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Résumé
L'auteur publie une inscription inédite de Rhodes par laquelle le peuple honore le roi de Numidie Hiempsal II (c. 88-60 avant J.-
C). Elle étudie la généalogie de cette famille royale et reprend une inscription de Syracuse (Notizie degli Scavi, 1956, p. 96), qui,
malgré ses mutilations, permet de mieux fixer la succession chronologique des différents rois.
Kontorinis Vassa N. Le roi Hiempsal II de Numidie et Rhodes. In: L'antiquité classique, Tome 44, fasc. 1, 1975. pp. 89-99;
doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1975.1766
https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1975_num_44_1_1766
latine, mais qui apparaît ici pour la première fois dans l'épigraphie
grecque. L'inscription soigneusement gravée en beaux caractères du ier s.
av. J.-C, ornés d'apices, est dans l'ensemble bien lisible sur la pierre et
sur l'estampage. Le texte ne pose pas de problèmes de restitution et
l'établissement du nom de Massinissa5 à la dernière ligne est certain
selon le stemma de la famille qui ressort de l'inscription.
La transcription des noms des rois numides mérite d'être notée en
premier lieu. A la 1.2 on lit : Ίυμψύα. La présence assez curieuse de deux
Y donne une nouvelle forme du nom du roi Hiempsal, tout à fait
différente de celles que nous offrent les nombreuses variantes dans la
tradition manuscrite des auteurs grecs : on a ainsi dans Plutarque 6
Ίεμφάλας, Ίεμφάλ, Ίαμφά, Ίάμφα et Ίάμφας. Chez Dion Cassius 7, on
lit Ίεμφοΰ et chez Diodore 8 Ίάμφαμος. Dans Appien9, on trouve
Ίεμφάλας et, dans Joannes Malalas, dit d'Antioche 10, Ίέμψαλος et Ίέμ-
φαδω. Par contre, la tradition latine, épigraphique " et littéraire 12, donne
presque unanimement le type Hiempsal, sauf quelques variations comme
Hiemsal, Hiensal 13 et Hyempsal u, assez proches d'ailleurs.
L. 4, Γάος, est encore une nouvelle forme. Jusqu'à présent les textes
épigraphiques et littéraires grecs et latins gardaient constamment la
diphtongue -AY. On avait ainsi Γαϋος à Syracuse 15, Γαύδας dans Dion
Cassius 16. Les Latins 17 ne connaissent qu'un seul type : Gauda.
L. 4 et 5 : του έχ βασιλέως. L'emploi de la préposition èx + génitif au
lieu du simple génitif d'origine pour désigner l'ascendance royale est
courant 18 à l'époque hellénistique avancée 18a. Au contraire,
on y recourt très rarement dans le cas de particuliers 19. Dans le coin du
Γ, on distingue20 une petite barre oblique qui marque l'association d'un
Κ au Γ. Peut-être voulait- on garder les deux graphies EK et ΕΓ (ΕΓ est
très fréquent devant un bêta, par ex. έγ βασιλέως).
L. 6. [Μασ]αννάσα. Quoique le début du nom manque, on le restitue
ici sans hésiter21 tel qu'il nous apparaît dans les inscriptions délien-
nes, où on a toujours le forme avec un redoublement du Ν " : cf. la
dédicace du roi Nicomède, de Bithynie 23 [Βασιλείς Νιχομήδης Έπι-
[φ]ανής/ [βασιλέως] Προυσίου Ι β[ασιλέα Μα]σαννάσαν βασιλέως
Γαία ···, celle du Rhodien Charmylos, fils de Nicarchos 24, Βασιλέα
Μασαννάσαν βασιλέως Γαία/Χαρμύλος Νιχάρχου 'Ρόδιος ... et du Délien
Hermon, fils de Solon 25, [Β]ασιλέα M ασαννά[σαν]/βασιλέως Γαία "Ερμων
Σόλωνος τον αύτοϋ φίλον. Dans les comptes des hiéropes Inscr. Délos
442 A, le roi numide est mentionné plusieurs fois, à l'occasion soit de
son couronnement26 par les Déliens εις τους στεφάνο[υς] τώι βασιλει
" C'est une inscription de Syracuse, Notizie degli Scavi, 1956, p. 96. Cf. notamment
les remarques dans le Bulletin Epigraphique, 1958, 561. Je reviendrai sur cette
: ci-dessous, p. 95 sq.
16 Dion Cassius, frg. 89, 4 (Ed. Boiss. vol. I, p. 333).
17 Dessau, 840, 3; Gsell, I.e., I, 1242, 2. — Salluste, U, LXV, 1.
11 Cf. les nombreux exemples dans OGI, Index VI.
Ila Une inscription inédite découverte récemment dans la ville de Rhodes offre un
autre exemple de cette tournure ; Τον έγ βασιλέως Άριαράθου.
19 L. Robert, BCH, 1933, p. 483.
20 Surtout à la 1.5 qui est mieux conservée. Sa répétition prouve qu'elle n'est pas due
au hasard.
21 Les traces sur la pierre ne permettraient pas la répétition d'un sigma.
22 Sur l'orthographe du nom en général, cf. Durrbach, Choix d'inscriptions de Délos,
p. 158. V. aussi Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, III, p. 178.
" Inscr. Délos, 1577.
24 IG, XI, 4, 116.
" IG, XI, 4, 1115.
26 L. 43 et 67.
92 V. Ν. KONTORINI
46 Bell. Jug., XVII, 7 : Sed qui morales initio Africain habuerint ... uti ex libris
Punicis, qui régis Hiempsalis dicebantur.
47 Camp, Le, p. 15-16 ; R. Syme, I.e., p. 153.
48 Le, I, p. 331-2.
49 Le, p. 331.
50 Elle attirait encore en ce temps-là des philosophes comme Posidonios d'Apamée et
des orateurs, comme Apollonios Molon d'Alabanda ainsi que des élèves célèbres comme
Cicéron et Jules César. Son gymnase disposait d'une bibliothèque assez riche. Voir L.
Robert, BCH, 1935, pp. 424-425 et M. Segre, Rivista di filologia classica, 1936,
p. 40. Cf. Bull. Epigr., 1938, 265.
51 Cette question a été amplement traitée par St. Gsell dans son ouvrage déjà cité, vol.
VII, pp. 263; 281-283 et 290-291.
52 De viris il lus tribus, 77. Lenschau, art. Hiempsal, dans R.-E., VIII (1913), croit à
tort que le nom Massinissa se trouve employé ici par erreur à la place de celui
Contra: Gsell, I.e., VII, p. 282.
" In Vatinium, V, 12. Dans son commentaire sur ce personnage, l'éditeur P. Gardner
(Collection Loeb, 1958) estime «possible» que ce nom, inconnu d'autre part, ait servi à
désigner Masintha. Or, non seulement Gsell lui avait consacré un chapitre de son livre
(publié en 1928 ; v. note 1), mais encore J. Mazard recensait son monnayage dans le
Corpus nummorum Numidiae Mauretaniaeque (1955), n°* 99-100. Sur ce Masintha, voir
Gsell, Le, VII, p. 294.
LE ROI HIEMPSAL II DE NUMIDIE ET RHODES 95
régné de 8 1 à 46 avant notre ère 54 ; son monnayage, par ailleurs très peu
abondant, revêt un style particulier55. Il s'agit du roi Mastenizen ou
Mastenisa 1 56 qui a régné sur la Numidie occidentale à l'époque
d'Hiempsal II et de son fils Juba Ier. Détrôné par Hiarbas, un prince
numide allié des marianistes, il fut rétabli par Pompée en 8 1 avant J. C.
Par la suite, l'aide qu'il apporta à Juba Ier contre Jules César lui coûta
son royaume ; celui-ci fut donné par César à Sittius et au roi de Mauréta-
nie Bocchus57.
Mais un nouveau document épigraphique vient parfaire nos
sur ce sujet : c'est une inscription 58 de Syracuse gravée sur un
petit pinax de marbre blanc mutilé, sur lequel a été sculpté un bas-relief,
ce qui a provoqué l'effacement presque entier du texte. Tout ce qui en
reste, peu lisible d'ailleurs, constitue maintenant le cadre de la
fragmentaire d'une figure assise (?). L'inscription, découverte en
1949 pendant des fouilles exécutées dans la ville, a été publiée en 1956
avec un fac-similé dans Notizie degli scavi, p. 96, par C. V. Gentili dans
le rapport des fouilles. Le mauvais état de conservation du texte, ainsi
que le fait qu'elle a été mise au jour parmi des trouvailles très diverses
(p. ex. un fragment d'un petit cadre, deux monnaies en bronze, l'une
d'Agathoclès de la période 317-310 et l'autre d'Agrigente du ve s. av. J.
C. etc.), ne nous permettent pas de tirer de conclusion sur son rôle. Nous
donnons dans la planche II une photo de ce pinax dont les dimensions
sont les suivantes : hauteur 0,146 m ; largeur 0,272 m ; épaisseur 0,008
m. Les lettres, munies d'apices, s'élargissent vers les bouts 59. Leur écart
54 Gsell, I.e., VII, p. 291. Il ajoute un troisième Μασσαννάσσης cité par Appien,
Bellum civile, IV, 54, 5 comme contemporain et allié de Juba Ier et père d'Arabion.
55 Les rares pièces existant sont recensées par J. Mazard, Le, nos 99-100. J. Mar-
cillet-Jaubert rapporte encore une monnaie dans son article Monnaie numide de
Mastenissa /", dans Libyca III (1955), pp. 371-372.
16 Sur la graphie de son nom, voir la discussion de Camps, Le, p. 187-8. Cf. aussi
Gsell, Le, V, p. 160.
" Appien, Bell, civ., IV, 54-5.
" Je remercie vivement M. G. Voza, Directeur du musée de Syracuse, qui m'a envoyé
un moulage en plâtre, un estampage et des photos de l'inscription en question, comme
aussi M. Roland Martin. C'est ainsi que j'ai eu la possibilité d'étudier ce curieux
document, connu seulement par le fac-similé de C V. Gentili, et de faire les vérifications
des noms si importantes pour sa datation et pour le rapprochement historique que je vais
essayer de faire.
59 On les distingue plus nettement sur la moulage que sur la photo.
96 V. Ν. KONTORINI
varie ainsi que leurs dimensions, p. ex. l'omicron, de la dernière ligne est
plus petit que les autres. La hauteur de la première ligne est 0,009 m. Le
texte se présente ainsi :
ΛΟγ
Γ
>r\ ν
d'un passage à Rhodes comme ce fut le cas pour son arrière petit-fils,
Ptolémée, roi de Maurétanie : sur sa route vers la Lycie il s'arrêta à
Athènes qui tint à l'honorer74. Roi érudit, probablement écrivain,
de la mythologie grecque, Hiempsal aurait pu profiter de
pour visiter Rhodes, qui, malgré les symptômes manifestes du
déclin, restait encore assez puissante.
De toute façon il est évident que par ces marques de déférences les
Rhodiens défendaient les intérêts de leur négoce. En effet, la première
moitié du Ier s. avant notre ère était très dure pour Rhodes. La
domination romaine absolue en Méditerranée, les guerres contre
Mithridate et la lutte continue contre les pirates avaient épuisé sa
puissance maritime et son commerce. Les timbres amphoriques datés du
Ier s. avant J. C. sont partout beaucoup moins nombreux qu'au
paravant 75. Il ne faut cependant pas interpréter cette crise comme la
preuve d'une décadence totale de Rhodes : elle est encore capable en 67
avant J. C. de fournir à Pompée les vaisseaux qu'il demandait pour sa
lutte contre les pirates 76 et, sur le plan commercial, notre inscription, qui
atteste la persistance des échanges entre Rhodes et la Numidie, étaye la
thèse de M. Rostovtzeff pour qui la diminution du nombre des
ne signifiait pas la disparition du commerce rhodien 77.
En conclusion on voit qu'à un double point de vue cette inscription
s'est révélée intéressante : elle nous présente, pour la première fois,
Hiempsal II en relation avec la Grèce et en même temps elle laisse
que l'activité commerciale de Rhodes n'est pas encore éteinte à
l'époque de ce roi 78, alors que la souveraineté romaine s'étendait sur
presque tout le bassin de la Méditerranée.