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Paru dans : Karin Ueltschi (éd.), L’univers du livre médiéval.

Substance, lettre, signe, Paris,


Champion, 2014 (Colloque, congrès et conférences sur le Moyen Âge, 17), pp. 307-324.

Claude Lecouteux
LES GRIMOIRES ET LEURS ANCETRES

Le mot « grimoire », déformation de grammaria, « grammaire »1, désigne à l’origine un


ouvrage écrit en latin, mais il a vite pris le sens de « livre de magie », et ces livres reçurent le nom
de Physica, ce qui survécut jusqu’à nos jours en milieu rural sous la forme Phigica. Alors que les
langues romanes ont conservé « grimoire » (grimorio, tec.), les langues scandinaves utilisent les
mots Svartbog (Livre noir), Sorte bog (Livre de sorts), Lackerbog / Laagebog / Läkekonst (livre de
remèdes, vieil anglais laeceboc), et la magie est désignée par frikonst. Dans l'aire germanophone,
nous avons deux dénominations neutres, Zauberbuch (livre de magie), et Höllenzwang,
littéralement « contrainte de l'enfer » ; la magie noire est appelée Schwarzkunst (nigromancie), par
opposition à la magie blanche, Zauber. Outre-Manche, conjuring book et book of magic sont parfois
remplacés par « grimoire. »
Un grimoire se présente comme un mélange, une compilation de recettes diverses aussi bien
pour guérir certains maux que pour conjurer ou invoquer les démons, obtenir tel avantage, fabriquer
des talismans et des amulettes, lever ou jeter des sorts, etc. Certains manuscrits indiquent qu'il s'agit
d'un savoir très ancien que les sages, prévoyant le déluge, avaient fait graver dans le marbre à
Ebron.
Les anciens grimoires possèdent essentiellement deux formats : d'abord in-12°, avec de vingt
à cinquante feuillets2, véritable livre de poche destiné à être consulté lorsque le sorcier ou le mage
était appelé par qui requérait son office ; ensuite grand in-folio, ouvrage monumental de
consultation et d’étude chez soi. Ce dernier type n’a jamais été imprimé et ne se rencontre que sous
forme manuscrite dans les fonds des bibliothèques, et il est bien plus riche que tous ceux que l’on
peut trouver chez les bouquinistes et les antiquaires comme, par exemple, le grimoire de Gand. Lors
de la destruction de la cheminée d’un hospice d’aliénés de Gand (Belgique), datant du XVI e siècle,
on a découvert un coffre muré dans une cheminée et contenant le manuscrit 3 et les instruments d’un
sorcier astrologue. Bien que très abîmé par l’humidité qui a rendu le haut des folios illisibles, nous
avons un bon aperçu de sa composition. Nous y trouvons essentiellement des traités de magie

1
Les livres de magie reçurent le nom de Physica, ce qui survécut jusqu’à nos jours en milieu rural où ils sont
fréquemment appelés Phigica.
2
Le Vinjeboka découvert en 1796 sous le plancher du coeur de l'église de Vinje et daté de la fin du XVe siècle, compte
27 feuillets. Le Lacker Bog de 1732 comporte 48 pages, renferme 35 recettes magiques et utilise une méthode de
cryptage où les voyelles sont remplacées par les chiffres de 1 à 5, et les consonnes l, m, n et r par ceux de 6 à 9.
3
Manuscrit de 148 folios conservé à Gand sous la cote 1021 A. Il faudrait citer aussi le manuscrit de Halle,
Landesbibliothek, 14 B 36, fol. 160 v° - 170 r° ; 260 v° - 265 v°, riche en figures et compilant des traités
astrologiques (Liber ymaginum, Ymagines super septem dies ebdomade et sigilla planetarum, Tractatus de
imaginibus, Thetel, Thebit, Ptolémée...).
astrale dûs à Thebit ben Corat, au pseudo-Ptolémée, à Behencatri4, peut-être identique au
Behencacin que cite Trithème5, Bayelis, de Geber de Séville, c’est-à-dire Jâbir ibn Hayyân,
astronome arabe du XIIe siècle, Hermès, - et des oeuvres anonymes.
La langue des grimoires fut très longtemps le latin, un latin désarticulé, sans syntaxe ni
orthographe, écrits en abrégé dans un latin macaronique très fautif, truffé de termes vulgaires et
sommairement latinisés, avec un mélange de mots hébreux et grecs très déformés, souvent
incompréhensibles.

Les traités de magie ont existé bien avant l’apparition du vocable « grimoire », terme
générique qui désigne des ouvrages très divers, mais ayant en commun d’appartenir à un type
d’écrit anathématisé par l’Église. Pour en avoir un aperçu, il suffit de laisser la parole à quelques
auteurs du Moyen Age qui, du XIIIe au XVIe siècle ont dressé des listes de ces manuels. Ces
nomenclatures sont intéressantes car elles nous montrent fort bien que l’essentiel de la magie
occidentale vient du monde méditerranéen, lui-même ayant été soumis à des influences encore plus
lointaines, indiennes par exemple. Grâce aux auteurs cités, dont certains ont pu être identifiés, nous
voyons qu’il existe une filière qui mène de l’antique Babylonie à la Grèce, puis au monde arabe et
enfin à l’Europe de l’Ouest.
Le premier est Albert le Grand (1206-1280), si le Speculum astronomie est bien de lui. Ce
traité évoque des « images abominables dues à Toz le Grec, Germath de Babylone, Belenus et
Hermès », images de planètes que l’on invoque en s’adressant, par exemple, aux cinquante–quatre
anges qui accompagnent la lune dans sa course. Il parle des characteres, c’est-à-dire des signes et
symboles magiques, et des « noms détestables que l’on trouve dans les livres de Salomon sur les
quatre anneaux et sur les neuf chandeliers, ou dans son Almandal6. Le Livre des institutions, par
Raziel7 ! est, juge Albert, rempli de figures nécromantiques. Toz le Grec a laissé un traité sur les
Quatre stations du culte de Vénus, un Livre des quatre miroirs de la même planète et un autre des
images de celle-ci. Hermès et Salomon se taillent la part du lion par le nombre d’ouvrages qui leur
sont attribués.
Roger Bacon (1214-1294), célèbre par son Miroir de l’alchimie et par son traité des Œuvres
secrètes de la nature et de l’art, et de la nullité de la magie, ouvrages qui lui ont valu une réputation
de magicien dans la suite des temps, écrit ce qui suit dans une lettre qu’il adressa à Guillaume de
Paris :

4
A comparer au texte du manuscrit de Halle, ms. 14 B 36, fol. 160 v°-170 r° ; 260 v°-265 v°.
5
Le texte de Trithème a été reproduit par W.-E. Peuckert, Pansophie. Ein Versuch zur Geschichte der weissen und
schwarzen Magie, Berlin, 1956, pp. 47-55 (= Antipalus maleficiorum I,3).
6
Cf. S.L. MacGregor Mathers, The Almadel of Salomon, Londres, 1889.
7
On connaît un Livre de Raziel (Sepher Raziel) en hébreu, attribué à Eléazar de Worms, édité à Amsterdam en 1701
et dont il existe un manuscrit à la British Library, ms. Sloane 3826.
On doit être très prudent face à de nombreux livres à cause des formules magiques, des caractères,
des discours, des conjurations, des sacrifices, etc., car ce n’est que de la magie. Par exemple : le
Livre des offices des esprits, le Livre de la mort de l’âme, l’Art notoire et d’innombrables autres.

Notons que le second de ces ouvrages posséda un autre titre : le Trésor de nécromancie, et
qu’en 1679, Jean-Baptiste Thiers évoque ainsi l’Art notoire : par cet art, le démon

promet l’acquisition de certaines sciences par infusion & sans peine, pourveu que l’on prattique
certains jeûnes, que l’on recite certaines prieres, que l’on révere certaines figures, & que l’on
observe certaines ceremonies ridicules. Ceux qui font profession de cet art, asseurent que Salomon
en est l’auteur, que ce fut par son moyen qu’il acquist en une nuit cette grande sagesse qui l’a rendu
si celebre dans tout le monde, & qu’il en a renfermé les preceptes & la methode dans un petit Livre
qu’ils prennent pour guide & pour modele8.

Le plus exhaustif de tous les auteurs du Moyen Age est Trithème (1462-1516), le célèbre
abbé de Spanheim, abbaye bénédictine située entre Bad Kreuznach et Mayence 9. Dans son
Antipalus maleficiorum (I, 3), il donne une liste de quatre vingt neuf titres, ce qui représente une
vraie bibliothèque pour l’époque. Nous y retrouvons les auteurs cités par Albert le Grand, et
d’autres comme Zéhérit le Chaldéen, Zahel, Messala, Roger Bacon ( !), Pierre d’Abano.
Trithème nous donne son avis sur ces ouvrages qu’il a tous lus. Le Livre des quatre rois est
« pestifère » et « on ose attribuer ces œuvres maudites à saint Cyprien. » 10Trithème cite le Trésor
des esprits, dû à un certain Rupert, et qui est aussi appelé Traité de nécromancie car il nous apprend
comment faire obéir les esprits malins. Le Lucidaire de nécromancie, par Pierre d’Apono (XIIIe
siècle), « ne contient rien de sain » ; le Secret des philosophes « est perfide et stupide » ; le Lien des
esprits « renferme de nombreuses oraisons et conjurations par lesquelles les hommes vains et les
esprits perdus peuvent se lier » ; le Livre des prestiges, dû à un certain Thomas, « promet de grandes
merveilles et traite des anneaux fabriqués selon les trentre-huit mansions de la lune, de leurs
caractères et vaines fumigations » ; Balenitz a écrit un Livre de l’inclusion des esprits dans les
anneaux des sept planètes…
C’est donc à partir de traités semblables que se sont constitués les grimoires qui
commencent à être imprimés au XVIe siècle et jouissent ensuite d’une vitalité remarquable. L’Église
chrétienne a mis ces livres à l’index et la censure a obligé les imprimeurs à donner des indications
fantaisistes sur le lieu et la date de publication. Le plus ancien a être évoqué est le Thesaurus
necromantiae d’Honorius, antérieur à 1376. Dès le XVIe siècle, de nombreux grimoires ont été
imprimés, parmi lesquels il faut citer l’Enchiridion Leonis papae serenissimo imperatori Carolo

8
J.-B. Thiers, Traité des superstitions, Paris, 1679, p. 247.
9
La meilleure étude sur ce personnage est celle de K. Arnold, Johannes Trithemius (1462-1516), Wurzbourg, 1971.
10
Saint Cyprien est resté célèbre, justement, pour avoir été un grand magicien avant de se repentir. Dans les pays
scandinaves, son nom est attaché au grimoire le plus populaire.
Magno (Rome, 1525), que le pape Léon aurait offert à Charlemagne, le Grimoire du pape Honorius
avec un recueil des plus rares secrets, imprimé à Rome en 1670, le Grimorium verum ou les
véritables Clavicules de Salomon, soi-disant publié à Memphis chez Alibek l’Egyptien en 1517, le
De magia Veterum, par Arbatel, publié à Bâle en 1575, et le Clavis maioris sapientiae d’Artefius
(Paris, 1609).
Dans la catégorie des grimoires entrent aussi les recueils de prescriptions médicales
destinées à monsieur Tout le Monde ; faisant appel au surnaturel, qu’il soit païen ou chrétien, ces
livrets de colportage proposent de curieuses recettes. Il faut citer ici le Bastiment des receptes,
imprimé à Lyon par Jacques Bouchet en 1544, puis par Jacques Lion en 1693, à Troyes en 1699 et
réédité jusqu’en 1824 ! le Médecin des Pauvres (Troyes, 1722).
En France, les plus célèbres aujourd’hui sont le Grand et le Petit Albert, que l’on trouve
toujours dans les librairies d’ésotérisme. La première édition connue du Petit Albert, dont le
véritable titre est : le Secret des Secrets de Nature, date de 1706 ; il fut repris par Jacques-Antoine
Garnier (Troyes) en 1723 et connut bien d’autres éditions populaires 11. Longtemps réédités, certains
grimoires ont été rassemblés dans des recueils aux noms savoureux, dont voici un exemple :

Le Véritable Dragon rouge où il est traité de l’art de commander les esprits infernaux, aériens et
terrestres, faire apparaître les morts, lire dans les astres, découvrir les trésors, sources minières, etc.,
plus la Poule Noire. Edition augmentée des Secrets de la Reine Cléopâtre, secrets pour se rendre
invisible, secrets d’Artéphius, etc. avec la marque d’Astaroth, sur l’édition de 1522.

En 1854, Victor Joly note qu’on apelait ces ouvrages « les mauvais livres » et que les
familles possédaient un « carnet noir » (neur lîve), recueil de formules et d’incantations bénéfiques
ou maléfiques12.
Outre Rhin, le Livret de Romain (Romanus-Büchlein), le Bouclier spirituel (Geistliches
Schild) et le VIe et VIIe livre de Moïse ont joui d’une grande popularité et le second est toujours en
vente13 ! Une maison d’édition de Fribourg publie les Secrets égyptiens (Egyptische Geheimnisse),
faussement attribués à Albert le Grand, et le Trésor héroïque secret (Geheimnisvoller Heldenschatz)
de Staricius14. En France et en Allemagne, la Clavicule de Salomon est toujours l’un des principaux
ouvrages de références…
Certains grimoires sont véritablement légendaires, comme l’Agrippa15, qui tire son nom du
11
Cf. A. Morin, Catalogue descriptif de la Bibliothèque bleue de Troyes, Genève, 1974 (Histoire et Civilisation du
Livre, 7), p. 405-407.
12
V. Joly, Les Ardennes, Bruxelles, Van Buggenhoud, 1854.
13
Il a même été traduit en français et est disponible chez certains libraires parisiens.
14
Cf. D. Harmening, « Okkultkommerz — vermarktete Reste magischer Traditionen », in : D. Harmening (éd.),
Hexen heute, magische Traditionen une neue Zutaten, Wurzbourg, 1991 (Quellen & Forschungen zur europäischen
Ethnologie, 9), p. 103-114, ici p.105.
15
En Tréguier, il s'appelle Agrippa; dans la région de Châteaulin, Egremont, dont il y a une variante Egromus ; aux
alentours de Quimper, Ar Vif; dans les parages du haut Léon, An Negromans ; à Plouescat, le Livre de l'igromancerie.
célèbre Henri Corneille Agrippa de Nettesheim et dont on prétend qu’on ne peut jamais s’en
débarrasser, ni par le feu, ni par l’eau, ni en le vendant, et qu’on mourra donc damné 16. Le livre
aurait la taille d’un homme et devrait être enchaîné à la poutre maîtresse de la maison, et il faudrait
le battre pour s’en rendre maître :

L'Agrippa est un livre énorme. Placé debout, il a la hauteur d'un homme. Les feuilles en sont
rouges, les caractères en sont noirs. Pour qu'il ait son efficacité, il faut qu'il ait été signé par le
diable. Tant qu'on n'a pas à le consulter, on doit le maintenir fermé à l'aide d'un gros cadenas. C'est
un livre dangereux. Aussi ne faut-il pas le laisser à portée de la main. On le suspend, au moyen
d'une chaîne, à la plus forte poutre d'une pièce réservée. Il est nécessaire que cette poutre ne soit
pas droite, mais tordue. Le nom de ce livre varie avec les pays.
Ce livre est vivant. Il répugne à se laisser consulter. Il faut être plus fort que lui pour lui arracher
ses secrets. Tant qu'on ne l'a pas dompté, on n'y voit que du rouge. Les caractères noirs ne se
montrent que lorsqu'on les y a contraints, en rossant le livre, comme un cheval rétif. On est obligé
de se battre avec lui, et la lutte dure parfois des heures entières. On en sort baigné de sueur.
L'homme qui possède un Agrippa ne peut plus s'en défaire dans le secours du prêtre, et seulement à
l'article de la mort. Primitivement, il n'y avait que les prêtres à posséder des Agrippas. Chacun
d'eux à le sien. Le lendemain de leur ordination, ils le trouvent à leur réveil sur leur table de nuit,
sans qu'ils sachent d'où il leur vient et qui le leur a apporté. Pendant la grande Révolution,
beaucoup d'ecclésiastiques émigrèrent. Quelques-uns de leurs Agrippas tombèrent entre les mains
de simples clercs qui, durant leur passage aux écoles, avaient appris l'art de s'en servir. Ceux-ci les
transmirent à leurs descendants. Ainsi s'explique la présence dans certaines fermes du "livre
étrange".
Le clergé sait combien il a été détourné d'agrippas, et quels sont les profanes qui les détiennent. Un
ancien recteur de Penvénan disait :
Il y a dans ma paroisse deux Agrippas qui ne sont pas où ils devraient être. Le prêtre ne fait mine
de rien, tant que le détenteur est en vie; mais lorsque, aux approches de la mort, il est appelé à son
chevet, après avoir entendu la confession du moribond, il lui parle en ces termes : « Jean ou Pierre,
ou Jacques, vous aurez un poids bien lourd à porter par-delà le tombeau, si vous ne vous en êtes
débarrassé dans ce monde. » Le moribond demande avec étonnement : « Quel est ce poids ? - C'est
le poids de l'Agrippa qui est en votre maison, répond le prêtre. Livrez-le moi ; sinon, ayant un tel
fardeau à traîner; vous n'arriverez jamais jusqu'au paradis. »
Il est rare que le moribond n'envoie point aussitôt détacher l'Agrippa, mais alors, le grimoire
cherche à faire des siennes. Il mène le sabbat à travers toute la ferme, le prêtre l'exorcise, le fait
tenir tranquille, puis commande aux personnes qui sont là d'aller quérir un fagot d'ajonc. Il y met le
feu lui-même et réduit le livre en cendres qu'il recueille et enferme dans un sachet qu'il passe au
cou du moribond, en disant : « Que ceci vous soit léger ! »
Il est difficile à un recteur de dormir à l'aise, tant qu'il reste un seul Agrippa dans sa paroisse entre
d'autres mains que les siennes ou celles de ses vicaires. Il n'est pas nécessaire d'être prêtre pour
savoir quand un homme qui n'est pas du métier possède un Agrippa car il répand une odeur de
soufre et de fumée, on s'écarte donc de lui. Et puis, il ne marche pas comme tout le monde : il
hésite dans chaque pas qu'il fait, de crainte de piétiner une âme.
L'Agrippa qui revient toujours à la maison
L'Agrippa contient les noms de tous les diables et enseigne le moyen de les évoquer. On peut
savoir, grâce à lui, si tel défunt est damné. Le prêtre qui vient de célébrer un enterrement va aussitôt
consulter son Agrippa. A l'appel de leurs noms, tous les démons accourent. Pour les congédier, le
16
Loizo-goz, de Penvénan, en avait un qui l'embarrassait fort et le proposa à un cultivateur de Plouguiel qui l'accepta.
Une nuit, on entendit dans tout le pays un vacarme épouvantable. C'était Loizo-goz qui conduisait l'Agrippa à Plouguiel
en le tirant par sa chaîne, mais, à peine rentré chez lui, le livre était déjà revenu occuper son ancienne place. Il fit un
grand feu d'ajonc et l'y jeta, mais les flammes s'en écartèrent. Loizo-goz monta dans une barque, gagna le large, et le
lança à la mer, lesté de grosses pierres, mais en revenant, il entendit derrière lui un bruit de chaîne sur les galets : C'était
l'Agrippa qui achevait de se débarrasser des grosses pierres. Loizo-goz le vit passer à côté de lui, rapide comme une
flèche. Au logis, il le retrouva, suspendu à la poutre accoutumée. La couverture, les feuillets étaient secs. Il semblait que
l'eau de la mer ne les eût même pas touchés.(Conté par Baptiste Geffroy, dit Javré. - Penvénan, 1886.)
prêtre les appelle de nouveau par leurs noms, mais en commençant par le nom du diable qui est
arrivé le dernier, et ainsi de suite17.

D’autres grimoires sont aujourd’hui proposés dans le commerce mais ils ne font que reprendre une
matière déjà publiée et souvent déformée. Leurs auteurs, qui se dissimulent souvent sous des
pseudonymes exotiques, leur confèrent un certain mystère en affirmant qu’on a trouvé celui-ci
enchaîné dans les caves d’un monastère, et que celui-là était écrit avec du sang ou du phosphore,
scellé avec l’empreinte d’une tête de mort, qu’un autre se présentait comme une Bible de poche à la
couverture noire et aux pages rouges18…
Bref, les grimoires sont issus des milieux érudits et, du Moyen Age à la Renaissance, il
s’agit d’une tradition savante qui se perpétue par le canal des manuscrits médicaux et
astronomiques, et qui essaime peu à peu à d’autres niveaux, notamment par le truchement des
prêtres qui furent les véritables sorciers des campagnes. Nous en avons un bon exemple en Norvège
où ces religieux sont nommés :

Petter Dass (1646-1707), prêtre d'Alstahaug.


Christian Holst (1743-1824), prêtre de Røyken, (Buskerud).
Ephraim Jæger (1737-1799) ou Lisle-Jæger, prêtre de Bygland, (Aust-Agder).
Hermann Ruge (1704-1764), prêtre de Vestre Slidre i Valdres.
Søren Schive d.e. (1623-1705), prêtre de Bjelland, (Vest-Agder).
Jon Mogenssøn Skanke (ca. 1570-1618) , magister et prêtre à Innvik (Sogn og Fjordane).
Peder Strøm (1682-1741), prêtre de Borgund (Møre og Romsdal).

Le Galdrakver19, grimoire islandais du XVIIe siècle, était en possession de Hannes Finsson (1739-
1796), évêque de Skaleholt, mais on ignore de qui il le tenait. En 1919, on disait en Norvège que
Nils Dorph possédait des grimoires, « comme tous les prêtres » et qu'il avait étudié à l'Académie de
Wittemberg...

Typologie des grimoires médiévaux


Si l'on tente un classement d'après le principal contenu des grimoires, on voit qu'ils se répartissent
diachroniquement en plusieurs catégories au sein de trois grandes traditions, en sachant toutefois
qu'il y a des interférences entre elles, notamment quant à l'utilisation des sceaux et des images (=
amulettes et talismans).

Tradition savante
Elle est, pour l'Occident médiéval, la plus anciennement attestée et comporte plusieurs facettes.
17
Le Braz, op. cit., p. 370.
18
Sur tout cela, cf. D. Harmening (éd.), Hexen heute, magische Traditionen une neue Zutaten, Wurzbourg, 1991
(Quellen & Forschungen zur europäischen Ethnologie, 9), p. 103-114.
19
27 folios de vélin, format in-12°, avec deux « lettres du ciel », les « lettres » (= characteres) de Charlemagne, de
nombreux signes magiques, le sceau de Salomon, un conjuration des esprits malins, etc.
1 Magie astrale / hermétisme
Ces grimoires font leur apparition au cours de la seconde moitié du XII e siècle et sont
essentiellement traduits de l'arabe20 en Espagne, certains s'appuyant sur des ouvrages grecs. Ils
traitent essentiellement de la fabrication d'amulettes et de talismans planétaires, zodiacaux et
décaniques, font un grand usage de karacteres (signes magiques, sceaux des planètes), symboles
codés des astres et des constellations. Les auteurs arabes les attribuent à Hermès, Ptolémée, Aristote
ou Platon. Ces grimoires nous disent quelles oraisons on doit adresser aux corps célestes, quelles
fumigations faire et quels ingrédients utiliser (parfums, métaux, pierres, encres, etc.). Voici quelques
témoins de cette famille :
Hermès : Liber Lune, Liber Solis, Liber Mercurii, Liber Veneris, Liber Martis, Liber Iovis, Liber
Saturni ; De septem annulis septem planetarum ; Liber praestigiorum ; De compositione imaginum
(aussi attribué à Belinus) ; Liber Hermetis (traitant des mansions de la lune, du Zodiac et de leurs
anges) ; Liber secretorum Hermetis Hispani (collection de conjurations et de karacteres) ; Liber de
imaginibus et annulis VII planetarum (aussi attribué à Messala).
Ptolémée (pseudo)21 : De imaginibus ; De componendis imaginibus, annulis et sigillis XII
signorum ; De compositione atque virtutie imaginum ; Liber Hermetis (par Alburabeth ben Feliz),
avec 45 talismans décaniques.
Aristote (pseudo) : Secretum secretorum (traduit par Adélard de Bath, puis par Jean de Séville) ;
Liber de mansionibus lune (cité par Pierre de Prusse dans la Vita beati Alberti chap. 9).
Platon (pseudo) : Liber vacce ou Liber aneguemis / Liber neumich, c'est-à-dire Kitâb al-nawâmis,
traduit en Espagne au XIe siècle.
Enoch : De XV stellis, XV herbis.
Toz le Grec (Thoos, Tuz) : De stationibus ad cultum Veneris ; De XII annulis Veneris ; Liber
Veneris ; De quatuor speculis.
Thetel (Techel, Cethel, etc.) : Liber sigillorum.
Belenus (Beleemus, Balaminus, Balenus, Balemiz, Belemich, identifié comme Balinas 22, c'est-à-
dire Apollonius de Thyane), De sigillis planetarum.
Thebit ben Corah (Thabit ibn Qurra, 835-900), De tribus imaginibus magicis23.
20
Cf. D. Pingree, « The diffusion of Arabic magical texts in Westen Europe », in : La diffuzione delle scienze
islamiche nel Medio Evo europeo, Rome, 1987 (Accademia Nazionale dei Lincei), p. 57-102.
21
Cf. Cf. Thorndike, « Traditional... », art. cit. supra, p. 256-261.
22
Balenis qui est sans doute identique à Baleemus, Balaminus, c’est-à-dire Jirgis al-‘Amid, auteur d’un ouvrage au
titre identique, avec pour sous-titre les Images des sept planètes. Cf. Thorndike, « Traditional... », art. cit. supra, p.
242 sq. Notons qu’une première identification avait été proposée avec Balinas, le pseudo-Apollonius de Thyane.
23
Cf. Cf. Thorndike, « Traditional.medieval tracts concerning engraved astronomical images. », in: Mélanges Auguste
Pelzer, Louvain, 1947, p. 217-274, ici p. 223 sq. ; 229-238. Un autre témoin important est le manuscrit Plut.89 Sup.
38 de la Biblioteca Medica Laurenziana, où nous avons de Thebit le Tractatus de proprietatibus quarundam
stellarum et convenentia earundem quibusdam lapidibus et herbis, aux folios 1 r°-3 v°. ; le texte a été édité par F.J.
Carmody, The astronomical Work of Thâbit ibn Qurra, Berkeley-Los Angeles, 1960, p. 179-197. Le manuscrit
Al-Kindî : De radiis (vers 1240), où sont énumérés les pouvoirs que possèdent tel ou tel karacter.

Autres ouvrages :
Picatrix (dix-sept manuscrits latins complets), que Trithème qualifie de « volume composé de
quatre livres […] ; il fut traduit d’arabe en latin en 1256. On y trouve maintes choses frivoles et
superstitieuses et diaboliques […]. Il fournit des oraisons aux esprits des planètes, ainsi que des
images et des anneaux avec des caractères nombreux et variés. » En 1456, Jean Hartlieb, médecin
personnel d’Albrecht III, duc de Bavière, juge ainsi ce livre : « Il y a encore un livre très
remarquable sur l’art nécromantique, qui commence ainsi : A la gloire de Dieu et de la très glorieuse
Vierge Marie. Il a pour titre Picatrix et c’est le livre le plus complet que j’ai jamais vu sur cet art
[…]. Il est plus gros que trois psautiers24. » L’ouvrage connut un réel succès dont témoignent ses
traductions en français25, italien, anglais, allemand et hébreu.
Libro de astromagia (1279-1280)26, qui comporte des livres traitant de chaque planète et leurs
talismans, inspiré d'Utârid.
Libro de las formas et de las ymagines, par un certain Abolays (Abû 'Ali al-Khaiyât) 27, traduit en
Espagne entre 1277 et 1279.
Livre des sceaux des douze signes du zodiaque, faussement attribué à Arnaud de Villeneuve (vers
135-1313)28, indiquant que les sceaux doivent être gravés sur du métal et accompagnés de formules
magiques et de prières.

2 La magie noire
Rupert le Lombard : Thesaurus spirituum, traité de nécromantie permettant de convoquer les esprits
à l'extérieur du cercle magique de l'opérateur.
Liber praestigiorum, dû à un certain Thomas, peut-être le même ouvrage que celui attribué à
Hermès.
Flos florum, collection de conjurations des démon, comportant de nombreux noms et karacteres.
Elucidarium necromantiae, attribué à Pierre d'Abano († 1315/16).
Vinculus spirituum, dont les oraisons et conjurations permettent de se faire obéir des démons.

contient aussi le Tractatus de imaginibus, folios 3 v°-8 v°, Ptolomei Tractatus de imaginationibus, fol. 9 r°-17 r°, et
Theyzelius Quedam imaginum secundum planetatas ( !) extracte de quodam libello, fol. 282 v°- 294 v°. Cf. aussi le
manuscrit II iii 214 (XVe siècle) de la Bibliothèque nationale de Florence.
24
Hartlieb, Joh., Das Buch aller verbotenen Künste, des Aberglaubens und der Zauberei, éd. et trad. par F. Eisermann et
E. Graf, Ahlersted, 1989.
25
Traduction du 1er livre et du début du second, conservée dans trois manuscrits du XVIIIe siècle.
26
Alfonso X el Sabio, Astromagia, éd. A. d’Agostino, Naples, Liguori editore, 1989 (Barataria,6).
27
Cf. A. Garcia Avilés, « Two magical manuscripts of Alfonso X », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes
LIX (1996), p. 14-23.
28
Cf. J.A. Paniagua, Studia Arnaldiana : Trabajos en torno a la obra de Arnau de Villanova, c. 1240-1311, Barcelone,
1994 ; N. Weill-Parot, Les images astrologiques au Moyen Âge et à la Renaissance. Spéculations intellectuelles et
pratiques magiques, Paris, 2002, chap. 8.
Liber fantasmatum (cité par Roger Bacon).
Liber de morte anime (attribué à Aristote).
Liber de sortilegiis, d'Algabor l'Arabe et celui du même titre par Albedach.
Liber Simoni mago, qui « promet beaucoup grâce aux démons. »
Liber officiorum, où les démons sont répartis en quatre empereurs, quatre rois, etc.
Liber Razielis, qui traite des esprits ; le Puritatum dei, qui contient des noms inconnus, des oraisons
et des karacteres et le Liber institutionis ou Liber de virtutibus et secretis, tous de Raziel.
Ars calculatoria Virgilii, qui permet, par le calcul, de découvrir les noms et les karacteres des bons
et des malins esprits.
Thesaurus necromantiae d’Honorius, antérieur à 1376.

3 La magie médicale
Lacnunga, recueil de textes médicaux et de prières, en vieil anglais et en latin, compilé en
Angleterre, à la fin du Xe ou au début du XIe siècle29.
Laeceboc, réceptaire du IXe siècle30.
Costa ben Luka (Qûsta ibn Luqâ, actif à Bagdad à la fin du IX e siècle), De physicis ligaturis, traduit
par Constantin l'Africain († vers 1087).
Jâbir ibn Hayyân, Flos naturarum, dont on retrouve des extraits dans le Picatrix II, xii, 39-57 ; III,
xi, 58-112 ; IV, vii, 23.
Tractatus ad faciendum sigilla et ymagines contra infirmitates diversas, attribué au médecin
Bernard de Gordon, actif à Montpellier à la charnière des XIVe et XVe siècles. L'auteur semble s'être
inspiré du Surot Shneim Asar Mazalot.
De sigillis, encore titré De XII imaginibus Hermetis, attribué à Arnaud de Villeneuve, qui présente
douze sceaux aux vertus thérapeutiques et apotropaïques.
Liber Kyrannidorum31, qui compte quatre livres où l’on apprend comment confectionner remèdes et
talismans. Il possède une orientation astrologique moins marquée que le Picatrix et sa magie est
alphabétique. Selon la théorie des émanations (cf. le De radiis d'al-Kindî), les planètes dispersent
leur puissance dans la nature. En regroupant les éléments qui la recueille, c’est-à-dire en réunissant
les maillons d’une chaîne de sympathie, à savoir : une planète, une pierre, un métal, une plante, un
volatile, un quadrupède et un poisson, on obtient un effet qui dépasse largement la vertu naturelle de
chaque élément. Le choix des éléments s’opère en fonction de la lettre initiale de chacun. Le témoin
le plus ancien est un manuscrit latin daté de 1272. Il s’agit d’une traduction faite à Constantinople
en 1169 sur un original grec perdu.
29
Ed. T.O. Cockayne, in: Leechdoms, Wordcuning and Starcraft in Early England, Londres, 1864 T. II.
30
Ibid.
31
Textes latins et vieux français relatifs aux Cyranides, éd. L. Delatte, Liège, Paris, 1942 (Bibliothèque de philosophie
et de lettres de l’Université de Liège, XCIII).
4 Magie salomonienne (Ars notoria)
Elle vise à contraindre les esprits ; on peut l'appeler « religieuse » car elle comporte, pour l'essentiel,
des oraisons à Dieu, aux anges, aux démons, etc., afin d'obtenir protection, pouvoirs et
connaissances, - et des exorcismes. Elle a été très influencée par les écrits judaïques et le
christianisme.
Salomon : De quatuor annulis ; De novem candariis ; De tribus figuriis spirituum ; De sigillis ad
demoniacos ; De figura Almandal ; Clavicula Salomonis.
Liber sacratus, encore appelé Liber iuratus.
Schemhamphoras,
Versus jesuitarum libellus,
Enchiridion Leonis papae,
Ars notoria.

XVIe-XIXe siècles
Les grimoires postérieurs au Moyen Âge sont des compilations hétéroclites de recettes
magiques empruntées à la tradition savante en ce qui concerne la magie apotropaïque et médicale, et
aux traditions salomoniennes réduites à leur plus simple expression pour ce qui touche aux oraisons,
aux noms et aux mots cabalistiques que l'on rencontre dans les charmes et prescriptions.
Si, du XVIe au XVIIe siècle, la magie astrale domine les écrits, elle se réduit peu à peu et quelques-
uns de ses éléments - la signature des planètes, par exemple -, survivent dans d'autres traités comme
l'Herpentil. Si la tradition populaire en tant que telle reste difficilement discernable avant le XVe
siècle, elle est particulièrement florissante dès le XVIIe siècle, à en juger d'après les témoins
conservés. Les grimoires populaires prennent alors la forme de livrets domestiques en possession
d'un chef de famille, livrets rassemblant tout ce qui est utile à la protection des hommes, des bêtes et
des biens, dont les fruits de la terre. S'y ajoutent quelques recettes de magie noire et quelques-unes,
franchement merveilleuses, permettant d'ouvrir les serrures, se rendre invisible, marcher sans
fatigue, et d'autres enfin touchant au sexe et à l'amour, aux jeux de hasard (dés, cartes). Selon
l'origine du grimoire, on rencontre aussi des recettes pour une bonne chasse ou une bonne pêche 32.
Outre-Rhin, le Livret de Romain est l’un des grimoires qui fut très répandu du XVII e à la fin du
XIXe siècle. Le Livre de Kvam (Kvamsbok) norvégien, qui date du tout début du XIX e siècle, est
représentatif des « livres noirs » (svartbøker) de ce pays33.Victor Joly estimait à 400.000 le nombre
de volumes répandus annuellement dans la population agricole française et belge des années 1850,

32
Cf. Espeland, op. cit., p. 28 : Fiskessvartebok, Jaktssvartebok.
33
Édité par Velle Espeland, Svartbok frå Gudbrandsdalen, Oslo, Bergen, Tromsø, 1974 (Norsk Folkeminnelags
Skrifter 110). Nous suivons la numérotation d’Espeland.
et il cite une liste d’ouvrages dont nous extrairons ces titres34 :

Admirables secrets d’Albert le Grand ; Dragon rouge suivi de la Poule noire ; Enchiridion Leonis
papae ; Grimoire du pape Honorius ; Magie rouge, Œuvres magiques d’Henri Corneille Agrippa
suivi du Secret de la reine des mouches velues ; Secrets merveilleux du Petit Albert ; Trésor du
vieillard des pyramides ; Véritables clavicules de Salomon suivies de la Grande cabale dite du
papillon vert ; Véritable magie noire, Manuel complet du démonomane, Phylactères ou
préservatifs contre les maladies, les maléfices et les enchantements ; Grand Etteila.

Quelques grimoires relèvent essentiellement d'un esprit religieux, comme l'Enchiridion du pape
Léon et des rédactions tardives et abrégées, ou dérivées, des Clavicules de Salomon.
En Scandinavie, le Cyprianus, imprimé à Stavanger en 1699 pour la première fois, fut le grimoire le
plus célèbre et le plus répandu, on en possède des versions manuscrites et imprimées, portant des
dates souvent fantaisistes (1509, 1529, 1699, 1719, 1793). Les exemplaires conservés nous
apprennent qu'il fut en possession de prêtres, de maîtres d'école 35 et même de baillis. Sur lui courent
des légendes, la plus récurrente disant qu'on le découvrit en 1722 à l'Académie de Wittemberg,
haut-lieu des exploits du docteur Faust, puis il disparut avant d'être retrouvé à Copenhague dans une
caisse de marbre. Les pages en seraient noires, couvertes d'une écriture rouge ou blanche ; on ne
peut s'en débarrasser, car il revient toujours à sa place, ni le réduire en cendres. Selon des
témoignages recueillis par R. Th. Christiansen, on peut se procurer un grimoire et se rendant à un
carrefour trois jeudis soir de suite pour invoquer le diable ; un « vrai grimoire » (rigtig Svartebok)
doit être écrit avec son sang et on doit y relier un morceau de la griffe du diable36.
Les caractéristiques internes des grimoires populaires se laissent ainsi résumer. Les rituels
compliqués et les fumigations disparaissent ; la christianisation est très poussée, Jésus, les saints, les
apôtres, les Rois mages, etc., supplantent les anciens dieux et esprits, phénomène déjà bien amorcé
au Moyen Âge ; voici deux exemples du XIVe siècle, dans des grimoires anglais :

1/ Sint medicyna mei pia crux et passio Christi,


Vulnera quinque dei sint medicyna mei !
Virginis et lacrime mihi sint medicamina trina,
Her mihi portanti succurrant febricitanti ! Amen
† A † g. † l. † a. † Jaspar † Melchysar † Baptizar †

2/ Boro berto briore † Vulnera quinque dei sint medicina mei † Tahebal †† ghether ††† guthman †††††

34
Nous ne prenons pas en compte les ouvrages de divination, tels : L’avenir dévoilé ;Eléments de chiromancie ; Petit
traité de la baguette divinatoire ; Prescience ; Le miroir d'astrologie naturelle ou le passe-tems de la jeunesse
(Troyes,chez la citoyenne Garnier, s.d. [XVIIIe siècle]).
35
Par exemple : O. Aasmunstad, T. R. Risdal, F. C. Mülertz, S. E. M. Driesen et John Flood, chapelain à Hedrum.
36
Velle Espeland, Svartbok, Oslo, Bergen Tromsø, 1974, p. 21-24.
Les médailles pieuses remplacent les talismans et amulettes, comme cette médaille de saint Benoît :

Le nombre des démons nommés se réduit, les personnages mythologiques disparaissent, et il est
rarissime de rencontrer une prescription comme celle-ci :

« Pour être bon à la lutte, prendre un os humain et tracer ce signe sur sa chaussure ou sur l’orteil du
membre avec lequel on se bat, en disant, face au Nord-Ouest : J’envoie le diable dans la poitrine et
les os de mon adversaire, au nom de Thor et d’Odin37. »

Claude Lecouteux
Paris IV-Sorbonne

37
Museum of Icelandic Sorcery & Witchcraft, Strandagaldur, Galdrasyning á Ströndum.
***

Eléments de bibliographie
Grimoires
- Albertus Magnus Ägyptische Geheimnisse, bewährte und approbirte sympathetische und natürliche egyptische
Geheimnisse für Menschen und Vieh, 4 fascicules, Braband, s.d.
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Amundsen Arne Bugge, Svarteboken fra Borge, Sarpsborg 1987.
- L’Ars notoria au Moyen Âge, introduction & &dition critique par J. Véronèse, Florence, 2007 (Micrologus Library,
Salomon latinus I).
- Bang A.Chr., Norske hexeformularer og magiske opskrifter, Kristiania, 1901-1902 (Videnskabsselskabets skrifter 2.
Historisk-filos.klasse 1901, no.1).
- Les véritables Clavicules de Salomon, éditées d’après le manuscrit Lansdowne 1203 de la British Library par Joseph
H. Peterson ; The Key of Solomon the King (Clavicula Salomonis), trad. par S. Liddell Mac Gregor Mathers, Londres,
1974.
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lettres de l’Université de Liège, XCIII).
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- Espeland Velle, Svartbok frå Gudbrandsdalen, Oslo, Bergen, Tromsø, Universitetsforlaget, 1974 (Norsk
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- Il Grand Grimoire con la Clavicola di Salomone, L’Arcano Incantatore, 2002.
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- Herpentil Joseph Anton, Des hochwürdigen Herpentils, der Gesellschaft Jesu Priester, kurzer Begriff der
übernatürlichen schwarzen Magie, enthaltend Beschwörungen und Namen der mächtigen Geister und deren Siegeln,
oder das Buch der stärksten Geister, eröffnend die großen Heimlichkeiten aller Heimlichkeiten, Salzbourg ,1519. Trad.
C. Lecouteux in : Le Livre des Grimoires, Paris, Imago, 20083.
- Honorius, Le livre des conjurations, Rome, 1670 ; rééd. Paris, 2001.
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intitulé: Alberti parvi lucii libellus de mirabilibus naturæ arcanis, enrichis de figures mystérieuses; & la maniere de les
faire ; nouvelle édition, corrigée & augmentée, Lyon, chez les héritiers de Beringos fratres, à l'enseigne d'Agrippa , M.
DCC. LXXXII.
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– Verus Jesuitarvm Libellus Sev fortissima coactio et constrictio omnium malorum Spirituum cujuscunque generis,
conditionis, status vel officii sint. et conjuratio fortissima et probatissima in usielem Huic est annixa CYPRIANI
CITATIO ANGELORVM, ejusque Conjuratio Spiritus, qui thesaurum abscondidit, una cum illorum Dismissione,
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