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brill.com/fra
Gilles Grivaud
Université de Normandie-Rouen
gilles.grivaud@univ-rouen.fr
Angel Nicolaou-Konnari
Université de Chypre, Nicosie
gpkonari@ucy.ac.cy
Résumé
Mots-clefs
4 Voir, à titre indicatif : Hellenisms. Culture Identity and Ethnicity from Antiquity to Modernity,
dir. K. Zacharia (Aldershot : Ashgate, 2008), chap. 5-9 ; The Making of Modern Greece:
Nationalism, Romanticism, & the Uses of the Past (1797-1896), dir. R. Beaton et D. Ricks
(Farnham – Burlington : Ashgate, 2009) ; P. Mackridge, Language and National Identity in
Greece, 1766-1976 (Oxford : Oxford University Press, 2009).
5 Telle est la position défendue par D. A. Zakythinos, malgré l’usage rare du terme
« ρωμαιοκρατία » dans la littérature historique, surtout par analogie au terme « τουρκοκρατία »,
« Ὁ Ἑλληνισμὸς ἄνευ πρωτογενοῦς ἐξουσίας. Δύο ἱστορικὰ παράλληλα: Ρωμαιοκρατία καὶ
Τουρκοκρατία », dans Idem, Μεταβυζαντινὰ καὶ Νέα Ἑλληνικά (Athènes : Dodoni, 1978), 1-22.
Voir aussi A. É. Vacalopoulos, Nέα ἑλληνικὴ ἱστορία 1204-1985 (Salonique : Vanias, 19872), 5-11, et
A. Kaldellis, « Η εθνογένεση των Ρωμαίων της Ανατολής. Πώς είδαν οι Βυζαντινοί τον εκρωμαϊσμό
στην αρχαιότητα », dans Έλλην, Ρωμηός, Γραικός. Συλλογικοί προσδιορισμοί και ταυτότητες, dir.
O. Katsiardi-Hering, A. Papadia-Lala, K. Nicolaou et V. Karamanolakis (Athènes : Eurasia,
2018), 201-213.
6 M. Nystazopoulou-Pélékidou, « Οι βυζαντινές ιστορικές σπουδές στην Ελλάδα. Από τον
Σπυρίδωνα Ζαμπέλιο στον Διονύσιο Ζακυθηνό », Μνήμη Δ. Α. Ζακυθηνού = Βυζαντινά Σύμμεικτα
9/B (1994), 153-176 ; R. D. Argyropoulos, Les intellectuels grecs à la recherche de Byzance (1860-
1912) (Athènes : Institut de recherches néohelléniques, Fondation nationale hellénique de la
recherche scientifique, 2001) ; T. Kiousopoulou, « Οι βυζαντινές σπουδές στην Ελλάδα (1850-
1940) », dans Από τη χριστιανική συλλογή στο Βυζαντινό Μουσείο (1884-1930), dir. O. Gratziou et
A. Lazaridou (Athènes : Tameio Archaiologikon Poron kai Appallotrioseon, 2006), 25-36.
empruntent à des traditions littéraires dont les origines puisent aux sources
médiévales et modernes. La construction d’un néologisme propre au langage
historiographique à partir d’un ethnonyme particulier impliquait un proces-
sus préalable de sélection ; pourquoi associer la période aux « Francs », alors
qu’elle pouvait être aussi considérée « italienne », dans la mesure où Vénitiens,
Génois, Florentins, Napolitains et Siciliens tiennent un rôle majeur dans les
pays grecs jusqu’au XVIIIe siècle ? En outre, la référence pouvait être accom-
plie aux « Latins », terme qui outrepasse les divisions nationales, et qui marque
l’attachement des Francs et des Italiens à la loi de Rome ; n’était-ce pas en ré-
ponse aux appels des papes que princes et chevaliers d’Occident s’emparent
des territoires grecs au cours des Troisième et Quatrième croisades ?
7 H. R. Isaacs, « Basic Group Identity: The Idols of the Tribe », dans Ethnicity. Theory and
Experience, dir. N. Glazer et D. P. Moynihan (Cambridge, MA – Londres : Harvard University
Press, 1975), 32, 46-52.
8 Die Kreuzzugsbriefe aus den Jahren 1088-1100, éd. H. Hagenmeyer (Innsbruck : Verlag der
Wagner’schen Universitäts-Buchhandlung, 1901), 173 ; Orderic Vitalis, The Ecclesiastical
History of Orderic Vitalis, éd. et trad. M. Chibnall, 6 vols. (Oxford : Clarendon Press, 1969-
1980), 6:364-365 ; Le Cartulaire du chapitre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, éd. G. Bresc-Bautier
(Paris : Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1984), no 10 ; Pape Alexandre III, Epistolae, Recueil
des historiens des Gaules et de la France, Nouvelle édition, 15 (Poitiers : H. Oudin frères, 1878),
no 385, 953 ; Ambroise, L’Estoire de la guerre sainte, éd. G. Paris (Paris : Imprimerie nationale,
1897), col. 42.1551.
nom qui restitue mieux le triple héritage de l’Europe occidentale (romain, ger-
manique, chrétien), prend assez tôt un sens collectif, désignant l’ensemble
des peuples occidentaux, et la généralisation du nom paraît une conséquence
naturelle de l’identification de l’Empire carolingien à l’Occident chrétien9.
Cependant, cet usage générique doit sa propagation et sa consolidation aux
mouvements de populations liés aux croisades. « Francs » est le terme rete-
nu par les Byzantins (« Φράγκοι/Φρά(ν)γγοι »), par les Arabes (« Faranj/Franj/
Faranjah/Ifranj/Ifranjah »)10 et, plus tard, par les Ottomans (« Frenk/Frengî/
Frengistan »)11 pour désigner collectivement les Occidentaux, en tant qu’eth-
nie supranationale. Les chroniqueurs de la Première croisade perçoivent aus-
sitôt sa capacité unificatrice, quand ils relatent les Gesta Francorum ou les Dei
gesta per Francos.
Durant la Première croisade, « Franc » est parfois reconnu et adopté par
les Occidentaux pour exprimer la dimension collective, mais on voit, au mi-
lieu du XIe siècle, dans sa réponse au patriarche de Constantinople, Michel Ier
Cérulaire, le cardinal Humbert corriger le discours du patriarche adressé aux
« prêtres des Francs », en affirmant que les termes « Franc » ou « Romain »
ne recouvrent pas l’ensemble des groupes ethniques inclus à « toute l’Église
latine ». Dans son Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem, Raymond
d’Aguilers rapporte que les croisés utilisent le terme « Francs » pour décrire
les « hommes du Nord de la France », alors que « l’ennemi » lui confère un
sens générique. Ekkehard d’Aura exprime les mêmes sentiments à propos des
« barbares [qui] ont l’habitude d’appeler Francs tous les Occidentaux ». Bien
sûr, les variations et les incohérences ne manquent pas ; par exemple, dans les
Gesta Francorum, le terme « Franci » induit un sens collectif plus développé
(les habitants de toute la Gallia) que celui de « Francigene » (les habitants du
Nord de la France), et Guibert de Nogent sait rejeter « Francones », car le terme
possède une connotation péjorative pour les « Francos »12.
Toutefois, les réalités imposées aux différents groupes ethniques rassemblés
dans le mouvement unificateur des croisades facilitent et accélèrent l’adoption
de nouvelles identités. Les mêmes chroniqueurs de la Première croisade, si
prudents à distinguer les usages du nom « Franc » en Orient et en Occident, ne
manquent pas d’adopter le sens collectif à plusieurs reprises ; Raymond d’Agui-
lers parle de « Romane ecclesie et genti Francorum » et de « peregrine ecclesie
Francorum »13. Au début du XIIIe siècle, l’usage générique prédomine parmi
les auteurs occidentaux. Quand Ambroise loue la fraternité supranationale de
l’époque de la Première croisade en écrivant à propos de la troisième grande
expédition, il souligne que personne ne demande :
12 Humbert de Silva Candida, Adversus Graecorum calumnias (PL 143), cols. 929, 93 ; Raymond
d’Aguilers, Le « Liber » de Raymond d’Aguilers, éd. J. Hugh et L. L. Hill (Paris : Librairie
orientaliste Paul Geuthner, 1969), 21, 52 ; Ekkehard d’Aura, Hierosolymita, dans Recueil
des historiens des croisades, Historiens Occidentaux, dir. comte A. Beugnot, 5 vols. (Paris :
Imprimerie nationale, 1844-1895), 5:24 ; Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum –
The Deeds of the Franks and the Other Pilgrims, éd. et trad. R. Hill (Oxford : Clarendon
Press, 1962), 2-3, 33-34, 68 ; Guibert de Nogent, Guitberti abbatis Sanctae Mariae Novigenti
Historia quae inscribitur Dei Gesta per Francos quinque accedentibus appendicibus, éd.
R. B. C. Huygens (Turnhout : Brepols, 1996), 108.
13 Raymond d’Aguilers, Liber, 79, 83. Voir P. Knoch, Studien zu Albert von Aachen. Der erste
Kreuzzug in der deutschen Chronistik (Stuttgart : Klett, 1966), 91-107, et Schneidmüller,
Nomen patriae, 106-124.
14 Ambroise, L’Estoire de la guerre sainte, cols. 227.8501-228.8510. Voir aussi ibidem,
cols. 45.1666, 56.2064 et Jean de Würzburg, Lettre, trad. dans Jerusalem Pilgrimage 1099-
1185, éd. J. Wilkinson, J. Hill et W. F. Ryan (Londres : The Hakluyt Society, 1988), 264-265
(c. 1170).
20 Diplomatari de l’Orient català (1301-1409), éd. A. Rubió y Lluch (Barcelone : Institut d’Es-
tudis Catalans, 1947), no 459, 527 ; Nicolò Barbaro, Giornale dell’assedio di Costantinopoli
1453, éd. E. Cornet (Vienne : Tendler & Comp., 1856), 5.
21 Paolo Ramusio, Della guerra di Costantinopoli per la restitutione de gl’imperatori Comneni
fatta da’ signori Venetiani et Francesi, l’anno MCCIV libri sei (Venise : Domenico Nicolini,
1604) ; Idem, De bello constantinopolitano et imperatoribus Comnenis per Gallos et Venetos
restitutis historia (Venise : Marcantonio Brogiolo, 1609).
22 Ἰσπανικὰ ἔγγραφα τῆς κυπριακῆς ἱστορίας (IΣτ΄-IZ΄ αἰ.), éd. I. K. Hassiotis (Nicosie : Kentron
Epistimonikon Erevnon, 1972, réimpr. 2003), 52-53, 61, 103-105 (« Francia » = France) ;
Πηγές της κυπριακής ιστορίας από το ισπανικό αρχείο Simancas. Aπό τη μικροϊστορία της κυπριακής
διασποράς κατά τον IΣτ΄ και IZ΄ αιώνα, éd. I. K. Hassiotis (Nicosie : Kentron Epistimonikon
Erevnon, 2000), 65, 117.
23 (Giovan Francesco Loredano), Istoria de’ re Lusignani, publicate da Enrico Giblet cava-
lier (Bologne : Giacomo Monti, 1647), 6 ; aussi, Dominique Jauna, Histoire générale des
roïaumes de Chypre, de Jérusalem, d’Arménie et Égypte, comprenant les Croisades […] et les
faits les plus mémorables, de l’Empire Ottoman, 2 vols. (Leyde : Jean Luzac, 1747).
24 H. Ditten, « Bάρβαροι, Ἕλληνες und Ῥωμαῖοι bei den letzten byzantinischen Geschichts
schreibern », dans Actes du XIIe Congrès International des Études Byzantines, 3 vols.
(Belgrade : s. n., 1964), 2:273-299 ; A. P. Kazhdan et A. Wharton Epstein, Change in Byzantine
Culture in the Eleventh and Twelfth Centuries (Berkeley – Los Angeles – Londres : University
of California Press, 1985), 168-169 ; P. Magdalino, « Hellenism and Nationalism in
Byzantium », dans Idem, Tradition and Transformation in Medieval Byzantium (Londres :
Variorum Reprints, 1991), no XIV, 5 n. 15 ; A. Kaldellis, Hellenism in Byzantium. The
Transformation of Greek Identity and the Reception of the Classical Tradition (Cambridge :
Cambridge University Press, 2007), 121-130, 283-295.
25 P. Charanis, « Byzantium and the West », dans Great Problems in European Civilization,
dir. K. M. Setton et H. R. Winkler (New York : Prentice-Hall, 1954), 94-134 ; D. Zakythinos,
« Tὸ Bυζάντιον μεταξὺ Ἀνατολῆς καὶ Δύσεως », Ἐπετηρὶς Ἑταιρείας Bυζαντινῶν Σπουδῶν 28
(1958), 377-382 ; R. Browning, « Greeks and Others. From Antiquity to the Renaissance »,
dans Idem, History, Language and Literacy in the Byzantine World (Northampton :
Variorum Reprints, 1989), no II.
26 F. Dölger, « Die “Familie der Könige” im Mittelalter », Historisches Jahrbuch 60 (1940), 397-
420, réimpr. dans Idem, Byzanz und die europäische Staatenwelt. Ausgewählte Vorträge und
Aufsätze (Ettal : Buch-Kunstverlag, 1953), 34-69 ; G. Ostrogorsky, « The Byzantine Emperor
and the Hierarchical World Order », The Slavonic Review 35/84 (1956), 1-14 ; D. M. Nicol,
« The Byzantine View of Western Europe », Greek, Roman and Byzantine Studies 8/4
(1967), 315-339 ; J. Herrin, « Constantinople, Rome and the Franks in the Seventh and
Eighth Centuries », dans Byzantine Diplomacy, Papers from the Twenty-Fourth Spring
Symposium of Byzantine Studies (Cambridge, March 1990), dir. J. Shepard et S. Franklin
(Aldershot : Variorum, 1992), 91-107.
27 Constantin VII Porphyrogénète, De Administrando Imperio, éd. G. Moravcsik, trad.
R. J. H. Jenkins (Budapest : Pázmány Péter Tudományegyetemi Görög Filológiai Intézet,
1949, réimpr. avec des révisions Washington, D.C. : Dumbarton Oaks, 1967), 70-73
(« συγγενείας καὶ ἐπιμιξίας πολλῆς τυγχάνουσης Φράγγοις τε καὶ Ῥωμαίοις ») ; Idem, De ceri-
moniis aulae byzantinae, éd. J. J. Reiske, 2 vols. (Bonn : Weber, 1829-1830), 1:394, 396.
28 H. Hunger, Graeculus perfidus – Ἰταλὸς ἰταμός. Il senso dell’alterità nei rapporti greco-romani
et italo-bizantini (Rome : Unione Internazionale degli Istituti di Archeologia, 1987) ;
Kaldellis, Hellenism in Byzantium, 235-239.
Tessalonica, éd. S. Kyriakidis et trad. V. Rotolo (Palerme : Istituto siciliano di studi bizantini
e neoellenici, 1961), 128-133 ; Idem, Λόγος εἰς τὸν αὐτοκράτορα κῦρ Mανουὴλ τὸν Kομνηνόν, dans
Fontes rerum byzantinarum, éd. V. E. Regel et N. I. Novasadskii, 2 vols. (Saint-Pétersbourg :
Eggers & s. et I. Glasunof, 1892-1917), 1:95.
33 Michel Psellos, Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), éd. et trad.
É. Renauld, 2 vols. (Paris : Les Belles-Lettres, 1926-1928), 1:19, 34-35 ; Anne Comnène,
Alexiade, 1:44-45, 47, 2:24, 211, 3:51-52, 147 ; Jean Kinnamos, Epitome rerum ab Ioanne et
Alexio Comnenis gestarum, éd. A. Meineke (Bonn : Weber, 1836), 80 ; Chôniatès, Historia,
1:299-300, 552, 575, 598, 611 ; Georges Sphrantzès, Cronaca, éd. R. Maisano (Rome :
Accademia nazionale dei Lincei, 1990), 82.6-8. Voir également C. Asdracha, « L’image
de l’homme occidental à Byzance : le témoignage de Kinnamos et de Chôniatès »,
Byzantinoslavica 44/1 (1982), 31-40, ici 31 ; P. Gounaridis, « H εικόνα των Λατίνων την εποχή
των Kομνηνών », dans Mνήμη Δ. A. Zακυθηνού/Σύμμεικτα 9/1 (1994), 157-171, ici 166.
34 Chôniatès, Historia, 1:203-205, 575, 590, 602 ; Eustathe de Thessalonique, La espugnazione
di Tessalonica, 148-150. D’autres exemples dans Charanis, « The Formation of the Greek
People », 91, et Gounaridis, « H εικόνα των Λατίνων την εποχή των Kομνηνών », 168-170.
35 Chôniatès, Historia, 1:66, 70 (« ὁμόπιστοι »), 238 (« ταυτόπιστοι »), 576 (« ἀλλόπιστοι ») ;
Georges Pachymère, De Michaele et Andronico Palaeologis libri tredecim, éd. I. Bekker,
2 vols. (Bonn ; Weber, 1835), 1:376 ; Theognostos, Thesaurus, éd. J. A. Munitiz (Turnhout :
Brepols, 1979), 53-54. Pour les Opuscula contra Francos, voir T. M. Kolbaba, The Byzantine
Lists: Errors of the Latins(Chicago : University of Illinois Press, 2000).
36 D. G. Angelov, Imperial Ideology and Political Thought in Byzantium: 1204-1330
(Cambridge – New York : Cambridge University Press, 2007) ; Idem, The Byzantine
Hellene. The Life of Emperor Theodore Laskaris and Byzantium in the Thirteenth Century
(Cambridge – New York : Cambridge University Press, 2019) ; G. Page, Being Byzantine.
Greek Identity before the Ottomans (Cambridge – New York : Cambridge University Press,
2008).
37 Au XIIe siècle, par exemple, Jean Zonaras, Annales, éd. M. Pinder et T. Büttner-Wobst,
3 vols. (Bonn : Weber, 1841-1897), 3:261, précise que les Francs étaient une nation
germanique.
38 Asdracha, « L’image de l’homme occidental à Byzance », 31-32 ; R. B. Hitcher et A. P.
Kazhdan, « Frankoi », dans Oxford Dictionary of Byzantium, 3 vols. (New York – Oxford :
Oxford University Press, 1991), 2:803 ; Idem, « Latins », ibidem, 1187-1188 ; J. Koder,
« Latinoi – the Image of the Other according to Greek Sources », dans Bisanzio, Venezia
et il mondo franco-greco XIII-XV secolo, dir. C. A. Maltezou et P. Schreiner (Venise :
Istituto ellenico di studi bizantini e postbizantini di Venezia – Centro tedesco di studi
veneziani, 2002), 25-39 ; Savvidis, « Λατινοκρατία-Φραγκοκρατία μετά το 1204 μ.Χ. », 192-193 ;
T. Papadopoulou, « Τα ονόματα Ρωμαίος, Έλλην, Γραικός κατά τους μέσους βυζαντινούς χρό-
νους », dans Έλλην, Ρωμηός, Γραικός. Συλλογικοί προσδιορισμοί και ταυτότητες, dir. O. Katsiardi-
Hering, A. Papadia-Lala, K. Nicolaou et V. Karamanolakis (Athènes : Eurasia, 2018), 87-101,
ici 89.
39 Voir à titre indicatif Psellos, Chronographie, 2:27-28, 35, et Anne Comnène, Alexiade,
3:65. Voir aussi A. Ducellier, « La notion d’Europe à Byzance des origines au XIIIe siècle :
quelques réflexions », Byzantinoslavica 55 (1994), 1-7.
40 Page, Being Byzantine, 94-137.
des Occidentaux est fréquent chez les auteurs byzantins de la période tar-
dive, mais, comme pour les périodes antérieures, il est restreint aux cercles
savants47.
« de quelque nacion que il soit »50 ; elle recouvre une signification religieuse
évidente dans des expressions telles que « messe des frans », « nullus Francus
audeat contrahere cum Graeca, vel Graecus cum Franca » (relative à l’inter-
diction de mariage mixte) ou « more Francorum vivere debeant » (à propos
des enfants issus de mariage mixte obligés d’adopter le rite latin)51. Le terme
acquiert aussi un sens plus large, pouvant désigner tant les Occidentaux dans
leur ensemble, que les Francs du royaume de Jérusalem, voire ceux de France,
distingués comme « Francés/Frans(s)és », alors que les Francs de Chypre sont
qualifiés « Chiprois » ; tels sont les usages dans la compilation des Gestes des
Chiprois, où l’ethnonyme porte des valeurs héroïques et chevaleresques, jus-
tifiées par la nature épique du récit52. De même, Philippe de Mézières (1327-
1405), chancelier de Pierre Ier de Lusignan (1359-1369) et de son fils, Pierre II
(1369-1382), appelle les Francs de Chypre « Cyprienses/Cypriens » afin de les
distinguer des Occidentaux et des Français, appelés « Franchi », « Francigene »,
« Francois » ou « Gallici »53.
50 Jean d’Ibelin, Le Livre des Assises, éd. P. W. Edbury (Leyde – Boston : Brill, 2003), 671 ;
Philippe de Novare, Le Livre de Forme de Plait, éd. et trad. P. W. Edbury (Nicosie : Cyprus
Research Centre, 2009), 80, 132, 148-149 ; Assises de la Cour des Bourgeois, dans Recueil des
historiens des croisades, Lois, dir. comte A. Beugnot, 2 vols. (Paris : Imprimerie royale, 1841-
1843), 2:53-54, 96, 209 ; Bans et ordonnances des rois de Chypre, ibidem, 361, 365.
51 Le Templier de Tyr, Cronaca del Templare di Tiro (1243-1314), éd. et trad. L. Minervini
(Naples : Liguori, 2000), 82 ; The Synodicum Nicosiense and Other Documents of the Latin
Church of Cyprus, 1196-1373, sélection et trad. C. Schabel (Nicosie : Cyprus Research Centre,
2001), no M.a, I-II.
52 Les Gestes des Chiprois, éd. G. Raynaud (Genève : Jules-Guillaume Fick, 1887), 121
(= Philippe de Novare, Guerra di Federico II in Oriente (1223-1242), éd. et trad. S. Melani
[Naples : Liguori, 1994], 216), 179-180, 184, 242, 305 (= Le Templier de Tyr, Cronaca, 108,
110, 116, 206, 302) (Francs = les Latins de l’Orient) ; Les Gestes, 213 (= Le Templier de Tyr,
Cronaca, 160) (Francs = les Occidentaux) ; Les Gestes, 184, 218, 311-312 (= Le Templier de
Tyr, Cronaca, 116, 168, 312, 314) (Français) ; Les Gestes, 27, 41, 48 etc. (= Philippe de Novare,
Guerra, 66, 88, 100 etc.), 141, 143 (= Le Templier de Tyr, Cronaca, 50, 52) (Chiprois).
53 N. Iorga, « L’épître de Philippe de Mézières à son neveu », Bulletin de l’Institut pour
l’étude de l’Europe sud-orientale 8 (1921), 27-40, ici 32 (« regem Franchorum », « regno
Francie »), 37 (« Francigene », « Imperatoris Franchorum »), 39 (« regem Franchorum ») ;
Philippe de Mézières, The Life of Saint Peter Thomas, éd. J. Smet (Rome : Institutum
Carmelitanum, 1954), 98, 123, 126 et 162 (Chypriotes), 126 et 138 (« Gallicos »), 168 (« Nos
igitur Cyprienses »), 105-106 et 108 (« Franciae rex ») ; Idem, Le Songe du vieil pelerin, éd.
G. W. Coopland, 2 vols. (Cambridge : Cambridge University Press, 1969), 1:443-445, 479, 481,
483-484, 513 (« Francois », « France »). Voir A. Nicolaou-Konnari, « Alterity and Identity in
Lusignan Cyprus from ca. 1350 to ca. 1450: The Testimonies of Philippe de Mézières and
Leontios Makhairas », dans Identity/Identities in Late Medieval Cyprus, dir. T. Papacostas
et G. Saint-Guillain (Nicosie : Centre for Hellenic Studies, King’s College London – Cyprus
Research Centre, 2014), 37-66, en particulier 56-58.
54 Néophyte le Reclus, Περὶ τῶν κατὰ χώραν Kύπρον σκαιῶν, dans Idem, Συγγράμματα, 5 vols.
(Paphos : Monastère de Saint Néophyte, 1996-2005), éd. A. Karpozilos, 5:407-408 ; Idem,
Tυπικὴ Διαθήκη, dans Idem, Συγγράμματα, éd. I. É. Stephanis, 2:37, 58 ; Idem, « Περὶ τῆς
Ἀποκαλύψεως τοῦ Ἁγίου Ἰωάννου τοῦ Θεολόγου σαφήνεια διὰ βραχέων », dans Idem,
Συγγράμματα, éd. N. Papatriantaphyllou-Théodoridi, 3:232 ; Idem, Λόγος περὶ τῶν ἑπτὰ
Οἰκουμενικῶν Συνόδων, dans Idem, Συγγράμματα, éd. C. N. Constantinides, 5:285 ; Idem, « Περὶ
τῆς ἱεραρχίας Χριστοῦ », dans Idem, Συγγράμματα, éd. N. Papatriantaphyllou-Théodoridi,
5:306 ; C. N. Constantinides et R. Browning, Dated Greek Manuscripts from Cyprus to the
Year 1570 (Nicosie : Dumbarton Oaks Research Library and Collection – Cyprus Research
Centre, 1993), 162 ; T. Papapadopoullos, « Mαρτύριον Kυπρίων », dans Tόμος ἀναμνηστικὸς
ἐπὶ τῇ πεντηκονταετηρίδι τοῦ περιοδικοῦ Ἀπόστολος Bαρνάβας (Nicosie : s. n., 1975), 307-338, ici
324-329, 331, 335-336 ; J. Darrouzès, « Textes synodaux chypriotes », Revue des études by-
zantines 37 (1979), 5-122, ici 82-83 ; Griechische Briefe und Urkunden aus dem Zypern der
Kreuzfahrerzeit. Die Formularsammlung eines königlichen Sekretärs im Vaticanus Palatinus
Graecus 367, éd. A. Beihammer (Nicosie : Zyprisches Forschungszentrum, 2007), 235.
55 Grégoire de Chypre, « Περὶ τοῦ καθ’ ἑαυτὸν βίου ὡς ἀπ’ ἄλλου προσώπου », 177 (« βαρβάροις
ἔλαχεν ἰταλοῖς τὸ ἐκεῖσε δουλεύειν ἑλληνικόν »).
56 Néophyte le Reclus, « Ἐγκώμιον εἰς τὸν Τίμιον καὶ Ζωοποιὸν Σταυρόν », dans Idem,
Συγγράμματα, éd. N. Papatriantaphyllou-Théodoridi, 3:179 ; Idem, Λόγος περὶ τῶν ἑπτὰ
Οἰκουμενικῶν Συνόδων, 284-285 ; Ἀσίζαι τοῦ βασιλείου τῶν Ἰεροσολύμων καὶ τῆς Kύπρου, dans
C. N. Sathas éd., Μεσαιωνικὴ Βιβλιοθήκη – Bibliotheca Graeca Medii Aevi, 7 vols., 1-3 (Venise :
Typois tou Chronou, 1872-1873), 4-7 (Paris : Maisonneuve et Cie, 1874-1894, réimpr.
Athènes : Bas. N. Grigoriadis, 1972), 6:8, 55-57, 253, 305-306.
57 Vryennios, Tὰ Πρακτικὰ τῆς Συνόδου Kύπρου, 42, 39. Cf. supra notes 44 et 46.
58 Léontios Machéras, Xρονικό της Kύπρου. Παράλληλη διπλωματική έκδοση των χειρογράφων, éd.
M. Pieris et A. Nicolaou-Konnari (Nicosie : Kentron Epistimonikon Erevnon, 2003), 74, 79,
103-104, 111, 117 et 403 (Latins), 83-84, 104, 118, 174 et 259 (citation) (Francs), 76, 79, 104, 117 et
259 (Romaioi), 106, 112, 152, 236, 277, 316 et 323 (Kypriotes), 162, 239 et 340-341 (Français), 148
(langue française) (orthographe améliorée dans les citations). Voir : A. Nicolaou-Konnari,
« Ethnic Names and the Construction of Group Identity in Medieval and Early Modern
Cyprus: The Case of Kυπριώτης », Kυπριολογία. Αφιέρωμα εις Θεόδωρον Παπαδόπουλλον =
Kυπριακαί Σπουδαί 64-65 (2000-2001), 259-275 ; Eadem, « H ονοματολογία στα χειρόγραφα
του Xρονικού του Λεοντίου Mαχαιρά », dans Aναδρομικά και Προδρομικά, Approaches to Texts
in Early Modern Greek, Papers from the Conference Neograeca Medii Aevi V, dir. E. Jeffreys
et M. Jeffreys (Oxford : Sub-Faculty of Modern Greek, Faculty of Medieval and Modern
Languages, University of Oxford, 2005), 327-371 ; Nicolaou-Konnari, « Alterity and Identity
in Lusignan Cyprus », 58-59.
59 Georges Boustronios, Tζώρτζης (M)Πουστρούς (Γεώργιος Bο(σ)τρ(υ)ηνός ή Bουστρώνιος),
Διήγησις Kρονίκας Kύπρου, éd. G. Kehayioglou (Nicosie : Kentron Epistimonikon Erevnon,
1997), 243*, 136, 180, 226 (citation), 234, 238, 272, 282, 284, 288, 298-308, 310. Voir
A. Nicolaou-Konnari, « Όλος ο τόπος ήτον γεμάτος Pωμαίοι: αυτο-/ετεροπροσδιορισμοί και
ταυτότητα/-ες στην Kύπρο κατά τη λατινική κυριαρχία (1191-1571) », dans Έλλην, Ρωμηός,
Γραικός. Συλλογικοί προσδιορισμοί και ταυτότητες, dir. O. Katsiardi-Hering, A. Papadia-Lala,
K. Nicolaou et V. Karamanolakis (Athènes : Eurasia, 2018), 145-163, en particulier 154-155.
France (« ibique noviter quasi nova Francia est creata »), dans la lettre qu’il
adresse à Blanche de Castille. Un siècle plus tard, le Vénitien Marin Sanudo
Torsello confirme les origines et la culture françaises de la noblesse moréote,
quand le catalan Ramon Muntaner affirme qu’à l’époque des Villehardouin, on
parle aussi bien le français en Morée qu’à Paris (« e parlaven axi bell frances
com dins en Paris »)68. Dans les versions grecque et française de la Chronique
de Morée, les plus anciennes et les plus proches du prototype rédigé au
XIVe siècle, le nom « Φράγκοι/Françoys » désigne principalement les Français
du Nord, auxquels appartiennent les nobles installés dans la Morée, face à
leurs rivaux, les Grecs (« Ρωμαῖοι/Grex »), et aux autres Occidentaux, Italiens
ou Catalans69. Dans la version grecque, le nom est aussi employé avec un sens
générique pour désigner tous les chrétiens de rite latin – Occidentaux ou croi-
sés des Première et Quatrième croisades –, tandis que la version française re-
tient plus souvent le nom « Latins » pour évoquer ces cas70. Dans les Assises de
Romanie, l’adjectif « franco » désigne l’homme libre71. Par contre, Italiens est le
68 Βullarium Hellenicum. Pope Honorius III’s Letters to Frankish Greece and Constantinople
(1216-1227), éd. W. O. Duba et C. D. Schabel (Turnhout : Brepols, 2015), 497 ; Marin Sanudo
Torsello, Istoria di Romania, éd. et trad. grecque E. Papadopoulou (Athènes : Institouto
Vyzantinon Erevnon, Ethniko Idryma Erevnon, 2000), 115, 199, 201, 203, 205 (« Francesi » =
Français), 167 (« Dominio de Franchi » dans le « principato della Morea ») ; Ramon
Muntaner, Crónica catalana, éd. A. de Bofarull (Barcelone : Jaime Jepús, 1860), § 261 ; Libro
dele uxanze e statuti delo imperio de Romania, éd. A. Parmeggiani (Spolète : Centro italia-
no di studi sull’alto medioevo, 1998), 110 (« baroni et principi de Franza ») ; Actes relatifs
à la principauté de Morée 1289-1300, éd. C. Perrat et J. Longnon (Paris : Bibliothèque natio-
nale, 1967), no 181, 158 (« jureque Francorum »).
69 Tὸ Xρονικὸν τοῦ Mορέως, éd. P. Kalonaros (Athènes : Ekati, 1940), v. 115, 241, 254, 261, 771,
4042, 4052, 4054, 4056, 4127-4128, 4263, 5103, 5109, 5113, 5120, 5125 ; Livre de la conqueste
de la princée de l’Amorée. Chronique de Morée (1204-1305), éd. J. Longnon (Paris : Librairie
Renouard, 1911), § 9, 11-12, 15-16, 21, 110, 315, 321, 332, 350, 354, 466. Cf. Documents sur le ré-
gime des terres dans la principauté de Morée au XIV e siècle, éd. J. Longnon et P. W. Topping
(Paris – La Haye : Mouton & Co., 1969), 225.
70 Tὸ Xρονικὸν τοῦ Mορέως, v. 767, 790 (Chrétiens), 4054 (Occidentaux), 49, 56, 58, 67, 76,
79, 84, 111, 115, 348, 366, 395, 435 (croisés) ; Chronique de Morée, § 21-23, 25, 28-29, 37-38,
45, 47-51, 69 (Francs = croisés), 77 (Latins = Chrétiens), 199, 387, 466, 595, 668 (Latins =
Francs et Italiens). Voir D. Jacoby, « The Encounter of Two Societies: Western Conquerors
and Byzantines in the Peloponnesus after the Fourth Crusade », The American Historical
Review 78/4 (1973), 873-906 ; A. Ilieva, Frankish Morea (1205-1262). Socio-Cultural Inter
action between the Franks and the Local Population (Athènes : St. D. Basilopoulos, 1991),
19-21 ; T. Sansaridou-Hendrickx, Εθνικισμός και εθνική συνείδηση στο Μεσαίωνα με βάση το
Χρονικό του Μορέως. Σχέσεις Eλλήνων με Φράγκους, Tούρκους και άλλους λαούς στην φραγκοβυ-
ζαντινή κοινωνία του 13ου και 14ου αιώνα (Salonique : A. Stamoulis, 2007) ; T. Shawcross, The
Chronicle of Morea. Historiography in Crusader Greece (Oxford : Oxford University Press,
2009), 190-202.
71 Libro dele uxanze e statuti delo imperio de Romania, 188 (« franchi, zoè liberi »).
78 . B. Skoutéris, Κείμενα τοῦ Νέου Ἑλληνισμοῦ (Athènes : Apostoliki Diakonia tis Ekklisias tis
K
Ellados, 1971), 63.
79 L. Skevophylax, Κρόνικα, ἤγουν χρονογραφίδα τοῦ νησσίου τῆς Κύπρου, éd. S. Perdikιs (Nicosie :
Mouseion Ieras Monis Kykkou, 2004), 63, 102 ; cf. Ἄνθος τῶν Xαρίτων – Φιὸρ δὲ Bερτού. Ἡ κυ-
πριακὴ παραλλαγή, éd. É. Kakoulidi-Panou et K. D. Pidonia (Nicosie : Kentron Epistimonikon
Erevnon, 1994), 73, 97 (« φράγκικον/α » = la langue italienne).
80 N. Rhodinos, « Ἐξήγησις εἰς τὸν Παρθενικὸν Ὕμνον. Ὁμιλία Γ΄ », dans G. Valetas, Nεόφυτος
Pοδινός. Kυπριακὴ δημοτικὴ πεζογραφία. Λόγοι – δοκίμια – συναξάρια. Tὸ ἀηδόνι τῆς τουρκοκρα-
τίας (Athènes : Ekdoseis « Pigis », 1979), 84 ; Idem, « Ἀπόκρισις εἰς τὴν ἐπιστολὴν Ἰωάννου
Πρεσβυτέρου », ibidem, 152 (« τοὺς δυτικοὺς ἀναθεμάτισαν »), 155 ; Idem, Βίος ἤ Μαρτύριον
τοῦ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν Ἰγνατίου Ἀρχιεπισκόπου Κωνσταντινουπόλεως, éd. P. M. Kitromilides
La réception de l’héritage lexical médiéval par les lettrés des époques mo-
derne et contemporaine montre des hésitations similaires dans l’usage des
termes « Franc », « Latin », « Occidental », en l’attente d’une terminologie
86 Partonopeus de Blois, éd. et trad. O. Collet et P.-M. Joris (Paris : Livre de poche, 2005), v. 1337,
10541, 11731 ; Z. Černáková, « The Naming of Byzantium and the Old French Partonopeus
de Blois », Byzantine and Modern Greek Studies 43/1 (2019), 42-59.
87 Les récits de Jean Zonaras et Nicétas Chôniatès (1557), de Nicéphore Grégoras et Laonicos
Chalcocondyle (1562) sont initialement publiés chez l’éditeur Ioannes Oporinus de Bâle,
le dernier uniquement en traduction latine ; dans sa préface de l’édition de 1557 (9),
Wolf formule le concept de « res Byzantina ». Rassemblés sous le titre Corpus Historiae
Byzantinae (Francfort-sur-le-Main : Petrus Fabricius, 1568), ces récits forment, comme le
note Wolf dans sa préface de l’édition de 1562 (5), « integrum byzantinae historiae cor-
pus a Costantino Magno ad Costantinum postremum » ; voir D. R. Reinsch, « Hieronymus
Wolf as Editor and Translator of Byzantine Texts », dans The Reception of Byzantium in
European Culture since 1500, dir. P. Marciniak et D. C. Smythe (Farnham : Ashgate, 2016),
43-53.
88 P. Lemerle, « Présence de Byzance », Journal des Savants 3-4 (1990), 247-268, en particulier
250-252.
89 P. Labbe, De byzantinae historiae scriptoribus […] Ad omnes per Europam eruditos
Προτρεπτικόν (Paris : Imprimerie royale, 1648) ; C. Du Fresne Du Cange, Historia Byzantina
(Paris : Louis Billaine, 1680) ; voir J.-M. Spieser, « Du Cange and Byzantium », dans
Through the Looking-Glass: Byzantium through British Eyes, dir. R. Cormack et E. Jeffreys
(Aldershot : Ashgate, 2000), 199-210.
romain tant par les Habsbourg que par les Bourbon90. Dans ce sillage, les
savants grecs catholiques Léon Allatius (1586-1669), originaire de Chios, et
Nicolaus Alemannus (1583-1626), originaire d’Andros, adhèrent au projet de la
Byzantine du Louvre en y versant des éditions de textes grecs médiévaux trou-
vés en Italie91.
Le premier Grec utilisant le terme « Βυζάντιο » semble, à notre connais-
sance, Ioannis Stanos, qui élabore, en 1767, une Βίβλος χρονικὴ περιέχουσα
τὴν ἱστορίαν τῆς Βυζαντίδος/Chronique, contenant une histoire de la Byzantine,
sous la forme d’une compilation d’extraits de textes historiques médié-
vaux traduits en grec moderne, à partir de la version en vingt-trois volumes
de la Byzantine du Louvre publiée à Venise, entre 1729 et 173392. Néanmoins,
la réception du terme et la définition de son contenu historique et idéolo-
gique soulèvent de sérieux problèmes au sein de la communauté savante
grecque, lorsqu’il s’agit de définir le degré d’hellénisation de l’Empire.
L’archévêque d’Athènes Mélétios paraît le premier Grec tentant, dans un
ouvrage géographique daté de 1728 – c’est-à-dire précédant les Lumières –,
T. Kiousopoulou, « Σκέψεις για την “απουσία του Βυζαντίου” », Νέα Εστία 163/1810 (2008),
626-632 ; D. Christodoulou, « Byzantium in Nineteenth-Century Greek Historiography »,
dans The Byzantine World, dir. P. Stephenson (Londres – New York : Routledge, 2010), 445-
461 ; A. Cameron, Byzantine Matters (Princeton, NJ : Princeton University Press, 2014) ;
T. É. Sklavénitis, « Ιστοριογραφία και εθνικές συνειδητοποιήσεις στο τέλος του 18ου αιώνος »,
dans Λόγος και χρόνος στη νεοελληνική γραμματεία (18ος-19ος αιώνας), Actes du colloque en l’hon-
neur d’Alexis Politis (Réthymnon, 12-14 avril 2013), dir. S. Kaklamanis, A. Kalokairinos et
D. Polychronakis (Hérakleion : Panepistimiakes Ekdoseis Kritis, 2015), 97-107.
100 G. Κontogiorgis, Η ελληνική δημοκρατία του Ρήγα Βελεστινλή (Athènes : Parousia, 2008) ; sur
la Grande Idée, voir la discussion ci-dessous.
101 I. C. Romanides, Pωμηοσύνη. Pωμανία. Pούμελη (Salonique : Pournaras, 1975) ; P. G. D.
Metallinos, Tουρκοκρατία. Oἱ Ἕλληνες στὴν Ὀθωμανικὴ Aὐτοκρατορία (Athènes : Akritas, 1988),
147-164 (160 pour la citation), 236-266 ; A. K. Papaderos, Μετακένωσις. Ελλάδα – Ορθοδοξία –
Διαφωτισμός κατά τον Κοραή και τον Οικονόμο, trad. É. Georgoudakis (Athènes : Akritas, 2010,
traduction grecque de sa thèse de doctorat, soutenue à l’Université de Mayence, 1962).
102 Bouboulides, « Ἡ “Ἠθικὴ Στιχουργία” τοῦ Ἀλεξάνδρου Καλφόγλου », passim.
103 M. Perdikaris, Ῥῆγας ἤ κατὰ ψευδοελλήνων, dans L. I. Vranousis, dir., Οἱ πρόδρομοι (Athènes :
I. N. Zacharopoulos, 1955), 194.
104 O. Goldsmith/Γολδσμίθ, Ἱστορία τῆς Ἑλλάδος […], Τόμος Γ΄. Περιέχων τὴν Βυζαντινὴν ἱστορίαν
[…] (Vienne : Typois Bendoteiois, 18072) ; K. M. Koumas, Ἱστορίαι τῶν ἀνθρωπίνων πράξεων
ἀπὸ τῶν ἀρχαιοτάτων χρόνων ἕως τῶν ἡμερῶν μας […], 12 vols. (Vienne : Anton v. Haykul, 1830-
1832), vols. 4-6 ; Idem, Ἱστορικὴ χρονολογία (Vienne : Ek tis typografias Ioannou Sneirerou,
1818), 124 [« Ἐποχὴ Βυζαντινὴ ἤ Κωνσταντινουπολιτική »].
Mais ce qui fait le plus d’honneur à ces insulaires, c’est qu’ayant passé de
l’état démocratique sous le joug des Macédoniens, ensuite sous celui des
Romains, des Génois, et enfin des Turcs, ils ont toujours été, en dépit de
toutes ces révolutions, les moins asservis […].
105 Kyprianos, Ἱστορία χρονολογικὴ τῆς νήσου Κύπρου, 388, 399, 408, 411, 597 ; Kitromilides,
Νεοελληνικὸς Διαφωτισμός, 118-122 ; I. Koubourlis, La formation de l’histoire nationale
grecque. L’apport de Spyridon Zambélios (1815-1881) (Athènes : Institut de recherches
néohelléniques, Fondation nationale hellénique de la recherche, 2005), 76-77.
106 Lusignano, Chorograffia, fols. 83v-84r ; Lusignan, Description, fols. 213v-214v.
107 G. B. Clemens, « Le società di storia patria e le identità regionali », Meridiana 32 (1998),
97-119.
gémissoit sous le joug le plus affreux, et éprouvoit tous les funestes effets d’un
long asservissement »108. La traduction grecque du mémoire, accomplie par
Anastasios Konstantinidis et publiée à Athènes, en 1853, respecte le ton et la
terminologie de Koraïs, sans apporter d’innovations lexicales ; les Génois et
les Turcs sont confondus parmi les pouvoirs étrangers ayant soumis Chios,
ils représentent de simples jalons dans le long processus d’asservissement de
la nation grecque initié par Philippe de Macédoine109. Ainsi, Koraïs adhère
à l’idéologie des Lumières qui envisage la continuité nationale à travers une
suite ininterrompue de catastrophes et de chutes depuis l’Antiquité110.
Au nom d’une philosophie libérale, Koraïs condamne les régimes despo-
tiques qui maintiennent en esclavage la nation grecque ; si l’objectif consiste
bien à renverser le pouvoir ottoman, coupable de toutes les tyrannies imagi-
nables sur terre, dans son esprit, il ne fait aucun doute que l’Empire byzan-
tin fut, lui aussi, une construction politique oppressive envers le peuple ; en
cela, Koraïs prolonge les attaques des Lumières contre les empires romain et
byzantin. Cependant, en ignorant les différents acteurs de la décadence du
peuple grec au Moyen Âge, Koraïs évite d’associer la phase de la domination
franque à un épisode supplémentaire de la longue période d’asservissement de
la nation ; ce silence se comprend à la lueur de son argumentation politique,
puisqu’il présente les Français comme les inspirateurs du mouvement d’éman-
cipation des nations, au nom de la liberté et de l’égalité, après 1789 ; dans ces
conditions, comment inclure les Français et leurs ancêtres francs à la liste des
persécuteurs du peuple grec ? Koraïs préfère exalter les élans moraux et poli-
tiques qui rapprochent les deux peuples, en une formulation proche du poème
cité plus haut, où il évoque la nation unie des Grecs et des Français (« ἕν ἔθνος
Γραικογάλλοι ») :
108 A. Koraïs, Mémoire sur l’état actuel de la civilisation dans la Grèce, lu à la Société des obser-
vateurs de l’homme le 16 nivôse an XI (6 janvier 1803) (Paris : Société des observateurs de
l’homme, 1803, réimpr. Paris : Institut néohellénique de la Sorbonne, Université Paris IV,
1978, Athènes : Institut de recherches néohelléniques, Fondation nationale hellénique de
la recherche, 1983), 38, 45, 58.
109 A. Koraïs, Ὑπόμνημα περὶ τῆς παρούσης καταστάσεως τοῦ πολιτισμοῦ ἐν Ἑλλάδι, trad.
A. Konstantinides (Athènes : Ek tis typografias C. Nikolaidou Philadelpheos, 1853), où on
remarque à la p. 36 que les Chiotes furent placés « […] ὑπὸ τὸν ζυγὸν τῶν Μακεδόνων, εἶτα
τῶν Ῥωμαίων, τῶν Γενουαίων, καὶ τέλος τῶν Τούρκων ».
110 Cf. Κ. Zanou, « Προς μια συνολική θεώρηση του εθνικού χρόνου: Πνευματικές ζυμώσεις στον
ιταλικό-επτανησιακό χώρο κατά το α΄ μισό του 19ου αιώνα », dans Θ´ Πανιόνιο Συνέδριο (Παξοί,
26-30 Μαΐου 2010). Πρακτικά (Paxoi : Etaireia Paxinon Meleton, 2014), 323-348, ici 345.
L’hostilité de Koraïs envers Byzance et, plus généralement envers l’époque mé-
diévale, n’affecte pas les savants grecs de manière uniforme ; on a déjà évoqué
le cas de Démétrios Alexandridis, qui, à Vienne, dans les mêmes années, offre
un assez copieux volume consacré à l’histoire byzantine, de l’avènement de
Constantin à 1453. Suivant les vicissitudes du Moyen Âge grec, Alexandridis
opte pour une approche traditionnelle de l’historiographie en narrant les
règnes particuliers de chaque empereur. S’il souligne l’importance de la prise
de Constantinople en 1204, il n’assimile pas l’événement à une rupture fonda-
mentale dans le cours de l’hellénisme médiéval, par le fait que les pressions aux
frontières sont multiples : les progrès militaires des Turcs font l’objet de longs
développements, nettement supérieurs à ceux réalisés par les Occidentaux. Le
plus étonnant tient en la terminologie adoptée par Alexandridis, qui ignore
le vocable « Franc » auquel il préfère celui de « Λατῖνοι » ; à différentes étapes
111 Koraïs, Mémoire sur l’état actuel, 43. Pour le poème, voir supra note 97.
112 Ibidem, 54.
de son récit, il identifie les acteurs par des ethnonymes – « Γάλλοι », « Ἑνετοί »,
« Κατελάνοι », « Γενοάτοι » –, il cite la succession des familles étrangères à la
tête du duché d’Athènes, aux mains des de La Roche puis des « Ἀκκιάβολοι/
Acciaiuoli », mais en usant du terme fédérateur « Latins », Alexandridis évacue
les références aux Francs ou aux croisés113. Faut-il, derrière ce choix, suspecter
des intentions politiques similaires à celles de Koraïs, ou bien n’y voir que l’ef-
fet d’une connaissance insuffisante des acteurs de l’histoire médiévale ?
La division de la période d’asservissement millénaire en phases originales se
déroule lentement au fil de la décennie 1820, alors que l’insurrection grecque
réveille les consciences dans toute l’Europe ; Ioannis Kapodistrias (1776-1831)
opère un premier pas, puisqu’il semble tenir un rôle dans la formation du néo-
logisme « τουρκοκρατία ». Au départ, le futur gouverneur de la Grèce n’énonce
pas ce concept lorsqu’il écrit à Ignace, métropolite d’Arta et de Lépante, une
lettre datée du 12 avril 1823114 ; depuis Genève, Kapodistrias formule une série
de remarques sur les principales articulations caractérisant l’histoire de la na-
tion grecque, destinées à Jacovaky Rizo Néroulos (1778-1850), éminente figure
de la société phanariote en exil ; dans sa lettre rédigée en français, et traduite en
grec par Andréas Moustoxydis, Kapodistrias se conforme au vocabulaire poli-
tique traditionnel quand il évoque le pouvoir ottoman, désigné par des termes
neutres : « Ὀθωμανικὸ Κράτος », « Τουρκικὴ κυβέρνηση », « Ὀθωμανικὴ κυβέρνη-
ση » ; lorsque Kapodistrias marque une distinction entre diverses phases de
la domination ottomane, il oppose « l’époque de l’ascendance de la puissance
Ottomane/ἐπὶ τῆς ἐποχῆς τῆς προόδου τοῦ Ὀθωμανικοῦ κράτους » à « l’époque
de la décadence de l’Empire ottoman/Παρακμὴ τοῦ Ὀθωμανικοῦ κράτους » ;
sensible aux évolutions chronologiques, politiques et sociales, Kapodistrias
ne tire pas, alors, une essence spécifique d’une période ottomane appréhen-
dée dans sa globalité, pas plus qu’il ne cerne d’autres périodes de l’histoire
grecque de manière déterminée115. Dans sa compréhension du passé national,
Kapodistrias évolue néanmoins à la fin des années 1820, comme on le verra
plus bas, sans doute en écho à la publication du premier essai de synthèse sur
116 J. Rizo Néroulos, Histoire moderne de la Grèce depuis la chute de l’Empire d’Orient (Genève :
Abraham Cherbuliez libraire, 1828). En ce qui concerne la figure déterminante de Rizo
Néroulos, manque une analyse globale sur sa vie et son rôle parmi les élites intellectuelles
des années 1820-1840 ; des éléments de réponse figurent chez : J. Humbert, dans la pré-
face à J. Rizo Néroulos, Cours de littérature grecque moderne donné à Genève (Genève –
Paris : Abraham Cherbuliez libraire, 1827), v-xxiv ; B. Bouvier et A. D. Lazaridou, dans
l’introduction à J. Rizo Néroulos, Analyse raisonnée de l’ouvrage intitulé Charte turque
(Athènes : MIET, 2013), 13-27 ; également chez I. Koubourlis, Οι ιστοριογραφικές οφειλές των
Σπ. Ζαμπέλιου και Κ. Παπαρρηγόπουλου. Η συμβολή Ελλήνων και ξένων λογίων στη διαμόρφωση
του τρισήμου σχήματος του ελληνικού ιστορισμού (1782-1846) (Athènes : Institouto Istorikon
Spoudon, Tmima Neoellinikon Erevnon, Ethniko Idryma Erevnon, 2012), 224-260.
117 Rizo Néroulos, Histoire moderne de la Grèce, 29.
118 Athènes, Archives Générales de l’État/Γενικά Αρχεία του Κράτους (= ΓΑΚ), Συλλογή
Βλαχογιάννης, Κατάλογος Α΄, fol. 126 ; I. K. Mazarakis Ainian, « Ἑλληνικὴ Βιβλιογραφία 1800-
1863. Προσθῆκες, διορθώσεις, συμπληρώσεις (Μονόφυλλα τοῦ ἀγῶνος, 1823-1832) », Τετράδια
ἐργασίας 10 (1988), 62, no 58 ; nous devons cette référence au prof. Alexis Politis (Université
de Crète) et à Marinos Sarigiannis (Institut d’études méditerranéennes, Réthymnon), que
nous remercions ; notre plus grande reconnaissance également à Mina Stathopoulou
(ΓΑΚ), qui a facilité l’identification du document au sein de la Collection Vlachoyiannis.
εἶναι ἄλλο εἰμὴ μία ἀπὸ τὰς πολλὰς προφάσεις, διὰ νὰ γυμνόνεται ὁ δυστυχὴς λαός ».
Aucune justification de nature historique, ou autre, n’explique le choix du vo-
cable, sans doute déjà répandu dans la langue parlée tant sa compréhension
s’avère implicite ; indiscutablement, le néologisme formalise le passage d’une
époque révolue à une nouvelle, où les hommes gouvernent en fonction d’une
éthique inspirée de principes légitimés par la philosophie antique.
Néanmoins, le langage historique et politique des années 1820 tarde à in-
venter des concepts satisfaisant les besoins d’une construction idéologique
adaptée à la régénérescence de la nation. Ainsi, dans les dictionnaires compi-
lés et publiés durant cette décennie, ne trouve-t-on aucune entrée se référant à
« τουρκοκρατία » et, a fortiori, à « φραγκοκρατία », que l’on feuillette l’ouvrage de
Félix Désiré Dehèque ou celui de Johann Adolf Erdmann Schmidt119. Dans les
années 1830, alors que l’Empire ottoman incarne un système répulsif de valeurs
politiques et morales, le néologisme « τουρκοκρατία » se diffuse de manière par-
cimonieuse, sans passer dans l’usage, et le récit que Ioannis Filimon (1799-1874)
consacre à l’histoire de la Φιλική Εταιρεία/Société des amis, en 1834, en fournit un
bon exemple ; dans cet ouvrage, l’historien accable les Turcs d’innombrables
critiques morales, où convergent l’exercice tyrannique du pouvoir, la pratique
aveugle de l’asservissement des peuples et le manque d’instruction ; lorsqu’il
considère les formes ou les agents de la période de la domination ottomane
sur la Grèce, Filimon utilise les termes conventionnels : « Τουρκικὴ κυριαρχία »,
« Τουρκικὴ ἐξουσία », « Τουρκικὴ κυβέρνηση », « Ὀθωμανικοῦ βασιλείου » ; à deux
reprises seulement, il recourt au néologisme « τουρκοκρατία », afin de désigner
la période appréhendée dans sa globalité ; pour qualifier Byzance (« Ἀνατολικὴ
Αὐτοκρατορία », « Ῥωμαϊκὴ Μοναρχία », « Ἀνατολικὸν Κράτος ») ou la domina-
tion vénitienne (« τῶν Ἐννετῶν Ἀρχοντεία/Ἀριστοκρατία »), Filimon n’invente
aucun terme, ce qui s’explique par le fait que ces pages de l’histoire grecque ne
cristallisent pas son intérêt120.
Assurément, les enseignements tirés de l’Antiquité grecque continuent
de mobiliser les historiens qui réflechissent à la philosophie de l’histoire, ou
qui enquêtent sur les caractères patrimoniaux du nouvel hellénisme121. À cet
égard, Georgios Kozakis-Typaldos (1790-1867) livre une puissante réflexion sur
119 F . D. Dehèque, Dictionnaire grec moderne français (Paris : Jules Duplessis & Co, 1825), 614,
647 ; J. A. E. Schmidt, Neugriechisch-deutsches und deutsches-neugriechisches Wörterbuch,
2 vols. (Leipzig : E. B. Suikert, 1825), 1:447, 473.
120 I. Filimon, Δοκίμιον ἱστορικὸν περὶ τῆς Φιλικῆς Ἑταιρίας (Nauplie : T. Kontaxis et N. Loulakis,
1834), ζ΄, 6, 11, 28, 35-36, 43 ; sur l’auteur, voir Koubourlis, Οι ιστοριογραφικές οφειλές των Σπ.
Ζαμπέλιου και Κ. Παπαρρηγόπουλου, 260-273.
121 K. T. Dimaras, « Προσπελάσεις τοῦ ἑλληνικοῦ στοχασμοῦ στὸν χῶρο τῆς ἱστοριονομίας »,
Δευκαλίων 21 (1978), 47-56, repris dans Idem, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 442-452, 603 (450 plus
spécialement).
122 G. Kozakis-Typaldos, Φιλοσοφικὸν δοκίμιον περὶ τῆς προόδου καὶ τῆς πτώσεως τῆς παλαιᾶς
Ἑλλάδος (Athènes : P. Mantzarakis, 1839).
123 Ibidem, 14 ; ce découpage original de l’histoire nationale a été précédemment relevé par
Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 99-100, et Koubourlis, La formation de l’histoire
nationale grecque, 81-87.
124 Sur la carrière et l’œuvre de Kozakis-Typaldos : T. Tipaldos-Forestis, Biografia di Giorgio
K. Tipaldo Cefaleno (Venise : Tipografia del Commercio di Marco Visentin, 1878) ; R. D.
Argyropoulos, « O Γεώργιος Κοζάκης-Τυπάλδος ανάμεσα στο Διαφωτισμό και στο ρομα-
ντισμό », Δελτίο της Ιστορικής και Εθνολογικής Εταιρείας της Ελλάδος 32 (1989), 81-92, repris
dans Eadem, Νεοελληνικός ηθικός και πολιτικός στοχασμός. Από τον Διαφωτισμό στον Ρομαντισμό
(Salonique : Vanias, 2003), 197-209 ; É. G. Leontsini, « Δημοκρατία και ελευθερία κατά
τον Γεώργιο Κοζάκη-Τυπάλδο: επιδράσεις και πρωτοτυπία », Κερκυραϊκά Χρονικά, 2e série,
11 = Πρακτικά Ι΄ Πανιόνιου Συνεδρίου, Κέρκυρα, 30 Απριλίου-4 Μαΐου 2014 (Corfou : Etaireia
Kerkyraïkon Spoudon, 2017), 115-131.
125 A. M. Vlastos, Χιακά: ἤτοι ἱστορία τῆς νήσου Χίου ἀπὸ τῶν ἀρχαιοτάτων χρόνων μέχρι τῆς ἔτει 1822
γενομένης καταστροφῆς αὐτῆς παρὰ τῶν Τούρκων, 2 vols. (Ermoupolis : Georgios Polymeris,
1840) ; É. I. Stamatiadis, Ἱστορία τῆς ἁλώσεως τοῦ Βυζαντίου ὑπὸ τῶν Φράγκων καὶ τῆς αὐτόθι
ἐξουσίας αὐτῶν, 1204-1261 μ.Χ. (Athènes : A. Ktenas et P. Soutsas, 1865) ; Idem, Οἱ Καταλανοὶ ἐν
τῇ Ἀνατολῇ. Οἷς προσετέθη καὶ ἀνέκδοτός τις χρονολογία τῶν Ἀθηνῶν (Athènes : C. Antoniadis,
1869).
126 S. D. Byzantios, Λεξικὸν τῆς καθ’ ἡμᾶς ἑλληνικῆς διαλέκτου, μεθηρμηνευμένης εἰς τὸ ἀρχαῖον ἑλ-
ληνικὸν καὶ τὸ γαλλικὸν (Athènes : Imprimerie royale, 1835) ; Idem, Λεξικὸν ἐπίτομον τῆς
Ἑλληνικῆς Γλώσσης συντεθὲν μὲν ὑπὸ Σκαρλάτου Δ. τοῦ Βυζαντίου ἐπὶ τῇ βάσει πάντων τῶν ἄχρι
τοῦδε ἐκδεδομένων Ἑλληνικῶν λεξικῶν καὶ πλουτισθὲν ἐπὶ τέλους διαφόροις πίναξι χρονομετρικοῖς,
νομισματολογικοῖς κλπ. κατὰ τὸ νεωστὶ εἰσαχθὲν εἰς τὴν Ἑλλάδα μετρικὸν σύστημα (Athènes :
A. Koromilas, 1839) ; Idem, Λεξικὸν Γαλλο-Ἑλληνικὸν (Athènes : A. Koromilas, 1846).
127 G. Most, « Philhellenism, Cosmopolitanism, Nationalism », dans Hellenisms. Culture
Identity and Ethnicity from Antiquity to Modernity, dir. K. Zacharia (Aldershot : Ashgate,
2008), 151-168 ; Augustinos, « Philhellenic Promises and Hellenic Visions » ; D. Barau,
La cause des Grecs. Une histoire du mouvement philhellène (1821-1829) (Paris : Honoré
Champion, 2009), 40-79, 95-109 ; E. Konstantinou, « Graecomania and Philhellenism »,
European History Online (EGO), Leibniz Institute of European History (IEG), Mayence
2012-11-23 : <http://www.ieg-ego.eu/konstantinoue-2012-en URN: urn:nbn:de:0159-201211
2304> [consulté le 4 août 2019] ; G. Tolias, « The Resilience of Philhellenism », The
Historical Review/La Revue historique 13 (2016), 51-70 (voir, en particulier, n. 1 pour un état
de la bibliographie antérieure).
The very nature, however, of the new arrangements was such as must
appear, on the first glance, calculated to be productive of anarchy and
bloodshed, where so many petty tyrants were placed in collision, with
no check save a nominal control, and owning no law but the decisions of
the sword […] During all this long series of revolution and poverty, the
history of Greece is merely a detail of the adventures of her invaders: the
name of her citizens but seldom occurs in the page of her melancholy
annals, and as for her genius, it had ceased to shine.128
128 J. Emerson, History of Modern Greece from Its Conquest by the Romans B.C. 146, to the
Present Time, 2 vols. (Londres : Henry Colburn & Richard Bentley, 1830), 1:84, 156 (cita-
tions) ; voir également Koubourlis, Οι ιστοριογραφικές οφειλές των Σπ. Ζαμπέλιου και Κ.
Παπαρρηγόπουλου, 277-316.
129 V. D. Karamanolakis, Η συγκρότηση της ιστορικής επιστήμης και η διδασκαλία της ιστορίας στο
Πανεπιστήμιο Αθηνών (1837-1932) (Athènes : Institouto Neoellinikon Erevnon, Ethniko
Idryma Erevnon, 2006), 31-35.
130 S. Koumanoudis, Συναγωγὴ λέξεων ἀθησαυρίστων ἐν τοῖς ἑλληνικοῖς λεξικοῖς (Athènes :
A. Koromilas, 1883) (le terme y est absent) ; Idem, Συναγωγὴ νέων λέξεων ὑπὸ τῶν λογίων πλα-
σθεισῶν. Ἀπὸ τῆς ἁλώσεως μέχρι τῶν καθ’ ἡμᾶς χρόνων, 2 vols. (Athènes : Typois P. D. Sakellariou,
1900, réimpr. Athènes : Ermis, 1980), 2:1003.
131 Ainsi dans K. Mavroyiannis, « Ἰατρική: ἐνεστῶσα κατάστασις τῆς ἰατρικῆς εἰς τὴν Ἑλλάδα »,
Εὐρωπαϊκὸς Ἐρανιστής 1/3 (1841), 195-236. Voir K. Lappas, Πανεπιστήμιο και φοιτητές στην
Ελλάδα κατά τον 19ο αιώνα (Athènes : Institouto Neoellinikon Erevnon, Ethniko Idryma
Erevnon, 2004), 465, 636.
132 Il s’agit peut-être de Théodoritos (1787-1843), évêque de Sellasia, également connu sous
le nom de Vrestheni. Voir P. I. Manolakos, « Λάκωνες ευεργέτες και δωρητές και η προσφορά
doute sur l’usage réservé au terme. Prenant une part active à la défense
d’Athènes contre les troupes ottomanes, en 1826-1827, Sourmélis retrace le
passé de la nouvelle capitale du royaume grec de la conquête romaine jusqu’à
1820 ; il s’agit donc, une fois encore, de relater les tribulations de la ville-phare
de l’hellénisme durant plusieurs siècles d’asservissement ; il relate les domi-
nations successives des croisés, des Catalans, de la famille Acciaiuoli, et il
évoque l’intervention de l’« Ἀριστοκρατεία τῆς Βενετίας », sans proposer de
concept générique unissant ces différents pouvoirs ; la période ottomane est
rendue plus volontiers par la formule « ὑπὸ τὴν Τουρκικὴν ἐξουσίαν » que par
le terme « τουρκοκρατία », utilisé à deux reprises seulement, dans le titre et
dans la page de présentation de l’ouvrage133. Nourrissant le même état d’esprit,
Georgios A. Mavrocordatos, professeur de droit public français à l’Université
d’Athènes, emploie le vocable pour célébrer les brillants esprits ayant assuré
la formation intellectuelle de la nation durant la « τουρκοκρατία », dans le dis-
cours qu’il prononce le 2 octobre 1849134. À chaque fois, le néologisme définit la
période de domination ottomane de manière globale, sous la plume de lettrés
dépourvus de formation spécifique en histoire.
Dans ce contexte, l’invention du concept négatif « λατινοκρατία » par Rizo
Néroulos mérite d’être soulignée ; le correspondant de Kapodistrias, premier
historien de la Grèce moderne et premier président de la Société archéolo-
gique d’Athènes (Ἀρχαιολογικὴ Ἑταιρεία τῶν Ἀθηνῶν) entre 1837 et 1844, pro-
nonce un discours devant cette société savante, sous les ruines du Parthénon,
le 25 mai 1841, à 5 heures du soir ; il y réaffirme une conception de l’histoire
conservatrice, toujours axée sur la défense du modèle antique, où il reprend à
son compte les critiques formulées par les Lumières contre Byzance :
τους στην εκπαίδευση και τον πολιτισμό », thèse de doctorat (Université de Patras, 2014),
131-133.
133 D. Sourmélis, Κατάστασις συνοπτικὴ τῆς πόλεως Ἀθηνῶν ἀπὸ τῆς πτώσεως αὐτῆς ὑπὸ τῶν Ῥωμαίων
μέχρι τέλους τῆς Τουρκοκρατείας (Athènes : A. Angelidou, 1842), 29-36, 52.
134 Λόγοι ἐκφωνηθέντες τὴν 2 Ὀκτωβρίου 1849 ὑπὸ τοῦ πρώην πρυτάνεως κ. Φιλίππου Ἰωάννου παρα-
δίδoντος εἰς τὸν διάδοχον αὐτοῦ τὴν πρυτανείαν τοῦ Ὀθωνείου Πανεπιστημίου καὶ ὑπὸ τοῦ τακτι-
κοῦ καθηγητοῦ τοῦ γαλλικοῦ κώδηκος κ. Γ. Ἀ. Μαυροκορδάτου ἐπὶ τῆς διαδοχῆς τῆς πρυτανείας τοῦ
Πανεπιστημίου (Athènes : Ek tou vasilikou typografiou, 1849), 23.
135 Σύνοψις τῶν Πρακτικῶν τῆς Ἀρχαιολογικῆς Ἑταιρείας τῶν Ἀθηνῶν. Ἔκδοσις Δευτέρα/Résumé des
Actes de la Société archéologique d’Athènes. Deuxième édition (Athènes : Ek tis dimosiou
typografias, 1846), 105 (traduction française, avec texte grec en regard).
136 Ibidem, 107 ; la déclaration de Rizo Néroulos a précédemment été analysée par K. T.
Dimaras, « Λεξικογραφία καὶ ἰδεολογία », introduction à la réédition de S. Koumanoudis,
Συναγωγὴ Νέων Λέξεων (Athènes : Ermis, 1980), xxi ; Idem, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 339,
376 ; Nystazopoulou-Pelekidou, « Οι βυζαντινές ιστορικές σπουδές στην Ελλάδα », 160-161 ;
Ε. Gazi, Scientific National History. The Greek Case in Comparative Perspective (1850-1920)
(Francfort-sur-le-Main : Peter Lang, 2000), 67-68.
137 Σύνοψις τῶν Πρακτικῶν τῆς Ἀρχαιολογικῆς Ἑταιρείας τῶν Ἀθηνῶν, 109 ; pour son Histoire mo-
derne de la Grèce, voir supra note 116. Cf. Koumanoudis, Συναγωγὴ νέων λέξεων ὑπὸ τῶν λογί-
ων πλασθεισῶν, 2:594.
138 Dimaras, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 330-339.
139 J. P. Fallmerayer, Geschichte der Halbinsel Morea während des Mittelalters, 1 : Untergang
der peloponnesischen Hellenen und Wiederbevölkerung des leeren Bodens durch slavische
Volksstämme, 2 : Morea, durch innere Kriege zwischen Franken und Byzantinern verwüs-
tet und von albanischen Colonisten überschwemmt, wird endlich von den Türken erobert.
Von 1250-1500 nach Christus (Stuttgart – Tübingen : J. G. Cotta, 1830-1836) ; Idem, Welchen
Einfluß hatte die Besetzung Griechenlands durch die Slawen auf das Schicksal der Stadt
Athen und der Landschaft Attika ? (Stuttgart – Tübingen : J. G. Cotta, 1835). Voir infra
note 188 ; E. Skopétéa, Φαλμεράυερ. Τεχνάσματα τοῦ ἀντιπάλου δέους (Athènes : Themelio,
1997) ; G. Véloudis, O Jakob Philipp Fallmerayer και η γένεση του ελληνικού ιστορισμού
(Athènes : E.M.N.E. – Mnimon, 19992).
140 Philippidis et Konstantas, Γεωγραφία Νεωτερική, 178-180 ; voir également les remarques
d’E. Skopétéa, Τὸ “Πρότυπο Βασίλειο” καὶ ἡ Μεγάλη Ἰδέα. Ὄψεις τοῦ ἐθνικοῦ προβλήματος στὴν
Ἑλλάδα (1830-1880) (Athènes : s.é., 1988), 88 et supra note 93.
141 I. Koubourlis, « “Χριστιανική δημοκρατία” και λατινική κατάκτηση: Ο Σπ. Ζαμπέλιος και η
ιστοριογραφική επτανησιακή σχολή στα μεσά του 19ου αιώνα », dans Πρακτικά Ζ΄ Πανιονίου
Συνεδρίου (Λευκάδα, 26-30 Μαΐου 2002) (Athènes : Etaireia Lefkaditikon Meleton, 2004),
1:149-169, en particulier 165.
Chiotis et Ermannos Lountzis sont les principales figures d’une école histo-
rique polymorphe142.
L’exemple d’Andréas Moustoxydis (1785-1860), qui livre son ouvrage de syn-
thèse sur Corfou, en italien, en 1848, montre que l’érudit ne recourt jamais à la
formule « venetocrazia » ou « francocrazia » ; celui que Spyridon Lambros qua-
lifie de fondateur de l’école historique heptanésienne, qui s’installe à Corfou en
1832 après de longs séjours en Italie, et qui occupe à plusieurs reprises la charge
d’historiographe officiel de l’État ionien, use de périphrases conformes au lan-
gage historique et politique de l’époque : « l’isola si assoggetta ai Veneziani »,
« quei di Butrintὸ […] si dessero liberamente e di buon volontà al veneto do-
minio », « condizione dell’isola al tempo degli Angioini »143. Dans les années
précédentes, alors qu’il édite le périodique Ἑλληνομνήμων, Moustoxydis n’in-
vente pas davantage de termes en grec, ainsi dans la livraison d’avril 1843, lors-
qu’il relève que les « νέαι μεταβολαὶ συμβαίνουσιν εἰς τὴν τύχην τῶν ὑπὸ Λατίνων
142 Sur cette école historique de l’Heptanèse, que les historiens ne reconnaissent pas
comme un courant de pensée cohérent et constitué : S. Lambros, « Ἡ ἱστορικὴ σχολὴ
τῆς Ἑπτανήσου », Nέος Ἑλληνομνήμων 12/3 (1915), 319-347 ; É. Bélia, « Η ιδεολογία της
Επτανησιακής ιστοριογραφίας του 19ου αιώνα », dans Πρακτικά Ε΄ Διεθνούς Πανιονίου Συνεδρίου
(Αργοστόλι-Ληξούρι, 17-21 Μαΐου 1986) (Argostoli : Etaireia Kefalliniakon Istorikon Erevnon,
1989), 2:265-285 ; T. É. Sklavénitis, « Επτανησιακή ιστοριογραφία και γραμματολογία 16ος-20ος
αι. », dans Πρακτικά Ζ΄ Πανιονίου Συνεδρίου (Λευκάδα, 26-30 Μαΐου 2002) (Athènes : Etaireia
Lefkaditikon Meleton, 2004), 1:79-89 ; D. Arvanitakis, « Un viaggio nella storiografia greca.
Immagini della Dominante e degli ordini sociali delle città Ionie (secoli XVI-XVIII) »,
dans Italia-Grecia : temi e storiografia a confronto, dir. C. Maltezou et G. Ortalli (Venise :
Istituto ellenico di studi bizantini e postbizantini, 2001), 91-111 ; Idem, « Τάσεις στην
ιστοριογραφία του Ιόνιου χώρου 17ος-αρχές 19ου αι. », dans Πρακτικά Ζ΄ Πανιονίου Συνεδρίου
(Λευκάδα, 26-30 Μαΐου 2002) (Athènes : Etaireia Lefkaditikon Meleton, 2004), 1:91-115 ; Idem,
« Οι τόποι, οι χρόνοι και οι γλώσσες της ιστοριογραφίας του Ιονίου κατά τον 19ο αιώνα », dans
Θ´ Πανιόνιο Συνέδριο (Παξοί, 26-30 Μαΐου 2010). Πρακτικά (Paxoi : Etaireia Paxinon Meleton,
2014), 2:293-321 ; N. É. Karapidakis, « Η ιστορία των δυτικών κυριαρχιών: η παρέκκλιση από
την κοινωνική ιστορία στην εθνική. Η διάσταση μεταξύ των στοχαστών και των ιστοριογρά-
φων της κατάκτησης », dans Δ΄ Διεθνές Συνέδριο Ιστορίας. Ιστοριογραφία της νεότερης και σύγ-
χρονης Ελλάδας 1833-2002. Πρακτικά, dir. P. M. Kitromilidis et T. É. Sklavénitis (Athènes :
Institouto Neoellinikon Erevnon, Ethniko Idryma Erevnon, 2004), 2:573-584 ; Koubourlis,
« “Χριστιανική δημοκρατία” και λατινική κατάκτηση », 2:150-169 ; Idem, La formation de l’his-
toire nationale grecque, 102-104.
143 A. Moustoxydis, Delle cose Corciresi (Corfou : Nella tipografia del governo, 1848), 453,
460, 464 pour les citations ; sur la vie de l’historien, on renvoie à l’introduction de
D. Arvanitakis : Andrea Mustoxidis & Emilio Tipaldo/Ανδρέας Μουστοξύδης & Αιμίλιος
Τυπάλδος, Carteggio 1822-1860/Αλληλογραφία 1822-1860, éd. D. Arvanitakis (Athènes :
Mouseio Benaki – Kotinos, 2005), 17-67 ; sur sa contribution historique : Lambros,
« Ἡ ἱστορικὴ σχολὴ τῆς Ἑπτανήσου », 322-325 ; Arvanitakis, « Τάσεις στην ιστοριογραφία του
Ιόνιου χώρου 17ος-αρχές 19ου αι. », 111-114.
144 λληνομνήμων 4 (avril 1843), 230 ; confirmant cet usage de la terminologie, on peut verser
Ἑ
la traduction grecque d’un avis attribué à Moustoxydis – sous le pseudonyme d’Amaury
Duval, Exposé des faits qui ont précédé et suivi la cession de Parga (ouvrage écrit originaire-
ment en grec, par un Parganiote, et traduit en français par un de ses compatriotes) (Paris :
Brissot-Thivars, Corréard, 1820) – Ἔκθεσις τῶν γεγονότων ὅσα συνέβησαν πρὶν καὶ μετὰ τὴν πα-
ραχώρησιν τῆς Πάργας (Σύγγραμμα ἐκδοθὲν ἐν Παρισίοις γαλλιστὶ κατὰ τὸ 1820 ἔτος νῦν δὲ μεταφρα-
σθὲν ὑπὸ Ἰωάννου Βερβιτσιώτου) (Corfou : Typografion Ermis C. Nikolaïdou Philadelpheos,
1851), où apparaissent les formules suivantes, « Βενετικὴ Ἀριστοκρατία », « Εἰς τὰς ἄλλας
ἐπαρχίας τῆς Βενετικῆς πολιτείας » (14).
145 Zanou, « Προς μια συνολική θεώρηση του εθνικού χρόνου », 331-345 ; Eadem, « Διανοούμενοι-
“Γέφυρες” στη μετάβαση από την προεθνική στην εθνική εποχή », Τα ιστορικά 30/58 (2013),
3-22.
146 Comme signalé par Skopétéa, Τὸ “Πρότυπο Βασίλειο” καὶ ἡ Μεγάλη Ἰδέα, 179.
147 Dimaras, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 329-330 ; Arvanitakis, dans son introduction à la corres-
pondance de Moustoxydis, 41-42 (cité supra note 143).
148 Sur Zambélios, on renvoie principalement aux travaux de I. Koubourlis, qui incluent les
références bibliographiques antérieures : La formation de l’histoire nationale grecque ;
« “Χριστιανική δημοκρατία” και λατινική κατάκτηση » ; « Η μεθοδολογική συμβολή του
Σπυρίδωνος Ζαμπελίου στην αναθεώρηση της εικόνας του βυζαντινού μεσαίωνα », dans Ποίηση:
Οδυσσέας Ελύτης. Βιολογία: βιολογία και βιοηθική. Ιστορία: Ιωάννης και Σπυρίδων Ζαμπέλιοι.
Πρακτικά Θ΄Συμποσίου, Πνευματικό Κέντρο Δήμου Λευκάδας, Γιορτές Λόγου και Τέχνης, Λευκάδα
16-18 Ιουλίου 2004, dir. D. C. Sklavénitis et T. É. Sklavénitis (Athènes : Etaireia Lefkaditikon
Meleton, 2005), 163-189 ; « Οι οφειλές του Σπυρίδωνος Ζαμπελίου στη γαλλική ρομαντική ιστο-
ρική σχολή », dans Η΄ Διεθνές Πανιόνιο Συνέδριο. Πρακτικά, Χώρα Κυθήρων, 21-25 Μαΐου 2006,
vol. IV/A (Athènes : Etaireia Kythiriakon Spoudon, 2009), 431-456 ; Οι ιστοριογραφικές οφει-
λές των Σπ. Ζαμπέλιου και Κ. Παπαρρηγόπουλου. Parmi les travaux antérieurs, à titre indica-
tif : D. A. Zakythinos, « Σπυρίδων Ζαμπέλιος, ὁ θεωρητικὸς τῆς Ἱστοριονομίας. Ὁ ἱστορικὸς
τοῦ Βυζαντινοῦ Ἑλληνισμοῦ », Πρακτικὰ τῆς Ἀκαδημίας Ἀθηνῶν 49 (1974), 303*-328* ;
I. Z. Oikonomidis, Ἡ ἑνότητα τοῦ Ἑλληνισμοῦ κατὰ τὸν Σπ. Ζαμπέλιο (Athènes : Iolkos, 1989) ;
N. G. Svoronos, « Ὁ Σπυρίδων Ζαμπέλιος », Μνήμων 14 (1992), 11-20.
149 L. Sotiris, Ἀπολογία ἱστορικοκριτικὴ (Trieste : En ti Typografia Gasparos Vaïs, 1814) ;
T. É. Sklavénitis, « Οι κατήγοροι του ελληνικού γένους και η “Απολογία ιστορικοκριτική” του
Λουδοβίκου Σωτήρη », Λευκαδίτικη Πνοή 73 (novembre-décembre 2000), 5, cité par Zanou,
« Προς μια συνολική θεώρηση του εθνικού χρόνου », 326 ; Koubourlis, La formation de l’his-
toire nationale grecque, 67-75.
150 S. Zambélios, Ἄσματα δημοτικὰ τῆς Ἑλλάδος. Ἐκδοθέντα μετὰ μελέτης ἱστορικῆς περὶ μεσαιωνι-
κοῦ Ἑλληνισμοῦ (Corfou : Typographeion Ermis Α. Terzaki kai T. Romaiou, 1852). Les opi-
nions sur la pensée de Zambélios ne manquent pas : Lambros, « Ἡ ἱστορικὴ σχολὴ τῆς
Ἑπτανήσου », 339-342, où à la p. 341 est relevé le manque de sources fiables dans la compo-
sition de l’ouvrage de 1860 Ἱστορικὰ σκηνογραφήματα: πάθη τῆς Κρήτης ἐπὶ Ἑνετῶν (Athènes :
Ek tou Typografiou Laz. D. Vilara, 1860, repr. Athènes : Galaxias-Kerameikos, 1971) ; Politis,
Ρομαντικά χρόνια, 53-55 ; Koubourlis, La formation de l’histoire nationale grecque, 119, éga-
lement, 197-200, souligne l’importance de ce préambule, établi comme « le vrai acte de
naissance de l’historiographie grecque du XIXe siècle ».
151 Zambélios, Ἄσματα δημοτικὰ τῆς Ἑλλάδος, 81, également, 21-23, 61-81, 116-123.
152 Ibidem, 71, 91, 106, 110, 459.
153 Voir à titre indicatif, ibidem, 21, 23, 25-26, 40, 66, 70.
154 Ibidem, 20-25, 84-115, en particulier 584.
155 Respectivement, ibidem, 28, 108, 114, 401, 432 ; 114, 433, 445, 466 ; 411 ; 114, 432 ; 505.
156 Respectivement, ibidem, 107, 132, 407, 413, 424.
que l’Église de Rome a délibérément élaboré le projet des croisades afin d’assu-
jettir l’hellénisme médiéval et de dominer l’Église orthodoxe.
Face à cette tension, Zambélios scrute l’attitude de l’aristocratie byzantine,
suspecte de collusion avec les ennemis de l’hellénisme (« λατινικὴ τῆς βυζα-
ντινῆς ἀριστοκρατίας μεταλλαγή »), puis de favoriser les tentatives d’Union des
deux Églises, après 1261 et surtout lors du concile de Ferrare-Florence (1439).
Le résultat de ce rapprochement débouche sur ce que Zambélios considère
comme une trahison : la latinisation du rite grec se trouve assimilée à une hybri-
dation franco-grecque (« φραγκογραικικὴ λειτουργία »)157 ; de ce fait, l’historien
légitime la réaction populaire, conduite par son guide éclairé, Gennadios, qui
refuse la célébration d’un office contraire à la tradition orthodoxe ; Zambélios
défend la pureté de l’hellénisme chrétien médiéval, et prend position en faveur
du peuple contre ses élites.
La résistance à la domination latine se traduit également dans le domaine des
institutions et Zambélios aborde la question des lois introduites par les Francs,
en faisant référence explicite aux Assises de Romanie, qui déploient la féodalité
en pays grecs : « Ἡ φραγκικὴ κατάκτησις […] ἐνεισάγει εἰς Ἀνατολὴν τοὺς θεσμοὺς
καὶ τὰ ἔθιμα τῆς Δύσεως », « Τῦχαι τοῦ ἐν Ἑλλάδι εἰσαχθέντος Τιμαριωτισμοῦ »,
« ὁ φεουδαλικὸς τῆς Γαλλίας Κῶδιξ »158. Par essence, les lois coutumières franques
ne concernent pas le peuple grec, ravalé au rang de serf, et dont l’esprit « natio-
nal » demeure pétri du sens de l’égalité (« ἰσονομία »)159. La profonde incompa-
tibilité des deux philosophies politiques, la franque coutumière et la grecque
antique, autorise une assimilation sémantique qui n’est pas rare dans le voca-
bulaire grec du XIXe siècle, celle de fief et de timar, que Zambélios formalise
de manière explicite : « φέουδον εἶναι τὸ τιμαριωτικὸν κληροδότημα »160. Cette
confusion des deux types de dotations foncières conditionnées, aussi compré-
hensible soit-elle au regard des progrès des sciences historiques au milieu du
XIXe siècle, accentue l’association des systèmes politiques franc et turc, confon-
dus dans les formes de l’oppression exercée sur le peuple grec ; logiquement,
la domination franque annonce la « τουρκοκρατία », comme la première chute
de Constantinople, en 1204, présage la seconde, en 1453, argument appelé à
être maintes et maintes fois répété161. Ainsi, Zambélios rejoint Rizo Néroulos
en accusant les Latins d’avoir préparé le terrain aux Ottomans puisque les
coups portés aux Grecs les ont affaiblis ; il amplifie la critique en reprochant à
l’Occident d’avoir utilisé l’hellénisme pour renforcer sa civilisation, à travers la
Renaissance, abandonnant Constantinople aux Turcs162.
Assurément, Zambélios attribue à la période de la domination franque/
latine/croisée un rôle déterminant dans le processus de transformation de
l’hellénisme médiéval, et 1204 marque une profonde césure dans le cours de
l’histoire nationale163 ; cependant, il ne distingue pas cette phase historique
des autres : jamais, il ne reprend à son compte le néologisme « λατινοκρατία »,
forgé par Rizo Néroulos en 1841, ni ne recourt au néologisme « φραγκοκρατία ».
Ce choix lexical s’explique par une conception de l’histoire de l’hellénisme
propre à Zambélios, qui, comme il l’explique en préambule à son recueil de
poèmes, doute de la validité des concepts d’« acmé, décadence, chute » ; il per-
çoit, au contraire, des stades d’évolution, de lentes transitions des formes po-
litiques et culturelles sur le long terme164. Lorsqu’il tente une périodisation de
l’histoire médiévale, Zambélios privilégie des critères philosophiques person-
nels, qui ne débouchent pas sur une compréhension plus claire des époques,
du fait du morcellement de l’hellénisme médiéval165. Cette philosophie de
l’histoire le pousse à observer les évolutions sociales en écartant les critères
de nature politique jugés trop restrictifs ; lui importe la compréhension de
la période médiévale dans sa globalité afin de suivre les métamorphoses de
161 On peut prendre l’exemple de Pavlos Kalligas, en 1894 – lui-même précédant d’éminents
byzantinistes –, qui associe les débuts de la Megali Idea aux deux chutes de la Polis, la
première par les Latins en 1204-1205, la seconde par les Ottomans en 1453 ; ainsi, sont
confondues les deux dominations étrangères : P. Kalligas, Μελέται βυζαντινῆς ἱστορίας
ἀπὸ τῆς πρώτης μέχρι τῆς τελευταίας ἁλώσεως 1205-1453 (Athènes : A. Κonstantinidis, 1894) ;
Vacalopoulos, Ἱστορία τοῦ νέου ἑλληνισμοῦ, 1:39-41, 43 sqq., 68, 72 sqq. ; A. A. M. Bryer, « The
Great Idea », History Today 15/3 (March 1965), 159-168 ; D. A. Zakythinos, The Making
of Modern Greece. From Byzantium to Independence, trad. K. R. Johnstone (Oxford :
Blackwell, 1976), 192-198 ; Idem, Μεταβυζαντινὰ καὶ Νέα Ἑλληνικά, 447-463 ; Ahrweiler,
Ἡ πολιτικὴ ἰδεολογία τῆς Bυζαντινῆς Aὐτοκρατορίας, 123-131. Voir I. K. Voyatzidis, « La Grande
Idée », L’Hellénisme contemporain 7 (1953), 279-287, et Kitromilides, « On the Intellectual
Content of Greek Nationalism », 25-26.
162 Zambélios maintient cette argumentation quelques années plus tard dans ses Βυζαντιναὶ
μελέται. Περὶ πηγῶν Νεοελληνικῆς ἐθνότητας ἀπὸ Η΄ ἄχρι Ι΄ ἑκατονταετηρίδος μ.Χ. (Athènes : Ek
tis typografias C. Nikolaidou Philadelpheos, 1857), 32.
163 Idem, Ἄσματα δημοτικὰ τῆς Ἑλλάδος, 115 ; Koubourlis, « “Χριστιανική δημοκρατία” και λατινική
κατάκτηση », 162.
164 Zambélios, Ἄσματα δημοτικὰ τῆς Ἑλλάδος, 17 ; sur ces faits « supra-historiques », voir les
commentaires de Koubourlis, La formation de l’histoire nationale grecque, 135-137.
165 Zambélios, Ἄσματα δημοτικὰ τῆς Ἑλλάδος, 243-269.
169 K. Minoïdis Mynas, Ἀναφορὰ τῶν ἀγωνιζομένων Ἑλλήνων πρὸς τοὺς κραταιοτάτους Εὐρώπης
Βασιλεῖς κατὰ τὸ ἔτος 1821 (Corfou : Typografion Scheria, 1853), 5-6 ; déjà relevé par Dimaras,
Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 378.
170 Arvanitakis, « Un viaggio nella storiografia greca », 107-108.
171 Comme le souligne Arvanitakis, « Οι τόποι, οι χρόνοι και οι γλώσσες της ιστοριογραφίας του
Ιονίου », 317.
172 P. Chiotis, Ἱστορικὰ ἀπομνημονεύματα τῆς νήσου Ζακύνθου, 3 vols. (Corfou : En ti Typografia tis
Kyverniseos, 1849-1863, réimpr. Athènes : Vivliopolio D. N. Karavias, 1978-1979) ; sur cet au-
teur, voir les opinions de Lambros, « Ἡ ἱστορικὴ σχολὴ τῆς Ἑπτανήσου », 331-333 ; É. Bélia,
« Ο ιστοριογράφος Παναγιώτης Χιώτης », Μνημοσύνη 10 (1985-1987), 227-240 ; Koubourlis,
« “Χριστιανική δημοκρατία” και λατινική κατάκτηση », 151-152 ; Arvanitakis, « Οι τόποι, οι χρό-
νοι και οι γλώσσες της ιστοριογραφίας του Ιονίου », 299-301, 317.
εἰς τὸ κράτος τῶν Βενετῶν », « ἡ βενετικὴ πολιτεία, ἄνευ βαρέων μόχθων ἐγένετο
κυρία τῶν δύο νήσων » ; par ailleurs, l’historien ne procède pas à des dérivations
qualificatives à partir de « βενετοκρατεία » : « καθ’ ὅλας τὰς ἐν Ἑλλάδι Βενετικὰς
χώρας »173.
S’il conserve une mesure dans l’usage du terme « βενετοκρατεία », Chiotis
recourt à d’autres créations de termes, sans doute aidé par la facilité qu’offre la
langue grecque, mais on doute que l’auteur ait approfondi la validité historique
des concepts inventés. Dans le deuxième volume, publié en 1858 et qui couvre
la période commençant avec la conquête romaine et qui s’achève par l’arrivée
des Vénitiens, il n’hésite pas à recourir à des constructions hasardeuses ; faisant
référence aux événements qui se déroulent dans la péninsule italienne aux
IXe-Xe siècles, il affirme l’existence d’une « παποκρατεία » et de « τιμαριοῦχοι » ;
très vite, les amalgames fleurissent, et Chiotis attribue aux Normands de Robert
Guiscard l’application du « τιμαριωτισμὸς ἤ φεουδαλισμὸς » dans les « ἀρχαίας
δημοκρατουμένας Ἑλληνοπολιτείας ». Avec l’arrivée des Anjou, Chiotis adopte
des termes encore plus virulents, considérant que « νέα λοιπὸν τύχη διὰ ταῦτα
διευθύνει τὴν ἀθλίαν κατάστασιν τῶν ἐν τῇ χέρσῳ καὶ νήσοις Φραγκοκρατουμένων
Ἑλλήνων », ce qui transforme Chiotis en pionnier d’une formulation appelée à
un long avenir ; dans sa condamnation des événements qui rendent les Grecs
« prisonniers » des Francs, Chiotis use de termes variés, qui démontrent sa faible
connaissance de la période, où la Morée est aux mains de « Φραγκογάλλοι »,
alors que les Cyclades passent sous le contrôle du duc de Naxos « καὶ ἄλλων
ἡγεμονίσκων Λατίνων », reflétant une « ξενοκρατεία » générale174.
Pour nombre de situations historiques, Chiotis multiplie les néologismes et
les approximations ; ainsi, à propos de Leonardo Tocco, dernier comte palatin
de Céphalonie, ce prince ne fut pas inclus « μεταξὺ τῶν πραγματικῶν ἡγεμόνων
τῆς Φραγγοελλάδος », entité présentée plus bas sous un jour différent : « τὸ
τότε τιμαριωτικὸν πολίτευμα τῆς Γαλλοελλάδος ». Chiotis admet se perdre dans
des discussions sur les identités médiévales lancées par Zambélios, Buchon
et Moustoxydis : « τὸ πολύπλοκον καὶ λαβυρινθῶδες πολίτευμα τῆς λεγομένης
γαλλογραικίας ». De ce fait, dans la seconde partie du volume, Chiotis multi-
plie les occurrences du mot « φραγκοκρατία », qui devient un terme générique
couvrant les situations mouvantes de la Grèce au bas Moyen Âge : « Πολίτευμα
τῶν νήσων ἐπὶ Φραγκοκρατείας », « ἡ πολιτικὴ διαχείρισις τῆς Ἐλλάδος ἐπὶ
Φραγκοκρατίας ». Enfin, toute la partie consacrée à l’examen des rapports
173 Voir, respectivement, Chiotis, Ἱστορικὰ ἀπομνημονεύματα τῆς νήσου Ζακύνθου, 1 : ζ΄ ; 2:201,
203 ; 282 ; 295 ; 305.
174 Respectivement, ibidem, 2:88, 90, 107, 122 ; 88 ; 100 ; 171 ; 175 ; 190 ; 195.
175 Respectivement, ibidem, 2:272 ; 292-293 ; 373 ; 359 ; 379 ; 477 ; 373, également 359-360 ; 392-
393 ; 374 ; 3:53. Voir Arvanitakis, « Un viaggio nella storiografia greca », 107-108.
176 Pour « βενετοκρατία », Koumanoudis, Συναγωγὴ νέων λέξεων ὑπὸ τῶν λογίων πλασθεισῶν, 1:210,
renvoie à un ouvrage non-identifié de Chiotis, daté de 1854 ; pour « φραγκοκρατία », ibi-
dem, 2:1085, à un ouvrage non-identifié de Constantin Paparrigopοulos (peut-être daté de
1851) ; quant à « τουρκοκρατούμενος », Koumanoudis donne l’infinitif « τουρκοκρατεῖσθαι »,
ibidem, 2:1003. Nous tenons à remercier le professeur Georges D. Babiniotis pour son as-
sistance relative aux sources utilisées par Koumanoudis.
recourt à des expressions aussi banales que « ἐπὶ τῆς Ἐνετικῆς ἀριστοκρατίας »
ou « ἡ ἐνετικὴ διοίκησις »177.
Face à l’exubérance lexicale de Chiotis, le vocabulaire utilisé par Ermannos
Lountzis se révèle d’autant plus passionnant à étudier que l’historien, juriste
formé à Pise et dans d’autres universités occidentales, publie deux versions
d’une somme historique consacrée aux Îles ioniennes, la première publiée
en grec à Athènes en 1856, la seconde, augmentée, en traduction italienne,
à Venise, deux ans plus tard. Dans son essai, Lountzis recourt à une ana-
lyse serrée des sources disponibles, parfois citées in extenso en bas de pages
dans l’édition italienne ou en traduction dans la version originale grecque, se
livrant à un examen approfondi des sources juridiques ; l’ouvrage se décom-
pose en deux parties de dimensions équivalentes : la première relate l’histoire
des îles depuis la période normande jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, alors que la
seconde examine les institutions politiques et sociales particulières à chaque
grande île178.
L’examen attentif des sources vénitiennes et de la littérature historique
antérieure mène Lountzis à proposer une analyse très fine des rapports po-
litiques dans les sociétés ioniennes sous domination vénitienne ; il sait
reconnaître les bienfaits du gouvernement de Saint-Marc, mais aussi la déli-
quescence de certains principes durant le XVIIIe siècle ; à ses yeux, l’histoire ne
se résume pas à une longue domination aveugle et sans nuances, car chaque
époque aboutit à une renégociation des relations entre Venise et les popula-
tions insulaires. En conséquence, le concept globalisant de « βενετοκρατία »
ne correspond pas à son appréhension des phases successives qui marquent
la domination vénitienne : nulle part, il n’emploie le néologisme si cher à
Chiotis, à qui il oppose une appréhension plus subtile : « Κατὰ τὴν πρώτην
ἑκατονταετηρίδα ἀπὸ τῆς ἐν Κερκύρᾳ συστάσεως τῆς Ἑνετικῆς ἐξουσίας »179.
177 N. Karavias Grivas, Ἱστορία τῆς νήσου Ἰθάκης ἀπὸ τῶν Ἀρχαιοτάτων χρόνων μέχρι τοῦ 1849
(Athènes : Typois F. Karabini kai K. Vafa, 1849, réimpr. Athènes : Vivliopolio D. N. Karavias,
1977), 65, 70-73 ; Arvanitakis, « Οι τόποι, οι χρόνοι και οι γλώσσες της ιστοριογραφίας του
Ιονίου », 304.
178 E. Lountzis, Περὶ τῆς πολιτικῆς καταστάσεως τῆς Ἑπτανήσου ἐπὶ Ἑνετῶν (Athènes : Ek tis ty-
pografias C. Nikolaidou Philadelpheos, 1856, réimpr. Athènes : Kalvos, 1969) ; Idem, Della
condizione politica delle isole Ionie, preceduta da un compendio della storia delle isole
stesse dalla divisione dell’impero bizantino (Venise : Tipografia del Commercio, 1858).
Sur Lountzis : Lambros, « Ἡ ἱστορικὴ σχολὴ τῆς Ἑπτανήσου », 330-331 ; N. Karapidakis,
« Ἡ “ἀνακάλυψη” τῆς πολιτικῆς ἱστορίας καὶ ἡ ἐννοιολογικὴ προετοιμασία τοῦ Ἑρμάννου
Λούντζη », dans Νεοελληνικὴ παιδεία καὶ κοινωνία. Πρακτικὰ Διεθνοῦς Συνεδρίου ἀφιερωμένου
στὴ μνήμη τοῦ Κ. Θ. Δημαρᾶ, dir. D. Apostolopoulos (Athènes : Omilos Meletis Ellenikou
Diafotismou, 1995), 544-565.
179 Lountzis, Περὶ τῆς πολιτικῆς καταστάσεως τῆς Ἑπτανήσου ἐπὶ Ἑνετῶν, 119.
Lountzis ne masque pas une certaine révérence pour Venise, ainsi quand il
rappelle que, le 9 juin 1386, devient « Κυβερνήτης καὶ Κύριος Κερκύρας τὸ σεβα-
στὸν Κομμούνιον τῆς Ἑνετίας ». Le vocabulaire utilisé pour désigner le pouvoir en
place demeure toujours empreint de retenue, préférant « ἡ Ἑνετικὴ Πολιτεία » à
« ἡ Ἑνετικὴ Κυβέρνησις » ou à « ἡ Ἑνετικὴ ἐξουσία » ; il évite les formules réduc-
trices : « ἐν ταῖς νήσοις καθιδρύσεως τῆς Ἑνετικῆς ἐξουσίας », « ἡ παπικὴ ἐξουσία ».
La même rigueur terminologique est appliquée aux situations historiques
antérieures ou parallèles : « ἡ Βυζαντινὴ ἐπικράτεια μετὰ τὸν ὑπὸ τῶν Λατίνων
διαμελισμὸν αὐτῆς », « Φραγκικοὶ λαοὶ εἰσέβαλον […] εἰς τὴν Ἑλληνικὴν γῆν »,
« ὑπὸ τῶν Φράγκων καταργήσεως τῶν ἐν ταὶς νήσοις Κεφαλληνίας καὶ Ζακύνθου »,
« ἡ Λευκὰς ἀπὸ τοῦ ἔτους 1479 διέμενεν ὑπὸ τὴν τυραννίαν τῶν Ὀθωμανῶν »180.
Les choix lexicaux de Lountzis, qui reflètent la précision du vocabulaire
juridique, ne l’empêchent pas de partager les jugements de ses contempo-
rains sur certaines institutions importées par les Francs ; il attribue aux Anjou
de Naples l’introduction du « τιμαριωτικὸν σύστημα », et rejoint Zambélios
et Chiotis quant à l’incompatibilité de ce régime avec l’esprit national grec :
« ὁ τιμαριωτισμὸς ὡς φυτόν τι ἐξωτικὸν καὶ παράσιτον εἰσεκομίσθη μὲν εἰς τὴν
Ἑλλάδα, ἀλλὰ δὲν ἐρρίζωσεν ἐν αὐτῇ »181. Ces positions montrent que Lountzis
connaît les idées de Zambélios, et qu’il adhère au discours historique national
en cours de construction, sans toutefois procéder à l’utilisation de concepts ou
de néologismes simplifiant sa démonstration. Lountzis pose un regard nette-
ment plus scrupuleux sur le passé, sans doute parce que les lectures d’archives
en Italie ont forgé une analyse dialectique des situations historiques, dégagée
des formules réductrices de Chiotis. Il ne fait aucun doute que Lountzis était
mieux préparé au métier d’historien, car sa formation juridique avait été com-
plétée de séjours à Paris, Genève, Munich et Berlin, où il s’était familiarisé tant
avec la pensée de Guizot qu’avec celle du philosophe hégélien Eduard Gans.
Néanmoins, aussi raffinée que puisse être la démonstration de Lountzis, les
historiens grecs de la seconde moitié du XIXe siècle lui préfèrent le vocabulaire
de Chiotis, plus apte à restituer les aspirations du grand discours national en
cours d’élaboration182. (à suivre …)
180 Ibidem, οα΄, ιγ΄, λβ΄, κ´, 121, ργ΄. Koumanoudis, Συναγωγὴ νέων λέξεων ὑπὸ τῶν λογίων πλασθει-
σῶν, 1:369, dit que Lountzis utilise « ἑνετοκρατία » et que le premier à utiliser le terme fut
Konstantinos Pop (1816-1878) en 1851 ; pourtant, nous n’avons pas pu trouver le terme, ni
chez Lountzis ni chez Pop.
181 Lountzis, Περὶ τῆς πολιτικῆς καταστάσεως τῆς Ἑπτανήσου ἐπὶ Ἑνετῶν, 186, κα΄.
182 Les raisons menant à la marginalisation de la pensée de Lountzis dans l’historiogra-
phie nationale grecque ont été précisées par Karapidakis, « Ἡ “ἀνακάλυψη” τῆς πολιτικῆς
ἱστορίας καὶ ἡ ἐννοιολογικὴ προετοιμασία τοῦ Ἑρμάννου Λούντζη », et Arvanitakis, « Οι τόποι,
οι χρόνοι και οι γλώσσες της ιστοριογραφίας του Ιονίου », 294-295.