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BRUXELLES
Société a n o n y m e M. WEISSENBRUCH, Imprimeur d u Roi
49, rue d u Poinçon, 49
1926
Hubert PHILIPPART
Chargé <lc cours à l'Université de Hruxelles,
BRUXELLES
Société anonyme M. WEISSENBRUCH, Imprimeur du Roi
49, rue du Poinçon, 49
1926
Les Thèmes mythiques des " Bacchantes " 1
(Pl. I)
PAR
HUBERT PH1LIPPART
Chargé de cours a l'Université de Bruxelles.
(1) Extrait d'une Introduction aux « Bacchantes η CI'EORIIMDE (II). Voir Revue de
VUniversité, juillet 1925, p. 551 : A propos de V « Enigme des Bacchantes ».
à accumuler contre le séduisant perturbateur le plus de griefs pos-
sible; les paroles de Dionysos ne sont celles d'un homme qu'en appa-
rence et contiennent plus d'un mensonge.
Commençons toutefois par dessiner à grands traits la vie du dieu et
son culte, tels qu'ils apparaissent dans la tragédie. Nous tenterons
ensuite de retrouver les données dont disposait Euripide, en disant
quelques mots des explications récentes. 11 va sans dire que nous
nous en tenons à la lettre du texte et que nous écartons, par exemple,
toute interprétation symbolique de la figure centrale (1).
Quand elle apprit que Zeus avait séduit Sémélé, Héra voulut anéan-
tir le fruit de cette union. Elle poussa la jeune femme à demander à
son amant de lui apparaître dans tout l'éclat de sa puissance : Zeus
f u t forcé de céder à cette prière, et sa foudre tua l'imprudente. Cepen-
dant l'enfant qu'elle portait dans son sein fut épargné et, à l'insu de
la jalouse Héra, après avoir été baigné dans les eaux de Dircé, il
acheva de se former dans la cuisse divine de son père qui le nomma
Dithyrambe. A la fin de cette seconde gestation, le nouveau né fut
confié aux nymphes du mont Nysa qui lui servirent de nourrices...
Parvenu à l'adolescence, le dieu a été à lui-même son propre prophète :
désireux de s'assurer des honneurs au moins égaux à ceux des autres
Olympiens, il a pris la forme humaine pour répandre l'usage du vin
et ses mystères dans une grande partie de l'Asie avant de passer en
Grèce. Entraînant à sa suite une troupe de femmes du Tmolos, il a
parcouru la Lydie, la Phrygie, l'Arabie, la Perse et la Bactriane. Puis
il s'est transporté à Thèbes, où il venge la mémoire de sa mère en
forçant la famille de Cadmos et toute la population à reconnaître sa
divinité. Ce résultat atteint, il part pour d'autres contrées qu'il veut
initier à son culte.
En quoi consiste ce culte?
Tandis que le thiase docile danse et chante devant le palais royal, en
agitant les tambourins que les satyres ont obtenus de la phrygienne
Cybèle, les femmes de la ville, converties malgré elles en Ménades,
célèbrent les orgies sacrées dans la montagne : les cheveux flottants
garnis d'un bandeau et couronnés de lierre ou de smilax, une peau de
faon sur les épaules, un serpent en guise de ceinture, le thyrse
(1) M. BRILLANT. Les mystères d'Eleusis (Paris, 1920), p. 80. Héraclite ap. Clcm.
Alex., Protrept , p. 30 : ώ υ τ ό ς BÈ Ά ΐ δ η ς και Διόνυσος (édit. MIGNE, t. I, p. 26).
(2) Pausanias, 8, 37,5 ; cf. Hdt 7, 6.
(3) Pausanias, 10, 4, 3.
(4) M. CROISET, Lût. gr., 3E édit. (Paris, 1913), p. 54, 65. Le costume tragique lui-
même vient du culte dionysiaque : M. BIEBER, Jahrbuch des arch. Instituts, 1917,
p. 15-104.
(5) FARNELL. t. V, p. 140, 266, 268, 270, 338, 344, pl. n°» 24-26, 29-30. Fouilles
récentes au Dionyseion de Thasos : Bull. corr. hell., 1922, p. 537; 1923, p. 332; 1924,
p. 502.
(6) Pausanias, 9, 20, 4.
(7) Pausanias, 9, 30, 1.
(8) Musée Britannique, salle Elgin, n° 25 et D (Marblcs, VIII, pl. 1, VI, pl. 3).
(9) Pausanias, 1, 20, 3.
— 9—
Pindare a chanté maintes fois Sémélé et son fils (1), qu'il appelle le
« parèdre « de Déméter (2) : grâce au papyrus d'Oxyrhynchos
(n° 1604), nous connaissons maintenant un dithyrambe composé pour
les Thébains, où il est question d'une fête organisée par les Ouranides
en l'honneur de Bromios. Les instruments sonores de la Mère des
dieux s'y mêlent aux cris déchirants qui accompagnent les violentes
secousses des danses (3). Aristophane n'a pas manqué d'esquisser
l'agile silhouette des Bacchantes qui s'ébattent, la chevelure au vent,
en brandissant le thyrse (4>, et de railler les cérémonies tapageuses du
« phrygile Sabazios » (5). Hérodote est au courant du culte thrace de
Dionysos (H), mais il est tellement obsédé par ce qu'il a observé en
Egypte qu'il l'identifie avec Osiris (7).
Nous n'avons guère conservé que le titre du TTevGeuçde Thes-
pis(8), delà Λ υ κ ο υ ρ γ ε ί α de Polyphrasmon(O), des ' Υ δ ρ ο φ ό ρ ο ι de
Sophocle (10), des Β ά κ χ α ι ή Π ε ν θ ε ύ ς de son fils Iophon (11) et des
Β ά κ χ α ι de Xénoclès (12), mais les nombreuses tragédies qu'Eschyle
avait consacrées aux légendes de Bacchos (13) nous sont un peu mieux
connues. La tétralogie de Lycurgue comprenait les Ή δ ω ν ο ί , les
Βα σ σ ά ρ α ι , les Ν ε α ν ί σ κ ο ι et Λ υ κ ο ύ ρ γ ο ς . La première pièce met-
tait Dionysos et son thiase en présence de Lycurgue et des Edoniens;
(1) Dithyr., 4 ; Fragm. inc., 16, 35, etc., édit. PUECH, t. IV (1923), p. 153-154,
208, 2 1 4 .
(2) Isth., VII. 3.
(3) Dithyr., 2 , é d i t . PUECH, t . I V , p . 1 4 8 - 1 4 9 , c f . p . 1 4 2 , v . 1 1 , 15'), v. 19.
(4) Lysistr., 1308-1313, cf. 1283-1284.
(5) Oiseaux, 875: Lysistr., 388, 1-3; Guêpes, 9-10. Cf. Démosth., Cour., 259-260,
p. 313; Théophr., Caract., 16, 4; 27, 8.
(6) V , 7 ; V I I , 1 1 1 .
(7) II, 42, 144 ; cf. II, 47-52, 81, 123, 145, 156.
(8) NAUCK, p . 8 3 2 .
(9) Tétralogie qui n'obtint que le troisième rang en 467, Didascalie des Sept c. T.
( é d i t . MAZON, p . 1 0 9 ) .
(10) NAUCK 611, p. 277.— On relève une allusionà lamort de Lycurgue dans Antig.,
955-965; Dionysos était appelé Τ α υ ρ ο φ ά γ ο ς dans Tyro, NAUCK, 607, p. 277.
(11) NAUCK, p . 7 6 1 .
(12) Elles furent représentées en 415, NAUCK, p. 770.
(13) On prétendait qu'il atait vu Dionysos en songe dans sa jeunesse et qu'il avait com-
mencé à écrire des tragédies sur son ordre (Pausanias, 1, 21); les mauvaises langues
ajoutaient qu'il puisait l'inspiration dans l'ivresse (Plutarque, Mot·., 622 E, 715 E ;
Lucien, El. deDcm., 15).
— 10 —
(1) NAUCK 472, p. 505 (fragment de la piralos cité par Porphyre). Le fragment 912
(NAUCK, p. 655) est peut-être une invocation à Zagreus.
(2) Schol. Eur., Hipp., 67.
(3) NAUCK 2 0 3 , p . 4 2 1 .
(4) NAUCK 2 2 1 , p . 4 2 5 .
(5) Taureau Farnète, Musée de Naples, RUESCH, n° 260.
(6) HUNT, Trag. graec. fragm. pap. ^Oxford, 1912), fr. 41, col. III, v. 152.
(7) NAUCK 752 (prologue), p. 594. Cf. Sophocle, Antig., 1126-1152; Ar., Nuées,
603-606; Eur., Ion., 714-718, 1125-1126, Phén., 226-228,1. T., 1242-1243.
(8) HUNT 31-32 (stasimon).
(9) Euripide nous semble être le premier à mentionner la double naissance, mais ce
n'est là qu'une apparence trompeuse : même si l'épithête είραφίύτα de Y Hymne
homérique (I, v. 2, 17, 20. La note de l'édit. ALLEN-SIKES adopte le sens μηρορ-
ραφής ; cf. H. orph., 48, 2) ne signifie pas « cousu dans sa cuisse », le jeu de mots
μηρός, όμηρος, qui nous surprend dans la bouche de Tirésias (Bacch., 293, 295) ne
pouvait porter que sur un mythe très populaire. FARNKLL (t. V, p. 110) découvre dans
le second enfantement une forme d'adoption datant de l'époque du matriarcat. HARRI-
SON ( Themis, p. 33-35) y voit le rite de naissance par excellence.
12
et de fauves (1), parce qu'il vient des contrées barbares du nord, que
les rites agraires l'honorent par des sacrifices sanglants, des orgies
démoniaques (2) ou des mascarades bouffonnes d'hommes ivres, et
que l'histoire de son établissement en Grèce est tissée de persécutions
et de vengeances, — mais c'est aussi la joie des mortels (3), un génie
bienfaisant, protecteur de la végétation vernale (4) et des fruits de
l'automne (5), un bel adolescent paré de rameaux de chêne ou de lau-
rier, de lierre, de pampres et de smilax, aimant les sources, le lait et
le miel des νηφάλια (6), la musique, la danse, les mimes, les ban-
quets, toutes les voluptés d'une civilisation raffinée. Son père l'a fait
entrer dans le panthéon hellénique; par sa mère il se rattache à la
ττόλις grecque. Ses mystères sont un mélange du délire thraco-phry-
gien des adorateurs de Sabazios et de Cybèle et du mysticisme éleusi-
nien et crétois des fidèles d'Iacchos et de Zagreus. Aucun culte n'est à
la fois aussi exotique et aussi national, aussi insolemment démonstra-
tif et aussi intimement fervent. Mais il y a toute une partie de cette
religion que l'œuvre d'Euripide laisse dans l'ombre, parce qu'il eût
été sacrilège d'en parler aux non-initiés, c'est la signification profonde
des όργια, les formules sacrées, les « espérances eschatologiques »,
qui constituent proprement les τελεταί, en un mot le ιερός λόγος (7).
A défaut des témoignages des anciens, force nous est de consulter les
savants modernes, de recourir aux hypothèses de la méthode compa-
rative pour expliquer l'histoire de Penthée (8).
Ce drame réduit à ses grandes lignes populaires comprend deux
éléments, l'un historique, la résistance opposée par un souverain à
l'introduction d'un culte étranger qui menace de détruire l'harmonie
(1) Le scholiaste de Clément d'Alexandrie (92 P) est le seul à voir dans l'omophagie
une répétition figurée du déchirement de Dionysos par les Ménades : FARNELL, t. Y,
p. 171, 303, n. 83; cf. p. 257 (tète de bouc à traits humains sur un vase de Kamarina).
— Il faut se rappeler le mot de Platon (Phédon, 69c) : ν α ρ θ η κ ο φ ό ρ ο ι μέν πολλοί,
βάκχοι bé Te παΟροι.
(2) Pausanias, 2, 2, 6-7. D'après Oppien, les Bacchantes voulaient dévorer Penthée:
FARNELL, t . V , p . 3 0 1 , n . 7 6 d ( C y n ê g é t 4 , 3 0 4 ) .
(3) RHÉSOS, 972-973; Strabon, p. 471; Nonn., Dion., xxi, 159.
(4) FARNELL, t . V , p . 2 9 1 , n . 4 9 , 3 0 1 , n . 7 6 6 ; REINACII, Cultes, I I , p. 111, n. 2.
(5) FARNELL, t. V, p. 174, 286, n. 35m (Recogn., 10).
(6) Mor., 299 F , 717 A ; cf. Pausanias, 9, 8, 2.
(7) FARNELL, t. V, p. 164, 302, n. 81-82.
(8) Euripide, Bacch., 284 ; cf. FARNELL. t. Y, p. 121, PERDRIZET, Pangée, p. 74.
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Dionysos ne reste pas insensible aux douleurs qui accablent les siens,
il plaint les cheveux blancs de Kadmos, les larmes d'Agavé, il pleure
lui-même et verse à tous un breuvage de Léthé (XLVI, 268-270,
357-360). Cette divine pitié répondait mieux aux sentiments de celui
qui écrivit après sa conversion la Paraphrase île l'Évangile de Jean.
Le Χριστός Π ά σ χ ω ν (ΧΠ) (4) est une longue suite de monologues et
de scènes dialoguées (2,640 vers), qui durent trois journées et com-
mentent les principaux événements de la Passion et de la résurrection
du Christ, L'action est nulle, bien que les personnages se transportent
successivement tout en parlant dans différents lieux, et que le chœur
ne chante pas : les quatre récits de messagers et les lamentations de la
Vierge constituent les principaux éléments, marquent les étapes les
plus importantes de ce drame contemplatif, qui n'a probablement
jamais été représenté. L'auteur de ce centon est inconnu, mais on
semble d'accord pour en placer la rédaction au xn e siècle. Reprenant
l'idée de Dubner, qui attribuait l'épilogue à Tzetzès, Ch. Magnin a
supposé que Tzetzès, ou u n copiste d'une époque un peu antérieure
au xii® siècle, avait juxtaposé trois drames écrits entre le ive et le
vin® siècle. Le premier serait l'œuvre de Grégoire de Nazianze (ive s.),
dont plusieurs manuscrits portent le nom, le second de Grégoire
d'Antioche (vi· s.), et le troisième d'un certain Etienne du VIII® siècle.
Ces hypothèses expliqueraient les contradictions, les répétitions et les
disparates qui foisonnent dans cette étrange « marqueterie poétique ».
Brambs soutient au contraire que les vers du ΧΠ n'ont plus rien de
commun avec ceux de Grégoire de Nazianze et que l'analyse de la
métrique et de la langue leur assigne comme date le xn e siècle. Il pro-
pose de les attribuer au moine grec Théodore Prodrome.
Quoi qu'il en soit, ce poème dramatique est très précieux pour la
constitution des textes classiques, parce qu'il contient un grand
n o m b r e de trimètres, et même de fragments lyriques, empruntés au
Prométhée et à VAyamemnon d'Eschyle et à sept tragédies d'Euripide :
(1) Principales éditions : FR. DUBNER, Paris, Didot, 1846, cf. CH. MAGNIN, Journ.
sav., 1849, p. 12-26, 275-288; MIGNE, Patrol. graec., t. X X X V I I I , S. Grég. Naz.,
t. IV, P a r i s , Migne, 1858 ; J . G. BRAMBS, Leipzig, Teubner, 1885. Cf. KRUMBACHER-
GELZER, Gesch. derbyzant. Litt. (Munich, 1897), p. 746-749. J.-A. LALANNE (La Pas-
sion du Christ, P a r i s , 1852) a traduit à peu près les deux - cinquièmes (1039 vers).
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Bibliographie
DICTIONNAIRES.
(1) 215 vers du XTT contiennent des propositions ou des mots tirés des Bacchantes ;
52 vers sont identiques à ceux que nous lisons dans notre tragédie. On peut supposer
en outre qu'une vingtaine de vers au moins ont passé des plaintes d'Agavé, que nous
n'avons plus, dans les gémissements de Marie et de ceux qui l'entourent au pied de la
croix. Sur les rapports du XTT avec l et p, voir J. BIDEZ, Rev. belge de philol., 1926,
p. 145 (Troyennes, édit. L. PARMENTIER", 1925).
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