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G.

SIMON
Relieur
Awan-AywaUIo
BW &

Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres


de TUniversité de Liège — Fascicule CLXXIV

MARIE DELCOURT

PYRRHOS ET PYRRHA
Recherches sur les valeurs du feu
dans les légendes helléniques

1 965
Société d’Édition « Les Belles Lettres »
Boulevard Raspail, 95
Paris (vie)
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Bibliothèque
de la Faculté de Philosophie et Lettres
de l’Université de Liège
Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres
de rUniversité de Liège — Fascicule CLXXIV

MARIE DELCOURT

PYRRHOS ET PYRRHA
Recherches sur les valeurs du feu
dans les légendes helléniques

1965
Société d’Édition « Les Belles Lettres »
Boulevard Raspail, 95
Paris (vie)
Conformément au règlement de la Bibliothèque de la Faculté de philo­
sophie et lettres, cet ouvrage a été soumis à l’approbation d’une commission
technique composée de MM. J.-P. Vernant, directeur d’études à l’École
pratique des Hautes Études de Paris, Marcel De Corte, François Duyckaerts,
Jules Labarbe et Albert Severyns, professeur à l’Université de Liège. M. La-
barbe a été chargé de surveiller la correction des épreuves.
A la mémoire de
Charles MICHEL
(1853-1929),
professeur à l’Université de Liège
de 1890 à 1923,

qui devina et sut faire comprendre


à ses élèves le rôle promis à la
psychologie des profondeurs dans
les recherches d’histoire religieuse.
INTRODUCTION

Les quatre chapitres que voici cherchent une réponse à la question


suivante : que pouvait bien être le mythe perdu où Pyrrhos et
Pyrrha composaient un couple ?
Ce mythe, faute de pouvoir l’atteindre, ne pourrait-on l’approcher
par des lignes où se dessineraient au moins des convergences ? Une
étude en profondeur permettrait-elle de saisir, entre le Roux et la
Rousse, des parentés qui se dérobent à une première lecture ?
C’est pourquoi il a paru utile d’étudier avec quelque attention
cette rousseur qui, en Grèce comme chez tant d’autres peuples, est
frappée d’un fort affectus religieux. Ceux qui ont sommairement
étudié celui-ci en ont surtout marqué le caractère défavorable, à
quoi j’ai cru nécessaire d’opposer les traditions qui révèlent son
ambivalence foncière (Ch. I).
Pyrrhos et Pyrrha doivent a priori avoir avec le feu un rapport
qui toutefois n’apparaît que fugitivement. La naissance d’Achille
est marquée par une magie du feu. Celle-ci a beau se solder par un
échec, elle a frappé les imaginations plus que les textes conservés
ne le donneraient à croire, puisque Pyrrhos lui doit son nom. Il
meurt sur Yhestia de Delphes (Ch. II). Quant à Pyrrha, personnage
sans légende, elle existe uniquement comme survivante, avec
Deucalion, de la Grande Inondation. Mais, parallèlement à la
Grande Inondation, les Grecs avaient gardé le souvenir d’un
Grand Incendie, à propos duquel un seul nom est conservé, celui de
Phaéthon. La foudre, dans les légendes, châtie Phaéthon coupable
de démesure. Mais la croyance populaire continue de voir en lui ce
qu’il était primitivement : un immortalisé par le feu (Ch. III).
Ces réflexions nous ramènent toutes vers une région précise :
celle du Parnasse, où Deucalion aborde avec Pyrrha quand les eaux
diluviales se retirent ; et, singulièrement, vers Delphes, où Pyrrhos
d’une part a un culte, le seul, semble-t-il, qui lui fut jamais rendu
en Grèce, où les descendants de Deucalion et de Pyrrha, d’autre
part, jouissent de privilèges particuliers ; Delphes où brûle un Feu
— IO -

pur, d’origine probablement céleste, conservé sur la même hestia


où Pyrrhos fut frappé à mort.
Ces contiguïtés ont été exposées dans le chapitre IV avec la pru­
dence qui est de rigueur pour décrire un mythe tombé en désuétude,
dont les thèmes dissociés sont entrés dans des orbites différentes,
sans perdre cependant tout point de contact. Un regard attentif
croit les y distinguer encore avec leur valeur primitive. Peut-être
cependant les rapprochements sont-ils trop fugaces pour avoir
grande force persuasive.
Il a fallu s’interroger en cours de route sur les raisons qui ont pu
vider les deux figures, celle de Pyrrhos et celle de Pyrrha, d’une si
grande partie de leur substance primitive que leur parenté apparût
presque effacée. On a donc groupé les légendes helléniques où le
feu fait figure d’instrument. Elles révèlent toutes une curieuse déva­
lorisation. Le caractère bénéfique des magies du feu apparaît dans
d’autres pays, à d’autres moments, par exemple dans le monde
orientalisé de l’Empire romain à son déclin, créant des opinions qui
ont alors réagi sur la Grèce. Mais ce ne sont là qu’influences tardives.
Les légendes anciennes traitent les liturgies du feu avec une con­
stante malveillance, qu’au surplus le sentiment populaire ne ratifie
pas. Les foudroyés furent toujours des élus au regard de la foule,
même si les fables ont toujours converti leur élection en châtiment.
Et, cependant, l’eschatologie hellénique n’a reconnu au Pyriphlé-
géthon aucun rôle pénal et purificateur, ce qui ne laisse pas d’être
étonnant pour des lecteurs de formation chrétienne. On a tenté
ci-dessous de dessiner le rôle de ce fleuve et celui du feu en général,
fort modestes l’un et l’autre, dans un au-delà où l’idée de sanction
a peu à peu superposé ses finalités propres aux images primitives,
qui sont celles d’un univers onirique, caractérisé par l’errance dans
l’obscurité, l’effort inutile, les monstres menaçants. L’étude d’un
thème religieux comme celui du Baptême de Feu montre que
même à l’époque tardive la pensée hellénique a refusé l’homologie
profonde de l’Eau et du Feu comme éléments purificateurs.
Peut-être ces rapprochements intéresseront-ils les lecteurs mêmes
que les hypothèses du dernier chapitre laisseraient sceptiques.
C’est pourquoi on les a données ici dans leur entier, même si le lien
paraît assez lâche entre eux et le sujet défini par le titre.

*
* *
— II

Écrivant, il y a dix ans, un ouvrage d’ensemble sur l'Oracle de


Delphes, une solidarité m’apparut probable entre le Feu Immortel et
ce Pyrrhos, cette Pyrrha qui aboutirent l’un et l’autre sur le Par­
nasse. J’ai essayé de préciser ici ce qui ne put là qu’être esquissé.

*
* *

Je tiens d’abord à dire ma gratitude à M. Roland Crahay, qui


a lu ces chapitres alors qu’ils n’étaient qu’à l’état de projet. Ils
ont infiniment profité de son attentive revision et de sa profonde
connaissance de tout ce qui concerne l’histoire des religions.
MM. Jean-Pierre Vernant, Albert Severyns, Marcel De Corte,
François Duyckaerts et Jules Labarbe, désignés par la Faculté
de philosophie et lettres pour examiner le manuscrit, ont bien
voulu me faire des suggestions qui m’ont été des plus utiles. MM. Se­
veryns et Labarbe notamment m’ont épargné plus d’une omission
qui aurait été regrettable. M. Labarbe a revu les épreuves avec
un soin extrême. Je ne saurais assez les en remercier.

Liège, novembre 1964.


Chapitre premier

AMBIVALENCE DE LA ROUSSEUR

« I.es cheveux roux caractérisent,


dit-on, un homme souverainement
bon ou souverainement méchant.
Collin de Plancy, Dictionnaire in­
fernal, IV, p. 264.

Presque tous les peuples, presque toutes les époques connaissent


un préjugé défavorable à l’égard des rousseaux. Il n’a jamais été
plus marqué qu’à la fin du moyen-âge où l’on disait en France :
Entre rous -poil et félonie
s'entreportent grand compagnie

et, en Allemagne :
Rote Haare, Gott bewahre,
Roter Bart, untreue Art (1).

Un adage romain disait : Raro breves humiles vidi rufosque fideles,


rapprochement curieux d’une observation psychologique exacte
(car les hommes petits sont souvent tentés de compenser leur
petite taille par une forte affirmation d’eux-mêmes) et d’une des
données les plus constantes de la mythologie physiognomonique.

(1) De quoi l'on trouvera vingt variantes à l’article Rot de l’admirable Wär­
terbuch der deutschen Sprache des frères Grimm, un de ceux où ces grands philo­
logues ont le mieux réalisé leur désir de faire de leur dictionnaire quelque chose
que l’on puisse lire en famille, le soir, à la veillée. Wackernagel, Kleinere Schriften,
trouve la première mention de la fourberie des rousseaux dans le Ruodlieb latin,
vers 1000 (non sit tibi rufus unquani specialis amicus). Les témoignages sont plus
nombreux à partir du XIIe siècle. Voir aussi les chapitres que E. L. Rochholz,
Deutscher Glaube und Brauch, 1867, consacre aux couleurs, notamment II, pp. 194
et suiv. ainsi que le Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens, s. v. Rot et Haar.
14 —
A la fin du XIIe siècle, Guillaume de Tyr écrit à propos du comte
Foulques d’Anjou : « Erat vir rufus, fidelis manifestus et contra
leges illius colons affabilis, béni gnus et misericors » (Belli sacri histo-
ria, XIV, I).
Gui Patin en plein XVIIe siècle ne pense pas autrement, même
s’il colore le mythe de raisons médicales. Le 25 octobre 1655, il
mentionne le décès d’une femme, « la plus chagrine, la plus colère du
monde, et de plus fort rousse. Or il est constant que l’inflammation
du poumon est toujours mortelle aux rousseaux. La raison en est
qu’ils abondent en sérosité âcre et maligne » (1) (Lettre 101 de
l’édition de Cologne, 1691). Son correspondant dut porter la question
sur le plan moral, car Patin lui répond (lettre 106) : « Je suis de
votre avis à l’égard des rousseaux, et je n’en ai jamais connu dont
je n’aie eu envie de me défier. On dit que Judas l’était ».
Judas l’était (par exemple sur les fresques de Ramersdorf,
peintes vers 1300) ainsi qu’Hérode et l’Antéchrist, en vertu du
préjugé qui associait la rousseur avec le manque de fidélité, de
générosité, de bonté. Cette « loi » s’affirme en Grèce et à Rome par
des témoignages qu’il convient de grouper par genres plutôt que de
tenter un classement chronologique.
Voici les médecins et les physiognomonistes (2) :
« Les roux au nez pointu, aux yeux petits, sont méchants. Mais
ceux qui ont le nez camus et qui sont grands, sont bons » (Hippo­
crate, Épidémies, II, 5, 1).
« Les blonds sont magnanimes, car ils tiennent du lion ; les roux
sont très méchants, car ils tiennent du renard » (Pseudo-Aristote,
Physiogn. 67, voir aussi 17, 23, 38).
« La couleur rouge, sans mélange, semblable à la fleur du coqueli­
cot, fait des hommes d’un comportement sauvage, impudique
et avide» (Adamantius, Physiogn., I, p. 394).
« L’homme impudent a nécessairement la peau rouge et la voix
aiguë » (Adamantius, Physiogn., I, p. 419).
Ces opinions sont confirmées par les conventions du théâtre, qui
relèvent des mêmes a priori. Les masques de tragédie étaient
couronnés de cheveux noirs ou blonds. Dans la comédie, aucun

(1) Cette opinion vient peut-être d'Hippocrate, Épidémies, III, 14.


(2) Textes réunis par L. Radermacher, Philologus, t. LVIII, neU<‘ série, XI,
p. 224, puis dans Das Jenseits im Mythos der Hellenen, p. 53 et utilisés par Eva
Wunderlich, Die Bedeutung der roten Farbe im Kult der Griechen und Römer,
Giessen, 1926, RVV, t. XX, p. 66.
— 15
jeune homme n’était roux. Parmi les hommes libres, le npcoros
ttolttttos, père débonnaire du genre de Micion, était blanc ; Verepos
-na-mros, le vieillard quinteux et autoritaire, était roux, ainsi que
tous les valets, notamment le Maison, le cuisinier indigène. Lucien
(Nekyomantie, 15) désigne un cuisinier en général comme un Pyr-
rhias, de même qu’Iros est le nom générique du mendiant. Le
Tettix toutefois, cuisinier étranger, avait des boucles noires roulées
et de la barbe ; il louchait. Ces détails stéréotypés avertissaient les
spectateurs qu’ils avaient devant eux quelqu’un qui allait les faire
rire. Plaute, qui voit ses personnages, décrit ainsi le Trompeur
par excellence, Pseudolus.
Rufus quidam, ventruosus, crassis suris, subniger,
magno capite, acutis oculis, ore rubicundo, admodum
magnis pedibus (12x8) (1).
Martial fait roux les gens qu’il méprise : « Pourquoi je refuse
de t’embrasser, Philaenis ? calva es, rufa es, lusca es » (I, 33). « Avec
tes cheveux roux, ton visage noir, ton pied bot, tes yeux qui
louchent, ce serait merveille, Zolle, que tu fusses homme de bien »
(XII, 54 ; cf. aussi XII, 32).
Les pays méditerranéens connaissent des roux aux yeux noirs,
au visage criblé de taches de son que le hâle noircit : tels sont
Pseudolus et Zolle.
Une épigramme anonyme, citée par Plutarque au début de la
Vie de Caton, dit de celui-ci :
« Roux, toujours prêt à mordre, l’œil gris : même mort, Persé-
phone refuse d’accueillir Porcius dans l’Hadès » (2).
La rousseur est associée là avec un caractère agressif, dans un
portrait assurément malveillant, mais qui devait être assez exact
pour que les contemporains y reconnussent l’original.
Martial a réuni dans celui de Zolle tous les traits qui composent

(1) Georges Monval, Fourberies de Scapin, notice, p. IX, se souvient d'avoir vu


Régnier jouer le rôle, « le teint bistré sous sa perruque rousse ». — Sauréa est
rufulus (Asinaria, 400). Le Philocrate des Prisonniers est subrufus aliquantum ;
c'est un personnage libre et sympathique, mais qui se donne pour un esclave,
trompant ainsi Hégion. Le détail est donné au moment où Hégion a le plus de
raisons de suspecter sa loyauté.
(2) Amyot en a fait un quatrain, sans pouvoir s'empêcher de forcer le sens de
nvppôv : «Ce faux rousseau de Porcius aux yeux pers... » introduisant ce qu’il
considérait comme une note inhérente à la rousseur. Fénelon dans son Dialogue 37
a encore grossi le trait. Rhadamanthe accueille Caton aux enfers en lui disant :
« Tu as l'air d'un vilain rousseau ».
— i6 —

un être raté, c’est-à-dire, d’après les idées des Anciens, maléfique.


Et de la notion de maléfique à celle de méchant la distance n’est
pas grande. C’est ce qui apparaît dès qu’on aborde la comédie.
Dans un passage de Y Age d’Or, que malheureusement nul con­
texte ne vient éclairer, Eupolis énumérait une série de gens disgra­
ciés, qui sont l’aveugle, le marqué au fer rouge, le roux, le tordu (i).
Aristophane est plus explicite. Le coryphée des Grenouilles accuse
la cité de renverser toutes les valeurs. Elle vilipende ses meilleurs
éléments et recourt sans cesse à ce qu’elle a de plus méprisable :
.. .roîç 8e yaÀ/cols Kal Revois /cal Trvppiais
Kal rrovrjpoîs KfiK TTOPrjpwv els dnavra ypwp,eda
vararois à<j>iyp.évoLaiv, olcnv r/ noXts rrpo tou
ovSè <f>app.a.Koîcnv elafj pqBliuç eypijaar’ ™ (730-733)-

« Nous employons à toutes fins pièces de cuivre, étrangers,


rousseaux, gueux fils de gueux, derniers venus, tels que la cité
jadis y eût regardé à deux fois avant de s’en servir même comme
<f>appaKoi ».
La valeur exacte de nvpplais ne se voit pas du premier coup,
le mot étant employé assez rarement comme nom commun. Un
scholiaste du passage y voit une allusion à d’hypothétiques esclaves
thraces, explication d’autant moins vraisemblable que l’esclave
qui figure dans la pièce s’appelle Xanthias, Blondin, et y fait quelque
peu figure de gracioso. Je ne crois pas davantage qu’il faille penser
à Cléon : si celui-ci avait été roux, Aristophane n’aurait pas manqué
de nous en avertir, et en termes aussi précis que l’auteur de l’épi-
gramme contre Caton. Il ne faut pas chercher ici d’allusion person­
nelle (2). Les Pyrrhiai sont des rousseaux qui portent malheur et
qui, à cause de cela, étaient souvent choisis comme « émissaires ».
C’est du reste ainsi que comprend un autre scholiaste, qui dit : tous
<f>avXovs Kal Trapa -rijs </>voeojs €TnßovXevop,evovs fis àiraXXayrjv ariypov
r) Aipou eBvov, « on sacrifiait pour mettre fin à une sécheresse ou
à une famine les misérables et ceux qui ont été maltraités par la
nature » (3).1

(1) Fragment 4, Meineke II, p. 537. Le texte est altéré.


(2) Pas plus, je pense, que lorsque Démos dans les Cavaliers (902) parle d’un
■nvppàvhpov p.T)x<ivrip.a que l’on a également voulu imputer à Cléon. Rien n’est
moins sûr. « Manigance de rouquin », dit en général, n’aurait étonné ni les auteurs
réunis par Grimm, ni Gui Patin.
(3) èmgovXtvopévovs est bizarre ; mais le sens paraît assez clair. Cf. Œdipe, p. 31.
— 17 —

Cette note rapprochée du texte nous permet de situer exacte­


ment la rousseur dans l’échelle des défauts physiques : pas assez
grave pour qu’à cause d’elle un nouveau-né soit condamné à Yapo-
thésis ; assez fâcheuse cependant pour que les « émissaires » chassés
de la cité après en avoir assumé les fautes soient volontiers choisis
parmi les rousseaux.
*
* *

On a cherché à justifier ce préjugé défavorable. Partir de la


couleur en soi conduit aussitôt à une impasse. Les Grecs admi­
raient par-dessus tout les cheveux blonds et ils en ont donné à
tous leurs héros. Or ijavdôs se distingue malaisément de jrvppôç.
Certains emplois les montrent curieusement confondus. Au début
à.’Iphigénie en Tauride (73), Oreste voit au faîte du temple des
traces de sacrifices sanglants : alpaTwv yovv ÇavO' e^ei 9pi.yKwp.aTa.
Un moderne attendrait nappa, et d’autant plus que Çavdôs vient
d’être employé pour désigner les cheveux blonds qu’Iphigénie, en
rêve, a vus flotter (52). Rien n’est plus délicat que d’apprécier
exactement, dans un texte ancien, une indication de couleur. Elle
résulte rarement d’un terme unique et précis : l’adjectif, souvent
polyvalent, doit se lire globalement avec le substantif qui l’ac­
compagne et qui lui donne sa valeur. Les articles Çavdôv et
Çovdôv, dans les lexiques d’Hésychius et de Photius, traitent
comme homogènes des notions de couleurs et d’autres de rapidité,
de légèreté, que nous distinguerions nettement. Savdàs, ci-dessus,
doit se comprendre avec alpdrwv et par lui.
Même en faisant sa part à l’imprécision de tout vocabulaire an­
tique en ce qui concerne les couleurs (1), il faut constater que1

(1) Photius n’a pas d’article {avBôv. Pour lovüov : Xcnrov, iiraXov, iXa<j>pôv,
yXœpôv, vypôv, ÇavBov, kclXov, itvkvov, o£v, ra)(v ' oi 8c ttoiklXov, cvctSes, Siavycs.
Hésychius : ÇavBôv ' -nvppóv, kolXôv, ev elpyaop-évov, yXwpov. Son article Çovdôv
reprend à peu près l’énumération de Photius en y ajoutant nvppóv. — Voir sur
cette question les remarques très fines de H.-F. Janssens sur les Couleurs dans la
Bible hébraïque, (Annuaire Inst, de phil. et d’hist. Or, et SI. de l’ULB, t. XIV, 1954-
1957, P- I45 sqq)- Si elles ne sont pas toutes applicables au grec, il est bon d’y
réfléchir lorsqu’on cherche à serrer de près une notion de couleur dans un texte
ancien quelqu’il soit. « Les racines hébraïques auxquelles la notion de couleur
s’associe pleinement et directement sont peu nombreuses ; elles désignent le rouge,
le vert, le blanc, le jaune et le noir. Il y en a d’autres dont les dérivés évoquent
aussi la couleur, mais d’une façon plus limitée et plus indirecte, par le rappel d’une
chose qu’elle caractérise. » « L’équivalent du mot couleur manque dans la Bible
hébraïque, mais existe en hébreu rabbinique et en hébreu moderne. » — Jacques
i8 —

blond et roux sont plus souvent confondus qu’ils ne sont distingués.


Un scholiaste de Y Iliade, commentant le passage où Athéna saisit
Achille par sa chevelure blonde (1,197), dit ceci : Çavdfjç 8è ko/xt/ç é'Xe
IJrjXeuova' KaArjs, 7rvppâs, Kal 8ià tovtov 8é <f>acnv alvîrrerai to deppóv Kal
SpylXov Tov Tjpajos' ol yàp ÇavOÔKopoi (corrigé de ÇavQôyoAoi) tolovtoi.
« Belle, rousse, et par là, dit-on, le poète signifie l’ardeur et
l’irascibilité du héros. Les cheveux blonds comportent ce caractère ».
Peut-on marquer plus clairement combien la limite était impré­
cise entre ce blond si admiré et ce roux censément méprisé ? Ru/us
en latin se distingue tout aussi mal de flavus. Burrus vient de nvp-
pôs, peut-être par un intermédiaire étrusque, et les anciens le glosent
par rufus. Et cependant, dans les traductions de textes médiévaux,
c’est souvent Çavdôs qui est rendu par rufus alors qu’on attendrait
flavus (1). Dans la vieille légende ionienne dont l’on représentait
une version à la fête des Apaturies, le héros qui s’oppose au déloyal
Mélanthios s’appelle tantôt Xanthios, tantôt Pyrrhos ou Pyrrhan-
thos, équation significative, quelle que soit du reste la valeur reli­
gieuse que l’on donne aux deux antagonistes (2).
Au surplus, les anciens justifient leur préférence pour les cheveux
blonds par un coefficient moral qui, logiquement, aurait dû faire
admirer encore davantage les cheveux roux, auxquels doivent se
trouver associés des caractères identiques, sinon à un degré plus
élevé encore. C’est ce qu’atteste une histoire comme celle-ci. On
racontait à Rome que le jour de la bataille du lac Régille où furent
vaincus Tarquin et l’armée latine, deux beaux jeunes gens vinrent
le soir même en ville annoncer la victoire. Un homme à qui ils par­
laient refusa de les croire ; en souriant ils lui touchèrent la barbe
qui de noire devint rousse. C’étaient les Dioscures et le saint Thomas
romain fut nommé Ænobarbus (3).* 1 2 3

André, Études sur les termes de couleur dans la langue latine, Paris, thèse, 1949,
p. i8, dit très exactement : « On ne doit pas lier déficience de la perception et
déficience du vocabulaire qui la rend », M. Jules Labarbe veut bien me signaler
(Aulu-Gelle, II, 26) l’entretien de Favorinus et de Fronton, qui illustre à merveille
cette dernière formule.
(1) Platon définit le -nvppiv comme un mélange de jaune et de gris (Timée, 68 C).
ce qui fait que Rivaud traduit par brun clair le même passage où Bailly entend
rouge de feu. Pour rufus-flavus, cf. J. André, Études..., p. 81 sqq.
(2) H. Usener, Göttliche Synonymen, Rh.M. t. LUI (1898), p. 365, = Kleine
Schriften, IV, p. 292 sqq.
(3) Plut. Paul Emile, 25, p. 268 C : en /acAcuVtjî rpt^oç eis nvppàv pfraßaXovaa.
Amyot, qui ne peut croire qu'une barbe rousse soit un cadeau des dieux, dit que
« le poil lui devint blond ». La retouche est significative.
— 19 —

Il pouvait bien se vanter du miracle, car les Jumeaux divins lui


avaient donné une des caractéristiques des dieux. Ceux-ci sont dits
ou blonds ou, plutôt encore, xPvcroK°lJLal> xPvaoXa~LTaL- Le Zeus
d’Olympie avait une chevelure d’or pur, dont un voleur un jour
coupa deux boucles (Lucien, Zeus Tragoedos, 25, p. 670). D’or
aussi était la perruque des Dioscures (Lucien, Symposion, 25,
p. 440). C’est pour se donner l’apparence d’un dieu que Caligula
faisait dorer sa barbe quand il s’exhibait en public, tenant la
foudre, le trident ou le caducée (Suétone, Caligula, p. 52). Commode
et Gallien, tous deux d’un blond ardent, se faisaient poudrer de
limaille d’or, et c’était pour ressembler à des dieux nimbés de
lumière : « Sa chevelure, dit Hérodien de Commode, était par
nature blonde et crépue à tel point que lorsqu’il s’avançait au soleil
il brillait comme du feu ; les uns pensaient qu’il se poudrait de
raclures d’or ; les autres le regardaient comme un être divin, disant
qu’une radiance céleste environnait sa tête (1) ».
Mais il ne s’agit pas là seulement d’une affectation de despotes
qui prétendent se faire prendre pour des dieux. La teinte censément
maudite, on se la donne artificiellement. Les femmes grecques se
teignent les cheveux en les exposant au soleil (Lucien, Amores,
40, p. 441) ; elles ont des onguents qui les font xPvlroeiSeî? ou
nvppal (Plut., Eroticos, 771 B). La mode existait à Rome au temps de
Caton, d’Afranius, qui se moque de ces coquettes en les appelant
rutilae (Caton, Orig., VII, 9. Festus, 320, 4). Pline (XV, 87 ; XXIII,
67) donne une série de procédés, dont celui-ci est remarquable en
ce qu’il associe (comme le fait le scholiaste d’Homère) rousseur et
vigueur : la lie de vinaigre et le vin cuit brûlés ensemble accroissent
les forces ; si l’on y ajoute de l’huile de lentisque, l’onction en une
nuit rend les cheveux roux. Tertullien accuse ses contemporaines
de répudier leur qualité de Romaines en se donnant 1 apparence
d’être nées dans la Gaule ou la Germanie : elles rendent fauve une
chevelure qui était noire ou blanche. Mauvais présage que de
prêter à ses cheveux l’éclat des feux de l’enfer ! Cyprien et Jérôme
reprennent la même comparaison, laquelle comporte, pour qui sait
la comprendre, un sévère avertissement (2).1 2
(1) Hist. Auguste, I.ampride, Commode, 17 J T.réb., Pollion, Gallien, 16; Hérod.,
Hist., I, 7, 5. Sur la conception des dieux radiants et sur la couronne radiée des
empereurs qui s’assimilent à eux. cf. A. Dieterich, Nekya, p. 41.
(2) Tert., De cultu femin., II, 6, P. L. I, 1322 ; Cyprien, De habitu virginum, § 16 ;
De lapsis, § 6 et 30, P. L„ IV, 455 et 469 ; Jérôme, Epist., 107, 5, P. L„ XXII,
872 sqq.
— 20 —

Plus tard, quelle que soit l’origine de « rufflani, vox italica,


lenones », de « rufiana, meretrix, vox gallica roussecaigne » comme
dit Du Cange, l’étymologie populaire les rattachera à rufus, rufu-
lus (i).
Les Barbares cependant se glorifiaient de cette rousseur qui les
caractérisait aux yeux des Romains. Les rutilae comae faisaient
partie de la beauté germanique (Tacite, Germ. 4). Pour en accentuer
la couleur, les hommes, plus encore que les femmes, utilisaient la
spuma batava, mélange de cendres et de graisse de chèvre. Pline
(XXVIII, 191) mentionne les procédés employés par les Gaulois.
Martial (VIII, 33 ; XIV, 26) se moque des femmes qui recourent à
ceux dont se servent les Bataves et les Teutons — c’est-à-dire
les gens d’une région où, quelques siècles plus tard, apparaîtra
tout un folklore malveillant à l’égard de ceux qui sont roux de
naissance. Le célèbre « blond vénitien » sera obtenu tout aussi
artificiellement.
D'autres ambivalences se révèlent ailleurs. Les valeurs positives
de la rousseur apparaissent dans un témoignage provenant de la
même ville et de la même époque où Aristophane, reflétant un
préjugé populaire, traitait ses représentants avec tant de mépris.
Dans Les Troyennes, les captives imaginent les régions de la Grèce
vers lesquelles leurs nouveaux maîtres vont les emmener ; elles
évoquent pour finir la contrée de Thurii :
« Le Crathis, le plus beau des fleuves, l’arrose,
lui qui fait rousse une chevelure blonde,
lui qui de ses eaux divines nourrit et rend prospère
une terre féconde en hommes vigoureux » (2).

La vertu de rougir le poil est attribuée au Xanthe de Troade,


mais en vertu d’un simple jeu de mots. Xanthus rufas oves facit,
dit Pline (II, 230) en employant rufas là où — une fois de plus —
nous aurions attendu flavas. Pour le Crathis, l’association d’idées1 2

(1) Le Dizionario etimologico italiano de Florence (1957) écarte l'étymologie


courante et propose de voir dans ruffiano une élaboration italienne du lombard
hruf ; il compare ruffa, « foule de personnes qui veulent s’emparer de quelque
chose ». Rufian apparaît en français au XIVe siècle, emprunté à l’italien.
(2) Troy., 226-9. Avec le même préjugé qu’Amyot traduisant l’histoire d’Æno-
barbe, et parce qu'il ne peut voir dans la rousseur qu’un indice défavorable, Léon
Parmentier évite d’introduire le mot roux dans sa version : « ses merveilleuses
eaux colorent les cheveux d’un blond ardent ».
— 21 —

est plus secrète et plus instructive. Strabon le désigne comme le


fleuve où se mélangent (Kepâwvvrai) plusieurs rivières. Les vers
d’Euripide suggèrent un fleuve dispensateur de force (Kpâros),
capable de donner la prospérité à une terre nourricière de beaux
hommes. Et son pouvoir se marque à ceci, qu’il monte d’un degré la
coloration des cheveux blonds. Le passage des Troyennes rapproché
de celui des Grenouilles décrit une ambivalence qu’il faut tenter
d’approfondir.
*
* *

Comparer les traditions concernant les animaux roux fait décou­


vrir des oppositions analogues. Le Taureau dont Pasiphaé s’éprend
pour sa beauté est roux, du moins dans les Cretoises d’Euripide.
Rousse aussi la crinière du Lion de Némée, qui encadre d’une auréole
de feu la tête blonde d’Héraclès (Eur., Folie d'Hér., 362). Roux le
Bélier qui doit assurer à Atrée la prééminence sur son frère ; d’or
ou de pourpre la Toison conquise par les Argonautes. Ces trophées
portent malheur dans la mesure même, où, étant bénéfiques par
nature, ils sont l’objet d’une convoitise excessive. Ils partagent
cette ambivalence avec l’Or dont ils ont la couleur.
Il existe aussi des monstres dont le caractère terrifiant est re­
haussé d’un trait de pourpre : le serpent au dos rouge qui annonce
aux Grecs une guerre de dix ans, les géants rouges qui attaquent
Alexandre le Grand, le loup rouge qui dévore le préteur Publius (1).
Ce sont là des surcharges dues à des mythographes tardifs qui
voient dans le rouge un caractère effrayant. Les contes populaires
authentiques donnent une image toute différente. Dans les légendes
concernant l’origine des animaux, la couleur noire est considérée
comme un châtiment : un dieu l’inflige comme une punition pour
une maladresse ou pour une faute (ainsi le corbeau, primitivement
blanc, devient noir pour avoir apporté à Apollon la nouvelle de la
trahison de Coronis). En revanche, le plumage ou le pelage ardent1

(1) Exemples réunis par Eva Wunderlich, Die Bedeutung der roten Farbe im
Kult der Griechen u. Römer, RVV. XX, 1926, Giessen. Je crois pouvoir laisser
de côté les sacrifices d’animaux roux. P. Stengel, Opferbräuche der Griechen,
1910, consacre un chapitre (p. 187 sqq.) à la couleur des victimes. Dans un certain
nombre de cas il y a un rapport entre la rousseur et la chose que l’on désire soit
provoquer soit éviter. Ambivalence encore, mais d’une nature toute différente
de celle que nous cernons ici.
— 22 —

est une récompense (i). Schredelseker (2), qui a étudié les croyances
relatives aux cheveux en général, admet que l’antipathie pour
l’homme roux vient des démons ou des animaux roux. C’est renver­
ser le problème. Si l’on a donné à certains démons, à des animaux
fantastiques, la couleur rouge, qui en soi n’est nullement maléfique,
c’est que, chez les êtres humains, on la trouvait associée ou on la
supposait associée à des traits que l’on jugeait inquiétants.
On a voulu expliquer le préjugé hostile à la rousseur en partant
de la couleur en soi, alors que le rouge et l’or impliquent force,
vigueur, puissance. Le mot nvppôv désigne très particulièrement
la joue du jeune homme ombragée par le duvet de la première
barbe : Aristophane appelle rrvppoTTLTrrjs celui qui reluque les
adolescents (Acharniens, 407), de même que Diomède reproche à
Pâris de n’être qu’un TTapdevoTrinrjç, un lorgneur de filles (Iliade, XI,
385). Faut-il partir des contiguïtés, indiscutables, entre le rouge et
la mort ? Les Anciens en étaient conscients. Artémidore (Oneirocriti-
,? con, I, 71, p. 70) dit qu’il y a une sympathie entre la couleur de la
pourpre et la mort. Mais de quelle nature est-elle ? Certains peuples
ont teint des squelettes en rouge ; on en a retrouvé dans le monde
germanique, en Scandinavie, en Angleterre, qui remontent au
paléolithique (3). On a toute raison d’accepter l’explication de
Fritz von Duhn : le rouge, couleur du sang, était l’antidote de la
mort et en impliquait le refus. On sème des fleurs rouges sur les
tombeaux, dit Servius (En., V, 79), ad sanguinis imitationem, ubi
est sedes animae. Elles étaient destinées à revigorer l’ombre anémiée,
à lui rendre la chaude vitalité qui réside dans le sang. Lycurgue
prescrit de ne rien inhumer avec les morts, mais d’envelopper le
cadavre dans un manteau de pourpre et du feuillage d’olivier. De
même les pythagoriciens étaient ensevelis dans un suaire de
pourpre, dans des feuilles de myrte, d’olivier et de peuplier noir.1 2 3

(1) Voir l’Index de Stith Thompson, F. F. C., t. 106, A2223, 2410. Les contes
populaires opposent volontiers de même la blonde vertueuse à la brune méchante et
présentent blondeur et noirceur comme des sanctions : Grimm, 135, Weisse und
schwarze Braut.
(2) De superstitionibus quae ad crines pertinent, Thèse de Heidelberg, 1913.
(3) Jan de Vries, Altgermanische Religionsgeschichte, 2me éd. 1956, §§ 203 et
272. M. A. Severyns veut bien m’indiquer, sur ce sujet, pour le paléolithique,
Hawkes, The prehistorie foundation of Europe, Londres, 1940, p. 38 et V. Gordon
Childe, The dawn of European civilization, 6rae éd., I957> PP- 6, 209, 259 ; pour le
néolithique, et les ochre-grave cultures du Caucase, Hawkes, p. 220 sqq et Childe,
p. 103, 168). Claude Lévi-Strauss, Le Cru et le Cuit, 1964, p. 149, a vu des osse­
ments peints en rouge chez les Bororo du Paraguay.
— 23 —

L’olivier et le myrte, qui échappent à la caducité végétale, compor­


taient une promesse d’immortalité ; le linceul rouge la préfigurait
en quelque sorte (i). L’archonte de Platées, raconte Plutarque
(Aristide, 21, 4), portait toujours un vêtement blanc, sauf une fois
par an, à la commémoration de la bataille. Il revêtait un chiton
rouge pour honorer les soldats morts.
L’emploi du rouge comme symbole, comme affirmation de la vie,
nous amène à ses usages apotropaïques. Ils sont nombreux dans
les mythes du Proche-Orient. Baal se couvre d’ocre rouge pour
descendre aux Enfers, Marduk pour combattre Tiamat. La bande­
lette protectrice qui prémunit contre les pratiques magiques est
rouge dans le monde germanique comme dans le monde grec,
témoin celle que les initiés de Samothrace se croisaient sur le
ventre (2). Quantité d’ordonnances médiévales prescrivent de
peindre les maisons en rouge. Rochholtz en a recueilli des exemples
en Suisse, en Allemagne, en Russie et jusqu’en Laponie.
Dans d’autres cas, le rouge est une affirmation d’autorité. Il
était employé au moyen âge pour les livres d’archives et pour les
accessoires du gouvernement, royal ou municipal. Il était la couleur
du pouvoir. Le drapeau rouge, à l’origine, fut arboré par l’au­
torité, afin de déclarer l’état de siège contre les émeutiers, dont
la couleur était le noir, mais qui prirent ensuite le rouge par bra­
vade (3).
La vedeur du rouge apparaît avec une sombre grandeur dans
la scène d’Agamemnon où Clytemnestre décide le roi à entrer
dans la maison en marchant sur le tapis de pourpre. Agamemnon
hésite, car il sait dangereux tout ce qui fait l’homme ressembler
aux dieux. On décèle là une certaine ambivalence de la pourpre
dont Glotz donne quelques exemples et qu’Eva Wunderlich con­
dense dans la formule : Le rouge est porteur d’une puissance qui1 2 3

(1) Fr. von Duhn, Rot und Tod, A.R. Wt. IX (1906), pp. 1-25 ; Plut., Lycurgue,
27, 2 ; Franz Cumont, La stèle du danseur d'Antibes, p. 12 ; Lux perpétua, p. 45.
(2) Schol. Apoll, de Rh., I, 917 ; E.-L. Rochholtz, Deutscher Glaube, II, pp. 194
sqq. 204 sqq. ; K. Goldammer, Die Formenwelt des Religiösen, i960, p. 293.
(3) En 1912, Adolphe Messimy, ministre français de la Guerre, visita le front
des Balkans et s’y convainquit de l’avantage des uniformes de couleur terne. Lors­
qu’il proposa d’en donner aux soldats français, il se fit traiter de franc-maçon et de
dreyfusard. Bannir la couleur vive, enlever au soldat son aspect éclatant, c’était,
dit l’Écho de Paris, aller contre le goût français et la fonction militaire. La réforme
fut rejetée au cri de « Le pantalon rouge, c’est la France ». Un archétype eut là
une force persuasive qui coûta la vie à des milliers de jeunes gens.
— 24 —

peut être dirigée positivement ou négativement. Elle pense même


que l’usage proprement magique (et non pas seulement prophy­
lactique) du rouge et notamment du sang, plus souvent orienté
vers le mal que vers le bien, a pu influencer le préjugé relatif aux
rousseaux : choc en retour de la magie sur la croyance populaire (i).
C’est cependant, au cours des siècles, le caractère bénéfique qui a
prévalu. Le rouge est la couleur de l’apparat, celle dont les grands
se revêtent aux jours de fête, indice d’un luxe auquel les courtisanes
prétendent volontiers et que, par conséquent, certains législateurs
refusent aux femmes honnêtes (2).
*
* *

En somme, dès que l’on examine avec quelque attention les


superstitions qui nous occupent, on arrive à cette conclusion
paradoxale que, si les rousseaux sont maléfiques, les cheveux roux,
en soi, ne le sont pas. Bien plus, la couleur elle-même signifie force,
vigueur, ressemblance avec les dieux. « Rotgelb und gelbrot sind
Farben von der Plusseite, sie stimmen lebhaft, regsam strebend »,
dit Goethe dans sa Farbenlehre. On se la donne au besoin lorsqu’on
ne la possède pas naturellement. Au surplus, comment distinguer
le roux du blond ardent, partout considéré comme hautement
bénéfique ? Teinté d’or et de pourpre, le roux devait bénéficier des
associations d’idées qui résultent du double voisinage.
Mais n’est-ce pas mal poser la question que de rechercher les
valeurs d’une couleur indépendamment de son support, en l’espèce
l’ensemble de la personne ? La teinte, si malaisément définissable,
jouerait-elle ici un rôle moindre que le type ? Le préjugé défavo­
rable s’explique en partie si l’on se rappelle l’angoisse des anciens
devant toute altération du type ancestral. La pigmentation blonde
des cheveux, bleue des yeux n’est normale dans l’humanité que
chez les Germains, les Slaves, les Celtes et les Finnois. Mais elle
apparaît assez fréquemment ailleurs, notamment en Europe méri-1 2

(1) Glotz, Ordalie, p. 116; Eva Wunderlich, Rote Farbe, pp. 62 et 72. Elle
fait remarquer, p. 107, que les anciens ont toujours expliqué 1jioîvis, quelle que
soit l'étymologie véritable, par <t>oiv6s rouge-sang, correspondant poétique de
(bóvios qu'ils rattachaient à <f>ovy ou <f>ôvos, meurtre. Or, les mots qui désignent
la teinture ne viennent pas de cette racine, mais de rrop^vpeos, —- comme si l’on
avait voulu éviter le mauvais augure.
(2) Par exemple Phylarque de Syracuse, vers 200 avant notre ère (Athénée,
XII, 20, p. 521 B).
— 25 —

dionale, pour y être considérée comme un privilège, un signe d’élec­


tion. Il en est ainsi chez les peuples où elle est normale, ainsi que
le prouvent les contes de Grimm, où une chevelure noire est rare­
ment chargée d’un affectus positif, et davantage encore dans les
pays où elle est exceptionnelle. Tel fut le cas dans la Grèce ancienne.
Il en va tout autrement de la rousseur, qui apparaît sporadiquement
dans toutes les races, mais toujours pour faire figure de déviation.
Elle constitue un caractère récessif, si bien qu’un enfant roux dans
une chaîne familiale peut sembler un intrus. De plus, la rousseur
s’accompagne souvent de traits irréguliers. Elle paraît résulter
d’un développement aberrant où le chromatisme n’est pas ethni­
que, mais constitue un phénomène pathologique dont la forme
extrême, beaucoup plus rare, serait l’albinisme. Les albinos, chez
tous les peuples, sont considérés avec une sorte de terreur religieuse.
Ou bien l’on voit en eux soit des monstres, soit l’incarnation de
mauvais génies, et on les détruit dès leur naissance ; ou bien on les
suppose doués d’aptitudes pour la sorcellerie et on les honore à ce
titre, comme c’est le cas en Afrique noire (i). Si ce qui inquiète
est un type plutôt qu’une couleur, on s’explique que la rousseur
acquise ait pu paraître belle et être recherchée : chargée de toutes
les valeurs du blond ardent, elle rappelait le visage lumineux des
dieux, sans que l’on pût songer à une déviation du type normal.
Toutefois, lorsqu’on y regarde de près, l’on s’aperçoit que même
la rousseur congénitale est ambivalente. Il y a deux rousseaux dans
l’Ancien Testament : Ésaü, le premier-né des jumeaux de Rebecca,
qui sort du sein de sa mère couvert de poils comme d’une fourrure,
et David. Jessé amène à Samuel son jeune fils qui « est roux avec
de beaux yeux ». Le Seigneur dit à Samuel : « Lève-toi et oins

(i) Sur le caractère morbide de la rousseur, voir Edmond Bayle et Léon Mac
Auliffe, Revue des sc. pures et appliquées, t. XXXI (1920), p. 519 sqq. — Richard
Andree, Ethnographische Parallelen u. Vergleiche, Neue Folge, 1889, p. 238-273,
a très bien vu qu’il fallait partir de l'albinisme pour expliquer les préjugés relatifs
à la rousseur, dont l’ambivalence ne lui a pas échappé. Voir ce qu’il dit des nègres
qui se teignent en roux, p. 262 ; des héros roux sur d’anciennes peintures chinoises,
p. 266 ; du traitement réservé aux albinos p. 238. — Sur ce dernier point, cf. Ha­
stings, Encycl. of rel. and ethics, t. X, p. 372 ; IX, p. 291 ; VI, p. 784. — M. Jules
Labarbe me signale deux passages où Aristote met en évidence un certain caractère
morbide de la rousseur (Génér. des an., 785 a 19 et Couleurs, 798 b 13), qu’il considère
comme une faiblesse du système pileux due à une alimentation insuffisante des
racines, les cheveux roux blanchissant plus vite que les noirs et les noirs devenant
roux avant de blanchir. Cette médecine pseudo-scientifique contredit curieuse­
ment la croyance commune qui associait rousseur et vigueur.
26 —

David, car il est bon ». Plus loin, « Goliath voit David et il le méprise
parce qu’il n’est qu’un enfant et qu’il est roux » (i). En somme, la
rousseur dans l’histoire de David paraît bien jouer le rôle d’une
de ces difficultés surmontées qui habilitent un héros (2), le Seigneur
choisissant volontiers ceux que le monde dédaigne. Que le plus
grand des rois, l’ancêtre du Messie, soit roux, cela donne à réfléchir,
et ceci également que tous les traducteurs anciens et presque tous
les modernes aient reculé (comme ailleurs Amyot et Léon Parmen­
tier) devant la rousseur de David et l’aient fait blond ou vermeil,
attestant ainsi, pour leur compte personnel, la persistance du vieux
préjugé.
L’exemple de David incite à reprendre celui de Frédéric Barbe-
rousse, mort en 1190, dont une prodigieuse popularité fit un person­
nage légendaire. Ce fut d’abord à son petit-fils Frédéric II, mort en
1250 à 56 ans, que l’on attribua une survie dans le Kyffhäuser,
d’où il devait ressurgir pour porter secours à l’Allemagne lorsqu’elle
aurait besoin de lui. Le prestige du premier Frédéric déplaça le
thème. Grimm a bien vu que la constellation d’images autour de
Frédéric fut influencée par le mythe de Thor-Donar, dont il suffit
d’invoquer la barbe rousse — qu’il secoue terriblement lorsqu’il1 2

(1) Genèse, XXV, 25 ; èÇrjèOe Si 6 npcoróroKos irvppaKTjs ôXws atael 8opà Saavs
et I Samuel, XVI, 12 et XVII, 42 emploient le même mot admônï qui ne se trouve
que là. Mon ami Roland Crahay, à qui je dois ces rapprochements, me signale
que dans le passage relatif à Ésaü figurent deux de ces jeux pseudo-étymologiques
qu'affectionnent les écrivains hébreux. Ésaü est l’ancêtre des Édomites (admônï)
dont un autre nom est se ’hir qui fait penser à se'har (de poil). Le nom des Édomites
signifie rouge et ils sont représentés rouges de visage sur des peintures égyptiennes.
Les traducteurs ont bien voulu qu’Ésaü fût roux, mais pour David ils n’y ont pu
consentir. Luther le fait bräunlich ; vermeil, dit la Bible du Rabbinat (1899-1906) ;
blond, disent Crampon (1905), Segond (1910, réimprimé en 1948) et les moines de
Maredsous (1950). Une traduction anglaise dit de même all red pour Ésaü et ruddy
pour David. Bonsirven, reviseur de Crampon (1952), Édouard Dhorme (Pléiade,
1956) et l’École biblique de Jérusalem (1956) ont enfin osé imprimer que David
était roux.
(2) A la fin du récit de la guerre de Troie par Darès le Phrygien, qui est censé
y avoir assisté, figurent de curieux portraits dont certains paraissent ou convention­
nels ou arbitraires ; d’autres ont peut-être une signification qui apparaît mal.
Blonds sont les Dioscures, Pâris, Hélène et Polyxène. Achille est châtain, Ajax
est noir. Les roux sont Ménélas, Mérion, Énée (avec des yeux noirs), Cassandre
(avec des yeux étincelants). Très inattendu est le portrait d’Hector : « Bègue,
louche, les cheveux crépus, courageux, bon, digne d’être aimé. * Néoptolème est
grand, fort, irascible, bègue, le nez aquilin. Le bégaiement et le strabisme seraient-
ils conçus comme des infirmités qui rachètent la valeur ? La rousseur de David
aurait-elle une valeur analogue ? Aux spécialistes du légendier hébraïque d’en
décider.
— 27 —

est en colère — pour qu’aussitôt il parte en guerre contre les Géants,


lesquels sont roux tout comme lui. Deux siècles avant Frédéric Ier,
Conrad duc de Lorraine, l’empereur Otto II son beau-frère — qui
lui aussi, disait-on, devait revenir un jour sur la terre — et bien
d’autres seigneurs étaient dits le Rouge et se paraient de cette épi­
thète. Comme au temps de Tacite, un bon guerrier germain était
fier de sa rutila coma. C’est le christianisme, ici, qui a changé la
perspective. Il ne pouvait combattre les anciens dieux qu’en les
faisant pencher vers le satanisme. Le puissant Donnergott surtout
fut déclaré un être diabolique. Et cependant, le prestige de la che­
velure flamboyante survit encore dans quelques traditions : c’est
ainsi que saint Oluf, patron d’Angleterre et de Suède, était roux (i).
Mais le discrédit du grand dieu païen ne tarda pas à frapper tout
ce qui lui ressemblait, et le pays qui l’avait honoré fit roux Hérode,
Judas et l’Antéchrist. On parla en Lorraine d’une famille où tous
les enfants naissaient roux, à la suite, disait-on, d’une malédiction
lancée far un prêtre. Ce dernier détail est peut-être plus significatif
qu’il ne semble à première vue. Pour s’établir en Grèce, le préjugé
défavorable peut avoir été soutenu seulement par la frayeur qu’in­
spirait toute anomalie physique ; dans le monde germanique, une
propagande religieuse a travaillé contre tout ce qui symbolisait
l’ancienne foi ; à quoi a pu s’ajouter la cause signalée par Eva
Wunderlich, à savoir la réaction contre une magie où le rouge et le
sang jouaient un grand rôle. Quel est le phénomène religieux qui
ne soit surdéterminé ?
*
* *

Après avoir lu ce qui concerne Ésaü et David, comment n’être


pas frappé de trouver chez Balzac, le plus grand de tous les créa­
teurs de figures humaines, des ambivalences analogues ? Pierre
Abraham remarque que dans la société française contemporaine
dominent les coloris moyens, tandis que les pigmentations extrêmes
dominent chez Balzac. Une statistique portant sur plus de 6.000
observations ne donne que 0,72 % de roux ; Balzac a 16 rousseaux,
soit 9 % du peuple de la Comédie humaine. On voit à quel expres­
sionnisme correspond cette prédilection. « Pour Balzac, écrit Pierre1

(1) Jacob Grimm, Deutsche Mythologie, pp. 162 et 518 ; Wilhelm Grivlm, Altdä­
nische Heldenlieder, p. 69 ; sur les différents aspects de Donar, voir G. Dumézil,
Les dieux des Germains, p. 30.
28 —

Abraham, le poil roux, s’il n’est pas signe de tare physiologique


proprement dite, est signe très net de bestialité » (i). Ce jugement
est beaucoup trop sommaire. Balzac fait roux Marche-à-Terre
(Chouans), paysan brutal et cruel, mais qui n’assassine que pour
gagner le ciel ; le braconnier Butifer (Médecin de campagne), un
irrégulier honnête et généreux ; Michu (Ténébreuse affaire) a
« une face blanche injectée de sang, à laquelle des cheveux rouges,
crépus, donnent une expression sinistre, et une barbe rousse en
éventail ». Michu est un « faux Judas » qui sacrifie sa vie pour le
salut des maîtres qu’il a semblé trahir. Le groupe des rousseaux
balzaciens est dominé par Vautrin, dont « les mains carrées sont
marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un
rouge ardent » et qui porte sur l’estomac — comme Ésaü — ce
que Mme Vauquer nomme une « palatine », en ajoutant : « On dit
qu’ils sont tout bons ou tout mauvais, les rouges ». Le policier qui
l’identifie fait sauter sa perruque noire. « Accompagnées de cheveux
rouge brique et courts qui leur donnaient un épouvantable ca­
ractère de force mêlée de ruse, cette tête et cette face furent intel­
ligemment illuminées comme si les feux de l’enfer les eussent éclai­
rées » (2). L’admirable est que Balzac ait su garder au terrible
forçat assez de grandeur pour donner à penser qu’en effet les roux
vont à l’extrême dans le bien comme dans le mal. Henri Heine
prête une ambivalence un peu différente, beaucoup plus consciem­
ment élaborée, à une amie de son enfance que ses Mémoires stylisent
en figure de conte. Rotes Sefchen, fille d’une sorcière et d’un bour­
reau, a des cheveux « rouge sang ». Elle est belle comme le jour et
enchante le poète adolescent par des lais d’amour et de mort. Il a
plu à Heine de se donner une Muse à demi satanique. Nous ne
saurons jamais ce qu’était Josépha dans son humble réalité (3).
Un témoin encore de la complexité des valeurs attachées à la
rousseur est l’évolution du mot fauve. Fulvus, dans la poésie latine,
se dit de l’or, du vin, d’une étoile. Jusque vers 1850 fauve ne désigne
que la couleur ; Buffon parle de terres fauves ; Littré ne range parmi1 2 3

(1) Créatures chez Balzac, p. 195. Les statistiques concernant la rousseur sont
extrêmement peu sûres, car elles dépendent de la façon dont l'enquêteur classe les
nuances intermédiaires entre le blond et le roux.
(2) Père Goriot, éd. de la Pléiade, pp. 853, 1008, 1013. Voir aussi Splendeur et
misère des courtisanes, p. 974.
(3) Le texte court et mutilé des Memoiren manque dans beaucoup d’éditions de
Heine. — Utilisation analogue, consciente également, de la rousseur dans le Poil
de Carotte de Jules Renard.
— 29 —

les fauves que les bêtes au poil brun, chamois ou cerfs, par opposi­
tion aux sangliers, gibier noir, et aux renards, gibier roux, dénomi­
nations encore courantes en allemand : Schwarzwild, Rotwild.
Des dictionnaires plus récents parlent des « grands fauves », comme
le lion et le tigre, « de poil plus ou moins brun ». C’est retarder sur
l’usage. En fait, un fauve, dans la langue contemporaine, est une
bête féroce, quelle que soit sa couleur. Déjà Balzac en fait presque
toujours un synonyme de sauvage. Mais un affectus plus mysté­
rieusement défavorable colore le mot depuis le XIIe siècle. Le
Roman de Fauvel, au XIVe, personnifie la méchanceté du monde
en une ânesse fauve, entourée de toute une symbolique complexe
et curieuse.
*
* *

La persistance chez les modernes de superstitions archaïques


explique donc que les anciens aient pu considérer la rousseur
comme une anomalie trop faible pour qu’à cause d’elle on fît mourir
un nouveau-né, suffisante toutefois pour qu’on chargeât parfois
les rousseaux des fautes de la communauté. J’ai montré ailleurs
quelles précautions identiques établissent une parenté entre le
traitement des nouveaux-nés anormaux et celui des pharmakoi
dans les cités antiques (i). Sans être exactement des maléfiques
au sens religieux du mot, les rousseaux éveillaient assez d’inquié­
tude pour qu’on se servît d’eux comme d’« émissaires ». En dehors
de ce qu’Aristophane et son scholiaste nous font connaître pour la
Grèce antique, Plutarque dit qu’en Égypte, lorsque survient une
sécheresse ou quelque autre calamité, on immole des animaux
d’abord, après les avoir avertis et menacés, puis des hommes appelés
typhoniens, qu’on brûle vifs et dont on vanne les cendres dans des
cribles pour les répandre au loin. Principe de tout ce qui brûle et
dessèche, Typhon était représenté roux et jaune pâle ; les hommes
typhoniens devaient avoir des caractères analogues, ainsi que le
précise du reste Diodore (III, 88, 4-5). Il ajoute que les hommes de
cette couleur sont rares en Égypte, laissant ainsi deviner que
l’anomalie compte autant que la couleur. En Grèce également
existent des exemples de pharmakoi brûlés dont les cendres sont
jetées aux vents (2). Le rite égyptien, qui ne peut être étudié que1 2

(1) Œdipe, pp. 30 sqq.


(2) Isis et Osiris, 73 et 33 ; Œdipe, p. 32.
dans son contexte, a ce grand intérêt de considérer dans la rous­
seur bien moins une réalité de nature chromatique qu’un des attri­
buts du feu. Je pense en effet que si les préjugés contre les pyrrhoi
s’expliquent essentiellement par l’inquiétude qu’inspire aux hommes
toute déviation du type ancestral, ils ont été accentués par les
croyances relatives au feu, où se retrouvent les ambivalences
qui les caractérisent (i).

(i) Le cheveu de pourpre de Nisos, le cheveu d’or de Ptérélaos ne relèvent pas


de la question qui est ici traitée. Ces deux légendes attestent d'une part la croyance
à l’âme extérieure et d’autre part l’idée d’une force magique résidant dans la che­
velure. La pourpre et l’or sont de simples ornements, qui manquent dans les récits
parallèles concernant Samson ou Cuchullain. Lors du martyre de sainte Martine,
on lui rase la tête dans l’espoir de lui enlever sa résistance aux supplices. Les exor­
cistes d’autre part font souvent couper les cheveux pour priver des démons de leurs
prises sur le possédé (Acta Sanct., juin I, p. 834). Une version tardive, mais pro­
bablement d’inspiration archaïque, veut que Nisos après la perte de son cheveu
soit devenu impuissant, comme Samson perd sa force après avoir été tondu. Mais
un cheveu unique duquel dépend toute une existence doit avoir quelque chose qui
le distingue. La couleur a cette valeur, et n’en a pas d’autre. Voir le conte du Diable
aux trois cheveux d'or, Grimm, 29.
Chapitre II

PYRRHOS

La Grèce a un héros Pyrrhos et une héroïne Pyrrha. Lorsqu’appa-


raissent dans le monde romain des couples de ce genre, ils y restent
jumelés. Il n’en est pas de même dans le légendier hellénique, où
les deux jumeaux se trouvent régulièrement entraînés loin de
l’autre sur des orbites différentes, non cependant si éloignées qu’on
ne puisse recomposer l’unité primitive. Rien en revanche, au premier
regard, ne semble apparenter le fils d’Achille et l’épouse de Deuca­
lion. Peut-être une recherche attentive permettra-t-elle cependant
d’établir un lien entre ce Roux et cette Rousse.
*
* *

Achille bouleversé par la mort de Patrocle pense avec angoisse


à ceux qu’il a laissés derrière lui : son vieux père en Phthie, son
fils à Scyros :
...5? Uievpw pot évi Tpé<f>eraL <j>lXoç vtoç
et TTOV en £o6et ye NeoTn6Xep.oç deoeiSr/s (II. XIX, 326-7).
Un scholiaste mentionne une variante pour le second vers :
e t TTOv en £côet ye Flvpfjç èp.6s ov KareXenrov.

Terminé par une subordonnée qui reste en l’air, le vers est assez
maladroit. KaréXenrov sans complément de lieu au sens de laisser
derrière soi se trouve bien dans Y Odyssée (XVI, 289 ; XVII, 314 ;
XIX, 8), mais chaque fois avec le sens de laisser ici. Le scholiaste
a peut-être abrégé la citation. L’étrangeté du nom garantit en tout
cas l’ancienneté de la tradition. Il figure cependant ailleurs. Athénée
(XIV, 620 E) connaît un poète Pyrès de Milet que Suidas (s. v.
Sotadès) mentionne sous la forme banalisée Pyrrhos (1). Le fils1

(1) Un Léobios Pyrétiadès est connu (Wilamowitz, Aristoteles und Athen, II,
p. 184, n. 34). L'ancêtre du genos devait s'appeler Pyrès.
— 32

d’Achille n’est pas nommé dans YIliade en dehors de ce passage.


Il l’est une fois dans la Nekyia (Od., XI, 506), qui le désigne égale­
ment comme Néoptolème. Le nom de Pyrès disparaît bientôt de
sa légende pour être remplacé par celui de Néoptolème et, plus
rarement, par celui de Pyrrhos.
Le prince troyen Alexandros est appelé Paris par les bergers qui
le recueillent sur l’Ida. Les poètes se servent de l’un et l’autre
nom sans y mettre, semble-t-il, d’intention particulière. Dans les
nombreux chœurs tragiques qui évoquent le jugement des déesses,
la forme semble presque toujours choisie d’après le mètre. Tout
au contraire, Néoptolème et Pyrrhos ont chacun leur aire bien
délimitée.
Le résumé de Proclus, où le nom de Pyrrhos ne figure pas, donne
à penser que Ylliou Persis, la Petit elliade et les Retours attribuaient
au héros celui de Néoptolème.
Les tragiques ne le désignent jamais autrement. Le mot entrait
bien dans un hexamètre dactylique, mal dans un trimètre ïambique,
où Eschyle n’emploie l’anapeste qu’à l’initiale. Sophocle cependant,
et Euripide davantage, acceptent l’anapeste même aux pieds
pairs, quand c’est pour faire place à un nom propre. Malgré ces
tolérances, ils n’ont prononcé celui du jeune héros que lorsqu’il
était impossible de faire autrement. Néoptolème n’est nommé
— la première syllabe comptant pour une diphthongue — que
deux fois dans Philoctète, afin d’être présenté aux spectateurs (4)
et à Philoctète (241), une fois dans Les Troyennes (1127), une fois
dans Oreste (1657), et> ce est plus surprenant, une seule fois
aussi au début d’Andromaque, drame qui tourne tout entier autour
de sa personne absente. Il y est toujours désigné par une péri­
phrase.
Pas une seule fois les tragiques ne se servent du nom Pyrrhos,
qui métriquement aurait été si commode et qui figurait dans les
Chants Cypriens (Paus., X, 26, 4). Et cependant, ils connaissaient
ce doublet, sur lequel ils jouent. Euripide dans Andromaque (1135)
mentionne la pyrrhique d’une façon qui donne à penser qu’il en
connaît l’étymologie populaire : elle était, disait-on, une invention
du fils d’Achille. Archiloque semble bien avoir déjà connu cette tra­
dition (1). Quant à Sophocle, s’il ne prononce pas le nom de Pyrrhos,1

(1) Lucien, De saltatione, g. Il y avait bien entendu d’autres attributions :


Athénée, XV, 630 E, etc. Voici ce que dit Hésychius s. v. m>ppixit,€iv après avoir
défini la « danse armée et violente * : « Les uns disent qu’elle fut inventée par Pyrrhi-
— 33

il y fait une allusion transparente. Lorsque Néoptolème refuse de


rendre l’arc à Philoctète, celui-ci lui jette à la tête :
7Tvp ov Kai Trâv Seî/xa Kai rravoupylaç
Seivrjç réyvrjp’ eydioTOv (927-8),

insulte qu’il est plus aisé de comprendre que de traduire. Jebb et


les autres commentateurs allèguent à l’envi des passages où les
méfaits de la violence sont comparés à ceux du feu, « symbol of
ruthless destroyer ». Je n’en vois aucun où un ennemi, un pûooç,
soit traité directement de irvp. Les auditeurs ont certainement
reconnu la forme poétique trvpoôs dans l’étrange apostrophe ttvp
av. C’est ainsi que comprend le scholiaste ; ainsi aussi que comprend
Eustathe, lequel revient deux fois sur l’explication en soulignant
l’intention de Sophocle qui joue (atvi-n-erai) sur le mot (1).* Il

chos de Crète, d'autres qu’elle doit son nom à son caractère ardent, d'autres l’attri­
buent à Pyrrhos fils d’Achille. Archiloque raconte qu’il dansa de joie après avoir tué
Eurypyle, d'où le nvppt\ 10s vois reçut le nom qu’il porte ». La difficulté, comme dans
toute citation de ce genre, consiste à savoir où il faut ouvrir et fermer les guillemets.
Mais il me paraît difficile de ne pas conclure de ce témoignage qu’Archiloque con­
naissait l’équation Néoptolème = Pyrrhos. Cette théorie sur l’origine de la danse
était peut-être propre à Archiloque ; d’autres voulaient que Pyrrhos eût inventé
la pyrrhique à Troie, en bondissant hors du cheval de bois (Eustathe, p. 1697,
Od., XT, 505). Voir A. Severyns, Recherches sur la Chrestomathie de Proclus, t. II,
p. 176.
(1) w 7rvp en) ' vapa to orofia * Kahetrai yàp nappas, dit le scholiaste du passage.
Tóv NeorrTohtpLOV Aéyei ôv Kai llvppov <f>aol Kh^Orjvai, œs Kai PorpüKXrjS Sia tov
<PiXoKTrjTov aiviTTcrcu eV ttp ut trvp ov, dit Eustathe 1463 (Od., III, 188). Il est
plus explicite en commentant le seul passage de l’Iliade (XIX, 327), p. 1187 où
figure le nom du héros : * Le fils d’Achille reçut ce surnom parce qu’il combattit
dès sa prime jeunesse. Mais son vrai nom est Pyrrhos, comme Sophocle le suggère
à l’endroit où il en donne l’étymologie par la formule <J 7rvp av etc., afin de signifier
que pour lui Pyrrhos est proprement le feu, et non pas seulement quelque chose
qui y ressemble, comme Pyrrhaichmès ou un autre du même genre. Il faut l’appeler
rivppos, de même que celui qui fut plus tard son homonyme, le roi d’Épire, distin­
gué par l’accent de nvppôs qui est le même que nvpoôs. » — Konrat Ziegler (Neopto-
lemos, col. 2440-41) veut que le fils d’Achille n’ait jamais été nommé Pyrrhos avant
le IVme siècle, et que ce fut alors par courtisanerie envers les ancêtres d’Olympias.
Il considère la variante Ilvp-qs comme un « späteres Machwerk » d’un poète qui
voulait flatter les Pyrrhiades (mais ce poète ne pouvait-il pas fabriquer aussi bien
un vers où le nom de Pyrrhos eût trouvé place ?) ; il n’accorde aucune valeur au
scholion de Philoctète 927, ne mentionne pas les deux passages d’Eustathe et refuse
de voir une allusion dans Andromaque 1135. — Au surplus, pourquoi la courtisanerie
aurait-elle préféré un des deux noms du héros ? Les rois d’Épire prétendaient en
effet descendre d’Achille auquel ils rendaient un culte (Plut., Pyrrh. 1). Et des
deux noms, celui de Néoptolème fut le premier en usage dans les familles princières
du nord de la Grèce. Néoptolème Ier (370-360) est père d’Olympias mère d’Ale-
34 —

Pyrrhos figure dans les Chants Cypriens, puis, à notre connais­


sance du moins, n’apparaît plus dans la poésie grecque avant
Théocrite, qui l’emploie dans les Syracusaines (140). Il ne supplante
Néoptolème en poésie que chez les Latins. Virgile a six fois Néopto-
lème et huit fois Pyrrhus.
En revanche, la tradition delphique paraît connaître exclusive­
ment le héros Pyrrhos. On trouvera d’autant plus étonnant qu’Euri-
pide évite cette forme, si aisée à inscrire dans un trimètre, tout au
long d’une tragédie qui traite l’épilogue delphique de la légende.
Alors que l’onomastique locale ignore totalement Néoptolème, de
hauts fonctionnaires s’appellent Pyrrhos, Pyrrhias, Pyrrhinos. Les
Pyrrhakides jouent un rôle important parmi les familles chargées
à Athènes du culte d’Apollon Pythien. Leur ancêtre mythique
était Pyrrhakos, contemporain, dit Hésychius, d’Érysichthon. Avec
les Eupatrides et les Érysichthonides, ils délèguent des théores ;
comme les Eupatrides, les Céryces et les Eunéïdes, ils nomment des
Pythaïstes. Le nom de Pyrrhakos ne se trouve pas en dehors de
Délos, des Cyclades et d’Athènes, mais plusieurs inscriptions de
Delphes mentionnent des Pyrrhakides (1).
Une double dénomination est un souvenir des probations de l’ado-
escence, où l’initié reçoit une appellation nouvelle comme symbole
de rupture avec l’enfance et d’accession à une vie supérieure. Des
valeurs analogues s’attachent au nom que prend le religieux en
prononçant ses vœux. La légende archaïque d’Alexandre-Pâris
est éminemment celle d’un initié. Il est exposé en montagne, élevé
par une nymphe, Œnone, qui fut certainement son éducatrice
avant que les poètes tardifs fissent d’elle une amoureuse (et, la
présence d’Hélène étant donnée, une délaissée). Il sort victorieux
d’un tournoi où il se montre supérieur à tous ses frères et il
conquiert une princesse. Son élection n’apparaît qu’en filigrane
dans Y Iliade où l’éthique chevaleresque l’a fait éclipser par Hector.
Il remporte néanmoins la victoire finale puisqu’il tue Achille vain­
queur d’Hector. Encore les poètes ont-ils fait l’impossible pour
l’en déposséder au profit d’Apollon (2). Surtout, ils l’ont privé de

xandre et d’un Alexandre dont le fils s'appelle aussi Néoptolème. Un autre Néopto­
lème, arrière-petit neveu du premier, fut exilé par Pyrrhos après 302. Cf. Pierre
LÉVÊQUE, Pyrrhos, p. 83 sqq. et 117 sqq. Cela rend la thèse de Ziegler très fragile,
et ses exclusives bien invraisemblables.
(1) G. Colin, Le culte d‘Apollon Pythien à Athènes, 1905, pp. 53 sqq., et l’article
Pyrrhakos dans Roscher (Hofer, 1909).
(2) Textes apud Frazer, Apollodore, II, p. 214.
— 35 —

sa grandeur d’âme. L’Iliade atteste une évolution où les valeurs


mythiques représentées par Paris le cèdent aux valeurs morales
représentées par Hector.
L’Achille homérique est un jeune prince qui voyage et guerroie
escorté de son ancien précepteur. Des traditions plus archaïques
donnent de son enfance une image différente où reste marqué le
souvenir des initiations : il est élevé en montagne par un Centaure ; il
porte un travestissement féminin à la cour de Lycomède ; surtout,
il a subi l’épreuve du feu. Ces traits manquent dans l’histoire de
son fils, auquel est cependant réservée la gloire de prendre Troie.
Tout ce qui concerne la naissance et la jeunesse de Néoptolème est
obscur, confus, et malaisément conciliable avec la chronologie im­
pliquée dans les poèmes. S’il avait été conçu à Scyros lorsque Achille
y vivait caché, il ne serait qu’un enfant à la dixième année de
la guerre. Au surplus, l’Iliade ignore l’épisode scyrien et le nom
même de Lycomède : c’est Enyeus qui règne sur l’île. Achille va
directement de Phthie à Aulis. Les critiques anciens se donnent
toujours un mal infini pour ordonner en biographies vraisem­
blables des épisodes primitivement indépendants. Ils ont dépensé
beaucoup d’ingéniosité pour atténuer ici des difficultés qui à nos
yeux n’en sont pas. Qu’il suffise de dire que l’enfance de Néoptolème,
mythiquement inexistante, a été colorée par celle d’Achille.
« L’auteur des Chants Cypriens, dit Pausanias (X, 26, 4), raconte
que Lycomède donna le nom de Pyrrhos à l’enfant de sa fille et
que ce fut Phœnix qui le nomma Néoptolème, parce qu’Achille
commença très jeune à guerroyer. »
Le nouveau nom est donné par l’éducateur ; c’est ici l’éducateur
du père. Le nom s’explique — comme celui d’Astyanax, de Télé­
maque — par la biographie du père, ce qui reflète peut-être un
authentique usage archaïque. Servius (Æn., II, 263) ainsi qu’Eus-
tathe (supra p. 33, note) le méconnaissent lorsqu’ils disent : Neopto-
lemus quia ad helium ductus est puer. D’autres commentateurs
voient dans Néoptolème un nouveau combattant qui intervient
dans une guerre commencée. Dès qu’il s’agit d’étymologie, les
Grecs acceptent une explication sans se croire obligés pour autant
d’en rejeter une autre. Dans le cas présent, la seconde peut avoir
soutenu la première et accru la prédilection que le nom homérique
a gardée auprès des poètes anciens. Quant à celui de Pyrrhos, que
Servius explique {Æn., II, 263 et 469) comme une épithète descrip­
tive {a colore comae qui latine hurrus dicitur), Hygin (fable 96) la
36 —

réfère exactement à la biographie d’Achille. C’est de là assurément


que vient le nom du fils, non du tout qu’Achille déguisé en fille
chez Lycomède y ait été appelé Pyrrha, comme le veut Hygin,
mais parce qu’il avait été roussi par le feu mystique qui devait
l’immortaliser, — rite mystérieux qu’Homère ignore, mais qui
nous est connu par d’autres traditions.
L’histoire est racontée de plusieurs façons.
Ou bien Thétis, chaque fois qu’il lui naît un enfant de Pélée,
l’éprouve afin de savoir s’il est mortel, et pour cela le plonge, ou
bien dans un chaudron plein d’eau bouillante, ou bien dans le feu.
Présenté de la sorte, le rite est une simple ordalie de légitimité :
si l’enfant surnage, s’il n’est pas brûlé, c’est qu’il est d’essence
divine. Mais le lébès est ailleurs l’ustensile qui sert aux régénéra­
tions par cuisson (cf. infra, p. 114). Le passage à travers le feu a
une valeur analogue. Six enfants périssent de la sorte. Le septième,
Achille, est sauvé par Pélée. Au thème de la probation se superpose
ici celui de l’élection du dernier-né (1).
Ou bien Thétis, la nuit, met son fils dans le feu, afin de détruire
ce qu’il tient de périssable de son héritage paternel ; pendant le
jour, elle l’oint d’ambroisie. Pélée la surprend et rend vain le rite
d’immortalisation. Déméter échoue de même dans son entreprise
Vu profit de Démophon, Isis à propos du fils d’Astarté, Médée
pour ses propres enfants (2).
Une version totalement banalisée, qui méconnaît et la valeur
de l’ordalie et celle du feu divinisant, veut que Thétis ait détruit
ses enfants par dépit d’avoir dû subir l’union avec Pélée (schol.
Lycophron, 175). Ptolémée Héphestion explique de même par la
mésintelligence des deux époux la vulnérabilité du talon d’Achille,
légende tardive ignorée de l’épopée, et qu’il relie à la tentative
d’immortalisation (Photius, Bibl., 151 B, éd. Henry, t. III, p. 67).
Hésychius mentionne Pyrrhaiê (s. v.) comme une épiclèse de
Thétis, qu’il a dû trouver dans un poème ionien. Les auteurs qui
font d’elle une meurtrière en acte ou en intention veulent qu’Achille
enfant se soit nommé Pyrrhissoos, celui qui a été sauvé du feu.
Ces rapprochements permettent de conclure. L’histoire d’Achille
explique les deux noms donnés à son fils. Néoptolème vient de l’épi-1 2

(1) Aigimios hésiodique : schol. Apoll, de Rh., IV, 816 ; Apollod., III, 13, 6,
et notes de Frazer, ibidem, II, p. 70 sqq.
(2) Apoll, de Rh., IV, 869 ; Apoll. Bibi., III, 13, 5-8 et notes de Frazer, p. 08 ;
Plut., Isis et Osiris, 16 ; schol, de Pind., Ol., XIII, 74.
— 37 —

sodé troyen ; Pyrrhos résulte d’une stylisation mythique des


épreuves de l'adolescence.
Savoir si deux noms différents recouvrent une seule personne
ou, inversement, si un nom unique désigne deux personnes diffé­
rentes est un problème substantiel lorsqu’il s’agit d’existence
historique. Il se pose à un evhémériste comme Farnell qui voyait
le fils d’Achille honoré à partir du moment où il avait été tué et
enterré. Autrement, la question n’a de sens que si on l’interprète
en termes de culte. A ne considérer d’une part que la poésie clas­
sique, qui ignore à peu près Pyrrhos, et d’autre part les traditions
delphiques où il vient au premier plan, on est tenté d’admettre une
synthèse tardive de deux légendes. M. Defradas la fixe entre 650
et 600, date acceptée par M. Fontenrose, qui du reste considère
Néoptolème comme un simple doublet d’Achille. M. Ziegler (1)
ne connaît que Néoptolème, Pyrrhos et son culte delphique datant
à ses yeux du règne de son homonyme épirote.
Mais alors, comment expliquer la variante homérique Néopto-
lème-Pyrès, l’équation Thétis-Pvrrhaiê et la relation Achille-
Pvrrhissoos-Pyrrhos ?
* * *

Toutes les traditions anciennes font périr Néoptolème à l’inté­


rieur du sanctuaire delphique, assassiné par un prêtre, ou par les
prêtres, ou par les gens du pays. Elles divergent seulement quant
à la raison du voyage et aux circonstances du conflit (2). Les va­
riantes nuancent les sentiments du héros à l’égard du dieu et la
responsabilité de celui-ci dans sa mise à mort.
Dans le sixième Péan de Pindare, qui date probablement de 490,
Apollon a décidé de refuser une vieillesse heureuse à l’homme
qui a tué le vieux Priam réfugié sur l’autel du foyer. Et comme
Néoptolème se querelle avec les desservants du temple au sujet
du partage des victimes, le dieu le tue — entendons qu’il le fait
ou qu’ VV sse tuer — dans son sanctuaire, près du vaste nombril
de la terre.1 2

(1) J. Defradas, Thèmes de la propagande delphique, 1955, p. 24 ; J. Fonten­


rose, The cult and myth of Pyrros at Delphi, p. 207 ; Konrat Ziegler, Neoptolemos,
col. 2456.
(2) Elles ont été classées par L. Méridier dans la préface de son édition d’A ndro-
maque (Belles-Lettres, 1925), p. 97 ; par Fontenrose, Pyrros, p. 211 et par Frazer,
Apollodore, II, p. 254.
-38-

La septième Néméenne, le plus obscur peut-être de tous les


poèmes de Pindare, écrit vers 485 pour Sogénès d’Égine, situe
les mêmes faits dans une optique assez différente. Néoptolème
est venu apporter à Delphes les prémices des dépouilles de Troie.
Une rixe s’engage autour des chairs des victimes. Un homme
perce le héros du couteau sacré. « Si grand que fût le regret des
Delphiens hospitaliers, Néoptolème avait accompli son destin. Il
fallait qu’à l’intérieur de l’antique sanctuaire l’un des Eacides
demeurât désormais près de la belle maison du dieu, afin de présider
aux cérémonies en l’honneur des héros et à leurs nombreux sacri­
fices. » Et le poète termine en disant : « Que j’aie harcelé Néopto­
lème de paroles outrageantes, mon cœur ne le reconnaîtra jamais »,
révélant ainsi que le reproche lui en avait été fait.
Les deux récits se concilient quant à la substance des faits,
même si le second met le héros sous un jour plus favorable. Pour
mesurer exactement l’écart entre les deux, il faudrait pouvoir se
dépouiller de nos idées modernes et les considérer l’un et l’autre
avec les yeux d’un Grec du Ve siècle. Konrat Ziegler (Neoptolemos,
col. 2454-5) refuse d’admettre que Néoptolème ait été honoré à
Delphes avant 278, car dit-il, « jamais Pindare n’aurait pu parler
comme il l’a fait dans le sixième Péan d’un personnage honoré
chaque année d’un culte solennel ». C’est confondre un rjpœs antique
avec un saint chrétien ou, si l’on veut, avec quelque grand person­
nage enterré dans un Panthéon national. La qualité de ypcos n’a
jamais eu à être prouvée par un procès de canonisation. Elle s’est
démontrée immédiatement, à un moment donné, d’une façon assez
péremptoire pour provoquer crainte et respect. Elle n’est en rien
liée à la moralité. Athènes à la fin d’Œdipe à Colone promet des
honneurs à un vieillard chargé de crimes parce qu’il s’engage à
protéger la ville. Celle-ci, en échange d’une récompense analogue,
n’hésite pas à se réconcilier avec Eurysthée au terme des Héraclides,
qui donnent de lui l’image la plus sinistre. Le divin s’oppose à
l’humain comme l’éternel au précaire, comme le puissant au faible,
comme l’heureux au malheureux, non comme le bon au mau­
vais (1). Cela, les critiques le constatent à propos des Olympiens.
Ils acceptent moins aisément d’en tenir compte lorsqu’il s’agit de1

(1) Ces polarités ont été parfaitement établies par Roland Crahay, Structure
politique de l’anthropologie religieuse dans la Grèce classique, Diogène 41, 1963, p. 55.
On verra ci-dessous, p. 52, Wilamowitz commettre à propos d'Asclépios la même
erreur que Ziegler à propos de Néoptolème.
— 39 —

héros, dont le nom seul est capable de les induire dès l’abord en
erreur, car il les incite à exiger d’un daimôn les mêmes titres qui
vaudraient de la vénération à une personne humaine.
On pourrait se demander de plus comment un Grec partageait
les responsabilités entre Néoptolème et les desservants. Ceux-ci
étaient traditionnellement moqués en Grèce pour leur façon de
transformer les sacrifices en une industrie hautement rémuné­
ratrice. Le meurtrier s’appelle Machaireus et son père Daitas :
Porte-Couteau fils de Festin. Tous deux ont relevé de la litté­
rature satirique et anticléricale qui raille les Delphiens avides de
banquets. Athénée (IV, 73-4) en rappelle plusieurs témoignages
empruntés à la comédie : « Achaios d’Érétrie dans son drame sa-
tyrique Alcméon appelle les Delphiens des gargotiers. Il suffit de les
regarder, dit-il, pour avoir la nausée, à cause, évidemment, de leur
façon de débiter les bêtes du sacrifice et de les mettre en cuisine.
A quoi Aristophane également fait allusion lorsqu’il dit : » O toi,
Phoibos, qui aiguises tant de couteaux (/xaxalpas) à Delphes, don­
nant ainsi l’exemple à tes desservants «... Les satyres se moquent
des Delphiens qui passent tout leur temps aux sacrifices et aux
banquets. » Les Delphiens s’emparèrent des offrandes de Néopto­
lème œs éOos a orois, dit le scholiaste de la septième Néméenne (62)
à propos de la rixe où périt le héros. Il faut ajouter que la BeX<f>iK-r]
naxaupa, le couteau rituel, était une sorte de symbole de la rapacité
cléricale et même de l’avarice en général. La machaira était indis­
pensable pour mettre la bête à mort et les prêtres en profitaient
pour demander, en percevant leur salaire, un supplément « au bé­
néfice du couteau » (1). Ces témoignages ne sont pas tous anciens.1

(1) Appendix proverbiorem, Cent. I, 94, p. 393 Schneidewin : 8eA<jnKi) 1j.dxa1.pa


èni T œv (fnXoKepbcüv K cil dira 7ravroç Xapjßdveiv TTpoajpovp.évwv, napôcrov oi A jXcbol ro pév
Tj tcüv Upeiajv cXdpßavov, ro 8c tj vnèp rijs p-axaipas èirpaTrovro. La Commentatio de
mach aéra delphica de G. Goettling, Iéna, 1856, groupe tous les textes concernant
cet énigmatique couteau. Que signifie exactement ce qu’en dit Aristote au début
de la Politique (I, 1, 2, p. 1252 B) ? « La nature ne vise pas à l'économie comme
font les bronziers qui fabriquent le couteau delphique, mais, pour chaque usage,
elle crée un objet (otov xo-Xkotvitoj tt/v AcXcbcKjjic paxajpav, irevjxpôis, àXX' êv npos êv).
Le plus parfait des instruments est celui qui ne sert pas à plusieurs travaux, mais
à un seul. » Quel pouvait être le second usage du couteau delphique ? Hésychius
(s. v.) dit qu’elle n’avait que le tranchant qui fût de fer àvô KaraoKevrjs Xapßd-
vovcra rfirrpooOjv pjépos 01àrjpovv, ws ’ApcornTjXps. * Im Kultus hat sich ein In­
strument gehalten, das mit dem kostbaren Metall sparsam umging », suppose
Wilamowitz (Pindaros, pp. 128-130). Sur la valeur du fer, voir en effet A.
Severyns, Homère, le cadre historique, 1943, p. 66 et H. I.imet, Le travail du
40 —

Mais ils s’inscrivent dans la ligne de la Suite pythique qui clôt


l’hymne homérique à Apollon et ils ne font que prolonger le conseil
ironique qui la termine : « Que chacun de vous tienne un couteau
dans la main droite et qu’il égorge des moutons sans discontinuer.
Vous aurez de tout en abondance. » On entrevoit, derrière les noms
de Machaireus et de Daitas une sorte de fabliau qu’il nous faudrait
connaître avant de pouvoir juger, dans son esprit, l’histoire du
meurtre de Pyrrhos. Pindare pourrait fort bien avoir opposé le
héros, non pas à l’ensemble des Delphiens, mais aux desservants,
gens assez méprisables, avec lesquels une cité hospitalière ne se
solidarise qu’à contre-cœur.
Enfin, n’est-il pas assez curieux de trouver la légende d’un
Pyrrhos tué par un Machaireus alors qu’un conseil pythagoricien
recommande \iA\ to -nóp rfj pa-^aipq poyAe veiv, de ne pas tisonner
le feu avec une épée ? Il est difficile de ne pas voir dans cette formule
un symbole sexuel, — le seul qui se dégage nettement de toute
notre légende, où rien n’affleure qui tourne l’attention vers les
valeurs érotiques du feu.
*
* *

métal au pays de Sumer au temps de la IIfme dynastie d'Ur, i960, p. 238. M. Limet
me dit qu’un tranchant de fer ne saurait être soudé à une âme de bronze, comme
le suppose Wilamowitz, qu’il doit s’agir ici d’une lame de fer dont la soie percée
de trous était rivée à une poignée de bronze ; que cette lame était peut-être
fondue à baise de fer météorique, lequel était d’une grande pureté et susceptible
d’avoir une valeur sacrée supplémentaire. Mais ce ne serait en tout cas qu’une éco­
nomie sur la matière, et la phrase d’Aristote implique tout autre chose : un usten­
sile à deux usages. La valeur exacte de neriypâis nous échappe. — Le nom de
Machaireus n’apparaît nulle part chez les poètes classiques : Pindare, Euripide
dans Andromaque ne le désignent que par des allusions. Il ne figure que chez les
scholiastes, mythographes, géographes de l’époque tardive, ce qui ne veut pas dire
qu’ils l’aient trouvé explicitement dans leurs sources (Phérécyde, F. gr. H., 3,
fr. 64 ; Apoll., Epit., IV, 13 ; Paus., X, 24, 4 ; Strabon, IX, 3, 8, p. 421). Dans
une note très altérée à Od., IV, 3 (p. 1479, 10), Eustathe semble le nommer en résu­
mant l‘Hermione de Sophocle, pièce qui avait pour centre la possession d’Hermione
disputée entre Oreste et Néoptolème. Celui-ci venait à Delphes pour venger son
père et était tué vnô TvrSdptoj, ce que Dindorf a corrigé en ônà Maxapéœs. Même
si la correction est bonne, rien ne dit que le nom figurait dans la tragédie. — Quel
qu’ait été, à l’égard de Machaireus, Vaffectus de la légende ancienne, Strabon fait
de lui le père de Branchos, fondateur du temple de Didyme où, grâce à cette tradi­
tion, les usages de Delphes auraient été implantés. Strabon, dans ce même passage,
veut que Néoptolème soit venu à Delphes pour piller le temple : il a donc recueilli
la même tradition favorable au prêtre, hostile au héros, dont témoigne Pausanias,
et aussi, sur un tout autre plan, Pindare. Le sixième Péan n'attribue à Néoptolème
aucune intention criminelle à l’égard du sanctuaire.
— 4i —
La septième Néméenne veut que Néoptolème soit venu à Delphes
offrir au dieu les prémices du butin de Troie. Pour Phérécyde,
c’était afin de consulter le dieu sur la stérilité d’Hermione (schol.
Oreste, 1655). Une autre tradition, qui prévalut à partir des tragiques
nous est connue par 1 ’ Andromaque d’Euripide. Elle met le voyage
en rapport avec la mort d’Achille, tué par Apollon sous la forme
de Pâris ou par Pâris aidé d’Apollon {supra, p. 34). Néoptolème
vient en demander réparation au dieu. Les Delphiens, habilement
instigués par Oreste auquel Néoptolème a ravi sa fiancée Hermione,
tuent le jeune roi (1). Tenant à mettre tous les torts du côté des
meurtriers, Euripide envoie deux fois Pyrrhos à Delphes, d’abord
pour inculper Apollon, ensuite pour lui demander pardon de l’avoir
fait. Il est tué au second voyage.
L’entrée en scène d’Oreste et du mobile romanesque devait
rejeter l’élément delphique au second plan, du moins dans la litté­
rature. Pour Virgile, Pyrrhos meurt en Épire (2). En revanche,
les traditions sacerdotales que Pausanias recueillit à Delphes
marquent une hostilité croissante entre le dieu et le héros et attri­
buent à celui-ci des intentions de plus en plus agressives. A les lire
attentivement, on y distingue, à côté d’éléments anciens, d’autres
qui sont plus suspects. Dire que la Pythie ordonna le meurtre
(Paus., I, 13, 9), ce n’est en somme que répéter ce que suggère le
sixième Péan de Pindare, où le dieu condamne le fils d’Achille (3).
Mais Pausanias s’entendit réciter de plus la liste des pillards qui,
au cours des siècles, avaient attaqué le temple (X, 7, 1). Elle com­
mence par le « bandit de l’Eubée » et se termine par les Gaulois1 2 3

(1) L'Hermione de Sophocle n’est connue que par un résumé d'Eustathe (Od.,
p. 1479). Ee héros y est tué par Machaireus et, après sa mort, Hermione est rendue
à Oreste. Le rôle de celui-ci comme meurtrier semblerait une invention d’Euripide
si un scholiaste de Lycophron (1232) ne disait que, dans la Petite Iliade (fr. 21,
p. 135 Allen), Ënée captif de Néoptolème se trouve libéré quand celui-ci est assassi­
né à Delphes par Oreste. Les derniers mots peuvent du reste être l’addition arbi­
traire d’un homme qui connaît la légende devenue courante à partir d’Euripide.
(2) Voir M. Delcourt, RBPH, t. II (1923), p. 685.
(3) On peut, je pense, négliger totalement un renseignement donné par Servius
(En., XI, 269), d’après lequel Pyrrhos aurait élevé dans le temple de Delphes,
en l’honneur d’Achille et in numinis insultationem, un autel à Apollon Patrios,
à côté duquel il aurait été tué, juste vengeance du dieu, tandis qu’il entreprenait
d’y sacrifier. Cet autel n’est mentionné nulle part ailleurs. La note est entièrement
fabriquée pour expliquer le patrias ad aras de III, 332, et à partir du latin, car elle
postule l’homonymie de irarpâ>os et de IJarpatevs que le grec n’admet pas. Le
Pyrrhos de l‘Énéide ne meurt pas à Delphes, mais en Épire.
— 42 —

de 278, comprenant dans l’intervalle les Phlégyens, le peuple


mythique de 1 'hybris, Pyrrhos fils d’Achille, un détachement des
Perses de Xerxès et les gouvernants de la Phocide. Strabon déjà
attribuait ce sacrilège à Pyrrhos. La tradition me paraît provenir
d’un fait historique dont se rendit coupable son homonyme le roi
d’Epire, lequel pilla le trésor du temple de Perséphone en 278. Il
existe en effet plus d’une contamination entre les récits concernant
le roi et ceux qui se rapportent au héros.
Voici deux confusions assez caractéristiques.
Les prêtres d’Argos racontèrent à Pausanias (I, 13, 8 ; II, 21, 4)
que le roi Pyrrhos se trouvait inhumé dans le temple de Déméter.
Le renseignement est contredit par toutes les autres sources : le
corps du roi vaincu fut incinéré par les soins d’Antigone Gonatas et
les cendres ramenées en Epire. Il est de plus parfaitement invrai­
semblable. Les prétendues sépultures dans les temples — celle
d’Érichthonios auprès d’Athéna Poliade, celle d’Hippolyte auprès
de Thémis à Athènes, celle d’Hyacinthe auprès d’Apollon à Amy-
clées, celle d’Œdipe auprès de Déméter à Étéonos, celle enfin de
Néoptolème à Delphes — sont des autels d’anciens dieux consi­
dérés ensuite comme des héros morts. La tradition sacerdotale
argienne relative au roi est un doublet de la tradition delphique
relative au héros. Le parallélisme est frappant. Le héros est inhumé
dans le temple qu’il a eu l’intention de piller ; le roi est inhumé
dans le temple de Déméter après avoir pillé celui de Perséphone.
Le thème du pillage vient de l’histoire du roi, le thème de l’inhuma­
tion vient de la légende du héros.
Les cendres du roi, raconte Ovide (Ibis, 301-6) furent répandues
sur les routes conduisant à Ambracie. Cette curieuse histoire reflète
une croyance ancienne, attestée dans d’autres pays et, en Grèce,
par des traditions relatives à Solon, à Phalanthos de Tarente, à
Ménandre de Bactriane : les cendres du roi, répandues autour du
territoire, en assurent la protection. Hygin, confondant les deux
Pyrrhos, raconta la même chose du fils d’Achille (fable 123) (1).
Le roi Pyrrhos enfin, veuf d’Antigoné, épousa Lanassa fille
d’Agathoclès de Syracuse. Les historiographes prêtèrent aussitôt1

(1) P. Lévêque, Pyrrhos, pp. 627 sqq. a réuni et critiqué les textes, sans voir
toutefois que l'histoire du roi et celle du héros ont réagi l’une sur l’autre. Il inter­
prète la dispersion des cendres comme une violation de sépulture exécutée après
la chute des Éacides. Voir mon article Le partage du corps royal, S.M.S.R., 1963,
t. 34, i. Voir aussi F. Pfister, Reliquienkult, pp. 445 sqq.
— 43 —

au héros une épouse du même nom, mère d’un Pyrrhos II ancêtre


des Pyrrhides d’Épire. Le fils d’Achille, venu à Dodone consulter
l’oracle aurait enlevé du temple de Zeus cette Lanassa ou Laonassa,
descendante d’Héraclès. Cette invention de courtisans, faite pour
donner plus de lustre à la famille du roi, reste curieusement teintée
par le renom de sacrilège qui s’attachait au héros (i).
Il vint un moment où les sacristains de toute la Grèce eurent à
cœur de représenter Néoptolème comme le type même du sacrilège.
Pausanias (II, 5, 5) vit près de Corinthe, sur la route conduisant à
Sicyone, un temple en ruines. On lui dit qu’il avait été consacré à
Apollon et brûlé par Pyrrhos fils d’Achille. Mais, ajoute le voyageur,
d’autres me dirent ensuite qu’il avait été élevé pour Zeus Olympien
et que le feu y avait pris par accident.

* * *

Cet ennemi du dieu, tué dans son temple, y jouit des plus grands
honneurs.
Son téménos personnel avec son tombeau, enclavé dans celui du
dieu, fut détruit dans l’écroulement de 383, puis reconstruit à la
même place, au nord-est du grand temple. Les fouilles de Lerat,
en 1934, ont découvert sous tout le site des restes d’époque mycé­
nienne et, exactement sous le téménos, les vestiges triangulaires
d’un bâtiment qui a pu être un lieu de culte, les débris d’un grand
pithos rempli de terre mêlée de cendres, de charbon, d’os d’animaux,
de gros tessons carbonisés de poterie purement mycénienne. Il est
tentant, conclut Lerat, de reconnaître un bothros à l’endroit où
l’on montra plus tard le prétendu tombeau de Néoptolème (2).
Pausanias le signale à gauche en sortant du temple, à côté de la
pierre de Cronos, sous la lesché des Cnidiens, près des dédicaces des
Thessaliens et des Attalides (X, 24, 5 ; I, 11, 2). Lui et son père
étaient héros des Thessaliens — saint Achille est aujourd’hui patron
de Larissa — et les Attalides prétendaient descendre de son fils
Pergamos. Des intentions politiques, souvent moins faciles à déchif­
frer, ont surchargé à Delphes bien des intentions authentiquement
religieuses. Polygnote vers 450 fut chargé par les Cnidiens de décorer
leur lesché ; il reçut d’eux, ou choisit lui-même pour sujet de l’un1 2

(1) Plut., Pyrrhos, I, i ; Schol. Euripide, Andromaque, 24 ; Justin, XVII, 3.


Voir infra, p. 99.
(2) R. A., 1938, II, pp. 200 sqq. et fig. 8.
— 44 —

des deux tableaux le départ de Troie des Grecs victorieux et mit


au centre Néoptolème qui vient de tuer Élasos et qui frappe de
son épée Astynoos tombé à ses genoux. « Il est le seul Grec que
Polygnote montre tuant encore, parce que le tableau devait domi­
ner sa sépulture», dit Pausanias (X, 26, 4). Une lesché est plutôt
un endroit qu’un monument. Celle des Cnidiens a dû mettre en
valeur une ancienne place de délibération en rapport avec le tom­
beau de Néoptolème. Polygnote avait certainement l’intention
— en suivant grosso modo le récit de la Petite Iliade — de glorifier
son héros, même si les prêtres qui faisaient visiter le temple inter­
prétaient son aristéia, pour l’édification des touristes, comme un
avertissement, dont le péan de Pindare donne le sens, sur les dan­
gers de la démesure (1).
La tradition ancienne voulait presque unanimement que le héros
eût été enterré d’abord sous le seuil du temple, mais que Ménélas
enleva le corps et le fit transporter à l’extérieur (2). Il existe en
Grèce peu d’exemples de pseudo-sépultures à l’intérieur des temples,
ce que l’on considérait comme des tombeaux étant, nous l’avons
vu, des hiéra rappelant le souvenir de daimones déchus et éclipsés
par le dieu. Mais nulle part ailleurs il n’est question d’une inhuma­
tion dans cet endroit éminemment sacré et dangereux qu’est un
seuil (3).
La septième Néméenne atteste un culte important pour le début
du Ve siècle : Néoptolème est le OepucrKonos — titre que Pindare1 2 3

(1) Ch. Degas, REG, t. 51 (1938), p. 56-57, estime que Polygnote, s’étant fait
« une âme cnidienne, c’est-à-dire dorienne », traite Pyrrhos avec antipathie. En
fait, il est impossible de déduire une critique de la phrase de Pausanias décrivant
le tableau : les héros d'Homère ont rarement scrupule à frapper un ennemi prosterné,
même si c’est un suppliant.
(2) Schol. Pind., Ném., VII, 62 d’après les Tragodoumena d’Asclépiade : ntpl
tov OavaTov o\e8ov ânavrcç ol iroirjraL oofiipaivovoi, TcXfVTrjoai fièv avTov vtto Ma^ai-
pcais, Taérjvai 8c ro fxcv nparrov vtto tov O’jSor tov veut, /actà Sc Tavra MevéXaov èXOôvTa
àveAt îi K al tov ratpov noiijaai ev rcp rc/rerei ‘ tov 8c Ma^aipia tfnjoiv vlov clvai A a irdç.
F. gr.H, 12 fr. 15 et notes. —Schol. Eur., Oreste, 1655 d’après Phérécyde, F. gr. H.
3, fr. 64, a; cf. notes, p. 411.
(3) J. G. Frazer, Folklore of the old Testament, III, p. 13, dans son étude sur les
Keepers of the Threshold, mentionne des cas, étrangers à la Grèce, d’enfants mort-
nés enterrés sous le seuil dans l’espoir qu’ils renaîtront au sein de la famille :
« possible connection of the sanctity of the threshold with the theory of rebirth ».
Philippe Ariès, L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime, p. 30, rapporte,
malheureusement sans indication de source, une coutume analogue, concernant
l'enfant mort sans baptême, en pays basque.
— 45

donne ailleurs à des rois ou à des dieux majeurs — des cérémonies


en l’honneur des héros.
S'il faut en croire les Éthiopiques d’Héliodore (II, 34-35 ; III, 2,4),
les Énianes de Thessalie, qui prétendaient descendre d’Hellen fils
de Deucalion, envoyaient tous les quatre ans, en mai, au moment
des jeux pythiques, une théorie qui offrait un sacrifice à Apollon
et une cérémonie propitiatoire à Néoptolème. Héliodore en exagère
certainement la splendeur — la procession est décrite pour faire
valoir Théagène à la tête de ses cinquante cavaliers et Chariclée
prêtresse d’Artémis montant sur son char — mais le fond est
peut-être exact. L’hymne censément chanté pendant la fête nomme
le héros « fils d’Achille et de Pyrrha », ce qui semble indiquer qu’il
était désigné comme Pyrrhos, quoique le romancier lui donne son
nom épique. Il nomme enagismos — le mot dont se sert également
Pausanias répétant un renseignement donné par un prêtre — l’en­
semble des honneurs qu’il attribue au peyturo? -qpiôojv, alors que ce
qu’il décrit représente plutôt des thysiai comme on en offrait aux
dieux. Mais il ne faut probablement pas serrer de trop près un
récit aussi romanesque.
Une inscription de 380 avant J.-C. donne un renseignement
plus modeste et plus sûr : tous les quatre ans, les Amphictions
offraient « au héros » un taureau magnifique (1). « Le héros » ne peut
guère être que Néoptolème, qui paraît chez Pindare comme dep.10-
kÔttoç de tous les autres. Ceux-ci sont de pâles figures de génies
secourables aux noms parlants : Phylakos, Laodokos, Hyperochos,
que l’on fêtait tous ensemble pendant le mois de Boathoos.

* * *
Le daimôn honoré à Delphes dès l’époque mycénienne fut pro­
bablement longtemps un personnage anonyme, ce qu’il est encore
dans la formule archaïsante de la loi amphictionique de 380. Ses
deux dénominations grecques sont trop transparentes pour pouvoir
être bien anciennes. Le prestige croissant d’Apollon sur le Parnasse
le réduisit au rang de parèdre, comme ce fut le cas pour Ptoos près
du Copaïs, pour Isménos à Thèbes, pour Hyakinthos à Amyclées,
comme Érechthée à Athènes fut éclipsé par Posidon, Pélops à
Olympie par Zeus, Iphigénie en Attique par Artémis. La relation

(i) t]ov ßoos- rt/xà Tov rjpœos f. Karov orarrjpes Atyivaîot. CIO 1688, 32, Ol. IOO.
— 46

d’hostilité entre Apollon et Néoptolème, dont les prêtres de Delphes


ont abondamment parlé à Pausanias (I, 4, 4 ; X, 24, 4), au point
que ceux de Corinthe tinrent aussi à présenter leur grief (II, 5, 5,
supra, p. 43), prend sa dimension véritable lorsqu’on se donne la
peine de grouper toutes les légendes connues de héros évincés par
des dieux. Si elles sont quelque peu anciennes, elles supposent
invariablement, entre le supplanté et son successeur, un antago­
nisme que le culte ignore, car il les honore côte à côte.
Posidon frappe Érechthée de son trident et l’engloutit dans le
sol. Artémis exige la vie d’Iphigénie. Apollon tue Hyakinthos.
Il tue aussi Isménos, fils aîné d’Amphion et de Niobé (Ovide,
Métam., VI, 224) ; ou bien le jeune homme, frappé par lui, se jette
dans le fleuve qui portera son nom. Artémis détruit sauvagement
Callisto. Mais la colline d’Arcadie où Callisto est enterrée, entre
Mégalopolis et Méthydrion, porte à son sommet un sanctuaire
d’Artémis Callisté (Paus., VIII, 32, 3). Coronis, tuée par Apollon,
est néanmoins honorée à Sicyone (Paus., II, il, 17). Aphrodite a
perdu Hippolyte, mais elle a un temple dans son stade à Trézène
(Paus., II, 32, 3). Athéna fut la mortelle ennemie d’Ajax, mais
Mégare honorait une Athéna Aiantis (Paus., I, 42, 4). Apollon
maudit le corbeau, mais le corbeau lui est consacré.
Étudiant les cas où un héros est censé reposer dans le sanctuaire
d’un dieu, Pfister (Reliquienkult, pp. 445 sqq.) a groupé sous quatre
chefs les raisons données par les anciens pour expliquer cette préten­
due dérogation, les personnes divines ne pouvant en principe sup­
porter le voisinage de la mort (1) : l’inhumé fut prêtre ou fonda­
teur du culte ; — ou bien il était un fils, un protégé, ou un éromène
du dieu ; — ou il lui a rendu des services exceptionnels ; — ou
enfin sa présence dans le temple est le résultat d’une expiation.
Ces justifications tardives dissimulent à l’envi l’hostilité initiale
entre le vieux daimon et son successeur triomphant. La moralité,
comme nous disons à présent, est étrangère à la définition implicite
du dieu grec, lequel existe par sa puissance. C’est justement de
quoi les poètes moralistes ne pouvaient s’accommoder. Ils ont
arrangé les choses. C’est par accident qu’Apollon tue Hyakinthos
qu’il aimait. Si Zeus a frappé de stérilité le pays de Pélops, c’est
que celui-ci avait traîtreusement assassiné Stymphale roi d’Arcadie1

(1) Aucun tombeau dans un temple n'est authentique, affirme, après examen
de cas douteux, L. Robert, REG, 1954, p. ni, n° 53 du Bulletin épigraphique.
— 47

(Apoll., Bibi. Ill, 12, 6). Nos tragédies nous permettent de suivre
pas à pas la réconciliation entre Iphigénie et Artémis : comparez
la vierge bâillonnée d’Eschyle, qui tente désespérément de repous­
ser ses sacrificateurs, avec la victime volontaire d’Euripide, à qui la
bonne déesse épargnera in extremis une immolation acceptée.
En ce qui concerne Néoptolème, Euripide a aussi infléchi la légende,
mais dans un sens tout opposé. Il n’aimait point Delphes. Bien
loin de chercher les termes d’un accord entre le sanctuaire et le
héros, il a formulé les griefs de celui-ci en termes tels que le conflit
en a reçu une acuité accrue, alors qu’ailleurs — à Brauron, à l’Érech-
théion, à Amyclées — il était résolu depuis longtemps ; et que
l’optimisme lénifiant de l’époque tardive supprimait de son légen-
dier le thème gênant de 1’« hostilité initiale » et faisait d’un pâle
Branchos un simple éromène du dieu.
Vue dans cette perspective, la relation Apollon-Néoptolème
garde cependant deux singularités qu’il ne faut pas méconnaître.
D’une part, le héros n’est point passif devant le dieu comme Ismé-
nos ou Hyakinthos devant Apollon, Iphigénie ou Callisto devant
Artémis, Érechthée devant Posidon. Il s’affirme et assume devant
lui la cause de son père comme s’il avait affaire à un être de même
rang. On reconnaît là l’esprit d’Euripide, le ton de Créuse jugeant
Apollon. Ion, comme Andromaque, se termine par l’acceptation de
la supériorité divine. Mais l’acte de résignation, on ne saurait le
nier, est infiniment moins persuasif que les arguments qui ont donné
naissance au conflit. Une seconde différence est celle-ci : la réconcilia­
tion entre le dieu et le héros, tacitement supposée, dans tous les
autres cas, antérieure à leur cohabitation, n’aurait eu lieu, au dire
des prêtres, qu’en 278.
Lors de l’attaque des Gaulois, racontèrent-ils à Pausanias,
Néoptolème se joignit à d’autres héros locaux pour les mettre en
fuite. Son tombeau, considéré jusqu’alors comme celui d’un ennemi,
était resté privé d’honneurs. On lui attribua un enagismos annuel
en signe de pardon et de reconnaissance.
L’histoire d’un secours miraculeux lors de l’invasion gauloise
est une réplique de ce qu’Hérodote (VIII, 31-39) raconte d’une
attaque prononcée par un détachement mède, quand Phylakos
et Autonoos apparurent pour épouvanter les assaillants. Pausanias
mentionne deux fois le prodige de 278, et nomme les « terribles
hoplites » qui se firent les champions du dieu : Hyperochos, Laodo-
kos et Pyrrhos (I, 4, 4), auxquels il ajoute (X, 23, 2) Phylakos.
48 -

L’affirmation des prêtres, qu’il n’y aurait eu aucun culte avant


278, est en tous cas erronée, contredite par la septième Néméenne.
On s’est demandé si Y enagismos référé par Pausanias à la débandade
des Gaulois ne serait pas plus ancien, datant peut-être de l’échec
tout semblable des Perses. C’est placer la question sur un terrain
moins solide encore, ce prototype du miracle de 278 étant aussi
fabuleux que la réplique (1). Au surplus, si l’on considère que dès le
début du Ve siècle Néoptolème préside aux cérémonies en l’honneur
des héros, dont il est le df/xioKonos, et à leurs nombreux sacrifices
— même sans tirer argument de ce que dit Héliodore et qui repré­
senterait un culte presque divin —■ que pouvait signifier un mo­
deste enagismos annuel ?
Il pouvait signifier beaucoup, en 278, pour le roi Pyrrhos dont la
puissance — sans parler de la proximité — était telle que le clergé
delphique devait avoir peu de chose à lui refuser. Les historiens ont
bien vu que l’influence du roi d’Épire sur Delphes a dû être impor­
tante. Jean Pouilloux écrit : « La renaissance du culte héroïque
est certainement antérieure à l’époque de Pyrrhos, mais une erreur
de Pausanias pourrait bien être révélatrice. S’il a tenu à dater ce
renouveau de l’invasion galate et de l’action du héros à cette occa­
sion, c’est sans doute parce que l’éclat du culte fut alors accru. Qui
mieux que Pyrrhos en était capable » ? (2)
On ne peut qu’être d’accord sur la thèse générale : Pyrrhos a
utilisé Delphes pour sa politique, comme l’avaient fait, sur un autre
plan et avec d’autres méthodes, les rois de Sparte, ce que la cité
athénienne, en revanche, n’a jamais réussi à faire (3) ; mais, pour
le détail, je verrais les choses assez différemment.
Toutes les grandes familles grecques se targuaient d’ascendances
illustres. Mais les souverains épirotes sont à peu près les seuls qui
symbolisèrent leurs prétentions en reprenant les noms célébrés
par la légende : Éacidas, Pyrrhos, Hélénos, Déidamie. La théorie
d’Evhémère a ses racines dans cet évhémérisme avant la lettre,
spontané, inconscient, qui a transformé les vieux daimones en
morts révérés, en figures historiques. Mais de plus, au moment où
elle est formulée, cette théorie correspond exactement à une con­
ception politique, celle des dynastes de la Grèce septentrionale qui1 2 3

(1) Voir Roland Crahay, La littérature oraculaire chez Hérodote, 1956, pp. 333-
337-
(2) REA, t. LX (1958), p. 222.
(3) M. Delcourt, L'oracle de Delphes, p. 262.
— 49 —

dès leur vivant se font traiter comme des dieux. Léon de Pella, qui
représente les dieux égyptiens comme des souverains divinisés, a
vécu, semble-t-il, sous le règne d’Alexandre. Evhémère, peu après,
apporte les formules les mieux faites pour servir les intérêts des
familles nobles. Il est né en Sicile, mais il a vécu longtemps à la cour
de Cassandre roi de Macédoine dont il était l’ami (i). Une filiation
humaine, historique, suffit parfaitement aux successeurs d’Ale­
xandre. Ils souhaitent moins descendre des dieux — auxquels, au
surplus, l’on croit de moins en moins — que le devenir eux-mêmes.
Des médailles à l’effigie d’Alexandre servaient encore de talisman à
l’époque chrétienne. Exemple unique de thaumaturgie royale dans
l’antiquité, Pyrrhos roi d’Épire guérissait les malades de la rate
par application du gros orteil de son pied droit. Ce pouce, sorti
intact du bûcher et inclus dans un reliquaire, fut déposé dans un
temple, cas tout aussi exceptionnel (2). Ainsi que le suppose
M. Pouilloux, le roi d’Épire a probablement donné au culte de
son aïeul supposé un éclat dont lui-même profiterait. Ses donations
ont pu faire sur le Parnasse une impression telle que les sacristains,
avec une demi-sincérité, aient daté de lui un culte certainement
plus ancien, — car sur ce point, ce n’est pas Pausanias qu’il faut
accuser d’erreur, mais ceux qui l’ont renseigné et dont il répète les
dires avec sa docilité coutumière. Mais, ce qui est probable égale­
ment, c’est que Pyrrhos aura souhaité voir confirmer par le rituel
le caractère humain, historique, de celui dont il se prétendait
l’héritier, grâce à un enagismos de type rigoureusement funéraire.
Il a probablement espéré du même coup désarmer la malveillance
du sacerdoce, en quoi il se trompait.

* * *

Tout, en effet, sur le Parnasse, se ramène essentiellement à


une hostilité entre le héros et la maison où il fut tué. Les détails
de sa mort varient d’une version à l’autre, à l’exception d’un seul :
il est frappé sur l'hestia du temple.
On a montré à Pausanias, dans la cella, l’autel de Posidon près
de la statue des Moires avec Zeus Moiragète et, à côté d’un Apollon1 2

(1) Tout cela a été bien vu par R. De Block, Évhémère, son livre et sa doctrine,
Mons, 1876, pp. 75, 79. Voir aussi l’article Evhémère de Jacoby dans P. W. (1909),
col. 967 et Jan de Vries, Forschungsgeschichte der Mythologie, 1961, p. 28.
(2) Voir mon article Le partage du corps royal, SMSR, t. 34, n° 1, 1963.
— 50 —

Moiragète, le feu sacré è<f>' fj NeonroXepiov tov ’MyiÀÀetoj 6 Upevç


à-nétcrewe tov 'AttóXXcvvos. La symétrie marque fortement l’inten­
tion hostile. La version euripidéenne qui inculpe Oreste et l’en­
semble des Delphiens n’avait donc point prévalu à l’intérieur du
sanctuaire. Mais sur le lieu de la mort les prêtres et le poète sont
bien d’accord. Le long récit qui termine Andromaque est ordonné
tout entier pour fixer l’attention sur deux moments importants.
Pyrrhos est frappé tandis qu’il prie dans la cella, èv ip.nvpoiç,
ce qui suggère à la fois le feu sacré de l’hestia et l’autel de Posidon
où l’on brûlait certaines parties des victimes, rite qui normale­
ment ne se pratiquait pas dans les temples. Il recule en faisant
face à ses assaillants, retraverse la cella, décroche au passage un
bouclier votif et saute sur l’autel de l’esplanade où les meurtriers
le poursuivent. Il bondit parmi eux et les attaque pour mourir
ßaipov TréXas. La lutte se situe dans la zone comprise entre les deux
points du sanctuaire où brûlait du feu (i). Après quoi Thétis invi­
tera Pélée à enterrer leur petit-fils IJvOik^v irpos ioxâpav. Quelques
siècles plus tard, on racontera à Strabon qu’un oracle avait ordonné
l’érection d’un tombeau de Néoptolème en expiation du crime
commis par Machaireus.
*
* *

(i) C’est ainsi que Méridier entend le récit et je ne vois pas le moyen de l'en­
tendre autrement. Néoptolème est frappé èv èputvpois (1113), se trouve èiri ßaip.ov
en 1123, en descend d’un bond (1140) et y est gisant en 1156. A partir du « bond
troyen » le récit est extrêmement elliptique, décrivant presque uniquement les
assaillants et la voix qui sort du temple. Trois brèves images de Néoptolème,
s’avançant vers ses ennemis (ytuptî npàs avrovç, verbe étonnamment inexpressif,
1140); apparaissant rayonnant (1146), puis tombant (1152). Aucune des trois
n’est topographiquement située. M. Pouilloux (apud J. Pouilloux et G. Roux,
Énigmes à Delphes, ch. IV) veut que le héros, ramené à l’entrée du temple par le
«bond troyen », retraverse tout l’édifice pour aller mourir sur l'hestia où il a été
frappé. J’accepterais certes cette interprétation si je voyais un moyen de la tirer
du texte. Mais le ßwpos de 1156 doit bien être le même que celui de 1123, men­
tionné les deux fois sans déterminant : le grand autel de l’esplanade, et non les
ëpnvpa de 1113. Quant à rattacher ßatpov nchas à iftßaXov ou à le prendre dans un
sens « résultatif », ce sont des idées qui peuvent venir à un commentateur, non à un
acteur qui récite un texte, ni à un auditeur, ni à un lecteur qui se laisse guider par
le vers. — Virgile détache son héros de tout contexte delphique et le fait assassiner
en Épire par son rival Oreste. C’est dire qu’il est sur ce point plus éloigné d'Euri­
pide que de Racine. Néanmoins l’image de l’autel était si fortement associée à la
légende qu’il n’a pas voulu la supprimer : Pyrrhus tombe patrias ad aras (Én., III,
320).
5i —
Une inimitié initiale entre un dieu et un héros évincé a de nom­
breux parallèles dans les traditions grecques. Je me demande en
revanche si l’on trouverait un autre exemple d’un sacerdoce hostile,
et pendant de longs siècles, à un personnage auquel il rend d’ailleurs
un culte régulier.
Dans l’épopée comme dans la tragédie, le fils d’Achille est un
héros aussi excellent que son père. Ulysse réjouit l’ombre d’Achille
en lui faisant l’éloge de son fils (Od., XI, 506 sqq.). Dans Philoctète,
sa vertu intransigeante, sa loyauté, son humanité s’opposent à
l’opportunisme d’Ulysse. Dans Hécube, s’il immole Polyxène,
c’est à regret, pour obéir à l’exigence de son père mort, et en témoi­
gnant un grand respect à la jeune victime. Dans les Chants Cypriens,
il l'ensevelit, alors qu’elle a été égorgée par Ulysse et Diomède
(Schol. Hécube, 41).
Des traditions toutes différentes circulaient à Delphes, dont
Pindare était influencé lorsqu’il écrivit le sixième Péan. Polygnote
n’avait certainement aucune intention malveillante lorsqu’il repré­
senta le héros frappant Astynoos tombé à ses genoux : les guerriers
de l’Iliade ne se privent pas d’accabler leurs vaincus. Mais les
guides qui commentaient le tableau présentaient Pyrrhos comme le
modèle d’une démesure promise au châtiment. En montrant le
morceau où figurait la mort d’Astyanax ils répétaient complaisam­
ment la version de Leschès, d’après laquelle l’enfant avait été
arraché du sein de sa mère et précipité du haut des remparts, non
du tout parce que l’ensemble des Grecs en avait ainsi décidé,
ainsi que le dit Euripide dans Les Troyennes, mais parce que Néopto-
lème l’avait exigé et avait tenu à exécuter le meurtre de sa propre
main (1). On insistait également sur le sacrilège qu’il avait commis
en égorgeant Priam sur l’autel de Zeus Herkeios, où le vieux roi
avait cherché un refuge (2) ; en expiation de quoi il devait lui-

(1) Le scholiaste d’Andromaque (io) a conservé le passage de la Petite Iliade :


Avràp 'AxiXXijos fieyaOvfiov (ftathifios vloç
*EKToperjv dXo\ov Karayei KolXas cVl vrjas.
Ilaîha 8** iXœv €K koXitov cvttX0Ka.fj.010 nOijvrjs
pîip€ 77080$" rerayojv àiro rrvpyov. rov 8c ttcctovtci
cXXaße 7rop<f)vp€os davaros xal fioîpa tcparairj.
Ils rapportent un acte affreux avec une impassibilité tout épique. Pausanias au
contraire reflète une interprétation sévère : àAÀ* Ihlq. NtoTTToXepov avrôx€ipa c’0c-
X-rjoai ycvcoQai.
(2) Virgile donne au héros ses deux noms ; plus d'une fois il semble n'obéir qu’au
mètre. Le choix cependant paraît parfois résulter de nuances subtiles. S'il est
- 52 -

même tomber à Delphes devant l’autel d’Apollon : NeonroXé^ecos


riens. Le pur héros de Sophocle apparaît là comme la personnifica­
tion même des impiétés commises à Troie par les vainqueurs : sa
mort en est le châtiment. Pausanias admire le parallélisme du
sort des Éacides victimes de l'hostilité des dieux : Achille tué par
Paris et Apollon, Pyrrhos frappé sur l’ordre de la Pythie (IV, 17, 4 ;
I, 13, 9) ; auxquels le sacerdoce argien joindra plus tard le second
Pyrrhos frappé par Déméter sous la forme d’une vieille femme
(I, 13, 8). Les prêtres de Delphes ont obstinément représenté
le vainqueur de Troie comme une sorte d’ennemi héréditaire
d’Apollon.

* * *

La figure de Pyrrhos est donc marquée par une étrange ambiva­


lence, que traduisent à leur manière les deux poèmes de Pindare.
Que pensait celui-ci des honneurs accordés dans le temple à un
héros qu’Apollon lui-même avait privé de la vie ? Un moderne se
fait la question, parce qu’à ses yeux un culte suppose une homo­
logie morale entre ceux qui l’offrent et celui qui le reçoit. Les anciens
ne conçoivent rien de tel. Un daimon, à quelque niveau qu’il se
situe, est essentiellement une force capable de se manifester. Parce
que Pindare montre Asclépios « soumettant au gain sa sagesse et
agissant pour un salaire magnifique » Wilamowitz déclare : « Es
ist klar dass er nicht so dichten konnte wenn für ihn Asklepios
eine heilige Person wäre » (1). Étrange erreur, la même que Ziegler
a commise à propos de Néoptolème. Il reste cependant qu’on trou­
verait difficilement ailleurs dans ce que nous savons de la religion
grecque un cas analogue à celui-ci : un héros jouit à côté d’un
dieu d’un culte important, et ceux-là même qui sont chargés de
lui rendre ce culte le représentent comme un sacrilège. Les légendes
qui expliquent l’élimination partielle d’un ancien daimon par un
dieu plus récent visent toutes à effacer l’inimitié qui les colore pri­
mitivement. Bien loin d’atténuer ce trait, le sacerdoce delphique
n’a cessé de l’accuser : Pyrrhos a voulu mettre le temple à sac ; il

question d'Achille, son fils est dit Néoptolème (II, 549 ; III, 333 et 469). Il s’appelle
Pyrrhus dans le contexte épirote (III, 296, 320) et surtout dans la scène où il tue
Priam, lequel, avant de mourir, lui reproche de ne pas respecter les droits d'un
suppliant, ce que son père n'aurait pas manqué de faire (II, 469-662).
(1) Isyllos von Epidauros, p. 61. Troisième Pythique, 96. Voir supra, p. 38, n. 1.
— 53 —

a tué un enfant, un vieil homme réfugié en suppliant sur un autel.


Et c’est lui cependant qui, dans un moment critique, intervient
pour sauver ce sanctuaire qu’il s’apprêtait à piller. Après quoi,
censément, on lui accorde de nouveaux honneurs et l’on continue
à le vilipender.
La figure religieuse de Pyrrhos, le Roux, n’est-elle pas curieuse­
ment frappée de la même ambivalence que la couleur qui le désigne ?
*
* *

Pyrrha, que son nom désigne comme sa parèdre, va nous entraîner


dans un contexte tout différent.
Chapitre III

L’EAU ET LE FEU

La figure de Pyrrha n’a guère reçu d’élaboration romanesque.


Son histoire n’a de sens qu’en marge de celle de Deucalion.
Les récits relatifs au déluge traduisent en images frappantes une
des plus profondes aspirations de la psyché. Elles impliquent
un vœu de régénération, le même auquel le baptême répond à
l’échelle de l’individu. Le grand cataclysme abolit une époque et
en ouvre une nouvelle à partir d’un homme élu. Pour celui-ci, la
catastrophe a été une épreuve dont il est sorti vainqueur. Les deux
traits essentiels du déluge, son caractère d’ordalie pour un individu,
de désignation céleste pour sa descendance, apparaissent inégalement
dans les traditions orientales et grecques. Aucune ne les a gardées
dans leur intégrité et ne les traduit tout à fait clairement.
Les dieux de Shuruppak sur l’Euphrate, avec Enlil à leur tête,
décident de détruire l’humanité par un déluge. Le dieu Ea apparaît
à la clôture de la maison d’Umnapishti, lui révèle le projet en lui
conseillant de construire un bateau, en forme de cube, à sept étages,
d’y entrer avec sa femme et d’y mettre des semences de tout ce
qui vit. Ils sont ainsi sauvés. Enlil est furieux, mais accepte le
verdict et décide que le rescapé et sa femme seront honorés comme
des dieux.
Telle est la version babylonienne, antérieure de peu à la Genèse.
Il reste des fragments d’une version sumérienne, beaucoup plus
ancienne, dont le héros est Ziusudra. Ce qui concerne la construction
du bateau y est malheureusement perdu. C’est à la version sumé­
rienne que semble remonter le récit hellénisé de Bérose (Eusèbe,
Chron., II, p. 19 sqq.). Cronos apparaît en rêve à Xisouthros pour
lui annoncer le cataclysme imminent et les moyens d’y échapper.
Xisouthros construit un bateau de 15 stades de long sur 2 de large,
soit environ 2.770 mètres sur 370. Il met à la voile. L’inondation
— 55 —

terminée, il aborde, baise la terre (i), dresse un autel, sacrifie aux


dieux et disparaît aussitôt. Ses compagnons le cherchent. Une voix
leur révèle qu’il est allé habiter parmi les dieux avec sa femme, sa
fille et leur pilote.
Jéhovah dans la Genèse choisit Noé qui a trouvé grâce devant lui.
Noé sauvé offre des sacrifices à Jéhovah et celui-ci, charmé par
leur odeur (VIII, 20-23), déclare que plus jamais il ne détruira la
terre et les êtres vivants à cause de l’homme, qui est méchant
depuis sa jeunesse ; que les hommes pourront désormais semer et
récolter tandis qu’alterneront le froid et la chaleur, le jour et la
nuit. La rédacteur élohiste (IX, 1-17) met l’accent sur la réconcilia­
tion, symbolisée par l’arc-en-ciel, et lui donne la valeur d’une alliance
éternelle entre Élohim et le peuple élu, alliance qui, pour le Jého-
viste, existe antérieurement au déluge.
Le déluge joue dans les cosmogonies grecques un rôle beaucoup
moindre que dans celles du Proche-Orient. Hésiode ne lui fait
aucune place dans les tableaux qu’il trace, dans ses œuvres conser­
vées, des successions divines ou humaines. D’après des poèmes et
des récits perdus, Apollodore (Bibi., I, 7, 1-2) en donne la version
suivante. Zeus est décidé à détruire les hommes de l’âge du bronze.
Prométhée conseille alors à son fils Deucalion roi de Phthie de se
construire une caisse et de s’y embarquer avec Pyrrha. Ils débar­
quent sur le Parnasse où ils sacrifient à Zeus Phyxios. Celui-ci leur
envoie Hermès en leur promettant d’exaucer le souhait qu’ils for­
meront. Deucalion demande à avoir des hommes autour de lui, sur
quoi il reçoit avec Pyrrha le conseil de jeter derrière eux des pierres
qui deviendront des hommes. Ils auront ensuite des enfants.
Ces trois récits marquent inégalement l’élection finale du couple
sauvé. Elle apparaît à peine dans les traditions résumées par
Apollodore. Dans celles du Proche-Orient, elle prend la forme d’une
divinisation individuelle. Les Hébreux, le seul peuple peut-être qui
ait fait de sa religion et de son histoire un tout fortement solidarisé,
la hausse à l’échelle nationale.
Aucun des trois ne reconnaît explicitement une ordalie dans le
voyage sur les eaux diluviales. Le Survivant est élu pour être sauvé1

(1) Le mouvement est d'une admirable justesse psychologique : c’est celui


d’Ulysse arrivant en Phéacie, du Guillaume Tell de Schiller (IV, i) sauvé de l’orage
et salué comme un élu échappé au déluge. Cf. F. Lot, Annales Inst. Et. orient, et slav.,
t. IX (1949), p. 435, et M. Delcourt, The legend of Sarpedon and the saga of the
archer, History of Religions, t. II (1962), p. 43.
-56-

par Jéhovah ou par Cronos, ou bien il est averti par un dieu secon­
daire, plus ou moins hostile au premier, Ea ou Prométhée. Un seul
détail avertit qu’il y a épreuve, c’est la nature de l’esquif, qui n’est
pas un bateau de forme et de dimensions normales, mais un coffre
(ou un navire semblable à un coffre), c’est-à-dire un instrument de
probation et non un instrument de navigation (i), si bien que le
dieu sauve ses élus grâce à l’objet le plus propre à les perdre. Les
rédacteurs ont tenté d’atténuer l’absurdité de la chose : Enlil
s’embarque sur un bateau carré, aussi haut qu’il est large et long ;
l’arche de Noé est une maison à trois étages de trente coudées de
haut, supportée par une coque de navire de 300 coudées sur 50,
soit environ 150 m. sur 25 ; mais elle s’appelle têbâ comme la caisse
où la mère de Moïse expose son nouveau-né. Deucalion de même
traverse le déluge dans une larnax. Ce détail est le seul qui permette
de saisir un jugement de Dieu dans son aventure.
Chez Ovide au contraire (Métam., 1, 245 sqq.), et sous les orne­
ments les plus baroques, le sens primitif de l’ordalie se révèle nette­
ment.
Indigné du crime de Lycaon, Jupiter veut détruire sa création et
songe d’abord à l’anéantir par le feu (253). Il y renonce parce que
les destins ont fixé une date où non seulement la mer et la terre,
mais aussi les palais célestes, doivent s’embraser, et qu’il redoute
une telle extrémité. Il provoque alors le déluge. Deux habitants du
Parnasse se réfugient sur une petite barque. Jupiter les voit, constate
qu’ils sont vertueux et qu’ils méritent d’être épargnés. Les voilà
seuls dans un univers vide. Deucalion songe à fabriquer des hommes
paternis artibus, en cuisant des figures de terre, à la façon de son1

(1) G. Glotz, Ordalie, p. 27 : « Jusqu’à la fin de l'histoire grecque, la mise en


coffre s’est conservée dans le droit pénal de la famille, et ce châtiment à effet suspen­
sif a toujours paru une invite à l’intervention des dieux. » — H. Usener, Sintfluth-
sagen, Bonn, 1899, a très bien vu que le coffre est un instrument de probation
d’où un éprouvé sort grandi pour avoir été promis à la mort. Son élection est à
l’échelle du danger qu’il a couru. Dans Œdipe, p. 58 sqq., j’ai insisté sur le caractère
symbolique de l’instrument de sauvetage. Le Dr. Contenau, dans son livre sur le
Déluge babylonien, tente au contraire une justification réaliste et décrit l’arche de
Noé comme « un énorme coffre à fond plat, tenant bien l’eau, et capable de porter
un bon chargement ». Je doute qu’il se trouve un expert en constructions navales
pour ratifier cette formule. L’arche de Noé est aussi fabuleuse que le vaisseau
de 15 stades sur 2 de Xisouthros. — Les légendes chrétiennes du moyen-âge dési­
gnent le véhicule de Noé tantôt par un mot spécial correspondant à l'arche bi­
blique, tantôt par un mot désignant clairement un coffre (all. Truhe, Kasten),
plus rarement comme un bateau. Cf. O. Dahnhardt, Natursagen, Leipzig, I, 1907,
Sündflutsagen, p. 257.
— 57 —

père Prométhée. Mais Thémis, implorée par les époux sauvés,


leur conseille de jeter derrière eux les os de leur mère, d’où naît
la génération des pierres.
Dans ce récit, les survivants doivent leur salut à leur seule vertu.
Jupiter se comporte à leur égard comme le témoin d’une ordalie
qui constate un miracle et conclut qu’il était mérité. En revanche,
Ovide a rationalisé le détail qui, dans les autres légendes, est le
seul à révéler encore une origine rituelle. Il a remplacé le coffre,
larnax ou area, instrument de probation, par une parva ratis qui
lui a paru moins invraisemblable. La retouche lui était imposée
par le mouvement même de son récit : du moment que les survi­
vants agissent d’après leur impulsion personnelle, ils doivent choisir
la méthode la moins absurde. Un coffre est un objet dans lequel
on est mis afin d’être jugé par les dieux, mais auquel personne ne
s’aviserait de se confier spontanément. Tandis que le déluge — celui
d’Umnapishti, ou de Xisouthros, ou de Noé, ou celui que raconte
Apollodore — perd explicitement son caractère d’ordalie, il le
retrouve implicitement par ce détail paradoxal que le dieu sauveur
recommande la méthode la mieux faite pour perdre le Survivant :
si bien que celui-ci échappe non point malgré le coffre, mais, cen­
sément, grâce à lui.

*
* *

Le mythe d’un grand cataclysme existe chez presque tous les


peuples. Les traditions les plus nombreuses, et de beaucoup, parlent
d’une destruction par l’eau. Quelques-unes cependant veulent que
le ciel soit tombé sur la terre et l’ait ruinée. D’autres parlent d’une
pluie de feu suivie ou non d’averses torrentielles (i). L’image d’une
ordalie par le feu, élément éminemment destructeur, ne pouvait
être aussi persuasive que celle d’une ordalie par l’eau, élément
purifiant et régénérateur. Elle n’a survécu en Grèce que par quelques
vestiges légendaires et peut-être, obscurément, dans le nom de
Pyrrha. Ne nous étonnons pas de trouver les traces les plus expli­
cites chez Ovide et chez Nonnos : ils ont l’un et l’autre, des valeurs

(i) Voir le catalogue dressé par G. Gerland, Mythus der Sintfluth, Bonn, 1912,
PP- 35- 38. 71-72 et J.-G. Frazer, Folklore in the Old Testament, I, 1919. Josef-
Leo Seifert, Sinndeutung des Mythos, Vienne, 1954, énumère pp. 225 sqq. des
traditions concernant les peuples non civilisés et pp. 233, 247-8, 286 celles qui se
rapportent au Grand Incendie.
— 58 —

mythologiques, un sens infaillible, qui se révèle dès que l’on prend


la peine d’élaguer les détails parasites dont leur esthétique baroque
surcharge chaque trait.
Le Jupiter d’Ovide songe à infliger au genre humain l’épreuve du
feu. Chez Nonnos, elle est réalisée. Furieux contre les Titans qui
ont dépecé Dionysos Zagreus, Zeus déchaîne un incendie qui em­
brase tout l’Orient du monde, la Bactriane, l’Assyrie, le golfe de
l’Érythrée, l’Inde. Océan implore Zeus qui s’adoucit en voyant
périr la terre, et qui consent, pour la sauver, à se faire Zeus Plu­
vieux ; il inonde ce qu’il allait consumer(Z>io«ysmca, VI, 206 sqq.).
Une image analogue apparaît dans l’histoire de Phaéthon telle que
la raconte la fable 152 de Hygin. Incapable de diriger le char du
Soleil, Phaéthon descendait vers l’Éridan lorsque Jupiter le foudroie,
mettant ainsi toute la terre en feu. Jupiter, qui désire supprimer
la race humaine, fait semblant de vouloir éteindre l’incendie et
inonde la terre où survivent seuls Deucalion et Pyrrha (1). Une
tradition assez semblable, référée à Hésiode — entendons à un
poème hésiodique perdu — figure chez un scholiaste de Germani-
cus (2). Davantage, Platon la connaît. Il rappelle l’histoire de
Phaéthon dans Timée, non avec les mêmes détails que Hygin et
sans incriminer, comme lui, la duplicité de Zeus, mais en mettant
en relation les deux formes du grand cataclysme, car, dit son scho­
liaste, « c’est aux mêmes époques qu’eurent lieu le déluge de Thes-
salie et, en Ethiopie, la conflagration provoquée par Phaéthon ».
Solon dans Timée rapporte l’opinion du vieux prêtre égyptien
concernant l’absence de traditions anciennes chez les Athéniens.
« Les hommes ont été détruits et le seront encore de plusieurs
manières. Par le feu et par l’eau eurent lieu les principales destruc­
tions, mais il y en eut quantité d’autres moins graves. Ce qu’on
dit chez vous de Phaéthon qui incendie tout ce qu’il y a sur la
terre et qui périt lui-même, frappé de la foudre, cela se raconte1 2

(1) Jovis ut omne genus mortalium cum causa interficeret, simulavit sc id veile
extinguere. Le texte semble altéré. Que signifie cum causa ? Cum Phaethonte ? ou,
plutôt, cum praetextu aliquo ?
(2) Scholies Strozzi, p. 174, Breysig. Voir G. Knaack, Quaestiones Phaethonteae
Berlin, 1886 (Phil. Unters., 8), p. 3. Remarquons que Hygin (fab. 153) fait débarquer
Deucalion, non sur le Parnasse, mais sur l’Etna, ce qui implique une connexion
sous-jacente entre les deux formes du grand cataclysme; et que le scholiaste de
Timée 22 C doit attribuer comme Nonnos à l’action du feu le teint noir des gens du
Midi, implicitement du moins, car il limite l’incendie à l'Éthiopie, alors que Platon,
dans le texte qu’il commente, parle de la terre entière.
59 —

ixvdov crxrjfJ-a è'yov. En réalité, les corps qui circulent au ciel autour
de la terre s’écartent parfois de leur route. Et, à de grands inter­
valles de temps, tout ce qui est sur terre périt alors par l’excès du
feu» (22, C-D). Parallèlement à cet embrasement oublié, le prêtre
rappelle que les Athéniens n’ont gardé que le souvenir d’un seul
déluge, même s’ils en ont subi plusieurs (23 B). C’est là une des
nombreuses images par lesquelles Platon traduit sa conception des
cycles cosmiques. Lucrèce de même, annonçant des cataclysmes
dus à la lutte entre le feu et l’eau, mentionne la catastrophe de
Phaéthon (V, 390-406) pour conclure :
scilicet ut veteres Graium cecinere poetae,
quod procul a vera nimis est ratione repulsum.

Ces rencontres ne paraîtront point négligeables à qui se souvient


du sens que prend le mythe de Phaéthon à l’époque tardive. La
transfiguration du héros, son rôle dans la symbolique de la survie
et de la régénération pourraient bien n’être qu’un retour à des
significations archaïques obscurcies par une éthique hostile à tout
dépassement (1). Il nous faudra revenir à Phaéthon à propos des
théories des philosophes sur la purification du monde par le feu,
et, sur un autre plan, à propos des légendes des foudroyés.

* * *

Deucalion est un éprouvé par l’eau. Son épreuve nous a été


transmise dans trois versions différentes.
1. Il s’échappe sur un radeau. Jupiter constate qu’il est un juste
et inteirompt l’inondation afin de le sauver (Ovide).
2. Sur le conseil de Prométhée, il s’enferme dans un coffre et
aborde sur une montagne où il se réconcilie avec Zeus. L’idée que
Zeus est une fois de plus joué par Prométhée reste sous-jacente.
Elle se révélerait peut-être si nous lisions intégralement les récits
résumés par Apollodore. Dans sa narration, seul le détail du coffre
permet de déceler une ordalie archaïque.
3. Ovide a conservé dans la XVe Héroïde une histoire totalement
aberrante, trop étrange pour qu’on puisse la négliger. Sapho an­
nonce à Phaon que, pour se libérer de son amour, elle va imiter

(x) Nonnus (XL, 39g) le compare au Phénix. Voir aussi XXI, 247 et Fr. Cumont,
RHR, t. CIII (1931), p. 34 sqq.
— 6o —

Deucalion et, comme lui, se jeter dans la mer du haut du promon­


toire de Leucade :
Hinc se Deucalion Pyrrhae succensus amore
inisit, et illaeso corpore pressit aquas ;
nec mora, versus amor fugit lentissima mersi
pectora, Deucalion igné levatus erat (167-170).

On admettra volontiers qu’Ovide est seul responsable de l’affabula­


tion romanesque qui justifie la plongée. Lorsqu’il écrit, le cap à
l’extrême ouest de la presqu’île (devenue une île lorsque l’isthme
eut été coupé) a encore deux valeurs : le saut dans la mer guérit
du mal d’amour ; et, chaque année, à la fête d’Apollon qui avait
là un temple, on précipite un coupable en guise de pharmakos,
en lui donnant des chances de salut (Strabon, X, 2, 9, p. 452).
Antérieurement à sa consécration apollinienne, le promontoire,
comme d’autres parmi les nombreuses Pierres Blanches que l’on
montrait en Grèce, avait eu probablement un sens funéraire, lié
à la traversée qui conduit les morts vers une île bienheureuse (1).
Hermès et les âmes des prétendants qu’il mène vers l’outre-tombe
par les routes humides longent d’abord une Aeu/càç nérpr) (Od.
XXIV, h).
On ne saurait trop déplorer d’en être réduit à ce vestige romancé
d’une tradition qui associait Deucalion à une plongée de régénéra­
tion toute différente du déluge. L’anagramme Leucadion /Deucalion
a pu fixer le conte à cet endroit, mais non le créer (2). Le récit
d’Ovide est étrange dans tous ses détails. Sapho amoureuse prend
comme modèle un homme épris d’une femme. Dans la bonne tradi­
tion classique, que consacrent implicitement les Héroïdes, l’homme
seul est objet d’amour : trois lettres seulement sont adressées par
des hommes à des femmes ; celle de Pâris et celle d’Acontius sont
probablement apocryphes. Strabon (X, 2, 24) cite comme premier
plongeur à Leucade, non Sapho ainsi que le veut Ménandre, mais
Céphale épris de Ptérélaos. Dans la liste de Ptolémée Héphestion
(Photios, 153 A), il y a des femmes éprises d’un homme et des
hommes épris d’un jeune garçon (3). Une Pyrrha amoureuse de1 2 3

(1) Glotz, Ordalie, p. 48 ; J. Hubaux, Le plongeon rituel et le bas-relief de l’abside


de la Porta Maggiore, Musée Belge, t. XXVII (1923), p. 28.
(2) Cf. Œdipe, p. 64. Sur l’équation Leucarion-Deucalion, cf. H. Usener, Rh.M.,
t. LVI (1901), p. 482 = Kleine Schriften, XV, p. 383.
(3) Sur la place des homosexuels à Leucade, cf. Hubaux, Plongeon rituel, p. 30
— 6i —

Deucalion s’expliquerait mieux ici que l’image, sur laquelle Ovide


insiste, d’un Deucalion brûlé par l’amour, puis délivré de ce feu,
comme si le poète voulait rendre sensibles les valeurs ignées inscrites
dans le nom de la Rousse.
*
* *

Comme l’eau, le feu a des vertus cathartiques attestées par des


dizaines de rites. Il servait comme elle à des ordalies. Il figure aussi
dans des méthodes de régénération. Mais pour peu que l’on suive
avec quelque attention les croyances auxquelles on le trouve associé,
on lui trouve une ambivalence qui lui est propre et qui explique
que le baptême de feu, à l’échelle terrestre comme à l’échelle indivi­
duelle, n’a pas pris la même importance que le baptême par l’eau.
Il faut partir de Y ordalie. Dans Antigone (264-6), les gardiens du
corps de Polynice, accusés de négligence par Créon, se déclarent
prêts à prendre en main des fers rouges, à marcher à travers le feu
et à jurer devant tous les dieux qu’ils sont innocents. L’épreuve
n’est là qu’une confirmation du serment, par lequel du reste le
jureur se met à la disposition des dieux. « Dans la justice primitive,
dit G. Glotz (Ordalie, p. 7), le mode de preuve n’est pas séparé de
la sentence. On ne condamne pas un coupable à une peine capitale,
on l’expose à un danger capital. » L’image évoquée est au surplus
mythique plutôt que réelle. Les esclaves grecs pouvaient être mis
à la question, mais le basanos, comme le tormentum latin, comportait
surtout des coups, des torsions, l’épreuve de la roue. Le feu n’y figure
que dans les lamelles rougies qu’on introduisait sous les ongles.
D’autre part, je ne vois dans le légendier grec qu’un seul conte
d’épreuve par le feu, celui des trois frères scythes, rapporté par
Hérodote (IV, 5). Du ciel tombent une charrue, un joug, une hache
et un vase d’or massif, qui se mettent à brûler quand les deux aînés
veulent s’en emparer. Le feu s’éteint pour le troisième qui peut ainsi
les saisir et devenir roi. Cette carence, dans le domaine du droit
comme dans celui du conte, peut surprendre, car l’ordalie « par

et son analyse de l’histoire de Timagoras amoureux de Mêlés (Paus. I, 30, 1) ainsi


que son rapprochement avec l'Apocalypse de Pierre où les invertis sont à l’infini
précipités d'une hauteur qu’ils doivent ensuite regravir péniblement. — Parmi
les femmes qui firent ,par amour, le saut de Leucade, M. Labarbe me rappelle Calycé
éprise d’Euathlos, pour laquelle Stésichore, dit Aristoxène, avait écrit une chanson,
qui serait, si le fragment est authentique, notre plus ancien témoignage sur le
plongeon (Athénée, XIV, 619 D).
— 62 —

l’attouchement du feu » existait encore dans l’ancienne France,


dit Étienne Pasquier dans ses Recherches de la France (IV, 2), au
chapitre intitulé « Manière de preuve que l’on observait quelque­
fois ès causes criminelles ».
Quelques récits nous permettent de distinguer, dans certains
rites, des valeurs plus riches. Mais ils nous entraînent hors de la
Grèce propre et, faute de tout contexte, l’interprétation psycholo­
gique en est malaisée.
A Castabala en Cappadoce, le temple d’Artémis Pérasia — c’est-
à-dire d’une déesse locale assimilée à Artémis — était desservi par
une prêtresse qui pouvait marcher impunément sur des charbons
ardents (Strabon, XII, 2, 7, p. 537). En Étrurie, près du mont
Soracte, était un temple de Féronia où des adeptes possédés par
l’esprit de la déesse parcouraient pieds nus sans paraître en souffrir
un long espace de terrain couvert de charbons ardents et de cendres
chaudes (Strabon, V, 2, 9, p. 226). Dans la même région était un
temple d’Apollon, identifié probablement, lui aussi, à quelque
daimon indigène. Lors du sacrifice annuellement offert au dieu,
les membres des quelques familles qui composaient la gens Hirpia
marchaient sans se brûler sur un bûcher ardent (1), à cause de quoi
un sénatus-consulte leur avait accordé une exemption perpétuelle
d’impôts et de toutes autres charges. A propos d’Aruns l’Étrusque,
Virgile se souviendra de l’aptitude héréditaire des Hirpii (Én., XI,
785). Aussitôt apiès l’avoir mentionnée, Pline (VII, 2) ajoute que
le feu refusa de consumer le gros orteil de Pyrrhos roi d’Épire et
que l’organe épargné fut conservé dans un reliquaire et confié à
un temple.
Ces exemples sont bons à rapprocher. Il y a peut-être ordalie
dans le premier cas : les femmes devaient-elles subir l’épreuve
pour être admises à servir la déesse, ou bien le service leur valait-il
cette immunité ? Les anciens ne semblent pas s’être posé la question.
Les personnes inspirées, dit Jamblique (De myst., III, 4), ne sont pas1

(1) Dans le Figaro du 24 mai 1962, Harry Gerson raconte avoir assisté à Lan-
ghada, dans la Grèce septentrionale, à une fête traditionnelle, pratiquée depuis
douze siècles par la secte « mi-religieuse mi-païenne » (sic, entendons probablement
mi-chrétienne, mi-païenne) des Anastenaridès qui chaque année, à pareille époque,
dansent pieds nus pendant des heures sur des charbons ardents, en tenant des icônes
de saint Constantin et de sainte Hélène. Ils poussent des cris et des soupirs, tandis
que des tam-tams les excitent. « Le rituel terminé, l’exaltation générale tomba
tout d'un coup et les neuf exécutants, huit hommes et une femme, montrèrent
la plante de leurs pieds parfaitement intacte, a
— 63 —

brûlées par le feu qui les épargne à cause de l’esprit divin. Dans les
deux temples étrusques existe de même une élection marquée par
une sorte d’entente entre le feu et les élus, puis respectueusement
sanctionnée par le Sénat romain.
En dehors de toute inculpation exprimée ou sous-entendue,
la valeur revigorante du feu apparaît dans un rite universellement
pratiqué, soit au moment du solstice d’été, soit, plus significative­
ment et peut-être plus anciennement, au printemps : le saut par­
dessus un feu allumé. La valeur d’ordalie semble là complètement
oubliée.
Le bonfire serait inconnu dans le monde hellénique sans une
note de Théodoret au passage du IVe livre des Rois (16, 4), qui
raconte comment le roi Achaz fit passer son fils à travers le feu,
conformément aux rites abominables des païens : « J’ai vu dans
certaines villes, dit-il, une fois par an, allumer des feux sur les
places ; les gens sautaient par-dessus, non seulement les enfants,
mais les hommes ; les bébés traversaient la flamme dans les bras
de leurs mères. Cela semblait destiné à écarter le mal ou à pu­
rifier» (1).
Le saut avait certainement des vertus plus nombreuses. Dans
la fête romaine des Palilia (21 avril), les feux sont clairement asso­
ciés à des rites de fécondité. Les Vestales ont pétri et brûlé sur
l’autel de la déesse un mélange composé de fanes de fèves et des
débris des veaux enlevés au ventre de leur mère quelques jours
auparavant, aux Fordicidia. On en purifie les maisons et les étables,
on le répand par terre, on le consume sur l’autel de famille. On brûle
ensuite du soufre jusqu’à ce que la vapeur fasse tousser les brebis.
On allume sur le foyer des branches d’olivier mâle, de pin et de
laurier, feuillages toujours verts qui sont un symbole de pérennité.
Puis on fait flamber dans la campagne des tas de foin sec assemblés
d’après certains rites, que les paysans franchissent d’un saut. Ti-
bulle (II, 57) a pris plaisir à les voir bondir par-dessus la flamme
sainte. Au début de l’Empire, ce spectacle folklorique attirait
probablement les gens de la ville. Properce a été déçu par ces
rustres aux pieds sales :
...Super raros faeni flammentis acervos
traicit immundos ebria turba pedes (IV, 4, 77).1

(1) *EÙ6k€l dirorpomaofios tîvat fj Kadapois Patrol, gr., t. 80, col. 780.
— 64 —

Le saut dans la flamme termine une fête où le feu, sous plusieurs


aspects, depuis le plus sacré, celui de Vesta, jusqu’au plus populaire,
joue le rôle principal. Ses acteurs en sentaient si vivement le ca­
ractère sexuel (i) qu’ils l’appelaient aussi Parilia, montrant ainsi
que la fête pour eux avait un aspect apparenté à ce que signifie le
verbe pario. Et c’est en vertu d’une très juste divination psycholo­
gique que Properce, dans la même élégie, fait partir Tarpéia,
vestale coupable, à la rencontre de Tatius pour qui elle brûle
d’amour, précisément en cette nuit de liesse où les tas de foin
flambent à travers la campagne. Vesta pour accélérer sa perte
allume par vengeance des torches dans ses os. Aucun texte peut-
être ne rend plus sensible l’ambivalence du feu que ce contraste
poétiquement saisi entre des ardeurs criminelles et les paisibles
feux campagnards.
On chercherait en vain dans le monde hellénique une fête où
le feu joue le rôle qu’il tient dans les Palilia. Ce n’est pas que nous
manquions de traditions concernant des holocaustes. Mais nulle
part ils n’ont l’immédiate intelligibilité du rituel romain. Aux
Grandes Dédalies béotiennes, on brûlait sur le Cithéron des ani­
maux vivants, des bêtes sauvages, des oiseaux et des fruits, ainsi
que de grossières statues de bois qui, aux petites Dédalies précé­
dentes, avaient servi, semble-t-il, à représenter un « mariage de
mai ». Holocauste également d’animaux vivants à la fête en l’hon­
neur des Curètes à Messène, et à celle de Coronis dans le temple
d’Athéna à Titane, mais où les victimes étaient peut-être préala­
blement égorgées. Même incertitude en ce qui concerne le rituel
d’Artémis Laphria à Patras, à Hyampolis, à Delphes. Argos célé­
brait une 7Tvpcrwv èopTri sur le mont Larissa et à Lyrkeia, mais
on ne sait même pas si des sacrifices y étaient accomplis. L’immense
bûcher rituel découvert en 1920 sur l’Œta n’a pas livré son secret.
Ces fêtes concernent presque toutes des pays restés arriérés ou
fort déchus à l’époque d’où datent les témoignages. Elles sont
extrêmement mal connues, même celle des Daidala pour laquelle
nous avons deux descriptions assez détaillées mais qui sont en dé­
saccord quant à la périodicité des rites, élément capital pour un
essai d’interprétation. C’est dire qu’a fortiori toute tentative reste
vaine de découvrir une commune mesure qui donne une dimension1

(1) Voir Gaston Bachelard, Psychanalyse du feu, pp. 35 sqq.

Æ
- 6 5-

psychologique aux rituels helléniques du feu (i). Nilsson y entrevoit,


probablement avec raison, au moins dans un certain nombre de
cas, des «Jahresfeuer» avec «Fruchtbarkeitszauber». Encore
cette formule lui est-elle dictée par des parallèles étrangers plutôt
que par le peu qu’on sait des fêtes grecques. Pour la préciser — ou
pour la corriger éventuellement — il faudrait savoir ce qui était
brûlé, par qui, avec quelles cérémonies, et de quels animaux il
s’agissait : ceux qu’on souhaitait voir se multiplier, ou ceux qu’on
souhaitait détruits ? Or, en général, nous ne sommes renseignés
que par un voyageur qui répète ce que les prêtres lui ont dit. Ceux-ci
ne pouvaient prévoir ce qui nous intéresserait aujourd’hui et le
narrateur se soucie assez peu de nous apporter un calendrier exact.
Tout approfondissement psychologique est ici impossible.
L’amphidromie, rite familial, apparaît bien comme une litote
rituelle d’un passage à travers le feu, analogue à celui que les
Hébreux n’ont point pardonné au roi Achaz d’avoir fait subir à
son fils. Frazer a réuni des exemples assez nombreux qui montrent
le rite survivant encore aujourd’hui au Mexique, à Madagascar et
ailleurs. Il rappelle qu’en Écosse, au XVIIIe siècle, après le baptême,
l’enfant était passé trois fois à travers le feu ; c’était parfois le
père qui sautait par-dessus le foyer, tenant l’enfant dans ses bras (2).
Le sens complet du rite est probablement de fortifier le nouveau-né à
condition qu’il ait pu supporter l’épreuve. Mais le caractère d’ordalie
est totalement effacé de la liturgie telle qu’on le pratiquait en
Grèce. Elle se révèle toutefois dans ce passage de Théétète (160 E)
où Socrate, comme son disciple vient de lui définir la science, déclare
qu’il faut procéder à 1 ’amphidromie du raisonnement nouveau-né,
pi) Xadr/ 17 /nâî ovK àtjiov Sv rpo<f>rjs to yiyvo/xevov, àAA’ àvefuaîôv re
Kal i/ieCSoî, « pour le cas où, à notre insu, le nouveau-né ne vaudrait
pas la peine d’être élevé ». Cela est d’autant plus frappant que l’am­
phidromie ne semble comporter nulle part l’exclusion éventuelle d’un
enfant. Là où l'apothésis existait encore, c’est-à-dire l’obligation1 2

(1) Daidala, Paus. IX, 3, 3 ; Eus. Prépar. év., III, 1, 6, citant Plutarque; Nilsson,
Griechische Feste, p. 50. — Fête des Curètes, Paus., IV, 31, 9 ; Gr. Feste, p. 433. —
de Coronis, Paus., II, 11, 7 ; Gr. Feste, p. 410. — d'Artémis Laphria à Patras,
Paus., VII, 18,8-11 ; Gr. Feste, p. 218. — à Hyampolis, Paus., X, 35, 9 ; Gr. Feste,
p. 221. — à Delphes, infra, p. 112. — Bûchers d’Argos, Paus., II, 25, 4 ; Gr. Feste,
p. 470. Sur le bûcher de l’Œta, M. P. Nilsson, Flammentod des Herakles, A R W,
t. XXI (1922), p. 310 et Fire-festivals, J. H. S., t. XLIII (1923) p. 144.
(2) Youth of Achilles, Class. Rev., VII (1893), p. 293. Sur ces usages dans l'ancien
monde germanique, cf. Jan de Vries, Altgerm. Religions geschickte, §§ 316 et 337.
— 66 —

pour les parents de faire, ou plutôt de laisser périr un nouveau-né


anormal, celui-ci est exclu dès la naissance, et aucune amphidromie
n’a lieu.

* * *

L'amphidromie n’est qu’une course autour du feu, non une


traversée du feu. Les légendes, sur ce point, en disent plus que les
rites, encore qu’elles se présentent souvent chargées de significa­
tions intruses qui en altèrent la valeur primitive. Un caractère
néanmoins qui leur est commun à toutes, et qu’il est peut-être utile
de souligner, car jusqu’à présent il ne semble pas avoir été dégagé
avec toute la netteté nécessaire, c’est que l’action du feu est presque
invariablement décrite négativement. L’exposition en montagne et
l’immersion dans le coffre ont gardé l’une et l’autre leur caractère
d’ordalie, terminées, comme il se doit, par la victoire et l’exaltation
du héros. L’épreuve du feu, bien plus dangereuse encore, devrait
assurer une promotion plus haute, qui en effet apparaît parfois,
mais souvent de façon telle que le feu ne semble pas en être l’instru­
ment. Dans la plupart des cas, il y a échec. Ou encore le feu est dé­
gradé en moyen de vengeance.
Un classement des légendes permettra de voir comment l’anti­
quité grecque a récusé le jeu, comment elle lui a dénié les valeurs
que tant d’autres peuples lui ont reconnues.

X. Feu immortalisant.

Des enfants sont soumis à une flamme qui doit consumer en eux
ce qu’ils ont de périssable et les rendre immortels. C’est ce que veut
faire Déméter pour Démophon, Isis pour l’enfant d’Arsinoé, Thétis
et Médée pour leurs propres enfants. Aucune des tentatives ne
réussit. L’échec est la forme la plus bénigne de l’affectus défavorable
qui colore toutes ces histoires et qui n’a pas cessé d’aller s’accen­
tuant. Dans une tradition tardive, nous l’avons vu, Thétis devient
une meurtrière qui agit par ressentiment envers Pélée. Il faut re­
monter aux Corinthiaca du poète Eumélos pour découvrir une
Médée pleine de bonnes intentions à l’égard de ses enfants. Ceux-ci,
à Corinthe, jouissaient d’un culte : on le liait à une légende — de
laquelle, au surplus, le thème du feu avait totalement disparu —
— 67 —

qui les représente assassinés par leur mère pour offenser Jason, ou
par les Corinthiens pour venger un crime de Médée (i).
La dégradation est complète dans la tradition qui veut qu’Héra-
clès ait jeté dans le feu ses enfants et ceux d’Iphitos (Apoll., Bibl.,
II, n-12). L’intention immortalisante a totalement disparu. Il
ne reste que l’acte d’un fou. Celui-ci, chez Euripide, tue à coups de
flèches et de couteaux, le feu perdant toute nécessité s’il n’est pas
l’instrument d’un rite.

2. Héros frappés par la foudre.

Le feu, normalement, devait signifier leur apothéose. Zeus fou­


droie ceux qu’il veut honorer. Si leur corps disparaît aux yeux de
tous, c’est qu’il a été enlevé au ciel. La foudre tombe sur le tom­
beau de Lycurgue parce que nul homme n’a été plus saint et plus
aimé des dieux. Le cadavre d’un homme foudroyé reste intact,
épargné des chiens et des oiseaux. Le culte sur ce point confirme
une croyance populaire qui n’a jamais varié. Mais la légende,
attestant l’ambivalence du sacer, présente ces élus comme des cou­
pables dont le feu divin a puni le crime. Celui-ci est invariablement
une impiété, une usurpation sur les droits des dieux. Asclépios a
ressuscité un mort ; Phaéthon a voulu conduire le char lumineux ;
Sémèlé a désiré voir Zeus dans sa splendeur ; Salmoneus a imité
son tonnene ; Orphée (Paus., IX, 30, 5) a révélé aux hommes ce
qui devait leur rester caché ; Capanée a péché par démesure. Capa-
née cependant avec les autres chefs avait une effigie à Delphes
(Paus., X, 10, 3) et peut-être davantage à Éleusis où était sa tombe,
près de la route conduisant à Mégare, à l’endroit du bûcher.
Euripide nomme celui-ci un drjcravpôs et Capanée un Upós veKpôs,
Sémélé reçoit à Delphes un culte sur lequel nous reviendrons.
Zojet èv ’OAupLTrtoiç àiToSavoîaa ßpop.w Kepavvov, dit Pindare (01. II,
27), sans marquer entre les deux événements autre chose qu’une
succession temporelle. Que la foudre ait été, immédiatement, l’in­
strument de son assomption, cela n’apparaît explicitement qu’à
l’époque tardive : « Zeus enlève Sémélé à travers la foudre », dira
Aristide au second siècle de notre ère, à une époque où les valeurs
du feu retrouvent le caractère positif que la pensée légendaire de1

(1) Voir supra, p. 36 ce qui concerne ces tentatives manquées ; pour l'histoire,
très confuse, des enfants de Médée, cf. Angelo Brelich, S. M. S. R., t. XXX (1959),
fasc. 2.
— 68 —

l’époque classique leur refusait. C’est alors aussi que Minucius Felix
(XXII, 7) dit d’Asclépios ut in deum surgat fulminatur, retrouvant
ainsi une signification archaïque qu’Euripide méconnaît.
Les mêmes hésitations, les mêmes ambiguïtés apparaissent
dans les traditions rapportées par Tite-Live au sujet des rois de
Rome. Ceux qui prétendaient que Romulus avait disparu après
avoir été foudroyé faisaient de lui l’objet d’une glorieuse apothéose.
Le parallélisme entre le premier et le troisième roi fit attribuer une
fin analogue à Tullius Hostilius. Mais cette fois Jupiter, irrité
contre lui à cause de son impiété, a voulu le punir en le frappant de
la foudre et en incendiant tout son palais (1).

3. Le bûcher royal.

La comparaison avec les faits orientaux (2), avec l’apothéose des


empereurs romains, montre bien que l’incinération du roi mort est
un rite d’immortalisation. Cette valeur n’apparaît jamais dans les
textes grecs qui mentionnent le bûcher funéraire. Quand c’est un
vivant qui se précipite dans le feu, la signification religieuse est
invariablement rabaissée.
S’il s’agit d’une héroïne, elle se tue, dit-on, pour suivre son mari.
Évadné (3), Laodamie, refusent de survivre à leur époux. Œnone,
dont le suicide n’est peut-être qu’une réplique à celui de Laodamie,
se tue de douleur, faute d’être arrivée à temps pour sauver Pâris.
Didon fut honorée comme déesse à Carthage aussi longtemps
que le pays conserva son indépendance (Justin, XVIII, 6, 8) ; rien
de semblable n’apparaît dans la tradition littéraire, qui veut qu’elle
se poignarde parmi les flammes par désespoir d’amour.
L’intention malveillante s’accuse davantage quand il s’agit
d’hommes, personnages légendaires ou historiques. L’apothéose1 2 3

(1) Les textes ont été groupés par Rohde, Psyche, I, p. 133 et Anhang, p. 320;
U n’attire l'attention que sur ceux qui attestent les valeurs positives du feu et
il remarque sans l’expliquer la disparate incluse dans les légendes où l’apothéose
est présentée comme un châtiment. — Sur Capanée, cf. Eur., Suppl., 337 et 1010.
Ch. Picard a peut-être raison de voir dans Capanée et Évadné le couple préhistorique
honoré à Éleusis et de les mettre en rapport avec la mise au feu de l'enfant Démo-
phon, « seul témoin d’une magie isolée et qui n’a pas tenu », R. H. R., t. CVII (1933).
p. 137-
(2) Sur les bûchers royaux dans les monarchies orientales, cf. J.-G. Frazer,
Adonis, ch. VII et A. Severyns, La Grèce et l’Orient avant Homère, p. 78.
(3) Une autre Évadné, sœur d'Alceste, accepte de tuer son père Pélias en espé­
rant le rajeunir : associée par conséquent à un autre rite de régénération.
— 6g —

de Crésus, comme celle de Sémiramis (Hygin, fable 243) est repré­


sentée comme un suicide succédant à une défaite. Pausanias, III,
22, 4) et Ovide (Ibis, 517) disent de Broteias qu’il monta volontaire­
ment sur le bûcher parce qu'il était laid, ou encore parce que Zeus
l’avait rendu aveugle afin de le punir de sa méchanceté. Des scholies
récentes de l’Ibis font de lui un fils de Jupiter ou de Vulcain. Le
nom du personnage est probablement significatif : il fait entrevoir
le conte d’un mortel qui aspire témérairement à la condition divine.
Le dénigrement qui a systématiquement dégradé la mort par cré­
mation a rendu l’histoire de Broteias complètement inintelligible (1).
Empédode au début de l’époque classique, Calanos et Pérégrinos
à la fin agirent comme Broteias. Nous ne nous étonnerons pas de
trouver empreints de malignité tous les jugements qui les con­
cernent.
Empédocle disparaît au cours de la nuit qui suit un banquet.
Quelqu’un dit avoir entendu une voix forte qui appelait Empédocle,
puis avoir vu une lumière divine et des torches allumées. Son
fidèle Pausanias dissuada ses amis de continuer leurs recherches,
disant que ce qui était arrivé était conforme au vœu du maître et
qu’il fallait lui sacrifier comme à un dieu. Hippobote racontait qu’il
s’était jeté dans le cratère pour confirmer par sa disparition le
bruit selon lequel il était devenu dieu ; mais que la vérité avait été
révélée, un de ses souliers ayant été rejeté par le volcan : interpréta­
tion que Pausanias s’employa vainement à réfuter.
Après ce récit, Diogène Laërce cite une épigramme qui dit (2) :
« Toi aussi jadis, Empédocle, ayant purifié ton corps par la flamme
agile, tu as bu le feu aux cratères immortels... » Ces deux vers
impliquent une croyance générale à la vertu cathartique et à la
vertu immortalisante du feu. Mais que vient-il ensuite ? « Dirai-je
que, délibérément, tu t’es jeté dans le flot de l’Etna ? Non ! En
voulant te cacher, tu tombas sans l’avoir voulu. »
Même sans dégrader de la sorte l’éclatant suicide en accident
involontaire, d’autres jugements sont tout aussi ironiques.* 5

(1) Sur Broteias, cf. Ed. Gerhard, Rh. M., t. VIII (1853). Le scholiaste d'Oreste,
5, donne pour enfants à Tantale Pélops, Broteias et Niobé, c’est-à-dire que Broteias
a pour frère le héros d’une immortalisation par coction.
(2) VIII, 68-9. Anth. Pal., VII, 123. Je lis avec les mss nvp iiro Kp-qT^ptav cnmes
àdavârajv. S. Eitrem, Mysterienweihe, t. V, p. 47, a très bien vu que les traditions
concernant la mort d’Empédocle (Diog. Laërce, V, 69) — il se jette dans l’Etna,
ou il périt en mer, ou il tombe de voiture, ou il se pend — impliquent un retour à
l’un des quatre éléments.
— 70 —

Deus immortalis haben


dum cupit Empedocles, ardentem frigidus Ætnam
insüuit,
raille Horace [Art poét., 464-6).
Et lorsque Ménippe le rencontre aux Enfers, tout couvert de
cendres et de brûlures, c’est pour dire que seuls sa gloriole, sa vanité
et un fort coryza l’ont poussé dans l’Etna (1).
C’est avec une malignité toute semblable que Lucien parle du
philosophe cynique Pérégrinos, surnommé Protée, qui se brûla en 165,
dit Eusèbe, sur le bûcher d’Olympie. On devrait, dans des juge­
ments de ce genre, pouvoir faire la part du sentiment à l’égard du
suicide en général. Mais cela aussi est ambigu. Les législations
d’Athènes et de Sparte étaient à ce sujet aussi sévères que l’an­
glaise (2). Les poètes toutefois ne cachent pas leur admiration
pour ceux qui se détruisent afin d’échapper au déshonneur, comme
l’Épicaste ou l’Ajax homériques. Et quoique les cités eussent
condamné ceux qui s’évadaient de la vie, plus d’un fut glorifié
après sa mort. Les poètes, au fond, pensaient volontiers comme
Sénèque : Par ille est superis cui pariter dies et fortuna fuit (Hercule
sur l'Œta, 104), ce qui ne va pas sans bien des nuances. Euripide
exalte plusieurs héros qui se tuent, et loue toutefois Thésée de
détourner Héraclès d’un suicide qu’il juge indigne d’un tel héros,
ou, si l’on veut, parce qu'il estime qu’il est des cas où vivre exige
plus de courage que mourir.
Seul, le bûcher d'Héraclès sur l’Œta a gardé aux yeux des anciens
sa pleine signification religieuse et sa valeur immortalisante. Encore
faut-il remarquer que, seule dans toute la littérature conservée, une
brève allusion des Héraclides (910-912) établit une relation entre la
combustion du corps d’Héraclès et son séjour dans le ciel. En dehors
de ce passage, aucune tradition hellénique, à notre connaissance,
ne conjoint les éléments de l’histoire, si bien que feu, vertu et apo­
théose n’apparaissent jamais que dissociés. Pindare dans la IVe 1 2

(1) D. des morts, XX, 4, p. 416; même note dans Hist, vraie, II, 21, p. 119. —
« La mort totale et sans trace est la garantie que nous partons tout entiers dans
l’au-delà » dit Gaston Bachelard dans le chapitre de sa Psychanalyse du feu qui
s’intitule précisément « le complexe d’Empédocle ». La sandale rejetée par le volcan
symbolise l’échec du suicide du philosophe. C’est pour obtenir une « mort totale
et sans trace » que les empereurs romains étaient brûlés deux fois, une image de
cire étant anéantie sur le bûcher après l’incinération du cadavre (infra, p. 76).
(2) Textes apud Thalheim s. v. Selbstmord, P.-W. 1921 ; sur le suicide d’Ajax,
voir mon article The Last Giants, voir aussi P. Cumont, Lux perpétua, p. 334 sqq.
— 7i —

Isthmique parle de la divinisation d'Héraclès sans mentionner la


crémation : le héros est devenu un ami honoré des Immortels,
gendre de Zeus et de Héra, après avoir parcouru les terres et les
gouffres marins qu’il a purgés de leurs monstres. Le bûcher est
raconté dans les Trachiniennes, mais, si Héraclès y monte, c’est
parce qu’il ne peut supporter ses souffrances, dont la cause immédiate
est la naïveté de Déjanire et la cause véritable sa propre démesure.
Il a traîtreusement assassiné Iphitos, mis à sac Œchalie pour
s’emparer d’Iole qu’il impose à sa femme puis à son fils ; il tue
atrocement Lichas et ne demande qu’à égorger ensuite la pauvre
Déjanire. « La scène ainsi conçue est tout le contraire d’une apo­
théose. Cet Héraclès-là n’est pas fait pour devenir un immortel. Il
meurt sans espoir de survie, sans même songer au renom qui per­
pétuera sa mémoire sur cette terre. Il meurt tout entier, se faisant
seulement gloire d’accomplir avec joie un exploit qu’on n’achève
jamais qu’à contrecœur. » Paul Mazon (i) définit là très précisé­
ment l’étrange affectus négatif qui, sur un point ou sur un autre,
se décèle dans toutes les légendes inspirées par les liturgies du feu.
Remarquons d’autre part que, si un Héraclès transfiguré apparaît
à la fin de Philoctète pour dénouer du haut du ciel le drame de
conscience qui tourmente Néoptolème, l’action divinisante du feu
n’y est pas mentionnée. Il faut attendre l’époque romaine pour
voir conj oindre les trois thèmes.
Le récit des Métamorphoses débute comme l’action des Trachi­
niennes, après quoi le héros jette à la mer Lichas qui se transforme
en rocher ; il donne son arc à Philoctète et, enfin apaisé, il lui
commande d’élever un bûcher. Il s’y couche :
...Imposita clavae cervice recumbis
hand, alio vultu quam si conviva jaceres
inter plena meri redimitus pocula sertis (IX, 236).

La flamme atteint enfin celui qui la méprise ; quatre chevaux le


transportent parmi les astres. Ovide matérialise là, comme il le
fait souvent, ce qui devrait rester mystérieux. En fait, les dieux
enlèvent au ciel celui auquel ils accordent l’apothéose, celle-ci1

(1) Notice à sa traduction dans la collection des Grandes œuvres de la littérature


grecque, 1950, p. 262. — Pour la réalité cultuelle qui peut correspondre à la légende
voir l’étude de M.-P. Nilsson sur le bûcher découvert en 1920 par Pappadakis sur
l’Œta : Der Flammentod des Herakles auf dem (Eta, A. R. W., t. XXI (1922), p. 310
et Fire Festivals, J. R. St., t. XLIII (1923), p. 144.
— 72 —

étant prouvée par le fait qu’il ne reste pas d’ossements dans le


bûcher (i).
L’Hercule de Sénèque passe de même, un peu trop rapidement,
de la fureur à la sérénité. Une vision lui révèle le ciel qui s’apprête
à l’accueillir. Philoctète ayant élevé et embrasé le bûcher, le héros
reparaît pour se proclamer dieu. On distingue là, tout esquissée,
l’évolution qui allait transformer Héraclès en un héros sauveur que
la propagande païenne opposerait à Jésus, tandis que les chré­
tiens eux-mêmes verraient en lui une figure annonciatrice de celle
du Christ (2). Cela se passe, remarquons-le, à une époque et dans
un monde où les valeurs religieuses du feu apparaissent environnées
d’un prestige que l’ancienne Grèce ne leur a jamais accordé sans
réserves. C’est à ce moment aussi que se développe dans la littéra­
ture le symbolisme du Phénix.

4. Régénération par le feu.

Il faut ici distinguer deux méthodes. Le rajeunissement se fait


le plus souvent dans un chaudron où l’on met à bouillir celui qui doit
recommencer sa vie. C’est ainsi que Médée rajeunit le vieil Éson
et, sous prétexte d’en faire autant à Pélias, qu’elle amène ses filles
à tuer leur père. La régénération par coction, soutenue par une
image vivante, celle de la matrice où « cuit » celui qui va naître,
figure dans de nombreuses légendes sur lesquelles nous reviendrons.
Tenons-nous en provisoirement à la seconde série, celle des résur­
rections dans la flamme.
Il faut signaler en passant l’étrange aventure d'Ares ; enfermé
pendant treize mois dans la jarre de bronze d’Otos et Éphialtès, il
s’enfuit à Naxos où il se cache dans une pierre « mangeuse de fer »,
comme le dactyle Celmis que ses frères torturent et purifient ainsi
que le fer sur l’enclume. Sur la ciste de Préneste, Mars semble
sortir parmi les flammes d’une jarre brûlante pour être ensuite
oint par Ménerva. La version grecque nous reste énigmatique ;

(1) Diodore (IV, 38-5-39, 1) veut qu’elle résulte à la fois de la combustion et


d’un coup de foudre, après quoi Iolaos et ses compagnons viennent pour recueillir
les ossements et n’en trouvent pas ; voir infra, p. 77, n. 1. — Autre exemple, chez
Ovide, de compromis entre le réel et le merveilleux : Métam., IV, 174 ; cf. Hephaistos,
p. 83.
(2) Cf. Marcel Simon, Hercule et le christianisme, Strasbourg, 1955. Voir aussi
dans Joseph Kroll, Gott und Hölle, une analyse très fine du descensus dans Hercule
sur l'Œta.
— 73 —

la version étrusque nous est parvenue sous la forme d’une image


privée de tout commentaire. On devine là un thème d’initia­
tion ; ici, peut-être, un baptême de feu (i). Tout cela est trop con­
jectural pour conduire à quelque interprétation psychologique.
Er le Pamphylien reprend vie dès qu’il est posé sur le bûcher
(République, 614) : mythe de philosophe dont je ne vois guère,
en dehors de l’histoire du Phénix, qu’un autre exemple dans la
légende hellénique.
C’est la curieuse aventure de Skylla, fille de Phorkys et de Cra-
taïs. Elle nous est parvenue frappée, au plus haut degré, du signe
négatif qui marque plus ou moins nettement toutes celles qui pré­
cèdent. Comme Héraclès revenait d’Érythéia, l’Ile Pourpre, avec
les bestiaux conquis sur Géryon, Skylla lui en vole. Il la tue. Son
père Phorkys la rappelle à la vie en la brûlant. Lycophron, qui
aime à désigner un personnage par l’épisode le moins célèbre de son
histoire, décrit Héraclès par la périphrase que voici : « Celui qui
tua la chienne sauvage, laquelle était aux aguets autour des défilés
de la mer Ausonitide et pêchait du sommet de la grotte, la lionne
tueuse de taureaux que son père rendit à la vie en brûlant ses chairs
à la flamme des torches. »
...fjv avOis TraTTjp
oâpKaç Karaldwv Xopvioiv hwjirjaaro (47 sqq.).

C’est bien aussi ce que dit un passage de Timée conservé par


Diodore : àveÇwnvprjoe 8è avTTjv <PopKvs 6 TraTTjp av-rrjv xavoaç (2). Le
feu est là mentionné nûment, sans allusion à un bûcher ou à la
flamme d’un autel. Tzetzès dans son commentaire à Lycophron a
retouché le passage en disant à ttarijp xavoas «al àpetpijcraç Àajnrâacv
èÇcooTwlrjaev, ramenant la combustion à une coction. Gardons
l’image la moins banale. Skylla brûlée renaît pour devenir un
àddvarov xaKov, comme dit l’Odyssée (XII, 85). Elle sera le génie du
gouffre entre Italie et Sicile où se trouvera éprouvée la valeur
d’Ulysse et, chez Apollonios de Rhodes, celle des Argonautes.
Si bien que celle qui a subi l’épreuve du feu infligera à son tour
l’épreuve de l’eau, la même que doit subir son homonyme Skylla
fille de Nisos. Celle-ci, par amour pour Minos, coupe le cheveu1 2

(1) Cf. Héphaistos, pp. 77 et 127.


(2) Sources apud O. Waser, Skylla und. Charybdis in Literatur u. Kunst der
Griechen und Römer. Waser a très bien vu la paradoxale parenté de Skylla et du
Phénix, légendes semblables frappées A’affectus opposés.
— 74 —

rouge duquel dépend la vie de son père. Minos pour la punir l’attache
à la poupe de son bateau, sur quoi elle est transformée en oiseau.
Savoir si deux histoires homonymes ont pour support deux per­
sonnages ou un seul répond, nous l’avons dit, à une curiosité d’his­
torien et n’a guère de sens lorsqu’il s’agit d’une légende. Nous ne
saurons jamais pourquoi le nom de Skylla est resté fixé à une ordalie
par l’eau d’une part, et, d’autre part, à une régénération par le feu,
ni pourquoi, dans les deux cas, l’interprétation est négative (i).
En effet, les contes qui ont pour centre une ordalie par l’eau
concernent presque invariablement une femme injustement accusée
que son salut réhabilite : telle est Danaé (2). La fille de Nisos fait
exception. Son histoire ressemble à celle de Tarpéia : une fille
trahit son père ou son pays par amour pour un étranger qui la
paie en la tuant ; écrite dans une autre clef, c’est l’aventure de
Desdémone. La fille de Phorkys est également représentée comme
une coupable et sa résurrection comme un malheur. Elle ressemble
au Phénix comme un mauvais ange ressemble à un génie lumineux.
Il est un àddvaTov àyadôv comme elle est un àddvatov kclkôv. Nulle
part la profonde ambivalence du feu n’apparaît mieux que dans
ce rapprochement.
Le mythe du Phénix a grandi à la fois dans l’imagerie païenne
et dans l’imagerie chrétienne de l’antiquité finissante. Il résume
tous les attributs de l’immortalité. Il possède les deux sexes et le
baptême de feu qu’il reçoit périodiquement lui assure un éternel
renouvellement (3). Sa transfiguration a été soutenue par l’excep­
tionnelle beauté de l’image qu’il évoque. C’est ainsi qu’il est devenu
le symbole même de la résurrection des âmes allégées de toute
chair.
Avaas 8’ èv 7rvpl yrjpas, à/xetjSercu eV irvpos xjßr]v,

dit de lui Nonnos (XL, 398).1 2 3

(1) Ovide distingue les deux Skylla dans Mét., XIII, 900 et XIV, 78 et les con­
fond partout ailleurs (Rem. amoris, 737 ; Fastes, IV, 500 ; Héroïdes, XII, 124).
Hygin, fab. 299 nomme Skylla une Danaïde dont le mari s'appelle Proteus : une
meurtrière et un dieu marin.
(2) Du moins dans l’interprétation « sociale » de l’histoire. C’est essentiellement
Persée qui est habilité.
(3) Voir J. Hubaux et M. Leroy, Le mythe du phénix dans les littératures grecque
et latine ; — A.-J. Festugière, Monuments Piot, t. XXXVIII (1941), p. 147 et
La révélation d'Hermès, III, Les doctrines de l’âme, 1953, p. XI ; — C. M. Edsman,
Ignis Divinus, 1949, pp. 178-204 ; — M. Delcourt, Hermaphrodite, 1958, p. 122.
— 75 —

Mythe fait pour enchanter les artistes et les poètes. Et cependant,


il était destiné à être éclipsé dans l’imagerie chrétienne par un
symbole de signification identique, mais chargé d’une valeur hu­
maine et d’une émotion qui lui font défaut : l’épisode des trois jeunes
gens dans la fournaise au troisième chapitre du Livre de Daniel.

On voit ainsi la pensée chrétienne et la pensée païenne donner


ensemble une valeur éminente à deux apothéoses par le feu, celle
d’Hercule et celle du Phénix. La grandeur de ces deux mythes
contraste curieusement avec la malignité des légendes archaïques
où l’épreuve du feu échoue invariablement, à moins que l’affabula­
tion ne la prive de sa signification véritable. Nous sommes ici à
une époque où la faculté mythopoétique n’anime plus des contes
et des légendes, mais des constructions philosophiques et religieuses.
On l’a souvent dite épuisée bien avant la fin du monde classique.
Disons qu’elle a joué sur un autre plan, car qu’est-ce que la gnose,
sinon une mythologie métaphysique ? Cette mythologie savante
s’ouvrait à des conceptions venues des pays voisins et, éclairée
par elles, revenait sur des images que les légendes populaires
n’avaient fait qu'effleurer. Elle en tirait un parti nouveau.
De cet ordre est la vision d’un embrasement régénérateur. Elle
est suggérée par Ovide, esquissée par Nonnos qui la réfère, avec une
sorte de réalisme, à des régions qu’il connaît, celles que le soleil
de tous les jours brûle et dessèche. Bien avant eux, Platon l’avait
fait entrer dans sa cosmogonie. Elle n’était pas faite pour s’em­
parer des imaginations comme le fit la Grande Inondation, qui figure
dans les traditions de presque tous les peuples, tandis que le Grand
Incendie y est assez exceptionnel. L’eau lave, l’eau nourrit, l’eai
est maternelle, l’eau est créatrice. Elle submerge et se retire ei.
laissant derrière elle une boue féconde d’où le premier rayon de
soleil fera surgir des êtres nouveaux (i). Le feu ne purifie qu’en
menaçant de détruire. Même le saut par-dessus le bonjire n’est pas
exempt de danger. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que l’image* I,

(i) C’est l’image que donne Ovide de la vie renaissant après le déluge (Mélam
I, 416 sqq.). La terre engendre sponte sua quand la chaleur du soleil a fait enfler
la fange où se développent les germes des choses, seu matris in alvo. Ovide ne se
demande évidemment pas si les semina rerum préexistent ou si, comme il le dit
plus loin (430), umorque calorque concipiunt par la seule vertu de leur rencontre.
— 76 —

d’une régénération par le feu, absente des légendes, à peine entrevue


par quelques poètes, ait été élaborée presque uniquement par les
philosophes.
Platon exposait le mythe d’Er alors que légendes et traditions
historiques, à l’envi, coloraient de scepticisme ou de malveillance
tout ce qui concerne la magie revigorante du feu. On s’est demandé
où il avait trouvé l’idée d’une résurrection dans la flamme, et l’on a
suggéré quelque emprunt à d’autres systèmes philosophiques.
« Orphiques et pythagoriciens », dans des cas de ce genre, se pré­
sentent complaisamment à l’esprit pour fournir des hypothèses
plausibles et gratuites. Ne vaut-il pas mieux rappeler le passage de
Timée qui situe dans le lointain passé de l’univers une destruction
par le feu suivie d’une régénération, c’est-à-dire, à l'échelle mondiale,
exactement ce qui arrive à El à l’échelle individuelle ? Nulle part
ailleurs dans la littérature grecque classique n’apparaît une image
concrète, poétique, de la Grande Combustion oubliée et destinée
cependant à se reproduire dans la suite des âges. D’autres philo­
sophes ont bien défini le cycle, mais, pourrait-on dire, sans le voir
ainsi que fait Platon.
L’idée qu’une ordalie par le feu attend l’univers, — symétrique­
ment, semble-t-il, à l’ordalie par l’eau qui en marqua les origines —
est un des éléments de la philosopnie d’Héraclite.
« Héraclite affirme, dit Hippolyte, que le jugement du monde
et de tout ce que le monde contient se fera par le feu. La foudre
est au gouvernail de l’univers, c’est-à-dire qu’elle lui imprime sa
direction. Et par foudre il entend le feu immortel. Il tient ce feu
pour intelligent et pour la cause du gouvernement de toutes les
parties. Le feu, dit-il, s’avancera pour juger et condamner toutes les
choses » (fr. 66).
Les historiens reconnaissent généralement le sillage d’Héraclite
dans les idées des stoïciens sur l’âme (i), souffle matériel de nature
ignée, et dans leur conception de la conflagration universelle,
l'èKvvpcucris qui doit mettre fin à notre univers, mais pour en an­
noncer un nouveau. On admet volontiers que l’image fugitive
d’un embrasement du monde dans la cosmogonie ovidienne vient

(i) Opinion à laquelle Karl Reinhardt (Parmenides, Bonn, 1916, p. 169), après
Schleiermacher, a apporté une contradiction pénétrante. Les stoïciens eux-mêmes
s’appuyaient sur l’autorité d’Aristote pour se rattacher à Héraclite (« um sich
selbst überall hineinzuinterpretieren » dit Reinhardt), ce qui nous donne le droit
de parler, du moins sommairement, d’influence.
— 77 —

de la pensée stoïcienne traversée par celle d’Héraclite. A quoi l’on


est tenté d’objecter que la régénération par le feu vient de la psyché
où poètes et philosophes ont trouvé les archétypes qu’ils ont élabo­
rés ensuite, chacun à sa manière, les uns en systèmes, les autres
en contes et en fables. Nous n’avons pas ici à préciser la doctrine
du feu dans les différentes philosophies. Qu’il suffise de souligner
ceci : les rapprochements qui viennent d’être faits attestent l’effroi
que le feu inspire à l’imagination des Hellènes, effroi que les philo­
sophes ont mieux dominé que les poètes. Peut-être en allait-il
autrement à Rome, où une recherche analogue reste à faire. En tout
cas, on est frappé de voir que seuls, à notre connaissance, des
poètes latins de culture grecque — et un poète grec de l’époque
tardive — ont mis en forme, d’une part l’hypothèse du Grand
Incendie détruisant le monde et, d’autre part l’apothéose d’Héraclès
sur l’Œta. Or, ils ont écrit à l’époque et dans le pays où l’apothéose
des empereurs se faisait par la crémation du cadavre d’abord — et,
cela, même au second siècle, quand l’inhumation était devenue de
plus en plus courante — et, ensuite, d’une effigie en cire (i). Aucun
rite de ce genre n’existe dans le monde grec. C’est qu’on n’y trouve­
rait pas davantage, en dehors des systèmes philosophiques, les
idées et croyances qui, à Rome, le sous-tendent.

♦ * *

« Le feu, dit Gaston Bachelard (Psychanalyse du feu, p. 21), est


un phénomène privilégié qui peut tout expliquer,... vraiment le
seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations
contraires ; le bien et le mal. Il brille au Paradis, il brûle à l’Enfer.
C’est un dieu tutélaire et terrible, bon et mauvais. Il peut se contre­
dire : il est donc un des principes d’explication universelle. »1

(1) Sur la double combustion, attestée en 161, en 193, en 211 et en 217, voir
Elias Bickermann, Die römische Kaiserapotheose, A. R. W., t. XXVII (1929), p. 1.
Le funus publicum concerne une poupée de cire à l'image du souverain, exposée,
entourée, éventée, soignée, comme le serait le cadavre lui-même. Le fait qu’il ne
reste aucun os dans le bûcher, d’où l'on fait s’envoler un aigle, prouve que l’empe­
reur a été enlevé par les dieux. (« Étant venus pour réunir les ossements et n’en
trouvant plus trace, rapporte Diodore (IV, 38, 5), ils admirent qu’Héraclès avait
été transporté du monde des hommes à celui des dieux ».) C’est mettre assez naïve­
ment l’action réelle du feu, qui consume totalement la cire, au service de son action
symbolique. Mais il faut se souvenir de ce que dit Bachelard de la « mort totale et
sans trace », signe d’un départ vers l’au-delà. On l’obtenait à Rome au prix d’une
forte tricherie.
— 78 —

Son rôle bienfaisant, nous l’avons vu, n’apparaît guère dans les
légendes des Grecs, sinon pour être nié. On pourrait croire qu’ils
ont été plus sensibles à son autre aspect et qu’ils lui ont donné un
rôle redoutable dans leur eschatologie. Un examen un peu attentif
révèle qu’il n’en est rien.
*
* *

Il faut ici introduire dès le départ une première distinction. Un


au-delà peut être, sans plus, un séjour des morts ou bien il peut être
un lieu de rétribution où les morts, ayant été jugés plus ou moins
explicitement, reçoivent leur récompense ou leur châtiment. La
seconde conception répond à une problématique de la destinée
humaine qui suppose une maturation, un affinement des idées de
morale et de justice. Il est infiniment probable qu’elle s’est en
général ajoutée à la première pour la retoucher. On peut être induit
en Grèce à les confondre parce qu’elles se trouvent juxtaposées
dès le premier texte qui décrit un Au-Delà, la Nekyia homérique.
Du reste, que celle-ci mette en scène des coupables châtiés est préci­
sément un des arguments qui en font admettre le caractère tardif.
Sans vouloir établir d’impossibles relations chronologiques, mar­
quons quelques repères.
Le séjour des morts, chez tous les peuples, est fait d’images oni­
riques où, comme dans les cauchemars, se combinent obscurité,
saleté, poussière, boue, confusion, risque de se perdre, fondrières,
claustration, animaux menaçants. Tel est le Hel de l’ancienne reli­
gion germanique, lieu ténébreux protégé par des remparts et des
portes énormes, situé à l’extrême nord du monde (le ljô<f>os grec),
loin de tout foyer de lumière, traversé par des fleuves qui charrient
une eau bourbeuse (i). Toute semblable est la Schéol hébraïque,
sorte de fosse commune qui reçoit les morts sans distinction de race
ou de mérite, royaume poussiéreux, sombre, silencieux, plein de
trous et de bêtes dévorantes (2). Jahvé est sans rapports avec la
Schéol, sauf dans de pathétiques formules « polaires » qui affirment
son pouvoir d’une extrémité à l’autre de l’univers.
De même, l’Hadès se définit evpdieis Soptos, avr/Xtoi p-oyol.
Des KfAevda evpœevra conduisent èv OKÔrei Kal oKiâ 6avârov.

( 1) F. Wagner, Les poèmes mythologiques de l’Edda, 1936, p. 71.


(2) Gen., XIX, 24 ; Ps.. XI, 6 ; Ézéchiel, XXXVIII, 22 ; — II Samuel, XXII, 9;
Deutér., IX, 3 ; Ps., 96 (97), 3 sqq.
— 79 —

L’outre-tombe hellénique nous est connu par une imagerie


particulièrement riche, qui n’a pas été subordonnée à un paysage
un, cohérent, accepté de tous. Cette absence de toute dogmatique
l’a laissé en contact avec ses origines inconscientes. Le voyage de
l'âme, qui commence au moment de la mort, foisonne de thèmes
apparentés aux phantasmes du cauchemar.
L’âme du mort qui n’a point reçu de sépulture reste errante
autour du tombeau, — pendant cent ans, dira Virgile (Ên., VI,
313). Patrocle supplie qu’on l’enterre afin de n’avoir pas à errer
plus longtemps (II., XXIII, 71). L’errance est pire que l’Hadès
lui-même, où les morts cherchent à se faire accueillir, mais dont les
accès se découvrent difficilement. Beaucoup de peuples non civilisés
imaginent longue et malaisée la route que les défunts auront à
parcourir. Si les Hellènes avaient pensé autrement, ils n’auraient
pas attribué à Hermès ce rôle de psychopompe dont l’eschatologie
chrétienne n’a que faire : en effet, elle accorde une telle importance
a la sanction que celle-ci occupe tout le champ, enlevant tout inté­
rêt, et pour ainsi dire toute existence, au voyage et au séjour des
morts antérieurement à la récompense ou au châtiment définitifs.
Les anciens ont vu les choses tout autrement. Jusqu’à la fin de
l’antiquité, on figure sur les tombeaux, on représente en terre cuite
des barques, des véhicules, des chevaux destinés à faciliter la tra­
versée des routes de l’au-delà (1). Les lamelles d’or trouvées dans les
sépultures indiquent le chemin que le mort devra suivre pour ne
pas s’égarer et lui révèlent le mot de passe qui lui conciliera les
puissances infernales. Lorsqu’il doit passer un fleuve, qui est généra­
lement appelé XlfMvr/, ce qui évoque une eau dormante et plus ou
moins boueuse, la barque est conduite par un être qui inspire la
terreur.

5. Le lieu de rétribution.

Les bons doivent être récompensés, et punis les méchants. C’est


pour illustrer le second terme que les poètes et les peuples ont dé­

fi) Le rôle de saint Michel est simplement de réunir les morts et de les conduire
en paradis, dit la Légende dorée, 142. L’offertoire de la messe des morts demande
au Seigneur : « Libera animas omnium fidelium defunctorum de poenis inferni et
de profundo lacu ; libera eas de ore leonis, ne absorbeat eas Tartarus, ne cadant
in obscurum : sed signifer Michaël repraesentet eas in lucem sanctam », texte
curieux, d’origine sacerdotale, attesté dès le Xe s., et fait d'images plus païennes
que chrétiennes. Cf. Dictionnaire d’archéologie chrétienne, s. v. Mort (H. Leclercq).
Voir aussi F. Cumont, Lux perpétua, p. 276, n. 1 ; pp. 280, 287.
— 8o

pensé le plus d’imagination. Les monotones jardins des ombres


heureuses donnent moins à réfléchir que l’immense répertoire des
châtiments d’outre-tombe. Les anciens Germains sont peut-être
les seuls dont les rêveries aient travaillé au profit des élus au moins
autant que pour la punition des condamnés.
En ce qui concerne le monde hellénique, on s’étonnera de trouver,
sous le grand nom de Franz Cumont, une affirmation dont il m’est
à peu près impossible de rien accepter, mais qui, par sa précision,
permet de bien poser la question.
«Le feu, dit-il (Lux perpétua., p. 324), a toujours servi dans la
mythologie des Grecs, à la punition des pécheurs dans l’Hadès,
et sans doute était-il naturel qu’un traitement infligé aux cri­
minels par des juges terrestres le fût aussi dans l’autre monde.
Parmi toutes les formes de supplices imaginées pour les réprouvés,
celle-ci devait prédominer sur toutes les autres, finir par s’imposer
à la conscience universelle et susciter entre les théologiens des con­
troverses infinies. »
On hésitera d’abord à admettre ce que Cumont semble consi­
dérer comme allant de soi, à savoir que l’imagination humaine
transpose simplement dans l’autre monde les peines appliquées
dans celui-ci. Si, au surplus, c’était exact, le feu n’aurait droit à
aucune place dans l’eschatologie hellénique, car il n’en tient à
peu près aucune dans le droit pénal (supra, p. 61). Les peines authen­
tiquement appliquées par les tribunaux s’inspirent essentiellement
du désir de provoquer la mort sans exposer celui qui la donne au
miasma qui menace tout meurtrier, agît-il même au nom de la
justice (1). Les châtiments infernaux n’ont rien de commun avec
aucun des supplices réellement pratiqués. En revanche, comment ne
pas constater qu’ils sont composés, exactement comme le « voyage
de l’âme », d’images de cauchemar ? Cela apparaît dès le premier
tableau, celui qui se dégage de la Nekyia homérique. Des représen­
tations plus récentes, comme celles qui figurent dans les peintures
de Polygnote à Delphes, ne font qu’en multiplier les variantes,1

(1) Voir, en ce qui concerne la lapidation, la pénétrante étude de Hirzel, Abh.


sächs. Gesellsch. Wien, phil.-hist. Kl., t. XXVII, p. 225. L'intention de provoquer
la mort sans encourir la responsabilité du coup décisif est évidente dans l’emmure-
ment, la crucifixion, la ciguë. Si Vatimie au sens ancien du terme fait un devoir
au premier citoyen venu de tuer le hors-la-loi, c’est que celui-ci est considéré comme
un TToXtfuos envers qui l’on se conduit comme envers un soldat ennemi, sans
avoir à redouter le miasma du sens versé.
— 8i —

mais celles-ci sont d’un esprit si semblable qu’il n’y a aucun incon­
vénient à les grouper.
Le vain effort de Sisyphe, des Danaïdes, d’Oknos, le double
supplice de Tantale — poursuite d’un objet qui se dérobe, crainte
d’être écrasé par un rocher qui menace ruine — l’empêchement
mystérieux qui fixe Pirithoos sur la pierre qui lui sert de siège :
tout cela relève des phantasmes de l’angoisse nocturne. On peut en
dire autant des oiseaux que Tityos ne parvient pas à écarter, du
démon Eurynomos qui dévore les morts : l’Oreus latin est devenu
l'ogre français, ce qui situe exactement l’étage de la psyché où ces
figures ont leurs racines. Dès que l’on approfondit quelque peu
l’imagerie funéraire des Grecs, on la trouve riche en visions oni­
riques, lesquelles manquent totalement dans l’au-delà chrétien.
On peut se demander si, sur ce point, les sectes ont rien apporté
qui leur fût propre. Les supplices qui passent pour « orphiques »,
l’eau dans le crible, le tonneau percé, sont de simples variantes du
thème de Sisyphe (i). La Nekyia de Polygnote (Paus., X, 28-30)
n’ajoute psychologiquement rien à celle d’Homère. Les illustrations
sont un peu plus nombreuses. Elles se réfèrent moins à des héros
légendaires qu’à la commune humanité, ce qui rend les intentions
morales à la fois plus précises et d’application plus universelle.
Un Eurynomos qui dévore tous les méchants remplace le vautour
qui attaque le seul Tityos. Cherchant à recruter des adeptes grâce
à de salutaires terreurs, les sectes ont certainement accentué la
polarisation de l’Hadès en un lieu de délices et un heu de souf­
frances, mais sans modifier profondément les conceptions courantes,
où le feu ne jouait aucun rôle.
Le « grand bourbier », la « fange intarissable » sont-ils propres à
l’imagerie des initiations ? Héraclès dans les Grenouilles (145) les
dépeint à Dionysos comme un séjour d’horreur auquel les mystes
parviennent à échapper. Reprenant l’image dans Phédon (69 C),
Platon ajoute nenadapp-évos à TereXeapévos, ce qui va changer
du tout au tout la perspective morale : la distinction entre initiés1

(1) Platon, Rép., II, 363 D ; Gorgias, 493 A. — « Que l'on contraigne ce détenu à
transvaser de l’eau d’une tine dans une autre, et vice-versa, à concasser du sable
ou à transporter un tas de pierres d’un endroit à un autre pour lui ordonner ensuite
la réciproque, je suis persuadé qu’au bout de quelques jours il s’étranglera ou
commettra quelque crime comportant la peine de mort plutôt que de vivre dans un
tel abaissement », dit Dostoievsky au second chapitre des Souvenirs de la maison
des morts.
82 —

et non-initiés se double d’une autre, entre vertueux et coupables,


destinée à venir bientôt au premier plan (i). Dans la République
(II, 363 D), il représente Musée et son fils Eumolpe — c’est-à-dire
le créateur mythique des mystères d'Éleusis — enfouissant des
coupables, chez Hadès, « dans je ne sais quelle boue ». Si cette
image éminemment onirique a été propre à un enseignement ésoté­
rique, elle est bientôt devenue populaire. Platon dans ses propres
mythes eschatologiques en apporte d’autres, également apparen­
tées au cauchemar : errance et saleté. Les âmes des coupables, dit
Er (Rép., 614 D), sortent de la terre couvertes de boue et, après un
voyage de mille ans, sont gardées par des âvbpes âypioi Sidvvpoi
(615 E), terme dont la valeur précise est bien difficile à dégager.
L’accès de l’Hadès est malaisé, dit Socrate dans Phédon. Faute
d’être guidé par son génie, le trépassé risque de s’égarer dans une
voie souterraine coupée de bifurcations et de carrefours (107 D).
Ceux qui déjà pendant leur vie se sont tenus libres des nécessités
du corps trouveront plus aisément les accès du séjour des dieux.
Vient ensuite un tableau ordonné tout entier par l’idée de sanction
(113-114). Les damnés seront enfouis dans le Tartare comme le
furent les Titans aux premiers âges du monde. Mais leur damnation
ne sera éternelle qu’après plusieurs voyages. Les homicides sont
d’abord précipités dans les eaux glacées du Cocyte, et les parricides
dans les eaux bouillantes du Pyriphlégéthon, puis entraînés par le
courant jusqu’au lac Achérousias où ils supplient leurs victimes de
leur pardonner. Si elles refusent, ils sont de nouveau entraînés au
Tartare et recommencent le voyage jusqu’à ce qu’ils aient obtenu
leur absolution. Il n’y a pas épreuve au sens propre du mot, puisque
la libération dépend d’une décision extérieure. Il n’y a pas davan­
tage purification par le feu — image qui dominera toute l’escha­
tologie chrétienne, le feu, dans le Purgatoire, détruisant les souil­
lures et, dans l’Enfer, infligeant au damné une sorte de destruction
éternellement prolongée. Le fleuve bouillant de Platon inflige une
peine destinée simplement à provoquer le repentir.
Il faut ici revenir en arrière. Séjour des dieux vaincus, le Tartare
est une sorte d’anti-terre, aussi éloignée de la nôtre que celle-ci du
soleil. Quant au séjour des morts, il n’a jamais été localisé précisé­
ment. Les légendes grecques parlèrent d’abord d’îles au-delà de1

(1) Le tournant est accusé par la fameuse réponse de Diogène, doutant qu'Agé-
silas ou Épaminondas soient promis au Bourbier, quand le premier initié venu
aurait accès aux Iles des Bienheureux (Diog. L., VI, 2, 39).
- 8 3-

l’Océan. Un peuple qui vit au bord de la mer commencera par lui


confier ses défunts (i). Mais vie et lumière sont si étroitement asso­
ciées que l’obscurité devient bientôt la caractéristique du monde
des trépassés qui, presque toujours chez Homère et toujours chez
les tragiques, est situé sous la terre (2). L’Océan s’efface donc de ces
représentations — il figure encore dans celle de Phédon — remplacé
par des fleuves qui, selon les contextes, ont des valeurs différentes.
Tantôt ce sont des torrents qui séparent deux univers, tantôt ce
. sont des Xl/ivai : Polygnote peint le fleuve infernal tout rempli de
roseaux, ce qui le rapproche du marais.
Parmi ces fleuves, le moins souvent nommé est le Pyriphlégéthon.
La légende grecque a enrichi de multiples significations religieuses
et morales le nom du Styx et celui de l’Achéron. Du Brûlant de
Feu il semble qu’elle n’ait rien su faire. Et cependant, le Hvergelmir
de Y Edda est aussi un « chaudron bouillonnant », source des fleuves
de Hel, qui charrient une eau noire et bourbeuse (3). Le Pyriphlégé­
thon n’a jamais pris de contours aussi précis. S’il y eut une époque
où il s’opposa aux rivières plus ou moins boueuses des régions
infernales, aucun texte n’en porte la trace. Circé nomme les Quatre
Fleuves à Ulysse (OdX, 513-4) comme s’ils constituaient une
série homogène. Leur prestige du reste était inégal. Le Styx était
le grand serment des dieux. L’Achéron, qui n’est pas nommé
dans Y Iliade et qui l’est une fois dans YOdyssée, finit par représenter
le Grand Passage, celui dont la perspective épouvante Alceste mou­
rante. Le lac Achérousias figurera encore dans les évangiles apo­
cryphes.
Les anciens ont cru reconnaître les fleuves infernaux dans plus1 2 3

(1) Remarque très juste de L. Radermacher (Das Jenseits im Mythos der Helle­
nen, p. 85), le critique qui avec le plus de pénétration a reporté l’imagerie de l’autre
monde sur un arrière-plan psychologique attesté par les contes de tous les pays.
Il est à cet égard un précurseur, plus encore que Dieterich et autant qu’Usener.
Il analyse très finement le transfert de l’Hadès sous la terre (p. 148) et reconnaît
un märchenhaft seltsames Traumgebilde dans l'au-delà homérique. — Dans certaines
légendes allemandes, les âmes des morts descendent le Rhin, Rochholz, Deutscher
Glaube, I, p. 174.
(2) Sur terre dans les deux Nekyia, dans des régions mal définies à l'Occident
du monde, au-delà d'une Pierre Blanche. Dessous dans II., III, 278 ; XVIII, 333 ;
XXII, 482 ; XXIII, 100 ; Od., XX, 80. Cf. Georg Iwanowitsch, Opiniones Homeri
et Tragicorum de Inferis, thèse d’Erlangen, 1894. — L’expression la plus poignante
de l’obscurité menaçante, inévitable de la mort est peut-être ce vers d’Alceste :
(994).
Kal Occov a ko tloi <f>6ivvdovoi iraïSes €v davara)
(3) F. Wagner, Poèmes mythologiques de l'Edda, p. 76.
-84-

d’un fleuve authentique. Le Styx restait souterrain, mais l’on


montrait un Achéron en Triphylie, un autre en Thesprotie ainsi
qu’un Cocyte. Mais personne n’a été tenté de donner une réalité
visible au Pyriphlégéthon, alors que, cependant, les rares poètes
qui le nomment ne semblent pas voir en lui autre chose qu’un
fleuve comme les autres. Les sectes mystiques, qui accentuent
toutefois les châtiments promis aux pécheurs, ont totalement
méconnu les ressources qu’il leur offrait. Si Platon lui confie le
châtiment des parricides, c’est en vertu d’une invention personnelle,
car la description serait moins minutieuse si elle se référait à des
visions déjà connues. Ce « lac bouillant d’une eau bourbeuse »
(Phédon, 113 B) combine curieusement l’image onirique de la
fange infernale avec l’image réaliste d’une éruption de l’Etna,
où des flots de boue précèdent des torrents de lave (ni D).
Si forte, si frappante qu’elle fût, l’image ne s’imposa point. Je ne
lui trouve qu’un seul écho dans les lettres grecques. Lucien, dans
plusieurs images de l’Hadès, mentionne la limné et le Pyriphlégé­
thon comme les deux pôles du paysage infernal. Rhadamanthe
songe à y jeter le tyran défunt, à moins qu’il ne le donne à déchirer
à Cerbère (1).
Mais un fleuve incandescent — très différent de celui de Platon —
ne semble pas avoir été explicitement décrit avant la descente aux
Enfers où Énée (Én., VI, 550) découvre une large enceinte fermée
d’un triple mur, entourée des torrents de flammes d’un fleuve
rapide, le Phlégéthon du Tartare. Norden suppose bien entendu
que Virgile suit là une catabase orphique. Mais l’eschatologie des
sectes s’est bornée, semble-t-il, à grossir des traits existant ailleurs ;
tandis que l’image évoquée par Virgile n’a aucun équivalent dans
aucune tradition grecque. Au surplus, si l’on y regarde de près,
on s’aperçoit que ce Fleuve de Flammes n’a aucune valeur reli­
gieuse. Il ne sert à rien, sinon à isoler le domaine des maudits
— Titans, Salmonée, Tityos et les autres — dont Énée de loin
perçoit les gémissements. Il fait double emploi avec la porte et les
montants d’acier massif que nulle force humaine ne saurait enfon­
cer : image ancienne, celle-là, car Homère donne à Hadès le nom de
TTvXdpTT]s et les portes d’Hadès, dit Achille, sont ce qu’il est au1

(1) Cataplous, 27 ; Dial, des morts, 20, 1 ; Ménippe, 10 ; Philops., 24 ; Eitrem,


dans l'article Phlégéthon de P.-W., résume les interprétations symboliques que
tirèrent du Pyriphlégéthon les néoplatoniciens et Macrobe dans le Songe de Scipion.
-85
monde de plus haïssable (II., IX, 312) (1). Énée poursuit sa route
sans plus s’en occuper. Plutôt qu’un emprunt à un texte chargé
de valeurs mystiques, ce rôle purement décoratif indique un simple
développement visuel du sens exprimé par le mot.
En revanche, le thème du feu apparaît plus loin dans la catabase
virgilienne et, cette fois, avec une signification très précise. Les
morts, dit Anchise, doivent d’abord effacer leurs souillures pour
restituer à leur pureté première le principe éthéré de l’âme et
l’étincelle du souffle élémentaire :
aetherium sensum atque aurai simplicis ignem (747).
Les peines qui effacent les fautes sont procurées par les vents,
par l’eau et par le feu :
Ergo exercentur poenis veterumque malorum
supplicia expendunt : aliae panduntur inanes
suspensae ad ventos, aliis sub gurgite vasto
infectum eluitur scelus aut exuritur igni (739-742).
Ainsi, dans ce tableau fait d’éléments hétérogènes, affleure
la doctrine stoïcienne des quatre éléments résorbés périodiquement
par le plus pur d’entre eux, le feu divin. L’eschatologie individuelle
reproduit la cosmique. L’âme descendue du ciel étant faite du même
feu que les astres est destinée à retourner vers eux, retour qui s’ac­
complit pour le sage dès qu’elle est libérée du corps. Les moins
parfaits devront être purifiés par les éléments. La doctrine passera
dans les mystères, où la purification se fera symboliquement (2).
Ce feu qui consume des flétrissures n’a rien de commun ni avec la
barrière ardente qui isole les damnés, ni avec le Pyriphlégéthon de
Platon ou de Lucien.
Dans l'intervalle, l’ancien Hadès séjour des morts se transfor­
mait peu à peu en un Enfer inclus dans le Tartare. Le feu y joue un
rôle purificateur qui se distingue malaisément d’un rôle pénal.1 2

(1) Mais déjà chez les tragiques les « portes de la mort » ne sont plus qu’un sym­
bole (Agam., 1291 ; Hipp., 56, 1447 ; Héc., i, etc.). L’eschatologie grecque ne l'a
pas valorisé, alors qu'il existe dans la mythologie germanique et que le psaume
loue le Seigneur « d’avoir brisé les portes de bronze et fracassé les verrous de fer »
(Ps. 106 (107), 16). Il est un motif central des Descentes chrétiennes aux Enfers.
Voir dans Josef Kroll, Gott und Hölle, p. 57, l’admirable apostrophe qu’Athanase
prête à Hadès-Thanatos lorsque Jésus pénètre dans son royaume et en brise les
portes.
(2) Fr. Çumont, Lux Perpetua, pp. 113, 167, 209.
— 86 —

Cela apparaît dans YAxiochos du Ier siècle avant notre ère. On y


voit les réprouvés conduits par les Érinyes vers l’Érèbe et le Chaos,
à travers le Tartare : c’est la vieille image onirique du « voyage
périlleux ». Là, léchées par des bêtes sauvages, brûlées constamment
par les torches des Érinyes, les âmes se consument en châtiments
sans fin. La première mention explicite d’un feu éternel à l’exclusion
d’autres châtiments semble apparaître chez l’épicurien Philodème
de Gadara (vers 50 avant J.-C.) (1). Lucrèce refuse comme lui de
croire à un Tartare qui vomirait des flammes et torturerait par la
poix, les lames rougies et les torches (III, 1012-1016). Si les Épicu­
riens nient l’Enfer de feu, c’est qu’autour d’eux l’on y croyait. Le
feu cependant ne joue presque aucun rôle dans les supplices aux­
quels Ovide voue son ennemi Ibis : après lui avoir souhaité tous les
tourments des grands damnés du répertoire, il veut enfin qu’une
Érinye lui incoquet igné genas (186). L’image est analogue à celle
qu’évoque Axiochos.
Est-il nécessaire de faire remarquer que, jusqu’à présent, aucun
de ceux qui ont parlé des « flammes de l’enfer », si modestes soient-
elles, n’est un Grec de naissance formé par la tradition classique ?
Tel est au contraire le cas de Plutarque. Son traité De la tardive
vengeance des dieux se termine (566 E sqq.) par un tableau de sup­
plices rationalisés : le supplicié souffre par où il a péché, idée promise
à une grande fortune. Les querelleurs se dévorent enlacés l’un à
l’autre ; les avares sont plongés dans des lacs d’or brûlant, de
plomb glacé. Les images oniriques ont disparu. Celle du feu ne vient
qu’indirectement, sans valeur élémentaire.
Et cependant, à la fin de l’antiquité, le feu sera une des caracté­
ristiques du paysage infernal. Mais ce sera d’abord en dehors de la
Grèce propre, chez Lucien et chez les Latins (2). C’est vers cette
même époque qu’il se fait accepter par le judaïsme. Jusqu’alors,
l’Éternel avait bien fait pleuvoir le soufre et les flammes sur ses
ennemis, il les avait précipités au sol par ses fulgurantes épiphanies,
lorsqu’il apparaissait comme un feu dévorant, des charbons embra-1 2

(1) Au premier livre de son Traité des Dieux (Diels, Abhandl. Ak. Berl., 1915,
VII) XIX, i, 1926, où il évoque les terreurs qui assaillent ceux qui s’imaginent
les dieux capables d’infliger dans l’au-delà des supplices semblables à celui de
Phalaris. Cf. F. Cumont, Lux perpétua, p. 226.
(2) Lucien, Hist, vraie, II, 27, 29, 30 ; Nehyom., 10, 13 ; Claudien, Proserpine,
I, 24 ; II, 314 ; Sil. Ital., Guerres pun., livre XIII. Voir J. Kroll, Gott und Hölle,
p. 380.
8 7-

sés jaillissant de sa bouche, mais il ne s’était pas occupé de la


Schéol. Celle-ci ne devient explicitement un lieu de châtiment que
dans un passage unique du second Isaïe (66, 24) ; puis dans les apo­
cryphes juifs et dans le Nouveau Testament (1).
Cumont attribue ici un rôle décisif à l’influence du dualisme
oriental qui « sépare radicalement en deux moitiés le séjour des
âmes défuntes, l’un dans le ciel, l’autre dans le sous-sol » (Lux -per­
pétua, p. 218). S’il ne s’agissait que de cette polarisation, les Hellènes
y étaient préparés de longue date, grâce, d’une part, à l’eschatologie
des sectes ainsi qu’à celle de Platon et des penseurs formés par lui,
et, d’un autre côté, par la vieille croyance en vertu de laquelle les
âmes des défunts remontent vers les astres tandis que les corps s’en
vont à la terre. En revanche, le rôle du feu est étranger à toutes
leurs traditions, ce que Cumont a méconnu. Il y voit une influence
du zoroastrisme (p. 224). Ceux qui reprendront la question accorde­
ront probablement une importance plus grande à l’échelon juif (2).
Dans le second Isaïe (postérieur, il est vrai, à la captivité, c’est-à-
dire à l’influence perse), Jahvé livre le cadavre de son ennemi au
ver qui ne mourra pas, au feu inextinguible (66, 24). Le feu est
son arme et son attribut. C’est donc dans la géhenne ardente qu’il
faut jeter ce qui scandalise ; c’est là qu’expiera le mauvais riche.
Les faux prophètes seront précipités dans un marais brûlant de
feu et de soufre (3). Les auteurs de catabases et d’apocalypses raffine­
ront plus tard sur les supplices, lesquels obéiront désormais au
principe que l’on doit expier par où l’on a péché. Dans les Apoca­
lypses de Pierre et de Paul, les blasphémateurs sont pendus par la
langue, les faux témoins ont du feu plein la bouche. Dante illustrera
magnifiquement cette idée de la sanction spécifique, interprétant1 2 3

(1) Apocalypses d’Hénoch et d’Élie. Cf. Cumont, Lux perpétua, p. 226.


(2) Dans son étude sur l'eschatologie des mages occidentaux, R. H. R., t. CIII
(1931), p. 40, Cumont explique le rôle du feu dans les apocalypses chrétiennes par
un emprunt à la fois aux mages et au Pyriphlégéthon hellénique. Celui-ci, répétons-
le, doit être mis hors cause. Si Jean Scot Érigène (IXe s.) jette dans le Pyriphlé­
géthon le corps du princeps mundi, c’est une simple inférence à partir du nom. Il
faudrait en revanche alléguer de nombreux passages des deux Testaments. J. Kroll,
Gott und Hölle, p. 523, a très bien vu que les représentations chrétiennes de l’Enfer
sont ganz unhellenisch. Une solution positive devra être plus nuancée que ne le
pense Cumont. Voir l’étude toute récente de J. Duchesne-Guillemin, Fire in
Iran and Grece, dans East and West, t. XIII, 2 (1962), p. 198.
(3) Matth., XVIII, 9 ; Marc, IX, 43-7 ; Luc, XVI, 24. — Apoc., XIX, 20 ;
XX, 9; XXI, 8.
en visionnaire la doctrine stoïcienne, qui dit que le vrai bourreau
de l’âme est son vice même.
Dans l’Apocalypse de Pierre (IIe siècle), le séjour des coupables
est un grand marais rempli d’une boue flambante, p-eyâXr] Xlp.vq
TTeTrXrjpajixévr) ßopßopov <f>Xeyop.évov (23). Du feu sous eux brûle pour
les châtier, vttêkêlto aiiToîs rrvp (f>Xeyóp,evov Kal KoXâÇov (22). On ne
peut que donner raison à Dieterich lorsqu’il dit (Nekyia, p. 45)
qu’aucun ciel ne pourrait être plus hellénique que celui de ce
texte chrétien. Mais on ne saurait le suivre lorsqu’il étend ce
jugement à l’enfer : « Die Hölle der Apocalypse ist keine jüdische ;
ihr Verfasser kann aus jüdischen Schriften nicht geschöpft haben »
(p. 224) et qu’il voit là (p. 232) un emprunt à l’orphisme. L’image
du bourbier semble en effet avoir été valorisée dans certaines
sectes d’initiés — on ne peut guère préciser davantage — mais
celle d’un feu torturant est étrangère à l’ancienne pensée grecque, à
l’orphisme aussi bien qu’au reste de la tradition, tandis qu’elle est
attestée dans la tradition hébraïque influencée par le mazdéisme.
Dans la théogonie qu’Apollonios de Rhodes fait prononcer par
Orphée au premier livre des Argonautiques (494-511), les dieux
primitifs sont Terre, Ciel et Mer, c’est-à-dire trois des quatre élé­
ments, le Feu étant exclu, qui est une des quatre « racines » d’Empé-
docle, un des inspirateurs de cette théogonie (1). Le Feu n’étendra
de nouveau son domaine que sous des influences orientales, et,
dans le cas des apocalypses apocryphes, certainement sous l’in­
fluence de la géhenne juive.
*
* *

Anchise parle à Énée d’une âme ignée qui doit être purifiée
par trois éléments, l’air, l’eau et le feu. Les mystères procuraient
symboliquement cette régénération qui servait de prélude à une
immortalité heureuse. S. Eitrem (2) a étudié ces rites pour une
époque où le syncrétisme permet malaisément de faire avec quelque
certitude la part des différentes traditions. Encore peut-on constater
que partout, dans les mystères iraniens, dans les liturgies de Mithra,
le feu joue un rôle plus grand que tout ce que l’on peut constater en1 2

(1) Louis Moulinier, Orphée et l’orphisme à l’époque classique, 1955, P- 43-


(2) Die vier Elemente in der Mysterienweihe, Symbolae Osloenses, IV (1926) et
v (1927). P- 39 sqq., p. 38 sqq.
— 8g —

Grèce. L’initié aux mystères isiaques est vectus per omnia elementa,
comme dit Apulée (XI, 23), en tout cas par l’eau et le feu.
La Flûte enchantée de Mozart est un opéra maçonnique bâti
sur un scénario d’initiation. Au second acte, les deux héros, aux
sons de la flûte magique soutenue seulement par les cuivres, su­
bissent l’épreuve du feu, puis de l’eau, avant d’entrer dans le temple.
« Je ne sais pas jusqu’à quel point les francs-maçons de Vienne
avaient contact avec la tradition des mystères, dit Eitrem (Mysteri-
enweihe, I, p. 53), mais ce livret est la meilleure illustration que l’on
puisse donner au passage d’Apulée. » Schikaneder a pris l’idée de
l’histoire dans le roman Séthos de l’abbé Terrasson, qui s’inspira
directement des cérémonies isiaques décrites par Apulée.

* * *

Or un exemple très frappant montre une fois de plus la pensée


grecque altérant le parallélisme eau-feu en écartant le second élé­
ment (1). Lorsque Jean commence à baptiser dans le Jourdain,
il annonce la venue prochaine d’un plus grand que lui. « Moi je
VOUS baptise dans l’eau ; avros v/j.âç ßamlcreL ev m'evfian àyhu
Kal TTvpî. Ainsi disent Matthieu (III, 11) et Luc (III, 16), mais
Marc ne mentionne que le Saint-Esprit, non le feu. Les premiers
exégètes se sont étonnés de ne trouver aucun baptême du feu ni
dans la tradition écrite, ni dans les rites de l’Église. Ils l’ont alors
reporté au jour du jugement, en partant de la représentation d’un
fleuve de feu semblable à celui qui entoure la cité céleste dans le
livre de Daniel (VII, 10). Ainsi fait Origène (Homélie XXIV à
Luc III, 16) : Jésus avec l’épée de feu se trouvera à l’entrée du pa­
radis et baptisera dans le fleuve de feu celui qui aura péché après
avoir reçu le baptême d’eau et d’esprit. Faute d’une correspondance
liturgique qui en aurait précisé la valeur symbolique, le baptême de
feu a provoqué tout un sillage de rites et de légendes dans les sectes
hérétiques et gnostiques. Dans le catholicisme même, il apparaît
tantôt comme actuel, tantôt comme futur, comme spirituel ou
comme matériel, comme instrument d’ordalie ou comme instru­
ment de purification, ou encore, dans les Apocalypses de Pierre
(IIe s.) et de Paul (IIIe s.), de châtiment. Ainsi que dans le système1

(1) Il faut se reporter ici à l’excellente étude de C.-M. Edsman, Le baptême du


feu. Voir aussi l'article Baptême de feu dans le Dictionnaire de théologie catholique
(Mangenot, 1905).
— go —

d’Héraclite et des stoïciens, le feu finalement détruira le cosmos :


les apocalypses tardives, celles de Daniel ou du Pseudo-Jean,
disent à quelle profondeur il devra cautériser, torturer la terre
pour qu’elle s’écrie enfin : « Je suis vierge, Seigneur. » (i) Un
poème d’Éphrem met en parallèle le baptême initial par l’eau du
déluge et le baptême final par le feu :
“Orav yàp xaTcpyerai d Xpiaros èf; ovpavov
tvdvs TTvp to aoßeoTov Starpeyet TtavTayov
7TpO TTpoadmOV TOV XplCTTOV K ai Ka\vTTT€l rà navra...
...Kal yàp d ènl Nœe yeyovwç KaTaKXvap-oç
TVTTOS VTrrjpye tovtov tou 7rvpos Tov aoßeoTov.

Tandis que l’âme chargée de crimes irrémissibles est promise


au feu éternel qui brûle les damnés sans les consumer, semblable
en cela, croyait-on, à celui de la foudre (2), celui au contraire de
l’embrasement final apparaît dans le poème d’Éphrem comme le
prélude à la régénération. De même, sur des sarcophages, Phaéthon
foudroyé figure une promesse de survie car, dit Franz Cumont,
« les stoïciens et les néoplatoniciens interprètent son mythe en le
rattachant à YcKirvpwcris, interprétation adoptée et répandue
par le mithriacisme » (3). Ceux qui voyaient un symbole de renais­
sance en Phaéthon foudroyé retrouvaient aux profondeurs de leur
inconscient le sens primitif du mythe, obscurci depuis des généra­
tions par l’altération des légendes sous l’influence du moralisme
combinée avec une méconnaissance générale des antiques valeurs
du feu.
Quelques traditions légendaires gardent encore un souvenir
altéré de ce baptême ardent annoncé par le Précurseur : des flam­
mes, disait-on, s’étaient élevées du Jourdain lors du baptême de
Jésus ; l’eau avait pris feu lorsque le pape Sylvestre avait baptisé
Constantin ; Thècle et Marina, livrées aux fauves, s’étaient jetées
dans un fossé plein d’eau et en étaient sorties entourées d’une
colonne de feu (4). C’est le symbolisme de la Flûte Enchantée.
Mais, de plus en plus, le feu apparaissait comme le propre du Purga-1 2 3 4

(1) Edsman, Baptême du feu, p. 100; Ephrem, Opera, III, p. 1488 ; Edsman,
Baptême, p. 102.
(2) Tertullien, Apolog., 48, 15 ; Min. Felix, Octavius, 35, 3.
(3) F. Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, Bibl. arch,
et hist., t. XXXV (1942), pp. 17, 74, 166.
(4) Edsman, Baptême, pp. 182, 164.
9i —

toire, quand ce n’était pas de l’Enfer. Les deux baptêmes n’avaient


plus l’homologie promise par Jean : le premier est un bain, l’autre
est une torture, alors que, dans la conception primitive, il devait,
avec l’Esprit, parachever l’œuvre purificatrice de l’eau et en
accomplir une plus haute encore, où se marqueraient ses vertus
propres.
Lorsqu’on lit le martyre de saint Polycarpe de Smyrne, brûlé
en 156, ce n'est pas à un baptême que l’on pense, mais au bûcher
d’Hercule ainsi qu’à la fournaise d’où Daniel sortit transfiguré.
Quand les flammes s’écartèrent, dit Irénée, témoin oculaire, on
vit le martyr au milieu, « non comme une chair qui brûle, mais
comme un pain qui cuit, comme l’or et l’argent qu’on purifie dans
une fournaise, exhalant un parfum délicieux aussi fort que celui de
l’encens » (1). On voit bien là comment s’est développé un langage
symbolique à partir du four qui transforme et renouvelle la matière
qu’on lui confie, de la forge qui la rend à la fois ductile et résistante,
du brasier enfin qui détruit les éléments impurs afin de libérer
l’essence précieuse. C.-M. Edsman a finement étudié les trois
thèmes dans le folk-lore médiéval. En 1025, l’évêque Burchard
de Worms prit un décret punissant d’un an de prison la femme qui
mettrait son fils sur le toit ou dans le four pour le guérir des fiè­
vres (2). Les contes qui ont pour centre le four ou la forge sont
presque toujours relevés par le thème de l’apprenti-sorcier : Notre-
Seigneur met un vieil homme dans un four ; il en sort un jeune gar­
çon ; saint Pierre prétend faire le même miracle, mais il échoue.
Pour ferrer plus aisément un cheval, Notre-Seigneur coupe le pied
et le rétablit ensuite ; un forgeron imprudent, parfois saint Éloi,
l’imite et s’en repent. Grimm a deux contes d’inspiration analogue
(81, 147). Le thème de l’apprenti-sorcier apparaît en Grèce dans
un fabliau du cycle d’Épidaure (3), non dans celui du feu. Si Médée1 2 3

(1) Edsman, Le feu comme moyen de rajeunissement et d’immortalité, 1945, p. 168.


Il suit la prolifération du thème dans des remaniements de récits de témoins et
dans deux histoires purement légendaires concernant saint Eustache et sainte
Catherine.
(2) Ibidem, p. 77. Sur le toit : guérison par le contraire ; dans le four : par homéo­
pathie. Voir aussi le Motif-Index de Stith Thompson, F. F. C. sous D, 1787 : « magic
results from burning ». Les valeurs du four ont été mises en évidence par l’alchi­
mie. Luther, Tischreden, Vom jüngsten Tag. ed. Fr. von Schmidt, p. 310, compare
le jugement dernier à l’oeuvre du four, qui sépare l’esprit et la matière. Voir aussi
G. Bachelard, Psychanalyse dti feu, pp. 107, 115.
(3) M. Delcourt, Les grands sanctuaires de la Grèce, p. 104.
— 92 —

manque la résurrection d’Éson, c’est de propos délibéré. La revigo­


ration par le travail du forgeron n’affleure que dans les deux his­
toires, l’une et l’autre fort mal connues, d’Arès caché dans la pierre
mangeuse de fer et du Dactyle Celmis {supra, p. 72). Le four
n’apparaît pas dans les récits de la Grèce. En revanche, ceux-ci
offrent quantité de variantes de la régénération dans le lébès d’eau
bouillante, fable soutenue dans l’inconscient par l’image de la ma­
trice où un être vivant croît dans la chaleur et l’humidité. Je revien­
drai [infra, p. 114) à ces contes qui me paraissent devoir être dissociés
de ceux où règne la flamme, le feu à l’état pur.

* * *

C’est précisément de cet aspect du feu que l’imagination hellé­


nique dans son ensemble paraît s’être détournée. Les philosophes
ont établi des homologies entre les deux éléments purificateurs,
revigorants, régénérateurs. Cette homologie n’a pas été acceptée
par le peuple, tel du moins que nous l’imaginons à travers les
légendes qui s’adressaient à lui. Si, à la fin de l’antiquité, de rares
figures privilégiées attestent les valeurs bienfaisantes du feu, elles
ont reçu ailleurs, à Rome, en Orient, leur coloris favorable. Le beau
Phénix, tel que nous le connaissons, n’est pas une création pure­
ment grecque, ce qu’est au contraire la monstrueuse Skylla, res­
suscitée par le feu pour la perdition des matelots.
Cette sorte de méfiance peut surprendre de la part d’un peuple
qui a pratiqué dès une époque ancienne les grands arts du feu,
céramique et métallurgie, et qui y a excellé.
« Le feu est le premier facteur du phénomène, dit Gaston Bache­
lard (Psychanalyse du feu, 116). En effet, on ne peut parler d’un
monde du phénomène, d’un monde des apparences, que devant
un monde qui change d’apparence. Or, primitivement, seuls les
changements par le feu sont des changements profonds, rapides,
merveilleux, définitifs. Les jeux du jour et de la nuit, les jeux de la
lumière et de l’ombre sont des aspects superficiels et passagers
qui ne troublent pas beaucoup la connaissance monotone des
objets... Mais voici les changements substantiels : ce que lèche le
feu a un autre goût dans la bouche des hommes. Ce que le feu a
illuminé en garde une couleur ineffaçable. Par le feu tout change.
Quand on veut que tout change, on appelle le feu... »
Comment se fait-il donc que sur la terre de Grèce où potiers,
— 93 —

céramistes, métallurges ont fait, grâce au feu, tant de conquêtes,


tiré de lui tant de chefs-d’œuvre, les poètes lui aient refusé la mysté­
rieuse valeur bénéfique que lui accordent tant d’autres mytholo­
gies ? Serait-ce peut-être parce qu’il est devenu trop tôt un servi­
teur de l’industrie ?
Avec les arts du feu, dit Paul Valéry (Pièces sur l'art, p. 9), « nul
abandon, point de répit, point de fluctuation de pensée... Ils
imposent, sous l’aspect le plus dramatique, le combat resserré de
l’homme et de la forme. Leur agent essentiel, le feu, est aussi le
plus grand ennemi. Il est un agent de précision redoutable, dont
l’opération merveilleuse sur la matière qu’on propose à son ardeur
est rigoureusement bornée, menacée, définie par quelques constantes
physiques ou chimiques difficiles à observer. Tout écart est fatal :
la pièce est ruinée. Si le feu s’assoupit ou que le feu s’emporte,
son caprice est désastre. »
C’est décrire là un feu plus qu’à demi désacralisé, sorti prématuré­
ment de la zone mythique pour n’être plus que le collaborateur
du travail humain, collaborateur qui reste secret et dangereux,
et en présence de qui la prudence ne peut jamais s’endormir. Mais
cette prudence justement est trop capable d’inhiber des images
primordiales relatives à une action infiniment moins modeste
que la cuisson d’une cruche ou la fonte d’un lingot. Ceux qui ont
rêvé la triomphante résurrection du Phénix n’étaient certes ni des
potiers ni des métallurges. Bien loin de surveiller un four en se
remémorant des règles, ils avaient abandonné leur pensée à ces
fluctuations dont parle Valéry, celles qui bercent les mythes.
Les Grecs ont parlé fortement de l’importance du feu dans l’ascen­
sion de l’humanité. On pourrait difficilement imaginer, pour en
célébrer la conquête, un mythe plus grandiose que celui de Promé-
thée. Il vole « la fleur d’Héphaistos, l’étincelle d’où naissent tous
les arts» (Prom., 7) et la donne aux hommes pour qu’elle soit le
principe de leur civilisation. Ces hommes, Zeus envisageait d’en
éteindre la race. Prométhée s’y oppose ; par d’aveugles espérances,
il les distrait de la crainte de la mort ; enfin, il leur donne le feu
(235-253). Voilà le tableau tracé par Eschyle. Mais ce qui en occupe
le centre, ce n’est pas le feu, c’est la prodigieuse figure de Prométhée.
Et, lorsque celui-ci expose l’ascension des Éphémères dont il fut
l’artisan (436 sqq.), la flamme dérobée, enfermée dans la férule,
n’est qu'un épisode parmi tant d’industries révélées. Assurément,
Prométhée resta, pour les Grecs, le céramiste créateur des êtres
— 94 —

vivants. Lorsque Pausanias passa à Panopeus en Phocide (X, 44),


on lui montra des masses d’argile couleur de sable, dont l’odeur
était celle de la peau humaine : ce qui restait de la matière dont
Prométhée avait façonné les hommes avant de les cuire dans son
four. Toutefois, bien plus qu’un Artisan, il fit, grâce à Eschyle,
figure de rival de Zeus. Dans les temps modernes, il n’est plus
guère autre chose. En écho à un poème de Goethe, Kerényi intitule
un de ses livres Prometheus, die menschliche Existenz in griechischer
Dichtung, dont un chapitre s’appelle Der unvermeidliche Diebstahl.
Car Prométhée n’a pas découvert le feu ; il l’a volé, ce qui le pré­
destinait à symboliser l’homme en révolte. Un feu authentique,
« fils de deux morceaux de bois », est allumé par Hermès qui fait
tourner une tarière de laurier dans une gaine de grenadier (Hymne à
Hermès, no). Le symbolisme était si transparent que l’on nommait
bois mâle le pieu tournant et l’autre le bois femelle, métaphores
que les électriciens modernes ont retrouvées pour leur usage.
Ce procédé d’artisan, de paysan, n’est même pas évoqué dans la
tragédie d’Eschyle où le feu inclus dans la férule n’a qu’une existence
mythologique. Mais on le trouve transposé en supplice dans l'aveu­
glement du Cyclope, comme si ce qui concerne le feu devait im­
manquablement, dans la légende, prendre un caractère maléfique.
Au surplus, ceux qui ont reconnu les contiguïtés de l’érotisme et du
sadisme s’étonneront peu de la rencontre.
Les médecins caractérisent le mâle par le chaud, la femelle par
le froid humide. La partie droite de la matrice est plus chaude
que la gauche ; l’enfant qui s’y forme sera mâle. Cette conception
a dominé l’embryologie jusqu’au XVIIe siècle. On y distingue la
vieille croyance à l’excellence du feu, pourvu qu’il ne se révélé
pas sous sa forme élémentaire, mais seulement par ses effets les
plus rassurants, les plus doux, les plus domestiqués. Les autres
n’inspirent que de l’effroi.
Cette réluctance ne se marque pas seulement dans les légendes.
Elle apparaît dans toute la vie religieuse des Grecs dès qu’on la
compare à celle des autres peuples. « C’est dans l’ancienne Rome
que l’adoration du feu a revêtu les formes les plus belles », dit
exactement G. Van der Leeuw (1). Vesta à Rome est une déesse du
feu, qui a un culte public. Hestia est une déesse du foyer dont le
culte est surtout familial (2).
(1) La religion dans son essence et dans ses manifestations trad. fr.( p. 52.
(2) Voir J. P. Vernant, Hestia-Hermès, L'Homme 1963, sept.-déc., pp. 12 sqq.
— 95

Héphaistos n’est guère qu’un magicien et un artisan.


Les Perses, dit Hérodote (I, 131) sacrifient au Soleil, à la Lune, à
la Terre, au Feu, à l’Eau et aux Vents. Ces « éléments » sont en
Grèce moins objets de culte qu’objets de vénération, et fort inéga­
lement. Aucun autre ne joue dans les croyances populaires un
rôle égal à celui qu’attestent les dévotions à la Terre. Mais tous
sont invoqués dans des appels de disculpation (1). Celui qui les
prend à témoin au nom de leur pureté déclare par là qu’il accepte
leur jugement, qu’il consent, s’il n’est point innocent comme eux, à
encourir leur divine vindicte. Sauf dans Philoctète où le volcan
lemnien fait partie du paysage, dans presque toutes ces attesta­
tions, que sous-tend un recours à l’ordalie, le Feu est remplacé par
le Soleil, dont les Perses le distinguent nettement. « Éther divin,
vents aux ailes rapides, ondes des fleuves, vagues marines au sourire
innombrable, Terre mère des êtres et toi, Soleil œil qui vois tout,
je vous appelle : voyez ce que dieu je souffre par les dieux. » Ainsi
dit Prométhée (88 sqq.). L’Air, l’Eau, la Terre sont représentés
là sous une forme concrète, accessible, familière, dans un paysage
humanisé, mais ils gardent leur valeur élémentaire. Il n’en est pas
de même pour le Feu. L’évocation fait apparaître une image de
signification toute différente, celle de l’Omnivoyant, et l’esprit
glisse de l’une à l’autre, substituant le Révélateur à l’Exécuteur.
La première, en poésie, l’a emporté. Alceste (244) invoque encore le
Soleil et la Lumière. Polyxène mourante prend la Lumière seule à
témoin de l’injustice de son sort. L’évolution est significative.

* * *

Nous venons de marquer Vaffectus négatif qui surcharge, dans les


croyances relatives au feu, une archaïque valeur positive.
Devons-nous donc nous étonner si peu de traces ont subsisté en
Grèce d’un Embrasement purificateur et régénérateur, homologue
de la Grande Inondation ?1

(1) Voir mon article La pureté des éléments et l’invocation de Creuse, R. B. Ph. H.,
t. XVII, 1938, pp. 195 sqq.
Chapitre IV

PYRRHOS ET PYRRHA

Entre Pyrrhos et Pyrrha doit avoir existé une contiguïté ar­


chaïque qui provisoirement nous échappe. Des couples de ce genre,
dans la mythologie latine, restent souvent associés — Faunus avec
Fauna, Liber avec Libera, Câcus avec Câca. C’est peut-être parce
que la mythologie des Romains est faite plutôt de figures que de
récits. S’ils restent réduits à des traits peu nombreux, l’être mas­
culin et l’être féminin plausiblement s’éclairent assez l’un par
l’autre (i). Mais dès qu’une fable s’élabore, s’enrichit, devient
biographie, les deux jumeaux divergent et les traits personnels
l’emportent sur les traits communs, ainsi qu’on le voit dans la
légende historicisée de Caeculus et de Caecilia (2). Des couples
Zeus-Diwia, Posidon-Posidaia ont été révélés par les tablettes en
linéaire B (3). L’imagination des Grecs a chaque fois joué pour
rompre le jumelage en singularisant fortement chacun des membres
du couple. Usener (Götternamen, pp. 30 sqq.) a donné de nombreux
exemples de cette scission, montrant comment Zeus attira Héra et
repoussa Dia, qui devint une héroïne ou une déesse de second rang,
avec parfois une épiclèse qui laisse deviner sa place primitive,
Dia Hébé, Dia Ganyméda. D’autre part, il y a une Dioné à Dodone,
mais Dion ne subsiste que dans la légende laconienne. Triton devient
un petit dieu marin, tandis qu’Athéna Tritoné, Tritonia ou Tritonis
reste à un rang élevé. Dans chacun de ces cas, une étude attentive
permet de retrouver les traces d’une solidarité archaïque.
Un point de jonction est particulièrement malaisé à découvrir
entre Pyrrhos et Pyrrha. Celle-ci en effet apparaît uniquement
dans le récit de la Grande Inondation et comme compagne de1 2 3

(1) Voir Angelo Brelich, Tre variazioni romane sut tema delle origini, Ed. del
Ateneo, t. XIV, 1955, pp. 34, 60, 62, 92 sqq.
(2) Héphaistos, p. 215.
(3) Cf. A. Severyns, Grèce et Proche-Orient avant Homère, p. 164.
— 97 —

Deucalion. Sa légende est inexistante. A première vue, il semble


impossible de lui découvrir des traits singuliers d’où l’on puisse
inférer une probable origine religieuse. Et cependant, sa figure
semble garder quelques traces d’une autonomie primitive.
*
* *
Dans aucune des légendes où le Survivant est sauvé du Déluge
en compagnie d’une épouse, celle-ci n’a un nom. Pyrrha seule fait
exception.
D’autre part, il est toujours entendu, et généralement dit très
explicitement, que les survivants peupleront le monde de leur
descendance. Pourquoi n’en est-il pas ainsi pour Deucalion et
Pyrrha ? On ne s’est pas assez étonné de la « génération des pierres ».
Le Survivant désire se retrouver aussitôt parmi une compagnie
humaine et les dieux lui indiquent une méthode rapide, ce qui
n’empêche pas qu’on lui attribue, à lui et à Pyrrha, une fille Proto­
génie et, plus tard, des fils, quelques éponymes fantômes, Hellen,
Amphictyon, qui ont encore moins de consistance que leur sœur
(Apoll., I, 7, 3). Dans un seul et même poème, la neuvième Olym­
pique, Pindare juxtapose les deux traditions. La première l’em­
porta. Les artistes tardifs, assez logiquement, représentent Deuca­
lion et Pyrrha comme des vieillards : s’ils en furent réduits à utiliser
les « os de leur mère », c’est qu’ils avaient passé l’âge d’avoir des
enfants.
Protogénie d’autre part a de Zeus un fils nommé Aithalion,
« noirci à la flamme », ce qui donne à penser que la valeur du nom
de Pyrrha était restée sensible. Dans la même fable 153 où, seul
de toute la tradition, Hygin parle d’Aithalion, Hélène est bizarre­
ment dite fille de Pyrrha : il l’aura confondue avec Hellen. Pro­
togénie, malgré son nom prometteur, ne fait nullement figure de
mère du genre humain. Est-ce la « génération des pierres » qui a
privé le couple survivant de son rôle naturel ? Ou, au contraire,
est-ce parce qu’on l’imaginait mal comme procréateur que le calem­
bour Aâeç/Àaoi' a eu si grand succès (1) ?
Ou Deucalion et Pyrrha auraient-ils appartenu primitivement
à deux traditions différentes, la seconde relative à une catastrophe
par le feu ?

(ï) L. Deroy, Jeux de mots causes de légendes, Istituto universario orientale, t. I


(1959), P- 23.
- 98 -

Le feu, à y regarder de près, a laissé quelques traces dans l'histoire


du déluge.
Deucalion est fils de Prométhée et sauvé par lui. Chez Ovide, il
songe à recréer une humanité paternis artibus. L'effigie d’un dieu
est faite de bois, de pierre ou de métal. L’être vivant n’a pu être
créé qu’à partir de la terre maternelle et de l’eau vive, réchauffées
d’abord par la main pétrissante, puis par l’ardeur du four (i).
Pyrrha elle-même est fille d’Épiméthée et de Pandore, « qui fut
donnée en échange du feu », dit une tradition dont la valeur exacte
nous échappe malheureusement (2).
Une tradition veut que les Survivants aient débarqué sur l’Et­
na (3). Elle est attestée par Hygin dans une fable (153) qui voisine
avec celle de Phaéthon. Comme dans cette dernière, Hygin se ren­
contre là avec le scholiaste de Germanicus [supra, p. 58). L’un et
l’autre établissent, par l’intermédiaire de Phaéthon, un lien de
cause à effet entre l’embrasement et l’inondation, lien repris, sur
le mode poétique, par Nonnos, longtemps après que Platon l’eut
interprété comme le symbole d’une succession cyclique et que
Lucrèce, c’est-à-dire Épicure, eut refusé d’y croire.
Mais entre Deucalion, Pyrrha, Pyrrhos et Phaéthon existent
d’autres contiguïtés.
Lorsque la patrie de Deucalion est indiquée, c’est toujours la
Phthie.
Deucalion est fils de Prométhée et de Clymène. Clymène est le
nom aussi de la mère de Phaéthon. Dans la plupart des traditions,
elle est l’épouse du roi des Éthiopiens (4).
Deucalion est l’ancêtre des Énianes qui, tous les quatre ans,
viennent à Delphes honorer Pyrrhos (cf. p. 45).
Plutarque ouvre en ces termes sa vie de Pyrrhos :
« On dit que Phaéthon fut le premier qui, après le déluge, régna
sur les Thesprotes et les Molosses. Il était de ceux qui, avec Pélas-1 2 3 4

(1) Héphaistos, p. 156.


(2) Schol. Od., X, 2. IlavSwpas rijs Sodcîor/s àvrl tov nvpôs, « donnée aux hommes en
échange du feu volé », souvenir d'Hésiode, Travaux, 57.
(3) Servius (En. VI, 41) les fait arriver sur l’Athos. Si c’est en vertu d’une asso­
ciation d’images, la valeur nous en échappe.
(4) Schol. Od., X, 2. Ovide (Métam., I, 763 sqq.) accumule les synonymes en
décrivant le voyage de Phaéthon vers son père le Soleil : Aethiopasque suos, posi-
tosque sub ignibus Indos sidereis transit, exactement comme en décrivant Pyrrha
(supra, p. 61-62).
99 —
gos, s’installèrent en Épire. Certains auteurs veulent que Deucalion
et Pyrrha, après avoir fondé le temple de Dodone, se soient établis
là dans le pays des Molosses. Plus tard Néoptolème fils d’Achille
occupa le pays avec l’armée qu’il avait amenée et fonda une dy­
nastie qu’on appelle Pyrrhide, car lorsqu’il était enfant on l’avait
nommé Pyrrhos. Et, des enfants qu’il eut de Lanassa, fille de Cléo-
déos, fils lui-même de Hyllos, il en nomma un Pyrrhos. C’est pour­
quoi Achille eut en Épire des honneurs divins, appelé Aspetos
dans la langue du pays. »
Le mariage du fils d’Achille avec une arrière-petite-fille d’Héra­
clès est une invention de littérateurs courtisans (i). On peut la
dater avec précision, car c’est entre 295 et 290 que Pyrrhos fut
marié avec Lanassa fille d’Agathoclès laquelle, après leur divorce,
épousa Démétrios Poliorcète. La descendante d’Héraclès a l’avan­
tage de rattacher Pyrrhos à deux lignées illustres et de donner
une marraine prestigieuse à sa jeune femme. L’héroïne fantôme
était censée être une prêtresse de Dodone qui aurait été enlevée
par le fils d’Achille et lui aurait donné huit enfants. Dans tout le
passage de Plutarque, ce détail seul remonte à l’éphémère grandeur
du royaume épirote. En ce qui concerne l’installation de Néopto­
lème en Épire, le biographe ne fait que suivre une tradition attestée
par Pindare, lequel, dans la VIIe Néméenne, envoie Néoptolème
régner chez les Molosses. Euripide (Andr., 1248) veut que ç’ait été
le rôle de son fils.
On voit mal au surplus les raisons qui auraient déterminé Plu­
tarque à mentionner en tête de son récit, précédant l’installation
de Néoptolème, celle de Phaéthon, puis de Pélasgos, puis de Deuca­
lion et Pyrrha, si des traditions relatives aux deux catastrophes,
celle de l’eau et celle du feu, ne lui avaient été conservées, conjointe­
ment rapportées à l’Épire, par les sources dont il s’est servi. Elles
n’ajoutent rien au prestige du conquérant.
*
* *

Usener écrit dans ses Sintfluthsagen (p. 75), à propos des cultes
de Delphes : « Nun ist aber Pyrrhos einfach das männliche Ge­
genstück zu Pyrrha und zwar zweifelsohne einmal an Stelle von1

(1) Justin, XVI, 3 et schol. d'Eur. Andr., 24 et 32 ; cf. P. Lévêque, Pyrrhos,


p. 643 et J. Perret, Néoptolème et les Molosses, R. E. A., 1946, p. 1 sqq. et Les
origines de la légende troyenne de Rome, thèse de Paris, 1942, p. 430. Cf. supra, p. 43.
--- 100 —

Deukalion mit Pyrrha in alter Weise zu einem Paare verbunden,


wie ihn der delphische Kultus neben Apollon festhielt. »
Ne pourrait-on imaginer ici une liaison plausible ?
S’il y eut une tradition archaïque, vouée à un oubli partiel,
d’une Épreuve par le feu, le survivant était un homme et non une
femme. L’échec de Phaéthon n’a pas été accepté tel quel par l’évo­
lution religieuse ultérieure, puisqu’un espoir de régénération est
resté attaché à son nom, et que la théologie stoïcienne a vu en lui
le symbole de Y èK-rropoocns comme Deucalion était le symbole du
KaTaKXvuixos. Mais la légende, qui s’intéresse au salut des personnes,
ne pouvait considérer le Foudroyé comme un Survivant. Ce Survi­
vant aurait-il été un Pyrrhos, considéré plus tard comme le succes­
seur de Phaéthon dans les montagnes du Nord — Pyrrhos qui n’est
que le Roussi alors qu’il est, lui, le Flambant, Pyrrhos qui périra à
Delphes sur Yhestia où brûle le feu sacré ?
Puis, le cataclysme igné tombant peu à peu dans l’oubli, les
deux survivants se seraient-ils rapprochés à l’intérieur de la seule
légende qui prévalut, celle de la Grande Inondation ? L’homme qui
conduit un bateau peut avoir besoin d’un pilote. Mais celui qui,
contre toute espérance, est sauvé à l’intérieur d’un coffre n’a que
faire d’un compagnon. Toutes les légendes de la Probation, en
revanche, préservent un couple humain. On aurait ainsi donné
une épouse à Deucalion. Mais la transformation, hésitante, resta
incomplète : Pyrrha n’accomplit pas son rôle féminin, puisqu’elle
ne devint pas ensuite mère du genre humain.
En conséquence de son nominalisme religieux, Usener voit dans
la plupart des déesses féminines du monde indo-européen des
êtres sortis des dieux « comme Ève de la côte d’Adam » (Götterna­
men, p. 32), définition qui assurément devrait être discutée en ce qui
concerne les grands dieux. Elle semble au contraire s’appliquer très
exactement aux petits génies des indigitamenta latins qui ne sont
pas beaucoup plus que des adjectifs sommairement personnalisés.
Les choses sont moins claires en ce qui concerne les couples hellé­
niques de jumeaux divins. Voici comment, dans le cas de Pyrrha,
on peut se les représenter.
Un héros Pyrrhos apparenté à Phaéthon, mais plus heureux
que lui, échappe à un embrasement cosmique avec, peut-être, une
parèdre féminine. L’épreuve du Feu se fixe dans une seule version,
celle de Phaéthon, avec un affedus défavorable et un dénouement
terrible. L’épisode du sauvetage se détache de l’histoire de Pyrrhos,
IOI —

mais reste lié à sa parèdre, laquelle, par le fait même, se trouve


attirée dans l’orbite de Deucalion. Le feu cependant continue de
marquer la figure de Pyrrhos : il tue Priam sur un autel, est tué sur
une hestia et reçoit des honneurs à Delphes au milieu de liturgies
où la flamme joue un rôle particulièrement important.
C’est sur le Parnasse qu’il faut nous transporter pour trouver un
lieu de rencontre entre les deux Jumeaux : Pyrrha y débarque,
Pyrrhos y a son tombeau. Mais, avant d’y arriver, nous trouverons
en Phthie d’autres contiguïtés entre le Roux et la Rousse (i).
*
* *
De nombreux endroits en Grèce portent le nom de Pyrrha. Il
suffit de les énumérer, avec les légendes qui les concernent, pour
voir cette héroïne fantôme servir de lien entre Pyrrhos d’une part
et Deucalion de l’autre.
Mélitée en Phthiotide s’appelait d’abord Pyrrha et prétendait
être cette Hellas « aux belles femmes » dont Homère associe le nom
à celui de la Phthie {II., II, 683 ; IX, 395). Strabon (IX, 5, 6 et
7. 3) y a vu le tombeau d’Hellen, présenté comme le fils du couple
survivant, et, à dix stades des murs, l’emplacement de la ville homé­
rique qui se serait fondue avec celle de Pyrrha. C’est à celle-ci,
dit-il, que la Thessalie doit son nom ancien, Pyrrhaea. Une autre
Pyrrha se trouvait à la pointe extrême de la Phthiotide, à la limite
du territoire thessalien, proche des deux îles dénommées Deuca­
lion et Pyrrha. On montrait le tombeau de Pyrrha, non à Athènes,
où était celui de Deucalion, mais à Cynos, à la pointe extrême du
golfe opuntien (2). La situation de ces deux villes, celle aussi d’une
quatrième Pyrrha sur la côte occidentale de Lesbos, ruinée à l’épo­
que de Strabon (XIII, 2, 4), est remarquable par la proximité de1 2

(1) J'hésite à rappeler ici l'énigmatique passage d’Ovide où Sapho mentionne la


plongée libératoire de Deucalion amoureux de Pyrrha (supra, p. 59). Le saut de
Leucade, dans l’imagination des Grecs, devait guérir de leur folie, en premier lieu,
des hommes épris de jeunes garçons, en second lieu des femmes éprises d’hommes.
Un homme digne de ce nom ne perd pas la tête pour une femme. Ovide aurait-il
connu quelque histoire où Pyrrhos faisait figure d’éromène de Deucalion, et l’aurait-
il adaptée vaille que vaille au cas de Sapho ? Toutes les explications qui viennent
à l’esprit semblent, on l’avoue, aussi absurdes que l’épisode lui-même, et ce n’est
pas peu dire.
(2) Strabon, IX, 4, 2. La Locride se vantait d’avoir vu débarquer Deucalion,
prétention qui s’explique parce qu'elle avait un culte des Titans et que les survi­
vants sont deux Titanides. Cf. M. Delcourt, The last Giants, History of Religions,
1965, fase. I,
— 102 —

promontoires semblables à celui de Leucade, où Ovide place une


plongée de Deucalion.
Les contiguïtés géographiques entre Deucalion, Pyrrha et Pyr­
rhos, fugitives en Phthie, puis en Épire, sont beaucoup plus frap­
pantes à Delphes.
Les récits les plus nombreux veulent que l’esquif des deux
survivants — Çwtrvpôv ti tov àvdpœnlvov aneppLaros StatftvXdrTov
els ivcyovrjv kclklcls p-el^ovos, comme dit drôlement le Timon de
Lucien {Timon, 3) — ait débarqué à Lykoreia, un sommet au
nord-est de la chaîne du Parnasse. D’autre part, une tradition
constante fait de Delphes une sorte de filiale de Lykoreia, dont les
habitants se seraient établis plus bas, mieux à portée de la source de
Castalie (1). Les anciens expliquaient le nom de Lykoreia par celui
du loup et racontaient que les habitants du village avaient échappé
au déluge grâce à des loups : ceux-ci les auraient guidés vers les
crêtes que l’inondation n’avait pas atteintes (Paus., X, 6, 2). Les
modernes y reconnaissent plus volontiers une racine désignant la
lumière, de quoi Usener s’est autorisé lorsqu’il a formulé sa théorie
du Lichtgott sortant du coffre pour une épiphanie victorieuse.
L’étymologie est ici trop incertaine (et représente en soi une mé­
thode trop dangereuse) pour qu’il soit prudent d’en rien déduire. La
même racine figure dans le nom de ce Lykaon, dont le crime,
dans la fable suivie par Ovide, détermina Jupiter à détruire l’huma­
nité. Au cours des siècles, alors que personne sur le Parnasse ne
connaissait plus le nom de Delphes, celui de Lykeri n’a cessé de
désigner une des hautes cimes du massif.
Les Delphiens, descendants des gens de cette Lykoreia sur la­
quelle Deucalion avait régné, considéraient le Survivant comme une
sorte de fondateur. Orestheus roi de la Locride Ozole aurait été
son fils (Paus., X, 38, 1). Une chienne appartenant à Orestheus
avait, dit-on, mis bas, au lieu d’un chiot, un rameau ligneux qui,
planté par le roi, donna naissance à une vigne. Amphictyon, autre
fils de Deucalion, fut le premier à mélanger l’eau et le vin. C’est
autour des fils de Deucalion que cristallisèrent ces légendes relatives
au vin qui apparaissent volontiers en marge des traditions dilu­
viales {Genèse, IX, 20). La prétention des Delphiens était, bien
entendu, contredite par celle d’autres cités. Les Athéniens vou­
laient que Deucalion fût venu chez eux sous Cranaos et y eût été1

(1) Schol. Apoll, de Rh., II, 1490 ; IV, 711 ; Strabon, IX, 3, p. 418.
— 103

enterré (Paus., I, 18, 8 ; Chron. Par., 4). Ce ne sont là que des


légendes politiques comme les États grecs en ont tant élaboré (1).
Sous les traditions delphiques au contraire se laissent entrevoir
des réalités religieuses. Elles paraissent d’abord hétéroclites. Un
examen attentif révélera peut-être certaines cohérences.

* * *

Plutarque dans sa neuvième Question grecque (292 D) demande


qui est celui que les Delphiens appellent Hosioter. C’est, dit-il, la
victime qui est immolée lorsqu’on déclare un Hosios. « Ils sont cinq
à être Hosioi à vie ; ils collaborent avec les prophètes dans la plu­
part de leurs activités et prennent part aux sacrifices. Leur titre
est qu’ils passent pour descendre de Deucalion» (2).
Non seulement Delphes honorait les descendants de Deucalion,
mais elle avait une fête pour commémorer le Déluge, et cette fête
s’appelait Aigle, la Flamme. On ne saurait assez regretter de
n’avoir pour tout renseignement sur elle qu’une phrase elliptique
qui la définit comme un sacrifice offert en faveur, ou à cause du
Déluge (3), mais qui ne nous dit rien sur son esprit ni sur son con­
tenu. Aucun Ovide ne s’est trouvé à Delphes pour en décrire minu­
tieusement les fastes. Et l’oracle a si bien éclipsé les liturgies prati­
quées quotidiennement dans le sanctuaire que la véritable religion
delphique, difficile à dégager de la littérature qui l’obscurcit, nous
est fort mal connue.
On s’étonnera donc qu’une commémoration de la Grande Inon­
dation soit désignée par le nom du Feu. Mais le nom d’Aiglé peut
nous apprendre quelque chose. C’est celui d’une fille d’Asclépios,
sœur par conséquent de Iaso, Akeso, Panakeia, Épioné et Hygie :
toutes ont des noms parlants. Le sien ne la désigne pas immédiate­
ment comme guérisseuse. Elle est venue dans le monde de la méde­
cine en partant du monde de la lumière, dira Usener. Lorsqu’on
se souvient qu’Asclépios a été censément puni, mais en réalité
divinisé par la foudre de Zeus, on comprend qu’on lui ait donné la
Flamme pour fille. Thésée s’éprend d’une Aiglé fille de Panopeus1 2 3

(1) Voir M. P. Nilsson, Cults, myths, oracles and politics in ancient Greece, 1951.
(2) "Are yeyovevai 8okovut€ç dno AevKaXlwvos. "Are est une correction, universel­
lement admise, d’Estienne pour à.
(3) Bekker, Anecd., p. 354* *5 Aiyhrj, XafxiTTjbùtv, avyrj <f>éyyos, (f>ô)s, /cat rj dvola
âc 17 VTTCp Tov Karar-Xvofiov €iç AeX<f>ovs aTrayofiévr) aiyXr] eKaXeîro.
— 104 —

l’Omnivoyant (Panopeus est le nom d’un bourg voisin de Delphes)


et abandonne pour elle Ariane fille de Pasiphaé : la double homo­
nymie saute aux yeux (i). Apollon Aigletas était honoré dans l’île
d’Anaphé, qu’il avait, disait-on, fait jaillir des flots pour le salut des
Argonautes aux prises avec une tempête. On célébrait à Anaphé, en
l’honneur du dieu, des fêtes où hommes et femmes échangeaient
des lazzis et des brocards, commémorant ainsi la joie délirante des
Argonautes qui avaient célébré leur sauvetage en s’enivrant avec
les servantes de Médée. Après quoi ils avaient élevé un temple
au dieu Rayonnant (2).
Un récit détaillé de l’arrivée des Argonautes à Anaphé, résumé
par Apollodore et Conon, occupe la fin du IVe chant des Argonau-
tiques (3). Les navigateurs échappent à la tempête et retrouvent la
terre ferme avec les mêmes sentiments qu’Ulysse abordant en
Phéacie — ceux qu’on peut supposer à Deucalion touchant la
cime du Parnasse. Il serait certes imprudent, à partir d’une homo­
nymie approximative, de supposer à une fête inconnue un éthos
analogue à celui d’une autre, connue seulement par un texte litté­
raire. Les circonstances cependant sont curieusement semblables.
Jamais, à vrai dire, Apollon n’est représenté comme favorable à
Deucalion. Mais l’épiclèse de Lykaios lui est fréquemment accordée.
Une liturgie de Lykoreia, censément instituée pour commémorer
l’atterrissage du coffre probatoire, peut très bien avoir été transférée
à Delphes et y avoir reçu une interprétation apollinienne, celle que
suggère la comparaison avec Anaphé. Ce qu’on distingue sous le
nom d’Aiglé serait donc moins la flamme élémentaire qu’un aspect
d’Apollon. Les mythologues du XIXe siècle ont un peu trop parlé
du Lichtgott comme si ce nom seul expliquait quoi que ce fût. Ils
ont trop peu cherché à atteindre des valeurs plus précises. Lumière
est une notion littéraire, qui ne prend un contenu saisissable que
par opposition à obscurité, comme jour à nuit, chaleur à froid,
vie à mort. Autrement concrète est l’image de la source lumineuse,
Soleil ou Feu, quels que soient du reste les usages à quoi l’on destine
celui-ci. Or, si l’Eau à Delphes, malgré le prestige des sources1 2 3

(1) Plut., Thésée, 20 et Hés., fr. 123 ; Usener, Götternamen, p. 165.


(2) Sur la signification religieuse du voyage des Argonautes, cf. Roland Crahay,
L’eau de la vie, pp. nr-r49.
(3) IV, 1694-1730 ; Apoll., I, 9, 26 ; Conon, 49 ; cf. l’article Aigletas de Wentzel
dans P.-W. (1897).
— 105 —

fameuses, Castalie et Cassotis, ne joue qu’un rôle banal d’instru­


ment purificateur, le Feu au contraire y tient une place extrême­
ment importante.
*
* *

A notre connaissance, il n’y avait de Feu Immortel, conçu


comme primitif, éminemment sacré et capable de régénérer les
autres, qu’à Delphes et à Délos. Les autres ou bien en dépendent,
ou bien n’ont de valeur que pour la cité qui les entretient.
Celui de Délos servait de source pure pour renouveler les feux à
Lemnos où, chaque neuvième année (i), ils étaient éteints pendant
neuf jours. Le navire qui ramenait le feu délien n’abordait l’île que
lorsque toutes les purifications y avaient été accomplies. Les théores
pendant ce temps veillaient que rien ne souillât la flamme qu’ils
rapportaient. Ayant débarqué, ils partageaient le feu pour tous les
besoins de la vie et pour les ateliers des artisans, et c’était le signe que
commençait une vie nouvelle. Le rite du renouvellement du feu
avait certes à Lemnos une importance exceptionnelle à cause de
l’industrie de l’île. Le travail des métallurges est dangereux, tou­
jours coloré de sorcellerie. Le feu en soi est déjà un élément inquié­
tant, toujours prêt à se retourner contre ceux qui seraient tentés de
voir en lui un serviteur docile. Si Philostrate raconte ces rites en
si grand détail, c’est qu’en son temps ils faisaient probablement
figure de singularité archaïque. Et cependant l’on peut se repré­
senter à l’image du modèle lemnien — sinon dans les détails, du
moins dans l’inspiration générale — les autres transferts d’un feu
pur.
Après la bataille de Platées, l’oracle interdit de faire aucun
sacrifice avant d’avoir purifié le pays souillé par la présence des
Barbares. Les magistrats — comme à Lemnos — firent éteindre
tous les feux. Euchidas, un Platéen, promit de rapporter dans le
plus bref délai un feu pur qu’il irait chercher au foyer commun
de la Grèce. Arrivé à Delphes, il se purifia, s’aspergea d’eau lustrale,
se couronna de laurier, reçut le feu de l’autel et revint le même jour

(i) Philostrate, Hevoïcos, XX, 24. Je lis avec Wilhelm, au lieu de ko.8' êva rot
ërovs, inintelligible, ko.9' îimrov êrovs, la forme aspirée étant attestée. La mauvaise
correction kuB’ ïxacnov cros a amené plusieurs historiens à faire une seule litur­
gie de la grande purification et de la séparation, certainement annuelle, des femmes
Voir Héphaistos, p. 172 sqq.
— io6 —

à Platées, ayant couvert 1000 stades (i). Il expira en arrivant et


fut enterré près du temple d’Artémis Eucleia (Plut., Arist., XX,
p. 331 D). J’ai dit ailleurs (Héphaistos, p. 202) ce qui paraît là avoir
été romancé. Le messager a des raisons de faire diligence au retour,
pour préserver la pureté du feu. Mais il n’en a aucune de se hâter
à l’aller, et tout au contraire, car la fatigue causée par la première
course compromettrait le succès de la seconde, qui seule, religieuse­
ment parlant, est importante. L’exemple de Lemnos prouve qu’une
cité antique était peu sensible à la raison terre à terre qui, pour
nous, justifierait la hâte du courrier dans la première partie de sa
mission, à savoir que tous les feux avaient été éteints dès son départ.
Le conte, apparenté à celui du messager de Marathon, vient d’une
mauvaise interprétation de l’épigramme funéraire :
ÉuyiSaç TJvdùühe dpéÇaç rjXde râS’ av9rjp.epôv,

mais ce qui concerne les rites est certainement exact.


Euchidas s’improvise pyrphoros. L’office en général était accompli
par un prêtre ou une prêtresse qualifiés. Le roi de Sparte ne partait
en guerre qu’accompagné d’un pyrphoros qui assurait l’entretien
d’un feu sacré, pris à l’autel et qui ne pouvait jamais s’y éteindre.
Ils allaient ainsi jusqu’à la frontière et là, à l’aide de ce feu, accom­
plissaient les sacrifices (Xén., Const, des Lac., XIII). Une pyrphoros
athénienne accompagnée d’un personnage officiel désigné par
l’État se rendait à Delphes, peut-être dans le train de la Pythaïde,
recevait du feu dans un trépied sacré et le ramenait à Athènes,
sur un char (2). La ville avait au Pythion et sur l’Acropole, pro­
bablement à l’Érechtheion, des foyers qu’elle nommait Immortels,
mais qui n’avaient nullement le caractère originel de ceux de Delphes
et de Délos. Le second, qui n’était peut-être qu’une lampe, s’étei­
gnit faute d’huile quand Sylla assiégea la ville en 86. Celui de
Delphes ne pouvait être alimenté que de bois de pin et de laurier,
arbres toujours verts et symboles d’immortalité. Il disparut avec
l’autel quand le temple fut incendié par les Maides de Thrace,
entre 88 et 84. Plutarque, qui raconte le fait (Numa, IX, 12, p. 66 C),
ajoute : « Il n’est pas permis, dit-on, de le rallumer à un autre feu ;1 2

(1) Chiffre quelque peu stylisé, la distance à vol d’oiseau de Delphes à Platées
étant de 62 km., soit 335 stades.
(2) G. Colin, Le culte d'Apollon Pythien à Athènes, 1903, pp. 88 sqq. Le règle­
ment de la pythaïde est assez bien connu ; sa valeur religieuse nous échappe à peu
près complètement.
— 107 —

il faut en faire un tout nouveau, en allumant au moyen du soleil


une flamme pure et sans souillure. » Et il décrit le feu de miroirs
grâce à quoi l’on y parvenait. La rédaction, très confuse, ne dit
pas exactement quel feu était ainsi ressuscité, mais Robert Fla-
celière (i) a certainement raison de juger que le rite concernait
uniquement celui de Delphes. Un feu nouveau aurait pu être rallumé
selon la méthode courante, par la rotation d’un bois mâle dans une
souche femelle. Si l’on tenait tant à ce qu’il fût un « fils du Soleil »,
serait-ce qu’une tradition archaïque le disait allumé par la foudre ?
Dans les cosmogonies, en effet, l’origine lumineuse du feu alterne
avec l’origine sexuelle. Elles s’excluent mutuellement (2).
Il y avait certainement en Grèce d’autres feux sacrés qui, plus
modestement, jouaient leur rôle de source par rapport à des litur­
gies locales. Nous en connaissons un qui, curieusement, groupe
plusieurs des données que nous avons déjà rencontrées. Pausanias
a vu en Arcadie, sur le Crathis, un temple d’Artémis Pyronia « où
les Argiens anciennement venaient chercher du feu pour leurs
fêtes de Lerne» (VIII, 15, 9). Non loin était un temple d’Apollon
Pythien. Du massif montagneux partaient les sources du fleuve
Crathis, homonyme de celui du Bruttium et doué comme lui de la
propriété de roussir les cheveux (vide supra, p. 20). Il est difficile
de ne pas conjoindre ces éléments lorsqu’on se souvient d’une
formule delphique datant probablement de 117 avant J.-C., où
l’amphiction demande le bonheur en échange de sa fidélité au ser­
ment qu’il prête « à Thémis, Apollon Pythien, Léto, Artémis,
Hestia, le Feu Immortel et tous les dieux et déesses » (3). Le petit
sanctuaire arcadien groupe des valeurs identiques.
A Delphes même, une fois par an, les devins, c’est-à-dire la pythie
et le prophète, se rendaient en procession au foyer public, feu
« laïc », que Delphes entretenait comme toutes les cités. Il se trou­
vait dans la tholos de Marmara. On ignore l’objet de cette proces­
sion. C’était peut-être de régénérer le foyer collectif au moyen
d’une flamme plus pure.1 2 3
*
* *

(1) Voir son excellent article de la R. E. G., t. 61 (1948), pp. 415 sqq., et, sur
le feu de l'Acropole, son édition de la Vie de Numa, IX, 12.
(2) Mircea Eliade, Méphistophélès et 1’Androgyne, pp. 47-49.
(3) G. Colin, Culte d'Apollon pythien, p. 89, n. 4 ; B. C. H., t. XXVII, 1903,
p. 107.
— io8 —

Nulle part en Grèce le feu ne tient dans les liturgies une place
aussi importante que dans la région dont Delphes est le centre.
A l’intérieur même du sanctuaire, Posidon avait, disait-on, pro­
phétisé bien avant Apollon, puis lui avait cédé la place en échange
d’un apanage à Calauria en face de Trézène. Posidon rendait ses
oracles par l’intermédiaire d’un interprète nommé Pyrkon (i), ce
qui indiquait une divination par le feu. A l’époque historique,
le dieu avait encore son sanctuaire personnel dans l’enceinte d’Apol­
lon, et, dans le grand temple, un autel à feu à côté de Yhestia, ce
qui était assez insolite. D’autre part, un fonctionnaire du temple
portait le nom de Pyrkoos. Ses fonctions nous sont inconnues.
Plusieurs méthodes divinatoires ont été pratiquées à Delphes dont
on ne sait à peu près rien, toutes ayant été éclipsées, mais non
supplantées, par le prestige de la pythie (2).
L’énigmatique Steptérion, qui se célébrait sur l’esplanade tous
les huit ans — et dont le nom même n’est pas sûr — a donné
lieu à bien des exégèses différentes (3). Une cabane en bois, con­
struite sur l’aire sacrée, est silencieusement prise d’assaut. A la
lueur des torches arrive un garçon dont les parents sont encore
vivants. On met le feu à la cabane, on renverse la table et, sans
tourner la tête, on s’enfuit par les portes du sanctuaire, après quoi
Vamphithaïes suivi de ses compagnons se comporte comme un
esclave fugitif. Ils vont à Tempé, se livrent à des purifications et
reviennent à Delphes par la route Pythias, couronnés de laurier
sacré. Leur archithéore, probablement l’amphithalès du premier
soir, porte un rameau d’olivier.
Les anciens interprétaient le Steptérion comme une commé­
moration du combat d’Apollon contre le Python, dont le dieu
avait expié le meurtre en s’exilant et en servant Admète pendant
une année. Rien cependant, dans le rite delphique, ne rappelle
même l’existence du Python.
Mettant l’accent sur l’incendie de la baraque, qui, dit Plutarque
(Def. Orac., XV), «doit ressembler à la demeure d’un roi ou d’un1 2 3

(1) Dit Pausanias (X, 5, 6) en citant deux vers de style homérique qui doivent
venir d'un hymne.
(2) Voir Delphes, pp. 33, 46, 72, 76, 136 sqq.
(3) Les sources anciennes, toutes lacunaires, sont Plut. De musica, XIV, p. 1136;
XIIme Question grecque ; Def. Orac., XV ; Strabon, VIII, p. 422 ; Élien, Hist, var.,
Ill, I. Voir Usener, A. R. IV., t. VII (1904), p. 313 (= Kl. Sehr., IV, p. 477) ;
H. JEANMAIRE, Couroi et CourUes, 1939, pp. 388 sqq. ; Jiirgen Trumpf, Stadt­
gründung u. Drachenkampf, Hermes, t. 86 (1958), p. 153.
tyran », Usener distingue dans le Steptérion une primitive cérémo­
nie destinée à amener la pluie (mais comment ne serait-elle pas
annuelle ?) qui se serait surchargée d’un drame sacré représentant
l’incendie du palais de Priam, le tout expliqué ensuite en fonction
de la légende pythique d’Apollon.
Jeanmaire y trouve des survivances de rites initiatiques que le
sacerdoce aurait rattachés vaille que vaille aux traditions locales
et aménagés, grâce au tracé de la route Pythias, afin d’accuser la
solidarité entre les cantons groupés dans l’amphictionie. Il marque
les ressemblances entre le Steptérion et les Oschophories athé­
niennes dont l’aition est la geste de Thésée : des jeunes gens partent
pour l’exil et la servitude et font une rentrée triomphale en rappor­
tant 1 eiresione. La fuite vers Tempe, définie par <j>vyrj, ttXaveu,
Xarpeîa, transposerait l’entrée en retraite préalable aux épreuves
du noviciat.
On le suivra volontiers dans cette partie de son exposé.
Mais comment ne pas voir qu’elle laisse de côté la scène qui se
passe sur l’aire, autour d’une baraque «faite à l’imitation d’un
palais » ? Jeanmaire rappelle bien les joutes où s’affrontent deux
partis de garçons, souvent organisées rituellement, et qui, en Europe
centrale par exemple, sont supposées commémorer les événements
historiques — les Croisades, assez souvent, ou telle ou telle guerre —
auxquels elles sont bien antérieures (i). Telle est, en Grèce, la
Ballètys éleusinienne, rattachée légendairement à l’enfant Démo-
phon (Hymne à Dém., 266-8). Mais rien n’indique à Delphes que les
couroi se divisent en deux groupes. Jeanmaire considère la « table
renversée » comme un épisode de la lutte et passe l’incendie sous
silence.
Or, la table renversée n’est un geste ni agressif, ni possessif, mais
un mouvement d’indignation qui répudie une solidarité — celle
que crée la nourriture prise en commun — en appelant un châti­
ment. On le trouve au moins trois fois dans la légende grecque,
associé chaque fois au cannibalisme. Thyeste renverse du pied la
table où Atrée lui a fait manger ses enfants et prononce une impré­
cation contre les Pélopides (Esch., Agam., 1601). Térée fait de
même après avoir mangé Itys (Ov., Métam., VI, 661). Zeus renverse
la table où, trompé par Lycaon (ou par ses fils), il a failli manger de* VII

(1) Jeanmaire, Couroi, p. 398 ; Ch. Picard, Liâtes primitives d’Athènes et


d'Éleusis, Rev. Hist., 1931. Sur les catervae en général, voir Usener, A. R. W.,
VII (1904), p. 297 = Kl. Sehr., IV, p. 435.
IIO —

la chair humaine (Apoll., Ill, 8, i ; Hygin, Fab., 176; Érat., Catast.


8). La table renversée préfigure l’écroulement promis au vrai
coupable, celui qui a servi le repas trompeur, non celui qui y a
participé. Ovide n’a pas repris le détail au début des Métamorphoses
(I, 230), où le crime de Lycaon déchaîne la fureur de Jupiter. Celui-
ci, sur-le-champ, anéantit la maison de sa foudre et, tandis que
Lycaon s’enfuit épouvanté, s’apprête à détruire l’humanité par
le feu, puis renonce à son projet et libère les eaux diluviales.
Si la première partie du Steptérion est un drame sacré, on ne
voit aucun épisode à quoi elle correspondrait plus exactement
qu’au début du Grand Cataclysme.
Sans tourner la tête, les garçons fuient la baraque en flammes. Le
précepte pythagoricien àTrobr\p.œv rfjs o'u<las y-rj imcrTpepov ■ 'Epivvts
yàp p.eT€pyovTcu peut s appliquer a des novices qui partent pour la
retraite et, tout aussi bien, à ceux qui fuient le feu allumé par la
foudre divine.
Jeanmaire (p. 406) distingue un cycle initiatique novénaire dans
les rites du Steptérion. Le renouvellement du feu lemnien est
également novénaire. Les lauriers ramenés de Tempé servaient au
temps d’Élien (III, 1) à couronner les vainqueurs des jeux py-
thiques. Mais le laurier était aussi l’aliment du Feu Immortel.
Parmi d’autres valeurs — car elles sont certainement multiples —
le Steptérion aurait-il servi à régénérer la source sacrée du feu de
l'hestia, après une purification symbolique résultant d’un simu­
lacre du grand incendie ?
Tithorée en Phocide, éloignée de Delphes de quelque quinze
kilomètres, apporte un parallèle curieux, non au Steptérion tout
entier, mais à la mise à feu de la baraque. Deux foires y ont lieu
chaque année, au printemps et en automne. A l’époque de Pausa-
nias (X, 32, 14-17), elles sont célébrées en l’honneur d’Isis. Des
purifications marquent le premier jour. Le lendemain, les mar­
chands se construisent des boutiques en roseaux et autres maté­
riaux de fortune où, le troisième jour, ils vendent de tout, esclaves,
bestiaux, vêtements, bijoux. Le marché fini ont lieu les sacrifices.
Les riches immolent des bœufs et des cerfs ; les pauvres, des oies
et des pintades. Le porc et la chèvre sont interdits. On transporte
les bêtes dans le sanctuaire où un bûcher a été préparé. Les mar­
chands alors mettent le feu aux boutiques et s’enfuient (1).1
(1) Dans Vaition qui réfère le Steptérion à la mort du Python (i5me Quest, gr.).
celui-ci est enterré par son fils Air, ce que Jeanmaire rapproche du nom d’Égée,
— Ill —

Jeanmaire (Couroi, p. 404) a bien reconnu dans les aitia du


Steptérion comme dans les Oschophories athéniennes des traces
d’un sacrifice du pharmakos. On peut même aller plus loin que lui.
Nos sources ne disent pas que le couros amphithalès qui fuit la ba­
raque incendiée était poursuivi par ses camarades, mais tout indique
qu’il en était ainsi. Souvenons-nous de plus de la mort de Néopto-
lème telle que la décrit Euripide : frappé sur Yhestia, il se sauve
jusqu’à l’autel de l’esplanade, poursuivi à coups de pierre par les
Delphiens et finalement accablé par eux. C’est exactement la mort
d’un pharmakos (1).
Si bien qu on se demande si un Steptérion archaïque n’aurait
pas été célébré pour le Héros anonyme qui fut plus tard dénommé
Pyrrhos et qui avait avec quelque Grand Embrasement un lien
dont la nature exacte nous échappe.

* * *
Nilsson a groupé les fêtes où l’on brûle « quelque chose qui
ressemble à une maison ». Peut-être faudrait-il en exclure les holo­
caustes de Messène (Paus., IV, 31, 9) et de Titane (II, 11,17), où il
n’est question d’aucun édifice (2). La distinction risque du reste
d’être artificielle, car les animaux ne peuvent être précipités vi­
vants dans un brasier que si celui-ci est barricadé ou établi dans
nne fosse. A part ces fêtes et les irvpoœv éopral de Larissa et de
Lyrkeia, et à l’exception—-plus apparente que réelle — des Laphria
de Patras, les fire-festivals se situent au nord de l’Isthme. Citons :

un des personnages de la geste de Thésée, en rappelant d’autre part le rôle de la


chèvre dans les antiquités de Delphes (Couroi, p. 403) et dans les rites préalables
à la consultation (Oracle de Delphes, p. 50). La chèvre est exclue des sacrifices de
Tithorée et de ceux que recevait Asclépios à trois lieues de là (Paus., X, 32, 13)
dans son grand sanctuaire où il était honoré comme Archégète. Isis à Tithorée
aurait-elle absorbé un culte mineur d'Asclépios, éclipsé par le prestige du temple
de l’Archégète, et non d’Artémis, comme on le pense généralement ? Comme Sémélé,
honorée à Delphes, Asclépios a reçu l’apothéose du feu. La chèvre est toujours
exclue de ses sacrifices (Frazer, Paus., note à II, 26, 9). Il est assez curieux de
trouver cette valorisation religieuse de la chèvre en marge de liturgies ou de légendes
où le feu joue un rôle capital.
(1) Usener, Stoff des gr. Epos, 1897, P- 47 (Kleine Schriften, IV, p. 244) a très
bien vu la parenté entre Vaition des Thargélies et le récit euripidéen.
(2) M. P. Nilsson, Gr. Feste, p. 54 et J. H. S., t. XLIII (1923), p. 144. Il est sou­
vent difficile d’imaginer concrètement des holocaustes d’animaux vivants, comme
celui des tourterelles d’Adonis à Chypre, que me rappelle M. Labarbe, Diogen.
ap. Leutsch-Schneidewin, Paroem. gr. I, p. 180 ; Schol. Aphthonios ap. Waltz,
Rhet. Gr., II, p. 11-12
— 112 —

Le grand bûcher de l’Œta, où l’on a retrouvé des ossements


d’animaux et quantité d’objets brûlés.
L’autel de troncs élevé sur le Cithéron pour les Grandes Dédalies
béotiennes, où l’on consumait des animaux et les poupées consa­
crées aux Petites Dédalies précédentes.
Les boutiques incendiées deux fois par an à Tithorée.
Le « palais » construit tous les huit ans sur l’aire delphique.
Les sacrifices annuels d’Artémis Laphria.
Ceux-ci ne sont connus avec quelque détail que pour Patras, où
Pausanias (VII, 18, 8-13) donne une description assez confuse.
On dressait un autel de bois, en gradins, que 1 on remplissait de
terre, puis de bûches sèches, et qu’on isolait par une barricade de
branches vertes, de 16 coudées (environ 7 mètres). On y amenait
des animaux vivants, bêtes des bois, sangliers, cerfs, chevreuils,
loups, ours. Dès que jaillissait la flamme, les animaux cherchaient a
s’échapper et franchissaient souvent la balustrade. On les ressaisis­
sait pour les rejeter dans le brasier. De mémoire d’homme, dit-on
au voyageur, personne n’avait jamais été blessé.
Cela nous paraît aussi invraisemblable que le rite romain des
renards ardents. On peut se demander si un élement utile de la
cérémonie n’était pas justement la fuite de l’animal et une poursuite
qui, la plupart du temps, devait être purement symbolique, car la
bête affolée devait aisément distancer l’homme, à moins que celui-
ci ne l’atteignît d’un projectile, ce qui revient à dire que l’animal
se comporte là comme un pharmakos traqué à coups de pierres.
Laphria (1) semble avoir été une déesse de la Grèce du nord
assimilée ultérieurement à Artémis. Le culte de Patras venait de
Calydon ; près de cette ville, Strabon a vu un temple d’Apollon
Laphrios (X, p. 459). Artémis Laphria était honorée dans toute
la Phocide et, quand il l’adoptèrent, les gens de Patras considé­
rèrent comme fondateurs du culte Laphrios fils de Castalios, fils
de Delphos. Il est attesté aussi dans le Péloponèse ; Gythéion
avait un mois Laphrion et la déesse était honorée à Céphallénie.
Mais son prestige est surtout évident en Phocide. A Hyampolis,
la grande fête d’Artémis s’appelait Laphria, mais aussi Élaphébo-
lia, le premier nom étant probablement indigène, le second dû à
l’influence de fêtes analogues en Attique, où l’on ne brûlait toute­
fois que des gâteaux en forme de bêtes. Delphes a une phratrie1

(1) Voir l’article Laphria de Kroll dans P.-W. (1925)-


des Laphriades. Le banquet des Labyades comporte trois fêtes
d’Artémis, des Artémitia, des Eucleia, des Laphria. Elles tombent
dans le mois phocidien de Laphrios, lequel correspond à Théoxénios
à Delphes, à Élaphébolion en Attique. Cela nous ramène à une
époque où le culte d’Apollon sur le Parnasse n’avait pas encore
rejeté dans l’ombre des liturgies plus anciennes. Car les Labyades,
associés avec Laphria et probablement avec Posidon (Oracle de
Delphes, p. 137, n. 1) ne semblent jouer aucun rôle dans les céré­
monies en l’honneur d’Apollon.

* * *

Nous avons vu quelle image les légendes grecques présentent des


valeurs immortalisantes du feu : une interprétation systématique­
ment malveillante les altère, les dégrade ou les nie. Il est d’autant
plus frappant de trouver dans le contexte delphique deux régéné­
rations par la flamme : celle de Sémélé, celle de Dionysos. Elles
n’appartiennent pas au passé archaïque du sanctuaire, mais il est
significatif qu’elles aient été attirées par lui. Et elles ont contribué
à en colorer le paysage religieux.
*
★ *

Le Dionysos révéré à Delphes est un dieu qui meurt et res­


suscite, une année sur deux, périodicité qui reste pour nous énigma­
tique. « Les Delphiens, dit Plutarque (Isis et Os., 35, p. 365 A),
prétendent que les restes de Dionysos sont ensevelis chez eux près
de l’endroit où se rendent les oracles. Les Hosioi offrent dans le
temple un sacrifice secret chaque fois que les Thyiades éveillent le
Liknitès », l’enfant divin présenté dans le van mystique.
Servi par des descendants de Deucalion, Dionysos reposait donc
à Delphes près du Feu Immortel et du trépied. Ce voisinage nous
ramène à un problème difficile, celui de la nature exacte de Yholmos,
cette cuve que supporte le trépied, et du rapport que peut avoir
Yholmos avec un chaudron de régénération (Delphes, p. 154).
A. B. Cook {Zeus, II, p. 219) y donne une réponse affirmative,
estimant que c’est bien dans Yholmos delphique que les membres
disjoints de Dionysos se recomposent en un corps vivant. C’est du
moins ce qu’on semble avoir pensé à partir du IIIe siècle. Il n’est,
hélas ! aucun sanctuaire dont les anciens aient plus parlé que de
Delphes, aucun non plus dont ils aient parlé avec moins de préci-
sion. Rien n’a été sauvé ni des liturgies ni de leur scénario explicatif
qui nous dise même comment Dionysos meurt et ressuscite pour
reparaître enfant dans le van. Il est impossible par conséquent de
dépasser l’hypothèse. Le rôle du chaudron est à peu près certain ;
celui de ïholmos est assez vraisemblable.
De toutes les utilisations religieuses du feu, la cuisson dans le
chaudron est la seule que les légendes ne frappent pas régulière­
ment d’un affedus négatif. Pélops renaît, et pour une destinée supé­
rieure, de la cuve même où ses membres avaient été criminellement
mis à bouillir. Médée rajeunit les serviteurs de Dionysos (Esch.,
fr. 50), le vieil Éson, Jason lui-même (premier argument de Médée).
Démos à la fin des Cavaliers (1321-1331) reparaît transfiguré par le
traitement tout semblable que lui a fait subir le Charcutier. Quand
la méthode échoue, c'est que le magicien l’a voulu ainsi, comme il
arrive à Médée à propos de Pélias. Sinon, elle est la seule magie du
feu qui soit toujours supposée efficace : exception sur laquelle on
peut réfléchir. Le feu n’apparaît point là sous sa forme brutalement
élémentaire, mais sous un aspect familier, ouvert à la fois sur la
vie quotidienne et sur la vie instinctive. Il échauffe de l’eau,
élément natal, dans un récipient qui sert à la cuisine (ce n’est point
par hasard que la régénération de Démos est l’œuvre d’un charcu­
tier) mais qui s’appelle souvent gastra, ce qui fait penser d’une
part à l’alambic où les alchimistes préparent un homunculus, et
d’autre part à cette histoire que raconte Hérodote (I, 59). L’Athé­
nien Hippocrate sacrifie à Olympie ; les chaudières pleines de
viandes et d’eau se mettent à bouillir avant que le feu ait été allumé ;
sur quoi le sage Chilon conseille à Hippocrate, s’il lui naît un fils,
de le désavouer. Ce fils fut Pisistrate. L’exégèse de Chilon livre le
symbolisme qui a donné au rite son affedus favorable, tout à fait
insolite dans l’histoire des valeurs du feu.
Parmi toutes nos ignorances en ce qui concerne la véritable
religion delphique — celle d’Apollon aussi bien que la plus ancien­
ne — une des plus déplorables laisse en suspens la nature et les
utilisations de Vholmos.
*
* *

Tous les huit ans était célébrée l'Héroïs, de laquelle Plutarque


dit (XIIe Quest, gr.) : « Ce qui concerne cette fête comporte un
texte sacré que connaissent les Thyiades. Les choses représentées
au cours de la cérémonie suggèrent clairement le retour de Sémélé. »
Une anagôgê est une réapparition au jour. Sémélé, dont le nom
signifie Terre, pourrait être une Coré revenant de son exil souter­
rain, comme Perséphone ou Pandore (Hephaistos, p. 151)- Mais si
sa valeur était purement agraire le retour devrait avoir lieu tous les
ans. C’est pourquoi Jeanmaire (Couroi, p. 411) rattache la fête,
avec celle de Charila, également novénaire, à d’hypothétiques ini­
tiations féminines. On pourrait tout aussi bien penser à une régé­
nération analogue au renouvellement lemnien du feu.
L’Héroïne, comme le Héros qui devint Pyrrhos, fut longtemps
une figure anonyme, avant que l’installation de Dionysos à Delphes
fît d’elle la mère du dieu, à la faveur de contiguïtés qui nous échap­
pent. Sémélé, disait-on, avait été foudroyée, ce qui correspond
régulièrement à un châtiment dans les légendes, à une apothéose
dans le culte. L’anagôgê, à l’origine, n’équivalait certes pas à une
installation parmi les Immortels. Remarquons cependant que,
parmi tous les foudroyés, Sélémé est particulièrement bien traitée
par les poètes. « La mortelle et l’immortel, tous deux sont des
dieux à présent », dit la Théogonie (940-2). Les filles glorieuses de
Cadmos ont beaucoup souffert, dit Pindare (01. II, str. 2), mais
pour arriver à une félicité plus grande que leurs souffrances. La
plus favorisée est Sémélé, chérie de Pallas, chérie de Zeus, chérie
de son fils le Porte-Lierre, — voisine de rue des Immortelles ÇOXv-
pimâhœv dyviâriç, Pyth., XI, i). Même ton dans la première des
inscriptions qui, trois siècles plus tard, furent gravées dans le
temple de Cyzique pour célébrer l’amour filial. « Cette mère terrassée
au moment de ses couches par la foudre de Zeus, son fils la ramène
de l’Achéron (àvdyei) parmi des satyres et des silènes porte-
torches ». Les orgies de Delphes et le réveil du Liknitès avaient lieu
au mois des flambeaux, Dadaphorios.
La gloire de Sémélé ne fit que croître avec la revalorisation du
feu à la fin de l’antiquité. Pour Nonnos, le ya/xoç <f>Xoyepôç est
immédiatement instrument d’apothéose, comme le chaudron pour
Pélops : « Ayant lavé son jeune corps à l’ardeur d’un feu pur, elle
eut dans l’Olympe une existence immortelle» (VIII, 345-420).
Image qui affirme l’homologie de l’eau et du feu, et qui se retrouve
curieusement dans la conception chrétienne où le feu du bûcher
est assimilé à un baptême qui consacre le martyr et l’introduit
au ciel (1).1
(1) Étudiant l’apothéose de Sémélé sur le disque de Brindisi, Boyancé parle
d’une « héroïsation orphique ou pythagoricienne» (R.E.A., t. XLIV (1942), p.
— ii6 —

C’est au mois de Dadaphorios que les Hosioi réveillent le Likni-


tès. Nul doute que le nom ne vienne des torches du Parnasse.

* * *

On a longtemps considéré l’exceptionnelle sainteté du feu del-


phique comme résultant du prestige du sanctuaire. Je verrais tout
au rebours dans d’archaïques croyances relatives au feu, conservées
là mieux qu’ailleurs, un des éléments qui, par leur convergence,
ont réussi à le créer. Delphes n’a pu devenir un centre de rayonne­
ment que parce qu’il fut d’abord le lieu de rencontres privilégiées.
Décrire ces rencontres présente des difficultés que ne soupçonnaient
pas ceux qui admettaient, comme réalité première, l’installation
d’un dieu s’exprimant par la voix d’un oracle. Car aussitôt que
nous essayons d’appréhender les conceptions anciennes qui ont
fait Delphes et qui, même, dans une certaine mesure, ont fait
Apollon — car c’est Delphes, ont dit très justement André Bou­
langer et Louis Gemet, qui doit expliquer Apollon, et non
l’inverse — nous ne trouvons que des vestiges si ténus, des frag­
ments si dispersés, des faits d’interprétation si douteuse, que
toute tentative de reconstitution risque de paraître arbitraire. On
est souvent tenté de partager le pessimisme d’Olivier Reverdin
lorsqu’il écrit : « L’histoire des religions tourne autour de Delphes
comme autour d’un vase dont elle verrait le galbe et la décoration,
sans jamais parvenir à déterminer ce qu’il contient. » Reverdin
pensait à l’époque classique. Que dire alors de l’époque archaïque
et des mystérieuses convergences qui ont mis des siècles à composer
pour Delphes l’extraordinaire signification religieuse dont l’auto­
rité de l’oracle fut le résultat et le symbole ?
Aussi est-ce avec intérêt qu’en suivant deux pistes différentes,
avec l’intention de remonter, si possible, jusqu’au point hypothé­
tique d’où elles se seraient séparées, on les voit, tandis qu’avec
prudence on jalonne l’itinéraire qu’elles semblent dessiner, se rap­
procher de Delphes en même temps qu’elles reviennent l’une vers
l’autre. Toutes deux sont incertaines. Aucune ligne ne se dessine

203 sqq. et not. 212). On ne voit vraiment pas pourquoi il faudrait recourir à ces
obscuriora alors que Boyancé lui-même renvoie à la note de Bidez et Cumont,
Mages hellénisés, II, p. 53, n. 7, qui assimilent, avec raison, Sémélé, Héraclès et
Asclépios, et insistent sur le caractère populaire de la divinisation par la foudre.
d’un trait plein ; le pointillé s’espace souvent. Du moins garde-t-on
en cours de route l’impression que les indices se suivent et ramènent
vers un point de départ.
Ils conduisent à ce lieu où s’est opérée l’extraordinaire synthèse
religieuse que j’ai essayé de décrire dans un livre terminé il y a
dix ans, cette synthèse grâce à laquelle Delphes à l’époque histo­
rique prit une place incomparable dans la vie hellénique. La ren­
contre oblige à remettre en question plus d’une explication admise.
La flamme de Yhestia était la source pure à laquelle les temples
de la Grèce, s’ils avaient été profanés, venaient demander un Feu
Nouveau analogue à celui du Samedi Saint. Délos en possédait
un autre, auquel recouraient les Lemniens lors de leur purification
novénaire. On fut donc tenté d’établir un lien entre Apollon et le
Feu Immortel, d’autant plus que les aspects lumineux ne manquent
pas au dieu de Delphes et de Délos. Mais Délos à l’époque de Plu­
tarque n’a plus sa source ignée, et celles dont Athènes se vante sont
alimentées par Yhestia de Delphes. On est ainsi amené à supposer,
à l’origine, un culte delphique du feu, antérieur à la prééminence
d’Apollon sur le Parnasse. C’est Delphes qui aurait établi un lien
entre le dieu et la flamme ; ce lien aurait ensuite donné à Délos,
autre résidence d’Apollon, un rôle pour lequel rien ne la désignait
primitivement, qu’elle semble du reste n’avoir accompli qu’épiso-
diquement et pendant peu de temps. Les faits que nous avons réunis
rendent probable cette seconde hypothèse. Sur ce point comme sur
plus d’un autre, Apollon fut un héritier. C’est indépendamment de
lui que Pyrrhos et Pyrrha sont venus à Delphes.
Qu’y ont-ils apporté ? Pour répondre à cette question, il faudrait
mieux connaître d’une part les liturgies de toute la région où le
feu apparaît comme un instrument privilégié, et, d’autre part, ce
qui a pu subsister en Grèce de traditions relatives à un Grand
Incendie de caractère à la fois destructeur et régénérateur. Du moins
avons-nous trouvé à Delphes un Feu issu de celui du ciel et que les
techniques humaines ne sont pas dignes de revigorer, une fête
commémorant le Déluge et dénommée paradoxalement la Flamme,
des prêtres descendants de Deucalion, un festival dont un épisode
est l’incendie d’une baraque. C’est peu de chose. Ce n’est pas insi­
gnifiant.
Toute ordalie représente une promotion pour celui qui en sort
vainqueur. Dans les légendes dix Proche-Orient, le Survivant est
ou bien divinisé ou bien uni par une alliance solennelle au dieu qui
- ii8 —

l’a éprouvé. Deucalion reçoit simplement, comme il sied à un Grec,


une consécration politique, car il devient fondateur de villes et
donneur de lois. Phaéthon au contraire est l’objet d’une condamna­
tion dans une légende axée sur la notion morale de démesure, ce
qui n’a pas empêché le sentiment populaire, attesté par les monu­
ments de l’époque tardive, de voir en lui un ressuscité et le symbole
même de la résurrection. Delphes a une Héroïne et un Héros, qui
furent honorés longtemps avant d’avoir une biographie. L’Héroïne
était une foudroyée qui s’appela un jour Sémélé. Le Héros, qui
avait péri sur un autel embrasé, s’appela un jour Pyrrhos. Le nom
de Sémélé est indo-européen ; celui de Pyrrhos est grec : ce qui
signifie que les légendes se sont élaborées tardivement, et sans que
le culte en tienne aucun compte.
Toute cette région de la Grèce centrale, car le Parnasse n’est pas
loin de l’Œta, semble avoir connu des liturgies où le feu avait la
valeur positive que les légendes grecques lui ont obstinément re­
fusée, mais qui, en dépit d’elles, n’ont jamais cessé de vivre dans
l’esprit du peuple. Un grand cataclysme symbolise à l’échelle
cosmique ce qu’est pour l’individu l’immersion dans l’eau baptis­
male, le passage à travers la flamme. Étant donné le caractère
totalement bénéfique de l’eau en face de la foncière ambivalence
du feu, la traversée du bûcher et la plongée dans la cuve ne pou­
vaient rester pleinement homologues, et moins encore la Grande
Inondation et le Grand Incendie. Est-il téméraire de supposer que
la synthèse delphique doit quelque chose aux deux archétypes et,
peut-être, plus au second qu’au premier ?
— ng —

BIBLIOGRAPHIE

On n’a relevé ici que les ouvrages cités plusieurs fois, et en abrégé. Les
périodiques sont cités d’après les sigles en usage dans L’Année philologique.

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INDEX ANALYTIQUE

Les mots jean, 90 ; de Paul, 87, 89 ; de Pierre,


61, 87, 88, 89.
Delphes,Deucalion, Néoptolème, Pyrrha,
Apocryphes (Évangiles), 83 ; juifs, 87.
Pyrrhos ne sont pas relevés ici, non
Apollon, 21, 41-47, 52, 62, 107, 108,
plus que les noms propres mentionnés
112, 116 ; Aiglétas, 103 ; Laphrios,
de façon incidente. Les thèmes légen­
ni ; Lykaios, 104 ; Moiragète, 50 ;
daires ne sont repris que dans la mesure
Pythien, 34, 107.
où la table des matières ne suffit pas à
Apollonius de Rhodes, 88, 104.
renseigner le lecteur.
Apothésis, 17, 65.
Apulée, 89.
Achaios d’Érétrie, 39. Archiloque, 32.
Achaz, 63, 65. Arès, 72, 92.
Achéron, 83, 84, 115 ; Achérousias, Argonautes, 73, 104.
82, 83. Argos, 64, 107.
Achille, 9, 18, 26, 31-33, 51, 52, 84, Ariane, 104.
99- Aristophane, 16, 20, 22, 29, 39, 81,
Achille (Saint), 43. n4.
Adonis, ni. Aristote, 25, 39.
Ænobarbus, 18. Arsinoé, 66.
Afranius, 19. Artémidore, 22.
Aiglé, 103, 104 ; cf. Apollon Aiglétas. Artémis, 45-47, ni, 113; Callisté,
Aithalion, 97. 46; Élaphébolia, 112; Eucleia,
Ajax, 26, 46, 70. 106; I-aphria, 64, 112, 113; Péra-
Akeso, 103. sia, 62 ; Pyronia, 107.
Albinisme, 25. Artemitia, 113.
Alexandre le Grand, 21, 34, 49. Aruns, 62.
Alexandros-Pâris, cf. Pâris. Asclépios, 52, 67, 103, 116; Arché-
Ambracie, 42. gète, ni.
Amphictions, 45. Astyanax, 35, 51.
Amphictyon, 97, 102. Astynoos, 45, 51.
Amphidromie, 65. Athanase, 85.
Amyclées, 45, 47. Athéna, 18, 34, 64 ; Aiantis, 46 ; Po-
Amyot, 15, 20, 26. liade, 42 ; Tritoné, Tritonia ou Tri-
Anaphé, 104. tonis, 96.
Anchise, 85, 88. Athènes, 38, 42, 45, 70, 106 ; Attique,
Antéchrist, 14, 27. 112.
Apaturies, 18. Atrée, 21, 109.
Aphrodite, 46. Autonoos, 47.
Apocalypses de Daniel, 90 ; du pseudo­ Axiochos, 86.
— 122 —

Baal, 23. Cléon, 16.


BallHys, 107. Clymène, 98.
Balzac, 27-8. Cnidiens (Lesché des), voir Polygnote.
Bandelettes, 23. Cocyte, 82, 84.
Barberousse (Frédéric), 26, 27, Commode, 19.
Basanos, 61. Constantin, 90.
Bienheureux (Iles des), 82. Coré, 115.
Boathoos, 45. Corinthe, 46, 66, 67.
Bonfire, 63, 75. Coronis, 21, 46, 64.
Branchos, 40. Couleurs (Notations de), 17.
Brauron, 47. Cranaos, 102.
Broteias, 69. Crataïs, 73.
Burrus, 18. Crathis du Bruttium, 20 ; d’Arcadie,
107.
Caca, Cacus, 96. Crésus, 69.
Caecilia, Caeculus, 96. Créuse, 47.
Calanos, 69. Cronos, 54, 56.
Calauria, 108. Curètes, 64.
Caligula, 19. Cyclope, 94.
Callisto, 46, 47. Cynos en Locride, 101.
Calycé, 61. Cyprien (Saint), 19.
Calydon, 112. Cypriens (Chants), 32, 34, 35, 51.
Capanée, 67, 68. Cyzique, 115.
Carthage, 68.
Cassandre de Macédoine, 49. Dadaphorios, 115, 116.
Cassandre de Troie, 26. Daitas, 39.
Cassotis, 105. Danaé, 74.
Castabala, 62. Danaïdes, 81.
Castalie, 105. Daniel (Livre de), 75, 89, 91.
Castalios, ni. Dante, 87.
Catherine (Sainte), 91. Darès le Phrygien, 26.
Caton, 19. David, 25-27.
Celmis, 72, 92. Dédalies béotiennes, 64, 112.
Celtes, 24. Déjanire, 71.
Céphale, 60. Délos, 34, 105, 117.
Céphallenie, 112. Delphos, 112.
Cerbère, 84. Déluge, voir chap. Ill et Inondation
Céryces, 34. ( Grande).
Chaos, 86. Déméter, 36, 42, 52, 66.
Charila, 115. Démophon, 36, 66, 109.
Chaudron de régénération, 72, 92, 114. Démos (des Cavaliers), 114.
Cheveux (Force résidant dans 'es), 30. Desdémone, 74.
Chèvre, no, ni. Dia Ganyméda ; Dia Hébé, 96.
Chilon, 114. Didon, 68.
Chypre, ni Didyme (Temple de), 40.
Circé, 83. Diogène, 82.
Cithéron, 64, 112. Diomède, 51.
— 123 —

Dion, Dioné, 96. Étrurie, 62.


Dionysos Liknites, 113-116; Zagreus, Euathlos, 61.
58- Euchldas, 105, 106.
Dioscures, 18, 19, 26. Eucleia, fête, 113.
Diwia, 96. Eumolpe, 82.
Dodone, 99. Eunéïdes, 34.
Dualisme oriental, 87. Eupatrides, 34
Eupolis, 16.
Ea, 54, 56. Euripide, 16, 20, 21, 32, 38, 40, 41,
Edda, 83. 47. 5r- 67. 68, 7° 83, ni.
Égypte, 29. Eurynomos, 81.
' Ektt opinais 76, 90, 100. Eurvsthée, 38.
Élaphébolion, 113. Eustache (Saint), 91
Élasos, 44. Évadné, 68.
Éleusis, 67, 68, 82, 109. Evhémérisme, 48 49
Élohim, 55-7 ; cf. Jéhovah.
Éloi (Saint), 91. Fauna, Faunus, 96.
Emissaires, voir Pharmakos. Fauve, 28, 29.
Empédocle, 69, 70. Fauvel (Roman de) 29
Enagismos, 45, 47-49. Féronia, 62.
Énée, 26, 41, 84, 85, 88. Finnois, 24.
Enfer, 82, 85, 87, 91. Flavus, 18.
Émanes, 45, 98. Fordicidia, 63.
Enlil, 54, 56. Foulques d’Anjou, 14.
Ephialtes, 72. Frédéric Ier, empereur ; Frédéric 11.
Ephrem, 90. 26, 27.
Épicaste, 70. Fulvus, 28, 29.
Épicure, épicuriens, 86, 98.
Épidaure, 91. Gallien, 19.
Épiméthée, 98. Gastra, 114.
Épioné, 103. Gaulois, 41, 47, 48.
Épire. 33, 41, 98. Genèse, 54.
Er le Pamphytien, 73, 74, 82. Germains (Croyances et coutumes
Érèbe, 86. des), 20, 22, 24, 27, 65, 80, 85
Érechthée 45 47. Géryon, 73.
Érechthéion, 47, 106. Goethe, 24.
Érichthonios, 42. Goliath, 25.
Érigène (Jean Scot), 87. Grimm (J. et W.). 13, 16, 22, 25-27,
Érinyes, 86, no. 30. 91.

Érysichthonides, 34. Guillaume de Tyr, 14.


Érytheia, 73. Gythéon, 112.
Ésuü, 25-28.
Eschyle, 23, 47, 93-4, 108. Hadès, 78-85.
Éson, 72, 92, 114. Hector, 26, 34, 35.
Étéonos, 42. Heine (Henri), 28.
Éthiopie, Éthiopiens, 58, 98. Hel, 78, 83.
Etna 58. 84 98. Hélène, 26, 96.
■— 126 —

Phlégéthon, 84 ; voir Pyriphlégéthon. Pythias (Route), 108, 109.


Phlégiens, 42. Pythion d’Athènes, 106.
Phocide, 42, 112. Python, 108.
Phorkys, 73, 74.
Phthie, 55, 98, 101, 102. Renard (Jules), 28.
Phylakos, 45, 47. Rhadamanthe, 84.
Pierre (Saint), 91. Romulus, 68.
Pierres blanches, 60, 83 ; (Génération Rouge (Valeurs du), 21-24.
des), 55, 57. 97- Ruffian, 20.
Pindare, 37, 41, 44, 45» 51» 52> 7°. Rufus, 18.
97» 99. II5-
Pisistrate, 114. Salmonée, 67, 84.
Platées, 23, 105, 106. Samuel, 25.
Platon, 18, 58, 75, 76, 81-85, 98. Sapho, 59.
Plaute, 15. Scapin, 15.
Plutarque, 15, 18. 86, 98, 99. Schéol, 78, 87.
Polycarpe (Saint), 91. Scyros, 31, 35.
Polygnote, 43, 44, 51, 80-83. Scythes (Conte des frères), 61.
Polyxène, 26, 51. Sémélé, 67, ni, 113-115, 118.
Posidaia, 96. Sémiramis, 69.
Posidon, 45-50, 96, 108, 113. Sénèque le tragique, 72.
Préneste (Ciste de), 72. Sépulture dans un temple, 42, 44, 46 ;
Priam, 37, 51, 52, 101, 109. sous un seuil, 44.
Prométhée, 55-59. 93. 94, 98. Shuruppak, 54.
Properce, 63, 64. Sicyone, 46.
Protogénie, 97. Sisyphe, 81.
Ptérélaos, 60. Skylla, 73, 74, 92.
Ptoos, 45. Soleil, 95.
Publius, 21. Solon, 42.
Purgatoire, 82, 90. Sophocle, 32, 38, 40, 51, 52, 61, 71, 95-
Pyranthos, 18. Sparte, 70, 106.
Pyrès, Pyrétiades, 31, 33, 37. Steptérion, 108-111.
Pyriphlégéthon, 10, 82-87. Stésichore, 61.
Pyrkon, Pyrkoos, 108. Stoïciens, 76, 77, 85, 90.
Pyrphoros, 106. Strabon, 42.
Pyrrha, Pyrrhaea, noms de lieu, 101. Stymphale, 46.
Pyrrhaichmès, 33. Styx, 83.
Pyrrhaié (Thétis), 36-7. Suicide, 70.
Pyrrhakos, 34. Sylvestre, pape, 90.
Pyrrhiai, 13, 30.
Pyrrhinos, 34. Tantale 81.
Pyrrhique, 22, 32, 33. Tarpéia, 64, 74.
Pyrrhissoos, 36, 37. Tartare, 79, 82, 85.
Pyrrhos, roi d'Épire, 42, 43, 48, 49, Télémaque, 35.
52, 62, 98, 99. Tell (Guillaume), 55.
Pythagoriciens (Préceptes), 40, no. Tempé, 108, 109.
Pythaïde, 106. Térée, 109.
--- 127 —

Terrasson (Abbé), 89. I Tormentum, 61.


Tertullien, 19. Trézène, 46.
Tettix, 15. Triphylie, 84.
Thaumaturgie royale, 49. Triton, Tritoné, Tritonia, Tritonis, 96.
Thèbes, 45. Tullus Hostilius, 68.
Thècle (Sainte), 90. Typhon, typhoniens, 29.
Thémis, 42, 57, 107.
Thémiscopos, 48. Ulysse, 51, 55, 73, 83.
Théocrite, 34. Umnapishti, 54, 57.
Théoxénios, 43.
Thésée, 70, 103, 109, ni. Vesta, Vestales, 63, 64, 94.
Thesprotes, 98. Virgile, 34, 41, 50, 51, 62, 79, 84, 85.
Thessalie, 43, 45, 58, 101.
Thétis, 36, 37, 50, 66. Xanthe, fleuve, 20.
Thor Donar, 26, 27. Xanthias, Xanthios, Xanthos, 18-21.
Thurii, 20. Xisouthros, 54, 56, 57.
Thyeste, 109.
Thyiades, 113, 114. Zeus, 45, 46, 55, 59, 67, 71, 93. 94,
Tiamat, 23. 96, 109, no, 115 ; Herkeios, 51 ;
Titane, ni. Moiragète, 39 ; d'Olympie, 19, 43 ;
Titans, 58, 64, 82, 84, loi. Phyxios, 55 ; Pluvius, 58.
Tite-Live, 68. Ziusudra, 54.
Tithorée, 110-112. Zolle, 15.
Tityos, 81, 84. Zoroastrisme, 87.
TABLE DES MATIÈRES

Introduction ...................................................................................

Chapitre premier, Ambivalence de la rousseur ...........


Préjugés défavorables dans l’Occident médiéval, 13 ; dans le
monde classique, 14. Le blond ardent, couleur des héros et des
dieux, 17 ; acquise artificiellement. 19. Animaux et monstres
roux, 21 ; essai d’explication, non par la couleur, mais par le
type, 24. Rousseur, forme bénigne de l’albinisme, anomalie
inquiétante, 25. Rousseaux dans la Bible : Esaü et David, 26 ;
dans la légende germanique : Thor et Frédéric Barberousse,
26. Rousseaux chez Balzac, 27. En Égypte, 29.

Chapitre II, Pyrrhos .....................................................................


Pyrès, 31. Attestations anciennes du nom de Pyrrhos, 32.
Pyrrhos à Delphes. Valeur de la dénomination double, 34.
Achille éprouvé par le feu, 35 ; nommé Pyrrhissoos et Thétis
Pyrrhaié, 36. Mort de Néoptolème, 37. Machaireus et la ma-
chaira, 39. Néoptolème et Delphes, 41. Confusions entre la
légende du héros et celle du roi Pyrrhos, 42. Culte delphique
de Néoptolème, 43. Hostilité entre un dieu et un héros éclipsé
devenu son parèdre, exemples, 45. Cas singulier de Néopto­
lème, 47. L’enagismos de 278, 48. L’evhémérisme et la politique
épirote, 49. Néoptolème frappé sur l’hestia, 50. Ambivalence
de sa figure, 52.

Chapitre III. L’eau et le feu...................................................

La Grande Inondation en Babylonie, 54 ; en Grèce, 55. Le


Grand Incendie : Ovide, Nonnos, Platon, 57. Ordalie de Deu­
calion ; variante ovidienne, 59. Valeurs du feu. L’ordalie dans
la légende grecque, 61 ; implique une consécration en Cappadoce,
61 ; en Étrurie, 62. Le saut par-dessus le bûcher, en Grèce, 63 ;
aux Palilia romaines, 63. Fêtes grecques du feu, d’interprétation
difficile, 64. L’amphidromie, 65. Récusation grecque des valeurs
bénéfiques du feu : 1. Feu immortalisant, 66. 2. Foudre, 67.
3. Bûcher royal, 68. Suicide d’Empédocle, 69 ; d’Héraclès, 70 ;
4. Régénération par le feu, 72 ; Er ; Skylla, 73 ; le Phénix, 74. Les
philosophes et le feu, 75. Apothéose des empereurs, 77.
— 130 —

Le feu dans l’eschatologie hellénique. Imagerie tout oni­


rique du séjour des morts, 78 ; du lieu de rétribution, 79.
Faible originalité de l’apport des sectes, 81 ; Platon, 81. Les
fleuves infernaux. Le Pyriphlégéthon, 83 ; chez Platon, chez
Lucien, chez Virgile, 84. Flammes infernales chez les Épicuriens,
Lucien, les Latins, le Nouveau Testament, 85. Supplices spéci­
fiques chez Plutarque et dans les Apocalypses. Influence orien­
tale, 86.
Homologie de l’eau et du feu dans les mystères orientaux,
88. Le baptême du feu, 89. La symbolique médiévale du feu, 91.
Le feu domestiqué, 92. La figure de Prométhée se substitue au
phénomène, 93. Insignifiance du feu élémentaire dans la reli­
gion hellénique, 94.

Chapitre IV. Pyrrhos et Pyrrha ........................................... 96


Couples divins à Rome et en Grèce, 96. Pyrrha et la généra­
tion des pierres, 97. Contiguïtés entre Deucalion, Pyrrha,
Pyrrhos et Phaéthon, 98. Hypothèse sur Pyrrha, Phaéthon et
un Grand Incendie, 99. Pyrrha et l'onomastique grecque, loi.
Rencontre sur le Parnasse. Lykoreia, 102. Les Hosioi, 103.
l'Aiglé 103. Le feu sacré de Delphes, 105. Le Steptérion, 108.
Fêtes du feu en Grèce, presque toutes dans le nord et surtout
en Phocide, ni. Valorisations positives du feu, exception­
nelles en Grèce, attestées à Delphes : immortalisations de Sé-
mélé et de Dionysos, 113. Magie du lébès, 114. Rapport
entre un Feu céleste et l’Apollon de Delphes, 117.

Bibliographie ................................................................................... 119

Index ..................................................................................................... 121


BIBLIOTHÈQUE
DE LA FACULTÉ DE PHILOSOPHIE ET LETTRES
DE L’UNIVERSITÉ DE LIÈGE
Administrateur : J. Stiennon — Président : M. Delbouille.

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riques. 1908. 466 pp............................................................................................ Épuisé
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raires, philosophiques et archéologiques. 1908. 460 pp............................. 9.00
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des 17 und 18. Jahrhunderts. 1897. 214 pp.................................................. Épuisé
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Savant. 1898. 107 pp.......................................................................................... Épuisé
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logue des actes de Henri de Gueldre, prince-évêque de Liège. 1900.
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Fasc. VI. — Victor Chauvin. La recension égyptienne des Mille et
une Nuits. 1899. 123 pp.................................................................................... Épuisé
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(tome I). 1900. 343 pp. (Prix Gantrelle) ................................................... Épuisé
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magne et la réforme de l'enseignement géographique dans les uni­
versités belges. 1900. 171 pp............................................................................. Épuisé
Fase. X. — Karl Hanquet. Étude critique sur la Chronique de Saint
Hubert. 1900. 155 pp.......................................................................................... Épuisé
Fase. XI. — Jules Pirson. La langue des inscriptions latines de la
Gaule. 1901. 328 pp............................................................................................ Épuisé
Fase. XII. — Hubert Demoulin. Épiménide de Crète. 1901. 139 pp. . Épuisé
Fase. XIII. — Armand Carlot. Étude sur le Domesticus franc. 1903.
115 pp................................................................................................................... Épuisé
Fase. XIV. — Albert Counson. Malherbe et ses sources. 1904. 239 pp. Épuisé
Fase. XV. — Victor Tourneur. Esquisse d’une histoire des études
celtiques. 1905. 246 pp....................................................................................... Épuisé
Fase. XVI. — Henri Maillet. L’Église et la répression sanglante de
l’hérésie. 1907. 109 pp........................................................................................ Épuisé
Fase. XVII. — Paul Graindor. Histoire de l’île de Skyros jusqu'en
1538.1906. 91 pp................................................................................................ Épuisé
Fase. XVIII. — J. Boyens. Grammatica linguae graecae vulgaris per
Patrem Romanum Nicephori Thessalonicensem. 1908, 175 pp............. Épuisé
Fase. XIX. — Aug. Bricteux. Contes persans. 1910. 528 pp. . .. Épuisé
Fase. XX. — T. Southern, The Loyal Brother, edited by P. Hamelius.
1911.13IPP......................................................................................................... Épuisé
Fase. XXI.-—J.P. Waltzing. Étude sur le Codex Fuldensis de Ter-
tullien. 1914-1917. 523 pp................................................................................ Épuisé
Fase. XXII. — J.P. Waltzing. Tertullien. Apologétique. Texte établi
d’après le Codex Fuldensis. 1914. 144 pp.................................................... Épuisé
Fase. XXIII. — J.P. Waltzing. Apologétique de Tertullien. I. Texte
établi d’après la double traduction manuscrite, apparat critique et
traduction littérale revue et corrigée. 1920. 148 pp................................ Épuisé
Fase. XXIV. — J.P. Waltzing. Apologétique de Tertullien. II. Com­
mentaire analytique, grammatical et historique. 1919. 234 pp.......... Épuisé
Fase. XXV. — J.P. Waltzing. Plaute. Les Captifs. Texte, traduction
et commentaire analytique, grammatical et critique. 1921. 100
+ *44 PP............................................................................................................... Épuisé
Fase. XXVI. — A. Humpers. Étude sur la langue de Jean Lemaire
de Belges. 1921. 244 pp...................................................................................... Épuisé
Fase. XXVII. — F. Rousseau. Henri l’Aveugle, Comte de Namur et
de Luxembourg. 1921. 125 pp........................................................................ Épuisé
Fase. XXVIII. — J. Haust. Le dialecte liégeois au XVIIe siècle. Les
trois plus anciens textes (1620-1630). Édition critique, avec com­
mentaire et glossaire.1921. 84 pp................................................................... Épuisé
Fase. XXIX. — A. Delatte. Essai sur la politique pythagoricienne.
1922. 295 pp. (Prix Bordin, de l’Institut) ................................................ Épuisé
Fase. XXX. — J. Deschamps. Sainte-Beuve et le sillage de Napoléon.
1922. 177PP......................................................................................................... Épuisé
Même série (25 x 16).
Fase. XXXI. — C. Tihon. La Principauté et le Diocèse de Liège sous
Robert de Berghes (1557-1564). 1923. 331 pp. (Avec deux cartes). . . Épuisé
Fase. XXXII. — J. Haust. Étymologies wallonnes et françaises.
1923. 357 PP- (Prix Volney, de l'Institut)................................................. Épuisé
Fase. XXXIII. — A.L. Corin. Sermons de J. Tauler. I. Le Codex
Vindobonensis 2744, édité pour la première fois .1924. 372 pp.............. Épuisé
3

Fase. XXXIV. — A. Delatte. Les Manuscrits à miniatures et à orne­


ments des Bibliothèques d'Athènes. 1926. 128 pp. et 48 planches .... Épuisé
Fase. XXXV. — Oscar Jacob. Les esclaves publics à Athènes. 1928.
214 pp. (Prix Zographos, de l'Assoc. des Études Grecques en
France)......................................................................................................... Épuisé
Fase. XXXVI. — A. Delatte. Anecdota Atheniensia. Tome I : Textes
grecs inédits relatifs à l’histoire des religions. 1927. 740 pp. avec
des figures..................................................................................................... Épuisé
Fase. XXXVII. — Jean Hubaux. Le réalisme dans les Bucoliques de
Virgile. 1927. 144 pp................................................................................... Épuisé
Fase. XXXVIII. — Paul Harsin. Les relations extérieures de la princi­
pauté de Liège sous Jean d’Elderen et Joseph Clément de Bavière
(1688-1723). 1927. 280 pp......................................................................... Épuisé
Fase. XXXIX. — Paul Harsin. Étude critique sur la bibliographie
des œuvres de Law (avec des mémoires inédits). 1928. 128 pp.............. Épuisé
Fasc. XL. — A. Severyns. Le Cycle épique dans l’École d’Aristarque.
1928. 476 pp. (Prix Th. Reinach, de l’Assoc. des Études Grec­
ques en France)............................................................................................ Épuisé
Fase. XLI. — Jeanne-Marie H. Thonet. Étude sur Edward Fitz­
Gerald et la littérature persane, d'après les sources originales. 1929.
144 pp............................................................................................................ Épuisé
Fasc. XLII. — A.L. Corin. Sermons de J. Tauler. II. Le Codex Vin-
dobonensis 2739, édité pour la première fois. 1929. 548 pp.................... Épuisé
Fasc. XLIII. — L.-E. Halkin. Réforme protestante et Réforme catho­
lique au diocèse de Liège. Le Cardinal de la Marck, Prince-Évêque
de Liège (1505-1538). 1930. 314 pp. (Prix Thérouanne, de l’Aca­
démie Française)......................................................................................... Épuisé
Fasc. XLIV. — Serta Leodiensia. Mélanges de Philologie Classique
publiés à l'occasion du Centenaire de l'Indépendance de la Bel­
gique. 1Q30.328 pp...................................................................................... Épuisé
Fasc. XLV. — Eudore Derenne. Les Procès d’impiété intentés aux
Philosophes à Athènes au Vme et au I Vm‘ siècle avant J-C. 1930.
272 pp. (Prix de l’Association des Études Grecques en France). . .. Épuisé
Fasc. XLVI. — A. L. Corin. Comment faut-il prononcer l’allemand.
1931. 164 pp............................................................................................. .. Épuisé
Fasc. XLVII. — Eug. Buchin. Le règne d’Érard de la Marck. Étude
d’histoire politique et économique. 1931. 272 pp...................................... Épuisé
Fasc. XLVIII. — A. Delatte. La catoptromancie grecque et ses dérivés.
1932. 222 pp. avec 13 planches (23 figures)............................................ Épuisé
Fasc. XLIX. — M. Delbouille. Le Tournoi de Chauvency, par Jacques
Bretel (édition complète). 1932. cn-192 pp. avec n planches
( 18 figures).................................................................................................. . Épuisé
Fasc. L. — Ch. François. Étude sur le style de la continuation du « Perce-
val » par Gerbert et du « Roman de la Violette » par Gerbert de Mon­
treuil. 1932. 126 pp...................................................................................... 6.00
Fasc. LI. J. Croissant. Aristote et les Mystères. 1932. 218 pp.
(Médaille d’argent de l’Assoc. des Études Grecques en France) .... Épuisé
Fasc. LIL — L.-E. Halkin. Les conflits de juridiction entre Érard de
la Marck et le chapitre cathédral de Chartres. 1933. I44 PP................... 6 00
Fasc. LIII.—A. Bricteux. Les Comédies de Malkom Khan. 1933.130pp. 7.00
Fasc LIV. — S. Étienne. Défense de la Philologie. 1933. 73 pp................. Épuisé
4

Fase. LV. — A. Bricteux. L'Avare de Mirza Dja'far Qarddjaddght,


texte persan et traduction. 1934. 102 + 88 pp......................................... 10.00
Fase. LVI. — A. Severyns. Bacchylide, essai biographique. 1933.
181 pp. avec I planche et 1 tableau hors-texte (Grand Prix Amba-
telios, de l’Institut)............................................................................................ 12,50
Fasc. LVII. — E. Grégoire. Vastronomie dans l’œuvre de Victor Hugo.
1933. 246 pp......................................................................................................... 10.00
Fasc. LVIII. — A. Delatte. Le troisième livre des souvenirs socra­
tiques de Xénophon. 1933. l92 PP.................................................................. Épuisé
Fasc. DIX. — Marie Delcourt. La tradition des comiques grecs et latins
en France. 1934. 98 pp....................................................................................... Épuisé
Fasc. LX. — Claire Witmeur. Ximénès Doudan. Sa vie et son œuvre.
1934. 150 pp. avec 5 planches (Prix biennal Jules Favre, de l’Aca­
démie Française) ............................................................................................ 10.00
Fasc. LXI. — Rita Lejeune-Dehouse. L'Œuvre de Jean Renart. Con­
tribution à l’étude du genre romanesque au moyen âge. 1935. 470 pp. . Épuisé
Fasc. LXII. — M. Rutten. De Lyriek van Karel van de Woestijne. 1934.
305 pp. (Prix des Amis de l’Université de Liège, 1935 ; Prix de
critique littéraire des Provinces flamandes, période 1934-1936)......... Épuisé
Fasc. LXIII. — R. Demoulin. Les journées de septembre 1830 à Bru­
xelles et en province. 1934. 280 pp. (Mémoire couronné par l’Aca­
démie Royale de Belgique)............................................................................ Épuisé
Fasc. LXIV. — S. d’Ardenne. The Life of S1 Juliana. Édition cri­
tique. 1936. XLix-250 pp.................................................................................. Épuisé
Fasc. LXV. — M. De Corte. Le Commentaire de Jean Philopon sur le
Troisième Livre du « Traité de l’Ame » d’Aristote. 1934. xxn-86 pp... Épuisé
Fasc. LXVI. — P. Harsin. Dutot : Réflexions politiques sur les finances
et le commerce. Édition intégrale publiée pour la ire fois. Tome I.
1935. LVi-300 pp. avec 9 tableaux.
Fasc. LXVII. — P. Harsin. Dutot : Réflexions... Tome II. 1935. 324 pp
avec un tableau hors-texte.............................................. les deux fasc. 30.00
Fasc. LXVIII. — Fernand Desonay. Œuvres complètes d'Antoine de
La Sale. t.l.La Salade. 1935. XLV-270 pp................................................... Épuisé
Fasc. LXIX. — P. Nève de Mévergnies. Jean-Baptiste Van Helmont,
Philosophe par le feu. 1935. 232 pp. (Prix Binoux, de l’Institut) . . . Épuisé
Fasc. LXX. — S. Étienne. Expériences d’analyse textuelle en vue de
l’explication littéraire. Travaux d’élèves. 1935. 145 pp............................ Épuisé
Fasc. LXXI. —• F. Wagner. Les poèmes mythologiques de l'Edda. Tra­
duction précédée d’un exposé général de la mythologie Scandinave.
1936. 262 pp......................................................................................................... Épuisé
Fasc. LXXII. — L.-E. Halkin. Réforme protestante et Réforme catho­
lique au diocèse de Liège. Histoire religieuse des règnes de Corneille
de Berghes et de Georges d'Autriche (1538-1557). 1936. 436 pp.
(Prix d’Académie, de l’Institut de France).............................................. 17.50
Fasc. LXXIII. — Antoine Grégoire. L’apprentissage du langage.
1937. t. I. 288 pp. (PrixVolney, del’Intitut)........................................... Épuisé
Fasc. LXXIV. — J. Duchesne-Guillemin. Études de morphologie ira­
nienne. I, Les composés del’ Avesta. 1937. XI-279PP............................... 17.50
Fasc. LXXV. — Herman F. Janssens. L’entretien de la Sagesse. Intro­
duction aux œuvres philosophiques de Bar Hebraeus. 1937. 375 pp. . . 15.00
Fasc. LXXVI. — Auguste Bricteux. Roustem et Sohrab. 1937. 91 PP- 6 00
5

Fase. LXXVII. — Jean Yernaux. Histoire du Comté de Logne. Études


sur le passé politique, économique et social d'un district ardennais.
I937-25°PP......................................................................................................... Épuisé
Fase. LXXVIII. — A. Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de
Proclos. Première partie. Le Codex 239 de Photius, T.I. Étude paléo­
graphique et critique. 1938. 404 pp. et 3 planches (Prix Gantrelle,
de l'Académie Royale de Belgique). Voir fase. CXXXII.
Fase. LXXIX. — A. Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de Pro­
clos. Première partie. Le Codex 239 de Photius. T. II. Texte, traduc­
tion, commentaire. 1938. pp. 298. Voir fasc. CXXXII.
Fase. LXXX. — Robert Demoulin. Guillaume Ier et la transformation
économique des Provinces Belges (1815-1830). 1938. 463 pp. (Prix
Chaix d’Est-Ange, de l’Institut) ................................................................. Épuisé
Fase. LXXXI. — Armand Delatte. Herbarius. Recherches sur le céré­
monial usité chez les anciens pour la cueillette des simples et des
plantes magiques. 1938. 177 pages................................................................. Épuisé
Fase. LXXXII. — Jean Hubaux et Maxime Leroy. Le mythe du
Phénix dans les littératures grecque et latine. 1939. 302 pages............... Épuisé
Fase. LXXXIII. — Marie Delcourt. Stérilités mystérieuses et nais­
sances maléfiques dans l'antiquité classique. 1938. 113 pp...................... Épuisé
Fase. LXXXIV. — Joseph Warland. Glossar und Grammatik der
germanischen Lehnwöter in der wallonischen Mundart Malmedys.
1940. 337 pp. avec 2 cartes.............................................................................. Épuisé
Fasc. LXXXV. — A.L. Corin. Briefe von J.E. Wagner an Jean Paul
Fr. Richter und August von Studnitz. 1942.598PP.................................. 17.50
Fase. LXXXVI. — Antoine Grégoire. Edmond-Puxi-Michel. Les
prénoms et les surnoms de trois enfants. 1939. 188 pp............................... 10.00
Fase. LXXXVII. — Jean Lejeune. La formation du Capitalisme
moderne dans la Principauté de Liège au XVIe siècle. 1939. 353 pp. . Épuisé
Fase. LXXXVIII. — Armand Delatte. Anecdota Atheniensia et
alia. Tome II : Textes grecs relatifs à l’histoire des sciences. 1940.
504 pp. avec 5 planches.................................................................................... Épuisé
Fase. LXXXIX. — Fernand Desonay. Antoine de La Sale, aven­
tureux et pédagogue. 1940. 204 pp.................................................................. Épuisé
Fase. XC.—Eugène Polain. Il était une fois... Contes populaires
liégeois. 1942. 371 pp........................................................................................ 17.50
Fase. XCI. — Jean Paulus. Le problème de l'hallucination et l'évolu­
tion de la psychologie d'Esquirol à Pierre Janet. 1941. 210 pp.............. 12.50
Fase. XCII. — Fernand Desonay. Œuvres complètes d'Antoine de La
Sale. t. II. La Sale. 1941. xxxvn-282 pp.................................................... Épuisé
Fase. XCIII. — Louis Delatte. Textes latins et vieux français rela­
tifs aux Cyranides. 1942. x-354 pp................................................................ 17.50
Fase. XCIV. — Juliette Davreux. La légende de la prophétesse Cas-
sandre d'après les textes et les monuments. 1942. xn-240 pp. avec
57 planches........................................................................................................... Épuisé
Fase. XCV. — Abbé Robert Henry de Generet. Le Martyre d'Ali
Akbar. Drame persan. Texte établi et traduit, avec une Intro­
duction et des Notes. 1947. 144 pp............................................................... 7.50
Fase. XCVI. — Louis Remacle. Les variations de Th secondaire en
Ardenne liégeoise. Le problème de Th en liégeois. 1944. 440 pp. avec
43 figures (Prix Albert Counson, de l’Académie Royale de Langue
et de Littérature Françaises).......................................................................... 20.00
6

Fase. XCVII. — Louis Delatte. Les Traités de la Royauté d'Ecphante,


Diotogène et Sthénidas. 1942. x-318 pp.................................................... 15.00
Fase. XCVIII. — René Verdeyen. Het Naembouck van 1562. Tweede
druk van het Nederlands-Frans Woordenboek van Joos Lambrecht.
1945. cxxxn-256 pp., cinq planches et résumé français...................... 17.50
Fase. XCIX. —- Paul Moraux. Alexandre d'Aphrodise, exégète de la
Noétique d’Aristote. 1942. xxiv-240 pp................................................... Épuisé
Fase. C. — Joseph Ruwet. L’Agriculture et les Classes rurales au
Pays de Herve sous l’Ancien régime. 1943. 334 pp................................. Épuisé
Fase. CI. — A. Baiwir. Le déclin de l'Individualisme chez les Roman­
ciers américains contemporains. 1943- 402 PP......................................... 20.00
Fase. CIL — M. Rutten. De esthetische Opvattingen van Karel van de
Woestijne. 1943. xvi-295 pp. (Prix du Comité H. Van Veldeke,
1945)..................................................................................................................... 1500
Fase. CIL — Phina Gavray-Baty. Le vocabulaire toponymique du
Ban de Fronville. 1944. xxvm-164 pp. avec 10 cartes......................... 12.00
Fasc. CIV. —Marie Delcourt. Œdipe ou la légende du conquérant.
1944. xxiv-262 pp....................................................................................... 17.50
Fase. CV. — Ivan Delatte. Les classes rurales dans la Principauté
de Liège au XVIIIe siècle. 1945. 337 pp.................................................. Épuisé
Fase. CVI. — Antoine Grégoire. L’apprentissage du langage, t. II.
La troisième année et les années suivantes, 1947- 491 PP........................ 18.00
Fase. CVII.—Armand Delatte. Les Portulans grecs. 1947. xxiv-400 pp. 20.00
Fase. CVIII. — Rita Lejeune. Recherches sur le Thème : Les Chansons
de Geste et l’Histoire. 1948. 256 pp ......................................................... Épuisé
Fase. CIX. — Louis Remacle. Le problème de l'ancien wallon. 1948.
230 pp............................................................................................................ 17,50
Fase. CX. — Charles Lays. Étude critique sur la Vita Balderici Epis-
copi Leodiensis. 1948. 174 pp..................................................................... 10.00
Fase. CXI. — Alice Dubois. Le Chapitre Cathédral de Saint-Lambert
à Liège au XVIIe siècle. 1949. xxn-310 pp............................................ 17.50
Fasc. CXII. — Jean Lejeune. Liège et son pays. Naissance d’une
patrie (XIIIe-XIVe siècles). 1948. xuv-560 pp..................................... Épuisé
Fasc. CXIII. — Léon Halkin. Une description inédite de la ville de
Liège en 1705.1948. 102 pp. et 4 planches ........................................... 7.50
Fasc. CXIV. — Pierre Lebrun. L’industrie de la laine à Verviers
pendant le XVIIIe et le début du XIXe siècle. 1948. 536 pp., 3 plan­
ches et 7 diagrammes.................................................................................. Épuisé
Fasc. CXV. — René Van Santbergen. Les Bons Métiers des meuniers,
des boulangers et des brasseurs de la Cité de Liège. 1949. 376 pp. et 19
planches...................................................................................................... 15.00
Fasc. CXVI. — Léon Lacroix. Les reproductions de statues sur les
monnaies grecques. La statuaire archaïque et classique. 1949. xxii-
374 pp. et 28 planches ............................................................................... 30.00
Fasc. CXVII. — Jules Labarbe. L’Homère de Platon. 1950. 462 pp.
(Prix Zographos de l'Association pour l'encouragement des Études
Grecques en France, 1950) ...................................................................... 22.50
Fasc. CXVIII. — Irène Simon, Formes du roman anglais de Dickens
à Joyce. 1949. 464 pp......................... Épuisé
Fasc. CXIX. — Marie Delcourt et J. Hoyoux. La correspondance
de L. Torrentius. Tome I. Période liégeoise (1583-1587). 1950.
XXH-544PP ................................................................................................ 25.00
7

Fase. CXC. — Jules Horrent. La Chanson de Roland dans les litté­


ratures française et espagnole au moyen âge. 1951. 542 pp..................... Épuisé
Fase. CXXI. — Armand Nivelle. Friedrich Grieses Romankunst. 1951.
24°PP..................................................................................................................... 15.00
Fase. CXXII. — Jules Horrent. Roncesvalles, Étude sur le fragment
de cantar de gesta conservé à l’Archivo de Navarra (Pampelune).
1951. 26ï pp.......................................................................................................... Épuisé
Fase. CXXIII. — Maurice Delbouille. Le Lai d’Aristote de Henri
d’Andeli. 1951. 112 pp....................................................................................... Épuisé
Fase. CXXIV. — Jacques Stiennon. Étude sur le Chartrier et le Do­
maine de l'Abbaye de Saint-Jacques de Liège (1015-1209). 1951.xiv
— 498 pp., 7 cartes et 40 planches hors texte........................................... 25.00
Fase. CXXV. — Alfred Tomsin. Étude sur le Commentaire Virgilien
d’Aemilius Asper, 1952. 160 pp...................................................................... 10.00
Fase. CXXVI.—Louis Remacle. Syntaxe du parler wallon de La Gleize.
Tomel. Noms et articles. Adjectifs et pronoms. 1952.402 pp., 19 cartes 17.50
Fase. CXXVII. — Marie Delcourt et J. Hoyoux. La correspondance
de L. Torrentius. Tome II. Période anversoise (1587-1589). 1953.
XIX-634 PP.......................................................................................................... 27.50
Fase. CXXVIII. — Léon Halkin. La supplication d’action de grâces
chez les Romains. 1953. 136 pages .............................................................. 10.00
Fase CXXIX. — Essais de philologie moderne (1951). 1953. z52 PP- • ■ ■ 17.50
Fase. CXXX. — Denise Van Derveeghde. Le domaine du Val Saint-
Lambert de 1202 à 1387. 1955. 239 pages.................. .................................. 17.50
Fase. CXXXI. — Marie Delcourt et J. Hoyoux. La correspondance
de L. Torrentius. Tome III. Période anversoise (1590-1595). 1954.
XVIII-662 pp...................................................................................................... 25.00
Fasc. CXXXII. — A. Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de
Proclos. Tome III. La Vita Homeri et les Sommaires du Cycle.
I Étude paléographique et critique. 1953. 368 pp. avec 14 planches
Avec les fasc. LXXVIII et LXXIX, les 3 fasc......................................... 70.00
Fasc. CXXXIII. — Albert Husquinet. L’adaptation scolaire et fami­
liale des jeunes garçons de 12 à 14 ans d’après le test sociométrique et
le test d’aperception thématique. 1954. 202 PP............................................. 15.00
Fasc. CXXXIV.—Armand Nivelle. Les théories esthétiques en Allema­
gne, de Baumgarten à Kant. 1955. 412 pp.................................................. Épuisé
Fasc. CXXXV. — Léon Warnant. La constitution phonique du mot
wallon. Étude fondée sur le parler d’Oreye. 1956. 409 pp......................... 20.00
Fasc. CXXXVI. — Albert Gérard. L’idée romantique de la poésie en
Angleterre. Étude sur la théorie de la poésie chez Coleridge, Words­
worth, Keats et Shelley. 1955. 416 pp............................................................. 22.00
Fasc. CXXXVII. — H.Th. Deschamps. La Belgique devant la France
de Juillet. L’opinion et l’attitude française de 1839 à 1848. 1956.
c. — 561 PP.......................................................................................................... 25.00
Fasc. CXXXVIII. — R. Crahay. La littérature oraculaire chez Héro­
dote. 1956. 368 pp...................................................... ................................... .... 20.00
Fasc. CXXXIX. — Louis Remacle. Syntaxe du parler wallon de La
Gleize. Tome II. Verbes. Adverbes. Prépositions. 1956. 378 pages,
15 cartes........... .................................................................................................... 20.00
Fasc. CXL. — Paul Aebischer. Les versions norroises du « Voyage de
Charlemagne en Orient ». Leurs sources. 1956. 185 pp........................... 12.50
Fasc. CXLI. -— Louis Deroy. 1.’emprunt linguistique. 1956. 464 pp ... 22.50
8

Fase. CXLII. — J.-R. Küpper, Les nomades en Mésopotamie au temps


des rois de Mari. 1957 XXXII-284 pp......................................................... Épuisé
Fase. CXLIII. — Jules Labarbe. La loi navale de Thémistocle. 1957.
238 pp..................................................................................................................... 17.50
Fase. CXLIV. — F. Crahay. Le formalisme logico-mathématique et Ie
problème da non-sens. 1957. 153 pages......................................................... 10.00
Fase. CXLV. — Jean Hubaux. Rome et Véies. 1958, 405 pp. dix fig.
hors-texte.............................................................................................................. 25.00
Fase. CXLVI. — Marie Delcourt. Héphaistos ou la légende du magi­
cien. 1957. 244 pp., une carte et six fig. hors-texte................................ 17.50
Fase. CXLVTI. — Gilbert François. Le polythéisme et l'emploi au sin­
gulier des mots ôeôs, Sat/uov dans la littérature grecque d'Homère à
Platon. 1957. 374 pp.......................................................................................... 20.00
Fase. CXLVIII. — Louis Remacle. Syntaxe du parler wallon de La
Gleize. Tome III. Coordination et subordination. Phénomènes divers.
i960. 347 pp., 9 cartes....................................................................................... 20.00
Fase. CXLIX. — L’Ars Nova. Colloques de Wégimont. 11-1955. 1959.
275 pp................................................................................................................... 15.00
Fase. CL. — La technique littéraire des chansons de geste. Colloque de
Liège, 1957. 1959. 486 pp................................................................................. Épuisé
Fase. CLI. — Marie Delcourt. Oreste et Alcméon. 1959. 113 pp............. 10.00
Fase. CLII. —• André Joris. La Ville de Huy au moyen âge. 1959.
514 pp., 2 hors-texte.......................................................................................... 25.00
Fase. CLIII. — Mathieu Rutten. Het Proza van Karel van de Woes-
tijne. 1959. 759 pp.............................................................................................. 27.50
Fase. CLIV. — Paule Mertens-Fonck. A glossary of the Vespasian
Psalter and Hymns, i960. 387 pp................................................................... 20.00
Fase. CLV. — Henri Limet. Le travail du métal au pays de Sumer au
temps de la IIIe Dynastie d'Ur. 1959.313PP............................................. 18.00
Fase. CLVI. — Robert Joly. Recherches sur le traité pseudo-hippo­
cratique du Régime, i960. 260 pp................................................................... 17.00
Fase. CLVII. — Les Colloques de Wégimont : Ethnomusicologie II. 1956,
303 pp. et quatre hors-texte.......................................................................... 20.00
Fase. CLVIII. — Jules Horrent. Le Pèlerinage de Charlemagne. Essai
d'explication littéraire avec des notes de critique textuelle. 1961.154 pp. 12.00
Fase. CLIX.—Simone Blavier-Paquot. La Fontaine. Vues sur V Art du
Moraliste dans les Fables de 1668. ig6i,i68pp ..................................... 12.00
Fase. CLX. — Christian Rutten. Les Catégories du monde sensible
dans les Ennéades de Plotin. 1961.140 pp.................................................. 12.00
Fase. CLXI. — Langue et Littérature. Actes du VIIIe Congrès de la
F.I.L.L.M. Liège i960. 1961 448 pp............................................................. 25.00
Fase. CLXII. — Jean Renson. Les dénominations du visage en français
et dans les autres langues romanes. Étude sémantique et onomasiolo-
gique. 1962. Deux volumes. 738 pp. et 14 hors texte.............................. 40.00
Fase. CLXIII. — Paul Delbouille. Poésie et sonorités. La critique
contemporaine devant le pouvoir suggestif des sons. 1961. 268 pp......... 17.50
Fase. CLXIV. — Jacques Ruytinx. La problématique philosophique de
l’unité de la science. 1962. VIII-368 pp........................................................ 22.00
Fase. CLXV. — Marcel Detienne. La notion de daïmôn dans le pytha­
gorisme ancien. 1962. 214 pp........................................................................... 15.00
Fase. CLXVI. — Albert Husquinet. La relation entre la mère et l’enfant
à l'âge préscolaire. 1963. 452 pp..................................................................... 30.00
9

Fase. CLXVII. —- Gérard Moreau. Histoire du protestantisme à Tour­


nai jusqu’à la veille de la Révolution des Pays-Bas. 1962. 424 pp. . . . 25.00
Fase. CLXVIII. — Alain Lerond. L’habitation en Walloniemalmédienne
(Ardenne belge). Étude dialectologique. Les termes d’usage courant.
1963. 504 pp- et 3 cartes............................................................................ 30.00
I'asc. CLXIX. — Pierre Halleux. Aspects littéraires de la Saga de
Hrafnkel. 1963. 181 pp.............................................................................. 15.00
Fase. CLXX. — Albert Severyns. Recherches sur la Chrestomathie
de Proclos. T. IV. La Vita Homeri et les Sommaires du cycle. II. Texte
et traduction. 110 pages, voir fasc. CXXXII.......................................... 15.00
Pasc. CLXXI. Les Colloques de Wégimont : Le « Baroque » musical.
— IV-1957. 1963- 288 pp............................................................................................... 20.00
Fasc. CLXXII. Les Colloques de Wégimont. Ethnomusicologie III —
1958-1960. 1964. 280 pp................................................................................................. 20.00
Fasc. CLXXIII. J.-L. Charles. La Ville de Saint-Trond au
moyen âge.................................................................................................... sous presse
Fasc. CLXXIV. Marie Delcourt. — Pyrrhos et Pyrrha. Recherches
sur les valeurs du feu dans les légendes helléniques. 1965. 127 pp. 15.00

CATALOGUE PAR MATIERES

PHILOSOPHIE

Fasc. XXIX. — A. Delatte. Essai sur la politique pythagoricienne.


1922. 295 pp. (Prix Bordin, de l’Institut) ............................................. Épuisé
Fasc. XLV. — Eudore Derenne. Les Procès d’impiété intentés aux
Philosophes à Athènes au Vm‘ et au I Vm‘ siècles avant J.-C. 1930.
272 pp. (Prix de l’Association des Études Grecques en France) .... Épuisé
Fasc. LI. — J. Croissant. Aristote et les Mystères. 1932. 218 pp. (Mé­
daille d’argent de l’Assoc. des Études Grecques en France) ............. Épuisé
Fasc. LVIII. — A. Delatte. Le troisième livre des souvenirs socra­
tiques de Xénophon. 1933. 192 pp............................................................. Épuisé
Fasc. LXV. — M. De Corte. Le Commentaire de Jean Philopon sur le
Troisième Livre du « Traité de l'Ame » d'Aristote. 1934. xxii-86 pp... Épuisé
Fasc. LXIX. — M. Nève de Mévergnies. Jean -BaptisteVan Helmont,
Philosophe par le feu. 1935. 232 pp. (Prix Binoux, de l’Institut) . . . Épuisé
Fasc. LXXV. — Herman F. Janssens. L’Entretien de la Sagesse. Intro­
duction aux œuvres philosophiques de Bar Hebraeus. 1937. 375 pp. . . 15.00
Fasc. XCI. — Jean Paulus. Le problème de l’hallucination et l’évolu­
tion de la psychologie d’Esquirol à Pierre Janet. 1941. 210 pp............. 12.50
Fasc. XCIX. — Paul Moraux. Alexandre d'Aphrodise, exégète de la
Noétique d’Aristote. 1942. xxiv-24opp....................................................... Épuisé
Fasc. CXXXIII. — Albert Husquinet. L’adaptation scolaire et fami­
liale des jeunes garçons de 12 à 14 ans d’après le test sociométrique et
le test d’aperception thématique. 1954. 202 pp............................................. 15.00
Fasc. CXLIV. — F. Crahay, Le formalisme logico-mathématique et le
problème du non-sens. 1957. 153 pages................................................... 10.00
10

Fase. CLX. — Christian Rutten. Les Catégories du monde sensible


dansles Ennéades de Plotin. 1961. 140 pp................................................. 12.00
Fase. CLXIV. — Jacques Ruytinx. La problématique philosophique de
l’unité de la science. 1962. VIII-368 pp........................................................ 22.00
Fase. CLXV. — Marcel Detienne. La notion de daïmân dans le pytha­
gorisme ancien. 1962. 214 pp.......................................................................... 15.00
Fase. CLXVI. — Albert Husquinet. Larelationentrelamèreetl'enfant
à l'âge préscolaire. 1963. 452 pp..................................................................... 30.00

HISTOIRE

Fase. I*. — Mélanges Godefroid Kurth. Tome I. Mémoires histo­


riques. 1908. 466 pp........................................................................................... Épuisé
Fase. II*. — Mélanges Godefroid Kurth. Tome II. Mémoires litté­
raires, philosophiques et archéologiques. 1908. 460 pp............................. 9.00
Fase. V*. — Jacques Stiennon. L'écriture diplomatique dans le diocèse
de Liège du XIe au milieu du XIII‘ siècle. Reflet d’une civilisa­
tion. i960. 430 pp.............................................................................................. 25.00
Fase. I. —- Léon Halkin. Les esclaves publics chez les Romains. 1897.
255 PP..................................................................................................................... Épuisé
Fase. V. — Alphonse Delescluse et Dieudonné Brouwers. Cata­
logue des actes de Henri de Gueldre, prince-évêque de Liège. 1900.
467 pp..................................................................................................................... Épuisé
Fase. VII. — Henri Francotte. L’industrie dans la Grèce ancienne
(tome I). 1900. 343 pp. (Prix Gantrelle) ................................................... Épuisé
Fase. VIII. — Le même. Même ouvrage (tome II) 1901. 376 pp................. Épuisé
Fase. IX. — Joseph Halkin. L’enseignement de la géographie en Alle­
magne et la réforme de l'enseignement géographique dans les uni­
versités belges. 1900. 171 pp............................................................................. Épuisé
Fase. X. — Karl Hanquet. Étude critique sur la Chronique de Saint-
Hubert. 1900. 155 pp......................................................................................... Épuisé
Fase. XIII. — Armand Carlot. Étude sur le Domesticus. franc. 1903.
115PP..................................................................................................................... Épuisé
Fase. XVI. — Henri Maillet. L'Église et la répression sanglante de
l’hérésie. 1907. 109 pp........................................................................................ Épuisé
Fase. XVII. — Paul Graindor. Histoire de Vile de Skyros jusqu’en
1538. 1906. 91 pp................................................................................................ Épuisé
Fase. XXVII. — F. Rousseau. Henri l’Aveugle, comte de Namur et
de Luxembourg. 1921. 125 pp.......................................................................... Épuisé
Fase. XXXI. — C. Tihon. La Principauté et le Diocèse de Liège sous
Robert de Berghes (1557-1564). 1923. 331 pp. (Avec deux cartes) Épuisé
Fase. XXXVIII. — Paul Harsin. Les relations extérieures de la prin­
cipauté de Liège sous Jean d'Elderen et Joseph Clément de Bavière
(1688-1723). 1927. 28opp.............................................................................. Épuisé
Fase. XXXIX. — Paul Harsin. Étude critique sur la bibliographie
des œuvres de Law (avec des mémoires inédits). 1928. 128 pp.............. Épuisé
Fasc. XLIII. — L.-.E Haklin. Réforme protestante et Réforme catho­
lique au diocèse de Liège. Le Cardinal de la March, Prince-Évêque
de Liège (1505-1538) ■ 1930. 314 pp. (Prix Thérouanne, de l’Aca­
démie Française)................................................................................................ Épuisé
11

Fase. XLVII. —- Eug. Buchin. Le règne d'Érard de la March. Étude


d’histoire politique et économique. 1931.272PP......................................... Épuisé
Fasc. LU. — L.-E. Halkin. Les conflits de juridiction entre Érard de
la March et le chapitre cathédral de Chartres. 1933. 144 pp..................... 6.00
Fasc. LXIII. — R. Demoulin. Les journées de septembre 1830 à Bru­
xelles et en province. 1934. 2^o pp. (Mémoire couronné par l’Aca­
démie Royale de Belgique) ............................................................................ Épuisé
l'asc. LXVI. — P. Harsin. Dutot : Réflexions politiques sur les finances
et le commerce. Édition intégrale publiée pour la ire fois. Tome I.
I935- LVi-300 pp. avec 9 tableaux.
Fasc. LXVII. — P. Harsin. Dutot : Réflexions... Tome II. 1935.324 pp.
avec un tableau hors-texte........................................... les deux fasc. 30.00
Fasc. LXXII. —- L.-E. Halkin. Réforme protestante et Réforme catho­
lique au diocèse de Liège. Histoire religieuse des règnes de Corneille
de Berghes et de Georges d'Autriche (1538-1557). 1936. 436 pp.
(Prix d’Académie, de l’Institut de France).............................................. 17.50
Fasc. LXXVII. — Jean Yernaux. Histoire du Comté de Logne. Études
sur le passé politique, économique et social d’un district ardennais.
I937-25°PP........................................................................................................ Épuisé
Fasc. LXXX. — Robert Demoulin. Guillaume 1er et la transformation
économique des Provinces Belges (1815-1830). 1938. 462 pp. (Prix
Chaix d’Est-Ange, de l’Institut) ................................................................ Épuisé
Fasc. LXXXVII. — Jean Lejeune. La formation du Capitalisme
moderne dans la Principauté de Liège au XVI’ siècle. 1939. 353 pp. . Épuisé
Fasc. C. — Joseph Ruwet. L’Agriculture et les Classes rurales au
Pays de Herve sous l’Ancien Régime. 1943. 334 pp.................................. Épuisé
Fasc. CV. — Ivan Delatte. Les classes rurales dans la Principauté
de Liège au XVIIIe siècle. 1945. 337 pp...................................................... Épuisé
Fasc. CX. — Charles Lays. Étude critique sur la Vita Balderici Epis-
copi Leodiensis. 1948. 174 pp.......................................................................... 10.00
Fasc. CXI. — Alice Dubois. Le chapitre Cathédral de Saint-Lambert à
Liège auXVID siècle. 1949. xxn-3iopp................................................... 17.50
Fasc. CXII. — Jean Lejeune. Liège et son pays. Naissance d’une
patrie (XIIIe-XIVesiècles). 1948. xnv-560 pp....................................... Épuisé
Fasc. CXIII. — Léon Halkin. Une description inédite de la ville de
Liège en 1705. 1948. 102 pp. et 4 planches................................................ 7.50
Fasc. CXIV. — Pierre Lebrun. L'Industrie de la laine à Verviers
pendant le XVIII’ et le début du XIX• siècle. 1948. 536 pp. 3 plan­
ches et 7 diagrammes........................................................................................ Épuisé
Fasc. CXV. — René Van Santbergen. Les Bons Métiers des meuniers,
des boulangers et des brasseurs de la Cité de Liège. 1949. 376 pp. et 19
planches............................................................................................................... 15.00
Fasc. CXXIV. — Jacques Stiennon. Étude sur le Chartrier et le Do­
maine de VAbbaye de Saint-Jacques de Liège (1015-1209). 1951. xiv
+ 498 pp. 7 cartes et 40 planches hors-texte ......................................... 25.00
Fasc. CXXX. — Denise Van Derveeghde. Le domaine du Val Saint-
Lambert de 1202 à 1387. 1955. 239 pages.................................................... 17.50
Fasc. CXXXVII. — H. Th. Deschamps. La Belgique devant la Prance de
Juillet. L'opinion et l’attitude française de 1839 à 1848. 1956. c-50ipp. 25.00
Fasc. CXLII. — J.-R. Küpper. Les nomades en Mésopotamie au temps
des rois de Mari. 1957 xxxii-284 pp............................................................. Épuisé
12

Fase. CLII. — André Joris. La Ville de Huy au moyen âge. 1959.


514 pp., 2 hors-texte................................................................................... 25.00
Fase. CLV. — Henri Limet. Le travail du métal au pays de Sumer
au temps de la IIIe Dynastie d’Ur. 1959. 313 pp.................................... 18.00
Fase. CLXVII.—Gérard Moreau. Histoire du protestantisme à Tournai
jusqu'à la veille de la Révolution des Pays-Bas. 1962. 424 pp............... 25.00
Fase. CLXXIII. J.-L. Charles. La Ville de Saint-Trond au
moyen âge..................................................................................................... sous presse

PHILOLOGIE CLASSIQUE

Fase. III*. — J.P. Waltzing. Lexicon Minucianum. Præmissa est


Octavii recensio nova. 1909. 281 pp......................................................... Épuisé
Fase. IV*. — Henri Francotte. Mélanges de Droit public grec. 1910.
336 pp......................................................................................... .................. Épuisé
Fasc. XI. — Jules Pirson. La langue des inscriptions latines de la
Gaule. 1901. 328 pp..................................................................................... Épuisé
Fase. XII. — Hubert Demoulin. Épiménide de Crète. 1901. 139 pp. . Épuisé
Fase. XVIII. — J. Boyens. Grammatica linguae graecae vulgaris per
Patrem Romanum Nicephori Thessalonicensem. 1908. 175 pp............ Épuisé
Fase. XXI. — J.P. Waltzing. Étude sur le Codex Fuldensis de Ter-
tulien, 1914-1917. 523 pp........................................................................... Épuisé
Fase. XXII. — J.P. Waltzing. Tertullien. Apologétique. Texte établi
d'après le Codex Fuldensis, 1914. 144 pp............................................... Épuisé
Fase. XXIII. — J.P. Waltzing. Apologétique de Tertullien. I. Texte
établi d'après la double tradition manuscrite, apparat critique et
traduction littérale revue et corrigée. 1920. 148 pp.............................. Épuisé
Fase. XXIV. — J.P. Waltzing. Apologétique de Tertullien. II. Com­
mentaire analytique, grammatical et historique. 1919. 234 pp......... Épuisé
Fase. XXV. — J.P. Waltzing. Plaute. Les Captifs. Texte, traduction
et commentaire analytique, grammatical et critique. 1921. 100
+ 144 PP...................................................................................................... Épuisé
Fase. XXXIV. — A. Delatte. Les Manuscrits à miniatures et à or­
nements des Bibliothèques d'Athènes. 1926. 128 pp. et 48 planches . . Épuisé
Fase. XXXV. — Oscar Jacob. Les esclaves publics à Athènes. 1928.
214 pp. (Prix Zographos, de 1’Assoc, des Études Grecques en
France)........................................................................................................ Épuisé
Fase. XXXVI. — A. Delatte. Anecdota Atheniensia. Tome I : Textes
grecs inédits relatifs à l’histoire des religions. 1927. 740 pp. avec
des figures.................................................................................................... Épuisé
Fase. XXXVII. —- Jean Hubaux. Le réalisme dans les Bucoliques de
Virgile. 1927.144 pp................................................................................. Épuisé
Fasc. XL. — A. Severyns. Le Cycle épique dans l'École d’Aristarque.
1928. 476 pp. (Prix Th. Reinach, de l’Assoc. des Études Grec­
ques en France) ......................................................................................... Épuisé
Fasc. XLIV. — Serta Leodiensia. Mélanges de Philologie Classique
publiés à l'occasion du Centenaire de l'Indépendance de la Bel­
gique. 1930. 328 pp...................................................................................... Épuisé
Fasc. XLV. — Eudore Derenne. Les Procès d’impiété intentés aux
Philosophe au V‘ et au IVe siècles avant J.C. 1930. 272 pp.(Prix
de l’Association des Études Grecques en France) .............................. Épuisé
13

Fase. XLVIII. — A. Delatte. La catoptromancie grecque et ses dérivés.


1932. 222 pp. avec 13 planches (23 figures)............................................ Épuisé
Fase. LVI. — A. Severyns. Bacchylide, essai biographique. 1933.
181 pp. avec i planches et 1 tableau hors-texte (Grand Prix Amba-
telios, de l’Institut) ................................................................................ 12.50
Fase. LIX. — Marie Delcourt-Curvers. La tradition des comiques
grecs et latins en France. 1934. 9$ PP....................................................... Épuisé
Fase. LXXVIII. — A. Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de
Proclos. Première partie. Le Codex 239 de Photius. T.I. Étude paléo­
graphique et critique. 1938. 404 pp. et 3 planches (Prix Gantrelle,
de l’Académie Royale de Belgique). Voir fase. CXXXII.
Fase. LXXIX. — A. Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de Pro­
clos. Première partie. Le Codex. 239 de Photius. T.II. Texte, traduc­
tion, commentaire. 1938, 298 pp. Voir fasc. CXXXII.
Fase. LXXXI. — Armand Delatte. Herbarius. Recherches sur le céré­
monial usité chez les anciens pour la cueillette des simples et des
plantes magiques. 1938. 177 pages........................................................... Épuisé
Fase. LXXXII. — Jean Hubaux et Maxime Leroy. Le mythe du
Phénix dans les littératures grecques et latines. 1939. 302 pages........ Épuisé
Fase. LXXXIII. — Marie Delcourt. Stérilités mystérieuses et nais­
sances maléfiques dans l’antiquité classique. 1938. 113 pp...................... Épuisé
Fase. LXXXVIII. — Armand Delatte. Anecdota Atheniensia et alia.
Tome II : Textes grecs relatifs à l'histoire des sciences. 1940.
504 pp. avec 5 planches.................................................................................. Épuisé
Fasc. XCIII. — Louis Delatte. Textes latins et vieux français re­
latifs aux Cyranides. 1942. x-354 pp............................................................ 17.50
Fasc. XCIV. — Juliette Davreux. La légende de la prophétesse Cas-
sandre d'après les textes et les monuments. 1942. xn-240 pp. avec
57 planches......................................................................................................... Épuisé
Fasc. XCVII. — Louis Delatte. Les Traités de la Royauté d’Ecphante,
Diotogène et Sthénidas. 1942. x-318 pp........................................................ 15.00
Fasc. CIV. — Marie Delcourt. Œdipe ou la Légende du conquérant.
1944. xxiv-262 pp............................................................................................. 17.50
Fasc. CVII. — Armand Delatte. Les Portulans grecs. 1947 xxiv-
400 pp.................................................................................................................... 20.00
Fasc. CXVI. —- Léon Lacroix. Les reproductions de statues sur les
monnaies grecques. La statuaire archaïque et classique. 1949. xxii-
374 pp. et 28 planches.................................................................................... 30.00
Fasc. CXVII. — Jules Labarbe. L’Homère de Platon. 1950. 462 pp.
(Prix Zographos de l’Association pour l’encouragement des Études
Grecques en France, 1950) ........................................................................... 22.50
Fasc. CXIX. — Marie Delcourt et J. Hoyoux.La correspondance de L.
Torrentius. Tome I. Période liégeoise ( 1583-1587). 1950.XX11-544PP. 25.00
Fasc. CXXV. — Alfred Tomsin. Étude sur le Commentaire Virgilien
d’Aemilius Asper. 1952 160 pp...................................................................... 10.00
Fasc. CXXVII. — Marie Delcourt et J. Hoyoux. La correspondance
de L. Torrentius. Tome IL Période anversoise (1587-1589), 1953.
xix-634 PP........................................................................................................... 27.50
Fasc. CXXVIII. — Léon Halkin. La supplication d’action de grâces
chez les Romains. 1953. 136 pages................................................................. 10.00
Fasc. CXXXI. — Marie Delcourt et J. Hoyoux. La correspondance
de L. Torrentius. Tome III. Période anversoise ( 1590-1595). 1954.
xviii-662 pp......................................................................................................... 25.00
14

Fase. CXXXII. — A. Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de


Proclos. Tome III. La Vita Homeri et les Sommaires du Cycle. I.
Étude paléographique et critique. 1953. 363 PP- avec 14 planches.
Avec les fasc. LXXVIII et LXXIX, les 3 fasc...................................... 70.00
Fasc. CXXXVIII. — R. Crahay. La littérature oraculaire chez Héro­
dote. 1956. 368 pages............... 20.00
Fasc. CXLI. — Louis Leroy. L’emprunt linguistique. 1956. 464 pp. . . 22.50
Pasc. CXLIII. — Jules Labarbe. La loi navale de Thémistocle, 1957,
238 PP............................................................................................................ 17.50
Fasc. CXLV. — Jean Hubaux. Rome et Véies. 1958. 406 pp. dix fig.
hors-texte...................................................................................................... 25.00
Fasc. CXLVI. — Marie Delcourt. Héphaistos ou la légende du magi­
cien. 1957. 244 pp., une carte et six fig. hors-texte................................ 17.50
Fasc. CXLVII. — Gilbert François. Le polythéisme et l’emploi au sin­
gulier des mots Beos, Sal/xtov dans la littérature grecque d'Homère à
Platon. 1957. 374 pp........................................................................................... 20.00
Fasc. CLI. — Marie Delcourt. Oreste et Alcméon. 1959. rl3 P............. 10.00
Fasc. CLVI. — Robert Joly. Recherches sur le traité pseudo-hippo­
cratique du Régime, i960. 260 pp.............................................................. 17.00
Fasc. CLXX. — Albert Severyns. Recherches sur la Chrestomathie de
Proclos. T. IV. La Vita Homeri et les sommaires du cycle. 11 Texte
et traduction. 110 pp. voir fasc. CXXXII ............................................. 15.00
Fasc. CLXXIII. Marie Delcourt. Pyrrhos et Pyrrha. Recherches
sur les valeurs du jeu dans les légendes helléniques. 1965. 127 pp. 15.00

PHILOLOGIE ROMANE

Fasc. XIV. — Albert Counson. Malherbe et ses sources. 1904. 239 pp. Épuisé
Fasc. XXVI. — A. Humpers. Étude sur la langue de Jean Lemaire
de Belges. 1921.244 pp................................................................................ Épuisé
Fasc. XXVIII. — J. Haust. Le dialecte liégeois au XVII‘ siècle. Les
trois plus anciens textes (1620-1630). Édition critique, avec com­
mentaire et glossaire, 1921. 84 pp............................................................ Épuisé
Fasc. XXX. — J. Deschamps. Sainte-Beuve et le sillage de Napoléon.
1922. 177 pp.................................................................................................. Épuisé
Fasc. XXXII. — J. Haust. Étymologies wallonnes et françaises. 1923.
357 pp. (Prix Volney, de l’Institut) ....................................................... Épuisé
Fasc. XLIX. — M. Delbouille. Le Tournoi de Chauvency, par Jacques
Bretel (édition complète). 1932. cii-192 pp. avec 11 planches (18 fi­
gures) .......................................................................................................... Épuisé
Fasc. L. — Ch. François. Étude sur le style de la continuation du
« Perceval » par Gerbert et du « Roman de la Violette » par Gerbert
de Montreuil. 1932. 126 pp......................................................................... 6.00
Pasc. LIV. — S. Étienne. Défense de la Philologie. 1933. 73 pp............... Épuisé
Fasc. LVII. — E. Grégoire. L’astronomie dans l'œuvre de Victor
Hugo. 1933. 246pp............................................................................................. 10.00
Fasc. LX. — Claire Witmeur. Ximénès Doudan. Sa vie et son œuvre.
1934. 150 pp. avec 5 planches (Prix biennal Jules Favre, de l’Aca­
démie Française)......................................................................................... 10.00
15

Fase. LXI. Rita Lejeune-Dehouse. L’Œuvre de Jean Renart. Con­


tribution à l'étude du genre romanesque au moyen âge. 1935. 47° pp.
Fase. LXVIII. Fernand Desonay. Œuvres complètes d'Antoine de
La Sale. t.I. La Salade. 1935. XLV-270 pp...................................................
Fase. LXX. S. Étienne. Expériences d’analyse textuelle en vue de
l'explication littéraire. Travaux d'élèves. 1935. 145 pp............................
Fase. LXXIII. — Antoine Grégoire. L’apprentissage du langage.
1937-1. I 288 pp. (Prix Volney, de l'Institut.) ...................................
Fase. LXXXVI. — Antoine Grégoire. Edmond-Puxi-Michel. Les
prénoms et les surnoms de trois enfants. 1939. 188 p..................................
Fase. LXXXIX. Fernand Desonay. Antoine de La Sale, aventureux
et pédagogue 1940. 204 pp....................................................
Fase. XCII. Fernand Desonay. Œuvres complètes d’Antoine de
La Sale. t. II. La Sale. 1941. xxxvn-282 pp..............................................
Fase. XCVI. Louis Remacle. Les variations de /’h secondaire en
Ardenne liegeoise. Le problème de /’h en liégeois. 1944. 440 pp. avec
43 figures (Prix Albert Counson, de l’Académie Royale de Langue
et de Littérature Françaises) ...................................................................
Fase. CIII. Phina Gavray-Baty. Le vocabulaire toponymique du
Ban de Fronville. 1944- xxvm-164 pp. avec 10 cartes
Fase. CVI. — Antoine Grégoire. L'apprentissage du langage, t. IL
La troisième année et les années suivantes. 1947. 491 pp.........................
Fasc. CVIII. — Rita Lejeune. Recherches sur le Thème:Les Chansons
de Geste et l’Histoire. 1948. 256 pp........................................
Fase. CIX. Louis Remacle. Le problème de l'ancien wallon. 1948.
23°PP....................................................................................................................
Fase. CXX. — Jules Horrent. La Chanson de Roland dans les littéra­
tures française et espagnole au moyen âge. 1951. 552 pp..........................
hase. CXXII. — Jules Horrent. Roncesvalles. Étude sur le fragment
de cantar de gesta conservé à l’Archivo de Navarra (Pampelune).
1951-251 PP......................................................................................................... Épuisé
Fasc. CXXII. — Maurice Delbouille. Le Lai d’Aristote de Henri
d’Andeli. 1951. 112 pp...................................................... Épuisé
Fasc. CXXVI. — Louis Remacle. Syntaxe du parler wallon de La Gleize
Tome I. Noms et articles. Adjectifs et pronoms. 1952. 403 pp. 9 car­
tes.....................................................................
17.50
l'asc. CXXIX. — Essais de philologie moderne (1951). 1953,252 pp. 17.50
Fasc. CXXXV. — Léon Warnant. La constitution phonique du mot
wallon. Étude fondée sur le parler d’Oreye. 1956. 409 pp......................... 20.00
Fasc. CXXXIX. Louis Remacle. Syntaxe du parler wallon de la
Gleize. Tome IL Verbes. Adverbes. Prépositions. 1956. 378 pages,
i5 cartes ......................................................... 20.00
Fasc. CXL. Paul Aebischer. Les versions norroises du « Voyage de
Charlemagne en Orient ». Leurs sources. 1956. 185 pp........................... 12.50
Fasc. CXLI. Louis Deroy. L’emprunt linguistique. 1956. 464 pp. 22.50
Fasc. CXLVIII. Louis Remacle. Syntaxe du parler wallon de la
Gleize. Tome III. Coordination et subordination. Phénomènes divers.
i960 .347 pp., g cartes.................................................................................. 20.00
Fasc. CL. — La Technique littéraire des chansons de geste. Colloque de
Liège, 1957. 1959- 486 pp................................................................................. Épuisé
Fasc. CLVIII. Jules Horrent. Le Pèlerinage de Charlemagne.
16

Essai d'explication littéraire avec des notes de critique textuelle. 1961.


154 pp ................................................................................................................................................................ 1200
Fase. CLIX. — Simone Blavier-Paquot. La Fontaine. Vues sur l'Art
du Moraliste dans les Fables de 1668. 1961. 168 pp............................... 12.00
Fase. CLXI. — Langue et Littérature. Actes du VIIIe Congrès de la
F.I.L.L.M. Liège i960. 1961. 448 pp....................................................... 25.00
Fase. CLXII. — Jean Renson. Les dénominations du visage en français
et dans les autres langues romanes. Études sémantique et onomasiologi-
que. 1962. Deux volumes. 738 pp.............................................................. 40.00
Fase. CLXIII. — Paul Delbouille. Poésie et sonorités. La critique
contemporaine devant le pouvoir suggestif des sons. 1961. 268 pp........ 17.50
Fase. CLXVIII. — Alain Lerond. L’habitation en Wallonie malmédienne
(Ardenne belge). Étude dialectologique. Les termes d'usage courant.
1963. 490 pp. et 3 cartes............................................................................. 30.00

PHILOLOGIE GERMANIQUE

Fase. II. — Heinrich Bischoff. Ludwig Tieck als Dramaturg. 1897. ..


128 pp............................................................................................................ 5.00
Fase. III. — Paul Hamelius. Die Kritik in der englischen Literatur
des 17. und 18. Jahrhunderts. 1897. 214 p............................................... Épuisé
Fase. IV. — Félix Wagner. Le livre des Islandais du prêtre Ari le
Savant. 1898.107 pp................................................................................... Épuisé
Fase. XX. — T. Southern. The Loyal Brother, edited by P. Hamelius.
1911. 131 pp................................................................................................. Épuisé
Fase. XXXIII. — A. L. Corin. Sermons de J. Tauler. I. Le Codex
Vindobonensis 2744, édité pour la premiere fois. 1924. 372 pp............ Épuisé
Fase. XLI. — Jeanne-Marie H. Thonet. Étude sur Edward Fitz­
Gerald et la littérature persane, d'après les sources originales. 1929.
144 pp............................................................................................................ Épuisé
Fase. XLII. — A.L. Corin. Sermons de J. Tauler. II. Le codex Vin­
dobonensis 2739, édité pour la première fois. 1929. 54^ PP................... Épuisé
Fase. XLVI. — A. L. Corin. Comment faut-il prononcer l'allemand ?
1931. 164 pp................................................................................................. Épuisé
Fase. LXII. — M. Rutten. De Lyriek van Karel van de Woestifne. 1934.
305 pp. (Prix des Amis de l'Université de Liège. 1935 » Prix de
critique littéraire des provinces flamandes, période 1934-36)............ Epuisé
Fase. LXIV. — S. d'Ardenne. The Life of S' Juliana. Édition cri­
tique. 1936. XLix-250 pp........................................................................... Épuisé
Fase. LXXI. — F. Wagner. Les poèmes mythologiques de l'Edda. Tra­
duction précédée d’un exposé général de la mythologie Scandinave.
1936. 262 pp................................................................................................. Épuisé
l'asc. LXXXIV. — Joseph Warland. Glossar und Grammatik der
germanischen Lehnwörter in der wallonischen Mundart Malmedys.
1940. 337 pp. avec 2 cartes........................................................................ Épuisé
Fase. LXXXV. — A. L. Corin. Briefe von J.E. Wagner an Jean
Paul Fr. Richter und August von Studnitz. 1942. 598 pp..................... 17.50
Fase. XCVIII. — René Verdeyen. Het Naembouch van 1562. Tweede
druk van het Nederlands-Frans Woordenboek van Joos Lambrecht.
1945. cxxxii-256 pp. avec cinq planches et résumé français ........ 17.50
17

Fase. CI. — A. Baiwir. Le déclin de l'individualisme chez les Roman­


ciers américains contemporains. 1943. 402 pp............................................ 20.00
Fasc. CIL — M. Rutten. De esthetische Opvattingen van Karel van de
Woestijne. 1943. xvi-295 pp. (Prix du Comité H. Van Veldeke,
1945)..................................................................................................................... 15.00
Fase. CXVIII. — Irène Simon. Formes du roman anglais de Dickens
à Joyce. 1949. 464 pp......................................................................................... Épuisé
Fase. CXXI. — Armand Nivelle. Friedrich Grieses Romankunst
1951. 240 pp......................................................................................................... 15.00
Fasc. CXXIX. — Essais de philologie moderne (1951). 1953, 252 pp. . . 17.50
Fase. CXXXIV. — Armand Nivelle. Les théories esthétiques en Allema­
gne, de Baumgarten à Kant. 1955. 412 pp................................................... Épuisé
Fasc. CXXXVI. — Albert Gérard. L'idée romantique de la poésie en
Angleterre. Étude sur la théorie de la poésie chez Coleridge, Words­
worth. Keats et Shelley. 1955, 4*5 pp..................................................................... 22.00
Fasc. CXLI. — Louis Deroy. L'emprunt linguistique. 1956. 464 pp. . . 22.50
Fasc. CLIII. — Mathieu Rutten. Het Proza van Karei van de Woes­
tijne. 1959. 759 pp.............................................................................................. 27.50
Fasc. CLIV. — Paule Mertens-Fonck. A Glossary of the Vespasian
Psalter and Hymns, i960. 387 pp................................................................... 20.00
Fasc. CLXIX. — Pierre Halleux. Aspects littéraires de la Saga de
Hrafnkel. 1963. 181 pp.............................................................................. 15.00

PHILOLOGIE ORIENTALE

Fasc. VI. — V. Chauvin. La recension égyptienne des Mille et une


Nuits. 1899. 123 pp............................................................................................ Épuisé
Fasc. XIX. — A. Bricteux. Contes persans. 1910. 528 pp.......................... Épuisé
Fasc. XLI. — Jeanne-Marie H. Thonet. Étude sur Edward Fitz-Ge-
rald et la littérature persane d’après les sources originales. 1929. 144 p. Épuisé
Fasc. LIII. — A. Bricteux. Les Comédies de Malkom Khan. 1933
130 pp..................................................................................................................... 7.00
Fasc. LV. — A. Bricteux. L’Avare de Mirza Dja’far Qarâdjadâghî,
texte persan et traduction. 1934. 102 + 88 pp........................................ 10.00
Fasc. LXXIV. — J. Duchesne-Guillemin. Études de morphologie
iranienne, I. Les composés de l’Avesta. 1937. xi-279 pp.......................... 17.50
Fasc. LXXV. — H. F. Janssens. L'Entretien de la Sagesse. Introduc­
tion aux œuvres philosophiques de Bar Hebraeus. 1937375PP............ 15.00
Fasc. LXXVI. — A. Bricteux. Roustem et Sohrab. 1937. 91 PP............... 6 00
Fasc. XCV. — Abbé Robert Henry de Generet. Le Martyre d’Ali
Akbar. Drame persan. Texte établi et traduit, avec une introduc­
tion et des Notes. 1947. 144 pp...................................................................... 7.50
Fasc. CXLI. — Louis Deroy. L'emprunt linguistique. 1956. 464 pp. . . 22.50
Fasc. CXLII. — J.-R. Küpper. Les nomades en Mésopotamie au temps
des rois de Mari. 1957. xxxu-284 pp............................................................ Épuisé
Fasc. CLV. — Henri Limet. Le travail du métal au pays de Sumer au
temps de la 111‘Dynastie d’Ur. 1959. 313 pp............................................. 18.00
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VARIA

Fase. XV. — Victor Tourneur. Esquisse d’une histoire des études


celtiques. 1905. 246 pp........................................................................................ Épuisé
Fasc. LXXIII. — Antoine Grégoire. L'Apprentissage du langage.
1937-1. I 288 pp. (Prix Volney, de l’Institut) ....................................... Épuisé
Fase. LXXXVI. — Antoine Grégoire. Edmond-Puxi-Michel. Les
prénoms et les surnoms de trois enfants. 1939. 188 pp............................... 10.00
Fase. XC. — Eugène Polain. Il était une fois... Contes populaires
liégeois. 1942. 371 pp......................................................................................... 17.50
Fase. CVI. — Antoine Grégoire. L'apprentissage du langage. T.II. La
troisième année et les années suivantes. 1947. 491 pp................................ 18.00
Fase. CXXIX. — Essais de philologie moderne (1951). 1953. 252 pp. . . 17.50
Fasc. CXXXIII. — Albert Husquinet. L’adaptation scolaire et fami­
liale des jeunes garçons de 12 à 14 ans d’après le test sociométrique et
le test d’aperception thématique. 1954. 202 PP.......................................... 15.00
Fasc. CXLI. — Louis Deroy. L'emprunt linguistique. 1956. 464 pp. . . 22.50
Fasc. CXLIX. — Ars Nova, Colloques de Wégimont. II. 1955. 1959. À
275 PP..................................................................................................................... 15.00
Fasc. CLVII. — Les Colloques de Wégimont. Ethnomusicologie II. 1956.
303 pp. et quatre hors-texte............................................................................ 20.00
Fasc. CLXXI. Les Colloques de Wégimont : Le « Baroque » musical.
— iv-1957. I9&3- 288 pp.............................................................................. 20.00
Fasc. CLXXII. Les Colloques de Wégimont. Ethnomusicolo gie III —
1958-1960. 1964. 280 pp............................................................................... 20.00

Les fascicules marqués d’un astérisque : I*, II*, III*, IV* appartiennent à la
Série grand in-8° (Jésus) 27,5 x 18,5. Les fascicules I-XXX appartiennent à la
Série in 8° (23 x 15), les autres à la même série (25 x 16).

IMPRIMERIE DES ÉDITIONS J. DUCULOT, S. A., GEMBLOUX.


40$, 9^ B
709503500

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