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LITTERATURE FRANÇAISE II : DE LA LITTERATURE ENGAGEE A LA

POSTMODERNITE (S3 Master)

Exposé :

« Les chefs de file du Nouveau Théâtre »

Présenté par :

Asmae El Kotbi & Mohamed El Edrissi Reyahi

Année universitaire: 2018/2019


Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Plan

Introduction

Partie I : Les précurseurs du nouveau théâtre

1- Alfred Jarry (1873-1907)

2- Le théâtre surréaliste (Apollinaire, Tzara, Vitrac, Artaud)

3- Franz Kafka (1883- 1924)

Partie II : Chefs de file du nouveau théâtre

1- Samuel Beckett (1906- 1989)

2- Eugène Ionesco (1909- 1994)

3- Arthur Adamov (1908-1970)

Partie III : Quelques autres auteurs du nouveau théâtre

1- Jean Genet (1910-1986)

2- Jean Tardieu (1903- 1995)

3- Robert Pinget (1919- 1997)

4- Boris Vian (1920- 1959)

Conclusion

Bibliographie

1
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Introduction
Dans une perspective qui tente de brosser un tableau des précurseurs et des fondateurs

du théâtre de l’absurde ; ainsi que d’autres auteurs qui s’inscrivent dans le prolongement de

ce phénomène théâtral du début du 20ème siècle, cet exposé s’inscrit dans la continuité de la

présentation du nouveau théâtre, entamée préalablement par notre professeur et nos

collègues.

Nous commencerons notre présentation par une citation de Jean-Paul Sartre qui - tout

en évoquant les pères fondateurs du nouveau théâtre, à savoir Beckett, Ionesco et Adamov

dont il apprécie la nouveauté – précise :

« On les a appelés les auteurs du théâtre de l’absurde. Cette appellation est


elle-même absurde, parce qu’aucun d’eux ne considère la vie humaine et le monde
comme une absurdité […]. Ce qu’ils représentent en vérité, c’est, soit par des
conflits intérieurs, soit par des oppositions réciproques, l’incandescence des
contradictions qui sont au fond de l’art théâtral. »1

Sous ce label de nouveau théâtre s’affichent aussi d’autres contemporains tels que

Genet, Tardieu, Vian, Pinget ou Arrabal. Des auteurs qui marquent la rupture avec les normes

théâtrales de l’époque mais qui stipulent en même temps que « le Nouveau Théâtre n’est pas

et ne pourra jamais être un mouvement littéraire ni une école ».

La vision de la condition humaine aliénée et absurde que propose la scène des années

50 trouve une source importante dans les philosophies de l’existence de Søren Kierkegaard,

de Martin Heidegger, de Karl Jaspers, de Jean-Paul Sartre et d’Albert Camus, mettant en

évidence, chacune à sa manière, l’étrangeté à soi-même et aux autres comme dimension de

l’être perdu dans un monde absurde, privé de sens et de finalité.

Du point de vue scénique, les écritures dramatiques d’Eugène Ionesco, de Samuel

Beckett et d’Arthur Adamov rejoignent des traditions fort anciennes telles celles du cirque,

1
Jean-Paul SARTRE, Mythe et réalité du théâtre, Un théâtre de situation, Paris, Gallimard, p.167

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

du music-hall, du cinéma muet, des clowneries et des scènes burlesques, de la littérature de

rêve et d’imagination. Elles sont les héritières spirituelles d’Alfred Jarry, de Guillaume

Apollinaire, des dadaïstes, des expressionnistes allemands et des surréalistes, pour ne

nommer que les précurseurs les plus représentatifs.

Sous trois volets distincts mais reliés, nous allons voir les précurseurs du Nouveau

Théâtre qui ont pu mettre en place une nouvelle dramaturgie de par sa forme et son contenu.

Une deuxième partie sera consacrée aux chefs de file qui ont instauré cette écriture et lui ont

assuré de la notoriété sur la scène artistique et littéraire vers la moitié du 20ème siècle. Nous

conclurons par les figures qui ont permis la postériorité de ce mouvement dans la littérature

française.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Partie I : Les précurseurs

Alfred JARRY (1873-1907)

Alfred Jarry est né à Laval, ville de l’ouest de la France, le 8 septembre 1873 et mort à

Paris, le 1er novembre 1907. Il est non seulement poète, romancier, écrivain et dramaturge

français, mais il fut aussi dessinateur et graveur.

La publication d’Ubu Roi, le 10 décembre 1896, constitue un événement majeur pour la

genèse du nouveau théâtre. La pièce dont le titre fait allusion à Œdipe roi n’est à l’origine

qu’une farce agressive et subversive. Sans vraisemblance ni profondeur, elle met en jeu, sur

le mode parodique, des personnages réduits à l’état de pantins.

Pour dénoncer la corruption et la bêtise humaine, Alfred Jarry n’hésite pas à dépasser

les bornes de la bienséance. Vicieux, puérils, grossiers, Père Ubu et Mère Ubu se comportent

comme des « sales gosses » prêts à tout faire pour accéder au trône et profiter de ses

privilèges. La violence et le meurtre ne sont qu’un jeu amusant pour eux.

Lors de sa création en 1896, la scatologie et les blagues potaches étaient des ingrédients

inhabituels au théâtre. En outre, l’auteur tentait de sortir du cadre traditionnel. Jetons un coup

d’œil sur l’extrait suivant, situé au début de la pièce Ubu Roi :

Acte I, Scène I (Père Ubu, Mère Ubu)


PÈRE UBU
Merdre.
MÈRE UBU
Oh ! Voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.2
Il est tout à fait normal que cela ait créé un scandale à l’époque : « Merdre ! ». Sitôt le

premier mot lâché, la salle avait sifflé, hué, protesté. Dès la première représentation d'Ubu

Roi, ce mot donne le ton de ce que l'on pourrait appeler la première couche du vocabulaire de

cette série de saynètes dans lesquelles Jarry et ses camarades se moquaient de leur professeur

2
Alfred JARRY, Ubu Roi, Editions Gallimard, 2002, p. 7.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

de physique. Le comique de ces petites pièces, comme il convient à l'âge de leurs jeunes

auteurs, est basé sur des situations scabreuses et grossières où dominent les images

scatologiques, images qui devinrent pour Jarry le symbole de tout ce qu'il y a de bestial dans

la condition humaine.

Chez Jarry, les pulsions brutes (ambition, méchanceté, cupidité, goinfrerie, lâcheté…)

se déchaînent de façon intemporelle. Le dialogue multiplie les calembours : « La Vénus de

Capoue a des poux », les approximations : « Les oneilles, le cheval à phynances », les

néologismes et les archaïsmes : « La bouzine, la gidouille », ainsi que les provocations

scatologiques, comme nous l’avons déjà souligné, parmi lesquelles sonne comme un défi le

merdre inaugural, « définition excrémentielle de la condition humaine ».

Pour les calembours, on peut citer à titre d’exemple, afin de clarifier ce dont on vient de

parler ci-dessus, un autre extrait, toujours d’Ubu Roi :

MÈRE UBU
Il faut la prendre par la douceur, sire Ubu, et si vous la prenez ainsi vous verrez
qu'elle est au moins l'égale de la Vénus de Capoue.
PÈRE UBU
Qui dites-vous qui a des poux ?3

Considéré comme précurseur du mouvement surréaliste et du théâtre de l'absurde, Jarry

y mêle provocation, absurde, satire, parodie et humour gras. Ubu roi donne une image

absurde de l’homme en faisant du protagoniste Ubu l’incarnation terrifiante de la grossièreté

et de la cruauté. Par cette volonté d’en finir avec le réalisme en recourant à la marionnette ou

au masque, Jarry manifeste son désir de dynamiter l’art et le mensonge en bousculant le

conformisme du public bourgeois :

« Avec la geste d’Ubu, Jarry invente un langage dramatique qui sape la


vraisemblance, fondement habituel du théâtre, et qui affirme un caractère
subversif. La négation radicale de la logique inhérente au spectacle traditionnel

3
Ibid., p. 108.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

préfigure les refus des théâtres de l’absurde. Ce n’est pas un hasard si Ionesco et
Boris Vian se réclament tous les deux du fondateur du collège de pataphysique.4»

Le théâtre surréaliste

L’influence du surréalisme est encore flagrante et peut être apparentée aux figures des

précurseurs. Dans les années 20, ayant vécu l’absurdité de la première guerre mondiale, les

dadaïstes, puis les surréalistes prônent déjà, une esthétique proche de celle de l’absurde.

Rejetant les valeurs esthétiques et morales de la bourgeoisie, ils expriment avec une violence

pleine de dérision leur volonté d’en finir avec les conventions théâtrales.5 Le premier nom qui

figure dans cette liste est Guillaume Apollinaire.

Guillaume APOLLINAIRE (1880-1919)

Les Mamelles de Tirésias firent un scandale analogue à celui d’Ubu Roi, d’Alfred Jarry,

le 24 juin 1917 lors d'une représentation au conservatoire Maubel. Apollinaire exprime son

désir d’« un art plus réel que la réalité » à travers ce drame surréaliste. Pour lui : « Quand

l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. »

Tant par sa forme que par son sujet, cette pièce s'oppose au théâtre conformiste du

temps d’Apollinaire. Alors que la France est déchirée par la guerre, le dramaturge écrit une

pièce joyeusement loufoque et subversive, dont la morale est toute simple : « Cher public,

faites des enfants ! ». Apollinaire écrit dans la préface des Mamelles de Tirésias :

« Le sujet est si émouvant à mon avis, qu'il permet même que l'on donne au
mot drame son sens le plus tragique, mais il tient aux Français que, s'ils se
remettent à faire des enfants, l'ouvrage puisse être appelé, désormais, une farce.
Rien ne saurait me causer une joie aussi patriotique. »6

4
Michel PRUNER, Les théâtres de l’absurde, Armand Colin, 2005, p.14.
5
Ibidem.
6
Guillaume APOLLINAIRE, Les mamelles de Tirésias, Editions SIC, Paris, Préface, p. 13.

6
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Tristan TZARA (1896-1963)

Apporté de Suisse par Tristan Tzara, le Dadaïsme se lance dans la provocation, la

dérision et le goût de l'absurde. La révolte contre une société et une civilisation qui ont

produit l'horrible boucherie de la guerre. Michel Corvin écrit dans un article intitulé Le

théâtre Dada existe-t-il ?:

« N’admettant ni les formes d’art ni les modes de pensée qui trahissent la


vie, le mouvement Dada se sert du spectacle théâtral pour affirmer son rejet de la
culture, dénonçant « cette bourgeoisie triomphante qui vient, pendant cinq ans de
guerre, de donner la preuve de son hypocrisie et de son mépris des valeurs
humaines.7 »

Les pièces théâtrales de Tristan Tzara renforcent l’esprit dada qui voulait faire table

rase de la logique et de toute valeur traditionnelle. Choquer le public bourgeois en s’en

prenant à ses habitudes artistiques et à son confort intellectuel. Dada pousse l’esprit de la

négation jusqu’à la cruauté :

« Tuer, tuer / Vous qui avez la force de donner la mort, / je vous embrasse.
Allez. / Destruction de ce qui est beau et bon et pur, / Car le beau, le bon et le pur
sont pourris / Il n’y a plus rien à faire de toute cette pourriture.8 »

Roger VITRAC (1899-1952)

Eprouvé du surréalisme, Vitrac admirait l'œuvre d'Alfred Jarry dont plus tard, il allait

faire le parrain du seul théâtre révolutionnaire de l'entre-deux guerres. Vitrac pensait réunir

ses premières pièces sous le titre général : « Le Théâtre de l'Incendie ». Les œuvres qui en

auraient fait partie sont les suivantes :

Le Peintre, vaudeville poétique et cruel, est une farce d'une grande cocasserie, publiée

en 1930.

7
Michel CORVIN, « Le théâtre dada existe-t-il ? », in Revue d’histoire du théâtre, 1971-3, p. 220.
8
Georges RIBEMONT-DESSAIGNES, L’Empereur de Chine, Acte III, sc. 8, Gallimard, 1966, p. 118.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Mademoiselle Piège, est une sorte de « poème conversation » transposé au théâtre.

C'est un « fragment » dialogué que certains partisans de l'anti-théâtre ont rêvé de reproduire

bien des années après. Il n'y a bien sûr pas d'argument. Le lecteur peut y voir une tentative

d’imitation des conversations parcellaires. Brèves, les répliques se succèdent rapidement car

les interlocuteurs savent de quoi il s'agit. Le lecteur doit alors deviner des phrases qu'il saisit

mais qui ne lui sont pas adressées.

Le Poison, drame sans paroles, est un essai d'un tout autre genre. Le dialogue y

disparaît au profit du « drame sans paroles ».Tout y est visuel, calculé pour dérouter le

spectateur.

Entrée libre, qui impose le rêve comme matière théâtrale, est un drame inédit en un acte

et sept tableaux est, à la date (28 novembre 1922), la première tentative de théâtre totalement

surréaliste.

Les Mystères de l'Amour, dont le texte fut publié en 1924, représente, en quelque sorte,

un sommet du théâtre surréaliste. L’auteur y intervient lui-même pour justifier sa propre

écriture :

Patrice._ Faites un théâtre sans paroles.


L’auteur._ Mais, Monsieur, ai-je eu quelquefois l’intention de faire
autrement ?
Patrice._ Oui, vous avez mis des mots d’amour dans la bouche.
L’auteur._ Il fallait les cracher.9
Un autre nom surréaliste est Antonin Artaud, qui sera expulsé plus tard du mouvement

par André Breton.

Antonin ARTAUD (1896 - 1948)

L’expérience d’Artaud s’installe également sous les augures de l’inventeur d’Ubu Roi.

Il a fait ses débuts d’acteur avec Lugné-Poe, puis il a joué chez Dullin. Militant surréaliste

9
Roger VITRAC, Les Mystères de l’amour, Théâtre II, Gallimard, 1948, p. 56.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

exclu du mouvement par André Breton en 1928, Artaud a pu développer à travers ses écrits,

sa propre conception d’un Théâtre de la Cruauté. Les quatre spectacles montés dans le

Théâtre Alfred Jarry se singularisent déjà par leur refus de mimésis.

En rupture avec le théâtre surréaliste, Artaud entend introduire sur scène l’irrationnel et

le refoulé. Ainsi il aspire à une réalité théâtrale susceptible de rendre compte des contrées

secrètes de l’homme et de la pensée.

Contraint à mettre fin à l’expérience du Théâtre Alfred Jarry pour des motifs financiers,

Artaud continue l’élaboration de ses théories dramatiques dans plusieurs textes qu’il réunit en

1938 sous le titre : Le Théâtre et son double. Il y définit les fondements du nouveau théâtre et

y précise la conception. Il rêve ainsi d’un langage spécifiquement scénique, où les limites du

texte et de la psychologie ne tiennent plus place :

« Je dis que la scène est un lieu physique et concret, qui demande qu’on le
remplisse, et qu’on lui fasse parler son langage concret. Je dis que ce langage
concret, destiné aux sens et indépendant de la parole doit satisfaire d’abord les
sens […] et que ce langage physique et concret n’est vraiment théâtral que dans la
mesure où les pensées qu’il exprime échappent au langage articulé »10

Franz KAFKA (1883 – 1924)

Ecrivain pragois de langue allemande, Kafka n’a laissé qu’un fragment dramatique,

Le Gardien du tombeau, première scène d’une pièce inachevée. Il a toujours été attiré par le

théâtre et ses romans comme ses nouvelles ont une théâtralité qui a tenté plusieurs

adaptateurs. Par ses fictions qui confrontent l’individu à un univers inhumain plein d’anxiétés

et de culpabilités, Kafka a exercé une influence considérable sur les dramaturges du Nouveau

Théâtre.

10
Antonin ARTAUD, Le Théâtre et son double, Gallimard, p. 56-57

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

L’angoisse métaphysique provoquée par la confrontation de l’homme au mystère de

l’existence et son incapacité à la surmonter trouve écho dans l’œuvre d’Eugène Ionesco. Ce

dernier laisse même percevoir ses propres interrogations :

« Ce thème de l’homme égaré dans le labyrinthe, sans fil conducteur, est


primordial dans l’œuvre de Kafka : si l’homme n’a pas de fil conducteur, c’est que
lui-même ne voulait pas en avoir. D’où son sentiment de culpabilité, son angoisse,
l’absurdité de l’histoire […] qu’on le veuille ou non, ceci révèle le caractère
profondément religieux de tout Kafka ; coupé de ses racines religieuses ou
métaphysiques, l’homme est perdu, toute sa démarche devient insensée, inutile,
étouffante. »11

11
Eugène IONESCO, Notes et Contre-notes, Gallimard, p. 344

10
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Partie II : Chefs de file du nouveau théâtre

Samuel BECKETT (1906-1989)

Prônant pour une métaphysique de l’absurde, Samuel Beckett est né dans la banlieue de

Dublin le 13 avril 1906. Il a eu une enfance paisible, marquée par la piété profonde de sa

mère. Dès l’adolescence, il manifeste son intérêt pour la littérature. En 1923, il entre au

Trinity collège, une des meilleures universités irlandaises. Il y fait un brillant parcours et se

destine à une carrière de professeur de langues romaines où il commence à s’intéresser au

théâtre.

Durant l’été 1926, il voyage en France pour la première fois. Il y fréquente pendant

deux ans un milieu intellectuel et anticonformiste qui le détache définitivement du rigorisme

et de la foi de son enfance. C’est là aussi qu’il fait la rencontre du grand écrivain irlandais

expatrié James Joyce, dont il devient le secrétaire et l’ami.

Les Beckett faisaient partie des Irlandais protestants relativement sévères. La mère

désapprouvait Sam qui traînait à travers l’Europe et qui avait beaucoup de femmes et

beaucoup d'alcool dans sa vie. A la fin de ses études, il a été intégré comme professeur de la

littérature française à l’université de Dublin, mais son comportement non-conformiste lui a

valu son poste.

Après avoir quitté son travail, il s'est enfermé dans sa chambre, refusant de sortir et de

communiquer. Beckett présentait des symptômes inquiétants de dépression et de troubles

respiratoires. Son médecin et condisciple de Trinity collège lui a expliqué que ses troubles

physiques étaient psychopathiques et lui a conseillé de quitter Dublin pour Londres afin

d’entreprendre une véritable psychanalyse. Beckett prend alors une décision capitale, celle de

quitter sa patrie, sa mère et sa langue.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

L’Irlande de la jeunesse de Beckett, des années 20 et du début des années 30, était un

pays répressif et retardataire. Cependant, il a donné naissance à de grands artistes et écrivains

qui ont tous quitté l’Irlande : Oscar Wilde (1854 – 1900), Georges Bernard Shaw (1856 –

1950). En 1937, Beckett revient à Paris où il écrit son premier roman Murphy, publié à

Londres l’année suivante. Et qui connaît un succès d’estime.

Le 7 Janvier 1938, un « malfaiteur » le poignarde dans la rue. Quand il demandera à

son agresseur les raisons de son geste, ce dernier répondra tout simplement : « Je ne sais pas

Monsieur ». Une réplique qui hantera longtemps l’esprit de Beckett et qui deviendra par la

suite sa devise théâtrale. Transporté à l’hôpital avec un poumon perforé, il reçoit

régulièrement les visites d’une ancienne amie, Susanne Dumesnil, qu’il épousera longtemps

après.

La déclaration de guerre en Irlande le surprend au moment où il rendait visite à sa mère.

Il regagne aussitôt la France et dès le début de l’occupation allemande, s’engage dans la

résistance. Il échappe de peu à la Gestapo après l’arrestation des membres de son réseau et se

réfugie dans le Vaucluse. C’est la figure du clochard beckettien porteur d’une interrogation

sans fin sur l’absurdité de la condition humaine apparaît dans son deuxième roman Watt « un

simple jeu, un moyen de ne pas devenir fou, de garder la main ».

A l’automne de 1945, il revient à Paris où Il se consacre entièrement à l’écriture. Se

succèdent dès lors récits et romans : Premier amour (1946), Mercier et Camier (1946),

Molloy (1947), Malone meurt (1947) et l’Innombrable (1949).

Il aborde l’écriture théâtrale avec Eleuthéria (1947) qui restera longtemps inédite et

écrit en 1948 En attendant Godot, pièce qui lui vaut l’enthousiasme de quelques lecteurs,

dont Tristan Tzara. Cependant, personne ne pouvait prendre le risque de monter et produire

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

un ouvrage aussi inclassable, on attendra cinq ans avant de la voir représentée sur scène avec

Roger Blin et Jean-Marie Serreau le 5 Janvier 1953, au théâtre de Babylone.

Réception mémorable : chahuts dans la salle et scandale immédiat. Très vite pourtant le

succès est immense, plus de 400 représentations, c’est le premier triomphe du théâtre de

l’absurde.

Beckett devient célèbre grâce à cette pièce qu’il traduit lui-même en anglais et qui sera

jouée à New York en 1956. Sa seconde pièce Fin de Partie, écrite dans la douleur de la perte

de son frère, est publiée en 1957. Elle est créée à Londres en Français, puis jouée dans le

monde entier : nouveau triomphe. Les chefs-d’œuvre se succèdent alors. Beckett écrit pour la

scène : La Dernière Bande (1957), Oh les Beaux Jours (1963), Comédie (1965), pour la

radio : Tous ceux qui tombent (1956), Paroles et musiques (1962), pour le cinéma : Film

(1965) et aussi pour la télévision : Dis Joe (1965). La consécration officielle de Beckett est le

prix Nobel de littérature en 1969. Il accepte le prix mais refuse de se rendre à Stockholm –

qualifiant de « foutu jour » celui de sa consécration, qui fait de son œuvre une nouvelle proie

de la recherche universitaire.

Ses dernières productions étaient caractérisées par la brièveté et la concentration

extrême, en témoignent les pièces regroupées sous le titre ironique de Dramaticules (1982) :

Solo, Bercuse et Cette fois, ainsi que les ultimes récits : Compagnie, Mal vu mal dit et Cap

au pire.

Fragile de longue date, sa santé se détériore. Samuel Beckett meurt quelques jours

avant Noël, le 22 décembre 1989.

L’écriture romanesque semble tendre vers une impasse pour Beckett, elle ne permet pas

aux personnages d’échapper à l’enfermement définitif. Or, sur scène, ils trouvent un espace

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

où ils peuvent encore exister. Le geste selon Beckett permet d’aller plus loin que la parole.

On joue de la présence physique de l’acteur pour explorer le silence, dont il chronomètre de

façon précise les durées. Beckett avait une conception précise au sujet de la représentation

qui était pour lui d’une importance capitale. On raconte, qu’un jour, il a dit à Billie Whitelaw,

son actrice préférée : « Billie, est-ce qu’au lieu des trois points de suspension tu peux faire

deux ? »

Il n’est pas exagéré de dire que Beckett, s’il est devenu incontestablement le mythe

littéraire du vingtième siècle, c’est avant tout grâce à son œuvre dramatique. L’absurdité de la

condition humaine est probablement le thème principal des pièces de Beckett et de tous ceux

qui s’alignent avec lui. En effet, l'œuvre de Beckett est traversée par une pensée essentielle et

récurrente : la tragédie de la naissance et l'obscurité de la condition humaine : « Vous êtes sur

terre, c'est sans remède », dit le personnage de Hamm dans Fin de partie.

Eugène IONESCO (1909- 1994)

Ionesco est né le 26 Novembre 1909 à Slatina, en Roumanie, d’un père roumain et

d’une mère française. Quatre ans plus tard, sa famille s’installe à Paris, il avait un an et demi.

En 1918, son père retourne à Bucarest pour y exercer son métier d’avocat, l’enfant se

retrouve seul avec sa mère. Très jeune, il se passionne pour le théâtre de Guignol. A 10 ans, il

écrit son premier scénario, qui dénote déjà de la violence de la première guerre mondiale. Le

divorce de ses parents le contraint à retourner en Roumanie en 1925. Le déchirement affectif

se double du choc culturel : « Enfance heureuse à Paris et une adolescence triste à

Bucarest ».

Tout en poursuivant ses études, Ionesco se lance dans l’écriture sous diverses formes :

nouvelles, essais et poèmes : « J’ai écrit toute ma vie, dit-il, je n’ai jamais rien su faire

d’autre ».

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Après l’obtention de sa licence de Français à l’université de Bucarest, il déclenche un

scandale en publiant un texte Non qui met à nu trois figures de la littérature roumaine : deux

poètes et un romancier qui les décrit comme « les fades imitateurs de la littérature

française ».

Ionesco affirme dès cette époque son déclin de la logique et son goût pour l’absurde.

Influencé par ses lectures, il découvre Flaubert, Jarry, Kafka, du surréalisme mais aussi du

futurisme et de de l’esthétique de Benedetto Croce.

En 1938, il se rend à Paris afin de préparer une thèse sur « le thème du péché et de la

mort dans la poésie française depuis Baudelaire », or ce projet n’aboutira pas.

Contraint à regagner la Roumanie après l’éclatement de la guerre en 1940, il est choqué

par l’état du pays, proie au chaos et à la nazification, Ionesco évoque alors le terme de « la

rhinocérite » : la perte de l’humanité et du sens commun de la morale. Le conformisme ou les

idiologies rendent l’homme bête :

« Les policiers sont rhinocéros, les magistrats sont rhinocéros […] C’est
comme un péché de ne pas être rhinocéros […] Voici un slogan rhinocérique, un
slogan « d’homme nouveau » qu’un homme ne peut comprendre : tout pour l’Etat,
tout pour la Nation, tout pour la Race. Cela me parait monstrueux. »12

En 1942, Ionesco revient définitivement en France, s’installe à Marseille d’abord puis à

Paris. Il fréquente des milieux littéraires et des galeries de peinture, écrit des articles

antifascistes sans pour ainsi penser au théâtre. Voici un autre extrait du livre que je viens de

citer :

« Je n’y goûtais aucun plaisir, je ne participais pas. Le jeu de comédiens me


gênait […] la représentation théâtrale n’avait pas de magie pour moi. Tout me
paraissait un peu ridicule, un peu pénible. […] Quand n’ai-je plus aimé le

12
Eugène Ionesco, Présent passé Passé présent, Mercure de France, 1968, p. 114.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

théâtre ? A partir du moment où, devenant un peu lucide, acquérant l’esprit


critique, j’ai pris conscience des ficelles, des grosses ficelles du théâtre, c’est-à-
dire à partir du moment où j’ai perdu toute naïveté »13

Entre 1948 et 1949, Eugène écrit La Cantatrice chauve, une pièce qui devient

emblématique de l’absurde : « Une parodie de pièce, une comédie de la comédie ».

C’est en publiant en 1958, la pièce de Rhinocéros, qu’il reçut une consécration plus

affirmée, la pièce sera joué dans le Théâtre national, puis Le roi se meurt (1962) le rendent

célèbre dans le monde entier.

A la fin de sa vie, Ionesco se tourne vers la peinture et expose en France, en Allemagne,

en Suisse, en Angleterre et aux Etats-Unis. Après plusieurs attaques de diabète, sa santé

s’altère et il meurt à Paris, le 28 mars 1994.

Avec Samuel Beckett, Ionesco est considéré comme le véritable père fondateur du

Nouveau Théâtre. Il laisse une œuvre abondante de plus de 25 pièces.

Ses premières pièces sont une protestation contre le conformisme de la bourgeoisie et

du théâtre classique. Des « anti-pièces » anti-conformes qui mettent en scène un « drame

comique » ou des « farces tragiques », (La cantatrice chauve, dont le dénouement déroutant,

indique que les êtres et les personnages sont interchangeables, dans cet univers absurde et

ennuyeux. La Leçon, à travers laquelle Ionesco révèle sa conception de l’homme et du

monde, marquée par l’absurdité des événements de la première moitié du XXème siècle, à

savoir les deux Guerres mondiales. Les Chaises, pièce qui interroge le sens de la vie et les

mystères de la création.

13
Eugène IONESCO, op. cit, p. 47.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Ciblant le langage comme expression commune de tous les rapports humains, Ionesco

tourne en dérision les conventions et le conformisme dramaturgique. Aussi, le rire lui permet

de dépasser la faillite de la logique et de dénoncer une société submergée par le matériel.

Très vite, l’œuvre se transforme en exploration « des hauts-fonds de la conscience ».

Jacques ou la Soumission (1950), Victimes du devoir (1952), Amédée ou Comment s’en

débarrasser (1953), Le Nouveau Locataire (1953) se présentent comme des rêves

monstrueux dévoilant les obsessions et les angoisses de l’auteur face à l’absurdité de

l’existence.

« Le théâtre est pour moi la projection sur scène du monde du dedans : c’est
dans mes rêves, dans mes angoisses, dans mes désirs obscurs, dans mes
contradictions intérieures que, pour ma part, je me réservé le droit de prendre
cette matière théâtrale. »14

Ionesco met en jeu l’affrontement de l’individu à la société sous tous ses aspects. Dans

Tueur sans gages (1959), le personnage se heurte à l’absurdité des discours politiques et à

l’indifférence de la société face à la sottise, il prend le relais d’un tueur insaisissable qui

terrorise un univers paradisiaque.

Dans Rhinocéros (1960), le personnage est confronté à l’idéologie et à sa concrétisation

mortelle. Dans Le roi se meurt (1962), in affronte sa propre mort. Dans La Soif et la Faim

(1964), on assiste à un emboîtement composite des scènes oniriques.

Ionesco défend une morale de l’individu détruit par un univers dépourvu de sens, il

témoigne ainsi d’un humanisme que ses premières pièces ne laissaient guère apparaître. Ses

angoisses deviennent les nôtres :

14
Eugène IONESCO, L’Impromptu de l’Alma, Théâtre complet, La Pléiade, Gallimard, p. 465

17
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

« La mort n’est ni bourgeoise ni socialiste. Ce qui vient du plus profond de


moi-même, mon angoisse la plus profonde est la chose la plus populaire. »15

Le théâtre d’Ionesco donne un paradoxe particulier. Comique en apparence et reposant

sur le « grossissement des effets », ce théâtre se révèle profondément tragique. En se référant

à l’aveu de l’auteur, tout y est poussé au paroxysme. Ionesco dénonce le langage qui, n’étant

pas dépositaire de lui-même, « entraîne dans sa déroute les plus sûres croyances de l’esprit

logique ». Ne pouvant donner un sens au non-sens, il se résume à ce que Mallarmé nommait

une « inanité sonore ». Ionesco exprime avec une grande lucidité, l’amer paradoxe que

constitue son théâtre douloureusement comique :

« Pendant des années, cela me consolait un peu de dire qu’il n’y a rien à
dire. Maintenant, j’en suis trop convaincu et cette conviction n’est plus
intellectuelle ni psychologique ; elle est devenue une conviction profonde,
physiologique, qui a pénétré dans ma chair, dans mon sang, dans mes os. Cela me
paralyse. L’activité littéraire n’est plus un jeu, ne peut plus être un jeu pour moi.
Elle devrait être un passage vers autre chose. Elle ne l’est pas. »16

Arthur Adamov est le troisième père fondateur que nous allons aborder dans le cadre de

notre exposé.

Arthur ADAMOV (1908-1970)

Né à Kislovotsk (Caucase) le 23 août 1908, ses parents possédaient une bonne partie

des pétroles de la Caspienne, c’est ce qu’il a lui-même affirmé dans son écrit L’Homme et

l’Enfant (1968). D’origine russo-arménienne, Adamov appartient lui aussi, à cette génération

d’écrivains dont l’enfance était partagée entre deux mondes, et qui ont choisi, au lendemain

de la seconde guerre mondiale, de s’installer et vivre en France.

15
Ibid., p. 311
16
Eugène IONESCO, Le Piéton de l’air, Théâtre complet, La Pléiade, Gallimard, p. 671

18
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Adamov passe sa première enfance à Bakou : « Je revois ses boulevards aux arbres

espacés et maigres, les ouvriers musulmans du port, les ongles peinturlurés, effrités, torse nu,

la mer sale ». Eprouvant la peur de devenir adulte « Je ne veux pas grandir […] Ce n’est pas

par hasard si j’ai eu tant de mal à me comporter en homme à l’âge d’homme. J’ai voulu me

suicider à vingt ans, puis à trente, puis avant d’atteindre la quarantaine ». Adamov

développe un sentiment de culpabilité qui le pourchassera toute sa vie pour aboutir à

l’impuissance et à des pratiques masochistes.

En 1914, la déclaration de guerre surprend la famille Adamov en villégiature à

Freudenstadt, en forêt noire. Elle fuit l’internement et se réfugie en Suisse jusqu’à la fin de la

guerre. Arthur y fait ses premières études. Pour les Adamov, expropriés de leurs puits de

pétrole par les soviets, c’est la fin de l’âge d’or. Ils survivent dans le milieu fermé de la

colonie russe de Genève. Le jeune Arthur découvre le théâtre chez les Pitoëff, eux aussi en

exil. Son séjour en Suisse lui laisse un souvenir amer de sa condition d’étranger, d’exilé :

« On nous nomme « macaques », on nous accuse de manger le pain suisse ». Dans L’Homme

et l’Enfant, il dénonce cette « Xénophobie » poussée d’un pays auquel il vouera une haine

tenace.

C’est en 1922 que les Adamov décident de s’installer en Allemagne. Endetté, le père

joue. Arthur âgé alors de 14 ans était contraint d’aller le chercher chaque nuit dans les casinos

et nourrit à son égard une profonde rancune.

L’Allemagne met fin à l’inflation en 1924. Les familles russes prennent le chemin de la

France. S’installant d’abord à Paris puis à Bourg-la-Reine. Les Adamov mettent leur fils au

lycée Lakanal comme interne. Souvent absent, il est renvoyé. Il fréquente alors la bohème

artistique et littéraire et publie son premier article « Vive l’anarchie » dans un journal de cette

couleur. Les conquêtes féminines le préoccupent à tel point qu’il se livre au théâtre.

19
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Convaincu que « Le meilleur moyen de connaitre une fille est de faire le théâtre », Adamov

écrit sa première pièce, Mains Blanches.

« Mains Blanches dure cinq minutes. Une fille montée sur une chaise prend
la main d’un garçon également monté sur une chaise, la lâche, la reprend. Le
théâtre de la séparation déjà »17

Adamov passe ses nuits au Dôme. Il se lie d’amitié avec Roger Blin, Giacometti et

Artaud, lequel lui fait découvrir Strindberg dont il met en scène Le Songe, première

manifestation du « théâtre de la cruauté ». Ces rencontres sont décisives. A la même époque,

il a la révélation de son impuissance sexuelle. Il se livre à des rites nocturnes accompagnés

d’un symbolique personnelle pour exorciser la peur et essayer sans succès de surmonter sa

névrose. Il tente même de se suicider en se jetant sous un taxi mais se relève in extremis.

En Janvier 1933, un événement capital le bouleverse : Son père s’empoisonne au

gardénal. Une dette de jeu ou la peur d’un avenir fermé ? Le jeune Arthur ce sent

responsable : « Je dormais cette nuit-là dans ma chambre, tout près de la sienne, et ne me

doutais de rien […] je détestais mon père, c’est donc moi qui l’ai tué ». Une culpabilité qui

l’accompagnera toute sa vie et qu’il ressassera à l’infini dans ses pièces.

1940, l’exode. Adamov se retrouve à Marseille sans le sou. Il vend des journaux à la

criée et prend l’habitude de boire. En mai 1941, il est arrêté pour avoir des « propos hostile

au gouvernement de Vichy ». Déporté au camp de concentration d’Argelès, il sera libéré

quelques mois plus tard. De retour à Marseille puis à Paris en Janvier 1942, il apprend la mort

de sa mère par la tuberculose.

A la libération, la découverte des camps d’extermination des fours crématoires le rend

« honteux […] de ne pas avoir fait la résistance ». Cependant, il évolue politiquement avec

17
Arthur ADAMOV, L’homme et l’enfant, Gallimard p. 31

20
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

son adhésion au communisme, pour lui une adhésion qui s’apparente parfaitement avec la

sensation du tragique et de l’absurde où est plongé le siècle.

Cet engagement va influencer sa plume. L’écriture d’Adamov ne va plus être la même.

La fréquentation de Roger Blin, celle de Jean Vilar, de même que la révélation des pièces de

Camus et de Sartre, notamment de Huis Clos, pousse Arthur à l’écriture théâtrale. Se

détachant de ce qu’il nomme son « no man’s land pseudo poétique ». Il porte à la scène ses

angoisses et la terreur que lui inspire la vie sociale. Fortement impressionné par Strindberg

sur lequel il a écrit une étude suggestive, il commence à découvrir dans son entourage une

matière dramatique par excellence « Je crois bien que c’est Strindberg, ou plus exactement

Le songe, qui m’a incité à écrire pour le théâtre. »

En 1947, Adamov écrit sa première pièce La Parodie. Dans L’Homme et l’Enfant, il

rapporte l’anecdote qui lui en a inspiré l’idée : l’évidence de la solitude humaine se dégage

d’un incident insignifiant :

« A la sortie du métro Maubert-Mutualité, un aveugle mendie. Deux


midinettes passent, fredonnant la rengaine bien connue : « j’ai fermé les yeux,
c’était merveilleux ». Elles ne voient pas l’aveugle, le bousculent, il trébuche. Je
tiens l’idée de la pièce que je veux écrire. »18

La Parodie est un cri de révolte, une mise en accusation du monde moderne. Ce qui

frappe c’est l’utilisation d’un matériau théâtral qui fait intervenir le geste autant que la parole

et qui met en jeu toutes les ressources insignifiantes de la scène : bruits, éclairages, décors

schématisés … Dans son Avertissement, Adamov souligne son désir de faire du théâtre un

« lieu de l’action, le lieu où le monde visible et le monde invisible se touchent et se heurtent,

autrement dit la mise en évidence, la manifestation du contenu caché, latent, qui recèle les

germes du drame.»

18
Arthur ADAMOV, op. cit, p. 87

21
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Sa deuxième pièce, L’Invasion (1949), ressemble à la première où les personnages sont

confrontés à un univers hostile et indéchiffrable. Le désordre qui règne dans l’esprit des

personnages trouve écho dans cette société qui se désintègre. Ainsi, la recherche d’une

signification est vouée à l’échec, le langage aussi se désintègre. Comme dans La parodie,

Adamov met ici en jeu l’idée qui le hante : « personne n’écoute personne ».

Dans la troisième pièce, La Grande et la Petite Manœuvre (1950), mutilation et

écrasement renforcent l’idée que rien ne peut arracher l’individu à son destin de victime.

Même mutilation dans la pièce suivante, Le Professeur Taranne (1951). Le caractère onirique

de la pièce n’occulte pas sa dimension sociale. Face aux autres qui ne sont là que pour le

condamner, l’individu humilié ne peut que se perdre lui-même : soupçonné

d’exhibitionnisme, Taranne finit par faire aux yeux de tous ce dont on l’accuse.

Enrôlé sous la bannière des auteurs de l’absurde, Adamov se démarque :

« Depuis longtemps déjà les critiques avaient accouplé mon nom à ceux de
Beckett et Ionesco. Nous étions tous les trois d’origine étrangère, nous avions tous
les trois troublé la quiétude du vieux théâtre bourgeois. La tentation était forte, ils
y succombèrent. Je mentirais en disant que notre « troïka » ne me causa pas les
premiers temps un certain plaisir […] il me semblait aussi que de la sorte je
pourrais plus facilement remporter la victoire. Mais peu à peu, écrivant Le Ping-
Pong, je commençais à juger avec sévérité mes premières pièces et très
sincèrement je critiquais En attendant Godot et Les Chaises pour les mêmes
raisons. Je voyais déjà dans « l’avant-garde » une échappatoire facile, une
diversion aux problèmes réels. »19

Le Ping-Pong (1955) évoque les destinées de plusieurs personnages qui se rencontrent

autour d’un appareil à sous. Ils sont fascinés par le mirage de l’argent et de la réussite. Leur

obsession les conduit à la déchéance et même au suicide. L’appareil à sous représente une

société impitoyable qui broie les individus et contre laquelle se dresse Adamov.

19
Arthur ADAMOV, op. cit, p. 117

22
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

L’influence de Brecht est manifeste. Paolo Paoli (1956), La Politique des restes

(1961), Le Printemps 71 (1963) se présentent comme de vastes fresques reposant sur une

importante documentation historique et qui mettent en jeu les aberrations du capitalisme,

dénoncent le système oppressif de la classe dominante. Adamov s’est alors écarté de

l’absurde, et s’inspire ostensiblement des techniques brechtiennes.

Néanmoins, après cette période d’engagement, il revient vers la fin de sa vie à ses

obsessions initiales. Il se tourne de nouveau vers les labyrinthes de la psyché. C’est sur

Tchékhov, dont il a fait plusieurs traductions, que se porte son intérêt. Il voulait concilier des

deux modes d’écriture qu’il a expérimentés : « Mes visées, ce serait dans l’idéal d’arriver

dans une pièce à une assimilation étrange, insolite pour nous, du monde onirique et du

monde social, politique enfin. »20

Il y parvient dans ses dernières œuvres. Si l’été revenait le montre bien. Cependant, sa

santé décline. Il boit de plus en plus et, malgré plusieurs cures de désintoxication et une

tentative de psychanalyse, son état se délabre inexorablement. Il meurt le 15 mars 1976.

20
Arthur ADAMOV, Entretien avec A. Delcamp, 1969, Cahiers Théâtre Louvain, n°9, 1968-1969

23
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Partie III : Quelques autres auteurs du nouveau


théâtre
Il est impossible de donner dans cet exposé un panorama complet de tous les auteurs

français ou étrangers, qui ont touché à l’absurde. Certains se sont emboîtés les pas des pères

fondateurs, d’autres les ont surpassé, prolongé créant des œuvres de rupture qui ont contribué,

elles aussi, au renouvellement de la dramaturgie de la fin du 20ème siècle.

Ainsi, on ne pourra pas négliger tel ou tel, ne pas évoquer le théâtre du britannique

Harold Pinter, du polonais Slavomir Mrozek, du maroco-espagnol Fernando Arrabal,

d’Audiberti, rebelle à toutes les écoles et qui explore le pouvoir des mots pour masquer cette

angoisse existentielle (Quoat-Quoat, Le mal court, Le Cavalier seul). Dubillard dans Maison

d’os, Weingarten dans Alice dans les jardins du Luxembourg ou Vauthier dans Capitaine

Bada. On trouve également les auteurs de l’Est : le Tchèque Havel (La fête en plein air), le

Hongrois Orkeny (La famille Tot), tout comme les américains Albee (Zoo story) ou Shisgal

(La Dactylo et le Tigre). Le choix proposé ici n’a pour justification que l’impossibilité de

tout exposer.

Jean GENET (1910-1986)

Controversé pendant et après son vivant, Jean Genet n’a jamais cherché à se faire aimer

de ses contemporains. Son œuvre se signalait par une opposition violemment radicale,

radicalement provocante, à la société.

Né en 1910, de père inconnu, celui-ci se voit abandonner nourrisson par sa génitrice et

confier à un brave couple du Morvan par l’Assistance publique. Certes, ses parents

nourriciers l’entourent d’affection, mais sa mère adoptive meurt alors même qu’il n’a que 12

24
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

ans. L’enfant tourne filou, commençant à commettre chapardage sur chapardage (larcin sur

larcin). En 1926, à 16 ans, il est envoyé en colonie pénitentiaire à Mettray, en Touraine. Alors

que la discipline y règne en despote, il se forge une étrange carapace, entre masochisme et

complaisance dans l’auto-diabolisation… :

« À chaque accusation portée contre moi, fût-elle injuste, du fond du cœur je


répondrai oui. (…) je sentais le besoin de devenir ce qu’on m’avait accusé d’être.
(…) Je me reconnaissais le lâche, le traître, le voleur, le pédé qu’on voyait en
moi.21 »

En 1942, dans les prisons de la Santé et de Fresnes, Jean Genet aurait commencé sa

carrière d’écrivain, coupant ainsi la tête à sa vie antérieure. « Il fallait que je trahisse le vol qui

est une action singulière au profit d’une opération plus universelle qui est la poésie », dit-il des

années plus tard, dans un entretien avec Madeleine Gobeil, journaliste et professeure

canadienne.

Le déserteur, le voleur de chemises de soie, de mouchoirs, de bouteilles d’apéritif et,

surtout, de livres, fait ses premiers pas vers la célébrité. Cette présumée première année de

création littéraire comprend déjà trois chefs-d’œuvre appartenant aux trois genres fondateurs :

narratif, Notre-Dame-des-Fleurs, commencé à la prison de la Santé; poétique, « Le condamné

à mort », écrit et imprimé aux frais personnels de l’auteur à Fresnes, où il est incarcéré ; et

enfin dramatique, une première version de Haute surveillance serait achevée vers la fin de

l’année de son emprisonnement, en 1942. Jean Genet a désormais choisi de se situer en

marge de la bonne société.

Enfant de l’assistance publique, Genet n’a jamais connu sa mère Gabrielle, qui l’a

abandonné à l’âge de deux ans. Pourtant s’il l’imagine, c’est sous les traits d’une mendiante

qu’il le fait. Il communie avec elle d’une étrange façon :

21
Jean GENET, Journal du voleur, Gallimard, p. 97

25
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Ah ! Si c’était elle ? Me dis-je en m’éloignant de la vieille. Ah ! Si c’était


elle, j’irais la couvrir de fleurs, de glaïeuls et de roses, et de baisers (…) je me
contenterais de baver sur elle, pensai-je, débordant d’amour (…) de baver sur ses
cheveux ou de vomir dans ses mains. Mais je l’adorerais cette voleuse qui est ma
mère.22

L’absence du père et l’abandon maternel sont sans doute à l’origine d’un sentiment

d’exclusion assez proche de l’absurde et dont Genet analysera ultérieurement les

conséquences et les avantages :

D'être un enfant trouvé m'a valu une jeunesse et une enfance solitaires.
D'être un voleur me faisait croire à la singularité du métier de voleur. J'étais, me
disais-je, une exception monstrueuse. En effet, mon goût et mon activité de voleur
étaient en relation avec mon homosexualité, sortaient d'elle qui déjà me gardait
dans une solitude inhabituelle. Ma stupeur fut grande ·quand je m'aperçus à quel
point le vol était répandu. J'étais plongé au sein de la banalité.23

Parallèlement, Genet lit énormément, dévorant Racine, Hugo, Chateaubriand,

Dostoïevski… Bientôt, cette évasion par la lecture ne lui suffit plus et il s’enrôle

volontairement dans la légion étrangère, à 19 ans. Il découvre le Maroc, la Syrie ; il déserte,

réintègre l’armée… puis finit par partir à travers l’Europe, vivant de mendicité, de larcins –

vols de livres -, de prostitution, tout en essuyant des peines de prison à répétition. Au

printemps 1944, grâce à l’intervention de Jean Cocteau, il est libéré de sa cellule de Fresnes

où il a écrit ses premiers poèmes. Il échappera in extremis aux camps de la mort. La même

année, Genet écrit son premier roman, Notre-Dame-des-Fleurs, dans lequel il file le thème de

la fascination pour l’assassin, la sensuelle crapule.

22
Ibid., p. 22
23
Ibid., p. 277.

26
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

À la Libération, son amant, Jean Décarnin, un résistant, est exécuté par les Allemands.

L’écrivain lui dédie un roman : Pompes funèbres. Décarnin revit alors par le poète : « Jean

vivra par moi 24», ou encore : « Je suis son tombeau 25»

En 1947, il signe sa fameuse pièce Les Bonnes, sans doute inspirée (bien qu’il l’ait

fermement nié) du sinistre fait divers des sœurs Papin. Bien que Jean Genet s'en défendît,

beaucoup virent dans sa pièce Les Bonnes une lecture personnelle du crime atroce des sœurs

Papin, condamnées à dix ans de prison ferme pour avoir énucléé la femme et la fille de leur

employeur.

Sartre consacre un ouvrage à l’écrivain en 1952 : Saint Genet, comédien et martyr.

Celui-ci est très troublé par cette « canonisation littéraire » : "J'ai été pris par une sorte de

nausée, parce que je me suis vu mis à nu, et par un autre que moi-même... ". En 1956, paraît

Le Balcon, une pièce de théâtre qui brosse un « tribunal onirique où la lie des passions

humaines est tout à la fois châtiée et exaltée. » (Catherine Bedel, Le Monde 26 février 1999).

En 1964, Jean Genet est, une nouvelle fois, confronté à la disparition d’un amant,

Abdallah Bentaga, jeune acrobate suicidé suite à un accident l’ayant lourdement handicapé.

Pour lui, il avait écrit Le Funambule, en 1958. Deux ans plus tard, en 1966, sa pièce Les

Paravents (écrite en 1961) est créée par Jean-Louis Barrault au Théâtre de l’Odéon. Genet y

caricature violemment l’armée et la colonisation. Du côté des groupuscules d’extrême droite

et des anciens combattants, c’est un tollé, finalement maîtrisé par Malraux, ministre d’Etat

chargé des affaires culturelles. Le 26 octobre 1966, dans une lettre adressée aux députés qui

réclament l’arrêt de la pièce, ce dernier déclare :

24
Jean Genet, Pompes funèbres, in : Œuvres complètes, t. 3, Paris, Gallimard, 1953, p. 88.
25
Ibid. p. 33.

27
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Dans une chronique du Figaro du 28 décembre 2002, Pierre Marcabru estime que
« Jean Genet est un précieux, il suffit de relire son théâtre (…) pour s’en
convaincre. Il hésite entre la scatologie et le gongorisme, l’ordure et la perle. »

L’expérience de la marginalité et de la solitude est au cœur de l’œuvre de Genet. Les

relations de pouvoir et les perversions qu’elles provoquent, la violence et la mort y sont mises

en scène de façon provocatrice, souvent outrancière.

Haute surveillance se déroule dans une cellule de prison où croupissent des détenus de

droit commun : Boule-de-neige, un noir condamné pour meurtre, Yeux-verts qui a tué pour

de l’argent, Lefranc, un voleur, et Maurice, un délinquant juvénile.

Les Bonnes met en scène trois personnages : Claire, Solange et Madame, leur maîtresse.

Selon un scénario minutieusement préparé, les deux sœurs se livrent à une cérémonie

sadomasochiste : l’une se travestit en Madame, l’autre jouant le rôle de la bonne. Avec

outrance, elles miment à la fois leur propre servilité et le comportement caricaturé d’une

maîtresse à laquelle elles ont un attachement érotique mêlé de haine profonde.

Le Balcon (1956) se déroule dans le bordel tenu par Madame Irma, laquelle préside, tel

un metteur en scène, à la bonne marche de son établissement.

Jean TARDIEU (1903 – 1995)

Jean Tardieu est né dans une famille d’artistes : son père, Victor Tardieu est un peintre

et un décorateur de talent. Pédagogue en même temps qu’artiste, il fonde à Hanoi l’Ecole des

beaux-arts du Tonkin. La mère de jean, Caroline Luigini, d’origine italienne, descend d’une

famille de musiciens, elle enseigne la harpe. Une double ascendance qui aiguise la sensibilité

du jeune homme. Il tente de trouver sa propre voie et conciliera le pictural et le musical par la

magie du théâtre, il affirme :

28
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

« Dès cette époque lointaine, j’ai conçue une sorte de jalousie passionnée à
l’égard des secrets de la peinture et des prestiges de la musique qui me semblaient
appartenir en propre à mes parents. Ces deux sortilèges m’étaient à la fois
familiers et étrangers : je dus en chercher un autre qui fût mien. Restait le
langage, troisième porte sur le miracle, troisième recours contre la grisaille et la
monotonie.»26

Après ses études au lycée Condorcet et à la Sorbonne, Jean Tardieu se fait connaître par

la publication en 1927, de ses premiers poèmes dans la Nouvelle Revue française, puis par

ses traductions des poèmes d’Holderlin. Rédacteur aux musées nationaux, puis chez

Hachette, ses pièces se singularisent par leur brièveté, la plupart n’excédant guère le format

de sketch ou de l’acte unique. Cela correspond au tempérament d’un homme qui reconnaît

avoir « un faible pour le petit format ». Une curiosité créatrice qui se plaît dans toutes les

ressources de la dramaturgie. Tardieu a été desservi par cette légèreté auprès des théâtres

professionnels, il a acquis une grande notoriété auprès des compagnies d’amateurs. A la fin

de sa vie, Tardieu a rassemblé l’essentiel de sa production théâtrale de façon thématique dans

trois volumes : La Comédie du langage, La Comédie de la comédie, La Comédie du drame.

Robert PINGET (1919- 1997)

Né en 1919 à Genève, il s’installe à Paris après des études de droit, s’inscrit aux beaux-

arts et peint avant de s’orienter vers l’écriture. Influencé par les surréalistes et Beckett qu’il

admire comme un créateur fécond.

Pinget tente de transposer à la scène les thèmes et les techniques du Nouveau Roman de

manière plus systématique que Beckett. Son écriture théâtrale offre d’éblouissantes variations

sur le langage et les conventions dramatiques.

Sa connivence avec Beckett se manifeste à plusieurs niveaux : Beckett traduit en

anglais une de ses pièces, La Manivelle (1960), et met en scène une autre, L’Hypothèse
26
Jean TARDIEU, Obscurité du jour, Skira, 1974, p.15

29
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

(1965), il lui demande de traduire en français Tous ceux qui tombent. Même questionnement

désespéré, même mise en question du théâtre, même univers dramatique qui tend vers le

dépouillement : Lettre morte (1959) adapte l’un de ses romans Le Fiston, Architruc (1961),

Abel et Bela (1969).

Boris VIAN (1920 – 1959)

Relativement proche d’Ionesco, ne serait-ce que par la suspicion de la logique et par la

mise en cause du langage qu’elle provoque. Boris Vian a produit quelques œuvres

dramatiques qui témoignent d’un anarchisme et d’un sens de la dérision poussés à l’extrême.

L’Equarrissage pour tous (1950), Le Goûter des généraux (1951) et surtout Les Bâtisseurs

d’empire (1957) sont des pièces originales qui trouvent place parmi les dramaturgies de

l’absurde.

Auteur protéiforme, à la fois romancier, chroniqueur de jazz, acteur de cinéma,

trompettiste de jazz, parolier de chansons (Le Déserteur, longtemps interdit à l’époque de la

guerre d’Algérie). Vian connaît une carrière aussi brève que brillante dans les registres les

plus variés.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Conclusion
D’Eschyle à Shakespeare, de Sophocle à Tchékhov, les problèmes ontologiques ont

toujours hanté les grandes dramaturgies occidentales. Longtemps, les auteurs ont tenté

d’élucider ou du moins de décrire les relations des individus entre eux et avec le monde.

Cependant, même dans la représentation de la folie et du rêve, la dramaturgie reposait sur

l’existence d’un sens que le microcosme dramatique révélait de façon épique ou symbolique.

Les dramaturges du Nouveau Théâtre récusent cette approche et donnent de l’existence une

vision brute, dénuée de toute signification.

Le nouveau théâtre n’est ni une chapelle, ni une école. Les auteurs qu’on regroupe sous

cette appellation refusent d’être enfermés dans des cadres préétablis. Malgré les traits en

commun de ces dramaturgies de l’exil, qui se présentent à la première personne. Les pièces

du nouveau théâtre se revendiquent comme faisant part d’un théâtre de rupture, d’un « anti-

théâtre ». Provocants et agressifs, leurs auteurs s’opposent à toutes les formes héritées du

passé. Ils font table rase des procédures théâtrales en vigueur et des structures dramatiques

traditionnelles, ce qui produit une dramaturgie du refus si l’on reprend les paroles de Sartre

qui caractérisait le Nouveau Théâtre des années 50 par un triple refus : « le refus de la

psychologie, le refus de l’intrigue, le refus de tout réalisme ».

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Bibliographie
• ADAMOV (Arthur), L’Homme et l’Enfant, Paris, Gallimard, 1981, 256 p.

• APOLLINAIRE (Guillaume), Les mamelles de Tirésias, Paris, Editions SIC, 1917,


Préface, 108 p.

• ARNAUD (Brigitte), Le génie d’Ionesco, Paris, Éditions Allias, 2002, 80 p.

• ARTAUD (Antonin), Le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964, 209 p.

• BADIOU (Alain), Beckett. L’increvable désir, Paris, Hachette Littératures, 2006, 93 p.

• BAIR (Deirdre), Samuel Beckett : Une biographie, Paris, Fayard, 1990, 625 p.

• BEHAR (Henri), Roger Vitrac, Un réprouvé du surréalisme, Paris, A.G NIZET, 1966,
330 p.

• BORNECQUE, Les procédés comiques au théâtre, Paris, Éditions du Panthéon,


1995, 325 p.

• BRADBY (David), Le théâtre français contemporain, Lille, Presses Universitaires de


Lille, 1990, 415 p.

• CORVIN (Michel), Le théâtre nouveau en France, Paris, PUF, n° 1072, 1963, 126 p.,
(Coll. Que Sais-je?).

• DEJEAN (Jean-Louis), Le théâtre français depuis 1945, Paris, Nathan, 1987, 223 p.

• FAVRE (Yves-Alain), Le Théâtre d’Ionesco, ou le rire dans le labyrinthe, Paris,


Éditions Jose Feijoo, 1991, 93 p.

• GENET (Jean), Journal du voleur, Gallimard, 1948, 305 p., (Coll. Folio).

• HUBERT (Marie-Claude), Eugène Ionesco, Paris, Seuil, 1990, 284 p.

• IONESCO (Eugène), L’Impromptu de l’Alma, Théâtre complet, Gallimard, p. 465


(Coll. La Pléiade).

• IONESCO (Eugène), Le Piéton de l’air, Théâtre complet, Gallimard, 304 p., (Coll. La
Pléiade).

• IONESCO (Eugène), Notes et Contre-notes, Gallimard, 384 p.

• IONESCO (Eugène), Présent passé Passé présent, Mercure de France, 1968, 274 p.

• JACQUART (Emmanuel), Le Théâtre de dérision, Beckett, Ionesco, Adamov,


Gallimard, 1998, 301 p., (Coll. Tel).

32
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

• JARRY (Alfred), Ubu Roi, Paris, Editions Gallimard, 2002, 95 p.

• Lectures de Samuel Beckett, En attendant Godot, Oh Les beaux jours, Sous la


direction de Marie-Claude Hubert, Presses universitaires de Rennes, 2009, 181 p.

• LIOURE (Michel), Lire le théâtre moderne de Claudel à Ionesco, Paris, Dunod,


1998, 190 p., (Coll. Lettres Sup).

• PRUNER (Michel), L’analyse du texte de théâtre, Paris, Armand Colin, 2005, 128p.

• PRUNER (Michel), Les théâtres de l’absurde, Paris, éd. Armand Colin, 2005, 154 p.

• RIBEMONT-DESSAIGNES G., L’Empereur de Chine, Paris, Gallimard, 1966, 151 p.

• ROBINEAU-WEBER (Anne-Gaëlle), En attendant Godot, Samuel Beckett, Profil-


Hatier, Avril 2016, 127 p.

• SARTRE (Jean-Paul), Mythe et réalité du théâtre, Un théâtre de situation, Paris,


Gallimard, 440 p.

• SERREAU (Geneviève), Histoire du Nouveau Théâtre, Paris, Gallimard, n° 104,


1966, 190 p., (Coll. Idées).

• TARDIEU (Jean), Obscurité du jour, Skira, 1974, 123 p., (Coll. Les sentiers de la
création).

• VITRAC (R.), Les Mystères de l’amour, Théâtre II, Gallimard, 1948, 94 p.

• ADAMOV (Arthur), « Entretien avec A. Delcamp, 1969 », Cahiers Théâtre Louvain,


n°9, 1968-1969.

• CORVIN (Michel), « Le théâtre dada existe-t-il ? » in : Revue d’histoire du théâtre,


1971-3, 47-55 p.

• DUBOIS (Jacques), « Deux représentations de la société dans le Nouveau


Théâtre » in : Revue d’Histoire du Théâtre, 1969, n° 21, p. 151-161.

• GENET (Jean), « Pompes funèbres » in : Œuvres complètes, tome 3, Paris, Gallimard,


1953, 352 p.

• GRESSET (Michel), « Création et cruauté chez Beckett» in : Tel Quel, 1963, n° 15, p.
58-65.

• MARIE (Charles P.), « Avant-garde et sincérité : Ionesco » in : Revue d’Histoire du


théâtre, 1986, XXXVIII, p. 39-66.

• MODREANU (Simona), « Marie-France Ionesco, Portrait de l’écrivain dans le siècle »


In : Euresis, 2004, p.193-197.

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Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov

Table des matières

Introduction ..................................................................................................................................... 2

Partie I : Les précurseurs ........................................................................................................... 4

Alfred JARRY (1873-1907) ......................................................................................................... 4

Le théâtre surréaliste ................................................................................................................... 6

Guillaume APOLLINAIRE (1880-1919)................................................................................... 6

Tristan TZARA (1896-1963) ....................................................................................................... 7

Roger VITRAC (1899-1952) ........................................................................................................ 7

Antonin ARTAUD (1896 - 1948) ............................................................................................... 8

Franz KAFKA (1883 – 1924) ...................................................................................................... 9

Partie II : Chefs de file du nouveau théâtre .................................................................... 11

Samuel BECKETT (1906-1989) .............................................................................................. 11

Eugène IONESCO (1909- 1994) ............................................................................................ 14

Arthur ADAMOV (1908-1970) ................................................................................................. 18

Partie III : Quelques autres auteurs du nouveau théâtre ........................................ 24

Jean GENET (1910-1986) ........................................................................................................ 24

Jean TARDIEU (1903 – 1995) ................................................................................................. 28

Robert PINGET (1919- 1997)................................................................................................... 29

Boris VIAN (1920 – 1959) ......................................................................................................... 30

Conclusion ........................................................................................................................................ 31

Bibliographie .................................................................................................................................. 32

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