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Annales littéraires de l'Université

de Besançon

Rapports de servage en Thessalie antique avant la période


hellénistique. Question des "structures" de la Grèce esclavagiste
R. V. Schmidt, Jacqueline Gaudey

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Schmidt R. V., Gaudey Jacqueline. Rapports de servage en Thessalie antique avant la période hellénistique. Question des
"structures" de la Grèce esclavagiste. In: Esclavage et dépendance dans l'historiographie soviétique récente. Besançon :
Université de Franche-Comté, 1995. pp. 93-102. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 577);

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Rapports de servage en Thessalie antique
avant la période hellénistique
(Question des « structures » de la Grèce esclavagiste)* l

R. V. Schmidt

« Je suis heureux que nous puissions travailler d'un commun


accord, pour employer le style commercial, sur la question de
l'histoire du servage. Il est indubitable que le rapport de servage n'est
pas une forme médiévo-féodale spécifique et que nous le rencontrons
partout où des conquérants obligent d'anciens habitants à cultiver la
terre. Il en était ainsi, par exemple, en Thessalie, à une époque très
ancienne. Ce fait a obscurci mon point de vue et celui de bien d'autres
sur le servage médiéval. Il était séduisant d'argumenter en le
présentant comme une simple conquête : ainsi tout s'avérait-il extrêmement
aisé. Voyez Thierry, entre autres. Telle était exactement la situation
des chrétiens de Turquie à l'époque du semi-féodalisme en Turquie
ancienne. », écrit F. Engels dans sa fameuse lettre à K. Marx sur le
servage2 .
Athénée, qui parmi les auteurs antiques a rassemblé les plus
riches matériaux dans son ouvrage Le Banquet des sophistes,
mentionne entre autres la Thessalie : « Les Thessaliens disent que les
pénestes ne sont pas esclaves de naissance, mais ont été soumis par
les armes ; Archémachos signale dans son livre 3, Histoire d'Eubée,
que ceux des Béotiens établis dans la région d'Arné qui ne sont pas
partis en Béotie mais sont restés volontairement sur place se sont
livrés comme esclaves aux Thessaliens par un contrat qui interdisait
de les expulser de la région d'Arné et aussi de les tuer. En travaillant la
terre pour les Thessaliens, ils devaient leur payer une redevance.
Ainsi donc, ceux qui étaient restés volontairement et s'étaient livrés
en esclavage étaient à l'époque appelés ménestes, mais maintenant
ils s'appellent pénestes. Et beaucoup d'entre eux sont plus riches que
leurs maîtres. »3 La situation des pénestes est considérée comme
intermédiaire entre les libres et les esclaves. « Les hilotes de
Lacédémone, les pénestes de Thessalie, les clarotes et les mnoïtes de
Crète, les dorophores de Mariandyne, les gymnètes d'Argos et les

PIMK [Problèmes d'histoire de la culture matérielle}, Leningrad 1933


(3/4), p. 33-38.
Quelques notes de mise à jour : on trouve le point sur les développements
concernant les pénestes dans Y. Garlan, Les esclaves en Grèce ancienne,
textes à l'appui, Maspero 1982, p. 99-120 ; J. Ducat, Les pénestes de
Thessalie, 1994. NDT.
Marx et Engels, Lettres, sous la rév. d'Adoratski, éd. 4, 1931, p. 346.
J'utilise cette traduction, plus proche de l'original que la traduction de la
lettre du tome XXIV des Oeuvres choisies de Marx et Engels.
Ath., VI, 264 a,b.

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korinéphores de Sicyone occupent une position intermédiaire entre


les hommes libres et les esclaves. »4
Ces renseignements donnés par les auteurs antiques, ainsi que
d'autres présentés ci-dessous, soulèvent la question de la forme
spécifique d'exploitation du travail qui régnait dans plusieurs régions
de Grèce antique telles que Sparte, la Thessalie et la Crète. Avons-
nous ici affaire à un mode de production spécifique ou s'agit-il
seulement d'une variété du mode de production esclavagiste ?
La pierre angulaire de la doctrine de Marx sur l'évolution
historique de la société est la doctrine des organisations socio-
économiques. Dans le chaos apparent de l'évolution historique, Marx
a découvert les lois d'un processus naturel, a noté « une répétitivité et
une régularité » dans les phénomènes sociaux de divers pays et a
regroupé « les régimes de divers pays en une seule notion
fondamentale d'organisation sociale »5.
Le processus général de l'évolution historique inclut aussi la
société antique, en tant qu'organisation socio-économique en
développement fondée sur un mode de production esclavagiste, sur
une forme spécifique d'exploitation justement inhérente à ce mode de
production : l'exploitation de la force servile. Le mode de production
esclavagiste est la clé qui permet de comprendre la société antique :
sa base économique. Mais, comme dit Marx, « une seule et unique base
économique (seule et unique du point de vue des conditions
principales) peut, grâce à l'infinie diversité des conjonctures
empiriques, des conditions naturelles, des rapports raciaux, des
influences historiques extérieures et autres, se manifester par des
variations et gradations infinies que l'on ne peut comprendre qu'en
analysant ces conjonctures empiriques en question »6 . Le regroupe -
ment par Marx des régimes de divers pays en une seule notion
fondamentale d'organisation sociale « a donné la possibilité, dit
Lénine, de passer de la description (et de l'évaluation par rapport à
l'idéal) des phénomènes sociaux à leur analyse rigoureusement
scientifique, qui distingue, par exemple, "ce qui" différencie les pays
capitalistes et qui examine "ce qui" leur est commun » 7. De même pour
la société antique, qui comprend grosso modo la Grèce et Rome, il faut
l'étudier dans tous ses aspects concrets ; il faut dévoiler « ce qui » est
commun à l'ensemble du monde antique et « ce qui » différencie un
pays d'un autre, par exemple la Grèce de Rome. Marx et Engels ont
indiqué dans leurs recherches toute une série d'éléments essentiels
qui différencient la Grèce de Rome8. Mais la Grèce même, dont le mode

4. Poil., III, 83.


5. Lénine, Tchto takoe « drouzia naroda » (Qu'est-ce que « les amis du
peuple »), Sotch. (Oeuvres), t. 1, p. 61.
6. Marx. Kapital (Le capital), t. III, éd. 8, p. 570.
7. Lénine, Tchto takoe « drouzia naroda », p. 61.
8. Par exemple, Marx, Kapital, III, p. 232 : « Dans la Rome antique, dès
l'époque républicaine la plus tardive, le capital marchand avait atteint,
sans que le développement industriel ait aucunement progressé, un
niveau plus élevé qu'à aucune époque précédente dans le monde antique ;

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de production esclavagiste était dominant avant la période


hellénistique, n'avait pas non plus d'unité économique et politique ;
elle constituait un conglomérat de cités particulières,
économiquement et politiquement autonomes, de formations urbaines avec
villages adjacents formant des Etats qui concluaient entre eux des
alliances temporaires ; et parfois, à certains endroits, il n'existait que
des alliances tribales. Le terme de Grèce proprement dit est
conventionnel et introduit une vision moderne. Le monde antique n'employait
pas ce terme, mais le terme d'« Hellade », d'abord en tant que
Phthiotide, région de Thessalie, plus tard en tant que Grèce
septentrionale et centrale sans le Péloponnèse et ensuite en tant que pays
désormais peuplé d'Hellènes, s'opposant aux barbares, parlant une
seule langue et possédant un culte commun. Il est également difficile
de déterminer les frontières territoriales de la Grèce antique, car
plusieurs régions sises à la périphérie formaient un mélange de tribus
barbares et grecques ; en Epire, les Amphilokhoi9 et les Chaones 10
étaient considérés comme barbares ; les derniers vivaient encore
apparemment en ordre clanique et étaient gouvernés comme les
Thesprotes, sans rois (Thucydide).
L'évolution historique, dans différents isolats, des formations
sociales grecques se déroula de façon irrégulière. On trouve des
régions littorales d'avant-garde et plusieurs régions économiquement
arriérées où la désagrégation de la société clanique ne s'effectua pas
sur des rythmes aussi rapides qu'en Attique, par exemple. En Etolie, il
n'y avait pas encore de villes à l'époque classique ; les gens vivaient
dans les campagnes, apparemment dans des communautés
villageoises qui étaient autonomes11. La Locride ne connut pas
d'esclavage avant le IVe s. av. n.è. 12 ; par exemple, on y a trouvé des traces
de matriarcat : les clans fixaient leur lignée d'origine dans la branche
maternelle 13 .
L'organisation esclavagiste en Grèce fut précédée par une
organisation archaïque, avec une longue période transitoire, période
de désagrégation de la société clanique qui s'écoula « dans un chaos
de formes transitoires ».
Mais peut-on parler, à propos du monde antique, en particulier
hellénique, de l'existence de différentes structures socio-
économiques, et si oui, dans quel sens spécifique ?
Dans notre cas concret, on suppose a priori que diverses
régions de Grèce avaient pu conserver, non seulement à l'époque de
l'établissement du mode de production esclavagiste, mais aussi lors

entre temps, à Corinthe et dans d'autres villes grecques d'Europe et d'Asie


Mineure, le développement du commerce s'accompagnait d'un fort
développement de l'industrie. »
9. Thuc, II, 68.
10. Thuc, II, 80, 81.
11. Thuc, 111,94.
12. Ath., VI, 264 cd.
13. Polyb., XII, 5, 6 et s. Beloch, Griechische Geschichte, I, 2 Aufl., p. 84.

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de son évolution ultérieure, des éléments du mode de production


précédent. Mais, comme nous avons constaté un morcellement de la
Grèce, la présence d'une grande quantité de formations sociales
autonomes particulières, la question des « structures » peut se poser
sous deux aspects. Premièrement, dans le sens d'une recherche sur
les formations sociales possédant un mode de production
esclavagiste nettement marqué, d'une recherche interne sur les éléments du
mode de production antérieur et sur les germes du mode futur ; ainsi,
par exemple, dans les périodes initiales de l'évolution de l'Etat
athénien, il faut découvrir des éléments d'organisations archaïques et
esclavagistes.
Deuxièmement, la question peut être posée dans le sens d'une
recherche sur le système socio-économique des formations sociales
de Grèce dans lesquelles le mode de production esclavagiste n'avait
pas encore l'hégémonie, à l'époque où, à d'autres endroits, il s'était
déjà développé, et dans lesquelles s'était conservé un système de
société sans classes ou bien s'était développée une forme spécifique
d'exploitation, différente de la forme d'exploitation de la force servile.
De plus, il est particulièrement important de retracer l'influence
exercée sur ces régions par un mode de production esclavagiste
dominant.
Je ne me hâterai pas de résoudre la question des « structures »
possibles de la Grèce antique. On ne peut résoudre cette question
qu'après une analyse minutieuse de l'ordre socio-économique de
toutes les formations sociales autonomes qui composent la dite
Grèce. Dans mon article je n'aborderai qu'une région, la Thessalie, et
je m'arrêterai principalement sur les données afférentes à la situation
des producteurs directs, sans prétendre aucunement à une recherche
exhaustive.
On a vu plus haut que la population agricole dépendante de
Thessalie s'appelait une penesteia, qui est traitée par plusieurs
auteurs comme une tribu-ethnos14, soumise par des conquérants
étrangers. Hérodote dit que « les Thessaliens sont arrivés de la terre
des Thesprotes aux fins d'occuper l'Eolide, cette même région qu'ils
possèdent aujourd'hui »15. On lit aussi chez Thucydide : « A ce qu'il
semble, le pays nommé aujourd'hui Hellade n'est pas durablement
peuplé depuis longtemps. Il était autrefois l'objet de migrations, et
chaque peuple abandonnait facilement sa terre, contraint par
quelque autre peuple, chaque fois plus nombreux... Les changements
de population affectaient de préférence les meilleures terres de
l'Hellade, à savoir les régions appelées aujourd'hui la Thessalie et la
Boétie, ainsi qu'une grande partie du Péloponnèse, sauf l'Arcadie, et
enfin toutes les régions les plus fertiles du reste de l'Hellade. » 16
Quelles furent ces conquêtes, et eurent-elles effectivement lieu : c'est
une question que je ne résoudrai pas maintenant. Mais, en général,

14 . Plat., Lois, VI, 776 d ; Schol ad. Aristoph. Guêpes, 1271 ; Ath., VI, 264 ab.
15. Hérod.,VII, 176.
16. Thuc, 1,2.

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l'époque d'une conquête, en particulier au moment de la désagrégation


d'une société clanique, peut avoir une importance essentielle dans
l'évolution de la société. Si, en l'occurrence, ce fut le moment de la
conquête en Thessalie, ce qui est très probable mais demande encore
des preuves, on ne peut pour autant se borner à reconnaître le fait
d'une pure contrainte guerrière. Il est nécessaire d'examiner les liens
de cette contrainte guerrière avec les processus économiques, de
déterminer les formes et les conditions spécifiques de sa réalisation.
De quelles données dispose-t-on sur l'histoire de la Thessalie
aux époques les plus anciennes, quand elle ne s'appelait peut-être
pas encore la Thessalie, quand s'y développait encore une société
sans classes ?
La Thessalie, qui possède des plaines fertiles dans ses vallées
fluviales, était assez densément peuplée, comme l'indiquent les
nombreuses recherches archéologiques, dès l'époque dite néolithique17;
toutes les phases suivantes de l'évolution sociale sont déjà
représentées dans ses villages ; on ajoutera que les chercheurs occidentaux,
malgré l'existence de tous les maillons successifs de l'évolution
sociale, s'obstinent à parler du remplacement de certaines phases
par d'autres, par exemple du Néolithique par l'Age du Bronze, comme
si cette évolution était exclusivement conditionnée par des conquêtes
extérieures18. Quelques chercheurs, tel Beloch, pensent que les Grecs
avaient émigré en Thessalie dès l'époque néolithique19. A certains
endroits de Thessalie on a découvert les traces de gros villages
néolithiques. Ainsi, par exemple, dans le bourg de Dimini on a
découvert un village entouré de murs formant six cercles
concentriques. La présence de ce genre de villages, qui furent créés de façon
presque ininterrompue jusqu'à l'époque dite grecque, indique
nettement l'existence d'une population locale autochtone pratiquant
une agriculture sédentaire et possédant son mode de production
particulier. Le régime socio-économique de cette période n'est pas
encore étudié dans l'histoire de la Thessalie, mais on peut supposer
dans les grandes lignes qu'à partir de la fin du Néolithique et à
l'époque mycénienne du Bronze la Thessalie subissait déjà une
désagrégation de sa société clanique, avec formes embryonnaires
d'exploitation du travail. Les légendes grecques rattachent la
Thessalie aux Pélasges, population indigène de Grèce20, et c'est à elle
que l'on rattache par ailleurs une foule de mythes qui ont fait l'objet
d'une diffusion panhellénique. Ainsi, les mythes des hardis
Argonautes sont liés à la Iolkos thessalienne ; la patrie d'Achille est la
Thessalie, et même l'Olympe avec tous ses dieux, dont Zeus, s'élève
aux confins nord de la Thessalie.

17. Fimmen, Die kretisch-mykenische Kultur, Leipzig, 1921, p. 2 et s.


18. Tsountas, Hai proistorikai akropoleis Diminioukai Sesklou, p. 14 et s.
19. Beloch, Griechische Geschichte. 2e Aufl., 1 Bd., p. 73. En général, Beloch
est un des chercheurs occidentaux qui essaient de minimiser la théorie
migratoire et réfutent même la fameuse migration dorienne.
20 . Une des régions de Thessalie s'appelait la Pélasgiotide.

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Les migrations de tribus et les conquêtes signalées par


Hérodote, Thucydide et autres auteurs, liées au processus de
désagrégation de la société clanique, ne firent qu'accélérer en fin de
compte le processus de désagrégation entamé à une époque plus
ancienne. A la suite des conquêtes, une partie de la population
soumise devint dépendante, mais ce phénomène n'a guère pu se
dérouler aussi paisiblement, ni de bon gré, par contrat, que le raconte
Archêmachos2 ! . Chez certains auteurs, la « théorie » d'un contrat
volontaire trahit trop nettement l'idée d'un système de classes. Ainsi,
le stoïcien Poséidonios déclare ceci, dans le livre 2 de son histoire :
« Bien des gens qui ne sont pas aptes à "réussir", vu leur faiblesse de
jugement, se mettent au service de plus intelligents et s'en remettent à
ces derniers du souci de tout ce qui leur est nécessaire, rendant
ensuite de leur côté tous les services qu'ils peuvent. C'est par ce
procédé que les Mariandyniens se sont soumis aux Héracléotes. Ils
promettent de leur servir de journaliers permanents et procurent aux
Héracléotes tout ce qui leur est nécessaire, à condition qu'aucun d'eux
ne soit vendu hors d'Héraclée, mais qu'ils [puissent être vendus]22 à
l'intérieur de ce seul territoire. » Et plus loin, Poséidonios rapproche
par analogie les pénestes de Thessalie et les claro tes de Crète23.
L'exemple des Mariandyniens nous intéresse également du
fait qu'il révèle - apparemment sous une forme un peu altérée - la
dépendance extraéconomique des indigènes par rapport aux colons.
Le témoignage concernant l'hégémonie des Thessaliens sur les
peuples qu'ils soumettent indique une désagrégation de l'ordre
clanique. « Nous savons, dit Engels, qu'une hégémonie sur des
hommes soumis est incompatible avec l'ordre clanique. »24
On qualifiait les pénestes parfois d'esclaves25, parfois de
journaliers26. D'une part cela semble indiquer que leur situation se
rapprochait de celle des esclaves, d'autre part on sait que les Grecs
étaient très enclins à faire preuve de modernisme original, à comparer
les institutions étrangères avec les leurs, pour ainsi dire à tout
mesurer à leur toise. Rappelons, par exemple, comment Hérodote
s'efforce d'assortir aux divinités égyptiennes ou scythes les dieux
grecs qui leur correspondent. L'activité principale des pénestes est
l'agriculture27. En Thessalie, l'élevage était apparemment développé,
spécialement celui des chevaux ; les auteurs mentionnent en
permanence la cavalerie thessalienne. Les vastes et fertiles vallées

21 .Ath., VI, 264 ab.


22 .Rétablissement de l'auteur.
23. Ath., VI, 263.
24. Engels, Proiskhojdenie semii (Origine de la famille), 1932, p. 153.
25 .Photius s.v. penestai ; Ath., VI, 264a ; Bekker, Anecd., I, 292 ; Theopomp. ,
chez Ath., VI, 265 B.
26. Timée, lexPlat (il s'agit de Timée le Grammairien (Timaeus), auteur d'un
Lexikon Platonicum, édition moderne par C. F. Hermann, Platonis
Dialoghi, VI, Leipzig (Teubner) 1893 (NDT.) ; Denys Hal., AR 2,9.
27. Hesych., s. ?. penestai.

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fluviales28 contribuèrent au développement de l'agriculture et


placèrent la Thessalie à l'une des premières places en Grèce pour la
fertilité de ses terres. Jason, souverain de Phères au IVe s. av. n.è., qui
avait tenté de rassembler la Thessalie sous son pouvoir, en exhortant
Pharsale à s'allier avec lui, évoque de brillantes perspectives de
mainmise sur le domaine maritime : « Avec le bois macédonien seront
construits des vaisseaux... Qui peut le mieux les remplir en hommes,
les Athéniens ou nous, qui avons tant de pénestes ? Ensuite, qui est le
plus en état de nourrir les matelots, nous, qui exportons même du blé
en excédent, ou les Athéniens, qui en manquent pour eux-mêmes tant
qu'ils n'en achètent pas ? »29 On ne dispose malheureusement pas de
données précises sur l'organisation de l'agriculture. Il existait,
semble-t-il, de grands domaines où travaillaient des pénestes qui
possédaient leurs moyens de production, avaient leur propre
exploitation et fournissaient en abondance à leurs maîtres des
produits agricoles que ceux-ci, en tout cas au IVe s. av. n.è., lançaient
même sur le marché30. Athénée présente même un témoignage
indiquant que beaucoup de pénestes étaient plus riches que leurs
maîtres31. Aristote, analysant l'ouvrage de Platon ou, plus
exactement, de Socrate sur l'Etat, déclare : « En outre, il (Socrate) accorde
l'usufruit de propriété aux agriculteurs, à condition qu'ils paient une
redevance (pour les gardes) ; il est évident que ces propriétaires se
trouveront dans une conjoncture plus contraignante et auront plus de
prétentions que les hilotes, les pénestes et les esclaves de certains
Etats. »32 Meyer a calculé les dimensions approximatives des
domaines thessaliens : le domaine moyen était d'environ 16 à 18 km
carrés33. Mais ces domaines représentaient un ensemble de petites
exploitations de pénestes. On ne peut dire exactement s'il existait en
Thessalie une rente de métayage ou une rente en produits étant donné
la rareté des informations ; on penche pour une rente de métayage.
Les auteurs antiques comparent souvent les pénestes thessaliens
avec les hilotes Spartiates et les aphiamotai et les clarotes crétois, qui
étaient aussi, apparemment, des serfs. « Sparte, dit Engels, du moins
au temps de sa splendeur, ne connaissait pas les esclaves
domestiques ; les hilotes asservis vivaient isolément dans les
propriétés. »34 Plutarque signale que « les hilotes cultivaient la terre
pour les Spartiates et leur payaient une redevance déterminée, une

28. Sur les caractéristiques physico-géographiques de la Thessalie, cf.


O. Kern, Landschaft Thessalien und die Gescnichte Griechenland, Neue
Jahrbûcherî. kl. Altertum., Jahrg. VII, Bd. B., Leipzig 1904, p. 12.
29. Xén., HeH,Vl, 1, 11.
30. Xén., Hell, VI, 1, 11. Mais le principal bénéfice de l'exportation du blé, par
exemple à Larissa, revenait apparemment aux marchands des autres
villes, et non aux propriétaires fonciers thessaliens, ce à quoi fait
allusion l'orateur qui a écrit la Péri politeias, dans son discours aux citoyens
de Larissa. (Pour la Péri politeias du Pseudo Hérode Atticus, on ne croit
plus à son attribution à un rhéteur du Ve s. (Critias) ; cf. l'édition donnée
par S. Baldi. NDT.) Ed. Meyer, Theopomps HeUenika, 1909, p. 204 et 281.
31. Ath., VI, 264.
32. Aristot., Pol, II, 2, 13, traduction de S. A. Jebelev.
33 . Ed. Meyer, idem, p. 225.
34. Engels, Proiskhqjdenie semi, p. 63.

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apophora 35 » ; une hypothèse est qu'ils auraient restitué la moitié de


leur récolte36.
Pour la Crète, on dispose, outre les témoignages produits chez
Athénée, de sources épigraphiques plus fiables, la fameuse loi de
Gortyne, qui, à côté des esclaves, cite Voikeus, sorte de serf possédant
une exploitation autonome et son propre bétail37. De la sorte, il
apparaît qu'en Crète les rapports de servage côtoyaient les rapports
d'esclavage.
Les pénestes de Thessalie remplissaient également le rôle de
serviteurs domestiques38, mais ensuite, comme dit plus haut,
prenaient part aux actions guerrières de l'aristocratie thessalienne
comme peltastes légers. Dans la guerre du Péloponnèse, Ménon de
Pharsale battit les Athéniens en armant 200 ou 300 pénestes39. La
situation des pénestes était apparemment peu enviable. Plusieurs
auteurs font état de soulèvements de pénestes. Caractéristique à cet
égard est le témoignage d'Aristote, qui reflète nettement la
psychologie esclavagiste : « On admet universellement qu'un Etat souhaitant
avoir un système régulier doit libérer les citoyens des soucis
concernant les objets de première nécessité. Mais il est difficile de
dire comment le réaliser. La classe des pénestes {penesteia) qui existe
en Thessalie a souvent provoqué des émeutes contre les Thessaliens,
exactement comme les hilotes contre les Spartiates. (Les hilotes
n'attendaient que le moment propice, les infortunes des Spartiates,
pour se soulever contre eux...) Les toutes premières insurrections de
pénestes contre les Thessaliens furent également dues aux guerres
encore frontalières menées par ces derniers contre leurs voisins :
Achéens, Perrhèbes et Magnètes. Mais, tout le reste mis à part, leur
surveillance [celle des serfs] soulève apparemment un problème
difficile : comment les traiter ? Si on leur donne la liberté, ils
deviennent insolents et revendiquent l'égalité de droit avec leurs
maîtres ; mais si on les tient opprimés, ils intriguent contre leurs
maîtres et les haïssent »40
Critias, qui s'enfuit d'Athènes en Thessalie au Ve s., désireux d'y
fonder une démocratie, arma les pénestes contre leurs maîtres41 .
Aristote dit que les Thessaliens menaient tout d'abord des guerres
frontalières avec leurs voisins les Achéens, les Perrhèbes et les
Magnètes. Mais chez Thucydide ceux-ci apparaissent déjà comme des
hommes assujettis42 avec un tribut à payer43 . A proprement parler, la

35. Plut., Lycurgue, 24,3 ; 8,24.


36 . Guiraud, La propriété foncière, p. 410.
37. F. Kohler, E. Ziebarth, Dos Stadtrecht von Gortyn, Gottingen 1912, p. 8,
??, 40 ; p. 10, rv, 35.
38. Théocrite, XVI, 34 ; Eurip. Héraclès furieux, 639 ; frgmt 827.
39 . Dém., XIII, 23 ou XXVIII, 199.
40. Aristote, Pol., II, 6, 2, traduction de S. A. Jebelev ; comme le texte ne
comporte pas le mot serfs, qui a été introduit par le traducteur, je le mets
entre []. NDA.
41 . Xén., HelL, II, 3, 36. V. également Aristoph. Guêpes, 1267.
42. Thuc. II, 101 ; IV, 78 ; VIII, 3.
43 . Strabon, 440.

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101 -

Thessalie n'était pas non plus unifiée et comportait des régions dont
les unes étaient évoluées et les autres arriérées. Certaines villes,
comme Larissa, Phères, Pharsale, Crannon, étaient des poleis
autonomes. Jason, qui est tagos à Phères et ambitionne de devenir le
tagos de tous les Thessaliens, exhorte Pharsale et les villes qui en
dépendent à s'allier avec lui44.
Larissa, avec son célèbre clan des Aleuades, s'efforçait
également de s'assujettir toute la Thessalie, à une époque encore plus
ancienne. Plusieurs villes se mettent au Ve s. à frapper leur
monnaie45. A l'époque, des Etats se sont déjà formés dans quelques
villes de Thessalie, alors que dans d'autres parties de Thessalie la
période de désagrégation de l'ordre clanique n'est pas encore achevée.
En conséquence, la question des pénestes se complique, car on ne
possède pas de données suffisantes pour déterminer à quel endroit de
Thessalie ils étaient particulièrement répandus, s'ils côtoyaient des
agriculteurs libres - ce qui était le cas, selon toute probabilité46 - et
quel fut ensuite leur destin47.
Les formes de désagrégation de la société clanique peuvent être
différentes. Il peut apparaître une société de classes, fondée dans un
cas sur un mode de production esclavagiste, dans l'autre sur un mode
de production féodal, le servage48. Chez les Germains, par exemple,
l'esclavage ne fut pas pleinement développé. Chez eux, « l'agriculture
appuyée sur les serfs était le mode de production traditionnel » 49 .
On peut encore donner plusieurs exemples concernant la
présence de rapports de servage, dans une période de désagrégation
de la société clanique, liés à des conquêtes. Ainsi lit-on chez
Schweinfurth : « Lorsqu'en 1856 les premiers Khartoumiens
pénétrèrent en terre de Bongo, ils y trouvèrent un pays subdivisé en une
multitude de petites régions et de communautés parfaitement
indépendantes les unes des autres..., et, dans chaque village, on
prenait comme chef de la communauté celui qui avait su exercer une
influence sur les habitants par ses richesses... Les habitants furent
bientôt considérés comme des serfs et contraints de changer de lieu

44. Xén., Hell, VI, 18. Il serait très important d'étudier la question des tagoi ;
à l'origine, ils semblaient correspondre aux chefs d'armée d'une société
encore clanique. Mais les questions d'organisation politique de la
Thessalie sortent du cadre de mon essai.
45. Head, Historia numorum, 1887, p. 246.
46. Selon un acte du Me s. av. n.è., Pharsale accorda les droits civiques et des
parcelles
n° 306 ( - de
IG,terre
IX 2,234.
à 17 NDT.)).
nouveaux citoyens (Michel, Rec. d'inscr. gr., 1900,
47. Le matériel fourni par les sources est très maigre. En particulier, les
pénestes ne figurent pas dans les monuments épigraphiques, pour autant
que je sache.
48. Marx, Pistmo k V. Zasoulitch (Lettre à V. Zasoulitch), 3e brouillon,
Arkhiv K. Marksa i F. Engelisa (Archives de K. Marx et de F. Engels), I,
p. 285 ; Marx, K kritike polititcheskol ekonomii (Critique d'économie
politique), Partizdat, 1933, p. 52-53, notes.
49 . Marx, K kritike polititcheskol ekonomii, p. 23.

Esclavage et dépendance dans l'historiographie soviétique récente


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d'habitation ; de plus, pour mieux les surveiller et les exploiter on les


établissait dans des séribes construits partout autour du pays. »50
La Thessalie agricole, au cours de la désagrégation de la société
clanique, accélérée par les conquêtes à leur tour provoquées par cette
désagrégation, créa des rapports spécifiques de servage, différents
des rapports médiévaux, et une forme embryonnaire du mode de
production féodal, lequel néanmoins ne se développera pas par la
suite et n'influencera pas substantiellement le mode de production
esclavagiste dominant en Grèce antique. Il restera une sorte de
structure au sein du système général de la production esclavagiste
antique. En revanche, on peut noter en Thessalie quelques périodes
témoignant de la pénétration et peut-être de l'intensification des
rapports d'esclavage dans la période hellénistique. Ainsi, dans le port
de Pagasai fut créé un marché d'esclaves61. Il est difficile d'imaginer
que tous les esclaves sans exception s'en allèrent vers le sud, en
Grèce, et qu'aucun ne fut acheté par l'aristocratie locale. Le matériel
épigraphique présente des manumissions d'époque hellénistique et
romaine, des actes affranchissant des esclaves62, voire une
promotion d'esclaves défunts au rang de héros. L'esclavage avait donc
pénétré en Thessalie.

ooOoo

50. G. Schweinfurth, Im Herzen vonAfrika, Leipzig 1872, p. 95, d'après Ziber


« Otcherki pervobytnol koulitoury (Essais de culture économique
primitive) », Oukrainsk. izd. (Ed. ukrainiennes), 1923, p. 401.
51 . Hermipp fr. 63 (Ath., I, 27e).
52. IG, IX, 2, n° 517, 1282, 553 et autres. (517 n'est pas un catalogue
d'affranchis, mais la fameuse inscription donnant deux lettres de
Philippe V de Macédoine au Larisséens. NDT.). Il est intéressant de
rencontrer dans certaines inscriptions le terme d'oiketes et dans d'autres
celui de doulos ; il se peut que le premier terme désigne un péneste,
d'autant plus qu'en Crète aussi, dans une inscription gortynienne, le
terme d'oikeus désignait apparemment un serf. Ces questions de
terminologie demandent à être étudiées plus minutieusement.

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