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ISABELLE BOUCHARD

HERCULE À LA DÉFENSE DU CHRISTIANISME


L'utilisation du mythe d'Hercule dans les ouvrages chrétiens
e e
entre le II et IV siècle

Mémoire présenté
à la faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en Études Anciennes
pour l'obtention du grade de Maître ès arts, (M.A.)

DEPARTEMENT DES LITTERATURES


FACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC

2008

© Isabelle Bouchard 2008


Encore aujourd'hui, nous ne réalisons pas toute la chance que nous avons d'avoir pu
travailler en mythologie, sujet qui nous passionne depuis le début de nos études. Ces trois
dernières années nous ont non seulement permis d'appronfondir nos connaissances, mais
également de repousser nos limites et nos capacités dans le milieu universitaire.

C'est pourquoi nous tenons à remercier tous ceux qui ont participé de près ou de loin à
la réalisation de ce mémoire et tout particulièrement notre directrice de maîtrise,
Pascale Fleury, qui a déployé beaucoup d'énergie et d'efforts afin de nous voir réussir.

Nous souhaitons également adresser un merci spécial à tous ceux qui nous ont apporté
un support moral durant les dernières heures de rédaction, alors que l'épuisement et la
lassitude ont bien failli avoir raison de nous.

Merci.
À l'époque où le christianisme se développe, la mythologie gréco-romaine imprégnait
ou inspirait toutes les sphères de la culture, soit la littérature, l'architecture, la musique et
même le langage. Alors considéré comme un élément du bagage culturel commun qui
représentait certains concepts, le mythe gréco-romain fut employé par plusieurs auteurs et
plusieurs orateurs afin de toucher l'auditoire et de faire comprendre leur point de vue.

Nous croyons que les premiers auteurs chrétiens n'échappaient pas à son influence.
Notre mémoire présente donc le portrait d'un personnage mythologique, Hercule, afin de voir
e e
comment et dans quel but les auteurs chrétiens entre le II et le IV siècle utilisaient le mythe
gréco-romain. Cette recherche permet d'établir les façons dont les auteurs chrétiens ont utilisé
la mythologie : à travers le cas d'Hercule, il ressort clairement que l'assimilation des
personnages mythologiques est complexe et que les auteurs chrétiens utilisent souvent la
mythologie de façon ponctuelle, n'étant pas ni de fervents adversaires, ni partisans d'un
syncrétisme pacifique.
TABLE DES MATIÈRES

Introduction p. 1

Chapitre 1
e
Les auteurs du II siècle : Hercule dans les premiers ouvrages défendant ie
christianisme p. 8
1.1 Pseudo-Clément p. 11
1.2 Athénagore P- 16
1.3 Justin Martyr P . 18
1.4 Théophile d'Antioche p. 20
1.5 Clément d'Alexandrie p. 21
1.6 Tertullien P . 24

Chapitre 2
e
Les auteurs du III siècle : Hercule et le conflit pagano-chrétien p. 36
2.1 Cyprien de Carthage p. 39
2.2 Minucius Félix P . 40
2.3 Qrigène P . 41
2.4 Arnobe de Sicca P . 46
2.5 Lactance P» 48
2.6 Hippolyte de Rome p. 51

Chapitre 3
e
Les auteurs du IV siècle : Hercule et l'installation définitive du christianisme au sein de
l'Empire romain P« 58
3.1 Firmicus Maternus P . 60
3.2 Athanasius P- 62
3.4 Grégoire de Nazianze p. 69
3.5 Epiphane de Salamine p. 70

Chapitre 4
Synthèse p. 74
4.1 Le contexte direct ou les différents éléments mythologiques entourant Hercule
e e
dans les œuvres chrétiennes entre le II et le IV siècle p. 75
4.2 Le contexte indirect ou les différents genres littéraires intégrant
Hercule et sa geste p. 82

Conclusion générale p. 88

Bibliographie p. 93

Index p. 102
Introduction

Afin de parvenir à définir leur communauté, les chrétiens ont traversé plusieurs

épreuves ; l'une des plus importantes est sans doute la confrontation avec les religions et

philosophies antiques. Si les chrétiens ne sont qu'une question administrative pour Pline le

Jeune et qu'ils éveillent un intérêt singulier chez Lucien et Galien, le milieu intellectuel

païen ne tardera pas à s'intéresse à leur communauté avec plus d'ardeur. Le premier d'entre

eux est Celse qui voit dans le christianisme une menace réelle pour l'équilibre et la paix qui
1
règne dans l'Empire . De fait, refusant de participer aux célébrations sacrées de l'Empire,

les chrétiens seront perçus comme une menace et seront critiqués.

Au début de la communauté, les auteurs chrétiens écrivaient seulement pour leurs

frères ou dans un souci de conversion. Lorsque le christianisme sera attaqué, ils adresseront

leurs propos aux gens cultivés du paganisme afin de le défendre. Puisque le christianisme

évolue au sein de l'Empire, les auteurs chrétiens empruntent le langage et les différents

symboles qui ont cours sur son territoire dans le but d'être compris par leurs destinataires.

C'est ainsi que les premiers auteurs chrétiens ont incorporé le mythe gréco-romain à leurs

œuvres. Nous trouvons particulièrement étonnant que les auteurs appartenant à une

tradition qui souhaitait éviter toute forme de syncrétisme puissent intégrer à leur ouvrage

des éléments mythologiques gréco-romains. Dans notre mémoire, nous proposons donc de
e e e
parcourir les sources chrétiennes des II , III et I V siècles afin de voir comment et dans

quel but les auteurs chrétiens ont utilisé le mythe gréco-romain d'Hercule.

Effectuer la recherche sur l'ensemble des mythes païens aurait représenté une tâche

beaucoup trop complexe. Il fallait trouver un exemple de mythe qui permettrait de voir les

différents emplois faits par les auteurs chrétiens, c'est-à-dire à la fois critiqué et assimilé

par les adeptes de la foi chrétienne. C'est pourquoi nous avons choisi la figure mythique

d'Hercule. Non seulement le héros a parcouru le monde afin d'accomplir ses exploits, mais

son culte s'est propagé autour de la Méditerranée. Il fut adopté par plusieurs traditions et il

a parfois été assimilé ou associé à certaines figures mythologiques, entre autres


2 3
mentionnons Sandan le héros lydien , Khôns le héros égyptien , Melqart le héros
4 5
carthaginois et Ogmios le héros celtique . Au cours de ses voyages, le héros a fondé
6
plusieurs cités et a rencontré un grand nombre de gens - des rois, des dieux, des monstres

légendaires, des nymphes, de jeunes hommes et de jeunes femmes qui sont devenus ses

amants. Même si Hercule est connu dans la tradition gréco-romaine comme un sauveur et

un grand bienfaiteur, son interaction avec les autres figures mythiques n'est pas toujours

'Eric Robertson Dodds, Païens et chrétiens dans un âge d'angoisse, Paris, La pensée sauvage
(coll. Bibliothèque d'ethnopsychiatrie), 1979, p. 122.
2
Hésiode, Théogonie, v. 269-524.
3
Tacite, Annales, II, 60.
4
Hérodote, Histoire, II, 44.
5
Lucien de Samosate, Hercule, 1-7.
empreinte de vertu ou de moralité. C'est pourquoi Hercule apparaît comme le mythe le plus

intéressant pour notre recherche ; il est à la fois le héros incarnant toutes les vertus antiques

et l'homme impudique décrit par les légendes.

De plus, Hercule est d'une grande importance pour les adeptes de la tradition gréco-

romaine. A l'époque, son mythe avait non seulement une portée religieuse, mais également

philosophique et politique. Les cyniques et les stoïciens avaient fait du héros leur modèle

par excellence. Chez les stoïciens, Hercule représentait « le Logos répandu en toutes
7
choses, qui donne à la nature sa force et sa vigueur » et chez les cyniques, il symbolisait la

philanthropie et f autosuffisance, vertus fondamentales du cynisme. C'est Antisthène qui le

premier proclama la vertu du héros en faisant de ses exploits un combat contre le vice. Le
o

héros devient dès lors le modèle du sage parfait . Possédant à la fois une force physique
extraordinaire et une moralité à l'abri du vice, Hercule n'inspirait pas seulement les
e e
philosophes, mais également les politiciens. Ainsi, entre le II et le IV siècle, plusieurs
empereurs installèrent Hercule au centre de la vie politique. Pour ne donner que quelques
exemples nommons Trajan qui initia le mouvement en faisant d'Hercule le représentant
céleste de l'empereur, Commode qui vénéraient l'Hercule philosophe plus que l'Hercule
athlète, Septime Sévère qui l'utilisa pour se rapprocher de la dynastie des Antonins,
Caracalla qui se considérait comme son rival et Dioclétien qui exprimait sa prédominance
en s'attribuant le titre de Jupiter et en donnant celui d'Hercule à son gouverneur,
9 e
Maximien . Au IV siècle, Julien l'apostat tente de réinstaurer son culte. Alors qu'il
cherche à rétablir les anciennes pratiques gréco-romaine, Julien introduit le héros dans sa
trinité païenne. En tant que représentant du souverain et de la sagesse, Hercule occupe la
10
position du fils ce qui l'associe à la figure de Jésus Christ . L'importance du personnage
d'Hercule pour la société gréco-romaine ainsi que l'analogie établie entre le héros et Jésus
Christ justifient l'intervention chrétienne contre le héros. Hercule est un symbole puissant
de la tradition gréco-romaine, les auteurs chrétiens ne pouvaient donc pas l'ignorer. Par
6
Pour en donner quelques exemples, citons notamment Pompei, Herculanum (en Italie) et Gadès
(en Espagne). Pindare explique également comment Hercule a institué les Jeux olympiques (Pindare,
e
X Olympique, v. 22-59)
7
Cornutus,
8
Stéphanie Danvoye, 13 septembre 2008. Hercule et le christianisme : Autour des imaginaires mythiques
[ En ligne ]. Adresse U R L : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/04/danvoye.html.
9
Stéphanie Danvoye, 13 septembre 2008. Hercule et le christianisme : Autour des imaginaires mythiques
[ En ligne ]. Adresse U R L : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/04/danvoye.html.
ailleurs, le héros connaîtra un cheminement exemplaire dans le christianisme au cours du

temps. Après plusieurs siècles d'adaptation et d'allégorisation chrétienne, la symbolique


11 e
reliée à Hercule sera prêtée à un saint, Saint Georges , au V I siècle. Cette assimilation

démontre l'intérêt que les chrétiens portaient au héros, ce qui le rend doublement

intéressant dans le cadre de notre travail. A travers lui, nous pourrons découvrir comment et
e e
dans quel but les auteurs chrétiens entre le II et le I V siècle ont utilisé le mythe gréco-

romain dans leurs œuvres.

A l'aide de deux banques de données, le Cetedoc Library of Christian Latin Texts


12 lj
(CLCLT) pour les auteurs latins et le Thésaurus Linguae Graecae (TLG) pour les

auteurs grecs, nous avons pu relever les occurrences concernant Hercule dans les œuvres
e e
chrétiennes entre le I I et le I V siècle. Nous avons évidemment éliminé d'office toutes les

occurrences qui n'avaient pas de lien avec la mythologie, tels que les noms de lieux et les

noms de personnages historiques. Nous avons également écarté quelques mentions banales

du héros incluant surtout des allusions aux rituels faits en l'honneur du héros et certains

jurons, toutefois ces mentions sont évoquées à titre informatif en début de rubrique, et cela

dans le cas de chaque auteur.

Nous avons relevés des occurrences dans 26 œuvres chrétiennes pour 16 auteurs

chrétiens, excluant les auteurs et les œuvres qui sont copiés ou cités dans des ouvrages

comme le Discours véritable de Celse ou le Philosophumena de Justin gnostique. Parmi ces

auteurs, nous retrouvons plusieurs apologistes. Quelques auteurs sont connus pour leur

réfutation des écrits païens et d'autres pour leur combat contre les hérésies. Nous possédons

également un ouvrage autobiographique. Ces différentes sources chrétiennes seront

explorées dans un ordre chronologique. Nous pourrons relever les éléments rejetés ou

acceptés du mythe d'Hercule et voir l'évolution du personnage dans la pensée des auteurs
e e
chrétiens entre le I I et le I V siècle. Nous aurons ainsi une meilleure connaissance des

mécanismes qui ont mené à l'assimilation du mythe herculéen au Moyen âge.

10
Marcel Simon, Le christianisme antique et son contexte religieux, Tiibingen, J.C., B. Mohr, 1981, p. 2 5 8 .
11
Marcel Simon, Hercule et le Christianisme, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 1955, p. 171.
12
En utilisant la forme tronquée «Hercul*» dans la banque de données C L C L T , nous avons trouvé 101
occurrences chez les auteurs latins.
13
Grâce à l'index de mots fournis par le T L G , nous avons pu faire un tri rapide des formes inutiles pour notre
mémoire. N o u s nous s o m m e s par la suite concentrés sur les occurrences h ¥ r a k l e 0 a / h ¥ r a k l h a j / h r a k l h j pour
un total de 184 occurrences chez les auteurs grecs.
Au fil des époques, le personnage mythologique d'Hercule fut repris par de
e
nombreux auteurs. Si Ton ne considère que le XX , plusieurs écrivains ont choisi de
développer le thème d'Hercule. Pour n'en mentionner que quelques-uns, citons
14
Sully-André Peyre qui compose son ouvrage poétique s'inspirant de la légende du héros
15
ou Guy Rachet qui, avec humour et lyrisme, nous fait redécouvrir l'odyssée
extraordinaire d'Hercule en quête d'immortalité.

Hercule fut également l'objet de plusieurs études qui se sont intéressées à son
16
évolution. Parmi celles-ci, mentionnons quelques ouvrages dont celui de Jean Bayet qui
dresse le portrait de l'évolution de la figure d'Herclé, le héros étrusque, et de son
17
assimilation à la figure grecque d'Héraklès ; dans YHerakles Thème, Karl G. Galinsky
traite de l'adaptation du héros dans la littérature d'Homère jusqu'à sa perception dans la
e 18
littérature du XX siècle ; Maurice Pezet nous fait visiter les différents sites
archéologiques de Provence, du Languedoc et du Roussillon sur les traces du héros grec.
Leurs ouvrages sont des outils de référence au sujet de la symbolique d'Hercule et ils
expliquent le cheminement du héros de l'antiquité jusqu'à l'époque moderne. Ils dressent
un tableau très intéressant du mythe à travers le christianisme et les œuvres chrétiennes.
Toutefois, ils ne s'attardent pas à expliquer les efforts d'assimilation faits par les chrétiens.
Ils passent simplement en revue les principaux événements liés aux cultes du héros qui
e e
seront abandonnés au cours du I V et V siècle. L'intervention chrétienne dans ce processus
est très peu discutée.
19
Malgré le travail de Fr. Pfister sur les similarités entre le mythe d^Hercule et les
20
Évangiles de Jésus Christ et l'ouvrage de J. Pépin sur la figure d'Hercule dans le
néoplatonisme, l'ouvrage le plus important concernant l'interprétation chrétienne du mythe
21
d'Hercule est sans doute celui de Marcel S i m o n . L'auteur décrit tout d'abord l'évolution

14
Sully-André Peyre, Hercule, Mûrevigne, Marsyas, 1948.
15
G u y Rachet, Les 12 travaux d'Hercule, Monaco, Editions du Rocher, 2 0 0 3 .
16
Jean Bayet, Les origines de l'Hercule Romain, Paris, Éd. de Boccard, 1926.
1 7
Karl G. Galinsky, The Herakles Thème, Oxford, Basil Blackwell, 1972.
18
Maurice Pezet, Sur les traces d'Hercule, Paris, Éditions des deux-mondes, 1962.
19
Fr. Pfister, « Herakles und Christus », in Archivfur Religionswissenschaft, vol. X X X I V , 1937, p. 53.
2 0
Jeam Pépin, Héraclès et son reflet dans le néoplatonisme, Paris, Éditions du Centre national de la recherche
scientifique, 1971.
2
' M a r c e l Simon, Hercule et le Christianisme. M m e . Stéphanie D a n v o y e a fait le résumé de cette œuvre sur
internet en y ajoutant quelques commentaires explicatifs. Stéphanie Danvoye, 13 avril 2008. Hercule et le
générale de la pensée chrétienne concernant le mythe gréco-romain, des premières

communautés chrétiennes à la Renaissance. L'œuvre explique les parallèles existant entre

l'Évangile et la vie d'Hercule. Elle trace ainsi l'évolution du personnage à travers la pensée

chrétienne et conclut par la description des changements que le christianisme a opérés sur le

mythe pour l'assimiler à sa tradition. Cette étude, bien qu'imposante, n'est pas tout à fait

complète. En fait, si l'œuvre de M. Simon dresse un tableau global du développement de la

figure d'Hercule, elle ne s'attarde pas à l'époque qui nous concerne.


22
Par ailleurs, l'ouvrage de Jean Daniélou traite de l'époque antérieure au Concile de

Nicée (325). Lorsqu'il parle d'interprétation chrétienne des mythes gréco-romains, il

s'intéresse surtout aux gnostiques, en particulier à Valentin qui interprète l'œuvre

d'Homère de façon allégorique. L'étude est donc limitée à cette classe d'auteurs et ne

dresse pas un tableau complet de tous les auteurs de cette époque qui ont utilisé les mythes

païens. En somme, aucun ouvrage ne présente le portrait d'Hercule dans les œuvres
e e
littéraires chrétiennes entre le II et le I V siècle.

Le présent travail portera donc sur le personnage mythologique d'Hercule, qui

représente la quintessence du héros. Comme en témoignent les nombreuses études

modernes à son sujet, son mythe a intrigué les hommes de toutes les époques, de

l'Antiquité à la modernité. Toutefois, la plupart de ces études ne s'attardent pas à expliquer

l'époque la plus importante de l'évolution du personnage, c'est-à-dire l'époque des

premières communautés chrétiennes. De fait, cette époque de confrontation entre le mythe

gréco-romain et les idéologies chrétiennes a amené la fusion de quelques symboles ;

Hercule et sa geste auraient pu disparaître, mais ils furent adoptés par la nouvelle religion.

L'étude de cette période peut certainement nous éclairer sur le mécanisme d'assimilation

des figures mythologiques gréco-romaines à la tradition chrétienne.

Toutefois, les études modernes qui ont examiné cette période décisive dans

l'évolution des mythes gréco-romains ne proposent pas un examen exhaustif des sources

chrétiennes. La plupart de ces ouvrages choisissent d'expliquer le phénomène d'utilisation

christianisme : Autour des imaginaires mythiques [ En ligne ]. Adresse URL :


http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/04/danvoye.html
2 2
Jean Daniélou, Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée, Tournai, Desclée, 1958-1961.
du mythe chez certains auteurs chrétiens anciens en particulier ou chez un groupe

d'auteurs - comme les gnostiques.


e
La présente analyse se consacrera à l'étude de cette période charnière entre le II et
e
le I V siècle. De plus, contrairement aux autres ouvrages qui ont étudié cette époque, nous

proposons d'analyser chacune des sources chrétiennes de cette période qui mentionnent le

héros. C'est donc par son exhaustivité que ce travail se démarquera. Il sera ainsi possible de

dresser un tableau plus fidèle de la pensée chrétienne à l'égard du mythe d'Hercule entre le
e e
II et le IV siècle et de découvrir comment et dans quel but les auteurs chrétiens l'ont

utilisé dans leurs œuvres.


Chapitre 1

e
Les auteurs du II siècle : Hercule dans les premiers ouvrages défendant le
christianisme.

e
Au II siècle, l'Empire romain atteint le sommet de sa force, c'est la Pax romana.

Les conquêtes territoriales pratiquement terminées, les empereurs romains peuvent


1
désormais se consacrer à la gestion de l'Empire : on solidifie les frontières , on organise les
2
provinces et on répand le titre de citoyen romain .

1
Un des meilleurs exemples de cette solidification est le mur d ' H a d r i e n qui sépare l'Angleterre de l'Ecosse et
dont la construction débuta en 122. Cf. à ce sujet Jean C o m b y , Pour lire l'histoire de l'Eglise, Paris, Éditions
du C e r f 1984, p. 3 1 .
2
Édit de Caracalla, selon lequel on confère aux habitants libres de l'Empire la citoyenneté romaine. Cf. à ce
sujet Ibid., p. 30.
Les communications entre les provinces étant favorisées par le développement d'un

réseau routier important, la culture et les idéologies des différentes nations se voient

propulsées à travers l'Empire. On assiste à une agitation hors du commun sur le plan

religieux. La religion traditionnelle de l'Empire, les cultes orientaux et la philosophie se

confrontent et se dirigent vers la fusion de leurs divers éléments en une religion


3
universelle .

Le christianisme profite de ce tumulte pour se répandre. Avec ses promesses

d'élévation morale et de salut, il séduit plusieurs hommes qui sont à la recherche d'un

contact plus direct avec une divinité bienveillante. Il refuse toutefois de fusionner avec les

autres traditions qui persistent dans l'empire. Les chrétiens rejettent entre autres le culte à

l'empereur, ce qui représente un affront à l'État. Or, jamais les chrétiens n'ont prêché la

révolte contre les autorités civiles et c'est le contraire qui va se produire : poussé par
4
l'opinion public, l'État va s'emporter contre la jeune communauté chrétienne .

Alors que les païens se montrent tolérants envers les diverses pratiques religieuses,

ils n'accepteront pas les chrétiens qui sont intolérants face aux autres dieux. Les

médisances qui couraient à leur sujet vont attiser la haine et conduire aux premières

persécutions chrétiennes .
e
Au II siècle, les persécutions chrétiennes ne sont pas systématiques. Elles

dépendent en grande partie de l'opinion publique. On retrouve quelques cas isolés de

martyrs sous Trajan (98-117), Hadrien (117-138) et Antonin le Pieux (138-161), bien que

ces empereurs fussent connus pour leur clémence envers les chrétiens. Mise à part la
e
persécution de Lyon qui a lieu sous Marc Aurèle en 177, le II siècle est une période plutôt
6
tranquille pour les chrétiens . Ils chercheront toutefois à défendre leur foi et leur

communauté.

Les auteurs chrétiens de ce siècle se voient confrontés à plusieurs critiques qui vont

les pousser à réagir. Les premières répliques chrétiennes seront suscitées par les accusations

païennes qui soulèvent la population contre le christianisme et qui conduisent à la

persécution des fidèles. Certains auteurs chrétiens vont ressentir le besoin de réfuter ces

3
C / à c e s u j e t / t a / . , p. 2 8 - 3 1 .
4
G u y Bedouelle, L'Histoire de l'Église, Luxembourg, éditions Saint-Paul, 1997, p. 60.
5
Idem
6
Jean Comby, Pour lire l'Histoire de l'Église, p. 44-48.
accusations et de valoriser le christianisme. L'apologie devient un outil littéraire qui permet
e
de défendre le christianisme. Hercule est évoqué dans certains ouvrages de ce genre au II

siècle, entre autres dans ceux de Tertullien, d'Athénagore, de Justin martyr et de Théophile

d'Antioche. Tatien mentionne également le héros dans son Discours aux Grecs qui

s'oppose à la culture classique. Le héros apparaît à deux reprises alors que l'auteur critique

les théories de Zenon, deux autres fois lorsqu'il discute de la philosophie d'Hérodorus et il

est mentionné encore dans la chronologie mythologique faite par Tatien. Nous avons choisi

de ne pas attribuer de rubrique à cet auteur, puisqu'Hercule n'y est pas directement traité.

Les auteurs chrétiens vont également chercher à combattre les différentes hérésies

chrétiennes. Puisque les dogmes ne sont pas encore fixés, les questions internes divisent la

communauté et donnent naissance à plusieurs sectes. Afin de réfuter l'une d'entre elles,

Tertullien fait apparaître Hercule dans son ouvrage contre les idéologies de Marcion. Pour

sa pan, Irénée de Lyon combat les gnostiques. Il fait également mention d'Hercule dans

son ouvrage Adversus Haereses. Puisque l'auteur ne discute pas de la figure d'Hercule,

mais plutôt d'Homère et de son Odyssée, nous avons décidé de ne pas l'intégrer à notre

discussion.
e
Enfin, un dernier groupe d'auteurs du II siècle fait intervenir le héros dans son

argumentation. Sans concilier la tradition gréco-romaine au christianisme, ils intègrent la


7
sagesse ancienne au mystère du Verbe de Dieu . Ils cherchent à interpréter certains

éléments de la tradition païenne afin de déceler la parcelle divine qui s'y trouve, c'est-à-

dire, selon les chrétiens, le véritable message. Même si on trouve des traces de cette

idéologie chez le Pseudo-Clément, il semble que son véritable initiateur soit Justin martyr.

Clément d'Alexandrie reprendra l'idée de ce dernier dans son Protreptique.

Nous aurions pu choisir de traiter les auteurs chrétiens par genre littéraire, mais

nous avons préféré présenter chaque auteur individuellement afin de dégager leur

perception particulière face au mythe d'Hercule. Nous les présenterons plutôt dans un ordre

chronologique.

7
Daniel Bourgeois, La sagesse des anciens dans le mystère du Verbe, Paris, Téqui (Coll. Croire et savoir ; 1),
1981.
1.1 Pseudo-Clément

Dans ses Homélies, le Pseudo-Clément mentionne Hercule afin d'appuyer son


argumentation contre la culture hellénique, plus particulièrement dans les homélies IV, V et
VI. Dans ces passages, il met en scène un personnage nommé Clément qui est en discussion
avec l'apôtre de Simon, Appion. Ce dernier soutient la doctrine de son maître selon laquelle
le christianisme n'est pas de souche juive. En fait, Simon le mage ne rejette pas la tradition
gréco-romaine. Dans son discours, Clément s'appuie sur l'enseignement de Pierre et
s'oppose aux idées pagano-chrétiennes que défend Simon. On distingue dans son discours
deux types d'utilisation du mythe d'Hercule : le traitement général et le traitement
particulier. Lorsqu'il traite d'Hercule de façon générale, il l'entoure de plusieurs
personnages mythologiques partageant des traits communs avec lui. Dans l'autre cas, il
cherche à expliquer le mythe du héros plus particulièrement afin de trouver le véritable
message qu'il véhicule.

Selon lui, les mythes païens doivent être interprétés afin de révéler le véritable
message dont ils sont porteurs. En guise d'exemple, il nous donne son interprétation du
mythe d'Hercule :

Héraclès, qui a tué le serpent guide et gardien de la richesse, c'est l'intellect


sain et ami de la sagesse qui, dépouillé de toute propension au mal, parcourt le
monde, venant résider dans les âmes et corrigeant ceux qu'il rencontre, c'est-à-
dire les hommes qui ressemblent à des lions audacieux, ou à des sangliers
farouches ou à des hydres versatiles. Pareillement toutes les autres luttes qu'on
attribue à Héraclès sont des figures du courage de l'intellect.
(Clemens Romanus, Homiliae, VI, 16 ; trad. André Siouville).

L'auteur interprète certains épisodes de la geste d'Hercule. Les monstres mythiques que le

héros a combattus lors de ses douze travaux, c'est-à-dire le lion de Némée, le sanglier

d'Érymanthe et l'hydre de Lerne, sont associés aux vices des hommes qui doivent être

corrigés. Pour sa part, Hercule représente l'intellect et la sagesse qui résident à l'intérieur

de chaque homme et qui combattent ses mauvaises inclinations. Ainsi, les hommes

possèdent une part de bien à l'intérieur de leur être qui les aide à rester justes et les Grecs

ont choisi de l'appeler Hercule.


Le Pseudo-Clément explique qu'il faut interpréter les mythes grecs afin de

comprendre leur véritable sens. Toutefois, il ajoute qu'il aurait mieux valu exposer ces

concepts clairement plutôt que de les enfouir dans des énigmes obliques et des fables
8
perverses . Il attribue ces égarements aux mauvais esprits. Désirant justifier les actes

impurs des hommes, ces derniers ont poussé les auteurs païens à octroyer ces mêmes

impiétés à leurs dieux. Ainsi, les hommes n'avaient plus à avoir honte de leurs actes.

A l'appui de sa théorie, l'auteur apporte une série de dieux qui se sont livrés à des

actes sexuels condamnables. Hercule figure parmi eux :

Pour ne pas perdre beaucoup de temps à des choses connues de tous, en


exposant les actions impies des prétendus dieux, je ne raconterai pas toutes
leurs amours, celles de Zeus et de Poséidon, de Pluton et d'Apollon, de
Dionysos et d'Hercule et de chacun des autres
(Clemens Romanus, Homiliae, IV, 15 ; trad. André Siouville) ;

Les dieux ne se sont pas abstenus, comme d'une chose honteuse, du commerce
avec les mâles, mais l'ont également pratiqué comme une belle action. [...]
Hercule [s'est épris] d'Abdéros, de Dryope, de Jocastos, de Philoctète, d'Hylas,
de Polyphème, d'Hémon, de Chonos, d'Eurysthée
(Clemens Romanus, Homiliae, V, 15 ; trad. André Siouville).

Dans le premier extrait, l'auteur explique que les dieux ont entretenu des relations adultères

et que, de plus, ces histoires sont communes. Afin d'appuyer cette affirmation, il cite

plusieurs personnages mythologiques en espérant que leurs actes impies reviendront à la

mémoire de ses lecteurs une fois leur nom mentionné. Il s'agit de personnages très souvent

traités par les auteurs gréco-romains et qui étaient vénérés par les païens. Hercule figure

parmi eux.

La mention du héros vient appuyer les propos de l'auteur de deux façons. D'une part,

en évoquant Hercule, l'auteur sait que les lecteurs se rappelleront les actes qu'il a commis

parce que le personnage et sa légende sont connus. D'autre part, l'auteur ajoute le héros à

une liste de personnages mythologiques. C'est ici le nombre de noms qui est important, car

plus l'énumération est longue, plus elle est percutante et plus l'argumentation de l'auteur

est persuasive.

8
Clemens R o m a n u s , Homiliae, VI, 17.
On remarque également ce deuxième phénomène dans le second extrait. Alors que

l'auteur explique que les dieux ont entretenu des liaisons avec des hommes, il énumère les
9
amants attribués à Hercule. Le plus notoire est sans conteste Hylas , tantôt neveu, tantôt fils

du roi Dryope. Deux autres noms connus apparaissent également chez Sophocle :
10
Philoctète, ami d'Hercule, à qui le héros a remis son a r c et Hémon, fier combattant
11
Thébain, protégé d'Hercule . Toutefois, la plupart des anecdotes qui figurent dans cette

liste sont peu connues dans l'antiquité. De fait, on retrouve dans cette énumération

plusieurs personnages reliés à la geste d'Hercule, mais qui sont rarement mentionnés par

les auteurs antiques. Certains ne semblent pas entretenir de lien affectif avec lui comme
12
Abdéros qui fut dévoré par les juments de D i o m è d e , le roi Dryope, c'est-à-dire
13
Théodamas qui fut tué par le héros , Polyphème qui aide Hercule à chercher Hylas alors
14 13
que ce dernier fut enlevé par une n y m p h e et Eurysthée , auprès de qui le héros dut
16
racheter ses crimes. D'autres ne sont pas mentionnés dans les récits tels que Jocastos et
17
C h o n o s . On peut donc croire que l'auteur a cherché à créer une liste imposante d'amants -

attestés ou non - attribués au héros afin de montrer sa lubricité.

Dans ces deux extraits, l'auteur cherche à montrer la licence sexuelle des dieux. Pour

appuyer ses propos, il choisit d'évoquer Hercule parce que sa geste est connue de tous et

que cette dernière est empreinte de fautes. Son argumentation ne se fonde toutefois pas

uniquement sur la popularité du héros, mais également sur le nombre imposant de

personnages impudiques. Par une énumération, il dénonce les impurs et leurs mauvais

actes. Il dresse ainsi des listes considérables de noms ne se souciant pas toujours des

véritables faits liés aux personnages.

9
Hylas, fidèle c o m p a g n o n d'Hercule (e. g. Hésiode, Théogonie, 21 1-336), conducteur de son char
(e. g. Hésiode, Le bouclier, 57-121), parmi les argonautes {e. g. Hygin, Fables, 14).
10
Sophocle, Philoctète, 1081-1217.
11
Sophocle, Les sept contre Thèbes, 8.
12
Abdéros chargé de veiller sur les j u m e n t s de Diomède et qui se fait dévorer par elles (Apollodore,
Bibliothèque, II, 5).
13
Théodamas, roi de Dryopie, père de Hylas (Apollonius de Rhodes, Argonautiques, I, 56).
14
Polyphème entend les cris de Hylas alors q u ' u n e n y m p h e s'empare de ce dernier (Apollonius de Rhodes,
Argonautiques, I, 57).
15
Eurysthée, maître d ' H e r c u l e {Hymnes Homériques, 13).
16
Jocastos : fils d ' E o l e , roi de Rhégium.
17
Chonos (Xœv) est le dieu égyptien du purgatoire. Son nom doit être entendu dans le sens de « mort de
l'autre monde mais pas encore parvenu à la condition divine ». Il est l'Hercule des Egyptiens. (Roscher,
Wilhelm Heinrich, 1965. « Chonos » in Ausfuhrliches Lexikon der griechischen und romischen Mythologie,
vol. II, p. 897.
Décrivant la conduite des dieux grecs, le pseudo-Clément cherche à montrer non

seulement l'impiété de leurs actes, mais également la malice des démons qui ont inspiré de

tels récits. Il souligne comment l'humanité presque entière a failli être trompée par la

culture hellénique :

happer

Comment peux-tu qualifier ces gens-là de sages, alors que, comme s'ils avaient
été poussés par un mauvais génie, ils ont fait tomber dans le piège l'humanité
presque entière ? Ou bien en effet nous avons devant nous non des énigmes
mais des crimes véritables, et alors il ne fallait pas en convaincre les dieux, ni
en aucune manière proposer leurs fautes à l'imitation des hommes ; ou bien ces
énigmes accusent les dieux de crimes qu'ils n'ont pas commis, et alors, ô
Appion, ces gens que tu appelles sages ont mal agi : car en dissimulant des
actes augustes sous des fables malséantes, ils ont excité les hommes à pécher,
sans compter qu'ils ont outragé ceux qu'ils croyaient être des dieux
(Pseudo-Clément, Homiliae, VI, 17 ; trad. André Siouville).

Pseudo-Clément présente deux hypothèses concernant l'amoralité des dieux dans son

discours. Dans la première, les lecteurs des récits mythologiques se trouvent devant des

méfaits qui ont véritablement été commis par les dieux et qui ont été rapportés. L'auteur

dénonce le fait que de pareils actes fussent dévoilés à des hommes susceptibles de les

imiter. Dans ce cas, les dieux ne méritaient pas d'être vénérés. Dans la seconde hypothèse,

il explique qu'en fait les mythes ont besoin d'être interprétés afin d'être compris, ce

pourquoi il les appelle énigmes. Ces énigmes sont rédigées par des « sages » qui, sous

l'influence de mauvais génies, corrompent la geste des héros et des dieux en y ajoutant des

épisodes scabreux. Ainsi, les héros et les dieux ne sont pas les réels responsables de ces

actes ; il faut s'en prendre aux « sages » qui ont rédigé ces mythes et qui les ont transmis.

Pseudo-Clément adhère à la seconde théorie. Les «sages» grecs sont pour lui

influencés par des mauvais génies qui poussent les hommes à commettre le péché. En

discréditant ainsi les auteurs anciens, il montre l'absurdité des récits mythologique païens.

Puisque le pseudo-Clément applique ce raisonnement à l'ensemble de la mythologie, on

peut donc croire qu'il en va de même pour Hercule. Il est un exemple de mythe que les

Grecs ont composé poussés par un mauvais génie. Le mythe du héros sert donc à appuyer

son argumentation contre la tradition religieuse païenne.

Bien que le personnage d'Hercule ne soit pas beaucoup utilisé par le

Pseudo-Clément, il est néanmoins possible de distinguer deux types d'utilisation du mythe


d'Hercule dans son discours. Le premier est plus général : il s'agit d'énumérations que

l'auteur ajoute à son argumentation et qui englobent un grand nombre de personnages

mythologiques ; elles comportent un certain nombre d'éléments mythiques plus ou moins

connus dont Hercule et sa geste font partie. Dans ce type d'utilisation, la force de

l'argumentation ne vient pas de la mention d'un personnage en particulier, mais bien de

leur accumulation. Il va de soi que la mention d'Hercule n'est pas anodine, car le héros est

choisi par l'auteur pour représenter ses propos. Il fait toutefois partie d'une cohorte

d'éléments mythiques qui comportent tous la même caractéristique : dans notre cas, la

sexualité débridée. De fait, les personnages mythologiques qui sont énumérés apparaissent

souvent dans le contexte de la licence sexuelle.

Le second type d'utilisation traite le mythe d'une manière particulière. L'auteur

interprète et s'approprie le mythe. Le pseudo-Clément explique brièvement ce que signifie

le mythe, ce qu'il symbolise. Par exemple, Hercule représente le « courage de l'intellect »

(Clemens Romanus, Homiliae, VI, 16).

L'auteur semble concilier les deux types d'argumentation. Il fait parfois

l'énumération de ses interprétations, Héra « la gravité», Athéna « la virilité », Aphrodite

« les voluptés », et plusieurs autres (Clemens Romanus, Homiliae, VI, 16). L'auteur fait

l'exégèse de tous ces mythes afin de trouver les véritables valeurs qui y sont introduites et

il fait l'énumération de certaines interprétations frappantes afin de montrer à ses lecteurs

qu'il est possible d'appliquer sa théorie à toute la mythologie.

En résumé, d'un côté, l'auteur allégorise la geste des dieux gréco-romains afin de

montrer les véritables valeurs qu'ils véhiculent et, de l'autre, il expose l'impureté de leurs

actes. Réhabilitant les dieux d'une part et de l'autre rappelant leurs vice, le discours de

l'auteur semble incohérent. Sa logique se trouve toutefois dans son désir d'expliquer

l'impureté des dieux et des héros païens. En fait, l'auteur avance que les démons ont enfoui

le véritable sens des mythes anciens dans des fables empreintes d'impuretés. Ces mauvais

esprits cherchaient à corrompre l'âme des hommes et à les pousser à agir avec impudeur.

Le Pseudo-Clément ne rejette pas le mythe. Il croit plutôt qu'il faut interpréter les mythes

pour découvrir les véritables valeurs qu'ils contiennent.



1.2 Athénagore

Pour sa part, l'apologète chrétien Athénagore utilise le mythe d'Hercule afin de

montrer la suprématie du christianisme. Dans son ouvrage Supplique au sujet des chrétiens,

il cherche à faire tomber les condamnations qui sont portées contre le christianisme et à

valoriser la foi chrétienne.

L'auteur fait intervenir Hercule alors qu'il critique la nature des dieux

gréco-romains :

Selon lui [scil Orphée], l'eau était le principe de tout. De l'eau a été formé le
limon ; et de l'un et de l'autre est sorti un animal, un dragon qui avait une tête
de lion - et une autre de taureau -, et entre les deux une face de dieu. Son nom
était Héraklès et Chronos. Cet Héraklès a donné naissance à un œuf énorme, qui
était rempli de la force de son père et qui, par frottement, fut brisé en deux. La
partie supérieure de l'œuf donna naissance au ciel ; la partie inférieure à la
terre. [...] Tel est le début de la généalogie de ceux qui sont, suivant eux, des
dieux, et de l'univers.
(Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, XVIII-XIX ;
trad. Gustave Bardy)

Il s'agit d'un extrait de la généalogie orphique. Dans cette tradition, Hercule tient le rôle

d'agent de la création. On ne connaît pas l'élément du mythe traditionnel qui a permis

l'attribution de ce rôle à Hercule. Il est probable que ce soit sa force ou le fait qu'il fut
18
longtemps associé au soleil .

Le héros est également associé à Cronos dans ce passage. Personnifiant le temps,

Chronos est une figure importante dans la tradition orphique. Il est le créateur qui donne

naissance à l'univers. Dans la mythologie classique, il est souvent associé au titan Chronos

qui engendrera les dieux de l'Olympe avec sa sœur Rhéa. Ainsi, Chronos et Hercule sont

liés par leur rôle de créateur dans l'extrait.

En exposant la généalogie orphique, Athénagore montre que les déités païennes ne

sont pas éternelles, car elles sont nées à un moment dans le temps. Selon lui, ce qui est

18
Au sujet d'Hercule et de son association à l'astre solaire, cf. L.F. Maury, Histoire des religions de la Grèce
antique depuis leur origine jusqu'à leur complète constitution, Paris, Ladrange (coll. Bartin), 1859, p. 536.
19
éternel reste incréé et non-matérialisé . Comme les dieux païens sont nés de

Chronos-Héraclès, ils ne peuvent pas être de véritables divinités.

Non seulement les déités gréco-romaines sont-elles issues de la matière, mais elles

possèdent également une forme matérielle qui est décrite par les auteurs anciens : « Mais

ils [scil. auteurs anciens] ont encore décrit les corps des dieux : Héraclès est un dieu lion et

dragon recourbé » (Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, XX ;

trad. Gustave Bardy). Il s'agit encore ici de la représentation d'Hercule-créateur dans la

tradition orphique. L'auteur n'évoque pas seulement la description du corps du héros, il

parle également de celle de Déméter et de toutes les apparences qu'a empruntées Zeus pour

s'unir aux mortelles. Il mentionne plusieurs personnages mythologiques afin de montrer

l'abondance de dieux qui possèdent une enveloppe matérielle et le fait que cela est normal

dans la religion gréco-romaine. Athénagore fait également une remarque sur la mort du

héros un peu plus loin : « Étant tel, il est tout naturel qu'il [scil. Hercule] fût fou, tout

naturel qu'il eût allumé un bûcher et se fût brûlé lui-même » (Athénagore, Supplique u sujet

des chrétiens, XXIX). Une autre preuve qu'Hercule possédait un corps.

A l'aide des œuvres anciennes, Athénagore fait la preuve que les dieux gréco-

romains possédaient une enveloppe matérielle et que les païens vénéraient des dieux qui

n'avaient rien de comparable au Dieu éternel judéo-chrétien. Enfin, Athénagore montre que

ce sont leurs vertus qui ont permis à certains hommes de devenir des dieux :

20
Les u n s ont été regardés comme dieux à cause de leur force, comme Héraklès
et Persée, d'autres à cause de leur habileté, comme Asclépios. Ainsi, ce sont les
sujets eux-mêmes ou bien les chefs qui ont accordé les honneurs divins : les uns
ont eu part au nom de dieu par crainte, les autres par respect ; et ceux qui ont
vécu après eux les ont reçus comme dieux sans discussion (Athénagore,
• Supplique au sujet des chrétiens, XXX).

L'auteur affirme que les héros tels Hercule, Persée et Asclépios ont été vénérés après leur
mort par des hommes qui ont vécu à la même époque qu'eux et qui connaissaient leurs
exploits. Hercule et Persée furent honorés pour avoir libéré l'humanité d'horribles maux ;

19
À ce sujet, Athénagore cite le Timée de Platon.
2 0
Athénagore fait référence à des h o m m e s et plus particulièrement à des souverains qui ont mérité l'honneur
d'être divinisés à cause leurs grands exploits.
21
Hercule a accompli douze travaux et Persée a vaincu Méduse et les gorgones . Pour sa

part, Asclépios fut vénéré pour ses grands talents de guérisseur qui lui permirent de
22
ressusciter les m o r t s .

Athénagore croit que les païens ont déifié des hommes pour rendre hommage aux

exploits qu'ils ont accomplis. Ces divinités n'en restent pas moins des hommes qui

possédaient un corps ; elles sont attachées au monde matériel ; elles ne peuvent donc pas

être comparées au vrai Dieu qui réside dans le monde de l'esprit et de l'idéal.

Hercule et ses semblables n'étant que des hommes vénérés après leur mort, le Dieu

judéo-chrétien reste l'unique divinité qui doit être honorée. Ainsi, la foi chrétienne est la

seule valable.

1.3 Justin martyr

Dans le but de défendre le christianisme contre les attaques païennes, Justin martyr
fait lui aussi intervenir Hercule dans son discours. Le héros apparaît à cinq reprises dans
quatre des œuvres qui nous sont parvenues : la Première Apologie, la Seconde Apologie, la
Grande Apologie et le Dialogue avec le juif Tryphon. Nous avons écarté les deux
occurrences de la Seconde Apologie parce que le mythe d'Hercule n'est pas discuté dans ce
23
passage. Justin martyr traite plutôt du mythe de Xénophon dont Hercule fait parti .

Alors que les adeptes du paganisme trouvent étrange tout ce que les chrétiens
24
affirment à propos du Christ , Justin martyr tente de montrer que ces propos n'ont rien de
plus insolite que les mythes gréco-romains concernant les fils de Zeus :

Hermès est son Verbe et son interprète, le maître universel ; Asclépios fut aussi
médecin et ayant été frappé de la foudre remonta au ciel ; Dionysos fut mis en
pièces ; Héraclès se jeta au feu pour mettre fin à ses maux ; les Dioscures, fils
de Léda, Persée, fils de Danaé, montèrent au ciel, et aussi, sur le cheval Pégase,
Bellérophon, fils de mortel

2 1
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 1-2.
2 2
Cf. Euripide, Alceste, 126-128. t

2 3
Justin martyr, Seconde Apologie, 3-4.
2 4
Les adeptes du paganisme critiquent les faits suivants à propos du Christ : il a été engendré sans opération
charnelle, il a été crucifié, il est mort, il est ressuscité et il est monté au ciel.
(Justin martyr, Première Apologie, 21 ; trad. André Wartelle).

Dans cet extrait, Justin énumère les fils de Zeus qui ont vécu un épisode similaire à la vie

de Jésus. La mort d'Hercule est associée à la crucifixion du Christ, car si la mort de Jésus

paraît étrange aux adeptes gréco-romains parce qu'il fut tué comme un voleur sur la croix,

celle d'Hercule qui se livre aux flammes devrait susciter autant d'étonnement.

Le héros gréco-romain est mentionné entouré d'autres héros connus afin d'appuyer

ce que l'auteur avance : certains épisodes mythologiques gréco-romains s'apparentent à la

vie de Jésus. Sans interpréter, l'auteur semble insister sur le nombre d'épisodes curieux

provenant de la mythologie gréco-romaine. Il donne ainsi plus d'impact à son

argumentation.

Dans sa Grande Apologie ainsi que dans son Dialogue avec le juifTryphon, l'auteur

chrétien cherche également à expliquer les ressemblances entre les épisodes de la vie de

Jésus et ceux concernant les fils de Zeus. Or, tout ce que le Christ a vécu fut prophétisé par

les Écritures juives et, selon Justin martyr, les mythes gréco-romains sont l'œuvre de

démons qui ont voulu imiter Dieu :

[Les démons] avaient appris par le prophète Isaïe que le Christ devait naître
d'une vierge et s'élever au ciel par sa propre puissance ; et ils imaginèrent
l'histoire de Persée. Ils savaient qu'il était dit dans les prophéties citées plus
25
haut : « Fort comme un géant qui s'élance dans la carrière » , et ils racontèrent
que le géant Héraclès avait parcouru l'univers. Ils avaient appris aussi que,
d'après les prophéties, le Christ devait guérir toutes les maladies et ressusciter
les morts, et ils mirent en scène Asclépios (Justin martyr, Grande Apologie, 54 ;
26
trad. G. Archambault) .

Ainsi les psaumes de la Bible qui traitent du Messie ont inspiré le mythe d'Hercule. Les
démons qui ne parvenaient pas à comprendre les Écritures ont influencé les poètes afin que
ces derniers rédigent des histoires mensongères. C'est pourquoi les mythes gréco-romains
sont semblables à certains épisodes de la vie de Jésus.

La geste d'Hercule n'est toutefois pas la seule issue des Saintes Écritures. Celles de
Persée et d'Asclépios sont également mentionnées. Dans les trois cas, l'auteur chrétien

2 5
Psaume, 18, 6.
2 6
Ce passage est repris par Justin martyr, Tryphon, 69.
croit à une inspiration prenant sa source dans les prophéties juives. Ils servent donc

d'exemples afin de prouver ce que l'auteur avance.

Ainsi chez Justin, Hercule est utilisé en tant qu'exemple afin d'appuyer les propos

de l'auteur. Le héros n'est pas allégorisé, mais sa geste est comparée à celle de Jésus, ce

qui permet à l'auteur de dire que le mythe gréco-romain est inspiré par une mauvaise

lecture des Écritures.

1.4 Théophile d'Antioche

Théophile d'Antioche, premier évêque d'Antioche, mentionne à quelques reprises


Hercule dans son ouvrage A Autolycus. Comme son titre l'indique, l'auteur veut répondre à
un certain Autolycus qui lui reprochait sa conversion au christianisme. Par une apologie, il
dénonce l'absurdité du paganisme et valorise le christianisme en racontant les principaux
points du déroulement de l'histoire selon la Bible.

Hercule entre en scène alors que l'auteur cherche à montrer l'inutilité et l'amoralité
des dieux gréco-romains. Il évoque Hercule à quatre reprises : deux fois, alors qu'il expose
27
l'histoire des familles alexandrines et deux fois alors qu'il critique les auteurs gréco-
28 •

romains anciens . Les deux premières mentions sont banales et ne citent le héros que

comme repère. Dans les deux autres mentions, Hercule n'est jamais traité en particulier ; il

apparaît au milieu d'une cohorte d'autres personnages mythologiques :

Leurs dieux, d'ailleurs, sont les premiers - clament-ils [scil. les païens] - à se
livrer à des unions qu'on ne saurait qualifier, à des festins criminels. [...] Tous
leurs autres hauts faits, chantés tout au long par les poètes, il est vraisemblable
que tu les connais. Faut-il que j ' é n u m è r e les autres mythes concernant
Poséidon, Apollon, Dionysos, Héraclès, Athéna la belliqueuse, Aphrodite
29
l'éhontée, alors que nous nous en sommes entretenus dans un autre livre avec
toute la précision désirable ? (Théophile, Ad Autolycon, III, 3 ;
trad. Jean Sender).

Théophile, Ad Autolycon, II, 7.


2 8
Théophile, Ad Autolycon, III, 2-3.
2 9
Saint Jérôme attribue à Théophile u n e . série d'ouvrages : les Livres à Autolycus, une réfutation
d ' H e r m o g è n e , une réfutation de Marcion, divers traités sur l'Église, des commentaires sur l'Evangile et sur
les Proverbes de Salomon. Malheureusement, seul les Livres à Autolycus nous sont parvenus (cf. note de
Gustave Bardy, Ad Autolycon, III, 3).
Théophile cherche ici à montrer comment les auteurs gréco-romains étaient mal inspirés

lorsqu'ils écrivaient les récits mythologiques. L'auteur chrétien rappelle que non seulement

plusieurs dieux se sont adonnés aux actes impurs, mais qu'ils ont également commis

d'autres méfaits. Il ne détaille pas les épisodes mythologiques de chacun des héros et des

dieux qu'il mentionne, car il sait que ces personnages et leur geste sont bien connus de ses

lecteurs. Son argumentation repose plutôt sur le nombre de personnages qu'il énumère : de

fait, plus la liste des personnages énoncés est longue, plus, dans l'esprit de l'auteur, elle a

des chances d'être persuasive. Si Hercule apparaît dans ce groupe, c'est probablement parce

que l'auteur le trouve représentatif de cette classe de héros qui ont commis des actes

impurs, tout comme Apollon et Dionysos.

Dans Y Ad Autolycon, Théophile énumère plusieurs personnages mythologiques

connus afin d'appuyer ses propos. Parmi eux figure Hercule. Ce dernier représente ce que

l'auteur avance. Le héros apparaît dans deux cas plus précisément : lorsque l'auteur cherche

à démontrer l'absurdité de la généalogie des familles alexandrines et lorsqu'il veut exhiber

l'inspiration malavisée des auteurs gréco-romain qui font de leurs dieux et de leurs héros

des êtres immoraux.

1.5 Clément d'Alexandrie

Hercule apparaît à plusieurs reprises dans deux œuvres majeures de Clément


d'Alexandrie : le Protreptique et les Stromates. On retrouve parmi ces occurrences
quelques utilisations banales du mythe. Une d'elles mentionne un fait relié au culte
30
d'Hercule selon lequel on vénérait les belettes en l'honneur du héros à T h è b e s et une
autre rappelle une saillie de Diogène au sujet de ce qui était écrit au devant d'une maison et
31
qui concernait Hercule . Nous ne traiterons pas de ces mentions puisqu'Hercule y apparaît
plus par convention que par choix de l'auteur chrétien. Nous nous pencherons d'avantage
sur les occurrences qui montrent la perception d'Hercule par Clément d'Alexandrie.

Le Protreptique a pour mission de détourner les adeptes du paganisme de leur


habitude et de les faire adhérer au nouveau message chrétien. En rapportant certains
épisodes mythologiques gréco-romains, l'auteur tente de montrer comment la culture

3 0
Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 39, 2.
hellénique est une aberration, parce que tous les dieux grecs étaient des hommes qui après

leur mort ont été déifiés. Il fait intervenir quelques auteurs grecs qui parlent d'Hercule afin

d'appuyer ses propos :

Homère est plus digne de foi dans ce qu'il a dit des deux Dioscures, et, quand il
prouve qu'Héraclès aussi n'est qu'une « idole », « Héraclès, ce héros, auteur
de grands exploits ». C'est donc qu'Homère, lui aussi, sait qu'Héraclès ne fut
qu'un homme mortel. Hiéronyme le philosophe nous présente son portrait
physique : petit, les cheveux hérissés, vigoureux ; mais Dicéarque le fait raide
comme un morceau de bois, nerveux, noir, le nez aquilin, les yeux brillants, les
cheveux longs et plats. Cet Héraclès vécut cinquante-deux ans et termina sa vie
par les honneurs funèbres du bûcher sur le mont Œta
(Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 30,6 ; trad. Claude Mondésert).

Selon Clément d'Alexandrie, Homère admet lui-même, dans Y Odyssée \ qu'Hercule est
une idole. Ici, l'auteur chrétien joue sur la morphologie du terme eiôoXov qui signifiait dans
la langue homérique « spectre ». En fait, le vers 601 du chant XI de Y Odyssée dit : « Puis
ce fut Héraclès que je vis en sa force ». Au lieu de lire eiôo^ov « force »,
Clément d'Alexandrie lit plutôt eiôoXov « image d'un dieu, idole ». Une idole est la
représentation physique de l'objet d'un culte d'adoration. L'auteur chrétien la considère
comme l'opposé du véritable dieu qui lui n'a pas de figure. Hercule est une idole parce
qu'il possède un corps physique que les auteurs anciens ont décrit. Il n'est donc pas un
dieu, mais un homme qui fut adoré après sa mort.

L'auteur rapporte un autre épisode du mythe d'Hercule afin de prouver que le héros
33
était un homme : « Sosibios dit qu'Héraclès à son tour eut la main blessée par les
Hippokoontides » (Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 37, 2 ; trad. Claude Mondésert).
Si la chair d'Hercule peut être altérée, c'est qu'elle est mortelle. Puisque le héros possède
34
un corps mortel, il est donc soumis à la condition h u m a i n e et ne peut pas être une divinité.
Il n'est pas le seul exemple de divinité qui peut être blessée. L'auteur chrétien mentionne
également Aphrodite (Protreptique, II, 36, 1), Ares (II, 36, 1), Athéna (II, 36, 2), Hélios

3 1
Clément d'Alexandrie, Stromates, IV, 26, 1.
3 2
Homère, Odyssée, XI, 6 0 1 .
3 3
Sosibios est un artiste grec qui travaillait à Rome vers 50 av. J.-C. Il a créé plusieurs vases s'inspirant du
répertoire néo-attique décoratif des ateliers athéniens.
34
S u r ce point, Clément d'Alexandrie explique : « C'est le m o m e n t de vous montrer c o m m e n t vos dieux sont
de toute manière soumis à la condition humaine. " C'est qu'ils ont bien u n e chair mortelle ! " »
(Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 36, 1 ; trad. de Claude Mondésert).
(II, 36, 2) et Héra (II, 36, 2). Les idoles vénérées par les adeptes du paganisme n'étant pas

de véritables dieux, la religion gréco-romaine ne peut pas être prise au sérieux.

Non seulement ces divinités sont fausses, mais elles se livrent également aux

débauches voluptueuses. Tout comme Pseudo-Clément l'a fait avant lui, Clément

d'Alexandrie souhaite démontrer l'impureté des divinités païennes. L'auteur chrétien

énumère donc les aventures amoureuses de plusieurs dieux. Comme il le rappelle, est né

d'un écart de conduite de Zeus :

A quel point n'a-t-il pas poussé la débauche, ce Zeus qui passa avec Alcmène
tant de nuits voluptueuses ? Et ce vicieux n'eut pas trop même de neuf nuits
(que dis-je ? une vie tout entière eût semblé courte à son intempérance !) pour
nous engendrer le dieu qui écarte les maux. Ce fils de Zeus, vrai fils d'un tel
père, Héraclès, né d'une si longue nuit, peina longtemps pour accomplir ses
douze travaux, mais il lui suffit d'une nuit pour outrager les cinquante filles de
Thestios et être à la fois le corrupteur et le fiancé de tant de vierges. Ce n'est
35
donc pas sans raison que les poètes l'appellent « cruel » et « scélérat » . Il
serait long de raconter ses adultères variés et les outrages qu'il fit subir à de
jeunes garçons (Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 33, 3-4 ;
trad. Claude Mondésert).

Issu de l'adultère d'Alcmène et de Zeus, Hercule suit les traces de son père : il est lui aussi
soumis à ses passions. Ce fait est confirmé par l'épisode mythologique que rapporte
Clément d'Alexandrie au sujet des cinquante filles de Thestios. Certainement connue de
tous à l'époque de l'auteur chrétien, la légende raconte comment, à dix-huit ans, Hercule
s'unit aux cinquante filles du roi Thestios (ou Thespios) en une seule nuit, pendant que ce
dernier guettait le lion qui venait décimer ses troupeaux. Cet épisode à lui seul peut prouver
l'impureté des actes du héros gréco-romain, mais l'auteur ajoute qu'Hercule avait
également des relations avec des jeunes hommes. Cela a pour effet d'alourdir la liste des
mauvaises actions du héros et de prouver qu'il ne méritait pas d'être vénéré.

En somme, les mythes païens sont trop teintés de volupté et de débauche pour être
pris au sérieux, comme le démontre le mythe d'Hercule. Clément d'Alexandrie l'utilise
donc à titre d'exemple afin de convaincre les païens de délaisser leur ancien culte et
d'adhérer au christianisme.

3 5
Clément d'Alexandrie parle ici de plusieurs poètes, mais il cite Homère (Iliade, V, 403)
Si le Protreptique fut rédigé dans l'idée de convaincre les païens de l'absurdité de

leurs mythologies, les Stromates sont écrits dans un tout autre esprit. Dans cette œuvre,

l'auteur cherche d'avantage à expliquer les textes bibliques et les textes anciens qu'à

convertir de nouveaux adeptes au christianisme. Il se sert à quelques reprises d'épisodes

mythologiques gréco-romains afin d'illustrer ce qu'il avance. Hercule apparaît au chapitre

XIV, alors que Clément d'Alexandrie tente d'expliquer le mythe de la régénération évoqué
36
par Platon dans son ouvrage La République. Ce dernier raconte comment E r mourut au

combat et revint à la vie douze jours après sa mort. L'âme de cet homme avait parcouru les

douze signes du zodiac avant de revenir à la vie. C'est donc en traversant douze étapes que

peut se régénérer l'âme des hommes. L'auteur donne alors en exemple le mythe d'Hercule :

« Voilà encore comment il faut comprendre que les travaux d'Héraclès aient été au nombre

de douze ; après eux l'âme obtient la délivrance de tout le monde présent » (Clément

d'Alexandrie, Les Stromates, XIV, 103, 5 ; trad. Marcel Caster). Ainsi, la geste d'Hercule

représente bien le mythe de la régénération de Platon selon Clément d'Alexandrie. Après

avoir accompli douze travaux, Hercule est parvenu à l'immortalité. Son âme fut libérée des

contraintes humaines et il est devenu dieu. Le mythe du héros apporte ici une précision sur

le nombre douze désigné par Platon et par les signes du zodiac.

L'auteur chrétien utilise donc le mythe d'Hercule à titre d'exemple dans ses deux

ouvrages. Si dans le Protreptique Hercule apparaît comme une idole ne méritant pas d'être

vénérée, sa geste demeure toutefois un élément de connaissance partagé par tous et

illustrant bien les propos de l'auteur contre la religion païenne. Il en va de même dans les

Stromates, où la geste du héros vient appuyer les explications de l'auteur chrétien au sujet

du mythe de la régénération de Platon.

3 6
Clément d'Alexandrie associe Er au personnage de Zoroastre. Il s'agit cependant ici d ' u n e tradition initiée
par le philosophe épicurien Colotès qui désirait discréditer Platon en faisant de lui un plagiaire des doctrines
de la Perse (cf. G. Leroux dans sa note 57 (p. 724), à Platon, La République, Paris, G F Flammarion, 2002).
1.6 Tertullien

On compte huit œuvres de Tertullien qui mentionnent Hercule : une qui réfute une
hérésie, quatre qui règlent la conduite des chrétiens et trois qui défendent la foi contre les
attaques païennes.

Certaines mentions sont banales : elles sont généralement constituées par des
allusions aux cultes d'Hercule. C'est le cas dans le De Spectaculiis où l'auteur mentionne
les jeux néméens qui étaient célébrés en l'honneur du héros (Tertullien, De
Spectaculiis, XI), dans le De Idolatria où il critique l'emploie trop fréquent du « Me
j 7
Hercle » par les chrétiens (Tertullien, De Idolatria, XX), ainsi que dans Y Ad nationes II
où il évoque un rituel accompli par les femmes de Lavinium (Tertullien, Ad nationes II,
VII). Dans le De Corona, Tertullien cite le héros parmi ceux qui ont porté une couronne
militaire (Tertullien, De Corona, VII ; XII). Ces quatre éléments témoignent de la vivacité
des pratiques païennes à l'époque de Tertullien. Pour l'auteur, Hercule est un exemple bien
connu de tous et c'est pourquoi il le mentionne dans ces trois ouvrages. Il existe toutefois
des utilisations moins typiques et plus parlantes.

Dans YAdversus Marcionem, Hercule est évoqué alors que l'auteur conteste la
croyance fondamentale du marcionisme selon laquelle le Christ n'aurait rien à voir avec le
Messie annoncé par les Écritures juives.

Marcion ne connaît pas le personnage historique de Jésus. Il croit simplement que le


Christ est miraculeusement descendu du ciel et qu'il a temporairement emprunté les traits
d'un homme afin de communiquer avec l'humanité. Conformément aux idées gnostiques, il
croit que le Christ n'est qu'une apparition fantomatique. En fait, posséder un corps le
rendrait impur, ce qui est impensable pour le fils de Dieu. Ce fait explique que Jésus ne
puisse être le sauveur promis par les Écritures juives, car Jésus possède une enveloppe
38
charnelle .

37
« Me Hercle » : Jurer par Hercule. Cette expression était courante sous l'Empire. Elle était censée écarter
les maux de la personne qui la prononçait.
38
Cf. à ce sujet Joseph R. Hoffmann, Marcion, on the Restitution of Christianity : an Essay on the
Development of Radical Paulinist Theology in the Second Century, Chico, Scholars Press, 1984, p. 75-105.
Marcion tente de démontrer que Jésus n'était pas le Messie, mais un simple homme

en signalant l'appellation « F i l s de l ' H o m m e » que la Bible utilise lorsqu'elle parle du

Messie et que Jésus adopte pour parler de lui-même dans la tradition chrétienne-judaïsante.

Il croit que cette qualification sous-entend que le sauveur possède un père humain alors que

le Christ sera le fils de Dieu. Puisqu'il se proclame à la fois fils de l'homme et fils de Dieu,

Jésus aurait donc deux pères qui lui permettent d'avoir un corps contrairement au Christ qui

n'en possède qu'un seul et qui n'est qu'un spectre. C'est sur ce point que Tertullien fait

intervenir la geste d'Hercule :

Pour qu'elle (scil. Marie, mère de Jésus Christ) ne soit pas vierge, il faut un
homme ; mais avec un homme, elle donnera deux pères à celui qui sera tout
ensemble fils de Dieu et de l'Homme. Alors nous tombons dans les naissances
fabuleuses de Castor et d'Hercule. Si nous savons distinguer la double nature de
Jésus-Christ, c'est-à-dire par sa mère, il est fils d'homme, lui qui ne l'est pas
par son père ; s'il est fils d'une vierge, du moment qu'il n'a pas de père charnel,
voilà bien le Christ du prophète Isaïe : « Une vierge concevra et enfantera, »
dit-il. Sur quel fondement admets-tu le fils de l'Homme ? J'ai beau regarder
autour de moi, Marcion, je ne saurais me l'expliquer. Lui donnes-tu pour père
un homme ? Tu nies qu'il soit fils de Dieu. Est-il de Dieu et de l'homme ? Tu
fais de ton Christ, l'Hercule de la fable (Tertullien, Adversus Marcionem, IV,
10 ; trad. Renée Braun).

Une femme fécondée par un homme et un dieu donne naissance à deux enfants : un qui sera

un homme et l'autre qui aura certains pouvoirs divins. Plusieurs légendes païennes
39
témoignent de ce type de naissance, dont celle d ' H e r c u l e . C'est pourquoi l'auteur en fait

mention dans son argumentation. Il sait qu'elle évoquera la théorie dans l'esprit de ses

lecteurs sans avoir à l'exposer textuellement. Il utilise donc le mythe à titre d'exemple pour

mieux faire saisir son point de vue.

Par conséquent, l'auteur chrétien considère la fable comme un fait vérifié et

l'emploie comme une vérité incontestable qui définit une règle fixe. Par fait vérifié et vérité

incontestable, nous n'entendons pas un fait réaliste ou historique, mais simplement un fait

3 9
La légende raconte que Zeus se mit au lit avec Alcmène sous les traits de son époux, Amphitryon. Il s'unit à
elle. Le lendemain, le véritable Amphitryon se coucha au côté de sa femme et s'unit également à elle. De ces
deux unions naquirent des j u m e a u x , Iphiclès et Hercule. Dès la naissance, ils se démarquèrent l'un de l'autre,
le premier semblait être son enfant normal tandis que son frère, Hercule, était doté de pouvoirs hors du
commun. Ainsi Iphiclès était le fils d'Amphitryon et Hercule, celui de Zeus (Hésiode, Le bouclier
d'Héraclès, 54).
mythologique qui se trouve répété dans les récits anciens et sert d'appui pour expliquer des

faits véritables et existants. Le mythe devient alors porteur de vérité universelle qui peut

s'appliquer à une situation réelle et aider à la comprendre. Dans le cas présent, la

mythologie gréco-romaine donne les exemples d'Alcmène et de Léda qui furent fécondées

par un dieu et un homme et qui donnèrent naissance à deux enfants de natures différentes.

Tertullien les mentionne en sachant pertinemment que ces faits ne sont pas réels. Il utilise

ces récits parce qu'ils sont représentatifs de sa théorie : si la vierge Marie avait été fécondée

par un homme et Dieu, elle aurait donné naissance à deux enfants comme dans les

légendes.

L'auteur ne cherche cependant pas à rapprocher le mythe païen de la foi ou à le

réinterpréter de manière chrétienne. Il reconnaît seulement qu'il fait partie d'un savoir

commun, ou d'un bagage culturel, partagé par tous les individus chrétiens, juifs ou païens.

Dans le Contre Marcion, Tertullien critique les théories de Marcion. Il établit un

lien entre les doctrines hérétiques et les mythes gréco-romains afin de faire valoir son point

de vue. On peut croire que Tertullien critique quelque peu le mythe en l'associant à

l'hérésie de Marcion. Il ne conteste cependant pas le mythe. Il en fait plutôt un outil qui

vient enlever toute crédibilité au concept de Marcion.

Puisque l'auteur ne s'attaque pas à la tradition gréco-romaine, il ne cherche pas à

discuter le mythe ni à le dévaloriser. Sa perception du mythe semble affectée par le combat

qu'il engage. De fait, Tertullien lutte contre les idéologies de Marcion. Il critique donc le

discours de Marcion et non pas la tradition gréco-romaine. On peut croire que, chez

Tertullien, le but de l'œuvre nous renseigne sur l'attitude que l'auteur va adopter face au

mythe gréco-romain. Ainsi, lorsqu'il utilise le mythe dans une œuvre discutant une doctrine

hérétique, il ne le voit pas comme un élément à abolir. Il le considère plutôt comme un bien

culturel partagé par tous.

Dans le cas du De Pallio, qui fut rédigé à la fin de sa carrière, l'auteur affirme son

souhait d'intégrer des principes plus stricts. Il organise son argumentation dans un discours

contre la paresse et la volupté où il s'interroge sur l'étrange manie de certains hommes de

s'épiler comme le font les femmes. L'auteur chrétien trouve inhabituel que les hommes se

préoccupent autant de leur apparence plutôt que de se pencher sur les questions plus
intellectuelles. Il les accuse de se travestir au nom de la volupté et il fait intervenir un
40
extrait de la légende d ' H e r c u l e pour appuyer ses propos :

La volupté a travesti un autre héros, d'une façon plus honteuse encore que ne
41
l'a fait la sollicitude maternelle . Je sais bien que vous l'adorez ; mais vous
devriez rougir plutôt de ce porteur de massue, de flèche et de peau, qui préféra
les ajustements d'une femme à tout ce qui composait sa gloire et son surnom.
Une infâme Lydienne a eu le pouvoir de transformer, par une double
prostitution, Hercule en Omphale, et Omphale en Hercule
(Tertullien, De Pallio, IV ; trad. Eugène-Antoine De Genoude).

Tertullien aborde ici la question du travestissement d'Hercule en femme lorsqu'il était


esclave chez Omphale. Selon lui, le travestissement découle de la volonté des hommes de
vouloir changer leur nature. Comme l'être humain naît homme ou femme naturellement et
que la nature dépend de Dieu, Tertullien perçoit le travestissement comme un affront à la
nature, donc à Dieu. C'est pourquoi il condamne ceux qui adoptent certaines pratiques
féminines.

L'auteur chrétien n'attribue toutefois pas la volonté de se travestir à Hercule, mais


plutôt à la volupté. Hercule est l'esclave d'Omphale, non seulement de fait, mais également
par la passion. C'est donc la passion qu'il entretient avec Omphale, « l'infâme Lydienne »,
qui permet à cette dernière de soumettre le héros et de le pousser à changer sa nature en
portant les vêtements d'une femme.

Il semble cependant que le fait de se travestir dans la Grèce antique était un rituel de
passage pour l'homme. Ce rite était souvent associé au passage de l'adolescence vers l'âge
adulte ou au passage de la vie de célibataire vers celle de couple. L'homme revêtait des
vêtements féminins et parfois assumait le rôle de la femme dans ses fonctions avant

Selon l'épisode légendaire que Tertullien nous raconte à demi-mots, Hercule fut vendu pour trois talents
d'argent à Omphale. Hercule accomplit de nombreux exploits au service d ' O m p h a l e et lui donna trois enfants
(Apollodore, Bibliothèque, II, 6, 3). Un jour, Hercule et O m p h a l e eurent l'idée d'échanger par jeu leurs
vêtements (Lucien, Comment il faut écrire l'histoire, 10). Plusieurs œuvres artistiques sont témoins de cet
événement. O m p h a l e est représentée arborant la peau de lion et la massue d ' H e r c u l e (cf. L I M C , Bas relief,
e
Athens, National Muséum, de Taranto - Arch 1899 Pl. 4 - 4 siècle av. JC ; O m p h a l e apparaît dans une
longue robe portant une peau de lion). Tertullien peut ainsi affirmer q u ' H e r c u l e s'était travesti en O m p h a l e et
vice versa.
4 1
Cet autre héros qui fut travesti par la sollicitude maternelle est Achille. Lorsque Tertullien parle de
sollicitude maternelle, il rappelle l'épisode où, refusant de perdre son fils à la guerre, Thétis aux pieds
d'argent cache Achille parmi les filles de Lycomède. Il est ainsi travesti. Jeune adolescent, Achille se mêlait
aux filles, vêtu d ' u n e robe. Ulysse parvient à le démasquer grâce à une ruse : il se déguise en marchand et
d'entrer dans le monde masculin où un grand nombre de responsabilités l'attendaient. Par

cette pratique, l'homme réaffirmait sa virilité. De fait, un homme qui a été soumis à une

certaine féminité et qui réussit à s'en échapper prouve sans conteste qu'il est masculin. Le
42
rituel de travestissement sert donc à attester la masculinité de l ' h o m m e .

Dans le cas d'Hercule, le héros emprunte les vêtements de sa maîtresse et pratique

même certains métiers féminins dont le filage et le tissage. Plongé dans l'univers féminin

par la reine lydienne Omphale, Hercule se voit travesti, mais non pas efféminé. En effet,

puisqu'il représente la quintessence du héros guerrier, sa virilité transcende les pratiques

féminines. Il n'adopte donc pas les caractères, l'aspect et les manières généralement

attribués aux femmes. Au contraire, sa masculinité renaît de l'épisode de son

travestissement, ce qui le prépare à sa déification. Le mythe d'Hercule est alors perçu

comme le rite de passage d'un homme vers la nature divine.

Le mythe d'Hercule n'est pas le seul exemple apporté par Tertullien afin de montrer

la perversité du travestissement. Il mentionne le mythe du « héros de Larisse », c'est-à-dire

Achille, qui se travestit également en femme. La volupté n'est toutefois pas responsable du

travestissement d'Achille, il s'agit plutôt du désir maternel de protéger son enfant. L'acte

n'en est pas moins condamnable. Même si, pour les Grecs, le mythe témoignait du passage

de l'adolescence vers l'âge adulte, pour l'auteur chrétien, il ne s'agit que d'un autre affront

fait à la nature.

Après avoir exposé deux épisodes mythologiques en exemple, Tertullien rapporte des
43
faits historiques au sujet de l'athlète pugiliste Cléomaque, de Physcon et de
44
Sardanapale . Emportés par la gloire, ces hommes revêtirent des vêtements qui les

travestirent, non pas en femme, mais qui changèrent leurs idéaux après leur victoire. Ils

renièrent leur patrie pour emprunter les coutumes et les costumes d'une autre nation. Ainsi,

le fait de changer de vêtements est condamnable lorsque le changement porte atteinte à la

nature physique, comme dans le cas d'Hercule et d'Achille, ou à la personnalité, comme

dans le cas de Cléomaque et des rois.

mêle des armes aux colifichets féminins qu'il prétend vendre. Sans réfléchir, Achille se précipite aussitôt sur
une épée (cf. Stace, Achilléide, I, 129-274).
4 2
M. Silveira Cyrino, « Heroes in d(u)ress : Travestism and Power in the Mythes of Herakles and Achilles»,
Arethusall, 1998, p. 2 0 7 - 2 4 1 .
4 3
S u n o m m é Physcon à cause de son obésité, Ptolémée VIII Évergète II a régné sur l'Egypte et a vécut entre
182 et l l ô a v J C .
Alors qu'il condamne les actes de ces hommes qui ont véritablement existé, il ne rend

pas responsables les personnages mythologiques de leur propre travestissement. Selon

l'auteur chrétien, la volupté, c'est-à-dire la grande passion qui l'animait pour Omphale, a

travesti Hercule. Tertullien ne cherche pas à convaincre ses lecteurs d'abandonner le culte

d'Hercule, il désire plutôt éveiller leur méfiance concernant la volupté. Une fois de plus,

Hercule est un exemple. Il est l'argument qui vient appuyer le point de vue de Tertullien.

On peut donc croire que Tertullien voit la légende d'Hercule comme un exemple

pouvant rejoindre l'ensemble de la population, parce que sa geste et les pratiques

religieuses qui sont faites en son honneur sont connues de tous dans l'Empire.

Les trois dernières œuvres de Tertullien qui mentionnent le mythe d'Hercule sont

YApologeticum, Y Ad Nationes I et l'Ad Nationes IL Ces trois ouvrages sont de nature

apologétique et cherchent à défendre la religion chrétienne contre les attaques païennes.

Dans YApologeticum, l'auteur chrétien fait allusion au culte d'Hercule afin de

montrer comment les rites païens ne sont pas faits dans le plus grand respect de leurs

dieux :

Venons-en à vos rites religieux. Je ne parle pas de vos sacrifices où vous


n'offrez que des victimes mortes, infectes, rongées par les ulcères. S'en
rencontre-t-il de meilleures, d'intactes ? Vous avez grand soin de n'en donner
que les extrémités, tout ce qui n'est bon à rien, et qu'à la maison vous auriez
jeté à vos esclaves ou à vos chiens. De la dîme que vous devez à Hercule, il
n'en paraît pas le tiers sur les autels (Tertullien, Apologeticum, XIV ; trad. Jean-
Pierre Waltzing).

Tertullien dénonce dans ce passage le mépris que les païens accordent à leur propre rituel.

Il ne cherche pas à les ramener à l'ordre, il vise plutôt à leur montrer comment leurs

pratiques n'ont pas plus d'importance pour eux que pour leurs prétendus dieux. Si Hercule

est mentionné ici, c'est que son culte était négligé. Le rituel en l'honneur du héros devient

donc un argument contre les païens. La dîme apparaît elle aussi comme un exemple connu

de tous. Elle est donc représentative dans le discours de Tertullien autant pour les chrétiens

que pour les païens.

Un autre exemple du manque de respect des païens envers leurs dieux se trouve

illustré par une mention d'Hercule. Cette fois-ci dans Y Ad Nationes I :

4 4
Dernier grand roi de l'Assyrie antique qui vécut entre 669 et 627 avJC.
Etes-vous plus religieux dans le Cirque, où, parmi l'horreur des supplices,
parmi des flots de sang humain, vos dieux viennent danser, et fournir aux
criminels le sujet des farces qu'ils donnent au public, comme si vous vouliez
punir vos divinités dans la personne des coupables. Nous avons vu l'acteur qui
représentait Athys, ce dieu de Pessinunte, mutilé sur le théâtre, et celui qui
jouait Hercule, comme lui brûlé vif (Tertullien, Ad Nationes I, X ; trad. André
Schneider).

Tertullien se moque, dans cet extrait, des représentations théâtrales où parfois les hommes
que l'on voulait punir jouaient la mort d'un personnage mythologique. Ainsi un condamné
a probablement revêtu le rôle d'Hercule et s'est mérité la même mort que celle du héros
pour les crimes qu'il avait commis. Selon l'auteur chrétien, il s'agit ici d'un terrible affront
fait à la mémoire du dieu païen. De fait, un homme qui avait commis une faute assez
grande pour être passible de la peine capitale ne pouvait pas se mériter l'honneur d'incarner
le plus grand des héros au moment de son apothéose.

C'est donc la conduite des païens envers leur propre culture que Tertullien critique.
Il ne suggère pas l'abolition du mythe. Encore une fois, il utilise Hercule comme un
exemple qui peut efficacement interpeler son auditoire.

Dans Y Ad nationes II, l'auteur chrétien fait intervenir le mythe d'Hercule à


plusieurs reprises alors qu'il tente de démontrer que les dieux païens étaient des hommes
avant d'être divinisés. Il explique d'abord la théorie de Denis le stoïcien où Hercule
apparaît en exemple :

Denis le stoïcien divise les dieux en trois classes : dans la première, il place les
divinités que l'on voit, telles que le Soleil, la Lune ; dans la seconde, celles que
l'on ne voit pas, telles que Neptune ; dans la troisième, enfin, celles qui dit-on,
ont été hommes avant de devenir dieux, telles qu'Hercule et Amphiaraùs
(Tertullien, Ad nationes II, II ; trad. Eugène-Antoine De Genoude).

Dans la mythologie gréco-romaine, le personnage d'Hercule ainsi que celui d'Amphiaros

étaient des héros qui ont gagné le statut de dieu. De fait, Hercule accomplit douze travaux

avant de mourir et d'avoir une apothéose. Hercule sert donc d'exemple pour appuyer la

théorie de Denis le stoïcien.

Puisque Denis le stoïcien classifie les dieux en trois catégories - les divinités que

l'on voit, celles que l'on ne voit pas et celles qui ont été des hommes avant de devenir des
dieux - et qu'Hercule fait partie de la dernière catégorie, Tertullien critique la déification

du héros :

Mais puisque vous prétendez que d'autres hommes ont été transformés en dieux
pour des motifs particuliers, et qu'il faut distinguer, d'après Denis le Stoïcien,
entre ceux qui sont nés dieux et ceux qui le sont devenus, je dirai un mot de ces
derniers. Commençons par Hercule. Montrez-moi par quelles vertus il mérita le
ciel et la divinité, puisque c'est à ses mérites que vous en faites honneur. Est-ce
pour avoir dompté les monstres ? Mais qu'y a-t-il là de si merveilleux ?
Combien de coupables, condamnés à lutter dans l'arène contre les bêtes féroces,
en ont immolé en une fois un plus grand nombre et avec plus d'habileté ? Est-ce
pour avoir parcouru l'univers ? Mais combien de riches et de philosophes l'ont
parcouru, les uns à l'aide de leur opulence, les autres par l'assistance même de
la mendicité ? Oubliez-vous donc qu'Asclépiade le Cynique triompha de
l'univers tout entier par les yeux, en le parcourant sur une misérable vache dont
le dos servait à le transporter et les mamelles à le nourrir ? Est-ce parce qu'il
s'est frayé un chemin jusqu'aux enfers ? Mais combien avant et après lui n'y
sont-ils pas descendus ? Si ce Pompée, qui ne laissa pas même un chétif agneau
dans Byrsa. A plus forte raison encore Scipion mériterait-il la préférence sur
Hercule. Inscrivez plutôt à la gloire d'Hercule son épouse qu'il abandonne,
Omphale qu'il séduit, le jeune Iolas qu'il immole, et l'expédition des
Argonautes qu'il trahit. Après tant d'infamies, ajoutez ses fureurs, ajoutez les
ilèches qui ont percé les fils, les épouses. Qui était plus digne de monter sur le
bûcher, que ce demi-dieu qui, enveloppé dans sa tunique empoisonnée, présent
que lui envoyait une épouse trahie, mourait par peur plutôt que d'une mort
glorieuse ?
(Tertullien, Ad nationes II, XIV ; trad. Eugène-Antoine De Genoude).

Tertullien expose plusieurs épisodes de la geste d'Hercule afin de montrer que le héros ne
méritait pas d'être déifié. Il explique d'abord que ses exploits ne sont pas si remarquables
car d'autres personnes beaucoup moins illustres que lui ont réussi à en faire d'avantage.
Puis, il enchaîne sur une série d'actes condamnables qui ont été commis par le héros. Il
discrédite peu à peu Hercule de son titre de dieu, j u s q u ' à en proposer d'autres préférables à
lui, tels Pompée ou Scipion.

Tertullien nomme plusieurs autres hommes qui n'auraient pas dû être divinisés ( e.g.
Castor, Pollux, Persée ; Ad nationes II, XV). Il raconte également l'histoire de Larentina,
une courtisane qui fut divinisée parce qu'elle avait prétendu avoir passé la nuit avec
Hercule (Tertullien, Ad nationes II, X).

Ainsi, Hercule n'est pas le seul homme à avoir été divinisé, mais Tertullien le traite

de manière particulière. Dans son discours, il s'applique à montrer que le héros ne méritait
pas d'être divinisé. C'est un exemple illustre, car il sait que le mythe est bien connu de

tous. Ainsi, il peut convaincre ses lecteurs de l'absurdité de la mythologie gréco-romaine.

Pour conclure, nous pouvons croire que Tertullien emploie le mythe d'Hercule

comme un argument rejoignant toute la population et ce dans tous ses types d'écrits. De

fait, l'auteur introduit des éléments du mythe d'Hercule à titre d'outil argumentatif venant

illustrer ses propos dans ses discours contre les hérésies, contre les païens ainsi que dans

ceux qui cherchent à fixer la conduite chrétienne.

On constate cependant qu'il s'approprie parfois certains épisodes en les écartant de

leur contexte mythologique afin d'appuyer son argumentation. Ce fut le cas pour l'épisode

du travestissement d'Hercule où il prend au mot la légende et fait du héros un homme

soumis au jeu vulgaire et malsain de sa maîtresse. Toutefois, il s'agissait d'un rituel où la

masculinité du héros triompherait, le préparant du même coup à sa déification.

Remarquons également une autre caractéristique quant à l'utilisation du mythe

d'Hercule chez Tertullien : il ne critique pas le héros lorsqu'il l'utilise dans ses ouvrages

contre les hérésies et ceux où il règle la conduite des chrétiens, mais lorsque ce dernier se

retrouve dans les œuvres défendant la foi et la communauté chrétienne, il devient la cible

des reproches. De fait, il est brièvement mentionné sans être critiqué dans la plupart des

œuvres de Tertullien, dont le De Idolatria, le De Spectaculiis et le De Corona. Dans

YAdversus Marcionem, il est associé à une hérésie, mais il n'est pas critiqué. Les

réprimandes vont plutôt à Marcion, tandis que dans Y Ad nationes //, la geste d'Hercule est

sévèrement analysée afin de démontrer à quel point le héros ne méritait pas d'être déifié.

Tertullien change donc de regard sur le mythe d'Hercule dépendamment du combat

auquel il prend part. La geste du héros es( un élément culturel qui se montre fort utile

lorsqu'il est temps d'apporter un exemple à son argumentation.

Conclusion

On peut donc affirmer qu'au deuxième siècle, la geste du héros est un élément

culturel qui permet aux auteurs chrétiens d'appuyer leurs propos. Théophile d'Antioche,

Athénagore et Justin martyr l'incluent dans leurs énumérations. Le mythe d'Hercule

apparaît alors comme un fait vérifié qui aide le lecteur à mieux comprendre les concepts qui
sont expliqués par les auteurs chrétiens. Ces derniers cherchent à montrer que la croyance

en ce héros est dénuée de sens, car il n'était rien d'autre qu'un homme. Ils ne remettent

toutefois pas en question l'existence même du héros ou l'existence de ses actions.

Parfois, les auteurs chrétiens se permettent d'interpréter le mythe et de se

l'approprier afin d'adapter la geste du héros à leur propos. Ce fut le cas chez le Pseudo-

Clément où Hercule est associé au courage de l'intellect. Clément d'Alexandrie interprète

également l'épisode des douze travaux qu'il associe au mythe de la régénération de Platon.

Les épisodes mythiques sont alors détachés du contexte dans lequel ils s'inscrivent pour

servir l'idéologie chrétienne.

Sans interpréter la geste du héros en entier, Justin martyr compare certains éléments

mythiques gréco-romains à la vie de Jésus. L'auteur fait l'exégèse de certains passages

concernant Hercule afin de les faire coïncider avec les Écritures juives. Il réussit ainsi à

prouver que les mythes gréco-romains sont inspirés par la Bible. L'auteur discrédite la

tradition gréco-romaine et, du même coup, valorise le christianisme, tradition qui est

l'aboutissement des Écritures juives.

Pour sa part, Tertullien tend à l'historicisation du mythe d'Hercule. Alors qu'il fait

du héros un travesti, il ne traite pas le mythe comme un récit nécessitant une exégèse, mais

plutôt comme un fait vérifié. Hercule devient un homme véritable dont les actes peuvent

être comparés à ceux d'autres hommes. C'est ce qui se produit dans le De Pallio : l'auteur

ajoute un épisode de la geste d'Hercule à une énumération de faits historiques afin

d'appuyer ses propos contre la volupté. Comme les personnages historiques, le héros est

jugé pour ses actes. L'auteur ne rejette donc pas la geste du héros. Il l'utilise simplement en

tant qu'instrument d'argumentation.

On remarque également chez Tertullien une attitude changeante par rapport au

mythe selon le contexte d'écriture. L'auteur chrétien a une attitude plutôt critique envers le

mythe d'Hercule lorsqu'il défend la foi chrétienne contre les païens. On peut s'attendre à la

même attitude dans ses autres œuvres, mais ce n'est pas le cas. Lorsque les ouvrages de ce

dernier s'adressent aux chrétiens, discutant de leurs communautés et de leur attitude, le

mythe d'Hercule n'est pas mis en doute. Il est considéré comme un élément culturel partagé

par tous. On peut alors affirmer que l'utilisation d'Hercule et la perception de son mythe

dans les œuvres chrétiennes varient selon le combat dans lequel ils s'inscrivent.
Puisqu'au deuxième siècle la plupart des auteurs chrétiens qui mentionnent Hercule

appartiennent au groupe des apologistes, on peut croire qu'ils cherchent tous à défendre la

foi chrétienne en dévalorisant le mythe d'Hercule. Toutefois, Pseudo-Clément,

Justin martyr et Clément d'Alexandrie expliquent comment les adeptes de la tradition

païenne ont été trompés. Par la suite, ils interprètent le mythe du héros afin de trouver le

véritable message qu'il véhicule. Les autres apologistes de ce siècle font surgir les éléments

dérangeants de la geste d'Hercule afin de montrer les erreurs de la tradition gréco-romaine.

Hercule n'apparaît pas toujours responsable de ses actes. Il semble souvent soumis à

des forces qui lui échappent telles que les démons ou les poètes auteurs des récits

mythologiques. Toutefois, les actes impurs et immoraux qu'il a commis rendent sa geste

inacceptable.
Chapitre 2

e
Les auteurs du III siècle : Hercule et le conflit pagano-chrétien

e
Au III siècle, la période de paix et de prospérité qui durait depuis les deux derniers

siècles prend fin. Les frontières sont de plus en plus menacées et l'économie de l'Empire

connaît une amplification. Si le siècle commence sous l'égide de la dynastie des Sévères

qui font de l'empereur un être sacré, le pouvoir impérial devient instable vers la seconde
e
moitié du III siècle. Presque toujours en guerre, les empereurs sont nommés et défaits par

les armées. C'est l'anarchie militaire.


Les empereurs de ce siècle veulent éliminer les facteurs de division et resserrer les

liens entre les habitants de l'Empire. Ils y parviennent par le biais du culte impérial.

L'empereur devient une figure sacrée et parallèlement centralise peu à peu tous les

pouvoirs sur sa personne. Il incarne dieu et l'État.

Tout en affirmant leur loyauté face à l'État et à l'empereur, les chrétiens vont

refuser de se soumettre au culte impérial. Redoutant que les chrétiens ne provoquent une

crise sociale, les empereurs élaboreront des lois antichrétiennes. Septime Sévère (193-211)

est le premier d'entre eux. Alors qu'il cherche à ralentir la croissance des groupements

religieux marginaux, il interdit le catéchuménat et les chrétiens sont répertoriés par la

police. Les châtiments sont graves ; les catéchumènes et ceux qui cherchent à les convertir
1
sont arrêtés et persécutés . Dans le but d'affaiblir l'Église, l'empereur Maximin (235-238)
2
continue dans la voie des Sévères. Il fait mettre à mort tout le clergé .

Ces condamnations vont faire plier plusieurs chrétiens aux volontés de l'État. La

majorité d'entre eux vont participer aux sacrifices et aux célébrations rituelles faits en

Thonneur des dieux de l'Empire. Toutefois, aussitôt la persécution passée, les chrétiens

revenaient à leur culte, ce qui épuisera la patience publique. C'est pourquoi Dèce (249-251)

organisera une persécution générale et systématique de tous les chrétiens. Pris par surprise,

plusieurs chrétiens seront martyrisés, le plus grand nombre se soumettront et sacrifieront

aux dieux afin de sauver leur vie. Une fois le calme revenu à la mort de Dèce, la

communauté chrétienne sera soumise à une crise interne. Elle se divisera sur la conduite à
3
adopter envers ceux qui ont sacrifié et qui souhaitent réintégrer l'Église . Son successeur,

Valérien (253-260), interdit aux chrétiens de se réunir et fait arrêter le clergé ainsi qu'un

grand nombre de laïcs. En 258, ceux qui refusent de sacrifier en l'honneur des dieux gréco-

romains sont mis à mort. Cyprien de Carthage subit le martyre cette année-là. L'empereur
4
Galien (253-268) met fin à ces mesures en 2 6 0 .

1
II s'agit peut-être ici de l'explication de la persécution de Félicité et Perpétue (203) qui affirmaient être
catéchumènes et avoir été baptisées dans leur prison (Jean Comby, Pour lire l'histoire de l'Eglise, p. 49).
2
Idem
3
Idem
4
Guy Bedouelle, L'histoire de l'Église, p. 6 1 .
e
Ainsi, au III siècle, le christianisme n'est pas une religion autorisée dans l'Empire.

La communauté continue toutefois de s'agrandir. Elle gagne des fidèles dans toutes les

tranches de la société, y compris les classes dirigeantes et la famille impériale, ce qui

inquiète de plus en plus la société romaine.

Possédant peu de connaissances sur la nouvelle communauté, les païens qui

diffusèrent les premières médisances se contentaient de traiter les chrétiens d'athées,

d'anthropophages et d'incestueux. En gagnant les plus hautes sphères de la société, les

chrétiens vont toutefois inquiéter les intellectuels qui vont se renseigner sur la communauté.

Ils feront enquête sur les chrétiens, liront les Écritures et entreprendront une réfutation plus

rigoureuse du christianisme. Les accusations portés contre les chrétiens changent donc de
e
nature au III siècle. On leur reproche de profiter de la crédulité des plus faibles afin de

faire adhérer ces derniers à la nouvelle religion et d'être de mauvais citoyens puisqu'ils

refusent de participer au culte impérial. La doctrine chrétienne s'oppose à la raison en

s'appuyant sur l'Incarnation de Dieu et la Résurrection de Jésus. De plus, elle est divisée en

plusieurs sectes qui se contredisent les unes les autres et les rites qu'il faut accomplir sont
5
immoraux .

La réponse des chrétiens veut dissiper les malentendus qui s'abattent sur la

communauté. Ainsi plusieurs auteurs chrétiens de ce siècle vont se pencher sur les

accusations afin de les réfuter et de revaloriser le christianisme. Parmi eux, quelques-uns

vont mentionner Hercule dans leurs ouvrages, signalons Cyprien de Carthage,

Minucius Félix, Arnobe de Sicca, Lactance ainsi qu'Origène qui réfutera particulièrement

le païen Celse.

Les persécutions et les accusations des païens auront d'autres effets sur la

communauté chrétienne. Au fil des débats internes, l'Église cherchera son identité et fera

plusieurs tentatives d'unification. Ainsi, les auteurs traiteront de la diversité au sein de


6
l'Église. Dans son ouvrage Philosophumena, où il évoque Hercule, Hippolyte de R o m e

tente de rendre compte de toutes les hérésies au sein du christianisme.

5
Jean Comby, Pour lire l'histoire de l'Église, p. 36-38.
6
L'ouvrage Philosophumena fut attribué à Hippolyte de R o m e
2.1 Cyprien de Carthage

Dans ses traités De la vanité des idoles et les Institutions divines, Cyprien de

Carthage mentionne à deux reprises Hercule. Il s'agit en fait d'occurrences communes qui

traitent d'Hercule comme d'un exemple parmi d'autres.

Dans son traité De la vanité des idoles, l'auteur chrétien explique que les dieux

païens ne sont pas de véritables dieux. Il introduit alors le concept évhémériste selon lequel

les dieux étaient en fait d'anciens rois qui furent divinisés après leur mort. Il énumère sur ce

point plusieurs hommes qui ont eu droit à cet honneur dont Hercule fait partie : « Hercule,

brûlé sur le mont Œta, a droit aux honneurs divins » (Cyprien de Carthage, Idolorum
7
Vanitate, 1 ; trad. M. l'abbé Thibault). Évoqué en compagnie de Mélicerte et Leucothéa ,

Castor et Pollux, Esculape, Apollon, Neptune et Jupiter, Hercule apparaît ici comme un

simple exemple venant faire la démonstration de ce qu'avance l'auteur. Il vient nourrir la

cohorte de tous ces hommes divinisés pour donner plus d'impact à l'argument de Cyprien

de Carthage : les dieux étaient des hommes qui furent divinisés après leur mort ; ils ne

devraient pas être vénérés.

Dans les Institutions divines, Cyprien de Carthage veut montrer le comportement

condamnable des dieux afin de faire renoncer les païens à leur culte. Encore ici, Hercule est

entouré de plusieurs noms mythiques qui ont commis des adultères innombrables selon

l'auteur :

Comment réprimeront-ils leur désir voluptueux, ceux qui honorent Jupiter,


Hercule, Bacchus, Apollon et les autres, dont les adultères et les débauches
avec hommes et femmes sont non seulement connus des lettrés, mais encore
représentés au théâtre et célébrés par des chants, si bien qu'ils sont fort connus
de tous ? (Cyprien de Carthage, Institutions divines, V, 10, 16 ; traduction par
M. l'abbé Thibault).

Hercule est mentionné dans la liste des dieux qui ont commis l'adultère. Tout comme dans
le traité De la vanité des idoles, le nombre de personnages mythologiques nommés donne
du poids à l'argument de l'auteur. Il explique que les actes commis par ces divinités, dont
Hercule fait partie, sont très bien connus de tous. En mentionnant les noms mythologiques

Divinités marines.
comme il le fait, l'auteur sait que ses lecteurs connaissent ce que ces divinités ont accompli.

Il ne cherche pas à expliquer ou à interpréter le mythe d'Hercule, mais il l'utilise

simplement comme exemple dans ses énumérations. Les éléments de la geste d'Hercule,

sans être mentionnés, viennent alors s'additionner à ceux des autres dieux qui sont

énumerés afin de démontrer ce que l'auteur chrétien avance.

2.2 Minucius Félix

Dans VOctavius, Minucius Félix utilise le mythe d'Hercule un peu dans le même
contexte. On trouve dans son œuvre deux éléments reliés à la geste du héros qui viennent
appuyer les propos de l'auteur dans son combat contre les païens. L'auteur chrétien tente de
démontrer comment les légendes païennes sont des erreurs.

La première mention du mythe d'Hercule apparaît alors que l'auteur explique


comment la forme extérieure des dieux est ridicule. Il parle d'abord de l'aspect physique
des dieux en évoquant Apollon, Neptune, Minerve et plusieurs autres divinités
(Octavius, XXII, 5), puis il traite de la polymorphie de Jupiter (Octavius, XXII, 6) pour
finalement aboutir aux figures mythiques qui ont sacrifié leur corps afin de devenir
immortelles (Octavius, XXII, 7). Hercule fait partie du dernier groupe :

Érigone s'est pendue au moyen d'un lacet, pour devenir le signe de la vierge
inscrit parmi les astres, Castor et son frère meurent à tour de rôle pour vivre,
Esculape est foudroyé pour ressusciter dans la personne d'un dieu, Hercule est
consumé sur le bûcher de l'Œta pour dépouiller sa nature humaine
(Minucius Félix, Octavius, XXII, 7; traduction de Jean Beaujeu).

L'auteur ne critique pas le fait que ces personnages mythologiques meurent avant d'être

divinisés, il énumère plutôt ceux qui sont morts de façon grotesque. Cette mort prouve qu'il

possédaient un corps. De plus, le fait que leur mort se déroule de façon grotesque montre
8
que les mythes sont ridicules et indignes . Dans l'extrait, l'auteur énumère quelques types

de mort qui n'ont rien de comparable à une mort respectable : la pendaison, le partage

d'une enveloppe corporelle entre deux âmes, un coup de foudre et un bûcher. Les hommes

qui meurent ainsi ne peuvent être reconnus comme vénérables. Il considère donc que la

8
Minucius Félix, Octavius, XXII, 5.
mort d'Hercule est indigne du héros et l'utilise comme exemple pour illustrer son propos. Il

cherche à montrer les éléments mythologiques les plus ridicules afin de convaincre les

païens que leurs dieux ne méritent pas d'être vénérés.

Ces dieux servent plutôt à fournir une autorité aux vices des hommes, car, comme

l'explique l'auteur, les épisodes mythologiques représentent la vie des hommes : leur

combat (Octavius, XXIII, 3), leurs émotions (Octavius, XXIII, 4), leur labeur (Octavius,

XXIII, 5) et leur infidélité (Octavius, XXIII, 6). Minucius Félix use du mythe d'Hercule

une fois de plus en tant qu'exemple pour montrer ce qu'il avance : « Ailleurs on voit

Hercule enlever des ordures et Apollon paître le bétail d'Admète » (Minucius Félix,

Octavius, XXIII, 5). Lorsque l'auteur parle d'« ordures », il fait certainement référence à

l'un des travaux qu'Hercule a accompli. Dans la version latine de l'Octavius, Minucius

Félix rapporte qu'Hercule enlevait du fumier (Lat. stercora). Littéralement, cette mention

renvoie à l'épisode où le héros nettoie les écuries d'Augias. L'auteur banalise ici le travail

extraordinaire du héros et l'associe au travail quotidien exécuté par un fermier, soit nettoyer

ses écuries. Il fait de même pour Apollon qui devient un simple bouvier faisant paître le

troupeau. Ainsi, l'auteur utilise le mythe d'Hercule en tant qu'exemple pour montrer

comment les mythes païens ont été écrits afin de valoriser les actes des hommes. En effet,

en concevant que les dieux et les héros se sont adonnés aux mêmes activités qu'eux, les

fermiers ont pu percevoir l'importance de leurs tâches quotidiennes et se sentir valorisés.

En somme, selon Minucius Félix, le héros et sa geste n'existent que dans le but

d'influencer les pratiquants de la religion gréco-romaine ou dans celui de valoriser leurs

travaux quotidiens. Les dieux et les héros n'étant alors que de simples doubles des hommes

mortels, ils ne méritaient pas d'être vénérés.

2.3 Origène

Chez Origène, les mentions d'Hercule et de son mythe s'inscrivent au sein d'un
combat contre un auteur païen, Celse. Ce dernier attaquait le christianisme naissant par le
raisonnement et associait les idéologies chrétiennes à celles païennes préexistantes afin de
les banaliser et de les rendre ridicules. Ainsi, il associe souvent la geste d'Hercule aux
accomplissements de Jésus. Origène reprend les concepts de Celse ainsi que ses exemples

afin de les réfuter.

On retrouve plusieurs citations de Celse dans l'œuvre d'Origène et quelques-unes de

ces citations mentionnent Hercule. Ces mentions sont pour la plupart des énumérations de

personnages mythologiques gréco-romains qui viennent appuyer les propos de Celse. Par

exemple, il rejette la nature corporelle de Jésus. Selon lui, un dieu ne peut pas avoir possédé
9
un corps, ce qui le rendrait impur et corruptible . Il cherche à comprendre ce qui rend Jésus

si exceptionnel puisque d'autres personnages mythologiques ont été vénérés après s'être

débarrassés de leur enveloppe charnelle. Il apporte à l'appui quelques personnages : « les

Dioscures, Héraclès, Asclépios et Dionysos » (Origène, Contra Celsum, III, 22). Il fait

intervenir une autre fois ces personnages dans la même optique :

[Origène] Alors soupçonnant la défense qu'on lui opposerait, il dit du


changement du corps de Jésus : [Celse] Mais, une fois déposée cette chair, peut-
être sera-t-il devenu Dieu ? Et pourquoi pas plutôt Asclépios, Dionysos,
Héraclès ? (Origène, Contra Celsum, III, 42 ; trad. Marcel Borret)

De fait, puisque les chrétiens élèvent Jésus, un homme, au rang de dieu après sa mort, il
peut en être de même pour les adeptes du paganisme dans le cas d'Asclépios, de Dionysos
et d'Hercule. Celse convient même que ces divinités ne pouvaient pas plaire à tout le
monde. Au lieu d'Hercule et d'Asclépios, il suggère quelques autres possibilités parmi les
héros gréco-romains (Origène, Contra Celsum, VII, 53). Ces personnages mythologiques
gréco-romains partagent des caractéristiques avec Jésus Christ : ils ont connu une fin
10 11
atroce, tels les martyrs , ils ont enduré des souffrances avec courage ou ils ont un don
12
pour prédire l'avenir en leur qualité d'enfants de D i e u . D'autres sont issus de la tradition

9
Origène, Contra Celsum, III, 42.
1 0
Pour la mort violente : Orphée qui fut mis en pièce par les Bacchantes (cf. Platon, La République, 620 a) et
Anaxarque, maître de Pyrrhon et initiateur du scepticisme, qui fut jeté dans un mortier (Clément
d'Alexandrie, Stromates, IV, 56, 4).
11
Pour l'endurance devant la souffrance: Épictète qui avoue lui-même son infirmité (cf. Epictète, Les
entretiens, 1, 8, 14). Celse est toutefois le seul auteur à affirmer que ce handicap est dû à son maître.
12
Pour la divination : la Sibylle qui livrait des oracles (sur le fonctionnement des oracles cf. Georges Roux,
Delphes, son oracle et ses dieux, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 53-164). De plus, il semble que certains
chrétiens lui reconnaissaient un pouvoir de prédication et la consultaient (les sibyllistes
cf. Hippolyte, Philosophumena, V, 16, 1).
13
juive et ont accompli des actions prodigieuses . Pour Celse, ces personnages gréco-

romains ou juifs mériteraient autant de reconnaissance que le prophète choisi par les

chrétiens. Comme le fait remarquer Origène dans son ouvrage, Celse se moque de la

doctrine chrétienne en comparant des épisodes mythologiques gréco-romains aux actes de


14
J é s u s . Il cherche ainsi à dévaloriser le christianisme et à le rendre moins crédible.

Plus loin, Celse critique le fait que Jésus n'ait pas obtenu vengeance. Alors que ce

dernier a été crucifié et torturé, les responsables de ces actes n'ont rien eu à souffrir. Il

explique que ceux qui auraient insulté en personne Dionysos ou Hercule n'auraient pas eu

autant de chance ; ils auraient probablement été frappés par la mania de Dionysos ou par la
15
force d'Hercule .

Hercule apparaît dans le discours de Celse en tant qu'exemple afin d'appuyer les

propos de ce dernier. Si l'auteur païen le choisit, c'est sans aucun doute pour la grande

popularité du héros. De fait , Hercule et sa geste sont connus de tous dans l'Empire. Qui

plus est," cette geste, si bien connue, s'apparente de très près aux accomplissements de

Jésus. Comme Celse cherche à discréditer le christianisme aux yeux de ses adeptes et des

autres gens de l'Empire, il met de l'avant les traits communs de la geste d'Hercule et des

autres personnages mythologiques et les compare aux actes si glorieux de Jésus. Il convainc

ainsi ses lecteurs que Jésus n'était pas le seul thaumaturge et non plus le premier mort

martyr.

Dans le Contre Celse, Origène répond aux critiques. Il mentionne Hercule pour la

première fois alors qu'il veut expliquer que la divinisation du héros gréco-romain n'a rien à

voir avec la résurrection du Christ. Il énumère d'abord quelques héros qui sont descendus

dans l'Hadès et qui en sont revenus :

[Celse] pense que les héros, se rendant invisibles pour un temps, se sont
dérobés à la vue de tous les hommes, et qu'ensuite ils se sont montrés, comme
s'ils étaient revenus de chez Hadès, Car telle semble bien être sa pensée quand il
parle d'Orphée chez les Odryses, de Protésilas en Thessalie, d'Héraclès à
Ténare, et encore de Thésée ; eh bien donc, prouvons qu'il n'est pas possible de
leur comparer ce qu'on raconte sur la résurrection de Jésus d'entre les morts.

Parmi ceux qui ont c o m m i s des exploits prodigieux dans la Bible, Celse mentionne précisément Jonas, sous
le ricin (cf. livre de Jonas), et Daniel, échappé aux fauves (cf. livre de Daniel).
14
La remarque d ' O r i g è n e au sujet des moqueries de Celse, cf. Contra Celsum, VII, 57.
15
Origène, Contra Celsum, VIII, 4 1 .
[...] Mais Jésus fut crucifié devant tous les juifs, son corps fut descendu de la
croix à la vue de leur peuple : comment peut-on dire qu'il a imaginé une fiction
analogue à celle des héros légendaires descendus chez Hadès et remontés de
là-bas ? (Origène, Contra Celsum, II, 56 ; traduction de Marcel Borret)

Celse explique que tous ces héros auraient pu se dérober à la vue des hommes pendant un

certain temps afin de faire croire à leur descente aux Enfers. Il inclut probablement parmi

eux Jésus qui, à l'aide d'une ruse, aurait fait croire à sa visite dans le monde des morts.

Celse insinue que Jésus n'est pas réellement ressuscité d'entre les morts. Il ébranle ainsi le

fondement de la foi chrétienne. Origène rétorque que Jésus n'aurait pas pu accomplir ce

subterfuge puisque ce dernier fut tué sur la croix devant une foule de témoins.

Hercule devient un de ces héros qui ont disparu pendant un temps pour faire croire à

leur visite chez Hadès. Il sert d'exemple pour appuyer les propos de Celse. On remarque

cependant qu'Hercule, comme les autres héros qui sont énumérés avec lui, quitte le

domaine mythique pour entrer dans le monde réel. Probablement parce qu'il est associé à la

figure du Christ qui a une assise historique, Hercule devient lui aussi un homme véritable

qui a été divinisé après sa mort (Origène, Contra Clesus, III, 22). Alors que Celse explique

que ces hommes furent divinisés pour les généreux services qu'ils ont rendus à
16
l'humanité , Origène veut démontrer le contraire en exposant leurs comportements

condamnables :

[Origène] Je montrerai qu'il est impossible que ces hommes soient parvenus au
rang des dieux et se soient trouvés, après leur départ d'ici-bas, dans un lieu et
une condition supérieurs, en rapportant à leur sujet les histoires où sont décrits
la licence effrénée d'Héraclès et son esclavage efféminé auprès d'Omphale [...]
(Origène, Contra Celsum, III, 22 ; traduction de Marcel Borret)

Pour Origène, Hercule est un être sans morale qui s'adonne à la luxure et qui ne méritait

pas d'être divinisé à cause de ses mauvais actes :

[Origène] Puisqu'il nous renvoie à Héraclès, à lui de nous présenter quelques


traits mémorables de ses paroles, et de justifier son indigne esclavage auprès
d'Omphale ! À lui de montrer que c'était mériter les honneurs divins que de
s'emparer de force comme un brigand du bœuf d'un laboureur, de le dévorer et,
tout en mangeant, de prendre plaisir aux injures qu'il recevait du laboureur, si

16
Origène, Contra Celsum, III, 22.
bien qu'on rapporte jusqu'à ce jour que le sacrifice offert au démon d'Héraclès
s'accompagne de certaines malédictions (Origène, Contra Celsum, VII, 54 ;
traduction de Marcel Borret).

Dans le premier extrait, l'auteur fait allusion à l'épisode d'Hercule chez Omphale. Il

critique d'abord l'activité sexuelle du héros, puis sa féminisation. Il s'agit ici de deux traits

qui montrent l'amoralité du héros. Le héros se livre librement à ses passions avec plusieurs

femmes, ce qui le rend définitivement impur. L'auteur rappelle l'épisode, dont nous avons

déjà discuté, où Hercule, esclave d'Omphale, doit accomplir des tâches qui reviennent aux

femmes et où les deux amants échangent leurs vêtements, ce qui féminise le héros.

L'addition de ses deux éléments montre l'amoralité et l'absurdité du héros qui est soumis à

ses passions. Il ne méritait donc pas d'être vénéré par les hommes.

Dans le second extrait, il évoque un autre épisode de la geste d'Hercule qui ne lui

aurait jamais valu d'être divinisé : sa rencontre avec le roi Théodamas. Au cours de son

voyage vers Trachis, Hercule traversa le pays des Dryopes, dominé par le mont Parnasse, et

rencontra leur roi Théodamas en train de labourer la terre à l'aide de deux bœufs. Comme il

avait faim et qu'il cherchait aussi un prétexte pour faire la guerre aux Dryopes, Hercule

demanda un des deux bœufs. Théodamas refusa, mais le héros n'en fit qu'à sa tête. Après

avoir abattu le bœuf et s'être rassasié de sa chair, il tua le roi et enleva son fils
17
nouveau-né . En présentant Hercule comme un voleur qui n'éprouve aucun remord face à

ses actes, Origène espère convaincre ses lecteurs de l'amoralité des héros gréco-romains.

Non seulement Hercule se travestit en femme, mais il commet également plusieurs actes

immoraux. Il ne pouvait donc pas recevoir l'honneur d'être divinisé.

Origène parvient à dissocier Hercule de la figure de Jésus Christ et ainsi à

déconstruire l'argumentation de Celse. De fait, parce que les actions de Jésus sont

empreintes d'une vertu exemplaire, il est l'objet d'adoration des chrétiens. Ce qui n'est pas

le cas chez les héros gréco-romains. L'auteur chrétien se sert donc de la geste d'Hercule

afin d'appuyer son argumentation contre Celse. Hercule représente le héros impur et non

vertueux qui fut divinisé sans le mériter. Il est utilisé à titre d'exemple pour aider Origène

dans sa réponse contre Celse.

17
Apollonios de Rhodes nous raconte en deux lignes cet événement pour mettre en contexte la relation entre
Hylas et Hercule. Cf. Apollonios de Rhodes, Argonautique, I, 1200.
2.4 Arnobe de Sicca

Arnobe de Sicca écrit son ouvrage Contre les païens un peu dans le même esprit

q u ' O n g è n e . Il ne réfute pas un ouvrage en particulier, il attaque plutôt la tradition païenne

afin de montrer aux adeptes gréco-romains la suprématie de la religion chrétienne. Puisqu'il

est issu d'un milieu païen, il semble posséder une connaissance assez limité du Nouveau et
18
de l'Ancien testament . Il utilise donc le mythe païen afin d'appuyer son argumentation.
Il mentionne Hercule à quelques reprises dans son ouvrage afin de répondre aux
attaques faites par les païens à l'égard des chrétiens. Ces derniers reprochent aux chrétiens
19
de vénérer un homme qui est mort sur la croix, comme un vulgaire criminel . Arnobe
rétorque alors :

Si cela ne vous ennuie pas, amis, exposez-nous donc quels sont ces dieux qui
croient que notre culte du Christ est injurieux à leur égard: sont-ce [...]
Esculape et Liber pater, le premier, fils de Coronis, et l'autre arraché par un
coup de foudre au sein de sa mère ? [...] Cérès, née sur la terre de Trinacrie, et
Proserpine, enlevée pendant qu'elle cueillait des fleurs ? Hercule, de Thèbes ou
de Tyr, celui-ci enseveli en terre d'Espagne, l'autre brûlé sur le bûcher de l'Œta
? Les Castors, fils de Tyndare, l'un dompteur de chevaux, l'autre bon pugiliste,
imbattable au combat du ceste en cuir brut ? [...] (Arnobe de Sicca, Contre les
gentils, I, 36, 2-5 ; trad. Henri LeBonniec)

Hercule apparaît dans une longue énumération relatant certaines figures mythologiques.

Arnobe multiplie ces figures afin de montrer que les païens vénèrent des dieux qui ont été

soumis à des événements plus absurdes que la crucifixion de Jésus. Plusieurs de ces

personnages sont astreints à des enlèvements, à des naissances fabuleuses, à des morts

atroces ou ils s'adonnent à des activités de cirque, des épisodes qui sont tous

condamnables selon l'auteur.

Arnobe de Sicca se convertit au christianisme vers l'âge de soixante ans, après avoir enseigné la rhétorique
à Sicca Veneria (Afrique proconsulaire). Il reçut et transmit une éducation conforme à la tradition païenne,
sans j a m a i s n'être entré en contact avec les écritures juives. C'est probablement pourquoi le rhéteur appuie
son argumentation sur des exemples issus de la tradition païenne.
1 9
Arnobe de Sicca, Contre les païens, I, 36, 1.
L'auteur mentionne deux Hercule : un qui provient de Thèbes et qui meurt sur le

bûcher de l'Œta et un autre qui provient de Tyr et qui est enseveli en Espagne. Le premier

est celui qui a accompli les douze travaux dans la tradition gréco-romaine. Il s'agit du héros

hellène qui a débarrassé la terre de plusieurs maux. Il met lui-même fin à ses jours en se

jetant dans les flammes sur le mont Œta, ce qui peut être comparé à de la mort

déshonorante de Jésus sur la croix. Le second Hercule, celui de Tyr, est en fait le dieu
20
Melqart que la tradition romaine a associé au héros g r e c . Les expéditions coloniales

puniques expliquent le grand nombre de temples dressés en son honneur en Espagne et sur
21
la côte africaine. Un temple à G a d è s tirait sa sainteté du fait qu'il gardait les os du dieu
22
Melqart-Héraklès . Arnobe s'appuie probablement sur cette information pour parler de la

mort des nombreux Hercules.

Dans ce passage, l'auteur ne semble pas critiquer le fait qu'il existe plusieurs

Hercules. Il veut simplement montrer que les Hercules vénérés par les païens étaient des

hommes tout comme le Christ. De plus, ses hommes sont décédés comme l'atteste le

temple de Gadès et la tradition gréco-romaine fait mourir Hercule sur un bûcher, ce qui

n'est pas plus honorable que la mort de Jésus.

Ainsi, les païens n'auraient pas dû se moquer de la mort du Christ puisque leurs

propres dieux ne sont pas mors de façon plus digne. Ils reprochent également aux chrétiens

de vénérer un homme. Arnobe explique que les païens ont honoré des hommes pour leurs

grands exploits. Parmi ces hommes se trouve Hercule :

Car si vous avez mis au rang des divinités Liber, pour avoir découvert l'usage
du vin ; Cérès, pour la découverte du pain [...] Hercule enfin pour avoir vaincu
et maîtrisé des fauves, des voleurs, des hydres à cent têtes, de quels honneurs
devons-nous entourer celui [scil. Jésus] qui nous a tirés des grandes erreurs en
nous inculquant la vérité [...] (Arnobe de Sicca, Contre les gentils, I, 38, 1-6 ;
trad. Henri LeBonniec)

Arnobe de Sicca fait une autre énumération d'éléments mythologiques. Cette fois, il évoque

les personnages qui ont mérité d'être honorés par les hommes. Il s'agit d'événements

2 0
Melqart est le dieu phénicien de l'industrie, de la richesse et de la navigation. Il fut considéré par les Grecs
c o m m e l'équivalent d'Hercule. Dans son ouvrage Muséum Etrusque, Lucien Bonaparte croit qu'il s'agit de
l'Hercule qui a a c c o m p a g n é Jason dans sa quête avec les Argonautes (p. 32-34).
2 1
Ancien nom de la ville espagnole Cadix (ou Cadiz).
2 2
Pomponius Mêla, Description de la terre, III, VI.
mythologiques qui ont été bénéfiques pour l'humanité. Il semble que l'auteur fasse d'abord

valoir les actes honorables des dieux gréco-romains pour ensuite faire réaliser aux païens

que Jésus est vénéré pour de meilleures raisons. Il fait de toutes ces divinités des hommes

qui ont réellement vécu tel Jésus et qui ont été déifiés après leur mort. Les païens ne

pouvaient donc pas reprocher aux chrétiens de vénérer un homme puisqu'eux-mêmes

rendaient un culte à des hommes qui ont été divinisés en l'honneur de leurs bonnes actions :

Et d'ailleurs, dites-moi, vous qui riez de nous parce que nous rendons un culte à
un homme mort dans l'ignominie, est-ce que, vous aussi, vous n'honorez pas en
lui dédiant des temples Liber pater que les Titans ont dépecé membre à
m e m b r e ? [...] Le grand Hercule lui-même, ne l'invoquez-vous pas avec des
sacrifices, des victimes et en brûlant de l'encens, lui dont vous contez vous-
mêmes qu'il a été brûlé vif et consumé sur le bûcher ? [...]
(Arnobe, Contre les gentils, I, 4 1 , 1-4 ; trad. Henri LeBonniec)

Les cultes chrétiens en l'honneur de Jésus n'ont donc rien de plus discutable que les rituels
qui ont lieu en l'honneur des dieux païens. Puisqu'Arnobe a déjà démontré que les divinités
païennes ne sont que des hommes qui ont été déifiés après leur mort en remerciement des
bienfaits qu'ils ont apportés à l'humanité, les adeptes de la tradition gréco-romaine
honorent des dieux qui sont comparables au Messie chrétien.

Arnobe fait intervenir Hercule au sein de quelques listes comportant plusieurs


éléments mythologiques afin de répondre aux attaques païennes. L'auteur considère le
héros comme un homme qui a accompli de grands exploits et qui fut vénéré après sa mort.
Sans comparer directement la figure d'Hercule à celle de Jésus, il rapproche l'attitude
religieuse des chrétiens de celle des païens. Il peut ainsi démontrer que les chrétiens
honorent le Christ au même titre que les païens vénèrent leurs divinités.

2.5 Lactance

Élève d'Arnobe de Sicca, Lactance s'adresse à la classe cultivée du monde romain

afin de la convaincre que le christianisme est la seule religion valable et raisonnable.

L'auteur accorde une attention particulière à la figure d'Hercule dans son ouvrage

Institutions divines. Le héros y est dépeint comme un homme ayant accompli de grands

exploits, « mais qui n'a pas purifié le monde pour autant, puisque, tout en détruisant
quelques monstres, ici et là, Hercule souillait l'univers entier de ses débordements et de ses

débauches » (Lactance, Institutions divines, I, 1 , 9 ; trad. Pierre Monat). Contrairement aux

stoïciens, Lactance ne croit pas qu'Hercule ait agi dans le domaine de l'intellect, mais

plutôt dans le monde physique. Il attribue à son mythe une assise historique en

désapprouvant sa valeur morale. Autrement dit, Hercule était un homme en chair et en os


23
qui, malgré les exploits qu'il avait accomplis, n'aurait pas du être vénéré .

Non seulement Lactance explique qu'Hercule était un homme et non un dieu, mais il

qualifie également son culte de sacrilèges. Pour appuyer ses propos, il rapporte les

cérémonies spéciales célébrées à Lindos :


Le rite de ces cérémonies diffère beaucoup des autres puisqu'elles sont
célébrées non pas par des mots porte-bonheur, comme disent les Grecs, mais
par des malédictions et des exécrations, et l'on considère qu'il y a eu
profanation s'il arrive à quelqu'un, au milieu des rites solennels, fût-ce par
hasard, de laisser échapper une parole honnête. (Lactance,
Institution divines, I, 2 1 , 31)
Lactance explique par la suite l'origine de ces célébrations. Il s'agit d'un épisode de la

geste d'Hercule lié à Lindos. Poussé par la faim, Hercule avait, en ce lieu, demandé à un

paysan de lui vendre un de ses bœufs. Ce dernier refusa. Le héros s'empara alors de

l'attelage complet et le dévora avec ses compagnons, tout en s'amusant d'entendre les

injures du paysan. Lorsque les gens de la région décidèrent de lui rendre un culte, Hercule
24
choisit ce paysan comme prêtre . C'est pourquoi les pratiquants du rituel s'invectivent

entre eux : ils imitent le comportement du prêtre lors de sa rencontre avec le héros. Usage

qui, selon Lactance, se rapproche davantage de la profanation que des mystères sacrés.

Après avoir montré l'absurdité d'un rituel effectué en l'honneur du héros, l'auteur

chrétien veut, un peu plus lion, apaiser les craintes des adeptes de la tradition

gréco-romaine. Il rapporte d'autres faits concernant le culte d'Hercule :

On peut aussi faire le compte des profanateurs sur lesquels croit-on, les dieux se
sont vengés, par un châtiment immédiat, de l'injure subie. Le censeur Appius
Claudius, pour avoir confié les mystères d'Hercule aux soins d'esclaves publics
perdit la vue, et la gens des Potitii, qui les avait confiés à d'autres, s'éteignit en

Institutions divines, I, 9, 2 , Ibid., 5-6 et Ibid., 11.


Ibid., 32-35.
l'espace d'une année (Lactance, Institutions divines, VII, 14-15 ;
trad. Pierre Monat).

Alors ils [scil les démons] répandent sur eux [scil les hommes] les ténèbres et
recouvrent la vérité de brouillards pour les empêcher de connaître leur seigneur
et père ; et, pour les surprendre plus facilement, ils se cachent dans les temples,
assistent à tous les sacrifices et suscitent souvent des prodiges qui frappent les
hommes de terreur et les conduisent à faire crédit aux représentations d'un dieu
ou d'une puissance divine. C'est ainsi [...] qu'Hercule s'est vengé d'Appius
(Lactance, Institutions divines, XVI, 10-12 ; trad. Pierre Monat).

Dans le premier extrait, Lactance évoque certains événements reliés au culte d'Hercule.
Alors que certains hommes avaient abandonné l'organisation des festivités en l'honneur du
héros, ce dernier s'est vengé. Ce fait a terrifié plusieurs adeptes de la tradition
gréco-romaine et les a poussés à respecter le héros. Ce passage au sujet d'Hercule n'est
qu'un exemple parmi d'autres châtiments de sacrilèges : l'auteur mentionne également la
colère de Junon, d'Esculape et d'autres personnages (Lactance, Institutions divines, VII,
16-19). L'auteur chrétien fait l'énumération de tous ces événements afin de montrer les
prodiges gréco-romains. Ces phénomènes forcent le respect des païens envers les divinités.

Dans le second extrait, Lactance explique que les châtiments infligés aux profanes
sont l'œuvre des démons qui veulent écarter les hommes du dieu véritable. Hercule n'est
pas ici le démon qui contrôle les prodiges, il s'agit d'un autre démon qui accomplit ces
actes afin de tromper les hommes. Comme le mentionne Lactance, ces démons se cachent
dans les temples pour écouter les prières et, pour convaincre les adeptes de la puissance de
leur faux dieu, ils accomplissent des miracles. Ainsi, les hommes sont trompés et
continuent à croire en un fausse tradition. Hercule et les autres divinités ne sont donc pas
responsables des châtiments qui sont provoqués en leur nom.

Le héros apparaît encore au livre V des Institutions divines. Alors que Lactance
explique comment les dieux modèlent la vie de leurs adeptes, il énumère certains actes
commis par les dieux qui ne devraient pas être imités. Hercule apparaît dans l'énumération
de dieux qui ont commis des actes sexuels débridés :

2 5
Les Potitii s'étaient vu confier par Évandre lui-même la charge de l'Ara M a x i m a et des cérémonies en
l'honneur d'Hercule, dans des circonstances sur lesquelles les témoignages varient (Macrobe, Saturnales, I,
12, 28). Quand ils se déchargèrent de ce culte en le transférant à l'État, ils en furent châtiés immédiatement
(Valère-Maxime, Actions et paroles mémorables, I, 1, 17).
Comment réprimeront-ils leurs désirs voluptueux, ceux qui honorent Jupiter,
Hercule, Bacchus, Apollon et les autres, dont les adultères et les débauches
avec hommes et femmes sont non seulement connus des lettrés, mais encore
représentés au théâtre et célébrés par des chants, si bien qu'ils sont fort connus
de tous ? (Lactance, Institutions divines, V, 10, 16 ; trad. Pierre Monat).

Au même titre que Jupiter, Bacchus, Apollon et d'autres dieux, Hercule a commis des actes
impurs avec des femmes et des hommes. Dans les Institutions divines, Hercule apparaît
comme un modèle impur qu'il vaudrait mieux ne pas suivre. Lactance croit néanmoins que
les adeptes de la tradition gréco-romaine sont condamnés à l'adultère puisque, selon lui,
« l'imitation est le culte le plus religieux que l'on puisse rendre à un dieu » (Lactance,
Institutions divines, V, 10, 1-18). Ainsi, en vénérant le héros, les fidèles s'obligent aux
mêmes fautes que lui.

L'auteur chrétien encourage l'abandon de ce culte qui engage ses adeptes à


commettre des impudicités. Pour lui, renoncer à ces pratiques n'entraine pas de
conséquences dramatiques puisque ce sont des démons trompeurs qui agissent à la place du
héros. De fait, Hercule ne peut pas punir lui-même les adeptes, puisqu'il n'est pas un
véritable dieu. Il est un homme glorifié pour avoir accompli de grands exploits.

Hercule apparaît donc comme un dieu vénéré par les hommes pour de mauvaises
raisons, entre autres la crainte de subir le courroux du dieu, si on abandonne son culte.
Lactance suggère de renoncer à son culte puisque le dieu ne représente pas de bonnes
valeurs et incite à l'impudicité.

2.6 Hippolyte de Rome

La Dénonciation de toutes les hérésies, attribuée à Hippolyte de Rome, tente de

démontrer comment les hérésies chrétiennes découlent des systèmes philosophiques grecs.

Elle expose une série d'épisodes mythologiques qu'elle interprète afin de montrer leur lien

avec les hérésies. Hercule apparaît à deux reprises alors que l'auteur chrétien traite du livre

de Baruch rédigé par Justin gnostique .

2 6
Tout ce qui est connu de Justin gnostique nous est c o m m u n i q u é par Hippolyte de R o m e dans son œuvre
e
Philosophumena. Justin gnostique est un auteur de la seconde moitié du II siècle à qui on doit Le livre de
Baruch, un ouvrage gnostique qui explique l'origine de la triade : esprit, â m e et corps.
La première mention du héros relate la relation qu'Hercule a entretenue avec la
27
femme-serpent alors qu'il était en route vers l'île d'Erythie afin de capturer le troupeau de

bœuf de Géryon .

L'auteur croit que Justin s'est inspiré de cette fable lorsqu'il a rédigé sa théorie de la

génération de l'univers. Ce dernier explique comment trois principes sont à la base de

l'univers : deux masculins et un féminin. Les deux masculins sont appelés Bon et Elohim ;

le premier est doué d'une prescience universelle, le second, qui s'unit au principe féminin,

devient le père créateur de tout ce qui existe. Comme dans l'épisode mythologique qui

précède l'explication, le principe féminin, nommée Eden, est à moitié femme jusqu'à l'aine

et vipère en-dessous. Vingt-quatre anges sont issus de l'union entre Elohim et Eden, plus

particulièrement douze Elohim et douze d'Eden. Alors qu'Elohim et ses anges sont

retenus au ciel auprès du Bon, Eden et ses anges sont abandonnés sur terre. Par dépit de se

voir abandonnée et dans l'impossibilité où elle est d'atteindre l'infidèle lui-même, Eden se

venge sur ce qu'Elohim a laissé sur la terre, c'est-à-dire sur l'esprit qui réside dans

l'homme. Justin donne au problème de l'origine du mal sur la terre une solution : le mal,

sur la terre, vient d'une dispute entre Elohim et Eden .

Il s'agit ici d'un concept commun dans la pensée de plusieurs auteurs gnostiques du

deuxième siècle qui est à la fois philosophique et théologique et qui répond à la question de

l'origine du péché. Le péché, c'est la barrière que doit franchir l'homme pour se reproduire,

pour que subsiste sa race. Par conséquent, il provient d'une frustration et il en résulte une

L'île d'Erythie ou l'île rouge se situait au-delà de l'Ibérie (l'Espagne). Cf. Strabon, Géographie, III, 4 ;
cf. au sujet des voyages d'Hercule en Occident l'ouvrage de Maurice Pezet, Le dieu aux pommes d'or : ou,
Héraklès en Occident : Provence, Languedoc, Espagne méditerranéenne, Maroc, Paris, Seghers, 1978.
2 8
« Hérodote (IV, 8-10) raconte q u ' H e r c u l e , emmenant d'Erythie les génisses de Géryon, arriva en Scythie.
Fatigué du chemin, il se coucha dans un lieu désert pour prendre un peu de repos. Mais, pendant qu'il
dormait, le cheval sur lequel il avait accompli ce long voyage disparut. A son réveil, Hercule chercha son
cheval de tous côtés dans le désert. Il ne le retrouva pas, mais il rencontra dans le désert un être à moitié
semblable à une j e u n e fille et il lui demanda s'il n'avait pas aperçu quelque part son cheval. La j e u n e fille lui
répondit q u ' e l l e savait où se trouvait le cheval, mais q u ' e l l e ne lui donnerait aucune indication avant qu'il se
fût uni d ' a m o u r avec elle. Or, dit Hérodote, la partie supérieure du corps j u s q u ' à l'aine était celle d ' u n e j e u n e
fille, mais toute la partie inférieure, à partir de l'aine, offrait l'horrible spectacle d ' u n e vipère. Dans son ardent
désir de retrouver son cheval, Hercule céda à la monstrueuse j e u n e fille : il la connut et la rendit mère. Puis il
lui annonça qu'elle avait conçu de lui trois enfants à la fois, qui deviendraient célèbres, et il lui ordonna de
donner à ces enfants, à leur naissance les n o m s d ' A g a t h y r s o s , de Gélonos et de Scythes. La monstrueuse
j e u n e fille lui rendit son cheval pour prix de sa complaisance, et il partit en emmenant ses génisses »
(Hippolyte, Philosophumena, V, 25 ; trad. d ' A n d r é Siouville).
29
Cf. A. Siouville dans sa note 1 (p. 202) à Hippolyte, Philosophumena.
30
frustration . De fait, l'homme n'existe pas sans reproduction, c'est-à-dire sans péché, et,

l'ayant commis, il se voit souillé. Ainsi, le seul moyen qui est attribué à l'homme pour

obtenir son salut est celui de retourner vers le principe de vie, c'est-à-dire le Bon chez

Justin gnostique.

Pour sauver les hommes des mauvais anges de la création, Elohim se choisit alors

un prophète. Ici apparaît le deuxième épisode mythologique relié à Hercule qui est dû à

Justin gnostique et non à Hippolyte :

[...] ce fut Hercule, qu'il envoya combattre et vaincre les douze anges d'Éden
et délivrer le Père des douze mauvais anges de la création. Ce sont les douze
travaux d'Hercule, travaux qu'il a accomplis dans leur ordre, depuis le premier
jusqu'au dernier, en abattant successivement le lion, l'hydre, le sanglier et le
reste. Ce sont là des noms fictifs, inventés par les Gentils pour exprimer
allégoriquement l'activité particulière de chacun des anges de la Mère. Hercule
semblait définitivement victorieux, quand Omphale, qui n'est autre que Babel
ou Aphrodite, l'attira dans ses liens, et, l'ayant séduit, le dépouilla de sa force,
qui consistait dans les commandements qu'Élohim avait donnés à Baruch ; en
échange, elle le revêtit de sa propre robe, c'est-à-dire de la puissance d'Éden,
qui est la puissance d'en bas. C'est ainsi qu'échouèrent la mission prophétique
et les travaux d'Hercule (Hippolyte, Philosophumena, V, 26 ; traduction
d'André Siouville).

31
Ainsi, Hercule devient l'envoyé de Dieu afin de libérer l'esprit des h o m m e s des mauvais

anges d'Éden. Il avait également reçu la mission prophétique de répandre les

commandements du Père . Hercule échoue malheureusement dans ses deux missions ; il

est séduit par Omphale, envoyée d'Éden, et cette dernière le convertit. Soumis aux

puissances de la terre, le héros devient leur serviteur. En dépit des douze travaux qui furent

accomplis, la défaite d'Hercule repose sur le fait qu'il n ' a pas su résister aux séductions

d'Éden.

La puissance de la terre envoie à Hercule une femme, Omphale, afin de soumettre le

héros à ses volontés. Au moment de présenter l'intermédiaire d'Éden, l'auteur fait une

association intéressante entre deux figures féminines gréco-romaines et une judéo-

chrétienne : Omphale, Aphrodite et Babel. Aphrodite et Omphale sont plus faciles à

3 0
Cf. à ce sujet Robert M. Grant, Gnosticism, N e w York, A m s Press, 1978, p. 9 3 .
3 1
L'esprit des h o m m e s , le 7tv£t>ua, est associé au Père, Elohim. Le Père se trouve ainsi à l'intérieur de chacun
des hommes. Cf. A. Siouville dans sa note 1 (p. 202) à Hippolyte, Philosophumena.
3 2
Les commandements furent donnés à Baruch, l'ange de la vie, afin que ce dernier les transmette à Moïse.
associer entre elles. Aphrodite est la représentation gréco-romaine de l'amour et de la

séduction ; Omphale est la femme lydienne qui a gardé Hercule chez elle pendant de

nombreuses années, d'abord comme serviteur, puis comme amant. Les légendes racontent

que c'est grâce à ses charmes que la Lydienne a retenu le héros près d'elle. C'est donc leur

pouvoir de séduction qui permet aux deux figures gréco-romaines d'être unies l'une à
33
l'autre. Pour sa part, Babel, qui peut également être appelée Babylone , représente

symboliquement la société gréco-romaine décadente et corrompue. Elle apparaît au chapitre


34
dix-sept de l'Apocalypse de Jean sous les traits d'une femme . Babylone est une prostituée

portant tous les vices de la terre dans ses mains et dans son être ; elle est celle qui pousse à
35
la débauche et à la perversion . Ainsi, comme les deux premières figures féminines

susmentionnées, Babel ou Babylone possède un pouvoir de séduction qui détourne les

adeptes en les entraînant sur la voie de la corruption et de la perversion, c'est-à-dire vers le

pouvoir de la terre. Le pouvoir de la terre, qui est également celui d'Eden, est raconté à

l'aide de la mythologie gréco-romaine. Selon Justin gnostique, pour comprendre le message

de cette dernière, il nous faut l'interpréter.

Pour Justin gnostique, Hercule est une partie du plan divin. Elu par le Père, le héros

gréco-romain devient son combattant. On assiste ici à une réinterprétation du mythe

d'Hercule. Alors que le héros gréco-romain était un esclave au service du roi de Tirynthe et

qu'il fut forcé d'accomplir douze travaux pour expier ses fautes, Justin en fait un élu divin

qui débarrasse la terre des mauvais anges. L'auteur s'approprie le mythe dans la mesure où

il le fait adhérer à des principes chrétiens : le héros est extrait de sa tradition d'origine, la

tradition gréco-romaine, et entre dans un autre contexte, celui chrétien. Hercule prend alors

3 3
Le terme akkadien Bâb-ili (La porte du Dieu), Bâb signifiant « porte » et il, « Dieu » a d o n n é Babel.
D'autres étymologies ont été données, notamment bab-'el (la cité de Dieu). Pour sa part, le nom pré-sumérien
Babulu sera repris par les Akkadiens (bab-ilâni, « la Porte des Dieux »). Plus tard les Grecs vont traduire ce
nom en Babylon, terme qui sera emprunté par les Européens pour désigner la ville de Babylone (cf. articles
Babel et Babylone : F. Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, R. Laffont, 2 0 0 1 ,
p.111-115).
3 4
« Et j e vis une femme assise sur une bête écarlate, couverte de n o m s blasphématoires, et qui avait sept têtes
et dix cornes. La femme vêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle
tenait dans sa main une coupe d'or pleine d'abominations : les souillures de sa prostitution. Sur son front un
nom était écrit, mystérieux : Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre. »
(Apocalypse de Jean, 17, 3-5)
3 5
Dans l'Apocalypse de Jean, la prostituée, appelée Babylone, est associée à l'Empire Romain et à sa culture
corrompue. Elle est opposée au peuple d'Israël et à sa cité Jérusalem, la femme juste. A ce sujet cf.
Barbara R. Rossing, The Choice between Two Cities, p. 62-97'.
la valeur symbolique du héros ayant libéré la terre du mal et le reste de sa geste tombe dans

l'oubli.

Si Justin fait l'exégèse du mythe d'Hercule, il en va tout autrement pour Hippolyte.

Alors qu'il tente de montrer que l'hérésie de Justin découle d'un mythe gréco-romain, il fait

intervenir un épisode de la geste d'Hercule qui ressemble à certain concept de Justin.

L'auteur distingue dans le concept de Justin trois principes : l'être suprême appelé le

Bon, un côté masculin, Elohim, et un côté féminin, Eden. Elohim ne possède pas de

caractéristiques physiques particulières, Hippolyte se permet de lui attribuer un corps

humain. Par contre, Éden possède le corps d'une femme de la tête jusqu'à l'aine et, de

l'aine jusqu'au sol, elle possède un corps de serpent. Eden présente les mêmes

caractéristiques physiques que la fille-serpent dans la légende d'Hercule. Hippolyte associe

donc Eden à la fille-serpent qui a aidé Hercule à trouver son cheval.

En s'unissant, Eden et Elohim ont créé les hommes. Il s'agit d'un autre trait partagé

entre le concept de Justin gnostique et la légende d'Hercule et de la fille-serpent ; de

l'union de ces deux derniers naissent trois lignées d'homme. Tout comme Eden et Elohim

sont les créateurs de la race humaine, Hercule et la fille-serpent sont fondateurs de trois

races également. C'est ce qui permet à Hippolyte d'associer un épisode de la geste

d'Hercule au concept de Justin gnostique.

L'auteur des Philosophumena ne cherche pas à interpréter ou à analyser le mythe

concernant le héros, il l'utilise simplement en tant que preuve de ce qu'il avance. Puisque

l'explication de Justin touchant la génération de l'univers se rapproche de l'épisode

d'Hercule et de la fille-serpent, les propos de Justin découlent bel et bien des mythes gréco-

romains. Ils sont donc hérétiques aux yeux de notre auteur. De ce fait, on peut croire qu'il

rejette le mythe gréco-romain autant que l'hérésie qu'il lui attache, mais rien ne se trouve

dans les propos de l'auteur qui vienne confirmer cette hypothèse.


Conclusion

Afin de prouver l'impureté des dieux, Cyprien de Carthage, Origène, Lactance et


Minucius Félix entourent Hercule d'un groupe de divinités qui partagent les mêmes actes
impurs. Ils donnent ainsi un impact plus grand à leur argumentation.

Minucius Félix interprète un élément de la geste d'Hercule en le ramenant à une


activité ordinaire : il associe un des travaux d'Hercule à une tâche appartenant au quotidien
des hommes. Il montre alors que les travaux d'Hercule reflètent les travaux quotidiens et
que les hommes cherchaient à valoriser leur travail en divinisant un homme qui les avaient
accomplis. Ainsi, Hercule ne méritait pas d'être honoré d'avantage qu'un fermier.

Un autre auteur veut montrer qu'Hercule ne méritait pas d'être élevé au rang de
dieu. En réponse à Celse qui préfère Hercule à Jésus, Origène veut montrer les épisodes
mythologiques qui ne devraient pas permettre aux dieux païens d'être vénérés. Origène
énonce certains éléments de la geste d'Hercule qui lui apparaissent indignes d'un être
vénéré par les hommes : il mentionne la période d'esclavage en Lydie où Hercule apparaît
efféminé et l'épisode où Hercule dévore un bœuf devant son propriétaire devenant un
voleur sans remords. L'auteur cherche à dresser un portrait très sombre du héros afin de
montrer qu'il ne méritait pas d'être vénéré.

Au contraire, chez Arnobe de Sicca, Hercule semble mériter les honneurs divins au
même titre que Jésus. Alors que l'auteur chrétien réplique aux attaques païennes, il ne
cherche pas à critiquer le mythe d'Hercule. Il essaie simplement de rapprocher l'attitude
religieuse païenne de celle des chrétiens afin de valoriser le christianisme.
e
Enfin, on distingue une dernière tendance chez un auteur du III siècle, celle de
l'association du mythe gréco-romain à une hérésie chrétienne. L'auteur des
Philosophumena croit que chaque hérésie découle d'un principe gréco-romain. Il fait
apparaître Hercule alors qu'il parle de la théorie de l'univers de Justin gnostique. Il fait
d'Hercule le père de la création alors que ce dernier s'unit à la fille-serpent, tel Elohim qui
s'unit à Éden chez Justin gnostique. Il est impossible ici de déterminer si l'auteur des
Philosophumena critique le mythe gréco-romain en même temps que la théorie de Justin.
Nous pouvons cependant croire qu'il utilise le mythe en tant qu'instrument de comparaison

parce qu'il appartient à un bagage culturel commun.

L'auteur des Philosophumena nous permet également de constater l'effort

d'allégorisation que fait Justin gnostique alors qu'il introduit Hercule dans le plan d'Élohim

afin de débarrasser le monde des douze mauvais anges. Il nous présente une façon bien

particulière de comprendre les douze travaux d'Hercule ainsi que la déchéance du héros

après leur accomplissement : il s'agit en fait d'un échec de la part d'Hercule. Cet échec doit

cependant être compris dans une perspective chrétienne.


e
Les apologistes du III siècle cherchent à défendre le christianisme contre les

attaques païennes. Hercule intervient surtout dans les combats liés à la nature humaine des

divinités. Par la sélection de quelques épisodes mythologiques, les auteurs chrétiens

montrent que le héros n'aurait pas dû être vénéré. Ils traitent surtout de son impudicité et

des mauvais actes qu'il a accomplis. Seul Arnobe de Sicca semble plus prudent dans son

discours ; il ne relève pas les actes immoraux du héros, il tente simplement d'établir un

rapprochement entre l'attitude religieuse païenne et celle chrétienne. Son attitude est

probablement due au fait qu'il possède des connaissances limitées de l'Ancien et du

Nouveau Testament.
Chapitre 3

e
Les auteurs du I V siècle : Hercule et l'installation définitive du christianisme au sein
de l'Empire romain

e
L'Empire romain entre dans le I V siècle sous la férule de Dioclétien (284-305) qui

veut rétablir l'administration impériale. Cette restauration prend deux formes. La première

est politique. Dioclétien divise l'Empire en quatre parties qu'il met sous la direction de

quatre gouverneurs. Il instaure un État totalitaire et policier où la justice se montre de plus

en plus dure. La seconde forme de restauration est religieuse. Le culte de l'empereur atteint
son apogée, car l'adoration du souverain fait désormais partie du cérémonial de la cour.
e e 1
Comme aux II et III siècles, les chrétiens refuseront tout de même de s'y soumettre .

Alors que Dioclétien s'était montré tolérant envers les chrétiens au début de son

règne, le refus des soldats chrétiens d'accomplir les rites du culte impérial trouble

l'empereur. Ainsi, en 303, il prit la décision de détruire les Églises et les Écritures, L'année

suivante, il ordonna une persécution générale qui s'avéra la plus sanglante de l'histoire de
t T

l'Eglise et surtout la plus longue puisqu'elle perdura après sa mort (313) .


Alors que Dioclétien avait abdiqué en 305, le système politique qu'il avait instauré
se disloque en 306. Sept empereurs sont alors à la tête de l'État et luttent les uns contre les
autres pour obtenir le pouvoir. Constantin (306-337), fils de Constance Chlore - l'un des
quatre gouverneurs nommés par Dioclétien - et de la chrétienne Hélène, parvient toutefois à
gagner le pouvoir en occident. Il adopte comme signe de ralliement le monogramme du
Christ après sa victoire contre son dernier rival.
L'Orient est depuis un moment sous l'administration de Galère (250-311) qui avant
de mourir (311) accordera là tolérance aux chrétiens. Son successeur, Licinius (308-324), et
Constantin se mettront d'accord en 313 pour reconnaître une entière liberté de culte à tous
les citoyens de l'Empire (édit de Milan).
Dès lors, les chrétiens ont liberté de culte et l'Église peut s'épanouir au grand jour.
Le christianisme n'est toutefois pas entièrement installé au sein de l'Empire. Il faut attendre
er
le règne de Théodose 1 (379-395) pour voir l'interdiction du paganisme s'abattre sur
3
l'Empire et pour proclamer le christianisme religion d'État (391) .
Avant que l'Église ne soit définitivement installée au sein de l'Empire, il faut
continuer à valoriser le christianisme aux yeux des empereurs et des païens, car la tradition
païenne est toujours admise comme religion d'État après la mort de Constantin. Ainsi le
paganisme peut connaître un renouveau. C'est ce qui se produit sous
Julien l'Apostat (361-363). Descendant de Constantin, il est choisi pour remplacer son
frère, Gallus, au poste de César. Se montrant un stratège compétent, il ne tarde pas à
acquérir le pouvoir sur l'Occident et l'Orient. Il révèle rapidement sa préférence pour les
traditions romaines ancestrales et son mépris pour le christianisme. Il ne marque toutefois

1
Jean C o m b y , Pour lire l'histoire de l'Eglise, p. 4 9 - 5 1 .
2
Guy Bedouelle, L'histoire de l'Église, p. 6 1 .
3
Ibid, p. 6 3 .
pas de préférence religieuse dans l'administration de l'État comme l'avait fait avant lui
e
Magnence l'usurpateur (350-353). Ainsi, la résistance est forte au IV siècle, mais elle ne

parvient toutefois pas à ralentir le mouvement chrétien.

A cette époque, plusieurs auteurs chrétiens chercheront à défendre leur foi contre

les attaques païennes. Parmi ceux qui ont évoqué Hercule dans leurs œuvres, mentionnons

Eusèbe de Césarée qui s'emploie à réfuter les écrits païens contre les chrétiens, entre autres

ceux de Porphyre, ainsi qu'Athanase qui a écrit plusieurs apologies. Pour sa part,

Firmicus Maternus cherche non seulement à valoriser le christianisme auprès de Constant

et Constance II qui sont les successeurs de Constantin, mais également à convaincre les

empereurs d'abolir le paganisme. Il fait intervenir Hercule à cette fin.


e
Les chrétiens gagnent une certaine assurance au I V siècle. Les Pères de l'Église se

permettent d'intervenir dans l'administration de l'Empire et donnent ouvertement leur


4
opinion concernant certaines injustices sociales et les crimes politiques . Les chrétiens

poussent davantage les réflexions théologiques. Plusieurs controverses occupent les


5
adeptes, entre autres l'arianisme et le schisme donatiste . C'est à travers les nombreux

combats que la doctrine chrétienne va se fixer. Épiphane est l'un des auteurs chrétiens qui

prirent part à la chasse aux hérétiques dans ses ouvrages Ancoratus et Panarion. Les cultes

et les rituels vont également se développer. De fait, les pèlerinages et les cultes rendus aux

martyrs gagnent en popularité. Les Pères de l'Église veulent partager leur expérience et

inspirer les chrétiens. Ainsi, Grégoire de Nazianze a laissé plusieurs ouvrages

autobiographiques et il mentionne Hercule dans le De vita sua.


e
Nous verrons donc l'utilisation d'Hercule chez ces différents auteurs au I V siècle.

3.1 Firmicus Maternus

Firmicus Maternus a rédigé le De errore profanarum afin de convaincre Constant et

Constance d'abolir définitivement les cultes païens au sein de l'Empire. Il cite en exemple

les cultes mystériques de Cybèle, de Mithra et de Bacchus qu'il qualifie de contrefaçons

frauduleuses et diaboliques des symboles du mystère chrétien. Il mentionne à quelques

4
Guy Bedouelle, L'histoire de l'Église, p. 6 3 .
5
Ces controverses conduisent l'empereur Constantin à organiser le Concile de Nicée en 325 et l'empereur
er
Théodose 1 celui de Constantinople en 381 (Jean Comby, Pour lire l'histoire de l'Église, p. 97-100)
reprises Hercule alors qu'il explique en quoi les divinités païennes n'auraient pas dû être

élevées au rang de dieux.

Le personnage mythologique apparaît d'abord parmi les divinités qui se sont épris

déjeunes garçons :

Qu'on aille chercher Ganymède sur le sein de Jupiter, qu'on regarde Hercule
quêtant Hylas avec une ardeur impatiente, qu'on apprenne le désir dont fut
possédé Apollon pour Hyacinthe ! (Firmicus Maternus, De errore
profanarum, XII, 2 ; traduction de Robert Turcan).

Ces divinités, qui, comme il le mentionne lui-même, sont passibles de punition selon les
5
lois romaines , ne méritent pas d'être honorées par les hommes ; elles servent d'excuses
aux hommes qui commettent ces mêmes écarts. Pour donner plus d'impact à son
argumentation, l'auteur chrétien mentionne plusieurs divinités connues de ses lecteurs, car
loin de ne posséder qu'un exemple de dieux libertins, la mythologie gréco-romaine en
7
regorge .

Elle abonde également en divinités qui ont connu la mort :

Mais dans cette légitimation même des méfaits, dans cette confession même des
crimes, nous avons lieu de rendre grâce à ceux qui nous ont révélé, à nous qui
les ignorions, même la fin et la mort de pareils « dieux » ! [...] Sparte met au
tombeau Castor et Pollux, Hercule flambe sur l'Œta, Esculape est foudroyé
ailleurs (Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 8 ; traduction de
Robert Turcan).

On peut discerner ici l'ironie de l'auteur chrétien lorsqu'il explique comment les divinités
gréco-romaines trouvent la mort au bout de tous les crimes qu'elles ont commis. De fait,
elles ne méritaient rien de moins. Les hommes ne devraient donc pas les honorer de
8
sacrifices et de prières .

Dans ces deux extraits, Firmicus Maternus n'appuie pas ses propos sur le seul
exemple d'Hercule lorsqu'il le mentionne. Il l'ajoute à une série de divinités qui ont connu
le même destin que lui, soit celui d'avoir aimé des jeunes hommes et celui d'avoir trouvé la

6
Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 2.
7
Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 2.
8
Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 8.
mort après avoir commis toutes ces méfaits. C'est donc le nombre de dieux énumérés qui

vient ajouter du poids à l'argumentation et non pas le seul nom d'Hercule.

Firmicus Maternus traite cependant une fois plus spécifiquement du mythe

d'Hercule dans le De errore profanarum. Alors qu'il cherche à montrer la perfidie des

dieux, il introduit un élément de la geste du héros :

Désire-t-on les biens d'autrui ? Veut-on se satisfaire aux dépens de la vie même
du propriétaire ? Voyez comment Hercule assassina Géryon et lui vola ses
bœufs ibériques ! (Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, XII,
5 ; traduction de Robert Turcan).

L'auteur chrétien interprète le mythe de manière à montrer les dieux sous leur pire aspect :

il fait d'Hercule un assassin. Or, selon la geste du héros, ce dernier en tuant Géryon

débarrassait la terre d'un géant à trois têtes. Firmicus Maternus veut donc dresser un

portrait plus noir de la figure d'Hercule afin de dévaloriser ses exploits.

11 fait d'Hercule un instrument de son argumentation contre les pratiques païennes.

D ' u n e part, il présente les impiétés du héros ainsi que la manière dont il fut puni pour les

avoir commises ; d'autre part, il réinterprète un épisode de sa geste afin de le rendre

inacceptable aux yeux des adeptes de son culte. En s'appropriant ainsi le mythe, il l'associe

à son combat contre le paganisme.

3.2 Athanase

On attribue à Athanase d'Alexandrie la rédaction de quatre ouvrages apologétiques.

Il mentionne Hercule dans l'un d'entre eux, le Contre les gentils. Dans cette œuvre,

Athanase cherche à montrer l'immoralité des dieux gréco-romains et cite à l'appui plusieurs

épisodes mythologiques.

Lorsqu'il reproche à Zeus ses nombreux adultères, l'auteur dresse une liste des
9
enfants qui sont issus de ces actes impurs . Hercule apparaît dans la liste de ceux qui sont

nés d'une union adultère. Tous les noms qui figurent sur cette liste sont bien connus des

9
Athanase, Contra gentes, 12.
lecteurs : Dionysos, les Dioscures, Hermès, Persée ; seule Soteira est moins commune

Même si le personnage de Soteira n'est pas connu de toutes les traditions, il élargit le

groupe des personnages mythologiques qui ont Zeus pour père, tout comme Hercule. En

fait, le nombre de personnages mythologiques issus des adultères de Zeus est frappant et il

donne de l'importance à l'argument qu'avance l'auteur. Ainsi, le nom d'Hercule s'ajoute

tout simplement au nombre des autres divinités pour donner plus d'impact à l'argument

d'Athanase. L'auteur fait également une remarque à propos de ces enfants illégitimes : ils

ont été déifiés pour justifier les actes sexuels de leur père Zeus.

Ces dieux ne méritaient toutefois pas d'être divinisés par les hommes. Selon

Athanase, puisqu'ils sont issus des adultères de Zeus, rien de bon ne peut provenir d'eux.

En exemple, il cite un épisode de la geste d'Hercule : celui de son esclavage chez Omphale.

L'auteur rappelle comment le héros semblait ridicule soumis à la reine lydienne et

comment il s'adonne, comme son père, au plaisir de la chair. Soumis à un amour

déraisonnable, Hercule ne méritait pas d'être vénéré. De fait, puisqu'il avait commis des

actes sexuels, il ne pouvait pas être un modèle pour les hommes.

Hercule apparaît de nouveau en exemple parmi d'autres personnages

mythologiques, alors que l'auteur critique le caractère divin des dieux. Il explique que

plusieurs d'entre eux ont été blessés et que cela n'aurait pas pu se produire si les dieux

avaient été de véritables divinités. Pour appuyer sa thèse, il mentionne une série de dieux

qui furent blessés : Aphrodite et Ares par Diomède, Héra et Hadès par Hercule, Dionysos
11
par Persée et enfin Athéna par A r c a s , Puisque les divinités gréco-romaines peuvent être

blessées, elles ne peuvent être que des mortels, faibles et vulnérables. Ainsi, les hommes ne

devraient pas les vénérer, car elles ne méritent pas d'être admirées. Il vaudrait

probablement mieux vénérer les hommes qui ont blessé les divinités.

Dans le Contre les gentils, alors qu'il cherche à faire abolir les cultes rendus aux

dieux gréco-romains, Athanase d'Alexandrie utilise le personnage mythologique d'Hercule

afin d'appuyer ses propos. L'auteur fait des dieux et des héros des êtres mortels qui ne

méritaient pas d'être vénérés. Pour ce faire, il énumère les épisodes mythologiques qui

10
Le terme Soteira apparaît ici d'avantage c o m m e un titre plutôt que c o m m e un nom de Dieu signifiant fille
de Zeus. Il peut donc s'agir par association d'Artémis. Cf. à ce sujet l'ouvrage Pierre Th. Camelot dans sa
note 1 (p. 90), de son édition d'Athanase d'Alexandrie, Contre les païens, Paris, Éditions du Cerf
(Coll. Sources chrétiennes ; 18), 1977.
11
Athanase d'Alexandrie, Contra gentes, 12.
montrent les caractéristiques mortelles des dieux, c'est-à-dire le fait qu'ils peuvent être

blessés. Il expose également les actes peu valeureux des héros et des dieux. Hercule fait

partie de ces énumérations de divinités peu vertueuses et déifiées après leur mort.

3.3 Eusèbe de Césarée

Dans la Préparation évangélique qui se compose de quinze livres, Eusèbe de

Césarée veut prouver que tout ce que les Grecs ont pu dire de bien leur vient de la
12
philosophie des anciens Hébreux . Selon lui, la mythologie grecque relève de traditions

antérieures ; les auteurs grecs n'ont rien créé de nouveau, ils ont simplement adapté et

mélangé certaines légendes égyptiennes et phéniciennes. Avant de commencer sa

démonstration, l'auteur chrétien veut présenter un tableau général des légendes grecques.

En utilisant l'œuvre de Diodore de Sicile, il fait un abrégé de la mythologie grecque

concentré sur les dieux et les héros au livre II de son ouvrage.

Hercule fait partie des héros traités par Diodore de Sicile dans sa Bibliothèque
13
historique . Sa geste est narrée en débutant par sa généalogie jusqu'au moment où le héros
14
se livre aux flammes pour mettre fin à ses j o u r s . Eusèbe introduit cette narration en entier

dans son ouvrage. La geste d'Hercule n'est pas la seule à être racontée dans l'abrégé

d'Eusèbe. Ce dernier débute par la légende de Cadmos, le père de Sémélé mère de Bacchus.

Par la suite, il traite d'une série d'événements reliés à la geste de Bacchus : les muses,

Priape et les bacchantes. Une foule impressionnante de personnages mythologiques se

retrouve dans l'abrégé d'Eusèbe. Il s'arrête aux livres III et IV de la Bibliothèque historique

de Diodore qui reflètent assez bien l'ensemble de la mythologie gréco-romaine. Puisque

l'auteur chrétien cherche à prouver que cette dernière découle d'anciennes traditions, il est

dans l'ordre des choses qu'il cherche à réunir le plus d'éléments mythologiques possibles.

Ainsi, dans le livre II de la Préparation évangélique, l'auteur chrétien cite des

parties intégrales de l'œuvre de Diodore afin de préparer son lecteur à l'analyse qui va

suivre.

12
Selon Eusèbe de Césarée, la philosophie des anciens Hébreux est également préparatoire à la réception de
l'Évangile.
13
Le mythe d ' H e r c u l e constitue le cœur du livre IV de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile.
1 4
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, II, 17-33.
Au livre III, alors qu'il cherche à montrer que les principes philosophiques grecs

découlent eux aussi des anciennes traditions égyptiennes et phéniciennes, Eusèbe se lance

dans le débat de la forme de Dieu. Selon lui, un dieu est un être spirituel qui ne peut être

perçu par aucun sens. Seul l'esprit d'un homme qui est en méditation peut le discerner. Or,

les dieux gréco-romains ont une enveloppe charnelle et peuvent même donner naissance à

des enfants :

L'intellect créateur du Tout, comment, comment jamais pourrait-il être ce Zeus


père de l'Héraclès né d'Alcmène, et des autres fils que la fable lui attribue, qui
ont passé leur vie mortelle comme tous les hommes et laissé à la postérité des
monuments ineffaçables de leur nature personnelle ? (Eusèbe de Césarée,
Préparation évangélique, III, 10, 19 ; trad. E. des Places)

Eusèbe de Césarée emprunte le terme D xcov ôXoov ôrjuioupyiKoç voùç (intellect créateur du Tout)
à la tradition philosophique grecque et l'associe à sa conception de Dieu. Puisque dans la
tradition gréco-romaine Zeus est celui qui règne sur les cieux et les autres dieux, il est
souvent considéré comme le plus important des dieux et donc peut être associé au créateur.
Zeus a donné naissance à plusieurs enfants mi-dieux mi-mortels qui ont tous été vénérés
après leur mort. Comme le mentionne l'auteur chrétien, les enfants de Zeus ont toutefois
vécu en mortels et ont laissé sur la terre la preuve qu'ils étaient bien des hommes, leurs
corps. Eusèbe de Césarée donne ici Hercule comme exemple puisqu'il est un enfant de
Zeus. Le héros est également le modèle de l'homme vénéré après sa mort.

L'auteur poursuit avec les cultes célébrés en l'honneur des objets naturels. Il se
lance dans la critique de Porphyre de Tyr. Ce dernier explique comment les dieux à tour de
15
rôle ont été associés aux astres. Hercule fait partie du n o m b r e . Eusèbe cherche à
comprendre comment ce dernier a pu être associé au soleil :

Comment ensuite pourrait-il (scil. le soleil) être transféré à Héraclès, s'ils


reconnaissent qu'Héraclès est né d'une mortelle, Alcmène ? Comment
deviendrait-il fou furieux et égorgerait-il ses propres enfants, sous prétexte

15
« C o m m e le soleil, par son action bienfaisante éloigne de la terre tous les fléaux que son absence y
produirait, on l'a n o m m é aussi Héraclès, nom formé de deux mots grecs, dont l'un signifie " briser ", et
l'autre Y " air ", parce que dans sa course de l'Orient à l'Occident, il semble briser l'air. Les douze travaux
que la fable attribue à Héraclès ne sont que le symbole des douze signes du zodiaque, division que l'on a
imaginée dans l'orbe céleste. On l'a aussi armé d ' u n e masse et revêtu d'une peau de lion : la massue est le
signe de l'irrégularité de ses mouvements, et la peau de lion est l ' e m b l è m e de la force avec laquelle il darde
ses rayons pendant qu'il parcourt le signe du lion » (Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, III, 11 ;
trad. E. des Places).
qu'on met encore cela au compte d'Héraclès ? Les travaux accomplis par
Héraclès symboliseraient la division céleste du cercle du zodiaque, que le soleil
est dit parcourir. Mais alors que faire d'Eurysthée, s'il doit enjoindre au soleil
comme à Héraclès d'accomplir les travaux ? Comment conduirait-on au soleil
les cinquante filles de Thespios et la foule des autres captives auxquelles la
légende fait s'unir Héraclès et dont les enfants mortels qu'elles lui donnèrent
accrurent si largement la succession de leurs familles ? Qui serait le centaure
dont Déjanire prit le sang pour empoisonner la tunique, si elle devait plonger le
soleil, comme Héraclès, dans le désastre susmentionné ? (Eusèbe de Césaré,
Préparation évangélique, III, 13, 16-17 ; trad. E. des Places)

L'auteur chrétien rejette le concept du philosophe grec. En fait, le soleil fut associé à

plusieurs figures mythologiques dans l'œuvre de Porphyre ; Eusèbe rejette ces associations

les unes après les autres : Apollon, Hercule, Dionysos et Asclépios. Il fait intervenir des

épisodes de la geste de ces héros afin de montrer qu'il est impossible de les identifier au

soleil. En ce qui concerne Hercule, Eusèbe énonce ses origines mortelles, ses crimes, son

maître, ses amantes ainsi que les enfants qui sont issus d'elles et finalement les différents

éléments liés à sa mort. Alors que le philosophe grec fait un rapprochement entre Hercule et

le soleil à l'aide de ce qui symbolise le héros et le rend unique, c'est-à-dire le fait qu'il a

débarrassé le monde de nombreux fléaux en accomplissant douze travaux, l'auteur chrétien

le dissocie en montrant ce à quoi il a été soumis sur la terre. De fait, le soleil, comme astre

physique, ne peut pas avoir de mère mortelle, de maître qui lui dicte sa trajectoire, de

femmes ou d'enfants et il ne peut pas s'éteindre comme Hercule. Eusèbe refuse

catégoriquement l'allégorie physique

Eusèbe ne critique pas ici le mythe d'Hercule, il rejette plutôt l'association que fait

Porphyre entre le héros et l'astre solaire. A l'aide d'éléments mythologiques qui

proviennent de la geste d'Hercule, l'auteur chrétien tente de convaincre ses lecteurs qu'une

telle union est impossible et qu'en somme il est inutile de vouer un culte aux astres qui ne

sont que physiques et matériels.

Toujours dans l'optique de démontrer que la tradition gréco-romaine découle de la

philosophie des anciens Hébreux, l'auteur soulève le problème des oracles au livre V. A
16
l'aide du témoignage d ' Œ n o m a ù s , il veut montrer comment la tradition gréco-romaine

trompe les gens :

1 6
Œ n o m a û s cherche à dénoncer l'activité trompeuse des oracles dans son ouvrage Recueil de prestiges et de
maléfices.
Mais nous aurions dû entrer nous aussi dans le jeu et ne pas nous prendre au
sérieux, afin de ne pas tomber dans la folie générale ; et raconter le marché que
nous sommes allés, par amour de la sagesse, chercher en Asie, auprès de toi,
17
Clarien :

// est sur les terres de Trachis un jardin d'Héraclès


Où tout fleurit, où tous cueillent à longueur de jour,
Sans qu 'il diminue, et qui abonde en eaux intarissables.

A ces paroles, stupide que je suis, je fus, moi aussi, enthousiasmé par Héraclès
18
et son jardin fleuri, car Trachis me faisait rêver d'une sueur hésiodique, et le
jardin fleuri, d'une vie nouvelle et facile. Comme j e demandais si les dieux me
secourraient, quelqu'un de la foule me répondit, en attestant les dieux
secourables eux-mêmes : il jurait avoir appris que tu avais rendu le même
oracle à un certain Callistratos, marchand du Pont. Pour moi, à ces mots, tu
juges de mon indignation, en me voyant frustré par lui de la vertu ; toutefois,
malgré ma colère, je me mis à examiner le marchand, pour voir s'il avait été, lui
aussi, réconforté par Héraclès ; or il me parut prendre de la peine, aspirer au
gain et en attendre une bonne vie. Voyant donc le marchand à égalité avec moi,
je dis adieu à l'oracle et à Héraclès et dédaignai de partager le même sort, en
regardant les peines présentes et les étables en espérance (Eusèbe de Césarée,
Préparation évangélique, V, 22, 1-6 ; trad. E. des Places).

Même si l'oracle mentionne Hercule, Oenomaûs ne cherche pas à critiquer le héros et sa


geste. Il veut plutôt montrer que les traditions rituelles gréco-romaines sont entre les mains
de charlatans qui font espérer en vain les adeptes. Il y parvient à l'aide d'un épisode de sa
vie. Il considère que les oracles ne proviennent pas des démons ou des dieux, mais qu'ils
sont en fait des fraudes et des astuces de charlatans. Oenomaûs explique qu'il fut lui-même
trompé par Apollon Clarien. Il écrit à propos des devins « qu'ils égarent les consultants en
se jouant d'eux par leurs oracles » (Eusèbe de Césarée, préparation évangélique, V, 2 1 , 6).
Il considère donc que les devins sont des charlatans et que les dieux qui sont mentionnés
dans ces oracles ne sont pas en cause.

Cet exposé permet à Eusèbe d'affirmer qu'il n'y a rien de divin dans les oracles.
Bien que ce rituel soit inspiré par les anciens prophètes hébreux, les oracles qui sont rendus

17
Oracle d ' A p o l l o n Clarien, en Asie mineure. Puisque le voyage vers Delphes était long, on interrogeait les
deux grands sanctuaires d'Apollon Claros sur le territoire de Colophon et l'Apollon Didyme sur celui de
Milet. Cf. à ce sujet l'ouvrage de Jeanne et Louise Robert, Claros I, Décrets hellénistiques, p . 5 1 , 55 et 94.
18
Territoire où s'établit Hercule avec Déjanire et ses concubines.
par les devins sont la plupart du temps la cause des conflits et des guerres entre les
19
h o m m e s . Il ne faut donc pas les prendre trop au sérieux.

Dans cet extrait, Hercule apparaît comme un symbole d'opulence utilisé par les

devins pour duper les foules. Oenomaûs et Eusèbe de Césarée ne font que le citer pour

rendre compte des oracles rendus par les devins.

Enfin au livre X, Eusèbe de Césarée fait une imposante analyse généalogique pour

démontrer que la tradition des anciens Hébreux précède celle des Grecs. En fait, il parvient

à prouver que Moïse est antérieur à la majorité des dieux grecs et non pas seulement à leurs

sages et leurs poètes. Par une habile localisation des événements mythologiques dans le

temps, fauteur explique qu'il y a sept générations entre Moïse et les premiers dieux grecs.

Au livre X, Hercule est mentionné, parmi une foule d'autres personnages et

événements mythologiques, pour aider l'auteur à placer les événements


20
chronologiquement . Le héros est traité comme un élément factuel qui peut être placé dans

le temps. L'auteur fait toutefois une exception alors qu'il mentionne le héros dans la

généalogie: « [...] sept ans avant que Samson fût à la tête des Hébreux ; sa vigueur

physique, dit-on, le rendait indomptable, en quoi il ressemblait à Hercule, si vanté chez les

Grecs » (Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, X, 9, 7 ; traduction de G. Schroeder

et d'E. des Places). Cette comparaison du héros gréco-romain avec le personnage biblique
21
Samson est quelque peu fortuite . De fait, il semble inutile qu'Eusèbe ajoute ici cette

précision. Il ne cherche pas à rétablir des exploits qui auraient été imputés à Hercule par

erreur et qui appartenaient en vérité à Samson. Du moins, il n'énonce pas la possibilité

d'une telle méprise. L'auteur cherche plutôt à situer le personnage de Samson par rapport à

une figure plus connue, Hercule. Eusèbe de Césarée utilise donc la figure d'Hercule qui est

bien connue de ses lecteurs afin de présenter un personnage biblique qui partage le même

attribut physique que lui.

En général, dans la Préparation évangélique, le personnage d'Hercule est

mentionné par le biais d'auteurs qu'Eusèbe cite. Diodore de Sicile raconte sa geste,

Porphyre de Tyr associe le héros à l'astre solaire et Oenomaûs en fait l'objet d'un oracle.

19
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, V, 36.
2 0
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, X, 9-12.
21
Cf. au sujet de la comparaison entre Hercule et Samson l'article de Margalith Othniel, « T h e Legend of
SamsonyHéraclès », Vêtus Testamentum, X X X V I I , 1987, p. 63-70 ou l'ouvrage d ' A b r a m S. Palmer, The
Samson-saga and its Place in Comparative Religion, p. 92-140.
Eusèbe reprend leurs propos.afin de discuter leurs idées. Lorsqu'il évoque le héros dans sa

propre argumentation, ce dernier apparaît soit dans une énumération entouré par d'autres

personnages qui partagent la même caractéristique - il est le fils de Zeus - soit il devient un

symbole de force physique. Eusèbe n'interprète pas le mythe et ne cherche pas à l'abolir. Il

présente la geste du héros afin de l'analyser et de démontrer qu'elle découle des principes

des anciens Hébreux.

3.4 Grégoire de Nazianze

Dans son Autobiographie, Grégoire de Nazianze ne critique pas et n'interprète pas


non plus la figure d'Hercule. Le héros apparaît à une seule reprise dans l'œuvre alors que
l'auteur défend sa naïveté devant ceux qui l'accusent d'avoir fait l'éloge d'un homme peu
22
vertueux :

Lequel d'entre vous pense qu'il aurait alors agi autrement, à cette époque où la
communauté était encore si exiguë qu'il fallait récolter même de la paille ? Au
contraire d'une situation favorable, les difficultés entravent la liberté d'agir.
C'était déjà pour moi un grand événement que vienne dans ma cour un chien et
23
qu'il honore le Christ au lieu d'Héraclès. Il (scil. Maxime le Chien ) avait un
24
grand avantage : son exil, dû aux plus honteux forfaits , qu'il invoquait pour
faire croire qu'il était persécuter pour Dieu
(Grégoire de Nazianze, Autobiographie, 970-980 ; traduction de
Alessandra Lukinovich).

" « " Q u ' e s t - c e donc cela ? N'estimais-tu pas j u s q u ' à hier cet h o m m e parmi tes amis et ne le considérais-tu
pas digne des plus grands éloges ? " Voilà ce que pourrait objecter l ' u n de ceux qui sont au courant des faits
et condamnent ma candeur de l'époque, cette candeur qui m'entraînait à entraîner les plus mauvais des
chiens » (Grégoire d e Nazianze, Autobiographie, 952 - 956 ; traduction d'Alessandra Lukinovich).
2 3 e
Héron-Maxime d'Alexandrie, philosophe cynique du I V siècle ap J C . Sous Théodose premier, il cause
plusieurs troubles dans l'Église de Constantinople. Il cherchera entre autres à supplanter Grégoire de
Nazianze. Le second concile de Constantinople qualifiera son ordination de frauduleuse et de non avenue (cf.
note d'Alessandra Lukinovich, Le dit de sa vie).
2 4
L'expression est traduit du grec uxxGTiviaç qui signifie littéralement « h o m m e qui porte les marques des
coups de fouet reçus ». C e terme désignait souvent les esclaves ou des repris d e justice que les punitions
corporelles n'arrivaient pas à assagir et il a finalement pris le sens courant de « fripon, coquin incorrigible »
(cf. note d'Alessandra Lukinovich, Le dit de sa vie).
L'auteur explique comment il a pu être trompé par Maxime le Chien au point d'en faire son
25
éloge . Non seulement l'auteur croyait sur parole Maxime qui proclamait croire en Dieu,

mais l'époque difficile que vivait la communauté de Grégoire poussait les adeptes du

christianisme à être moins sélectifs face aux nouveaux initiés. Ce dernier point a permis à

Maxime de s'introduire dans la communauté chrétienne peu méfiante. De fait, comme

l'énonce l'auteur chrétien, il était content d'avoir un nouveau membre dans la communauté

même si ce dernier n'était pas vraiment digne de confiance. Il préférait avoir un escroc

pourvu que ce dernier vénère le Christ.

Hercule apparaît ici afin de représenter les valeurs cyniques de Maxime. À l'aide de

deux figures symboliques, le Christ, représentant du christianisme, et Hercule, héros

incarnant les valeurs cyniques, l'auteur explique la conversion du philosophe Maxime au

christianisme.

Dans cet extrait Hercule peut être considéré comme l'égal mythique du Christ. Il
26
était reconnu comme le héros par excellence chez les cyniques . Son mythe illustrait leur

enseignement moral. Ainsi Hercule est pour les cyniques ce que Jésus est pour les

chrétiens ; il est le héros par excellence, l'exemple à imiter. En cela, il peut être rapproché

de la figure de Jésus Christ et représenter les concepts cyniques abandonnés par un nouveau

converti au christianisme.

3.5 Épiphane de Salamine

e
Un dernier auteur chrétien du I V siècle mentionne Hercule dans ses œuvres :

Épiphane l'évoque à cinq reprises.. Nous avons choisi de ne pas traiter des deux

occurrences dans le Panarion puisque, dans ces passages, Hercule n'est pas discuté par
27
l'auteur : ce dernier expose plutôt les théories de Marcel d'Ancyre et les critique .

Toutefois nous trouvons l'apparition du héros dans YAncoratus très intéressante.

25
G r é g o i r e avait prononcé un éloge public de M a x i m e avant que celui-ci ne retourne à Alexandrie. L'éloge est
rapporté par Jérôme dans son De viris illustribus. Il s'agit du Discours 25 (cf. note d'Alessandra Lukinovich,
Le dit de sa vie).
2 6
Hercule incarnait les deux vertus que les cyniques appréciaient au plus haut point : la capacité de suffire à
soi-même et l ' a m o u r pour les h o m m e s . A ce sujet consulter les ouvrages d ' A l d o Brancacci, Antisthène : le
discours propre, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2 0 0 5 , p . 95-97 et de Ragnar Hôistad, Cynic Hero and
Cynic King : Studies in the Cynic Conception ofMan, éditions Uppsala, 1948, p. 2 2 - 7 3 .
2 7
Épiphane, Panarion, I, p. 430 et p. 4 3 1 .
Alors que l'auteur explique que les hommes ont créé les dieux à l'image de leur

passion, il mentionne Hercule :

[...] l'homme sanguinaire a créé A r e s ; l'homme ou la femme adultères,


Aphrodite qui s'est donnée à beaucoup ; le tyran a donné de nouvelles ailes à
Nike. L ' h o m m e sale et indolent devant la vie a créé l'image de Cronos ;
l'homme efféminé, l'image de Cybèle et de Rhéa à cause de l'inconstance, j e
crois, résultant des mélanges multiples des corps. Quelqu'un d'autre, un
vagabond ou une vagabonde, a modelé une image de la chasseresse Artémis ;
un ivrogne, une image de Dionysios ou d'Héraclès qui a accompli maintes
œuvres ; quelqu'un qui a eu beaucoup de liaisons, Zeus et Apollo (Épiphane,
Ancoratus, 103, 3 ; traduction de Stéphan Bigham).
Les dieux reflètent les passions des adeptes qui les vénèrent. Comme l'explique l'auteur
Ares est l'incarnation du désir sanguinaire de l'homme qui l'a imaginé, Aphrodite est celui

de l'adultère et Hercule est celui de l'ivrogne. L'Hercule Bibax est un personnage satirique.

En fait, les auteurs comiques ont fait d'Hercule un ivrogne, car ils cherchaient à

comprendre la dichotomie entre l'Hercule bienfaiteur et l'Hercule malfaiteur. Ainsi,

Hercule peut avoir accompli de grands exploits et, transformé par l'alcool, avoir commis de
28 '

grandes fautes . Selon Epiphane, le héros fut créé par un homme qui avait une passion

pour la boisson. De cette façon, l'homme pouvait vénérer une figure qui le représentait.

L'auteur chrétien condamne cette pratique. Il suggère plutôt de ne pas s'abandonner à ses

passions et donc de ne pas vouer un culte aux divinités qui les représentent. Il donne en

exemple Diagoras qui a su découvrir la vraie utilité de son dieu :


Diagoras qui a brûlé sa propre statue en bois d'Héraclès parce qu'il manquait
du bois et d'un air moqueur Diagoras lui dit : « Ô Héraclès, surpasse-toi en
faisant ta treizième œuvre : viens faire cuire mon repas. » Alors, en prenant la
statue et en la sciant en morceaux, Diagoras se moquait de son propre dieu,
comme si ce dernier n'existait pas, et il a mangé tout en riant d'Héraclès qui
s'est offert le meilleur en lui [le bois] (Épiphane, Ancoratus, 103, 8 ; traduction
de Stéphan Bigham).
Épiphane trouve l'attitude de Diagoras très juste et il souhaite qu'elle soit imitée, car la
geste de ces divinités n'est pas louable. Il fait une liste des méfaits de certaines divinités.

En ce qui concerne Hercule, il écrit :


Je ne vais pas parler de toutes les œuvres d'Héraclès, aussi appelé chez eux
Protecteur contre le mal, mais il y en a une parmi toutes ses œuvres que je
présenterai. C'est elle qui est vraisemblablement louée parmi eux. Je me
limiterai à cette œuvre pénible qu'il a entreprise afin que le salut soit apporté au
monde. S'il a violé en une nuit cinquante vierges, comment le cosmos a-t-il été

Jean-Jacques A m p è r e , L'Histoire romaine à Rome tome III, Paris, Michel Lévy Frères, 1862, p.508.
sauvé ? Plutôt, il a été détruit. Et tout simplement, je te confesse, j e me désole
d'énumérer toutes leurs mauvaises œuvres. (Épiphane, Ancoratus, 106, 6 ;
traduction de Stéphan Bigham).
Épiphane trouve désolant que les adeptes du paganisme vénèrent une divinité qui a perpétré

un viol" . Cet épisode n'est cependant pas celui qui est le plus loué par les adeptes. Lorsque

l'auteur annonce à son lecteur qu'il va évoquer l'épisode le plus glorifié en ce qui concerne

la geste d'Hercule, on s'attend plutôt à un rappel des douze travaux. C'est toutefois un

épisode secondaire de la jeunesse du héros qui surgit. De plus, cette légende fut sans doute

utilisée dans un sens symbolique à Thespies, puisque le nombre cinquante représentait les
30
mois qui s'écoulaient entre chaque Érotidia, jeux fondé par Hercule . L'auteur oublie cette

dimension symbolique et ajoute qu'il existe d'autres méfaits qui devraient empêcher les

adeptes de la tradition gréco-romaine de vénérer ces divinités.

Dans VAncoratus, Épiphane veut convaincre les hommes d'abandonner les cultes

ancestraux. Hercule apparaît comme une divinité soumise à l'alcool et aux plaisirs de la

chair. Son culte ne devrait donc pas être célébré. L'auteur tente de convaincre son lecteur

de ne pas glorifier le héros, puisqu'il a commis de nombreux méfaits.

Conclusion

Pour conclure, il est possible de discerner deux tendances chez les auteurs du
e
IV siècle en ce qui concerne l'utilisation d'Hercule. La première tendance expose des

éléments bien connus du mythe d'Hercule afin d'appuyer les propos de l'auteur. Dans le

cas d'Athanase d'Épiphane et de Firmicus Maternus, les caractéristiques mises de l'avant

sont surtout reliés à la geste du héros et à ses actes sexuels. Le mythe d'Hercule vient alors

appuyer les propos des auteurs qui cherchent à abolir les cultes gréco-romains. Firmicus

Maternus va jusqu'à réinterpréter un épisode du mythe du héros afin de soutenir ce qu'il

avance.

Dans le cas de la Préparation évangélique, l'auteur cherche lui aussi à démontrer

ses idées, mais il choisit plutôt de mettre en évidence les concepts d'autres auteurs afin de

2 9
Au sujet de l'épisode mentionné par Épiphane, les filles de Thestios, cf. supra p. 2 3 .
3 0
Charles Daremberg et Edmont Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Graz,
A k a d e m i s c h e Druck- u. Verlagsanstalt, 1969, p. 78.
les discuter. Plusieurs de ces auteurs utilisent le mythe d'Hercule afin d'illustrer leur

propos. Eusèbe est alors forcé d'en traiter dans son argumentation.

La seconde tendance utilise également Hercule comme argument, mais plutôt en

tant que symbole. C'est le cas chez Eusèbe de Césarée où l'auteur mentionne la vigueur

brute du héros pour le comparer à une autre figure mythologique connue pour sa force

physique, Samson. L'auteur oublie ici la geste d'Hercule et le définit par son attribut le plus

vanté chez les Grecs : sa force physique. Eusèbe de Césarée présente donc Hercule comme

le modèle du surhomme.

Dans son Autobiographie, Grégoire de Nazianze utilise également Hercule en tant

que représentant de la moralité cynique. Tout comme le Christ est le symbole de la foi

chrétienne, Hercule apparaît comme son équivalent gréco-romain qu'il vaut mieux

abandonner pour suivre la voie du christianisme. C'est pour sa capacité de don de soi et sa

grande philanthropie qu'Hercule fut choisi par les cyniques pour représenter leurs idéaux et

c'est pourquoi Grégoire de Nazianze le choisit pour l'opposé au Christ.


Chapitre 4

Synthèse

À présent que nous avons parcouru en détail les différentes sources chrétiennes qui
e e
évoquent Hercule entre le II et I V siècle, nous souhaitons faire une analyse plus

approfondie afin de découvrir les différents thèmes abordés par les auteurs. Nous verrons

dans quels contextes le héros s'inscrit : d'abord dans le contexte direct et ensuite dans le

contexte indirect.
Nous appelons contexte direct les éléments qui entourent Hercule dans une œuvre,

c'est-à-dire les différents personnages et événements mythologiques qui sont mentionnés

par l'auteur lorsqu'il évoque le héros. D'un autre côté, le contexte indirect représente le but

recherché par l'auteur chrétien lorsqu'il mentionne Hercule ; il s'agit du combat dans lequel

s'inscrit le héros. Nous ferons cette dernière analyse en classant les auteurs par genre

littéraire.

A l'aide de ces deux contextes, nous espérons pouvoir mettre en lumière les
éléments du mythe d'Hercule les plus traités par les auteurs chrétiens entre
e e
le II et le V siècle.

Le contexte direct ou les différents éléments mythologiques entourant Hercule dans


e e
les œuvres chrétiennes entre le II et le IV siècle.

Il est fréquent de voir Hercule entouré par d'autres figures mythologiques dans les
œuvres chrétiennes. Il s'agit parfois de personnages bien connus des lecteurs et qui
illustrent les propos de l'auteur, tout comme Hercule, ou bien il s'agit de figures qui sont
directement liées à la geste du héros.

Dans le premier cas, les auteurs chrétiens semblent sélectionner les divinités selon
les buts qu'ils poursuivent. Puisque la communauté chrétienne était attaquée par les adeptes
de la tradition gréco-romaine, les auteurs chrétiens ont cherché à défendre leur foi. Selon
l'argument qu'ils invoquent contre les assauts païens, les auteurs font intervenir certains
personnages en particulier, incluant Hercule. Par exemple, lorsqu'ils veulent illustrer les
1
adultères des dieux, ils énumèrent Jupiter, Apollon, Hercule et Dionysos . Lorsqu'ils
veulent dénoncer leurs relations homosexuelles, ils mentionnent Jupiter, Hercule et
2
Apollon . Les auteurs semblent évoquer les épisodes mythologiques licencieux les plus
connus. Il leur est ainsi plus facile de montrer l'impudicité des dieux.

Ils s'opposent également à toute forme de syncrétisme. Alors que les païens
reconnaissent en Jésus certains éléments liés à leurs divinités, les auteurs chrétiens rejettent
les rapprochements entre le Messie et les figures mythologiques. Plusieurs dieux
apparaissent dans ce contexte : Dionysos, Asclépios, Hercule, Persée, les Dioscures,

]
Cf. supra p. 12, 39 et 50. O n remarque que le Pseudo-Clément ajoute à cette série exceptionnellement Hadès.
Hermès, Apollon, Zeus et Poséidon . Les trois dernières divinités sont reliées à Jésus par

leur nature humaine et matérielle. Elles sont généralement évoquées alors que les auteurs

réfutent l'attaque païenne selon laquelle les chrétiens vénèrent un simple être humain en la
4
figure de Jésus Christ. Ainsi, Apollon, Zeus, Poséidon et d'autres divinités sont comparés

à Jésus parce qu'ils furent eux aussi des hommes avant d'être vénérés par les adeptes de la

tradition gréco-romaine.

Il s'agit d'un reproche que les auteurs chrétiens adressent également à Dionysos, à

Asclépios, à Hercule, à Persée, aux Dioscures et à Hermès ; ils furent des hommes avant de

devenir des dieux. Ces figures sont toutefois liées plus étroitement à Jésus par leurs

accomplissements.

Justin martyr et Origène rapportent certains faits concernant les cinq figures

mythologiques. D'après ces auteurs, Dionysos possède une autre caractéristique commune
5
avec Jésus Christ : il est mort supplicié . En fait, il s'agit d'un épisode de la geste de
6 7
Zagreus , un personnage crétois , qui fut assimilé à Dionysos dans la tradition grecque.

Cette légende, telle que rapportée par Nonnos de Panopolis, raconte comment Zeus, sous la

forme d'un serpent, s'unit à Perséphone qui donna naissance à un garçon. Cet enfant fut
8
mis sous la protection d'Apollon et des Curetés qui le cachèrent sur le mont Parnasse.

Jalouse, Héra, la femme légitime de Zeus, retrouva l'enfant et envoya les Titans venger son

honneur. Ces derniers attirèrent l'enfant grâce à des jouets, ils le démembrèrent et le

dévorèrent. Le cœur de Zagreus fut toutefois récupéré par Apollon et Athéna qui le

rapportèrent à son père. Zeus broya le cœur et le mélangea à une boisson qu'il offrit à
9
Séméle . Ainsi, l'enfant fut régénéré et naquit une seconde fois ce qui explique le nom de

Dionysos - qui est né deux fois.

2
Cf. supra p. 9, 39, 51 et 6 1 . Pseudo-Clément joint à cette énumération Dionysos, Poséidon et Hermès.
^Cf.suprap. 17, 18, 19 et 42.
4
Sur ce point, Athanase d'Alexandrie n o m m e en exemple Héra, Athéna, Aphrodite et Dionysos (Contra
gentes, 12), Clément d'Alexandrie évoque Héphaïstos (Protreptique, II, 29, 5), Tertullien rappelle Amphiarus
(Ad nationes II, II) et Larentina (Ad nationes II, X).
5
Cf. supra p. 18, 42 et 4 8 .
6
Zagreus est un personnage central dans la religion orphique. Il représente, entre autre, la victoire de la nature
sur la mort, c'est-à-dire le passage aux différentes saisons de l'hiver vers l'été.
7
Le mythe de Zagreus semble également inspiré de la légende égyptienne d'Osiris.
8
Les Curetés sont surtout connus pour avoir protégé Zeus enfant. Rhéa se serait enfuie avec l'enfant en Crète
et l'aurait confié aux Curetés alors que Cronos cherchait à le dévorer (Apollodore, Bibliothèque, I, 1, 6).
9
Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques, VI-VII.
1 0
Dionysos-Zagreus fut « mis en pièce » étant enfant, ce qui le rapproche de la mort

sur la croix de Jésus et des martyrs. Cet événement rapporté par la légende dévoile

également que le dieu possédait un corps matériel et qu'il ne fut vénéré qu'après sa mort.
11
Minucius Félix cite le même fait au sujet d'Asclépios qui fut foudroyé par Z e u s .

Asclépios avait acquis sa science de Chiron et possédait deux fioles de sang provenant des

veines de Méduse dont l'une permettait la résurrection des hommes. Après avoir

longuement étudié le contenu de ces fioles, il parvint à ressusciter les morts sans l'aide du
12
sang de la G o r g o n e . Zeus craignit toutefois que ce savoir ne se communique entre tous les

hommes et décida de foudroyer le fils d'Apollon avant qu'il n'enseigne sa science. Le roi

des dieux reconnut tout de même qu'Asclépios avait fait beaucoup pour le bien de
13
l'humanité et l'éleva au rang de dieu pour le récompenser .

C'est le don de guérison d'Asclépios qui permet à Justin martyr de le rapprocher de

la figure de Jésus Christ. L'auteur chrétien explique que les démons qui ont inspiré les
14
mythes gréco-romains connaissaient les pouvoirs de guérison du Messie envoyé par Dieu .

Désireux d'entraîner l'humanité dans le mensonge, ils ont inventé le personnage

d'Asclépios et lui ont attribué le don de guérison afin de détourner les hommes du véritable
15
envoyé de D i e u .
16
Pour sa part, Hermès se voit attribuer le rôle du Verbe et de l'interprète de Dieu .

En sa qualité de dieu messager qui rapporte de l'Olympe les ordres et les volontés des
17
autres dieux , Justin martyr reconnaît en Hermès celui qui rend la parole divine aux

hommes. Hermès assure le lien entre les dieux et les hommes par son discours. Le Messie
18
prophétisé par Isaïe se voit lui aussi attribuer l'art du langage qui sera guidé par l'Esprit

l u
Cf. supra p. 18.
11
Cf. supra p. 40.
12
« J'ai trouvé le nom de quelques personnages dont on dit qu'ils ont été ressuscites par Asclépios : il s'agit
de Capanée et de Lycurgue, ainsi que le dit Stésichore dans son Eriphyle ; Hippolyte, c o m m e le dit l'auteur
des Naupactes ; Tyndare, c o m m e le dit Panyassis ; Hyménée, c o m m e le disent les Orphiques ; Glaucos, fils de
Minos, c o m m e le dit Mélésagoras » (Apollodore, Bibliothèque, III, 10, 3).
13
Apollodore, Bibliothèque, III, 10, 4.
1 4
Les démons connaissent les pouvoirs de guérisons du Messie grâce aux Ecritures juives. Il est dit chez Isaïe
que « Par sa mort, le Messie devait apporter la guérison spirituelle aux juifs » (Isaïe, 5 3 , 5).
15
Cf. supra p. 18 et 19.
16
Cf. supra p. 18.
17
Apollodore, Bibliothèque, III, 10, 2.
18
Isaïe, 11, 1-10.
19 20
de l'Éternel incarné en l u i . Pour les chrétiens, Jésus est l'incarnation du verbe de D i e u et
21
son interprète . Afin de détourner les hommes du véritable envoyé de Dieu, les démons ont

créé une figure qui semblait rapporter les volontés divines, mais qui n'était qu'un leurre.

Il en va de même dans le cas de Persée qui, né d'une vierge, vient tromper ceux qui
22
sont dans l'attente du Messie annoncé par Isaïe . Le mythe de Persée raconte que Danaé

était la fille unique d'Acrisios. L'oracle ayant révélé au roi qu'il n'aurait jamais de fils et

que son petit-fils le tuerait, ce dernier décida d'enfermer Danaé dans une tour d'airain et de

la cloîtrer afin que la prophétie ne se réalise jamais. Sensible au malheur de la jeune femme,

Zeus s'éprit d'elle et la féconda sous l'aspect d'une pluie d'or. Persée naquit de cette
23

union .

L'épisode de la naissance du héros est donc comparable à celui de la naissance du

Christ, puisque Danaé n'a pas eu de véritable relation physique avec Zeus, contrairement à

plusieurs autres conquêtes du dieu. L'histoire de la fille d'Acrisios, fécondée par une fine

pluie d'or, est semblable à celle de la conception de Jésus. C'est pourquoi Justin martyr
24
mentionne Persée sur la question de la naissance virginale ; il reconnaît en Danaé la

vierge Marie qui est fécondée par l'Esprit saint.

Persée fait également partie des héros qui se sont élevés au ciel tout comme les
25 26
Dioscures et Bellérophon . Toujours dans le souci d'imiter l'Ancien Testament , les

démons ont fait monter ces héros au ciel. Ils ne connaissaient toutefois pas l'existence du

paradis céleste où règne le véritable Dieu et où devait conduire la véritable ascension du

Messie. Les démons ont donc élevé les héros dans le ciel physique, le seul dont ils avaient

connaissance. Ainsi, Persée, les Dioscures et Bellérophon monté sur Pégase sont devenus

des constellations d'étoiles qu'il est possible d'observer la nuit.

19
Cf. à ce sujet l'ouvrage d ' A n d r é Feuillet, Accomplissement des prophéties, Paris, Desclée
(coll. bibliothèque de théologie), 1994, p. 81 - 1 0 1 .
2 0
Jean, 1, 14.
2 1
Luc, 4 , 2 1 .
2 2
« C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: voici la vierge deviendra enceinte, elle
enfantera un fils, et lui donnera le nom d ' E m m a n u e l » (Isaïe, 7, 14)
2 3
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 1.
2 4
Cf. supra p. 18.
2 5
Bellérophon est un héros Corinthien qui dut s'acquitter du meurtre de son frère en assassinant Chimère
(Apollodore, Bibliothèque, I, 9 , 3 ) .
2 6
L'ascension de Jésus décrite dans les actes des Apôtres (Actes, 1, 6) est inspirée par l'ascension d'Elie le
seul et unique prophète qui ne soit pas décédé (II Rois, 2, 1 ). Justin martyr croit sans doute que l'ascension
d ' É l i e a également inspiré les démons.
En somme, Dionysos, Asclépios, Hermès, Persée, les Dioscures et Bellérophon sont

évoqués par Justin martyr et Origène parce que leur geste, bien connue de tous, fut

rapprochée de la vie de Jésus. Les auteurs chrétiens ont cherché à expliquer ces similitudes

afin d'éviter la fusion des traditions chrétienne et gréco-romaine. On peut donc croire qu'ils

ont choisi de mentionner les éléments mythologiques qui illustraient le mieux leurs propos.

En étroite liaison avec ce qu'ils cherchent à montrer, les auteurs chrétiens font

intervenir certaines figures mythologiques précises, dont Hercule. Parce qu'elles sont bien

connues et appréciées de tous, ces dernières apparaissent à répétition dans les œuvres

chrétiennes. Ainsi, les auteurs sont assurés de convaincre leurs lecteurs de ce qu'ils

avancent.

Dans ces passages, la geste d'Hercule est reliée à celle des autres divinités. De fait,

Hercule appartient à la cohorte de dieux qui s'adonnent à l'adultère et aux relations

homosexuelles. Il fut également un homme avant d'être divinisé. Comme d'autres figures

mythologiques qui l'entourent dans les ouvrages chrétiens, certains éléments de sa geste

permettent à Hercule d'être rapproché de la figure de Jésus Christ. C'est pourquoi Hercule

apparaît en compagnie de certains personnages mythologiques qui ne sont pas en relation

avec sa geste mais qui possèdent les mêmes défauts.

Les auteurs chrétiens adoptent une attitude différente face aux personnages qui

peuplent la geste du héros. S'ils se contentent d'énumérer certains faits reliés à d'autres

mythes pour appuyer leurs propos, lorsqu'ils traitent du héros en particulier, ils semblent

interpréter les personnages qui l'entourent selon l'image qu'ils veulent donner d'Hercule.

Par exemple, rappelons l'épisode que relate Firmicus Maternus au sujet de Géryon :

« Désire-t-on les biens d'autrui ? Veut-on se satisfaire aux dépens de la vie même du

propriétaire ? Voyez comment Hercule assassina Géryon et lui vola ses bœufs ibériques ! »

(Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, XII, 5). L'auteur veut sans doute

convaincre ses lecteurs qu'Hercule n'était rien d'autre qu'un voleur et qu'un assassin. Il

voudrait voir Hercule condamné pour avoir tué Géryon, qui était un monstre gigantesque à
27
trois têtes, six mains et six j a m b e s . Or, Firmicus Maternus choisit d'ignorer qu'Hercule

fut vénéré pour avoir accompli de nombreux bienfaits et que l'assassinat de Géryon fait

partie du nombre. Nul doute qu'il cherchait à banaliser le personnage d'Hercule en

2 7
Apollodore, Bibliothèque, II, 5, 10.
omettant de mentionner la nature de Géryon. Ainsi, le monstre mythique devient la victime

du héros dans le De errore profanarum religionum afin de diminuer la portée du geste

d'Hercule.

Épiphane dévalorise aussi la figure d'Hercule en faisant des Thespiades ses

victimes. Certaines traditions racontent cependant comment Thestios envoya une à une ses
28 29
filles à Hercules pendant la nuit - pendant cinquante j o u r s selon les versions - afin de le

récompenser d'avoir tuer le lion qui terrorisait les bergers de la région. L'auteur chrétien ne

considère pas les relations d'Hercule avec les Thespiades comme une récompense due au

héros, mais plutôt comme un outrage fait aux filles de Thestios.

Tertullien dresse lui aussi une liste des victimes du héros. Il mentionne parmi elles

Omphale, la reine lydienne qui avait acheté Hercule comme esclave. Selon l'auteur, cette
30
dernière fut séduite par Hercule , méfait qui s'ajoute selon lui à plusieurs autres. Ainsi, il

ne rend pas Omphale responsable de sa passion avec le héros. Il ne la rend pas responsable

de sa féminisation ; l'auteur croit plutôt que la volupté a poussé le héros à se travestir.

Chez Justin gnostique, toutefois, Omphale représente la volupté et la séduction.

Associée à Aphrodite et à Babel, la reine lydienne devient la cause de l'échec du héros.

Alors qu'Hercule est envoyé par Elohim pour secourir les hommes des douze mauvais
31
anges d'Éden, Omphale le séduit et fait échouer sa mission . Justin gnostique explique

qu'Hercule faisait partie du plan divin et qu'il a malheureusement échoué puisqu'il fut tenté

par les charmes d'Omphale. Cette dernière est donc responsable de la chute du héros.

On constate que la perception des auteurs face au personnage d'Omphale change

selon l'image qu'ils veulent donner d'Hercule. Lorsque le héros est perçu comme

malveillant, Omphale apparaît comme la victime de ses charmes et, lorsqu'il est présenté

comme un héros ayant accompli de grands bienfaits pour l'humanité, Omphale devient la

séductrice qui corrompt Hercule.

Un autre personnage lié à la geste d'Hercule est souvent mentionné par les auteurs

chrétiens : il s'agit de Zeus. Si la perception des autres figures mythologiques faisant partie

de la geste d'Hercule dépend de celle du héros, ce n'est pas le cas de Zeus. Cette figure

2 8
Pausanias, Description de la Grèce, IX, 27, 6-7.
2 9
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 10.
3 0
Cf. supra p. 32.
31
Cf. supra p. 53.
mythologique n'est pas interprétée selon la perception du mythe d'Hercule. Cela est

probablement dû au fait que Zeus possède sa propre geste bien connue des lecteurs. Dans la

légende du héros, Zeus représente deux fonctions : il est le père d'Hercule et également le

roi des dieux. Selon les auteurs chrétiens, en tant que père, Zeus se révèle un mauvais
32
exemple pour son fils. Il se livre à des actes libidineux qu'Hercule imite une fois adulte
33
comme le mentionne Clément d'Alexandrie . Zeus est donc jugé impur lorsque les auteurs

évoquent qu'Hercule a lui-même commis des adultères.

Tout-puissant, Zeus était soumis aux seuls arrêts du destin. Il était donc la figure

mythologique la plus importante de l'Olympe. C'est probablement pourquoi il fut possible

de l'associer à la figure chrétienne du Tout-puissant. Comme le rappelle cependant Eusèbe

de Césarée, les nombreux adultères commis par Zeus l'empêchent d'être l'intellect créateur
34
du grand T o u t .

Ainsi, lorsque Zeus apparaît dans le même contexte qu'Hercule dans les œuvres

chrétiennes, sa geste semble souvent réduite à ses relations adultères avec les hommes et les

femmes. Parce qu'il possède sa propre geste, Zeus n'est pas interprété pour changer la

perception du mythe d'Hercule. Les auteurs semblent plutôt attribuer les traits du père au

fils ; Hercule est licencieux car son père l'était avant lui. Lorsque Zeus apparaît dans le

même contexte qu'Hercule, il est toujours présenté comme adultère et cela sans tenir

compte de la perception du mythe du héros. Pour leur part, les autres figures qui

appartiennent à la geste d'Hercule uniquement sont interprétées selon l'image que l'auteur

veut donner du héros.

Dans les œuvres chrétiennes, les personnages entourant Hercule sont divisés en

deux catégories : ceux qui ne font pas partie de la geste du héros et ceux qui en font partie.

Les personnages de la premières catégorie sont liés à Hercule par certains traits communs à

leur geste et à celle du héros. Les différentes figures mythologiques apparaissent

généralement dans des énumérations apportant plus d'impact à un argument particulier. Les

énumérations dans lesquelles est mentionné Hercule comptent des figures mythologiques

qui ont commis des actes sexuels avec des hommes ou des femmes. Les listes mentionnent

également des divinités qui étaient des hommes avant d'être vénérées ou dont la geste avait

3 2
Cf. supra p. 12 et 50.
3 3
Cf. supra p. 23.
3 4
Cf. supra p. 65.
des points communs avec les faits rapportés à propos de la vie de Jésus. Les auteurs

chrétiens reprochent ou acceptent les mêmes faits concernant ces figures que les faits

concernant Hercule.

Les figures mythologiques de la seconde catégorie font partie de la geste du héros.

Selon la perception des auteurs au sujet du mythe d'Hercule, les éléments liés à sa geste

sont interprétés afin de refléter ce que les auteurs veulent montrer. Lorsque les auteurs

chrétiens cherchent à incriminer le héros, les personnages qui l'entourent deviennent ses

victimes. Lorsqu'ils veulent toutefois valoriser le héros, les figures mythologiques liées à sa

geste représentent les différents éléments que le héros doit combattre et il devient leur

victime.

Le contexte indirect ou les différents genres littéraires intégrant Hercule et sa geste

Dans les œuvres chrétiennes, le personnage mythologique d'Hercule est représenté


selon la perception q u ' a l'auteur du mythe gréco-romain. Cette perception est influencée
par le but qu'il poursuit dans son œuvre. Autrement dit, si l'auteur cherche à défendre le
christianisme face aux attaques païennes, il y a de fortes chances qu'il dévalorise le mythe
d'Hercule, et s'il s'adresse à la communauté chrétienne, le mythe apparaît alors comme un
instrument argumentatif représentant certains concepts.

Puisque les différentes intentions des auteurs chrétiens sont rassemblées dans des
groupes, nous avons choisi d'explorer leurs objectifs par genre littéraire. Parmi nos sources,
nous comptons quatre genres littéraires différents - soit l'apologie, le traité hérésiologique,
le traité réglant la conduite chrétienne et l'autobiographie - ainsi qu'un sous-groupe de
l'apologie - la réfutation de grands écrits païens.

Les apologistes représentent 75 % de notre corpus. Statistique tout à fait logique si


l'on se rappelle que les chrétiens ont dû défendre le christianisme contre plusieurs attaques
e e
païennes entre le II et le I V siècle pour éviter les persécutions. Toutes les œuvres
apologétiques chrétiennes cherchent à réfuter les critiques païennes à leur égard et à
valoriser leur foi. Malgré ce but commun, les apologistes ont tous des approches différentes
face au mythe. Le trait est peut-être dû au fait que les auteurs chrétiens de cette époque
proviennent de milieux différents. Avant leur conversion, certains étaient païens et d'autres
ont été élevés dans la tradition chrétienne ou sont entrés très tôt en contact avec elle. Leur

environnement d'origine donne parfois un indice quant à leur perception du mythe

d'Hercule. Nous tenterons donc d'explorer leurs perceptions de la mythologie gréco-

romaine selon leur provenance.

Parmi les apologistes provenant d'un milieu païen, on distingue deux tendances

principales. La première vise à expliquer d'où provient l'erreur des adeptes de la tradition

gréco-romaine. En fait, les auteurs qui empruntent cette voie veulent dévoiler la vraie

philosophie ou la véritable foi. Ils ont trouvé la vérité dans la foi chrétienne et cherchent à

montrer aux païens qu'ils ont été trompés. En parcourant certains éléments mythologiques,

ces auteurs font l'interprétation et l'allégorisation de ces épisodes afin de trouver le


35
véritable message qu'ils comportent. Pseudo-Clément, Athénagore , Justin Martyr et

Clément d'Alexandrie expliquent que les mythes sont l'œuvre de démons qui souhaitaient

entraîner l'humanité dans l'erreur. Mis au courant de la venue d'un Messie par les Écritures

juives, ces démons ont attribué certaines caractéristiques de l'envoyé divin à des

personnages fictifs. Ces derniers sont les dieux et les héros de la tradition gréco-romaine,

dont Hercule fait partie. En vénérant ces divinités, les païens ont pris part au plan des

démons.

Toutefois, loin de rejeter les mythes créés par les démons, ces auteurs chrétiens font

leur interprétation et découvrent le véritable message dont ils sont porteurs. Ainsi, chez
36
Justin Martyr on remarque qu'Hercule s'est vu attribuer la force du M e s s i e et chez le

Pseudo-Clément, il devient la partie de l'âme qui combat le mal à l'intérieur de chaque


37
h o m m e . Pour sa part, Clément d'Alexandrie associe les douze travaux aux étapes de la
38
régénération selon Platon .

Nous souhaitons également faire remarquer ici l'effort d'interprétation du mythe

d'Hercule de la part de Justin gnostique qui apparaît dans le Philosophumena. Puisque nous

connaissons peu d'éléments au sujet de cet auteur, nous nous permettons de l'ajouter à la

suite de ceux qui ont expliqué la tradition gréco-romaine à l'aide de concepts chrétiens.

Justin gnostique intègre le personnage d'Hercule à la tradition gnostique. Il fait du héros

3 5
Athénagore ne fait pas l'interprétation du mythe d'Hercule, mais il explique sa théorie concernant les
d é m o n s . Cf. Athénagore, Suppliques, 24.
36
Cf. supra p. 19.
3 7
Cf. supra p. 11.
3 8
Cf. supra p. 24.
39
l'élu d'Élohim qui vient débarrasser la terre des maux envoyés par Éden . L'auteur
parvient ainsi à expliquer la présence du héros Hercule « sauveur de l'humanité » avant
celle de Jésus Christ : le premier a échoué, il fallait donc qu'il y en ait un second. Chez
Justin gnostique, Hercule conserve son rôle de sauveur, il change simplement de tradition.

Même si tous ces auteurs reconnaissent chez Hercule une disposition libidineuse et
une propension à commettre des erreurs (e.g. des assassinats et des vols), ils n'attribuent
pas ces écarts de conduite au héros, mais plutôt aux démons qui ont créé les mythes. Ces
derniers cherchaient à convaincre les hommes de commettre des actes immoraux et c'est
pourquoi ils ont donné de tels exemples aux hommes. Ainsi, Hercule est vu comme un
personnage positif lorsqu'il est utilisé dans ces œuvres chrétiennes. Il apparaît comme un
sauveur ou comme celui qui combat les maux. Cette tendance ne s'applique toutefois pas à
tous les apologistes issus du milieu païen.

De fait, si la première tendance des apologistes chrétiens provenant d'un milieu


païen veut expliquer les erreurs de la tradition gréco-romaine et trouver le véritable
message que véhicule le mythe d'Hercule, la seconde tendance vise plutôt à mettre en
évidence les erreurs de celui-ci. En fait, ces auteurs veulent aussi montrer l'égarement de la
tradition gréco-romaine en évoquant certains passages mythologiques. Deux thèmes en
particulier sont mentionnés dans ces ouvrages : il s'agit de l'impudicité des dieux et de leur
nature humaine. Dans ces ouvrages, Hercule apparaît comme un homme qui après sa mort
40
fut vénéré pour avoir accompli des bienfaits pour l'humanité . Ces bienfaits sont rarement
mentionnés par les auteurs chrétiens, ils cherchent plutôt à mettre en évidence les actes qui
41
auraient dû empêcher son ascension, tels que ses adultères , ses relations homosexuelles,
ses vols et ses assassinats .

Il s'agit un peu du même principe pour les auteurs qui cherchent à réfuter une œuvre
ou plusieurs œuvres païennes en particulier, à la différence que ces auteurs mettent en
parallèle les accusations de l'auteur païen et les différents épisodes mythologiques qui ont
rapport avec cette accusation. Alors qu'Origène réfute le païen Celse, il reprend une à une
ses accusations et les retourne contre la tradition gréco-romaine. Lorsque l'auteur païen

Cf. supra p. 53.


Cf. supra p. 4 1 , 4 7 et 4 9 .
Cf. supra p. 20 et 39.
Cf. supra p. 62.
accuse les chrétiens de vénérer un homme qui n'a rien accompli d'exceptionnel en
comparaison des exploits réalisés par Hercule, Origène rétorque que le héros gréco-romain
était également un homme qui fut divinisé et que ce dernier ne méritait pas de l'être vu les
43 44
nombreux écarts de conduite qui lui sont attribués . Il rappelle à ce sujet les adultères du
45
héros et quelques méfaits qu'il a accomplis .

Les thèmes de l'impudicité et de la nature humaine sont récurrents dans les


ouvrages apologétiques qui mentionnent le héros. Il s'agit en fait des principaux reproches
qui sont évoqués lorsqu'ils traitent d'Hercule et les apologistes issus d'un milieu chrétien
46
font également remarquer ces éléments à son sujet .

Ces apologistes ayant reçu une éducation chrétienne apparaissent vers la fin du
e
II siècle. Il s'agit des premières générations issues de familles chrétiennes ou d'adeptes
convertis très jeunes aux enseignements chrétiens. Toujours dans le but de défendre le
christianisme, ils rédigent des ouvrages afin de répondre aux attaques païennes et de
valoriser leur foi. Ils semblent toutefois plus assurés dans leur discours et se permettent
d'attaquer de front la tradition gréco-romaine. Si les apologistes issus du milieu païen se
contentaient de relever les erreurs de la tradition gréco-romaine, ceux provenant d'un
environnement chrétien désirent prouver l'absurdité de cette tradition. Leur ton est souvent
plus autoritaire et leurs affirmations plus catégoriques. Firmicus Maternus est un bon
exemple, car il n'hésite pas à traiter le héros de voleur et à dévaloriser les exploits qu'il a
47
accomplis . Un peu avant lui, Athanase est lui aussi catégorique dans ses écrits lorsqu'il
48
attaque la figure de Zeus et sa progéniture . Puisque le christianisme gagnait de plus en
plus d'adeptes à cette époque, on peut croire que les auteurs chrétiens ont gagné de
l'assurance. Cette confiance leur a permis de lutter plus librement pour leurs convictions.
De plus, ils semblent non seulement animés par le désir de valoriser leur foi face aux
attaques païennes, mais ils cherchent également à convaincre les autorités d'abolir les
pratiques de la tradition gréco-romaine. Dans ce but, ils mettent en lumière les éléments
immoraux de la geste d'Hercule afin de montrer l'absurdité de la tradition gréco-romaine.

Cf. supra p. 32.


Cf. supra p. 4 5 .
Cf. supra p. 46.
Cf. supra p. 6 1 .
Cf. supra p. 62.
Athanase, Contra gentes, 12.
En somme, les apologistes qui mentionnent Hercule dans leurs ouvrages se divisent

en deux catégories : ceux qui sont issus d'un milieu païen et ceux qui ont reçu une

éducation chrétienne. Les premiers apologistes vont chercher à expliquer l'erreur de la

tradition gréco-romaine. Ils interprètent le mythe d'Hercule selon sa perception dans sa

tradition d'origine, c'est-à-dire qu'il est le sauveur de l'humanité et un grand bienfaiteur.

Les héritiers de ces auteurs chrétiens vont simplement relever les erreurs de la tradition

gréco-romaine afin de valoriser le christianisme et le défendre contre les attaques païennes.

Ils mettent en perspectivent les mauvais actes d'Hercule en mentionnant rarement ses

exploits sous un bon angle. Enfin, après quelques années, une génération issue - ou au

courant - de l'enseignement chrétien prend la succession dans le combat contre les païens.

Cette génération défend les convictions chrétiennes avec plus d'assurance. Ces auteurs

critiquent le mythe d'Hercule afin de montrer l'absurdité de sa geste.

Plus le temps avance et moins les auteurs vont ressentir le besoin de défendre la foi.
e
Au IV siècle, ils se soucient d'avantage de la conversion des païens. Les auteurs chrétiens

vont continuer à dévaloriser la tradition gréco-romaine afin de voir ses adeptes abandonner

les pratiques qui y sont attachées et adhérer au christianisme. Dans la Préparation

évangélique, Eusèbe de Césarée cite plusieurs auteurs païens et analyse leurs concepts

parmi lesquels se trouvent certains éléments mythologiques. Campé dans les idéologies

chrétiennes, il réfute plusieurs conceptions païennes, entre autres celle de Porphyre. Alors

qu'il veut montrer l'absurdité de l'allégorie physique qui est défendue par Porphyre,

l'auteur ne cherche pas à critiquer le mythe d'Hercule. Le héros apparaît plutôt comme un

élément conceptuel utilisé par l'auteur païen et sa geste n'est pas discutée ou critiquée par

Eusèbe. Ce dernier énumère simplement les éléments du mythe qui ne correspondent pas à

l'idéologie de Porphyre. Il parvient ainsi à réfuter certains concepts païens.

Hercule n'apparaît pas seulement dans les ouvrages chrétiens qui s'adressent aux

païens, il est également mentionné dans quelques œuvres qui sont destinées aux chrétiens.

Ces ouvrages combattent les hérésies, règlent la conduite de la communauté ou rapportent

aux fidèles des récits inspirants. Ne cherchant pas à lutter contre la tradition d'origine du

héros, les auteurs qui rédigent ces ouvrages ne dévalorisent pas le mythe d'Hercule. Ils

l'évoquent plutôt parce qu'il représente certains concepts. Par exemple, dans le Contre

Marcion, Tertullien mentionne l'épisode de la naissance d'Hercule qui reflète ce qui se


produit lorsqu'une femme est fécondée par un homme et par un dieu . Il l'évoque
50
également en tant que modèle de héros qui fut conquis par la volupté .

Dans son traité contre les hérésies, Hippolyte rapproche certains éléments de la

geste d'Hercule de ceux de la conception de l'univers gnostique. Hercule est associé au

créateur de l'humanité, Elohim, et sa compagne, qui est nulle autre que la femme serpent,
51
est assimilée à É d e n . Sans critiquer ou interpréter le mythe gréco-romain, l'auteur fait

surgir les similitudes entre la mythologie gréco-romaine et l'hérésie chrétienne. Ainsi, la

geste d'Hercule est réduite à certains éléments qui correspondent aux concepts de Justin

gnostique.

Grégoire de Nazianze fait lui aussi intervenir Hercule dans son ouvrage qui

s'adresse à la communauté chrétienne. Hercule apparaît dans l'autobiographie comme le


52
représentant des valeurs cyniques . L'auteur ne critique pas le mythe, mais plutôt ce qu'il

incarne.

Ainsi, les auteurs chrétiens qui s'adressent à leur communauté utilisent le mythe

d'Hercule pour mettre en valeurs plusieurs idées. Dans les oeuvres contre les hérésies,

réglant la conduite chrétienne ou autobiographique, le héros n'est ni critiqué, ni interprété,

ni valorisé. Il est simplement perçu comme un symbole qui représente certains concepts tel
53
le héros soumis à ses passions, le héros possédant une force surhumaine ou le héros

incarnant les valeurs cyniques.

On peut donc croire que la perception et l'utilisation du mythe d'Hercule sont

influencées par le combat dans lequel elles s'inscrivent. Lorsqu'il apparaît dans les

ouvrages apologétiques, on discerne deux tendances : ceux qui cherchent à expliquer

l'égarement de la tradition gréco-romaine interprètent la geste du héros, ceux qui cherchent

à défendre la foi chrétienne la critiquent et la dévalorisent, tandis que les auteurs qui

l'incluent dans leurs ouvrages s'adressant aux chrétiens l'utilisent en tant que symbole

représentant certains concepts.

Cf. supra p. 26.


5 0
Cf. supra p. 28.
5 1
Hippolyte, Philosophumena, V, 25.
5 2
Cf. supra p. 68.
5 3
Cf. supra p. 68.
Conclusion générale

Le christianisme s'est formé en milieu polythéiste, entouré par les cultes et les

idéologies païennes. Il est évident que la communauté chrétienne est entrée en contact avec

les mythes et les rituels gréco-romains, puisque, comme les auteurs chrétiens le confessent
1
eux-mêmes, ces légendes et ces pratiques étaient connues de tous .

1
Pseudo-Clément, Homélies clémentines, IV, 15 ; Minucius Félix, Octavius, XXIII, 1.
Le mythe d'Hercule n'échappe pas à cette affirmation ; c'est probablement parce

que la geste du héros était l'une des plus populaires que son mythe se retrouve dans les

ouvrages chrétiens. Les auteurs chrétiens l'utilisent dans leur propos afin de défendre leur

position contre les païens et contre les hérésies. Porté à la défense de la vraie foi, le héros

apparaît comme un élément culturel compris de tous dans l'Empire. Ainsi, il peut servir

d'exemple et de modèle pour appuyer les arguments chrétiens.

Le héros est présenté différemment selon le combat dans lequel il intervient. Il est

souvent déprécié et critiqué lorsque les auteurs cherchent à montrer l'absurdité de la

tradition gréco-romaine et à valoriser le christianisme. Sa geste est interprétée lorsque

certains auteurs veulent expliquer les égarements des adeptes de la tradition gréco-romaine.

Enfin, le héros semble réduit à certaines caractéristiques de sa personnalité ou à certains

épisodes de sa geste lorsque les auteurs désirent corriger les hérésies et la conduite des

communautés chrétiennes.

Dans ces ouvrages, Hercule apparaît entouré par d'autres figures mythologiques qui

sont elles aussi critiquées ou admises par les auteurs. Ces figures font parfois partie de la

geste d'Hercule et d'autres fois non. Les figures mythologiques qui ne font pas partie de la

geste du héros sont liées entre-elles par certaines caractéristiques communes et sont souvent

énumérées afin d'appuyer les propos des auteurs. Ces énumérations viennent donner un

impact plus grand à l'argument que les auteurs avancent. En général, lorsque ces derniers

mentionnent Hercule dans leurs énumérations, ils veulent dénoncer l'impudicité des dieux

ainsi que leur nature humaine. Quant aux figures qui font partie de sa geste, lorsque les

auteurs traitent le mythe d'Hercule plus en particulier, elles sont interprétées selon l'image

que les auteurs veulent donner de celui-ci. Les amants et les amantes d'Hercule

apparaissent comme ses victimes lorsque les auteurs désirent montrer l'impureté des actes

du héros et ils deviennent les outils de la perdition d'Hercule lorsque les auteurs

l'envisagent comme le sauveur de l'humanité, mais cette deuxième interprétation reste peu

fréquente.
e e
Ainsi, les auteurs chrétiens entre le II et I V siècle critiquent principalement deux

éléments de la geste d'Hercule : son impudicité et sa nature humaine. De fait, comme

plusieurs autres divinités gréco-romaines, Hercule était un homme soumis aux passions et

emprisonné dans une enveloppe de chair mortelle avant d'être élevé au rang de dieu. Les
auteurs chrétiens rappellent certains événements démontrant qu'il possédait bien un corps.

Il existe plusieurs exemples de ces épisodes, entre autres ceux où le héros est blessé sur le

champ de bataille ou celui de sa mort sur le mont Œta.

De plus, comme les auteurs chrétiens l'attestent dans leurs œuvres et comme les

auteurs païens et les poètes l'ont dit avant eux, Hercule a commis de nombreux actes

sexuels avec de nombreux partenaires. Parmi tous les épisodes qui attestent de ces

débauches, celui qui est prisé par les auteurs chrétiens est sans nul doute la période

d'esclavage chez Omphale, où le héros a non seulement succombé à ses passions, mais a

également corrompu sa virilité. Les nombreux adultères commis par le héros ainsi que son

esclavage efféminé auprès d'Omphale auraient dû suffire pour qu'aucun homme ne songe à

le vénérer comme un dieu. Tous ces éléments viennent montrer l'absurdité de la tradition

païenne qui fait de simples hommes soumis à leur passion des dieux.

Il semble que quelques auteurs chrétiens ne considèrent pas que le héros soit

entièrement mauvais et ils admettent certains épisodes de sa geste. Puisqu'Hercule est un

homme ayant accompli de nombreux bienfaits pour l'humanité, quelques auteurs chrétiens

vont traiter le mythe du héros afin d'expliquer ses nombreux écarts de conduite. Pour ce

faire, ils utilisent l'allégorie. C'est le cas de Justin gnostique qui voit en Hercule le premier

envoyé divin qui a malheureusement échoué dans sa mission. D'autres auteurs chrétiens

vont chercher à expliquer les points communs entre la geste des dieux et la vie de Jésus. Il

s'agit d'après Justin martyr de l'action de démons qui désiraient tromper l'humanité. Mis

au courant de l'arrivée d'un Messie par l'Ancien Testament, ces derniers ont créé plusieurs

personnages et leur ont attribué les qualités du Messie annoncé par les Écritures. Hercule a

hérité du titre de sauveur de l'humanité. C'est en fait ce qui lui permet d'être associé à la

figure de Jésus Christ.

Marcel Simon résume les traits les plus marquants du parallélisme entre Jésus et

Hercule :

« Dans le cas de Jésus comme dans celui d'Hercule, le héros, de lignage divin,
échappe miraculeusement, au lendemain de sa naissance, au danger mortel qui
le menace. Au seuil de l'âge d'homme, il subit la tentation, et en triomphe.
Agent d'exécution, sur terre, de la volonté paternelle et du plan divin, il
inaugure alors, pour le salut de l'humanité tout entière, une carrière jalonnée
d'épreuves et de souffrances. Docile à la volonté du Père, il termine sa vie
terrestre par une passion, qu'il accepte. Sa mère éplorée est témoin de sa mort,
qu'accompagnent des prodiges et qui, loin de consacrer sa défaite, n'est que le
nécessaire prélude à son apothéose. Vainqueur du mal en ce monde, il l'est
aussi des puissances infernales » (Marcel Simon, Hercule et le christianisme, ) .

Il s'agit en fait d'épisodes issus du début, c'est-à-dire de la naissance et de l'enfance, et de


la fin, c'est-à-dire la passion, la mort, la descente aux Enfers et l'Ascension, des deux
personnages.
er
Au I siècle, ces traits communs avaient déjà frappé les auteurs chrétiens. Les
premiers missionnaires les ont probablement utilisés pour gagner les païens à la foi
chrétienne. Cette méthode a pu toutefois amener les esprits forts du milieu intellectuel
païen a suggérer l'égalité de l'histoire évangélique et des mythes païens, c'est-à-dire que les
mythes de la tradition païenne valaient l'évangile de la tradition chrétienne. Pour éviter le
syncrétisme avec la tradition païenne les chrétiens ont dès lors dû se montrer prudents. Ils
se sont mis à réduire les traits communs pour souligner l'originalité du christianisme. De
fait, ils refusent de soumettre le Christ à des rapprochements compromettants avec les
personnages de la tradition gréco-romaine, marqués par les infamies et les impuretés. Ils se
dressent contre l'interprétation idéalisée et allégorique de la figure et des exploits
2
d'Hercule . C'est probablement pourquoi les allégorisations du mythe d'Hercule se limitent
er e
aux I et II siècles. Après avoir reconnu et expliqué ces ressemblances, les auteurs ont
cherché à éviter le syncrétisme et se sont empressés de marquer les différences.

Il est fort probable toutefois que le rapprochement entre Hercule et Jésus ait d'abord
été l'effort des païens qui cherchaient à banaliser le personnage de Jésus Christ. En fait, les
païens cherchaient à absorber le christianisme ou du moins à définir les conditions qui
3
auraient pu permettre la coexistence du christianisme avec la tradition gréco-romaine .
Dans cet esprit, les adeptes du paganisme ont sans doute cherché à faire valoir les parallèles
entre les mythes païens et les Évangiles. Ainsi, Celse a pu suggérer de vénérer la figure
d'Hercule à la place de celle du Christ.

Enfin, Marcel Simon avance que la théologie herculéenne a pu apporter beaucoup


au christianisme et, inversement, il affirme qu'Hercule a traversé les âges grâce à
l'influence du christianisme. Sa vaste personnalité ainsi que son rôle au sein de la tradition

2
Stéphanie Danvoye, Hercule et le christianisme : autour des imaginaires mythiques.
3
E.R. Dodds, Chrétiens et païens dans un âge d'angoisse, p. 123.
gréco-romaine a permis au héros d'être interprété et plus tard assimilé à la nouvelle

religion. Par exemple, son combat contre Géryon fut converti en Saint Georges tuant le
e e e
dragon au V I siècle. On peut aussi ajouter que la société entre le II et le I V siècle

considérait le héros comme un symbole trop important pour être aboli. Après avoir discuté

longuement de son mythe, les auteurs chrétiens retinrent les éléments vertueux de sa geste

et l'intégrèrent à leurs symboles.


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Index des personnages mythologiques Bon, le 52, 53, 55
et historiques Cérès 46,47

Chronos 14
- Abdéros 12, 13 Cléomaque 29
- Achille 28,29 Con (Chonos) 12, 13

- Alcmène 23, 26, 65 Constantin, empereur 59, 60

Amphiaraiis 31 Constance Chlore, gouverneur

Amphitryon 26 59

Anaxarque 42 Danaé 18,78


Antonin le pieux 9 Daniel 43
- Aphrodite 15,20,22,53,54, Dèce, empereur 37
63,71,76,80 Déjanire 66, 67
- Apollon 12, 2 0 , 2 1 , Denis le stoïcien 31,32
39-41,50,61,66, Dioclétien, empereur 3, 58, 59
75-77 Diomède 13,63
Clarien 67 Dionysos/Bacchus/Liber 12, 18,
Appion 11,14 20,21,39, 42,43,

Appius Claudius 49 46, 47, 48, 50, 60,

- Arcas 63 63, 64, 66, 75 , 76,

- Arès/Mars 22,63,71 78,

Argonautes 13,32,47 Dioscures, les/Castor et Pollux

Asclépiade le cynique 32 18,22,26,32,39,

Asclépios/Esculape 17-19,39, 40, 4 2 , 4 6 , 6 1 , 6 3 ,

40, 4 2 , 4 6 , 5 0 , 6 1 , 75, 76, 78,

66, 75-78, 75 Éden 52-55, 76, 79, 83

- Athéna/Minerve 15,20,22, Elohim 50-55, 80, 83, 87

40, 63, 76 Épictète 42

- Athys 30 Érigone 40

- Babel 53, 54, 80 Eurysthée 12, 13, 66

Bacchantes, les 42, 64 Galère, empereur 59

- Bellérophon 18,78 Galien, empereur 1,37


Géryon 52,62,79,91 Melqart 2,47
Hadès/Pluton 1 2 , 4 3 , 4 4 , 63, 75 Marcion 10,20,25-27,33
Hadrien, empereur 8, 9 Marie, mère de Jésus 26, 27, 78
Hélios 22 Messie 19,25,26,48,75,

Hémon 12, 13 77,78,83,90


Héra/Junon 15, 22, 50, 63, 76, Moïse 53,68
Hermès 18, 63, 75-78 Muses, les 64
Hylas/Iolas 12, 13, 3 2 , 4 5 , 61 Œnomaùs 66-68
Iphiclès 26 Omphale 28, 29, 30, 32, 44,
Isaïe 19, 26, 77, 78 45,53,54, 63,80,
Jésus Christ 3,5, 19,20,25, 90
26, 3 4 , 3 8 , 4 1 - 4 8 , Orphée 16,42,43
56, 70, 75- 79, 81, Pégase 18,78
84, 90, 91, Persée 17-19,32,63,
Jocastos 12, 13 75, 76, 78

Jonas 43 Physcon 29

Julien l'Apostat, empereur Polyphème 12, 13

3, 59 Pompée 32

Léda 18,27 Philoctète 12, 13

Leucothéa 39 Poséidon/Neptune 12,20,31,

Licinius, empereur 59 39, 40, 75,

Lycomède/ Les filles de 76

Lycomède 29 Priape 64

Magnence l'usurpateur, Protésilas 43

empereur 59 Samson 68,73

Marc Aurèle, empereur 9 Sardanapale 29

Maxime le cynique 69, 70 Scipion 32

Maximin, empereur 37 Sémélé 64,76

Méduse/Gorgones, les Septime Sévère, empereur

18,77 3,37

Mélicerte 39 Simon le mage 11


Soteira 63

Théodamas/Dryope 12,13,45
er
Théodose 1 , empereur 59, 61

Thésée 43,

Thestios/Thespiades 23, 72, 80

Thétis aux pieds d'argent 28

Titans, les 14,48, 76

Trajan, empereur 3, 9

Valérien, empereur 37

Zeus/Jupiter 12, 17, 18,

19, 2 3 , 2 6 , 62, 63,

65,69,71,75-78,

80, 8 1 , 85

Zoroastre/Er 24
- Firmicus Maternus
Index des sources chrétiennes et 60-62, 72, 79, 85
païennes

- Grégoire de Nazianze
- Apollodore 13, 18, 28, 76, 77, 60, 69-70, 73, 87
78, 79, 80 Hérodote 2,52
Apollonios de Rhode - Hésiode 2,13,26
45 - Hippolyte de Rome
Arnobe de Sicca 38, 51-55, 77, 87
38,46-48,56,57 - Homère 5,6,10,22,24
- Athanase 60, 62-64, 72, 76, - Hygin 13
85 Irénée de Lyon 10
Athénagore d'Athènes - Justin martyr 9, 10, 18-20, 34,
9, 16-18,83 35, 76, 77, 78, 83,
- Celse 1,4,38,41,42-45, 90
56, 77, 8 4 , 9 1 Justin gnostique
Clément d'Alexandrie 4, 51, 52-55, 57,
10,21-24, 3 4 , 3 5 , 80, 83, 84, 90
42, 76, 81, 83 - Lactance 38,48-51,56
Cyprien de Carthage Lucien de Samosate
37, 38-39, 56 1,2, 28
Diodore de Sicile - Nonnos de Panopolis
64, 68 76
Épictète 42 - Macrobe 50
Épiphane de Salamine - Minucius Félix
60, 70-72, 80 3 8 , 4 0 - 4 1 , 5 6 , 88
Euripide 18 - Origène 38,41-45,56,76,
Eusèbe de Césarée 78, 84
60, 64-69, 73, 8 1 , Pausanias 80
86 - Platon 17,24,34,42,83

- Pomponius Mêla
Porphyre de Tyr

65, 68

Pseudo-Clément/Clément

Romain 10, 1 1-15, 23, 34,

35, 83

Sophocle 13

Strabon 52

Stace 29

Tatien 10

Tertullien 9, 10, 25-33, 34,

80, 86

Théophile d'Antioche

9, 20-21,33

Valère-Maxime

50
Index des thèmes o 12 travaux ;

11, 1 8 , 2 3 , 2 4 , 3 1 ,
Actes criminels ; 34,41,47,53,54,

o commis par Hercule ; 5 6 , 5 7 , 6 5 , 6 6 , 72,

13, 1 4 , 3 0 , 6 1 , 83

66, 82 o accomplis par d'autres


o Meurtre; 13,62,79,84 personnages
o Vol; 47,56,62,79, mythologiques
84, 85 Persée 17, 18
o Viol; 71,72 Asclépios 77
o commis par d'autres - Culte impérial 37, 38, 59
personnages Différents épisodes libidineux ;
mythologiques ; o de la geste d'Hercule ;
13,20,31,61 12, 2 2 , 2 3 , 2 7 , 2 8 ,
Allégorisation ; 30,35,45,51,72,

o d'épisodes de la geste 7 5 , 8 7 , 89

d'Hercule o de la mythologie gréco-


4, 6 , 2 0 , 34, 53, romaine ;
54, 57, 66, 72, 83, 12, 13, 1 5 , 2 1 , 2 3 ,
86, 9 0 , 9 1 39, 50, 56, 75, 79,
o d'épisodes mythologiques 91
5 , 6 , 10-15, 82, 83 Zeus; 22,62,63,81
- Apologie 4,9,35,57,82-87 Divinités représentant les vices
Bienfaits ; des hommes 11,41,56,71

o accomplis par Hercule - Énumération de personnages

2 , 3 , 17, 22, 25, mythologiques

32,4, 48,51,71, 12, 13, 1 5 , 3 3 , 3 4 ,

86 40, 42, 44, 46, 47,


50, 62, 64, 69, 79,
81,89
Evhémérisme 17, 18, 22, 3 1 , 32,

34, 39, 42, 44, 47,

48,49, 63,65,76,

79, 85

Généalogie orphique

16, 17, 76, 77

Historicisation du mythe

34

Marcionisme 25

Nature physique des dieux ;

Éden ; 55

Hercule; 2 1 , 22

Soleil ; 66

Travestissement ; 27-29,

30,33,80

Persécutions

9 , 3 7 , 3 8 , 5 9 , 82

Rapprochement ;

o entre christianisme et

tradition gréco-romaine

3, 18, 1 9 , 3 2 , 4 1 -

45, 56, 57, 75-79,

90

o entre hérésie et tradition

gréco-romaine

25,26,51,52,56,

86, 87

Hercule symbole

68,69, 70,71

Traité hérésiologique

82, 86

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