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Nous savons peu de choses sur l'identité des copistes de manuscrits du Moyen Âge,
sur le regard qu'ils portaient sur leur activité, sur leur responsabilité éventuelle face à
leurs commanditaires ou leurs lecteurs, face au texte qu’ils copiaient. Tout au plus un
colophon généralement situé en fin d'ouvrage nous indique la joie que l'un ressent
d'avoir terminé son travail : (« Finito libro, sit laus et gloria Christo ») ; un autre
exprime la pénibilité du métier, un autre encore réclame de l'argent, un autre du vin ;
un autre enfin exprime indirectement un message politique de refus des Carolingiens
et de leur législation en ajoutant à son manuscrit sur la Loi Salique un texte
parodique (1):
(1) In :Magali Coumert : « Contester l’autorité législatrice ? » La résistance au pouvoir royal dans
les manuscrits carolingiens de la loi salique.
Ce copiste est Agambertus, un bénédictin du IXème siècle exerçant à l'Abbaye
de Fleury qui, bien que de nombreux doutes subsistent, aurait pu être évêque
d'Albi, une Notice de l'Eglise Saint-Eugène de Vioux, tirée des archives de
Sainte Cécile à Albi, en faisant mention sous le « rege Carolo » , c'est à dire
entre 768 et 800, dates où Charlemagne a pu être désigné par ces mots.
Le folio (181v) que nous allons tenter de déchiffrer partiellement fait partie du
manuscrit référencé « Valenciennes. BM. 0059 (052) », dont l'auteur en est
Hieronymus (Saint Jérôme) qui l'écrivit vers l'an 400 et le copiste Agambertus.
Il s'agit d'une lettre de Jérôme à Paulin , où le saint l'exhorte à l'étude de la Sainte
Ecriture, et fait un dénombrement abrégé des livres de l'Ancien et du Nouveau
testament.
On sait que le manuscrit a été écrit en l'an 806, en un mois et demi, pour une
abbesse, qu'il a été conservé longtemps dans un couvent dont les religieuses étaient
lettrées, le document comprenant de nombreuses annotations éclaircissant le texte.
A l'exception des lettres hébraïques, Agambertus va utiliser ces alphabets pour rédiger
le folio 181v qui nous intéresse et dont la totalité constitue encore une énigme pour
les spécialistes en paléographie et en philologie : monogramme, abréviations, texte
crypté (voyelles remplacées par la consonne suivante), anagrammes, carrés de lettres
dont le carré SATOR.
Tout cela a déjà fait l'objet d'études très minutieuses, à l' exception des carrés de
lettres, qui montrent que ces différents chiffrements étaient destinés à attirer
l'attention sur un message que l'on voulait transmettre secrètement, soit pour exprimer
une pensée non orthodoxe, soit pour garantir qu'un nom, et donc la personne derrière
lui, ne soient pas oubliés.
Ainsi le monogramme nous révèle que le manuscrit était destiné à une Abbesse
nommée vraisemblablement Théotilde (les experts n'arrivant pas à se prononcer entre
Hlottildis ou Theodildis,,,). Aucun autre document datant de cette époque ne faisant
mention d'une Abbesse ayant porté ce nom, l'information ne nous est guère utile, mais
dans l'esprit d'Agambertus, derrière chaque lettre, derrière chaque mot, derrière
chaque nom se cachait l'Esprit de Dieu et cette Abbesse passerait à l'éternité.
Nous verrons que le choix d'Agambertus de s'exprimer au travers d'alphabets anciens,
alors qu'Alcuin, ami et conseiller de Charlemagne, tentait d'imposer la minuscule
caroline depuis plus de 25 ans tant pour les textes administratifs que pour les écrits
religieux, relève certainement plus d'une opposition bien ancrée aux méthodes du
pouvoir carolingien que d'un jeu intellectuel tel qu'il était couramment pratiqué à
cette époque.
Mais revenons quelques années en arrière, plus exactement le 8 octobre 2013, date à
laquelle je découvris ce carré SATOR dans les archives de la BNF (2)
(2) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8452674f/f364.item
Du long échange qui s'ensuivit après sa publication sur le site du GROUPE SATOR
(Recherches, Hypothèses et inventaire) (3) nous pouvons retenir 3 points essentiels :
3) Jérôme écrit par ailleurs dans cette lettre à Paulin: « Combien en voyons-nous
aujourd'hui qui se flattent d'être savants, et qui ne sauraient ouvrir ce livre scellé, à
moins qu'il ne leur soit ouvert par celui « qui a la clef de David, laquelle ouvre ce que
personne ne peut fermer, et ferme ce que personne ne peut ouvrir. »
Référence au verset 3.7 de l'Apocalypse : « Écris à l'ange de l'Église de Philadelphie:
Voici ce que dit le Saint, le Véritable, celui qui a la clef de David, celui qui ouvre, et
personne ne fermera, celui qui ferme, et personne n'ouvrira, »
Puis le temps passa. Ce temps fut consacré plus à la recherche de spécimens de carrés
ROTAS ET SATOR qu'à la résolution de l'énigme elle-même. Des centaines
d'exemplaires collectés un peu partout dans le monde nous permirent d'imaginer
mieux comment ils avaient été utilisés au cours des siècles, et à quelles fins, aussi
diverses qu'imaginables : dispersés essentiellement pendant les premiers siècles
autour du Bassin méditerranéen, ce qui peut laisser supposer qu'ils ont été importés
en ces pays par les armées romaines sous leur forme ROTAS; disséminés dans des
manuscrits religieux , tant catholiques qu'orthodoxes ou coptes vraisemblablement
après une appropriation chrétienne, sous leur forme SATOR ; utilisés comme
talismans représentant le Christ protecteur contre les démons, la maladie et le
feu...Tout cela dans une atmosphère paradoxale emplie de croyances et de
superstitions, de religiosité et de sorcellerie.
(3) https://www.facebook.com/groups/457148744346444/posts/598664943528156
Pour rester cohérent avec mes écrits précédents, il me faut rappeler brièvement que
dans un premier article, en date du 6 février 2020, je proposais une lecture nouvelle
de ce carré, imaginant qu'il n'y avait aucun mot significatif à y trouver, malgré les
apparences, et que seul, le mot AREPO, disposé en forme de Dièse, suffisait à
construire un talisman en forme de Heaume de protection, tel qu'il avait été utilisé en
certains lieux et siècles par les magiciens et sorciers (4).
Dans un second article, en date du 25 avril 2020 (5), intitulé AREPO et le Pompéien,
j'imaginais qu'avant son appropriation par les chrétiens, AREPO aurait pu signifier
pour un Romain l'identité cachée d'ApollO.
Je m'appuyais notamment sur l'existence de pièces frappées d'une croix et des deux
lettres A et O, célébrant Apollon, et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir.
(4) https://www.facebook.com/groups/457148744346444/permalink/2871757479552213
(5) https://www.facebook.com/groups/457148744346444/permalink/3051817884879504
1) Un carré SATOR dont nous savons maintenant qu'il représentait le Christ pour
un religieux de cette époque.
2) Deux carrés de 4X4 lettres contenant chacun un mot non significatif, les mots
ENAM et ODOM n'existant pas en latin.
3) Un carré de 4X4 lettres composé de mots sans signification apparente, à
l'exception d'un seul qui peut être lu en anagramme : ALIB = ALBI.
4) La signature en forme de croix d'Agambertus, et en bas de page cette même
signature, écrite à l'envers, mais en trois lexèmes.
Agambertus nous indique que ce qu'il veut nous faire découvrir peut être un nom
composé de trois lexèmes, et que la solution réside dans le déchiffrement du mot se
trouvant sous le TENET horizontal invisible du carré AMOR, visible du carré
SATOR,
Le secret ne serait donc plus seulement dans l'AREPO, mais dans l'OPERA,
plus exactement dans l'O PER A.
« Ornanda enim est dignitas domo, non ex domo tota quaerenda, nec domo dominus,
sed domino domus honestanda est »
soit : « Il faut donc chercher un nouveau lustre dans sa maison, mais ne pas croire que
toute notre dignité puisse venir d'elle; c'est le maître qui doit faire honneur à sa
maison, et non la maison à son maître. ».
Cicéron fait ici état d'une anecdote relative aux qualités humaines d'un certain
Cnaeus Octavius, consul en 165 av. J.-C., mais ce n'est pas nécessairement le
personnage que nous cherchons.
La relation d'Apollon au lion étant attestée à la fois par la fameuse Terrasse des lions,
au sanctuaire d'Apollon à Délos, et à la tête de lion figurant à l'avers des pièces de
monnaie de l'époque représentant Apollon. (Cf. photo supra).
Mais cet Octave répond-t-il au verset de Jérémie (1. 11-13), évoqué par Saint Jérôme
et désigné par Agambertus ?
XXXVI -Jérémie décrit une baguette de noyer , et une marmite bouillante du côté du
septentrion, et un léopard dépouillé de ses mouchetures ; et en diversifiant ses vers il
compose quatre chants alphabétiques. »
Ce verset a été diversement interprêté au cours des siècles, mais en l'appliquant à cet
Octave (qu'auront déjà découvert les lecteurs latinistes,,,), on peut prêter au symbole
de la baguette de coudrier le sens du bâton court utilisé par les chefs militaires sur les
champs de bataille, et à celui de la marmite bouillante du côté du septentrion le
danger que représentaient les multiples tentatives d'invasion des peuples germaniques
en Gaule, leurs destructions et la férocité de certains d'entre eux.
C'est Velleius Paterculus qui écrit :
« Furent vaincus les Langobards, le plus féroce des peuples de la féroce Germanie.
En fin de compte [...] l'armée romaine avec ses insignes fut conduite à quatre-cents
milles du Rhin, jusqu'au fleuve Elbe, qui traverse les terres des Semmons et
des Hermundures. »
— Velleius Paterculus, Historiae romanae ad M. Vinicium libri duo, II, 106.2.
Quant aux vers composés en quatre chants alphabétiques, ils se rapportent à
l'anecdote de Plutarque selon laquelle Athénodore de Tarse, l'un des plus vieux
précepteurs d'Octave, rappela lors de ses adieux à son maître, en guise d'ultime
recommandation, qu'avant d'agir, quand il serait en colère, il devrait réciter
mentalement les vingt-quatre lettres de l'alphabet.
Nous savons que cet Octave s'exprimait en de nombreuses langues dont quatre d'entre
elles s'écrivaient avec des alphabets différents : le romain, le grec, l'hébreu et l'arabe.
Suétone relate les faits merveilleux qui ont jalonné la vie de cet empereur :
Fils d' Apollon, né d'une vierge, encore enfant, il avait le pouvoir d'imposer le
silence aux grenouilles .
Sa tunique laticlave se fend en deux le jour où il prend la toge virile, symbole à
rapprocher du voile du Temple qui se déchire par le milieu lorsque le Christ meurt en
croix.
Ses taches de naissance, déjà évoquées supra.
Son rapport à la superstition, la divination, les présages, les rêves prémonitoires.
Son regard : « il avait l'oeil clair et brillant, dit Suétone, et il voulait que l'on crût que
son regard avait quelque chose de la puissance divine ; aussi voyait-il avec plaisir, en
regardant fixement quelqu'un, que l'on baissait les yeux comme pour éviter l'éclat du
soleil. »
Les prodiges évidents les « ostentae videntissima », qui annoncèrent sa mort et sa
divinisation suprême :
L'aigle qui l'enclôt dans une sorte de cercle magique, lors des cérémonies du lustre, et
vient se poser sur la lettre A du nom d'Agrippa gravée sur un temple voisin ; Agrippa
étant décédé peu auparavant, la lettre A ayant pour valeur numérique 1, Octave sait
qu'il mourra dans l'année.
Un deuxième avertisement sera plus précis encore : la foudre étant tombée sur la
lettre C de l'inscription sur sa statue, la lettre C valant 100, il ne lui reste plus que 100
jours à vivre. Compensation oblige, il prendra place parmi les dieux puisqu'en
étrusque, le reste du nom, AESAR signifie dieu.
On affirme qu'un aigle s'échappa du bûcher d'Octave, lors de ses funérailles, pour
emporter celui-ci au ciel.
Octave (27av. J.-C., 14 ap. J.-C.) se dit fils d'Apollon, refuse d'être divinisé de son
vivant mais laisse se construire des autels et des temples qui lui sont consacrés, à
condition que son nom soit associé à celui de Rome divinisée. Les militaires rendent
hommage à son Genius et à son Numen.
Le Numen est pour les Romains, le signe de la puissance agissante d'un dieu.
(6) http://www.roma-latina.com/res/res1.html
Partout où règne le pouvoir de Rome, Octave Auguste est considéré comme un
homme habité par la puissance d'un dieu. Alors que le feu et l'eau détruisaient sans
cesse depuis des siècles la ville de Rome, il se vanta, dit Suétone, d'avoir trouvé une
ville de briques et d'en avoir laissé une de marbre.
Tous les militaires portent un talisman, celui d'Octave, qui se présente comme le
« Sauveur du monde ». Jusque dans les cités grecques, il est qualifié de « Sôter »,
appelé même « Sauveur des Hellènes et du monde entier ».
« Dans l'épigraphe de Priène remontant à 9 ans avant J.-C, on dit que le jour de la
naissance de l'empereur « a conféré au monde entier un aspect différent. Celui-ci
serait parti en ruine si en lui, l'homme d'ascendance divine, une perspective commune
de bonheur n'avait pas émergé. [...] La Providence qui dispose divinement de notre
vie a comblé cet homme, pour le salut des hommes, de ses dons pour l'envoyer à nous
et aux générations futures comme sauveur. »[7]
Auguste est "sauveur" car il a apporté la paix civile à ses contemporains, et on peut
encore admirer l'autel de la paix d'Auguste (« Ara Pacis Augusti »), consacré par le
sénat romain le 30 janvier l'an 9 avant J.-C. après les victoires d'Auguste en Espagne
et en Gaule.
Né le 23 septembre 63 av.J.-C.
Princeps senatus en 28 av.J.-C.
Le 27 janvier 27 av.J.-C. le titre d'Augustus lui est accordé par le Sénat.
En 12 av.J.-C, succède à Lépide et devient Grand Pontife et devient le chef de la
religion romaine.
Le 5 février de l'an 2 av.J.-C , accepte le titre de Pater Patriae.
XXX
Selon moi, tel est le personnage qu'Agambertus cherchait à nous faire découvrir.
La christianisation du talisman avait dû se faire peu après que l'empereur Constantin
eût mis fin à la persécution des chrétiens (Edit de Milan en 313).
(7) J. Ratzinger, Benoît XVI, L'enfance de Jésus, Flammarion, Paris 2012, p. 88-89
Nous pouvons donc penser que ce carré ROTAS n'a pu exister avant le 27 janvier 27
av.J.-C, date à laquelle Octave devint Auguste.,,,ou le 5 février de l'an 2 av.J.-C, s'il
avait été conçu à partir du PATER NOSTER.
Nous nous trouvons donc maintenant avec deux noms caractérisant Octave-Auguste,
sa dimension humaine (O PER A) et sa dimension divine (A REP O).
En effet Octave Auguste détestait tant les magiciens qu'il les expulsa d'Italie , le plus
célèbre étant Anaxilaos, , un philosophe, magicien et néopythagoricien qu'il bannit en
28 av. J.-C. par un simple édit. Il fit rechercher dans Rome tous les livres qui
traitaient de cet « art infernal », et « il s'en trouva 2000 qui à l'instant furent mis au
feu ».
On peut supposer que c'est l'un de ses intimes, peut-être Athénodore de Tarse, qui fut
son précepteur (et mourut en l'an 7). S'il fut choisi pour cette fonction, c'est qu'il était
considéré comme le meilleur philosophe, le plus brillant et le plus érudit qui fût
connu à Rome. Connu pour sa tendance evhémériste ( il pensait « que les dieux
avaient été des rois ayant vécu en des temps préhistoriques et qu'ils avaient été
honorés comme dieux après leur mort, à cause de leurs bienfaits et de leurs inventions
civilisatrices »), Athénodore aurait pu jouer un rôle discret et convaincant auprès des
Sénateurs lorsqu'ils accordèrent à Octave le titre d'Augustus.
On peut imaginer que les soldats de ses légions portèrent sur eux ce carré de lettres en
guise de porte-bonheur. Puis que les habitants des provinces qu'ils pacifiaient se le
soient approprié et, les siècles passant, en aient fait des talismans protecteurs.