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Paul Manuel Godoy Hilario

L’humour​ ​et la négation dans ​« Art » ​de Yasmina Reza

I. INTRODUCTION

La pièce de théâtre ​« Art » de Yasmina Reza a été traduite en 35 langues et jouée à


l’échelle mondiale. Cette pièce a été publiée en 1994 à Paris lorsque l’auteure nantaise avait
35 ans. Cette étude a pour but d’expliquer les procédés linguistiques et littéraires dont Reza
s’est servie dans cette pièce, avec une attention spéciale portée à la mise en pratique de
l’humour et de la négation. ​« ​Art ​» ​a été jouée pour la première fois à la Comédie des
Champs-Élysées en octobre 1994, et a ensuite reçu un Molière pour le meilleur spectacle
privé et un autre pour le meilleur auteur. Sans doute ces prix ont aidé la pièce à se faire
remarquer et atteindre le succès mondial qu’elle a eu et a encore. Ainsi, en 1998, Reza a
reçu un Tony Award​1 pour le meilleur auteur à la suite de la présentation d’​« Art » à
Broadway.

II. L’HUMOUR

Dans cette pièce, qui se présente comme simple quant à l’espace et au temps, il y a
trois espaces qui ne sont pas très décorés, seulement le tableau qui est exposé dans chaque
espace change. Les espaces sont les salons des trois amis et la pièce se déroule la plupart du
temps chez Serge. Concernant le temps, les scènes se succèdent progressivement, avec
quelques minutes, et parfois quelques heures, d’intervalle. Tous les déclencheurs (le rire de
Marc, le tableau de Serge, le mariage de Catherine et Yvan, Paula, les points de vue de
chaque ami et Yvan), qui sont enchaînés, amènent les trois amis à remettre en question leur
amitié à un moment donné. Ainsi, il y a de longues conversations qui sont tout à coup
1
Il faut dire que cette pièce a reçu d'autres prix internationaux tels que : « Laurence Oliver Award,
Evening Standard Award » (Jaccomard, 2010 : 43).
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arrêtées et qui amènent les trois amis à se calmer pour ensuite trouver un autre prétexte,
déclencheur ou complice pour se disputer de nouveau. Reza cherche toujours un nouveau
déclencheur (Paula, Yvan...). Ces déclencheurs s’enchaînent progressivement et tournent en
rond, c’est comme une montagne russe de prétextes qui ne finit qu’à la fin du trajet. C’est
une tension constante qui fleurit et fane sans cesse. En même temps, cette tension
s’intensifie peu à peu jusqu’au moment où Marc frappe Yvan, et puis Marc parvient à
peindre un skieur sur l’Antrios de Serge. C’est ainsi que la tension entre Marc et Serge se
calme et que les trois amis commencent leur « période d’essai » (Reza, 2017 : 119).

« Art » ​est une pièce de théâtre qui a un titre métonymique, c’est-à-dire que le nom
de la pièce montre la cause de l’intrigue, tout tourne autour du déclencheur principal, la toile
de Serge appartenant à l’art contemporain ; c’est en raison de ce tableau du peintre Antrios
que Marc rit au nez de Serge. Reza a sûrement choisi ce titre dû à l’importance de l’art
comme sujet de débat dans cette pièce, et l’a en plus mis entre guillemets afin de souligner
l’ironie qu’il y a derrière à cause de la subjectivité qu’elle entraîne​2​.

Reza se sert aussi des guillemets dans la pièce ; à titre d’exemple, lorsque Marc
appelle l’Antrios « cette merde » (Reza, 2017 : 16), Reza revient envers Marc, à travers le
personnage de Serge, mettant entre guillemets ​cette merde​, tout en utilisant les deux
fonctions des guillemets, d’après la Banque de dépannage linguistique : citer un discours
rapporté et mettre en valeur ou à distance les mots qu’ils entourent. Ainsi, lors de la mise en
scène de la pièce​3​, l’acteur qui joue Serge reprend l’anaphorique ​cette merde ​proféré par

2
On fait référence à la toile peinte en blanc dans ​« Art » à cause de laquelle les trois amis se disputent et
argumentent pour et contre. De même, il faut dire, en ce qui concerne le tableau blanc dans ​« Art »​, que
l’art est en soi subjectif, si une institution ayant le droit de cataloguer une toile comme art la classe
comme telle - bien sûr elle aura ses raisons -, la toile passera alors à faire partie des pièces d’art sans que
personne ne puisse s’y interposer. L’art est aussi subjectif dans le sens où le but d’une œuvre d’art est de
déclencher une sensation quelconque chez l’homme, et non tout le monde réagit de la même manière face
au même tableau, ou il y en aura qui penseront qu’il ne suscite rien chez eux (soit par manque de
connaissance, ou soit par simple indifférence) et donc ils vont estimer ce tableau comme un simple
tableau, sans y attacher le sens de l’art ; d’autres personnes, même si elles ne ressentent rien, vont
respecter le tableau comme œuvre d’art (soit par respect car ils vont accepter ce manque de connaissance
pour la bonne interprétation et sensation, soit parce qu’ils respectent l’artiste ou le mouvement littéraire,
ou soit parce qu’ils respectent tout simplement la décision de l’institution de le considérer comme œuvre
d’art). Dans ​« Art » ​on a trois points de vue différents : Serge, l’acheteur de l’Antrios qui estime
évidemment que c’est de l’art, Marc qui n’y attache pas le sens de l’art et qualifie le tableau de ​merde​, et
Yvan qui respecte au début la décision de considérer le tableau comme art, malgré son incompréhension,
mais au final il montre également son indifférence vers la toile car il n’y attache pas de sens artistique : «
Reconnais-le mon vieux !... C’est insensé ce que tu as acheté !... » (Reza, 2017 : 115).
3
On fait référence à la première représentation de la pièce à la Comédie des Champs-Élysées jouée par
Fabrice Luchini, Pierre Vaneck et Pierre Arditi en octobre 1994 (voir bibliographie). Mais on peut
également trouver sur YouTube d’autres représentations plus récentes comme celle jouée par ​Victor
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Marc avec emphase et ironie pour provoquer le rire du spectateur et chez Marc​4​. C’est ainsi
que l’emploi de la lexie ​cette merde reprise par Serge comme anaphorique de ​ce tableau
devient alors l’objet burlesque de la pièce, et fait le spectateur et Marc rire. De même, cette
toile provoque, d’un côté, le rire de Marc décrit par Serge comme « Un rire prétentieux,
perfide. Un rire qui sait tout mieux que tout le monde » (Reza, 2017 : 19), et d’un autre côté,
l’apparente incompréhension du tableau par Marc : « [...] je ne peux absolument pas
comprendre comment Serge, qui est un ami, a pu acheter cette toile » (Reza, 2017 : 19).
Néanmoins, vers la fin de la pièce Marc avoue que ce n’était pas de l’incompréhension, mais
de la jalousie vers l’Antrios, du chagrin d’avoir un ami qui a changé avec lui, il se sent trahi
et pense même que Serge l’a remplacé par la toile : « [Serge à Marc] Parce que moi, je t’ai
remplacé par l’Antrios ? [Marc] Oui. » (Reza, 2017 : 99). Mais le tableau représente chez
Marc un objet où il trouve trois mises en avant, dont la troisième est dans la dernière
intervention de celui-ci, à la fin de la pièce :

« [...] Mon ami Serge, qui est un ami depuis longtemps, a acheté un tableau. C’est une
toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt. Elle représente un homme qui
traverse un espace et qui disparaît. » (Reza, 2017 : 121).

Ainsi, Marc clôture la pièce en donnant au tableau une interprétation ; il est un


homme de son temps, comme Serge dirait. Les trois mises en avant en rapport avec la toile
chez Marc sont : l’Antrios comme objet burlesque, l’apparente incompréhension de la toile,
et l'interprétation de celle-ci à la fin. Toutes les trois sont enchaînées et présentées dans ​« Art
» ​dans le même ordre. Il y a une évolution, Marc commence par se moquer du tableau et
l’appeler ​cette ​merde et « une merde blanche » (Reza, 2017 : 20), ensuite ces anaphoriques
déclenchent le rire du spectateur et de Marc. Il y trouve un complice en disant qu’il ne
comprend pas l’Antrios et l’acquisition du tableau par Serge afin de pouvoir ainsi cacher son
angoisse d’avoir un ami qui n’est pas le même avec lui. Ce fou rire est un procédé littéraire
qui a aussi été mis en pratique dans ​Hammerklavier ​(1997) par Reza :

« [...] pourquoi le fou rire l’a-t-elle prise devant ce symptôme de déchéance ? [...] Le rire
est, en tout état de cause, l’expression de l’angoisse, indécente mais compréhensible, le
rire du stoïque [...] » (Jaccomard, 2009 : 48).

Lièvre, Paul Hummel et Yorim Becker (voir bibliographie)​. Dans les deux représentations le spectateur et
Marc éclatent de rire lors de la reprise de « cette merde » par Serge.
4
Lors de la lecture, le lecteur n’apprécie pas bien l’ironie ; il faut le voir, il s’agit d’une pièce pour être
jouée car c’est dans le spectacle que tout vit.
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En outre, Jaccomard (2009 : 58) affirme que : « La thématique du rire comme
marqueur des relations intimes est explorée dans ​Art ​[​« Art »​] avec le rire tantôt complice,
tantôt méchant, ou encore moqueur ». En effet, c’est un rire méchant dans le sens où ça fait
mal à Serge et provoque la dispute entre lui et Marc. On pourrait dire également qu’il s’agit
d’un rire comique, propre de la comédie ; Reza se sert de ce procédé littéraire afin de faire
rire le spectateur, c’est un rire qui aime se donner en spectacle. Enfin, après toute l’intrigue
dévoilée et sa réconciliation avec Serge, Marc donne son interprétation du tableau. À ce
sujet, Jaccomard (2009 : 59) dit que :

« [...] dans ​« Art » ​[...] l’amitié est un lien fragile qui risque d’être brisé par une trop
grande lucidité, on perçoit l’insistance de la narratrice [l’auteure] à faire éclater la vérité,
quel qu’en soit le prix, quelle qu’en soit l’importance [...] ».

Effectivement, c’est le rire comme procédé littéraire dans son évolution, accompagné
de l’anaphorique ​cette merde ou une merde blanche​, qui amène Marc à dire la vérité qu’il
avait cachée involontairement au début de la pièce. Dans cette évolution, il y a un moment
où Marc se demande pourquoi il est si catégorique, et il fait appel à sa conscience et à la
rationalité :

« Qu’est-ce que ça peut me faire, au fond, que Serge se laisse berner par l’Art
contemporain ?... Si, c’est grave. Mais j’aurais pu le lui dire autrement. Trouver un ton
plus conciliant. Si je ne supporte pas, physiquement, que mon meilleur ami achète un
tableau blanc, je dois au contraire éviter de l’agresser. Je dois lui parler plus gentiment.
Dorénavant, je vais lui dire gentiment les choses... » (Reza, 2017 : 46-47).

Il va petit à petit découvrir ce qui l’agace et l’angoisse réellement. Quand Marc vient
chez Serge afin de lui parler plus gentiment, il y a encore deux faits qui l’énervent : qu’Yvan
ait été d’accord avec Serge pour dire qu’il manquait d’humour, et que Serge ait appelé
Antrios artiste au lieu de peintre ou Antrios : « Tu dis l’artiste comme une… comme une
entité intouchable. L’artiste… Une sorte de divinité » (Reza, 2017 : 55). Ainsi, Marc énerve
Serge à son tour avec son discours et son sourire. C’est à ce moment-là que Marc se rend
compte que « Le mal vient de plus loin… Il vient de ce jour où tu as prononcé, sans humour,
parlant d’un objet d’art, le mot ​déconstruction » (Reza, 2017 : 57). Marc a ce chagrin de voir
Serge placer l’art au-dessus de lui, Marc veut que Serge l’estime à lui supérieur pour
alimenter son égoïsme et narcissisme​5​.

5
Marc est quelqu’un qui cherche des amis soumis, il veut des amis qui l'idolâtrent, pour lui ses amis sont
des êtres inférieurs, il les qualifie même de ​créatures ​: « Je cherche désespérément un ami qui me
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Vers la fin de la pièce, Serge et Marc, tous les deux, trouvent un autre complice pour
se disputer encore une fois : Yvan. Ce personnage manque de caractère, il est impartial et
neutre, et les deux amis lui reprochent son impartialité et le fait d’avoir parlé d’eux à
Finkelzohn, son psychanalyste. Yvan devient un personnage farcesque et ridicule, propre du
théâtre de Boulevard :

« Reza reprend au théâtre de Boulevard la caractérisation de certains personnages


farcesques et ridicules par leur seul caractère, quoi qu’ils fassent : par exemple [...] Yvan
dans ​« Art » [...] Ces personnages représentent les caractères typiques qui sont
représentés comme ridicules par la vacuité même de leurs discours, leurs balourdises et
leurs maladresses. [...] le personnage d’Yvan qui devient le bouc émissaire des
sarcasmes de Marc et Serge. » (Bertolotti, s. d. : 93-94).

Yvan devient ainsi le souffre-douleur d’​« Art »​, il est attaqué verbalement et
physiquement par ses amis. D’ailleurs, il est frappé physiquement par Marc​6 car il ne voulait
pas que Serge et Marc se battent entre eux, malgré l’avertissement de Marc de ne pas s’en
mêler. À la suite de cette agression contre Yvan, il y a les échanges entre Serge et Yvan qui
déclenchent le rire du spectateur : « [Serge] C’est un rat. [Yvan] Un rat ! [Serge] Oui, il
passe de temps en temps. [Yvan] Tu as un rat ?!! » (Reza, 2017 : 95). Yvan pense que Serge
appelle Marc rat pour l’avoir frappé, mais Serge fait référence au rat qui vient de passer tout
à l’heure. Ces échanges qui sont à côté de la plaque de ce qui vient de se passer provoquent
le rire du spectateur, ou du lecteur, qui ne s’attendait pas à un tel discours à la suite d’une
agression. Un peu plus tard, vers la fin de la pièce, il est attaqué verbalement par Marc à
cause de sa neutralité :

« [Marc à Yvan] je ne supporte pas [...] ton désir de nous niveler. Égaux, tu nous
voudrais. Pour mettre ta lâcheté en sourdine. Égaux dans la discussion, égaux dans
l’amitié d’autrefois. Mais nous ne sommes pas égaux, Yvan. Tu dois choisir. » (Reza,
2017 : 107).

préexiste. Jusqu’ici, je n’ai pas eu de chance. J’ai dû vous façonner… Mais tu vois, ça ne marche pas. Un
jour ou l’autre, la créature va dîner chez les Desprez-Coudert et pour entériner son nouveau standing,
achète un tableau blanc » (Reza, 2017 : 105).
6
À ce sujet, Romera Pintor (2012 : 1130) dit que : « No es la primera vez que Reza se basa en anécdotas
de la vida real para los argumentos de sus obras. Ya lo había hecho antes con Arte: «Comme pour “Art”,
d’un fait réel, d’une histoire que m’a racontée mon fils de 13 ans : un de ses copains en avait frappé un
autre avec un bâton et lui avait cassé une dent. Moi, j’en ai mis deux, c’est la seule modification ! Sur le
coup, cela ne m’avait pas inspirée, mais peu de temps après (...) j’ai pensé qu’il y avait une matière
formidable» (Le Point 2007) ». On reviendra sur ce sujet dans la deuxième partie de cette étude : la
négation dans ​« Art »​.
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Et puis par les deux amis qui pensent que si Yvan n’avait pas été en retard et moins
neutre, le conflit aurait pu s’éviter :

« [Marc à Yvan] Tu arrives avec trois quarts d’heure de retard, tu ne t’excuses pas, tu
nous soûles de tes pépins domestiques… [Serge] Et ta présence veule, ta présence de
spectateur veule et neutre, nous entraîne Marc et moi dans les pires excès. [...] Tu crées
les conditions du conflit. » (Reza, 2017 : 109).

Ainsi, Yvan ne peut pas s’empêcher de pleurer après s’être rendu compte qu’il est «
le garçon verni » (Reza, 2017 : 112), à travers l’ironie il décèle encore une fois ce
personnage farcesque et pathétique, il se dénigre lui-même, « je suis un ludion » (Reza, 2017
: 113) se dit-il, et puis : « je veux être votre ami Yvan le farfadet ! Yvan le farfadet » (Reza,
2017 : 113). Il est en rogne comme un enfant, ridicule pour un homme quadragénaire. Enfin,
c’est lui le dernier personnage qui appelle le tableau « une merde blanche »​7 (Reza, 2017 :
114), et ils rient tous ensemble avec le spectateur.

« Art » présente des caractéristiques du drame bourgeois​8 dans le sens où on a des


personnages bourgeois, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à la classe moyenne contemporaine.
La pièce a été conçue pour un public plutôt bourgeois, étant donné que l’intrigue tourne
autour d’un sujet qui n’arriverait ni dans la classe ouvrière ni dans la classe supérieure, il
s’agit donc d’une pièce fait par et pour la bourgeoise​9 tout comme le drame bourgeois. Un
des thèmes étant en plus proprement bourgeois est l’argent​10 ; Marc ne comprend pas
comment est-ce que son ami Serge a pu dépenser 200.000 francs dans un tableau blanc. Le
spectateur est plongé dans la vie bourgeoise des trois amis, car il s’agit d’un thème qui est

7
Lorsque Yvan dit deux fois « une merde blanche » (Reza, 2017 : 114-115), il se place du côté de Marc,
dans le même avis par rapport au tableau de Serge. C’est ce fait décisif qui amène Serge à mettre un point
final une fois pour toutes à toutes ces discussions. Serge savait bien que s’il plaçait Marc au-dessus de
l’Antrios, ces discussions allaient finir, c’est la raison pour laquelle il lui propose de peindre quelque
chose sur le tableau blanc avec le feutre bleu d’Yvan. Cependant, même si Yvan ne parvient pas à
comprendre l’art de l’Antrios, il se met ensuite à la défense du tableau pour que Marc ne peigne pas
dessus, et il montre ainsi son respect par l'œuvre d’art en dépit de son incompréhension.
8
Le texte dans ce travail sur « le drame bourgeois » a été créé à l’aide des notes de la matière “El teatro
francés: De la lectura al espectáculo” à l’Université Complutense de Madrid (voir bibliographie).
9
Surtout pour la bourgeoisie, considérée comme la classe moyenne, mais cela n’empêche pas les autres
publics de lire ou voir la pièce de théâtre et de pouvoir l’apprécier. Bien entendu, c’est un sujet qui
pourrait sembler irréalisable pour la classe ouvrière, et un peu ridicule pour la classe aisée. Aujourd’hui
200.000 francs équivalent à environ 30.500 euros, montant qui est envisageable d’être épargné par
quelqu’un de la classe moyenne, contrairement à la classe ouvrière où la somme de 30.500 euros pour
acquérir un tableau pourrait être vue comme un caprice ridicule car pour eux cela pourrait supposer
l’épargne d’une bonne part de leur vie.
10
À ce sujet Jaccomard (2010 : 44) met en évidence d’autres thèmes également présents dans cette satire :
« [...] la fragilité de l’amitié, le snobisme, [...] la réussite sociale, le rôle séditieux de l’art moderne, la
solitude, la quête du bonheur ».
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réaliste, c’est-à-dire qui est envisageable, même si un peu rare. Reza participe ainsi dans le
renouveau du théâtre contemporain français dans le sens où elle inclut à ce théâtre bourgeois
l’identification d’un public contemporain moyennisé​11 en incorporant des valeurs telles que
le choix du mariage et les relations familiales​12 et d’amitié. Le spectateur peut parfois se
sentir aussi identifié​13 comme dans le théâtre bourgeois, mais il s’agit de situations
contemporaines, c'est-à-dire que la façon dont ces valeurs sont abordées par Reza n’a pas de
but instructif comme au XVIIIe siècle, au contraire, elle cherche à mettre en évidence la
condition humaine, les sentiments, les façons d’être, la vision satirique de la nature humaine.
À ce sujet Romera Pintor (2012 : 1134) affirme que :

« El gusto de la dramaturga por explotar este tipo de conflictos lo ha manifestado en sus


entrevistas: “J’écris un théâtre de nerfs, parce que nous sommes gouvernés par les nerfs.
Les personnages que je compose depuis toujours sont des gens bien élevés qui se
promettent de bien se tenir. Mais comme ils sont également de grands impulsifs, ils ne
parviennent pas à garder le cap qu’ils se sont eux-mêmes fixé. Ils vont déraper, mais
toujours contre leur volonté, même au cœur du dérapage. C’est précisément l’endroit de
la lutte contre soi qui m’intéresse” (Garcin 2008) ».

En effet, dans ​« Art » ​les trois personnages sont des gens bien élevés, ils ont tous une
situation économique décente pour ainsi dire, mais qui à un moment donné éclatent parce
qu’ils sont trop énervés à cause de leurs amis. Reza participe également à ce renouveau du
théâtre dans le sens où elle a créé un théâtre qui réconcilie tous les publics bourgeois
possibles : ceux qui ne considèrent pas comme de l’art le tableau se voyant représentés par
Marc, ceux qui estiment que ce tableau blanc a une valeur artistique représentés par Serge, et
ceux qui ne comprennent pas le tableau mais qui l’acceptent quand même comme art
représentés par Yvan. C’est du théâtre pour tous les publics, tous les goûts et avis. C’est
dans ce sens que Reza renouvelle le théâtre contemporain français à partir du théâtre
bourgeois​14​.

11
La société actuelle française est plutôt moyennisée dans le sens où on avance vers la moyennisation,
c’est-à-dire que la plupart de la population française appartient à la classe moyenne aujourd’hui.
12
Le choix du mariage et les relations familiales étaient des valeurs bourgeoises diffusées à travers le
théâtre bourgeois au XVIIIe siècle par Diderot, Mercier, Beaumarchais... afin d’instruire les gens.
13
À ce sujet, Romera Pintor (2012 : 1136) affirme que : « Reza ha dejado claro en más de una ocasión
que se complace en retratar los conflictos interiores del hombre en la sociedad de nuestros días. Todos sus
personajes reúnen en cierta manera algún rasgo con el que el lector/espectador se puede identificar, tal y
como lo hace la propia autora [...] ». Il faut dire qu’il y a également l'identification du spectateur avec les
personnages selon leur état civil : « l’un est divorcé [Serge], l’autre mal marié [Marc] et le troisième est
justement sur le point de se marier [Yvan] » (Jaccomard, 2010 : 44).
14
Concernant le genre de la pièce, Jaccomard (2010 : 53) dit qu’elle a une : « [...] nature comique et
tragique, c’est-à-dire ambivalente [...] ». ​« ​Art ​» présente en outre quelques caractéristiques de la
tragicomédie française du XVIIe siècle comme le fait d’avoir un final heureux, à la fin les trois amis sont
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De même, l'écrivaine montre les deux côtés de l’homme : le côté civilisé et le côté
primitif ou du carnage​15​. À ce sujet, Romera Pintor (2012 : 1134) dit que :

« Y será esta lucha interior de los personajes, que se debaten entre el deseo de mostrarse
civilizados y el incontrolable impulso de perder los estribos dejando al descubierto la
verdadera naturaleza primitiva y salvaje que late en ellos [...] ».

Il y a des moments où les personnages manifestent ce qu’ils pensent vraiment en


raison de la tension cumulée, par exemple lorsque Marc et Serge disent à Yvan qu’il les a
foutus la soirée : « [Marc] Tu arrives avec trois quart d’heure de retard, tu ne t’excuses pas,
tu nous soûles de tes pépins domestiques... » (Reza, 2017 : 109), ou lorsque Yvan en a marre
des discussions des amis et décide que le tableau est ​une ​merde ​blanche : « Une merde
blanche !... (​Il ​est ​pris ​d’un ​fou ​rire​.) ... Car c’est une merde blanche !... Reconnais-le mon
vieux !... C’est insensé ce que tu as acheté !... » (Reza, 2017 : 115).

Ainsi, il est possible de raconter cette pièce à partir du rire, de l’humour, de l’ironie
des personnages, en mettant en valeur le côté comique d’​« Art »​, comme on a fait dans cette
étude. À ce sujet sur l’ironie dans le théâtre rezien, Bertolotti (s. d. : 96) affirme que : « [...]
l’ironie chez Reza ne semble pas être seulement un simple objet décoratif. Il s’agit bien
plutôt d’un élément qui structure et dirige l’ensemble de ses pièces ». C’est bien dans ce
sens qu’on a fait cette première partie de l’analyse, à partir de l’ironie, le rire et l’humour
des trois personnages et leur relation d’amitié triangulaire où le point de vue de Marc et
Serge est tranché, mais celui d’Yvan n’est pas clair à cause de son impartialité afin de ne
favoriser aucun de ses deux meilleurs amis. On a vu le rire comme un « signe de vitalité,
d’intégration et de cohésion sociale » (Bertolotti, s. d. : 99), mais aussi comme un signe
complice qui sert à cacher ce que les personnages pensent réellement, c’est un rire hypocrite
parfois. Chacun des trois amis a un rire avec une intention précise, celle d’Yvan, comme on
a vu, l’aide à se libérer des attaques de ses deux amis, c’est un rire libérateur mais aussi
révélateur car il avoue enfin tout en riant que l’Antrios est bien « une merde blanche »
(Reza, 2017 : 115) ; ainsi, il laisse entrevoir son avis à lui et non celui manipulé par ses deux
amis tout au long de la pièce, c’est un rire d’intégration dans le sens où il se met au même

réconciliés, et le fait d’avoir un spectateur envahi d’émotions, il rit, se sent identifié avec un ou plusieurs
personnages, mais il sent aussi de la compassion pour Yvan, ce personnage ridicule et pathétique qui est
le souffre-douleur de la pièce.
15
Pour faire référence à la pièce de théâtre de Y. Reza publiée en 2017 : ​Le ​Dieu ​du ​carnage​, où les
quatre personnages montrent également leur côté civilisé et leur côté primitif ou sauvage.
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niveau que ses deux amis et laisse d’être le souffre-douleur​16​. Le rire de Marc, quant à lui,
c’est le grand rire de la pièce, c’est ce rire-là qui déclenche l’intrigue, c’est un rire ironique
et complice en même temps qui cache son malheur, son chagrin d’avoir perdu cet ami qui
avait une grande affection pour lui auparavant. Mais c’est chez Serge que le rire fait preuve
de cohésion sociale, par exemple, lorsqu’il rit avant Yvan en face du tableau pour qu’Yvan
puisse rire de bon gré et à l’aise, et bien sûr le rire en soi est un signe de vitalité.

III. LA NÉGATION

Reza a mis dans ​« Art » toutes les négations possibles de la langue française : ​ne…
pas​, ​ne… aucun(e)​, ​ne… plus, ​ne… jamais, etc. Ci-dessous dans (1) quelques exemples des
différents types de négation​17​ employés par l’auteure tout le long de la pièce :

(1)
(1.a) « Tu ​ne ​t’intéresses ​pas ​à la peinture contemporaine [...] » (Reza, 2017 : 18) : «
Ça m’emmerde de ​ne pas avoir trouvé ce capuchon [...] » (Reza, 2017 : 22) ; « ​N​’est-ce ​pas
? » (Reza, 2017 : 27) ; « ​Ne ​sois ​pas​ toujours à essayer [...] » (Reza, 2017 : 27).

(1.a1) « ​Ne ​sachant comment affronter cette situation j’ai lancé que je devenais
misanthrope [...] » (Reza, 2017 : 57) ; « ​Ne ​t’en déplaise. » (Reza, 2017 : 73) ; « [...] je
crains que ce ​ne ​soit son père qui l’ait peinte. » (Reza, 2017 : 80) ; « [...] avant que je ​ne
perde tout contrôle de moi-même. » (Reza, 2017 : 92) ; « ​N​’importe quelle femme dirait [...]
» (Reza, 2017 : 92) ; « [...] ​ne serait-ce qu​’un mot dépassionné. » (Reza, 2017 : 106) ; «
N​’importe quoi [...] » (Reza, 2017 : 113).

(1.a2) « ​Pas ​vu. » (Reza, 2017 : 23) ; « [...] c’est moi [...] ​pas ​elle [...] »
(Reza, 2017 : 61) ; « ​Pas ​du tout... » (Reza, 2017 : 61) ; « ​Pas tout à fait, ​non​… ​» (Reza,
2017 : 71) ; « ​Pas à la croûte qu’il a [...] ​» (Reza, 2017 : 77) ; « Tu as ou ​pas ? ​» (Reza,
2017 : 115).

16
Cela dit, le rire chez Yvan est aussi un refuge pour fuir des situations où il ne se sent pas à l’aise, par
exemple lors de sa dispute avec sa mère : « [Sa mère à Yvan] oui bien sûr c’est drôle, toi tout te fait rire
[...] » (Reza, 2017 : 63). En tout cas, malgré son rire et le fait d’avoir appelé le tableau ​une ​merde ​blanche
ne convainc pas vraiment le lecteur, ou le spectateur, de son point de vue sur la toile car quand Serge lui
demande par son feutre, il est pétrifié et appelle ses deux amis « fous à lier » (Reza, 2017 : 116).
17
Dans ces exemples on n’a tenu compte que les phrases dites par les personnages et non par l’auteure. Il
s’agit d’exemples à valeur négative ou non, mais ayant au moins un adverbe négatif comme ​ne ​ou ​pas​.
Tous les autres exemples ont des mots avec un sens négatif (comme la préposition ​sans ​ou le verbe ​nier​)
ou expriment la restriction (​ne… que​).
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Paul Godoy Hilario - L’humour et la négation dans​ « Art »​ de Yasmina Reza - 9/14
(1.a3) « [...] je ​n​’ai​ même pas​ faim. » (Reza, 2017 : 69).

(1b) « Mon ami Marc [...] fait partie de ces intellectuels, nouveaux, qui, ​non ​contents
[...] » (Reza, 2017 : 16) ; « ​Non​, ce ​n​’est ​pas logique... » (Reza, 2017 : 25) ; « ​Non ​?! »
(Reza, 2017 : 26) ; « ​Non​... » (Reza, 2017 : 27) ; « ​Non​. » (Reza, 2017 : 28) ; « ​Non​, pas
récemment. » (Reza, 2017 : 31) ; « ​Non​, ​non​. » (Reza, 2017 : 34) ; « ​Non​, ​non​, ​non​, non​,
j’ai senti chez lui [...]. » (Reza, 2017 : 34) ; « ​Non​ !... » (Reza, 2017 : 111).

(1.b1) « [...] que la belle-mère de Catherine ​n​’y soit ​pas non plus [...] »
(Reza, 2017 : 59) ; « Moi ​non plus​ [...] » (Reza, 2017 : 120).

(1.c) « Tu ​n​’as ​aucune ​connaissance dans ce domaine [...] » (Reza, 2017 : 18) ; «
[...] j’ai suggéré qu’​aucun​ parent ​n​’y soit [...] » (Reza, 2017 : 59).

(1.c1) « ​Aucun ​effort. » (Reza, 2017 : 18).

(1.d) « [...] tu ​ne ​t’y es ​jamais ​intéressé. » (Reza, 2017 : 18).

(1.e) « À ce prix-là, on ​ne ​fait partie de ​rien​, Yvan. » (Reza, 2017 : 28) ; « Il ​ne ​vaut
rien​, tu sais. » (Reza, 2017 : 49) ; « Je ​ne ​crois à ​rien​. » (Reza, 2017 : 52) ; « Et alors, ​rien​.
Rien n​’est résolu. » (Reza, 2017 : 63).

(1.f) « [...] et ​ne plus avoir un gramme de discernement. » (Reza, 2017 : 29) ; « [...]
c’est qu’on ​ne ​peut ​plus ​rire avec lui. » (Reza, 2017 : 29) ; « On ​ne ​se comprend ​même plus
[...] » (Reza, 2017 : 104).

(1.g) « Ce ​n​’est ​ni ​bien ​ni ​mal [...] » (Reza, 2017 : 77) ; « On ​ne ​voit ​ni ​les nuages,
ni ​la neige. ​Ni ​la froideur [...] » (Reza, 2017 : 121).

(1.h) « Tu ​nies ​que je puisse apprécier en mon nom ce tableau ! » (Reza, 2017 : 43) ;
« [...] parce que j’ai ​refusé ​[...] ​» (Reza, 2017 : 63) ; « ​Annuler ​le mariage ?! » (Reza, 2017
: 69) ; « Je t’​interdis de parler de moi à ce connard. » (Reza, 2017 : 81) ; « J’​ignorais
totalement [...] » (Reza, 2017 : 104).

(1.i) « Tu as dit sérieusement, ​sans distance, ​sans ​un soupçon d’ironie [...]» (Reza,
2017 : 57).

(1.j) « Tu ​ne ​perçois ​que ​l’extérieur. » (Reza, 2017 : 27).

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On peut ainsi affirmer que plus de la moitié des négations dans ​« Art » appartiennent
à la structure classique de négation totale ​ne… pas​. En outre, les seuls procédés de négation
qui n’apparaissent pas dans cette pièce sont : ​ne​... ​nul​(​le​) (​part​), ne… guère et ​personne ne​...
Cependant, on trouve également maints mots (n’importe quelle classe de mots) avec un sens
négatif comme ​moins ou ​négative​, y inclus des mots (noms, adjectifs et verbes) formés à
partir de préfixes à valeur négative tels que ​dé- ​ou ​in-​. Rares sont les pages de cette pièce où
il n’y a aucun type de négation​18​.

« Yasmina Reza va droit au point douloureux » (Jaccomard, 2009 : 54), c’est une des
raisons pour laquelle les personnages nient tout le temps, ils rejettent ces affirmations tout au
long de la pièce, c’est une façon de cacher le chagrin, cette condition humaine, etc. Ces
négations aident aussi Reza à transmettre un « monde de sensations et non de faits »
(Jaccomard, 2009 : 53), qui est idéal pour le théâtre rezien qui participe à ce renouveau du
théâtre français contemporain.

Dans l’étude de Jaccomard (2009), elle parle des ouvrages de Reza : ​Nulle part ​et
Hammerklavier surtout, avec quelques mentions à ​« Art »​. Lorsqu’elle parle des ​dénégations
dans ​Nulle part​, elle les décrit comme : « Une telle litanie, sorte d’anaphore de ​ne pas et
d’​aucun​, trahit une conception [...] de ce qui constitue l’enfance et l’écriture de l’enfance
[...] » (Jaccomard, 2009 : 53). Néanmoins, ​« Art » n’est pas un ouvrage partiellement
(auto)biographique tel que ​Nulle part ​ou ​Hammerklavier​, mais un ouvrage qui illustre les
vrais dons de l’écrivaine. D’ailleurs, le seul argument dans ​« Art » ​qu’on connaît comme
résultat d’un fait réel est celui du coup de Marc à Yvan​19​.

Par conséquent, à la suite de cette étude de la négation dans ​« Art »​, on confirme la
maîtrise de la négation par Reza ; elle se sert surtout de la négation totale (1.a), mais aussi
des adverbes de négation ​ne ​(1.a1) et ​pas ​(1.a2) seuls, avec et sans valeur négative. « [...] je
crains que ce ​ne ​soit son père qui l’ait peinte. » (Reza, 2017 : 80) et « [...] ​avant que je ​ne
perde tout contrôle de moi-même. » (Reza, 2017 : 92), dans ces deux exemples le ​ne ​n’a pas
de valeur négative, il s’agit de deux ​ne ​explétifs, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas nécessaires
dans la phrase. En effet, si on consulte ​ne ​dans le ​Larousse​, on trouve ​ne ​sans valeur
négative dans quelques cas comme « dans les subordonnées dépendant de verbes signifiant
18
À la suite d’une relecture d’​« Art » ​(Reza, 2017) dont l’objet était de repérer toutes les négations dans
la pièce, on n’a constaté que huit pages sans négations (à l'exception des noms à valeur négative) : 13, 17,
20, 47, 84, 102, 117 et 118. Dans toutes les autres pages il y a soit un ​ne​, soit un ​pas​, ou soit un ​non ​au
moins.
19
Relire la note de bas de page 6 pour une meilleure compréhension.
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Paul Godoy Hilario - L’humour et la négation dans​ « Art »​ de Yasmina Reza - 11/14
“craindre” » ou « souvent après ​avant que », entre autres. Mais on trouve également dans ​«
Art » ​l’adverbe ​pas ​sans ​ne ​le précédant : « ​Pas ​du tout... [...] c’est moi [...] ​pas ​elle [...] »
(Reza, 2017 : 61). D’après le ​Larousse​, ​pas ​« constitue avec ​ne ​la négation du groupe verbal
[...] sans ​ne ​dans des phrases sans verbe [...] sans ​ne ​avec un adverbe, un complément, un
adjectif, un participe [...] ». L’adverbe ​non ​(1.b) est aussi employé à plusieurs reprises dans
la pièce : « ​Non ​?! » (Reza, 2017 : 26) ; « ​Non​... » (Reza, 2017 : 27) ; « ​Non​. » (Reza, 2017
: 28).

« Art » ​est également envahie de négations partielles, elle contient les trois types de
négation partielle qui existent avec ​ne ​:

- Accompagné d’un déterminant indéfini (​ne… aucun​(​e​)) : (1.c).

- Accompagné d’un pronom indéfini (​ne… rien​) : (1.e).

- Accompagné d’un adverbe (​ne… plus​ ; ​ne… jamais​) : (1.d) et (1.f).

Par ailleurs, Reza se sert aussi de la négation avec la conjonction ​ni ​accompagnée de
l’adverbe négatif ​ne ​: (1.g).

Enfin, on a en outre mis d’autres exemples dans ce corpus comme des verbes avec
un sens négatif (1.h), la préposition avec un sens négatif ​sans ​(1.i) et la restriction exprimée
avec ​ne... que...​ équivalant à ​seulement ​(1.j).

Reza utilise ces procédés de négation dans des phrases, concernant la forme,
affirmatives (sans valeur négative) et négatives, et dans des phrases, concernant la modalité
ou typologie, déclaratives, interrogatives, exclamatives, dubitatives et injonctives. Elle ne
laisse échapper aucun type ni forme de phrase. L’auteure se sert de toutes les formes et
modalités possibles de phrases et de différents procédés de négation pour montrer sa
capacité de création, sa virtuosité littéraire. À ce sujet, Bertolotti (s. d. : 97) déclare que :

« Ce n’est donc pas le fruit du hasard si le concept originaire de l’ironie fait route autour
[de] la négation de la réalité dans le but d’affirmer une réalité contradictoire, un espace
irréel au cœur même de la réalité. Ce rapport entre l’irréel et le réel où le réel est perçu
comme irréel et l’irréel comme réel appelle à remettre en cause ce mouvement par lequel
l’absurde peut entrer dans la réalité et être accepté, où le rire alors éclate, dans toute sa
splendeur explosive. [...] Le grotesque, le ridicule et l’absurde – qui ne sont que d’autres
formes d’ironie – s’insèrent et englobent le non-sens dans la réalité ».

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Paul Godoy Hilario - L’humour et la négation dans​ « Art »​ de Yasmina Reza - 12/14
Effectivement, l’humour avec la négation créent cette sorte de réalité contradictoire,
par exemple lorsque Marc et Serge qualifient de ​croûte ​le tableau qu’Yvan a chez lui :

« [Marc à Serge] Et tu vois ça à quoi chez lui ? Pas à la croûte qu’il a au-dessus de sa
cheminée ! [Yvan] Ce n’est pas du tout une croûte ! [Serge] Si, c’est une croûte. [Yvan]
Mais non ! » (Reza, 2017 : 77).

Marc et Serge estiment qu’il s’agit d’une ​croûte​, c’est-à-dire d’un mauvais tableau,
alors qu’Yvan le défend parce que pour lui ce n’est pas une croûte. C’est en fait sa négation
qui « finit par renforcer l’humour de la situation » (Da Silva, 2010 : 81).

IV. CONCLUSIONS

« Art » ​est un ouvrage qui décèle l’art de Reza comme écrivaine, son écriture en
toute sa splendeur. Cette pièce expose l’écriture rezienne comme une écriture très riche
linguistiquement et littérairement. Mais elle participe également au renouveau du théâtre
contemporain français dans le sens où elle le renouvelle à partir du drame bourgeois et
permet l’identification d’un public contemporain moyennisé avec ses personnages, que ce
soit à cause de l’état civil des personnages ou leur goût ou avis par rapport à l’art.

L’auteure a mis dans ​« Art » tous les procédés de négation possibles de la langue
française : des négations totales (​ne… pas​) ; des négations partielles (​ne… rien​) ​; etc. pour
les combiner avec l’humour des personnages afin de renforcer l’humour et provoquer ainsi
le rire du spectateur et du lecteur. De ce fait, on trouve que ses procédés littéraires et
linguistiques sont admirables, dignes d’être analysés, vu qu’ils permettent le classement d’​«
Art » ​comme œuvre littéraire.

BIBLIOGRAPHIE

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REZA, Yasmina (2018), ​Art de Yasmina Reza​, [vidéo de la pièce jouée par Victor Lièvre,
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