Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Exposé :
Présenté par :
Plan
Introduction
Conclusion
Bibliographie
1
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Introduction
Dans une perspective qui tente de brosser un tableau des précurseurs et des fondateurs
du théâtre de l’absurde ; ainsi que d’autres auteurs qui s’inscrivent dans le prolongement de
ce phénomène théâtral du début du 20ème siècle, cet exposé s’inscrit dans la continuité de la
collègues.
Nous commencerons notre présentation par une citation de Jean-Paul Sartre qui - tout
en évoquant les pères fondateurs du nouveau théâtre, à savoir Beckett, Ionesco et Adamov
Sous ce label de nouveau théâtre s’affichent aussi d’autres contemporains tels que
Genet, Tardieu, Vian, Pinget ou Arrabal. Des auteurs qui marquent la rupture avec les normes
théâtrales de l’époque mais qui stipulent en même temps que « le Nouveau Théâtre n’est pas
La vision de la condition humaine aliénée et absurde que propose la scène des années
50 trouve une source importante dans les philosophies de l’existence de Søren Kierkegaard,
Beckett et d’Arthur Adamov rejoignent des traditions fort anciennes telles celles du cirque,
1
Jean-Paul SARTRE, Mythe et réalité du théâtre, Un théâtre de situation, Paris, Gallimard, p.167
2
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
rêve et d’imagination. Elles sont les héritières spirituelles d’Alfred Jarry, de Guillaume
Sous trois volets distincts mais reliés, nous allons voir les précurseurs du Nouveau
Théâtre qui ont pu mettre en place une nouvelle dramaturgie de par sa forme et son contenu.
Une deuxième partie sera consacrée aux chefs de file qui ont instauré cette écriture et lui ont
assuré de la notoriété sur la scène artistique et littéraire vers la moitié du 20ème siècle. Nous
conclurons par les figures qui ont permis la postériorité de ce mouvement dans la littérature
française.
3
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Alfred Jarry est né à Laval, ville de l’ouest de la France, le 8 septembre 1873 et mort à
Paris, le 1er novembre 1907. Il est non seulement poète, romancier, écrivain et dramaturge
genèse du nouveau théâtre. La pièce dont le titre fait allusion à Œdipe roi n’est à l’origine
qu’une farce agressive et subversive. Sans vraisemblance ni profondeur, elle met en jeu, sur
Pour dénoncer la corruption et la bêtise humaine, Alfred Jarry n’hésite pas à dépasser
les bornes de la bienséance. Vicieux, puérils, grossiers, Père Ubu et Mère Ubu se comportent
comme des « sales gosses » prêts à tout faire pour accéder au trône et profiter de ses
Lors de sa création en 1896, la scatologie et les blagues potaches étaient des ingrédients
inhabituels au théâtre. En outre, l’auteur tentait de sortir du cadre traditionnel. Jetons un coup
premier mot lâché, la salle avait sifflé, hué, protesté. Dès la première représentation d'Ubu
Roi, ce mot donne le ton de ce que l'on pourrait appeler la première couche du vocabulaire de
cette série de saynètes dans lesquelles Jarry et ses camarades se moquaient de leur professeur
2
Alfred JARRY, Ubu Roi, Editions Gallimard, 2002, p. 7.
4
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
de physique. Le comique de ces petites pièces, comme il convient à l'âge de leurs jeunes
auteurs, est basé sur des situations scabreuses et grossières où dominent les images
scatologiques, images qui devinrent pour Jarry le symbole de tout ce qu'il y a de bestial dans
la condition humaine.
Chez Jarry, les pulsions brutes (ambition, méchanceté, cupidité, goinfrerie, lâcheté…)
Capoue a des poux », les approximations : « Les oneilles, le cheval à phynances », les
scatologiques, comme nous l’avons déjà souligné, parmi lesquelles sonne comme un défi le
Pour les calembours, on peut citer à titre d’exemple, afin de clarifier ce dont on vient de
MÈRE UBU
Il faut la prendre par la douceur, sire Ubu, et si vous la prenez ainsi vous verrez
qu'elle est au moins l'égale de la Vénus de Capoue.
PÈRE UBU
Qui dites-vous qui a des poux ?3
y mêle provocation, absurde, satire, parodie et humour gras. Ubu roi donne une image
et de la cruauté. Par cette volonté d’en finir avec le réalisme en recourant à la marionnette ou
3
Ibid., p. 108.
5
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
préfigure les refus des théâtres de l’absurde. Ce n’est pas un hasard si Ionesco et
Boris Vian se réclament tous les deux du fondateur du collège de pataphysique.4»
Le théâtre surréaliste
L’influence du surréalisme est encore flagrante et peut être apparentée aux figures des
précurseurs. Dans les années 20, ayant vécu l’absurdité de la première guerre mondiale, les
dadaïstes, puis les surréalistes prônent déjà, une esthétique proche de celle de l’absurde.
Rejetant les valeurs esthétiques et morales de la bourgeoisie, ils expriment avec une violence
pleine de dérision leur volonté d’en finir avec les conventions théâtrales.5 Le premier nom qui
Les Mamelles de Tirésias firent un scandale analogue à celui d’Ubu Roi, d’Alfred Jarry,
le 24 juin 1917 lors d'une représentation au conservatoire Maubel. Apollinaire exprime son
désir d’« un art plus réel que la réalité » à travers ce drame surréaliste. Pour lui : « Quand
l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. »
Tant par sa forme que par son sujet, cette pièce s'oppose au théâtre conformiste du
temps d’Apollinaire. Alors que la France est déchirée par la guerre, le dramaturge écrit une
pièce joyeusement loufoque et subversive, dont la morale est toute simple : « Cher public,
faites des enfants ! ». Apollinaire écrit dans la préface des Mamelles de Tirésias :
« Le sujet est si émouvant à mon avis, qu'il permet même que l'on donne au
mot drame son sens le plus tragique, mais il tient aux Français que, s'ils se
remettent à faire des enfants, l'ouvrage puisse être appelé, désormais, une farce.
Rien ne saurait me causer une joie aussi patriotique. »6
4
Michel PRUNER, Les théâtres de l’absurde, Armand Colin, 2005, p.14.
5
Ibidem.
6
Guillaume APOLLINAIRE, Les mamelles de Tirésias, Editions SIC, Paris, Préface, p. 13.
6
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
dérision et le goût de l'absurde. La révolte contre une société et une civilisation qui ont
produit l'horrible boucherie de la guerre. Michel Corvin écrit dans un article intitulé Le
Les pièces théâtrales de Tristan Tzara renforcent l’esprit dada qui voulait faire table
prenant à ses habitudes artistiques et à son confort intellectuel. Dada pousse l’esprit de la
« Tuer, tuer / Vous qui avez la force de donner la mort, / je vous embrasse.
Allez. / Destruction de ce qui est beau et bon et pur, / Car le beau, le bon et le pur
sont pourris / Il n’y a plus rien à faire de toute cette pourriture.8 »
Eprouvé du surréalisme, Vitrac admirait l'œuvre d'Alfred Jarry dont plus tard, il allait
faire le parrain du seul théâtre révolutionnaire de l'entre-deux guerres. Vitrac pensait réunir
ses premières pièces sous le titre général : « Le Théâtre de l'Incendie ». Les œuvres qui en
Le Peintre, vaudeville poétique et cruel, est une farce d'une grande cocasserie, publiée
en 1930.
7
Michel CORVIN, « Le théâtre dada existe-t-il ? », in Revue d’histoire du théâtre, 1971-3, p. 220.
8
Georges RIBEMONT-DESSAIGNES, L’Empereur de Chine, Acte III, sc. 8, Gallimard, 1966, p. 118.
7
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
C'est un « fragment » dialogué que certains partisans de l'anti-théâtre ont rêvé de reproduire
bien des années après. Il n'y a bien sûr pas d'argument. Le lecteur peut y voir une tentative
d’imitation des conversations parcellaires. Brèves, les répliques se succèdent rapidement car
les interlocuteurs savent de quoi il s'agit. Le lecteur doit alors deviner des phrases qu'il saisit
Le Poison, drame sans paroles, est un essai d'un tout autre genre. Le dialogue y
disparaît au profit du « drame sans paroles ».Tout y est visuel, calculé pour dérouter le
spectateur.
Entrée libre, qui impose le rêve comme matière théâtrale, est un drame inédit en un acte
et sept tableaux est, à la date (28 novembre 1922), la première tentative de théâtre totalement
surréaliste.
Les Mystères de l'Amour, dont le texte fut publié en 1924, représente, en quelque sorte,
écriture :
L’expérience d’Artaud s’installe également sous les augures de l’inventeur d’Ubu Roi.
Il a fait ses débuts d’acteur avec Lugné-Poe, puis il a joué chez Dullin. Militant surréaliste
9
Roger VITRAC, Les Mystères de l’amour, Théâtre II, Gallimard, 1948, p. 56.
8
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
exclu du mouvement par André Breton en 1928, Artaud a pu développer à travers ses écrits,
sa propre conception d’un Théâtre de la Cruauté. Les quatre spectacles montés dans le
En rupture avec le théâtre surréaliste, Artaud entend introduire sur scène l’irrationnel et
le refoulé. Ainsi il aspire à une réalité théâtrale susceptible de rendre compte des contrées
Contraint à mettre fin à l’expérience du Théâtre Alfred Jarry pour des motifs financiers,
Artaud continue l’élaboration de ses théories dramatiques dans plusieurs textes qu’il réunit en
1938 sous le titre : Le Théâtre et son double. Il y définit les fondements du nouveau théâtre et
y précise la conception. Il rêve ainsi d’un langage spécifiquement scénique, où les limites du
« Je dis que la scène est un lieu physique et concret, qui demande qu’on le
remplisse, et qu’on lui fasse parler son langage concret. Je dis que ce langage
concret, destiné aux sens et indépendant de la parole doit satisfaire d’abord les
sens […] et que ce langage physique et concret n’est vraiment théâtral que dans la
mesure où les pensées qu’il exprime échappent au langage articulé »10
Ecrivain pragois de langue allemande, Kafka n’a laissé qu’un fragment dramatique,
Le Gardien du tombeau, première scène d’une pièce inachevée. Il a toujours été attiré par le
théâtre et ses romans comme ses nouvelles ont une théâtralité qui a tenté plusieurs
adaptateurs. Par ses fictions qui confrontent l’individu à un univers inhumain plein d’anxiétés
et de culpabilités, Kafka a exercé une influence considérable sur les dramaturges du Nouveau
Théâtre.
10
Antonin ARTAUD, Le Théâtre et son double, Gallimard, p. 56-57
9
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
l’existence et son incapacité à la surmonter trouve écho dans l’œuvre d’Eugène Ionesco. Ce
11
Eugène IONESCO, Notes et Contre-notes, Gallimard, p. 344
10
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Prônant pour une métaphysique de l’absurde, Samuel Beckett est né dans la banlieue de
Dublin le 13 avril 1906. Il a eu une enfance paisible, marquée par la piété profonde de sa
mère. Dès l’adolescence, il manifeste son intérêt pour la littérature. En 1923, il entre au
Trinity collège, une des meilleures universités irlandaises. Il y fait un brillant parcours et se
théâtre.
Durant l’été 1926, il voyage en France pour la première fois. Il y fréquente pendant
et de la foi de son enfance. C’est là aussi qu’il fait la rencontre du grand écrivain irlandais
Les Beckett faisaient partie des Irlandais protestants relativement sévères. La mère
désapprouvait Sam qui traînait à travers l’Europe et qui avait beaucoup de femmes et
beaucoup d'alcool dans sa vie. A la fin de ses études, il a été intégré comme professeur de la
Après avoir quitté son travail, il s'est enfermé dans sa chambre, refusant de sortir et de
respiratoires. Son médecin et condisciple de Trinity collège lui a expliqué que ses troubles
physiques étaient psychopathiques et lui a conseillé de quitter Dublin pour Londres afin
d’entreprendre une véritable psychanalyse. Beckett prend alors une décision capitale, celle de
11
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
L’Irlande de la jeunesse de Beckett, des années 20 et du début des années 30, était un
qui ont tous quitté l’Irlande : Oscar Wilde (1854 – 1900), Georges Bernard Shaw (1856 –
1950). En 1937, Beckett revient à Paris où il écrit son premier roman Murphy, publié à
son agresseur les raisons de son geste, ce dernier répondra tout simplement : « Je ne sais pas
Monsieur ». Une réplique qui hantera longtemps l’esprit de Beckett et qui deviendra par la
régulièrement les visites d’une ancienne amie, Susanne Dumesnil, qu’il épousera longtemps
après.
résistance. Il échappe de peu à la Gestapo après l’arrestation des membres de son réseau et se
réfugie dans le Vaucluse. C’est la figure du clochard beckettien porteur d’une interrogation
sans fin sur l’absurdité de la condition humaine apparaît dans son deuxième roman Watt « un
succèdent dès lors récits et romans : Premier amour (1946), Mercier et Camier (1946),
Il aborde l’écriture théâtrale avec Eleuthéria (1947) qui restera longtemps inédite et
écrit en 1948 En attendant Godot, pièce qui lui vaut l’enthousiasme de quelques lecteurs,
dont Tristan Tzara. Cependant, personne ne pouvait prendre le risque de monter et produire
12
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
un ouvrage aussi inclassable, on attendra cinq ans avant de la voir représentée sur scène avec
Réception mémorable : chahuts dans la salle et scandale immédiat. Très vite pourtant le
succès est immense, plus de 400 représentations, c’est le premier triomphe du théâtre de
l’absurde.
Beckett devient célèbre grâce à cette pièce qu’il traduit lui-même en anglais et qui sera
jouée à New York en 1956. Sa seconde pièce Fin de Partie, écrite dans la douleur de la perte
de son frère, est publiée en 1957. Elle est créée à Londres en Français, puis jouée dans le
monde entier : nouveau triomphe. Les chefs-d’œuvre se succèdent alors. Beckett écrit pour la
scène : La Dernière Bande (1957), Oh les Beaux Jours (1963), Comédie (1965), pour la
radio : Tous ceux qui tombent (1956), Paroles et musiques (1962), pour le cinéma : Film
(1965) et aussi pour la télévision : Dis Joe (1965). La consécration officielle de Beckett est le
prix Nobel de littérature en 1969. Il accepte le prix mais refuse de se rendre à Stockholm –
qualifiant de « foutu jour » celui de sa consécration, qui fait de son œuvre une nouvelle proie
de la recherche universitaire.
extrême, en témoignent les pièces regroupées sous le titre ironique de Dramaticules (1982) :
Solo, Bercuse et Cette fois, ainsi que les ultimes récits : Compagnie, Mal vu mal dit et Cap
au pire.
Fragile de longue date, sa santé se détériore. Samuel Beckett meurt quelques jours
L’écriture romanesque semble tendre vers une impasse pour Beckett, elle ne permet pas
aux personnages d’échapper à l’enfermement définitif. Or, sur scène, ils trouvent un espace
13
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
où ils peuvent encore exister. Le geste selon Beckett permet d’aller plus loin que la parole.
façon précise les durées. Beckett avait une conception précise au sujet de la représentation
qui était pour lui d’une importance capitale. On raconte, qu’un jour, il a dit à Billie Whitelaw,
son actrice préférée : « Billie, est-ce qu’au lieu des trois points de suspension tu peux faire
deux ? »
Il n’est pas exagéré de dire que Beckett, s’il est devenu incontestablement le mythe
littéraire du vingtième siècle, c’est avant tout grâce à son œuvre dramatique. L’absurdité de la
condition humaine est probablement le thème principal des pièces de Beckett et de tous ceux
qui s’alignent avec lui. En effet, l'œuvre de Beckett est traversée par une pensée essentielle et
terre, c'est sans remède », dit le personnage de Hamm dans Fin de partie.
d’une mère française. Quatre ans plus tard, sa famille s’installe à Paris, il avait un an et demi.
En 1918, son père retourne à Bucarest pour y exercer son métier d’avocat, l’enfant se
retrouve seul avec sa mère. Très jeune, il se passionne pour le théâtre de Guignol. A 10 ans, il
écrit son premier scénario, qui dénote déjà de la violence de la première guerre mondiale. Le
Bucarest ».
Tout en poursuivant ses études, Ionesco se lance dans l’écriture sous diverses formes :
nouvelles, essais et poèmes : « J’ai écrit toute ma vie, dit-il, je n’ai jamais rien su faire
d’autre ».
14
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
scandale en publiant un texte Non qui met à nu trois figures de la littérature roumaine : deux
poètes et un romancier qui les décrit comme « les fades imitateurs de la littérature
française ».
Ionesco affirme dès cette époque son déclin de la logique et son goût pour l’absurde.
Influencé par ses lectures, il découvre Flaubert, Jarry, Kafka, du surréalisme mais aussi du
En 1938, il se rend à Paris afin de préparer une thèse sur « le thème du péché et de la
par l’état du pays, proie au chaos et à la nazification, Ionesco évoque alors le terme de « la
« Les policiers sont rhinocéros, les magistrats sont rhinocéros […] C’est
comme un péché de ne pas être rhinocéros […] Voici un slogan rhinocérique, un
slogan « d’homme nouveau » qu’un homme ne peut comprendre : tout pour l’Etat,
tout pour la Nation, tout pour la Race. Cela me parait monstrueux. »12
Paris. Il fréquente des milieux littéraires et des galeries de peinture, écrit des articles
antifascistes sans pour ainsi penser au théâtre. Voici un autre extrait du livre que je viens de
citer :
12
Eugène Ionesco, Présent passé Passé présent, Mercure de France, 1968, p. 114.
15
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Entre 1948 et 1949, Eugène écrit La Cantatrice chauve, une pièce qui devient
C’est en publiant en 1958, la pièce de Rhinocéros, qu’il reçut une consécration plus
affirmée, la pièce sera joué dans le Théâtre national, puis Le roi se meurt (1962) le rendent
Avec Samuel Beckett, Ionesco est considéré comme le véritable père fondateur du
comique » ou des « farces tragiques », (La cantatrice chauve, dont le dénouement déroutant,
indique que les êtres et les personnages sont interchangeables, dans cet univers absurde et
monde, marquée par l’absurdité des événements de la première moitié du XXème siècle, à
savoir les deux Guerres mondiales. Les Chaises, pièce qui interroge le sens de la vie et les
mystères de la création.
13
Eugène IONESCO, op. cit, p. 47.
16
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Ciblant le langage comme expression commune de tous les rapports humains, Ionesco
tourne en dérision les conventions et le conformisme dramaturgique. Aussi, le rire lui permet
l’existence.
« Le théâtre est pour moi la projection sur scène du monde du dedans : c’est
dans mes rêves, dans mes angoisses, dans mes désirs obscurs, dans mes
contradictions intérieures que, pour ma part, je me réservé le droit de prendre
cette matière théâtrale. »14
Ionesco met en jeu l’affrontement de l’individu à la société sous tous ses aspects. Dans
Tueur sans gages (1959), le personnage se heurte à l’absurdité des discours politiques et à
l’indifférence de la société face à la sottise, il prend le relais d’un tueur insaisissable qui
mortelle. Dans Le roi se meurt (1962), in affronte sa propre mort. Dans La Soif et la Faim
Ionesco défend une morale de l’individu détruit par un univers dépourvu de sens, il
témoigne ainsi d’un humanisme que ses premières pièces ne laissaient guère apparaître. Ses
14
Eugène IONESCO, L’Impromptu de l’Alma, Théâtre complet, La Pléiade, Gallimard, p. 465
17
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
à l’aveu de l’auteur, tout y est poussé au paroxysme. Ionesco dénonce le langage qui, n’étant
pas dépositaire de lui-même, « entraîne dans sa déroute les plus sûres croyances de l’esprit
une « inanité sonore ». Ionesco exprime avec une grande lucidité, l’amer paradoxe que
« Pendant des années, cela me consolait un peu de dire qu’il n’y a rien à
dire. Maintenant, j’en suis trop convaincu et cette conviction n’est plus
intellectuelle ni psychologique ; elle est devenue une conviction profonde,
physiologique, qui a pénétré dans ma chair, dans mon sang, dans mes os. Cela me
paralyse. L’activité littéraire n’est plus un jeu, ne peut plus être un jeu pour moi.
Elle devrait être un passage vers autre chose. Elle ne l’est pas. »16
Arthur Adamov est le troisième père fondateur que nous allons aborder dans le cadre de
notre exposé.
Né à Kislovotsk (Caucase) le 23 août 1908, ses parents possédaient une bonne partie
des pétroles de la Caspienne, c’est ce qu’il a lui-même affirmé dans son écrit L’Homme et
l’Enfant (1968). D’origine russo-arménienne, Adamov appartient lui aussi, à cette génération
d’écrivains dont l’enfance était partagée entre deux mondes, et qui ont choisi, au lendemain
15
Ibid., p. 311
16
Eugène IONESCO, Le Piéton de l’air, Théâtre complet, La Pléiade, Gallimard, p. 671
18
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Adamov passe sa première enfance à Bakou : « Je revois ses boulevards aux arbres
espacés et maigres, les ouvriers musulmans du port, les ongles peinturlurés, effrités, torse nu,
la mer sale ». Eprouvant la peur de devenir adulte « Je ne veux pas grandir […] Ce n’est pas
par hasard si j’ai eu tant de mal à me comporter en homme à l’âge d’homme. J’ai voulu me
suicider à vingt ans, puis à trente, puis avant d’atteindre la quarantaine ». Adamov
Freudenstadt, en forêt noire. Elle fuit l’internement et se réfugie en Suisse jusqu’à la fin de la
guerre. Arthur y fait ses premières études. Pour les Adamov, expropriés de leurs puits de
pétrole par les soviets, c’est la fin de l’âge d’or. Ils survivent dans le milieu fermé de la
colonie russe de Genève. Le jeune Arthur découvre le théâtre chez les Pitoëff, eux aussi en
exil. Son séjour en Suisse lui laisse un souvenir amer de sa condition d’étranger, d’exilé :
« On nous nomme « macaques », on nous accuse de manger le pain suisse ». Dans L’Homme
et l’Enfant, il dénonce cette « Xénophobie » poussée d’un pays auquel il vouera une haine
tenace.
C’est en 1922 que les Adamov décident de s’installer en Allemagne. Endetté, le père
joue. Arthur âgé alors de 14 ans était contraint d’aller le chercher chaque nuit dans les casinos
L’Allemagne met fin à l’inflation en 1924. Les familles russes prennent le chemin de la
France. S’installant d’abord à Paris puis à Bourg-la-Reine. Les Adamov mettent leur fils au
lycée Lakanal comme interne. Souvent absent, il est renvoyé. Il fréquente alors la bohème
artistique et littéraire et publie son premier article « Vive l’anarchie » dans un journal de cette
couleur. Les conquêtes féminines le préoccupent à tel point qu’il se livre au théâtre.
19
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Convaincu que « Le meilleur moyen de connaitre une fille est de faire le théâtre », Adamov
« Mains Blanches dure cinq minutes. Une fille montée sur une chaise prend
la main d’un garçon également monté sur une chaise, la lâche, la reprend. Le
théâtre de la séparation déjà »17
Adamov passe ses nuits au Dôme. Il se lie d’amitié avec Roger Blin, Giacometti et
Artaud, lequel lui fait découvrir Strindberg dont il met en scène Le Songe, première
d’un symbolique personnelle pour exorciser la peur et essayer sans succès de surmonter sa
névrose. Il tente même de se suicider en se jetant sous un taxi mais se relève in extremis.
gardénal. Une dette de jeu ou la peur d’un avenir fermé ? Le jeune Arthur ce sent
doutais de rien […] je détestais mon père, c’est donc moi qui l’ai tué ». Une culpabilité qui
1940, l’exode. Adamov se retrouve à Marseille sans le sou. Il vend des journaux à la
criée et prend l’habitude de boire. En mai 1941, il est arrêté pour avoir des « propos hostile
quelques mois plus tard. De retour à Marseille puis à Paris en Janvier 1942, il apprend la mort
« honteux […] de ne pas avoir fait la résistance ». Cependant, il évolue politiquement avec
17
Arthur ADAMOV, L’homme et l’enfant, Gallimard p. 31
20
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
son adhésion au communisme, pour lui une adhésion qui s’apparente parfaitement avec la
La fréquentation de Roger Blin, celle de Jean Vilar, de même que la révélation des pièces de
détachant de ce qu’il nomme son « no man’s land pseudo poétique ». Il porte à la scène ses
angoisses et la terreur que lui inspire la vie sociale. Fortement impressionné par Strindberg
sur lequel il a écrit une étude suggestive, il commence à découvrir dans son entourage une
matière dramatique par excellence « Je crois bien que c’est Strindberg, ou plus exactement
rapporte l’anecdote qui lui en a inspiré l’idée : l’évidence de la solitude humaine se dégage
La Parodie est un cri de révolte, une mise en accusation du monde moderne. Ce qui
frappe c’est l’utilisation d’un matériau théâtral qui fait intervenir le geste autant que la parole
et qui met en jeu toutes les ressources insignifiantes de la scène : bruits, éclairages, décors
schématisés … Dans son Avertissement, Adamov souligne son désir de faire du théâtre un
autrement dit la mise en évidence, la manifestation du contenu caché, latent, qui recèle les
germes du drame.»
18
Arthur ADAMOV, op. cit, p. 87
21
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
confrontés à un univers hostile et indéchiffrable. Le désordre qui règne dans l’esprit des
personnages trouve écho dans cette société qui se désintègre. Ainsi, la recherche d’une
signification est vouée à l’échec, le langage aussi se désintègre. Comme dans La parodie,
Adamov met ici en jeu l’idée qui le hante : « personne n’écoute personne ».
écrasement renforcent l’idée que rien ne peut arracher l’individu à son destin de victime.
Même mutilation dans la pièce suivante, Le Professeur Taranne (1951). Le caractère onirique
de la pièce n’occulte pas sa dimension sociale. Face aux autres qui ne sont là que pour le
d’exhibitionnisme, Taranne finit par faire aux yeux de tous ce dont on l’accuse.
« Depuis longtemps déjà les critiques avaient accouplé mon nom à ceux de
Beckett et Ionesco. Nous étions tous les trois d’origine étrangère, nous avions tous
les trois troublé la quiétude du vieux théâtre bourgeois. La tentation était forte, ils
y succombèrent. Je mentirais en disant que notre « troïka » ne me causa pas les
premiers temps un certain plaisir […] il me semblait aussi que de la sorte je
pourrais plus facilement remporter la victoire. Mais peu à peu, écrivant Le Ping-
Pong, je commençais à juger avec sévérité mes premières pièces et très
sincèrement je critiquais En attendant Godot et Les Chaises pour les mêmes
raisons. Je voyais déjà dans « l’avant-garde » une échappatoire facile, une
diversion aux problèmes réels. »19
autour d’un appareil à sous. Ils sont fascinés par le mirage de l’argent et de la réussite. Leur
obsession les conduit à la déchéance et même au suicide. L’appareil à sous représente une
société impitoyable qui broie les individus et contre laquelle se dresse Adamov.
19
Arthur ADAMOV, op. cit, p. 117
22
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
L’influence de Brecht est manifeste. Paolo Paoli (1956), La Politique des restes
(1961), Le Printemps 71 (1963) se présentent comme de vastes fresques reposant sur une
Néanmoins, après cette période d’engagement, il revient vers la fin de sa vie à ses
obsessions initiales. Il se tourne de nouveau vers les labyrinthes de la psyché. C’est sur
Tchékhov, dont il a fait plusieurs traductions, que se porte son intérêt. Il voulait concilier des
deux modes d’écriture qu’il a expérimentés : « Mes visées, ce serait dans l’idéal d’arriver
dans une pièce à une assimilation étrange, insolite pour nous, du monde onirique et du
Il y parvient dans ses dernières œuvres. Si l’été revenait le montre bien. Cependant, sa
santé décline. Il boit de plus en plus et, malgré plusieurs cures de désintoxication et une
20
Arthur ADAMOV, Entretien avec A. Delcamp, 1969, Cahiers Théâtre Louvain, n°9, 1968-1969
23
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
français ou étrangers, qui ont touché à l’absurde. Certains se sont emboîtés les pas des pères
fondateurs, d’autres les ont surpassé, prolongé créant des œuvres de rupture qui ont contribué,
Ainsi, on ne pourra pas négliger tel ou tel, ne pas évoquer le théâtre du britannique
d’Audiberti, rebelle à toutes les écoles et qui explore le pouvoir des mots pour masquer cette
angoisse existentielle (Quoat-Quoat, Le mal court, Le Cavalier seul). Dubillard dans Maison
d’os, Weingarten dans Alice dans les jardins du Luxembourg ou Vauthier dans Capitaine
Bada. On trouve également les auteurs de l’Est : le Tchèque Havel (La fête en plein air), le
Hongrois Orkeny (La famille Tot), tout comme les américains Albee (Zoo story) ou Shisgal
(La Dactylo et le Tigre). Le choix proposé ici n’a pour justification que l’impossibilité de
tout exposer.
Controversé pendant et après son vivant, Jean Genet n’a jamais cherché à se faire aimer
de ses contemporains. Son œuvre se signalait par une opposition violemment radicale,
confier à un brave couple du Morvan par l’Assistance publique. Certes, ses parents
nourriciers l’entourent d’affection, mais sa mère adoptive meurt alors même qu’il n’a que 12
24
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
ans. L’enfant tourne filou, commençant à commettre chapardage sur chapardage (larcin sur
larcin). En 1926, à 16 ans, il est envoyé en colonie pénitentiaire à Mettray, en Touraine. Alors
que la discipline y règne en despote, il se forge une étrange carapace, entre masochisme et
En 1942, dans les prisons de la Santé et de Fresnes, Jean Genet aurait commencé sa
carrière d’écrivain, coupant ainsi la tête à sa vie antérieure. « Il fallait que je trahisse le vol qui
est une action singulière au profit d’une opération plus universelle qui est la poésie », dit-il des
années plus tard, dans un entretien avec Madeleine Gobeil, journaliste et professeure
canadienne.
surtout, de livres, fait ses premiers pas vers la célébrité. Cette présumée première année de
création littéraire comprend déjà trois chefs-d’œuvre appartenant aux trois genres fondateurs :
à mort », écrit et imprimé aux frais personnels de l’auteur à Fresnes, où il est incarcéré ; et
enfin dramatique, une première version de Haute surveillance serait achevée vers la fin de
Enfant de l’assistance publique, Genet n’a jamais connu sa mère Gabrielle, qui l’a
abandonné à l’âge de deux ans. Pourtant s’il l’imagine, c’est sous les traits d’une mendiante
21
Jean GENET, Journal du voleur, Gallimard, p. 97
25
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
L’absence du père et l’abandon maternel sont sans doute à l’origine d’un sentiment
D'être un enfant trouvé m'a valu une jeunesse et une enfance solitaires.
D'être un voleur me faisait croire à la singularité du métier de voleur. J'étais, me
disais-je, une exception monstrueuse. En effet, mon goût et mon activité de voleur
étaient en relation avec mon homosexualité, sortaient d'elle qui déjà me gardait
dans une solitude inhabituelle. Ma stupeur fut grande ·quand je m'aperçus à quel
point le vol était répandu. J'étais plongé au sein de la banalité.23
Dostoïevski… Bientôt, cette évasion par la lecture ne lui suffit plus et il s’enrôle
réintègre l’armée… puis finit par partir à travers l’Europe, vivant de mendicité, de larcins –
printemps 1944, grâce à l’intervention de Jean Cocteau, il est libéré de sa cellule de Fresnes
où il a écrit ses premiers poèmes. Il échappera in extremis aux camps de la mort. La même
année, Genet écrit son premier roman, Notre-Dame-des-Fleurs, dans lequel il file le thème de
22
Ibid., p. 22
23
Ibid., p. 277.
26
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
À la Libération, son amant, Jean Décarnin, un résistant, est exécuté par les Allemands.
L’écrivain lui dédie un roman : Pompes funèbres. Décarnin revit alors par le poète : « Jean
En 1947, il signe sa fameuse pièce Les Bonnes, sans doute inspirée (bien qu’il l’ait
fermement nié) du sinistre fait divers des sœurs Papin. Bien que Jean Genet s'en défendît,
beaucoup virent dans sa pièce Les Bonnes une lecture personnelle du crime atroce des sœurs
Papin, condamnées à dix ans de prison ferme pour avoir énucléé la femme et la fille de leur
employeur.
Celui-ci est très troublé par cette « canonisation littéraire » : "J'ai été pris par une sorte de
nausée, parce que je me suis vu mis à nu, et par un autre que moi-même... ". En 1956, paraît
Le Balcon, une pièce de théâtre qui brosse un « tribunal onirique où la lie des passions
humaines est tout à la fois châtiée et exaltée. » (Catherine Bedel, Le Monde 26 février 1999).
En 1964, Jean Genet est, une nouvelle fois, confronté à la disparition d’un amant,
Abdallah Bentaga, jeune acrobate suicidé suite à un accident l’ayant lourdement handicapé.
Pour lui, il avait écrit Le Funambule, en 1958. Deux ans plus tard, en 1966, sa pièce Les
Paravents (écrite en 1961) est créée par Jean-Louis Barrault au Théâtre de l’Odéon. Genet y
et des anciens combattants, c’est un tollé, finalement maîtrisé par Malraux, ministre d’Etat
chargé des affaires culturelles. Le 26 octobre 1966, dans une lettre adressée aux députés qui
24
Jean Genet, Pompes funèbres, in : Œuvres complètes, t. 3, Paris, Gallimard, 1953, p. 88.
25
Ibid. p. 33.
27
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Dans une chronique du Figaro du 28 décembre 2002, Pierre Marcabru estime que
« Jean Genet est un précieux, il suffit de relire son théâtre (…) pour s’en
convaincre. Il hésite entre la scatologie et le gongorisme, l’ordure et la perle. »
relations de pouvoir et les perversions qu’elles provoquent, la violence et la mort y sont mises
Haute surveillance se déroule dans une cellule de prison où croupissent des détenus de
droit commun : Boule-de-neige, un noir condamné pour meurtre, Yeux-verts qui a tué pour
Les Bonnes met en scène trois personnages : Claire, Solange et Madame, leur maîtresse.
Selon un scénario minutieusement préparé, les deux sœurs se livrent à une cérémonie
outrance, elles miment à la fois leur propre servilité et le comportement caricaturé d’une
Le Balcon (1956) se déroule dans le bordel tenu par Madame Irma, laquelle préside, tel
Jean Tardieu est né dans une famille d’artistes : son père, Victor Tardieu est un peintre
et un décorateur de talent. Pédagogue en même temps qu’artiste, il fonde à Hanoi l’Ecole des
beaux-arts du Tonkin. La mère de jean, Caroline Luigini, d’origine italienne, descend d’une
famille de musiciens, elle enseigne la harpe. Une double ascendance qui aiguise la sensibilité
du jeune homme. Il tente de trouver sa propre voie et conciliera le pictural et le musical par la
28
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
« Dès cette époque lointaine, j’ai conçue une sorte de jalousie passionnée à
l’égard des secrets de la peinture et des prestiges de la musique qui me semblaient
appartenir en propre à mes parents. Ces deux sortilèges m’étaient à la fois
familiers et étrangers : je dus en chercher un autre qui fût mien. Restait le
langage, troisième porte sur le miracle, troisième recours contre la grisaille et la
monotonie.»26
Après ses études au lycée Condorcet et à la Sorbonne, Jean Tardieu se fait connaître par
la publication en 1927, de ses premiers poèmes dans la Nouvelle Revue française, puis par
ses traductions des poèmes d’Holderlin. Rédacteur aux musées nationaux, puis chez
Hachette, ses pièces se singularisent par leur brièveté, la plupart n’excédant guère le format
de sketch ou de l’acte unique. Cela correspond au tempérament d’un homme qui reconnaît
avoir « un faible pour le petit format ». Une curiosité créatrice qui se plaît dans toutes les
ressources de la dramaturgie. Tardieu a été desservi par cette légèreté auprès des théâtres
professionnels, il a acquis une grande notoriété auprès des compagnies d’amateurs. A la fin
Né en 1919 à Genève, il s’installe à Paris après des études de droit, s’inscrit aux beaux-
arts et peint avant de s’orienter vers l’écriture. Influencé par les surréalistes et Beckett qu’il
Pinget tente de transposer à la scène les thèmes et les techniques du Nouveau Roman de
manière plus systématique que Beckett. Son écriture théâtrale offre d’éblouissantes variations
anglais une de ses pièces, La Manivelle (1960), et met en scène une autre, L’Hypothèse
26
Jean TARDIEU, Obscurité du jour, Skira, 1974, p.15
29
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
(1965), il lui demande de traduire en français Tous ceux qui tombent. Même questionnement
désespéré, même mise en question du théâtre, même univers dramatique qui tend vers le
dépouillement : Lettre morte (1959) adapte l’un de ses romans Le Fiston, Architruc (1961),
mise en cause du langage qu’elle provoque. Boris Vian a produit quelques œuvres
dramatiques qui témoignent d’un anarchisme et d’un sens de la dérision poussés à l’extrême.
L’Equarrissage pour tous (1950), Le Goûter des généraux (1951) et surtout Les Bâtisseurs
d’empire (1957) sont des pièces originales qui trouvent place parmi les dramaturgies de
l’absurde.
guerre d’Algérie). Vian connaît une carrière aussi brève que brillante dans les registres les
plus variés.
30
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Conclusion
D’Eschyle à Shakespeare, de Sophocle à Tchékhov, les problèmes ontologiques ont
toujours hanté les grandes dramaturgies occidentales. Longtemps, les auteurs ont tenté
d’élucider ou du moins de décrire les relations des individus entre eux et avec le monde.
l’existence d’un sens que le microcosme dramatique révélait de façon épique ou symbolique.
Les dramaturges du Nouveau Théâtre récusent cette approche et donnent de l’existence une
Le nouveau théâtre n’est ni une chapelle, ni une école. Les auteurs qu’on regroupe sous
cette appellation refusent d’être enfermés dans des cadres préétablis. Malgré les traits en
commun de ces dramaturgies de l’exil, qui se présentent à la première personne. Les pièces
du nouveau théâtre se revendiquent comme faisant part d’un théâtre de rupture, d’un « anti-
théâtre ». Provocants et agressifs, leurs auteurs s’opposent à toutes les formes héritées du
passé. Ils font table rase des procédures théâtrales en vigueur et des structures dramatiques
traditionnelles, ce qui produit une dramaturgie du refus si l’on reprend les paroles de Sartre
qui caractérisait le Nouveau Théâtre des années 50 par un triple refus : « le refus de la
31
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Bibliographie
• ADAMOV (Arthur), L’Homme et l’Enfant, Paris, Gallimard, 1981, 256 p.
• BAIR (Deirdre), Samuel Beckett : Une biographie, Paris, Fayard, 1990, 625 p.
• BEHAR (Henri), Roger Vitrac, Un réprouvé du surréalisme, Paris, A.G NIZET, 1966,
330 p.
• CORVIN (Michel), Le théâtre nouveau en France, Paris, PUF, n° 1072, 1963, 126 p.,
(Coll. Que Sais-je?).
• DEJEAN (Jean-Louis), Le théâtre français depuis 1945, Paris, Nathan, 1987, 223 p.
• GENET (Jean), Journal du voleur, Gallimard, 1948, 305 p., (Coll. Folio).
• IONESCO (Eugène), Le Piéton de l’air, Théâtre complet, Gallimard, 304 p., (Coll. La
Pléiade).
• IONESCO (Eugène), Présent passé Passé présent, Mercure de France, 1968, 274 p.
32
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
• PRUNER (Michel), L’analyse du texte de théâtre, Paris, Armand Colin, 2005, 128p.
• PRUNER (Michel), Les théâtres de l’absurde, Paris, éd. Armand Colin, 2005, 154 p.
• TARDIEU (Jean), Obscurité du jour, Skira, 1974, 123 p., (Coll. Les sentiers de la
création).
• GRESSET (Michel), « Création et cruauté chez Beckett» in : Tel Quel, 1963, n° 15, p.
58-65.
33
Les chefs de file du Nouveau Théâtre : Beckett, Ionesco & Adamov
Introduction ..................................................................................................................................... 2
Conclusion ........................................................................................................................................ 31
Bibliographie .................................................................................................................................. 32
34