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Le millénaire de Rome
Commentaire de documents
La vie civique de Rome est rythmée par les fêtes religieuses et la fondation de
Rome en est un événement central. En 248 de notre ère, cette célébration prend une
autre ampleur puisqu’il s’agit du millénaire de la fondation mythologique de la Ville
par Romulus en 752.
Tout d’abord, nous avons trois récits à vocation historique. Le premier est
extrait des “Trois Gordiens”, un chapitre de l’Histoire Auguste. Cet ouvrage est une
histoire des empereurs, de 117 à 285, dont on ne connaît pas les auteurs. Cette partie
plus particulièrement traite des empereurs Gordien I, II et III, qui ont régné de 238 à
244, c'est-à-dire juste avant le millénaire. L’Histoire Auguste a été traduite en
français par André Chastagnol en 1994.
Le deuxième document est issu de la Chronique de Jérôme, source très
importante sur l’Antiquité. Il s’agit d’une Chronique universelle, en fait écrite en
arménien par Eusèbe de Césarée, qui retrace l’histoire du monde d’Abraham à 325.
Jérôme l’a ensuite traduite en latin et l’a complétée jusqu’en 380. C’est un outil
incontournable pour avoir une chronologie de l’histoire antique, bien que biaisée. En
effet, elle a été écrite par un chrétien, qui défend l’idée que les chrétiens étaient un
peuple supérieur aux autres. Notre passage parle du millénaire organisé par les
Philippes.
Le troisième texte est un extrait du Chronographe de 354, encore un texte
majeur pour dater les événements de l’Antiquité. C’est un calendrier latin, proche de
ce qu’on pourrait appeler un almanach, écrit entre 332 et 354 et commandé par un
aristocrate romain chrétien. Non seulement il relate des événements dans une
chronique mondiale et romaine, mais il contient également de nombreuses
informations sur les commémorations de la religion traditionnelle et celles des
communautés chrétiennes ainsi que sur les mouvements célestes, les empereurs,
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consuls et hauts dignitaires. Notre extrait est une brève description du règne des
Philippes.
Deux inscriptions sont ensuite intéressantes pour mener notre étude,
puisqu’elles célèbrent des gagnants des jeux ayant eu lieu lors du millénaire de
Rome. La première est une inscription en latin retrouvée à Rome célébrant Publius
Septimius Felix, un athlète. Elle a été retranscrite dans le Corpus Inscriptionum
Latinarum, paru en 1876. La seconde est une inscription grecque cette fois,
retrouvée à Athènes et recueillie dans le Inscriptiones Graecae et célébrant le héraut,
artiste orateur, Valerius Eclectos.
Le sixième document est un extrait du Talmud de Babylone. Le Talmud est un
ouvrage judaïque expliquant comment interpréter la Torah et organisant la vie et les
pratiques des juifs. Il existe deux Talmud, celui de Jérusalem et celui de Babylone,
celui dont nous vient l’extrait étudié. Cet extrait est plus particulièrement dans le
tome VI, Nézikin et dans le chapitre intitulé “Navoda Zara” / “Abodah Zarah”
présentant les cultes étrangers comme des idolâtries.
Il faut noter que la Chronique, le Chronographe, l’extrait du Talmud de
Babylone ainsi que les deux inscriptions ont été traduites en français par Nony et
Loriot dans leur ouvrage La crise de l’empire romain paru en 1997.
Le dernier document textuel est une blague tirée du Philogelos, le plus ancien
recueil de blagues retrouvé en Occident. Il a été écrit en Grec au III ou IVème siècle,
la seule certitude étant qu’il a été écrit après le millénaire de Rome, puisqu’une
blague est sur cet événement. Est c’est bien entendu cette blague que nous allons
étudier.
Enfin, les derniers documents sont des pièces de monnaie éditées et frappées
en 249, en l’honneur du millénaire de Rome. Elles représentent pour la plupart à
l’avers Philippe, le commanditaire des pièces, et de l’autre côté, un bestiaire et des
symboles représentant la puissance de Rome.
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- c’est une prérogative de l’empereur, en tant que magistrat, d’organiser ces jeux
- tête de l’empereur sur les monnaies : classique pour les empereurs, c’est un
média de communication impériale (de propagande), parce que les monnaies
sont diffusées loin et utilisées presque quotidiennement
- ici l’empereur Philippe l’Arabe a la tête radiée, c’est-à-dire cernée de
rayons, à l’image de Sol-Hélios (symbole d’éternité et de renouveau - le
lever du jour)
- les pièces de monnaies ont vraisemblablement été frappées avant le
millénaire, afin qu’elles soient déjà en circulation lorsque celui-ci a lieu
(cf article de Chastagnol)
- visage associé à l’envers à des animaux : lion (force, Jupiter), cerf
(longévité)
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- production de monnaies qui sont ensuite diffusées dans l’empire, comme tout
grand événement dans l’empire avec l’association du templum Urbis /
animaux avec l’empereur Philippe l’Arabe (IMP PHILIPPUS AUG)
- les animaux du bestiaire viennent de plusieurs des régions de l’espace dominé
par l’empire romain au IIIe siècle cf diaporama => un empire étendu, qui a les
moyens de capturer des animaux sauvages, en apprivoiser, et les ramener à
Rome, ce qui suppose de longs voyages
- les athlètes et artistes ne viennent pas seulement de Rome non plus :
- Publius Septimius Felix (doc.c), tria nomina donc citoyen romain,
vainqueur d’un concours au millénaire
- Valerius Eclectos (doc.d) grand voyageur, grec (“bouleute de
nombreuses autres cités” l.2-3), artiste (héraut) très connu qui a gagné
beaucoup de jeux et concours, donc c’est un invité prestigieux à Rome
- On insiste sur la faveur des dieux dans le doc.c : “A la présence de la Mère des
dieux” (Cybèle, divinité née à Rome par interpretatio romana au IIIème siècle
avant notre ère) => les jeux plaisent aux dieux, et les concours sont très
prestigieux
- On en parle dans
- le Talmud de Babylone : ça veut dire que ça a quand même impacté et
interpellé les sociétés judaïques
- Philogelos, c’est une blague donc elle se repose sur une évidence
partagée (ici, quand on fait référence au millénaire de Rome, on sait
que la tension qui a potentiel de faire rire l’interlocuteur est le fait que
les célébrations étaient irrégulières dans le temps) => le millénaire de
Rome fait partie des imaginaires hellénophones postérieurs (mais on
n’a pas de date précise)
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- “ils observent encore une autre fête à Rome”, Talmud : la fête est considérée
comme de l'idolâtrie.
- + pas de respect pour les lois et la fréquence des cérémonies. Phrases Talmud
“le calcul du maître est une falsification. Le frère de notre seigneur est le
faussaire. Quel profit tirera le trompeur de sa tromperie et le faussaire de sa
falsification ?” → est ce que la phrase ne serait pas intentionnellement
alambiquée pour montrer combien rien n’est fixé ni clair ?
- “Celui qui l’a vu, l’a vu ; celui qui ne l’a pas vu ne le verra plus.” : formule
solennelle toujours la même pour faire référence à l’exceptionnalité des jeux
séculaires. Mais Talmud et Philogelos s’en moquent puisque l’événement a
lieu plusieurs fois dans une vie (le dernier a eu lieu 44 ans auparavant) : “Ne
t'en fais pas. Au prochain jubilé du millénaire, c'est toi qui gagneras.”
(Philogelos). Comme dit plus tôt, évidence partagée.
- Passage Talmud : très critique et biaisé. “Description fantaisiste du héraut”
dans commentaire de l’éditeur.
- En tout cas, montre que des critiques montent dans des régions normalement
dominées par Rome. L'idolâtrie et les fastes excessifs selon Le Talmud,
l’irrégularité et la façon d’utiliser les fêtes à son intérêt propre pour les deux
documents.
- “Gordien les destinait à son triomphe persique ; mais ce vœu qu’il avait fait en
faveur du peuple ne fut pas exaucé” (doc.a, l.6-7) : en effet, il est mort à la
suite de blessures dûes à la bataille de Misiche face aux Perses. Premier
empereur qui meurt des suites de blessures de guerre. Son règne : première
fois que Rome est dans des batailles défensives et pas offensives.
- Menaces extérieures : Alamans à la frontière rhénane (surtout dans les années
230), Goths autour du Danube qui prennent beaucoup de territoire, mais
surtout les Parthes (Perses) : nouvelle dynastie Sassanide qui menace
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- “Gordien les destinait à son triomphe persique ; mais ce vœu qu’il avait fait en
faveur du peuple ne fut pas exaucé, car c’est Philippe qui les exhiba” :
Explication brève chronologie Maximin le Thrace - 2 Gordiens - Gordien III -
Philippe l’Arabe.
- “Les deux Philippes ont régné 5 ans 5 mois 29 jours.” (doc.c, l.1) : règnes
courts caractéristiques de ce siècle. “Les deux Philippes” : père et fils
co-empereurs, pour légitimer le fils et s’assurer une succession, pratique
également normale. Au vu des événements durant tout l’empire, technique qui
s’avère très peu efficace => des usurpations quand même.
- “Le faussaire”, “l’imposteur” : Talmud, serait pour désigner des empereurs
tous usurpateurs ? Gordien I et II sont des usurpateurs.
- “L'aîné est tué à Vérone, le plus jeune à Rome au camp de la garde
prétorienne” : Philippe l’Arabe assassiné par Trajan Dèce après une bataille
entre eux deux à Vérone. Son fils est assassiné par la garde prétorienne qui
avait changé de camp pour Trajan Dèce.
- époque de l’“Anarchie militaire” : l'armée domine le Sénat car elle dans les
faits qui choisit qui est l’empereur, souvent issus de l’armée, qui sont pour la
plupart usurpateurs, font des coups d’Etat. Ex : Philippe l’Arabe, préfet du
prétoire, dans l’armée, rang équestre
- Même en 248 : plusieurs usurpateurs (Pacatianus, Jotapianus, Silbannacus,
Sonsianus) et en 249 Trajan Dèce est proclamé empereur : vraiment une
période trouble → jeux permettent à Philippe de redorer son image dans ce
contexte, et les documents ayant tous été rédigés après 249 et la chute de
Philippe l’Arabe, il est possible qu’ils aient une lecture téléologique des faits
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Nous nous demandions dans quelle mesure ces sources très variées éclairent
le déroulement et la réception des célébrations du millénaire de Rome. Ces
célébrations fastueuses et riches sont organisées pour magnifier un empire et ses
empereurs en réalité fragiles. Malgré l’insistance sur la faveur divine, la puissance
éternelle de Rome et l’influence étendue de la Ville sur l’empire, des critiques
émergent et laissent apparaître la crise du IIIème siècle à Rome.
Après ce jubilé, de nombreux écrivains déplorent l’absence de jeux séculaires.
Les prochains et derniers ne sont organisés qu’en 404 par Flavius Honorius.
Certaines sources chrétiennes, dans leur lecture eschatologique de l’histoire romaine,
analysent ces difficultés comme l’annonce du déclin inéluctable de Rome.
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Bibliographie
EVERS Cécile, Pierre BASTIEN, “Le buste monétaire des empereurs romains”,
L'Antiquité classique, n°69, 2000, pp. 554-557.