Vous êtes sur la page 1sur 3

I- Le théâtre au XXe siècle :

1- Contre l’autorité aristotélicienne :

On trouve dans L’Ère du soupçon de Nathalie SARRAUTE, publié en 1956, les


principaux traits de cette remise en question de l’autorité aristotélicienne dans le
domaine de la littérature : refus de l’intrigue, mort du personnage, de la notion de
héros, du narrateur omniscient (qui sait tout sur son histoire, ses personnages…), de la
littérature engagée au sens politique du terme, essai de nouvelles techniques
scripturaires (Claude OLLIER, Michel BUTOR, Marguerite DURAS…). Bref, une
remise en question de toutes règles et valeurs esthétiques et morales de l’écriture
littéraire qui trouvent leur référence jusqu’au début du XXe siècle dans La Poétique
d’Aristote.
Dans le domaine de l’art rappelons le tableau de René MAGRITE qui représente une
pipe accompagnée d’une légende : « Ceci n’est pas une pipe » ; « One and three
chairs » de Joseph KOSUTH. Nous pouvons citer à ce titre PICASSO : « Nous savons
tous que l’art n’est pas la vérité. L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la
vérité, du moins la vérité qu’il nous est donné de pouvoir
comprendre. » PICASSO, Propos sur l’art, Éditions Gallimard, Paris, 1998.
Le théâtre n’a pas échappé lui aussi à cette mutation. Reposant jusqu’à la fin du
XIXe siècle sur la règle de la « mimésis » ou imitation du réel. Il s’agit de créer une
illusion du réel à travers le jeu, les actions, les sentiments, les paroles des acteurs ; une
illusion dont le spectateur est complice.
Le théâtre selon La Poétique d’Aristote repose sur :
- l’importance de l’intrigue : importance du sujet, de l’action, de son déroulement
chronologique et logique…
- l’importance de la parole : importance de la parole au détriment du reste, tout le
langage non-verbal (gestes, costumes, lumières, effets sonores…) ; ce que Aristote
appelle le « spectaculaire ».

2- Les grands changements :

- Accentuation de la théâtralité, de ce qui est propre au théâtre : « […] on peut se


demander si le théâtre ne possèderait pas par hasard son propre langage, s’il serait
absolument chimérique de le considérer comme un art indépendant et autonome, au
même titre que la musique, la peinture, la danse, etc., etc. » Le Théâtre et son double,
Éditions Gallimard, Collection Folio-Essais, 1964, p. 106.
- Expérimentation de nouvelles écritures théâtrales (Antonin ARTAUD ; Bertolt
BRECHT ; Samuel BECKETT) ;
- Un autre contrat avec le spectateur non comme complice d’une illusion du réel
mais comme spectateur actif du jeu des acteurs, de leur performance ;
- Une autre scène pour le théâtre qui se jouera désormais dans la rue, les hangars, les
usines désaffectées, allant en parallèle avec l’abolition des frontières entre genres et
registres et entre classes sociales dans les salles de théâtre.

3- Les prémisses d’un changement :

— Victor HUGO et la remise en question de l’unité du temps et de l’unité du lieu ; de


la séparation des genres. Le théâtre romantique accentuera également le spectaculaire.
— Le rôle des symbolistes : avènement du théâtre comme espace onirique et comme
lieu abstrait. La finalité dans les deux cas est de rejeter les notions du réel et de
réalisme reposant sur les règles de la vraisemblance et de la mimésis. Stéphane
MALLARMÉ, dans Crayonné au théâtre (1897), appelle à un théâtre de
l’« invisible », « sans personnage et sans action », où le silence est plus important que
la parole ; où la stylisation met l’accent sur la scène ; où le personnage est remplacé
par l’ombre, un masque, une marionnette..
L’exemple d’Ubu-Roi d’Alfred JARRY : des pancartes en guise de décor sur
lesquelles le dramaturge a mentionné les noms des lieux ; pour le cheval d’Ubu, une
tête de cheval en carton que le personnage pend à son cou ; le jeu des personnages
proche de la caricature, des marionnettes ; le port du masque…
L’exemple de Paul CLAUDEL : les machinistes sur scène ; les acteurs se passent le
papier entre eux.
— Les surréalistes : avec APPOLINAIRE la dernière règle aristotélicienne qui définit
le drame tombe, à savoir l’unité de l’action. Les scènes se suivent sans qu’il y ait
nécessairement entre elles une cohérence, sans obéir au lien de causalité.
— Les influences étrangères : le théâtre du Nô ; le théâtre d’ombre javanais, chinois ;
les Ballets russes de Diaghlev…

4- Les trois grandes références du théâtre au XXe siècle :

1-Antonin ARTAUD :
Le théâtre de la cruauté c’est en quelque sorte ce que ARTAUD appelle la
« création totale », p. 143. La cruauté n’implique pas des meurtres ou des tortures sur
scène ; elle est un langage : « Cris, plaintes, apparitions, surprises, coups de
théâtre de toutes sortes, beauté magique des costumes pris à certains modèles
rituels, resplendissement de la lumière, beauté incantatoire des voix, charme de
l’harmonie, notes rares de la musique, couleurs des objets, rythme physique des
mouvements… apparitions concrètes d’objets neufs et surprenants, masques,
masques, mannequins de plusieurs mètres, changements brusques de lumière,
action physique de la lumière qui éveille le chaud et le froid. » C’est ce qu’il
appelle aussi un théâtre « métaphysique » par opposition au théâtre psychologique.
C’est un théâtre d’idées pas de sentiments qui touchent à des préoccupations
métaphysiques : Création, Chaos, Devenir… Le but est de réveiller « nerfs et cœur ».
Le langage « physique » : «…le sens d’un nouveau langage physique à base de
signes et non plus de mots. » p. 83 : « une sorte de langage unique à mi-chemin entre
le geste et la pensée ».
Le metteur en scène et l’acteur sont un seul « Créateur unique », p. 144.
La salle et la scène doivent être un seul espace.

2- Bertolt BRECHT :
Dans Écrits sur le théâtre, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000,
BRECHT oppose le « théâtre épique » au « théâtre dramatique » dit aussi
« aristotélicien ». Pour le dramaturge allemand, compte tenu des bouleversements que
le monde a connu après la Première Guerre mondiale, il était inconcevable de
continuer à faire un théâtre où l’individu se bat contre des puissances extérieures.
L’individu est désormais pris dans de grandes machinations collectives, d’où la
nécessité d’un théâtre qu’il appelle « épique ». La notion-clé dans ce nouveau théâtre
est la « distanciation ». Cette dernière bat en brèche un des fondements du théâtre
aristotélicien, à savoir l’identification entre l’acteur et le spectateur. Il voulait sortir ce
dernier de sa passivité, le détacher du spectacle, lui permettre d’avoir un regard
critique. Pour cela, le dramaturge peut recourir à des artifices ou des stimulateurs pour
briser le charme exercé généralement par l’action dramatique et maintenir le spectateur
en éveil : des bouts de films, reportage, documents, « songs », slogans… L’acteur lui-
même est appelé à prendre distance du personnage qu’il interprète ; il doit pouvoir le
regarder de temps à autre. Il appelle cette nouvelle façon de faire : « douches froides
pour les âmes sensibles ».
Quelques traits définissant la différence entre le théâtre dramatique et le théâtre
épique :
Forme dramatique / Forme épique
La scène "incarne" un événement / Elle narre
Implique le spectateur dans une action / Fait de lui un observateur
Épuise son activité intellectuelle / Éveille son activité intellectuelle
Lui est occasion de sentiments / L’oblige à des décisions
L'homme est immuable / L’homme transforme et se transforme

5- Le théâtre de l’absurde :

Albert CAMUS évoque « une sensibilité absurde ». L’absurde n’est pas dans le
monde ; il est dans la confrontation entre l’homme et le monde : « Le monde en lui
n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on peut dire. Mais ce qui est absurde, c’est la
confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au
plus profond de l’homme. » Le Mythe de Sisyphe, Éditions Gallimard, Coll. Idées
NRF, 1942, p. 37.
Face à l’extrême (guerres, injustices, haines, menace de destruction totale,
racismes…), l’homme peine à trouver une explication et surtout à changer le cours des
choses. CAMUS encore une fois : « […] cet univers indicible où règnent la
contradiction, l’antinomie, l’angoisse ou l’impuissance. » Ibid., p. 39.
Le théâtre de l’absurde est le plus populaire parmi les mouvements d’avant-garde.
Héritiers spirituels d'Alfred JARRY, des dadaïstes et des surréalistes, influencés par
les théories existentialistes d’Albert CAMUS (Caligula – l’obsession de l’impossible –
et de Jean PAUL-SARTRE), les dramaturges de l’absurde voient, selon d’Eugène
IONESCO, « l’homme comme perdu dans le monde, toutes ses actions devenant
insensées, absurdes, inutiles»).
Rendu célèbre par Eugène Ionesco (La Cantatrice
chauve, 1951 ; Rhinocéros, 1959), Arthur ADAMOV (L’Invasion, 1950 ; Le
Professeur Taranne, 1953) et Samuel BECKETT (En attendant Godot, 1952), le
théâtre de l’absurde tend à éliminer tout déterminisme logique. Il conteste le pouvoir
de communication du langage ; réduit les personnages à des archétypes égarés dans un
monde anonyme et incompréhensible. Ce mouvement connaît son apogée dans les
années 1950, mais prolonge son influence jusque dans les années 1970.

Vous aimerez peut-être aussi