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Actes des congrès de la Société

des historiens médiévistes de


l'enseignement supérieur public

Les « principautés » byzantines sous les Paléologues :


autonomismes réels ou nouveau système impérial ?
Monsieur Alain Ducellier

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Ducellier Alain. Les « principautés » byzantines sous les Paléologues : autonomismes réels ou nouveau système impérial ?.
In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 4ᵉ congrès, Bordeaux,
1973. Les Principautés au Moyen-Age. pp. 161-172;

doi : https://doi.org/10.3406/shmes.1973.1257

https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1979_act_4_1_1257

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Alain DUCELLIER

Les " Principautés " Byzantines

sous les Paléologues : autonomismes réels

ou nouveau système impérial ?

Il n'existe pas dans le monde byzantin, vers 1204, de véritables


principautés, mais il est bien connu que, tant en Grèce qu'en Chypre, des efforts
ont déjà été faits pour fonder des entités politiques autonomes que
favorisait, depuis longtemps déjà, la conjonction du vieil esprit particulariste
avec les progrès d'une classe sociale aristocratique qui en est désormais
le principal support. Qu'une famille se révèle plus puissante que les
autres, et on peut s'attendre à voir apparaître des regroupements locaux,
d'essence politique, dont pourront sortir d'authentiques principautés (*).

Or, la catastrophe de 1204 se traduit par la division des territoires


non conquis en trois unités, l'Etat épirote, l'Empire de Nicée et celui de
Trébizonde. Pourtant, aucun de ces foyers politiques ne peut être
considéré comme une principauté : en fait, ce sont bien là trois empires qui,
chacun de son côté, ont la prétention de refaire l'unité à partir du domaine
qu'ils contrôlent, loin de vouloir enkyster des entités politiques autonomes
sur les débris du vieil Etat. La chose est trop connue pour que nous y
insistions : Nicée étant hors de question, l'Epire et Trébizonde, candidats

(1) D. Jicoby « Les archontes grecs et la féodalité en Morée franque », Travaux et


Mémoires, II, 1967, pp. 423-424 et 442 suiv.
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malheureux à l'Empire universel, ne nous semblent pas avoir jamais


constitué des principautés au sens propre, dont la caractéristique est,
bien au contraire, d'essence séparatiste (2).

C'est dans le cadre de l'Empire reconstitué des Laskaris et des Paléo-


logues que le phénomène prend, du moins en apparence, un réel
développement. Ayant le besoin impérieux, dans leur effort de reconquête, du
soutien de l'aristocratie, non seulement les empereurs de Nicée
continuèrent à concéder des 7:p6vci,oa, tout en gardant du reste sur elles un contrôle
fort sévère, mais ils firent nombre de donations individuelles à leurs
parents et alliés (3). Puis, afin de se rallier les archontes dans les territoires
repris aux Latins, les Paléologues se virent contraints de leur accorder de
plus en plus fréquemment l'hérédité de leurs pronoiai, ce qui devint la
règle à partir du XIVe siècle H). Sur ces territoires concédés, le contrôle
de l'Etat devint toujours plus théorique si bien que, vers le début du
XVe siècle, Chalkokondylis doit avouer que la noblesse moréote « n'obéit à
l'Empereur que lorsqu'elle le juge utile (5) ». Dans chaque province,
l'aristocratie forme dès lors un corps qui ne demande qu'à s'organiser sur le
plan local, en faisant fi de l'autorité suprême, et sous les ordres de ses
membres les plus puissants, généralement alliés à la famille impériale.

Le cas le plus frappant est, sous le règne de Cantacuzène, la


constitution de la Thessalie en principauté apparemment accomplie. Domaine
de très grandes familles archontales, Mélissènes, Gabriélopouloi, Straté-
gopouloi, dont la puissance n'est plus à prouver (6), la Thessalie, ou Grande
Vlachie, avait été un Etat complètement indépendant entre 1271, date de
sa séparation d'avec l'Epire sous l'autorité de l'énergique Sébastokratôr
Jean Ange, et 1318 où s'éteint la dynastie de ce dernier (?) ; puis, pendant
une quinzaine d'années, les magnats thessaliens, surtout les Mélissènes et
les Gabriélopouloi, alliés les uns aux autres, avaient été les véritables

(2) La chose est particulièrement nette pour l'Etat épirote. Cf. L. Stiernox, « Les
origines du Despctat d'Epire ». R E.B., XVTI, 195e) pp. 90-126, réfutation justifiée de l'ouvrage
de D. Nicol, The Despotate of Epiriis (Oxford, 1957) dont une critique sévère avait déjà paru
sous la plume de Paul Lemerle (B.Z., LI 1958, p. 403).
(3) H. Ahrweiler, « La politique agraire des empereurs de Nicée », Byz., XXVIII, 1958,
pp. 55-57.
(4) G. Ostrocorsku, Pour l'histoire de la Féodalité byzantine, pp. 71, 93-96, 123-126, 130-
139 ; Jacoby, art. cit., p. 431.
(5) Manuel il « av^Xau-Pàvei toù$ ïlzkor^ovvr\<jioiv apxovxaç. oï 7:oXùv x
teç xpôvov tÎ)v x^pav oûSèv ti T:âvu -zIQzgQcli toï; 'EXXtjvwv riytixÔGi PoûXoivto. c
Tl LU] O"q>îct,V aÛTOÎ; Soxoûv ZÇ II wcpEXsîv aÛTOÙç * (Chalkokondylis, éd. Darko, Budapest,
1922, I, p. 173).
(6) B. Ferjancic, « Posedi porodice Maliasina u Tesaliji » (« Les possessions des
Mélissènes en Thessalie *), Z.R.V.I., IX. Beograd, 1966, pp. 33-47.
(7) Gregoras, Bonn, I, pp. 229 et 278 ; G.-C. Soulis, « The Thessalian Vlachia », Z.R.V.I.,
VIII/1, Beograd, 1963, pp. 271-273.
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maîtres du pays (g). Quand, en 1333, la mort du plus puissant d'entre eux,
Etienne Gabriélopoulos Mélissène, rend la province à l'empereur Andro-
nic III, le sentiment autonomiste y est donc très fortement implanté (9).
Comment s'étonner, dans ces conditions, que la noblesse thessalienne ait
mis à profit l'affaiblissement de l'Etat pendant la guerre civile, et en
particulier lors des défaites subies par Jean Cantacuzène en 1341-1342 ?
C'est alors qu'une ambassade de « l'armée et des aristocrates des villes »
vient demander à l'empereur de reconnaître son ami Jean Ange comme
gouverneur de Thessalie : le chrysobulle qui lui est effectivement délivré
fonde cette province comme unité autonome reconnaissant, dans
certaines limites, la suzeraineté de l'Empire ; c'est-à-dire que la Thessalie est
bien, cette fois, une principauté : Jean Ange est gouverneur de la
province, villes et campagnes, à titre viager, mais il pourra, avec
l'autorisation de l'empereur, la transmettre à son fils. En outre, il promet d'être
l'ami des amis du souverain et l'ennemi de ses ennemis, il reconnaît sa
« sujétion » (SouXocnivT]) à son égard, participera personnellement et avec
toutes ses troupes aux expéditions militaires dirigées contre les provinces
occidentales mais, pour toute campagne qui devra dépasser Christopolis,
s'il est toujours tenu de servir personnellement, il n'apportera « qu'autant
de troupes qu'il le pourra (10) ». Il est bien évident qu'un tel texte n'est
plus une simple nomination : c'est un véritable contrat qui attache
personnellement Jean Ange à Cantacuzène, mais qui limite sérieusement
l'autorité de l'Etat sur les domaines cédés. Dans la naissance d'une telle
principauté, nous ne croyons guère à une quelconque influence «
féodale » : nous penserions plus volontiers aux exemples d'attachement
personnel que Cantacuzène comme les Thessaliens avaient pu voir dans la
Serbie de Stepan Dusan et qui seront bientôt légalisés dans le code de
ce tsar, dès la diète de 1349 dD. En tout cas, nous avons ici un cas très
net de principauté pour ainsi dire sécrétée par l'aristocratie locale au
profit d'un des siens. Sans doute est-ce aussi le même substrat qui, en
1326-1327, avait poussé Jean Paléologue, gouverneur de Thessalonique, à
« s'y constituer une souveraineté indépendante » : dans cette tentative
vite avortée, l'alliance avec le tsar Stepan Decanski laisse entrevoir où le
prince rebelle avait pu trouver son inspiration^).

(8) I. Sokolov « Krunnye i melkie vlasteli v Fessalii » (« Grands et petits propriétaires


en Thessalie »), V.V., XXIV. 1923-1926, p. 35 suiv. ; A. Solovjev, « Fessalijskie arkhonti v
XIV v. » (« Les archontes thessaliens au xrv» siècle »), Byz. Slav., IV, 1932, p. 159 suiv.
(9) Cantacuzene, Bonn, II, 28, et I, p. 473 suiv. ; U.-V. Bosch, Andronikos III Palaiologos
Ver such einer Darstellung der byzantinischen Geschichte in den Jahren 1321-1341,
Amsterdam, 1965, pp. 134-135.
(10) Caxticuzene, Bonn, II, pp. 312-322.
(11) N. Radojcic, Zakonik cara Stefana Dusana, Beograd, 1960, par. 61 (« o povratku c
vojske »), p. 106.
(12) On soulignera particulièrement les termes : « â~0O-TT)aa; fictcrikèoiç, y
xaTaaxT)O"n 8uvao"C£Îav » (Cantacuzène, I, p. 209). J.-W. Barker, « The Problem of
Appanages in Byzantium », Byzantina, III, 1971, p. 110.
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Pour bien comprendre l'origine des « autononismes locaux » dans


l'Empire byzantin, il faut souligner que les deux cas mentionnés sont
les seuls dans lesquels le mouvement soit parti de la base : en général,
en effet, sur un fond aristocratique favorable à l'autonomisme, c'est du
haut, dans le cadre de la politique familiale des souverains, que vient le
geste décisif qui va transformer telle ou telle province en une «
principauté ». Mais ce n'est pas une raison pour voir dans ces gestes une
influence « féodale », encore bien moins l'amorce d'une politique « apa-
nagiste » à l'Occidentale : il est évident que le terme d'apanage, utilisé à
propos de la cession héréditaire d'une pronoia (xaxà "kàyov Yovixernxo;)
est certainement une impropriété, tout comme il l'est quand on songe
à la cession faite en 1342 à Jean de Thessalie U3). En Occident, il
s'applique aux concessions faites par les souverains en faveur de leurs cadets,
à titre héréditaire mais en réservant l'unicité du pouvoir suprême, ce qui
n'est vrai ni dans l'un ni dans l'autre des deux cas cités (14h

A Byzance, comme on le sait, l'unité du pouvoir suprême et du


territoire auquel il s'applique est une question de principe, inscrite dans
l'idéologie impériale elle-même (15) : on ne saurait donc même imaginer
une division de l'Empire car, comme l'écrivait Nicétas, « la polyarchie
est la mère de l'anarchie <16) ». Sans compter qu'ils sont toujours des
échecs, les exemples de projets de partage, avant le xiv* siècle, doivent
donc toujours être considérés avec suspiscion. Quand Villehardouin
prétend que Manuel Comnène fit donation de Thessalonique à sa fille, épouse
de Renier de Montferrat, on peut penser qu'il est simplement l'écho
d'une tradition cherchant à justifier a posteriori la création du royaume
de cette puissante famille <17). Quant à Michel VIII, Grégoras raconte
qu'il avait désiré un temps que « la région qui environne Thessalonique
ainsi que la Macédoine » fussent confiées à son fils Constantin le Porphy-
rogénète qui en eût fait « son commandement particulier et son pouvoir
spécial » : ce geste, bien étrange de la part d'un souverain aussi soucieux
de la grandeur impériale, et du reste violemment critiqué par Grégoras,

(13) H. Ahrweiler, « La donation des droits incorporels », Actes du xn« Congrès


international des Etudes byzantines, Ohrid, 1961, peut ainsi parler de l'« apanage » de la famille
Pléthon en Morée. De même, D.-A. Zakytiiinos, « Processus de Féodalisation », L'Hellénisme
Contemporain, 1948, p. 510, parle de l'« apanage » de Jean-Ange de Thessalie. Sur tout ce
qui suit, cf. le travail prometteur de notre élève, malheureusement disparu
accidentellement : B. Palouty, « Apanages ■» et révoltes princier es à Byzance sous les Paléologues,
Mémoire de maîtrise, Toulouse, 1970, p. 110 suiv.
(14) J.-W. Barker, art. cit., pp. 121-122.
(15) H. Ahrweiler, L'idéologie politique de l'Empire byzantin, Paris, 1975, pp. 9-19 ;
A. Ducellier, Le Drame de Byzance Idéal et échec d'une société chrétienne, Paris, 1976,
pp. 116-117.
(16) « 6 xoù cvk'ktkÔYWzo TTioXuapxtas eïvea orpavxixev. lyriç |vr)TT)p
Ê (Nicetas, Bonn, p. 294).
(17) Villehardouin, éd. Faral, II, 71 et note 3 ; on sait que la branche italo-grecque des
Montferrat a longtemps gardé l'idée d'un droit héréditaire sur la région de Thessalonique :
cf. B. Imhaus-R.-J. LOEnertz, « Démarches de Jean Paléologue, marquis de Monf errât
(1338-1372)... pour faire valoir ses droits en Grèce », Jahr. der ost. Byz., 26. Band, 1977,
pp. 155-158
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ne se traduisit d'ailleurs jamais dans la réalité, et il n'est pas interdit de


croire qu'il ne repose que sur l'imagination des milieux hostiles à
l'empereur (18).

Le terrain est plus solide quand on aborde l'épisode bien connu où


l'on voit la seconde femme d'Andronic II, Yolande-Irène de Montferrat,
demander à son époux « que les provinces romaines soient divisées de
telle sorte que tous ses fils, chacun dans le lot qu'il avait obtenu, aient
pleine possession dévolue de leur père à eux, comme il est de droit pour
les possessions des gens du peuple, et ensuite de la même façon
transmise à leurs enfants et successeurs » ; ainsi, après l'héritier légitime,
Michel IX, fils de la première épouse du basileus, les jeunes princes
Jean, Théodore et Démétrios, fils d'Irène, devaient être « autonomes,
tous autocrates et n'obéissant en rien à personne (19) ». On sait pourtant
qu'Irène ne parvint pas à ses fins : face à une telle demande, si contraire
à la tradition, Andronic II, malgré sa faiblesse, n'accepta jamais de céder
car c'eût été violer « les lois impériales (20) ». Ce l'eût d'ailleurs été d'autant
plus que, comme on l'a bien souligné, le projet prêté à Yolande-Irène
visait moins à la constitution d'« apanages », toujours contrôlés par le
pouvoir impérial, qu'à la prolifération de petits souverains indépendants,
que l'on a pu comparer aux épigones carolingiens (21).

Il n'en reste pas moins que l'idée autonomiste était dans l'air, même
si elle se heurtait toujours à l'aversion profonde des byzantins qui, tout
en se laissant volontiers aller à des comportements « excentriques »,
resteront toujours opposés à toute division permanente de l'Etat (22). A
cet égard, la lenteur avec laquelle se dessine, en Morée, l'évolution vers
un statut de principauté, est extrêmement significative. Nous savons
déjà que cette province possédait depuis longtemps une puissante classe
archontale, bien antérieure à la conquête franque et, malgré les efforts
pour prouver le contraire, il semble évident que le système pronoiaire,
loin d'être une projection a posteriori de la Chronique de Morée, y
existait anciennement et, en se patrimonialisant sous la domination latine,
a eu tendance à encore renforcer les cadres aristocratiques plus anciens (23)

(18) Gregoras, Bonn, I, p. 187 ; J.-W. Barker, art. cit., p. 107.


(19) « Seuxépouç 5è xcd xccxà zr\v 5t,avc[Jii?]v xr\ç 'fjç )ynç
5è xai, aÛTOxpccTopaç âxàcrcouç xoû jiriSÉva u-T]5évt, û-axoûovTaç » (I. 233)
(20) « Tâ pacxXixà véu-ma » (J. 235).
(21) J.-W. Barker, art. cit., pp. 117-118 (sur le sens de l'apanage occidental), et p. 122
(sur la portée réelle des prétentions de Yolande-Irène).
(22) H. Ahrweiler, Erosion sociale et comportements excentriques à Byzance aux xie-
xiii0 siècles. Rapport au xv« Congrès international des Etudes byzantines, Athènes, 1976,
part. pp. 7-9.
(23) J. Ferllga, « L'aristocratie byzantine en Morée au temps de la conquête latine »,
Byz. Forsch., IV, 1972, p. 76 (et Byzantium on the Balkans, Amsterdam, 1976, p. 429).
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Parmi ceux-ci, la famille des Cantacuzènes occupait une place de choix :


après que son père en eut été huit ans gouverneur, le futur Jean VI avait
gardé d'étroites relations avec la Morée pendant le règne d'Andronic III,
du temps où il était Grand Domestique (24>. Puis, quand il est proclamé
empereur à Didymoteichos, en 1343, il voit arriver à lui une ambassade
moréote qui lui promet de le reconnaître, à condition qu'il maintienne à
leurs postes les « archontes des villes (25) ». Le moment est grave : nous
savons que Cantacuzène vient d'être forcé, un an avant, de reconnaître
l'autonomie de la Thessalie, et bientôt, en 1347, il se trouve face à une
tentative de son fils Mathieu que, comme l'écrit Grégoras, « la Thrace
ne suffisait pas à contenir », pour se tailler une « domination
indépendante » autour de Didymoteichos et d'Andrinople (26). Mais l'empereur a
désormais les moyens de réagir : tandis qu'il réussit à « convaincre »
Mathieu de renoncer à ses prétentions, il envoie, en 1348, son autre fils,
Manuel, en Péloponnèse, avec le titre de despote et la mission de rétablir
l'ordre troublé, c'est-à-dire de ramener la Morée dans l'obédience réelle
de l'Empire (27). Le fait que Manuel ait été un gouverneur imposé, et non
un prince accepté, comme Jean Ange en Thessalie, est bien prouvé du
reste par le déclenchement, dès son arrivée sur place, d'une révolte
nobiliaire dirigée par le puissant archonte Lampoudios (28). En fait, c'est
par accident que la Morée a fini par se séparer de l'Empire : après la
chute de Jean VI, et malgré les efforts de Jean V Paléologue pour y
imposer son autorité, en 1356, la famille des Cantacuzènes, avec les
despotes Manuel et Mathieu, en resta seule maîtresse jusqu'en 1382, se
comportant d'ailleurs, dans la tradition du séparatisme grec de 1204,
plus en maison souveraine qu'en princes plus ou moins subordonnés à
Constantinople (29).

L'exemple des Cantacuzènes avait cependant été compris dans la


capitale : alors que certains archontes, comme les Mamônas de Monem-
vasie, considéraient les villes comme leur « propriété personnelle (30) »,

(24) Cantacuzène, I, p. 85.


(25) Id., II, p. 76.,
(26) Gregoras, Correspondance, éd. R. Guilland, n° 152, p. 237. « ËratTa Ma0aîov
ËzEiaav tôv BacnXicoç flwv. AtSuuixEixov xcâ xt)v 'ASpiavoû xal xàç r^zpi aûxaç
7;oÀ.£xvaç xaxatrx^v- îSîav awxina'àiJievov fiyeiioviav u.et' gujtcûv » (Cantacuzène, III,
p. 47). D. Nicol, « The Byzantine Family of Kantakouzenos, ca 1100-1460 », Dumbarton Oaks
Studies, il, 1968, pp. 67-68 et 109-110 ; J.-W. Barker, art. cit., p. 111.
(27) Cantacuzène, III, p 86.
(28) Cantacuzène, ibid., sur tous ces points, cf. D.-A. Zakythinos, Le Despotat grec de
Morée, I, p. 64 suiv.
(29) Zakythinos, op. cit., pp. 98-105.
(30) Sphrantzis (éd. Grecu, Bucarest, 1966, pp. 6, 21-22), nomme Mamônas « aùGévTHÇ
TîOTE XTÎC MoVEU-Saa'îac * ' Quant au Pseldo-Sphrantzis (même éd., p. 198, 7-10), il écrit :
« èXGovtoç Ilauiou xoû Mccu-covâ éx xt\ç IlikoT>ovvi)<70\j- ou xt]v MovEU-Paaxav xu(k-
pvûv Tjv ex TtoXXoû ô 7îaTT)p 5ià 5è tô u-àxpo; xoû xpôvou cccpopu/nv EÛpwv -tpizr.Q-
IEÏT0 TO aaiU ÛÇ XTT)U-r/ i'Siov »
- 167 —

l'autorité de l'Etat ne pouvait être assurée qu'à condition de déléguer sur


place un membre de la famille régnante doté de pouvoirs largement
autonomes mais gouvernant cependant au nom de l'empereur en titre. Dès
lors s'instaure effectivement, sous les règnes des despotes Théodore 1er
et Théodore II, une véritable collaboration entre les gouvernements de
Constantinople et de Mistra contre les archontes sans cesse révoltés :
c'est le cas en 1415, lorsque Manuel II vient aider son fils à en triompher,
n'hésitant pas à en déporter bon nombre à Constantinople (3D. Manuel,
devenu empereur, appliquait d'autant plus volontiers une telle politique
qu'il y avait été lui-même délégué, en 1382, quand son père Jean V lui
avait confié le rétablissement de l'ordre à Thessalonique, d'où les
archontes l'avaient d'ailleurs chassé (32).

L'autonomie des princes de Morée est donc grande, de par les buts
mêmes qui leur sont fixés. D'abord, l'empereur n'a pas toute liberté pour
nommer un despote : pour assurer la succession de son frère Théodore 1er
à son fils Théodore II, Manuel envoie ce dernier en Morée « à condition
que Théodore Ier fît de l'enfant son successeur dans le Péloponnèse (33), ce
qui indique que le despote avait au moins son mot à dire au sujet de
sa succession. De même, lorsque Théodore II, après avoir fait mine
d'abdiquer en faveur de son frère Constantin, refuse en définitive
d'abandonner le pouvoir, l'empereur Jean VIII ne peut pas le contraindre et
se voit forcé de constituer un nouveau domaine pour Constantin (34). En
outre, les despotes se permettent souvent de mener une politique
personnelle qui peut aller jusqu'à la disposition d'une partie de leur
territoire en faveur de l'étranger : Théodore Ier, effrayé par la victoire turque
de Nicopolis, en vint ainsi à céder plusieurs places de Morée, dont Mistra
elle-même, aux chevaliers de Rhodes (35), tout comme Andronic, fils de
Manuel II et despote de Thessalonique, finit par laisser, en 1423, cette
ville entre les mains des Vénitiens (36).

Le fait que la Morée soit dès lors une structure politique cohérente
est bien senti, par exemple, par Gémiste Pléthon qui définit le « pays des
Hellènes » comme « le Péloponnèse, toute la partie adjacente à l'Europe
et les îles voisines », contrée que « ni gouvernants ni gouvernés ne peu-

(32) G.I. Dennis, The Reign of Manuel II Palaeologos in Thessalonica, 1382, Roma, 1960.
(33) « tôv 5à 0e65wpou toutou -câSa ovxa PacriXeûç 'Eu.|tavoufiXos ir.zr.6p.czi r.a-
pà àSsXcpèv aÛTOÛ ©séSwpov tov ~op9upoY£vvnTOv. écp' y SuxSoxov te tôv ~aî5a xa-
X i~l if\ neXoTZOWno-tp » (Ch4Lkokondylis, éd. Darko, I, p. 193).
(34) Id., I, p. 204, et Sphrantzis, pp. 24-26.
(35) Chalkokond\lis, I, p. 91 ; Pseudo-Sphrantzis, p. 204 ; Manuel II, Oraison funèbre de
son frère Théodore, P.G. 156, col. 240 B.
(36) Chalkokondylis, I, p. 193 ; cf. J. Tsaras, « La fin d'Andronic Paléologue, dernier
despote de Thessalonique », Revue des Etudes sud-est européennes, 1965, III, pp. 419-432.
— 168 —

vent préférer à d'autres régions (37) » : pour lui, la principauté est devenue
le dernier réduit où, au prix d'une réorganisation fondamentale des
structures socio-économiques, les souverains grecs pourront résister
victorieusement à l'assaut ottoman. Constantin Dragasès, précisément
disciple de Pléthon, devait tenter de donner à la Morée ces structures
capables d'assurer sa cohérence : nomination de gouverneurs, comme
Sphrantzis à Mistra, Jean Cantacuzène à Corinthe, Alexis Laskaris à
Patras (38), création auprès de lui d'un poste de premier ministre (xaSoXucè;
u.eaàÇcov) confié à un grand représentant de l'aristocratie locale, Sophia-
nos Eudémonoiôannis, qu'il comptait ainsi à la fois contenter et
surveil er (39), réorganisation militaire, enfin, surtout avec la réparation de l'Exa-
milion, mur protecteur qui barrait l'isthme de Corinthe. Sans doute, s'il
en eût eu le temps, eût-il aussi amorcé des réformes plus profondes, comme
ce transfert de sa capitale à Corinthe, que lui conseillait Bessarion (4°),
ou la refonte complète de la société et de l'économie que ce même
Bessarion lui rappelait, en se fondant sur les idées de leur commun maître
Pléthon. Malheureusement, la guerre contre les Francs d'Athènes, qui
devait entraîner une désastreuse riposte turque, remit tout en question
à la fin de 1447 (41).

En tout cas, la Morée, au début du XVe siècle, semble bien se


comporter en principauté autonome : sans jamais renier la domination éminente
du basileus, elle a sa dynastie de cadets, ses structures politiques propres,
et rien n'indique que l'empereur ait joué le moindre rôle dans l'orientation
de ses entreprises intérieures et extérieures. Pourtant, tout attachés qu'ils
sont au milieu local, les princes de Morée, comme du reste tous les autres
princes moins considérables, à Thessalonique ou sur la Mer Noire,
restent avant tout des princes byzantins dont le but suprême est le trône
de Constantinople et qui sont toujours prêts à abandonner l'œuvre menée
dans leur principauté au bénéfice douteux d'une élévation au pouvoir
impérial. La lutte permanente qu'ils se livrent est révélatrice de cet état
d'esprit : à travers son déroulement confus, c'est toujours Constantinople
qui est visée.

Car les princes ne sont jamais vraiment attachés à leurs domaines :


en fait, une véritable hiérarchie de principautés finit par se dessiner
vers 1430, chaque prince essayant de passer de l'une à l'autre en se
rapprochant toujours plus du trône impérial. Théodore II. second fils de

(37) Pléthon, Mémoire à Manuel //, P.G. 160, col. 821.


(38) Sphrantzis, p. 68.
(39) Id., p. 70.
(40) Z\kythinos, Le Despotat grec de Morée, I, p. 277.
(41) Doukas, éd. Grecu, Bucarest, 1958, XXXII, 7, p. 279.
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Manuel II, étant despote de Mistra, Constantin despote de Klarentza, leur


jeune frère, Thomas, après avoir épousé la fille du prince latin d'Achaïe,
Centurione Zaccaria, devient lui aussi despote, avec pour capitale Kala-
vryta, et s'empare de l'Arcadie après la mort de son beau-père, en 1432 (42).
Ses biens suscitent aussitôt la convoitise de Constantin qui échange ses
domaines contre ceux de Thomas M3). Cependant, un dernier fils de
Manuel II, Démétrios, avait reçu une partie de la côte de la Mer Noire,
de Mésembria à Derkos, plus Sélymbria sur la mer de Marmara : si l'on
en croit Scholarios, il y aurait été plus respecté que le basileus lui-même,
sans doute en raison de sa prise de position contre l'Union (+*). Tous ces
princes ne guettent en fait qu'une seule chose : la succession de leur
frère Jean, qui n'a pas d'enfants. Déjà en 1435, Constantin et Théodore
manquent se faire la guerre pour obtenir la régence, pendant le séjour
de l'empereur au concile de Ferrare-Florence (45) et Constantin, après
l'avoir obtenue et exercée, marque bien ses véritables intentions en
demeurant encore dix-huit mois à Constantinople après le retour du basileus
(février 1440 - juillet 1441) ; du reste, il ne retourne en Morée que pour
entreprendre des pourparlers avec Démétrios et le sultan Mûrad II (46),
montrant clairement quel est le vrai rôle de la hiérarchie des « apanages » :
le but de Constantin, qui se résigne mal à rester loin de la capitale, est
d'obtenir l'échange de ses biens de Morée contre ceux de Démétrios, sur
la Mer Noire et à Sélymbria, tout simplement parce que c'est une position
commode et proche de Constantinople qui permet à son titulaire d'y être
vite présent en cas de succession. Démétrios l'indique d'une façon
éclatante lorsque, Jean VIII ayant prétendu confisquer une partie de ses
domaines, il vient mettre le siège devant la capitale, entre avril et
juillet 1442 (4?) : seule l'intervention de Mûrad permit de régler la question,
Démétrios accepta de céder son « apanage » contre compensation (48),
et Constantin fut mis en possession de Sélymbria en mars 1443 (49). Sa
victoire, qui le rapprochait tant du trône, ne pouvait cependant que
mécontenter Théodore II : dès le mois de juin, ce dernier obtient

(42) Chalkokondylis, éd. Darko, II/l, p. 19-20 ; Sphrantzis, p. 46.


(43) Sphrantzis, p. 50.
(44) Scholarios, m « Néo; 'EXXt)V01XVT)|icov ». 1924, p. 77.
(45) Sphrantzis, p. 54.
(46) Sphrantzis fut lui-même envoyé à Mésembria en tant qu'ambassadeur de
Constantin auprès de Démétrios afin « và àxxXGto EÎ; TÔv 5z<JTz6Tr\V XÛp ÀT)U.T)Tpt.OV &VCO
dç ttjv Meaé[a.ppi.av xcâ Scôctgj izpbç Ixeîvov àiïavxa t6v tôtiov» ov ôaûBêvTnç u-ou etç
-rèv Mopéav eïxev> 001x05 8è 7:àXt.v éXGûv tlç, ttjv IléXiv ëxTl f)Qv Zr\kv[i$ piav xcû -cov
j xé~ov gcûtoO MecrÉu.(3piav xcû xà àXXa ëcoç xwv Aêpxwv' xat e£$ i"k~t5a\> elvat,
Ç $a<Jikzia.$> wç T)Yob:a 6 PatriXcùç. ÉXEÎae eùpiaxéjxevov » (Sphrantzis, p. 64).
(47) Id., p. 64-66.
(48) Scholarios, m « Néo; 'EXXtjvclivtijiwv ». 1924- PP- 82"83-
(49) II en nomma Sphrantzis lui-même gouverneur (Sphrantzis, p. 66).
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l'échange de son despotat moréote contre la place de Sélymbria (50) ; ses


intentions sont claires, puisque, peu de temps après, on le voit comploter,
avec Thomas et Démétrios, afin de détrôner Jean VIII, et cela par deux
fois (51). Théodore disparu en juillet 1448, Jean meurt lui-même en
octobre et, après une tentative échouée de Démétrios, c'est Constantin,
successeur désigné, qui recueille enfin la succession, en mars 1449 (52). Il est
remarquable qu'il ait dès lors toujours refusé de pourvoir la «
principauté » de la Mer Noire, vacante depuis la mort de Théodore : il
supprimait, ce faisant, la dernière marche vers le pouvoir suprême.

Les princes possessionnés byzantins ne sont donc nullement attachés


à leurs domaines en raison de leur valeur intrinsèque : comme le firent
Constantin et Théodore II, ils sont toujours prêts à céder leurs biens de
Morée, réellement importants et auxquels ils ont consacré tant d'efforts,
contre quelques villes sans ressources et enclavées dans les domaines
ottomans, mais qui ont l'énorme avantage d'être proches de
Constantinople. Ainsi, la hiérarchie des « apanages », sous le règne de Jean VIII,
était-elle complètement indépendante de leur valeur économique et de
leur signification politique : à la base se trouvaient les possessions
moréotes de Thomas, puis venait le despotat de Mistra, et enfin le tout
culminait avec la principauté de Sélymbria dont le dernier titulaire,
Théodore II, est significativement le frère le plus âgé de l'empereur
régnant. On ne saurait s'empêcher de remarquer qu'une telle hiérarchie,
qui implique la rotation des princes possessionnés et leur montée
progressive vers le pouvoir suprême, ressemble d'une manière frappante à
celle qui existe, depuis Jaroslav le Sage, dans les principautés de Kiev
puis de Suzdal et de Moscou (53). A Byzance comme en Russie, le pouvoir
est désormais considéré avant tout comme une affaire familiale dont
chacun doit avoir une part proportionnée à son âge ou à sa puissance.

Le système des principautés, tel qu'il existe à Byzance aux xivvxv"


siècles, ne ressemble donc guère à celui que connut l'Occident. Plus que des
souverainetés stables, placées entre les mains de parents ou de grands

(50) « £uu.qKov£ai Yeyovaotv. oil b jtèv Sea-ornc xgù aùGévrnç u-ou tlç t6v Mopêav
kQxi xcâ tov toitov 7;âvxa xoû Sectt^tou xupoû 0eo5wpou \à$x\' éxeïvos 5è ziç ttjv
IIôXiv eXe-rj xcù tt)V Z,r\k\>ix$pia.v XàPfl. a 5tj xod êréveTO» (Sphrantzis, p. 66) ; Chalko-
KOXDYLIS, II/l, p. 80.
(51) Scholarios, loc. cit., pp. 85-90 ; Chalkokondylis, II/l, pp. 111-112.
(52) Cf. la notice publiée par Sp. Lambros, « UaktokoytLa Y.O.I Il£Xo7:ovvT)ffiaxà »> lv>
p. 90 ; Sphrantzis, p. 72.
(53) Sur le régime politique de la principauté de Kiev, cf. S.-B. Yushkov, Obchtestvenno-
polidtchestkij stroj i pravo Kievskogo gosudarstva (Le régime socio-politique et le droit
de l'Etat de Kiev), Moscou, 1949, part. pp. 65-75 ; sur ses implications foncières, I.-Ja. Fro-
jamov, Knjazheskoe zemlevladenie i khozjajstvo na Rusi X-XII vekov (Domaines princiers
et économie en Russie aux x»-xn« siècles), in Problemy Istorii Feodal'noj Rossii, Leningrad,
1971, p. 43-52.
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feudataires qui visent avant tout à se perpétuer dans les cadres de


domaines héréditaires, les principautés byzantines sont un mode familial
de gestion dont les différentes étapes sont subies avec impatience et dont
le stade final est toujours l'accession à l'Empire, étant entendu que
jamais un tel système n'a été érigé en loi écrite. Il ne nous semble pas
nécessaire, comme on a trop souvent coutume de le faire, de chercher
hors des frontières de l'Empire les origines de ce phénomène : il
s'explique parfaitement par l'évolution interne du monde byzantin et
représente, dans les conditions de l'époque, le seul compromis possible entre
la tenace idéologie impériale et les forces centrifuges toujours en progrès.
En tout cas, si on tient absolument à trouver des modèles étrangers, il
est exclu de les trouver en Occident où le système apanagiste, nous
l'avons dit, n'a rien à voir avec le nôtre : l'apanage est un moyen efficace
de contrôle, alors que l'autonomisme byzantin est évidemment un
symptôme de faiblesse et même d'anarchie (5-*) ; en revanche, il vaudrait
sans doute la peine d'étudier les éventuelles influences des modèles slaves
et même turcs avec lesquels Byzance était en bien plus étroite affinité.

En définitive, la pérennité du pouvoir central, tout théorique qu'il


fût au XVe siècle, après avoir déjà empêché la formation à Byzance d'une
véritable hiérarchie féodale et, de ce fait, entraîné un retard socio-politique
que le monde chrétien d'Orient n'a jamais pu rattraper, y a aussi interdit
l'apparition de principautés au sens propre, ces unités marginales qui,
tout en déniant au souverain la possibilité de les contrôler directement,
permettaient du moins de concilier les originalités et les particularismes
locaux avec le maintien d'un ensemble politique unitaire. A Byzance, les
deux composantes qui, dès le xr siècle, semblaient devoir concourir à la
naissance d'authentiques principautés, les particularismes aristocratiques
et le principe familial ont fini, depuis la fin du xivc siècle, par révéler leur
caractère contradictoire dans un empire qui ne pouvait pas oublier son
monarchisme rigoureux. Animés de visées égoïstes, mais aussi parce qu'ils
se sentaient porteurs de véritables solidarités locales, les cadres
aristocratiques des différentes « principautés » ont sans cesse cherché des
princes qui fussent vraiment leurs représentants et acceptassent de
s'enraciner à leurs côtés : la dernière révolte de la Morée, en 1453, est
réellement l'expression de ce désir lorsque, à la tête de troupes
essentiellement albanaises, elle reconnaît l'autorité d'un représentant de la
vieille famille des Cantacuzènes <55). Mais, comme avait manqué l'expé-

(54) C.-P. Wood, « The French Apanages and the Capetian Monarchy, 1224-1328 », Harvard
Historical Monographs, LIX, 1966, pp. 146-151 ; J.-W. Barker, art. cit., p. 117.
(55) II est significatif que les « Albanais » soulevés en 1453 aient fait de leur chef. Manuel
Cantacuzène, un « despote » comme l'écrit Sphrantzis, p. 104 : « ' E^avetTTTQaav ot TOÛ
Mopéwç ' AX-PavÏTat, xcnà xwv Secttioiûv xoâ aûGevxojv aOxwv xaî xôv. oùx ol5a xi
ï ^è Mf^ 5ectt:6ttiv xàxa ~E7:ot,Tixacriv »•
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rience thessalienne des Anges, ce regroupement spontané échoua tant


devant l'opposition des despotes que devant celle des Turcs. Les
provinces byzantines, travaillées par l'autonomisme, n'ont jamais eu de princes :
elles n'ont rencontré que des fils de famille entraînés dans la quête
dérisoire d'un trône fantôme. Nous n'avons d'ailleurs aucune raison de
croire que seuls les princes avaient sans cesse les yeux tournés vers
Constantinople : à notre sens, c'est dans le profond enracinement
populaire de l'idée impériale, de plus en plus symbolique mais peut-être
d'autant plus chère à tous, qu'il faut chercher l'origine de l'incapacité
grecque à s'accomplir en Etat dans la première moitié du xv° siècle, les
luttes fratricides des despotes n'apportant qu'un facteur supplémentaire
de division dans une Grèce dont la capitale idéale restait Constantinople.
En fait, les « principautés » grecques n'ont laissé aucune trace au-delà
de la conquête turque, et même la Morée ne nous semble guère expliquer
la future Grèce qui s'élaborera, aux xvnr et xixc siècles, à contre-courant
d'une idéologie restée impériale et dont les Phanariotes furent longtemps
les adeptes (56).

(56) Cf. G. Cassimatis, « Esquisse d'une sociologie du Phanariotisme », in L'Epoque pha-


nariote, Thessalonique, 1974 pp. 159-166.

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