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Salles Jean-Francois. Du bon et du mauvais usage des Phéniciens. In: Topoi, volume 1, 1991. pp. 48-70;
doi : 10.3406/topoi.1991.1457
http://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_1991_num_1_1_1457
Synthèse
2. Patricia M. BlKAI, pp. 23-30. Robert R. Stieglitz, «Early Iron Age Geopolitics»,
p. 27; Richard J. Clifford, «Pantheons of Gods», p. 29; Glenn Marker, «A nation of
Artisans», pp. 31-35. Voir aussi le n° 279, août 1990, du Bulletin of the American Schools
of American Research, qui consacre la moitié de sa livraison aux Phéniciens.
3. Les
n° 132,Phéniciens
novembreà 1988
la conquête
: «Nousdeprésentons
la Méditerranée,
aujourd'hui
Dossiers
un Histoire
dossier exclusif
et Archéologie,
sur les
Phéniciens, sans aborder, dans la mesure du possible, les problèmes de la civilisation et
de l'histoire puniques [...], tout en étant conscients qu'il s'agit en quelque sorte d'une
gageure», p. 6. Ce dossier constitue un complément indispensable à V Univers phénicien
de G.R.T.
LES PHÉNICIENS 49
5. Voir les affirmations de Γα., ρ. 8, 10, 159, etc. D'autres comptes-rendus abondent dans
le même sens : «... un modèle d'enquête historico-archéologique sur un problème
complexe qui avait jusqu'alors fait reculer bien des chercheurs» ; «Π est probable qu'on
ne pourra faire mieux pendant longtemps encore...» ; «... approche globale de la société
phénicienne», etc. : J. Sapin, dans Transeuphratène , I (1989), pp. 194-198.
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6. Par exemple sur «Les fonctions urbaines et l'organisation de l'espace urbain», pp. 61-
66 ; sur «Les Phéniciens et la terre», pp. 73-77 (deux problèmes à peu près inconnus dans
l'historiographie du monde phénicien oriental) ; sur «Le phénomène orientalisant»,
Chapitre 5, etc.
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7. J'emprunte l'expression à Gerhard Herm, The Phoenicians. The Purple Empire of the
Ancient World, New York, 1975 (traduit de l'allemand Die Phönizier: Das Purpurreich
der Antike, Econ Verlag GmbH, 1973, Dusseldorf und Wien), sans être totalement sûr
qu'elle soit de son cru.
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visés que les premiers parce qu'ayant mieux réussi sans l'aide du
décalogue : la Phénicie est l'archétype du monde païen aux yeux de
Jérusalem, et l'abandon de Yahwé pour les Baals phéniciens ou
cananéens est décrit comme la prostitution suprême du peuple élu
(£z.,16 ; Os., 1, 2). De là vient sans doute une prévention diffuse, mais
bien ancrée à l'égard des Phéniciens, en tout cas bon nombre de clichés
et de sous-entendus qu'il vaut mieux, peut-être, ne pas trop évoquer pour
éviter de flétrir la mémoire de leurs auteurs.
«L'identité phénicienne» (G.R.T., Chapitre 2, pp. 25-52) est
celle de la côte syro-libanaise, mais surtout l'addition des différences
politiques et religieuses qui caractérisent chacune des cités-états
composant cet «ensemble» multiforme : «Si l'on veut bien comprendre
l'histoire phénicienne, il faut toujours se rappeler, c'est un fait
primordial, que les cités dites phéniciennes n'ont jamais, au cours de leur
histoire, constitué un Etat national avec une autorité centrale [...]. Elles
formaient [...] un chapelet de cités indépendantes, chacune défendant
farouchement son indépendance [...]. [...] il semble qu'elles n'avaient
aucune conscience nationale commune en tant que peuple» 8. C'est cette
diversité qu'expriment G.R.T. lorsqu'ils s'appliquent à rappeler les
histoires de Byblos, de Sidon, de Sarepta et de Tyr (pp. 35-50). Mais un
ciment culturel rassemble les cités phéniciennes, celui de la langue et de
l'écriture alphabétique, dont le berceau demeure Byblos aux yeux des
auteurs ; grâce à l'archéologie et à l'écrit, on entrevoit les rapports qui
s'établissent très tôt entre les Phéniciens et leurs voisins Araméens,
Louvites ou Hébreux, dès les premiers siècles du 1er millénaire avant J.-
C, avant que la conquête assyrienne ne vienne modifier le paysage
politique du Proche Orient.
Ce n'est pourtant pas cet événement, à la fin du VHP siècle, qui
fut à l'origine de la dilatation de «L'espace phénicien» (Chapitre 3, pp.
53-78). Si la date de 814 av. J.-C. pour la fondation de Carthage devient
une hypothèse de travail de plus en plus solide aux yeux des
archéologues, les auteurs prennent parti pour une colonisation
phénicienne 9 très ancienne, dès le XIe s. av. J.-C. en Espagne et en
Tunisie. Au-delà du récit immédiat, le point fort de ce chapitre réside
dans la description synthétique de cet espace : emplacement
soigneusement choisi des colonies, rapports entre les sites portuaires et
10. Et ce n'est pas le récent ouvrage publié par J. Elayi, Sidon, cité autonome de
l'Empire perse, Editions Idéaphane, 1989, qui inaugurera un renversement de cette
tendance.
11. «Les quelques mentions de Phéniciens dans les œuvres littéraires grecques
contemporaines de l'Empire perse», p. 107, introduisent une note qui renvoie à Pausanias
pour «la représentation de Phéniciens dans certaines œuvres d'art grecques», (note 4, p.
147) ; le raccourci pourrait paraître surprenant à un lecteur inattentif, qui ne connaîtra pas
les sources de ces mentions.
12. Sur un aspect de la place des Phéniciens en Grèce, M.-F. Baslez «Le rôle et la place
des Phéniciens dans la vie économique des ports de l'Egée», Studia Phoenicia V.
Phoenicia and the East Mediterranean in the first millennium B.C., E. Lipinski ed.,
Leuven, 1987, pp. 267-285 (cf. pp. 271-273).
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13. La littérature sur les Phéniciens à Chypre est très vaste, et le débat sur le
développement culturel de l'île entre «pro-phéniciens» et «pro-grecs» est loin d'être clos.
Pour la période traitée par J.E., on citera, entre autres articles récents, l'exemple du
royaume phénicien de Kition : M. YON, «Le royaume de Kition. Époque archaïque»,
Studia Phoenicia. V, pp. 357-374 ; ead., «Sur l'administration de Kition à l'époque
classique», Early Society in Cyprus, E. Peltenburg Ed., Edinburgh University Press,
1989, pp. 363-375 ; ead., «Le royaume de Kition. Époque classique», Studia Phoenicia.
IX, sous presse, etc.
14. Pourquoi ne pas envisager, dans cette veine, qu'Alexandrie ou Massalia aient été des
sites phéniciens?
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15. Les objets illustrés dans les cinq planches de photographies à la fin de l'ouvrage ne
font l'objet d'aucun appel dans le texte, et on ne sait pas vraiment à quoi ils se rapportent.
16. Fouilleurs et archéologues sont plusieurs fois malmenés dans l'ouvrage de J.E., qui
considère sans doute cette activité comme moins qu'une auxiliaire de l'Histoire.
17. Sur plus de 3000 objets (supra, note 4). Etant donné l'aire géographique couverte par
les cartes et les tableaux, le nombre de 3000 objets pour la période 540-333 av. J.-C.
paraît ridiculement petit au regard des fouilles publiées dans la région : la sélection de
l'échantillonnage a donc sans doute été très sévère sans qu'il soit possible d'en connaître
les critères, ce qui ne peut qu'accroître une légitime méfiance à l'égard de cette collection
(voir aussi infra, note 28).
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19. R.J. HOPPER, Trade and Industry in Classical Greece, Thames and Hudson, London,
1979, rappelle (p. 17, avec bibliographie) que la somme totale des exportations
corinthiennes ou attiques à l'époque archaïque, recueillies dans tous les sites de la
Méditerranée sur un laps de temps de presque deux siècles, ne représente en volume que
la cargaison de quelques navires seulement, et qu'il serait totalement illusoire de mesurer
le volume des échanges et leur variation au seul décompte des tessons.
20. Sur les vases grecs au Proche Orient, il faut utiliser maintenant J. Perreault,
«Céramique et échanges : les importations attiques au Proche-Orient, du VIe au milieu du
IVe siècle avant J.-C. Les données archéologiques», BCH , CX (1986), pp. 145-175.
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as hard facts» (p. 32) 21. C'est l'un des dangers que court l'historien
lorsqu'il avance une proposition insuffisamment argumentée et présentée
comme une vérité, et chacun sait combien la répétition de telles formules
peut conduire à «refaire l'histoire». La naissance d'un factoid est bien
décrite par Maier qui insiste sur le processus linguistique : substitution de
l'indicatif au subjonctif, disparition progressive des mots ou particules de
réserve ; sa maturation repose le plus souvent sur la confiance qu'un
chercheur accorde aux travaux d'un autre savant, à plus forte raison
quand il s'agit d'un maître à penser, mais elle peut découler aussi d'une
«lecture rapide». Il faudrait ajouter, dans le cas précis de
l'historiographie française, que plus la formule est simple et belle, plus
elle a de chances de devenir vérité répétée. Un exemple parmi d'autres
puisé dans l'ouvrage de J.E. permettra d'illustrer la réalité de la menace.
L'affirmation selon laquelle : «L'apparition du monnayage en
Phénicie revêt aussi un caractère de mimétisme politique : les cités
phéniciennes ont choisi d'exprimer monétairement leur souveraineté comme
les cités grecques» (p. 128) paraît un raccourci à la fois sémantique et
historique peu conforme avec la réalité du Proche Orient aux Ve et IVe s.
av. J.-C. S'il souligne qu'«une monnaie [...] est aussi le véhicule d'un
pouvoir et d'une idéologie», P. Β riant 22 rappelle combien les
monnayages locaux, et en particulier ceux de la cinquième satrapie,
Phénicie et pays adjacents, jouaient un rôle essentiel dans les échanges
commerciaux régionaux, la darique royale n'étant que «la monnaie
immobile», selon l'expression de D. Schlumberger, par rapport à «la
monnaie circulante», grecque pour le grand savant, mais aussi
phénicienne, cilicienne, etc23. L'intensification 24 des échanges
commerciaux en Méditerranée orientale au cours du Ier millénaire av.J.-C
21. F.G. Maier, «Factoids in Ancient History. The case of Fifth-Century Cyprus», JHS,
CV (1985), pp. 32-39.
22. P. Briant, «Conclusion», p. 323 et 328, L'or perse et l'histoire grecque, REA, XCI
(1988) 1-2. Sur les problèmes de monnayage et de souveraineté, dernièrement : O.
Picard, «Philippe Π et le monnayage des cités grecques», REG, 1990, pp. 1-16.
24. Par exemple, J.-F. SALLES, «Du blé, de l'huile et du vin... Notes sur les échanges
commerciaux en Méditerranée orientale vers le milieu du 1er millénaire av. J.-C.» (1*™
partie), Achaemenid History. VI. Old cultures in a new empire, A. Kuhrt and H. Sancisi-
Weerdenburg Eds., Nederlands Instituut voor Het Nabije Oosten, Leiden, sous presse ; la
seconde partie, présentée à la Xth Achaemenid History Workshop, Ann Arbor, 1990, sera
publiée dans la même série.
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25. E. ACQUARO, «Le monete», / Fenici, op. cit., pp. 464-473 : «la monetazione delle città
Fenicia ritaglia, anche dialetticamente, il proprio ruolo nell'ambito persiano» (p. 464).
26. J. Elayi, Sidon..., op. cit., p. 200. La proposition est susceptible d'être discutée, mais
elle est en tout cas moins réductrice que celle exprimée dans le présent ouvrage.
27. Les textes bibliques sont également utilisés ; peut-être les auteurs auraient-ils pu
mettre en garde le lecteur non averti afin qu'il s'abstienne de prendre au pied de la lettre
la «lamentation d'Ezéchiel» (citée pp. 116-120), même si ce document évoque mieux que
tout autre le rôle commercial de Tyr.
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28. J. Perreault, «Céramique et échanges...», 1986, op. cit. p. 168 entre autres, avec
références à O. Picard. Il est difficile de mettre en parallèle les données avancées par
J. Perreault et J. E. tant sont différentes les méthodes des deux auteurs. A titre d'exemple,
l'échantillonnage de J. Perreault pour la période 550-450 av. J.-C. dans les trois sites d'al-
Mina, Bassit et Tell Soukas compte 647 vases ou tessons (Tableau I p. 154) ; celui que
propose J.E. pour toute la Phénicie du Nord de Soukas à Mersin, dénombre 36 vases ou
tessons pour sa période archaïque, 539-479 av. J.-C, et 108 pour la période classique
479-405 av. J.-C.
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l'hiver suivant, [...] une autre escadre de six vaisseaux, commandée par le
stratège Mélèsandros, fut envoyée en Carie et en Lycie pour percevoir le
tribut et empêcher les corsaires péloponnésiens de prendre ces régions
pour base et de gêner ainsi la circulation des cargos venant de Phasélis,
de Phénicie et de toute cette partie du continent» (II, 69, trad. D. Roussel,
La Pléiade) : sont-ce là les «flottes de guerre puissantes et redoutées» qui
assuraient «une protection efficace des cargos phéniciens» (J.E. p. 62,
voir aussi p. 63) ? De telles affirmations constituent quelques exemples
de factoids en puissance qu'il convient d'effacer rapidement et
résolument. Dans le même domaine méthodologique, le chapitre de J.E.
sur les échanges phénico-grecs multiplie des réserves du type «on
ignore», «on n'est pas renseigné», «on ne peut pas savoir» qui
introduisent pourtant des développements considérés comme certains et
des conclusions assurées 29, devenant ipso facto des factoids ; un tel
mode de raisonnement n'est pas sans évoquer le mythe du «selon» chez
les journalistes contemporains M.
Les a. de Γ Univers résument ensuite le contenu des échanges à
l'intérieur du monde phénicien où prime la quête des métaux. Mais les
Phéniciens n'ont pas conservé cette richesse minérale pour eux seuls, ils
l'ont redistribuée dans l'ensemble du bassin méditerranéen ; en ce sens,
la vision de cités phéniciennes importatrices de grandes quantités de
métaux divers proposée par J.E. (pp. 72-73) est en totale contradiction
avec l'affirmation de Va. selon laquelle «les autres données
archéologiques [bijoux, sceaux, bronzes, etc.] ne sont pas significatives
par elles-mêmes, car elles sont trop peu représentées ou mal connues»
(p. 34). Etrangement, toute référence aux bronzes phéniciens est absente
de l'ouvrage ; pourtant, les trouvailles abondent en Phénicie du Sud, et il
serait mal venu d'ignorer sur ce sujet les échanges qui s'opèrent entre le
monde iranien et le monde grec ou entre les mondes scythe, iranien et
29. Un seul exemple sufira, pp. 71-72. L'affirmation selon laquelle «les échanges de
biens périssables entre cités phéniciennes et cités grecques ne peuvent être reconstitués
que de manière hypothétique» est suivie par des assertions du type : les cités phéniciennes
manquaient d'huile, les cités phéniciennes n'importaient pas de céréales de l'extérieur...
30. «[...] nous avons souffert en bout de course de la disparition de «selon». Car c'est une
des caractéristiques de ce petit mot, un phénomène bien connu dans le métier : sa
propension à se carapater dès que possible. Au point qu'on pourrait formuler ce
théorème : tout «selon» d'une première information a tendance à s'évanouir dans la
nature dès que celle-ci est reprise par un tiers, lui conférant ainsi le caractère d'une vérité
absolue». Michel Castero, Un mensonge gros comme le siècle (Roumanie, histoire
d'une manipulation), Albin Michel, Paris, 1990, p. 185.
LES PHÉNICIENS 61
grec, souvent par l'intermédiaire des Phéniciens 31. η est vrai que Va.
n'est concernée que par l'influence de l'hellénisme sur la Phénicie et
jamais par les phénomènes qui, à la même époque, se diffusent de
l'Orient vers la Grèce.
Produits exotiques, épices et aromates, pierres précieuses et
perles, bois rares et lointains ou bois de construction du Mont Liban, et
des produits alimentaires de toutes sortes remplissaient avec d'autres
marchandises que nous soupçonnons à peine, les cales ou les ponts des
navires phéniciens qui sillonnaient la Méditerranée (G.R.T., pp. 103-
105) ; sans doute faut-il y ajouter des vases en céramique vendus comme
tels et non pour leur contenu, mais on sait depuis longtemps que
l'opposition «céramique de luxe-objet de commerce» vs «céramique
utilitaire-diffusion seulement locale» relève d'une construction arbitraire
de nos esprits modernes, justement réfutée par nombre d'archéologues ou
historiens 32. Et que dire lorsque cet argument devient jugement culturel :
«en Espagne [...], la céramique vendue pour elle-même et non pour son
contenu ne pouvait pas provenir des cités phéniciennes qui ignoraient la
céramique de luxe, mais était sans doute grecque» (J.E., p. 68 ; c'est moi
qui souligne) ! Par ailleurs, il faut remettre en cause la notion d'échanges
proposée par J.E. et schématiquement résumée ainsi : puisqu'on trouve
des vases, sculptures, lampes en terre cuite, etc. grecques en Phénicie,
c'est-à-dire des produits non périssables importés par les Phéniciens, et
aucun objet non périssable phénicien en Grèce, les Phéniciens
n'exportaient que des produits périssables vers la Grèce 33. Sans juger de
la valeur archéologique ou historique de la théorie, il faut remarquer que
l'affirmation repose sur deux données totalement étrangères aux
mentalités commerçantes de l'Antiquité : l'équilibre des échanges — il
faut acheter autant que l'on vend, et vice-versa — et la nécessité d'un fret
32. Par exemple D.WJ. GlLL, «The distribution of Greek vases and Long Distance
Trade», Proceedings of the 3rd Symposium on Ancient Greek and Related Pottery,
Copenhagen, 1987, J. Christiansen & T. Melander Eds., Copenhagen, 1988, pp. 175-185.
33. «Bien qu'on ne puisse pas établir de rapport de proportion entre exportations et
importations, la grande quantité de biens grecs non périssables importés par les cités
phéniciennes sans contrepartie oblige à considérer qu'elles exportaient en grandes
quantités vers les cités grecques des produits périssables» (J.E., p. 71); «II semblerait au
total que les cités phéniciennes aient plus exporté vers les cités grecques qu'importé de
ces cités des produits périssables, l'inverse étant vrai pour les produits non périssables»
(p. 76).
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34. Sur les problèmes de fret et du commerce itinérant («commerçant de front pionnier»),
l'ouvrage de référence demeure J. ROUGÉ, Recherches sur l'organisation du commerce
maritime en Méditerranée sous l'empire romain, SEVPEN, Paris, 1966.
35. Théorie sur l'économie antique désormais battue en brèche, par exemple M. SILVER,
Economie Structures of the Ancient Near East, Barnes & Nobles, Towota N.J., 1986.
36. Il serait sans doute piquant d'analyser un jour, à partir des exemples de la bande
dessinée, cette idée reçue derrière laquelle on trouverait sans doute de multiples
composantes peu avouables : relents d'antisémitisme, nostalgie du colonialisme du XIXe
siècle, etc. Innocemment ou non, et même sans en avoir conscience, les auteurs de telles
œuvres participent au courant «anti-phénicien» évoqué plus haut et au cortège de ses
sous-entendus.
LES PHÉNICIENS 63
37. L'auteur suggère aussi la présence de Grecs en Phénicie du Sud, bien attestée aux
Vne-VT s. av. J.-C. On doit envisager également l'existence de communautés chypriotes,
plus hellénisées que les Phéniciens de la côte (?).
LES PHÉNICIENS 65
38. Par ex., L. JEHASSE, Salamine de Chypre VIII. La céramique à vernis noir du rempart
méridional, de Boccard, Paris, 1978, p. 8 ; F. Burkhalter, «La céramique hellénistique
et romaine du sanctuaire d'Aphrodite à Amathonte», BCH, CXI (1987), pp. 354-355.
Pour l'époque hellénistique, J. GUNNEWEG, I. Perlman & J. Yellin, Provenience,
Typology and Chronology of Eastern Terra Sigillata, Qedem 17, Jerusalem (1983) ont
tendance à accorder une place prépondérante, peut-être exagérée, à Chypre dans les
productions céramiques de la Méditerranée orientale.
39. Tout comme, entre mille exemples contemporains, les filateurs turcs parviennent à
imposer sur les marchés, à moindre prix, leurs «imitations» de tricots Lacoste.
40. Dans ce cas précis des imitations de productions céramiques, c'est-à-dire un processus
qui ne touche que les besoins les plus simples et les plus quotidiens. On a vu plus haut
que le courant artistique orientalisant relève d'autres préoccupations.
66 J.-F. SALLES
42. Œuvres de sculpteurs phéniciens selon Γα., ces sarcophages allient des influences
égyptiennes et grecques. A propos du développement rapide de ce nouveau type de
sarcophage, on ne peut s'empêcher d'évoquer «la diffusion quasi explosive des ateliers
athéniens dans toute la Méditerranée orientale, de la Béotie à la Phénicie et à Sidon»
après la loi de Démétrios de Phalère sur les sépultures à Athènes (vers 317-307 av. J.-C.) :
les artisans athéniens s'étaient alors répandus dans tout le bassin oriental de la
Méditerranée et avaient renouvelé l'art des stèles funéraires et des sarcophages,
C. WOLTERS, «Recherches sur les stèles hellénistiques de Thessalie», La Thessalie, Actes
de la Table Ronde 21-24 juillet 1975, Lyon, CMO Lyon-de Boccard, Paris, 1979, p. 87.
Sur les sarcophages anthropoïdes de Chypre, voir récemment V. Tatton-Brown, «Le
'sarcophage d'Amathonte'», dans A. HERMARY, Amathonte II. Testimonia 2 : la
sculpture, Coll. Etudes Chypriotes, Éditions ADPF, Paris, 1981, pp. 74-83.
43. Les a. insistent sur les données anthropologiques («Médecine et histoire») résumées
dans le tableau de la p. 189 : les résultats, en particulier l'âge des enfants incinérés,
semblent correspondre en tous points à la description banale de la mortalité infantile dans
une société «primitive».
LES PHÉNICIENS 67
45. M. VOVELLE, Mourir autrefois, Coll. Gallimard Archives, Paris, 1974, pp. 18-19.
D'un côté, tel bourgeois limousin «qui ne s'embarrasse pas de périphrases, se contente de
noter dans son journal : ce jour ma femme s'est blessée d' unfits»', de l'autre, l'auteur
rappelle «l'enfant mort à la naissance, que l'on réchauffe parfois aux cierges d'un
'sanctuaire de répit' pour en tirer le semblant de vie qui permettra de lui donner le
baptême». Et quand «Madame [...] accoucha d'une fille qui était morte il y avoit dix ou
douze jours; elle était quasi pourrie», «l'on fit chercher le curé de Versailles pour voir si
cette fille étoit en état d'être baptisée ...».
68 J.-F. SALLES
est le fait de groupes isolés qui, certes, ne s'ignorent pas, mais qui ont su
au hasard de leurs rencontres et pérégrinations conforter leur
indépendance et leur autonomie» (p. 160).
L'Univers s'achève par le récit de la fondation de Carthage
(pp. 198-238), née de la fuite d'Elissa, princesse tyrienne que Virgile
présente sous les traits de Didon. Des vestiges archéologiques
difficilement accessibles sous les ruines de la ville punique elle-même
recouverte par la cité romaine permettent d'entrevoir l'organisation de la
colonie phénicienne au cours des premiers siècles de son destin, ses
ports, ses cimetières, son tophet ; dès le VIIIe s. av. J.-C, son histoire est
étroitement mêlée à celle de la colonisation grecque. A partir du VIIe s.,
les rives du golfe de Byrsa ne suffisent plus aux habitants de Carthage, et
leur commerce, puis leurs colons s'ouvrent aux horizons de l'Espagne, de
l'Emilie, de la Sicile et de la Sardaigne ; le récit se clôt avec la bataille
d'Alalia, en 540 av. J.-C, premier affrontement entre Grecs et Phéniciens
d'Occident, au moment où l'histoire de Carthage s'affranchit des liens
avec la métropole tyrienne et devient simplement punique.
Les notes qui précèdent ne rendent compte que d'une partie
seulement des richesses de VUnivers, et la conclusion qui s'impose est le
nécessaire recours à l'ouvrage de G.R.T. : au-delà du plaisir de la lecture
et de l'importance des références bibliographiques et iconographiques, le
chercheur y trouvera toujours les éléments d'une vraie réflexion et d'une
synthèse apte à guider ses recherches. Aboutissement réussi du
renouveau de la «phénicologie» et des études puniques, l'ouvrage de
G.R.T. constitue la trame d'un nouveau projet d'exploration historique et
archéologique de V Univers phénicien.
Les appréciations générales qu'on peut porter sur l'ouvrage de
J.E sont moins positives. Derrière les conclusions historiques de Va. sur
l'hellénisation de la Phénicie à l'époque perse, il me semble qu'il existe
une thèse latente, que je résumerai brutalement en parodiant la formule
du général Custer, «Π n'y a de bon Phénicien qu'un Phénicien hellénisé».
Bien sûr, Va. n'exprime jamais une telle exagération, et le caractère
neutre des phénomènes d'interculturalité étudiés est toujours respecté :
l'expression «civilisation phénicienne enrichie par l'hellénisme» (p. 10)
est sans doute une facilité de plume et n'exprime aucune notion de
supériorité d'une culture sur l'autre, idée fermement rejetée p. 112. Et
pourtant, les choix de l'auteur paraissent bien impliquer cette latence. Il
est vrai que le thème de la thèse impliquait des choix et qu'il était
impossible de tout traiter ; mais la force d'une démonstration réside
souvent dans la facilité qu'elle offre de se critiquer elle-même, et dans les
ouvertures qu'elle laisse entrevoir afin de bien montrer qu'il ne s'agit que
d'une thèse et non d'une réalité achevée, surtout lorsqu'il s'agit de
l'histoire de l'Antiquité.
Un premier choix est d'ignorer les Phéniciens eux-mêmes, ou
de ne les apercevoir qu'à travers le seul prisme des Grecs. Toutes les
composantes locales de la culture phénicienne qui ne doivent rien aux
LES PHÉNICIENS 69
46. La comparaison des ouvrages de J.E. sur la Phénicie perse et d'E. Stem sur la
Palestine à la même époque {pp. cit.) est à cet égard révélatrice, même si la finalité des
deux contributions est différente.
47. Processus dû à la présence de Grecs lettrés en Phénicie selon J.E — lesquels ? La vie
de faste que Théopompe attribue à Straton, roi de Sidon (Athénée, ΧΠ, 531) est-elle
vraiment un modèle d'«hellénisation», ou ne faut-il pas y voir plutôt une copie des modes
de vie luxueux des cours orientales (Babylone, Sardes, Persépolis, etc.) malgré la
présence de danseuses, chanteuses et courtisanes grecques ? Le «grec» est à la mode et
fait partie de ce qu'on appellerait aujourd'hui le standing, pénétration culturelle
superficielle et significative.
70 J.-F. SALLES
Jean-François SALLES
UPR 309, Chypre et le Levant
* Je tiens à remercier les amis et collègues qui ont bien voulu relire ce manuscrit, en
corriger les erreurs de jugement et modérer les exagérations ; certains y retrouveront
quelques-unes de leurs formules, en témoignage de ma reconnaissance.