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Mémoire présenté
à la faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en Études Anciennes
pour l'obtention du grade de Maître ès arts, (M.A.)
2008
C'est pourquoi nous tenons à remercier tous ceux qui ont participé de près ou de loin à
la réalisation de ce mémoire et tout particulièrement notre directrice de maîtrise,
Pascale Fleury, qui a déployé beaucoup d'énergie et d'efforts afin de nous voir réussir.
Nous souhaitons également adresser un merci spécial à tous ceux qui nous ont apporté
un support moral durant les dernières heures de rédaction, alors que l'épuisement et la
lassitude ont bien failli avoir raison de nous.
Merci.
À l'époque où le christianisme se développe, la mythologie gréco-romaine imprégnait
ou inspirait toutes les sphères de la culture, soit la littérature, l'architecture, la musique et
même le langage. Alors considéré comme un élément du bagage culturel commun qui
représentait certains concepts, le mythe gréco-romain fut employé par plusieurs auteurs et
plusieurs orateurs afin de toucher l'auditoire et de faire comprendre leur point de vue.
Nous croyons que les premiers auteurs chrétiens n'échappaient pas à son influence.
Notre mémoire présente donc le portrait d'un personnage mythologique, Hercule, afin de voir
e e
comment et dans quel but les auteurs chrétiens entre le II et le IV siècle utilisaient le mythe
gréco-romain. Cette recherche permet d'établir les façons dont les auteurs chrétiens ont utilisé
la mythologie : à travers le cas d'Hercule, il ressort clairement que l'assimilation des
personnages mythologiques est complexe et que les auteurs chrétiens utilisent souvent la
mythologie de façon ponctuelle, n'étant pas ni de fervents adversaires, ni partisans d'un
syncrétisme pacifique.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction p. 1
Chapitre 1
e
Les auteurs du II siècle : Hercule dans les premiers ouvrages défendant ie
christianisme p. 8
1.1 Pseudo-Clément p. 11
1.2 Athénagore P- 16
1.3 Justin Martyr P . 18
1.4 Théophile d'Antioche p. 20
1.5 Clément d'Alexandrie p. 21
1.6 Tertullien P . 24
Chapitre 2
e
Les auteurs du III siècle : Hercule et le conflit pagano-chrétien p. 36
2.1 Cyprien de Carthage p. 39
2.2 Minucius Félix P . 40
2.3 Qrigène P . 41
2.4 Arnobe de Sicca P . 46
2.5 Lactance P» 48
2.6 Hippolyte de Rome p. 51
Chapitre 3
e
Les auteurs du IV siècle : Hercule et l'installation définitive du christianisme au sein de
l'Empire romain P« 58
3.1 Firmicus Maternus P . 60
3.2 Athanasius P- 62
3.4 Grégoire de Nazianze p. 69
3.5 Epiphane de Salamine p. 70
Chapitre 4
Synthèse p. 74
4.1 Le contexte direct ou les différents éléments mythologiques entourant Hercule
e e
dans les œuvres chrétiennes entre le II et le IV siècle p. 75
4.2 Le contexte indirect ou les différents genres littéraires intégrant
Hercule et sa geste p. 82
Conclusion générale p. 88
Bibliographie p. 93
Index p. 102
Introduction
Afin de parvenir à définir leur communauté, les chrétiens ont traversé plusieurs
épreuves ; l'une des plus importantes est sans doute la confrontation avec les religions et
philosophies antiques. Si les chrétiens ne sont qu'une question administrative pour Pline le
Jeune et qu'ils éveillent un intérêt singulier chez Lucien et Galien, le milieu intellectuel
païen ne tardera pas à s'intéresse à leur communauté avec plus d'ardeur. Le premier d'entre
eux est Celse qui voit dans le christianisme une menace réelle pour l'équilibre et la paix qui
1
règne dans l'Empire . De fait, refusant de participer aux célébrations sacrées de l'Empire,
frères ou dans un souci de conversion. Lorsque le christianisme sera attaqué, ils adresseront
leurs propos aux gens cultivés du paganisme afin de le défendre. Puisque le christianisme
évolue au sein de l'Empire, les auteurs chrétiens empruntent le langage et les différents
symboles qui ont cours sur son territoire dans le but d'être compris par leurs destinataires.
C'est ainsi que les premiers auteurs chrétiens ont incorporé le mythe gréco-romain à leurs
œuvres. Nous trouvons particulièrement étonnant que les auteurs appartenant à une
tradition qui souhaitait éviter toute forme de syncrétisme puissent intégrer à leur ouvrage
des éléments mythologiques gréco-romains. Dans notre mémoire, nous proposons donc de
e e e
parcourir les sources chrétiennes des II , III et I V siècles afin de voir comment et dans
quel but les auteurs chrétiens ont utilisé le mythe gréco-romain d'Hercule.
Effectuer la recherche sur l'ensemble des mythes païens aurait représenté une tâche
beaucoup trop complexe. Il fallait trouver un exemple de mythe qui permettrait de voir les
différents emplois faits par les auteurs chrétiens, c'est-à-dire à la fois critiqué et assimilé
par les adeptes de la foi chrétienne. C'est pourquoi nous avons choisi la figure mythique
d'Hercule. Non seulement le héros a parcouru le monde afin d'accomplir ses exploits, mais
son culte s'est propagé autour de la Méditerranée. Il fut adopté par plusieurs traditions et il
légendaires, des nymphes, de jeunes hommes et de jeunes femmes qui sont devenus ses
amants. Même si Hercule est connu dans la tradition gréco-romaine comme un sauveur et
un grand bienfaiteur, son interaction avec les autres figures mythiques n'est pas toujours
'Eric Robertson Dodds, Païens et chrétiens dans un âge d'angoisse, Paris, La pensée sauvage
(coll. Bibliothèque d'ethnopsychiatrie), 1979, p. 122.
2
Hésiode, Théogonie, v. 269-524.
3
Tacite, Annales, II, 60.
4
Hérodote, Histoire, II, 44.
5
Lucien de Samosate, Hercule, 1-7.
empreinte de vertu ou de moralité. C'est pourquoi Hercule apparaît comme le mythe le plus
intéressant pour notre recherche ; il est à la fois le héros incarnant toutes les vertus antiques
De plus, Hercule est d'une grande importance pour les adeptes de la tradition gréco-
romaine. A l'époque, son mythe avait non seulement une portée religieuse, mais également
philosophique et politique. Les cyniques et les stoïciens avaient fait du héros leur modèle
par excellence. Chez les stoïciens, Hercule représentait « le Logos répandu en toutes
7
choses, qui donne à la nature sa force et sa vigueur » et chez les cyniques, il symbolisait la
premier proclama la vertu du héros en faisant de ses exploits un combat contre le vice. Le
o
héros devient dès lors le modèle du sage parfait . Possédant à la fois une force physique
extraordinaire et une moralité à l'abri du vice, Hercule n'inspirait pas seulement les
e e
philosophes, mais également les politiciens. Ainsi, entre le II et le IV siècle, plusieurs
empereurs installèrent Hercule au centre de la vie politique. Pour ne donner que quelques
exemples nommons Trajan qui initia le mouvement en faisant d'Hercule le représentant
céleste de l'empereur, Commode qui vénéraient l'Hercule philosophe plus que l'Hercule
athlète, Septime Sévère qui l'utilisa pour se rapprocher de la dynastie des Antonins,
Caracalla qui se considérait comme son rival et Dioclétien qui exprimait sa prédominance
en s'attribuant le titre de Jupiter et en donnant celui d'Hercule à son gouverneur,
9 e
Maximien . Au IV siècle, Julien l'apostat tente de réinstaurer son culte. Alors qu'il
cherche à rétablir les anciennes pratiques gréco-romaine, Julien introduit le héros dans sa
trinité païenne. En tant que représentant du souverain et de la sagesse, Hercule occupe la
10
position du fils ce qui l'associe à la figure de Jésus Christ . L'importance du personnage
d'Hercule pour la société gréco-romaine ainsi que l'analogie établie entre le héros et Jésus
Christ justifient l'intervention chrétienne contre le héros. Hercule est un symbole puissant
de la tradition gréco-romaine, les auteurs chrétiens ne pouvaient donc pas l'ignorer. Par
6
Pour en donner quelques exemples, citons notamment Pompei, Herculanum (en Italie) et Gadès
(en Espagne). Pindare explique également comment Hercule a institué les Jeux olympiques (Pindare,
e
X Olympique, v. 22-59)
7
Cornutus,
8
Stéphanie Danvoye, 13 septembre 2008. Hercule et le christianisme : Autour des imaginaires mythiques
[ En ligne ]. Adresse U R L : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/04/danvoye.html.
9
Stéphanie Danvoye, 13 septembre 2008. Hercule et le christianisme : Autour des imaginaires mythiques
[ En ligne ]. Adresse U R L : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/04/danvoye.html.
ailleurs, le héros connaîtra un cheminement exemplaire dans le christianisme au cours du
démontre l'intérêt que les chrétiens portaient au héros, ce qui le rend doublement
intéressant dans le cadre de notre travail. A travers lui, nous pourrons découvrir comment et
e e
dans quel but les auteurs chrétiens entre le II et le I V siècle ont utilisé le mythe gréco-
auteurs grecs, nous avons pu relever les occurrences concernant Hercule dans les œuvres
e e
chrétiennes entre le I I et le I V siècle. Nous avons évidemment éliminé d'office toutes les
occurrences qui n'avaient pas de lien avec la mythologie, tels que les noms de lieux et les
noms de personnages historiques. Nous avons également écarté quelques mentions banales
du héros incluant surtout des allusions aux rituels faits en l'honneur du héros et certains
jurons, toutefois ces mentions sont évoquées à titre informatif en début de rubrique, et cela
Nous avons relevés des occurrences dans 26 œuvres chrétiennes pour 16 auteurs
chrétiens, excluant les auteurs et les œuvres qui sont copiés ou cités dans des ouvrages
auteurs, nous retrouvons plusieurs apologistes. Quelques auteurs sont connus pour leur
réfutation des écrits païens et d'autres pour leur combat contre les hérésies. Nous possédons
explorées dans un ordre chronologique. Nous pourrons relever les éléments rejetés ou
acceptés du mythe d'Hercule et voir l'évolution du personnage dans la pensée des auteurs
e e
chrétiens entre le I I et le I V siècle. Nous aurons ainsi une meilleure connaissance des
10
Marcel Simon, Le christianisme antique et son contexte religieux, Tiibingen, J.C., B. Mohr, 1981, p. 2 5 8 .
11
Marcel Simon, Hercule et le Christianisme, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 1955, p. 171.
12
En utilisant la forme tronquée «Hercul*» dans la banque de données C L C L T , nous avons trouvé 101
occurrences chez les auteurs latins.
13
Grâce à l'index de mots fournis par le T L G , nous avons pu faire un tri rapide des formes inutiles pour notre
mémoire. N o u s nous s o m m e s par la suite concentrés sur les occurrences h ¥ r a k l e 0 a / h ¥ r a k l h a j / h r a k l h j pour
un total de 184 occurrences chez les auteurs grecs.
Au fil des époques, le personnage mythologique d'Hercule fut repris par de
e
nombreux auteurs. Si Ton ne considère que le XX , plusieurs écrivains ont choisi de
développer le thème d'Hercule. Pour n'en mentionner que quelques-uns, citons
14
Sully-André Peyre qui compose son ouvrage poétique s'inspirant de la légende du héros
15
ou Guy Rachet qui, avec humour et lyrisme, nous fait redécouvrir l'odyssée
extraordinaire d'Hercule en quête d'immortalité.
Hercule fut également l'objet de plusieurs études qui se sont intéressées à son
16
évolution. Parmi celles-ci, mentionnons quelques ouvrages dont celui de Jean Bayet qui
dresse le portrait de l'évolution de la figure d'Herclé, le héros étrusque, et de son
17
assimilation à la figure grecque d'Héraklès ; dans YHerakles Thème, Karl G. Galinsky
traite de l'adaptation du héros dans la littérature d'Homère jusqu'à sa perception dans la
e 18
littérature du XX siècle ; Maurice Pezet nous fait visiter les différents sites
archéologiques de Provence, du Languedoc et du Roussillon sur les traces du héros grec.
Leurs ouvrages sont des outils de référence au sujet de la symbolique d'Hercule et ils
expliquent le cheminement du héros de l'antiquité jusqu'à l'époque moderne. Ils dressent
un tableau très intéressant du mythe à travers le christianisme et les œuvres chrétiennes.
Toutefois, ils ne s'attardent pas à expliquer les efforts d'assimilation faits par les chrétiens.
Ils passent simplement en revue les principaux événements liés aux cultes du héros qui
e e
seront abandonnés au cours du I V et V siècle. L'intervention chrétienne dans ce processus
est très peu discutée.
19
Malgré le travail de Fr. Pfister sur les similarités entre le mythe d^Hercule et les
20
Évangiles de Jésus Christ et l'ouvrage de J. Pépin sur la figure d'Hercule dans le
néoplatonisme, l'ouvrage le plus important concernant l'interprétation chrétienne du mythe
21
d'Hercule est sans doute celui de Marcel S i m o n . L'auteur décrit tout d'abord l'évolution
14
Sully-André Peyre, Hercule, Mûrevigne, Marsyas, 1948.
15
G u y Rachet, Les 12 travaux d'Hercule, Monaco, Editions du Rocher, 2 0 0 3 .
16
Jean Bayet, Les origines de l'Hercule Romain, Paris, Éd. de Boccard, 1926.
1 7
Karl G. Galinsky, The Herakles Thème, Oxford, Basil Blackwell, 1972.
18
Maurice Pezet, Sur les traces d'Hercule, Paris, Éditions des deux-mondes, 1962.
19
Fr. Pfister, « Herakles und Christus », in Archivfur Religionswissenschaft, vol. X X X I V , 1937, p. 53.
2 0
Jeam Pépin, Héraclès et son reflet dans le néoplatonisme, Paris, Éditions du Centre national de la recherche
scientifique, 1971.
2
' M a r c e l Simon, Hercule et le Christianisme. M m e . Stéphanie D a n v o y e a fait le résumé de cette œuvre sur
internet en y ajoutant quelques commentaires explicatifs. Stéphanie Danvoye, 13 avril 2008. Hercule et le
générale de la pensée chrétienne concernant le mythe gréco-romain, des premières
l'Évangile et la vie d'Hercule. Elle trace ainsi l'évolution du personnage à travers la pensée
chrétienne et conclut par la description des changements que le christianisme a opérés sur le
mythe pour l'assimiler à sa tradition. Cette étude, bien qu'imposante, n'est pas tout à fait
d'Homère de façon allégorique. L'étude est donc limitée à cette classe d'auteurs et ne
dresse pas un tableau complet de tous les auteurs de cette époque qui ont utilisé les mythes
païens. En somme, aucun ouvrage ne présente le portrait d'Hercule dans les œuvres
e e
littéraires chrétiennes entre le II et le I V siècle.
modernes à son sujet, son mythe a intrigué les hommes de toutes les époques, de
Hercule et sa geste auraient pu disparaître, mais ils furent adoptés par la nouvelle religion.
L'étude de cette période peut certainement nous éclairer sur le mécanisme d'assimilation
Toutefois, les études modernes qui ont examiné cette période décisive dans
l'évolution des mythes gréco-romains ne proposent pas un examen exhaustif des sources
proposons d'analyser chacune des sources chrétiennes de cette période qui mentionnent le
héros. C'est donc par son exhaustivité que ce travail se démarquera. Il sera ainsi possible de
dresser un tableau plus fidèle de la pensée chrétienne à l'égard du mythe d'Hercule entre le
e e
II et le IV siècle et de découvrir comment et dans quel but les auteurs chrétiens l'ont
e
Les auteurs du II siècle : Hercule dans les premiers ouvrages défendant le
christianisme.
e
Au II siècle, l'Empire romain atteint le sommet de sa force, c'est la Pax romana.
1
Un des meilleurs exemples de cette solidification est le mur d ' H a d r i e n qui sépare l'Angleterre de l'Ecosse et
dont la construction débuta en 122. Cf. à ce sujet Jean C o m b y , Pour lire l'histoire de l'Eglise, Paris, Éditions
du C e r f 1984, p. 3 1 .
2
Édit de Caracalla, selon lequel on confère aux habitants libres de l'Empire la citoyenneté romaine. Cf. à ce
sujet Ibid., p. 30.
Les communications entre les provinces étant favorisées par le développement d'un
réseau routier important, la culture et les idéologies des différentes nations se voient
propulsées à travers l'Empire. On assiste à une agitation hors du commun sur le plan
d'élévation morale et de salut, il séduit plusieurs hommes qui sont à la recherche d'un
contact plus direct avec une divinité bienveillante. Il refuse toutefois de fusionner avec les
autres traditions qui persistent dans l'empire. Les chrétiens rejettent entre autres le culte à
l'empereur, ce qui représente un affront à l'État. Or, jamais les chrétiens n'ont prêché la
révolte contre les autorités civiles et c'est le contraire qui va se produire : poussé par
4
l'opinion public, l'État va s'emporter contre la jeune communauté chrétienne .
Alors que les païens se montrent tolérants envers les diverses pratiques religieuses,
ils n'accepteront pas les chrétiens qui sont intolérants face aux autres dieux. Les
médisances qui couraient à leur sujet vont attiser la haine et conduire aux premières
persécutions chrétiennes .
e
Au II siècle, les persécutions chrétiennes ne sont pas systématiques. Elles
martyrs sous Trajan (98-117), Hadrien (117-138) et Antonin le Pieux (138-161), bien que
ces empereurs fussent connus pour leur clémence envers les chrétiens. Mise à part la
e
persécution de Lyon qui a lieu sous Marc Aurèle en 177, le II siècle est une période plutôt
6
tranquille pour les chrétiens . Ils chercheront toutefois à défendre leur foi et leur
communauté.
Les auteurs chrétiens de ce siècle se voient confrontés à plusieurs critiques qui vont
les pousser à réagir. Les premières répliques chrétiennes seront suscitées par les accusations
persécution des fidèles. Certains auteurs chrétiens vont ressentir le besoin de réfuter ces
3
C / à c e s u j e t / t a / . , p. 2 8 - 3 1 .
4
G u y Bedouelle, L'Histoire de l'Église, Luxembourg, éditions Saint-Paul, 1997, p. 60.
5
Idem
6
Jean Comby, Pour lire l'Histoire de l'Église, p. 44-48.
accusations et de valoriser le christianisme. L'apologie devient un outil littéraire qui permet
e
de défendre le christianisme. Hercule est évoqué dans certains ouvrages de ce genre au II
siècle, entre autres dans ceux de Tertullien, d'Athénagore, de Justin martyr et de Théophile
d'Antioche. Tatien mentionne également le héros dans son Discours aux Grecs qui
s'oppose à la culture classique. Le héros apparaît à deux reprises alors que l'auteur critique
les théories de Zenon, deux autres fois lorsqu'il discute de la philosophie d'Hérodorus et il
est mentionné encore dans la chronologie mythologique faite par Tatien. Nous avons choisi
de ne pas attribuer de rubrique à cet auteur, puisqu'Hercule n'y est pas directement traité.
Les auteurs chrétiens vont également chercher à combattre les différentes hérésies
chrétiennes. Puisque les dogmes ne sont pas encore fixés, les questions internes divisent la
communauté et donnent naissance à plusieurs sectes. Afin de réfuter l'une d'entre elles,
Tertullien fait apparaître Hercule dans son ouvrage contre les idéologies de Marcion. Pour
sa pan, Irénée de Lyon combat les gnostiques. Il fait également mention d'Hercule dans
son ouvrage Adversus Haereses. Puisque l'auteur ne discute pas de la figure d'Hercule,
mais plutôt d'Homère et de son Odyssée, nous avons décidé de ne pas l'intégrer à notre
discussion.
e
Enfin, un dernier groupe d'auteurs du II siècle fait intervenir le héros dans son
éléments de la tradition païenne afin de déceler la parcelle divine qui s'y trouve, c'est-à-
dire, selon les chrétiens, le véritable message. Même si on trouve des traces de cette
idéologie chez le Pseudo-Clément, il semble que son véritable initiateur soit Justin martyr.
Nous aurions pu choisir de traiter les auteurs chrétiens par genre littéraire, mais
nous avons préféré présenter chaque auteur individuellement afin de dégager leur
perception particulière face au mythe d'Hercule. Nous les présenterons plutôt dans un ordre
chronologique.
7
Daniel Bourgeois, La sagesse des anciens dans le mystère du Verbe, Paris, Téqui (Coll. Croire et savoir ; 1),
1981.
1.1 Pseudo-Clément
Selon lui, les mythes païens doivent être interprétés afin de révéler le véritable
message dont ils sont porteurs. En guise d'exemple, il nous donne son interprétation du
mythe d'Hercule :
L'auteur interprète certains épisodes de la geste d'Hercule. Les monstres mythiques que le
héros a combattus lors de ses douze travaux, c'est-à-dire le lion de Némée, le sanglier
d'Érymanthe et l'hydre de Lerne, sont associés aux vices des hommes qui doivent être
corrigés. Pour sa part, Hercule représente l'intellect et la sagesse qui résident à l'intérieur
de chaque homme et qui combattent ses mauvaises inclinations. Ainsi, les hommes
possèdent une part de bien à l'intérieur de leur être qui les aide à rester justes et les Grecs
comprendre leur véritable sens. Toutefois, il ajoute qu'il aurait mieux valu exposer ces
concepts clairement plutôt que de les enfouir dans des énigmes obliques et des fables
8
perverses . Il attribue ces égarements aux mauvais esprits. Désirant justifier les actes
impurs des hommes, ces derniers ont poussé les auteurs païens à octroyer ces mêmes
impiétés à leurs dieux. Ainsi, les hommes n'avaient plus à avoir honte de leurs actes.
A l'appui de sa théorie, l'auteur apporte une série de dieux qui se sont livrés à des
Les dieux ne se sont pas abstenus, comme d'une chose honteuse, du commerce
avec les mâles, mais l'ont également pratiqué comme une belle action. [...]
Hercule [s'est épris] d'Abdéros, de Dryope, de Jocastos, de Philoctète, d'Hylas,
de Polyphème, d'Hémon, de Chonos, d'Eurysthée
(Clemens Romanus, Homiliae, V, 15 ; trad. André Siouville).
Dans le premier extrait, l'auteur explique que les dieux ont entretenu des relations adultères
et que, de plus, ces histoires sont communes. Afin d'appuyer cette affirmation, il cite
mémoire de ses lecteurs une fois leur nom mentionné. Il s'agit de personnages très souvent
traités par les auteurs gréco-romains et qui étaient vénérés par les païens. Hercule figure
parmi eux.
La mention du héros vient appuyer les propos de l'auteur de deux façons. D'une part,
en évoquant Hercule, l'auteur sait que les lecteurs se rappelleront les actes qu'il a commis
parce que le personnage et sa légende sont connus. D'autre part, l'auteur ajoute le héros à
une liste de personnages mythologiques. C'est ici le nombre de noms qui est important, car
plus l'énumération est longue, plus elle est percutante et plus l'argumentation de l'auteur
est persuasive.
8
Clemens R o m a n u s , Homiliae, VI, 17.
On remarque également ce deuxième phénomène dans le second extrait. Alors que
l'auteur explique que les dieux ont entretenu des liaisons avec des hommes, il énumère les
9
amants attribués à Hercule. Le plus notoire est sans conteste Hylas , tantôt neveu, tantôt fils
du roi Dryope. Deux autres noms connus apparaissent également chez Sophocle :
10
Philoctète, ami d'Hercule, à qui le héros a remis son a r c et Hémon, fier combattant
11
Thébain, protégé d'Hercule . Toutefois, la plupart des anecdotes qui figurent dans cette
liste sont peu connues dans l'antiquité. De fait, on retrouve dans cette énumération
plusieurs personnages reliés à la geste d'Hercule, mais qui sont rarement mentionnés par
les auteurs antiques. Certains ne semblent pas entretenir de lien affectif avec lui comme
12
Abdéros qui fut dévoré par les juments de D i o m è d e , le roi Dryope, c'est-à-dire
13
Théodamas qui fut tué par le héros , Polyphème qui aide Hercule à chercher Hylas alors
14 13
que ce dernier fut enlevé par une n y m p h e et Eurysthée , auprès de qui le héros dut
16
racheter ses crimes. D'autres ne sont pas mentionnés dans les récits tels que Jocastos et
17
C h o n o s . On peut donc croire que l'auteur a cherché à créer une liste imposante d'amants -
Dans ces deux extraits, l'auteur cherche à montrer la licence sexuelle des dieux. Pour
appuyer ses propos, il choisit d'évoquer Hercule parce que sa geste est connue de tous et
que cette dernière est empreinte de fautes. Son argumentation ne se fonde toutefois pas
personnages impudiques. Par une énumération, il dénonce les impurs et leurs mauvais
actes. Il dresse ainsi des listes considérables de noms ne se souciant pas toujours des
9
Hylas, fidèle c o m p a g n o n d'Hercule (e. g. Hésiode, Théogonie, 21 1-336), conducteur de son char
(e. g. Hésiode, Le bouclier, 57-121), parmi les argonautes {e. g. Hygin, Fables, 14).
10
Sophocle, Philoctète, 1081-1217.
11
Sophocle, Les sept contre Thèbes, 8.
12
Abdéros chargé de veiller sur les j u m e n t s de Diomède et qui se fait dévorer par elles (Apollodore,
Bibliothèque, II, 5).
13
Théodamas, roi de Dryopie, père de Hylas (Apollonius de Rhodes, Argonautiques, I, 56).
14
Polyphème entend les cris de Hylas alors q u ' u n e n y m p h e s'empare de ce dernier (Apollonius de Rhodes,
Argonautiques, I, 57).
15
Eurysthée, maître d ' H e r c u l e {Hymnes Homériques, 13).
16
Jocastos : fils d ' E o l e , roi de Rhégium.
17
Chonos (Xœv) est le dieu égyptien du purgatoire. Son nom doit être entendu dans le sens de « mort de
l'autre monde mais pas encore parvenu à la condition divine ». Il est l'Hercule des Egyptiens. (Roscher,
Wilhelm Heinrich, 1965. « Chonos » in Ausfuhrliches Lexikon der griechischen und romischen Mythologie,
vol. II, p. 897.
Décrivant la conduite des dieux grecs, le pseudo-Clément cherche à montrer non
seulement l'impiété de leurs actes, mais également la malice des démons qui ont inspiré de
tels récits. Il souligne comment l'humanité presque entière a failli être trompée par la
culture hellénique :
happer
Comment peux-tu qualifier ces gens-là de sages, alors que, comme s'ils avaient
été poussés par un mauvais génie, ils ont fait tomber dans le piège l'humanité
presque entière ? Ou bien en effet nous avons devant nous non des énigmes
mais des crimes véritables, et alors il ne fallait pas en convaincre les dieux, ni
en aucune manière proposer leurs fautes à l'imitation des hommes ; ou bien ces
énigmes accusent les dieux de crimes qu'ils n'ont pas commis, et alors, ô
Appion, ces gens que tu appelles sages ont mal agi : car en dissimulant des
actes augustes sous des fables malséantes, ils ont excité les hommes à pécher,
sans compter qu'ils ont outragé ceux qu'ils croyaient être des dieux
(Pseudo-Clément, Homiliae, VI, 17 ; trad. André Siouville).
Pseudo-Clément présente deux hypothèses concernant l'amoralité des dieux dans son
discours. Dans la première, les lecteurs des récits mythologiques se trouvent devant des
méfaits qui ont véritablement été commis par les dieux et qui ont été rapportés. L'auteur
dénonce le fait que de pareils actes fussent dévoilés à des hommes susceptibles de les
imiter. Dans ce cas, les dieux ne méritaient pas d'être vénérés. Dans la seconde hypothèse,
il explique qu'en fait les mythes ont besoin d'être interprétés afin d'être compris, ce
pourquoi il les appelle énigmes. Ces énigmes sont rédigées par des « sages » qui, sous
l'influence de mauvais génies, corrompent la geste des héros et des dieux en y ajoutant des
épisodes scabreux. Ainsi, les héros et les dieux ne sont pas les réels responsables de ces
actes ; il faut s'en prendre aux « sages » qui ont rédigé ces mythes et qui les ont transmis.
Pseudo-Clément adhère à la seconde théorie. Les «sages» grecs sont pour lui
influencés par des mauvais génies qui poussent les hommes à commettre le péché. En
discréditant ainsi les auteurs anciens, il montre l'absurdité des récits mythologique païens.
peut donc croire qu'il en va de même pour Hercule. Il est un exemple de mythe que les
Grecs ont composé poussés par un mauvais génie. Le mythe du héros sert donc à appuyer
connus dont Hercule et sa geste font partie. Dans ce type d'utilisation, la force de
leur accumulation. Il va de soi que la mention d'Hercule n'est pas anodine, car le héros est
choisi par l'auteur pour représenter ses propos. Il fait toutefois partie d'une cohorte
d'éléments mythiques qui comportent tous la même caractéristique : dans notre cas, la
sexualité débridée. De fait, les personnages mythologiques qui sont énumérés apparaissent
« les voluptés », et plusieurs autres (Clemens Romanus, Homiliae, VI, 16). L'auteur fait
l'exégèse de tous ces mythes afin de trouver les véritables valeurs qui y sont introduites et
En résumé, d'un côté, l'auteur allégorise la geste des dieux gréco-romains afin de
montrer les véritables valeurs qu'ils véhiculent et, de l'autre, il expose l'impureté de leurs
actes. Réhabilitant les dieux d'une part et de l'autre rappelant leurs vice, le discours de
l'auteur semble incohérent. Sa logique se trouve toutefois dans son désir d'expliquer
l'impureté des dieux et des héros païens. En fait, l'auteur avance que les démons ont enfoui
le véritable sens des mythes anciens dans des fables empreintes d'impuretés. Ces mauvais
esprits cherchaient à corrompre l'âme des hommes et à les pousser à agir avec impudeur.
Le Pseudo-Clément ne rejette pas le mythe. Il croit plutôt qu'il faut interpréter les mythes
montrer la suprématie du christianisme. Dans son ouvrage Supplique au sujet des chrétiens,
il cherche à faire tomber les condamnations qui sont portées contre le christianisme et à
L'auteur fait intervenir Hercule alors qu'il critique la nature des dieux
gréco-romains :
Selon lui [scil Orphée], l'eau était le principe de tout. De l'eau a été formé le
limon ; et de l'un et de l'autre est sorti un animal, un dragon qui avait une tête
de lion - et une autre de taureau -, et entre les deux une face de dieu. Son nom
était Héraklès et Chronos. Cet Héraklès a donné naissance à un œuf énorme, qui
était rempli de la force de son père et qui, par frottement, fut brisé en deux. La
partie supérieure de l'œuf donna naissance au ciel ; la partie inférieure à la
terre. [...] Tel est le début de la généalogie de ceux qui sont, suivant eux, des
dieux, et de l'univers.
(Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, XVIII-XIX ;
trad. Gustave Bardy)
Il s'agit d'un extrait de la généalogie orphique. Dans cette tradition, Hercule tient le rôle
l'attribution de ce rôle à Hercule. Il est probable que ce soit sa force ou le fait qu'il fut
18
longtemps associé au soleil .
Chronos est une figure importante dans la tradition orphique. Il est le créateur qui donne
naissance à l'univers. Dans la mythologie classique, il est souvent associé au titan Chronos
qui engendrera les dieux de l'Olympe avec sa sœur Rhéa. Ainsi, Chronos et Hercule sont
sont pas éternelles, car elles sont nées à un moment dans le temps. Selon lui, ce qui est
18
Au sujet d'Hercule et de son association à l'astre solaire, cf. L.F. Maury, Histoire des religions de la Grèce
antique depuis leur origine jusqu'à leur complète constitution, Paris, Ladrange (coll. Bartin), 1859, p. 536.
19
éternel reste incréé et non-matérialisé . Comme les dieux païens sont nés de
Non seulement les déités gréco-romaines sont-elles issues de la matière, mais elles
possèdent également une forme matérielle qui est décrite par les auteurs anciens : « Mais
ils [scil. auteurs anciens] ont encore décrit les corps des dieux : Héraclès est un dieu lion et
parle également de celle de Déméter et de toutes les apparences qu'a empruntées Zeus pour
l'abondance de dieux qui possèdent une enveloppe matérielle et le fait que cela est normal
dans la religion gréco-romaine. Athénagore fait également une remarque sur la mort du
héros un peu plus loin : « Étant tel, il est tout naturel qu'il [scil. Hercule] fût fou, tout
naturel qu'il eût allumé un bûcher et se fût brûlé lui-même » (Athénagore, Supplique u sujet
A l'aide des œuvres anciennes, Athénagore fait la preuve que les dieux gréco-
romains possédaient une enveloppe matérielle et que les païens vénéraient des dieux qui
n'avaient rien de comparable au Dieu éternel judéo-chrétien. Enfin, Athénagore montre que
ce sont leurs vertus qui ont permis à certains hommes de devenir des dieux :
20
Les u n s ont été regardés comme dieux à cause de leur force, comme Héraklès
et Persée, d'autres à cause de leur habileté, comme Asclépios. Ainsi, ce sont les
sujets eux-mêmes ou bien les chefs qui ont accordé les honneurs divins : les uns
ont eu part au nom de dieu par crainte, les autres par respect ; et ceux qui ont
vécu après eux les ont reçus comme dieux sans discussion (Athénagore,
• Supplique au sujet des chrétiens, XXX).
L'auteur affirme que les héros tels Hercule, Persée et Asclépios ont été vénérés après leur
mort par des hommes qui ont vécu à la même époque qu'eux et qui connaissaient leurs
exploits. Hercule et Persée furent honorés pour avoir libéré l'humanité d'horribles maux ;
19
À ce sujet, Athénagore cite le Timée de Platon.
2 0
Athénagore fait référence à des h o m m e s et plus particulièrement à des souverains qui ont mérité l'honneur
d'être divinisés à cause leurs grands exploits.
21
Hercule a accompli douze travaux et Persée a vaincu Méduse et les gorgones . Pour sa
part, Asclépios fut vénéré pour ses grands talents de guérisseur qui lui permirent de
22
ressusciter les m o r t s .
Athénagore croit que les païens ont déifié des hommes pour rendre hommage aux
exploits qu'ils ont accomplis. Ces divinités n'en restent pas moins des hommes qui
possédaient un corps ; elles sont attachées au monde matériel ; elles ne peuvent donc pas
être comparées au vrai Dieu qui réside dans le monde de l'esprit et de l'idéal.
Hercule et ses semblables n'étant que des hommes vénérés après leur mort, le Dieu
judéo-chrétien reste l'unique divinité qui doit être honorée. Ainsi, la foi chrétienne est la
seule valable.
Dans le but de défendre le christianisme contre les attaques païennes, Justin martyr
fait lui aussi intervenir Hercule dans son discours. Le héros apparaît à cinq reprises dans
quatre des œuvres qui nous sont parvenues : la Première Apologie, la Seconde Apologie, la
Grande Apologie et le Dialogue avec le juif Tryphon. Nous avons écarté les deux
occurrences de la Seconde Apologie parce que le mythe d'Hercule n'est pas discuté dans ce
23
passage. Justin martyr traite plutôt du mythe de Xénophon dont Hercule fait parti .
Alors que les adeptes du paganisme trouvent étrange tout ce que les chrétiens
24
affirment à propos du Christ , Justin martyr tente de montrer que ces propos n'ont rien de
plus insolite que les mythes gréco-romains concernant les fils de Zeus :
Hermès est son Verbe et son interprète, le maître universel ; Asclépios fut aussi
médecin et ayant été frappé de la foudre remonta au ciel ; Dionysos fut mis en
pièces ; Héraclès se jeta au feu pour mettre fin à ses maux ; les Dioscures, fils
de Léda, Persée, fils de Danaé, montèrent au ciel, et aussi, sur le cheval Pégase,
Bellérophon, fils de mortel
2 1
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 1-2.
2 2
Cf. Euripide, Alceste, 126-128. t
2 3
Justin martyr, Seconde Apologie, 3-4.
2 4
Les adeptes du paganisme critiquent les faits suivants à propos du Christ : il a été engendré sans opération
charnelle, il a été crucifié, il est mort, il est ressuscité et il est monté au ciel.
(Justin martyr, Première Apologie, 21 ; trad. André Wartelle).
Dans cet extrait, Justin énumère les fils de Zeus qui ont vécu un épisode similaire à la vie
de Jésus. La mort d'Hercule est associée à la crucifixion du Christ, car si la mort de Jésus
paraît étrange aux adeptes gréco-romains parce qu'il fut tué comme un voleur sur la croix,
celle d'Hercule qui se livre aux flammes devrait susciter autant d'étonnement.
Le héros gréco-romain est mentionné entouré d'autres héros connus afin d'appuyer
vie de Jésus. Sans interpréter, l'auteur semble insister sur le nombre d'épisodes curieux
argumentation.
Dans sa Grande Apologie ainsi que dans son Dialogue avec le juifTryphon, l'auteur
chrétien cherche également à expliquer les ressemblances entre les épisodes de la vie de
Jésus et ceux concernant les fils de Zeus. Or, tout ce que le Christ a vécu fut prophétisé par
les Écritures juives et, selon Justin martyr, les mythes gréco-romains sont l'œuvre de
[Les démons] avaient appris par le prophète Isaïe que le Christ devait naître
d'une vierge et s'élever au ciel par sa propre puissance ; et ils imaginèrent
l'histoire de Persée. Ils savaient qu'il était dit dans les prophéties citées plus
25
haut : « Fort comme un géant qui s'élance dans la carrière » , et ils racontèrent
que le géant Héraclès avait parcouru l'univers. Ils avaient appris aussi que,
d'après les prophéties, le Christ devait guérir toutes les maladies et ressusciter
les morts, et ils mirent en scène Asclépios (Justin martyr, Grande Apologie, 54 ;
26
trad. G. Archambault) .
Ainsi les psaumes de la Bible qui traitent du Messie ont inspiré le mythe d'Hercule. Les
démons qui ne parvenaient pas à comprendre les Écritures ont influencé les poètes afin que
ces derniers rédigent des histoires mensongères. C'est pourquoi les mythes gréco-romains
sont semblables à certains épisodes de la vie de Jésus.
La geste d'Hercule n'est toutefois pas la seule issue des Saintes Écritures. Celles de
Persée et d'Asclépios sont également mentionnées. Dans les trois cas, l'auteur chrétien
2 5
Psaume, 18, 6.
2 6
Ce passage est repris par Justin martyr, Tryphon, 69.
croit à une inspiration prenant sa source dans les prophéties juives. Ils servent donc
Ainsi chez Justin, Hercule est utilisé en tant qu'exemple afin d'appuyer les propos
de l'auteur. Le héros n'est pas allégorisé, mais sa geste est comparée à celle de Jésus, ce
qui permet à l'auteur de dire que le mythe gréco-romain est inspiré par une mauvaise
Hercule entre en scène alors que l'auteur cherche à montrer l'inutilité et l'amoralité
des dieux gréco-romains. Il évoque Hercule à quatre reprises : deux fois, alors qu'il expose
27
l'histoire des familles alexandrines et deux fois alors qu'il critique les auteurs gréco-
28 •
romains anciens . Les deux premières mentions sont banales et ne citent le héros que
comme repère. Dans les deux autres mentions, Hercule n'est jamais traité en particulier ; il
Leurs dieux, d'ailleurs, sont les premiers - clament-ils [scil. les païens] - à se
livrer à des unions qu'on ne saurait qualifier, à des festins criminels. [...] Tous
leurs autres hauts faits, chantés tout au long par les poètes, il est vraisemblable
que tu les connais. Faut-il que j ' é n u m è r e les autres mythes concernant
Poséidon, Apollon, Dionysos, Héraclès, Athéna la belliqueuse, Aphrodite
29
l'éhontée, alors que nous nous en sommes entretenus dans un autre livre avec
toute la précision désirable ? (Théophile, Ad Autolycon, III, 3 ;
trad. Jean Sender).
lorsqu'ils écrivaient les récits mythologiques. L'auteur chrétien rappelle que non seulement
plusieurs dieux se sont adonnés aux actes impurs, mais qu'ils ont également commis
d'autres méfaits. Il ne détaille pas les épisodes mythologiques de chacun des héros et des
dieux qu'il mentionne, car il sait que ces personnages et leur geste sont bien connus de ses
lecteurs. Son argumentation repose plutôt sur le nombre de personnages qu'il énumère : de
fait, plus la liste des personnages énoncés est longue, plus, dans l'esprit de l'auteur, elle a
des chances d'être persuasive. Si Hercule apparaît dans ce groupe, c'est probablement parce
que l'auteur le trouve représentatif de cette classe de héros qui ont commis des actes
connus afin d'appuyer ses propos. Parmi eux figure Hercule. Ce dernier représente ce que
l'auteur avance. Le héros apparaît dans deux cas plus précisément : lorsque l'auteur cherche
l'inspiration malavisée des auteurs gréco-romain qui font de leurs dieux et de leurs héros
3 0
Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 39, 2.
hellénique est une aberration, parce que tous les dieux grecs étaient des hommes qui après
leur mort ont été déifiés. Il fait intervenir quelques auteurs grecs qui parlent d'Hercule afin
Homère est plus digne de foi dans ce qu'il a dit des deux Dioscures, et, quand il
prouve qu'Héraclès aussi n'est qu'une « idole », « Héraclès, ce héros, auteur
de grands exploits ». C'est donc qu'Homère, lui aussi, sait qu'Héraclès ne fut
qu'un homme mortel. Hiéronyme le philosophe nous présente son portrait
physique : petit, les cheveux hérissés, vigoureux ; mais Dicéarque le fait raide
comme un morceau de bois, nerveux, noir, le nez aquilin, les yeux brillants, les
cheveux longs et plats. Cet Héraclès vécut cinquante-deux ans et termina sa vie
par les honneurs funèbres du bûcher sur le mont Œta
(Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 30,6 ; trad. Claude Mondésert).
Selon Clément d'Alexandrie, Homère admet lui-même, dans Y Odyssée \ qu'Hercule est
une idole. Ici, l'auteur chrétien joue sur la morphologie du terme eiôoXov qui signifiait dans
la langue homérique « spectre ». En fait, le vers 601 du chant XI de Y Odyssée dit : « Puis
ce fut Héraclès que je vis en sa force ». Au lieu de lire eiôo^ov « force »,
Clément d'Alexandrie lit plutôt eiôoXov « image d'un dieu, idole ». Une idole est la
représentation physique de l'objet d'un culte d'adoration. L'auteur chrétien la considère
comme l'opposé du véritable dieu qui lui n'a pas de figure. Hercule est une idole parce
qu'il possède un corps physique que les auteurs anciens ont décrit. Il n'est donc pas un
dieu, mais un homme qui fut adoré après sa mort.
L'auteur rapporte un autre épisode du mythe d'Hercule afin de prouver que le héros
33
était un homme : « Sosibios dit qu'Héraclès à son tour eut la main blessée par les
Hippokoontides » (Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 37, 2 ; trad. Claude Mondésert).
Si la chair d'Hercule peut être altérée, c'est qu'elle est mortelle. Puisque le héros possède
34
un corps mortel, il est donc soumis à la condition h u m a i n e et ne peut pas être une divinité.
Il n'est pas le seul exemple de divinité qui peut être blessée. L'auteur chrétien mentionne
également Aphrodite (Protreptique, II, 36, 1), Ares (II, 36, 1), Athéna (II, 36, 2), Hélios
3 1
Clément d'Alexandrie, Stromates, IV, 26, 1.
3 2
Homère, Odyssée, XI, 6 0 1 .
3 3
Sosibios est un artiste grec qui travaillait à Rome vers 50 av. J.-C. Il a créé plusieurs vases s'inspirant du
répertoire néo-attique décoratif des ateliers athéniens.
34
S u r ce point, Clément d'Alexandrie explique : « C'est le m o m e n t de vous montrer c o m m e n t vos dieux sont
de toute manière soumis à la condition humaine. " C'est qu'ils ont bien u n e chair mortelle ! " »
(Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 36, 1 ; trad. de Claude Mondésert).
(II, 36, 2) et Héra (II, 36, 2). Les idoles vénérées par les adeptes du paganisme n'étant pas
Non seulement ces divinités sont fausses, mais elles se livrent également aux
débauches voluptueuses. Tout comme Pseudo-Clément l'a fait avant lui, Clément
énumère donc les aventures amoureuses de plusieurs dieux. Comme il le rappelle, est né
A quel point n'a-t-il pas poussé la débauche, ce Zeus qui passa avec Alcmène
tant de nuits voluptueuses ? Et ce vicieux n'eut pas trop même de neuf nuits
(que dis-je ? une vie tout entière eût semblé courte à son intempérance !) pour
nous engendrer le dieu qui écarte les maux. Ce fils de Zeus, vrai fils d'un tel
père, Héraclès, né d'une si longue nuit, peina longtemps pour accomplir ses
douze travaux, mais il lui suffit d'une nuit pour outrager les cinquante filles de
Thestios et être à la fois le corrupteur et le fiancé de tant de vierges. Ce n'est
35
donc pas sans raison que les poètes l'appellent « cruel » et « scélérat » . Il
serait long de raconter ses adultères variés et les outrages qu'il fit subir à de
jeunes garçons (Clément d'Alexandrie, Protreptique, II, 33, 3-4 ;
trad. Claude Mondésert).
Issu de l'adultère d'Alcmène et de Zeus, Hercule suit les traces de son père : il est lui aussi
soumis à ses passions. Ce fait est confirmé par l'épisode mythologique que rapporte
Clément d'Alexandrie au sujet des cinquante filles de Thestios. Certainement connue de
tous à l'époque de l'auteur chrétien, la légende raconte comment, à dix-huit ans, Hercule
s'unit aux cinquante filles du roi Thestios (ou Thespios) en une seule nuit, pendant que ce
dernier guettait le lion qui venait décimer ses troupeaux. Cet épisode à lui seul peut prouver
l'impureté des actes du héros gréco-romain, mais l'auteur ajoute qu'Hercule avait
également des relations avec des jeunes hommes. Cela a pour effet d'alourdir la liste des
mauvaises actions du héros et de prouver qu'il ne méritait pas d'être vénéré.
En somme, les mythes païens sont trop teintés de volupté et de débauche pour être
pris au sérieux, comme le démontre le mythe d'Hercule. Clément d'Alexandrie l'utilise
donc à titre d'exemple afin de convaincre les païens de délaisser leur ancien culte et
d'adhérer au christianisme.
3 5
Clément d'Alexandrie parle ici de plusieurs poètes, mais il cite Homère (Iliade, V, 403)
Si le Protreptique fut rédigé dans l'idée de convaincre les païens de l'absurdité de
leurs mythologies, les Stromates sont écrits dans un tout autre esprit. Dans cette œuvre,
l'auteur cherche d'avantage à expliquer les textes bibliques et les textes anciens qu'à
XIV, alors que Clément d'Alexandrie tente d'expliquer le mythe de la régénération évoqué
36
par Platon dans son ouvrage La République. Ce dernier raconte comment E r mourut au
combat et revint à la vie douze jours après sa mort. L'âme de cet homme avait parcouru les
douze signes du zodiac avant de revenir à la vie. C'est donc en traversant douze étapes que
peut se régénérer l'âme des hommes. L'auteur donne alors en exemple le mythe d'Hercule :
« Voilà encore comment il faut comprendre que les travaux d'Héraclès aient été au nombre
de douze ; après eux l'âme obtient la délivrance de tout le monde présent » (Clément
d'Alexandrie, Les Stromates, XIV, 103, 5 ; trad. Marcel Caster). Ainsi, la geste d'Hercule
avoir accompli douze travaux, Hercule est parvenu à l'immortalité. Son âme fut libérée des
contraintes humaines et il est devenu dieu. Le mythe du héros apporte ici une précision sur
L'auteur chrétien utilise donc le mythe d'Hercule à titre d'exemple dans ses deux
ouvrages. Si dans le Protreptique Hercule apparaît comme une idole ne méritant pas d'être
illustrant bien les propos de l'auteur contre la religion païenne. Il en va de même dans les
Stromates, où la geste du héros vient appuyer les explications de l'auteur chrétien au sujet
3 6
Clément d'Alexandrie associe Er au personnage de Zoroastre. Il s'agit cependant ici d ' u n e tradition initiée
par le philosophe épicurien Colotès qui désirait discréditer Platon en faisant de lui un plagiaire des doctrines
de la Perse (cf. G. Leroux dans sa note 57 (p. 724), à Platon, La République, Paris, G F Flammarion, 2002).
1.6 Tertullien
On compte huit œuvres de Tertullien qui mentionnent Hercule : une qui réfute une
hérésie, quatre qui règlent la conduite des chrétiens et trois qui défendent la foi contre les
attaques païennes.
Certaines mentions sont banales : elles sont généralement constituées par des
allusions aux cultes d'Hercule. C'est le cas dans le De Spectaculiis où l'auteur mentionne
les jeux néméens qui étaient célébrés en l'honneur du héros (Tertullien, De
Spectaculiis, XI), dans le De Idolatria où il critique l'emploie trop fréquent du « Me
j 7
Hercle » par les chrétiens (Tertullien, De Idolatria, XX), ainsi que dans Y Ad nationes II
où il évoque un rituel accompli par les femmes de Lavinium (Tertullien, Ad nationes II,
VII). Dans le De Corona, Tertullien cite le héros parmi ceux qui ont porté une couronne
militaire (Tertullien, De Corona, VII ; XII). Ces quatre éléments témoignent de la vivacité
des pratiques païennes à l'époque de Tertullien. Pour l'auteur, Hercule est un exemple bien
connu de tous et c'est pourquoi il le mentionne dans ces trois ouvrages. Il existe toutefois
des utilisations moins typiques et plus parlantes.
Dans YAdversus Marcionem, Hercule est évoqué alors que l'auteur conteste la
croyance fondamentale du marcionisme selon laquelle le Christ n'aurait rien à voir avec le
Messie annoncé par les Écritures juives.
37
« Me Hercle » : Jurer par Hercule. Cette expression était courante sous l'Empire. Elle était censée écarter
les maux de la personne qui la prononçait.
38
Cf. à ce sujet Joseph R. Hoffmann, Marcion, on the Restitution of Christianity : an Essay on the
Development of Radical Paulinist Theology in the Second Century, Chico, Scholars Press, 1984, p. 75-105.
Marcion tente de démontrer que Jésus n'était pas le Messie, mais un simple homme
Messie et que Jésus adopte pour parler de lui-même dans la tradition chrétienne-judaïsante.
Il croit que cette qualification sous-entend que le sauveur possède un père humain alors que
le Christ sera le fils de Dieu. Puisqu'il se proclame à la fois fils de l'homme et fils de Dieu,
Jésus aurait donc deux pères qui lui permettent d'avoir un corps contrairement au Christ qui
n'en possède qu'un seul et qui n'est qu'un spectre. C'est sur ce point que Tertullien fait
Pour qu'elle (scil. Marie, mère de Jésus Christ) ne soit pas vierge, il faut un
homme ; mais avec un homme, elle donnera deux pères à celui qui sera tout
ensemble fils de Dieu et de l'Homme. Alors nous tombons dans les naissances
fabuleuses de Castor et d'Hercule. Si nous savons distinguer la double nature de
Jésus-Christ, c'est-à-dire par sa mère, il est fils d'homme, lui qui ne l'est pas
par son père ; s'il est fils d'une vierge, du moment qu'il n'a pas de père charnel,
voilà bien le Christ du prophète Isaïe : « Une vierge concevra et enfantera, »
dit-il. Sur quel fondement admets-tu le fils de l'Homme ? J'ai beau regarder
autour de moi, Marcion, je ne saurais me l'expliquer. Lui donnes-tu pour père
un homme ? Tu nies qu'il soit fils de Dieu. Est-il de Dieu et de l'homme ? Tu
fais de ton Christ, l'Hercule de la fable (Tertullien, Adversus Marcionem, IV,
10 ; trad. Renée Braun).
Une femme fécondée par un homme et un dieu donne naissance à deux enfants : un qui sera
un homme et l'autre qui aura certains pouvoirs divins. Plusieurs légendes païennes
39
témoignent de ce type de naissance, dont celle d ' H e r c u l e . C'est pourquoi l'auteur en fait
mention dans son argumentation. Il sait qu'elle évoquera la théorie dans l'esprit de ses
lecteurs sans avoir à l'exposer textuellement. Il utilise donc le mythe à titre d'exemple pour
l'emploie comme une vérité incontestable qui définit une règle fixe. Par fait vérifié et vérité
incontestable, nous n'entendons pas un fait réaliste ou historique, mais simplement un fait
3 9
La légende raconte que Zeus se mit au lit avec Alcmène sous les traits de son époux, Amphitryon. Il s'unit à
elle. Le lendemain, le véritable Amphitryon se coucha au côté de sa femme et s'unit également à elle. De ces
deux unions naquirent des j u m e a u x , Iphiclès et Hercule. Dès la naissance, ils se démarquèrent l'un de l'autre,
le premier semblait être son enfant normal tandis que son frère, Hercule, était doté de pouvoirs hors du
commun. Ainsi Iphiclès était le fils d'Amphitryon et Hercule, celui de Zeus (Hésiode, Le bouclier
d'Héraclès, 54).
mythologique qui se trouve répété dans les récits anciens et sert d'appui pour expliquer des
faits véritables et existants. Le mythe devient alors porteur de vérité universelle qui peut
mythologie gréco-romaine donne les exemples d'Alcmène et de Léda qui furent fécondées
par un dieu et un homme et qui donnèrent naissance à deux enfants de natures différentes.
Tertullien les mentionne en sachant pertinemment que ces faits ne sont pas réels. Il utilise
ces récits parce qu'ils sont représentatifs de sa théorie : si la vierge Marie avait été fécondée
par un homme et Dieu, elle aurait donné naissance à deux enfants comme dans les
légendes.
réinterpréter de manière chrétienne. Il reconnaît seulement qu'il fait partie d'un savoir
commun, ou d'un bagage culturel, partagé par tous les individus chrétiens, juifs ou païens.
lien entre les doctrines hérétiques et les mythes gréco-romains afin de faire valoir son point
de vue. On peut croire que Tertullien critique quelque peu le mythe en l'associant à
l'hérésie de Marcion. Il ne conteste cependant pas le mythe. Il en fait plutôt un outil qui
qu'il engage. De fait, Tertullien lutte contre les idéologies de Marcion. Il critique donc le
discours de Marcion et non pas la tradition gréco-romaine. On peut croire que, chez
Tertullien, le but de l'œuvre nous renseigne sur l'attitude que l'auteur va adopter face au
mythe gréco-romain. Ainsi, lorsqu'il utilise le mythe dans une œuvre discutant une doctrine
hérétique, il ne le voit pas comme un élément à abolir. Il le considère plutôt comme un bien
Dans le cas du De Pallio, qui fut rédigé à la fin de sa carrière, l'auteur affirme son
souhait d'intégrer des principes plus stricts. Il organise son argumentation dans un discours
s'épiler comme le font les femmes. L'auteur chrétien trouve inhabituel que les hommes se
préoccupent autant de leur apparence plutôt que de se pencher sur les questions plus
intellectuelles. Il les accuse de se travestir au nom de la volupté et il fait intervenir un
40
extrait de la légende d ' H e r c u l e pour appuyer ses propos :
La volupté a travesti un autre héros, d'une façon plus honteuse encore que ne
41
l'a fait la sollicitude maternelle . Je sais bien que vous l'adorez ; mais vous
devriez rougir plutôt de ce porteur de massue, de flèche et de peau, qui préféra
les ajustements d'une femme à tout ce qui composait sa gloire et son surnom.
Une infâme Lydienne a eu le pouvoir de transformer, par une double
prostitution, Hercule en Omphale, et Omphale en Hercule
(Tertullien, De Pallio, IV ; trad. Eugène-Antoine De Genoude).
Il semble cependant que le fait de se travestir dans la Grèce antique était un rituel de
passage pour l'homme. Ce rite était souvent associé au passage de l'adolescence vers l'âge
adulte ou au passage de la vie de célibataire vers celle de couple. L'homme revêtait des
vêtements féminins et parfois assumait le rôle de la femme dans ses fonctions avant
Selon l'épisode légendaire que Tertullien nous raconte à demi-mots, Hercule fut vendu pour trois talents
d'argent à Omphale. Hercule accomplit de nombreux exploits au service d ' O m p h a l e et lui donna trois enfants
(Apollodore, Bibliothèque, II, 6, 3). Un jour, Hercule et O m p h a l e eurent l'idée d'échanger par jeu leurs
vêtements (Lucien, Comment il faut écrire l'histoire, 10). Plusieurs œuvres artistiques sont témoins de cet
événement. O m p h a l e est représentée arborant la peau de lion et la massue d ' H e r c u l e (cf. L I M C , Bas relief,
e
Athens, National Muséum, de Taranto - Arch 1899 Pl. 4 - 4 siècle av. JC ; O m p h a l e apparaît dans une
longue robe portant une peau de lion). Tertullien peut ainsi affirmer q u ' H e r c u l e s'était travesti en O m p h a l e et
vice versa.
4 1
Cet autre héros qui fut travesti par la sollicitude maternelle est Achille. Lorsque Tertullien parle de
sollicitude maternelle, il rappelle l'épisode où, refusant de perdre son fils à la guerre, Thétis aux pieds
d'argent cache Achille parmi les filles de Lycomède. Il est ainsi travesti. Jeune adolescent, Achille se mêlait
aux filles, vêtu d ' u n e robe. Ulysse parvient à le démasquer grâce à une ruse : il se déguise en marchand et
d'entrer dans le monde masculin où un grand nombre de responsabilités l'attendaient. Par
cette pratique, l'homme réaffirmait sa virilité. De fait, un homme qui a été soumis à une
certaine féminité et qui réussit à s'en échapper prouve sans conteste qu'il est masculin. Le
42
rituel de travestissement sert donc à attester la masculinité de l ' h o m m e .
même certains métiers féminins dont le filage et le tissage. Plongé dans l'univers féminin
par la reine lydienne Omphale, Hercule se voit travesti, mais non pas efféminé. En effet,
féminines. Il n'adopte donc pas les caractères, l'aspect et les manières généralement
Le mythe d'Hercule n'est pas le seul exemple apporté par Tertullien afin de montrer
Achille, qui se travestit également en femme. La volupté n'est toutefois pas responsable du
travestissement d'Achille, il s'agit plutôt du désir maternel de protéger son enfant. L'acte
n'en est pas moins condamnable. Même si, pour les Grecs, le mythe témoignait du passage
de l'adolescence vers l'âge adulte, pour l'auteur chrétien, il ne s'agit que d'un autre affront
fait à la nature.
Après avoir exposé deux épisodes mythologiques en exemple, Tertullien rapporte des
43
faits historiques au sujet de l'athlète pugiliste Cléomaque, de Physcon et de
44
Sardanapale . Emportés par la gloire, ces hommes revêtirent des vêtements qui les
travestirent, non pas en femme, mais qui changèrent leurs idéaux après leur victoire. Ils
renièrent leur patrie pour emprunter les coutumes et les costumes d'une autre nation. Ainsi,
mêle des armes aux colifichets féminins qu'il prétend vendre. Sans réfléchir, Achille se précipite aussitôt sur
une épée (cf. Stace, Achilléide, I, 129-274).
4 2
M. Silveira Cyrino, « Heroes in d(u)ress : Travestism and Power in the Mythes of Herakles and Achilles»,
Arethusall, 1998, p. 2 0 7 - 2 4 1 .
4 3
S u n o m m é Physcon à cause de son obésité, Ptolémée VIII Évergète II a régné sur l'Egypte et a vécut entre
182 et l l ô a v J C .
Alors qu'il condamne les actes de ces hommes qui ont véritablement existé, il ne rend
l'auteur chrétien, la volupté, c'est-à-dire la grande passion qui l'animait pour Omphale, a
travesti Hercule. Tertullien ne cherche pas à convaincre ses lecteurs d'abandonner le culte
d'Hercule, il désire plutôt éveiller leur méfiance concernant la volupté. Une fois de plus,
Hercule est un exemple. Il est l'argument qui vient appuyer le point de vue de Tertullien.
On peut donc croire que Tertullien voit la légende d'Hercule comme un exemple
religieuses qui sont faites en son honneur sont connues de tous dans l'Empire.
Les trois dernières œuvres de Tertullien qui mentionnent le mythe d'Hercule sont
montrer comment les rites païens ne sont pas faits dans le plus grand respect de leurs
dieux :
Tertullien dénonce dans ce passage le mépris que les païens accordent à leur propre rituel.
Il ne cherche pas à les ramener à l'ordre, il vise plutôt à leur montrer comment leurs
pratiques n'ont pas plus d'importance pour eux que pour leurs prétendus dieux. Si Hercule
est mentionné ici, c'est que son culte était négligé. Le rituel en l'honneur du héros devient
donc un argument contre les païens. La dîme apparaît elle aussi comme un exemple connu
de tous. Elle est donc représentative dans le discours de Tertullien autant pour les chrétiens
Un autre exemple du manque de respect des païens envers leurs dieux se trouve
4 4
Dernier grand roi de l'Assyrie antique qui vécut entre 669 et 627 avJC.
Etes-vous plus religieux dans le Cirque, où, parmi l'horreur des supplices,
parmi des flots de sang humain, vos dieux viennent danser, et fournir aux
criminels le sujet des farces qu'ils donnent au public, comme si vous vouliez
punir vos divinités dans la personne des coupables. Nous avons vu l'acteur qui
représentait Athys, ce dieu de Pessinunte, mutilé sur le théâtre, et celui qui
jouait Hercule, comme lui brûlé vif (Tertullien, Ad Nationes I, X ; trad. André
Schneider).
Tertullien se moque, dans cet extrait, des représentations théâtrales où parfois les hommes
que l'on voulait punir jouaient la mort d'un personnage mythologique. Ainsi un condamné
a probablement revêtu le rôle d'Hercule et s'est mérité la même mort que celle du héros
pour les crimes qu'il avait commis. Selon l'auteur chrétien, il s'agit ici d'un terrible affront
fait à la mémoire du dieu païen. De fait, un homme qui avait commis une faute assez
grande pour être passible de la peine capitale ne pouvait pas se mériter l'honneur d'incarner
le plus grand des héros au moment de son apothéose.
C'est donc la conduite des païens envers leur propre culture que Tertullien critique.
Il ne suggère pas l'abolition du mythe. Encore une fois, il utilise Hercule comme un
exemple qui peut efficacement interpeler son auditoire.
Denis le stoïcien divise les dieux en trois classes : dans la première, il place les
divinités que l'on voit, telles que le Soleil, la Lune ; dans la seconde, celles que
l'on ne voit pas, telles que Neptune ; dans la troisième, enfin, celles qui dit-on,
ont été hommes avant de devenir dieux, telles qu'Hercule et Amphiaraùs
(Tertullien, Ad nationes II, II ; trad. Eugène-Antoine De Genoude).
étaient des héros qui ont gagné le statut de dieu. De fait, Hercule accomplit douze travaux
avant de mourir et d'avoir une apothéose. Hercule sert donc d'exemple pour appuyer la
Puisque Denis le stoïcien classifie les dieux en trois catégories - les divinités que
l'on voit, celles que l'on ne voit pas et celles qui ont été des hommes avant de devenir des
dieux - et qu'Hercule fait partie de la dernière catégorie, Tertullien critique la déification
du héros :
Mais puisque vous prétendez que d'autres hommes ont été transformés en dieux
pour des motifs particuliers, et qu'il faut distinguer, d'après Denis le Stoïcien,
entre ceux qui sont nés dieux et ceux qui le sont devenus, je dirai un mot de ces
derniers. Commençons par Hercule. Montrez-moi par quelles vertus il mérita le
ciel et la divinité, puisque c'est à ses mérites que vous en faites honneur. Est-ce
pour avoir dompté les monstres ? Mais qu'y a-t-il là de si merveilleux ?
Combien de coupables, condamnés à lutter dans l'arène contre les bêtes féroces,
en ont immolé en une fois un plus grand nombre et avec plus d'habileté ? Est-ce
pour avoir parcouru l'univers ? Mais combien de riches et de philosophes l'ont
parcouru, les uns à l'aide de leur opulence, les autres par l'assistance même de
la mendicité ? Oubliez-vous donc qu'Asclépiade le Cynique triompha de
l'univers tout entier par les yeux, en le parcourant sur une misérable vache dont
le dos servait à le transporter et les mamelles à le nourrir ? Est-ce parce qu'il
s'est frayé un chemin jusqu'aux enfers ? Mais combien avant et après lui n'y
sont-ils pas descendus ? Si ce Pompée, qui ne laissa pas même un chétif agneau
dans Byrsa. A plus forte raison encore Scipion mériterait-il la préférence sur
Hercule. Inscrivez plutôt à la gloire d'Hercule son épouse qu'il abandonne,
Omphale qu'il séduit, le jeune Iolas qu'il immole, et l'expédition des
Argonautes qu'il trahit. Après tant d'infamies, ajoutez ses fureurs, ajoutez les
ilèches qui ont percé les fils, les épouses. Qui était plus digne de monter sur le
bûcher, que ce demi-dieu qui, enveloppé dans sa tunique empoisonnée, présent
que lui envoyait une épouse trahie, mourait par peur plutôt que d'une mort
glorieuse ?
(Tertullien, Ad nationes II, XIV ; trad. Eugène-Antoine De Genoude).
Tertullien expose plusieurs épisodes de la geste d'Hercule afin de montrer que le héros ne
méritait pas d'être déifié. Il explique d'abord que ses exploits ne sont pas si remarquables
car d'autres personnes beaucoup moins illustres que lui ont réussi à en faire d'avantage.
Puis, il enchaîne sur une série d'actes condamnables qui ont été commis par le héros. Il
discrédite peu à peu Hercule de son titre de dieu, j u s q u ' à en proposer d'autres préférables à
lui, tels Pompée ou Scipion.
Tertullien nomme plusieurs autres hommes qui n'auraient pas dû être divinisés ( e.g.
Castor, Pollux, Persée ; Ad nationes II, XV). Il raconte également l'histoire de Larentina,
une courtisane qui fut divinisée parce qu'elle avait prétendu avoir passé la nuit avec
Hercule (Tertullien, Ad nationes II, X).
Ainsi, Hercule n'est pas le seul homme à avoir été divinisé, mais Tertullien le traite
de manière particulière. Dans son discours, il s'applique à montrer que le héros ne méritait
pas d'être divinisé. C'est un exemple illustre, car il sait que le mythe est bien connu de
Pour conclure, nous pouvons croire que Tertullien emploie le mythe d'Hercule
comme un argument rejoignant toute la population et ce dans tous ses types d'écrits. De
fait, l'auteur introduit des éléments du mythe d'Hercule à titre d'outil argumentatif venant
illustrer ses propos dans ses discours contre les hérésies, contre les païens ainsi que dans
leur contexte mythologique afin d'appuyer son argumentation. Ce fut le cas pour l'épisode
d'Hercule chez Tertullien : il ne critique pas le héros lorsqu'il l'utilise dans ses ouvrages
contre les hérésies et ceux où il règle la conduite des chrétiens, mais lorsque ce dernier se
retrouve dans les œuvres défendant la foi et la communauté chrétienne, il devient la cible
des reproches. De fait, il est brièvement mentionné sans être critiqué dans la plupart des
YAdversus Marcionem, il est associé à une hérésie, mais il n'est pas critiqué. Les
réprimandes vont plutôt à Marcion, tandis que dans Y Ad nationes //, la geste d'Hercule est
sévèrement analysée afin de démontrer à quel point le héros ne méritait pas d'être déifié.
auquel il prend part. La geste du héros es( un élément culturel qui se montre fort utile
Conclusion
On peut donc affirmer qu'au deuxième siècle, la geste du héros est un élément
culturel qui permet aux auteurs chrétiens d'appuyer leurs propos. Théophile d'Antioche,
apparaît alors comme un fait vérifié qui aide le lecteur à mieux comprendre les concepts qui
sont expliqués par les auteurs chrétiens. Ces derniers cherchent à montrer que la croyance
en ce héros est dénuée de sens, car il n'était rien d'autre qu'un homme. Ils ne remettent
l'approprier afin d'adapter la geste du héros à leur propos. Ce fut le cas chez le Pseudo-
également l'épisode des douze travaux qu'il associe au mythe de la régénération de Platon.
Les épisodes mythiques sont alors détachés du contexte dans lequel ils s'inscrivent pour
Sans interpréter la geste du héros en entier, Justin martyr compare certains éléments
concernant Hercule afin de les faire coïncider avec les Écritures juives. Il réussit ainsi à
prouver que les mythes gréco-romains sont inspirés par la Bible. L'auteur discrédite la
tradition gréco-romaine et, du même coup, valorise le christianisme, tradition qui est
Pour sa part, Tertullien tend à l'historicisation du mythe d'Hercule. Alors qu'il fait
du héros un travesti, il ne traite pas le mythe comme un récit nécessitant une exégèse, mais
plutôt comme un fait vérifié. Hercule devient un homme véritable dont les actes peuvent
être comparés à ceux d'autres hommes. C'est ce qui se produit dans le De Pallio : l'auteur
d'appuyer ses propos contre la volupté. Comme les personnages historiques, le héros est
jugé pour ses actes. L'auteur ne rejette donc pas la geste du héros. Il l'utilise simplement en
mythe selon le contexte d'écriture. L'auteur chrétien a une attitude plutôt critique envers le
mythe d'Hercule lorsqu'il défend la foi chrétienne contre les païens. On peut s'attendre à la
même attitude dans ses autres œuvres, mais ce n'est pas le cas. Lorsque les ouvrages de ce
mythe d'Hercule n'est pas mis en doute. Il est considéré comme un élément culturel partagé
par tous. On peut alors affirmer que l'utilisation d'Hercule et la perception de son mythe
dans les œuvres chrétiennes varient selon le combat dans lequel ils s'inscrivent.
Puisqu'au deuxième siècle la plupart des auteurs chrétiens qui mentionnent Hercule
appartiennent au groupe des apologistes, on peut croire qu'ils cherchent tous à défendre la
païenne ont été trompés. Par la suite, ils interprètent le mythe du héros afin de trouver le
véritable message qu'il véhicule. Les autres apologistes de ce siècle font surgir les éléments
Hercule n'apparaît pas toujours responsable de ses actes. Il semble souvent soumis à
des forces qui lui échappent telles que les démons ou les poètes auteurs des récits
mythologiques. Toutefois, les actes impurs et immoraux qu'il a commis rendent sa geste
inacceptable.
Chapitre 2
e
Les auteurs du III siècle : Hercule et le conflit pagano-chrétien
e
Au III siècle, la période de paix et de prospérité qui durait depuis les deux derniers
siècles prend fin. Les frontières sont de plus en plus menacées et l'économie de l'Empire
connaît une amplification. Si le siècle commence sous l'égide de la dynastie des Sévères
qui font de l'empereur un être sacré, le pouvoir impérial devient instable vers la seconde
e
moitié du III siècle. Presque toujours en guerre, les empereurs sont nommés et défaits par
liens entre les habitants de l'Empire. Ils y parviennent par le biais du culte impérial.
L'empereur devient une figure sacrée et parallèlement centralise peu à peu tous les
Tout en affirmant leur loyauté face à l'État et à l'empereur, les chrétiens vont
refuser de se soumettre au culte impérial. Redoutant que les chrétiens ne provoquent une
crise sociale, les empereurs élaboreront des lois antichrétiennes. Septime Sévère (193-211)
est le premier d'entre eux. Alors qu'il cherche à ralentir la croissance des groupements
police. Les châtiments sont graves ; les catéchumènes et ceux qui cherchent à les convertir
1
sont arrêtés et persécutés . Dans le but d'affaiblir l'Église, l'empereur Maximin (235-238)
2
continue dans la voie des Sévères. Il fait mettre à mort tout le clergé .
Ces condamnations vont faire plier plusieurs chrétiens aux volontés de l'État. La
majorité d'entre eux vont participer aux sacrifices et aux célébrations rituelles faits en
Thonneur des dieux de l'Empire. Toutefois, aussitôt la persécution passée, les chrétiens
revenaient à leur culte, ce qui épuisera la patience publique. C'est pourquoi Dèce (249-251)
organisera une persécution générale et systématique de tous les chrétiens. Pris par surprise,
aux dieux afin de sauver leur vie. Une fois le calme revenu à la mort de Dèce, la
communauté chrétienne sera soumise à une crise interne. Elle se divisera sur la conduite à
3
adopter envers ceux qui ont sacrifié et qui souhaitent réintégrer l'Église . Son successeur,
Valérien (253-260), interdit aux chrétiens de se réunir et fait arrêter le clergé ainsi qu'un
grand nombre de laïcs. En 258, ceux qui refusent de sacrifier en l'honneur des dieux gréco-
romains sont mis à mort. Cyprien de Carthage subit le martyre cette année-là. L'empereur
4
Galien (253-268) met fin à ces mesures en 2 6 0 .
1
II s'agit peut-être ici de l'explication de la persécution de Félicité et Perpétue (203) qui affirmaient être
catéchumènes et avoir été baptisées dans leur prison (Jean Comby, Pour lire l'histoire de l'Eglise, p. 49).
2
Idem
3
Idem
4
Guy Bedouelle, L'histoire de l'Église, p. 6 1 .
e
Ainsi, au III siècle, le christianisme n'est pas une religion autorisée dans l'Empire.
La communauté continue toutefois de s'agrandir. Elle gagne des fidèles dans toutes les
chrétiens vont toutefois inquiéter les intellectuels qui vont se renseigner sur la communauté.
Ils feront enquête sur les chrétiens, liront les Écritures et entreprendront une réfutation plus
rigoureuse du christianisme. Les accusations portés contre les chrétiens changent donc de
e
nature au III siècle. On leur reproche de profiter de la crédulité des plus faibles afin de
faire adhérer ces derniers à la nouvelle religion et d'être de mauvais citoyens puisqu'ils
s'appuyant sur l'Incarnation de Dieu et la Résurrection de Jésus. De plus, elle est divisée en
plusieurs sectes qui se contredisent les unes les autres et les rites qu'il faut accomplir sont
5
immoraux .
La réponse des chrétiens veut dissiper les malentendus qui s'abattent sur la
communauté. Ainsi plusieurs auteurs chrétiens de ce siècle vont se pencher sur les
Minucius Félix, Arnobe de Sicca, Lactance ainsi qu'Origène qui réfutera particulièrement
le païen Celse.
Les persécutions et les accusations des païens auront d'autres effets sur la
communauté chrétienne. Au fil des débats internes, l'Église cherchera son identité et fera
5
Jean Comby, Pour lire l'histoire de l'Église, p. 36-38.
6
L'ouvrage Philosophumena fut attribué à Hippolyte de R o m e
2.1 Cyprien de Carthage
Dans ses traités De la vanité des idoles et les Institutions divines, Cyprien de
Carthage mentionne à deux reprises Hercule. Il s'agit en fait d'occurrences communes qui
Dans son traité De la vanité des idoles, l'auteur chrétien explique que les dieux
païens ne sont pas de véritables dieux. Il introduit alors le concept évhémériste selon lequel
les dieux étaient en fait d'anciens rois qui furent divinisés après leur mort. Il énumère sur ce
point plusieurs hommes qui ont eu droit à cet honneur dont Hercule fait partie : « Hercule,
brûlé sur le mont Œta, a droit aux honneurs divins » (Cyprien de Carthage, Idolorum
7
Vanitate, 1 ; trad. M. l'abbé Thibault). Évoqué en compagnie de Mélicerte et Leucothéa ,
Castor et Pollux, Esculape, Apollon, Neptune et Jupiter, Hercule apparaît ici comme un
cohorte de tous ces hommes divinisés pour donner plus d'impact à l'argument de Cyprien
de Carthage : les dieux étaient des hommes qui furent divinisés après leur mort ; ils ne
condamnable des dieux afin de faire renoncer les païens à leur culte. Encore ici, Hercule est
entouré de plusieurs noms mythiques qui ont commis des adultères innombrables selon
l'auteur :
Hercule est mentionné dans la liste des dieux qui ont commis l'adultère. Tout comme dans
le traité De la vanité des idoles, le nombre de personnages mythologiques nommés donne
du poids à l'argument de l'auteur. Il explique que les actes commis par ces divinités, dont
Hercule fait partie, sont très bien connus de tous. En mentionnant les noms mythologiques
Divinités marines.
comme il le fait, l'auteur sait que ses lecteurs connaissent ce que ces divinités ont accompli.
simplement comme exemple dans ses énumérations. Les éléments de la geste d'Hercule,
sans être mentionnés, viennent alors s'additionner à ceux des autres dieux qui sont
Dans VOctavius, Minucius Félix utilise le mythe d'Hercule un peu dans le même
contexte. On trouve dans son œuvre deux éléments reliés à la geste du héros qui viennent
appuyer les propos de l'auteur dans son combat contre les païens. L'auteur chrétien tente de
démontrer comment les légendes païennes sont des erreurs.
Érigone s'est pendue au moyen d'un lacet, pour devenir le signe de la vierge
inscrit parmi les astres, Castor et son frère meurent à tour de rôle pour vivre,
Esculape est foudroyé pour ressusciter dans la personne d'un dieu, Hercule est
consumé sur le bûcher de l'Œta pour dépouiller sa nature humaine
(Minucius Félix, Octavius, XXII, 7; traduction de Jean Beaujeu).
L'auteur ne critique pas le fait que ces personnages mythologiques meurent avant d'être
divinisés, il énumère plutôt ceux qui sont morts de façon grotesque. Cette mort prouve qu'il
possédaient un corps. De plus, le fait que leur mort se déroule de façon grotesque montre
8
que les mythes sont ridicules et indignes . Dans l'extrait, l'auteur énumère quelques types
de mort qui n'ont rien de comparable à une mort respectable : la pendaison, le partage
d'une enveloppe corporelle entre deux âmes, un coup de foudre et un bûcher. Les hommes
qui meurent ainsi ne peuvent être reconnus comme vénérables. Il considère donc que la
8
Minucius Félix, Octavius, XXII, 5.
mort d'Hercule est indigne du héros et l'utilise comme exemple pour illustrer son propos. Il
cherche à montrer les éléments mythologiques les plus ridicules afin de convaincre les
Ces dieux servent plutôt à fournir une autorité aux vices des hommes, car, comme
l'explique l'auteur, les épisodes mythologiques représentent la vie des hommes : leur
combat (Octavius, XXIII, 3), leurs émotions (Octavius, XXIII, 4), leur labeur (Octavius,
XXIII, 5) et leur infidélité (Octavius, XXIII, 6). Minucius Félix use du mythe d'Hercule
une fois de plus en tant qu'exemple pour montrer ce qu'il avance : « Ailleurs on voit
Hercule enlever des ordures et Apollon paître le bétail d'Admète » (Minucius Félix,
Octavius, XXIII, 5). Lorsque l'auteur parle d'« ordures », il fait certainement référence à
l'un des travaux qu'Hercule a accompli. Dans la version latine de l'Octavius, Minucius
Félix rapporte qu'Hercule enlevait du fumier (Lat. stercora). Littéralement, cette mention
renvoie à l'épisode où le héros nettoie les écuries d'Augias. L'auteur banalise ici le travail
extraordinaire du héros et l'associe au travail quotidien exécuté par un fermier, soit nettoyer
ses écuries. Il fait de même pour Apollon qui devient un simple bouvier faisant paître le
troupeau. Ainsi, l'auteur utilise le mythe d'Hercule en tant qu'exemple pour montrer
comment les mythes païens ont été écrits afin de valoriser les actes des hommes. En effet,
en concevant que les dieux et les héros se sont adonnés aux mêmes activités qu'eux, les
En somme, selon Minucius Félix, le héros et sa geste n'existent que dans le but
travaux quotidiens. Les dieux et les héros n'étant alors que de simples doubles des hommes
2.3 Origène
Chez Origène, les mentions d'Hercule et de son mythe s'inscrivent au sein d'un
combat contre un auteur païen, Celse. Ce dernier attaquait le christianisme naissant par le
raisonnement et associait les idéologies chrétiennes à celles païennes préexistantes afin de
les banaliser et de les rendre ridicules. Ainsi, il associe souvent la geste d'Hercule aux
accomplissements de Jésus. Origène reprend les concepts de Celse ainsi que ses exemples
ces citations mentionnent Hercule. Ces mentions sont pour la plupart des énumérations de
personnages mythologiques gréco-romains qui viennent appuyer les propos de Celse. Par
exemple, il rejette la nature corporelle de Jésus. Selon lui, un dieu ne peut pas avoir possédé
9
un corps, ce qui le rendrait impur et corruptible . Il cherche à comprendre ce qui rend Jésus
si exceptionnel puisque d'autres personnages mythologiques ont été vénérés après s'être
Dioscures, Héraclès, Asclépios et Dionysos » (Origène, Contra Celsum, III, 22). Il fait
De fait, puisque les chrétiens élèvent Jésus, un homme, au rang de dieu après sa mort, il
peut en être de même pour les adeptes du paganisme dans le cas d'Asclépios, de Dionysos
et d'Hercule. Celse convient même que ces divinités ne pouvaient pas plaire à tout le
monde. Au lieu d'Hercule et d'Asclépios, il suggère quelques autres possibilités parmi les
héros gréco-romains (Origène, Contra Celsum, VII, 53). Ces personnages mythologiques
gréco-romains partagent des caractéristiques avec Jésus Christ : ils ont connu une fin
10 11
atroce, tels les martyrs , ils ont enduré des souffrances avec courage ou ils ont un don
12
pour prédire l'avenir en leur qualité d'enfants de D i e u . D'autres sont issus de la tradition
9
Origène, Contra Celsum, III, 42.
1 0
Pour la mort violente : Orphée qui fut mis en pièce par les Bacchantes (cf. Platon, La République, 620 a) et
Anaxarque, maître de Pyrrhon et initiateur du scepticisme, qui fut jeté dans un mortier (Clément
d'Alexandrie, Stromates, IV, 56, 4).
11
Pour l'endurance devant la souffrance: Épictète qui avoue lui-même son infirmité (cf. Epictète, Les
entretiens, 1, 8, 14). Celse est toutefois le seul auteur à affirmer que ce handicap est dû à son maître.
12
Pour la divination : la Sibylle qui livrait des oracles (sur le fonctionnement des oracles cf. Georges Roux,
Delphes, son oracle et ses dieux, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 53-164). De plus, il semble que certains
chrétiens lui reconnaissaient un pouvoir de prédication et la consultaient (les sibyllistes
cf. Hippolyte, Philosophumena, V, 16, 1).
13
juive et ont accompli des actions prodigieuses . Pour Celse, ces personnages gréco-
romains ou juifs mériteraient autant de reconnaissance que le prophète choisi par les
chrétiens. Comme le fait remarquer Origène dans son ouvrage, Celse se moque de la
Plus loin, Celse critique le fait que Jésus n'ait pas obtenu vengeance. Alors que ce
dernier a été crucifié et torturé, les responsables de ces actes n'ont rien eu à souffrir. Il
explique que ceux qui auraient insulté en personne Dionysos ou Hercule n'auraient pas eu
autant de chance ; ils auraient probablement été frappés par la mania de Dionysos ou par la
15
force d'Hercule .
Hercule apparaît dans le discours de Celse en tant qu'exemple afin d'appuyer les
propos de ce dernier. Si l'auteur païen le choisit, c'est sans aucun doute pour la grande
popularité du héros. De fait , Hercule et sa geste sont connus de tous dans l'Empire. Qui
plus est," cette geste, si bien connue, s'apparente de très près aux accomplissements de
Jésus. Comme Celse cherche à discréditer le christianisme aux yeux de ses adeptes et des
autres gens de l'Empire, il met de l'avant les traits communs de la geste d'Hercule et des
autres personnages mythologiques et les compare aux actes si glorieux de Jésus. Il convainc
ainsi ses lecteurs que Jésus n'était pas le seul thaumaturge et non plus le premier mort
martyr.
Dans le Contre Celse, Origène répond aux critiques. Il mentionne Hercule pour la
première fois alors qu'il veut expliquer que la divinisation du héros gréco-romain n'a rien à
voir avec la résurrection du Christ. Il énumère d'abord quelques héros qui sont descendus
[Celse] pense que les héros, se rendant invisibles pour un temps, se sont
dérobés à la vue de tous les hommes, et qu'ensuite ils se sont montrés, comme
s'ils étaient revenus de chez Hadès, Car telle semble bien être sa pensée quand il
parle d'Orphée chez les Odryses, de Protésilas en Thessalie, d'Héraclès à
Ténare, et encore de Thésée ; eh bien donc, prouvons qu'il n'est pas possible de
leur comparer ce qu'on raconte sur la résurrection de Jésus d'entre les morts.
Parmi ceux qui ont c o m m i s des exploits prodigieux dans la Bible, Celse mentionne précisément Jonas, sous
le ricin (cf. livre de Jonas), et Daniel, échappé aux fauves (cf. livre de Daniel).
14
La remarque d ' O r i g è n e au sujet des moqueries de Celse, cf. Contra Celsum, VII, 57.
15
Origène, Contra Celsum, VIII, 4 1 .
[...] Mais Jésus fut crucifié devant tous les juifs, son corps fut descendu de la
croix à la vue de leur peuple : comment peut-on dire qu'il a imaginé une fiction
analogue à celle des héros légendaires descendus chez Hadès et remontés de
là-bas ? (Origène, Contra Celsum, II, 56 ; traduction de Marcel Borret)
Celse explique que tous ces héros auraient pu se dérober à la vue des hommes pendant un
certain temps afin de faire croire à leur descente aux Enfers. Il inclut probablement parmi
eux Jésus qui, à l'aide d'une ruse, aurait fait croire à sa visite dans le monde des morts.
Celse insinue que Jésus n'est pas réellement ressuscité d'entre les morts. Il ébranle ainsi le
fondement de la foi chrétienne. Origène rétorque que Jésus n'aurait pas pu accomplir ce
subterfuge puisque ce dernier fut tué sur la croix devant une foule de témoins.
Hercule devient un de ces héros qui ont disparu pendant un temps pour faire croire à
leur visite chez Hadès. Il sert d'exemple pour appuyer les propos de Celse. On remarque
cependant qu'Hercule, comme les autres héros qui sont énumérés avec lui, quitte le
domaine mythique pour entrer dans le monde réel. Probablement parce qu'il est associé à la
figure du Christ qui a une assise historique, Hercule devient lui aussi un homme véritable
qui a été divinisé après sa mort (Origène, Contra Clesus, III, 22). Alors que Celse explique
que ces hommes furent divinisés pour les généreux services qu'ils ont rendus à
16
l'humanité , Origène veut démontrer le contraire en exposant leurs comportements
condamnables :
[Origène] Je montrerai qu'il est impossible que ces hommes soient parvenus au
rang des dieux et se soient trouvés, après leur départ d'ici-bas, dans un lieu et
une condition supérieurs, en rapportant à leur sujet les histoires où sont décrits
la licence effrénée d'Héraclès et son esclavage efféminé auprès d'Omphale [...]
(Origène, Contra Celsum, III, 22 ; traduction de Marcel Borret)
Pour Origène, Hercule est un être sans morale qui s'adonne à la luxure et qui ne méritait
16
Origène, Contra Celsum, III, 22.
bien qu'on rapporte jusqu'à ce jour que le sacrifice offert au démon d'Héraclès
s'accompagne de certaines malédictions (Origène, Contra Celsum, VII, 54 ;
traduction de Marcel Borret).
Dans le premier extrait, l'auteur fait allusion à l'épisode d'Hercule chez Omphale. Il
critique d'abord l'activité sexuelle du héros, puis sa féminisation. Il s'agit ici de deux traits
qui montrent l'amoralité du héros. Le héros se livre librement à ses passions avec plusieurs
femmes, ce qui le rend définitivement impur. L'auteur rappelle l'épisode, dont nous avons
déjà discuté, où Hercule, esclave d'Omphale, doit accomplir des tâches qui reviennent aux
femmes et où les deux amants échangent leurs vêtements, ce qui féminise le héros.
L'addition de ses deux éléments montre l'amoralité et l'absurdité du héros qui est soumis à
ses passions. Il ne méritait donc pas d'être vénéré par les hommes.
Dans le second extrait, il évoque un autre épisode de la geste d'Hercule qui ne lui
aurait jamais valu d'être divinisé : sa rencontre avec le roi Théodamas. Au cours de son
voyage vers Trachis, Hercule traversa le pays des Dryopes, dominé par le mont Parnasse, et
rencontra leur roi Théodamas en train de labourer la terre à l'aide de deux bœufs. Comme il
avait faim et qu'il cherchait aussi un prétexte pour faire la guerre aux Dryopes, Hercule
demanda un des deux bœufs. Théodamas refusa, mais le héros n'en fit qu'à sa tête. Après
avoir abattu le bœuf et s'être rassasié de sa chair, il tua le roi et enleva son fils
17
nouveau-né . En présentant Hercule comme un voleur qui n'éprouve aucun remord face à
ses actes, Origène espère convaincre ses lecteurs de l'amoralité des héros gréco-romains.
Non seulement Hercule se travestit en femme, mais il commet également plusieurs actes
déconstruire l'argumentation de Celse. De fait, parce que les actions de Jésus sont
empreintes d'une vertu exemplaire, il est l'objet d'adoration des chrétiens. Ce qui n'est pas
le cas chez les héros gréco-romains. L'auteur chrétien se sert donc de la geste d'Hercule
afin d'appuyer son argumentation contre Celse. Hercule représente le héros impur et non
vertueux qui fut divinisé sans le mériter. Il est utilisé à titre d'exemple pour aider Origène
17
Apollonios de Rhodes nous raconte en deux lignes cet événement pour mettre en contexte la relation entre
Hylas et Hercule. Cf. Apollonios de Rhodes, Argonautique, I, 1200.
2.4 Arnobe de Sicca
Arnobe de Sicca écrit son ouvrage Contre les païens un peu dans le même esprit
est issu d'un milieu païen, il semble posséder une connaissance assez limité du Nouveau et
18
de l'Ancien testament . Il utilise donc le mythe païen afin d'appuyer son argumentation.
Il mentionne Hercule à quelques reprises dans son ouvrage afin de répondre aux
attaques faites par les païens à l'égard des chrétiens. Ces derniers reprochent aux chrétiens
19
de vénérer un homme qui est mort sur la croix, comme un vulgaire criminel . Arnobe
rétorque alors :
Si cela ne vous ennuie pas, amis, exposez-nous donc quels sont ces dieux qui
croient que notre culte du Christ est injurieux à leur égard: sont-ce [...]
Esculape et Liber pater, le premier, fils de Coronis, et l'autre arraché par un
coup de foudre au sein de sa mère ? [...] Cérès, née sur la terre de Trinacrie, et
Proserpine, enlevée pendant qu'elle cueillait des fleurs ? Hercule, de Thèbes ou
de Tyr, celui-ci enseveli en terre d'Espagne, l'autre brûlé sur le bûcher de l'Œta
? Les Castors, fils de Tyndare, l'un dompteur de chevaux, l'autre bon pugiliste,
imbattable au combat du ceste en cuir brut ? [...] (Arnobe de Sicca, Contre les
gentils, I, 36, 2-5 ; trad. Henri LeBonniec)
Hercule apparaît dans une longue énumération relatant certaines figures mythologiques.
Arnobe multiplie ces figures afin de montrer que les païens vénèrent des dieux qui ont été
soumis à des événements plus absurdes que la crucifixion de Jésus. Plusieurs de ces
personnages sont astreints à des enlèvements, à des naissances fabuleuses, à des morts
atroces ou ils s'adonnent à des activités de cirque, des épisodes qui sont tous
Arnobe de Sicca se convertit au christianisme vers l'âge de soixante ans, après avoir enseigné la rhétorique
à Sicca Veneria (Afrique proconsulaire). Il reçut et transmit une éducation conforme à la tradition païenne,
sans j a m a i s n'être entré en contact avec les écritures juives. C'est probablement pourquoi le rhéteur appuie
son argumentation sur des exemples issus de la tradition païenne.
1 9
Arnobe de Sicca, Contre les païens, I, 36, 1.
L'auteur mentionne deux Hercule : un qui provient de Thèbes et qui meurt sur le
bûcher de l'Œta et un autre qui provient de Tyr et qui est enseveli en Espagne. Le premier
est celui qui a accompli les douze travaux dans la tradition gréco-romaine. Il s'agit du héros
hellène qui a débarrassé la terre de plusieurs maux. Il met lui-même fin à ses jours en se
jetant dans les flammes sur le mont Œta, ce qui peut être comparé à de la mort
déshonorante de Jésus sur la croix. Le second Hercule, celui de Tyr, est en fait le dieu
20
Melqart que la tradition romaine a associé au héros g r e c . Les expéditions coloniales
puniques expliquent le grand nombre de temples dressés en son honneur en Espagne et sur
21
la côte africaine. Un temple à G a d è s tirait sa sainteté du fait qu'il gardait les os du dieu
22
Melqart-Héraklès . Arnobe s'appuie probablement sur cette information pour parler de la
Dans ce passage, l'auteur ne semble pas critiquer le fait qu'il existe plusieurs
Hercules. Il veut simplement montrer que les Hercules vénérés par les païens étaient des
hommes tout comme le Christ. De plus, ses hommes sont décédés comme l'atteste le
temple de Gadès et la tradition gréco-romaine fait mourir Hercule sur un bûcher, ce qui
Ainsi, les païens n'auraient pas dû se moquer de la mort du Christ puisque leurs
propres dieux ne sont pas mors de façon plus digne. Ils reprochent également aux chrétiens
de vénérer un homme. Arnobe explique que les païens ont honoré des hommes pour leurs
Car si vous avez mis au rang des divinités Liber, pour avoir découvert l'usage
du vin ; Cérès, pour la découverte du pain [...] Hercule enfin pour avoir vaincu
et maîtrisé des fauves, des voleurs, des hydres à cent têtes, de quels honneurs
devons-nous entourer celui [scil. Jésus] qui nous a tirés des grandes erreurs en
nous inculquant la vérité [...] (Arnobe de Sicca, Contre les gentils, I, 38, 1-6 ;
trad. Henri LeBonniec)
Arnobe de Sicca fait une autre énumération d'éléments mythologiques. Cette fois, il évoque
les personnages qui ont mérité d'être honorés par les hommes. Il s'agit d'événements
2 0
Melqart est le dieu phénicien de l'industrie, de la richesse et de la navigation. Il fut considéré par les Grecs
c o m m e l'équivalent d'Hercule. Dans son ouvrage Muséum Etrusque, Lucien Bonaparte croit qu'il s'agit de
l'Hercule qui a a c c o m p a g n é Jason dans sa quête avec les Argonautes (p. 32-34).
2 1
Ancien nom de la ville espagnole Cadix (ou Cadiz).
2 2
Pomponius Mêla, Description de la terre, III, VI.
mythologiques qui ont été bénéfiques pour l'humanité. Il semble que l'auteur fasse d'abord
valoir les actes honorables des dieux gréco-romains pour ensuite faire réaliser aux païens
que Jésus est vénéré pour de meilleures raisons. Il fait de toutes ces divinités des hommes
qui ont réellement vécu tel Jésus et qui ont été déifiés après leur mort. Les païens ne
rendaient un culte à des hommes qui ont été divinisés en l'honneur de leurs bonnes actions :
Et d'ailleurs, dites-moi, vous qui riez de nous parce que nous rendons un culte à
un homme mort dans l'ignominie, est-ce que, vous aussi, vous n'honorez pas en
lui dédiant des temples Liber pater que les Titans ont dépecé membre à
m e m b r e ? [...] Le grand Hercule lui-même, ne l'invoquez-vous pas avec des
sacrifices, des victimes et en brûlant de l'encens, lui dont vous contez vous-
mêmes qu'il a été brûlé vif et consumé sur le bûcher ? [...]
(Arnobe, Contre les gentils, I, 4 1 , 1-4 ; trad. Henri LeBonniec)
Les cultes chrétiens en l'honneur de Jésus n'ont donc rien de plus discutable que les rituels
qui ont lieu en l'honneur des dieux païens. Puisqu'Arnobe a déjà démontré que les divinités
païennes ne sont que des hommes qui ont été déifiés après leur mort en remerciement des
bienfaits qu'ils ont apportés à l'humanité, les adeptes de la tradition gréco-romaine
honorent des dieux qui sont comparables au Messie chrétien.
2.5 Lactance
L'auteur accorde une attention particulière à la figure d'Hercule dans son ouvrage
Institutions divines. Le héros y est dépeint comme un homme ayant accompli de grands
exploits, « mais qui n'a pas purifié le monde pour autant, puisque, tout en détruisant
quelques monstres, ici et là, Hercule souillait l'univers entier de ses débordements et de ses
stoïciens, Lactance ne croit pas qu'Hercule ait agi dans le domaine de l'intellect, mais
plutôt dans le monde physique. Il attribue à son mythe une assise historique en
Non seulement Lactance explique qu'Hercule était un homme et non un dieu, mais il
qualifie également son culte de sacrilèges. Pour appuyer ses propos, il rapporte les
geste d'Hercule lié à Lindos. Poussé par la faim, Hercule avait, en ce lieu, demandé à un
paysan de lui vendre un de ses bœufs. Ce dernier refusa. Le héros s'empara alors de
l'attelage complet et le dévora avec ses compagnons, tout en s'amusant d'entendre les
injures du paysan. Lorsque les gens de la région décidèrent de lui rendre un culte, Hercule
24
choisit ce paysan comme prêtre . C'est pourquoi les pratiquants du rituel s'invectivent
entre eux : ils imitent le comportement du prêtre lors de sa rencontre avec le héros. Usage
qui, selon Lactance, se rapproche davantage de la profanation que des mystères sacrés.
Après avoir montré l'absurdité d'un rituel effectué en l'honneur du héros, l'auteur
chrétien veut, un peu plus lion, apaiser les craintes des adeptes de la tradition
On peut aussi faire le compte des profanateurs sur lesquels croit-on, les dieux se
sont vengés, par un châtiment immédiat, de l'injure subie. Le censeur Appius
Claudius, pour avoir confié les mystères d'Hercule aux soins d'esclaves publics
perdit la vue, et la gens des Potitii, qui les avait confiés à d'autres, s'éteignit en
Alors ils [scil les démons] répandent sur eux [scil les hommes] les ténèbres et
recouvrent la vérité de brouillards pour les empêcher de connaître leur seigneur
et père ; et, pour les surprendre plus facilement, ils se cachent dans les temples,
assistent à tous les sacrifices et suscitent souvent des prodiges qui frappent les
hommes de terreur et les conduisent à faire crédit aux représentations d'un dieu
ou d'une puissance divine. C'est ainsi [...] qu'Hercule s'est vengé d'Appius
(Lactance, Institutions divines, XVI, 10-12 ; trad. Pierre Monat).
Dans le premier extrait, Lactance évoque certains événements reliés au culte d'Hercule.
Alors que certains hommes avaient abandonné l'organisation des festivités en l'honneur du
héros, ce dernier s'est vengé. Ce fait a terrifié plusieurs adeptes de la tradition
gréco-romaine et les a poussés à respecter le héros. Ce passage au sujet d'Hercule n'est
qu'un exemple parmi d'autres châtiments de sacrilèges : l'auteur mentionne également la
colère de Junon, d'Esculape et d'autres personnages (Lactance, Institutions divines, VII,
16-19). L'auteur chrétien fait l'énumération de tous ces événements afin de montrer les
prodiges gréco-romains. Ces phénomènes forcent le respect des païens envers les divinités.
Dans le second extrait, Lactance explique que les châtiments infligés aux profanes
sont l'œuvre des démons qui veulent écarter les hommes du dieu véritable. Hercule n'est
pas ici le démon qui contrôle les prodiges, il s'agit d'un autre démon qui accomplit ces
actes afin de tromper les hommes. Comme le mentionne Lactance, ces démons se cachent
dans les temples pour écouter les prières et, pour convaincre les adeptes de la puissance de
leur faux dieu, ils accomplissent des miracles. Ainsi, les hommes sont trompés et
continuent à croire en un fausse tradition. Hercule et les autres divinités ne sont donc pas
responsables des châtiments qui sont provoqués en leur nom.
Le héros apparaît encore au livre V des Institutions divines. Alors que Lactance
explique comment les dieux modèlent la vie de leurs adeptes, il énumère certains actes
commis par les dieux qui ne devraient pas être imités. Hercule apparaît dans l'énumération
de dieux qui ont commis des actes sexuels débridés :
2 5
Les Potitii s'étaient vu confier par Évandre lui-même la charge de l'Ara M a x i m a et des cérémonies en
l'honneur d'Hercule, dans des circonstances sur lesquelles les témoignages varient (Macrobe, Saturnales, I,
12, 28). Quand ils se déchargèrent de ce culte en le transférant à l'État, ils en furent châtiés immédiatement
(Valère-Maxime, Actions et paroles mémorables, I, 1, 17).
Comment réprimeront-ils leurs désirs voluptueux, ceux qui honorent Jupiter,
Hercule, Bacchus, Apollon et les autres, dont les adultères et les débauches
avec hommes et femmes sont non seulement connus des lettrés, mais encore
représentés au théâtre et célébrés par des chants, si bien qu'ils sont fort connus
de tous ? (Lactance, Institutions divines, V, 10, 16 ; trad. Pierre Monat).
Au même titre que Jupiter, Bacchus, Apollon et d'autres dieux, Hercule a commis des actes
impurs avec des femmes et des hommes. Dans les Institutions divines, Hercule apparaît
comme un modèle impur qu'il vaudrait mieux ne pas suivre. Lactance croit néanmoins que
les adeptes de la tradition gréco-romaine sont condamnés à l'adultère puisque, selon lui,
« l'imitation est le culte le plus religieux que l'on puisse rendre à un dieu » (Lactance,
Institutions divines, V, 10, 1-18). Ainsi, en vénérant le héros, les fidèles s'obligent aux
mêmes fautes que lui.
Hercule apparaît donc comme un dieu vénéré par les hommes pour de mauvaises
raisons, entre autres la crainte de subir le courroux du dieu, si on abandonne son culte.
Lactance suggère de renoncer à son culte puisque le dieu ne représente pas de bonnes
valeurs et incite à l'impudicité.
démontrer comment les hérésies chrétiennes découlent des systèmes philosophiques grecs.
Elle expose une série d'épisodes mythologiques qu'elle interprète afin de montrer leur lien
avec les hérésies. Hercule apparaît à deux reprises alors que l'auteur chrétien traite du livre
2 6
Tout ce qui est connu de Justin gnostique nous est c o m m u n i q u é par Hippolyte de R o m e dans son œuvre
e
Philosophumena. Justin gnostique est un auteur de la seconde moitié du II siècle à qui on doit Le livre de
Baruch, un ouvrage gnostique qui explique l'origine de la triade : esprit, â m e et corps.
La première mention du héros relate la relation qu'Hercule a entretenue avec la
27
femme-serpent alors qu'il était en route vers l'île d'Erythie afin de capturer le troupeau de
bœuf de Géryon .
L'auteur croit que Justin s'est inspiré de cette fable lorsqu'il a rédigé sa théorie de la
l'univers : deux masculins et un féminin. Les deux masculins sont appelés Bon et Elohim ;
le premier est doué d'une prescience universelle, le second, qui s'unit au principe féminin,
devient le père créateur de tout ce qui existe. Comme dans l'épisode mythologique qui
précède l'explication, le principe féminin, nommée Eden, est à moitié femme jusqu'à l'aine
et vipère en-dessous. Vingt-quatre anges sont issus de l'union entre Elohim et Eden, plus
particulièrement douze Elohim et douze d'Eden. Alors qu'Elohim et ses anges sont
retenus au ciel auprès du Bon, Eden et ses anges sont abandonnés sur terre. Par dépit de se
voir abandonnée et dans l'impossibilité où elle est d'atteindre l'infidèle lui-même, Eden se
venge sur ce qu'Elohim a laissé sur la terre, c'est-à-dire sur l'esprit qui réside dans
l'homme. Justin donne au problème de l'origine du mal sur la terre une solution : le mal,
Il s'agit ici d'un concept commun dans la pensée de plusieurs auteurs gnostiques du
deuxième siècle qui est à la fois philosophique et théologique et qui répond à la question de
l'origine du péché. Le péché, c'est la barrière que doit franchir l'homme pour se reproduire,
pour que subsiste sa race. Par conséquent, il provient d'une frustration et il en résulte une
L'île d'Erythie ou l'île rouge se situait au-delà de l'Ibérie (l'Espagne). Cf. Strabon, Géographie, III, 4 ;
cf. au sujet des voyages d'Hercule en Occident l'ouvrage de Maurice Pezet, Le dieu aux pommes d'or : ou,
Héraklès en Occident : Provence, Languedoc, Espagne méditerranéenne, Maroc, Paris, Seghers, 1978.
2 8
« Hérodote (IV, 8-10) raconte q u ' H e r c u l e , emmenant d'Erythie les génisses de Géryon, arriva en Scythie.
Fatigué du chemin, il se coucha dans un lieu désert pour prendre un peu de repos. Mais, pendant qu'il
dormait, le cheval sur lequel il avait accompli ce long voyage disparut. A son réveil, Hercule chercha son
cheval de tous côtés dans le désert. Il ne le retrouva pas, mais il rencontra dans le désert un être à moitié
semblable à une j e u n e fille et il lui demanda s'il n'avait pas aperçu quelque part son cheval. La j e u n e fille lui
répondit q u ' e l l e savait où se trouvait le cheval, mais q u ' e l l e ne lui donnerait aucune indication avant qu'il se
fût uni d ' a m o u r avec elle. Or, dit Hérodote, la partie supérieure du corps j u s q u ' à l'aine était celle d ' u n e j e u n e
fille, mais toute la partie inférieure, à partir de l'aine, offrait l'horrible spectacle d ' u n e vipère. Dans son ardent
désir de retrouver son cheval, Hercule céda à la monstrueuse j e u n e fille : il la connut et la rendit mère. Puis il
lui annonça qu'elle avait conçu de lui trois enfants à la fois, qui deviendraient célèbres, et il lui ordonna de
donner à ces enfants, à leur naissance les n o m s d ' A g a t h y r s o s , de Gélonos et de Scythes. La monstrueuse
j e u n e fille lui rendit son cheval pour prix de sa complaisance, et il partit en emmenant ses génisses »
(Hippolyte, Philosophumena, V, 25 ; trad. d ' A n d r é Siouville).
29
Cf. A. Siouville dans sa note 1 (p. 202) à Hippolyte, Philosophumena.
30
frustration . De fait, l'homme n'existe pas sans reproduction, c'est-à-dire sans péché, et,
l'ayant commis, il se voit souillé. Ainsi, le seul moyen qui est attribué à l'homme pour
obtenir son salut est celui de retourner vers le principe de vie, c'est-à-dire le Bon chez
Justin gnostique.
Pour sauver les hommes des mauvais anges de la création, Elohim se choisit alors
un prophète. Ici apparaît le deuxième épisode mythologique relié à Hercule qui est dû à
[...] ce fut Hercule, qu'il envoya combattre et vaincre les douze anges d'Éden
et délivrer le Père des douze mauvais anges de la création. Ce sont les douze
travaux d'Hercule, travaux qu'il a accomplis dans leur ordre, depuis le premier
jusqu'au dernier, en abattant successivement le lion, l'hydre, le sanglier et le
reste. Ce sont là des noms fictifs, inventés par les Gentils pour exprimer
allégoriquement l'activité particulière de chacun des anges de la Mère. Hercule
semblait définitivement victorieux, quand Omphale, qui n'est autre que Babel
ou Aphrodite, l'attira dans ses liens, et, l'ayant séduit, le dépouilla de sa force,
qui consistait dans les commandements qu'Élohim avait donnés à Baruch ; en
échange, elle le revêtit de sa propre robe, c'est-à-dire de la puissance d'Éden,
qui est la puissance d'en bas. C'est ainsi qu'échouèrent la mission prophétique
et les travaux d'Hercule (Hippolyte, Philosophumena, V, 26 ; traduction
d'André Siouville).
31
Ainsi, Hercule devient l'envoyé de Dieu afin de libérer l'esprit des h o m m e s des mauvais
est séduit par Omphale, envoyée d'Éden, et cette dernière le convertit. Soumis aux
puissances de la terre, le héros devient leur serviteur. En dépit des douze travaux qui furent
accomplis, la défaite d'Hercule repose sur le fait qu'il n ' a pas su résister aux séductions
d'Éden.
héros à ses volontés. Au moment de présenter l'intermédiaire d'Éden, l'auteur fait une
3 0
Cf. à ce sujet Robert M. Grant, Gnosticism, N e w York, A m s Press, 1978, p. 9 3 .
3 1
L'esprit des h o m m e s , le 7tv£t>ua, est associé au Père, Elohim. Le Père se trouve ainsi à l'intérieur de chacun
des hommes. Cf. A. Siouville dans sa note 1 (p. 202) à Hippolyte, Philosophumena.
3 2
Les commandements furent donnés à Baruch, l'ange de la vie, afin que ce dernier les transmette à Moïse.
associer entre elles. Aphrodite est la représentation gréco-romaine de l'amour et de la
séduction ; Omphale est la femme lydienne qui a gardé Hercule chez elle pendant de
nombreuses années, d'abord comme serviteur, puis comme amant. Les légendes racontent
que c'est grâce à ses charmes que la Lydienne a retenu le héros près d'elle. C'est donc leur
pouvoir de séduction qui permet aux deux figures gréco-romaines d'être unies l'une à
33
l'autre. Pour sa part, Babel, qui peut également être appelée Babylone , représente
portant tous les vices de la terre dans ses mains et dans son être ; elle est celle qui pousse à
35
la débauche et à la perversion . Ainsi, comme les deux premières figures féminines
pouvoir de la terre. Le pouvoir de la terre, qui est également celui d'Eden, est raconté à
Pour Justin gnostique, Hercule est une partie du plan divin. Elu par le Père, le héros
d'Hercule. Alors que le héros gréco-romain était un esclave au service du roi de Tirynthe et
qu'il fut forcé d'accomplir douze travaux pour expier ses fautes, Justin en fait un élu divin
qui débarrasse la terre des mauvais anges. L'auteur s'approprie le mythe dans la mesure où
il le fait adhérer à des principes chrétiens : le héros est extrait de sa tradition d'origine, la
tradition gréco-romaine, et entre dans un autre contexte, celui chrétien. Hercule prend alors
3 3
Le terme akkadien Bâb-ili (La porte du Dieu), Bâb signifiant « porte » et il, « Dieu » a d o n n é Babel.
D'autres étymologies ont été données, notamment bab-'el (la cité de Dieu). Pour sa part, le nom pré-sumérien
Babulu sera repris par les Akkadiens (bab-ilâni, « la Porte des Dieux »). Plus tard les Grecs vont traduire ce
nom en Babylon, terme qui sera emprunté par les Européens pour désigner la ville de Babylone (cf. articles
Babel et Babylone : F. Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, R. Laffont, 2 0 0 1 ,
p.111-115).
3 4
« Et j e vis une femme assise sur une bête écarlate, couverte de n o m s blasphématoires, et qui avait sept têtes
et dix cornes. La femme vêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle
tenait dans sa main une coupe d'or pleine d'abominations : les souillures de sa prostitution. Sur son front un
nom était écrit, mystérieux : Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre. »
(Apocalypse de Jean, 17, 3-5)
3 5
Dans l'Apocalypse de Jean, la prostituée, appelée Babylone, est associée à l'Empire Romain et à sa culture
corrompue. Elle est opposée au peuple d'Israël et à sa cité Jérusalem, la femme juste. A ce sujet cf.
Barbara R. Rossing, The Choice between Two Cities, p. 62-97'.
la valeur symbolique du héros ayant libéré la terre du mal et le reste de sa geste tombe dans
l'oubli.
Alors qu'il tente de montrer que l'hérésie de Justin découle d'un mythe gréco-romain, il fait
L'auteur distingue dans le concept de Justin trois principes : l'être suprême appelé le
Bon, un côté masculin, Elohim, et un côté féminin, Eden. Elohim ne possède pas de
humain. Par contre, Éden possède le corps d'une femme de la tête jusqu'à l'aine et, de
l'aine jusqu'au sol, elle possède un corps de serpent. Eden présente les mêmes
En s'unissant, Eden et Elohim ont créé les hommes. Il s'agit d'un autre trait partagé
l'union de ces deux derniers naissent trois lignées d'homme. Tout comme Eden et Elohim
sont les créateurs de la race humaine, Hercule et la fille-serpent sont fondateurs de trois
concernant le héros, il l'utilise simplement en tant que preuve de ce qu'il avance. Puisque
d'Hercule et de la fille-serpent, les propos de Justin découlent bel et bien des mythes gréco-
romains. Ils sont donc hérétiques aux yeux de notre auteur. De ce fait, on peut croire qu'il
rejette le mythe gréco-romain autant que l'hérésie qu'il lui attache, mais rien ne se trouve
Un autre auteur veut montrer qu'Hercule ne méritait pas d'être élevé au rang de
dieu. En réponse à Celse qui préfère Hercule à Jésus, Origène veut montrer les épisodes
mythologiques qui ne devraient pas permettre aux dieux païens d'être vénérés. Origène
énonce certains éléments de la geste d'Hercule qui lui apparaissent indignes d'un être
vénéré par les hommes : il mentionne la période d'esclavage en Lydie où Hercule apparaît
efféminé et l'épisode où Hercule dévore un bœuf devant son propriétaire devenant un
voleur sans remords. L'auteur cherche à dresser un portrait très sombre du héros afin de
montrer qu'il ne méritait pas d'être vénéré.
Au contraire, chez Arnobe de Sicca, Hercule semble mériter les honneurs divins au
même titre que Jésus. Alors que l'auteur chrétien réplique aux attaques païennes, il ne
cherche pas à critiquer le mythe d'Hercule. Il essaie simplement de rapprocher l'attitude
religieuse païenne de celle des chrétiens afin de valoriser le christianisme.
e
Enfin, on distingue une dernière tendance chez un auteur du III siècle, celle de
l'association du mythe gréco-romain à une hérésie chrétienne. L'auteur des
Philosophumena croit que chaque hérésie découle d'un principe gréco-romain. Il fait
apparaître Hercule alors qu'il parle de la théorie de l'univers de Justin gnostique. Il fait
d'Hercule le père de la création alors que ce dernier s'unit à la fille-serpent, tel Elohim qui
s'unit à Éden chez Justin gnostique. Il est impossible ici de déterminer si l'auteur des
Philosophumena critique le mythe gréco-romain en même temps que la théorie de Justin.
Nous pouvons cependant croire qu'il utilise le mythe en tant qu'instrument de comparaison
d'allégorisation que fait Justin gnostique alors qu'il introduit Hercule dans le plan d'Élohim
afin de débarrasser le monde des douze mauvais anges. Il nous présente une façon bien
particulière de comprendre les douze travaux d'Hercule ainsi que la déchéance du héros
après leur accomplissement : il s'agit en fait d'un échec de la part d'Hercule. Cet échec doit
attaques païennes. Hercule intervient surtout dans les combats liés à la nature humaine des
montrent que le héros n'aurait pas dû être vénéré. Ils traitent surtout de son impudicité et
des mauvais actes qu'il a accomplis. Seul Arnobe de Sicca semble plus prudent dans son
discours ; il ne relève pas les actes immoraux du héros, il tente simplement d'établir un
rapprochement entre l'attitude religieuse païenne et celle chrétienne. Son attitude est
Nouveau Testament.
Chapitre 3
e
Les auteurs du I V siècle : Hercule et l'installation définitive du christianisme au sein
de l'Empire romain
e
L'Empire romain entre dans le I V siècle sous la férule de Dioclétien (284-305) qui
veut rétablir l'administration impériale. Cette restauration prend deux formes. La première
est politique. Dioclétien divise l'Empire en quatre parties qu'il met sous la direction de
en plus dure. La seconde forme de restauration est religieuse. Le culte de l'empereur atteint
son apogée, car l'adoration du souverain fait désormais partie du cérémonial de la cour.
e e 1
Comme aux II et III siècles, les chrétiens refuseront tout de même de s'y soumettre .
Alors que Dioclétien s'était montré tolérant envers les chrétiens au début de son
règne, le refus des soldats chrétiens d'accomplir les rites du culte impérial trouble
l'empereur. Ainsi, en 303, il prit la décision de détruire les Églises et les Écritures, L'année
suivante, il ordonna une persécution générale qui s'avéra la plus sanglante de l'histoire de
t T
1
Jean C o m b y , Pour lire l'histoire de l'Eglise, p. 4 9 - 5 1 .
2
Guy Bedouelle, L'histoire de l'Église, p. 6 1 .
3
Ibid, p. 6 3 .
pas de préférence religieuse dans l'administration de l'État comme l'avait fait avant lui
e
Magnence l'usurpateur (350-353). Ainsi, la résistance est forte au IV siècle, mais elle ne
A cette époque, plusieurs auteurs chrétiens chercheront à défendre leur foi contre
les attaques païennes. Parmi ceux qui ont évoqué Hercule dans leurs œuvres, mentionnons
Eusèbe de Césarée qui s'emploie à réfuter les écrits païens contre les chrétiens, entre autres
ceux de Porphyre, ainsi qu'Athanase qui a écrit plusieurs apologies. Pour sa part,
et Constance II qui sont les successeurs de Constantin, mais également à convaincre les
combats que la doctrine chrétienne va se fixer. Épiphane est l'un des auteurs chrétiens qui
prirent part à la chasse aux hérétiques dans ses ouvrages Ancoratus et Panarion. Les cultes
et les rituels vont également se développer. De fait, les pèlerinages et les cultes rendus aux
martyrs gagnent en popularité. Les Pères de l'Église veulent partager leur expérience et
Constance d'abolir définitivement les cultes païens au sein de l'Empire. Il cite en exemple
4
Guy Bedouelle, L'histoire de l'Église, p. 6 3 .
5
Ces controverses conduisent l'empereur Constantin à organiser le Concile de Nicée en 325 et l'empereur
er
Théodose 1 celui de Constantinople en 381 (Jean Comby, Pour lire l'histoire de l'Église, p. 97-100)
reprises Hercule alors qu'il explique en quoi les divinités païennes n'auraient pas dû être
Le personnage mythologique apparaît d'abord parmi les divinités qui se sont épris
déjeunes garçons :
Qu'on aille chercher Ganymède sur le sein de Jupiter, qu'on regarde Hercule
quêtant Hylas avec une ardeur impatiente, qu'on apprenne le désir dont fut
possédé Apollon pour Hyacinthe ! (Firmicus Maternus, De errore
profanarum, XII, 2 ; traduction de Robert Turcan).
Ces divinités, qui, comme il le mentionne lui-même, sont passibles de punition selon les
5
lois romaines , ne méritent pas d'être honorées par les hommes ; elles servent d'excuses
aux hommes qui commettent ces mêmes écarts. Pour donner plus d'impact à son
argumentation, l'auteur chrétien mentionne plusieurs divinités connues de ses lecteurs, car
loin de ne posséder qu'un exemple de dieux libertins, la mythologie gréco-romaine en
7
regorge .
Mais dans cette légitimation même des méfaits, dans cette confession même des
crimes, nous avons lieu de rendre grâce à ceux qui nous ont révélé, à nous qui
les ignorions, même la fin et la mort de pareils « dieux » ! [...] Sparte met au
tombeau Castor et Pollux, Hercule flambe sur l'Œta, Esculape est foudroyé
ailleurs (Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 8 ; traduction de
Robert Turcan).
On peut discerner ici l'ironie de l'auteur chrétien lorsqu'il explique comment les divinités
gréco-romaines trouvent la mort au bout de tous les crimes qu'elles ont commis. De fait,
elles ne méritaient rien de moins. Les hommes ne devraient donc pas les honorer de
8
sacrifices et de prières .
Dans ces deux extraits, Firmicus Maternus n'appuie pas ses propos sur le seul
exemple d'Hercule lorsqu'il le mentionne. Il l'ajoute à une série de divinités qui ont connu
le même destin que lui, soit celui d'avoir aimé des jeunes hommes et celui d'avoir trouvé la
6
Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 2.
7
Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 2.
8
Firmicus Maternus, De errore profanarum, XII, 8.
mort après avoir commis toutes ces méfaits. C'est donc le nombre de dieux énumérés qui
d'Hercule dans le De errore profanarum. Alors qu'il cherche à montrer la perfidie des
Désire-t-on les biens d'autrui ? Veut-on se satisfaire aux dépens de la vie même
du propriétaire ? Voyez comment Hercule assassina Géryon et lui vola ses
bœufs ibériques ! (Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, XII,
5 ; traduction de Robert Turcan).
L'auteur chrétien interprète le mythe de manière à montrer les dieux sous leur pire aspect :
il fait d'Hercule un assassin. Or, selon la geste du héros, ce dernier en tuant Géryon
débarrassait la terre d'un géant à trois têtes. Firmicus Maternus veut donc dresser un
D ' u n e part, il présente les impiétés du héros ainsi que la manière dont il fut puni pour les
inacceptable aux yeux des adeptes de son culte. En s'appropriant ainsi le mythe, il l'associe
3.2 Athanase
Il mentionne Hercule dans l'un d'entre eux, le Contre les gentils. Dans cette œuvre,
Athanase cherche à montrer l'immoralité des dieux gréco-romains et cite à l'appui plusieurs
épisodes mythologiques.
Lorsqu'il reproche à Zeus ses nombreux adultères, l'auteur dresse une liste des
9
enfants qui sont issus de ces actes impurs . Hercule apparaît dans la liste de ceux qui sont
nés d'une union adultère. Tous les noms qui figurent sur cette liste sont bien connus des
9
Athanase, Contra gentes, 12.
lecteurs : Dionysos, les Dioscures, Hermès, Persée ; seule Soteira est moins commune
Même si le personnage de Soteira n'est pas connu de toutes les traditions, il élargit le
groupe des personnages mythologiques qui ont Zeus pour père, tout comme Hercule. En
fait, le nombre de personnages mythologiques issus des adultères de Zeus est frappant et il
tout simplement au nombre des autres divinités pour donner plus d'impact à l'argument
d'Athanase. L'auteur fait également une remarque à propos de ces enfants illégitimes : ils
ont été déifiés pour justifier les actes sexuels de leur père Zeus.
Ces dieux ne méritaient toutefois pas d'être divinisés par les hommes. Selon
Athanase, puisqu'ils sont issus des adultères de Zeus, rien de bon ne peut provenir d'eux.
En exemple, il cite un épisode de la geste d'Hercule : celui de son esclavage chez Omphale.
déraisonnable, Hercule ne méritait pas d'être vénéré. De fait, puisqu'il avait commis des
mythologiques, alors que l'auteur critique le caractère divin des dieux. Il explique que
plusieurs d'entre eux ont été blessés et que cela n'aurait pas pu se produire si les dieux
avaient été de véritables divinités. Pour appuyer sa thèse, il mentionne une série de dieux
qui furent blessés : Aphrodite et Ares par Diomède, Héra et Hadès par Hercule, Dionysos
11
par Persée et enfin Athéna par A r c a s , Puisque les divinités gréco-romaines peuvent être
blessées, elles ne peuvent être que des mortels, faibles et vulnérables. Ainsi, les hommes ne
devraient pas les vénérer, car elles ne méritent pas d'être admirées. Il vaudrait
probablement mieux vénérer les hommes qui ont blessé les divinités.
Dans le Contre les gentils, alors qu'il cherche à faire abolir les cultes rendus aux
afin d'appuyer ses propos. L'auteur fait des dieux et des héros des êtres mortels qui ne
méritaient pas d'être vénérés. Pour ce faire, il énumère les épisodes mythologiques qui
10
Le terme Soteira apparaît ici d'avantage c o m m e un titre plutôt que c o m m e un nom de Dieu signifiant fille
de Zeus. Il peut donc s'agir par association d'Artémis. Cf. à ce sujet l'ouvrage Pierre Th. Camelot dans sa
note 1 (p. 90), de son édition d'Athanase d'Alexandrie, Contre les païens, Paris, Éditions du Cerf
(Coll. Sources chrétiennes ; 18), 1977.
11
Athanase d'Alexandrie, Contra gentes, 12.
montrent les caractéristiques mortelles des dieux, c'est-à-dire le fait qu'ils peuvent être
blessés. Il expose également les actes peu valeureux des héros et des dieux. Hercule fait
partie de ces énumérations de divinités peu vertueuses et déifiées après leur mort.
Césarée veut prouver que tout ce que les Grecs ont pu dire de bien leur vient de la
12
philosophie des anciens Hébreux . Selon lui, la mythologie grecque relève de traditions
antérieures ; les auteurs grecs n'ont rien créé de nouveau, ils ont simplement adapté et
démonstration, l'auteur chrétien veut présenter un tableau général des légendes grecques.
Hercule fait partie des héros traités par Diodore de Sicile dans sa Bibliothèque
13
historique . Sa geste est narrée en débutant par sa généalogie jusqu'au moment où le héros
14
se livre aux flammes pour mettre fin à ses j o u r s . Eusèbe introduit cette narration en entier
dans son ouvrage. La geste d'Hercule n'est pas la seule à être racontée dans l'abrégé
d'Eusèbe. Ce dernier débute par la légende de Cadmos, le père de Sémélé mère de Bacchus.
Par la suite, il traite d'une série d'événements reliés à la geste de Bacchus : les muses,
retrouve dans l'abrégé d'Eusèbe. Il s'arrête aux livres III et IV de la Bibliothèque historique
l'auteur chrétien cherche à prouver que cette dernière découle d'anciennes traditions, il est
dans l'ordre des choses qu'il cherche à réunir le plus d'éléments mythologiques possibles.
parties intégrales de l'œuvre de Diodore afin de préparer son lecteur à l'analyse qui va
suivre.
12
Selon Eusèbe de Césarée, la philosophie des anciens Hébreux est également préparatoire à la réception de
l'Évangile.
13
Le mythe d ' H e r c u l e constitue le cœur du livre IV de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile.
1 4
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, II, 17-33.
Au livre III, alors qu'il cherche à montrer que les principes philosophiques grecs
découlent eux aussi des anciennes traditions égyptiennes et phéniciennes, Eusèbe se lance
dans le débat de la forme de Dieu. Selon lui, un dieu est un être spirituel qui ne peut être
perçu par aucun sens. Seul l'esprit d'un homme qui est en méditation peut le discerner. Or,
les dieux gréco-romains ont une enveloppe charnelle et peuvent même donner naissance à
des enfants :
Eusèbe de Césarée emprunte le terme D xcov ôXoov ôrjuioupyiKoç voùç (intellect créateur du Tout)
à la tradition philosophique grecque et l'associe à sa conception de Dieu. Puisque dans la
tradition gréco-romaine Zeus est celui qui règne sur les cieux et les autres dieux, il est
souvent considéré comme le plus important des dieux et donc peut être associé au créateur.
Zeus a donné naissance à plusieurs enfants mi-dieux mi-mortels qui ont tous été vénérés
après leur mort. Comme le mentionne l'auteur chrétien, les enfants de Zeus ont toutefois
vécu en mortels et ont laissé sur la terre la preuve qu'ils étaient bien des hommes, leurs
corps. Eusèbe de Césarée donne ici Hercule comme exemple puisqu'il est un enfant de
Zeus. Le héros est également le modèle de l'homme vénéré après sa mort.
L'auteur poursuit avec les cultes célébrés en l'honneur des objets naturels. Il se
lance dans la critique de Porphyre de Tyr. Ce dernier explique comment les dieux à tour de
15
rôle ont été associés aux astres. Hercule fait partie du n o m b r e . Eusèbe cherche à
comprendre comment ce dernier a pu être associé au soleil :
15
« C o m m e le soleil, par son action bienfaisante éloigne de la terre tous les fléaux que son absence y
produirait, on l'a n o m m é aussi Héraclès, nom formé de deux mots grecs, dont l'un signifie " briser ", et
l'autre Y " air ", parce que dans sa course de l'Orient à l'Occident, il semble briser l'air. Les douze travaux
que la fable attribue à Héraclès ne sont que le symbole des douze signes du zodiaque, division que l'on a
imaginée dans l'orbe céleste. On l'a aussi armé d ' u n e masse et revêtu d'une peau de lion : la massue est le
signe de l'irrégularité de ses mouvements, et la peau de lion est l ' e m b l è m e de la force avec laquelle il darde
ses rayons pendant qu'il parcourt le signe du lion » (Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, III, 11 ;
trad. E. des Places).
qu'on met encore cela au compte d'Héraclès ? Les travaux accomplis par
Héraclès symboliseraient la division céleste du cercle du zodiaque, que le soleil
est dit parcourir. Mais alors que faire d'Eurysthée, s'il doit enjoindre au soleil
comme à Héraclès d'accomplir les travaux ? Comment conduirait-on au soleil
les cinquante filles de Thespios et la foule des autres captives auxquelles la
légende fait s'unir Héraclès et dont les enfants mortels qu'elles lui donnèrent
accrurent si largement la succession de leurs familles ? Qui serait le centaure
dont Déjanire prit le sang pour empoisonner la tunique, si elle devait plonger le
soleil, comme Héraclès, dans le désastre susmentionné ? (Eusèbe de Césaré,
Préparation évangélique, III, 13, 16-17 ; trad. E. des Places)
L'auteur chrétien rejette le concept du philosophe grec. En fait, le soleil fut associé à
plusieurs figures mythologiques dans l'œuvre de Porphyre ; Eusèbe rejette ces associations
les unes après les autres : Apollon, Hercule, Dionysos et Asclépios. Il fait intervenir des
épisodes de la geste de ces héros afin de montrer qu'il est impossible de les identifier au
soleil. En ce qui concerne Hercule, Eusèbe énonce ses origines mortelles, ses crimes, son
maître, ses amantes ainsi que les enfants qui sont issus d'elles et finalement les différents
éléments liés à sa mort. Alors que le philosophe grec fait un rapprochement entre Hercule et
le soleil à l'aide de ce qui symbolise le héros et le rend unique, c'est-à-dire le fait qu'il a
le dissocie en montrant ce à quoi il a été soumis sur la terre. De fait, le soleil, comme astre
physique, ne peut pas avoir de mère mortelle, de maître qui lui dicte sa trajectoire, de
Eusèbe ne critique pas ici le mythe d'Hercule, il rejette plutôt l'association que fait
proviennent de la geste d'Hercule, l'auteur chrétien tente de convaincre ses lecteurs qu'une
telle union est impossible et qu'en somme il est inutile de vouer un culte aux astres qui ne
philosophie des anciens Hébreux, l'auteur soulève le problème des oracles au livre V. A
16
l'aide du témoignage d ' Œ n o m a ù s , il veut montrer comment la tradition gréco-romaine
1 6
Œ n o m a û s cherche à dénoncer l'activité trompeuse des oracles dans son ouvrage Recueil de prestiges et de
maléfices.
Mais nous aurions dû entrer nous aussi dans le jeu et ne pas nous prendre au
sérieux, afin de ne pas tomber dans la folie générale ; et raconter le marché que
nous sommes allés, par amour de la sagesse, chercher en Asie, auprès de toi,
17
Clarien :
A ces paroles, stupide que je suis, je fus, moi aussi, enthousiasmé par Héraclès
18
et son jardin fleuri, car Trachis me faisait rêver d'une sueur hésiodique, et le
jardin fleuri, d'une vie nouvelle et facile. Comme j e demandais si les dieux me
secourraient, quelqu'un de la foule me répondit, en attestant les dieux
secourables eux-mêmes : il jurait avoir appris que tu avais rendu le même
oracle à un certain Callistratos, marchand du Pont. Pour moi, à ces mots, tu
juges de mon indignation, en me voyant frustré par lui de la vertu ; toutefois,
malgré ma colère, je me mis à examiner le marchand, pour voir s'il avait été, lui
aussi, réconforté par Héraclès ; or il me parut prendre de la peine, aspirer au
gain et en attendre une bonne vie. Voyant donc le marchand à égalité avec moi,
je dis adieu à l'oracle et à Héraclès et dédaignai de partager le même sort, en
regardant les peines présentes et les étables en espérance (Eusèbe de Césarée,
Préparation évangélique, V, 22, 1-6 ; trad. E. des Places).
Cet exposé permet à Eusèbe d'affirmer qu'il n'y a rien de divin dans les oracles.
Bien que ce rituel soit inspiré par les anciens prophètes hébreux, les oracles qui sont rendus
17
Oracle d ' A p o l l o n Clarien, en Asie mineure. Puisque le voyage vers Delphes était long, on interrogeait les
deux grands sanctuaires d'Apollon Claros sur le territoire de Colophon et l'Apollon Didyme sur celui de
Milet. Cf. à ce sujet l'ouvrage de Jeanne et Louise Robert, Claros I, Décrets hellénistiques, p . 5 1 , 55 et 94.
18
Territoire où s'établit Hercule avec Déjanire et ses concubines.
par les devins sont la plupart du temps la cause des conflits et des guerres entre les
19
h o m m e s . Il ne faut donc pas les prendre trop au sérieux.
Dans cet extrait, Hercule apparaît comme un symbole d'opulence utilisé par les
devins pour duper les foules. Oenomaûs et Eusèbe de Césarée ne font que le citer pour
Enfin au livre X, Eusèbe de Césarée fait une imposante analyse généalogique pour
démontrer que la tradition des anciens Hébreux précède celle des Grecs. En fait, il parvient
à prouver que Moïse est antérieur à la majorité des dieux grecs et non pas seulement à leurs
sages et leurs poètes. Par une habile localisation des événements mythologiques dans le
temps, fauteur explique qu'il y a sept générations entre Moïse et les premiers dieux grecs.
le temps. L'auteur fait toutefois une exception alors qu'il mentionne le héros dans la
généalogie: « [...] sept ans avant que Samson fût à la tête des Hébreux ; sa vigueur
physique, dit-on, le rendait indomptable, en quoi il ressemblait à Hercule, si vanté chez les
et d'E. des Places). Cette comparaison du héros gréco-romain avec le personnage biblique
21
Samson est quelque peu fortuite . De fait, il semble inutile qu'Eusèbe ajoute ici cette
précision. Il ne cherche pas à rétablir des exploits qui auraient été imputés à Hercule par
d'une telle méprise. L'auteur cherche plutôt à situer le personnage de Samson par rapport à
une figure plus connue, Hercule. Eusèbe de Césarée utilise donc la figure d'Hercule qui est
bien connue de ses lecteurs afin de présenter un personnage biblique qui partage le même
mentionné par le biais d'auteurs qu'Eusèbe cite. Diodore de Sicile raconte sa geste,
Porphyre de Tyr associe le héros à l'astre solaire et Oenomaûs en fait l'objet d'un oracle.
19
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, V, 36.
2 0
Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, X, 9-12.
21
Cf. au sujet de la comparaison entre Hercule et Samson l'article de Margalith Othniel, « T h e Legend of
SamsonyHéraclès », Vêtus Testamentum, X X X V I I , 1987, p. 63-70 ou l'ouvrage d ' A b r a m S. Palmer, The
Samson-saga and its Place in Comparative Religion, p. 92-140.
Eusèbe reprend leurs propos.afin de discuter leurs idées. Lorsqu'il évoque le héros dans sa
propre argumentation, ce dernier apparaît soit dans une énumération entouré par d'autres
personnages qui partagent la même caractéristique - il est le fils de Zeus - soit il devient un
symbole de force physique. Eusèbe n'interprète pas le mythe et ne cherche pas à l'abolir. Il
présente la geste du héros afin de l'analyser et de démontrer qu'elle découle des principes
Lequel d'entre vous pense qu'il aurait alors agi autrement, à cette époque où la
communauté était encore si exiguë qu'il fallait récolter même de la paille ? Au
contraire d'une situation favorable, les difficultés entravent la liberté d'agir.
C'était déjà pour moi un grand événement que vienne dans ma cour un chien et
23
qu'il honore le Christ au lieu d'Héraclès. Il (scil. Maxime le Chien ) avait un
24
grand avantage : son exil, dû aux plus honteux forfaits , qu'il invoquait pour
faire croire qu'il était persécuter pour Dieu
(Grégoire de Nazianze, Autobiographie, 970-980 ; traduction de
Alessandra Lukinovich).
" « " Q u ' e s t - c e donc cela ? N'estimais-tu pas j u s q u ' à hier cet h o m m e parmi tes amis et ne le considérais-tu
pas digne des plus grands éloges ? " Voilà ce que pourrait objecter l ' u n de ceux qui sont au courant des faits
et condamnent ma candeur de l'époque, cette candeur qui m'entraînait à entraîner les plus mauvais des
chiens » (Grégoire d e Nazianze, Autobiographie, 952 - 956 ; traduction d'Alessandra Lukinovich).
2 3 e
Héron-Maxime d'Alexandrie, philosophe cynique du I V siècle ap J C . Sous Théodose premier, il cause
plusieurs troubles dans l'Église de Constantinople. Il cherchera entre autres à supplanter Grégoire de
Nazianze. Le second concile de Constantinople qualifiera son ordination de frauduleuse et de non avenue (cf.
note d'Alessandra Lukinovich, Le dit de sa vie).
2 4
L'expression est traduit du grec uxxGTiviaç qui signifie littéralement « h o m m e qui porte les marques des
coups de fouet reçus ». C e terme désignait souvent les esclaves ou des repris d e justice que les punitions
corporelles n'arrivaient pas à assagir et il a finalement pris le sens courant de « fripon, coquin incorrigible »
(cf. note d'Alessandra Lukinovich, Le dit de sa vie).
L'auteur explique comment il a pu être trompé par Maxime le Chien au point d'en faire son
25
éloge . Non seulement l'auteur croyait sur parole Maxime qui proclamait croire en Dieu,
mais l'époque difficile que vivait la communauté de Grégoire poussait les adeptes du
christianisme à être moins sélectifs face aux nouveaux initiés. Ce dernier point a permis à
l'énonce l'auteur chrétien, il était content d'avoir un nouveau membre dans la communauté
même si ce dernier n'était pas vraiment digne de confiance. Il préférait avoir un escroc
Hercule apparaît ici afin de représenter les valeurs cyniques de Maxime. À l'aide de
christianisme.
Dans cet extrait Hercule peut être considéré comme l'égal mythique du Christ. Il
26
était reconnu comme le héros par excellence chez les cyniques . Son mythe illustrait leur
enseignement moral. Ainsi Hercule est pour les cyniques ce que Jésus est pour les
chrétiens ; il est le héros par excellence, l'exemple à imiter. En cela, il peut être rapproché
de la figure de Jésus Christ et représenter les concepts cyniques abandonnés par un nouveau
converti au christianisme.
e
Un dernier auteur chrétien du I V siècle mentionne Hercule dans ses œuvres :
Épiphane l'évoque à cinq reprises.. Nous avons choisi de ne pas traiter des deux
occurrences dans le Panarion puisque, dans ces passages, Hercule n'est pas discuté par
27
l'auteur : ce dernier expose plutôt les théories de Marcel d'Ancyre et les critique .
25
G r é g o i r e avait prononcé un éloge public de M a x i m e avant que celui-ci ne retourne à Alexandrie. L'éloge est
rapporté par Jérôme dans son De viris illustribus. Il s'agit du Discours 25 (cf. note d'Alessandra Lukinovich,
Le dit de sa vie).
2 6
Hercule incarnait les deux vertus que les cyniques appréciaient au plus haut point : la capacité de suffire à
soi-même et l ' a m o u r pour les h o m m e s . A ce sujet consulter les ouvrages d ' A l d o Brancacci, Antisthène : le
discours propre, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2 0 0 5 , p . 95-97 et de Ragnar Hôistad, Cynic Hero and
Cynic King : Studies in the Cynic Conception ofMan, éditions Uppsala, 1948, p. 2 2 - 7 3 .
2 7
Épiphane, Panarion, I, p. 430 et p. 4 3 1 .
Alors que l'auteur explique que les hommes ont créé les dieux à l'image de leur
de l'adultère et Hercule est celui de l'ivrogne. L'Hercule Bibax est un personnage satirique.
En fait, les auteurs comiques ont fait d'Hercule un ivrogne, car ils cherchaient à
Hercule peut avoir accompli de grands exploits et, transformé par l'alcool, avoir commis de
28 '
grandes fautes . Selon Epiphane, le héros fut créé par un homme qui avait une passion
pour la boisson. De cette façon, l'homme pouvait vénérer une figure qui le représentait.
L'auteur chrétien condamne cette pratique. Il suggère plutôt de ne pas s'abandonner à ses
passions et donc de ne pas vouer un culte aux divinités qui les représentent. Il donne en
Jean-Jacques A m p è r e , L'Histoire romaine à Rome tome III, Paris, Michel Lévy Frères, 1862, p.508.
sauvé ? Plutôt, il a été détruit. Et tout simplement, je te confesse, j e me désole
d'énumérer toutes leurs mauvaises œuvres. (Épiphane, Ancoratus, 106, 6 ;
traduction de Stéphan Bigham).
Épiphane trouve désolant que les adeptes du paganisme vénèrent une divinité qui a perpétré
un viol" . Cet épisode n'est cependant pas celui qui est le plus loué par les adeptes. Lorsque
l'auteur annonce à son lecteur qu'il va évoquer l'épisode le plus glorifié en ce qui concerne
la geste d'Hercule, on s'attend plutôt à un rappel des douze travaux. C'est toutefois un
épisode secondaire de la jeunesse du héros qui surgit. De plus, cette légende fut sans doute
utilisée dans un sens symbolique à Thespies, puisque le nombre cinquante représentait les
30
mois qui s'écoulaient entre chaque Érotidia, jeux fondé par Hercule . L'auteur oublie cette
dimension symbolique et ajoute qu'il existe d'autres méfaits qui devraient empêcher les
Dans VAncoratus, Épiphane veut convaincre les hommes d'abandonner les cultes
ancestraux. Hercule apparaît comme une divinité soumise à l'alcool et aux plaisirs de la
chair. Son culte ne devrait donc pas être célébré. L'auteur tente de convaincre son lecteur
Conclusion
Pour conclure, il est possible de discerner deux tendances chez les auteurs du
e
IV siècle en ce qui concerne l'utilisation d'Hercule. La première tendance expose des
éléments bien connus du mythe d'Hercule afin d'appuyer les propos de l'auteur. Dans le
sont surtout reliés à la geste du héros et à ses actes sexuels. Le mythe d'Hercule vient alors
appuyer les propos des auteurs qui cherchent à abolir les cultes gréco-romains. Firmicus
avance.
ses idées, mais il choisit plutôt de mettre en évidence les concepts d'autres auteurs afin de
2 9
Au sujet de l'épisode mentionné par Épiphane, les filles de Thestios, cf. supra p. 2 3 .
3 0
Charles Daremberg et Edmont Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Graz,
A k a d e m i s c h e Druck- u. Verlagsanstalt, 1969, p. 78.
les discuter. Plusieurs de ces auteurs utilisent le mythe d'Hercule afin d'illustrer leur
propos. Eusèbe est alors forcé d'en traiter dans son argumentation.
tant que symbole. C'est le cas chez Eusèbe de Césarée où l'auteur mentionne la vigueur
brute du héros pour le comparer à une autre figure mythologique connue pour sa force
physique, Samson. L'auteur oublie ici la geste d'Hercule et le définit par son attribut le plus
vanté chez les Grecs : sa force physique. Eusèbe de Césarée présente donc Hercule comme
le modèle du surhomme.
que représentant de la moralité cynique. Tout comme le Christ est le symbole de la foi
chrétienne, Hercule apparaît comme son équivalent gréco-romain qu'il vaut mieux
abandonner pour suivre la voie du christianisme. C'est pour sa capacité de don de soi et sa
grande philanthropie qu'Hercule fut choisi par les cyniques pour représenter leurs idéaux et
Synthèse
À présent que nous avons parcouru en détail les différentes sources chrétiennes qui
e e
évoquent Hercule entre le II et I V siècle, nous souhaitons faire une analyse plus
approfondie afin de découvrir les différents thèmes abordés par les auteurs. Nous verrons
dans quels contextes le héros s'inscrit : d'abord dans le contexte direct et ensuite dans le
contexte indirect.
Nous appelons contexte direct les éléments qui entourent Hercule dans une œuvre,
par l'auteur lorsqu'il évoque le héros. D'un autre côté, le contexte indirect représente le but
recherché par l'auteur chrétien lorsqu'il mentionne Hercule ; il s'agit du combat dans lequel
s'inscrit le héros. Nous ferons cette dernière analyse en classant les auteurs par genre
littéraire.
A l'aide de ces deux contextes, nous espérons pouvoir mettre en lumière les
éléments du mythe d'Hercule les plus traités par les auteurs chrétiens entre
e e
le II et le V siècle.
Il est fréquent de voir Hercule entouré par d'autres figures mythologiques dans les
œuvres chrétiennes. Il s'agit parfois de personnages bien connus des lecteurs et qui
illustrent les propos de l'auteur, tout comme Hercule, ou bien il s'agit de figures qui sont
directement liées à la geste du héros.
Dans le premier cas, les auteurs chrétiens semblent sélectionner les divinités selon
les buts qu'ils poursuivent. Puisque la communauté chrétienne était attaquée par les adeptes
de la tradition gréco-romaine, les auteurs chrétiens ont cherché à défendre leur foi. Selon
l'argument qu'ils invoquent contre les assauts païens, les auteurs font intervenir certains
personnages en particulier, incluant Hercule. Par exemple, lorsqu'ils veulent illustrer les
1
adultères des dieux, ils énumèrent Jupiter, Apollon, Hercule et Dionysos . Lorsqu'ils
veulent dénoncer leurs relations homosexuelles, ils mentionnent Jupiter, Hercule et
2
Apollon . Les auteurs semblent évoquer les épisodes mythologiques licencieux les plus
connus. Il leur est ainsi plus facile de montrer l'impudicité des dieux.
Ils s'opposent également à toute forme de syncrétisme. Alors que les païens
reconnaissent en Jésus certains éléments liés à leurs divinités, les auteurs chrétiens rejettent
les rapprochements entre le Messie et les figures mythologiques. Plusieurs dieux
apparaissent dans ce contexte : Dionysos, Asclépios, Hercule, Persée, les Dioscures,
]
Cf. supra p. 12, 39 et 50. O n remarque que le Pseudo-Clément ajoute à cette série exceptionnellement Hadès.
Hermès, Apollon, Zeus et Poséidon . Les trois dernières divinités sont reliées à Jésus par
leur nature humaine et matérielle. Elles sont généralement évoquées alors que les auteurs
réfutent l'attaque païenne selon laquelle les chrétiens vénèrent un simple être humain en la
4
figure de Jésus Christ. Ainsi, Apollon, Zeus, Poséidon et d'autres divinités sont comparés
à Jésus parce qu'ils furent eux aussi des hommes avant d'être vénérés par les adeptes de la
tradition gréco-romaine.
Il s'agit d'un reproche que les auteurs chrétiens adressent également à Dionysos, à
Asclépios, à Hercule, à Persée, aux Dioscures et à Hermès ; ils furent des hommes avant de
devenir des dieux. Ces figures sont toutefois liées plus étroitement à Jésus par leurs
accomplissements.
Justin martyr et Origène rapportent certains faits concernant les cinq figures
mythologiques. D'après ces auteurs, Dionysos possède une autre caractéristique commune
5
avec Jésus Christ : il est mort supplicié . En fait, il s'agit d'un épisode de la geste de
6 7
Zagreus , un personnage crétois , qui fut assimilé à Dionysos dans la tradition grecque.
Cette légende, telle que rapportée par Nonnos de Panopolis, raconte comment Zeus, sous la
forme d'un serpent, s'unit à Perséphone qui donna naissance à un garçon. Cet enfant fut
8
mis sous la protection d'Apollon et des Curetés qui le cachèrent sur le mont Parnasse.
Jalouse, Héra, la femme légitime de Zeus, retrouva l'enfant et envoya les Titans venger son
honneur. Ces derniers attirèrent l'enfant grâce à des jouets, ils le démembrèrent et le
dévorèrent. Le cœur de Zagreus fut toutefois récupéré par Apollon et Athéna qui le
rapportèrent à son père. Zeus broya le cœur et le mélangea à une boisson qu'il offrit à
9
Séméle . Ainsi, l'enfant fut régénéré et naquit une seconde fois ce qui explique le nom de
2
Cf. supra p. 9, 39, 51 et 6 1 . Pseudo-Clément joint à cette énumération Dionysos, Poséidon et Hermès.
^Cf.suprap. 17, 18, 19 et 42.
4
Sur ce point, Athanase d'Alexandrie n o m m e en exemple Héra, Athéna, Aphrodite et Dionysos (Contra
gentes, 12), Clément d'Alexandrie évoque Héphaïstos (Protreptique, II, 29, 5), Tertullien rappelle Amphiarus
(Ad nationes II, II) et Larentina (Ad nationes II, X).
5
Cf. supra p. 18, 42 et 4 8 .
6
Zagreus est un personnage central dans la religion orphique. Il représente, entre autre, la victoire de la nature
sur la mort, c'est-à-dire le passage aux différentes saisons de l'hiver vers l'été.
7
Le mythe de Zagreus semble également inspiré de la légende égyptienne d'Osiris.
8
Les Curetés sont surtout connus pour avoir protégé Zeus enfant. Rhéa se serait enfuie avec l'enfant en Crète
et l'aurait confié aux Curetés alors que Cronos cherchait à le dévorer (Apollodore, Bibliothèque, I, 1, 6).
9
Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques, VI-VII.
1 0
Dionysos-Zagreus fut « mis en pièce » étant enfant, ce qui le rapproche de la mort
sur la croix de Jésus et des martyrs. Cet événement rapporté par la légende dévoile
également que le dieu possédait un corps matériel et qu'il ne fut vénéré qu'après sa mort.
11
Minucius Félix cite le même fait au sujet d'Asclépios qui fut foudroyé par Z e u s .
Asclépios avait acquis sa science de Chiron et possédait deux fioles de sang provenant des
veines de Méduse dont l'une permettait la résurrection des hommes. Après avoir
longuement étudié le contenu de ces fioles, il parvint à ressusciter les morts sans l'aide du
12
sang de la G o r g o n e . Zeus craignit toutefois que ce savoir ne se communique entre tous les
hommes et décida de foudroyer le fils d'Apollon avant qu'il n'enseigne sa science. Le roi
des dieux reconnut tout de même qu'Asclépios avait fait beaucoup pour le bien de
13
l'humanité et l'éleva au rang de dieu pour le récompenser .
la figure de Jésus Christ. L'auteur chrétien explique que les démons qui ont inspiré les
14
mythes gréco-romains connaissaient les pouvoirs de guérison du Messie envoyé par Dieu .
d'Asclépios et lui ont attribué le don de guérison afin de détourner les hommes du véritable
15
envoyé de D i e u .
16
Pour sa part, Hermès se voit attribuer le rôle du Verbe et de l'interprète de Dieu .
En sa qualité de dieu messager qui rapporte de l'Olympe les ordres et les volontés des
17
autres dieux , Justin martyr reconnaît en Hermès celui qui rend la parole divine aux
hommes. Hermès assure le lien entre les dieux et les hommes par son discours. Le Messie
18
prophétisé par Isaïe se voit lui aussi attribuer l'art du langage qui sera guidé par l'Esprit
l u
Cf. supra p. 18.
11
Cf. supra p. 40.
12
« J'ai trouvé le nom de quelques personnages dont on dit qu'ils ont été ressuscites par Asclépios : il s'agit
de Capanée et de Lycurgue, ainsi que le dit Stésichore dans son Eriphyle ; Hippolyte, c o m m e le dit l'auteur
des Naupactes ; Tyndare, c o m m e le dit Panyassis ; Hyménée, c o m m e le disent les Orphiques ; Glaucos, fils de
Minos, c o m m e le dit Mélésagoras » (Apollodore, Bibliothèque, III, 10, 3).
13
Apollodore, Bibliothèque, III, 10, 4.
1 4
Les démons connaissent les pouvoirs de guérisons du Messie grâce aux Ecritures juives. Il est dit chez Isaïe
que « Par sa mort, le Messie devait apporter la guérison spirituelle aux juifs » (Isaïe, 5 3 , 5).
15
Cf. supra p. 18 et 19.
16
Cf. supra p. 18.
17
Apollodore, Bibliothèque, III, 10, 2.
18
Isaïe, 11, 1-10.
19 20
de l'Éternel incarné en l u i . Pour les chrétiens, Jésus est l'incarnation du verbe de D i e u et
21
son interprète . Afin de détourner les hommes du véritable envoyé de Dieu, les démons ont
créé une figure qui semblait rapporter les volontés divines, mais qui n'était qu'un leurre.
Il en va de même dans le cas de Persée qui, né d'une vierge, vient tromper ceux qui
22
sont dans l'attente du Messie annoncé par Isaïe . Le mythe de Persée raconte que Danaé
était la fille unique d'Acrisios. L'oracle ayant révélé au roi qu'il n'aurait jamais de fils et
que son petit-fils le tuerait, ce dernier décida d'enfermer Danaé dans une tour d'airain et de
la cloîtrer afin que la prophétie ne se réalise jamais. Sensible au malheur de la jeune femme,
Zeus s'éprit d'elle et la féconda sous l'aspect d'une pluie d'or. Persée naquit de cette
23
union .
Christ, puisque Danaé n'a pas eu de véritable relation physique avec Zeus, contrairement à
plusieurs autres conquêtes du dieu. L'histoire de la fille d'Acrisios, fécondée par une fine
pluie d'or, est semblable à celle de la conception de Jésus. C'est pourquoi Justin martyr
24
mentionne Persée sur la question de la naissance virginale ; il reconnaît en Danaé la
Persée fait également partie des héros qui se sont élevés au ciel tout comme les
25 26
Dioscures et Bellérophon . Toujours dans le souci d'imiter l'Ancien Testament , les
démons ont fait monter ces héros au ciel. Ils ne connaissaient toutefois pas l'existence du
Messie. Les démons ont donc élevé les héros dans le ciel physique, le seul dont ils avaient
connaissance. Ainsi, Persée, les Dioscures et Bellérophon monté sur Pégase sont devenus
19
Cf. à ce sujet l'ouvrage d ' A n d r é Feuillet, Accomplissement des prophéties, Paris, Desclée
(coll. bibliothèque de théologie), 1994, p. 81 - 1 0 1 .
2 0
Jean, 1, 14.
2 1
Luc, 4 , 2 1 .
2 2
« C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: voici la vierge deviendra enceinte, elle
enfantera un fils, et lui donnera le nom d ' E m m a n u e l » (Isaïe, 7, 14)
2 3
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 1.
2 4
Cf. supra p. 18.
2 5
Bellérophon est un héros Corinthien qui dut s'acquitter du meurtre de son frère en assassinant Chimère
(Apollodore, Bibliothèque, I, 9 , 3 ) .
2 6
L'ascension de Jésus décrite dans les actes des Apôtres (Actes, 1, 6) est inspirée par l'ascension d'Elie le
seul et unique prophète qui ne soit pas décédé (II Rois, 2, 1 ). Justin martyr croit sans doute que l'ascension
d ' É l i e a également inspiré les démons.
En somme, Dionysos, Asclépios, Hermès, Persée, les Dioscures et Bellérophon sont
évoqués par Justin martyr et Origène parce que leur geste, bien connue de tous, fut
rapprochée de la vie de Jésus. Les auteurs chrétiens ont cherché à expliquer ces similitudes
afin d'éviter la fusion des traditions chrétienne et gréco-romaine. On peut donc croire qu'ils
ont choisi de mentionner les éléments mythologiques qui illustraient le mieux leurs propos.
En étroite liaison avec ce qu'ils cherchent à montrer, les auteurs chrétiens font
intervenir certaines figures mythologiques précises, dont Hercule. Parce qu'elles sont bien
connues et appréciées de tous, ces dernières apparaissent à répétition dans les œuvres
chrétiennes. Ainsi, les auteurs sont assurés de convaincre leurs lecteurs de ce qu'ils
avancent.
Dans ces passages, la geste d'Hercule est reliée à celle des autres divinités. De fait,
homosexuelles. Il fut également un homme avant d'être divinisé. Comme d'autres figures
mythologiques qui l'entourent dans les ouvrages chrétiens, certains éléments de sa geste
permettent à Hercule d'être rapproché de la figure de Jésus Christ. C'est pourquoi Hercule
Les auteurs chrétiens adoptent une attitude différente face aux personnages qui
peuplent la geste du héros. S'ils se contentent d'énumérer certains faits reliés à d'autres
mythes pour appuyer leurs propos, lorsqu'ils traitent du héros en particulier, ils semblent
interpréter les personnages qui l'entourent selon l'image qu'ils veulent donner d'Hercule.
Par exemple, rappelons l'épisode que relate Firmicus Maternus au sujet de Géryon :
« Désire-t-on les biens d'autrui ? Veut-on se satisfaire aux dépens de la vie même du
propriétaire ? Voyez comment Hercule assassina Géryon et lui vola ses bœufs ibériques ! »
(Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, XII, 5). L'auteur veut sans doute
convaincre ses lecteurs qu'Hercule n'était rien d'autre qu'un voleur et qu'un assassin. Il
voudrait voir Hercule condamné pour avoir tué Géryon, qui était un monstre gigantesque à
27
trois têtes, six mains et six j a m b e s . Or, Firmicus Maternus choisit d'ignorer qu'Hercule
fut vénéré pour avoir accompli de nombreux bienfaits et que l'assassinat de Géryon fait
2 7
Apollodore, Bibliothèque, II, 5, 10.
omettant de mentionner la nature de Géryon. Ainsi, le monstre mythique devient la victime
d'Hercule.
victimes. Certaines traditions racontent cependant comment Thestios envoya une à une ses
28 29
filles à Hercules pendant la nuit - pendant cinquante j o u r s selon les versions - afin de le
récompenser d'avoir tuer le lion qui terrorisait les bergers de la région. L'auteur chrétien ne
considère pas les relations d'Hercule avec les Thespiades comme une récompense due au
Tertullien dresse lui aussi une liste des victimes du héros. Il mentionne parmi elles
Omphale, la reine lydienne qui avait acheté Hercule comme esclave. Selon l'auteur, cette
30
dernière fut séduite par Hercule , méfait qui s'ajoute selon lui à plusieurs autres. Ainsi, il
ne rend pas Omphale responsable de sa passion avec le héros. Il ne la rend pas responsable
Alors qu'Hercule est envoyé par Elohim pour secourir les hommes des douze mauvais
31
anges d'Éden, Omphale le séduit et fait échouer sa mission . Justin gnostique explique
qu'Hercule faisait partie du plan divin et qu'il a malheureusement échoué puisqu'il fut tenté
par les charmes d'Omphale. Cette dernière est donc responsable de la chute du héros.
selon l'image qu'ils veulent donner d'Hercule. Lorsque le héros est perçu comme
malveillant, Omphale apparaît comme la victime de ses charmes et, lorsqu'il est présenté
comme un héros ayant accompli de grands bienfaits pour l'humanité, Omphale devient la
Un autre personnage lié à la geste d'Hercule est souvent mentionné par les auteurs
chrétiens : il s'agit de Zeus. Si la perception des autres figures mythologiques faisant partie
de la geste d'Hercule dépend de celle du héros, ce n'est pas le cas de Zeus. Cette figure
2 8
Pausanias, Description de la Grèce, IX, 27, 6-7.
2 9
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 10.
3 0
Cf. supra p. 32.
31
Cf. supra p. 53.
mythologique n'est pas interprétée selon la perception du mythe d'Hercule. Cela est
probablement dû au fait que Zeus possède sa propre geste bien connue des lecteurs. Dans la
légende du héros, Zeus représente deux fonctions : il est le père d'Hercule et également le
roi des dieux. Selon les auteurs chrétiens, en tant que père, Zeus se révèle un mauvais
32
exemple pour son fils. Il se livre à des actes libidineux qu'Hercule imite une fois adulte
33
comme le mentionne Clément d'Alexandrie . Zeus est donc jugé impur lorsque les auteurs
Tout-puissant, Zeus était soumis aux seuls arrêts du destin. Il était donc la figure
de Césarée, les nombreux adultères commis par Zeus l'empêchent d'être l'intellect créateur
34
du grand T o u t .
Ainsi, lorsque Zeus apparaît dans le même contexte qu'Hercule dans les œuvres
chrétiennes, sa geste semble souvent réduite à ses relations adultères avec les hommes et les
femmes. Parce qu'il possède sa propre geste, Zeus n'est pas interprété pour changer la
perception du mythe d'Hercule. Les auteurs semblent plutôt attribuer les traits du père au
fils ; Hercule est licencieux car son père l'était avant lui. Lorsque Zeus apparaît dans le
même contexte qu'Hercule, il est toujours présenté comme adultère et cela sans tenir
compte de la perception du mythe du héros. Pour leur part, les autres figures qui
appartiennent à la geste d'Hercule uniquement sont interprétées selon l'image que l'auteur
Dans les œuvres chrétiennes, les personnages entourant Hercule sont divisés en
deux catégories : ceux qui ne font pas partie de la geste du héros et ceux qui en font partie.
Les personnages de la premières catégorie sont liés à Hercule par certains traits communs à
généralement dans des énumérations apportant plus d'impact à un argument particulier. Les
énumérations dans lesquelles est mentionné Hercule comptent des figures mythologiques
qui ont commis des actes sexuels avec des hommes ou des femmes. Les listes mentionnent
également des divinités qui étaient des hommes avant d'être vénérées ou dont la geste avait
3 2
Cf. supra p. 12 et 50.
3 3
Cf. supra p. 23.
3 4
Cf. supra p. 65.
des points communs avec les faits rapportés à propos de la vie de Jésus. Les auteurs
chrétiens reprochent ou acceptent les mêmes faits concernant ces figures que les faits
concernant Hercule.
Selon la perception des auteurs au sujet du mythe d'Hercule, les éléments liés à sa geste
sont interprétés afin de refléter ce que les auteurs veulent montrer. Lorsque les auteurs
chrétiens cherchent à incriminer le héros, les personnages qui l'entourent deviennent ses
victimes. Lorsqu'ils veulent toutefois valoriser le héros, les figures mythologiques liées à sa
geste représentent les différents éléments que le héros doit combattre et il devient leur
victime.
Puisque les différentes intentions des auteurs chrétiens sont rassemblées dans des
groupes, nous avons choisi d'explorer leurs objectifs par genre littéraire. Parmi nos sources,
nous comptons quatre genres littéraires différents - soit l'apologie, le traité hérésiologique,
le traité réglant la conduite chrétienne et l'autobiographie - ainsi qu'un sous-groupe de
l'apologie - la réfutation de grands écrits païens.
Parmi les apologistes provenant d'un milieu païen, on distingue deux tendances
principales. La première vise à expliquer d'où provient l'erreur des adeptes de la tradition
gréco-romaine. En fait, les auteurs qui empruntent cette voie veulent dévoiler la vraie
philosophie ou la véritable foi. Ils ont trouvé la vérité dans la foi chrétienne et cherchent à
montrer aux païens qu'ils ont été trompés. En parcourant certains éléments mythologiques,
Clément d'Alexandrie expliquent que les mythes sont l'œuvre de démons qui souhaitaient
entraîner l'humanité dans l'erreur. Mis au courant de la venue d'un Messie par les Écritures
juives, ces démons ont attribué certaines caractéristiques de l'envoyé divin à des
personnages fictifs. Ces derniers sont les dieux et les héros de la tradition gréco-romaine,
dont Hercule fait partie. En vénérant ces divinités, les païens ont pris part au plan des
démons.
Toutefois, loin de rejeter les mythes créés par les démons, ces auteurs chrétiens font
leur interprétation et découvrent le véritable message dont ils sont porteurs. Ainsi, chez
36
Justin Martyr on remarque qu'Hercule s'est vu attribuer la force du M e s s i e et chez le
d'Hercule de la part de Justin gnostique qui apparaît dans le Philosophumena. Puisque nous
connaissons peu d'éléments au sujet de cet auteur, nous nous permettons de l'ajouter à la
suite de ceux qui ont expliqué la tradition gréco-romaine à l'aide de concepts chrétiens.
3 5
Athénagore ne fait pas l'interprétation du mythe d'Hercule, mais il explique sa théorie concernant les
d é m o n s . Cf. Athénagore, Suppliques, 24.
36
Cf. supra p. 19.
3 7
Cf. supra p. 11.
3 8
Cf. supra p. 24.
39
l'élu d'Élohim qui vient débarrasser la terre des maux envoyés par Éden . L'auteur
parvient ainsi à expliquer la présence du héros Hercule « sauveur de l'humanité » avant
celle de Jésus Christ : le premier a échoué, il fallait donc qu'il y en ait un second. Chez
Justin gnostique, Hercule conserve son rôle de sauveur, il change simplement de tradition.
Même si tous ces auteurs reconnaissent chez Hercule une disposition libidineuse et
une propension à commettre des erreurs (e.g. des assassinats et des vols), ils n'attribuent
pas ces écarts de conduite au héros, mais plutôt aux démons qui ont créé les mythes. Ces
derniers cherchaient à convaincre les hommes de commettre des actes immoraux et c'est
pourquoi ils ont donné de tels exemples aux hommes. Ainsi, Hercule est vu comme un
personnage positif lorsqu'il est utilisé dans ces œuvres chrétiennes. Il apparaît comme un
sauveur ou comme celui qui combat les maux. Cette tendance ne s'applique toutefois pas à
tous les apologistes issus du milieu païen.
Il s'agit un peu du même principe pour les auteurs qui cherchent à réfuter une œuvre
ou plusieurs œuvres païennes en particulier, à la différence que ces auteurs mettent en
parallèle les accusations de l'auteur païen et les différents épisodes mythologiques qui ont
rapport avec cette accusation. Alors qu'Origène réfute le païen Celse, il reprend une à une
ses accusations et les retourne contre la tradition gréco-romaine. Lorsque l'auteur païen
Ces apologistes ayant reçu une éducation chrétienne apparaissent vers la fin du
e
II siècle. Il s'agit des premières générations issues de familles chrétiennes ou d'adeptes
convertis très jeunes aux enseignements chrétiens. Toujours dans le but de défendre le
christianisme, ils rédigent des ouvrages afin de répondre aux attaques païennes et de
valoriser leur foi. Ils semblent toutefois plus assurés dans leur discours et se permettent
d'attaquer de front la tradition gréco-romaine. Si les apologistes issus du milieu païen se
contentaient de relever les erreurs de la tradition gréco-romaine, ceux provenant d'un
environnement chrétien désirent prouver l'absurdité de cette tradition. Leur ton est souvent
plus autoritaire et leurs affirmations plus catégoriques. Firmicus Maternus est un bon
exemple, car il n'hésite pas à traiter le héros de voleur et à dévaloriser les exploits qu'il a
47
accomplis . Un peu avant lui, Athanase est lui aussi catégorique dans ses écrits lorsqu'il
48
attaque la figure de Zeus et sa progéniture . Puisque le christianisme gagnait de plus en
plus d'adeptes à cette époque, on peut croire que les auteurs chrétiens ont gagné de
l'assurance. Cette confiance leur a permis de lutter plus librement pour leurs convictions.
De plus, ils semblent non seulement animés par le désir de valoriser leur foi face aux
attaques païennes, mais ils cherchent également à convaincre les autorités d'abolir les
pratiques de la tradition gréco-romaine. Dans ce but, ils mettent en lumière les éléments
immoraux de la geste d'Hercule afin de montrer l'absurdité de la tradition gréco-romaine.
en deux catégories : ceux qui sont issus d'un milieu païen et ceux qui ont reçu une
Les héritiers de ces auteurs chrétiens vont simplement relever les erreurs de la tradition
Ils mettent en perspectivent les mauvais actes d'Hercule en mentionnant rarement ses
exploits sous un bon angle. Enfin, après quelques années, une génération issue - ou au
courant - de l'enseignement chrétien prend la succession dans le combat contre les païens.
Cette génération défend les convictions chrétiennes avec plus d'assurance. Ces auteurs
Plus le temps avance et moins les auteurs vont ressentir le besoin de défendre la foi.
e
Au IV siècle, ils se soucient d'avantage de la conversion des païens. Les auteurs chrétiens
vont continuer à dévaloriser la tradition gréco-romaine afin de voir ses adeptes abandonner
évangélique, Eusèbe de Césarée cite plusieurs auteurs païens et analyse leurs concepts
parmi lesquels se trouvent certains éléments mythologiques. Campé dans les idéologies
chrétiennes, il réfute plusieurs conceptions païennes, entre autres celle de Porphyre. Alors
qu'il veut montrer l'absurdité de l'allégorie physique qui est défendue par Porphyre,
l'auteur ne cherche pas à critiquer le mythe d'Hercule. Le héros apparaît plutôt comme un
élément conceptuel utilisé par l'auteur païen et sa geste n'est pas discutée ou critiquée par
Eusèbe. Ce dernier énumère simplement les éléments du mythe qui ne correspondent pas à
Hercule n'apparaît pas seulement dans les ouvrages chrétiens qui s'adressent aux
païens, il est également mentionné dans quelques œuvres qui sont destinées aux chrétiens.
aux fidèles des récits inspirants. Ne cherchant pas à lutter contre la tradition d'origine du
héros, les auteurs qui rédigent ces ouvrages ne dévalorisent pas le mythe d'Hercule. Ils
l'évoquent plutôt parce qu'il représente certains concepts. Par exemple, dans le Contre
Dans son traité contre les hérésies, Hippolyte rapproche certains éléments de la
créateur de l'humanité, Elohim, et sa compagne, qui est nulle autre que la femme serpent,
51
est assimilée à É d e n . Sans critiquer ou interpréter le mythe gréco-romain, l'auteur fait
geste d'Hercule est réduite à certains éléments qui correspondent aux concepts de Justin
gnostique.
Grégoire de Nazianze fait lui aussi intervenir Hercule dans son ouvrage qui
incarne.
Ainsi, les auteurs chrétiens qui s'adressent à leur communauté utilisent le mythe
d'Hercule pour mettre en valeurs plusieurs idées. Dans les oeuvres contre les hérésies,
ni valorisé. Il est simplement perçu comme un symbole qui représente certains concepts tel
53
le héros soumis à ses passions, le héros possédant une force surhumaine ou le héros
influencées par le combat dans lequel elles s'inscrivent. Lorsqu'il apparaît dans les
à défendre la foi chrétienne la critiquent et la dévalorisent, tandis que les auteurs qui
l'incluent dans leurs ouvrages s'adressant aux chrétiens l'utilisent en tant que symbole
Le christianisme s'est formé en milieu polythéiste, entouré par les cultes et les
idéologies païennes. Il est évident que la communauté chrétienne est entrée en contact avec
les mythes et les rituels gréco-romains, puisque, comme les auteurs chrétiens le confessent
1
eux-mêmes, ces légendes et ces pratiques étaient connues de tous .
1
Pseudo-Clément, Homélies clémentines, IV, 15 ; Minucius Félix, Octavius, XXIII, 1.
Le mythe d'Hercule n'échappe pas à cette affirmation ; c'est probablement parce
que la geste du héros était l'une des plus populaires que son mythe se retrouve dans les
ouvrages chrétiens. Les auteurs chrétiens l'utilisent dans leur propos afin de défendre leur
position contre les païens et contre les hérésies. Porté à la défense de la vraie foi, le héros
apparaît comme un élément culturel compris de tous dans l'Empire. Ainsi, il peut servir
Le héros est présenté différemment selon le combat dans lequel il intervient. Il est
certains auteurs veulent expliquer les égarements des adeptes de la tradition gréco-romaine.
épisodes de sa geste lorsque les auteurs désirent corriger les hérésies et la conduite des
communautés chrétiennes.
Dans ces ouvrages, Hercule apparaît entouré par d'autres figures mythologiques qui
sont elles aussi critiquées ou admises par les auteurs. Ces figures font parfois partie de la
geste d'Hercule et d'autres fois non. Les figures mythologiques qui ne font pas partie de la
geste du héros sont liées entre-elles par certaines caractéristiques communes et sont souvent
énumérées afin d'appuyer les propos des auteurs. Ces énumérations viennent donner un
impact plus grand à l'argument que les auteurs avancent. En général, lorsque ces derniers
mentionnent Hercule dans leurs énumérations, ils veulent dénoncer l'impudicité des dieux
ainsi que leur nature humaine. Quant aux figures qui font partie de sa geste, lorsque les
auteurs traitent le mythe d'Hercule plus en particulier, elles sont interprétées selon l'image
que les auteurs veulent donner de celui-ci. Les amants et les amantes d'Hercule
apparaissent comme ses victimes lorsque les auteurs désirent montrer l'impureté des actes
du héros et ils deviennent les outils de la perdition d'Hercule lorsque les auteurs
l'envisagent comme le sauveur de l'humanité, mais cette deuxième interprétation reste peu
fréquente.
e e
Ainsi, les auteurs chrétiens entre le II et I V siècle critiquent principalement deux
plusieurs autres divinités gréco-romaines, Hercule était un homme soumis aux passions et
emprisonné dans une enveloppe de chair mortelle avant d'être élevé au rang de dieu. Les
auteurs chrétiens rappellent certains événements démontrant qu'il possédait bien un corps.
Il existe plusieurs exemples de ces épisodes, entre autres ceux où le héros est blessé sur le
De plus, comme les auteurs chrétiens l'attestent dans leurs œuvres et comme les
auteurs païens et les poètes l'ont dit avant eux, Hercule a commis de nombreux actes
sexuels avec de nombreux partenaires. Parmi tous les épisodes qui attestent de ces
débauches, celui qui est prisé par les auteurs chrétiens est sans nul doute la période
d'esclavage chez Omphale, où le héros a non seulement succombé à ses passions, mais a
également corrompu sa virilité. Les nombreux adultères commis par le héros ainsi que son
esclavage efféminé auprès d'Omphale auraient dû suffire pour qu'aucun homme ne songe à
le vénérer comme un dieu. Tous ces éléments viennent montrer l'absurdité de la tradition
païenne qui fait de simples hommes soumis à leur passion des dieux.
Il semble que quelques auteurs chrétiens ne considèrent pas que le héros soit
homme ayant accompli de nombreux bienfaits pour l'humanité, quelques auteurs chrétiens
vont traiter le mythe du héros afin d'expliquer ses nombreux écarts de conduite. Pour ce
faire, ils utilisent l'allégorie. C'est le cas de Justin gnostique qui voit en Hercule le premier
envoyé divin qui a malheureusement échoué dans sa mission. D'autres auteurs chrétiens
vont chercher à expliquer les points communs entre la geste des dieux et la vie de Jésus. Il
s'agit d'après Justin martyr de l'action de démons qui désiraient tromper l'humanité. Mis
au courant de l'arrivée d'un Messie par l'Ancien Testament, ces derniers ont créé plusieurs
personnages et leur ont attribué les qualités du Messie annoncé par les Écritures. Hercule a
hérité du titre de sauveur de l'humanité. C'est en fait ce qui lui permet d'être associé à la
Marcel Simon résume les traits les plus marquants du parallélisme entre Jésus et
Hercule :
« Dans le cas de Jésus comme dans celui d'Hercule, le héros, de lignage divin,
échappe miraculeusement, au lendemain de sa naissance, au danger mortel qui
le menace. Au seuil de l'âge d'homme, il subit la tentation, et en triomphe.
Agent d'exécution, sur terre, de la volonté paternelle et du plan divin, il
inaugure alors, pour le salut de l'humanité tout entière, une carrière jalonnée
d'épreuves et de souffrances. Docile à la volonté du Père, il termine sa vie
terrestre par une passion, qu'il accepte. Sa mère éplorée est témoin de sa mort,
qu'accompagnent des prodiges et qui, loin de consacrer sa défaite, n'est que le
nécessaire prélude à son apothéose. Vainqueur du mal en ce monde, il l'est
aussi des puissances infernales » (Marcel Simon, Hercule et le christianisme, ) .
Il est fort probable toutefois que le rapprochement entre Hercule et Jésus ait d'abord
été l'effort des païens qui cherchaient à banaliser le personnage de Jésus Christ. En fait, les
païens cherchaient à absorber le christianisme ou du moins à définir les conditions qui
3
auraient pu permettre la coexistence du christianisme avec la tradition gréco-romaine .
Dans cet esprit, les adeptes du paganisme ont sans doute cherché à faire valoir les parallèles
entre les mythes païens et les Évangiles. Ainsi, Celse a pu suggérer de vénérer la figure
d'Hercule à la place de celle du Christ.
2
Stéphanie Danvoye, Hercule et le christianisme : autour des imaginaires mythiques.
3
E.R. Dodds, Chrétiens et païens dans un âge d'angoisse, p. 123.
gréco-romaine a permis au héros d'être interprété et plus tard assimilé à la nouvelle
religion. Par exemple, son combat contre Géryon fut converti en Saint Georges tuant le
e e e
dragon au V I siècle. On peut aussi ajouter que la société entre le II et le I V siècle
considérait le héros comme un symbole trop important pour être aboli. Après avoir discuté
longuement de son mythe, les auteurs chrétiens retinrent les éléments vertueux de sa geste
Sources :
• Athanase d'Alexandrie, Contra gentes, texte traduit par Eginhard Peter Meijering,
Leiden, E. J. Brill (coll. Philosophia patrum ; 7), 1984.
• Athanase d'Alexandrie, Contre les païens, texte établi et traduit par Pierre-Thomas
• Athénagore, Suppliques, texte établi et traduit par Gustave Bardy, Paris, Éditions du
Cerf (coll. Sources chrétiennes ; 3), 1943.
• Clément de Rome, Les homélies clémentines, texte traduit par André Siouville,
• Clément d'Alexandrie, Les Strornâtes, texte établi et traduit par Marcel Caster,
Epictète, Les entretiens ; Manuel, texte traduit par Joseph Souilhé, Paris, Les Belles
Jean Sirinelli, Paris, Editions du Cerf (coll. Sources chrétiennes ; 206), 1974.
Firmicus Maternus, L'erreur des religions païennes, texte établi et traduit par
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Hésiode, Théogonie ; travaux et les jours ; le bouclier, texte établi et traduit par
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Hygin, Fables, texte établi et traduit par Jean-Yves Boriaud, Paris, Les Belles
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Justin Martyr, Apologies, texte traduit par . André Wartelle, Paris, Études
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Justin Martyr, Œuvres complètes, texte traduit par Georges Archambault, Paris,
Migne, 1994.
Lactance, Institutions divines livre II, texte établi et traduit par Pierre Monat, Paris,
Lactance, Institutions divines livre V, texte établi et traduit par Pierre Monat, Paris,
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Lucien, Histoires vraies et autres œuvres, texte traduit par Guy Lacaze, Paris,
Macrobe, Saturnales, texte traduit par Charles Guittard, Paris, Les Belles Lettres
Minucius Félix, Octavius, texte établi et traduit par Jean Beaujeu, Paris, Les Belles
Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques, texte établi et traduit par Francis Vian,
Origène, Contra Celsum, texte traduit par Henry Chadwick, Cambridge, Cambridge
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Platon, La République, texte établi et traduit par Emile Chambry, Paris, Les Belles
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Platon, Le Timée, texte établi et traduit par Albert Rivaud, Paris, Les Belles Lettres
Pomponius Mêla, Description de la terre, texte traduit par Louis Baudet, Paris,
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Sophocle, Théâtre complet, texte traduit par Robert Pignarre, Paris, Garnier-
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Stace, Achilléide, texte traduit par Jean Méheust, Paris, Les Belles Lettres (Coll. des
• Tertullien, Apologétique, texte établi et traduit par Jean-Pierre Waltzing, Paris, Les
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• Tertullien, De corona, texte établi et traduit par Jacques Fontaine, Paris, Les Belles
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• Théophile, Trois livres à Autolycus, texte établi et traduit de Jean Sender, Paris,
Éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes ; 20), 1948.
• Valère-Maxime, Faits et dits mémorables, texte établi et traduit par Robert Combès,
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NEYTON, André, Les clefs païennes du christianisme, Paris, Les Belles Lettres,
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ROUX, Georges, Delphes, son oracle et ses dieux, Paris, Les Belles Lettres, 1976.
Chronos 14
- Abdéros 12, 13 Cléomaque 29
- Achille 28,29 Con (Chonos) 12, 13
Amphitryon 26 59
- Athys 30 Érigone 40
Jonas 43 Physcon 29
3, 59 Pompée 32
Lycomède 29 Priape 64
18,77 3,37
Théodamas/Dryope 12,13,45
er
Théodose 1 , empereur 59, 61
Thésée 43,
Trajan, empereur 3, 9
Valérien, empereur 37
65,69,71,75-78,
80, 8 1 , 85
Zoroastre/Er 24
- Firmicus Maternus
Index des sources chrétiennes et 60-62, 72, 79, 85
païennes
- Grégoire de Nazianze
- Apollodore 13, 18, 28, 76, 77, 60, 69-70, 73, 87
78, 79, 80 Hérodote 2,52
Apollonios de Rhode - Hésiode 2,13,26
45 - Hippolyte de Rome
Arnobe de Sicca 38, 51-55, 77, 87
38,46-48,56,57 - Homère 5,6,10,22,24
- Athanase 60, 62-64, 72, 76, - Hygin 13
85 Irénée de Lyon 10
Athénagore d'Athènes - Justin martyr 9, 10, 18-20, 34,
9, 16-18,83 35, 76, 77, 78, 83,
- Celse 1,4,38,41,42-45, 90
56, 77, 8 4 , 9 1 Justin gnostique
Clément d'Alexandrie 4, 51, 52-55, 57,
10,21-24, 3 4 , 3 5 , 80, 83, 84, 90
42, 76, 81, 83 - Lactance 38,48-51,56
Cyprien de Carthage Lucien de Samosate
37, 38-39, 56 1,2, 28
Diodore de Sicile - Nonnos de Panopolis
64, 68 76
Épictète 42 - Macrobe 50
Épiphane de Salamine - Minucius Félix
60, 70-72, 80 3 8 , 4 0 - 4 1 , 5 6 , 88
Euripide 18 - Origène 38,41-45,56,76,
Eusèbe de Césarée 78, 84
60, 64-69, 73, 8 1 , Pausanias 80
86 - Platon 17,24,34,42,83
- Pomponius Mêla
Porphyre de Tyr
65, 68
Pseudo-Clément/Clément
35, 83
Sophocle 13
Strabon 52
Stace 29
Tatien 10
80, 86
Théophile d'Antioche
9, 20-21,33
Valère-Maxime
50
Index des thèmes o 12 travaux ;
11, 1 8 , 2 3 , 2 4 , 3 1 ,
Actes criminels ; 34,41,47,53,54,
13, 1 4 , 3 0 , 6 1 , 83
o d'épisodes de la geste 7 5 , 8 7 , 89
48,49, 63,65,76,
79, 85
Généalogie orphique
Historicisation du mythe
34
Marcionisme 25
Éden ; 55
Hercule; 2 1 , 22
Soleil ; 66
Travestissement ; 27-29,
30,33,80
Persécutions
9 , 3 7 , 3 8 , 5 9 , 82
Rapprochement ;
o entre christianisme et
tradition gréco-romaine
3, 18, 1 9 , 3 2 , 4 1 -
90
gréco-romaine
25,26,51,52,56,
86, 87
Hercule symbole
68,69, 70,71
Traité hérésiologique
82, 86