soixante représentations par an,
et s’établir tous les trois mois dans une nouvelle ville, où on lui donne asile, ne
peut pas se reposer sur une seule pièce, laquelle plaît d’autant moins au grand
public qu’elle approche de la perfection.
Par ailleurs, l’impossibilité résolue et établie pour les belles-lettres d’être
récompensées en Italie est cause que cette riante contrée d’Europe, berceau
de nobles talents, sera toujours dépourvue d’auteurs capables, par l’étude des
passions humaines, les intrigues inventées, le naturel, la “saine morale8” et la
vigueur de leur éloquence, de dégrossir universellement les esprits et de les
rendre universellement sensibles à la délicatesse et au vrai sur scène.
Enfin  –  il suffit, pour s’en rendre compte, de n’être pas aveugle  –, il est
inévitable que les pièces écrites tombent en désuétude au bout de peu de
temps. Pour ce genre de pièces, la nouveauté, ou, du moins, certain air
illusoire et aveuglant de nouveauté, est nécessaire pour permettre aux
compagnies théâtrales de réussir un beau coup.
Les imitateurs d’un poète dramatique qui a eu le bonheur de rencontrer le
succès ne parviendront jamais à l’égaler.
Maintes pièces de messieurs Destouches, Boissy9, et autres talentueux
Français qui suivirent l’exemple de Molière, sont incontestablement
meilleures, plus délicates et raffinées que celles qu’elles imitent, et pourtant
elles ne parvinrent jamais à les surpasser ni même à les égaler dans le cœur de
leurs compatriotes.
De ce fait, les Français se sont creusé le cerveau pour introduire au théâtre
un genre qu’ils appellent nouveau, et moi pas ; qu’ils nomment drame et que
je nommerais tragicomédie, sans mépris aucun pour ce genre ancien attaqué
par les poé tiques 10 . C’est ce que nous disent les Beverley, les Ecossaise, les
Eugénie, les Honnête Criminel, les Déserteur11, et autres semblables pièces
jouées sur leurs scènes.
Soit on désire composer pour les esprits éduqués une œuvre parfaite, et
l’inscrire au livre de l’immortalité, soit on veut faire le bonheur des pauvres
comédiens improvisateurs, en cultivant dans ses pièces un honnête
divertissement vénitien. Les œuvres du premier type, si elles n’ont pas un
plaisant air de nouveauté et ne se démarquent pas, par leur inspiration, des
comédies vues ou oubliées, connaîtront un sort médiocre par leurs recettes,
ou malheureux par leur chute.
Les mille ingénieuses controverses et autres belles opinions qui ornent les
ouvrages sur le théâtre, les mille condamnations et défenses qui paraissent sur
le théâtre antique, moderne, anglais, français, espagnol ou italien, sont toutes
superflues au regard d’un spectacle théâtral par nature éphémère. Le succès
fait la qualité du divertissement, et les pièces écrites connurent toujours un
certain déclin, suscitant vite l’ennui, dès que cet air de nouveauté venait à leur
manquer.
Voilà prouvée la force inégalable de la comédie à l’impromptu italienne,
ainsi que des vifs esprits et des masques si drôles qui la jouent. Ce monstre
prodigieux, issu de quelque trois cents canevas informes, présente un choix
des situations théâtrales les plus fortes et des lazzis les plus éprouvés, dont
l’efficacité s’est affinée au fil du temps. Invariablement combattue depuis plus
de trois siècles, elle n’en subsiste pas moins, et je laisse aux Italiens qui
viendront après moi le soin d’attester sa pérennité dans l’avenir.
Certains imposteurs (on entendra ce terme appliqué à la seule littérature),
qui, chez nous, prennent avantage de la conjoncture d’un siècle vacillant,
plongé dans le chaos et la confusion, et dépourvu, surtout en matière de
belles-lettres, de tout sens déterminé du goût, ont fait boutique, avec une
audace absolument délicieuse, d’opinions, avis et jugements littéraires
monstrueux sur les ouvrages de l’esprit. Ils prétendent, sans le prouver, que la
seule comédie régulière et écrite remonte à l’Antiquité, alléguant, avec une
impudence rare, que la comédie à l’impromptu “a pris racine au XVIIe siècle
dans la décadence des belles-lettres12”  ; puis ils passent, avec une grâce
décidément fort étrangère à l’élégance française dont ils chantent les louanges,
à des vociférations contre les acteurs italiens honnêtes et talentueux qui la
pratiquent aujourd’hui avec plus de succès que par le passé.
La cause d’absurdités littéraires aussi indécentes est fort claire. Ces
imposteurs, avides d’exploiter davantage les sources françaises de leurs écrits,
dont le mérite ne revient en rien à leurs ineptes talents, se voyant incapables
de subjuguer les acteurs improvisateurs, voudraient, non contents de les
calomnier, anéantir le théâtre italien et le réduire aux seules comédies écrites,
afin de contraindre par leur fallacieuse cupidité tous les acteurs à dépendre de
leur tyrannie.
Pour démêler si la comédie vient des improvisateurs ou des poètes, je ne
cherche pas de réponse, moi, chez les Hébreux, les Grecs ou les Latins. Guidé
par le bon sens, je crois qu’elle tire son origine plutôt de l’improvisation que
de l’écrit, mais que, comme ce qui est improvisé ne laisse pas de traces, à la
différence de ce qui est écrit, c’est ce simple fait qui motive l’opinion
inopportune et fallacieuse de nos imposteurs.
Je parle de l’ancienne comédie à l’impromptu italienne, à laquelle je laisse
ici le titre de comédie puisque nos compatriotes le lui ont accordé ; sans céder
à la pédanterie d’invoquer Plaute, Térence ou Molière, j’entends ici séparer
ouvertement et solennellement les bonnes et immortelles pièces écrites de
toutes les nations, du divertissement théâtral à l’impromptu de nos acteurs
italiens. Peut-on m’indiquer des expressions plus claires, afin qu’il ne reste
plus aux imposteurs que l’ignorance, la sottise ou la malice pour leurs
reproches ?
La comédie italienne à l’impromptu, dite com media dell’arte , est fort
ancienne13, plus ancienne que la comédie régulière et écrite. Elle naquit en
Lombardie, se propagea dans toute l’Italie, et pénétra en France, où elle
continue à vivre. Jadis, il n’était pas permis aux femmes d’assister aux
comédies à l’impromptu, pas plus, si on avait de la cervelle, qu’aux comédies
régulières, qui naquirent chez nous au XVIe siècle, si on omet quelques pièces
antérieures en tercets et huitains, tout à fait hors des règles et, pour la plupart,
de sujet religieux14. Ces deux types de spectacle étaient licencieux. Les
obscénités des anciennes comédies italiennes écrites peuvent encore être lues ;
quant à celles des comédies à l’impromptu, nous ne pouvons que nous en faire
une idée à travers la tradition. Ces deux genres de divertissement furent
toujours dans un rapport d’émulation. Des salles privées accueillaient alors ces
spectacles. Des théâtres furent édifiés, ils se multiplièrent  ; le nombre des
troupes de comédiens s’accrut en conséquence, et l’émulation entre ces deux
genres se perpétua. La comédie populaire à l’impromptu eut toujours
l’hommage des bourses, la comédie écrite l’hommage de l’estime. Le temps,
qui polit les mœurs des peuples, a fait de même avec ces deux genres. Etant
donné la grande consommation qu’on fait du théâtre en Italie, il est impossible
de trouver des pièces écrites qui offrent une diversité suffisante toute l’année.
Le public s’ennuie s’il ne trouve pas dans les productions écrites une humeur
renouvelée, et se précipite de nouveau vers les comédies à l’impromptu,
spectacles toujours comiques, aux traits marqués et aux dialogues réinventés
par les esprits vifs qui les jouent. Au XVIe siècle, Cecchi, l’Arioste, Machiavel,
Caro, Firenzuola, D’Ambra, Grazzini, dit Lasca, et maints autres talents15,
prenant modèle sur les Latins, introduisirent la comédie écrite en Italie. Le
chant de carnaval de la mascarade “Des Zanni et des Magnifiques”, composé
vers 1540 par Grazzini, dit Lasca, auteur de comédies régulières, et publié à
Florence en  1559 environ par Torrentino16, atteste que dès ce temps-là la
comédie italienne, dite commedia dell’arte, se propageait en Italie avec ses
masques, et qu’elle était combattue par la comédie régulière. Inutile de
rappeler que le premier et le second Zanni sont Brighella et Arlequin, et que
le Magnifique est Pantalon. Un certain Cantinella fut un fameux comédien
improvisateur de cette époque17. Voici ce qu’en écrivit Grazzini dans son
chant de car naval “Des Zanni et des Magnifiques 18 ” :

Jouant les Vénitiens, jouant les Bergamasques,


Nous parcourons maintes contrées ;
Donner la comédie, voilà notre métier.
A Florence aujourd’hui, messire Benedetti,
Vous le voyez, seuls nos Zanni sont ici,
Acteurs pleins de mérite et de génie :
Les autres comédiens fameux de notre compagnie,
Femmes, amants, soldats, ermites,
Sont tous restés garder notre salle.
Vos piètres histrions des litanies débitent,
De longues lamentations
Qui vous donnent peu de rires
Et moins encore de plaisir,
Tant que l’ennui vient à gagner
Non les seuls hommes et les femmes,
Mais jusques aux piliers.
Pour la parade d’aujourd’hui,
Nous acceptons de vous sembler toscans,
Mais dans notre salle redeviendrons
Des Vénitiens et Bergamasques, etc.

Au siècle passé, ce XVIIe siècle qui vit la corruption des belles-lettres en


Italie, l’émulation entre les deux genres perdura : mais, influencée par le goût
corrompu des méchants auteurs de comédies régulières, la comédie à
l’impromptu, suivant le goût bizarre du siècle, et ajoutant les extravagances
aux extravagances, remporta un succès considérable. A la même époque en
France, Molière ne bannit pas de son théâtre Scaramouche et les masques de
la comédie italienne, qui continuent à exister dans ce royaume, mais il se
rendit célèbre par certaines comédies régulières, cultivées, naturelles,
satiriques et fort vives, et d’un genre nouveau pour l’époque.
Nul besoin de dire que la comédie italienne à l’impromptu continue d’être
attaquée en notre siècle, mais qu’elle perdure avec bonheur. L’ire de nos
imposteurs littéraires et les faits le prouvent assez.
La pernicieuse inclination de notre siècle au luxe et à la volupté conféra
aux questions théâtrales un rang de premier ordre dans l’opinion. On érigea de
nouveaux théâtres, on rénova les anciens. A Venise, en l’espace de vingt-cinq
ans, le nombre des théâtres de comédie fut porté de deux à quatre, parfois
même à cinq. Mus par l’appât du gain, les auteurs de théâtre se mirent à
pulluler. Les créations et les traductions du français inondèrent nos scènes.
D’innombrables hommes, lassés des professions où leurs pères les avaient
élevés, et d’innombrables femmes, mécontentes de la sujétion où elles étaient
dans leur foyer, s’en remettant, pour ces pièces écrites, à l’affiche dans les
théâtres italiens, à leur mémoire, à leur courage, ou à autre chose,
s’abandonnèrent au métier de comédiens. Chez nous, les troupes de ce type
devinrent légion. Mais il n’en est pas une qui ne reconnaisse la comédie à
l’impromptu comme le moyen par excellence de survivre dans le métier.
Toutes ont leurs Zanni, leurs Magnifiques, leurs Docteurs ; mais eux, amollis
par le répertoire écrit, et négligeant la pratique de la comédie à l’impromptu,
leur plus solide soutien pourtant depuis trois siècles, sont à l’agonie de nos
jours  ; et ils ennuient et rebutent un public gâté et écœuré par le déluge de
nouveautés théâtrales qui l’assaille. C’est là ce qu’on appelle aujourd’hui la
mort de la comédie à l’impromptu italienne, un type de spectacle qui a
toujours été fort nécessaire à nos troupes et source d’honneur pour notre
patrie.
Sacchi 19 , fameux Truffaldin20, est le seul comédien italien qui comprenne
la situation actuelle, et connaisse l’art de bien diriger une troupe d’acteurs en
évitant la stérilité à sa profession. Il maintient la pratique de la comédie à
l’impromptu dans sa compagnie, et s’assure qu’elle soit fournie en acteurs les
plus aptes pour ce type de jeu, mais aussi en excellents acteurs pour jouer
toute bonne tragédie, tragicomédie ou comédie – italienne ou traduite – qu’un
esprit aimable viendrait lui proposer. En lui rendant l’apparence de la
nouveauté, il donne ainsi un second souffle à la commedia dell’arte, si
indispensable à qui veut, malgré la longueur de la saison théâtrale, tirer un
bénéfice des représentations ; et, dans le même temps, il se met à l’abri des
préjugés infligés par une culture qui, jusqu’à présent, n’existe en Italie qu’à
l’état de mirage. C’est à l’intérieur de ces remparts qu’on donne au public la
possibilité de se cultiver et de s’amuser, et qu’on en reçoit le profit qu’en tire
Sacchi, envié à tort par quelques comédiens qui ne savent ni leur métier ni le
bénéfice qu’on peut retirer de l’exercice de cet art en Italie.
Si l’on cherchait la cause des bruits ridicules et mensongers et des
invectives dont on accable l’art de cet excellent et honnête comédien, aimé du
public et de sa troupe, on verrait qu’ils naissent de la rage et de la vénalité
d’hommes qui se sentent spoliés par son indépendance, et non d’un
quelconque amour de la littérature italienne, qui n’aura jamais d’obligation
envers les barbouilleurs de papier et les plagiaires.
Les princes demandent qu’on enquête sur l’origine de la corruption de leurs
peuples, et si certains, par vil intérêt, incriminent la comédie à l’impromptu,
je pourrai bien me faire un honneur d’incriminer, de façon désintéressée et en
toute ingénuité, certaines pièces écrites. Les raisons que j’invoquerai seront
certainement toujours simples et dénuées de tout sophisme forcé comme de
tout strabisme métaphysique. La raison, fille de la vérité, n’a pas besoin de
ces voiles qui dissimulent le vrai.
Je21 me garderai toujours de souiller les honnêtes scènes de Venise par
l’exemple honteux de sujets sérieux, bourgeois et scélérats, autant de
nouveautés qui pourront donner naissance à une kyrielle d’intrigues mais qui,
loin de l’honorer, doivent faire rougir tout auteur vénitien de tragédie ou de
comédie.
Pour le genre humain, le plus souvent enclin à assouvir ses passions
effrénées, les caractères impies portés sur scène par un raffinement insidieux
sont des maîtres fort pernicieux, surtout si ces scélérats ne reçoivent pas de
châtiment proportionné à leurs méfaits – car tout châtiment, même mérité, est
un spectacle insupportable aux yeux de nos spectateurs humains.
La publication de ces impératifs irréfutables a poussé ceux qui les bafouent
à rejeter sur autrui l’immoralité dont ils se sont rendus coupables22.
Je ne pense pas devoir jamais être compté au nombre des semeurs d’une
morale dévoyée, et je ne m’abaisserai pas à seulement l’imaginer. Je n’ai fait
que divertir mes compatriotes au théâtre avec des œuvres innocentes, en
étayant le merveilleux, louable passion des hommes, par des situations
empreintes de passions fortes et pudiques, par la peinture éloquente dont je
fus capable, et qui n’est certes pas dangereuse, par l’imitation de la nature, et,
quoiqu’on en dise, par de plaisantes envolées de l’imagination, et une morale
austère et allégorique. J’ai plus souvent été taxé d’excessive moralité que de
lubricité. […]
Mes écrits sont sous presse. J’espère ne pas avoir à faire l’apologie de la
morale que je défends.
Une poignée de rapaces, ou d’illuminés, enragent de voir la faveur dont
jouit auprès du public l’ancienne commedia dell’arte, et l’accusent, avec la
voix ridicule de l’envie, de corrompre les “jeunes filles”, les “femmes” et les
“serviteurs”23, quand cette dernière n’est faite au contraire que de spectacles
d’un merveilleux rudimentaire et populaire, guidés par le châtiment du vice et
l’exaltation de la vertu, ou de franches, vives et plaisantes parodies de mœurs,
divertissements innocents, “licites”, “codifiés”, “réalistes”  –  l’apanage et
l’honneur de notre patrie. Je ne défendrai jamais les trivialités qui peuvent
échapper malencontreusement à un comédien dans la chaleur de
l’improvisation, et il est bon que l’on surveille ces écarts d’un œil attentif et
circonspect, qu’on les corrige et qu’on les punisse  ; mais est-il possible de
considérer comme une menace à la morale un divertissement “amusant et
fantasque, concret24” et extravagant, auquel on accourt, pour reprendre les
termes de ses amorphes détrac teurs 25 , seulement “pour le plaisir des yeux et
des oreilles”, et non pour celui de l’“esprit” et du “cœur” ? […]
La science du siècle […], et tout particulièrement celle qui nous fait la loi
depuis l’autre côté des Alpes, fut cause que j’exprimai ma pensée sur ces
traductions qui s’insinuent dans nos théâtres, et “secouent les âmes par de
nobles passions, pour le grand plaisir de l’esprit26”.
Je ne crains pas d’affirmer27 que si jamais le public, de tous les spectacles
de théâtre autorisés, et même tenus pour nécessaires par les princes, en
arrivait à ne plus goûter ni comprendre que les pièces raffinées et sublimes, et
à mépriser et délaisser les pièces facétieuses, fantasques, simples et
compréhensibles par tous, il serait opportun que les princes se demandent si
leurs peuples n’ont pas été corrompus plus qu’éduqués, et qu’ils surveillent
leurs mœurs. […]
Je précise ici courageusement, en homme qui chérit sa patrie par-dessus
tout, et qui n’est ni un pédant ni un hypocrite, ni un bigot ni un défenseur des
préjugés, que les mots “pièces raffinées et sublimes” étaient ironiques. Et que,
au moment où j’ai écrit ces lignes, je n’ai pas eu l’intention d’attaquer les
œuvres raffinées et sublimes, louables et exemplaires, et pleines de passions
honnêtes et fortes, mais seulement celles qui sont pernicieuses, sublimement.
“L’art dramatique” doit-il, comme nos imposteurs le réclament, être plus
qu’un “honnête divertissement”, et “servir” à l’édification des peuples ? Soit,
mais n’oublions pas que le théâtre est une école universelle. Je ne défends pas
la barbarie, mais je rejette la fausse sublimité de cette science qui, depuis
l’autre côté des Alpes, veut se faire adopter chez nous.
La seule réflexion que les drames bourgeois et larmoyants ne sont pas bien
convenables au théâtre, et qu’il est préférable de “réserver les larmes à la
tragédie”, n’aura pas pour effet de les faire disparaître, et s’ils plaisent, ils
survivront autant qu’ils auront de souffle.
Un serpent est tapi sous ce sublime trompeur qui saisit les âmes et qu’ont
introduit dans nos théâtres les récents drames bourgeois et larmoyants aux
“nobles passions”. Traduits et défendus28 par des imposteurs aveugles, cupides
ou malveillants, ils sont présentés comme les instruments d’une édification
saine et morale. […]
Le Déserteur dépeint un jeune homme au caractère doux et aux mœurs
honnêtes, qui, échauffé par une erreur de jeunesse, fuit son régiment et
déroge à son devoir de subordination militaire ; il aime sa Clary d’un amour
tendre, et retrouve son père qui l’aime au moment de son infortune la plus
grande. L’œuvre est traitée par monsieur Mercier avec des passions
vigoureuses et dans un style sublime, mais avec des sentiments et une morale
inspirés de la science insidieuse de notre siècle : la condamnation à mort de ce
déserteur, en vertu des lois nécessairement indispensables à l’armée, ne
manquera pas de laisser les spectateurs en proie à la terreur et à la pitié et
pleins d’une haine fort pernicieuse pour les princes et les sages législateurs.
[…]
Madame Elisabetta Caminer, la traductrice de ce drame qui, par l’air de
nouveauté de son sujet et la sauvage puissance de ses situations, remporta un
grand succès dans nos théâtres, a changé le dénouement de cette œuvre et a
fait gracier le déserteur, chose impossible à obtenir, si ce n’est d’une jeune
fille au grand cœur. La seule pensée que nos spectateurs humains ne
souffriraient pas un dénouement si cruel lui fit changer la peine de mort en
vie graciée. […]
Jenneval 29 , […] un drame larmoyant plein de “nobles passions”, écrit pour
l’édification des peuples, traite excellemment et fort intelligemment la morale
à l’envers, et il est légitime qu’on le qualifie de “modèle indigne, avec son
sujet bourgeois scélérat, et ses caractères modelés par un écrivain industrieux,
et poussés en pleine lumière par un raffinement trompeur30”. Le vice y est
placé en chaire. La vertu y apparaît sous les traits d’une austérité excessive et
ridicule, ou d’une sotte inutilité. C’est le hasard qui vient dénouer des
malheurs exacerbés par le vice et encore accrus par la vertu.
Un homme, sans contredit un proxénète, joueur, entremetteur et tueur à
gages de confiance  ; une jeune servante, incontestablement une prostituée,
syphilitique soignée au mercure, et de ce fait, privée pendant six mois,
comme elle le dit elle-même, du bénéfice de ses plaisirs, sont des personnages
en vérité qui font honneur à nos scènes et éveillent l’image de “nobles
passions” par leur exemple. Nos plaisants serviteurs et autres histrions
innocents, qui entretiennent le public par leurs honnêtes divertissements, sont
des “filous et d’insipides bouffons” en comparaison de ces héros de la nature
dans leurs décors de lupanar.
Rosalie, catin affichée, est vraiment un exemple d’édification merveilleux
pour le théâtre. Elle réussit à cacher le proxénète à l’arrivée de Jenneval,
amoureux étourdi. Elle réussit, grâce à la rhétorique et à la théologie morale
de nos tristes contemporains, à faire tomber tous les remords qui assaillent
naturellement une âme éduquée dans de bons principes, lorsqu’elle
commence à sombrer dans la mer démontée des vices, de la débauche et de
l’escroquerie. Rosalie est une philosophe fort éloquente. Tout est opinion. Les
richesses de la terre sont faites pour tous. L’usurpation et l’accident sont
apparus injustement dans la société. Le monde se divise entre ceux qui
prennent et ceux qui donnent. Tout égard est faiblesse de l’esprit. Tout
scrupule est bassesse plébéienne issue des épouvantails illusoires de
l’éducation.
La vertu veut endiguer le désordre, mais la vertu d’un maître indulgent et
généreux n’est qu’indolence. Celle d’une jeune et honnête amoureuse est
froide et inefficace. Celle d’un ami sage et cordial est désarmée par l’iniquité.
Celle du vieil oncle de Jenneval, plus appropriée à la situation, n’est qu’austère
lubie, et il est le vrai Truffaldin de cet “édifiant drame larmoyant”. Rosalie est
l’héroïne de ce drame. “L’âme émue” des spectateurs est tout entière tournée
vers Rosalie. La prostituée Rosalie est en chaire ; les applaudissements sont
pour Rosalie. […]
Je conviens que les “femmes” et les “jeunes filles”, par l’exemple et l’école
de séduction de Rosalie, n’en viendront pas à l’extrémité de pousser leurs
époux ou leurs amants à égorger un père, un oncle, un frère, une belle-mère
contraires à leurs désirs ; mais je crois bien que les “femmes” et les “jeunes
filles” pourront du moins apprendre de Rosalie cent coups secrets efficaces et
cent artifices pour mener à bien une vengeance, un caprice dispendieux, et
faire naître la haine, la dissension, la division, et la ruine dans une famille.
Je ne passerai pas sous silence une anecdote qui m’a été rapportée par un
voyageur français, habitué des théâtres de son pays, où il a travaillé comme
peintre et décorateur, et bien qu’elle ait toutes les couleurs de la vérité
naturelle, je n’ai pas l’intention de la certifier pour vraie. Il m’assura qu’on ne
joue plus Jenneval à Paris, que les troupes françaises le donnent de rares fois
en tournée dans les villes de province, pour occuper un vide de
programmation ou pour créer la nouveauté, mais qu’elle ne plaît jamais. Il
ajouta ces mots : Pour moi, je l’ai vu jouer à Bordeaux. Dans une troupe, il
n’est pas de comédienne professionnelle qui s’expose à tenir le rôle de
Rosalie. Il y a des prostituées publiques, dites prostituées de scène, qui
s’exercent aussi à l’art théâtral dans les rôles hideux que les comédiennes de
profession ne veulent pas tenir, pour en tirer quelque profit et faire montre de
leur personne31. Lorsqu’on veut faire Jen neval , on engage une de ces
comédiennes prostituées pour tenir le rôle de Rosalie. […]
Je ne fais que rapporter ce qui me fut narré par un Français et je n’affirme
point pour vérité une chose que je n’ai pas vue. Si cette anecdote est
véridique, le progrès qu’on veut faire subir à l’Italie est d’une nature bien
particulière puisque, dans nos théâtres, on présente des Jenneval comme des
modèles d’édification ! Les comédiennes françaises, exclues des sacre ments
de l’Eglise 32 , refusent d’interpréter le rôle de Rosalie dans Jenneval. Les
comédiennes italiennes, qui ont accès à ces sacrements vénérables, ne se font
pas scrupule d’interpréter le rôle de Rosalie. […]
Pour moi, je lirai tout, mais je m’en tiendrai toujours, autant que je
pourrai, aux paroles d’un des meilleurs, et des plus sages philosophes fran
çais.
Celui qui n’a égard en écrivant qu’au goût de son siècle songe plus à sa
personne qu’à ses écrits  : il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette
justice qui nous est quelquefois refu sée par nos contemporains, la postérité sait
nous la rendre 33 .
J’interprète ce “tendre à la perfection” autant sur le plan moral que sur
celui du raffinement du style. Comme les pièces écrites sont toujours
“éphémères” et “fugitives lors de leur passage sur scène”34, je ne qualifierai
les miennes, au moment de les porter à la lumière du jour, ni d’excellentes, ni
de “mauvaises”, ni de “médiocres”. En les publiant, je défends les
compatriotes de mon temps, auxquels elles plurent et plaisent, et je ne me
vante de rien pour la postérité. Aucun écrivain ne s’est encore donné la peine
de faire une poétique et une scientifique apologie des pièces de théâtre
populaires, pleines de parodies, de fantaisie, et de puissantes passions greffées
sur un merveilleux superbe. Les comédiens et les spectateurs devraient
réclamer à pleine voix cette apologie et cette poétique pour défendre les uns
leur pain et les autres leur goût. Les sublimes poètes dramatiques ne feront
jamais cette poétique et les spectateurs ne se soucieront jamais qu’elle existe.
Pour moi, je voudrais néanmoins que le récent drame larmoyant qu’est Le
Déserteur connût la même affluence de public, dans sa deuxième année de
représentation, que l’inconvenant Convive de pierre35 après deux siècles, et que
Tirso de Molina, Espagnol ancien, fût terrassé par monsieur Mercier,
Français moderne, afin de stigmatiser nos comédiens et nos spectateurs, et de
rester d’accord avec les défenseurs des règles au théâtre.
Celui qui a dit36  que mes dix fables théâtrales étaient “excellentes”, mais
invraisemblables et hors des règles, était inspiré par l’imposture. Je n’accepte
ni le bien ni le mal qu’il en dit. Il les qualifie d’excellentes pour ne pas faire
offense au public, qui les a aimées  ; il les qualifie d’irrégulières et
invraisemblables, porté par un désir empoisonné de les déprécier. L’éloge
excessif et affecté qu’il fait de la pièce de Goldoni, Le Bon Génie et le
Mauvais Génie37, pièce dont il veut qu’elle éclipse toutes mes fables théâtrales,
qui est à mille lieues du genre de ces dernières, que je n’ai encore ni défendue
ni dénigrée, et dont je parlerai dans la préface de ma dixième fable, révèle
une de ces intentions mesquines, rageuses et insolentes, dont on peut faire en
riant l’usage qu’on fait d’un Floriferis ut apes in saltibus omnia libant38.
Mes dix fables théâtrales sont aussi régulières que ce genre de pièces peut
comporter de régularité et, si elles émurent le public aux larmes, c’est que la
nature qu’elles imitent mérite d’être prise en considération. Voici qu’on les
publie, et monsieur Floriferis ut apes pourra, plus aisément et d’un esprit plus
calme, faire ses doctes critiques sur leur irrégularité et leur morale.
Les règles théâtrales édictées par les maîtres austères des temps anciens,
notamment en ce qui concerne l’unité de lieu et les vingt-quatre heures d’unité
de temps, n’eurent pour but que de contraindre les talents à composer une
œuvre qui, par sa vraisemblance et l’unité de ses parties, pût sembler une
petite idole bien proportionnée, harmonieuse et accomplie. La respectable
Antiquité raisonnait sur les diverses parties d’une composition théâtrale avec
les mêmes préceptes stricts et austères que Pétrarque et Bembo39  pour les
parties d’un sonnet, et elle n’épargnait rien pour enserrer les poètes à
l’intérieur d’un cercle étroit qui ne les laissât pas sortir de la perfection et de
la simplicité.
L’ennui du public découla de ces règles exiguës, et maints poètes
dramatiques, s’obstinant dans cette voie, emplirent leurs œuvres de plus
d’absurdités que s’ils s’en étaient dispensés. Les Espagnols, les Anglais, les
Italiens furent les premiers à briser ces chaînes pour satisfaire leur public. Les
Français, plus délicats, conservèrent leurs règles plus longtemps, mais la
chose est devenue impossible aujourd’hui. Alexis Piron, poète dramatique
français, se plaignait de ces règles en 172840, et déjà, dans certaines pièces
françaises d’aujourd’hui, on peut voir se succéder, au cours d’une même
représentation, une salle, une prison, un parc, un jardin, une lice, un temple
avec bûcher, une place avec pont, et autres changements de décors. […]
J’ai promis l’histoire sincère de l’origine de mes fables théâtrales, et je n’ai
fait jusqu’à présent qu’un long préambule. Mais ce préambule est un proche
parent de l’histoire promise, et je me trouve contraint à poursuivre le premier
avant de passer à la seconde.
Si je ne franchis pas le dangereux écueil d’un discours sur monsieur
Goldoni, je ne pourrai jamais poursuivre mon voyage et mener à bien ma
résolution.
Cet auteur d’œuvres théâtrales fut le plus farouche adversaire de la
commedia dell’arte qu’eut jamais l’Italie. […]
S’il avait eu l’éducation et la culture qui apprennent aux poètes à penser
avec honnêteté et élévation, et à bien écrire, et s’il s’était limité à un nombre
restreint de comédies écrites, c’était assurément un homme de talent digne de
s’attirer, à lui et à l’Italie, un honneur éternel dans le genre comique.
L’observateur attentif de la nature et des mœurs, et l’homme de théâtre
qu’il était, eût-il été doué des lumières qui permettent à l’esprit de séparer,
d’examiner, et de faire bon usage des idées acquises et donnent à la plume des
couleurs agréables, savantes et propres à les exprimer, aurait sans aucun doute
laissé ses œuvres de théâtre à la postérité.
Il ne sut pas en faire bon usage ni n’eut cette capacité.
Il exhiba sur scène toutes les vérités qui se dressaient devant lui en les
recopiant telles quelles avec trivialité, au lieu d’imiter la nature avec l’élégance
nécessaire à un écrivain.
Il ne sut ou ne voulut séparer les vérités qui peuvent être montrées sur
scène de celles qui ne le peuvent pas ; mais il s’est toujours tenu à ce principe
selon lequel la vérité plaît toujours. De là l’odeur de mœurs pernicieuses
qu’ont presque toujours ses comédies. La lascivité et le vice y côtoient la
pudeur et la vertu, et bien souvent les deux dernières sont vaincues par les
deux premières.
Il a souvent fait de nobles authentiques le miroir de l’iniquité et du ridicule ;
et d’une authentique plèbe un modèle de vertu et de sérieux ; je le soupçonne
(avec trop de malice peut-être) d’avoir fait ce choix pour se gagner le menu
peuple, auquel le nécessaire joug de la subordination inspire toujours de
l’animosité.
Je ne découvre dans ses Honnête Fille que des jeunes filles lascives,
menteuses et de peu d’honneur  ; dans ses Gentilhomme d’esprit que des
séducteurs  ; dans ses Imprésario de Smyrne, qu’une école d’impudeur et de
luxure  ; dans ses Epouse persane qu’un exemple pernicieux de polygamie et
d’oppression de la vertu, etc41.
La plupart de ses comédies ne sont qu’un amas de scènes pleines de vérités,
mais de vérités si viles, frustes et fangeuses que, bien que j’en aie été moi-
même diverti, lorsqu’elles étaient animées par les acteurs, je ne pus jamais
résoudre mon esprit à voir un écrivain s’humilier à les recopier dans les
ruisseaux des halles, ni à comprendre comment il avait eu le front de les
hausser à la dignité d’un théâtre, et surtout de publier ces écrits pouilleux
comme des modèles.
Je m’en tiens ici à la considération concrète et pondérée de ses œuvres sans
me laisser influencer par leur accueil, par les traductions et les nombreuses
éditions qui en furent faites, ni par les louanges d’auteurs impertinents et
ignares, et j’affirme (sans la moindre intention malhonnête d’entacher son
vrai mérite) que monsieur Goldoni, dans ses nombreuses pièces de la période
italienne, n’a fait aucune œuvre qui mérite qu’on la qualifie de parfaite, ni
aucune non plus qui ne contienne quelque beauté.
Pour moi, je ne peux voir dans ses volumes qu’un grand réservoir de scènes
et de matériau théâtral, un répertoire comique à l’usage d’écrivains plus
éveillés, plus cultivés et meilleurs que monsieur Goldoni, auquel notre langue
italienne n’a nulle obligation puisqu’il s’est contenté des seuls gracieux
dialectes de Venise et de Chioggia. […]
Son manque de culture et la nécessité servile où il était de trop écrire, pour
gagner sa vie, furent les bourreaux de ce bel esprit italien que j’ai toujours
aimé en le plaignant.
Je juge, non sans fondement, que la raison la plus importante du succès de
beaucoup de ses œuvres vint davantage de leur apparente nouveauté que de
leur mérite intrinsèque  –  j’en veux pour preuve la réalité, qui sera toujours
mon maître de prédilection.
Monsieur Goldoni, en vrai homme de théâtre, savait fort bien que la
nouveauté des pièces, chez nous, quand elle n’est pas absolument dénuée de
mérite, est la seule chose qui puisse ranimer l’engouement du public
nécessaire aux acteurs, et au poète, s’il attend un profit matériel de ses
œuvres, éphémères comme toujours au théâtre ; et il savait aussi que le succès
est moindre pour des imitations ou d’autres œuvres du même genre. Ainsi, ses
premières comédies eurent pour personnages les masques populaires de la
tradition italienne. Après quoi, il menaça d’éradiquer les masques en cuir
d’Italie, terme cruel qui ne lui fit pas honneur et me déplut. Puis il passa à des
comédies vénitiennes de caractère, et ce fut là sa meilleure innovation, surtout
si l’on pense à ses comédies les moins triviales, écrites dans le dialecte de sa
ville, qui fut aussi son meilleur public. Il sacrifia à la nouveauté de comédies
musulmanes de caractère42. Il chercha la nouveauté dans le merveilleux ; il la
poursuivit dans le romanesque larmoyant ; il s’embourba dans le tragique. Il
exhuma la nouveauté du vers martellien rimé43. Il quitta Venise pour d’autres
villes d’Italie, sans y trouver le succès qu’il escomptait, puis bénéficia de la
nouveauté de son retour à Venise, son meilleur asile. Mais comme les
imitateurs, au théâtre, n’ont pas de succès, et qu’il était devenu, à cause du
nombre excessif de ses œuvres, son propre imitateur, on se mit à bâiller et à
affirmer que ses dernières comédies n’étaient autres que l’envers de ses
premières, ce qui n’était pas. On vit dans ses comédies une mer d’absurdités
et d’impropriétés qu’on ne discernait pas auparavant du fait de l’engouement
aveugle dont il jouissait. L’ennui s’accrut et, comme la source de la nouveauté
s’était, suivant le cours naturel des choses, tarie en lui, son déclin en Italie
commença.
Monsieur l’abbé Chiari lui-même (dont je ne dirai rien ici, pour ne pas
ajouter à ce qu’en dit le public) rendit service à monsieur Goldoni par les
assauts théâtraux qu’il lança contre ses œuvres, puisque, divisant le public en
deux clans exaltés, et aiguisant l’attention de tous, il raviva l’air de nouveauté
des productions goldoniennes, et fit ressortir le mérite qui lui revenait à juste
titre dans un combat si inégal.
Lorsque la force de cette nouveauté se fut éteinte à son tour, éclipsée par le
retour du Portugal de la troupe de commedia dell’arte de Sacchi qui,
augmentée de surcroît d’un excellent Tartaglia44, représentait une nouveauté
concurrente, monsieur Goldoni jugea bon de quitter l’Italie, qui s’était
refroidie à son égard. Il dit qu’on l’avait invité à Paris pour discipliner et
réformer le Théâtre-Italien de cette grande métropole.
Comme on sait, cette entreprise ne fut pas une réussite, et, comme on sait,
il eut l’honneur d’être choisi comme maître de langue italienne d’une
princesse de la cour royale de Paris45. Que cet honneur, enviable par tous, soit
la preuve de la perfection de ses comédies en italien, je laisse le soin d’en
juger aux personnes sensées.
L’étude qu’il a pu faire, depuis le temps où il s’est établi à Paris, de la
culture théâtrale française et du tempérament de cette nation, lui a inspiré la
composition de son Bourru bienfai sant 46 . Cette comédie, qui me plaît
beaucoup, ne me plaît certes pas parce qu’elle plut à Paris  ; elle me plaît
parce que je la trouve excellente. Les comédies qu’il a écrites en Italie
peuvent lui gagner le mérite d’avoir diverti sa patrie  ; Le Bourru bienfaisant
porte son mérite bien plus loin, et je tombe d’accord avec ses propres mots,
qu’on peut lire dans la dédicace de cette œuvre : “Oui, j’appelle mon premier
ouvrage celui que j’ai l’honneur de présenter à Madame47.” Une unité, ni
décharnée ni tirée par les cheveux, une intrigue simple, toute vérité, des
défauts humains mis en lumière avec pudeur et délicatesse, des caractères
policés, fidèlement brossés, des dialogues vifs, clairs et naturels  : voilà les
beautés de cette petite pièce. […]
Si je n’étais passé par cette ennuyeuse digression, que les partisans de
monsieur Goldoni  –  auteur que je veux aimer et apprécier comme il le
mérite, et dont le déclin dans nos théâtres me déplut  –  qualifieront à tort
d’ennuyeuse, je n’aurais pu en arriver à l’histoire de l’origine de mes futiles
fables théâtrales. La voici enfin exposée avec une ingénuité irréprochable et
toute la brièveté possible.
Les œuvres théâtrales de monsieur Goldoni me divertissaient, celles de
monsieur Chiari me distrayaient, mais je ne pouvais me résoudre à apprécier
ni les unes ni les autres comme un honneur pour l’Italie.
Mon imagination, nourrie et peut-être prévenue par mes études en faveur
de principes différents de ceux qui faisaient de messieurs Goldoni et Chiari
des écrivains, était devenue incapable de toute admiration pour leurs œuvres.
Les préjugés sont des défauts  ; nous pourrons toujours nous les reprocher
mutuellement, et toujours de façon improductive.
Si un homme qui n’est pas chatouilleux ne peut pas pour autant être
condamné pour cela, je prie mon public de ne pas me condamner à avoir du
goût pour ce qui ne peut m’en inspirer.
Les deux partis exaltés me harcelaient avec une surprenante insistance pour
que je me déclare en faveur de l’un ou de l’autre, et, en toute conscience, il
m’était impossible de céder à des sollicitations si pressantes.
Même ce qui est accessoire et insignifiant peut comporter du danger et
inspirer un malaise à l’esprit.
J’étais alors fort éloigné de toute intention d’écrire pour le théâtre, et je
passais mon temps à étudier mes auteurs de prédilection  –  puissants poètes
immortalisés pour l’éternité, solides piliers insensibles aux assauts des ombres
fantastiques de nos innovateurs – ainsi qu’à composer des écrits conformes à
mon humeur.
J’écrivis un opuscule en vers facétieux intitulé La Tartane des influences48.
Ce n’était là qu’une imitation de maints poètes toscans badins des siècles
passés, une petite satire urbaine et morale de notre siècle, un simple exercice
de style composé pour me soustraire à une oisiveté que j’ai toujours honnie.
Parmi les nombreuses observations générales que j’exposai dans cet
opuscule, dans une langue littéraire devenue barbare en Italie pour la seule
raison que l’Italie est devenue barbare dans son langage  –  c’est là
indéniablement la déplorable vérité  –, j’exprimai l’étonnement que
m’inspiraient les deux poètes en question.
Le raffinement et le ton léger que je m’efforçai de garder dans ces pages
eurent le bonheur de plaire à un chevalier fort raffiné.
Je lui offris mon manuscrit. Il voulut lui faire l’honneur d’une publication à
Paris pour en offrir à ses amis.
Les exemplaires arrivèrent de Paris à Venise et furent donnés49.
Les quelques sarcasmes qu’on pouvait lire dans ce modeste livre sur nos
deux poètes dramatiques se changèrent en Erinyes d’Oreste.
Dans les recueils de poésie qui sont d’usage à Venise pour les mariages ou
les prises de voile, les deux poètes tentèrent insidieusement, par des
compositions poétiques de leur cru, de me couvrir de ridicule. La tentative
était plus flagrante chez monsieur Goldoni, le versificateur le plus piteux
qu’eut jamais l’Italie.
Me voyant attaqué, j’avoue que je ne manquai pas de répliquer par des
railleries poétiques. Je ne sais qui, de nous deux, fut le meilleur Boileau dans
cette rixe burlesque.
Les polémiques se ravivèrent, et je ne manquai pas, quant à moi, mais
toujours en riant, de mettre à nu les immenses défauts qui émaillent les
œuvres de ce poète, avec leurs intrigues, leurs caractères, leurs mœurs et leur
langage trivial. On trouvera, dans les nombreux volumes que je publie, des
vestiges de ces luttes fort comiques, que j’aurais préféré ne pas mener ni
devoir mener.
Monsieur Goldoni s’était réduit à une seule ligne de défense pour prouver
la sublimité de ses œuvres théâtrales, car sur tous les autres fronts il battait en
retraite. Il invoquait leur succès auprès du public.
Il me sembla que, j’étais acculé à une de ces nécessités auxquelles les
poètes fantasques et obstinés jugent qu’ils ne peuvent se soustraire pour
défendre du brouillard leur réputation et leur gloire.
Je considérai que, si je pouvais le vaincre en faisant voir que sa terrible
preuve du succès ne suffisait en rien à prouver la qualité de ses œuvres, sa
forteresse était prise.
J’avais besoin de soldats pour lancer cet assaut colossal.
Je vis que la troupe de Sacchi, qui jouait admirablement la comédie à
l’impromptu italienne, se trouvait, à son retour du Portugal50,
considérablement affaiblie et diminuée sur le plan matériel par les
bouillonnements des partis nés des œuvres de nos deux poètes.
Ces pauvres acteurs pleins de mérite, modèles d’honnêteté dans le milieu
théâtral, et fort habiles à leur métier, étaient pris à la gorge, et je plaignais ces
interprètes d’innocents divertissements populaires  : je les choisis comme
l’armée qui allait exécuter mon entreprise.
J’imaginai que si je réussissais à obtenir un succès populaire avec des
œuvres dotées d’un titre puéril et de l’intrigue la plus frivole et
invraisemblable qui fût, je démontrerais à monsieur Goldoni que le succès ne
suffisait pas à prouver la qualité de ses œuvres. Voilà l’histoire promise de
l’origine de mes fables.
Mais j’atteste que le choix de leurs titres et de leurs sujets enfantins ne fut
qu’un stratagème.
Les expressions facétieuses qui fusèrent alors ne doivent en aucun cas être
interprétées comme des attaques, ni contre mon public éclairé, ni contre
monsieur Goldoni, et elles ne doivent être imputées qu’à un fantasque caprice
poétique. Je sais pertinemment que, au théâtre, l’assistance est composée de
nobles avisés, de personnes éduquées et du menu peuple et que, toute
nouvelle qu’elle soit, une œuvre théâtrale ne trouve jamais grâce auprès du
public si elle n’a pas quelque mérite intrinsèque.
Ce n’est donc pas sans mérite que les œuvres de monsieur Goldoni
s’acquirent du succès par leur nouveauté ; et je ne ferai jamais offense à ce
public qui m’a fait l’honneur de venir en nombre applaudir les dix fables dont
j’ai fait cadeau à la troupe de Sacchi, quand bien même elles auraient été des
nouveautés toutes nues et dépourvues de mérite intrinsèque. Force m’est de
dire que, sous le voile des titres et sujets enfantins que je leur avais donnés,
elles n’en étaient pas dépourvues. Le grand effet qu’elles produisirent au
théâtre, le fait qu’elles soient représentées encore aujourd’hui, la rage canine
qu’elles excitent chez de misérables éditeurs confirment ce mérite dont je me
flatte.
Il est évident, pour moi comme pour les sages et impartiaux connaisseurs
de la vérité, que j’ai déployé du travail et de l’énergie dans la composition de
ces dix sujets absolument sans rejetons, pour que les œuvres qui en sortiraient
ne soient pas indignes du public et qu’on y trouve une intrigue, l’invention de
situations puissantes, les couleurs de la vérité, les utiles et claires allégories,
les facéties et les saillies, les remarques morales et critiques sur les coutumes,
toute l’éloquence possible et enfin les ingrédients nécessaires à donner à une
fable l’apparence de la vérité, à captiver pendant trois heures une assistance
cultivée et inculte, et à lui faire supporter et aimer les représentations.
De même que je n’avais alors nulle envie d’écrire des pièces de théâtre et
que ce furent les circonstances qui m’y amenèrent, de même, malgré mon peu
d’ambition de faire publier mes œuvres, certaines circonstances me poussent à
les éditer.
Fort éloigné de la misérable présomption de m’octroyer le statut d’auteur
par l’imposture d’une publication et la seule force de l’encre des imprimeries,
j’ai su me forcer à l’humilité, et je n’ai pas cru pouvoir me critiquer moi-
même de façon plus efficace qu’en gardant inédit et enseveli dans le ventre de
l’oubli tout ce qui était sorti de ma plume infortunée.
Je ne puis supporter aujourd’hui que certaines plumes, l’opprobre de notre
public et de notre patrie, fassent insulte à des spectateurs qui ont eu la
libéralité de gratifier de leurs précieux applaudissements ces pièces que j’ai
vaillamment présentées dans nos théâtres, et qui jusqu’ici n’ont eu d’existence
que par les voix et les gestes éphémères des acteurs.
Les œuvres que je publie ne se limitent pas aux pièces que j’ai écrites pour
notre théâtre, et où on relèvera que je ne me suis pas borné à mes dix fables
théâtrales, mais que, me conformant aux discours, à l’humeur, au goût de mes
compatriotes, j’ai changé de genre pour divertir ma patrie en toute innocence,
et contribuer aux bénéfices des acteurs qui acceptèrent mes dons, d’une
manière que je décrirai fidèlement et régulièrement, mais je donne aussi à la
publication bon nombre d’œuvres qui n’ont rien à voir avec le théâtre et dans
lesquelles j’ai pu, sans craindre de n’être pas intelligible à un public populaire,
cultiver à mon gré, et autant qu’il était en mon pouvoir, la clarté de la langue,
le raffinement et la variété du style selon les sujets traités ; pour le nécessaire
manque de raffinement qui transparaît dans mes écrits théâtraux, je demande
pardon aux rares esprits qui aiment et comprennent les beautés et la pureté de
notre langue, si outrageusement bafouée et délaissée de nos jours. […]
Les esprits éveillés remarqueront sans peine que j’ai souvent traité les
maximes les plus sérieuses et importantes sous un voile facétieux, et ce n’est
pas sans raison que je l’ai fait.
En un siècle où l’on combat la vertu avec une gravité magistrale, séductrice
et acclamée, les défenses de la vertu opprimée ennuient ou ne sont pas lues
lorsqu’elles sont traitées sur un ton sérieux et doctoral.
Un tour satirique et facétieux, s’il l’est vraiment, outre ce je ne sais quoi de
licence qu’on lui accorde communément, a tout au moins pour effet d’ébranler
le lecteur et d’arrêter son regard ; mais je ne prétends pas me faire garant de
cet effet utile.
J’ai un peu trop discouru ; mais j’étais las de jouer les taciturnes, et de me
voir critiqué par des langues qui devraient au contraire – pour le bien public,
et pour leur moindre mal – observer une taciturnité éternelle.
Si les cerveaux qui mettent ces langues en mouvement comprenaient le
sens du mot discours, ils comprendraient aussi que j’ai discouru très
publiquement, et que, pour certaines langues, le silence est un discours. Mais
les épithètes de taciturne et de solitaire que je me suis gagnées, outre qu’elles
n’ont rien en soi de ridicule, et qu’elles n’entament en rien la réputation d’un
honnête homme, sont le signe manifeste que je ne me suis pas échiné, dans
les rues, les échoppes et les salons, à des visites, requêtes, flatteries et
courbettes, dans le but indirect de grossir les rangs d’un parti en ma faveur ;
elles sont le signe aussi que je dois la survie de mes œuvres au théâtre à la
bonté d’un public éclairé et courtois auquel je voue un respect et une
gratitude éternels, même depuis ma solitude, et sans la moindre arrogance
téméraire, déraisonnable, fruste et insultante.
Les exagérations ne sont pas fort louables, mais elles sont excusables,
comme sont excusables des gestes impatients chez l’homme le plus pondéré
du monde lorsque, encerclé d’un nuage de moustiques importuns et
repoussants, il s’ébroue pour les mettre en fuite et en écraser un ou deux.
Comme je veux réserver un peu de matière aux brèves préfaces que
j’entends faire à chacune de mes pièces, pour lesquelles, j’en suis sûr, ceux
qui n’ont d’autre aiguillon que la cupidité et le désir de vendre des feuilles
imprimées me feront l’honneur de me donner de la matière, je passe
maintenant à l’analyse réflexive de ma première fable théâtrale, intitulée
L’Amour des trois oranges, qui aura elle aussi sa petite préface, puisque je suis
déterminé aujourd’hui à surpasser en loquacité toutes les Préfaces, tous les
Journaux, tous les Romans brutaux, tous les Garçons Cochers et Postillons
littéraires, et toutes les feuilles volantes pouilleuses, insultantes, stériles et
interminables.

1 Le texte de référence du Discours ingénu et du Supplément est celui qui apparaît dans l’édition
Zanardi, dernière édition revue et corrigée par l’auteur.
2 En italien, on trouve les termes de commedia improvvisa, ou commedia colle maschere ; le terme de
commedia dell’arte apparaît au milieu du XVIIIe siècle.
3 Brighella et Truffaldin (une variante d’Arlequin) sont les deux serviteurs, ou Zanni, de la commedia
dell’arte ; les trois autres masques sont des rôles de vieillards. Pantalon est un masque central qui joue
les rôles de père, parfois d’amoureux ridicule ; Tartaglia, le bègue, est un masque oublié ressuscité par
Agostino Fiorilli, mais il peut avoir perdu son défaut d’élocution et représenter un homme d’âge mûr et
de condition moyenne (un pharmacien, un avocat, un lettré) ou un noble, voire un roi (Le Roi-cerf) ; le
Docteur est un faux savant.
4 Scaramouche, un personnage de vantard proche du Capitan, et les trois serviteurs que sont Pierrot,
Mezzetin (variante d’Arlequin) et Scapin (variante de Brighella) se sont aussi solidement implantés en
France.
5 La compagnie des Gelosi de Flaminio Scala, première troupe de commedia dell’arte en France, arrive
en 1576, sur l’invitation d’Henri III ; diverses compagnies s’y succèdent ensuite jusqu’à la fin du XVIIIe
siècle.
6 Giovanbattista Garelli (Pantalon), Francesco Cattoli (Arlequin) et Giuseppe Campioni (Brighella)
sont tous trois des acteurs fameux du théâtre de San Luca à Venise ; ils sont morts entre 1740 et 1763.
7 Cesare D’Arbes – “Derbes” dans le texte – (Pantalon), Atanagio Zanoni (Brighella), Agostino Fiorilli
(Tartaglia) et Antonio Sacchi (Truffaldin) sont les quatre masques de la troupe de Sacchi, avec laquelle
travaille Gozzi.
8 Citation de la préface de Caminer aux Compositions théâtrales modernes.
9 Philippe Néricault dit Destouches (1680-1754) est l’un des pères de la comédie larmoyante ; Louis de
Boissy – “Boisy” dans le texte – (1694-1758) fut l’auteur d’une quarantaine de comédies.
10 La tragicomédie est combattue en Italie à partir de la moitié du XVIIIe siècle, notamment par
Francesco Milizia ; en France, elle a déjà disparu, attaquée entre autres dans La Pratique du théâtre de
l’abbé d’Aubignac.
11 Beverley, tragédie bourgeoise de Bernard-Joseph Saurin (1768), L’Ecossaise, comédie de Voltaire
(1760), Eugénie, drame de Beaumarchais (1767).
12 “Préface à la collection des traductions Caminer ; journal L’Europe littéraire” (N.d.A.).
13 Gozzi anticipe les débuts de la commedia dell’arte ; en revanche, sa diffusion géographique semble
plausible.
14 Les sacre rappresentazioni, des pièces à caractère religieux qui n’observent pas les unités de lieu, de
temps et d’action, se diffusèrent en Italie aux XIVe et XVe siècles.
15 Giovan Maria Cecchi (1518-1587) – “Zecchi” dans le texte de Gozzi –, Annibal Caro (1507-1566),
Agnolo Firenzuola (1493-1543), Francesco D’Ambra  –  “Dall’Ambra” dans le texte  –  (1499-1558),
Anton Francesco Grazzini, dit Lasca (1503-1584).
16 Tutti i Trionfi, carri, mascherate o Canti carnascialeschi, Florence, Torrentino, 1559, p. 461-463. Ce
chant, qui se présente comme la parade d’un spectacle, est parmi les premiers témoignages sur la
commedia dell’arte. Il était rare alors qu’un auteur de pièces écrites en prenne la défense.
17 Benedetto Cantinella, célèbre acteur du XVIe siècle qui tenait les rôles de Magnifique, était alors à
Florence avec sa troupe.
18 “Chants de carnaval publiés à Florence” (N.d.A.)
19 “Préface à la traduction de Fajel”(N.d.A.). Ce paragraphe est une reprise textuelle de la préface.
20 Antonio Sacchi, excellent acteur qui joue les rôles de Truffaldin, a travaillé successivement avec
Goldoni (il a créé notamment le rôle-titre du Serviteur de deux maîtres) et avec Chiari ; ayant fondé sa
propre troupe en  1753, il entame, à son retour du Portugal en  1755, une longue collaboration avec
Gozzi.
21 “Préface à la traduction de Fajel” (N.d.A.). Ce paragraphe et le suivant sont une citation textuelle de
la préface.
22 Référence aux attaques dirigées contre sa préface à Fayel, parue la même année que le Discours
ingénu.
23 “Préface à la collection des traductions Caminer” (N.d.A.).
24 “Préface à la traduction de Fajel” (N.d.A.).
25 “Préface à la collection des traductions Caminer” (N.d.A.).
26 “Préface à la collection des traductions Caminer et journal L’Europe littéraire” (N.d.A.).
27 “Préface à la traduction de Fajel” (N.d.A.). Ce paragraphe est une citation textuelle de la préface.
28 “Je supplie les Italiens qui se piquent de français de ne pas prendre le mot défendre au sens de
prohiber” (N.d.A.).
29 “Jeneval” dans le texte. Dans Jenneval, la prostituée Rosalie pousse Jenneval à voler son oncle, puis à
le tuer pour s’emparer de ses biens ; mais, au moment de passer à l’action, le héros se repent, avoue ses
fautes et épouse la vertueuse Lucile.
30 “Préface à la traduction de Fajel” (N.d.A.).
31 L’existence en France de ces prostituées de théâtre est purement imaginaire.
32 Les acteurs français ne seront admis aux sacrements de l’Eglise et ensevelis en terre consacrée
qu’après la Révolution française.
33 “De la Brujere” dans le texte. La Bruyère, Les Caractères, ou les Mœurs de ce siècle, “Des ouvrages
de l’esprit”.
34 Termes empruntés au Manifeste et à la préface de Fayel.
35 C’est le sous-titre du Burlador de Sevilla (1630), de Tirso de Molina, première version du mythe de
don Juan. Le théâtre italien du XVIIe siècle a abondamment exploité ce texte, en reprenant le sous-titre
de Molina.
36 “Journal Europe littéraire” (N.d.A.). Il s’agit de Domenico Caminer, dans L’Europa letteraria, 1er
janvier 1772.
37 La pièce, où Goldoni cède à la mode du merveilleux, est représentée en  1767  au théâtre de San
Giovanni Grisostomo, et connaît un immense succès.
38 Lucrèce, De natura rerum, III, v. 11 : “Telles les abeilles qui dans les prés fleuris butinent.”
39 Pietro Bembo, humaniste et écrivain du XVIe siècle ; il fit paraître une édition du Chansonnier de
Pétrarque, et désigna ses sonnets comme des modèles de pureté absolue de la langue poétique.
40 Alexis Piron (1689-1773), auteur de tragédies, comédies et pièces pour le Théâtre de la Foire. Le
texte auquel Gozzi fait référence est la préface de L’Ecole des pères, où Piron appelle de ses vœux la fin
de “l’empire du bon sens et de la tyrannie des règles”.
41 La putta onorata (1748), Il cavaliere di spirito, o sia La donna di testa debole (1756), L’impresario
delle Smirne (1759), La sposa persiana (1753).
42 Il s’agit de sa trilogie persane, composée de L’Epouse persane, Ircana à Djoulfa (1755), et Ircana à
Ispahan (1756).
43 Le vers martellien est un vers composé de deux septénaires, forgé, à l’imitation de l’alexandrin, par
Pier Jacopo Martello (1665-1727), dramaturge et théoricien de la tragédie. Ces vers seront utilisés par
Chiari et, dans une moindre mesure, par Goldoni. Gozzi en fait une parodie très drôle dans L’Amour
des trois oranges.
44 Le Napolitain Agostino Fiorilli, acteur d’exception, auquel Gozzi offrira des rôles de premier plan
dans ses fables, notamment dans L’Amour des trois oranges, Le Roi-cerf et L’Oiseau vert.
45 En 1672, Goldoni quitte Venise pour Paris ; il travaille d’abord pour la Comédie-Italienne, puis est
nommé en 1765 maître d’italien de la seconde fille de Louis XV, la princesse Marie-Adélaïde.
46 “Bourrù bienfaisant” dans le texte. Comédie en prose représentée en 1771.
47 La dédicace est, non sans raison, tronquée par Gozzi. Goldoni poursuivait par ces mots : “car son
succès en France me fait oublier tous ceux que j’ai faits en Italie”.
48 La Tartane des influences pour l’année bissextile 1756 est un almanach satirique qui prend pour cible
les comédies réformées de Goldoni et Chiari.
49 L’ouvrage, doté d’une fausse publication à Paris, est offert à ses amis par le patricien Daniele
Farsetti, l’un des fondateurs, avec Gozzi, de l’académie des Couillons.
50 De fait, c’est fort appauvri que Sacchi, en  1755, rentre avec sa troupe du Portugal, après le
tremblement de terre de Lisbonne.
SUPPLÉMENT AU DISCOURS INGÉNU
DU PREMIER TOME 1

Le nouveau genre avec lequel, après mes fables théâtrales, j’ai pensé porter
assistance à la compagnie des comédiens de Sacchi pour augmenter leurs
recettes fut tiré par mes soins des sujets du théâtre espagnol.
Thomas Corneille n’a pas eu honte de s’inspirer, dans ses œuvres théâtrales,
de nombreuses pièces de ce théâtre, comme on peut le constater dans ses
productions écrites, et c’est de ce théâtre que le grand Pierre Corneille2  tira
les œuvres qui le rendirent immortel. Ce dernier a adopté les grandes figures
de cette ingénieuse et fervente nation. Je n’ai pu quant à moi les envisager
selon les mêmes desseins que lui, car il s’agissait d’aider une troupe italienne
dont j’ai voulu mettre en valeur les masques, mais il est vrai que, même si
j’avais voulu les envisager selon les mêmes desseins que ce grand homme,
mon mérite ne serait pas arrivé à la cheville du sien.
Si j’avais voulu utiliser les sujets espagnols pour une troupe de comédiens
italiens spécifiquement différente de celle de Sacchi, j’aurais procédé
autrement, et je me flatte de ce que l’effet parmi nous en aurait été le même,
car la force des situations dans les sujets théâtraux est la cause principale du
succès. On ne pourra jamais envisager le théâtre italien par le biais du théâtre
français. J’ai déjà fourni quelques arguments à ce propos, j’en fournirai
d’autres. Le Cid, tiré de don Guillén de Castro3, auteur espagnol, et qui fit
grand honneur à Pierre Corneille, ne suffit pas à satisfaire les spectateurs
italiens. Le Cid adapté par un Italien sous le titre de Rodrigue4 eut un grand
succès chez nous. L’Ecossaise, écrite selon les règles par monsieur Voltaire5 et
traduite fidèlement, ne plut pas aux Italiens. L’Ecossaise adaptée par monsieur
Goldoni en gardant à l’esprit le goût italien plut énormément.
Décidé à porter assistance à la troupe de Sacchi en m’appuyant sur ses
masques, j’estimai que la force romanesque du théâtre espagnol était
conforme à la force comique de nos masques. Tout en aidant une troupe
méritante, je voulus produire des pièces capables de divertir ma patrie par le
bon exemple et l’innocence, et ce faisant je n’eus pas la moindre intention de
me rendre immortel. Si Corneille avait vécu de nos jours, s’il avait été italien,
s’il s’était mis en tête de secourir la même troupe, il aurait fait ce que je fis
des sujets espagnols. Mes propos sont dictés non par une insolente
présomption, mais par la constatation de l’heureuse issue qu’eurent dans notre
théâtre les sujets espagnols que j’ai utilisés. Corneille aurait toutefois été
obligé de renoncer à la perspective de ses bénéfices et de ses pensions. Mais il
était français et vivait au temps du roi Louis le Grand, grand mécène des
lettrés.
Notre Goldoni, qui eut le mérite d’alimenter pendant de nombreuses
années le théâtre italien en divertissant ses compatriotes et en se faisant
admirer, peut dire quels sont les bénéfices des auteurs de théâtre italiens et de
qui ils les reçoivent dans l’humiliation et les mortifications. Moi, je n’ai
cherché qu’à m’amuser, à divertir mes concitoyens et à contribuer aux recettes
de la troupe qui n’a pas démérité du public qu’elle sert. Des bénéfices que
font les troupes de comédiens en Italie on peut déduire quels avantages
reçoivent les auteurs de théâtre italiens et on peut aisément imaginer si les
talents de notre patrie doivent s’exposer aux probables sifflets et au mépris
public pour une somme dérisoire, qui plus est soustraite aux piètres recettes
de nos comédiens.
Si j’espérais obtenir des grands d’Italie la protection des auteurs et des
comédiens par mes prières, je les implorerais à genoux ; mais je suis sûr de
ne pas être assez convaincant pour faire jaillir la source de la véritable
naissance, de l’implantation et de la floraison des belles-lettres. […]
Messieurs Heufeld et Sonnenfels6 laissent entendre partout que la comédie
à l’impromptu n’existe plus, qu’il s’agit d’une entité imaginaire parmi nous,
que les pièces à l’impromptu proposées par la troupe de Sacchi sont toujours
les mêmes, que le temps et la pratique répétée en ont fait des pièces
entièrement écrites et que l’absence de sujets nouveaux traités à l’impromptu
prouve ces assertions.
Si cela était vrai, il faudrait vraiment s’étonner que Le Convive de pierre7,
repris depuis plus d’un siècle, ait rapporté à la troupe de Sacchi, cette
année  1773, six cent cinquante-sept lires, ne serait-ce que dans la caisse de
l’entrée du théâtre, et que Le Déserteur de monsieur Mercier, drame
représenté chez nous depuis deux ans seulement, et tellement estimé, ait
rapporté à peine plus de deux cents lires aux comédiens cultivés du théâtre de
Sant’Angelo. Quel comédien italien avisé voudra délaisser un art qui lui
procure les faveurs méritées du public pour donner raison, dans une
prétendue démonstration de culture, aux très cultivés messieurs Heufeld et
Sonnenfels, lesquels mettent en péril ses recettes ?
L’affirmation de ces messieurs selon laquelle la comédie à l’impromptu
n’existe plus parmi nous est par ailleurs totalement erronée. J’espère qu’on me
concédera que la comédie à l’impromptu réside dans les dialogues improvisés
qui la composent et non dans une intrigue improvisée. Je livre un élément qui
prouve qu’elle existe bel et bien et je défie ses adversaires de trouver, dans les
nombreuses comédies italiennes à l’impromptu que la troupe de Sacchi donne
chaque année avec succès, la moindre répétition des dialogues des années
antérieures.
Celui qui verrait le canevas qui sert de trame aux talentueux comédiens
chaque soir, affiché sous un lumignon pour guider aisément toute la troupe,
n’hésiterait pas à dire que la comédie est à l’impromptu, et il s’étonnerait que,
à partir des quelques indications contenues dans une feuille de papier, dix ou
douze personnes s’exposent courageusement devant un public pour monter un
spectacle constitué de dialogues durant trois heures, amusant les spectateurs
sans faiblir et conduisant l’intrigue proposée à son dénouement.
Afin de fournir aux lecteurs un exemple de la trame qui sert à nos
comédiens à l’impromptu pour représenter la comédie, j’éditerai, tel que je le
vis sous son lumignon, un canevas que j’eus l’occasion de posséder, sans
ajouter ni enlever un mot. Le lecteur concevra à la lumière de cet exemple
que tous les autres canevas des nombreuses comédies à l’impromptu que nous
voyons représentées sont semblables à celui-ci ; on pourra alors me dispenser
d’user du papier à tous les éditer et il sera facile de constater que les dialogues
des comédies susdites sont improvisés. La feuille que je publie est la trame
pour les comédiens de la pièce Les Contrats rompus, que nous voyons
plusieurs fois par an et toujours avec plaisir.
ACTE I
Livourne

Brighella entre en scène en regardant partout et, ne voyant personne, appelle.


Pantalon arrive avec des lazzis de crainte. Brighella dit qu’il veut quitter son service, etc. Pantalon le
prie de l’aider. Brighella s’attendrit, le lui promet. Pantalon dit que les créanciers veulent être payés. En
particulier Truffaldin. Que l’échéance arrive à terme ce jour, etc. Brighella le rassure. Sur ce,
Truffaldin fait une scène pour être payé. Brighella le renvoie avec un expédient. Pantalon et Brighella
restent. Sur ce,
Tartaglia écoute à sa fenêtre. Brighella s’en aperçoit et mime la richesse de Pantalon. Tartaglia arrive
dans la rue. Lazzi de l’aumône avec Pantalon : enfin, ils établissent le contrat de mariage de la fille de
Tartaglia8 avec le fils de Pantalon9. Sur ce,
Truffaldin exige son argent. Brighella exécute le lazzi du paiement de Pantalon. Lazzi trois fois de
suite, puis tous sortent.
Florindo parle de son amour pour Rosaura et de la faim qui le tenaille. Il frappe à la porte.
Rosaura écoute sa déclaration, veut le mettre à l’épreuve et lui demande un présent. Florindo répond
qu’il n’en a ni la possibilité, ni les moyens. Rosaura lui dit d’attendre, car c’est elle qui va lui faire un
présent, et s’en va. Florindo reste. Sur ce,
Smeraldina arrive avec un pain qu’elle donne à Florindo, puis sort. Florindo mange. Sur ce,
Brighella apprend que Rosaura lui a offert ce pain, il le lui arrache des mains et s’enfuit. Florindo le
poursuit.
Leandro parle de son amour pour Rosaura et laisse entendre qu’il a provoqué la faillite de Pantalon.
Sur ce,
Tartaglia entre en se parlant à lui-même des richesses de Pantalon. Leandro lui demande la main de
sa fille. Tartaglia lui répond qu’il l’a promise au fils de Pantalon. Leandro s’en étonne. Ils se disputent.
Sur ce
Truffaldin arrive. Lazzi du paiement avec Tartaglia.
Tartaglia réfléchit, déchire le contrat de mariage et s’en va. Sur ce,
Brighella parle de ce qui s’est passé. Sur ce,
Leandro trouve le contrat, le déchire et s’en va.
Tartaglia, sa scène, il déchire le contrat, et le premier acte se termine.

ACTE II

Leandro parle de ce qui s’est passé. Sur ce,


Angela l’appelle, il la repousse aimablement et sort. Angela dit qu’une autre femme fait certainement
obstacle à son amour, mais qu’elle va s’employer à découvrir la cause de son tourment, puis elle sort.
Pantalon et Brighella. Pantalon, auparavant mis au courant par Brighella, se désespère. Brighella lui
conseille de lui confier l’affaire et lui promet qu’il en sera satisfait. Pantalon sort. Brighella reste. Sur ce,
Angela s’en remet à Brighella pour fléchir Leandro. Brighella promet tout et lui assure que si elle fait
ce qu’il dit elle sera heureuse. Angela le lui promet. Brighella lui suggère de dire du mal de Leandro à
Rosaura et de lui laisser faire le reste, et il s’en va. Angela appelle
Rosaura et Smeraldina : leur scène. Rosaura ordonne à Smeraldina de fermer la porte de la maison et
entre chez Angela. Smeraldina ferme la porte et, lorsqu’elle retourne auprès de Rosaura, fait tomber sa
clé. Sur ce,
Brighella, qui a tout vu, ramasse la clé, voit Tartaglia qui arrive, entre chez lui et ferme la porte. Sur
ce,
Tartaglia parle de ce qui s’est passé. Sur ce,
Brighella, idem, de l’intérieur, etc. Tartaglia frappe à la porte. Sur ce,
Brighella : sa scène, depuis la fenêtre, puis s’en va. Tartaglia s’en va trouver le juge ; Brighella rit,
puis voit venir
Leandro, sa scène sur la séquestration10. Leandro ne veut rien savoir, il part. Brighella s’en va.
Pantalon et Truffaldin. Pantalon fuit Truffaldin qui veut être payé et le retient par le manteau. Sur
ce,
Brighella, pour payer Truffaldin, lui donne la clé. Truffaldin entre chez Tartaglia. Pantalon et
Brighella partent.
Rosaura et Smeraldina. Rosaura, sa scène à propos de ce qu’Angela lui a dit de négatif sur Leandro.
Smeraldina veut ouvrir la porte, ne trouve pas la clé, essaie de forcer la porte. Sur ce,
Truffaldin depuis la fenêtre provoque les femmes et se retire. Les deux femmes restent. Sur ce,
Brighella, qui a tout observé, s’avance et dit que c’est Leandro qui a fait entrer Truffaldin, etc., puis il
s’en va. Les femmes partent à la recherche de Tartaglia.
Tartaglia et des sbires. Tartaglia appelle. Sur ce,
Truffaldin sort, poussé par les sbires qui veulent le mettre en prison, et le deuxième acte se termine.

ACTE III

Leandro d’un côté, Tartaglia de l’autre, après une scène de quiproquos, s’expliquent sur tout et
sortent pour stipuler un autre contrat.
Rosaura et Smeraldina se plaignent de ne pas avoir trouvé Tartaglia. Sur ce,
Brighella, fuyant Leandro et Tartaglia qui le poursuivent, appelle au secours. Les femmes
s’interposent. Brighella sort. Les autres restent, s’expliquent sur tout, puis s’en vont.
Florindo et Marubio. Florindo apprend de Marubio que Leandro a provoqué la faillite de son père,
qu’il se fait appeler Leandro mais que son vrai nom est Mario. Ils sortent à sa recherche.
Brighella parle de ses embrouilles. Sur ce,
Tartaglia arrive avec un nouveau contrat de mariage. Leur scène. Tartaglia frappe à la porte
d’Angela.
Angela : sa scène avec Tartaglia. Angela part. Tartaglia déchire le nouveau contrat et part.
Leandro dit que l’heure de son bonheur approche. Sur ce,
Tartaglia raconte ce qui s’est passé, en s’emportant contre Leandro, et appelle Angela.
Angela avoue qu’elle a menti pour obéir à Brighella. Tartaglia appelle.
Rosaura entre en scène. Tartaglia veut qu’elle accorde sa main à Leandro. Sur ce,
Pantalon, Florindo, Marubio se jettent sur Leandro pour qu’il avoue ses fautes. Leandro avoue qu’il
est Mario, etc.
Tartaglia découvre que Leandro est le fils d’un de ses amis. Sur ce,
Brighella arrive avec de bonnes nouvelles du bateau11. Leur scène. Les mariages sont conclus entre
Rosaura et Florindo et entre Mario et Angela. Sur ce,
Truffaldino arrive et veut être payé. Tout est arrangé et la comédie se termine.

De cette feuille que j’édite sans changer un seul mot est née la comédie Les
Contrats rompus. Et de plus de quatre cents canevas semblables nous voyons
naître nos comédies à l’impromptu. Aucune maladie d’un membre de la
troupe, aucun acteur nouvellement arrivé ne peut mettre en péril la
représentation, et une conversation au pied levé sur les rebondissements de
l’action suffit à l’exécution de ce spectacle. On redistribue les rôles aux
acteurs au moment même de la représentation en fonction des circonstances,
de la hiérarchie, de l’habilité respective des acteurs, en adaptant les noms et
les emplois des personnages, et ce faisant la comédie est gaiement menée à
son terme. Chaque année, on retranche ou on ajoute des scènes à l’intrigue et
un simple avis à la troupe suffit pour qu’elles soient jouées avec précision et
virtuosité. Ceux qui ne sont ni Heufeld ni Sonnenfels voient aisément que ces
bons acteurs travaillent non seulement le fond de leurs canevas, mais
structurent leurs scènes suivant un principe différent, en les développant avec
des dialogues nouveaux et spirituels, qui renouvellent le spectacle et le font
durer. J’ai entendu cent fois ces talentueux comédiens à l’impromptu se
reprocher d’avoir mal structuré leurs scènes, provoquant ainsi la fadeur et la
froideur du dialogue, avancer de très judicieuses remarques et formuler des
recommandations utiles pour de nouveaux essais.
Il est certes vrai que certains acteurs sérieux de ce genre de comédie, et en
particulier les actrices, possèdent un arsenal de tirades écrites, variées et
apprises par cœur, qui servent aux prières, aux reproches, aux menaces, à
l’expression du désespoir ou de la jalousie, mais il est admirable aussi que,
face au public, improvisant des scènes avec d’autres acteurs à l’impromptu, ils
réussissent promptement à les rappeler à leur esprit, à les choisir dans cette
masse qu’ils ont en mémoire et à les placer avec pertinence, les prononcer
avec vigueur et s’attirer les applaudissements des spectateurs.
Tel est le fonctionnement de notre comédie italienne à l’impromptu,
apanage de notre seul pays, qui depuis presque trois siècles continue d’être
proposée avec succès et dont messieurs Heufeld et Sonnenfels veulent voir la
mort en Italie pour le malheur des propriétaires de théâtres.
Ces messieurs, qui déduisent ce décès du fait de ne pas voir de sujets
nouveaux dans ce genre, se trompent aussi sur ce point, errant dans
l’observation comme dans la déduction.
Il serait trop fastidieux d’enregistrer ici les plus de quatre cents canevas de
ce genre qui sont sans cesse renouvelés, aussi bien dans leurs morceaux de
bravoure que dans leurs dialogues. Les bons acteurs qui succèdent aux bons
acteurs disparus suffisent à donner un air de nouveauté à tous ces canevas.
Nous vîmes succéder à Roderigo Lombardi, excellent Docteur, Agostino
Fiorilli, excellent Tartaglia, rajeunissant tous les canevas par la seule diversité
de leur caractère, de leur tempérament et de leur talent d’égale valeur. Un seul
comédien capable de s’attirer la bienveillance du public suffit à éveiller les
occasions de créer de la nouveauté chez tous les autres acteurs de la troupe et
dans tous les canevas de la comédie à l’impromptu. Voilà un véritable
avantage pour les recettes liées à ce genre, que perdent les acteurs qui se
moquent de lui et qui s’en détournent parce qu’ils n’en sont pas capables,
avantage que ne fourniront jamais les pièces entièrement écrites. […]
Monsieur Goldoni abandonna et persécuta ce genre pour une raison
pratique. Les canevas à l’impromptu ne lui rapportaient que trois sequins
chacun. Les comédies entièrement écrites pour les acteurs dits cultivés lui
rapportaient trente sequins. Ce courageux ennemi de la commedia dell’arte
italienne n’a fait que porter préjudice à ce métier, harceler nos comédiens
pour qu’ils ne s’exercent plus au jeu à l’impromptu, vicier le public et le
rendre désireux de ce qui est impossible, provoquer l’ouverture de théâtres
trop nombreux, remplir l’Italie d’une foule de comédiens miséreux, inaptes à
la comédie à l’impromptu et insupportables dans la comédie entièrement
écrite, et appauvrir les comédiens pour lesquels il écrivait. Sur environ dix
comédies qu’il composait par an, deux seulement avaient du succès, et ces
dernières, avec les huit qui tombaient, coûtaient à ses comédiens aveugles
trois cents sequins, montant qui réduisait à néant les bénéfices des
représentations des troupes italiennes pour lesquelles il travaillait. Ses
comédies écrites sont aujourd’hui un capital inutile aux comédiens, alors que
ses canevas sont encore fertiles en recettes. Mais passons.
Que messieurs Heufeld et Sonnenfels avouent que de nombreuses intrigues
de comédies à l’impromptu sont des productions nouvelles et non des
comédies qui, avec le temps et à force d’être proposées, ont été entièrement
écrites. Il est vrai que, si les comédiens jouant à l’impromptu, ardemment
lancés dans leur morceau de bravoure, se mettent à exprimer un sentiment
naturel ou un bon mot adapté à la situation au point de susciter le rire et les
applaudissements, ils conservent ce dernier comme un élément précieux de la
comédie pour les représentations futures et en tirent chaque fois le même
effet heureux. Cette répétition peut donner un air de ressemblance aux
représentations, malgré la spécificité de chacune, mais nos talentueux
comédiens à l’impromptu sont tellement traversés d’idées nouvelles à chaque
saison, et notre comédie à l’impromptu est tissée de tant de répliques et de
bons mots, qu’on peut aisément ne pas la considérer comme écrite à l’avance
malgré quelques sentiments ou lazzis conservés et répétés par économie. […]
Les fables théâtrales ainsi que les autres pièces12 que je produisis ne sont
qu’un mélange de passages sérieux entièrement écrits et de scènes à
l’impromptu, destinées à être ponctuellement exécutées par certains de nos
masques. Avec ces productions, je tentai de remédier aux dommages
provoqués dans nos théâtres par les Heufeld et Sonnenfels italiens qui
méprisaient nos comédiens jouant à l’impromptu et répandaient la chimère
d’une culture qui ne sera jamais universelle et ne profitera jamais aux recettes
de nos théâtres une saison durant, mais qui a vicié maints esprits dans leur
quête de l’impossible en décrétant ennuyeux le possible qui suffisait à divertir.
Pour donner à ces messieurs une preuve supplémentaire que la comédie à
l’impromptu subsiste parmi nous et qu’elle est plus profitable à nos théâtres
que les auteurs, j’avancerai le fait que les deux comédies de monsieur l’abbé
Chiari, Le Bon Père de famille et Les Ennemis du pain qu’ils mangent13,
entièrement écrites et imprimées, montées par nos comédiens dits cultivés,
n’attirent pas plus de soixante spectateurs, alors que, réduites à leur trame et
adaptées à l’impromptu par la compagnie de Sacchi, elles forment chaque
année des spectacles qui divertissent et apportent de belles recettes à la troupe
qui les représente.
Si les nombreuses comédies écrites par monsieur Goldoni, qui firent un si
grand effet lorsqu’elles furent produites sur scène, mais qui aujourd’hui sont
devenues un capital inutile à nos théâtres, avaient pour fondement une
intrigue plus forte et plus conforme aux caractères des beaux esprits de notre
comédie à l’impromptu, il est hors de doute que ces derniers utiliseraient leur
trame, que ces comédies renaîtraient sous un nouvel aspect et que nos
théâtres utiliseraient avantageusement un répertoire qui a perdu sa vigueur
avec la rédaction des dialogues. […]
On donnait Le Philosophe sans le savoir14, drame qui m’a toujours plu, que
j’avais lu jusqu’à cinq fois en français et que j’avais vu représenter en
traduction italienne sans grand succès. Je voulus le comprendre dans sa
représentation en français, je le lus toute la journée, j’apportai le texte le soir
et me plaçai à un endroit opportun. Malgré la rapidité de l’élocution et la voix
basse des comédiens français, et malgré mon ignorance, je réussis à saisir au
moins les trois quarts des dialogues et à comprendre parfaitement le mérite
réel de ces acteurs.
Outre le faste dans lequel ils apparaissent, qui est propre au théâtre
français, et qui ne peut que plaire, ils ont la caractéristique de connaître par
cœur les œuvres qu’ils représentent, et de connaître chacun le rôle des autres,
de sorte que l’action semble improvisée et vraie. Ils utilisent certaines
modulations vocales, étudiées et adaptées à la situation, qui enchantent
particulièrement ceux qui comprennent leur langue. L’exactitude avec laquelle
ils entrent et sortent, se regardent, s’étonnent, s’affligent, rient, s’attardent,
hésitent et s’irritent est une peinture de la vérité et de la nature. Toutefois, la
vérité et la nature qui apparaissent en eux se manifestent dans des manières
qui ne sont pas italiennes et qui, si elles s’exprimaient pareillement parmi les
Italiens, deviendraient des caricatures ridicules et affectées. Dans nos
familles, les parents, les enfants, les serviteurs ne se parlent pas avec autant de
minauderies, de mièvrerie, de délicatesse et de contorsions qu’en déploient les
Français dans leurs familles.
Messieurs Heufeld et Sonnenfels croient qu’en disant que la nature est la
même sous tous les climats ils ont dit une grande chose, alors qu’ils n’ont pas
dit grand-chose. A cette vérité pourtant incontestable, ils devront toujours
ajouter que la nature se fait connaître dans toutes les nations, mais qu’elle se
manifeste selon des coutumes différentes en fonction de la nation où elle
croît. […]
Nous voyons les comédiens français repré senter Le Père de famille 15 ,
après quoi ils nous font attendre presque une demi-heure pour changer de
costumes et reviennent sur scène pour jouer une farce qui dure une heure16.
Les comédiens italiens représentent Le Père de famille traduit en italien et y
emploient tout le temps qui fut nécessaire aux comédiens français pour les
deux représentations susdites. Il ne faut pas chercher la raison de cette
différence ailleurs que dans le fait avéré que nos comédiens n’apprennent pas
leur rôle comme ils le devraient.
C’est essentiellement pour cette raison que la vérité et la nature se montrent
rarement sur nos scènes. Les œuvres théâtrales écrites doivent passer de
l’esprit au cœur pour être bien jouées ; si elles n’ont pas fait le premier chemin
vers l’esprit, elles ne peuvent pas faire le second vers le cœur et s’avèrent être
sur scène une production pauvre, froide et poussive de cerveaux embrouillés
et pressés d’en finir.
Ma défense des pièces populaires ne signifiera jamais que je déteste les
pièces régulières  ; j’aime beaucoup ces dernières, que je voudrais voir
atteindre l’excellence pour la gloire de ma patrie et pour mon propre
divertissement. Je suis navré de démontrer que parmi nous la rareté des
œuvres de qualité, les défauts de nos comédiens, la médiocrité de leurs
costumes et de leurs décors17 sont dus à l’absence de gratifications pécuniaires
qui devraient être le principal moteur des talents d’Italie, ainsi qu’à
l’insuffisance des bénéfices et des protections dont jouissent nos théâtres.
Seule la cour sérénissime de Parme a montré l’exemple avec zèle en
matière d’incitation à la production d’œuvres théâtrales et seule la cour royale
de Turin a organisé son théâtre de telle sorte que les recettes des comédiens
ne soient ni dérisoires ni amputées18.
Jusqu’ici, la culture théâtrale exigée parmi nous n’a fait que nous rendre
insatisfaits et assoiffés de nouveauté, ainsi que remplir l’Italie d’une engeance
de comédiens sans habileté dans aucun genre et qui, s’en remettant à la
multitude d’œuvres écrites qu’on peut jouer en les apprenant par cœur,
multiplient l’ouverture des théâtres et font disparaître les quelques bénéfices
qui doivent servir à entretenir les meilleurs.
Nos chefs de troupes les plus habiles, accablés par une multitude d’acteurs,
font feu de tout bois avec les pièces qu’ils ont et celles qu’ils peuvent avoir
pour proposer aussi bien les comédies à l’impromptu populaires, qui leur sont
nécessaires, que les œuvres sérieuses entièrement écrites, dont il faut satisfaire
le public désireux de culture, et pour répartir les maigres fruits de leur récolte
théâtrale entre les membres de leur petite armée de laboureurs. Il arrive
souvent que l’emploi de ces pièces rende leur théâtre moins attrayant, en
particulier à Venise où pas moins de cinq troupes se combattent et se
déchirent, et qu’on déserte celui-ci. Ils ont alors besoin d’y ramener le public
et de vite utiliser le secours d’une œuvre nouvelle, quelle qu’elle soit, pour ne
pas faire faillite et fermer le théâtre qui est leur lopin de terre.
Les auteurs ne sont pas stimulés par les récompenses, c’est pourquoi nos
comédiens ne trouvent rien du côté de la culture. Ces derniers s’agrippent à
n’importe quelle œuvre italienne qui leur est offerte ou à une œuvre traduite.
C’est la nécessité de manger qui crée le besoin pressant de nouveauté. Ils
invitent le public à une représentation nouvelle pour répondre à cette
nécessité. On ne peut pas perdre de temps, on est poussé par la disette.
En quelques jours, après trois ou quatre répétitions désordonnées, ils sont
obligés de représenter cette œuvre, alors que chacun se plaint de ne pas
connaître son rôle, mais le besoin n’admet pas de retard. Ils s’en remettent à
leur oreille et au souffleur, et ils la jouent. De là naissent la froideur, les
lenteurs et les répliques à contretemps qui ôtent à l’action et aux dialogues les
teintes de la vérité, l’expression véhémente et sincère des sentiments et le
naturel dont est dépourvue toute la représentation. Si l’œuvre est riche par
elle-même en situations fortes, elle résiste, et on peut la proposer jusqu’à
vingt soirs de suite. Ne nous y trompons pas : les comédiens à la cinquième
jouent leur rôle avec assurance, mais ils ne peuvent plus se débarrasser des
défauts et des travers acquis les premières fois et dus au manque de maîtrise
initial, d’autant que ces derniers leur ont valu quelques applaudissements et
l’illusion de leur mérite.
Les troupes de comédiens français ont presque cent pièces à leur
disposition, qui vont de leur Rotrou, de leur Corneille, de leur Racine, de leur
Molière et d’autres auteurs anciens jusqu’à leurs auteurs contemporains. Ils
n’acceptent que deux ou trois pièces nouvelles par an, ils ne les ajoutent à leur
répertoire et ne les exposent sur scène que s’ils les possèdent complètement
après en avoir appris l’intrigue et les répliques. Ils ne jouent Andromaque de
Racine, qu’ils ont pourtant représentée plus de cent fois, que s’ils l’ont répétée
le matin précédent.
Les spectateurs italiens considèrent que les œuvres anciennes qui plurent
sont mortes pour le théâtre et ne vont pas en voir les reprises comme le font
les spectateurs français, poussés par l’admiration qu’ils portent au talent de
leurs auteurs disparus. Heureux les comédiens français qui peuvent encore
compter avantageusement dans leur capital les œuvres de Racine, de Corneille
et de Molière.
En Italie, on ne fait qu’attendre du hasard le remède de la culture théâtrale,
et l’appeler de ses vœux en sifflant les œuvres qui ne plaisent pas, en
soumettant les comédiens à la critique et à la tradition mesquine de la
contribution versée à un tiers19, qui les ruine et n’est plus adaptée ni au faste
requis des spectacles ni à leur subsistance, tous deux rendus difficiles par les
prix excessifs qu’engendre le luxe dévastateur.
Que nos comédiens sérieux les plus habiles essaient de jouer une tragédie
ou une comédie avec toute l’application possible, et des décors et des
costumes somptueux, quitte à faire des dettes. Qu’ils affichent le même prix,
à l’entrée et pour les places assises, que celui des spectacles français20. Qu’ils
exécutent l’œuvre au mieux. Mis à part quelques esprits libéraux à la
recherche du vrai, les spectateurs ajouteront aux quolibets qu’ils leur
adressent de nouvelles expressions, ils les appelleront singes sans grâce,
imposteurs, voleurs, et ils les abandonneront.
Je ne défends ni la négligence, ni l’inertie, ni l’ignorance de nos comédiens
sérieux, mais je ne laisse pas de croire que le mépris, l’abandon et la misère
où ils vivent sont les principales raisons de leurs défauts.
Etant sûr qu’en Italie la culture théâtrale ne propose pas assez de matière
pour étancher la soif de plaisir, je ferai, pour favoriser cette culture qu’on
désire en Italie, une proposition qui sera sans doute tenue pour une
plaisanterie et ne sera pas prise en compte.
Qu’on laisse s’exprimer la fantaisie policée dans les nécessaires spectacles
populaires à l’impromptu, au prix habituel. Qu’on décide de protéger un
théâtre de culture. Qu’on procède à un choix de comédiens et de comédiennes
qui soient réellement capables d’y exceller. Qu’on les rémunère assez pour
qu’ils puissent vivre sans misère domestique et paraître sur scène avec des
costumes adaptés et fastueux. Qu’on paie un maître diligent qui les dirige,
mais qu’il ne soit pas français, car il ne ferait que leur enseigner un jeu
excessif, ridicule chez nous, qui ne sera jamais l’image de la vérité et de la
nature contenues dans des manières mesurées et homogènes. Que ce maître
impose des amendes aux comédiens qui manquent à leurs obligations, comme
c’est le cas chez les Français avisés. Qu’on ouvre un concours, avec une
promesse de prix important, pour les auteurs italiens qui fourniront des pièces
tragiques et comiques régulières. Que le jury soit composé d’un seul juge, lui-
même récompensé, connaisseur du théâtre, sans pédanterie constipée, qui
n’exclura que les bagatelles et les sottises avérées, inévitables mais faciles à
découvrir. Du reste, que seul le public soit juge, car seul le public a la faculté
de juger les œuvres composées pour lui. L’expérience m’a appris que l’effet
de la lecture d’une pièce devant un petit comité dans un lieu clos n’a souvent
rien à voir avec l’effet qu’elle produit une fois représentée dans un théâtre et
devant un public qui est son vrai juge. Qu’on ne soit nullement regardant à la
dépense quant aux décors. Pour compenser ce faste, qu’on fixe le prix de
l’entrée et des sièges à celui qui fut établi par les comédiens français pour
leurs représentations. Que seuls deux théâtres comiques restent ouverts à
Venise, l’un au prix habituel pour les fantaisies comiques et populaires, l’autre
pour les pièces cultivées à un prix non moins cultivé, de façon à ne pas
amputer les bénéfices nécessaires au soutien des bonnes idées, en prenant
garde que celles-ci ne soient pas en rivalité avec les nombreuses nouveautés
qui engendrent fanatisme, division des partis et destruction des bonnes
résolutions. Que personne n’entre dans un théâtre sans payer, et qu’on imite
en cela le théâtre de Turin. Les nombreux désœuvrés, qui ont chez nous le
privilège d’entrer gratuitement dans les théâtres, n’y vont que pour y faire du
bruit et troubler la représentation.
Que la direction de ce théâtre cultivé appelé de nos vœux soit confiée à
monsieur Carlo Goldoni. En observant les prudentes dispositions du théâtre
français, sans perdre de vue les caractéristiques de notre théâtre, dans lequel il
eut une grande part, il est sans aucun doute devenu l’homme le plus apte et le
plus utile à la réforme suggérée par ma proposition.
Qu’on le rappelle21 par un contrat avantageux au service de sa patrie, qu’il a
quittée parce qu’il ne pouvait en attendre des récompenses suffisantes et parce
que son entreprise était allée de façon naturelle vers son déclin, et pour
aucune autre raison.
Ce projet, s’il est mené à bien, pourra contribuer à l’avènement de la
culture italienne et faire briller l’Italie comme le désirent les grands esprits
avec raison, les esprits médiocres pour suivre les préjugés et les esprits
mesquins par intérêt.
Aucune attention ne sera accordée à ma proposition et nous devrons nous
contenter de ce qui est possible dans nos théâtres.
Les comédies à l’impromptu avec masques, les pièces cultivées, inventées
ou traduites, et les fantaisies comico-sérieuses seront nos divertissements
théâtraux, et ceux qui se seront laissé submerger par le désir de vouloir
davantage n’auront fait que se rendre malheureux en provoquant l’ennui. […]
1 Le Supplément est édité dans le tome IV de l’édition Colombani, puis dans le tome V de l’édition
Zanardi.
2 “Tommaso Cornelio, Pietro Cornelio” dans le texte.
3 “D. Guillian de Castro” dans le texte.
4 “Roderigo” dans le texte.
5 “Sig. Volter” dans le texte. Gozzi fait allusion aux diverses traductions de L’Ecossaise, ou le Café de
Voltaire (1760) qui furent données à Venise presque en même temps que l’adaptation de Goldoni (La
Scozzese, 1761), dont une adaptation de Pietro Chiari, La bella pellegrina (1761), qui transpose
l’intrigue à Saint-Pétersbourg, et une traduction “anonyme” que certains attribuent à Casanova.
6 Franz Heufeld (1731-1795), auteur dramatique, et Joseph von Sonnenfels (1733-1817), intellectuel
éclairé et admistrateur, dans l’Autriche de Joseph II, s’employèrent activement à la réforme du théâtre et
à l’élévation du goût prônés dans le périodique L’Homme sans préjugés.
7 Le Dom Juan de Tirso de Molina est connu en Italie. Gozzi fait allusion à des canevas des comédiens
italiens à Paris qui ont beaucoup influencé les Français, y compris Molière.
8 Il s’agit de Rosaura.
9 Il s’agit de Florindo.
10 Sans doute des biens de Pantalon, à moins qu’il ne s’agisse de la réquisition de la maison de
Tartaglia.
11 Les richesses de Pantalon sont sans doute sauvées.
12 Les comédies et les drames tirés du théâtre espagnol.
13 Pietro Chiari écrit et fait représenter Il buon padre di famiglia (1752) et I nimici del pane che
mangiano (1751) pour rivaliser avec les comédies réformées de Carlo Goldoni (dont Le Père de famille,
1750).
14 De Michel Jean Sedaine, 1765. Créée à Paris en décembre 1765, la pièce traduite en italien (Il
filosofo senza saper d’esserlo) est représentée en décembre  1769, au théâtre de San Giovanni
Grisostomo, par la compagnie Medebach (cf. ms. Gradenigo Dolfin no 24, musée Correr de Venise).
15 De Diderot, 1758. Le Père de famille est représenté en français par la compagnie Aufrène, en
novembre 1772, au théâtre de San Samuele : “A la porte chacun devra payer trente sous, et autant pour
les escabeaux de l’orchestre, mais ceux du parterre seulement quinze sous.” (Cf. ms. Gradenigo Dolfin
no 34.) Gozzi a déclaré précédemment que c’est un drame excellent, qu’il l’a lu en français et qu’il a
assisté à huit représentations de la pièce. Il padre di famiglia, traduit en italien par Michele Bocchini et
publié à Livourne en  1762, est représenté le  11  janvier  1769  au théâtre de Sant’Angelo, par la
compagnie Antonio Sacchi (cf. ms. Gradenigo Dolfin no 21).
16 Il s’agit de Crispin, rival de son maître, d’Alain René Lesage.
17 Les costumes incombaient à la bourse personnelle des comédiens, et les décors à celle du chef de
troupe.
18 Référence au concours annuel des auteurs dramatiques institué à Parme en  1770  par le duc
Ferdinand et qui a duré jusqu’en 1786, et aux prix élevés pratiqués à l’entrée des théâtres de Turin qui
s’alignent sur le modèle français.
19 Il s’agit sans doute des propriétaires des théâtres mais aussi d’auteurs qui monnaient leurs œuvres aux
troupes de théâtre, contrairement à Gozzi qui a toujours offert les siennes.
20 Gozzi indique que les spectacles vénitiens coûtaient vingt sous, alors que les comédiens français en
tournée à Venise proposaient l’entrée à trente sous et le siège à quinze sous au parterre ou trente sous à
l’orchestre.
21 Goldoni habite alors à Paris, où il s’est expatrié en 1762.
LA PLUS LONGUE LETTRE DE RÉPONSE
QUI AIT ÉTÉ ÉCRITE,
ENVOYÉE PAR CARLO GOZZI
À UN AUTEUR DRAMATIQUE ITALIEN
DE NOS JOURS 1

[…] Ne vous offensez pas si j’ai donné le titre de fables à vos compositions
théâtrales car, depuis la création d’Adam jusqu’à nos jours, n’importe quelle
pièce écrite pour le théâtre, qu’elle soit régulière ou irrégulière, a toujours été
qualifiée par les plus célèbres auteurs de fable2.
Vous entendrez sans cesse sortir de la bouche de vos censeurs, et seulement
à cause de la façon moderne de s’exprimer qui sévit aujourd’hui, les mots
“bon goût”, “bon sens” et “sens commun”  ; mais si vous réfléchissez au
discours de nombre d’entre eux et à leur argumentation fumeuse, qu’ils
appellent géométrique, vous n’en relèverez qu’une jacasserie et un torrent
verbeux de langues qui se contredisent, mues par une fantaisie échauffée et
bouleversée se prétendant régénérée et philosophique dont je vous défie de
démêler le moindre bon goût légitime, bon sens légitime, sens commun
légitime. […]
Il est probable qu’ils vous répondent furieusement et de manière insensée
que nos œuvres théâtrales sont des plaisanteries qui non seulement s’éloignent
des préceptes des poétiques, mais sont dépourvues du sens commun, et que
les spectateurs qui les apprécient et veulent les voir représenter dix soirs, vingt
soirs de suite, ne les apprécient que par ignorance et par un fanatisme stupide.
[…]
Comme je connaissais parfaitement le tempérament et le goût de notre
patrie, qui aime la nouveauté et qui ne considère le théâtre que comme un lieu
de divertissement, et comme j’avais besoin, pour gagner mon pari, d’attirer et
de garder au théâtre non seulement le petit peuple, mais les personnes
éduquées et cultivées, je fis en sorte d’agrémenter les sujets de mes œuvres
théâtrales de titres humbles ou extravagants et d’ingrédients de diverses
saveurs.
Je ne me suis jamais assis à mon écritoire pour composer une fable à
montrer sur scène si je ne la voyais d’abord avec mon œil mental dans toute
son extension, et je ne suis jamais passé à la rédaction des dialogues si
d’abord je n’échafaudais une structure rigoureuse capable d’intéresser et facile
à développer, si je ne la divisais en actes conciliables avec les changements de
décor, si je ne concevais la trame des situations, les scènes attendues des
spectateurs, les scènes d’exposition et les rebondissements, selon un
ordonnancement qui conférât à mes pièces quelque air de nouveauté originale.
Apprenez que les intrigues de mes pièces sont les filles de l’imagination et
de la fantaisie, que les situations et les rebondissements sont les fils de l’art ;
et je vous prie de croire et de reconnaître que mes dialogues et mes
monologues ont mon cœur pour père légitime.
J’ai veillé à ce que mes personnages vertueux, vicieux ou comiques soient
égaux à eux-mêmes du début à la fin de l’œuvre, peints avec les couleurs de la
vérité et de la nature, même lorsqu’ils sont introduits dans une trame
imaginaire et merveilleuse, bien que toujours allégorique et significative.
Mes plants aux racines enfantines, aux racines fabuleuses, aux racines
romanesques traditionnelles et robustes n’ont été que des plants sauvages qui
pouvaient se greffer sur les rameaux d’autres plants, produisant des fruits
d’espèces variées et de diverses saveurs, où toutes les règles de l’art pouvaient
se mêler en un suc conforme à leur nature.
J’ai toujours fait en sorte que mes greffes et les fruits de ces dernières
éveillent dans l’âme des spectateurs la curiosité et l’émotion, soient pleins
d’une saine morale aux accents philosophiques, se moquent franchement,
guidés par une vérité sans voile, des pernicieux sophismes du siècle,
décochent allégoriquement leurs flèches contre la corruption des mœurs de
notre temps ; et pour que l’allégorie soit plus claire et intense, j’y ai parfois
laissé des anachronismes à dessein, faisant allusion à des sujets de notre
époque, excellent argument pour mes censeurs qui, ne voyant ou ne voulant
pas voir mon artifice volontaire et mon intention délibérée, se sont répandus
en protestations et critiques et m’ont amusé.
Dans la trentaine de mes œuvres théâtrales qui ont vu le jour sur scène, j’ai
suivi cette exigence qu’aucune ne dût ressembler aux autres, sachant que l’un
des plus grands avantages d’une pièce réside dans son aspect nouveau et
original. […]
Parfois j’ai fait parler les animaux, les monstres, les spectres et d’autres
corps sans esprit dans mes fables allégoriques, mais jamais sans raison ni sans
signification.
J’ai toujours cru que la critique des mœurs était plus policée et plus
acceptable sous le voile du sens allégorique que la satire nue et effrontée qui
souvent devient libelle détestable. Nous devons, certes, piquer notre prochain,
qui est sujet aux vices, mais non le mordre jusqu’au sang ni le déchiqueter.
[…]
Pour convaincre mes rares opposants, j’ai accepté d’ôter de mes fables le
merveilleux, d’en composer sans les masques, d’en produire sans décors
spectaculaires, avec des intrigues très simples, d’une longueur démesurée et
en appuyant leur succès sur les applaudissements de mes concitoyens.
Tout essai fut vain face à mes censeurs dont, bien qu’ils vissent mes fables
comme des mets mal cuits et mauvais, juste bons à servir de fumier, je n’ai
jamais pu obtenir de les fléchir ni de les réduire au silence.
Au bout du compte, je pris le parti d’écrire pour le théâtre comme je
voulais et ce que je voulais, et de les laisser brailler contre moi et contre le
public. […]
Je vis tomber beaucoup de ces drames larmoyants, et beaucoup de ces
tragédies bourgeoises, mais j’en vis aussi qui plurent et qui furent applaudis ;
essayant de connaître la vraie raison de leur succès, je crus la découvrir dans
leur air de nouveauté, dans les situations fortes qu’ils contenaient, mais surtout
dans les prémices d’une doctrine pernicieuse tendant à instiller dans l’esprit du
peuple la rébellion aux lois établies, aux magistrats, aux grands, à l’ordre
indispensable de la subordination qui leur est due.
Je crus la découvrir dans le portrait plein de commisération des pauvres
qui, la roue de la fortune et les hasards de ce monde aidant, sont et seront
toujours innombrables, et dans le portrait insidieux des riches, beaucoup
moins nombreux que les premiers et considérés par eux avec la jalousie et
l’envie à laquelle est sujette l’humaine nature.
Je crus la découvrir dans la passion amoureuse présentée comme passion
noble, libre et presque divine, non entravée par des lois prévoyantes ou par
une éducation morale qui la contraigne, les premières étant décrites dans ces
pièces comme barbares et tyranniques, la seconde comme un préjugé
imbécile. […]
Il est vrai que souvent dans ces pièces était répandu et entonné le mot
vertu, mais tant de pièges y étaient tendus à la vertu connue et légitime pour
la détruire dans son essence en flattant les faiblesses, en lâchant le frein et en
encourageant les passions humaines que j’ai bien dû considérer que la vertu
qui est prêchée dans ces œuvres est le vice.
Le théâtre est une chaire bien plus efficace pour retourner les têtes que ne
l’est l’Eglise pour les redresser. […]

1 Opere edite ed inedite del Co. Carlo Gozzi, Venise, Zanardi, 1801-1804, t. XIV, p.  3-75. Le
correspondant de Gozzi, un jeune dramaturge à l’orée de sa carrière, est imaginaire.
2 Au sens de fabula : histoire inventée et représentée au théâtre.
PRÉFACES
ET NOTES AUX PIÈCES
FABLES THÉÂTRALES 1

LE CORBEAU
FABLE THÉÂTRALE TRAGICOMIQUE
EN CINQ ACTES

Le maintien à l’affiche de la fable des Trois Oranges soulevait de vives


controverses dans tout Venise.
Les gazetiers, qui, dans le meilleur des cas, quand ils ont de la cervelle, se
forgent leur opinion sur les pièces d’après le succès qu’elles rencontrent,
écrivirent des articles élogieux à son propos.
Outre les traits parodiques que j’y avais intentionnellement placés, ils y
découvrirent de profondes allégories que, pour la plupart, je n’avais pas même
imaginées.
Les deux poètes et leurs partisans en disaient tout le mal qui suffisait à
offenser tous ceux qui en disaient du bien. Ce constat, loin de m’affliger, me
faisait rire. Je voyais que mes ennemis experts en littérature, en s’escrimant à
m’enterrer, m’ouvraient en fait une voie royale.
Le bataillon touffu des opposants aux Oranges prétendait que le succès de
cette fable ne dérivait que du comique populaire et plébéien qu’elle contenait,
du talent des quatre masques si drôles qui l’interprétaient, et du merveilleux
de ses métamorphoses.
Monsieur Goldoni s’échauffa par trop et, le dernier jour du carnaval, dans
l’adieu de rigueur qu’a coutume de faire chaque troupe à Venise, il mit des
mots haineux et sarcastiques dans la bouche de la Bresciani2, en charge du
compliment de clôture de saison, et première actrice de la troupe du théâtre
de San Salvatore, qu’il soutenait par ses écrits.
Loin de m’enflammer, j’affirmai qu’un sujet futile, fictif et enfantin, s’il
était traité avec art, élégance et qu’il était bien conduit, pourrait captiver les
esprits, les contraindre à écouter sérieusement, et les émouvoir aux larmes.
Pour preuve de cette affirmation, je composai Le Corbeau.
Il s’agit d’une histoire qu’on raconte aux enfants, et c’est d’un ouvrage
napolitain, intitulé Le Conte des contes, ou le Divertissement des petits enfants3,
que j’ai tiré le sujet de ma fable théâtrale.
Je ne pouvais la tirer d’une source plus assortie à mon pari. Mais celui qui,
lisant l’histoire du corbeau qui se trouve dans cet ouvrage, voudra la comparer
à ma pièce fera chose rigoureusement impossible.
Cet avis que je donne à mon lecteur vaut non seulement pour Le Corbeau,
mais aussi pour toutes les fables qui sortirent ultérieurement de ma fantaisie,
et où je n’ai voulu conserver que le titre et quelques situations fameuses des
ouvrages qui les avaient inspirées.
Je ne bannis pas de cette fable les masques, que j’avais au contraire résolu
de maintenir au théâtre, mais je les fis apparaître avec parcimonie, comme on
le verra, et c’est sur ce sujet absolument fictif et enfantin que j’écrivis ma
pièce comico-sérieuse4.
Elle fut créée par la troupe de Sacchi au Théâtre royal de Milan.
Contrairement à leur habitude, messieurs les Milanais eurent l’extrême bonté
de vouloir qu’elle fût représentée de nombreuses fois.
Elle fut jouée par la même troupe au théâtre de San Samuele, à Venise, à
l’automne de l’année 1761, le 24 octobre, et elle a causé un tapage notable.
L’assistance passait des rires aux larmes avec une extrême facilité,
couronnant ainsi mon dessein, et l’art que je m’étais ingénié à y mettre.
Pour susciter les larmes au milieu du comique le plus déclaré, il faut une
intrigue pleine de passions fortes. Mais si cette intrigue est tirée d’un sujet
fictif et profondément comique comme l’est Le Corbeau, je mets au défi
quiconque de réussir, sans les couleurs de la rhétorique, sans une bonne
conduite de l’action et une imitation éloquente peignant artificiellement la
nature et la vérité, à tirer des larmes à messieurs les Journalistes, à messieurs
les Cochers et Postillons littéraires, et à messieurs les Romanciers bestiaux,
qui se plaisent à prononcer des condamnations, mais ne disposent ni du
pouvoir ni des agents qui permettent d’exécuter ces condamnations.
Les trois rares et immortels talents que sont Boiardo, l’Arioste et le Tasse,
qui acquirent tant d’emprise sur le cœur des hommes par leur peinture
vraisemblable d’événements impossibles et merveilleux, me confortèrent dans
mon entreprise.
Mon lecteur pourra voir dans Norando, le magicien de cette pièce, quelle
allure de noblesse j’ai voulu donner aux magiciens qui entrent dans mes
fables, bien loin de tous les frustes enchanteurs des comédies à l’impromptu
traditionnelles.
La fable du Corbeau eut seize représentations à Venise entre l’automne et le
carnaval de l’année suivante, malgré les pluies diluviennes qui les troublèrent,
et malgré le succès des pièces représentées dans les autres théâtres.
D’autres troupes théâtrales se l’approprièrent par la suite fort mal, quoique
avec succès, et la troupe de Sacchi continue à la représenter chaque année
avec bonheur.
Comme on le verra, elle est écrite pour partie en vers, pour partie en prose,
et comporte quelques courtes scènes dont seuls l’argument et le canevas sont
rédigés.
Quiconque décidera de prêter assistance à la troupe de Sacchi et de porter
secours aux masques et à la commedia dell’arte fera ce que j’ai fait, ou
essuiera un échec retentissant.
Monsieur Chiari, qui a fait parler ses masques en vers, leur a fait dire de
belles sottises, et, voulant les ridiculiser, s’est ridiculisé lui-même ; la scène 7
de l’acte III du Corbeau est une parodie sur ce thème.
Personne ne peut rédiger, en vers ni en prose, le rôle de Truffaldin, et
Sacchi est de ces Truffaldins hors pair capables d’exécuter le canevas d’une
scène à l’impromptu écrite par un poète, de façon à éclipser tout poète qui
voudrait l’écrire.
Mais toutes les scènes, soit vers, prose ou canevas, qui composent Le
Corbeau sont essentielles à l’intrigue, et filles d’une structure mûrement
adaptée au genre des pièces fabuleuses ; et si mes lecteurs hypocondriaques et
rédacteurs de feuilles volantes avaient lu le théâtre de messieurs Grand,
Girardi5 et autres auteurs français, ils auraient épargné à leurs cervelles la
chaleur des vapeurs littéraires, et n’auraient pas dit que mes pièces fabuleuses
étaient de ridicules vétilles et un amas de scènes informes ni élaborées ni
écrites.
Je les publie telles qu’elles furent jouées. En les soumettant derechef à
l’examen du public, je choisis un bien autre juge que ne l’est un éditeur
malveillant, arrogant, sot ou affamé.
Dans mes œuvres théâtrales, je suis passé de la prose aux vers, conduit non
par ma seule fantaisie, mais par la nécessité et la tradition. Dans certaines
situations pleines de fortes passions, j’ai écrit les scènes en vers, conscient que
l’harmonie d’un dialogue bien versifié donne de la force aux couleurs de la
rhétorique, et de la noblesse aux personnages sérieux. Mais je ne présume pas
de la bonne réussite de mon intention.
Je n’aurais pas de mal à récrire toutes mes œuvres théâtrales entièrement en
prose, ou entièrement en vers ; mais j’ai promis de les publier telles qu’elles
furent jouées, et elles ne trahiront pas ce serment.
Comme je ne les juge pas dignes de passer les montagnes ou les mers pour
être lues par des non-Vénitiens ne maîtrisant pas notre dialecte, qui est
nécessaire à mon Pantalon et à mon Brighella, je ne vais pas perdre de temps
à annoter le rôle de ces deux personnages, en expliquant par exemple
qu’osello signifie uccello, ou aseo aceto, etc.6, à la différence de monsieur
Goldoni, dont les commentaires providentiels, dans l’édition de ses œuvres,
représentent un bénéfice considérable à l’usage des non-Vénitiens.
On peut relever par là mon humilité, puisque je ne prétends pas que mes
œuvres, avec leurs titres fabuleux, méritent qu’on les rende intégralement
intelligibles aux non-Vénitiens, chose indispensable en revanche pour les
dignes beautés, si je puis m’exprimer ainsi, des Barouf à Chiog gia , et les
querelles cruciales sur les citrouilles de monsieur Goldoni7. Moi, il me suffit
que la critique des mœurs et la morale dont je me suis ingénié à parsemer les
rôles de ces deux personnages soient comprises des Italiens.
Comme je me suis toujours tenu, dans presque toutes les pièces par
lesquelles j’ai porté assistance à l’admirable troupe de Sacchi, à la maxime
énoncée plus haut en matière de prose, vers et canevas, ce que je viens de
dire pourra tenir lieu d’avis à mes très aimables lecteurs, non seulement pour
la fable du Corbeau, mais aussi pour la majeure partie de mes œuvres
théâtrales.
Je m’étais proposé de divertir et de captiver le public avec un nouveau
genre de pièces de théâtre, tout en m’efforçant de maintenir, au cœur de ces
œuvres aux sujets fabuleux, un air de simplicité et de frivolité enfantine, afin
de me gagner une réputation de poète excentrique, et pour avoir la liberté de
laisser gambader mon audace sans craindre le blâme des littérateurs modérés
et constipés. Ainsi, quiconque lira des pièces de ce nouveau genre franc,
audacieux et sciemment excessif en ayant en tête le modèle, par exemple, de
la Mérope de monsieur le marquis Maffei8, qui d’ailleurs n’évita pas non plus
la critique, ou d’autres semblables compositions, sera un bon censeur fort
aisément, mais sans objet ni mérite.

LE ROI-CERF
FABLE THÉÂTRALE TRAGICOMIQUE
Le grand bruit qu’avaient fait au théâtre mes deux fables, Oranges et Corbeau,
fit dire à monsieur Goldoni, qui ne manque pas de finesse, qu’il commençait à
me tenir pour bon à quelque chose, puisque j’avais donné naissance à un
nouveau genre théâtral qui avait la faveur du public. Monsieur l’abbé Chiari,
avec son discernement habituel, vitupérait le public et lui reprochait son goût
ignorant et corrompu. Les gazetiers louaient mes fables théâtrales dans leurs
feuilles volantes, et y trouvaient des beautés que je n’y avais pas vues9.
Les esprits éveillés regardaient ces compositions du point de vue qu’il
fallait, et en disaient du bien avec sincérité et impartialité, comme le font les
personnes honnêtes et éclairées qui ne logent pas à l’auberge de l’imposture,
et qui distinguent les trivialités utilisées avec art de celles qui sortent d’une
nature fruste et grossière.
Il m’était difficile de conquérir les spectateurs incultes, anesthésiés par leur
habitude des pièces dites régulières et savantes de messieurs Chiari et
Goldoni, et trop prévenus contre mes pièces, leurs titres enfantins et leur
genre inédit, pour les juger véritablement savantes et régulières.
Ce public était accouru en foule aux représentations de mes deux premières
fables théâtrales, il était captivé par leur force intrinsèque, mais comme il
avait peur d’entacher son raffinement et la hauteur de son intellect en leur
reconnaissant quelque mérite, il n’osait pas louer des œuvres qui portaient le
titre enfantin de fables.
Pour dissiper cette rougeur, je jugeai qu’il était opportun de pousser
résolument et bien plus loin la hardiesse et l’excentricité de ce genre ; et de
fait, ceux qui liront mon Roi-cerf, qui fut ma deuxième fable théâtrale10, y
relèveront aisément la témérité d’un cerveau fantasque.
Les situations fortes et tragiques qu’elle contient firent couler des larmes, et
la bouffonnerie des masques que, conformément à mes positions, je voulus
toujours garder et intégrer à mes pièces, n’ôta rien au féroce et fantastique
sérieux de ses péripéties inventées et de sa morale allégorique. Et ce, malgré
l’absence, dans la troupe de Sacchi, qui s’en remettait alors entièrement au
franc comique de ses excellents masques, de tout comédien capable de tenir
des rôles sérieux avec la tenue, le sentiment, et le talent nécessaires. Or, une
trame invraisemblable a, deux fois plus qu’une intrigue crédible, besoin de
l’habileté des comédiens qui y tiennent les rôles sérieux, afin de peindre les
vérités qu’elle ne contient pas.
La fable du Roi-cerf commençait, comme on peut le voir, par un prologue
désinvolte et fort drôle. Il était dit par un vieillard à la silhouette grotesque,
célèbre à Venise, et nommé Cigolotti, qui avait l’habitude de créer des
attroupements place Saint-Marc en racontant, de sa grosse voix, des épisodes
chevaleresques et des histoires de magiciens tirés des romans anciens, avec
une gravité empruntée et un langage truffé de solécismes, qu’il voulait faire
passer pour toscan.
Atanagio Zanoni, qui tient avec une rare habileté le rôle de Brighella dans
la troupe de Sacchi, incarnait ce vieillard en imitant parfaitement son habit, sa
voix, ses tics de langage, ses gestes et sa démarche, prouesse qui a toujours au
théâtre un succès considérable, et soulève d’indescriptibles applaudissements.
Les trivialités elles-mêmes, lorsqu’elles sont franchement mises en lumière,
et que les spectateurs voient que l’auteur les y a mises sciemment,
délibérément et courageusement comme telles, sont résolument applaudies.
Les nombreuses péripéties du Roi-cerf et de toutes mes fables théâtrales où
j’ai manifesté une liberté sans scrupules ont, par le succès qu’elles ont
remporté, conforté ma position et démenti ces rares personnes qui les
qualifient de froides frivolités, avec une écœurante et frivole trivialité.
Pour retenir avec plaisir, trois heures durant, huit ou neuf cents personnes
plus ou moins cultivées dans un théâtre, et pour renflouer une troupe de
commedia dell’arte, il est nécessaire de semer un mélange de graines variées.
Les écrivaillons qui condamnent tout dans mes pièces fabuleuses, pourtant
approuvées par le public, ont certainement l’estomac petit, phtisique, et
incapable de rien digérer ou de séparer le son du grain.
Je ne dis pas cela pour affirmer que la fable du Roi-cerf, composée à ma
manière, plaira au théâtre. Nul besoin de pronostics : elle plut extrêmement.
Mise à l’affiche par la troupe de Sacchi au théâtre de San Samuele à Venise,
le  5  janvier de l’année  1762, on en donna seize représentations devant une
salle comble et, depuis lors, on continue à la représenter chaque année.
Si elle semble, une fois imprimée, une vétille à mes courtois lecteurs, je
me résignerai avec une philosophique humilité.

LA FEMME-SERPENT
FABLE THÉÂTRALE TRAGICOMIQUE
EN TROIS ACTES

Le genre que j’avais créé avec mes pièces fabuleuses prospérait, comme
l’atteste le témoignage véridique de mes précédentes préfaces.
Les partisans de messieurs Goldoni et Chiari avaient désormais peu de
force avec leurs quolibets. C’était là insulter le public, qui se passionnait pour
mes pièces, et avait la bonté d’attendre impatiemment de voir de nouvelles
fables au théâtre.
Ce genre se démarquait tellement de celui que cultivaient les deux poètes
en question qu’il n’aurait pas dû faire de tort à leurs pièces, dites régulières et
savantes. Pourtant, je ne pourrais pas jurer qu’elles n’en pâtirent pas. Dans
une bataille théâtrale, le plaisir du public décide des défaites comme des
victoires.
La difficulté de ce genre nouveau (entre autres difficultés qu’il comporte et
qui sont légion) était qu’il fallait éviter de recréer des situations identiques, et
en inventer de nouvelles qui fussent marquantes.
Le merveilleux est une source modeste pour un talent modeste comme le
mien. Mais celui qui parvient à élaborer une intrigue construite sur une
critique et une claire allégorie des mœurs des hommes et de la fausse
interprétation de l’histoire, dans un souci de vérité, de retenue et de grâce, et
qui la traite dans un beau style en donnant au merveilleux la place qu’il
mérite, conviendra que, loin d’être stérile, le merveilleux sera toujours le
soutien le plus solide et le plus rentable des troupes théâtrales italiennes.
Je peux affirmer que j’ai employé toute mon attention à rendre chacune de
mes fables unique par son intrigue et ses composantes.
La Femme-serpent fut ma cinquième fable théâtrale. Créée par Sacchi au
théâtre de San Samuele à Venise le  29  octobre de l’année  1762, elle fut
représentée à dix-sept reprises, et avec succès, entre l’automne et le carnaval
de l’année suivante.
La scène  5  de l’acte III de cette fable est de ces inventions qualifiées de
triviales futilités par certains barbouilleurs ridiculement sérieux, auteurs de
satires frustes et futiles.
Comme la pièce regorgeait de prodiges, je décidai, pour épargner à la
troupe une perte de temps et d’argent, et lui éviter de représenter sur scène
ces nombreux événements merveilleux qui ne laissent pas d’être
indispensables à la compréhension de l’intrigue, de faire entrer en scène
Truffaldin, imitant ces pauvres hères tout en haillons qui vendent leurs feuilles
de chou dans la rue, et en résument le contenu avec force solécismes.
Sacchi, qui tient le rôle de Truffaldin, entrait en scène avec un manteau
court en lambeaux, un chapeau pouilleux et une grosse liasse de ces feuilles
de chou, et, imitant ces coquins, il en criait le contenu, annonçait les dernières
nouvelles, et encourageait le public à en acheter un exemplaire pour un sou.
Cette scène si inattendue, qu’il jouait avec beaucoup de grâce et de vérité,
en composant une de ces imitations qui ont toujours du succès,
particulièrement au théâtre, causait un grand tapage et déclenchait dans le
public des éclats de rire ininterrompus, tandis que, depuis les balcons, les
spectateurs faisaient pleuvoir sur l’acteur des pièces de monnaie et des
confiseries pour en obtenir un exemplaire.
Cette trouvaille apparemment triviale, typique de cette franche liberté que
j’ai toujours observée dans mes fables, fut appréciée des esprits sains, et
souleva un engouement du public qui ébranla la ville tout entière et poussa les
Vénitiens à venir voir la pièce.
Comme le succès de cette scène était parvenu aux oreilles des vendeurs de
journaux ambulants, ils se concertèrent et se postèrent à la sortie du théâtre
avec de grosses liasses de vieux journaux moisis, qui n’avaient rien à voir avec
la pièce ; et comme le public sortait, ils se mirent à crier à pleins poumons le
résumé des péripéties de La Femme-serpent. A la faveur de la nuit, ils
dupèrent les spectateurs en leur vendant un nombre infini de feuillets, puis
allèrent au bistrot boire à la santé de Sacchi, et alimenter la rumeur publique
qui fait toujours une excellente publicité aux troupes de théâtre.
Une bassesse placée sur une scène de théâtre, développée de façon
vraisemblable, et source de tumulte et d’affluence, n’est plus une bassesse.
C’est une trouvaille agréable et utile. Si elle est agréable, il suffit de le
demander au public ; si elle est utile, il suffit de le demander aux comédiens,
et on la trouvera conforme aux préceptes d’Horace11.
Il va sans dire que cette fable se joue chaque année devant un public qui
chaque année a la bonté de la souffrir.

ZOBÉIDE
TRAGÉDIE FABULEUSE EN CINQ ACTES

Zobéide est une fable que je tirai en partie des Nouvelles arabes12, et que
j’enveloppai dans un voile tragique plein de férocités et de mystères.
Le titre de tragédie fabuleuse que je donnai à cette pièce ne doit pas faire
croire que j’aie voulu tourner en dérision les bonnes tragédies. Je leur porte
un respect que je ne peux nourrir pour les mauvaises. On ne doit voir dans ce
titre qu’un trait parodique contre les mauvaises tragédies, et l’effet de cette
hauteur de vue franche et amusée avec laquelle j’ai voulu traiter sérieusement
ce genre théâtral aux arguments fictifs et enfantins.
Je voudrais que l’allégorie qui affleure derrière les mœurs et le caractère du
roi maure Sinadab fût fictive, mais elle ne rappelle hélas que trop le malheur
des nombreuses infortunées qui n’écoutent pas les prêtres, représentés dans
cette pièce par le personnage d’Abdalac.
Cette fable fut jouée par la troupe de Sacchi à Turin le  10  août de
l’année  1763. Messieurs les Turinois entendirent parfaitement l’allégorie et
voulurent la revoir.
Elle fut créée à Venise au théâtre de Sant’Angelo le  11  novembre de la
même année, et connut huit représentations  ; au carnaval suivant, elle fut
reprise avec succès pour trois représentations supplémentaires.
Elle continue à être jouée, malgré son tragique un peu trop sauvage et
l’absence de nos masques comiques, qui accroissent la popularité de ce genre
de pièces.

ZEIM, ROI DES GÉNIES, OU LA SERVANTE FIDÈLE


FABLE COMICO-SÉRIEUSE EN CINQ ACTES

Les sujets fabuleux furent nombreux à être adaptés à la scène par les poètes
français, mais ils le furent seulement dans les opéras-comiques, presque
toujours sous un jour ridicule, et dans des intrigues fort minces. L’idée ne leur
est pas venue –  ou bien elle leur a paru impossible  –  de captiver l’âme de
leurs compatriotes en traitant ces fables au théâtre dans une perspective
sérieuse, tragique et morale, et en colorant d’assez de vraisemblance des
sujets aussi ridicules et fictifs.
En Italie, la chose est possible assurément, et si j’ai eu l’audace de
l’imaginer, dans le sillage de grands hommes comme Boiardo, l’Arioste, le
Tasse et tant d’autres, je n’aurais pas celle de la soutenir seulement en paroles,
sans preuves convaincantes de sa réalisation effective.
L’Oiseau vert devait être la dernière de mes fables.
Les besoins et les ruses efficaces de l’excellente troupe de Sacchi, à
laquelle ce genre était devenu indispensable, n’auraient jamais réussi à me
détourner de ma ferme résolution.
Goldoni, si plein de mérites, avait alors fui la défaveur du public italien,
défaveur qui procédait davantage du cours naturel des choses, en vertu duquel
toute pièce écrite est éphémère, que de ces polémiques facétieuses qui
n’entament jamais le mérite de ceux qui en ont vraiment, et il était parti
chercher fortune à Paris ; quant aux doctes œuvres de monsieur l’abbé Chiari,
elles étaient alors désertées dans les théâtres.
D’opiniâtres partisans de ces deux poètes, faisant courir en ville le bruit
que mon inspiration était à sec, échauffèrent ma faiblesse d’homme et
offrirent à la troupe de Sacchi la faveur de ma dixième fable.
Zeim, roi des génies fut créé au théâtre de Sant’Angelo le 27 novembre de
l’année 1765 ; on en donna, entre l’automne et le carnaval de l’année suivante,
onze représentations fort lucratives, sans compter celles qui sont encore à
venir.
Ma ferme résolution de ne plus composer de pièces de théâtre après le
succès du Roi des génies fut vaincue à son tour. Par mes présents infortunés,
mais rendus fortunés par l’accueil d’un public bienveillant, j’avais porté
assistance pendant cinq ans à la troupe de Sacchi. Cette troupe est composée
presque entièrement de parents proches, au point qu’elle mérite moins le nom
de troupe de théâtre que celui de petite famille théâtrale. La décence des
mœurs de cette joyeuse compagnie, la reconnaissance qu’elle semble
témoigner pour les présents profitables qui lui sont faits, son talent artistique,
les prières qu’elle me fit de la secourir, et son insistance dans des nécessités si
pressantes, m’empêchèrent de me résoudre à l’abandonner complètement.
Mes ennemis, que je ne crois pas mériter, pour autant que ma vanité ne
m’aveugle pas trop, m’accorderont du moins que ce n’est ni un dessein
détourné, ni l’appât du gain, ni l’ambition qui me poussèrent à poursuivre mes
œuvres théâtrales. Mon obligation envers un public qui m’avait honoré et avait
l’obligeance de se montrer désireux de voir mes nouvelles productions, la
fantaisie poétique qui me prend de temps à autre, un sentiment de
compassion pour ces gens qui avaient soutenu ma pensée avec soin, talent, et
à grands frais pour leurs décors, furent les seuls aiguillons qui me poussèrent
à rester dans l’arène et à écrire de nouvelles pièces de théâtre.
J’interrompis le cycle des fables après Le Roi des génies, non parce que leur
source d’inspiration s’était tarie (un jour viendra, peut-être, où ma fantaisie le
prouvera, si les circonstances le justifient), mais parce que j’étais convaincu
du principe selon lequel tout genre est voué au déclin, du fait de cet air de
ressemblance et de similitude que, après de nombreuses pièces, il est fort
difficile d’éviter. Je crus préférable de laisser le public sur sa faim plutôt
qu’écœuré. J’ai toujours trouvé ce public si clément que je ne désespère pas
de son pardon pour une ruse si honnête, employée à bon escient, et avouée si
sincèrement.
J’ai secouru la troupe de Sacchi avec un genre différent du premier pour
raviver l’apparence de nouveauté sur la scène, et j’ai servi les généreux désirs
de mon public d’une façon qu’il a aimée, et dont je parlerai plus tard – je ne
me fais aucune illusion sur la possibilité de faire penser comme moi ces
quelques personnes malveillantes, qui offensent moins mes œuvres que le goût
du public, et dont je ne me suis jamais soucié, suivant en cela le public qui
défendit mes pièces.
Comme mon dessein était de venir en aide à la troupe de Sacchi, on verra
sans mal que j’ai choisi le type d’arguments que j’ai cru adapté au caractère
des acteurs de cette compagnie qui, j’ose le dire, n’était pas facile à secourir ;
et certains auteurs, avec leurs petites cervelles, en ont fait les frais, soit en
tombant dans de frustes bassesses, soit en brossant des personnages peu
caractérisés, insuffisants pour cette troupe et inadaptés aux scènes italiennes.
J’ai toujours tenu pour certain que le but principal d’un auteur de théâtre
était de s’acquérir une réputation auprès du public ou de s’attirer un profit
matériel, et que l’une et l’autre de ces intentions convergeaient vers un seul et
même but : celui de remplir un théâtre plusieurs soirs de suite avec une même
pièce. Je crois que la clémence des princes autorise les événements théâtraux
pour maintenir leurs peuples dans le divertissement avec de gais miroirs de
moralité pleins d’aventures humaines, mais dans lesquels la récompense du
bien et le châtiment du mal éduquent, autant qu’il est possible.
En matière théâtrale, dire “il me suffit que mes œuvres plaisent à quelques
savants” est un refuge pour de nombreux auteurs malheureux, qui souvent
s’aveuglent eux-mêmes avec les raisonnements spécieux que l’amour-propre
leur suggère. Ceci dit sans offense pour les excellentes pièces régulières qui
obtiennent l’approbation de tous, mais sont fort ardues, fort rares, et qui ne
suffisent jamais à satisfaire aux besoins de nos théâtres pour l’intégralité de la
saison. […]
J’ai vu des chefs-d’œuvre d’auteurs français, fort bien traduits dans notre
langue, faire un four sur nos scènes, et j’ai vu Eugénie, L’Honnête Coupable et
Le Déserteur, pièces que les Français ont éreintées à juste titre pour leurs
absurdités, leurs impropriétés, leurs invraisemblances, obtenir un succès
merveilleux dans les théâtres italiens, pour la seule raison qu’on y trouvait ces
fortes passions que j’ai toujours recherchées aussi, voyant qu’elles étaient
nécessaires pour ébranler, captiver et amener les âmes de notre vigoureuse
patrie à rendre les armes.
Je crois pouvoir affirmer résolument que tous ceux qui voudront écrire une
pièce de l’humeur des fables que j’ai données au théâtre sans se soucier de la
moralité d’un tel genre, avec dans l’idée seulement de bâtir un arsenal
d’extravagances, de décors, de métamorphoses et de diableries méritent d’être
sanctionnés par le mépris que le public noble et cultivé nourrit pour ce genre
de compositions. Un dessein et un contenu moraux, une trame habilement
tissée, des situations frappantes et bien reliées entre elles, et des passions bien
introduites et bien employées, voilà l’essentiel  ; et les décors et prodiges
devront toujours être accessoires et décoratifs, pour obtenir que même les
sages honorent ce genre de leurs conseils et de leur considération.
Ceux qui s’y sont essayés sans conception valable, ou avec mépris pour le
genre, en mettant tous leurs espoirs dans le seul merveilleux devraient s’être
rendu compte que je ne me trompe pas en discourant ainsi.
Le Bon Génie et le Mauvais Génie, fable théâtrale envoyée par monsieur
Goldoni depuis Paris, et qui remporta à Venise un succès considérable,
prouve seulement que ce genre de pièce ne doit pas être raillé. Cette fable, qui
par son humeur diffère radicalement des miennes et qui, par un tour de bonne
morale, conduit Arlequin, grâce au merveilleux, dans plusieurs nations, et fait
de chaque acte un éventail des mœurs et des divertissements de maintes
métropoles, peut attirer des spectateurs  –  elle l’a fait  –  mais elle peut aussi
encourager certains auteurs italiens à écrire des pièces qui divertissent et
éduquent à la fois, sans mépriser pour autant la passion du merveilleux, qui
sera toujours reine de toutes les passions humaines. […]
Je ne dirai rien ici de la tragédie, mais si l’on examine posément la
comédie régulière, bourgeoise, pleine de vérité et de naturel, on découvre
qu’elle vit le jour en Italie au XVIe siècle et qu’elle mourut aussitôt pour ne
plus renaître. Entre autres poètes dramatiques de cette époque, Giovan Maria
Cecchi fut un auteur inégalable de la vraie comédie bourgeoise et naturelle, et
le miroir des mœurs de son temps et de ses concitoyens. Vieux et vieilles,
jeunes filles et jeunes gens, serviteurs et servantes, soldats, filous, artistes,
aucun de ces personnages ne peut être doté de caractères plus précis, ni ne
peut parler avec plus de naturel et de vérité que chez Giovan Maria Cecchi.
Molière, Français célèbre, admirable par son talent, sa grâce, ses mots
d’esprit, ses observations, ses gaies satires, son style plein de culture,
n’atteignit pas la vérité et le naturel de notre excellent Italien. […] Si on
voulait représenter aujourd’hui des comédies, ou des imitations des comédies
de Cecchi, elles déplairaient au public. On qualifierait Cecchi d’auteur sans
images, ennuyeux, froid et incapable de divertir. Il faudrait fermer tous les
théâtres pour un siècle, brûler toutes les comédies imprimées, à l’exception
des quelques pièces excellentes, simples, régulières et naturelles, et ainsi
donner envie à nos descendants de voir des pièces sur scène et alors, délestés
des idées corrompues inspirées par de grandes choses déjà vues, ils pourraient
goûter les choses simples et naturelles. Cette sobriété serait elle aussi de
courte durée. Il ne faut en accuser ni les écrivains ni les spectateurs, pris
séparément, mais l’humanité toujours instable, qui s’ennuie, désire davantage
et transforme tout en monstruosités. Ceux qui nient que le théâtre se réduit
aujourd’hui à un simple divertissement se trompent fort. De nos jours, les
compositions théâtrales ne sont que des divagations romanesques, bouffonnes
ou merveilleuses ; et le meilleur auteur est celui qui sait donner les couleurs
de la vérité à l’invraisemblable. Ne nous aveuglons pas  ; cette habitude de
défendre tel genre et de dénigrer tel autre n’est qu’une bataille de l’imposture
de notre temps. Je ne suis pas le seul à pouvoir dire que celui qui préfère Le
Déserteur à L’Oiseau vert est dans l’erreur. Défendons la saine morale, le bon
exemple  ; ne gâtons pas l’imagination de nos frères humains par des
sophismes nuisibles et, préférant la morale de Sénèque à celle de Pétrone,
faisons honneur à notre chaire de divertissement.
Avant de passer au nouveau genre théâtral que j’ai cultivé, j’ai cru
nécessaire de dire une petite partie de ce que je tiens pour la vérité.
J’avertis maintenant ceux qui ont pu être froissés par les vérités que j’ai
dites que j’en dirai de plus grandes encore, et toujours dans un esprit
purement badin ; mais, pour leur prouver mon amour fraternel, j’ajouterai que
s’ils veulent se donner la peine de critiquer mes œuvres théâtrales de l’œil
phtisique de la littérature, je suis prêt à me joindre amicalement à eux et,
bardé de la constipation la plus stricte, de leur indiquer les passages à
critiquer pour s’attirer la louange, passages qu’ils n’auraient peut-être pas pu
voir d’eux-mêmes ; mais je les prie avant tout, pour notre bonne entente, de
ne pas dire que mes nouvelles pièces de théâtre ne sont que des traductions de
pièces espagnoles, car je me verrais contraint de les démentir et de
démasquer leurs mensonges ridicules par des preuves concrètes et fort aisées
à produire.

1 Le texte de référence des préfaces est l’édition Zanardi, dernière édition revue par l’auteur.
2 Caterina Bresciani, actrice de talent qui créa de nombreuses pièces de Goldoni, récita en effet, après
la dernière représentation du Nouvel Appartement, à la fin du carnaval de 1761, des strophes attaquant
assez clairement L’Amour des trois oranges : “Il faut, pour conquérir l’honneur, bien plus que des fables /
Des magiciens, des sorcières, des satires et du tapage / Il faut des comédies et non du labeur.”
3 Giambattista Basile, Lo cunto de li cunti overo Lo trattenemiento de’ peccerille (dans le texte : Lo cunto
delle cunte : trattenimento per le piccierille), 1734-1736.
4 Le terme seriofaceto s’emploie en italien pour désigner une œuvre qui traite de sujets graves et
importants de façon comique ; il n’a pas d’équivalent en français.
5 Ce Girardi est peut-être Evaristo Gherardi, acteur du Théâtre-Italien à Paris et auteur de comédies
pour le Théâtre de la Foire.
6 Respectivement “oiseau” et “vinaigre” en vénitien et en italien.
7 Dans Barouf à Chioggia de Goldoni, toute l’intrigue est déclenchée par une citrouille rôtie que
Toffolo, un jeune pêcheur, offre à Lucietta, fiancée à un autre pêcheur.
8 Mérope, tragédie de Scipione Maffei (1675-1755), est créée à Venise en 1713, où elle remporte un
succès populaire considérable. Mais l’espoir suscité par la pièce d’une renaissance du genre tragique en
Italie reste sans suite.
9 Référence aux articles de son frère Gasparo dans La Gazette vénitienne puis dans L’Observateur
vénitien.
10 Il s’agit en réalité de sa troisième pièce, après L’Amour des trois oranges et Le Corbeau.
11 Conformément au précepte d’Horace de joindre l’utile à l’agréable  : Art poétique, v. 343-344  : “Il
remporte tous les suffrages celui qui unit l’utile à l’agréable, et qui plaît au lecteur tout en l’instruisant”.
12 L’intrigue s’inspire de divers contes des Mille et Une Nuits.
TRAGICOMÉDIES ET DRAMES

LE CHEVALIER AMI
TRAGICOMÉDIE EN CINQ ACTES

DORIDE
TRAGICOMÉDIE EN CINQ ACTES

Le Chevalier ami et Doride sont deux tragicomédies que je composai à la


demande de Sacchi. Il désirait introduire dans son théâtre, connu pour le
talent de ses masques, des représentations sans ces derniers, pour leur donner
quelques soirs de repos et pour mettre en valeur sa troupe, à laquelle faisaient
concurrence les autres théâtres, y compris dans le genre sérieux.
Le public n’était pas persuadé de cela, et il n’avait pas tort. La troupe de
Sacchi était à cette époque peu fournie en comédiens capables de proposer
une pièce sérieuse entièrement rédigée et le public se rendait dans son théâtre
pour y voir les masques et rien d’autre. L’attention de ce comédien diligent et
habile, qui saisit les tendances de son temps, a rendu à présent sa troupe
compétente et douée dans tous les genres. […]
La tragicomédie [Le Chevalier ami] est écrite en vers, excepté pour trois
personnages qui parlent en prose. La nécessité de devoir employer, par
manque d’acteurs, Pantalon et Tartaglia sans masques, comme la soubrette,
m’obligea à écrire en prose leurs répliques, car ils n’ont pas d’aptitude à la
récitation des vers alors qu’ils sont excellents dans la prose. Le rôle de
Pantalon est en dialecte vénitien. J’ai dit que je publierais mes pièces telles
qu’elles furent jouées  : je n’altère pas ma décision. Le Chevalier ami a de
nombreuses irrégularités, mais si je l’ai écrit et s’il fut représenté, il doit aussi
accomplir son voyage dans l’édition.
Doride […] eut du succès, et fut jouée plusieurs soirs de suite, mais elle
n’apporta pas de bénéfices à la troupe Sacchi, alors peu renommée pour les
représentations sans masques. Elle fut reprise à différentes périodes, réclamée
par les dames. On la joue encore quelquefois. On me l’a demandée pour de
nombreux théâtres d’amateurs et pour plusieurs collèges. Elle eut la chance de
plaire partout.
Je ne dirai rien de plus sur ces deux tragicomédies que je pourrais nommer
drames larmoyants. Elles ne font pas partie des représentations qui eurent un
succès retentissant. Je ne ferai qu’une remarque en ce qui les concerne. Un
poète qui voudrait aider une seule troupe dont le mérite est universellement
reconnu dans un genre, et non dans un autre, ne retirera aucune gloire pour
lui-même, ni aucun avantage pour la troupe qu’il secourt, s’il décide de
l’employer à un genre dans lequel la multitude ne la croit pas compétente. Le
temps, le changement des acteurs et la persévérance, sans égards pour la
bourse, peuvent accomplir le prodige de lui apporter le succès auprès du plus
grand nombre. En Italie, et particulièrement à Venise, le nombre des théâtres,
le goût changeant du public et la rivalité entre troupes de comédiens rendent
fous les poètes.

LES DEUX NUITS D’ANGOISSE


OU LES TROMPERIES DE L’IMAGINATION
TRAGICOMÉDIE EN CINQ ACTES

Il n’est pas nécessaire que les lettrés se soucient du caprice qui me prit de
vouloir porter secours à nos masques italiens, de même que la colère de nos
journalistes est déplacée. Je ne demande pas aux premiers d’admirer mes
œuvres ni aux seconds d’en faire mention dans leurs avis. Il me suffit que la
réalisation de mes fantaisies théâtrales soit passée par les mains des censeurs
avisés, puis par les planches d’un théâtre, apportant des bénéfices à son
propriétaire et à ses comédiens, et divertissant joyeusement son public. Je ne
comprendrai jamais pourquoi de beaux esprits et d’autres esprits laids
s’échauffent au sujet de mes œuvres.
Je n’ai entendu mépriser mes premières productions, les fables théâtrales,
et les secondes, tirées de sujets espagnols, qu’avec cet argument convaincant
que les premières pièces sont des fables, les secondes sont espagnoles.
Si toutes mes fables plurent et plaisent encore, si La Femme vindicative1,
Donna Elvira2, Le Secret public3 provoquèrent l’affluence du public, plurent et
plaisent encore, atteignant le but qu’on recherche au théâtre, il faudra
reconnaître que seules les pièces qui ne plaisent pas sont celles qui ne valent
rien.
Qu’on considère mes œuvres comme des expériences innocentes, bizarres,
étranges, capricieuses et irrégulières, et comme telles qu’on les laisse tomber
dans un pacifique oubli.
J’avertis fraternellement les dénigreurs qu’entre l’heureux tumulte qu’elles
ont provoqué et les brutales moqueries qu’on en fait, elles risquent d’avoir une
vie plus longue qu’elles ne devraient.
Je n’essaie que de m’amuser et de divertir durant trois heures mes
compatriotes dans un théâtre.
Si à l’avenir on établit un plan de culture théâtrale d’après la méthode que
je suggère dans mon Supplément au Discours ingénu4, je m’emploierai moi
aussi à seconder les désirs des doctes autant que je le puis, sans abandonner
les fantaisies populaires, que je ne crois point méprisables.
Adieu, mes chers journalistes, à nous revoir à l’ère du théâtre cultivé.

LE MAURE AU CORPS BLANC


OU L’ESCLAVE DE SON HONNEUR
TRAGICOMÉDIE EN CINQ ACTES
Remarques et réflexions superflues
Une œuvre du théâtre espagnol intitulée Le Maure au corps blanc, ou l’Esclave
de son honneur5, de don José de Cañizares6, éveilla en moi l’idée d’élaborer ce
monstre tragicomique.
Celui qui voudrait comparer l’œuvre espagnole et la mienne ne trouverait
qu’une complète différence dans l’intrigue et les dialogues. Je n’ai jamais
emprunté aux œuvres extravagantes du théâtre espagnol que les lignes de
l’architecture générale pour édifier une nouvelle extravagance à ma guise.
J’ai laissé à cette nouvelle extravagance le titre extravagant Le Maure au
corps blanc, ou l’Esclave de son honneur. Voilà tout ce que mon œuvre a de
l’œuvre de Cañizares.
Un titre extravagant éveille la curiosité du public. Voir un théâtre rempli le
premier soir de la représentation d’une de mes fantaisies fut toujours un
plaisir et, dans le cas où ma fantaisie ne poussait pas l’assistance dans son
ensemble à l’applaudir, une résignation philosophique fit aussi bien son office.
Dans cet ensemble, je n’entends pas faire entrer ces rares esprits qui,
s’estimant dotés d’un goût élevé, délicat et très cultivé, tombent dans la basse
et grossière inculture en morigénant et en condamnant mes fantaisies
théâtrales pour la seule raison qu’elles ont donné lieu à une heureuse affluence
du public.
Si j’avais la voix d’une bombarde et si je criais à gorge déployée qu’à
travers mes ébauches théâtrales je n’ai jamais cherché une place sublime au
Parnasse, mais que j’ai seulement essayé de divertir mes concitoyens et de
soulager la misère de nos pauvres comédiens italiens, j’entonnerais
bruyamment une vérité sans calmer ces quelques mouches métaphysiques qui
ne sont ni lard ni cochon pour nos théâtres, bien que je laisse le champ libre à
leur générosité, encourageant leur classicisme et leur perfection érudite et
critique, plus fanfaronne que concrète, promettant de les vénérer à la hauteur
de leur mérite, de ne pas les condamner et même de protester si elles
suscitent bâillements et sifflets.
En  17767 rentra à Venise la compagnie de Sacchi que, par mes œuvres
capricieuses et fertiles, j’avais aidée de nombreuses années pour m’amuser et
par courtoisie.
Cette compagnie trouva à Venise une nouveauté fatale. Le théâtre de San
Salvatore8  où elle engrangeait ses récoltes avait été décrété croulant par les
experts en architecture affectés au contrôle annuel par la Sécurité publique et,
par ordre de la bienveillante et prudente magistrature des excellents
provéditeurs aux travaux urbains, il avait été interdit de l’ouvrir cette saison-là
pour que fût scrupuleusement assurée la sécurité publique.
La pauvre compagnie Sacchi, composée de peut-être quarante mortels,
entre les acteurs, les actrices et le personnel de plateau, était très affligée et
abîmée dans la crainte que cette suspension de leurs gains ne les fît mourir de
faim, démontrant ainsi qu’ils étaient mortels.
Grâce aux travaux de réfection ordonnés par la famille patricienne
Vendramini, propriétaire dudit théâtre, après la perte d’environ vingt-six
représentations, fut imprimé un manifeste, à partir d’attestations d’experts
architectes, par lequel le vigilant gouvernement en permettait l’ouverture, […]
assurant le public que, pendant tout cet automne-là et le carnaval suivant, ce
théâtre ne serait pas en danger.
Ce manifeste ainsi soumis à condition, qui avait l’aspect d’une prophétie
d’experts plus que d’une assurance, et qui était interprété avec malignité par
les fauteurs des nombreux théâtres rivaux dans le but d’entretenir la crainte
générale, ne persuada pas le public de revenir, parce que le risque lui
paraissait grand pour bien peu et qu’il trouvait à se divertir ailleurs. […]
Je mis alors un point d’honneur à sourire, à conseiller mon armée théâtrale
opprimée de ne rien répondre aux satires ordurières et lâches dont elle était
victime9  et, mû par la compassion, je composai à la hâte mon nouveau
monstre scénique, Le Maure au corps blanc.
On ne pourra nier à cette œuvre le mérite d’avoir miraculeusement fait
oublier à toute la population les dangers supposés et la peur panique, d’avoir
fait affluer un nombre incroyable de spectateurs pendant plus de vingt soirs
de suite, d’avoir convaincu les esprits de la sécurité du théâtre bien mieux que
les certificats de quarante architectes et d’avoir renouvelé le succès des
pauvres comédiens en faisant leur bonheur.

LA FILLE DE L’AIR
OU L’ÉLÉVATION DE SÉMIRAMIS
DRAME FABULEUX ET ALLÉGORIQUE
EN TROIS ACTES

[…] La greffe que voici est l’une de ces pièces fabuleuses, poétiques et
allégoriques qu’il me plut parfois de composer pour la scène. Ce genre a pour
fondement cette poésie dont il semble que la plupart de nos contemporains
aient perdu la trace, mais qui sera toujours une poésie légitime jusqu’à la fin
des siècles, en dépit des railleries des innovateurs, créateurs d’innovations plus
fausses et plus nuisibles aux peuples que les créations allégoriques.
Je n’ai jamais entrepris de composer des fables pour la scène sans les
utiliser pour défendre la saine morale dans les événements inventés qui les
contiennent et pour censurer grâce à l’éloquence et à la claire allégorie la
corruption des mœurs, les sophismes empoisonnés et la science d’une
métaphysique ivre et forcée propres à notre siècle. […]
Ceux qui n’ont jamais reconnu ou qui n’ont pas voulu reconnaître mon
intention et le véritable esprit de L’Oiseau vert10, du Roi des gé nies 11 , des
Pouilleux fortunés 12 , de Zobéide 13 , et de nombreuses autres fables théâtrales
heureuses, ne verront pas, ni ne voudront jamais voir que mon allégorique
Fille de l’air est de la même nature. […]
Plus la corruption augmentera, plus on critiquera l’audace des auteurs qui
peindront la vérité sur scène. On veut faire le mal comme on l’entend, et le
fait d’avoir sous les yeux le miroir de ce mal, même montré avec décence et
en général, devient une insulte insupportable si on en est entaché.
Les réactions de colère que provoque cette représentation nous font
toutefois comprendre que le mal est encore un mal et que le vice n’est pas
encore devenu vertu. Remercions le ciel de cette vérité pourtant combattue.
[…]
Quant au style dans lequel j’ai écrit cette œuvre, on le trouvera égal à celui
de tous mes divertissements théâtraux, c’est-à-dire régulier, facile et
intelligible aussi bien par l’homme cultivé que par le non-cultivé, tel qu’il doit
l’être, je crois, dans l’intérêt des pauvres comédiens qui proposent des
représentations à un vaste public.
Mon style théâtral n’est ni boursouflé, ni lyrique, ni figuré, ni lardé
d’épithètes, mais il n’est pas non plus trivial ni bas.
On trouvera ce style dans la bouche des paysans que j’ai introduits dans
mon drame.
Autrefois, on avait l’habitude de faire parler les gens de la campagne bien
différemment des seigneurs. De nos jours, cet usage est d’une rigidité
ridicule. On ne doit écrire que d’une seule couleur tout ce qu’on écrit.
Certains censeurs tragicomiques trouveront que les phrases, les termes, les
vers avec lesquels je fais parler mes paysans sont impropres et triviaux et,
espérant énoncer une critique, ils feront une apologie de leur ignorance dans
l’écriture et le style.
La poltronnerie italienne dans le domaine de la belle écriture et de notre
langue pure et littérale, en d’autres temps soutenue, applaudie et admirée,
mérite bien que des présomptueux qui en ignorent tout s’insurgent, critiquent
et tournent en dérision les scrupuleux connaisseurs de la langue, brandissant,
pour acquérir quelque renommée, la menace du remaniement des
dictionnaires dont il n’est nul besoin ; cette poltronnerie mérite aussi que des
Français, des Allemands, des Espagnols et des Kalmouks viennent faire les
pédants en Italie à propos de notre idiome et de nos excellents auteurs dont
l’immortalité est assurée dans les siècles passés, présents et futurs sans crainte
du bourdonnement des frelons.
L’ignorance a toujours été l’aiguillon des progrès de l’imposture et les
progrès de l’imposture ont toujours trouvé leur chemin dans les propositions
d’innovations.
Le mélange des termes et des phrases introduit par les extravagances de
notre siècle m’aura peut-être obligé à en adopter quelques défauts pour être
entendu et pour ne pas paraître, diraient les imposteurs, affecté.
L’affectation en matière de style et d’écriture n’est pas définissable. Elle
dépend d’une ouïe formée au vrai et formée au faux. Le temps guérit cette
seconde maladie en conduisant tôt ou tard à la vérité.

CHIMÈNE PARDO
DRAME TRAGIQUE EN CINQ ACTES
Note nécessaire aux comédiens
qui voudraient représenter Chimène Pardo14

Le silence, l’attention, l’attente et l’intérêt des spectateurs devant la succession


des événements nocturnes entre la scène 7 et la scène 17 de ce troisième acte
furent indicibles. L’auteur du drame ne voulut pas que fussent exécutés les
traditionnels combats spectaculaires, notés dans l’œuvre, à la fois pour éviter
une dépense aux comédiens et pour ne pas détourner les spectateurs de
l’intérêt provoqué par les péripéties. Il se limita à demander, pour donner une
idée de la bataille hors scène, la seule apparition d’un ou deux combattants et
le passage, sans aucun arrêt sur scène, d’une troupe en action. Il faut relever le
talent du machiniste de la compagnie de comédiens dans la représentation de
l’action dangereuse et résolue d’Ernesto qui, pour ne pas mourir seul et pour
faire mourir son ennemi avec lui, se jette du sommet d’une haute montagne et
survit à cette chute, contrairement au Turc, son rival. Les deux acteurs
tombaient embrassés du haut de ce sommet, d’abord dans un creux de la
montagne couvert de buissons qui les cachaient à la vue des spectateurs. De
ce creux, comme s’ils rebondissaient, sortaient deux mannequins de paille
lancés de là, embrassés de la même façon que les deux combattants, et ils
tombaient en heurtant çà et là les rochers jusqu’à un ravin tout en bas
recouvert de végétation. Le petit espace dans lequel les deux vraies personnes
embrassées tombaient était un pont volant monté sur des poulies qu’on
baissait rapidement pour faire descendre les deux acteurs à l’intérieur et au
bas de la montagne, de sorte qu’ils arrivaient en bas avant même les faux
personnages. Ernesto sortait de là comme étourdi par la chute, en traînant par
le pied à la vue des spectateurs son ennemi de paille trépassé. L’incroyable
rapidité avec laquelle cette action était exécutée provoquait un effet d’illusion
que le public applaudissait. L’auteur du drame, qui en vit l’exécution lors
d’une répétition, soulagea même les comédiens de la dépense, jugée inutile,
de l’orage nocturne mentionné dans l’œuvre, qui ne devait servir qu’à éblouir
les spectateurs pendant que s’effectuait l’échange des personnages et des
mannequins.

1 La Femme vindicative désarmée par l’obligation, tragicomédie en cinq actes, 1767.


2 La Chute de donna Elvira, reine de Navarre, prologue tragique, avec La Punition par la déchéance,
tragicomédie en trois actes, 1768.
3 Le Secret public, comédie en trois actes, 1769.
4 Cf. p. 91-94.
5 En italien dans le texte (titre original espagnol : El moro de cuerpo blanco y esclavo de su honor).
6 “Don Giovanni Canizarez” dans le texte.
7 En réalité 1775, après une tournée de six mois (retour en octobre).
8 Ou théâtre de San Luca. Les mêmes faits sont relatés dans les Mémoires inutiles, II, 18.
9 Il s’agit de sonnets satiriques contre la troupe et son auteur.
10 L’Oiseau vert, fable philosophique en cinq actes, 1765.
11 Zeim, roi des génies, ou la Servante fidèle, fable comico-sérieuse en cinq actes, 1765.
12 Les Pouilleux fortunés, fable tragicomique en trois actes, 1764.
13 Zobéide, tragédie fabuleuse en cinq actes, 1763.
14 Il s’agit de la didascalie scénographique entre l’acte III et l’acte IV de Chimène Pardo.
CHRONOLOGIE BIOGRAPHIQUE

1720  : 13  décembre, naissance de Carlo Gozzi à Venise, sixième des onze
enfants du comte Jacopo Antonio Gozzi et d’Angiola Tiepolo.
1741 : départ de Carlo Gozzi pour la Dalmatie comme officier, à la suite du
provéditeur général Querini. Il interprète avec succès le rôle de la servetta
Luce.
1744 : retour à Venise, puis retrouvailles avec sa famille à Vicinale dans de
très mauvaises conditions économiques. Retour à Venise en septembre.
1745 : mort du père, Jacopo Antonio.
1747 : création de l’académie des Couillons (accademia dei Granelleschi) par
les frères Gozzi, Carlo et Gasparo (son aîné). Gasparo Gozzi et sa femme
Luisa Bergalli prennent la gérance du théâtre de Sant’Angelo pendant
l’année théâtrale 1747-1748.
1748 : premiers recueils de poésies.
1750  : Carlo Goldoni écrit Le Poète fanatique contre les Couillons et la
famille Gozzi.
1751 : Carlo Gozzi traduit le Pharsamon ou les Folies romanesques, roman de
Marivaux.
1753  : renforcement de la polémique qui oppose Carlo Goldoni et Pietro
Chiari.
1754 : l’académie des Couillons est presque dissoute.
1755 : attaques de Goldoni contre Gozzi et l’académie des Couillons dans son
poème Esope à la grille. Goldoni attaque aussi les lettrés conservateurs
dans sa pièce Torquato Tasso.
1757  : Carlo Gozzi fait publier La Tartane des influences pour l’année
bissextile 1756, almanach burlesque, où il pourfend Chiari et Goldoni, ainsi
que la philosophie des Lumières. Reprise de l’activité de l’académie des
Couillons.
1758 : la polémique contre Goldoni continue. Gozzi écrit Le Théâtre comique
à l’hôtellerie du Pèlerin tombé aux mains des académiciens Couillons, où il
réfute les propositions de réforme de Goldoni. Réponse de Goldoni dans
son poème La Table ronde. La compagnie d’Antonio Sacchi, célèbre
Arlequin et capocomico (chef de troupe), revenue d’un séjour professionnel
au Portugal, s’installe au théâtre de San Samuele et joue des comédies à
l’impromptu.
1759  : Gozzi attaque de nouveau Goldoni dans Les Sueurs d’Hyménée, en
réponse à La Table ronde.
1760 : Gasparo Gozzi prend la direction du périodique La Gazette vénitienne,
où il fait publier en juillet des vers de Voltaire à la louange de Goldoni,
avec une réponse de Goldoni adressée à Voltaire. Puis il publie la
traduction des vers de Voltaire, ce qui attise la colère de Carlo Gozzi. Les
Couillons se déchaînent dans les Actes de l’académie. Grave maladie de
Carlo Gozzi.
1761 : la polémique contre Goldoni et Chiari continue. Publication dans les
Actes des Couillons des Feuilles sur certaines maximes sur le “Génie et les
mœurs du siècle” de Chiari, et contre les poètes Nugnez de notre temps. La
magistrature des réformateurs de l’université de Padoue intervient et
interdit la publication des Actes. Chiari reprend la direction de La Gazette
vénitienne et fait alliance avec Goldoni, ce qui accroît la rage de Gozzi. La
compagnie Sacchi donne au théâtre de San Samuele L’Amour des trois
oranges, première fable théâtrale de Carlo Gozzi, qui attaque ouvertement
Goldoni et Chiari. Le succès de cette fable pousse Gozzi à en écrire une
autre, Le Corbeau (théâtre de San Samuele, 24 octobre). Gozzi écrit les dix
premiers chants de son épopée héroïcomique, La Marphise bizarre.
1762  : représentation de deux fables théâtrales, Le Roi-cerf et Turandot.
Goldoni décide de partir définitivement pour Paris. La compagnie Sacchi
représente à Mantoue Le Chevalier ami et Doride ou la Rési gnée ,
tragicomédies de Gozzi. En octobre, Sacchi passe au théâtre de
Sant’Angelo. Il donne La Femme-serpent, cinquième fable théâtrale de
Gozzi.
1763 : la compagnie Sacchi représente Zobéide.
1764 : représentations des Pouilleux fortunés et du Monstre turquin.
1765 : représentation de L’Oiseau vert. A l’automne, Gozzi donne sa dixième
et dernière fable théâtrale, Zeim, roi des génies.
1767 : Gozzi commence à écrire ses “drames d’inspiration espagnole”. Il fait
représenter La Femme vin dicative désarmée par l’obligation , tragicomédie,
au théâtre de Sant’Angelo.
1768 : représentation de La Punition par la déchéance, tragicomédie en trois
actes avec La Chute de donna Elvira, prologue. Gozzi termine son long
poème comique La Marphise bizarre.
1769  : à Modène, Gozzi fait représenter un nouveau drame “espagnol”, Le
Secret public, spectacle repris à Venise au théâtre de Sant’Angelo.
1771  : représentation des Deux Nuits d’angoisse, ou les Tromperies de
l’imagination, tragicomédie. La Femme amoureuse pour de vrai, comédie,
est représentée à Mantoue, puis reprise à Venise. La compagnie Sacchi
passe au théâtre de San Luca (ou de San Salvatore). Sacchi recrute une
jeune actrice génoise, Teodora Ricci.
1772  : Gozzi traduit en vers la tragédie de Baculard d’Arnaud, Fayel, où
Teodora Ricci fait des débuts peu concluants. Au théâtre de Sant’Angelo,
au même moment, Caterina Manzoni triomphe dans la traduction de la
tragédie de De Belloy, Gabrielle de Vergy, sur le même sujet. Gozzi écrit
alors une autre pièce pour Teodora Ricci, La Princesse philosophe, ou le
Contrepoison, drame, représenté avec succès. Entre  1772  et  1774, Gozzi
fait publier ses œuvres chez Colombani. En 1772, il écrit le Discours ingénu
en guise de préface à ses fables théâtrales et le Supplément au Discours
ingénu en guise de préface à ses tragicomédies et drames.
1773 : Gozzi fait représenter au théâtre de San Luca Les Deux Frères ennemis,
tragicomédie. Dissensions à l’intérieur de la compagnie Sacchi, autour de la
Ricci et de la soudaine passion de Sacchi pour elle.
1774 : Gozzi présente au théâtre de San Luca La Voix ensorceleuse, drame.
1775 : le théâtre de San Luca est fermé pour rénovation et la compagnie reste
inactive jusqu’à l’automne. Crises de rhumatismes de Gozzi. En décembre,
première rencontre de la Ricci et de Pietro Antonio Gratarol, secrétaire du
Sénat.
1776 : au théâtre de San Luca rénové, on représente Le Maure au corps blanc,
ou l’Esclave de son hon neur , tragicomédie à succès. La relation entre la
Ricci et Gratarol continue.
1777 : en janvier, première représentation des Drogues d’amour au théâtre de
San Luca, où Gratarol est tourné en dérision par les acteurs. Gratarol
soumet aux inquisiteurs d’Etat un mémoire dénonçant la pièce et son
auteur. Gozzi plaide pour que la pièce soit ensuite retirée de l’affiche, mais
la pièce est encore représentée. Gratarol adresse à Gozzi un billet
offensant. Gozzi écrit au doge de Venise en résumant toute l’affaire, et en
accusant Gratarol de calomnie. La Ricci part pour Paris avec un contrat de
trois ans avec la Comédie-Italienne. Gratarol décide de quitter Venise. Le
Conseil des Dix lui intime l’ordre de se livrer à la justice vénitienne. En
décembre, Gratarol est condamné à mort par le Conseil des Dix et ses
biens sont confisqués.
1778 : Le Métaphysicien, drame, est représenté le 23 novembre au théâtre de
San Luca.
1779 : pendant le carnaval, Sacchi représente Bianca, comtesse de Melfi, ou le
Mariage par vengeance, drame tragique, au théâtre de San Luca. Teodora
Ricci revient de Paris et est engagée au théâtre de San Giovanni
Grisostomo. Pietro Antonio Gratarol publie à Stockholm La Narration
apologétique, où il dénonce les coercitions auxquelles il a été soumis et
attaque directement Carlo Gozzi.
1780  : parution à Milan des Réflexions d’un Impartial sur la Narration
apologétique de Pietro Antonio Gratarol qui prennent la défense de Gozzi.
Le bruit court que c’est lui qui les a écrites. Gozzi, pour démentir ce bruit,
entreprend la rédaction d’un “opuscule” qui est censuré. Gozzi rédige alors
deux volumes intitulés Mémoires pour servir à la vie du comte Carlo Gozzi.
Ces volumes sont également interdits de publication.
1781 : Gozzi écrit Amour aiguise l’esprit pour Teodora Ricci et la compagnie
Battaglia.
1783  : fin du contrat de Sacchi au théâtre de San Luca, la compagnie est
dissoute, Sacchi passe au théâtre de Sant’Angelo. Gozzi écrit pour lui
Chimène Pardo, drame tragique, et La Fille de l’air, drame fabuleux et
allégorique, mais ils ne sont pas représentés.
1784 : Gozzi prolonge la première rédaction de ses Mémoires.
1785 : Gratarol finit sa course à Madagascar, au cap Saint-Sébastien, sur la
côte est de l’île, où il meurt.
1786  : représentation de Chimène Pardo au théâtre de San Giovanni
Grisostomo, par la compagnie Battaglia, et de La Fille de l’air, au théâtre
de San Luca, par la compagnie Perelli.
1793 : Teodora Ricci abandonne le théâtre. Mort de Goldoni à Paris.
1797  : dissolution du Grand Conseil de la République  ; entrée des troupes
françaises de Bonaparte à Venise, installation d’une municipalité
provisoire, le livre d’or des patriciens est brûlé. Rééditions à Venise de la
Narration de Gratarol, augmentée des Réflexions d’un Impartial. Gozzi
décide de faire publier ses Mémoires revus et augmentés, en trois volumes,
chez l’éditeur Palese, sous le titre Mé moires inutiles . Il l’annonce par un
Manifeste. Immédiatement après, les amis du secrétaire défunt publient les
Mémoires ultimes de Pietro Antonio Gratarol chez l’éditeur Zatta. Gozzi
met un point final à la rédaction de ses Mémoires inutiles au
printemps 1798.
1801-1804 : Carlo Gozzi fait publier une deuxième édition complète de ses
œuvres théâtrales, chez l’éditeur Zanardi, en quatorze volumes. Les fables
théâtrales sont régulièrement jouées, y compris à l’étranger. En  1802,
Friedrich Schiller adapte la fable théâtrale Turandot, avec un immense
succès.
1806 : Gozzi meurt le 1er avril, à quatre-vingt-six ans.
CHRONOLOGIE
DES ŒUVRES THÉÂTRALES

1761  : L’Amour des trois oranges (L’amore delle tre melarance),


représentation divisée en trois actes, théâtre de San Samuele,
25 janvier 1761.
– Le Corbeau (Il corvo), fable théâtrale tragicomique en trois actes, théâtre de
San Samuele, 24 octobre 1761.
1762  : Le Roi-cerf (Il re cervo), fable théâtrale tragicomique en trois actes,
théâtre de San Samuele, 5 janvier 1762.
– Turandot (Turandot), fable théâtrale chinoise tragicomique en cinq actes,
théâtre de San Samuele, 22 janvier 1762.
– Le Chevalier ami, ou le Triomphe de l’amitié (Il ca valiere amico, o sia Il
trionfo dell’amicizia) , tragicomédie en cinq actes, Mantoue, 28 avril 1762.
–  Doride ou la Résignée (La Doride o sia La rassegnata), tragicomédie en
cinq actes, Mantoue, 21 juin 1762.
–  La Femme-serpent (La donna serpente), fable théâtrale tragicomique en
trois actes, théâtre de Sant’Angelo, 29 octobre 1762.
1763  : Zobéide (La Zobeide), tragédie fabuleuse en cinq actes, théâtre de
Sant’Angelo, 11 novembre 1763.
1764 : Les Pouilleux fortunés (I pitocchi fortunati), fable tragicomique en trois
actes, Parme, 28  juillet  1764, Venise, théâtre de Sant’Angelo,
29 novembre 1764.
– Le Monstre turquin (Il mostro turchino), fable tragicomique en cinq actes,
théâtre de Sant’Angelo, 8 décembre 1764.
1765 : L’Oiseau vert (L’augellino belverde), fable philosophique en cinq actes,
théâtre de Sant’Angelo, 19 janvier 1765.
– Zeim, roi des génies, ou la Servante fidèle (Zeim re de’ geni, ossia La serva
fedele), fable comico-sérieuse en cinq actes, théâtre de Sant’Angelo,
27 novembre 1765.
1767 : La Femme vindicative désarmée par l’obliga tion (La donna vendicativa
disarmata dall’obbligazione) , tragicomédie en cinq actes, théâtre de
Sant’Angelo, 8 octobre 1767.
1768  : La Chute de donna Elvira, reine de Navarre (La caduta di donna
Elvira, regina di Navarra), prologue tragique, avec La Punition par la
déchéance (La punizione nel precipizio), tragicomédie en trois actes, théâtre
de Sant’Angelo, 30 janvier 1768.
1769 : Le Secret public (Il pubblico secreto), comédie en trois actes, Modène,
20 mai 1769, Venise, théâtre de Sant’Angelo, 17 novembre 1769.
1771 : Les Deux Nuits d’angoisse, ou les Tromperies de l’imagination (Le due
notti affannose, o sia Gl’inganni dell’immaginazione), tragicomédie en cinq
actes, théâtre de San Luca, 15 janvier 1771.
–  La Femme amoureuse pour de vrai (La donna in namorata da vero) ,
comédie en trois actes, Mantoue, 22  juillet  1771, Venise, théâtre de San
Luca, 8 octobre 1771.
1772 : La Princesse philosophe, ou le Contrepoison (La principessa filosofa, o
sia Il controveleno), drame en trois actes, théâtre de San Luca,
8 février 1772.
–  Fajel, traduction de la tragédie de Baculard d’Arnaud (Fayel), théâtre de
San Luca, 1772.
– Echo et Narcisse (Eco e Narciso), fable pastorale comico-sérieuse en trois
actes pour la musique, publiée en 1772, jamais représentée.
1773 : Les Deux Frères ennemis (I due fratelli nimici), tragicomédie en trois
actes, théâtre de San Luca (sous le titre Le Roi phtisique), janvier 1773.
1774  : La Voix ensorceleuse (La malia della voce), drame en cinq actes,
théâtre de San Luca, 10 décembre 1774.
1776 : Le Maure au corps blanc, ou l’Esclave de son honneur (Il moro di corpo
bianco, o sia Lo schiavo del proprio onore), tragicomédie en cinq actes,
théâtre de San Luca, 20 janvier 1776.
1777  : Les Drogues d’amour (Le droghe d’amore), comédie en cinq actes,
théâtre de San Luca, 10 janvier 1777.
1778 : Le Métaphysicien, ou l’Amour et l’Amitié à l’épreuve (Il metafisico, o sia
L’amore, e l’amicizia alla prova), drame en trois actes, théâtre de San Luca,
23 novembre 1778.
1779  : Bianca, comtesse de Melfi, ou le Mariage par vengeance (Bianca
contessa di Melfi, ossia Il ma trimonio per vendetta) , drame tragique en
cinq actes, théâtre de San Luca, carnaval 1779.
1780 (?) : La Veuve du Malabar, ou l’Empire des cou tumes (La vedova del
Malabar , o sia L’impero dei costumi), jamais représentée, traduction (date
incertaine) de la tragédie d’A. M. Lemierre représentée en 1770 et publiée
en 1780 (en 1770, représentation à Turin d’un canevas de Gasparo Gozzi
probablement tiré de la tragédie de Lemierre et intitulé La Veuve indienne).
1781 : Amour aiguise l’esprit (Amore assottiglia il cer vello) , comédie en cinq
actes, théâtre de San Giovanni Grisostomo, 14 février 1781.
1786  : Chimène Pardo (Cimene Pardo), drame tragique en cinq actes, écrit
en 1783, théâtre de San Giovanni Grisostomo, carnaval 1786.
–  La Fille de l’air, ou l’Elévation de Sémiramis (La figlia dell’aria, ossia
L’innalzamento di Semira mide) , drame fabuleux et allégorique en trois
actes, écrit en 1783, théâtre de San Luca, 14 février 1786.
1799  : Annibal, duc d’Athènes (Annibale, duca di Atene), représentation
théâtrale en cinq actes, théâtre de Sant’Angelo, 2 décembre 1799.
1800  : La Femme contraire au conseil (La donna contra ria al consiglio) ,
composition scénique en cinq actes, Trieste, printemps  1800, Vicence,
23 août 1800.
1803  : Le Montagnard don Giovanni Pasquale (Il montanaro don Giovanni
Pasquale), action scénique morale divisée en cinq actes, éditée en  1803,
jamais représentée.
CATALOGUE DES ÉDITIONS ORIGINALES
DES ŒUVRES DE CARLO GOZZI

Opere del Co. Carlo Gozzi, Venise, Colombani, 8 vol., 1772-1774 :


I. Ragionamento ingenuo e storia sincera dell’ origine delle mie dieci fiabe teatrali. Analisi riflessiva
della fiaba : L’amore delle tre melarance. Il corvo. La Turandot. Il re cervo.
II. La donna serpente. La Zobeide. Il mostro turchino. I pitocchi fortunati.
III. L’augellino belverde. Il re de’ genii. Il trionfo dell’amicizia (Il cavaliere amico). La Doride.
IV. Appendice al Ragionamento ingenuo del primo volume. La donna vendicativa, disarmata dall’
obbligazione. La caduta di donna Elvira. La punizione nel precipizio. Il pubblico secreto.
V. Le due notti affannose. La principessa filosofa. I due fratelli nimici. Eco e Narciso.
VI. Ululati apologetici del traduttor delle satire di Boelò. Astrazione del medesimo. Compendio della
vita di Boelò. Elogio a Boelò. Prefazione di Boelò. Discorso al re. Dodici satire di Boelò con
annotazioni.
VII. La Marfisa bizzarra.
VIII. Saggio di versi faceti e di prose.

Opere edite ed inedite del Co. Carlo Gozzi, Venise, Zanardi, 14  vol., 1801-
1804 :
I. Ragionamento ingenuo e storia sincera dell’ origine delle mie dieci fiabe teatrali. Analisi riflessiva
della fiaba : L’Amore delle tre melarance. Il corvo. Il re cervo.
II. Turandot. La donna serpente. I pitocchi fortunati.
III. La Zobeide. Il mostro turchino. L’augellino belverde.
IV. Zeim, re dei genii. Il cavaliere amico. Doride.
V. Appendice al Ragionamento ingenuo del tomo I. La donna vendicativa. La caduta di donna
Elvira. La punizione nel precipizio.
VI. Il pubblico secreto. Le due notti affannose.
VII. La principessa filosofa. I due fratelli nimici.
VIII. Eco e Narciso. Il Moro di corpo bianco.
IX. La donna contraria al consiglio. Cimene Pardo.
X. La donna innamorata da vero. Bianca, contessa di Melfi.
XI. Il montanaro don Giovanni Pasquale. La figlia dell’aria.
XII. Il metafisico. Annibale, duca di Atene.
XIII. La malia della voce. Amore assottiglia il cervello.
XIV. Lettere e frammenti. La vedova del Malabar, tragedia del signor Lemiere, tradotta dal
francese.
PRINCIPALES MISES EN SCÈNE
DES FABLES THÉÂTRALES EN FRANCE

1897  : Turandot, adaptation et mise en scène de Charles Raymond, Paris,


Théâtre de l’Odéon.
1923 : La Princesse Turandot, mise en scène de Jacques Copeau, adaptation
de Jean-Jacques Olivier, Paris, Théâtre du Vieux-Colombier.
1930 : L’Oiseau vert, Théâtre-Club de la Petite Scène, adaptation et mise en
scène de Xavier de Courville.
1937  : Le Roi-cerf, mise en scène d’André Barsacq, adaptation de Pierre
Barbier, Paris, Comédie des Champs-Elysées ; repris en 1938 au Théâtre
des Mathurins-Pitoëff.
1947 : L’Amour des trois oranges, d’Alexandre Arnoux, adaptation très libre à
partir de la vie de Carlo Gozzi, Paris, Théâtre Montparnasse-Gaston Baty.
1948  : Il corvo, adaptation et mise en scène de Giorgio Strehler, Théâtre
Sarah-Bernhardt (spectacle en italien).
1957 : Le Roi Cerf, mise en scène de Sacha Pitoëff, Paris, Théâtre du Petit
Marigny.
1964  : Le Monstre turquin, mise en scène d’André Barsacq, adaptation de
Michel Arnaud et André Barsacq, Paris, Théâtre de l’Atelier.
1965  : La Princesse Turandot, adaptation de Claude Satès et Ahouva Lion,
Paris, Théâtre de l’Alliance française.
1967  : Le Roi-cerf, mise en scène d’André Barsacq pour la télévision,
adaptation de Pierre Barbier.
1973 : L’Oiselet vert, mise en scène de Claude Deflandre pour la télévision,
adaptation de Denise Lemaresquier.
1974 : La Princesse Turandot, mise en scène de Lucian Pintilié, d’après Gozzi
et Puccini, Paris, Théâtre de la Gaîté-Lyrique et Théâtre national de
Chaillot.
1983  : L’Oiseau vert, adaptation et mise en scène de Benno Besson, Paris,
Théâtre de l’Est parisien ; Strasbourg, Théâtre national de Strasbourg, créé
en 1982 à Genève, Comédie de Genève.
1986 : Le Monstre turquin, mise en scène de Pétrika Ionesco, Créteil, Maison
des Arts.
1999 : L’Amour des trois oranges, mise en scène d’Alberto Nason, adaptation
d’Andrea Genovese, création Théâtre des Asphodèles, Lyon, Théâtre des
Célestins.
2000  : Le Roi-cerf, mise en scène de Benno Besson, adaptation de Claude
Duneton, Paris, Théâtre national de Chaillot  ; créé en  1994  à Helsinki,
Lilla Teatern.
2003 : L’Amour des trois oranges, mise en scène de Dan Jemmet, adaptation
de Marie-Paule Ramo, Malakoff, Théâtre 71.
2007  : L’Oiseau vert, mise en scène de Carlo Boso, Montreuil, Studio-
Théâtre.
2010  : L’Oiseau vert, mise en scène de Sandrine Anglade, adaptation de
Nathalie Fillion, Dijon, CDN de Bourgogne.
BIBLIOGRAPHIE

ŒUVRES DE CARLO GOZZI


ÉDITIONS ITALIENNES

Manifesto del Co. Carlo Gozzi, dedicato a’ magnifici Signori Giornalisti,


Prefattori, Romanzieri, Pub blicatori di Manifesti, e Foglivolantisti dell’Adria
, s.l.n.d. [Venise, Colombani, 1772].
Il Fajel. Tragedia del Sig. D’Arnaud tradotta in versi sciolti dal C. Carlo Gozzi,
Venise, Colombani, 1772.
Opere del Co. Carlo Gozzi, Venise, Colombani, 8 vol., 1772-1774.
Opere edite ed inedite del Co. Carlo Gozzi, Venise, Zanardi, 14  vol., 1801-
1804.
Opere. Teatro e polemiche teatrali, édition établie par Giuseppe Petronio,
Milan, Rizzoli, 1962.
Il ragionamento ingenuo, édition établie par Alberto Beniscelli, Gênes, Costa
e Nolan, 1983 (l’ouvrage comprend L’appendice al ragionamento ingenuo).
Fiabe teatrali (L’amore delle tre melarance, Il re cervo, Turandot, Zobeide,
L’augellino belverde), édition établie par Paolo Bosisio, Rome, Bulzoni,
1984.
Fiabe teatrali (L’amore delle tre melarance, Il re cervo, Turandot, La donna
serpente, L’augellino belverde), édition établie par Alberto Beniscelli,
Milan, Garzanti, 1994.
Novelle, édition établie par Ricciarda Ricorda, Venise, Marsilio, 2001.
Lettere, édition établie par Fabio Soldini, Venise, Marsilio, 2004.
Memorie inutili della vita di Carlo Gozzi scritte da lui medesimo e pubblicate
per umiltà, édition établie par Paolo Bosisio, Milan, LED, 2006.
Le droghe d’amore. Dramma in tre atti in verso sciolto, édition établie par
Camilla Guaita, Milan, CUEM, 2006.

TRADUCTIONS ET ADAPTATIONS EN FRANÇAIS

THÉÂTRE

Théâtre fiabesque, traduit pour la première fois par Alphonse Royer, Paris,
Michel Lévy frères (Le Cor beau, Le Roi-cerf, Turandot, La Zobéide ,
L’Oiselet vert), 1865.
Turandot, princesse de Chine, adaptation de Charles Raymond (traduction
manuscrite), 1897.
La Comédie à Venise, introduction et choix d’Eugène Bouvy, Paris, La
Renaissance du livre (extraits du Roi-cerf, de La Femme serpent et de
Turandot), 1919.
La Princesse Turandot, traduction et adaptation de Jean-Jacques Olivier,
Paris, NRF – Répertoire du Vieux-Colombier, 1923.
Les Mendiants fortunés (traduction de Jean-Paul Zimmermann), La Chaux-
de-Fonds, Editions des Herbes folles, 1943.
Le Roi Cerf, de Pierre Barbier, d’après Carlo Gozzi, Paris, Bordas, 1947.
L’Oiseau vert, traduction de Xavier de Courville, in Comédie italienne, quatre
pièces traduites par Xavier de Courville, Paris, Club des libraires de France,
1957, p. 271-361.
Le Monstre turquin, traduction de Michel Arnaud, in Les Ecrivains célèbres,
Œuvres  –  Le Siècle des lumières, Goldoni, Gozzi, Paris, Editions d’art
Lucien Mazenod, 1959, p. 193-255.
L’Oiseau vert, traduction de Charles Bertin, Bruxelles, éditions Brépols,
1963 ; Cahiers du Rideau de Bruxelles, no 6, novembre 1977.
L’Oiseau vert, comédie fabuleuse d’après Gozzi, de Benno Besson, Lausanne,
L’Age d’homme, 1982 ; L’Avant-Scène, no 741, 1984.
Le Roi-cerf, adaptation de Claude Duneton, Martel, Editions du Laquet,
1997.
L’Amour des trois Oranges, traduction d’Eurydice El-Etr, Paris, La Délirante,
2009.
L’Oiseau vert, traduction de Françoise Decroisette, Strasbourg, Circé (sous
presse).

AUTRES TEXTES

Mémoires de Charles Gozzi, écrits par lui-même, traduction libre par Paul de
Musset, Paris, Charpentier, 1848.
Amours vénitiennes, I, Goldoni-Gozzi, traduction par Bernard Offner des
chapitres XLVII-XLIX de la IIe partie des Mémoires, Grenoble, Roissard,
1953, p. 75-151.
Mémoires inutiles. Chronique indiscrète de Venise au XVIIIe siècle, texte
français, introduction et notes par Nino Frank, Paris, Rencontre,
1970 (Paris, Phébus, 1987 ; 1989 ; 2002).
Le Théâtre comique à l’hôtellerie du Pèlerin tombé aux mains des
Académiciens Granelleschi (extraits), in C. Goldoni, Le Théâtre comique,
textes traduits, présentés et annotés par Ginette Herry, Paris, Imprimerie
nationale, 1990, p. 203-236.
Mémoires inutiles de la vie de Carlo Gozzi écrits par lui-même et publiés par
humilité, nouvelle traduction d’après l’édition vénitienne de  1797, sous la
direction de Françoise Decroisette, Paris, Alain Baudry et Cie, 2010.

ÉTUDES CRITIQUES EN LANGUE FRANÇAISE


SUR CARLO GOZZI

STAROBINSKI, Jean : “Ironie et mélancolie : Gozzi, Hoffmann, Kierkegaard”, in


Sensibilità e razionalità nel Settecento, édition établie par Vittore Branca,
Florence, Sansoni, 1967, p. 423-462.
LUCIANI, Gérard  : Carlo Gozzi ou l’Enchanteur dé senchanté , Presses
universitaires de Grenoble, 2001  (1re édition  : Carlo Gozzi, 1720-1806,
l’hom me et l’œuvre , Paris, Librairie Honoré Champion, 1977).
JONARD, Norbert  : “Les structures idéologiques de L’augellino belverde de
Carlo Gozzi”, in Cahiers d’histoire des littératures romanes, université de
Heidelberg, 1978, p. 1-20.
–  “Le merveilleux féerique dans le théâtre fiabesque de Gozzi”, in Forum
Italicum, 1981.
HERRY, Ginette : “La cité du comte Carlo”, in Goldoni à Venise. La passion du
poète, Paris, Librairie Honoré Champion, 2002, p. 77-103.
JOLY, Jacques : “La Turandot de Carlo Gozzi. Récit, fantasmes, allégorie”, in
Les Voies de la création théâtrale. Recherches sur les textes dramatiques et
les spectacles, du XVe au XVIIIe siècle, Paris, Editions du CNRS, 1980, p. 319-
346.
Dans Carlo Gozzi, entre dramaturgie de l’auteur et dramaturgie de l’acteur : un
carrefour artistique européen, numéro spécial de Problemi di critica
goldoniana, XIII, édité par Andrea Fabiano, Ravenne, Longo Editore,
2007, les articles suivants :
BUFFARIA, Pérette-Cécile : “Carlo Gozzi et la « réforme » du théâtre”,
p. 187-194 ;
COMPARINI, Lucie : “ « Cela est trop commode pour être séant. » Carlo
Gozzi traducteur de tragédies françaises dans la polémique théâtrale de
son temps”, p. 209-222 ;
SPARACELLO, Giovanna : “Aux origines du magique chez Gozzi. Les
canevas de magie de C.A. Veronese à la Comédie-Italienne de Paris
(1744-1759)”, p. 255-265 ;
HERRY, Ginette : “I pitocchi fortunati, les contes persans et Mesure pour
mesure”, p. 267-277 ;
MARTIN, Roxane : “Des Fiabe teatrali aux féeries théâtrales : quelle
continuité ?”, p. 291-301.
EL-ETR, Eurydice : “A la recherche du personnage tragique dans les Fiabe de
Carlo Gozzi (La Zobeide, La donna serpente, L’augellino belverde), in Le
Person nage tragique , actes du colloque dirigé par Myriam Tanant, Presses
de la Sorbonne Nouvelle, sous presse.

SUR L’HISTOIRE ET LA CULTURE DE VENISE

GOETHE, Johann Wolfgang von  : Voyage en Italie, Genève-Paris, Slatkine,


1990.
MONNIER, Philippe : Venise au XVIIIe siècle, Paris, Perrin, 1908.
JONARD, Norbert : La Vie quotidienne à Venise au XVIIIe siècle, Paris, Hachette,
1965.
DECROISETTE, Françoise : Venise au temps de Goldoni, Paris, Hachette, 1999.

SUR LA COMMEDIA DELL’ARTE

SAND, Maurice : Masques et bouffons (comédie ita lienne) , Paris, Michel Lévy
frères, 1860.
JONARD, Norbert : La Commedia dell’arte, Lyon, L’Hermès, 1982.
BOURQUI, Claude  : La Commedia dell’arte. Introduc tion au théâtre
professionnel italien entre le XVIe et le XVIIIe siècle , Paris, SEDES, 1999.

SUR LE THÉÂTRE ESPAGNOL

VITSE,Marc  : Eléments pour une théorie du théâtre espagnol du XVIIe siècle,


université de Toulouse-Le Mirail, France-Ibérie Recherche, 1988.
COUDERC, Christophe : Le Théâtre espagnol du Siècle d’or, 1580-1680, Paris,
PUF, 2007.
COLLECTION APPRENDRE

no 1 : Peter Sellars


Théâtre et histoire contemporains 1, coédition MC 93 et
CNSAD

no 2/3 : Les Conférences d’une saison russe


Théâtre et histoire contemporains 2, coédition MC 93 et
CNSAD

no 4  : De la parole aux chants, collectif, coédition CNSAD et Académie


expérimentale des théâtres

no 5 : Bailly/Lavaudant
Théâtre et histoire contemporains 3, coédition MC 93 et
CNSAD

no 6/7  : Instant par instant. En classe d’interprétation, par Philippe Adrien,


coédition CNSAD

no 8 : Avec Shakespeare, par Peter Brook

no 9 : Richard Foreman (abécédaire), par Anne Bérélowitch, coédition CNSAD

no 10 : Bernard-Marie Koltès, par Anne Ubersfeld, coédition


CNSAD

no 11 : Avec Brecht, par Peter Stein, André Steiger, Judith Malina, Stéphane
Braunschweig, Michel Deutsch, Matthias Langhoff  –  entretiens avec
Georges Banu et Denis Guénoun, coédition CNSAD et Académie
expérimentale des théâtres

no 12 : Théâtre : dernier refuge de l’imprévisible poétique, par Rezvani


no 13 : Epître aux jeunes acteurs pour que soit rendue la Parole à la Parole,
par Olivier Py, coédition CNSAD

no 14 : Le Training de l’acteur, collectif, coédition CNSAD et


CNT

no 15 : Théâtre-Equinoxes (Ecrits sur le théâtre – 1), par François Regnault

no 16 : Théâtre-Solstices (Ecrits sur le théâtre – 2), par François Regnault


no 17 : Le Cirque au risque de l’art, collectif

no 18 : Mon Tchekhov, par Peter Stein

no 19 : Avec Gabily, voyant de la langue, par Bruno Tackels

no 20  : Conversations sur la formation de l’acteur, par Jacques Lassalle et


Jean-Loup Rivière, suivi de Après de Jacques Lassalle (avec DVD du film
tiré de la pièce inclus), coédition CNSAD

no 21 : Paul Claudel, poète du XXe siècle, par Anne Ubersfeld

no 22 : Nouveaux territoires du dialogue, collectif, coédition


CNSAD

no 23  : L’Analyse-action, par Maria Knebel, adaptation d’Anatoli Vassiliev,


coédition ENSATT

no 24  : Anatoli Vassiliev  : l’art de la composition, par Stéphane Poliakov,


coédition CNSAD

no 25 : Entre deux silences, par Peter Brook


no 26 : Théâtres en présence, par Joël Pommerat

no 27 : Avec Grotowski, par Peter Brook

no 28 : Qu’est-ce que la dramaturgie ?, par Joseph Danan

no 29 : Une reine en exil, par Jean-Paul Chabrier


Ouvrage réalisé
par le Studio Actes Sud

Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako


www.isako.com à partir de l'édition papier du même ouvrage

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