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Jean-Christophe
COUVENHES,
Sandrine
CROUZET,
et Sandra
PÉRÉ-NOGUÈS
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Pratiques et identités culturelles
des armées hellénistiques
du monde méditerranéen
Jean-Christophe Couvenhes, maître
de conférence en histoire grecque
Université de Paris IV-Sorbonne
Sandrine Crouzet, maître de
conférence en histoire romaine
Université François Rabelais, Tours
Sandra Péré-Noguès, maître de
conférence en histoire grecque
Université de Toulouse II-Le Mirail
Ausonius Éditions
— Scripta Antiqua 38 —
Hellenistic Warfare 3
Diffusion De Boccard
11 rue de Médicis
75006 Paris
http://www.deboccard.com
Décembre 2011
Illustration de couverture :
Côte d’Héracléa Minoa, en Sicile, photo Sandrine Crouzet
3
Transferts
Le fait de considérer les armées numides et, par voie de conséquence, le pouvoir
qui s’appuyait sur elles, comme autant d’acteurs de l’univers hellénistique, est une
approche relativement nouvelle à laquelle les travaux de G. Camps1 ont ouvert la
voie : ce savant montra le premier comment les sociétés africaines situées en marge
du territoire carthaginois avaient suivi, dès l’époque archaïque, un large processus
d’ouverture au monde méditerranéen2 qui s’était renforcé à la période suivante3.
Leurs structures économiques, sociales et politiques devaient en être profondément
modifiées, et ce à une date précoce, même si elles le furent de manières diverses
selon les régions. L’émergence de monarchies issues du système tribal au moins dès
le ive s.4 en fut l’une des manifestations les plus visibles. Plusieurs confédérations
tribales ont ainsi donné naissance à divers royaumes dont les frontières et l’existence
même subirent de fréquentes variations au cours des trois derniers siècles avant
notre ère : les Maures, dans le nord du Maroc actuel, et les Numides, répartis entre
les Massyles, situés à l’est de l’Algérie et en Tunisie, et les Masaesyles, dominant
l’ouest de l’Algérie. Certes, notre connaissance de l’origine de ces processus demeure
largement fragmentaire, mais les documents littéraires et archéologiques ne laissent
aucun doute sur leur réalité ni sur leur précocité. Ce large mouvement d’intégration
aux courants méditerranéens fut porté par une double impulsion : d’une part,
l’intérêt porté à l’Afrique par les États déjà constitués, Carthage puis Rome et les
cités et royaumes grecs, fut déterminant ; et, d’autre part, l’action des cités numides
et des rois a constitué une réponse adaptée aux modèles proposés.
1 Camps 1961.
2 La découverte de vases grecs du vie s. au nord du Maroc suggère l’existence de
relations commerciales avec les Grecs, les Carthaginois, les Espagnols dès cette
époque (Villard 1960 ; Ponsich 1966 et 1968, 8-9 ; Morel 1980 et 2000 ; Girard
1984, 38 ; Rouillard 1992 ; Gras 2000) ; les ports de l’Oranais témoignent de contacts
anciens avec l’Ibérie (Camps 1961, 172 ; Vuillemot 1956) ; la fréquence de toponymes
semblables ou voisins en Afrique Mineure et en Ibérie atteste également de relations
étroites et anciennes entre les deux régions (Desanges 1977). Sur l’essor précoce de
l’agriculture dans certaines régions de Numidie dès le vie, l’apparition tout aussi précoce
d’agglomérations urbaines qui, au iiie s. sont prospères et suivent alors un modèle
civique, sans doute inspiré des cités puniques : Camps 1961, 46-49, 69 sq, 144.
3 En l’attente de la publication de la thèse de Bridoux 2006, on peut se reporter à ses
deux contributions sur le sujet, 2003 et 2005 ; sur le dernier royaume de Maurétanie :
Coltelloni-Trannoy 1997.
4 La première mention d’un “roi” des Maures et d’un “roi” des Libyens est datée du ive s. :
Just. 21.4.7 ; Diod. 20.17.1 et 18.3 ; cf G. Camps 1961, 159 sq ; mais les rois maures
demeurent inconnus aux Romains jusqu’à la guerre de Jugurtha : Sall., Jug., 19.7 et
80.4-5.
308
Au cours de ce processus, le modèle grec des monarchies hellénistiques a joué
un rôle absolument essentiel : on doit à un article important de F. Coarelli et
d’Y. Thébert sur l’architecture funéraire numide d’avoir donné toute son importance
à ce phénomène qui autorisa “l’intégration [des monarchies numides] dans la koinè
culturelle méditerranéenne, alors dominée par les modèles grecs”. Ce modèle a
facilité l’émergence de nouveaux États et préparé, à terme, leur insertion dans le
monde romain5.
Or, dans les sociétés hellénistiques comme dans celles des époques classique
et archaïque, la guerre était un élément permanent et déterminant. On connaît
les incidences fortes qu’elle avait sur le domaine économique (circulation et
redistribution des richesses par le pillage, recours aux mercenaires, transferts de main
d’œuvre du fait de l’esclavage), sur le domaine culturel (diffusion des techniques
de guerre, des religions) et sur le domaine politique (le maintien, le déclin ou le
renforcement des cités ou des États en guerre)6. Toutefois, les recherches ne se sont
intéressées que très récemment aux armées africaines, en privilégiant les armées
numides sur lesquelles la documentation est plus étoffée que sur les armées maures :
on a ainsi mis en lumière l’importance de l’armée dans l’évolution des royaumes
africains qui ont progressivement créé des troupes permanentes au service d’une
autorité stable7. Les sources rendant compte de cette activité guerrière témoignent
du caractère composite de ces armées et de leur évolution sur trois siècles : des unités
de type hellénistique où l’élément romain fut de plus en plus présent au cours des
iie/ier s. côtoyaient des mercenaires ainsi que des contingents fournis aux rois par les
tribus alliées, usant de pratiques désavouées par les Romains (attaques soudaines
et limitées, techniques de combat redoutables) et habituées à des formes de guerre
saisonnières8.
Nous laisserons en général de côté ces aspects techniques de la guerre pour nous
intéresser à deux domaines complémentaires : en premier lieu, les conditions
qui présidaient à la circulation de ces savoirs et de ceux qui les introduisaient en
Numidie ; ensuite, les nouvelles réalités sociales et culturelles qui gravitaient, en
quelque sorte, autour de la guerre, qui l’accompagnaient et qui en étaient aussi
5 Coarelli & Thébert, 1988, 764 ; Rakob 1979. Cependant, Alexandropoulos 2000,
Michèle Coltelloni-Trannoy
9 Liv. 23.5.11-13 (trad. P. Jal, Belles Lettres, 2001) : Poenus hostis (…) ab ultimis terrarum
oris, freto Oceani Herculisque columnis, expertem omnis iuris et condicionis et linguae prope
humanae militem trahit. Hunc natura et moribus immitem ferumque insuper dux ipse
efferauit, pontibus ac molibus ex humanorum corporum strue faciendis et, quod proloqui
etiam piget, uesci corporibus humanis docendo. “Le Carthaginois (…) du fin fond des
terres, du détroit de l’Océan et des colonnes d’Hercule, traîne ici un soldat qui ignore
tout droit, toute relation et presque toute langue propre à des hommes. Ce soldat que sa
nature et ses mœurs ont rendu cruel et sauvage, son chef lui-même l’a encore ensauvagé
en lui faisant faire des ponts et des chaussées avec des monceaux de corps humains et
en lui apprenant, il m’en coûte de le dire, à s’alimenter avec de la chair humaine”. La
réputation de cruauté d’Hannibal était un topos (App., Lib., 28.121 ; Sil. Ital. 8.668 sq ;
Flor. 1.22 ; Val. Max. 9.2), dont il est légitime de penser qu’elle reposait sur une certaine
réalité ; toutefois, l’exagération est tout aussi certaine. Polybe (9.24.5-6), par exemple,
précise, concernant le cannibalisme, qu’il s’agissait d’un conseil donné à Hannibal par
un certain Monomachos, dans le cas d’une pénurie de vivres.
310
nouveaux (pratiques militaires et conventions diplomatiques) et exigé de ces acteurs
un certain nombre d’emprunts aux normes de la sociabilité méditerranéenne.
Trois éléments ont attiré plus particulièrement notre attention, qui ont finalement
constitué la trame de notre recherche : aux confins du monde où Varron cantonnait
les Numides, la réalité des guerres oppose la mobilité remarquable des princes et des
soldats numides au sein d’un espace très élargi, qui les amenait bien au-delà de leur
espace naturel, celui de l’Afrique ; l’absence supposée de langage est battue en brèche
par l’aisance remarquable qui semble avoir marqué les échanges oraux ou écrits dans
un contexte de multilinguisme avéré ; enfin, la diffusion, attestée au moins dans le
cercle des élites numides, de certaines pratiques sociales du monde hellénistique
contredit le discours stigmatisant l’ignorance des règles de vie.
10 Camps 1961, 16-50 propose un panorama des peuples et des cités connus avant la
deuxième guerre punique ; Fariselli 2002, 17-30.
11 La mieux documentée est celle que l’on a appelé “la guerre des mercenaires” ou “la
guerre des Libyens” qui eut lieu à la fin de la Première guerre punique (241-238/7) :
il s’agirait de la première tentative des peuples libyques soumis à Carthage et enrôlés
dans son armée, ainsi que des contingents numides, appuyés sur les mercenaires gaulois
et espagnols qui avaient aussi composé l’armée punique, pour échapper à la sujétion
carthaginoise et exister en tant qu’entité autonome, sur un modèle politique sans doute
inspiré du monde hellénistique : Lancel 1992, 390 ; Loreto 1995 ; Fariselli 2002,
Michèle Coltelloni-Trannoy
13 Liv. 21.2.5 : Is plura consilio quam ui gerens hospitiis magis regulorum conciliandisque per
amicitiam principum nouis gentibus quam bello aut armis rem Carthaginiensem auxit.
14 Pol. 1.77.
15 Oezalcès : Liv. 29.29.12 ; Sophonisbe : Gsell 1913-1928, t. III, 197-198 (avec les
références).
16 App., Lib., 10.37 et 37.155-156.
17 App., Lib., 37.156.
18 App., Lib., 14.60.
312
il devint l’un des principaux généraux, en 14619. Carthage échoua pourtant à former
un vaste ensemble punico-numide, à l’image de la fédération romano-italienne que
les Romains avaient réussi à créer et à maintenir en Italie : dès le iiie s., les Numides –
aussi bien Massyles que Masaesyles – tentèrent d’échapper à l’emprise carthaginoise
en se tournant de manière plus ou moins pérenne vers des alliances avec Rome
ou, très exceptionnellement, avec les Grecs20. Étant donné le poids démographique
et économique du monde africain, on comprend que ce dernier soit devenu un
enjeu militaire et diplomatique majeur : la place qu’y occupaient les Numides était
à même de faciliter leurs interventions dans les alliances et les conflits de leur temps.
Les différentes guerres qui jalonnèrent la formation des États numides ont entraîné
une mobilité accrue des princes et de leurs armées. Le nombre et la longueur de leurs
déplacements constituent assurément l’un des éléments les plus significatifs de la
période et un facteur décisif ayant accéléré les mutations de la société africaine. Les
rois, les jeunes princes et leurs armées, qui n’hésitaient pas à traverser la mer, étaient
d’infatigables voyageurs et les distances ne les effrayaient pas. En 213, Syphax, roi
des Masaesyles, alors bouté hors de son royaume par Gaia, le père de Massinissa,
et ses alliés puniques, se réfugie dans le royaume des Maures avant de passer les
Colonnes d’Hercule et de rejoindre les Scipions en Espagne, à la tête d’une grande
armée composée de Numides et de Maures21. À même époque, le jeune Massinissa
est lui aussi en Espagne où il combat les Scipions pour le compte des Carthaginois
(jusqu’en 206) ; mais Tite-Live le montre à nouveau présent à Carthage, en 210,
réunissant un corps de cinq mille Numides qu’il a pour mission d’amener en Espagne,
auprès d’Hasdrubal, avec des mercenaires que Carthage enrôlait alors dans toute
l’Afrique22. Si la présence de détroits bien commodes permettait de passer aisément
en Espagne ou en Sicile puis en Italie, les Numides se lançaient aussi dans des trajets
bien plus longs et périlleux : en cela, ils prouvaient qu’ils étaient aussi bon marins
que bons cavaliers ou bons fantassins. Nous en avons un exemple avec les conditions
dans lesquelles s’effectua probablement le retour d’Espagne de Massinissa et de ses
troupes, en 206, après la défaite carthaginoise de Baecula (208)23. À cette date,
Syphax était lui-même repassé en Afrique où il avait non seulement recouvré son
royaume, mais accaparé celui de son jeune rival24 : ce dernier dut, par conséquent,
se plier à un long voyage maritime, depuis l’Espagne jusqu’à un port punique (in
Michèle Coltelloni-Trannoy
19 Il est accusé de trahison et exécuté peu avant le siège : Liv., Per., 50.10 ; Oros. 4.22.8 ;
App., Lib., 92.439 et 111.526-527. L’autorité dont il jouissait à Carthage rappelle la
situation de l’élite libyphénicienne, qui jouissait d’“una sorta di qualifica funzionariale
e elitaria” (Fariselli 2002, 66).
20 Le seul cas connu est le rapprochement de Massinissa avec le roi de Cyrène : cf. infra.
21 Liv. 24.49.6.
22 Liv. 25.34 ; 27.5.11.
23 Liv. 28.16.11.
24 Gsell 1913-1928, t. III, 192-196.
313
Africam), Carthage peut-être, ce qui supposait une bonne connaissance des vents et
des techniques maritimes. Peut-être fut-il aidé par des pilotes carthaginois, mais il
n’est pas exclu que le roi numide ait possédé sa propre flotte25. Il ne resta d’ailleurs
pas longtemps en Africa puisque, la même année, il retournait en Espagne où il
débutait des négociations avec Scipion26 : à cette occasion, Scipion lui rendit un
jeune otage capturé deux ans plus tôt, un neveu du nom de Massiua27. On voit par
cet incident que les jeunes princes numides, comme ceux des autres aristocraties
méditerranéennes, accompagnaient les membres plus âgés de leur famille, chargés
de les initier au commandement et aux pratiques de guerre.
36 Le seul roi africain à sortir de son royaume est le Maure Bogud qui rejoint Marc
Antoine en Orient dès 43 : Cic., Fam., 10.30.3 ; Plut., Ant., 61.2 ; D.C. 48.45.3.
Notons cependant que les Romains ne s’interdisaient pas de recruter des Numides en
cas de nécessité, comme pendant la guerre sociale : App., BC, 1.42.
37 Caes., BAfr. 36.1.
38 Caes., BAfr. 43.
39 Caes., BAfr. 13.1, 18.1, 19.3-4, 61.2.
40 Caes., BAfr. 6.1, 8.5, 25.3, 43.
41 Gulussa : Liv. 42.23.1 ; Masgaba : Liv. 45.13.12-14 ; Misagenes : Liv. 45.14.8-9.
42 Sall., Jug., 13-15.
315
un fils de Gulussa, donc cousin d’Adherbal, se réfugie lui aussi à Rome pour avoir
pris parti contre Jugurtha après la prise de Cirta et l’assassinat d’Adherbal et des
résidents italiens ; il y est assassiné par un certain Bomilcar, homme de confiance du
roi numide qui, cette fois, avait fait lui aussi le déplacement43. Le dernier “réfugié
politique” connu est Masintha, entré en conflit avec le roi Hiempsal II et dont on
ignore la durée du séjour auprès de César, d’abord à Rome puis en Espagne44.
Une autre pratique largement attestée dans le monde antique, celle des otages,
est à l’origine du transfert de nombreux Numides en Italie. Cet usage diffère très
profondément des prises d’otages contemporaines qui sont des attentats ayant pour
objectif d’arracher au camp adverse des concessions de nature diverse ou une rançon.
Au contraire, ce qui était non pas une “prise”, mais une “remise” d’otages dans
l’Antiquité accompagnait normalement les clauses d’une alliance : l’otage ou plutôt
les otages (puisqu’ils formaient un groupe, en général) constituaient la garantie du
respect des négociations. Choisis souvent parmi les jeunes garçons (parfois aussi les
filles) issus des bonnes familles de la communauté vaincue ou alliée, ils vivaient dans
le pays étranger pendant des années, la durée de leur séjour dépendant des clauses du
traité, en particulier du versement des indemnités de guerre. Ils étaient en principe
bien traités même si leur destin suscitait de la pitié et demeurait précaire45. Ainsi
la pratique des otages intégra-t-elle les chefs numides aux usages internationaux
du temps que Rome avait adoptés dès la fin du iiie s. : eux-mêmes et leurs familles
étaient considérées au même titre que les membres des aristocraties grecques et
puniques, leurs enfants servant de caution vivante.
La première fois que cet usage est attesté à Rome remonte à la deuxième guerre
49 D.C. 26.89.1.
50 App., BC, 1.42.
51 Le récit livien est proche de celui de Polybe, la seule différence concernant la présence
de Syphax au triomphe de Scipion, affirmée par l’écrivain grec (16.23.6), niée par
Tite-Live ; Oros., Adv. Pag., 4.18.21 présente Syphax enchaîné (catenis uinctum),
emmené à Rome avec de nombreux autres prisonniers (plurimis captiuis), mais ne dit
rien du lieu de sa mort.
52 Liv. 30.12.1-4 (récit de leur capture) ; 30.17.1 (leur arrivée à Rome, captifs : Laelius
cum Syphace primoribusque Numidarum captiuis Romam uenit)
53 Liv. 30.13.1-8.
54 Liv. 30.17.2 (Consulti inde patres regem in custodiam Albam mittendum censuerunt) et
Michèle Coltelloni-Trannoy
45.4 (Tiburi haud multo ante mortuus, quo ab Alba traductus fuerat). Polybe (16.23.6)
n’indique pas la ville où le roi mourut, affirmant simplement que ce fut “en prison”,
їƬ Ʋӹ ƴƳƪƠƩӹ P. Goukowski 2002, cf. Introduction, p. LXIII, n. 326, considère
que Tite-Live a volontairement gommé tous les éléments susceptibles de suggérer la
sympathie des Romains à l’égard de Syphax et une politique plus subtile à son égard et
à l’égard de son fils, alors tentée par eux : notamment l’idée de fractionner le royaume
numide en deux entités au lieu de la confier à un seul roi puissant. Peut-être Tite-Live
a-t-il cherché à faire oublier la “bourde diplomatique” qui avait consisté à reconnaître la
royauté de Vermina, le fils de Syphax (Liv. 31.19.5-6), et à lui rendre les otages numides
(Zonar. 9.13, éd. Loeb, p. 256) : au lieu de jouer la carte de l’alliance avec Rome,
Vermina s’était au contraire empressé de rejoindre les Carthaginois, en leur offrant un
appui inespéré (App., Lib., 33.141).
317
se réduire au maintien dans un cachot (le carcer) . L’assignation à résidence serait
55
ici plus vraisemblable, d’autant que toujours selon Tite-Live (suivi sur ce point par
Zonaras56), Syphax aurait bénéficié de funérailles publiques, ce qui est totalement
incompatible avec des conditions rigoureuses de détention.
Les autres récits, qui suivent sans doute une source commune, attribuent à Scipion
une attitude favorable au roi, dès sa capture en Afrique. Appien57 et Diodore58
insistent sur la position que Syphax occupa auprès de Scipion à Utique : celle d’un
véritable conseiller dont les avis étaient écoutés et même recherchés selon Appien,
tandis que Diodore le dit souvent invité à la table de Scipion et vivant dans “une
prison libre” (їƬїƪƤƳƧƤƯӫƴƳƪƠƩӹ . De son côté, Dion Cassius (et son abréviateur
Zonaras) décrit par quels gestes le général romain accueillit le roi numide ; “il se
leva de sa chaise, le dénoua de ses liens puis l’embrassa et le traita avec un grand
respect”59. La séquence des gestes évoque très clairement l’entrée d’un suppliant
dans la fides d’un puissant60, telle que les conduites corporelles l’avaient ritualisée
à Rome : la prosternation est ici remplacée par la posture de totale infériorité du
captif, enchaîné (et peut-être jeté à terre) ; le fait que le puissant se lève est un
mouvement de respect et d’accueil de la part d’un protecteur ; le geste de dénouer
les liens correspond à celui de relever le suppliant agenouillé ; le baiser est commun
aux deux situations, la proximité des corps s’opposant à l’exclusion que suppose
l’état de prisonnier (ou de suppliant) ; le respect enfin suggère que les liens sociaux
ont été restaurés, retissés dans le cadre d’une fides dont on connaît bien les principes
(engagement mutuel et réciprocité des services)61. Zonaras rejoint ensuite en grande
partie le récit livien en précisant qu’une fois arrivé à Rome, le roi fut transféré à Albe
par décision du sénat qui, à sa mort, lui aurait décerné les honneurs publics.
62 D’après le récit de Zonaras (9.13) et celui d’Appien (Lib. 26.108), l’un des fils de
Syphax (Vermina selon Zonaras) et les princes numides alliés du roi furent capturés en
même temps que lui et emmenés à Rome.
63 Braund 1984, 9-17 ; Allen, 2006, en particulier chap. 3.
64 Sall., Cat., 47.3. Sur les diverses mesures de sûreté en vigueur à Rome, voir Rivière
2004, 151.
65 Allen 2006, chap. 3 et 6.
66 Sall., Jug., 6-7.
319
générale) et l’avait engagé pleinement dans la clientèle d’une famille puissante67.
C’est pourvu de ces compétences complètes qu’il revint en Numidie avec l’étoffe
d’un futur roi : Scipion le renvoya en conseillant à son père de le choisir pour
successeur, mais c’est sûrement aussi dans cet objectif que Micipsa l’avait confié
aux Scipions68. Il était désormais rompu aux usages et aux manières de pensée des
Romains et donc bien armé pour faire face à la situation complexe de la Numidie :
un royaume indépendant, mais engagé dans l’orbite romaine. Des années plus tard,
le jeune Masintha passa lui aussi un long temps, dont Suétone69 ne précise pas
la durée, à Rome et en Espagne, intégré par César dans sa clientèle italienne et
provinciale.
67 Sall., Jug., 8.
68 Sall., Jug., 9 ; Allen 2006, 147-148.
69 Suet., Caes., 71.
70 En 206, notamment, Syphax accueillait à Siga, qui était, sa regia, Scipion et Hasdrubal
venus courtiser son alliance et se retrouvant de manière inopinée tous deux invités à sa
table (Liv. 28.17-18). On observe ainsi que, six ans après le fameux discours de Varron,
le chef romain se déplaçait en personne pour se rendre dans une cité que l’on ne situait
plus dans des confins inaccessibles.
71 Les pratiques de guerre n’étaient pas fondamentalement différentes d’une armée à
l’autre : les armées puniques étaient des armées hellénistiques, celle de Rome aussi,
ce qui n’excluait pas des particularités locales déterminantes. On connaît notamment
l’efficacité décisive de l’armement des Romains et de leur tactique qu’Hannibal sut
adapter à son armée. C’est à cette originalité technique que les Romains ont dû leur
supériorité quasi permanente sur les Grecs dont l’art militaire s’était “fossilisé” : Préaux,
1978, I, 320 ; Garland 1984, 353-362 ; Baker 2004, 477-494 ; Brizzi 2004, 87, 92,
96-97, 109-112.
320
l’entraînement des soldats sont très rares dans nos sources, mais l’évolution qui
marque les armées numides entre le iiie et le ier s. suppose bien l’activité d’entraîneurs
venus d’outre-mer. Il n’est, en effet, pas concevable que les rois aient été les seules
personnes à maîtriser les principes de la guerre grecque et romaine ni les seuls à les
enseigner à certaines de leurs unités de combat : il leur fallait bien être secondés par
des spécialistes. Fr. Bertrandy a fait observer à juste titre que, si Mastanabal avait pu
remporter les Panathénées, c’est qu’il avait bénéficié des conseils d’un instructeur
grec72. Il n’est pas exclu que cet homme ou d’autres avec lui aient rempli les mêmes
fonctions en faveur des cavaliers numides, l’art équestre se prêtant fort bien à des
applications ludiques ou militaires. Lorsque Syphax fait instruire ses troupes à la
guerre romaine au moment où il se rapproche des Romains, en 213, il a recours aux
services d’un centurion romain, Statorius, qui assure le recrutement de fantassins
et l’encadrement de l’instruction73. Très au fait de l’armement et des tactiques
romaines, en raison des années passées dans l’état-major de Scipion, Jugurtha se
fait l’entraîneur de ses propres troupes, à moins qu’il n’ait supervisé l’entraînement
de spécialistes italiens, ce qui est plus probable. On leur apprend ainsi à rompre
les rangs face à un adversaire, une tactique qui n’allait pas de soi74. On le voit à
nouveau dans ce rôle d’instructeur quand il part recruter des troupes fraîches parmi
les Gétules et transforme leur multitude informe en unités disciplinées75. Au ier s.
a.C., l’Italien P. Sittius est bien plus qu’un simple entraîneur puisqu’il sert comme
général sous Bocchus II en 46 et recrute sa propre armée ; il est mieux connu que
les autres Italiens demeurés le plus souvent dans l’anonymat, en raison de l’aide
décisive apportée à César et du fief que le dictateur lui concéda autour de Cirta, en
remerciement de ses services76.
72 Bertrandy 1985, 494 ; Mastanabal, vainqueur des Panathénées : IG, II2, 968, l. 42-43.
73 Liv. 24.48.9-12.
74 Le Bohec, art. à paraître, le souligne à propos de l’armée de Juba I, qui la pratiquait avec
succès.
75 Sall., Jug., 50 et 80.
76 D.C. 43.3.2 ; Bertrandy 1994, 1964-1977.
77 Les langues utilisées dans les armées hellénistiques n’ont, à ce jour, donné lieu qu’à
quelques articles : Borza 1977 ; Rochette 1995 et 1997 ; cet auteur annonce une étude
sur Le bilinguisme dans les armées d’Hannibal.
321
notamment une large place à la question du bilinguisme . En fait, si ce champ de
78
recherches est encore peu fréquenté, c’est tout simplement parce que nos sources
littéraires abordent rarement le sujet, comme si la question des communications, un
fait essentiel en temps de guerre, allait de soi.
Le paysage linguistique de l’Afrique à la période républicaine est connu par un
certain nombre de documents épigraphiques et numismatiques auxquels s’ajoutent
les sources de la période impériale sur lesquelles nous pouvons aussi nous appuyer.
Les parlers libyques constituaient le substrat linguistique des différents peuples
africains79, auxquels il convient d’ajouter le punique. Les princes numides le
maîtrisaient bien, en raison de leur parenté avec les élites carthaginoises ou de
séjours passés à Carthage ; les rois en privilégiaient l’usage sur leurs monnaies80 et sur
leurs documents officiels (épigraphiques)81. Il est sans doute légitime de penser que,
dès le début du iiie s., le punique était déjà une langue diffusée en Numidie, connue
notamment des petits rois qu’Hamilcar convoquait régulièrement à Carthage. De
même, les “Libyphéniciens” des cités côtières de Numidie, en raison de leur origine
et de leur culture mixte82, possédaient un très bon niveau de bilinguisme.
Il est plus ardu d’évaluer le niveau de bilinguisme général libyque-punique qui
devait connaître de grandes variations d’une région à l’autre en fonction de la
proximité avec un centre punique, mais aussi en fonction des réalités familiales et
individuelles. En raison des nombreux comptoirs puniques qui jalonnaient le littoral
numide et maure, les Africains de ces régions devaient être familiarisés avec la langue
de Carthage, mais jusqu’à quel point ? Les réalités linguistiques mieux connues pour
la période romaine attestent que le punique était la langue vernaculaire de l’ancienne
pertica carthaginoise et des régions qui lui étaient proches83 et qu’ailleurs le libyque
Plus délicate est la question des langues étrangères au sol africain, avant tout le grec
et le latin, même si d’autres langues étaient représentées dans les armées puniques et,
à partir de Jugurtha, dans les armées numides, en raison du recours à des mercenaires
occidentaux (gaulois et ibériques) ou grecs84. Lorsque Plaute veut camper les traits
d’un Punique, c’est à son aptitude à parler de nombreuses langues qu’il se réfère, une
caractéristique d’ailleurs peu valorisante puisque les deux seules langues de culture
admises à Rome étaient le latin et le grec : les autres étaient des parlers barbares
qu’il valait mieux ignorer85. Rappelons que la mosaïque linguistique n’était pas une
réalité propre aux seules armées numides, puisque le caractère composite des armées
du temps faisait nécessairement de celles-ci des mosaïques de langues et de cultures :
cette réalité autorisait sans doute l’émergence de parlers mixtes qui évoluaient et
disparaissaient au gré des recrutements ; elle nécessitait aussi, bien sûr, le recours à
des interprètes. Or, le bilinguisme n’est jamais mentionné de manière explicite dans
nos sources et le rôle des interprètes n’est cité qu’en de rares occurrences. Lorsque
Polybe, Tite-Live et Salluste évoquent la présence d’interprètes, ils le font toujours
de manière incidente et dans deux contextes précis : soit quand ces hommes
transmettent les ordres d’un général (en l’occurrence Hannibal) à la troupe, soit
quand ils assistent aux entrevues de généraux ennemis. Les chefs puniques étaient
dans l’incapacité de s’adresser directement à leurs soldats étrangers, de sorte qu’ils
étaient contraints de passer par des intermédiaires dont la traduction n’était pas
toujours fidèle, en raison d’une faible compétence linguistique ou bien encore par
malveillance : l’improvisation régnait en la matière, donnant le résultat désastreux
que l’on sait lorsque Hannon tenta d’apaiser la colère des alliés numides et des
84 Les Puniques évoluaient depuis longtemps dans un contexte multilingue : leurs armées
comportaient des mercenaires depuis au moins le ive s. et Polybe fait allusion aux
multiples langues de l’armée carthaginoise (15.12.9). L’ouvrage de Fariselli 2002, fait le
Michèle Coltelloni-Trannoy
point sur les différentes composantes de l’armée punique, ethnie par ethnie (Africains,
Ibères, Celtes, Italiques, le groupe tyrrhénien – Sardes, Corses, Étrusques – et les Grecs),
mais sans aborder la question des contacts linguistiques. Jugurtha avait, dans son armée,
des transfuges ligures, thraces, mais aussi italiens (Jug., 38.6 et 56.2) ; l’escorte de Juba
I comprenait des Gaulois et des Espagnols (Caes., BC, 2.40.1).
85 Pl., Poen., 112 ; sur ce passage, voir Sznycer 1967 ; Hannibal parlait lui-même plusieurs
langues : Zonar. 8.24 (Dion Cassius, éd. Loeb, p. 100). L’une des manifestations du
barbare est son ignorance des langues de culture et d’humanité, que sont le grec et le
latin : Dauge 1981, 648-653 ; sur l’indifférence des Grecs et des Latins à l’égard des
langues étrangères, voir notamment : Lejeune 1940-1948 ; Werner 1983 ; Rochette
1993, 1995, 1997.
323
mercenaires de l’armée punique, en 241 . Les généraux puniques avaient deux
86
possibilités à leur disposition : soit recourir à des interprètes qui traduisaient leurs
paroles aux soldats, soit passer par l’intermédiaire des chefs mercenaires avec lesquels
ils devaient sans doute communiquer en grec, qui était la langue internationale
du moment ; mais sa connaissance était parfois approximative, comme semblent
l’indiquer les malentendus de 241. On ignore si les Numides ont repris le système
de communication punique, faisant appel à des soldats bilingues en cas de nécessité,
ou bien s’ils ont imité le système romain, plus cohérent que celui des Puniques et
plus performant, puisqu’un corps d’interprètes est attesté au moins dès le iie s. a.C. :
le consul les recrutait sur place parmi des individus connaissant à la fois le latin et la
langue locale, et les payait sur le Trésor public87.
Si les chefs numides ne sont jamais mis en scène dans les quelques passages relatifs
aux traducteurs, l’un d’eux concerne un roi voisin, le Maure Bocchus (I), lors des
pourparlers secrets qu’il eut avec Scipion, en 205, pour mettre au point les conditions
dans lesquelles il devait livrer Jugurtha88 : l’un et l’autre personnages sont accompagnés
d’interprètes “sûrs” (fidi interpretes), ayant pour mission non seulement de traduire
les paroles du chef adverse, mais aussi de contrôler la traduction proposée par son
homologue ; de fait, Sylla ne parlait ni ne comprenait le libyque et la connaissance
du latin, de la part de Bocchus, était sans doute limitée. Cependant, les interprètes
sont requis même lorsque les protagonistes auraient fort bien pu se passer d’eux,
comme lors de l’entrevue qui eut lieu peu avant la bataille de Zama, entre les deux
généraux ennemis, Scipion et Hannibal89 : si l’on peut légitimement douter que le
Romain ait eu la moindre notion de punique, Hannibal possédait au contraire très
bien le latin90 et tous deux parlaient couramment le grec. Mais il est naturel que l’un
86 Polybe (1.67.7) insiste sur les difficultés graves de communication dans l’armée
punique ; Tite-Live (30.33.8) énumère l’extraordinaire variété d’origine, de mœurs et
de langues que l’on pouvait y observer. Un autre passage de Polybe (3.44.5) montre
Hannibal confiant à un traducteur le soin d’expliquer la situation à ses mercenaires.
Ces problèmes de communication étaient résolus au cas par cas, en choisissant
pour interprètes des soldats ayant des compétences linguistiques variées, mais pas
nécessairement optimales : Rochette, 1997, 314 sq.
87 Mommsen 1892, 422.
88 Sall., Jug., 109.4.
89 Polybe (15.6.3) mentionne un unique traducteur, tandis que Tite-Live (30.30.1)
précise que chacun des deux généraux était accompagné de son traducteur, ce qui est
plus vraisemblable (comme pour le cas de Sylla et de Bocchus).
90 Zonar. 8.24 (éd. Loeb, p. 100).
91 Achard 2006, 162.
324
pourparlers, en 202, indique bien qu’Hannibal avait fait état de la même exigence :
la langue était un enjeu de pouvoir que chacun des deux camps revendiquait dans
les mêmes termes.
Le bagage linguistique des princes numides était sans doute assez complet, si l’on
songe qu’ils étaient en relation fréquente avec les élites puniques et qu’à leur contact,
ils ont pu bénéficier d’un enseignement du grec et du latin, à oral et à l’écrit. Le
grec était alors une langue internationale que les Puniques pratiquaient très bien92,
les Romains aussi, au moins à partir du iie s. D. Lengrand a mis en évidence le
plurilinguisme du Libyphénicien Muttinès, qui, après la défaite carthaginoise
de Zama, devint proxène de Delphes avant d’être promu citoyen romain et doté
d’une maison à Rome93. La question se pose moins encore pour les descendants de
Massinissa : son fils Micipsa puis son petit-fils Mastanabal avaient un goût prononcé
pour la culture grecque94 ; le fait que ce dernier ait eu la possibilité de participer aux
Panathénées nécessitait une excellente maîtrise de la langue et de la paideia grecques,
les seuls éléments communs au monde grec : ils étaient exigés de tout athlète qui
avait l’ambition de s’introduire dans le cercle des jeux helléniques. L’un de ses
descendants, le roi Hiempsal II, contemporain de Salluste, contribua à diffuser une
part du patrimoine littéraire punique en traduisant en grec les livres que Scipion
avait sauvés de l’incendie de Carthage et confiés aux rois numides95.
La diffusion du latin parmi les élites numides est encore mieux attestée, même si
le recours à des traducteurs n’est pas à exclure et si leur connaissance personnelle du
latin fut plus ou moins poussée selon les époques. En 213, trois centurions romains
sont envoyés auprès de Syphax pour conclure une alliance entre Rome et le roi
masaesyle96, et quelques années plus tard, en 206, Syphax, que Tite-Live décrit
par l’aisance de la conversation de Scipion, accueilli chez lui à Siga, en même temps
qu’Hasdrubal. Étant donné que les sources ne précisent pas quel était le niveau
de latin du roi, on est dans la plus grande incertitude sur les conditions qui ont
présidé à l’accueil des Romains : soit Syphax était en mesure de parler directement
avec eux en latin, soit il eut recours à un interprète. Au sujet de l’entrevue de 206,
on est d’emblée frappé par la contradiction interne au récit de Tite-Live, souvent
caractéristique du discours sur le barbare, celle qui met en scène un homme étranger
à la romanité et donc balbutiant le latin, tout en étant capable d’apprécier à sa juste
valeur le discours de son hôte. Les paroles de Scipion étaient-elles donc traduites par
un interprète ou bien Syphax n’avait-il réellement aucune difficulté pour tenir une
conversation de qualité en latin ? Ce qui importe à Tite-Live, en réalité, c’est moins
de décrire en détail les compétences réelles du roi que de lui supposer une capacité
à se comporter en Romain, de dresser le portrait d’un roi qui aurait pu devenir un
allié idéal, comme le fut Massinissa.
Des lettres ont été à plusieurs reprises échangées entre Syphax et Scipion, lors
du revirement du roi en faveur de Carthage, en 206-20598. Ces lettres suggèrent
que le roi numide savait lire et écrire le latin, à moins qu’il n’ait disposé de lecteurs
interprètes, mais aussi qu’il possédait tout le matériel nécessaire à l’écrit – rouleaux
de papyrus ou tablettes de bois recouvertes de cire, encre – ainsi que des scribes
travaillant sous sa dictée. Le récit de Dion Cassius fournit un autre détail intéressant
en précisant qu’un hérault accompagnait la lettre adressée par Syphax à Scipion : sa
présence indique que le message adressé aux Romains avait une composante orale. Le
fait rappelle une pratique largement diffusée à Rome, la recitatio99 : cet usage voulait
97 Liv. 28.18.12 : non Syphacem modo, barbarum insuetumque moribus Romanis, sed hostem
etiam infestissimum facunde adloquendo sibi conciliarit (“il [Scipion] gagna la sympathie
non seulement de Syphax, un barbare peu familier avec les mœurs romaines, mais aussi
de l’ennemi le plus acharné qui soit, grâce à l’aisance de sa conversation”, trad. P. Jal,
éd. Les Belles Lettres, 2001). Sur les autres sources relatant cet événement, voir infra,
n. 114.
98 Liv. 29.24.1-2 ; D.C. 17 = Zonar. 9.12.
99 Valette-Cagnac 1997, 30.
326
à des contradicteurs africains ou latins. Gulussa, le fils de Massinissa, est envoyé par
son père pour contrer les ambassadeurs carthaginois venus se plaindre des actes de
violence perpétrés par les Numides sur leur territoire100. Plus tard, le jeune fils de
Micipsa, Adherbal, dont on ignore s’il a bénéficié, comme son frère Jugurtha, d’un
séjour prolongé en Italie ou en Espagne, semble parler couramment le latin. Lorsqu’il
vient se réfugier à Rome après le meurtre de son frère Hiempsal, il expose au sénat
sa situation précaire et les menaces que Jugurtha fait peser sur lui dans un discours
que Salluste présente comme un bel exemple de rhétorique latine101. Certes, on sait
bien que ces pièces d’art étaient totalement réécrites par les historiens à partir des
archives sénatoriales ou bien inventées par eux en fonction de l’idée qu’ils se faisaient
de la situation et des acteurs. Il est toutefois très vraisemblable que le jeune prince ait
non seulement bien parlé le latin, mais qu’il ait bénéficié aussi d’un enseignement
de rhétorique : on connaît les liens personnels (de clientèle) qui unissaient sa famille
à celle des Scipions, depuis Massinissa, ainsi que la situation d’allégeance à Rome
qui était celle de la Numidie102. Micipsa dut tout naturellement consacrer une part
essentielle au latin tout autant qu’au grec dans l’éducation de ses fils : les deux langues
leur étaient nécessaires en ce que l’une et l’autre étaient désormais des langues de
culture et de pouvoir. En outre, leur connaissance s’accompagnait de celle, tout aussi
essentielle, des normes admises de l’éloquence : un homme politique accompli était
un bon orateur, la parole étant le support de l’action103. Une génération plus tard, en
63, on retrouve à son tour à Rome le jeune Juba mandaté par son père Hiempsal II
pour exiger le retour d’un jeune noble numide, Masintha, réfugié à Rome et protégé
par César. Suétone évoque l’altercation qui surgit alors entre Juba et César, ce dernier
n’hésitant pas à tirer la barbe du Numide. L’incident devait laisser des traces durables
puisque le césarien Curion proposa en 50 l’annexion du royaume de Juba et que ce
dernier se rangea aux côtés des Pompéiens dès 49104.
Beaucoup moins assurées étaient sans doute les compétences linguistiques des
guerriers numides. Les témoignages sur le sujet sont rares et laissent entrevoir –
on s’en doutait – une situation à la fois contrastée et évolutive. La présence d’une
“colonie” grecque (selon la formule de Strabon) à Cirta105 et de Grecs au sanctuaire
d’El Hofra près de Cirta témoigne que la Numidie s’était ouverte au monde
grec, à partir du iie s.. Les études épigraphiques menées sur le matériel des stèles
du sanctuaire ont montré que la petite communauté grecque des fidèles de Baal
Michèle Coltelloni-Trannoy
Scipion à conclure une alliance, même si elle fut éphémère, avec le roi masaesyle :
114 Liv. 28.18 : Illud magno opere tendente rege, ne alter hospitum exclusa mensa uideretur, ut
in animum induceret ad easdem uenire epulas, haud abnuit, cenatumque simul apud regem
est. Eodem etiam lecto Scipio atque Hasdrubal quia ita cordi erat regi, accubuerunt (“Le
roi faisant tous ses efforts (aucun de ses deux hôtes ne devait être exclu de sa table) pour
l’amener à accepter l’idée de venir à un même repas, il [Scipion] ne refusa pas et il y eut
un dîner commun chez le roi ; mieux, Scipion et Hasdrubal prirent place, puisque le roi
y tenait, sur le même lit”) ; App., Iber., 30.119 qui mentionne aussi le repas, s’appuie
sans doute sur Polybe dont le texte contant l’anecdote est perdu : il ne subsiste qu’un
fragment évoquant la conversation brillante de Scipion (Pol. 11.24.4).
115 Dupont 1996 ; Corbier 1996.
116 Le récit de Tite-Live escamote la présence de Laelius qui accompagnait Scipion, pour
focaliser l’attention sur les trois personnages principaux.
117 Dupont, 1999, 81 sq.
330
homologue. Elle répondait aussi aux deux objectifs diplomatiques du roi : mettre
fin à l’inimitié entre Carthage et Rome et, plus encore sans doute, jouer dans cet
événement un rôle majeur en monnayant son soutien. Syphax faisait ainsi du repas
l’outil de l’alliance à venir ; sa place donnait à voir son autorité personnelle, ou du
moins celle qu’il ambitionnait face aux “deux grands” du moment.
La question des places n’est pas la seule chose qui importe dans un repas : les
plats servis sont autant de signes d’une culture de l’alimentation qui présente
des variations très sensibles d’une société à l’autre. Tite-Live fait silence sur ce
point, ce qui laisse présumer que les préparations et la manière de les servir ne
se distinguaient pas de ce que l’on s’attendait à trouver sur une table grecque ou
romaine. Concernant la nature et la qualité des mets, le fait que l’Afrique présente
une large façade méditerranéenne autorisait la culture des mêmes plantes qu’en
Italie, en Espagne ou en Grèce118, ce qui facilitait l’adoption de la cuisine gréco-
romaine. Encore fallait-il disposer de cuisiniers et d’échansons expérimentés, ainsi
que de maîtres d’hôtel capables d’assurer le service et la décoration des tables, et ce
de manière inopinée, preuve que les normes de la commensalité romaine étaient
courantes à Siga et que tout le personnel était “rôdé” à les mettre en oeuvre. En ce
domaine, comme dans celui des pratiques guerrières, les récits incitent à imaginer la
présence de spécialistes venus d’Italie, à la demande même du roi, pour introduire
à sa cour des pratiques alimentaires nouvelles et prestigieuses119. Ajoutons aussi que
la commensalité punique devait se rapprocher des normes grecques du banquet120
et de la cena romaine, ces deux derniers présentant d’ailleurs des points communs ;
que d’autre part, la fréquentation des Romains en Espagne avait initié directement
le roi aux pratiques romaines ; et qu’enfin, les marchands italiens et grecs séjournant
dans les grands centres numides dès cette époque, et peut-être à l’époque antérieure,
devaient assurément fréquenter la table royale et y être de bon conseil. Autant de
raisons expliquant la bonne tenue du roi Syphax à table.
Ces observations s’appliquent aussi à deux autres repas mémorables qui attestent
à leur tour la forte implication des faits de sociabilité dans des contextes de guerre.
Le premier repas, connu par les Mémoires de Ptolémée VIII Evergète II, alors roi de
Cyrène, relate l’accueil fastueux dont il fut l’objet à la cour de Massinissa dans les
années 160/155121. Ces années sont assurément dominées par la paix entre Rome
et Carthage depuis le traité de Zama signé en 202. Mais sur place, la situation
restait très tendue en raison de la politique agressive menée par Massinissa contre
Michèle Coltelloni-Trannoy
118 La fertilité de la Numidie est attestée dès l’époque royale : cf. supra, n. 2.
119 Sur l’organisation des repas et le type de plats attendus : Dupont, 1999, 66-80.
120 Schmitt-Pantel 1992 ; Schmitt-Pantel & Bruit-Zaidman 1986 ; Schmitt-Pantel 1996 ;
la découverte à Carthage de coupes eubéennes ou d’imitation eubéenne, datées du
viiie s., prouve que les manières de table grecques étaient alors déjà connues et adoptées
par les Puniques : Desanges 1995 (=Desanges 1999, 174).
121 Le récit est connu par Athénée, Deipnosophiste 6.229d et 12.518f-519a ; Kotula 1983.
331
résultats notables à l’actif des Numides : l’acquisition des emporia situés dans la zone
d’influence punique eut lieu dans les années 165-162, suivie, en 152, de celle du
pagus Thuscae qui lui, était sous administration directe de Carthage122. La réception
de Ptolémée se plaçait donc dans un contexte de guerre ouverte entre Carthage et
la Numidie ; Massinissa cherchait à conforter sa position face à Carthage en jouant
sur deux plans : d’une part, son crédit auprès des Romains lui permettait d’agir
dans une quasi impunité, d’autre part, il tentait d’élargir et de conforter son assise
politique en nouant des contacts personnels avec les élites grecques123. Les bonnes
relations entretenues avec la Cyrénaïque avaient ainsi pour objectif évident de cerner
Carthage sur le plan géographique et de l’isoler sur le plan diplomatique, de manière
à ne lui laisser aucune échappatoire possible.
Les repas offerts au roi Ptolémée servirent assurément de tests ouvrant à Massinissa
l’accès de la cour de Cyrène et peut-être celle de l’Égypte. Il s’agit même d’une
véritable consécration pour la diplomatie du roi numide auprès de qui l’un des plus
fameux représentants de l’aristocratie grecque n’hésitait pas à se rendre, en plein pays
barbare ! À la lecture du récit que rapporte Athénée, on sent bien que les sentiments
de Ptolémée oscillaient entre étonnement et admiration, tant l’expérience d’un
pareil faste et d’un pareil raffinement, à la cour numide, était inattendue pour
lui. Il y observe en particulier l’influence indéniable des usages de table italiens :
l’ordonnancement général des repas, comportant deux services (faisant suite aux
entrées), le décor des tables, la richesse de la vaisselle d’or et d’argent, conforme au
luxe qui, dès le iie s., avait gagné les tables romaines, par imitation du faste des cours
hellénistiques, tout portait la marque des conventions romaines les plus actuelles124.
Et si les musiciens étaient grecs, il convient de ne pas oublier qu’un repas réussi à
122 Lancel 1992, 280 et 430-431 ; sur la localisation des emporia : Rebuffat 1990.
123 Desanges 1989, 54-55.
124 Dupont 1996 ; Corbier 1996. Un autre passage d’Athénée (12.518f-519a), inspiré
sans doute aussi des Mémoires de Ptolémée, mentionne les nombreux petits-enfants de
Massinissa qui vivaient avec lui ; Desanges 1989, 54 en déduit qu’ils étaient également
présents aux repas officiels, ce qui, pour le coup, était une entorse aux règles romaines.
125 Liv. 30.17.4 (insignes consulaires) ; Liv. 31.11.7 (en 200, insignes triomphaux) ;
Syphax avait obtenu en 210 les insignes triomphaux et d’autres princes de son royaume
des toges prétextes : Liv. 27.4.5-10 ; Broughton 1952, I, 274.
332
L’autre repas, connu par les récits de la Guerre d’Afrique126 et de Florus127, et par
une allusion d’Appien128, se déroula dans un contexte bien plus dramatique puisqu’il
s’agit du festin offert par Juba I à Petreius au lendemain de la défaite pompéienne
de Thapsus, en 46, et s’achevant par leur suicide réciproque129. Le repas eut lieu
non pas dans la regia de Juba, comme Florus le prétend, mais dans une résidence de
campagne où ce dernier s’était réfugié avec le général romain, après que la ville de
Zama eut refusé de les laisser entrer. Le suicide de Juba et de Petreius s’inscrit dans
la série des suicides mutuels de soldats romains130, ayant la volonté de se soustraire
à la honte de la défaite et préférant une mort glorieuse, en combat singulier, à
une mort infâmante, en prison. Toutefois, la mort volontaire conçue comme un
acte d’héroïsme s’est ici enrichie de la présence du banquet, signe par excellence
de la commensalité noble et phase préparatoire au suicide. En effet, sans être au
sens strict du terme, un “banquet philosophique” (et d’ailleurs, Florus l’interprète
comme un “banquet funéraire”), le dernier repas du Numide et du Romain, assorti
d’un suicide, propose néanmoins un “programme” que l’on retrouve dans le cas
126 Caes., BAfr., 94 : Rex interim, ab omnibus ciuitatibus exclusus, desperata salute, cum iam
cenatus esset cum Petreio ut cum uirtute interfecti esse uiderentur, ferro inter se depugnant
atque firmior imbeciliorem Iubam Petreius facile ferro consumpsit (“Pendant ce temps, le
roi à qui toutes les cités fermaient leurs portes, décida avec Petreius qu’ils se battront à
l’épée pour se donner l’apparence d’une mort généreuse, et l’épée du robuste Petreius
vint aisément à bout du faible Juba” : trad. A. Bouvet, Belles Lettres, 1949). La tradition
manuscrite donne le texte Petreium Iuba, ce qui fait du roi l’acteur principal du suicide,
mais la plupart des éditeurs suivent la correction de Rubienus Iubam Petreius, en accord
avec la version de Tite-Live, Per., 114 et de Flor., 2.13.69 ; Mac Dermott 1969 la
rejette, considérant que Juba était bien plus jeune et plus fort que Petreius, mais que
Tite-Live (et ses successeurs) a voulu attribuer toute la gloire à un soldat romain.
127 Flor. 2.13.69 : Iuba cum se recepisset in regiam, magnifice epulatus est postero die cum
Petreio fugae comite superque mensas et pocula interficiendum se ei praebuit. Ille et regi
suffecit et sibi, cum interim semesi in medio cibi et parentalia fercula regio simul Romanoque
sanguine madebant. (“Juba se retira dans son palais ; il offrit, le lendemain de son arrivée,
un magnifique festin à Petreius, compagnon de sa fuite, et se fit tuer par lui, parmi
les tables et les coupes. Celui-ci satisfit à lui seul au devoir que le roi et lui-même
éprouvaient de mourir : au milieu des mets à moitié consommés, les tables du repas
funéraire furent arrosées à la fois du sang d’un roi et de celui d’un Romain” : trad. P. Jal,
Michèle Coltelloni-Trannoy
présente les deux mêmes phases (repas-suicide) que celle de Juba et de Petreius, si ce
n’est que l’ambiance philosophique du drame y est bien plus marquée. Le lien étroit
du banquet avec la mort nous paraît significatif, l’association des deux traduisant
la noblesse d’âme des acteurs. Le repas comme le suicide témoignaient du courage
qu’était celui du banqueteur devant la mort, mais aussi de sa liberté de pensée et
de son consentement libre à un destin tragique : la tradition romaine du suicide
avait trouvé une valorisation supplémentaire dans les idées stoïciennes du temps qui,
elles aussi, exaltaient le dépassement de soi. Ce comportement si romain rend bien
compte de la culture du roi Juba, qui, jusque dans la mort, était clairement hybride,
à la fois Numide et Romain.
Une autre pratique sociale strictement romaine se laisse observer au détour des récits
de guerre : il s’agit de conflits qui naissent à propos de places assises revendiquées par
certains personnages. On en connaît trois exemples133. Les deux premiers incidents
ont lieu pendant la guerre de Jugurtha, le troisième au cours de la guerre entre
pompéiens et césariens, très exactement lors d’une entrevue entre Juba I et ses deux
puissants alliés, Caton et Scipion. Les trois scènes font intervenir certaines postures
de respect qui avaient cours à Rome et qui relevait de la problématique de la proédrie.
Deux d’entre elles mettent en scène la concurrence entre deux personnages assis, à
propos de la place centrale, toujours laissée à Rome à celui qui détient l’autorité. À la
mort de leur père Micipsa, ses deux jeunes fils, Hiempsal et Adherbal, se réunissent
avec leur demi-frère Jugurtha, tous trois étant investis de la dignité royale de par la
volonté paternelle. C’est à cette occasion qu’éclate entre eux la première dissension
également lorsque les personnes étaient debout : on laissait cette place à celui que l’on
voulait honorer quand on marchait à côté de lui (Kroll 1932, 1-26 et le chapitre VIII
de son livre, paru en 1933 ; Moreau 2002, 185, n. 20).
138 D’autres valeurs peuvent être prises en compte, notamment l’excellence intellectuelle,
à partir de la fin de la République : Moreau 2002, 190-192 ; certains cas sont
exceptionnels : Sylla adopte plusieurs marques de respect à l’égard de Pompée, plus
jeune que lui et simple priuatus, reconnaissant ainsi ses qualités d’imperator (Val. Max.
8.3.4 ; Plut., Pomp., 8.3 ; Crass., 6.5 ; Sall., Hist., fr. 5.20 ; Serv., Aen., 1.107 et 3.206).
139 Le protocole vestimentaire est un autre indice de la diffusion du savoir-vivre romain
en Numidie : Jugurtha prend un vêtement de deuil pour se présenter devant le sénat
romain en suppliant (Sall., Jug., 33.1).
335
avaient intériorisé ces pratiques corporelles dès le ii s. au point d’y avoir recours
e
La guerre est une activité complexe qui met en scène des comportements
contradictoires, pourtant complémentaires : elle suppose, en effet, la transgression
des normes de la vie sociale, mais sans jamais s’en désengager complètement.
Les pratiques guerrières se combinent avec les pratiques civiles que supposent la
diplomatie et les relations entre les différents acteurs d’une armée. C’est ainsi que
les pratiques sociales ne sont pas aussi marginales qu’on serait amené à le croire
dans ces contextes de grande violence, et que les récits de guerre peuvent en être les
témoins précieux. La guerre est aussi un moment où les anciens repères s’effacent
ou du moins s’affaiblissent, laissant place à de nouvelles pratiques, d’où l’impression
d’une accélération des mutations en cours. La participation régulière des Numides
aux guerres méditerranéennes, entre le iiie et le ier s. a.C., a eu des conséquences
considérables : en témoignent la nouvelle géographie des déplacements qu’effectuent
les Numides et leurs alliés, mais aussi l’acquisition de nouveaux savoirs, tant
strictement militaires que de nature sociale. Autant de manières, pour les Numides,
de s’intégrer à l’univers méditerranéen dominé par les modèles gréco-romains, de
tenter de s’imposer dans la carte géopolitique alors en cours de réélaboration.
140 C’est sans doute ce qui explique l’erreur de Salluste, attribuant la compétition entre les
trois frères aux règles sociales numides (Sall., Jug., 11.3).
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