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Dialogues d'histoire ancienne

Remarques sur l'héroïsation thrace


Madame Maria Alexandrescu-Vianu

Citer ce document / Cite this document :

Alexandrescu-Vianu Maria. Remarques sur l'héroïsation thrace. In: Dialogues d'histoire ancienne, vol. 6, 1980. pp. 101-111;

doi : https://doi.org/10.3406/dha.1980.1402

https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1980_num_6_1_1402

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REMARQUES SUR L'HÊROfSATION THRACE

Dans la figuration des stèles funéraires de la Mésie Inférieure et de la


Thrace, l'image du cavalier est, avec la scène du banquet, celle qui revient le
plus fréquemment. Cette image, qui nous est devenue familière, à force de la
voir dans tous nos musées, sur les monuments funéraires ou votifs, conserve
depuis longtemps son nom conventionnel : « le cavalier thrace ». Son
incessante présence dans un contexte funéraire a fait que «le cavalier thrace», dieu
mystérieux dont on cherche toujours la signification exacte, a été regardé
comme une divinité tutélaire des tombes.
Cependant, un examen attentif et minutieux des documents dont nous
disposons nous a paru conduire à des observations nouvelles, capables de
modifier sensiblement les termes du problème.
Lorsqu'il s'agit du « cavalier thrace », il faut d'abord distinguer entre
représentations votives et funéraires. Une fois opérée la séparation de ces
deux catégories, voici constitué un groupe de monuments, soit quarante-deux
stèles funéraires, sur lesquels se retrouve l'image du cavalier. La carte de leur
diffusion (pi. I) peut guider utilement et rapidement notre recherche. De
telles représentations sont localisées en grand nombre dans les villes pon-
tiques : Apollonia, Messembria, Odessos, Dionysopolis, Tomis et Histria.
Détail notable, c'est à Odessos que sont concentrées les plus nombreuses
images du cavalier. Un autre groupe de monuments est celui qui existe en
Thrace, autour de Philippopolis. Les stèles d'Ulmetum, de Capidava et de
Tropaeum Trajani font partie du troisième groupe, auquel se rattachent
également certains monuments semés le long du Danube, lesquels, toutefois,
présentant des formes corrompues du schéma du «cavalier thrace», ne seront
pas pris en considération dans cette étude.
Pour l'analyse que nous avons entreprise, les matériaux les plus précieux
— jugeant d'après leur abondance — sont ceux offerts par les villes de la côte :
ces pages devront s'y référer constamment.
Le schéma iconographique qui nous intéresse prend l'aspect d'un
cavalier imberbe, vêtu d'un chiton, avec une chlamyde qui flotte au vent ou
retombe sur son dos, tenant des deux mains les rênes de sa monture, ou portant
la phiale dans sa main droite, ou encore levant la lance pour en frapper le
gibier. Au pas ou au galop, le cheval se dirige vers la droite du tableau, où,
derrière un autel, on voit un serpent enroulé dans un arbre. Nous venons de
décrire l'image type. Divers autres éléments s'y ajoutent quelquefois, qui
parviennent à diversifier un peu ce schéma. Par exemple, un serviteur est
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représenté derrière le cheval, ailleurs des personnages masculins et féminins


se tiennent, debout ou assis, devant l'autel et, parfois, le tableau est complété
par un hermès.
L'analyse des schémas nous a imposé une classification identique à celle
qu'avaient établi E. Pfuhl et H. Môbius pour le matériel découvert dans les
villes du littoral de l'Asie Mineure et dans les îles (1)*, ce qui garantit la
justesse de l'application des catégories grecques aux monuments de la côte
thrace. Cette classification iconographique est la suivante :
I. Cavalier immobile ou au pas
a) sans attributs sacrés
— avec le chien ou le sanglier
— avec des serviteurs ou des membres de la famille
b) avec des attributs sacrés
— sans phiale
— avec la phiale
— différents autres motifs
II. Cavalier au galop
a) sans attributs sacrés
— ne chassant pas
— à la chasse
b) avec des attributs sacrés.
Le caractère funéraire de toutes ces représentations est attesté par les
inscriptions, tandis que l'origine grecque et micrasiatique de l'iconographie
nous paraît incontestable, puisque les schémas observés dans cette zone
apparaissent aussi en Thrace, leur transfert étant l'effet des échanges, anciens et
permanents, entre les deux régions.
Au-delà de ces premières considérations, les inscriptions de nombreuses
stèles funéraires de la côte occidentale du Pont Euxin fournissent encore une
indication importante. Le nom du défunt en l'honneur duquel on a érigé le
monument est accompagné du terme лршс ou des mots veôe лршд , sinon
KOÛPOQ ЛРШ£ (2).
Il y a donc Fhéroïsation du défunt qui trouve son expression
iconographique dans l'image du cavalier. La carte d'implantation de la notion de héros
dans le monde thrace (pi. II) correspond presque exactement à la diffusion
des représentations du héros sur les monuments funéraires, avec une plus
forte concentration dans la zone d'Odessos. L'expression héros dans les
inscriptions funéraires n'est pas uniquement associée à l'image du cavalier :
elle peut aussi accompagner la scène du banquet, comme sur une stèle de
Messembria (IGB, l2, 343 quater) ou sur une d'Odessos (IGB, I2, 255).
Ainsi, autant la présence du cavalier que celle du banquet funéraire
entendent illustrer l'idée d'héroïsation du défunt. Cette idée, rendue par la
notion héros, est déjà associée à l'iconographie du cavalier dans le monde
grec d'Asie Mineure. On peut en citer de nombreux exemples, fournis par
l'ouvrage monumental de E. Pfuhl et H. Môbius : à Kula en Lydie (1282), à
Milet (1310, 1377), à Tira en Lydie (1320), à Pergame (1351, 1363, 1378,
1448), à Smyrně (1348, 1360), à Thyatire (1368, 1369), à Cyzique (1390,
1466), à Zélée sur la route de Smyrně (1305), à Ephèse (1315), à Alexandrie
en Troade (1382). On est en présence d'une unité conceptuelle, manifestée
par le même terme et la même iconographie chez les Grecs de l'Egée et ceux
du Pont Gauche.
En Asie Mineure, ces reliefs, ayant désormais fixé leur iconographie,
commencent à se répandre aux IHe-IIe siècles. La stèle de Milet citée ci-dessus
*Voir notes p.108.
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(Pfuhl-Móbius, 1377), consacrée au héros noaiôfje noauôéou date du IIIe


siècle av.n.è. et elle contient déjà tous les éléments du schéma iconographique
que nous avons décrit : le cavalier qui s'avance vers l'autel contre lequel se
tient un bélier, un hermès de l'autre côté de l'autel, une femme avec une
phiale à la main, comme pour faire des libations, l'arbre avec le serpent. Une
stèle du IIe siècle av.n.è., découverte dans la région entre Pergame et Smyrně
(Pfuhl-Môbius, 1361), présente également un schéma développé : le cavalier
au pas, le serviteur derrière lui, l'autel, l'arbre avec le serpent. D'autres
monuments contemporains ou postérieurs, du Ier siècle, époque où ils prolifèrent,
se rattachent à la même série.
Ernest Will (3) a tenté de faire remonter le transfert de cette
représentation iconographique dans les régions thraces au IIIe siècle av.n.è., mais les
témoignages qu'il invoque ne sauraient résister à la critique. Sauf la statuette
du vestibule d'Aiéton, citoyen d'Amphipolis résidant à Alexandrie, que décrit
une épigramme de Callimaque et qui présenterait, selon les observations
mêmes de E. Will, les traits encore instables d'un Héros Propylaios, rien
n'indique une pénétration de ce schéma en Thrace antérieure au Ier siècle av.n.è.
La stèle d'Abdère, représentant un cavalier à la chasse, datée par E. Will du
IIIe siècle. Cette date est pourtant discutable en raison de certains traits
stylistiques (4). Les plus anciennes stèles à cavalier datent du Ier siècle avant
n. ère et du Ier siècle de notre ère (Odessos, IGB, 12, 159, 160 ;Messembria,
IGB, №, 343). Or, c'est justement l'époque où l'iconographie du cavalier
connaît une grande diffusion dans le monde grec de l'Asie Mineure, de la
Bythinie et de la Thrace égéenne. Le nombre de ces monuments augmente
considérablement au IIe siècle dans les colonies du Pont Gauche, avant de
pénétrer à l'intérieur du territoire, dans les régions habitées par les Thraces
(Gètes y compris).
Il n'est peut-être pas inutile de nous attarder sur ces considérations
préliminaires. Les stèles funéraires avec l'image du cavalier illustrent l'idée
d'héroïsation du défunt, quoique l'inscription n'en fasse pas toujours
mention. Il s'ensuit que de la foule de représentations du « cavalier thrace » il
faut séparer celles dont la signification funéraire est certaine et bien connue.
D'ailleurs, cette distinction a déjà été faite, mais rapidement et sans
arguments à l'appui. D.M. Pippidi a bien saisi la difficulté d'identifier le cavalier
« avec l'une des figures du panthéon grec (Apollon, Asclépios, Dionysos),
sans parler des cas où, de toute évidence, le cavalier n'est que l'image du
défunt promu à la condition divine » (5). Ailleurs, il s'est contenté de noter
presque dans les mêmes termes : « Plutôt que le dieu-cavalier (dont la
popularité ne cesse au demeurant de s'affirmer), le jeune chasseur à cheval qui,
chlamyde au vent, veille au chevet de tant de morts des villes et de la
campagne, représente l'image transfigurée du défunt élevé à la condition
divine» (6).
Cependant, on éprouve plus de difficulté à expliquer de manière
satisfaisante l'identité totale, iconographique et terminologique, entre les
représentations funéraires et votives sur tout le territoire habité par les tribus
thraco-gètes. Jusqu'à présent, on n'a pas tenu compte de ce fait. Pour
l'interprétation de l'iconographie votive, il nous semble essentiel de partir de
l'iconographie funéraire dont le code a déjà été déchiffré. Or, le
raisonnement a toujours suivi le sens inverse et c'est ce qui a poussé à la
conclusion, souvent répétée, selon laquelle l'image représentée sur les monuments
funéraires serait celle d'une divinité thrace. Divinité, d'ailleurs, malaisée
à définir, du fait de son association, apparente du moins, avec plusieurs
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dieux du panthéon gréco-romain, mais à laquelle serait confié le salut du


mort.
Or, il faut nous en tenir, en fait, à l'essence de la représentation et de la
notion d'héroïsation, tout en éliminant tout ce qui lui serait étranger. Dans
notre tentative d'interprétation, nous serons obligée de prendre pour point de
départ le phénomène religieux grec, ce qui nous expose d'emblée à
l'accusation de jeter un regard hellénisant sur la religion des Thraces. Cette
accusation serait justifiée, si nous avions à notre disposition d'autres sources et s'il
n'était justement pas question d'un aspect de l'hellénisation subie par la
population de l'intérieur. Comme il s'agit de Yinterpretatio Graeca de la religion
thrace, venant de la part des Thraces eux-mêmes, qui l'ont largement adoptée,
ce qui prouve combien cette adaptation convenait à leurs besoins spirituels,
nous croyons ne pas manquer aux rigueurs de la méthode.
Notons d'abord que les tablettes votives sont dédiées à un Héros. Pour
comprendre exactement le caractère du Héros et Fhéroïsation, il nous faudra,
en l'absence d'autres renseignements, consulter les sources grecques.
Le Héros a été d'abord mythique ou social. La doctrine pythagoricienne
a contribué à créer une sorte de synthèse entre l'idée traditionnelle du Héros
et les nouvelles dimensions, mystiques et morales, qu'on tendait à lui
attribuer. Chez les Pythagoriciens on surprend, pour la première fois, ce qu'il
conviendrait de nommer l'idée « physique » du Héros: «Le Héros, âme
désincarnée, flottant dans l'espace à mi-chemin entre le ciel où trônent les dieux
et la terre des hommes» (7).
P. Boyancé, dont les contributions à l'étude de Fhéroïsation demeurent
extrêmement précieuses, remarquait, à propos d'une inscription du Pirée du
IIe siècle : « Les orgéons, en espèce les Dionysiates, ont veillé à ce que
Dionysos fût héroïsé et consacré dans le temple auprès "du dieu » (8). Et il ajoutait
cette pénétrante observation sur laquelle nous reviendrons bientôt : «Le
moment de l'héroïsation est celui où une image du héros est placée à côté de
celle des dieux. Il ne s'agit plus seulement de cet hommage qui consiste à
dédier à une divinité la statue d'un mortel comme une offrande : il s'agit de
mettre cette statue près de la leur, d'élever le nouveau venu à la dignité de
leur paré dre» (9).
Parmi les exemples célèbres d'héroïsation, il y a celui de Platon. Une
source tardive (10) montre comment, après la mort du philosophe, une
femme aurait questionné l'oracle de Delphes pour savoir s'il lui était permis
de placer la stèle de Platon auprès des statues des dieux. L'oracle avait
répondu par cet éloge du défunt : « Tu auras raison d'honorer Platon, maître d'une
doctrine divine, et tu auras droit à une grande reconnaissance de la part des
bienheureux parmi lesquels il faut compter ce grand homme» (10).
Ainsi, pour des personnages mythiques d'abord et ensuite pour des
personnages historiques, l'héroïsation suppose la consécration de leur image
dans un sanctuaire, au côté de la divinité.
Pour en revenir au problème que nous examinons et qu'il ne sera
possible de résoudre qu'en tenant compte du rapport entre images funéraires
et images votives, il nous paraît avéré que nous sommes en présence d'une
héroïsation, dont le produit n'est autre que le fameux «cavalier thrace». Par
conséquent, il n'y a pas qu'un seul héros, divinité répandue sur tout le
territoire habité par les Thraces, mais bien une multitude de héros, personnages
mythiques ou historiques, héroïsés, devenus les divinités protectrices d'une
communauté plus ou moins grande (11). A ce propos, nous rappelons que
L.R. Farnell a établi une classification allant jusqu'à distinguer sept types
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différents de héros (12). Les catégories qui retiendront notre attention seront
les deux dernières : (6) héros géographiques, généalogiques ou éponymes et
(7) personnages historiques.
Dans cette perspective il est aisé de classer le "нршс архауетпс (la
forme dorienne pour ápxnv^xnc ) du sanctuaire de Selymbria (13) comme
l'ancêtre d'une famille ou le fondateur de la ville, donc un héros généalogique
ou éponyme. Cette fois, l'épithète étant grecque, l'indication est claire. Si
l'hommage s'adresse à un héros désigné par une appellation d'origine thrace,
dont la signification semble être, souvent, celle d'un toponyme, on est ramené
aux héros géographiques enregistrés dans la classification de L.R. Farnell.
L'épithète emixowQ , qui n'est pas rare non plus, indique le Héros protecteur
de l'endroit. Certains historiens des religions, tout en acceptant
l'interprétation héroïque du « cavalier thrace », ne l'en considèrent pas moins comme
une divinité informe, changeante, sans autre structure propre que celle qu'il a
gagnée au rapprochement avec les divinités grecques. C'est l'avis de J. Bayet:
« Ainsi se trouvait-il, chez les Thraces, certaines tendances, et des plus
anciennes, propres à aider Г immortalisation de certains hommes sous forme
divine. Mais restait l'indétermination même de leurs types divins, que seule
pouvait corriger une influence grecque» (14). Point de vue partagé, en partie,
par I. Venedikov, qui pense que la religion thrace était fondée sur des assises
héroïques (15) (Rhésos, Orphée). Cependant, le savant bulgare persiste à voir
dans le «cavalier thrace» une divinité à fonctions multiples, notamment
funéraire (16). Quant à nous, il nous semble que s'arrêter là serait une
inconséquence du raisonnement, entraînant cette insatisfaction ressentie tour à tour
par tous ceux qui ont essayé de définir le caractère du dieu-cavalier. A cette
idée qu'il s'agit d'une scène d'héroïsation de type grec et dont la pénétration
a été assurée par les Grecs, à travers leurs monuments funéraires, à cette
hypothèse selon laquelle le Héros aurait le caractère plus ou moins local, ou
bien d'une divinité protéiforme répandue partout en Thrace, certains auront
de la peine à se rallier. Cette valeur protéiforme attribuée à une divinité dont
les fonctions supposées ne sont éclairées que par son contact avec l'une ou
l'autre des figures du panthéon gréco-romain dépend de l'explication qu'on a
donnée jusqu'à présent des sanctuaires découverts entre le Danube et les
Rhodopes. En effet, rien de plus déroutant que ces sanctuaires, présents en
grand nombre sur tout le territoire de la Bulgarie, où les reliefs au cavalier,
selon le même schéma visible sur les monuments funéraires, portent des
inscriptions dédicatoires adressées à des divinités gréco-romaines. Celles-ci y
sont même représentées, suivant les règles de l'iconographie classique, en
compagnie du cavalier.
A plus ample analyse, l'on constate qu'il existe des sanctuaires dédiés
exclusivement aux héros. L'un des plus importants est celui de Galata, au sud
d'Odessos, où furent célébrés "Hpuc Kapa&aauÓQ (IGB, l2, 284, 285, 286,
287,288,289,290), "нршс nepKoveCc(i&K/., 283 bis), "Hpos Тааауейс
(ibid., 291), "Hpcoç npoTtuÀaioQ (ibid, 291 bis). De la même provenance, la
stèle d'Agathénon, fils de Kléanor, qui a été élevé, après sa mort, à la dignité
de véos r\pcùç (ibid., 292). Si l'endroit de sa découverte était effectivement le
sanctuaire, il serait évident que le phénomène est le même qu'on a déjà vu
dans les sources grecques, le monument funéraire d'un mort héroïsé étant
placé dans un sanctuaire. Aucune divinité grecque ou romaine n'est connue
dans ce sanctuaire, dont les origines remontent au Ier siècle av.n.è. et qui
continue d'exister à l'époque romaine.
Trois autres sanctuaires, proches de celui de Galata, se trouvent à
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Momino et dans les environs, au sud de Marcianopolis. Y étaient vénérés'Hpcog


ênixocùc (IGB, II, 854),"HpoQ OuTaoni<jiç(ibid., 855) et "Нрсос Ветеотише
(ibid., II, 856). Là non plus, les divinités olympiennes n'ont aucun rôle. A
l'intérieur des terres, à Ljublen, dans la plaine danubienne, il y a un autre
sanctuaire important, où ont été découvertes 17 tablettes au cavalier, dont
certaines portent des dédicaces grecques pour un Héros dit nupuunP°uA.a
(IGB, II, 753, 754) ou, simplement, "Hpcoe (JGB, II, 755, 756). Le même
Héros est encore attesté en Thrace à Goljama Brestnica (IGB, II, 588), à
Dicin (ïbid, 704), à Philippopolis, à Girmen et à Kovacevo, ce qui témoigne
de l'accueil d'un culte semblable assez loin de la côte et sur un territoire
étendu.
Dans le sanctuaire de Malka Vereja on honorait Oeôç svePônvcûg (IGB,
III, 2, 1654, 1655), tandis qu'à Běli Plast ' Engoue ôeôs оитцр(ЮВ, III, 2,
1724) se trouve à côté de ôeos sovnxouAnvoe(/G2?, Щ, 1726) ou de bebç
-Hpwe (au datif оеф "нрсотц/GS, III, 2, 1727).
Au point de vue iconographique, il n'y a pas de différence possible
entre ces Héros, représentés dans le même sanctuaire, d'après des schémas
analogues qui ne s'écartent guère de la typologie que nous avons déterminée.
Seulement deux reliefs, provenant de Malka Vereja (IGB, III, 2, 1659 et
1660), groupent l'image du cavalier, dans le champ supérieur, avec, au-
dessous, une scène de combat entre nommes et lions, chiens et cerfs, donc
une scène de chasse, comme on en voit fréquemment sur les sarcophages.
Cette scène, comme dans la symbolique funéraire, figure ici, en surcharge
par rapport au thème principal, celui du cavalier, pour développer l'idée
d'héroïsation, toujours liée à la chasse mythique.
Dans une seconde catégorie de sanctuaires, le dieu-cavalier voisine avec
des divinités du panthéon classique. J. Venedikov suppose que c'étaient
originairement des sanctuaires du « cavalier Thrace », jusqu'à ce que les
divinités gréco-romaines se fussent superposées au dieu local qui, par ce
syncrétisme, serait parvenu à une détermination plus nette de son caractère (17).
Les sanctuaires de la Thrace méridionale (pi. III), plus précisément de
la région située entre les Balkans et les Rhodopes, où des divinités
olympiennes sont associées à un Héros-cavalier, sent ceux de Lozen, Kiril Meto-
dievo, Krân, Brezovo et Batkun. Tous, à l'exception de celui de Batkun,
étaient dédiés à Apollon. A Batkun, la divinité dominante est Asklépios,
tandis qu'Hygeia et Télesphoros apparaissent en second lieu.
Rappelons aussi les principaux sanctuaires du nord de la Thrace, celui
de Glava Panega, consacré à Asklépios, et celui de Liljace, dédié à Silvanus.
Ce qui est notable, c'est qu'un certain nombre de tablettes votives
représentant le cavalier portent une dédicace à une divinité du panthéon gréco-
romain. Les explications que l'on a avancées envisagent un syncrétisme entre
la divinité thrace et la divinité olympienne ou leur association afin de rendre
plus apparent cet aspect du dieu local qu'on offrait à la dévotion des fidèles.
Il nous semble que, à l'exception de quelques pièces, très peu
nombreuses, qui représentent un dieu à cheval, placé près de l'arbre au serpent
et doté d'attributs qui achèvent de préciser l'identité de la divinité à laquelle
s'adresse le culte — ainsi, la lyre, sur le relief de Bojanovo, le bâton entouré
d'un serpent, sur trois parmi les trois cents reliefs de Batkun, ou l'arbre et
la double hache de Pan à Liljace —, on ne peut songer à un syncrétisme. Le
syncrétisme, peu fréquent, est réduit aux cas où le cavalier reçoit des attributs
étrangers à l'iconographie traditionnelle du Héros. Aussi doit-on chercher
une autre explication au fait singulier que des reliefs dédiés à une divinité
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étrangère puissent cependant montrer la silhouette familière du cavalier.


L'explication déjà mentionnée, qui suppose l'existence d'une divinité protéi-
forme, répandue dans toute la Thrace et prenant ça et là des fonctions
différentes, est de celles que l'on propose lorsqu'on ne peut en trouver de
meilleure.
Il vaut mieux penser à d'autres situations analogues, par exemple celle
que L. Robert a su expliquer en étudiant la divinité anatolienne Kakasbos.
On avait cru à un seul dieu-cavalier, non caractérisé et protéiforme : croyance
commune à un vaste territoire, mais la même divinité aurait acquis des traits
différents en diverses régions de l'Anatolie. Une analyse iconographique et
onomastique très poussée a abouti à l'identification de plusieurs divinités (18).
Suivant cette méthode, il faut commencer par éliminer de notre débat
des divinités, comme Derzélas, qui, malgré des similitudes apparentes, ont une
iconographie et des attributs qui ne permettent pas de confusion avec le
Héros. Pour le reste, nous croyons trouver une indication dans une épigramme
d'une richesse exceptionnelle découverte à Belogradetc, à une certaine
distance d'Odessos, à l'intérieur des terres, publiée et interprétée par G.
Mihailov (19). Le texte en est le suivant (la première phrase seulement, en
traduction) : « Dinis, fils de Rheskouporis, ainsi qu'il en a fait le vœu aux
Nymphes, a consacré ici le monument du Héros ; Û a survécu à son fils, qui
est devenu un fameux Héros immortel » .
Ainsi Dinis a consacré une image du Héros, ainsi qu'il en avait fait le
vœu aux Nymphes. A qui pouvait-il dédier cette image, sinon aux Nymphes
qui avaient reçu son vœu ? Cette interprétation se trouve parfaitement
illustrée par une tablette votive découverte au Nymphaeum de Burdapa, dans la
vallée de la Maritza, à l'ouest de Philippopolis (IGB, III, 1, 1368), qui, au-
dessus de l'image du cavalier, porte une dédicace aux Nymphes. La présence
de ces divinités protectrices des enfants morts en bas âge n'est pas pour nous
surprendre, bien qu'une identification entre les Nymphes et le Cavalier thrace
soit difficile à envisager. Le mot de l'énigme semble fourni par l'épigramme
thrace, qui correspond à ce que l'on savait déjà à propos de l'héroïsation :
l'image du Héros a été dédiée aux Nymphes, comme dans d'autres cas elle
l'aura été à Apollon, à Asklépios ou à d'autres divinités. C'est le moment de
citer, une fois de plus, P. Boyancé, qui reconnaît l'essence de l'héroïsation
dans l'action de placer l'image du Héros à côté de celle des Dieux : « II ne s'agit
plus seulement de cet hommage qui consiste à dédier à une divinité la statue
d'un mortel comme une offrande ; il s'agit de mettre cette statue près de la
leur, d'élever le nouveau venu à la dignité de leur parèdre» (20).
En conclusion, si l'on veut admettre que les nombreux cavaliers qui
peuplaient l'univers mystique des Thraces sont l'expression iconographique
du culte des Héros, il devient normal de les voir présents dans les sanctuaires
voués aux divinités olympiennes, comme de lire des dédicaces à ces dernières,
qui participent à leur héroïsation, puisqu'elles en sont les garants. N'oublions
pas que dans ces mêmes sanctuaires le cavalier est également représenté avec
ses traits et ses attributs traditionnels. Nous avons construit cette explication
en tenant compte des lois intérieures du phénomène religieux, des sources
dont nous disposons et de la conviction que toute interprétation qui manque
d'analogies et de supports dans d'autres religions, comme c'était le cas de celle
qui était proposée pour les sanctuaires, ne peut être juste.

Maria ALEXANDRESCU VIANU


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NOTES

(1) E. PFUHL et H. MÔBIUS, Die Ostgriechischen Grabreliefs, II Mainz 1979, p. 310-


335.
(2) 'AyaO^vcop 'Auaxoupiou véoç t\p(ùq(IGB, I2, 161), Maneôuv MaxEôovos
véog fipwG ,(IGB, I2, 273)...xóvcovos npoç, (IGB, I2, 161 bis) 'Apxeui-
6a>pos NouvmvCou xoûpo£ f|pcùQ(/Gfi, I2), 168) 'Api. axoxA.fi s "EAAt>
vos ř\QUQ (IGB, Í2, 220), Zr\vioQ ' Aa[xAnniá6ou] ňpcac (/Gj?, I2, 269).
(3) E. WILL, Le relief culturel gréco -romain, Paris 1955, p. 59 sq.
(4) Iv. VENEDIKOV, T. GERASIMOV, Trakqskotolzkustvo, Sofia 1973, pi. 334.
(5) D.M. PIPPIDI, Dédicaces au cavalier thrace découvertes à Histria, Acta Antiqua
Academiae Scientiarum Hungaricae, 1962, p. 220.
(6) Id., La fin du paganisme en Scythie Mineure, dans Scythica Minora, Bucarest-
Amsterdam 1975, p. 288.
(7) P. BOYANCË, Le culte des Muses chez les philosophes grecs. Études d'histoire et
de psychologie religieuse, Paris 1937, p. 242-243, 246.
(8) CIA, IV, 2, n. 623 e, lignes 45 sq., apud P. BOYANCÉ, op. cit. p. 274 icppovxtocu
6è hcxI tous ópYE&vas ônœe афПРшюЭе u Aiovûcaoe xal ávaxe-
ôet êv тф tepu пара. tč>v Okov, ôtiou nal ô naxřip aûtoO l va
únápxet h&Wiotov imovivfíua. aùxoO eCq t6v unavxa xP^vov.
(9) P. BOYANCÊ, op. cit., p. 274.
(10) Anonymus, Vita Platonis, éd. Westermark, apud. P. BOYANCÉ, op. cit., p. 272,
n. 3: "Eoti ôè нас êx tuv uexà xôv £čov aóxoO xô ôeUov aû-
xoO HaxauaôeCv. Tuvf) yàp xlc annAôe XPnaouévn , e C, 6e t
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(11) E. WILL, op. cit., p. 77, est du même avis, ainsi que Iv. VENEDIKOV, The Tra-
cian Horseman, dans Thracian Legends, Sofia 1976, p. 14.
(1 2) L.R. FARNELL, Greek Hero Cults and Ideas of Immortality, Oxford 1921.
(1 3) L. ROBERT, Un relief votif de la côte thrace, dans Hellenica, VII, Paris 1949, p.
4754г.
(14) J. BAYET, Idéologie et plastique, Rome 1974, p. 358 (= Un nouvel Hercule
funéraire et l'héroïsation gréco-romaine en Thrace, MEFR, 46, 1929, p. 26).
(15) Iv. VENEDIKOV, op. cit., p. 30.
(16) Ibid., p. 20.
(17) Ibid., p. 22.
(18) L. ROBERT, Hellenica, III, Paris 1946, p. 38-74, et VII, p. 57-58.
(19) G. MIHAILOV, Êpigramme funéraire d'un Thrace, REG, LXIV, 1951 , p. 104. Cf.
IGB II, 796.
(20) Voir ci-dessus, note 9.

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