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ΤΜΗΜΑ ΦΙΛΟΛΟΓΙΑΣ
ΕΠΙΣΤΗΜΟΝΙΚΗ ΕΠΕΤΗΡΙΔΑ ΦΙΛΟΣΟΦΙΚΗΣ ΣΧΟΛΗΣ
ΔΩΔΩΝΗ: ΠΑΡΑΡΤΗΜΑ 85
Athanassia Zografou
Ioannina 2013
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos ................................................................................................ 7
Abréviations ................................................................................................. 9
Introduction................................................................................................. 11
Le corpus.............................................................................................. 11
Quelle magie ?..................................................................................... 17
Une poétique du sacrifice..................................................................... 22
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95............ 101
Un Éros à tout réussir....................................................................... 101
Un couple ailé : Éros enflammant l’Âme........................................... 103
Trois jours de sacrifices sur fond d’une installation rituelle............. 107
Offrir des oiseaux à Éros et Éros…en oiseau..................................... 109
Les espèces propres à un Éros solaire................................................. 111
Le πνεῦμα des oiseaux « livré sous vide »........................................ 114
Conclusion................................................................................................. 123
Appendices................................................................................................ 131
Bibliographie.............................................................................................. 137
A.Z.
Abréviations
Le corpus
L’expression papyrus magiques grecs est employée dans notre
intitulé de façon conventionnelle. En effet, les deux qualificatifs,
« grecs » et « magiques », posent problème dans la mesure où ils
sont attribués à un corpus de papyrus artificiellement constitué1.
Celui-ci désigne, suivant l’usage, les livres de magie écrits en grec
que l’Antiquité nous a légués, et correspond principalement aux
deux volumes de Karl Preisendanz (éd.), Papyri Graecae Magicae I-II,
de 1928-1931, revus par Albert Heinrichs 1973-19742 (PGM) . Cette
édition a été complétée ultérieurement par d’autres publications2.
L’équipe réunie par Hans Dieter Betz en 1986 a d’ailleurs traduit
en anglais non seulement les textes compris dans l’édition de
Karl Preisendanz, mais aussi ceux des papyrus magiques écrits
en démotique, ainsi qu’un supplément contenant ceux qui ont été
découverts après la parution de l’œuvre de Karl Preisendanz.
3. Sur le style littéraire des papyrus magiques et sur leur plurilinguisme, voir
Levi 1975, 211-216. Cf. Versnel 2002.
4. Sur les réticences que suscite la traduction du « son magique » d’une langue
vers une autre, voir Fowden 1986, 37 et suiv., Dieleman 2005, 4 et suiv., 143-144. Cf.
Mauss et Hubert 2003, 95 et Christidis 1997, 56.
5. Voir, notamment, Ritner 1995, 3358-3371.
Introduction 13
10. Brashear 1995, 3430: « Voces magicae are conspicuously absent from the
earliest Greek magical papyri from Egypt ».
11. Le processus que Frankfurter 1998, 224-237 nomme « stereotype appropri-
ation » est décrit par cet auteur comme : « the manifold ways indigenous cultures
embrace and act out the stereotypes woven by a colonial or otherwise dominant
alien culture » (225). Cf. Frankfurter 2000, 177 et la discussion du concept par Gor-
don 2002, 71-76. Voir aussi Dieleman 2005, 239-254 et sa revue par LiDonnici 2005.
12. Voir la présentation du débat sur la question par Moyer 2003, 39-56.
13. Pour éviter tout malentendu, nous n’employons l’abréviation PGM que
pour désigner les deux volumes de Preisendanz 1973-1974.
14. Voir, entre autres, Martinez et Romero 1987, 19-47.
Introduction 15
20. Voir Eitrem 1942, 54, Fauth 1995, 34-114 (Der Sonnergott in der griechischen
Zauberpapyri) Sfameni 2001, 191 et suiv. et Johnston 2004, 7. Cf. Macrobe, Saturnales,
I, 17, 4 qui cherche à reconnaitre des manifestations du Soleil dans tous les dieux
du pantheon gréco-romain.
Introduction 17
Quelle magie ?
Nous n’avons pas l’ambition de rouvrir ici la grande discussion-
sur la magie comme catégorie élusive24. Face aux problèmes de
197, Teijero 1993, 123-128, Bremmer 1999, 1-12. Cf. la présentation de l’ensemble du
débat sur la magie par Skouteri-Didaskalou 1997, 11-43, Luck 2003, 203-222 (Recent
Work on Ancient Magic), Collins 2008, 1-26 (Magic : What is it and How does Work ?).
25. Sur les termes emic/etic, utilisés pour la première fois par Kenneth L. Pike,
voir Harris 1976, 329-350.
26. Dufault 2006, 61-62 : « The study of magic as a boundary-making concept
could be compared with what M. Foucault called “a history of limits”». Cf. Foucault
1972, 130-134 et Skouteri-Didaskalou 1997, 11-43.
27. Pour ne citer qu’un seul exemple, entre des termes comme μαγεία, γοητεία,
φαρμακεία et héka l’écart est considérable. Sur héka, qui signifie « force magique »
et est incarné par un dieu égyptien, voir Te Velde 1969-1970, 175-186.
28. Un « assistant » divin se met au service du praticien déjà initié à la μαγεία
sacrée, voir PGM I, 126-128 : δουλεύσει σοι …, ὦ μα[κάρι]ε μύστα τῆς ἱερᾶς μαγείας,
καὶ ἐπιτελέσει σοι ὁ κράτιστος πάρεδρος οὗτος , « il te servira…initié heureux
de la magie sacrée et il accomplira pour toi cet assistant puissant… ». Cf. PGM IV,
Introduction 19
hommes. Elle n’agit pas seulement comme une arme face au monde
extérieur29, mais transforme aussi l’initié pour l’élever à la hauteur
des dieux30. Il s’agit une force « divine » extraordinaire qui doit ou
mérite d’être montrée, à la fois pour convaincre les incrédules et
pour impressionner le public 31. Enfin, nous ne trouvons qu’une
seule mention des μάγοι, experts chargés des instruments de
cet art − παρ᾽ ἑαυτοῖς τὰ σκεύη βαστάξαντες − et favorables au
renouvellement de leurs méthodes32.
Par ailleurs, la rareté des termes spécifiques à ce contexte
suggère que les rédacteurs des papyrus magiques et les praticiens
dont il y est question ne se considèrent pas comme des « sorciers »
pratiquant un art foncièrement différent par rapport à la religion.
39. Voir, par exemple, Smith 19781, 438, Smith 19782, 172-207 (The Temple and
the Magicien), Smith 1995, 13-27 et Smith 2003, 21-36.
40. Concernant ce mouvement centrifuge en Égypte romaine, voir Frankfurter
1998, 62-63, 134-135.
41. Cf. Betz 1995, 153-175.
22 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
43. Sur le statut du sacrifice sanglant pendant l’Antiquité tardive, voir Lane-
Fox 1997, 76 et suiv., Trombley 1993, 1-97, Belayche 2005, 343-370.
44. Voir Kearns 1994, 64-70 et Bruit Zaidman 2005, 34-38 en ce qui concerne
les offrandes végétales dans le monde grec ainsi que Bruit Zaidman 2008, 181-189,
24 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
sur le rôle des parfums. Cf. les remarques de McClymond 2008, 65.
45. Contrairement aux reglèments religieux des cités grecques, qui ne four-
nissent pas des renseignements détaillés sur l’espace, le temps et les gestes rituels,
considérés souvent comme connus des citoyens, les prescriptions des papyrus ma-
giques décrivent avec précision presque tous les éléments d’un rituel, laissant ainsi
entendre l’absence d’installations permanentes et de modes d’opération péétablis.
Sur les caractéristiques de ces textes épigraphiques communément appelées aussi
« lois sacrées », voir Georgoudi 2010, 39-54.
46. Cf. Smith 1995, 21 : « Of all the documents from late antiquity, I know of
none more filled with the general and technical terminology and the praxis of sa-
crifice than those texts collected by modern scholars under the title Greek Magical
Papyri. They are all the more important because they display, as well, a thoroughly
domesticated understanding of sacrifice ». Le seul corpus qui serait comparable aux
PGM de ce point de vue est celui des Hymnes Orphiques. Voir Morand 2001, 101-152.
47. Il n’y aurait pas dans les papyrus que nous étudions des rituels typiques,
car, au-delà des règles générales, chaque procédure prescrite constitue une unité
rituelle indépendante et spécifique, voir Johnston 2000, 35.
I. Questions de vocabulaire : l’emploi d’ἐπιθύειν
miner s’il partage une partie de l’offrande avec le(s) dieu(x) ou s’il en fait un
repas indépendant pris en présence de la divinité – voir l’exemple désigné par
le verbe συνευωχεῖσθαι, qui a lieu après un holocauste : IV, 3148-3152. Cf. III,
697-698 : καὶ ὅταν ἴδῃς τὸν θεὸν … εὐωχοῦ. Pour les repas partagés avec une
divinité dans les papyrus magiques, voir aussi Zografou 2008a, 57-72.
52. Par exemple, PGM XIII, 376-377 : ὅταν μέλλῃς ἀπογεύεσθαι, ἀλέκτορα
θῦσον.
53. Voir, par exemple, l’emploi de θύειν à propos d’offrandes végétales
PGM III, 612-614, Θυσ[άμενος] ἄλ[ε]υρ[α κ]αὶ ὥ[ρι]μα συκάμι[να] καὶ σή̣[σαμον
ἀνέκ]χυτον καὶ θ̣ρίον (feuille de figuier) ἄπυ[ρον], ἐν ᾧ χε[όμενος] σεῦτλ[ον
τεύξῃ] τῆς ἰδίας σκιᾶ[ς].
54. Voir, par exemple, PGM IV, 2441. Une attention analogue est portée à la
préparation des encres également désignée par ce même terme : PGM VII, 998,
σκευ[ὴ μ]έλανος.
Chapitre I Questions de vocabulaire : l’emploi d’ἐπιθύειν 27
71. PGM III, 383 (ἐπιθύσ̣[ας] ἐ̣πὶ̣ ̣ τῷ βωμῷ) ou PGM IV, 214-215 (καὶ ἐπίθυε
ἐπὶ θυμιατηρίου γεΐνου).
72. Eschyle, Agamemnon, 1504 (τέλεον νεαροῖς ἐπιθύσας), cf. Casabona 1966, 98.
73. PGM II, 177.
74. PGM IV, 2868-2869 cf. 2871-2872.
75. En s’appuyant sur des emplois du terme chez Homère, Carastro 2006, 25
32 Papyrus Magiques Grecs: Le mot et le rite
cf. XIXb, 3 où ce même verbe est utilisé pour l’écriture à la teinture de myrrhe ; III,
23 (θῦσον… καπνίζων).
82. C’est le cas, par exemple, dans PGM XXIIa, 6 et VII, 639.
83. PGM VII, 927 et 178.
IIa Parfums et fumigations
84. Sur στρόβιλος, « pomme de pin », voir LiDonnici 2001, 79-83. Toutefois,
comme le montre Perpillou-Thomas 1993, 185-188, le terme peut être employé pour
les cônes de cire parfumée. Sur le στρόβιλος d’un βαλανεῖον mentionné dans une
des nos recettes, voir infra, p. 56, note 151.
36 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
85. PGM IV, 30-32 (ποίησον ἐπὶ δύο πλίνθων ἐπὶ κροτάφων ἑστηκυϊῶν
ἐκ ξύλων ἐλαΐνων, τουτέστιν κλημα[τίδ]ο̣ς, πυράν), IV, 918-919 ἐπίθυε εἰς τοὺς
ἄνθρακας τοὺς ἀμπελίνους IV, 2637 (ἐπίθυε δὲ μᾶλλον ἐπὶ ξύλων ἀρκευθίνων),
XII, 29 (ποίησον κέρατα δʹ, ἐφ’ οἷς [ἐπ]ι[τί]θης ξύλα κάρπιμα), XII, 213 (ποιήσας
ἐπὶ τῷ βόθρῳ βωμὸν ἐκ ξύλων καρπίμων).
86. Porphyre, De l’abstinence, II, 5, cf. Pausanias, II, 10, 5-6 et V, 14, 1-3 avec les
commentaires de Pirenne-Delforge 2008, 188-189, 200 et 213-214 respectivement.
87. PGM XIII, 363-364.
Chapitre IIa Parfums et fumigations 37
Encens et myrrhe
L’encens − λίβανος/λιβανωτός − et la myrrhe – σμύρνα/ζμύρνα
– sont les offrandes les plus fréquentes dans notre corpus. Le
premier, lié au Soleil plus que les autres parfums92, est à offrir tantôt
ἄτμητος « non découpé », tantôt σταγονιαῖος « goutte à goutte »
ou encore sous la forme d’un seul grain – χόνδρος λιβάνου. Des
précisions supplémentaires sont données, le plus souvent pour
exiger la meilleure qualité possible de la substance aromatique93.
Quant à la seconde offrande, la myrrhe, elle est associée non
seulement au Soleil, mais aussi à Hermès, à Isis et à Séléné94. À deux
reprises dans nos textes on s’adresse à elle, comme nous allons le
voir, de même qu’à une divinité. Ces deux aromates apparaissent
aussi bien seuls que dans de nombreuses préparations composites.
Tout comme les autres substances aromatiques, ils sont employés
non seulement comme des ἐπιθύματα à fumiger, mais aussi dans
une grande variété de rituels, tels que les préparations de mélanges
à avaler, d’onctions ou d’encres. Ainsi l’encens et la myrrhe, utilisés
en onguents – μύρον ζμύρνινον – entrent en contact avec le corps
91. Gordon 2007, 139, cf. 117-118 : « the rôle of natural ingredients, pharmaka,
diminishes as the role of other features, especially explicit labelling of intentions,
increases ».
92. Voir, par exemple, PGM XIII, 20, Merkelbach et Totti 1989-1992, III, 96. Sur
le rapport entre le Soleil et les parfums dans leur ensemble, voir infra, p. 45.
93. LiDonnici 2001, 90.
94. PGM I, 232 et V, 197 (Hermès), XIII, 20 (Séléné), XXXVI, 335-340 (Soleil),
CXXII, 30 (Isis), cf. Aufrère 2001a, 352 et Aufrère 2001b, 374-376. Cf. infra, p. 60.
Chapitre IIa Parfums et fumigations 39
103. PGM IV, 2986-3006. Cf. Delatte 1938, 116 et suiv., sur les sacrifices de ré-
paration lors de la récolte des simples.
104. PGM IV, 2970-2971.
105. PGM IV, 2973-2981.
42 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
106. PGM XII, 401 et suiv. Voir Scarborough 1991, Betz 1995, 167-168, 138-174,
LiDonnici 2002, 366 et suiv. et surtout Dieleman 2005, 185-203.
107. Voir Dieleman 2005, 203, « its allegation that this jargon was inscribed on
the statues of god is nonsense ». Les noms de produits de base pour les prépara-
tions secrètes étaient parfois gravés sur les parois des pièces que les égyptologues
appellent « laboratoires », voir Aufrère 2003, 122-124.
108. Voir, entre autres, Koenig 1994, 98-100 « on a considéré que l’art égyptien
formait avec le système de l’écriture une véritable unité » (98).
Chapitre IIa Parfums et fumigations 43
109. L’armoise, par exemple, figure dans les papyrus avec son nom habituel.
En effet, comme l’a observé Lynn R. LiDonnici, parmi les noms codés mentionnés,
seul un, αἷμα κυνοκεφάλου, se trouve réellement dans les textes de notre corpus,
tandis que les précisions sur les noms d’ingrédients que nous trouvons parsemées
çà et là dans nos recettes sont d’un autre ordre, voir LiDonnici 2002, 371-377. Il est
donc possible que cette « Clé » ne concerne pas les recettes dont nous disposons,
mais des textes de nature similaire actuellement perdus, voir Dieleman 2005, 192
et suiv. Rappelons que notre corpus a été artificiellement constitué et ne représente
qu’un petit echantillon des manuels et des recettes qui circulaient pendant les
premiers siècles chrétiens dans le monde gréco-romain.
110. Selon Dieleman 2005, 185-203, notre liste puise directement dans le savoir
des prêtres égyptiens, comme le suggère d’ailleurs la faune qui y est mentionnée,
typique de cette région. Cet auteur cite en outre l’exemple d’une liste très similaire,
tirée d’un traité égyptien du IIe s. après J.-C. Toutefois, le procédé de codification en
tant que tel doit être beaucoup plus ancien, comme le montre un traité mésopota-
mien daté de 668-627 av. J.-C., voir Dieleman 2005, 193-197.
111. Betz 1995, 160 et suiv.
44 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
112. Voir Deonna 2003 et Detienne 2007, parus pour la première fois en 1939
et en 1972 respectivement.
113. Voir notamment Borgeaud 2005, Bruit-Zaidman 2008, Bodiou, Frère et
Mehl 2008, Bodiou et Mehl 2008, Mehl 2008, Voir aussi Morand 2001 sur les fumi-
gations orphiques et Zaccagnino 1998 et Massar 2008 sur l’emploi des encensoirs.
114. Moschos, Europa, 2, 91 : ἄμβροτος ὀδμή ; Euripide, Hippolyte, 1391 : θεῖον
ὀδμῆς πνεῦμα Cf. Lohmeyer 1919, 4-15, Deonna 2003, 7-22 ; Mussies 1988, 5 et
Borgeaud 2005, 571-576.
115. Homère, Iliade, XIV, 170 et Odyssée, IV, 445 : l’ambroisie parfumée épargne
Ulysse de l’odeur puante des phoques. Par ailleurs, les corps de morts aspirant
à l’incorruptibilité sont naturellement enduits de parfums : voir Ballabriga 1997,
119-127 et Borgeaud 2005, 574. Cf. Detienne 2007, 75 qui rapproche lui aussi, dans
son étude des pratiques pythagoriciennes, l’offrande d’aromates de l’ambroisie et
du nectar : « aliment divin au même titre que l’ambroisie ou le nectar, les aromates
sont aussi un élément constitutif de la nature des dieux ».
116. Porphyre, De l’abstinence, II, 5, cf. Pausanias, V, 15, 10. Attesté très tôt, le
double sens du mot θύος, à la fois « substance aromatique» et « offrande brûlée »,
plaide pour l’ancienneté de la combustion de parfums en l’honneur des dieux »,
voir Casabona 1966, 110 et suiv. et Bruit-Zaidmann 2008, 181-182. Le mot qui finit
par désigner des gâteaux rituels revêt significativement le sens de « parfums
Chapitre IIa Parfums et fumigations 45
brûlés » dans le contexte « magique » des Magiciennes de Théocrite (Idylles, ΙΙ, 10).
117. Voir Detienne 1970 et Detienne 2007, 68 et suiv., sur la « cuisine » de Py-
thagore. Voir aussi Bruit-Zaidmann 2008, 184 et suiv.
118. Théophraste, De Causis Plantarum, VI, 14, 8, cf. Hérodote, III, 113 : « de la
terre d’Arabie s’exhale une odeur d’une suavité merveilleuse ».
119. Voir Ovide, Métamorphoses, IV, 190-255, cf. Forbes Irving 1990, 266 et suiv.
ainsi que Detienne 2007, 59.
120. Aristote, Météorologiques, IV, 1, 379b 20-21, cf. Voir Touzé 2008, 51.
46 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
121. Schol. Eschin. 1. 23, p. 258 (Schutz), cf. Detienne 2007, 59-60.
122. Mehl 2008, 173.
123. Sur cette étape inaugurale du sacrifice dans le monde romain, voir Scheid
1998, 73-74 et Prescendi 2007, 80 et suiv.
Chapitre IIa Parfums et fumigations 47
dans les papyrus magiques, n’a rien d’étrange. En Grèce, lors des
sacrifices, le fumet des viandes monte au ciel en même temps que
les volutes de l’encens ou des autres substances brûlées sur l’autel124.
Ajoutons enfin que la consécration de parfums par fumigation
est l’« offrande parfaite » par excellence, car elle revient entièrement
aux dieux grâce à la combustion totale, comme le remarquent
plusieurs auteurs grecs. En l’absence de banquet et par conséquent
de consommation proprement dite, la fumée odorante, seul produit
de l’opération, unit hommes et dieux dans un festin idéal : Marcel
Detienne a déjà montré comment les parfums peuvent instaurer
« la communication la plus sûre entre les hommes et les dieux »125.
Ces remarques éclairent la valeur exceptionnelle des fumi-
gations dans les papyrus magiques, à savoir dans des opérations
rituelles où le praticien est seul face aux divinités qu’il invoque.
En effet, il s’agit alors d’établir une communication selon un axe
vertical, la commensalité et l’échange sur le plan humain faisant
défaut. En tant que partage entre le praticien et la divinité la
fumigation élève le premier au niveau de la seconde, atteignant
ainsi l’objectif de la plupart des recettes.
« l’eau a coulé de son œil à terre ; elle a germé ; c’est ainsi qu’a
été produit l’oliban sec. Geb s’est trouvé mal à cause de cela (c’est
à dire de la mort d’Osiris, père d’Horus) ; du sang de son nez est
tombé à terre, et des pins ont poussé. C’est ainsi qu’a été produite la
résine à partir de sa sève. Chou et Tefnout ont pleuré énormément ;
l’eau de leur œil est tombée à terre ; elle a germé, c’est ainsi qu’a
été produite la résine de térébinthe. Rê a pleuré de nouveau. L’eau
de son œil est tombée à terre. Elle s’est changée en abeille. Quand
l’abeille eut été créée dans les fleurs de tous les arbres commença
son activité. C’est ainsi que s’est produite la cire, tandis que le miel
provient de son eau. Rê fut fatigué ; la sueur de son corps tomba
à terre, et elle germa et se transforma en lin ; c’est ainsi que fut
produite la toile…Il cracha, il vomit ; c’est ainsi que fut crée le
bitume »126.
130. Dunand et Zivie 2006, 129. Maât incarne l’ordre cosmique et symbolise
l’ensemble des offrandes humaines à la divinité.
131. Dunand et Zivie 2006, 129.
132. PGM IV, 1830, cf. infra, pp. 103-105.
Chapitre IIa Parfums et fumigations 51
133. Selon Lexa 1925 I, 109, n. 4, dans les papyrus magiques purement égyp-
tiens, l’odeur de plantes brûlées, surtout celle de l’encens, mais aussi celle d’autres
matières odorantes y compris les substances puantes, contribue probablement à
produire une impression suggestive chez le magicien ou chez son medium, voire
à les mettre dans un état de transe ou ou d’hypnose.
134. PGM I, 285 et suiv.
135. PGM III, 224, cf. Ducourthial 2003, 193.
136. PGM XIII, 349 et suiv. Sur la « flore astrologique », cf. Ducourthial 2003,
267 et suiv.
137. PGM XIII, 13-14. La notion de parenté συγγένεια est aussi très importante
dans les rites théurgiques. Voir Jamblique, Les Mystères d’Égypte, 227, 16-18 (V, 20)
et Van Liefferinge 2000, 115-125.
52 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
Comme nous l’avons déjà vu, dans notre corpus les parfums
sont de nature divine, voire eux-mêmes divinisés. L’invocation
contenue dans une des recettes concernant la cueillette le montre
clairement : la plante y est présentée à la fois comme une création
des dieux et comme une image du cosmos138.
Le pouvoir des ἐπιθύματα se multiplie grâce au « tressage »
de différentes substances et peut même se tourner contre leurs
destinataires divins. Certains ἐπιθύματα sont explicitement désignés
par les recettes comme des « rites de contrainte » − ἐπάναγκοι −, ou
alors des « épreuves » − βάσανοι. Nous trouvons même une herbe
qui s’appelle « contrainte » − κατανάγκη139. Parfois les recettes
font la distinction entre ἐπιθύματα « bienfaisants » − ἀγαθοποιά
− et « contraignants » − ἐπαναγκαστικά : ἔστιν οὖν τὸ ἐπίθυμα τὸ
ἀγαθοποιόν, ὃ θύεις πρώτῃ καὶ δευτεραίᾳ ἡμέρᾳ (τῇ δὲ τριταίᾳ μετὰ
τοῦ ἐπανάγκου καὶ τὸ ἐπίθυμα τὸ ἐπαναγκαστικόν), « telle est donc
l’offrande bienfaisante que tu feras le premier et le deuxième jour,
alors que le troisième, avec le charme de contrainte, tu feras aussi
l’offrande qui exerce la contrainte »140. Il y a donc des fumigations
qui ne peuvent en aucun cas être considérées comme bienveillantes.
Elles constituent l’un des nombreux moyens prescrits pour établir une
communication, pieuse ou non, avec les dieux. Nous ne saurions par
conséquent souscrire à la constatation de Fritz Graf suivant laquelle
dans les papyrus magiques « sacrifice is generally understood as a
141. Graf 2005, 71. Johnston 2000, 25 est moins catégorique quand elle affirme
que « toute matière peut être brûlée dans le but d’envoyer aux dieux des messages,
déplaisants aussi bien que plaisants ».
142. Sur la pression que cherche à exercer l’accumulation verbale observée
dans les papyrus magiques, voir Gordon 1999, 263-264.
54 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
144. Concernant l’emploi de la myrrhe dans les papyrus magiques, voir LiDon-
nici 2001, 66-67 et Gordon 2007, 123-127 (b), cf. Aufrère 2001(b), 374-376.
145. PGM IV, 1496-1595 et XXXVI, 330-360. Voir nos Appendices II et III.
146. Faraone 2006, 27 et 184, note 115 emprunte le terme d’« analogie persuasive »
à Tambiah 1973, 199-229 le préférant, non sans raison, à la « magie symphathique »
frazérienne. Cf. Graf 1994, 231 et suiv.
56 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
des deux passages montre à quel point la limite est parfois difficile
à tracer entre le sacrifice désigné par ἐπιθύειν et la simple mise au
feu rituelle d’une matière « magique ». Dans le présent chapitre,
nous allons nous pencher surtout sur la première recette, car elle
montre plus clairement que les opérations sacrificielles de notre
corpus sont largement fondées sur l’idée de « la consubstantialité
de l’offrande et du dieu »152. En effet, dans ce texte tiré du grand
« papyrus magique de Paris » (P. Bibl. Nat. Suppl. gr. N° 574) non
seulement la myrrhe est-elle explicitement sacrifiée en même
temps qu’invoquée comme une personne divine, mais en plus les
qualités intrinsèques à sa nature végétale sont évoquées, sollicitées
et magnifiées de façon plus ou moins directe. Autrement dit,
l’étude de ce passage permet d’assister à la création d’une véritable
divinité botanique dans le « laboratoire magique ».
Voici donc le début de notre ἀγωγή : « charme pour attirer
quelqu’un à soi, sur la myrrhe que l’on fait brûler. En la faisant
brûler sur des charbons, prononce de manière pressante la
formule. Formule : « Tu es la myrrhe, l’amère – πικρά –, la difficile
– χαλεπή –, la réconciliatrice de ceux qui se battent entre eux –
καταλλάσσουσα τοὺς μαχομένους –, celle qui brûle − φρύγουσα
– et contraint à aimer – ἀναγκάζουσα φιλεῖν – ceux qui ne se
soumettent pas à Éros. Tous te nomment Myrrhe, mais moi je te
nomme mangeuse de chair et tison de cœur – σαρκοφάγον καὶ
φλογικὴν τῆς καρδίας. Je t’envoie pas au loin en Arabie je t’envoie
pas à Babylone, mais je t’envoie à Une telle, fille d’Une telle, pour que
tu me serves contre elle, pour que tu la conduises à moi…N’entre
152. Nous renvoyons ici au commentaire de Borgeaud 2005, 576 : « en faisant de
la myrrhe une divinité, l’Égypte tardive, celle des papyrus magiques, vient d’exau-
cer l’attente des Grecs. Elle permet d’expliciter ce que les Grecs chez eux, depuis
les présocratiques hésitent à croire : la consubstantialité de l’offrande et du dieu ».
58 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
pas en elle par ses yeux, ni par ses flancs, ni par ses ongles, ni par
son nombril, ni par ses bras, mais par son âme – διὰ τῆς ψυχῆς – et
reste dans son cœur, brûle lui – καῦσον – les entrailles, la poitrine,
le foie, le souffle, les os, la moelle, jusqu’à ce qu’elle vienne vers
moi, … parce que je t’adjure, Myrrhe, par les trois noms, Anochô,
Abrasax, Trô, et par ceux qui sont plus contraignants et plus forts,
Kormeioth, Iaô, Sabaoth, Adonaï, pour que tu exécutes mes ordres,
Myrrhe : de même que moi je te brûle – et tu es puissante – ainsi
brûle – κατάκαυσον – le cerveau de celle que j’aime, calcine-la –
ἔκκαυσον ; arrache – ἔκστρεψον – ses entrailles, aspire son sang,
goutte à goutte – ἔκσταξον αὐτῆς τὸ αἷμα –, jusqu’à ce qu’elle
vienne à moi » 153.
L’être puissant et redoutable que l’opération rituelle fait sortir
des volutes exhalant du parfum reflète à l’envers, dirait-on, la
figure légendaire de Myrrha, la princesse séductrice et incestueuse
qui fut, elle, métamorphosée en plante. Dans le mythe, les larmes
de la malheureuse héroïne se transforment en résine parfumée.
« Ces larmes ont du prix et la myrrhe qui coule goutte à goutte de
l’écorce, conserve le nom de celle dont elle provient et nul siècle ne
le taira », dira Ovide154. L’association des secrétions du corps aux
parfums, transmise par la mythologie égyptienne dans laquelle
elle concerne les dieux155, revient ici dans l’histoire de la princesse
syrienne ou, suivant d’autres versions, chypriote. Les larmes
parfumées de la myrrhe contribuent sans doute à introduire une
figure mythologique connue chez les Grecs et les Romains dans
153. PGM IV, 1496-1545. L’original en grec ancien est cité en entier dans notre
Appendice II, p. 134. Pour la traduction du premier passage nous suivons Charvet
et Ozanam 1994, 64-65 avec de légères modifications.
154. Ovide, Métamorphoses, IV, 254-55. Sur l’interprétation du mythe, voir
Detienne 2007, 91-107.
155. Voir supra, p. 48.
Chapitre IIb Ζμύρνα, une divinité amère : PGM IV, 1496-1595 59
156. Par exemple, Iaô, Adonai, Sabaoth ; sur ces noms d’anges ou de dieux,
voir Lesses 1996, 53 et Chouliara-Raïos 2008, 39-41, notes 65-68 qui renvoient à une
bibliographie abondante.
157. Anochô, par exemple, est un nom issu de l’égyptien, même s’il évoque
également des mots/concepts coptes ou sémitiques. Attribué à une divinité, il figure
en tête d’énumérations de formules « magiques », mais il peut désigner aussi le
soleil levant. La triple évocation Anochô, Abrasax, Trô, qui apparaît dans notre
recette, renvoie aux trois principales positions solaires (lever - au zénith - coucher),
comme le montre Koenig 2008, 319-320.
158. Le nom isopséphique d’Abrasax, dont la valeur numérique correspond,
suivant les équivalences grecques anciennes, au chiffre 365, est souvent cité avec Iaô
et Sabaoth. Sur Abrasax voir, entre autres, Koenig 2009, 311-325 et Chouliara-Raïos
2008, 41, note 73.
159. Comme on l’a souvent remarqué à propos de l’histoire de Myrrha, la pa-
renté entre ces noms ne trouve pas de correspondant dans les mythes et les cultes
sémitiques : voir, entre autres, Burkert 1993, 374-378. Signalons enfin qu’Adonis a
été rapproché de l’égyptien Osiris déjà dans l’Antiquité : Lucien, De dea Syria, 7,
Apollodore, II, 1, 3, cf., toutefois, Plutarque, De Iside et Osiride, M357a-c qui adopte
une attitude plus prudente ; voir aussi Detienne 2007, 191-192. Pour l’assimilation
d’Aphrodite à Isis en Égypte romaine, voir Dunand 1979, 32-33.
60 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
tu es la myrrhe dont Isis était ointe quand elle vint sur la poitrine
d’Osiris…», prescrit une autre recette160. Si les parfums sont
indissociables de l’amour161, dans la tradition égyptienne la myrrhe
est considérée comme le parfum de séduction par excellence : il
attire l’être aimé tout comme il a fait frémir les narines d’Osiris
défunt l’incitant ainsi à s’unir à Isis162.
Le pouvoir érotique de la myrrhe que notre corpus désigne
explicitement comme parfum de Séléné, a sûrement des
consonances lunaires. Cela n’exclut pas pour autant une association
avec le Soleil, puissance omniprésente dans nos papyrus163.
Derrière la simple mention du nom de Ζμύρνα, plus d’un
exemples mythiques sont susceptibles de sous-tendre l’opération
« magique »164. Ainsi dans le seconde « charme d’attraction » où
elle apparaît personnifiée, Myrrhe se présente comme l’alliée
des dieux, notamment comme l’assistante d’Hélios contre son
principal ennemi, Seth-Typhon : « Myrrhe ! Myrrhe qui assistes
160. GMPT CXXII, 30 et suiv., cf. SM, II, 72, col. 2, 4 et suiv. Voir aussi PGM
XXXVI, 333-340 : Ζμύρνα…ἡ καθοδηγὸς τῆς Ἴσιδος.
161. Sur le rôle du parfum dans l’amour, voir Detienne 2007, 91-107, Briand
2008, 129-139, Warburton 2008, 221 et suiv., ainsi que Bodiou et Mehl 2008, 13-40.
162. Cette histoire constitue un célèbre paradigme d’amour mythique, cf. PGM
XXXVI, 288-289. Elle est rapportée, entre autres, par Plutarque, De Iside et Osiride,
M358d. Selon Apulée, Métamorphoses, XI, 4, Isis exhalait « les parfums heureux
de l’Arabie ». Le pouvoir de conserver la vie, de ressusciter les sens et d’inspirer
l’amour se reflète sur les emplois de la myrrhe, qui vont de la cosmétique à l’em-
baumement ; voir, entre autres, Morand 2001, 125. Cf. infra, pp. 63-65.
163. D’après PGM XIII, 20, 354, la myrrhe est le parfum de Séléné. Cependant,
selon Plutarque, les Égyptiens en brûlaient en l’honneur de Rê : Plutarque, De Iside
et Osiride, M372c. Sur les associations établies par les auteurs grecs et latins entre
la myrrhe et le soleil, voir Detienne 2007, 19 et suiv.
164. Le nom semble ici fonctionner par lui-même comme une historiola, de
manière analogue que les figurines d’Éros et de Psyché au sein de l’opération
étudiée dans le chapitre IIIb.
Chapitre IIb Ζμύρνα, une divinité amère : PGM IV, 1496-1595 61
les dieux, qui fais bouger les rivières et les montagnes, qui brûles
le marécage d’Achalda, qui consumes l’impie Typhon, qui es l’alliée
d’Horus, la protectrice d’Anubis, le guide d’Isis »165. Il n’y a donc pas
à s’étonner de voir Myrrhe adjurée par les trois aspects du Soleil ou
par la divinité solaire Abrasax dans la recette du papyrus de Paris ;
d’autant plus que la propriété chauffante de la myrrhe autorise
parfaitement une parenté avec le soleil.
La référence à l’Arabie et à Babylon − οὐ πέμπω σε μακρὰν
εἰς τὴν Ἀραβίαν, οὐ πέμπω σε εἰς Βαβυλῶνα − fait certainement
allusion au long parcours de la myrrhe, importée dans le monde
gréco-romain à partir de pays exotiques. La référence à l’Arabie,
plus particulièrement, correspond à l’idée grecque, transmise
par Hérodote, selon laquelle la myrrhe n’était produite que dans
cette contrée, lieu d’origine, d’ailleurs, de la princesse homonyme
du mythe166. En Égypte aussi, la myrrhe, désignée par ânti, un
terme qui s’applique à une série de substances apparentées, était
précieuse et convoitée, contrairement à l’encens, plus facile à se
procurer. Liée aux expéditions dans des lieux lointains, elle était
censée être produite dans une terre paradisiaque, cette fois appelée
Pount, un pays que les égyptologues situent soit en Arabie, soit en
Afrique du Sud167.
Le qualificatif amère – πικρά – renvoie à l’étymologie même
du mot myrrhe : attesté déjà dans l’akkadien (murru), ce dernier a
comme racine mrr qui signifie précisément « être amer »168. Certes,
la spécificité, le « goût » d’une odeur n’ont qu’une valeur relative ;
169. Voir Dioscoride, De materia medica, I, 64, Pline, Histoire Naturelle, XII, § 66-71
(A. Ernout), Théophraste, Des Odeurs, 21, 32 et 44, cf. Théophraste, Recherches sur
les plantes, IX, 7, 3. Cf. De Romanis 1997, 221-230, LiDonnici 2001, 65-79.
170. PGM IV, 1499-1450, 1504-1505.
171. Théophraste, Des odeurs, 12-13.
Chapitre IIb Ζμύρνα, une divinité amère : PGM IV, 1496-1595 63
172. Sur ce thème, lieu commun aussi bien dans la poésie que dans la magie,
voir supra, p. 105 et note 311.
173. PGM IV, 1526, cf. XXXVI, 355 (ἄνοιγον αὐτῆς τὴν δεξιὰν πλευρὰν καὶ
εἴσελθε).
174. Voir notamment Versnel, 247 et suiv., cf. Ficheux 2006, 293 et suiv.
175. Voir supra, note 309.
176. Il est impossible d’énumérer ici les usages très nombreux de cette plante
qui s’intègre souvent dans des préparations médicinales, voir Morand 2001, 124,
note 103. Sur son utilisation, avec l’encens, dans la pharmacopée égyptienne voir,
entre autres, Bresciani 1997, 449-460. Signalons, enfin, que la myrrhe participe à la
préparation du parfum sacré appelé κῦφι : voir supra, p. 37, note 89.
177. Voir Goyon 1972, 66.
64 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
178. Cette variété de myrrhe semble être l’unique substance odorante utilisée
seule, sans huile. Elle pouvait d’ailleurs se conserver plus longtemps que toute
autre sorte de myrrhe, voir Théophraste, Histoire des plantes, IX, 4, 10 et Des odeurs
29, Dioscoride, I, 60 et 64 et Pline, Histoire Naturelle, XII, § 67. Cf. Detienne 2007, 21
et Touzé 2008, 48.
179. Voir Aufrère 2001, 374-376, LiDonnici 2001, 66-67 et Gordon 2007, 124 et
suiv. (concernant plus particulièrement l’encre à myrrhe dans les papyrus ma-
giques). Sur le verbe ζμυρνίζειν/σμυρνίζειν qui paraît avoir deux sens, voir Muñoz
Delgado 2001, s. v. Voir PGM, XII, 179 et XIXb, 3. Cf. Νouveau Τestament, Marc, 15,
23 (ζμυρνίζειν οἶνον).
Chapitre IIb Ζμύρνα, une divinité amère : PGM IV, 1496-1595 65
186. Voir Borgeaud 2004, 95-121 pour les tabous que les Égyptiens parta–
geaient avec les Pythagoriciens, les Orphiques et les sectes bacchiques, d’après le
témoignage d’Hérodote et d’autres auteurs grecs.
187. Voir Macris 2006, 310 et suiv., sur le rapport entre les pythagoriciens et
les magoi.
188. Nous avons trouvé deux mentions exceptionnelles : (i) SM, II, 75, 8-11
(χοῖρος λευκός). Dans ce cas on retrouve la distinction attestée dans les PGM entre
les σπλάγχνα que le praticien doit goûter et le reste de l’animal qui doit être
consumé par le feu (καὶ τά…λοιπὰ ὁλοκαύτου), cf. SM, II, 139 et PGM IV, 2395-98
(θύε αὐτῷ λευκομέτωπον <ὀν>άγριον καὶ ὁλοκαυστήσας ἰδὲ τὰ σπλάγχνα ἀπο-
πυρίσας ἐπὶ ξύλοις ἰτεΐνοις οὕτω κατάφαγε, « sacrifie-lui un âne sauvage à front
blanc ; offre-le en holocauste et ayant fait rôtir ses entrailles sur des bois de saule
mange-les alors ») et (ii) SM, II, 100, 14 (χοιρίδιον) où le contexte est trop corrompu
pour savoir s’il s’agit d’un sacrifice proprement dit.
68 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
était tolérée par une partie des Pythagoriciens peut réfléter des
croyances égyptiennes liées à Seth-Typhon, ainsi que des interdits
juifs189. D’autre part, aussi bien les pythagoriciens que les papyrus
accordent au coq blanc un statut particulier, mais les premiers en
viennent à proscrire le sacrifice de cet animal, alors que les seconds
en font, au contraire, la victime sacrificielle par excellence.
Plutôt que la dichotomie animal/végétal associée à la critique
philosophique de la validité des sacrifices sanglants, c’est la
constatation de la rareté des offrandes d’animaux entiers qui peut
nous orienter lors de l’exploration des pratiques décrites dans les
papyrus. En effet, ce sont avant tout certaines parties du corps
animal, telles les ongles, la graisse, la bile ou la cervelle, qui
apparaissent dans les opérations sacrificielles de notre corpus ;
dans la plupart de nos recettes, le corps de l’animal n’a pas de
valeur particulière dans son intégrité190. Ni la relation de l’homme
à l’animal, dont on peut souvent suivre le développement au sein
d’une communauté agraire ou pastorale, ni la consommation de
la chair sacrificielle ne jouent de rôle analogue à celui que l’on a
reconnu à la « cuisine du sacrifice » grecque. Dans les rites solitaires
des papyrus magiques le partage sacrificiel, qui définit les rapports
entre les membres d’un groupe (maisonnée, association, cité)
en affirmant ainsi son unité et sa cohésion à travers le corps de
l’animal, fait défaut.
En général, le praticien a recours au sacrifice, afin de capter
le divin et de le diriger vers des objets qui fonderont, par la suite,
son propre pouvoir surnaturel ; un pouvoir qui lui permettra de
monter dans la hiérarchie cosmique pour devenir proche, voire
189. Voir Grottanelli 2004, 59-93 à propos de l’attitude des Égyptiens et des
Juifs par rapport à la consommation du porc, à travers des textes grecs et latins.
190. Voir aussi les remarques de Wilburn 2012, 83-90.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 69
193. Le premier livre de Cyranides (Ier/IIe s. après J.-C.), par exemple, contient
vingt-quatre chapitres correspondant aux lettres de l’alphabet grec. Dans chaque
chapitre sont employés, en tant que materia medica, une plante, un oiseau, un poisson
et une pierre, choisis entre autres selon les règles d’une « homéopathie verbale » :
leurs noms commencent par la même lettre et parfois ils sont même identiques.
Comme le note Waegeman 1987, 8 : « in each case the four elements of nature are
symbolized : the bird represents the air, the plant the earth, the fish water and the
stone fire ». Voir le rôle analogue des oiseaux dans PGM III, 511-529.
En ce qui concerne la combinaison fréquente des oiseaux avec des poissons
figurant sur des amulettes, voir Waegeman 1987, 224, qui prend également en
compte la théorie « solaire » de Roes 1945-1948, 461-472, selon laquelle ces deux
espèces animales représentés sur des vases dès une époque très réculée en Asie et
en Méditerranée correspondraient aux deux étapes majeures du voyage du Soleil,
connues aussi dans la mythologie égyptienne : « …this combination represents a
sun emblem, the bird being the sun in the sky and the fish the sun sunk in the sea ».
194. PGM XII, 311-315, cf. IV, 1820-1823 : καὶ δὸς τὸ πέταλον καταπεῖν πέρδικι
καὶ σφάξον αὐτὸν καὶ ἀνελόμενος φόρει…, « et fait avaler la lame à une perdrix
et, puis, tue-la et retire la lame et porte-la… »
195. Cyranides, I, 21, 120-122 : κούκουφος καρδίαν κατάπιε ἔτι σπαίρουσαν…
καὶ ἔσῃ τετελεσμένος εἰς τὸν ἀεὶ σου βίον, « avale le cœur d’une huppe encore
palpitant…et tu seras initié/accompli pour toute ta vie ». Cf. PGM II, 17 et III, 324-
327 où nous trouvons des opérations analogues.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 71
196. Selon Porphyre, De l’abstinence, II, 48, 2-7, l’intention de ceux qui avalaient
des cœurs de corbeaux, de taupes ou de faucons, oiseaux divinateurs, était d’obtenir
« une âme qui rend des oracles comme un dieu ».
197. Nous y trouvons aussi deux sacrifices d’ânes sauvages « à front blanc » :
PGM IV, 2395-2396 et 3148-3180 (λευκομέτωπον ὀνάγριον) ainsi qu’un ou deux sa-
crifices de porcins (SM II, 75, 8-11 et 100, 14), voir supra, note 188. Les deux sacrifices
d’ânes sauvages « à front blanc » présentent plusieurs traits communs intéressants
: prescrits dans le PGM IV pour la prosperité d’un lieu, ils comprennent la fabrica-
tion et l’installation d’une effigie de cire, ainsi que l’évocation d’Isis et d’Hermès.
198. Cette prédilection des « papurus magiques » pour les oiseaux semble
correspondre à ce que nous apprend l’Apologie d’Apulée concernant l’exécution des
« rites nocturnes » dont est accusé l’auteur; or les preuves évoquées pour fonder
l’accusation sont : des plumes d’oiseaux et des murs noircis de fumée : voir Apu-
lée, Apologie, 57-60. Cf. Abt 1908, 217-221 et Hermann 1951-1952, 329-337. En ce qui
concerne les vestiges osseux provenant de petits volatiles, trouvés aux côtés des
defixiones, voir Bailliot 2010, 98-101.
199. Graf 1994, 258.
72 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
5. Τρίστιχος Ὁμήρου
IV, 2145-2240 ἀλέκτορα θήσεις τράπεζαν…, πάρεδρος /
λευκόν καὶ θύσεις … consécration d’une
lamelle
202203
202. Comme dans le cas 8, l’image qui doit être animée apparaît comme le
véritable destinataire du sacrifice. Dans la religion égyptienne, c’est surtout le
rituel pharaonique de « l’Ouverture de la Bouche » − Ouphôr − qui permet aux
dieux de « rentrer » dans leur statues ; voir Meeks et Meeks 1993, 184-185, ainsi
que Moyer et Dieleman 2003 à propos de l’adaptation créative de ce rituel dans
les papyrus magiques.
203. Sur la « calomnie rituelle », voir Eitrem 1924, 43-61.
74 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
8. (ii) (ii)
XII, 14-95 νοσσάκιον πρὸς τὸν Ἔρωτα
(suite) ἀρρενικόν ἀπόπνιγε
καὶ ὁλοκαύστει,
(iii) (iii)
ἕτερον νοσσάκιον βωμῷ εἰσθές. ποιῶν
τὴν τελετὴν
κατάφαγε τὸν
νεοσσὸν μόνος
204. En effet, le papyrus PGM XIII (P. Leid. J 395) du IVe s. regroupe trois
versions du même rituel qui se présentent comme l’enseignement de Moïse ; voir
Smith 1984, 683-693, Graf 1994, 14-17 et Charvet-Ozanam 1994, 99-102.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 75
(v) (v)
ἀλέκτορα ἡ δὲ ἀπόγευσίς ἐστιν
(la prescription αὕτη· ὅταν μέλλῃς
concerne peut-être ἀπογεύεσθαι,
le coq à sacrifier déjà ἀλέκτορα θῦσον,
mentionné) ἵνα ὁ θεὸς ἀφθόνως
λάβῃ
πνεῦμα
Nous avons inclu dans notre tableau le cas (7), bien qu’il s’agisse
de la description d’une opération fictive et non d’une prescription
rituelle. Ce cas a permet de montrer que le sacrifice « magique »
non seulement n’inverse pas consciemment les règles du sacrifice
« religieux », mais peut éventuellement les revaloriser de sa propre
façon. Selon la διαβολή en question, sacrifier un faucon ou un ibis,
oiseaux sacrés en Égypte, pourrait être imputé à une personne
dans le but de la faire subir la colère divine, dans la mesure où de
tels sacrifices paraissent inconcevables et interdits, selon les règles
sacrificielles égyptiennes205.
Les oiseaux choisis doivent être dépourvus de tâches et de
défauts, purs − ἄσπιλοι − « parfaits »206 (1, 3-4, 9), ce qui correspond
bien aux critères généralement valables en Grèce pour le choix
des animaux sacrifiables207. Lorsqu’elle est précisée, la couleur du
plumage prescrite est le blanc (2-5, 10). Il s’agit d’une précision qui
trouve parfois des parallèles dans les choix dont témoignent les
calendriers religieux grecs concernant le pelage des animaux208.
La blancheur est peut-être considérée dans ce cas, effacer virgules
comme un indice de pureté de l’oiseau. Comme le terme λευκός/
205. Sur la vénération des animaux en Égypte, voir entre autres Smelik et
Hemelrijk 1984, 1852-2357.
206. Pour le sens de τέλειος, voir Brulé 2008, 114-116. Dans une autre version
du PGM XIII nous trouvons aussi le terme ἀσινής (ΧΙΙΙ, 10, ἀλέκτορας δύο ἀσινεῖς
τελείους « deux coqs sans défaut, parfaits »).
207. Brulé 2008.
208. Cependant, la couleur intervient comme critère dans les lois sacrées
grecques beaucoup plus rarement que l’integrité physique.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 77
216. Cependant, l’inverse n’est pas toujours valable : la consécration d’un objet
peut être effectuée sans παράθεσις ; voir, par exemple, le cas (6) de notre tableau.
217. Voir infra, pp. 101-102.
218. Pour le cas (8), voir infra, ch. IIIb.
219. En dehors de ces rituels explicitement désignés comme des holocaustes,
une consécration totale de la victime peut être sous-entendue lorsque nous n’avons
pas mention de consommation par le praticien, c’est-à-dire dans la majorité des
cas, cf. infra, pp. 25-26.
220. Plutarque, De Iside et Osiride, 363b-c, trad. CUF. Voir aussi Hérodote, II, 39,
1-2 « la tête coupée est emportée chargée de malédictions ; là où il y a un marché
et des commerçants grecs…on la vend ; s’il n’y a pas de Grecs présents, on la jette
dans le fleuve ». Cf. Johnston 2000, 34, Bouanich 2005, 151 et Volokhine 2008, 62.
80 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
dans le « livre de Moïse » (10), mais aussi dans la recette que nous
allons examiner plus en détail par la suite mais aussi dans une
recette sur laquelle nous allons revenir (8). Dans le premier cas le
« fluide vital » des oiseaux se présente comme une offrande dont le
dieu qui s’approche du praticien peut disposer à volonté ; dans le
second, il s’agit d’une offrande qui s’apparente à une transmission,
effectuée sous haute protection, du fluide vital du corps des oiseaux
à un simulacre d’Éros en cire224. Un concept qui se rapproche de
cette offrande de πνεῦμα apparaît dans le traité de Saloustios, Sur
les dieux et l’univers, où l’auteur précise que les prières ne valent
rien une fois détachées des sacrifices, car c’est pendant ces derniers
que les mots prononcés par les fidèles montent au ciel accompagnés
de l’âme des animaux pour se transformer ainsi en ἔμψυχοι λόγοι225.
Dans ce contexte, il est question de ψυχή, une notion parfois proche
de celle de πνεῦμα, même si elle s’en différencie en général dans le
corpus des papyru magiques226.
On constate en dernier la complexité des rituels dans lesquels
s’intègrent les sacrifices d’oiseaux ainsi que l’ambition de leurs
objectifs : d’une part, des « rencontres » avec les divinités ainsi
que l’« initiation » du praticien ; d’autre part, des « animations »
des objets, voire à des leur transformation en πάρεδροι proposant
au praticien leurs services exceptionnels. Dans certains cas, le
praticien partage la victime avec les puissances divines : dans un
rituel unique, il en boit le sang (4), dans d’autres il consomme soit
des parties soit la totalité de l’animal (8, 10).
224. Sur les mesures qui préviennent sans doute d’éventuelles « fuites » lors
de cette opération, voir infra, p. 117.
225. Saloustios, Sur les dieux et l’univers, XVI, 1. Cf. Jamblique, Les Mystères
d’Égypte, 238, 14-15.
226. Sur la distinction entre πνεῦμα et ψυχή dans les papyrus magiques et sur
la parenté entre le πνεῦμα « magique » et le ka égyptien, voir Verbeke 1945, 321-337.
82 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
227. Il ne s’agit pas pour autant d’une conception monothéiste : cf. Belayche
2006, 112. Sur la coexistance de le l’un et du multiple dans le polythéisme égyptien,
voir Hornung 1992, 168 et suiv. et passim.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 83
Plutarque souligne l’acuité de l’esprit des oiseaux, qui explique pourquoi les dieux
s’en servent ὥσπερ ὀργάνῳ, « comme d’un instrument » et dirigent « leurs mou-
vements, leurs voix, leurs cris et leurs formations/positions − σχήματα – afin
d’accomplir leurs desseins » (L’intelligence des animaux, M975a). Ce n’est que plus tard,
chez les auteurs chrétiens, que nous trouvons parfois une attitude explicitement
négative envers les oiseaux, malgré la représentation du Saint Esprit comme une
colombe, voir Gilhus 2006, 247-250. Ainsi les oiseaux finissent-ils par être considé-
rés comme des « poissons dotés d’ailes ». Derrière ce mépris l’on perçoit, bien sûr,
l’enthousiasme pour l’anatomie humaine, caractéristique de la religion chrétienne.
233. Voir, par exemple, Euripide, Ion, 179-180 : κτείνειν δ’ ὑμᾶς αἰδοῦμαι
/ τοὺς θεῶν ἀγγέλλοντας φήμας. Dans les poèmes homériques, les dieux tantôt
envoient des oiseaux pour exprimer leur volonté, tantôt en adoptent l’aspect pour
rendre visite aux humains. Parfois le sens du texte oscille entre la métamorphose
et la métaphore (voir par ex. Iliade, VII, 58-60 : … Ἀθηναίη τε καὶ ἀργυρότοξος
Ἀπόλλων / ἑζέσθην ὄρνισιν ἐοικότες αἰγυπιοῖσι / φηγῷ ἐφ’ ὑψηλῇ…). Voir Pol-
lard 1977, 155-161. Sur l’intimité entre oiseaux et dieux, cf. le passage plus tardif de
Celse, ap. Origène, IV, 88: « si donc les oiseaux (…) nous indiquent par des signes
tout ce que Dieu leur a révélé, il s’ensuit de là qu’ils sont dans une intimité plus
étroite que nous avec la divinité − τοσοῦτον ἔοικεν ἐγγυτέρω τῆς θείας ὁμιλίας
ἐκεῖνα πεφυκέναι καὶ εἶναι σοφώτερα καὶ θεοφιλέστερα ». Cf. Bodson 1978, 93-119.
234. L’importance de la voix des oiseaux se révèle en outre dans les onoma-
topées formées par leurs noms. Aristophane nomme au total soixante-dix-neuf
espèces différentes et n’hésite pas à juxtaposer, jusqu’ à dix huit noms (Oiseaux,
303-306) correspondant à une partie du chœur comique des Oiseaux. Trois d’entre
eux − τρυγών, mot qui renvoie au roucoulement (tourterelle), κερχνῄς, « au son
enroué, sec » (crécerelle) et κόκκυξ, « le coucou » − évoquent les cris des oiseaux
qu’ils désignent, tandis que d’autres commencent par des syllabes dont la sonorité
rappelle le chant des espèces en question. Les paroles de Peisthétairos (306) repro-
duisent l’effet sonore produit par cette juxtaposition des noms : οἷα πιππίζουσι
καὶ τρέχουσι διακεκραγότες, « qu’ils piaillent, ce qu’ils cavalent de-ci, de-là en
jacassant ».
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 85
235. Aristote, Histoire des animaux, I, 1, 488a 33 et III, 1, 535a 27 et suiv. On y décèle
d’ailleurs, comme le démontre Borgeaud 2007, 76 et suiv., un rapprochement subtil
entre le chant des oiseaux et la langue des dieux d’après les spéculations grecques.
236. Voir, entre autres, Pollard 1948 : 353-376, Bowie 1999, 157-181, Christopoulos
1997 et 2010. Cf. Pollard 1977, 155-191.
237. Si nous observons chez Aristophane une tendance à doter les oiseaux
d’un savoir sans limites par extension de leur rôle d’agents des dieux, chez Ovide
(Fastes, 446-448) l’oiseau-messager se transforme en espion : « on vous reproche
de parler et les dieux pensent que vous dévoilez leurs pensées (…) plus vous vous
approchez des dieux, plus vraies sont les données que fournissent votre vol ou votre
voix ». L’auteur semble associer par la suite ce thème de la trahison à la destinée
des oiseaux qui ont fini par être sacrifiés par les Romains : « longtemps à l’abri, la
race des oiseaux fut finalement sacrifiée et les dieux apprécièrent la fressure de
l’être qui les trahissait» (449-450), cf. Green 2004, 207, comm. ad loc. Sur les sacrifices
d’oiseaux dans le monde gréco-romain voir infra, pp. 92-99.
238. La souillure des statues divines par les éjections des oiseaux, à laquelle
font allusion tant Aristophane (Oiseaux, 1114-1116, cf. Schol. Aristoph. 1114 et Dunbar
1995, 593) qu’Euripide, constitue une autre provocation, aussi risible que réelle.
« Les troupeaux d’oiseaux nuisent aux offrandes − ἀναθήματα − des dieux » se
plaint Ion, pieux servant d’Apollon à Delphes (Euripide, Ion, 106-108).
86 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
239. Aristophane, Oiseaux, 562-563, cf. 518-520 : selon Peisthétairos, les oiseaux
qui figurent en tant qu’emblèmes sur les statues guettent pour voir si « quelqu’un
sacrifie et offre ensuite au dieu les entrailles dans la main », afin de les saisir eux
(ces oiseaux) avant Zeus ». En effet, il s’en faut de peu, que les entrailles d’animaux
sacrifiés, déposées parfois dans les mains de statues, deviennent la proie des oiseaux.
240. Hornung 1992, 29-30 : « ce signe est surtout employé en tant que sémogramme
dans l’écriture cursive égyptienne (hiératique)… ».
241. Selon Hérodote, II, 65, celui qui avait tué, même si le meurtre était invo-
lontaire, un ibis ou un faucon devait mourir. Voir Smelik 1979 pour le culte de l’ibis.
Pour les « animaux sacrés » en général, voir Smelik et Hemelrijk 1984, Meeks et
Meeks 1993, 190-206 et Dunand et Lichtenberg 1995, 165 et suiv.
242. Le faucon sacré était présent dans le fonctionnement quotidien du temple,
honoré de la même façon que la statue d’Horus. Quant à l’ibis dit « sacré » associé
à Thot, son culte était très répandu, comme le montrent des centaines de milliers
de spécimens momifiés trouvés dans les nécropoles. Voir Meeks et Meeks 1993,
191-192 ainsi que Smelik 1979.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 87
243. C’est en oiseaux à tête humaine que se transforment également les êtres
« d’outre vie » au moment où ils franchissent la limite qui sépare l’incréé de l’univers
organisé. Ils s’identifient alors aux oiseaux migrateurs qui s’abattent sur l’Égypte et
ses récoltes à l’instar des envahisseurs étrangers. Voir Meeks et Meeks 1993, 38-39.
244. Voir les sources rassemblées par Dimitrokallis 1992, 148-176. Sur le rapport
âme-oiseau, cf. infra, p. 111.
245. Cf. Stace, Thébaïde, III, 482 et suiv. qui loue les oiseaux car ils ont échappé
aux souillures de la terre.
246. L’homme existe moyennant son corps (khat), son nom (ren), son image
idéale/force vitale (ka), son âme/manifestation immatérielle de l’être (ba) et son
ombre (chout). Selon Dunand et Zivie-Coche 2006, 232, le ba peut se définir comme
le « principe immortel qui maintient la cohésion de l’être vivant ». Voir aussi
Dimitrokallis 1992, 101-138.
247. Derchain 1981, 46-50.
248. Platon, Définitions, 415a : ἄνθρωπος, ζῷον ἄπτερον, δίπουν, πλατυώνυχον,
cf. Longo 1999, 101 et suiv. Il n’y a donc aucun doute que l’attitude craintive d’Evelpidès
devant le chœur ailé des Oiseaux traduit plus qu’une faiblesse de caractère: Ἆρ’
ἀπειλοῦσίν γε νῷν; « Dis-donc ? C’est des menaces contre nous ? » (307).
88 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
a plus d’efficace »259.
L’aspect solaire du coq dépasse de loin le simple rôle de
héraut matinal et dote l’oiseau d’un pouvoir plus ample. Pour
les pythagoriciens probablement influencés par des croyances
orientales, la voix sonore du coq au lever du jour chasse loin les
démons maléfiques, de même que son plumage de lumière est
capable d’écarter les ennemis.
Cependant, le pouvoir apotropaïque dont témoigne
l’étymologie du mot ἀλεκτρυών/ἀλέκτωρ (<ἀλκ-) désignant le coq
à partir du VIe s.260 est à associer non seulement à l’aspect solaire
de l’animal, mais aussi à son caractère belliqueux261, manifeste
notamment lors des fameux combats de coqs262. Ainsi dans les
Oiseaux diverses parties du corps du volatile s’assimilent-elles aux
armes d’un jeune homme μάχιμος, « belliqueux » : bouclier, épée et
casque s’identifient respectivement à l’aile, l’ergot et la crête263. Ces
croyances éclairent l’aspect anguipède et alectorocéphale qu’adopte
le dieu solaire Abrasax264, l’une des divinités apparaissant aussi
bien sur les amulettes de l’antiquité tardive que dans nos papyrus
magiques. Si cette figure liée au coq témoigne de la coexistence
de connotations solaires et belliqueuses, le caractère guerrier du
volatile est mis davantage en avant dans la langue juive tardive qui
associe son nom aux mots « géant », et « guerrier »265.
Nous trouvons en outre le coq comme épisème de boucliers266
tel celui d’Idomenée dont l’ascendance solaire est symbolisée,
d’après Pausanias, par cette figure267. Le pouvoir apotropaïque
et prophylactique du coq pouvait s’étendre à une grande variété
de croyances et de pratiques. Pour ne citer qu’un seul exemple, le
Périégète nous informe qu’à Méthane on avait recours au coq pour
faire face au sirocco − ἄνεμος ὁ Λίψ − qui menaçait les vignes : après
avoir coupé en deux un coq tout blanc − τὰ πτερὰ ἔχοντα διὰ παντὸς
λευκά, deux hommes portant chacun une moitié du corps − ἥμισυ
ἑκάτερος τοῦ ἀλεκτρυόνος φέρων − faisaient le tour du vignoble
en courant dans des sens opposés de manière à se rencontrer à leur
point de départ, afin d’y enterrer l’oiseau recomposé − ἐς τὸ αὐτὸ
ὅθεν ὡρμήθησαν, κατορύσσουσιν ἐνταῦθα268.
Plus que son aspect apotropaïque, ses connotations guerrières
et son pouvoir mantique souvent mentionné269, c’est le caractère
solaire du coq qui paraît important pour nos recettes270 ; car c’est
phénix (ou d’un griffon gigantesque) qui déclenche sur la terre le chant simultané
de tous les coqs. Toutefois, cette créature mythique est évoquée plutôt rarement
dans notre corpus, voir, par exemple, PGM V, 252, XII, 231 (cf. le n° 9 de notre
tableau, supra, p. 74).
271. Voir, par exemple, PGM VII, 507-527. Sur le statut particulier du Soleil
dans les papyrus magiques, voir surtout Fauth 1995, 34-114.
272. Voir Platon, Phédon, 118a ; Hérondas, Mimes, IV, 11-18, cité infra, p. 96 ; cf.
Edelstein et Edelstein 1945, I, 296 et II, 190 et suiv. L’opinion selon laquelle le coq
serait associé à Asclépios en tant qu’animal approprié aux cultes funéraires et
héroïques ne nous paraît pas offrir une explication satisfaisante de cette parenté.
Voir Bodson 1978, 100 qui tente d’établir un lien entre la présence du coq dans les
rites funéraires et son rôle dans le culte d’Asclépios. Contra, voir Edelstein 1945, II,
190, note 23 : « it may also have been of importance that the cock was the herald of
dawn − Asclepios was the god who allowed men to see the light of day… ».
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 93
273. Voir, entre autres, Guilhou et Peyré 2006, 297-299, Dunand et Zivie-Coche
2006, 439 et 446.
274. Sur le sens du « sacrifice animal » en Égypte voir, entre autres, Derchain
1962, Yoyotte 1980-1981, 31-102, Dunand et Zivie-Coche 2006, 129, Volokhine 2008,
61-64. Comme le signale Bouanich 2005 : 155, après leur mise à mort « les animaux
sont assimilés aux rebelles coupés en pièces afin que, magiquement, le dieu et le
roi réduisent à néant les ennemis extérieurs ou intérieurs de l’Égypte ».
275. Κœnig 1994, 149 et suiv.
276. Il s’agit des reliefs qui datent pour la plupart du IVe s. av. J.-C. Voir Van
Straten 1995, 274-332 (pour les époques archaïque et classique) et Stafford 2008,
205-221 (pour le culte d’Asclépios en particulier).
94 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
277. LSCG 52, LSCG 60, 23, LSCG 126, 7-8, LSCG 172, 4, LSA 36, 10, LSA 67B, 3,
LSS 108, 12, Lupu 2005, n° 9 = SEG XLVII, 488. Cf. Kadletz 1976, 10-14. Cf. Pirenne-Del-
forge 1994, 415-417 (pour les pigeons dans le culte d’Aphrodite) et Edelstein et
Edelstein 1988, 272-277, 296-299 et II, 189-190 (pour les sacrifices de coqs dans le
culte d’Asclépios)
278. LSA 36, 10, cf. LSCG 52. Voir aussi les analyses archéoozologiques de
Leguilloux 1999, 431 et note 26, ainsi que Hermary et Leguilloux 2004, 68 et suiv.
(sanctuaire d’Aphrodite à Paestum, en Italie du Sud), Lepetz et Van Andringa 2008,
p. 47, 50 (sanctuaires d’Isis) et Siard 2008, 31-32 (Sarapieion C de Délos).
279. LSCG 39, 23, cf. Aristophane, Acharniens, 793. Voir aussi Bruneau 1970,
343-344, au sujet d’une mise à mort de colombes, accompagnée d’un serment, en
l’honneur d’Aphrodite.
280. LSA 14, 5-6 ; les prescriptions purificatoires font partie d’un règlement
relatif aux incubations qui avaient lieu dans l’Asclépieion de Pergame.
281. Voir Lupu 2005, 223, note 15.
Chapitre IIIa Les sacrifices d’oiseaux 95
282 Pausanias, VII, 18, 12, trad. C.U.F. Sur ce rituel peu banal voir Pirenne-Del-
forge 2008, 218-229 avec de nombreuses indications bibliographiques (221, n. 196).
283 Pausanias, IV, 31, 9.
284 Voir, cependant, l’objection de Pirenne-Delforge 2008, 221.
285 Pausanias, II, 11, 7.
96 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
mais ceux qui sont plus démunis offrent des oies et des pintades »286.
Le thème de l’offrande économique se retrouve dans d’autres
sources littéraires concernant les sacrifices d’oiseaux. L’entrée
« septième bœuf » du dictionnaire de la Souda, par exemple, définit
cette expression comme un gâteau de farine offert par les gens
les plus démunis − οἱ (…) πένητες ἔμψυχον μὴ ἔχοντες θῦσαι −,
après le sacrifice de six animaux ἔμψυχα. À côté des animaux
habituellement sacrifiés en Grèce figurent, en fin de liste, deux
espèces de volatiles : …θυομένων δὲ τῶν Ϛʹ ἐμψύχων, προβάτου,
ὑὸς, αἰγὸς, βοὸς, ὄρνιθος, χηνὸς, ἐθύετο ἕβδομος ὁ ἐξ ἀλεύρου,
« après le sacrifice de six animaux vivants, à savoir d’un mouton,
d’un porc, d’une chèvre, d’un bœuf d’un poulet et d’une oie, on
sacrifie le ‘septième’ (bœuf) de farine »287.
Encore plus intéressant est le témoignage de l’alexandin
Hérondas, dans le mime très connu à l’intérieur duquel Cynno
s’excuse auprès d’Asclépios de la part de son amie Coccalé de
n’avoir apporté qu’une offrande de pauvre en remerciement pour
sa guérison : 288
295. Voir, entre autres, Rouse 1902, 288-306. Cf. Bodson 1978, 100 et notes 66-67.
Ajoutons qu’un grand nombre de statuettes d’offrantes à l’oie ont été découvertes
dans un Héraion de la Grande Grèce, près de Poseidonia.
296. Outre les données mentionnées supra, note 278, des ossements d’oiseaux
ont été retrouvés dans le sanctuaire d’Artémis à Délos, d’Apollon à Milet, d’Hé-
ra à Samos, de Déméter à Mytilène (poules, oies, pigeons), d’Artémis à Lousoi
d’Arcadie (pigeons, perdrix, outarde, pélican), d’Aphrodite à Paestum (poulets,
colombes, pigeons) et enfin de Poséidon à l’Isthme (coqs) ; voir Gallet de Santerre
1958, 130, Laumonier 1958, 562-563, ainsi que le commentaire de la documentation
archéozoologique par Martine Leguilloux 1999, 429, 431.
297. A Pompéi, le coq serait fréquemment offert en milieu domestique : voir
Robinson 2002, Lepetz et Van Andringa, 50 ainsi que Feugère 2007, 1-10 concernant
les cultes domestiques dans le Languedoc préromain.
100 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
303. Voir par ex. PGM I, 42-195 où est dressée une liste extraordinaire des
bienfaits offerts par un πάρεδρος, cf. Gordon 1997, 75.
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95. 103
307. Il est à noter que le conte d’Amour et de Psyché raconté par Apulée
fonctionne aussi comme paradigme − tout en étant soumis, bien entendu, à plusieurs
interprétations symboliques en rapport avec le contexte des Métamorphoses −, voir
Raïos 2004, 431-470.
308. Par ex. Méléagre, Anthologie Palatine, V, 57 ; XII, 80 et 132.
309. L’âme et le cœur en tant que sièges des sentiments sont les cibles les plus
fréquentes des charmes d’amour tant dans les tablettes de défixion que dans les
PGM : voir Martinez 1991, 63-64, Faraone 2006, 198-199, notes 81-83 et Ficheux 2006,
296. Selon Ganszyniec 1920, dans certains charmes amoureux (par exemple PGM
VII, 411-416) le mot ψυχή (de même que le mot φύσις) désigne par euphémisme
l’« essence » de la femme, c’est-à-dire son sexe. Cette interprétation est adoptée
par Betz 1986, p. 339 (Glossary), Charvet et Ozanam 1994, 45, 66, Muños Delgado
2001, 144, Gordon 2007, 127 ; Martinez 1991, 11-12, note 49 ne l’admet que pour une
seule occurrence du mot dans les PGM. Ψυχή paraît toutefois avoir cette signi-
fication déjà chez Sophocle, Electre, 775, cf. Juvénal, Satire, VI, 193-199 et Martial,
Épigrammes, X, 68, 5-12. En fait, dans plusieurs passages présentant un contexte
érotique, le choix entre les deux significations paraît superflu, car le mot peut
être traduit par « âme » tout en gardant une connotation sexuelle, cf. Betz 1986,
339. Charvet et Ozanam ont raison de remarquer au sujet du couple Éros-Psyché
intervenant dans la recette intitulée Ξίφος Δαρδάνου, « épée de Dardanos » : « le
choix des figures représentées sur la pierre, Aphrodite et Éros, s’explique par le
contexte amoureux. Celui de la Psyché est plus complexe : le mot désigne à la fois
l’âme, le sexe de la femme et l’amante de l’Éros − celle-ci a pris dans la littérature
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95. 105
de l’époque une signification spirituelle très forte : image de l’âme égarée par la
curiosité, mais atteignant l’immortalité au terme d’épreuves initiatiques ».
310. Voir Icard-Gianolio 1994, 569-585 (VII1) et 436-462 (VII2).
311. Sur le thème de l’embrasement de la ψυχή et sur d’autres métaphores de
l’igné tant dans la poésie que dans la magie, voir Versnel 1998, 249, note 90 et 260-261,
note 119 (avec une bibliographie abondante) ainsi que Ficheux 2006, 294 et note 28.
312. Voir Delatte et Derchain 1964, 233-239 ainsi que Mouterde 1930, 53-64, cf.
Nock 1925, 154-158, Bernand 1991, 305, Winkler 1991, 220 et Faraone 2006, 51, 56.
313. La construction de cette gemme fait partie du Ξίφος Δαρδάνου (IV 1719-
1870) comprenant aussi l’aquisition d’un Éros πάρεδρος.
314. Delatte et Derchain 1964, 236-237, no 325. Pour le lien entre Psyché et les
oiseaux voir infra, p. 111.
315. Les poignards rappellent l’arme tranchante, peut-être un rasoir, dont s’est
armée Psyché pour tuer son mari − novacula (Métamorphoses, V, 22, 1).
106 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
316. Dans les Métamorphoses, les armes d’Éros reposent au pied de son lit,
lorsque Psyché poussée par la curiosité provoque une sorte d’ « épiphanie »
involontaire de son mari. Leur rôle est important, car c’est en les examinant que
Psyché sera piquée par une flèche et saisie alors d’un amour foudroyant pour
son divin époux (V, 22, 7-23, 1-2).
317. Dans les Métamorphoses, le récit attribue un rôle majeur à la lampe sous
la lumière de laquelle Psyché découvre son mari. Non seulement elle sert à la
révélation d’Éros, mais contient aussi l’huile dont une goutte coulera pour brûler
l’épaule du dieu. Les paroles adressées à la lampe, procédé bien connu dans les
épigrammes érotiques hellénistiques, laisse apparaître l’affinité de l’objet avec le
dieu igné de l’amour − lucerna illa, sive perfidia pessima sive invidia noxia sive quod
tale corpusespace contingere et quasi basiare et ipsa gestiebat, evomuit de summa luminis
sui stillam ferventis olei super umerum dei dexterum. Hem audax et temeraria lucerna et
amoris vile ministerium, ipsum ignis totius deum aduris, cum te scilicet amator aliquis,
ut diutius cupitis etiam nocte potiretur, primus invenerit (V, 23, 4-5). Apulée avait déjà
insinué cette affinité, lors de la scène de la révélation : à la vue d’Éros endormi,
la flamme de la lampe s’avive − cuius aspectu lucernae quqoque lumen hilaratum
increbruit (V, 22, 2). Sur la lumière des lampes, qui s’intensifie à l’approche d’une
divinité, voir Zografou 2010a, 283.
318. Apulée, Métamorphoses, V, 8, 1.
319. Voir, entre autres, Merkelbach et Totti 1990, 28-31. Kenney 1990, 172 renvoie
à la comparaison d’Éros avec le soleil chez Plutarque, Amatorius, 764d : ἐοικέναι μὲν
οὖν Ἀφροδίτῃ σελήνην ἤλιον δ’Ἔρωτι…, cf. Edwards 1992, 77-94 qui essaie de situer
le récit d’Apulée dans l’ambiance philosophique de l’époque et Raïos 2004, 450-454
qui présente les voies interprétatives principales qui ont été tracées pour ce conte.
320. Ce n’est pas la première fois que l’on constate un rapport entre les Mé-
tamorphoses et les pratiques magiques répandues à l’époque d’Apulée : voir, entre
autres, Frangoulidis 2008.
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95. 107
328. C’est-à-dire « ne les consacre pas par le feu ». Selon Betz 1992, 154, note
11 « this refers to the so-called holocaust, in which the sacrificial gifts are burnt
completely. Signalons, toutefois que l’expression ἐπιτίθει εἰς τὸν βωμὸν indique
probablement la mise au feu ultérieure des oiseaux. Voir infra, p. 26.
329. Cf. Eliade 1957, 126-153. C’est ainsi que nous devons sans doute comprendre
la prescription de lire ou d’écrire une formule πτερυγοειδῶς, voir PGM II, 2 et
VII, 716. Signalons enfin le titre Πτέρυξ d’un livre sacré d’Hermès : PGM XIII, 16.
110 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
339. Dumont 1988, 38-39. Le coq est aussi régulièrement représenté sur les
pinakes de Locres, dans un contexte matrimonial, voir Redfield 2003, p. 380-382.
340. Aristote, Histoire des animaux, 614a, 28-29.
341. Thompson 1966, 219 cf. Geoffrey Arnott 2007, 161-163, Pollard 1977, 61-62
et Waegeman 1987, 116-117 et 1189 (par rapport à un passage des Cyranides).
342. Homère, Odyssée, XV, 403 « Il y a une île qu’on appelle Syrie (…) au delà
d’Ortygie où tourne le soleil », cf. Ballabriga 1986, 16-22.
343. Le nom βασιλίσκος désigne le roitelet (regulus) connu aussi comme
ὀρχίλος ou τροχίλος. Cependant la confusion paraît inévitable avec βασιλεύς, le
troglodyte (troglodytes troglodites) qui ressemble au roitelet sans disposer pour autant
de ses plumes dorées. Voir Geoffrey Arnott 2007, 20-21, cf. Dunbar 1995, 383-384.
Signalons enfin que le nom βασιλίσκος désigne aussi un serpent aux pouvoirs
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95. 113
surnaturels dangereux que seul le coq peut affronter avec succès, voir Élien, De la
nature des animaux, III, 31, 1-2.
344. Un mythe d’Ésope justifiant l’honneur royal attribué à ce oiseau est rap-
porté par Plutarque, Praecepta gerendae reipublicae, 806e-806f. Voir Thompson 1966,
63-64, Pollard 1977, 36-37, Geoffrey Arnott 2007, 20-21.
345. Aristote, Histoire d’Animaux, 592b, 22-25.
346. PGM XII, 46, cf. Merkelbach-Totti 1990, 28-29 qui compare l’expression
avec les vers cités dans Phèdre ; voir supra p. 110.
347. Voir Aristophane, Oiseaux, 568-569 et Dunbar 1995, 384.
348. PGM XIII, 369-378.
349. Parmi les connotations symboliques de la colombe, évoquées par les au-
teurs grecs qui cherchent à expliquer le lien entre la déesse et l’oiseau sont le plaisir
érotique, la fidélité au sein du couple, mais aussi la pureté, voir Pirenne-Delforge
1994, 415-417.
350. Ce mot peut aussi servir de terme générique pour désigner toute espèce
de pigeon : Bodson 1978, p. 101-103 Thompson 1936, p. 238-247.
351. Schol. Apoll. Rhod., Argon. III, 549.
114 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
352. Remarquons ici que, suivant les lois bibliques, les pigeons et les tourte-
relles sont les seuls oiseaux appropriés au sacrifice. Il est aussi précisé dans l’Ancien
Testament que contrairement à d’autres victimes, ils ne doivent pas être découpés.
353. Aristote, Histoire d’Animaux, 613a 14-15, cf. Cyranides, III, 43, 1, στρουθίον
μονανδρίαν άσκοῦν.
354. Cyranides, III, 43, 8 et 55, 18.
355. Cependant, l’ordre selon lequel sont mentionnés les quatre derniers
oiseaux − περιστερά, τρυγών, νεοσσά − peut refléter en même temps des usages
juifs. Voir, par exemple, Lévitique, 5, 7.
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95. 115
358. Voir, par exemple, Graf 1994, 258 : « Dans l’univers des papyrus, où nous
saisissons le rite avec une rare précision, on perçoit tout un jeu d’inversions ».
359. Remarquons ici que, suivant les lois bibliques, les pigeons et les tourte-
relles sont les seuls oiseaux appropriés au sacrifice. Il est aussi précisé, dans l’Ancien
Testament que, contrairement à d’autres victimes, ils ne doivent pas être découpés.
360. Bouanich 2005, 151, note 13 et Ikram 1995, 57-61 : « Representations show
that once the bird was captured, it was killed by strangulation ».
Chapitre IIIb Étrangler des oiseaux pour Éros : PGM XII, 15-95. 117
êtres vivants soit étouffé et que leur souffle/fluide vital entre en lui ;
c’est alors que tu devras les déposer sur l’autel ». La croyance selon
laquelle la divinité absorbe le πνεῦμα des animaux se rencontre,
comme nous l’avons vu, dans d’autres passages des nos papyrus.
Ce qui distingue l’opération de notre recette est d’abord le besoin
de faire passer le πνεῦμα des animaux dans la statuette de cire
sans aucune « fuite » et aucun éventuel contact néfastes. La mise à
mort par étranglement semble préserver intact le souffle vital des
oiseaux, qui sera ensuite absorbé par la divinité, puisqu’il permet
de rester dans le corps des victimes en évitant l’écoulement du
sang aurait établi un contact avec l’autel ou le sol361. Au contraire,
l’étranglement impose un contact direct et ininterrompu entre la
main du praticien, devenue instrument de la mort, et la victime.
Il est très significatif que cette main doit se tendre vers la statue
d’Éros, comme si elle voulait établir un autre lien, cette fois avec
le divin. Mort « aérienne » alors qui, comme il a été pertinemment
remarqué, « donne des ailes » à la statue d’Éros362 tout en établissant
une chaîne de communication « ascendante » entre le praticien, la
victime et la statue.
Si cet exemple de mise à mort par étranglement est unique
dans les papyrus magiques, un cas analogue est sans doute décrit
par Porphyre, dans la Vie de Plotin. Lors d’une tentative d’entrevue
de Plotin avec son propre démon − θέαν τοῦ συνόντος αὐτῷ
οἰκείου δαίμονος − le philosophe était accompagné par un ami
tenant dans ses bras comme amulette − φυλακῆς ἕνεκα − des
oiseaux qu’il finira par étrangler « par jalousie ou par crainte » −
πνίξαντος εἴτε διὰ φθόνον εἴτε καὶ διὰ φόβον τινά363. S. Eitrem
conteste la valeur de ce texte comme témoignage authentique
et croit que nous avons le droit de le mettre en rapport avec
les recettes des papyrus magiques : d’après cet auteur, « sans
doute, l’ami de Plotin tenait les oiseaux dans les mains selon les
instructions du prêtre et les animaux étaient destinés à un sacrifice,
non pas à tenir à l’écart des puissances ou des démons hostiles à
l’opération »364. Malheureusement, cet épisode de la vie de Plotin
reste un témoignage isolé, à propos duquel seules des hypothèses
peuvent être formulées.
Quoi qu’il en soit, l’attention particulière accordée au πνεῦμα
des oiseaux dans notre recette est peut-être due, entre autres, à sa
parenté avec ψυχή, « âme » incarnée, d’après l’opération prescrite
par la compagne d’ Éros, Psyché, représentée en cire parfumée à
côté de son amant.
En effet, dans les papyrus magiques le mot πνεῦμα désigne
avant tout une émanation de la divinité diffusée dans le monde365.
Ainsi le mot ψυχή, très rarement cité comme nom d’une divinité366,
désigne habituellement les âmes individuelles des hommes.
En outre, les termes ψυχή, πνεῦμα, φρήν, καρδία, θυμός sont
souvent proches, voire interchangeables, quand il s’agit des
367. P. Mich. 757, 36 (texte inscrit sur une tablette de plomb), Audollent 1967,
41A, 9.
368. PGM IV, 627, 630. cf. Betz 2003, 166.
369. Martinez 1991, 90-93 propose plusieurs exemples.
370. PGM IV, 1827-1828 : ἐπίθυμα τὸ ἐμψυχοῦν τὸν ἔρωτα.
371. PGM V, 383-384 : ἔνθες εἰς τὸ ζῷδιον ἐνπνευματώσεως εἵνεκεν. Il est
d’ailleurs à signaler qu’ ἐνπνευματόω ainsi que ἐνπνευματίζω sont employés pour
désigner l’entrée du souffle divin dans l’homme. (PGM IV 966 ; III, 571).
372. Sur le concept de l’ « animation » et la critique de l’opinion selon laquelle
la divinité entre elle-même dans les statues, voir Haluszka 2008, 479-494.
373. PGM IV, 2445, cf. IV, 2449 et I, 127.
120 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
376. Sur le rôle de l’analogie dans le rituel, voir Versnel 2006, 317-327.
377. Il serait utile de rappeler, à ce propos, qu’en Grèce, lors de la mise à mort
d’un animal dans le cadre de la procédure du serment, le recours à l’analogie et
au contact, ainsi que l’aspect « théâtral » du rite étaient aussi importants que dans
notre recette. Voir, entre autres, Faraone 1993, 60-80, Giorgeri 2001, 426-427, Berti
2006, 204-205.
CONCLUSION
378. Voir Graf 2005, 71 ainsi que nos réticences chez Zografou 2008a, 108-201.
379. Voir Zografou 2008a, 201-202.
124 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
corpus, appréciés pour leur caractère sec et, par conséquent, donc
solaire qui s’oppose à la pourriture et à la décomposition.
(iii) Parfums et oiseaux, notamment le coq, ont en plus de fortes
connotations érotiques. Les premiers sont synonymes du charme
amoureux et les seconds participent aux échanges entre amants de
façon aussi symbolique que réelle. Ce caractère érotique convient à
nos recettes non seulement parce qu’un grand nombre d’entre elles
sont des charmes d’amour, mais aussi parce que la relation avec le
divin paraît calquée sur la relation amoureuse, fondée tantôt sur
l’idéalisation et la fusion tantôt sur la contrainte et la dépendance.
(iv) Tant les fumigations que l’offrande de coqs sont liées
aux cultes d’Asclépios. Vu l’importance des rêves et des rituels
d’incubation dans nos recettes, cette association doit avoir
influer sur les choix sacrificiels de nos papyrus au même point
que l’adaptabilité évidente de l’offrande de parfums et d’oiseaux
domestiques aux besoins des rituels privés prescrits par nos textes.
Il est très intéressant de remarquer que ces critères regardent
autant les parfums que les oiseaux. Or dans le mythe du phénix,
oiseau du Soleil et oiseau des aromates, que les papyrus magiques
n’ignorent pas380, la race ailée et les parfums sont entrelacés
d’une manière à rappeler les pratiques sacrificielles que nous
venons d’étudier. Le bûcher aromatique, symbole de la mort et de
la renaissance du phénix ne peut qu’évoquer la mise au feu des
oiseaux sur des bois aromatiques, enveloppés des volutes des
parfums fumigés et de l’odeur des fleurs déposées à proximité381.
385
χρυσοφαῆ, λαῖλ[α]ψ καὶ Πυθολέτα μεσεγκριφι, ctifiée, qui règnes puissamment sur
385. PGM VI, 30-38. C’est nous qui employons des caractères gras.
386. Homère, Iliade, I, 37-41, cf. Hitch 2009, 112-115, Pulleyn 1997, 16-18., Chapot
et Laurot 2001, 31-32 (G1).
128 Papyrus Magiques Grecs. Le mot et le rite. Autour des rites sacrificiels
νεοσσὸν μόνος, ἄλλος δὲ μηδεὶς συν[έστω. ταῦ]τ᾽ οὖν ποιήσας ἁγνῶς καὶ καθα-
ρῶς, ἁπάντων ἐπιτεύξῃ. λό[γος πρῶτ]ος λεγόμενος σὺν τῇ θυσίᾳ·
«Ἐπικαλοῦμαί σε, [τ]ὸν ἐν τῇ καλῇ κοίτῃ, τ[ὸν] ἐν τῷ ποθεινῷ οἴκῳ· δια- 40
κόνησόν μοι καὶ ἀ[π]άγγειλον ἀεί, ὅτι ἄν σοι εἴπω, καὶ ὅπο[υ ἂν] ἀποστέλλω,
παρομοιούμενος θεῷ (ἢ [θ]εᾷ), οἵῳ ἂν σέβωνται οἱ ἄνδρες καὶ αἱ γυναῖ[κ]ες,
λέγων πάντα τὰ ὑπογραφόμενα ἢ λεγόμενα καὶ παρατιθέμενά σοι ταχύ.
[ἔ]φθασε τὸ πῦρ ἐπὶ τὰ εἴδωλα τὰ μέγιστα, καὶ κατέπιεν ὁ οὐρανὸς τὸν 44
κύκλον μὴ [γ]ινώσκων τοῦ ἁγίου κανθάρου λε[γο]μένου Φωρει. κάνθαρος, ὁ πτερο-
φυὴς μεσουρανῶν τύρραννος, ἀπεκεφαλίσθη, ἐμελίσθη, τὸ μέγιστον καὶ ἔνδοξον
α[ὐ]τοῦ κα[τ]εχρει<ώ>σατο, καὶ δεσπότην τοῦ οὐρανοῦ συνκατακλείσαντες ἤλλα-
ξαν· ὣς σὺ διακονήσεις μοι, πρὸς οὓς θέλω ἄνδρας καὶ γυναῖκας.
ἧκέ μοι, ὁ δεσπότη[ς] τοῦ οὐρανοῦ, ἐπιλάμπων τῇ οἰκουμένῃ, διακόνησόν 49
μοι εἴτε πρὸς ἄνδρας καὶ γυναῖκας, μικρούς τε καὶ μεγάλους, καὶ ἐπαναγκάσῃς
ἀεὶ αὐτοὺς ποιεῖν πάντα τὰ [γ]εγραμμένα ὑπ᾽ ἐμοῦ.
ἧκέ μοι, ὁ δεσπότης τῶν μορφῶν, καὶ διέγειρόν μοι ἄνδ[ρ]ας καὶ γυναῖκας,
ἀνάγκασον αὐτοὺς ποιῆσαι τῇ σ<ῇ> ἀεὶ ἰσχυρᾷ καὶ κρατ<αι>ᾷ δυνά[μει] πάντα
τὰ ὑπ᾽ ἐμοῦ γραφόμενά τε καὶ λεγόμενα εισαφσαντα φουρει αρναι· συ̣συν φρεω
ριωβαιοσοι σὺ εἶ ατεφθο αωρε̣ λ Ἀδωναί, καὶ ποίησον αὐτοὺς ἐνφόβους, ἐντρόμους, 54
ἐπτοημένους, τὰς φρένας ἐνοχλ[ήσ]ας διὰ τὸν φόβον σου, καὶ ποίει τῷ δεῖνα
ἅπαντα τὰ προγεγραμμένα. ἐὰν δέ μου παρακούσῃς, κα[τα]καήσεται ὁ κύκλος,
κ[α]ὶ σκότος ἔσται καθ᾽ ὅλην τὴν οἰκουμένην, καὶ ὁ κάνθαρος κ[ατα]βήσεται,
ἕως ποιήσε[ι]ς μ[ο]ι π[ά]ν[τ]α, ὅσα γράφω ἢ λέγω, ἀπαραβάτως· ἤδη ἤδη,
ταχὺ [τ]α[χ]ύ.»
[λόγος] δεύτερος, λεγόμενο[ς] ἐπὶ [τ]ῆς θυσίας·
«ἐξορκίζω σε κατὰ τοῦ κατέχοντος τὸν κ[ό]σμ[ο]ν καὶ ποιήσαντ[ο]ς τὰ τέσ- 59
σαρα θεμέλια καὶ μίξαντος τοὺς δ ἀνέμους.
σὺ εἶ [ὁ ἀσ]τράπτων,
σὺ εἶ ὁ βρον[τ]ῶν,
σ[ὺ] εἶ ὁ σείων,
σ[ὺ] εἶ ὁ πάντα στρέψας καὶ ἐπανορθώσας [π]άλιν.
ποίησον στρέφεσθ[αι πάντ]ας ἀνθρώπους τε καὶ πάσας γυναῖκας ἐπὶ [ἔ]ρωτά
μου, τοῦ δεῖνα (ἢ τῆς δεῖνα), ἀφ᾽ ἧς ἂν παραι[τ]ῶ ὥρας ἐν τούτῳ τῷ παραφίμῳ,
κατ᾽ ἐπιτα[γ]ὴν τοῦ ὑψίστου θεοῦ Ἰάω Ἀδωνεαὶ αβλα[ν]αθαναλβα· σὺ εἶ ὁ περιέχων
τὰς Χάριτας ἐν τῇ κορυφῇ λαμψρη, σὺ εἶ ὁ ἔχων ἐν τῇ [δε]ξιᾷ τὴν Ἀνάγκην 64
βελτεπιαχ, σὺ εἶ ὁ διαλύων καὶ δεσμεύων σεμεσιελαμπεκριφ· ἐπάκουσόν μου ἀπὸ τῆς
σήμερον ἡμέρας καὶ εἰς τὸν ἅπαντα χρόνον.»
λόγος γ’ ἐπὶ τῆς αὐτῆς θυσίας·
«ἐπικαλοῦμαι ὑμᾶς, θεοὶ οὐράνιοι καὶ ἐπίγειοι καὶ ἀέρ<ι>οι καὶ ἐπιχθόνιοι,
Appendices 133
Ἀγωγὴ ἐπὶ [ζ]μύρνης. λέγε τὸν λόγον [κ]αὶ [βάλε ἐπὶ τὴν] πλάκαν τοῦ βα-
λανίου, ἔστιν δὲ ὁ λόγος οὗτος· ‘Ζμύρνα, Ζμύρνα, ἡ παρὰ θεοῖς διακονοῦσα, ἡ πο̣τα- 335
μοὺς κ[αὶ] ὄρη ἀναταράξασα, ἡ καταφλέξασα τὸ ἕλος τοῦ Ἀχαλδα, ἡ κατακαύ-
σασα τὸν ἄθεον Τυφῶν<α>, ἡ σύμμαχος τοῦ Ὥρου, ἡ προστάτις τοῦ Ἀνούβεως,
ἡ καθοδηγὸς τῆς Ἴσιδος· ὁπόταν σε βάλω, Ζμύρνα, ἐπὶ τὸν στρόβιλον τῆς πλα- 340
κὸς τοῦ βαλανίου τούτου, ὡς σὺ κάῃ, οὕτως καὶ σὺ καύσεις τὴν δ(εῖνα), ὅτι σε
ἐξορκίζω κατὰ τῆς κραταιᾶς καὶ ἀπαραιτήτου Ἀνάγκης Μασκελλι Μασκελλω, Φνου-
κενταβαώθ, ὀρεοβαζάγρας, ῥηξίχθων, ἱππόχθων, πυρίχθων, πυριπαγανυξ, λεπεταν λεπεταν 345
μαντουνοβοη καὶ κατὰ τῆς τούτου Ἀνάγκης λακι λακιω λακιω[υδ] λακιωυδα· ἄξον, καῦ-
σον τὴν δεῖνα (κοινά, ὅσα θέλις), ὅτι σε ἐξορκίζω κατὰ τῶν κραταιῶν καὶ με-
γάλων ὀνομάτων· θειλωχνουιθι πεσκουθι τετοχνουφι σπευσουτι Ἰάω, Σαβαώθ, Ἀδωναί, 350
παγουρη, ζαγουρη, Ἀβρασάξ, Ἀβραθιάω, Τερηφαήλ, μουισρω, Λειλαμ, Σεμεσιλαμ, θοοου
ϊιε ηω Ὀσιρ Ἀθομ χαμνευς φεφαων φεφεωφαϊ φεφεωφθα. ἔγειρε σεαυτήν, Ζμύρνα,
καὶ ὕπαγε εἰς πάν<τα> τόπον καὶ ἐκζήτησον τὴν δεῖνα καὶ ἄνοιγον αὐτῆς τὴν 355
δεξιὰν πλευρὰν καὶ εἴσελθε ὡς βροντή, ὡς ἀστραπή, ὡς φλὼξ καομένη, καὶ
ποίησοναὐτὴν λεπτήν, χ[λωρ]άν, ἀσθενήν, ἄτοναν, ἀδύναμον ἐκ π[αντ]ὸς [τοῦ
σ]ώματος αὐτῆς ἐ[νεργήματος,] ἕως ἐκπηδήσασα ἔλθῃ πρὸς ἐ̣μ̣[έ, τὸν δεῖνα τῆς]
δεῖνα (κοινά, ὅσα θέλις), ἤδη ἤδη, ταχὺ ταχύ. 360
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Bibliographie 141
I. Index général