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L'antiquité classique

Le roi Hiempsal II de Numidie et Rhodes


Vassa N. Kontorinis

Résumé
L'auteur publie une inscription inédite de Rhodes par laquelle le peuple honore le roi de Numidie Hiempsal II (c. 88-60 avant J.-
C). Elle étudie la généalogie de cette famille royale et reprend une inscription de Syracuse (Notizie degli Scavi, 1956, p. 96), qui,
malgré ses mutilations, permet de mieux fixer la succession chronologique des différents rois.

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Kontorinis Vassa N. Le roi Hiempsal II de Numidie et Rhodes. In: L'antiquité classique, Tome 44, fasc. 1, 1975. pp. 89-99;

doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1975.1766

https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1975_num_44_1_1766

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LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE
ET RHODES 1

Pendant les travaux2 exécutés dans l'église byzantine Panagia tou


Kastrou, située dans la vieille ville de Rhodes, en 1969, on a découvert à
1,50 m du sol, une inscription qui est encastrée à l'envers sous le crépi
du pilastre nord de l'arc central. C'est une base rectangulaire en marbre
de Lartos dont la hauteur est 0,30 m, la largeur 0,68 m et la hauteur des
lignes 0,02 m. Elle porte le texte suivant (voir planche I) :
Ό δΰμος ο Ψο$ίω\>
έτίμ,ασε
Βασίλη Ίνμψύα βασιλέως
Γάου του εκ βασιλέως
5 Μαστανάβου τοΰ εχ βασιλέως
[Mac 3]αννάσα.
Il s'agit sans aucun doute d'une base de statue élevée par les Rhodiens
en l'honneur du roi de Numidie Hiempsal II (88-60 av. J. C. environ) 4,
déjà connu par les inscriptions latines et par la littérature grecque et

1 Un court rapport préliminaire a été donné dans les Archaeologika Analekta ex


Athinon, VII (1974), fasc. 2, p. 213.
2 Je tiens à remercier le foui Heur M. Elias Kollias, qui m'a permis de publier cette
le Service Archéologique du Dodecanese, ainsi que M"e Eos Zervoudaki pour
ses indications. Au cours de ce travail, mon maître, M. Louis Robert, m'a aidé de ses
conseils ; je lui exprime ma profonde gratitude.
3 Sur la signification de cette lettre pointée à l'intérieur des crochets droits, v. Jeanne
et Louis Robert, La Carie, II, p. 11. On distingue assez faiblement sur la pierre la barre
horizontale supérieure du Σ et son apex extérieur.
4 C'est la situation politique très troublée du royaume numide à cette époque qui
nous oblige à dater très approximativement le règne d'Hiempsal II en utilisant le premier
et le dernier texte où on le mentionne comme roi : Plutarque, Marius, 40, qui raconte
que le jeune Marius s'est réfugié en Afrique, auprès de lui, en 88 av. J. C. et Cicéron, In
Vatinium, V, 12, qui rappelle que Vatinius, en 62, passa de son territoire pour se rendre
en Espagne. Nous discutons ce point de vue un peu plus loin.
90 V. Ν. KONTORINI

latine, mais qui apparaît ici pour la première fois dans l'épigraphie
grecque. L'inscription soigneusement gravée en beaux caractères du ier s.
av. J.-C, ornés d'apices, est dans l'ensemble bien lisible sur la pierre et
sur l'estampage. Le texte ne pose pas de problèmes de restitution et
l'établissement du nom de Massinissa5 à la dernière ligne est certain
selon le stemma de la famille qui ressort de l'inscription.
La transcription des noms des rois numides mérite d'être notée en
premier lieu. A la 1.2 on lit : Ίυμψύα. La présence assez curieuse de deux
Y donne une nouvelle forme du nom du roi Hiempsal, tout à fait
différente de celles que nous offrent les nombreuses variantes dans la
tradition manuscrite des auteurs grecs : on a ainsi dans Plutarque 6
Ίεμφάλας, Ίεμφάλ, Ίαμφά, Ίάμφα et Ίάμφας. Chez Dion Cassius 7, on
lit Ίεμφοΰ et chez Diodore 8 Ίάμφαμος. Dans Appien9, on trouve
Ίεμφάλας et, dans Joannes Malalas, dit d'Antioche 10, Ίέμψαλος et Ίέμ-
φαδω. Par contre, la tradition latine, épigraphique " et littéraire 12, donne
presque unanimement le type Hiempsal, sauf quelques variations comme
Hiemsal, Hiensal 13 et Hyempsal u, assez proches d'ailleurs.

5 L'étude de G. Camps, Massinissa, ou le début de l'histoire, dans Libyca, VIII


(1960), p. 187, a montré qu'il fallait adopter comme orthographe du nom la forme
Massinissa, et non Masinissa etc. En effet, la seule inscription libyque (J. B. Chabot,
Recueil des inscriptions libygues, n° 2), qui mentionne le nom de Massinissa, l'écrit IXIX
(MSNSN), c'est-à-dire qu'elle donne la même valeur aux sifflantes de la deuxième et de
la dernière syllabe.
6 Les quatre premiers types dans Pompée, 124 (éd. Teubner 1973 ; v. l'apparat
critique) et le dernier dans Marins, 40, 4 et 10 (éd. Teubner 1971).
7 XLI, 41, 3 (éd. Boissevain, vol. II, p. 24).
s XXXIV/XXXV, 35, 1 (éd. Loeb, 1967, p. 134). Ici il s'agit de son homonyme, fils
de Micipsa.
9 De bello civili, I, 62 et 80 (éd. Em. Gabba, Florence, 1958).
10 Chronographia, fr. 64.
11 Dessau, 840, 3. — Gsell, Inscriptions latines de l'Algérie,!, 1242, 1.
12 Salluste, Bellum Jugurthinum, V, 7 (éd. Budé, 1941). Il s'agit ici aussi de
l'homonyme Iempsal I — Ciceron, In Vatinium, V, 13 (éd. Loeb, 1958) et De lege
agraria, oral, I, 4, 10 et 11 ; oral, II, 22, 58.
13 Ce sont deux types proches donnés par différents manuscrits pour le même passage
de Salluste de la note (12). L'inscription CIL, VIII, 8834, 1, provenant de Tubusuctu, de
Mauretania Sitifensis, fournit aussi la forme Hiemsal.
14 Tite-Live, Periochae ex libro LXII (éd. Teubner 1910 ; voir l'apparat critique). Ici
c'est le remplacement de iota par / grec qui fait la différence. De toute façon, un autre
manuscrit fournit pour le même passage la forme courante Hiempsal, que l'éditeur a
préférée.
LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE ET RHODES 91

L. 4, Γάος, est encore une nouvelle forme. Jusqu'à présent les textes
épigraphiques et littéraires grecs et latins gardaient constamment la
diphtongue -AY. On avait ainsi Γαϋος à Syracuse 15, Γαύδας dans Dion
Cassius 16. Les Latins 17 ne connaissent qu'un seul type : Gauda.
L. 4 et 5 : του έχ βασιλέως. L'emploi de la préposition èx + génitif au
lieu du simple génitif d'origine pour désigner l'ascendance royale est
courant 18 à l'époque hellénistique avancée 18a. Au contraire,
on y recourt très rarement dans le cas de particuliers 19. Dans le coin du
Γ, on distingue20 une petite barre oblique qui marque l'association d'un
Κ au Γ. Peut-être voulait- on garder les deux graphies EK et ΕΓ (ΕΓ est
très fréquent devant un bêta, par ex. έγ βασιλέως).
L. 6. [Μασ]αννάσα. Quoique le début du nom manque, on le restitue
ici sans hésiter21 tel qu'il nous apparaît dans les inscriptions délien-
nes, où on a toujours le forme avec un redoublement du Ν " : cf. la
dédicace du roi Nicomède, de Bithynie 23 [Βασιλείς Νιχομήδης Έπι-
[φ]ανής/ [βασιλέως] Προυσίου Ι β[ασιλέα Μα]σαννάσαν βασιλέως
Γαία ···, celle du Rhodien Charmylos, fils de Nicarchos 24, Βασιλέα
Μασαννάσαν βασιλέως Γαία/Χαρμύλος Νιχάρχου 'Ρόδιος ... et du Délien
Hermon, fils de Solon 25, [Β]ασιλέα M ασαννά[σαν]/βασιλέως Γαία "Ερμων
Σόλωνος τον αύτοϋ φίλον. Dans les comptes des hiéropes Inscr. Délos
442 A, le roi numide est mentionné plusieurs fois, à l'occasion soit de
son couronnement26 par les Déliens εις τους στεφάνο[υς] τώι βασιλει

" C'est une inscription de Syracuse, Notizie degli Scavi, 1956, p. 96. Cf. notamment
les remarques dans le Bulletin Epigraphique, 1958, 561. Je reviendrai sur cette
: ci-dessous, p. 95 sq.
16 Dion Cassius, frg. 89, 4 (Ed. Boiss. vol. I, p. 333).
17 Dessau, 840, 3; Gsell, I.e., I, 1242, 2. — Salluste, U, LXV, 1.
11 Cf. les nombreux exemples dans OGI, Index VI.
Ila Une inscription inédite découverte récemment dans la ville de Rhodes offre un
autre exemple de cette tournure ; Τον έγ βασιλέως Άριαράθου.
19 L. Robert, BCH, 1933, p. 483.
20 Surtout à la 1.5 qui est mieux conservée. Sa répétition prouve qu'elle n'est pas due
au hasard.
21 Les traces sur la pierre ne permettraient pas la répétition d'un sigma.
22 Sur l'orthographe du nom en général, cf. Durrbach, Choix d'inscriptions de Délos,
p. 158. V. aussi Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, III, p. 178.
" Inscr. Délos, 1577.
24 IG, XI, 4, 116.
" IG, XI, 4, 1115.
26 L. 43 et 67.
92 V. Ν. KONTORINI

Φίλίππωί χαί τώι βασιλεϊ Μ[α]σ[α]ννάσαι, soit d'un chargement de blé


envoyé par lui et qui fut vendu au profit du temple 27 : την τιμήν του
σίτου τοΰ παρά τοϋ βασιλέως Μασαννάσα.
L'intérêt de ce document unique ne consiste pas seulement dans la
graphie particulière de noms indigènes. C'est en effet le seul texte
épigraphique grec qui présente le stemma d'une grande partie (202-60
av. J. C. environ) de la famille royale de Numidie ; pour cette raison il
nous permet surtout de compléter ou de corriger quelques points de vue
sur l'histoire de cette famille.
Connu comme un roi cultivé 28, Mastanabal, fils 29 de Massinissa,
vainqueur aux Panathénées εν τ[ώι ί]/πποδρόμωι. fèjx πάντων [συν-
ωρίδι] / πωλίχεϊ Μαστανάβας [βασ]ιλέ/ως Μασανάσσου 30, a été omis dans
l'inscription31 de la nouvelle Carthage, en Espagne, énumérant les
ancêtres de Juba II jusqu'à Massinissa : Régi Jubae refgisj/ Jubae fllio,
regifsj/ Iempsalis n., régis GaufdaeJ/ pronepoti, régis MasinissfaeJ/
pronepotis nepotil Hvir quinqu. patrono, coloni.
Selon une récente publication, pareille omission tiendrait au fait que ce
roi n'a pas exercé le pouvoir avec les mêmes prérogatives que les autres
membres de la dynastie32. Quel que soit le motif33, on possède
deux documents épigraphiques, une stèle punique du sanctuaire
d'El-Hofra34 et notre inscription rhodienne, qui prouvent que
fut bien un roi reconnu dans son pays comme à l'étranger.

27 L. 101 ; 103 ; 104 et 106.


2g Tite-uve, Periochae, ex libro L: Graecis litteris eruditus.
29 Selon les témoignages épigraphiques et littéraires, il était fils légitime de Massinissa
et, comme tel, a participé avec ses deux frères Micipsa et Gulussa au collège triumviral
qui se partagea le pouvoir en Numidie (148-139 avant notre ère). Voir Gsell, Le, III,
p. 364 et Er. Koestermann, C. Sallustius Crispus, Bellum Jugurthinum, Heidelberg,
1971, p. 44. Nous ne suivrons donc pas Ronald Syme quand il le considère dans son
Sallust (Cambridge Univ. Press, 1964), p. 139 comme «an illegitimate son of
Massinissa».
30 IG, II2, 2316, 1. 41-44.
Jl Dessau, 840, 3.
32 V. J. Matthews, The «Libri puni ci» of King Hiempsal, dans Am. J. Philol, 93
(1972), p. 331, note 5.
33 Gsell, Le, VIII, p. 237, n. 1 : «Mastanabal a été omis, soit par oubli, soit, selon
Mommsen, faute d'un terme approprié pour indiquer le degré de parenté que Juba avait
avec lui».
34 A. Berth ier et R. Charlier, Le sanctuaire punique d'El-Hofra, à Cons tontine,
p. 59, n° 63 (PI. X, A). C'est une inscription mentionnant les trois frères-rois Mik-
wsam, Gulussan et Mastanaba ... Cf. G. Camps, I.e., p. 233.
LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE ET RHODES 93

Après la défaite de Jugurtha en 105 avant notre ère34a et dans des


conditions qui restent fort obscures, un partie de la Numidie passa à
Gauda 35 — le fils 36 de Mastanabal — débile 37 intellectuellement, mais
fidèle à Rome. St. Gsell, en commentant cette période, écrit : «Salluste
n'a pas cru devoir indiquer comment les affaires d'Afrique furent réglées
après la guerre. Nous n'avons aucun renseignement précis38».
C'est son successeur39, Hiempsal II, qui a été honoré par les
Rhodiens. Nous avons accepté un peu plus haut40 les dates de 88 et 62
av. J. C. pour fixer très approximativement son règne 41. Evidemment il
est fort possible que son accession au trône soit antérieure à 88, mais on
ne peut, en tout cas, pas le placer, avec E. Babelon42, R. Gardner43 et
Ed. T. Newell 44, en 105 c'est-à-dire à l'époque même où son père Gauda
parvenait au pouvoir. Peut-être le règne de ce dernier fut- il court, mais
on n'en sait rien. La date de la mort d'Hiempsal nous est également
De toute façon en 50 avant notre ère son fils, Juba Ier, était déjà
roi sans doute depuis quelques années45.

34a Je n'ai eu connaissance de l'étude de Tad. KoTULA,Afryka ρό/nocna w starozytnosci


(Nordafrika im Altertum), Varsovie, 1972, que par le compte rendu en allemand de J.
Wolski dans Gnomon, 47 (1975), Heft 1, p. 90 sq.
35 Gsell, Le, V, p. 125 et VII, p. 263. Cf. aussi H. Bengtson, Grundriss der
rômischen Geschichte, p. 165.
36 Schur, art. Mastanabal, dans R.-E., XIV, (1929), considère qu'il s'agit, comme
pour Jugurtha, d'un fils illégitime de Mastanabal. Or aucun témoignage ancien n'y fait
allusion.
37 Salluste, Le, LXV, 1, nous le dépeint comme morbis confectus et ob earn causant
mente paulum immini ta. Il n'y a aucune source ancienne justifiant son classement parmi
les rois «hellenistisch gebildeten» comme Juba II et d'autres, comme le fait L. Teutsh
dans son étude Das Stâdtewesen in Nordafrika in der Ziet von C. Gracchus bis zum Tode
des Kaisers Augustus, Berlin, 1962, p. 232.
38 Le, VII, p. 262. Cf. aussi Th. Mommsen, Rômische Geschichte, II, p. 155.
39 Gsell, Le, VII, p. 276.
40 Voir note 4.
41 Selon Camps, Le, p. 15, «le second (se. Hiempsal II) régna après Gauda,
entre 80 et 60 av. J. C».
42 E. Babelon, Quelques remarques sur des monnaies d'Afrique et d'Espagne, dans la
Revue Numismatique, 1889, p. 397 : 106-60 av. J. C, dans le stemma des rois de
Numidie adopté par J. Mazard, Corpus nummorum Numidiae Mauretaniaeque, p. 28.
43 Editeur de In Vatimium de Cicero dans la collection Loeb (1958) p. 256: «C.
105.60-B.C».
44 Royal Greek Portrait Coins, 1937, p. 96 : «circa 106-60 B.C.».
45 Gsell, Le, VII, p. 289.
94 V. Ν. KONTORINI

On peut se demander si c'est dans les écrits de ce roi que Salluste a


trouvé ses renseignements sur les premiers habitants de l'Afrique46.
Mais, comme il n'a pas précisé de quel Hiempsal il s'agit, on a émis
l'hypothèse que l'auteur de ces livres en langue punique était Hiempsal I,
fils de Micipsa 47. En fait, je crois, avec St. Gsell 48 et V. J. Matthews 49,
que c'est à Hiempsal II qu'il faut attribuer les libri punici. Outre les
raisons déjà avancées par ces deux savants, il paraît plus vraisemblable
d'admettre qu'ils ont été écrits par Hiempsal II, un roi capable d'établir
des relations avec Rhodes dont le rayonnement intellectuel était encore
très vif50, plutôt que par Hiempsal I, qui a laissé peu de traces dans
l'histoire.
Il est maintenant certain qu'Hiempsal II, de même que son successeur
Juba Ier, ne régnait pas sur toute la Numidie. Séparant son état de la
Maurétanie, existait à l'Ouest un autre royaume51, dont le souverain,
contemporain d'Hiempsal, s'appelait, selon Aurelius Victor,
et selon Cicéron, Mastanesosus53. St. Gsell en s'appuyant sur la
légende MÈTNÇN qui se trouve au revers de quelques monnaies numides
a supposé que ces trois noms désignaient un même personnage qui a

46 Bell. Jug., XVII, 7 : Sed qui morales initio Africain habuerint ... uti ex libris
Punicis, qui régis Hiempsalis dicebantur.
47 Camp, Le, p. 15-16 ; R. Syme, I.e., p. 153.
48 Le, I, p. 331-2.
49 Le, p. 331.
50 Elle attirait encore en ce temps-là des philosophes comme Posidonios d'Apamée et
des orateurs, comme Apollonios Molon d'Alabanda ainsi que des élèves célèbres comme
Cicéron et Jules César. Son gymnase disposait d'une bibliothèque assez riche. Voir L.
Robert, BCH, 1935, pp. 424-425 et M. Segre, Rivista di filologia classica, 1936,
p. 40. Cf. Bull. Epigr., 1938, 265.
51 Cette question a été amplement traitée par St. Gsell dans son ouvrage déjà cité, vol.
VII, pp. 263; 281-283 et 290-291.
52 De viris il lus tribus, 77. Lenschau, art. Hiempsal, dans R.-E., VIII (1913), croit à
tort que le nom Massinissa se trouve employé ici par erreur à la place de celui
Contra: Gsell, I.e., VII, p. 282.
" In Vatinium, V, 12. Dans son commentaire sur ce personnage, l'éditeur P. Gardner
(Collection Loeb, 1958) estime «possible» que ce nom, inconnu d'autre part, ait servi à
désigner Masintha. Or, non seulement Gsell lui avait consacré un chapitre de son livre
(publié en 1928 ; v. note 1), mais encore J. Mazard recensait son monnayage dans le
Corpus nummorum Numidiae Mauretaniaeque (1955), n°* 99-100. Sur ce Masintha, voir
Gsell, Le, VII, p. 294.
LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE ET RHODES 95

régné de 8 1 à 46 avant notre ère 54 ; son monnayage, par ailleurs très peu
abondant, revêt un style particulier55. Il s'agit du roi Mastenizen ou
Mastenisa 1 56 qui a régné sur la Numidie occidentale à l'époque
d'Hiempsal II et de son fils Juba Ier. Détrôné par Hiarbas, un prince
numide allié des marianistes, il fut rétabli par Pompée en 8 1 avant J. C.
Par la suite, l'aide qu'il apporta à Juba Ier contre Jules César lui coûta
son royaume ; celui-ci fut donné par César à Sittius et au roi de Mauréta-
nie Bocchus57.
Mais un nouveau document épigraphique vient parfaire nos
sur ce sujet : c'est une inscription 58 de Syracuse gravée sur un
petit pinax de marbre blanc mutilé, sur lequel a été sculpté un bas-relief,
ce qui a provoqué l'effacement presque entier du texte. Tout ce qui en
reste, peu lisible d'ailleurs, constitue maintenant le cadre de la
fragmentaire d'une figure assise (?). L'inscription, découverte en
1949 pendant des fouilles exécutées dans la ville, a été publiée en 1956
avec un fac-similé dans Notizie degli scavi, p. 96, par C. V. Gentili dans
le rapport des fouilles. Le mauvais état de conservation du texte, ainsi
que le fait qu'elle a été mise au jour parmi des trouvailles très diverses
(p. ex. un fragment d'un petit cadre, deux monnaies en bronze, l'une
d'Agathoclès de la période 317-310 et l'autre d'Agrigente du ve s. av. J.
C. etc.), ne nous permettent pas de tirer de conclusion sur son rôle. Nous
donnons dans la planche II une photo de ce pinax dont les dimensions
sont les suivantes : hauteur 0,146 m ; largeur 0,272 m ; épaisseur 0,008
m. Les lettres, munies d'apices, s'élargissent vers les bouts 59. Leur écart

54 Gsell, I.e., VII, p. 291. Il ajoute un troisième Μασσαννάσσης cité par Appien,
Bellum civile, IV, 54, 5 comme contemporain et allié de Juba Ier et père d'Arabion.
55 Les rares pièces existant sont recensées par J. Mazard, Le, nos 99-100. J. Mar-
cillet-Jaubert rapporte encore une monnaie dans son article Monnaie numide de
Mastenissa /", dans Libyca III (1955), pp. 371-372.
16 Sur la graphie de son nom, voir la discussion de Camps, Le, p. 187-8. Cf. aussi
Gsell, Le, V, p. 160.
" Appien, Bell, civ., IV, 54-5.
" Je remercie vivement M. G. Voza, Directeur du musée de Syracuse, qui m'a envoyé
un moulage en plâtre, un estampage et des photos de l'inscription en question, comme
aussi M. Roland Martin. C'est ainsi que j'ai eu la possibilité d'étudier ce curieux
document, connu seulement par le fac-similé de C V. Gentili, et de faire les vérifications
des noms si importantes pour sa datation et pour le rapprochement historique que je vais
essayer de faire.
59 On les distingue plus nettement sur la moulage que sur la photo.
96 V. Ν. KONTORINI

varie ainsi que leurs dimensions, p. ex. l'omicron, de la dernière ligne est
plus petit que les autres. La hauteur de la première ligne est 0,009 m. Le
texte se présente ainsi :

[Βασύ]ευς Μαστεάβαρ ω βασί[λέ]φς Γαύου


Σ τ/
y
77 Εγ
5 Γ — Ι Α Ν

ΛΟγ
Γ
>r\ ν

Mise à part la première ligne, le reste ne consiste qu'en lettres isolées


ou de traces incertaines, ce qui rend impossible toute tentative pour
rétablir le texte. De toute façon, la lecture du nom des deux rois
Μαστεάβαρ et Γαύου (toujours avec la diphtongue) est sûre. Or, la
comme roi du fils de Gauda place cette inscription sans aucun doute
au Ier s. av. J. C, étant donné que ce dernier est arrivé au pouvoir en 105
après la défaite de Jugurtha61. C. V. Gentili l'a datée, d'après l'écriture,
de l'époque d'Hiéron II (270-215 av. notre ère)62. Mais cette date ne
peut pas être acceptée, puisque le texte ne comporte que quelques mots,
bien insuffisants pour fournir un critère paléographique de datation. Par
contre, l'existence des éléments internes, c'est-à-dire des deux
générations de rois de Numidie, peut nous amener à un placement
chronologique plus sûr.
M. Guarducci en signalant ce document croit qu'il s'agit du roi
Masteabar qui, selon elle, était peut-être le fils aîné du roi Gauda de
Numidie, portant, semble- 1- il, le nom de son grand- père Mastanabal et
qui a obtenu peut-être le pouvoir royal avant Hiempsal ". Or, d'après

60 Plutôt que Μαστεάβαρ dans Notizie. Cf. Μαστανάβας.


61 Voir ci-dessus, p. 93.
62 Le, p. 96.
63 Voir Actes du 2e Congrès Intern. d'Epigraphie grecque et latine à Paris, 1952
(1953), p. 49.
en l'honneur
Rhodes du
: Dédicace
roi de Numidie
des Rhodiens
Hiempsal
PLANCHE II

Syracuse ·. Fragment d'une plaque inscrite


sur laquelle a été sculpté, en remploi, un bas- relief.
LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE ET RHODES 97

l'inscription, ce Masteabar était certainement roi, mais rien ne


d'affirmer qu'il a régné sur le même royaume que son père Gauda et
son frère Hiempsal. De plus, les auteurs anciens ne nous donnent pas de
renseignements très précis sur la succession de Gauda. On croit
généralement qu'il a laissé la couronne à son fils Hiempsal 64. Mais, si
Masteabar avait régné légitimement entre Gauda et Hiempsal, on devrait
le trouver dans l'inscription Dessau, 840 et dans notre texte rhodien, les
seuls qui nous offrent le stemma de la famille royale numide. Son
nous montre donc que ce n'est pas en Numidie orientale que nous
devons le placer.
Je crois qu'il faut identifier ce Masteabar avec Mastenizen I, le roi de
Numidie occidentale. L'apparente différence des noms Masteabar et
Mastenizen ne devrait pas faire obstacle à l'identification, étant donné les
variantes qui affectent facilement les transcriptions grecques et latines
des noms indigènes. En effet, il ne serait pas très facile de reconnaître
immédiatement le même personnage dans le Ίάμφαμος de Diodore, le
Ίεμφοΰ de Dion Cassius et le Ίυμφύας de notre inscription. Le fait qu'il
était frère d'Hiempsal 6S convient très bien avec les mentions qu'on a de
lui en 81 66, en 62 67 ou encore en 47-46 avant notre ère68.
Si on se réfère au passage du De Viris il lus tribus, 77 (Pompeius)

64 Voir Gsell, Le, V, 125.


65 Gsell, Le, VII, p. 282, se demandait déjà s'ils étaient parents. Camps, Le, (dans
le stemma de cette famille, après la page 244) a formulé l'hypothèse qu'il était fils de
Gauda et frère d'Hiempsal ; peut-être est-ce sous l'influence du rapport de M. Guarducci
au Congrès.
66 Aur. Victor, De Viris Mus tribus, 77 : {Pompeius) Numidiam Hiarbae ereptam
Masinissae restitua.
67 Cicéron, In Vatinium, V, 12 : Cum Mud Her Hispaniense pedibus fere confia
soleat, ... venerisne in Sardiniam atque indem in Africam, fuerisne — ... — in regno
Hiempsal is, fuerisne in regno Mastanesosi, venerisne ad fretum per Mauretaniam.
68 Appien, Bell, civ., IV, 54, 5 : (Σίττιος) Γαΐω τε Καίσαρι διώχοντι τους Πομπψανούς
εν Αιβύχι συνεμάχησε xai Σαβόρραν Ίόβα στρατηγόν διώνυμον άνεϊλε xai γέρας τούτων
έλαβε παρά Καίσαρος την Μασσανάσσον γήν, ούχ άπασαν άλλα το χράτιστον .αυτής.
Μασσανάσσης δ'ήν Άραβίωνος τούδε πατήρ, Ίόβα σύμμαχος, xai αυτού τήν χώραν ό
Καίσαρ τψδε τφ Σιττίω χαί Βόχχω Μαυρουσίων βασιλεϊ δεδώρητο. Il fait cependant
reconnaître qu'il devait avoir un âge très avancé en 47-46 puisqu'il était déjà roi en 82-
8 1 av. J. C. On pourrait penser à un successeur homonyme ; de toute façon les monnaies
portant la légende MSTNZN constituent deux séries bien distinctes : celle de Mastenizen
I et celle de son fils Arabion qui s'appelait, lui aussi Mastenizen. Cf. J. Mazard, Le. , n0$
99-100 et 101-102; également, J. Marcillet-Jaubert, Le, pp. 371-372.
98 V. Ν. KONTORINI

Numidiam Hiarbae ereptam Masinissae restituit qui est le seul texte


relatant cet épisode, on voit qu'il s'agit bien de son rétablissement
sur le trône, en 81 avec J. C, dont lui et son frère avaient été expulsés
par Hiarbas 69. Il devait donc régner avant 81, qui constitue le terminus
ante quern de la création du royaume de Numidie occidentale. Gsell se
demandait si ce second état n'avait pas été formé après la mort de Gauda
ou au lendemain de la guerre contre Jugurtha 70. Après notre discussion,
il faut accepter la création de cet état tout au moins après la mort de
Gauda, mais dans des circonstances qui restent obscures à cause du
silence des sources anciennes. Ce qui est intéressant, c'est que les
souverains de Numidie occidentale appartenaient à une branche de la
même famille royale massyle que les princes de Numidie Orientale.
Il reste à se demander pour quelle raison les Rhodiens ont ainsi
honoré Hiempsal II. Elle est probablement d'ordre financier. La Numidie
représentait alors pour Rhodes un important partenaire commercial et
s'ouvrait largement aux produits rhodiens : les timbres amphoriques
rhodiens trouvés dans les fouilles en cette région prouvent que cette
pénétration commerciale s'est étendue dans presque tout le pays71. De
plus, on sait maintenant que la Numidie ne négociait pas directement son
blé avec Délos, mais passait par l'intermédiaire de Rhodes72.
Hiempsal aurait- il accordé aux commerçants rhodiens des facilités et
des franchises ou aurait- il fait preuve de la même générosité que son
ancêtre Massinissa? Celui-ci avait offert du bois de thuya et de
l'ivoire73. Peut-être, après tout, ces honneurs lui ont-ils été rendus lors

69 J. Mazard, Le, p. 45 et p. 55 renvoie, sans références précises d'ailleurs, à


Plutarque et à Tite-Live ; ces derniers ne nous donnent aucun renseignement à ce sujet.
70 Le, VII, pp. 263, 282, 290.
71 Si l'on considère la Numidie et les contrées environnantes, les exemples sont
multiples. A Carthage, cf. Gsell, Le, IV, pp. 153-4. A Leptis Magna, cf. Bull. Epigr,
1966, 501. A Constantine dans le monument-mausolée du Khrouba (près de l'ancienne
Cirta), généralement attribué à Massinissa, et dans deux autres sépultures découvertes
dans cette ville, cf. Bull. Epigr., 1944, 200 a ; cf. aussi Camps, Le. p. 197. A Castellum
Tidditanorum (Tiddis), près de la villa à mosaïques, cf. Bull. Epigr., 1962, 373.
72 Mich. Rostovtzeff, Gesellschafts- und Wirtschaftsgeschichte der hellenistischen
Welt, II, p. 547. En général sur le commerce rhodien et spécialement sur les rapports
commerciaux avec la Numidie, outre cet ouvrage, voir aussi E. Ziebarth, Beitrâge zur
Geschichte des Seeraubs und Seehandels im al ten Ghechenland et Zur Handelsgeschichte
der Insel Rhodos, Mélanges Glotz, p. 911, sqq.
73 Gsell, Le, III, p. 307, d'après Suidas, s.v. θύον.
LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE ET RHODES 99

d'un passage à Rhodes comme ce fut le cas pour son arrière petit-fils,
Ptolémée, roi de Maurétanie : sur sa route vers la Lycie il s'arrêta à
Athènes qui tint à l'honorer74. Roi érudit, probablement écrivain,
de la mythologie grecque, Hiempsal aurait pu profiter de
pour visiter Rhodes, qui, malgré les symptômes manifestes du
déclin, restait encore assez puissante.
De toute façon il est évident que par ces marques de déférences les
Rhodiens défendaient les intérêts de leur négoce. En effet, la première
moitié du Ier s. avant notre ère était très dure pour Rhodes. La
domination romaine absolue en Méditerranée, les guerres contre
Mithridate et la lutte continue contre les pirates avaient épuisé sa
puissance maritime et son commerce. Les timbres amphoriques datés du
Ier s. avant J. C. sont partout beaucoup moins nombreux qu'au
paravant 75. Il ne faut cependant pas interpréter cette crise comme la
preuve d'une décadence totale de Rhodes : elle est encore capable en 67
avant J. C. de fournir à Pompée les vaisseaux qu'il demandait pour sa
lutte contre les pirates 76 et, sur le plan commercial, notre inscription, qui
atteste la persistance des échanges entre Rhodes et la Numidie, étaye la
thèse de M. Rostovtzeff pour qui la diminution du nombre des
ne signifiait pas la disparition du commerce rhodien 77.
En conclusion on voit qu'à un double point de vue cette inscription
s'est révélée intéressante : elle nous présente, pour la première fois,
Hiempsal II en relation avec la Grèce et en même temps elle laisse
que l'activité commerciale de Rhodes n'est pas encore éteinte à
l'époque de ce roi 78, alors que la souveraineté romaine s'étendait sur
presque tout le bassin de la Méditerranée.

El. Vénizélou 170, Vassa N. Kontorini.


K. Hélioupolis.
Athènes.

74 J. et L Robert, Bull. Ep., 1963, 253.


75 Cf. par ex. les conclusions de l'étude des timbres amphoriques trouvés à Salamine
de Chypre : Y. Calvet, Salamine de Chypre III. Les timbres amphoriques 1965-1970.
76 F. Hiller von Gaertringen, art. Rhodes, dans R.-E., Suppl. V, col. 804, 11. 30-
34.
77 Le, vol. H, chap. VI, pp. 612 et 614.
7* Car il est probable qu'en décernant ces honneurs au roi numide les Rhodiens
espéraient obtenir une position avantageuse dans cette partie de l'Afrique.

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