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En 1936, une seconde inscription, complète celle-là, est découverte par l’archéologue et
épigraphiste italien Matteo Della Corte sur une colonne de la Grande Palestre, lieu public
consacré aux sports, à l’édification de la jeunesse et au marché des esclaves.
Située sur la colonnade ouest, elle est toujours visible et nous n’en avions jusqu’à présent
que trois « reproductions » inégales :
Cette dernière remarque pourrait sembler anodine, mais il suffit de consulter les quelques
livres écrits par Augustus Mau et Carolus Zangemeister (Inscriptionum parietariarum
Pompeianarum...) et consacrés aux différentes inscriptions trouvées à Pompéi, pour se
rendre compte que l’écriture la plus courante était sans orthographe, que les mots (y
compris ceux qui étaient gravés sur les tombes) étaient réduits à l’état d’abréviations, au
recours à l’ellipse, aux lettres inversées, voire à l’inversion totale ; tout cela témoignant
souvent, surtout dans les graffitis, d’une expression écrite calquée sur un langage
populaire qui servira d’origine aux langues italienne, espagnole et romanes diverses.
On peut supposer que le respect de l’orthographe par le graveur impliquait le respect de
ce que symbolisait pour lui le tracé de ces 25 lettres, au-delà de leur symétrie parfaite, et
que quel(le) qu’en fût la destination ou le destinataire, il se sentait fortement relié à lui, tout
autant que peut l’être un initié à son culte, qu’il soit populaire ou à mystères.
S’il n’était pas initié, il ne pouvait qu’en constater l’harmonie, la symétrie, et cette croix
formée par les deux mots TENET, parce que ces mots mis bout à bout n’avaient pas plus
de sens pour un pompéien que pour nous.
Bien sûr, la croix était pour lui un signe familier.
Il ignorait qu’elle était aussi vieille que le monde, mais quelle que fût son origine sociale il
connaissait les anciennes pièces d’or, d’argent ou de bronze servant de monnaie
d’échange et qui étaient frappées d’une croix.
Les seules de ce genre qui nous sont parvenues célébraient Apollon.
On remarquera que celle de la figure 10 porte les lettres APOL.
Les deux points de la figure 9 représentent donc le A et le O.
XXX
Le Pompéien vit au milieu des dieux.
Des temples sont dédiés entre autres à Apollon, Hercule, Bacchus, Vénus, Jupiter, Junon,
Minerve, mais aussi à Isis et naturellement à l’Empereur, incarnant à lui seul tous les
dieux.
Deux grandes fêtes ponctuaient l’année, les Jeux Apollinaires (début juillet) et les
Saturnales (mi-décembre).
Il n’est pas inutile de rappeler que les Jeux Apollinaires, furent institués en l’an 212 BC, à
la suite d’une prophétie des Carmina Marciana, confirmée par une consultation des Livres
Sybillins:
« Romains, si vous voulez chasser l'ennemi et le fléau qui vous arrive des extrémités de
l'univers, je vous engage à vouer à Apollon des jeux que vous célébrerez pieusement
chaque année, en partie aux frais du public, en partie aux frais des particuliers…. »
Le Pompéien, comme chaque romain, voue un culte aux dieux Lares, qui sont les
protecteurs de la famille et de leur foyer.
Les peintures murales qui ornent le laraire représentent généralement des dieux ou des
figures mythiques. La profusion des scènes retrouvées à Pompéi témoigne d’une grande
culture de ses habitants qui n’ignoraient pas les œuvres de poètes tels qu’Horace,
Lucrèce, Virgile, mais aussi Homère, Pindare et Hésiode.
Le point commun de toutes ces peintures est la représentation de deux serpents
bénéfiques situés généralement au bas de la fresque, et que l’on appelait
« agathodaemones », l’un, mâle, représenté avec une barbe, le « genius loci » du maître
de maison, l’autre, que l’on nommait « Juno », celui de son épouse. Ils étaient parfois
remplacés par un seul serpent, qui évoquait Agathodaemon, ancienne divinité égyptienne
protectrice du foyer et de la famille.
Mais en ces temps incertains où les empereurs, représentant sur terre le pouvoir divin, se
faisaient graver sur leur monnaie sous les traits de Jupiter ou d’Apollon, contrôlaient les
célébrations de certains cultes (et plus particulièrement celui de Bacchus dont César avait
rétabli les Bacchanales, interdites pendant plus de cent cinquante ans), le patricien
pompéien vouait ouvertement le culte du dieu de celui de ses ancêtres, les plébéiens et
les esclaves se mettant sous la protection de dieux de plus en plus incertains eux-mêmes,
très souvent confondus entre eux, Hercule, Bacchus,et Apollon, par exemple, tour à tour
considérés comme les emblèmes du soleil.
Diodore de Sicile nous rappelle que dans les Apothéoses on changeait souvent le nom
des personnes déifiées et que sous les traits de Bacchus ou de Dionysos, d’aucuns
vénéraient le Liber Pater, dieu de la viticulture, et d’autres Apollon.
Julien, dans son « Hymne au Soleil », écrit : « Apollon lui-même, interrogé pour savoir qui
il est, répond par son oracle, qu’il est le Soleil, Orus, Osiris, Bacchus et Apollon, le roi de
l’Univers, qui dispense le temps et les saisons, les vents et les pluies, qui ramène l’aurore
et la nuit, le chef suprême des astres et le feu éternel ».
Celui qui vouait son culte à Bacchus, ainsi que celui qui vouait le sien au « fascus populi
Romani », culte du phallus divin relié au Liber Pater, pouvaient s’en tenir à cette vision
superficielle.
L’adorateur d’Apollon ne pouvait détacher sa pensée de la statue
en bronze de l’Apollon archer qui côtoyait le Forum, ni surtout de
ce qu’elle symbolisait.
Apollon, fils de Zeus comme Bacchus, le « Phoibos » le Brillant
ainsi que le nomme Homère et qui l’assimile au Soleil, le dieu des
purifications et de la guérison, mais aussi celui qui est capable de
divination. Cet Apollon qu’invoquait Virgile en ces termes :
« Ô, notre Père, accorde-nous un présage ! ».
Apollon, tuant de ses flèches le dragon Python, gardien du
sanctuaire de Delphes et s’appropriant l’ oracle, puis allant
chanter tout un jour sa victoire sur les rives de l’Eurotas.
Mais aussi Apollon, tuant par jalousie Coronis, enceinte
d’Asclepios, dont il apprend avant qu’elle ne rende le dernier
souffle qu’il en est le père. La légende rapporte qu’il arracha
l’enfant du ventre de sa mère et le confia à Chiron pour que ce
dernier enseigne à l’enfant l’art de guérir. Fig. 12
Et là, dans la pénombre du laraire, propice à l’imagination, pourquoi ne pas voir en cet
oiseau bicolore, perché sur la tresse de lauriers, le corbeau blanc qu’il exclut à jamais des
oiseaux de cette couleur pour son indiscrétion ?
Le coq qui s’envole, pourrait-il alors symboliser Asclepios, dont Euripide et Pindare
disaient que « non seulement il guérissait les malades, mais encore ressuscitait les
morts ».
Asclepios Apalexicacos, le Sauveur, tel que le nomme Aelius Aristide, rhéteur et
sophiste grec du IIième siècle dans ses « Discours sacrés », lorsqu’il n’utilise pas à son
égard le terme de « Seigneur ».
Asclepios à qui l’on sacrifiait coqs et chèvres, et à qui était plus particulièrement associé
le Serpent, cet attribut de toutes les divinités que l’on adorait comme dieux de la
médecine, tant en Egypte que dans les anciens pays d’Orient.
XXX
Dans les siècles qui suivront, nombre d’imposteurs exploiteront la crédulité publique et
proclameront des oracles médicaux. Lucien de Samosate détaille la vie de l’un d’entre
eux, Alexandre d’Abonoteichus, qui avait eu l’adresse de se faire initier par un disciple
du fameux Apollonius de Tyane. S’inspirant des pratiques des prêtres d’Esculape, il fit un
nombre prodigieux de dupes et Marc-Aurèle lui-même fut victime de sa fourberie.
Lucien rapporte que lors de la peste qui ravagea de 165 à 168 l'Empire romain, fort de la
capacité qu’il prétendait avoir d’ éloigner les fléaux, y compris les incendies et les
tremblements de terre, il envoya des porteurs d’oracles dans toutes les régions de
l’Empire romain, notamment en Italie et à Rome, en poussant ses fidèles à afficher sur
leur porte ce vers oraculaire destiné à éloigner la souillure des maisons :
« Phoibos akeirekonais loimou nephelain aperukei », c’est à dire :
« Phoibos (Apollon) aux longs cheveux chasse les vapeurs de la peste ».
Lucien ajoute :« On pouvait repérer la formule inscrite sur le portail de toutes les
habitations , qu'elle devait théoriquement préserver du fléau à l'instar d'un gri-gri. Dans
bien des cas, ce fut le contraire qui se produisit, le hasard décimant tout spécialement les
demeures sur lesquelles elle avait été apposée ».
Talisman en Cinq mots, qui résume le pouvoir que les hommes attribuaient depuis des
siècles, en fait depuis l’Iliade, à Apollon qu’ils continuèrent d’adorer plus ou moins
ouvertement jusqu’au IVème siècle, date à laquelle l’Église des chrétiens imposa son
culte tout en se nourrissant des cultes antiques pour se développer. Tout d’abord en
christianisant des lieux, des temples, des rites païens, mais aussi en laissant subsister,
lorsque cela ne menaçait pas son autorité, des pratiques païennes, des chants, des
cultes, à des personnages sanctifiés par la «vox populi ».
Les temples avaient disparu, ou étaient affectés à des usages vulgaires, mais le
polythéisme n’était pas mort. Les amulettes et les talismans subsistaient alors que
les paroles des oracles s’envolaient comme des songes.
Ne demeurent que celles gravées dans la pierre par des hommes craintifs et
superstitieux.
XXX
La recherche heuristique enrichit plus l’esprit qu’elle n’apporte de suite une solution au
problème à résoudre.
Mais avant de conclure, attardons-nous sur l’image ci-
contre qui représente une obole grecque datant de 545-
525 BC.
Elle préfigure les « heaumes de protection » que l’on
retrouve sous forme de talismans protecteurs dans
toutes les traditions.
Fig. 14
On y retrouve la croix, symbole de la verticalité et de l’horizontalité avec au centre
l’Homme, le cercle figurant l’univers, les double-tridents représentant les 12 dieux y
trônant dans leurs constellations.
La configuration symétrique des lettres du carré ROTAS évoque bien celle de ce prototype
de symbole.
La conclusion de ces quelques réflexions pourrait se résumer ainsi :
Par souci de cohérence avec les textes qui nous ont déjà menés à
proposer une interprétation du mot AREPO, telle qu’auraient pu en
avoir les premiers chrétiens, nous pourrions lui attribuer, par glissement
dans le temps, les lettres A et O pour Apollo, celles REP à son fils
Asclepios, le REParator, le Sauveur.
Fig.15
Si tel était le cas, nous pourrions envisager que le créateur de ce talisman ait été un
pythagoricien familier des rites asclépiens, le plus proche et le plus célèbre thaumaturge
de cette époque étant Apollonius de Tyane, sans que cela puisse pour autant le désigner
avec certitude.
Le carré ROTAS pourrait être encore plus ancien et avoir traversé des siècles de
transmission s’il avait en son temps marqué les esprits comme le signe de sang sur le
linteau et les montants des portes des Hébreux la veille de l’Exode, ou les mascarons
atropopaïques athéniens et romains.
Les graffitis ROTAS trouvés à Duros Europa , en Syrie, sont datés de 260 AD.
Plus exactement (sic), ils sont antérieurs à l’an 260, toute la population ayant été déportée
par Shapour Ier, roi des rois Sassanides, et la ville abandonnée en 256.
Toutes les religions y étaient représentées, du culte de Baal à celui des chrétiens en
passant par Mithra .
Celui représenté Fig.16 est peint sur un
fragment de plâtre et a été trouvé au bloc E7,
Temple d’Azzanathkona, lors des fouilles faites
conjointement par l’ Université de Yale et
l'Académie française des inscriptions(1928-
1929).
A Pompéi, la statue de Diane (l’Artemis des grecs) fait face en vis-à-vis à celle de son
frère dans le temple d’Apollon.
G. H.
XXX
Quelques livres à télécharger :
Les œuvres complètes de Macrobe, Pomponius Mela, et « De la langue latine » de Varron
https://archive.org/details/macrobeoeuvresco00macruoft/page/n11/mode/2up
Pompéi décrite par Charles Bonucci
https://archive.org/details/pompeidecrite00bonu/page/n11/mode/2up
Un lien pour en savoir plus sur Apollonius de Tyane
https://www.apollonius-de-tyane.ch/index.php/a-propos-d-apollonius-de-tyane
Un lien sur l’ « Alexandre ou le faux devin » de Lucien de Samosate
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Alex/21-40.html