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Ducellier Alain. Les « principautés » byzantines sous les Paléologues : autonomismes réels ou nouveau système impérial ?.
In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 4ᵉ congrès, Bordeaux,
1973. Les Principautés au Moyen-Age. pp. 161-172;
doi : https://doi.org/10.3406/shmes.1973.1257
https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1979_act_4_1_1257
(2) La chose est particulièrement nette pour l'Etat épirote. Cf. L. Stiernox, « Les
origines du Despctat d'Epire ». R E.B., XVTI, 195e) pp. 90-126, réfutation justifiée de l'ouvrage
de D. Nicol, The Despotate of Epiriis (Oxford, 1957) dont une critique sévère avait déjà paru
sous la plume de Paul Lemerle (B.Z., LI 1958, p. 403).
(3) H. Ahrweiler, « La politique agraire des empereurs de Nicée », Byz., XXVIII, 1958,
pp. 55-57.
(4) G. Ostrocorsku, Pour l'histoire de la Féodalité byzantine, pp. 71, 93-96, 123-126, 130-
139 ; Jacoby, art. cit., p. 431.
(5) Manuel il « av^Xau-Pàvei toù$ ïlzkor^ovvr\<jioiv apxovxaç. oï 7:oXùv x
teç xpôvov tÎ)v x^pav oûSèv ti T:âvu -zIQzgQcli toï; 'EXXtjvwv riytixÔGi PoûXoivto. c
Tl LU] O"q>îct,V aÛTOÎ; Soxoûv ZÇ II wcpEXsîv aÛTOÙç * (Chalkokondylis, éd. Darko, Budapest,
1922, I, p. 173).
(6) B. Ferjancic, « Posedi porodice Maliasina u Tesaliji » (« Les possessions des
Mélissènes en Thessalie *), Z.R.V.I., IX. Beograd, 1966, pp. 33-47.
(7) Gregoras, Bonn, I, pp. 229 et 278 ; G.-C. Soulis, « The Thessalian Vlachia », Z.R.V.I.,
VIII/1, Beograd, 1963, pp. 271-273.
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maîtres du pays (g). Quand, en 1333, la mort du plus puissant d'entre eux,
Etienne Gabriélopoulos Mélissène, rend la province à l'empereur Andro-
nic III, le sentiment autonomiste y est donc très fortement implanté (9).
Comment s'étonner, dans ces conditions, que la noblesse thessalienne ait
mis à profit l'affaiblissement de l'Etat pendant la guerre civile, et en
particulier lors des défaites subies par Jean Cantacuzène en 1341-1342 ?
C'est alors qu'une ambassade de « l'armée et des aristocrates des villes »
vient demander à l'empereur de reconnaître son ami Jean Ange comme
gouverneur de Thessalie : le chrysobulle qui lui est effectivement délivré
fonde cette province comme unité autonome reconnaissant, dans
certaines limites, la suzeraineté de l'Empire ; c'est-à-dire que la Thessalie est
bien, cette fois, une principauté : Jean Ange est gouverneur de la
province, villes et campagnes, à titre viager, mais il pourra, avec
l'autorisation de l'empereur, la transmettre à son fils. En outre, il promet d'être
l'ami des amis du souverain et l'ennemi de ses ennemis, il reconnaît sa
« sujétion » (SouXocnivT]) à son égard, participera personnellement et avec
toutes ses troupes aux expéditions militaires dirigées contre les provinces
occidentales mais, pour toute campagne qui devra dépasser Christopolis,
s'il est toujours tenu de servir personnellement, il n'apportera « qu'autant
de troupes qu'il le pourra (10) ». Il est bien évident qu'un tel texte n'est
plus une simple nomination : c'est un véritable contrat qui attache
personnellement Jean Ange à Cantacuzène, mais qui limite sérieusement
l'autorité de l'Etat sur les domaines cédés. Dans la naissance d'une telle
principauté, nous ne croyons guère à une quelconque influence «
féodale » : nous penserions plus volontiers aux exemples d'attachement
personnel que Cantacuzène comme les Thessaliens avaient pu voir dans la
Serbie de Stepan Dusan et qui seront bientôt légalisés dans le code de
ce tsar, dès la diète de 1349 dD. En tout cas, nous avons ici un cas très
net de principauté pour ainsi dire sécrétée par l'aristocratie locale au
profit d'un des siens. Sans doute est-ce aussi le même substrat qui, en
1326-1327, avait poussé Jean Paléologue, gouverneur de Thessalonique, à
« s'y constituer une souveraineté indépendante » : dans cette tentative
vite avortée, l'alliance avec le tsar Stepan Decanski laisse entrevoir où le
prince rebelle avait pu trouver son inspiration^).
Il n'en reste pas moins que l'idée autonomiste était dans l'air, même
si elle se heurtait toujours à l'aversion profonde des byzantins qui, tout
en se laissant volontiers aller à des comportements « excentriques »,
resteront toujours opposés à toute division permanente de l'Etat (22). A
cet égard, la lenteur avec laquelle se dessine, en Morée, l'évolution vers
un statut de principauté, est extrêmement significative. Nous savons
déjà que cette province possédait depuis longtemps une puissante classe
archontale, bien antérieure à la conquête franque et, malgré les efforts
pour prouver le contraire, il semble évident que le système pronoiaire,
loin d'être une projection a posteriori de la Chronique de Morée, y
existait anciennement et, en se patrimonialisant sous la domination latine,
a eu tendance à encore renforcer les cadres aristocratiques plus anciens (23)
L'autonomie des princes de Morée est donc grande, de par les buts
mêmes qui leur sont fixés. D'abord, l'empereur n'a pas toute liberté pour
nommer un despote : pour assurer la succession de son frère Théodore 1er
à son fils Théodore II, Manuel envoie ce dernier en Morée « à condition
que Théodore Ier fît de l'enfant son successeur dans le Péloponnèse (33), ce
qui indique que le despote avait au moins son mot à dire au sujet de
sa succession. De même, lorsque Théodore II, après avoir fait mine
d'abdiquer en faveur de son frère Constantin, refuse en définitive
d'abandonner le pouvoir, l'empereur Jean VIII ne peut pas le contraindre et
se voit forcé de constituer un nouveau domaine pour Constantin (34). En
outre, les despotes se permettent souvent de mener une politique
personnelle qui peut aller jusqu'à la disposition d'une partie de leur
territoire en faveur de l'étranger : Théodore Ier, effrayé par la victoire turque
de Nicopolis, en vint ainsi à céder plusieurs places de Morée, dont Mistra
elle-même, aux chevaliers de Rhodes (35), tout comme Andronic, fils de
Manuel II et despote de Thessalonique, finit par laisser, en 1423, cette
ville entre les mains des Vénitiens (36).
Le fait que la Morée soit dès lors une structure politique cohérente
est bien senti, par exemple, par Gémiste Pléthon qui définit le « pays des
Hellènes » comme « le Péloponnèse, toute la partie adjacente à l'Europe
et les îles voisines », contrée que « ni gouvernants ni gouvernés ne peu-
(32) G.I. Dennis, The Reign of Manuel II Palaeologos in Thessalonica, 1382, Roma, 1960.
(33) « tôv 5à 0e65wpou toutou -câSa ovxa PacriXeûç 'Eu.|tavoufiXos ir.zr.6p.czi r.a-
pà àSsXcpèv aÛTOÛ ©séSwpov tov ~op9upoY£vvnTOv. écp' y SuxSoxov te tôv ~aî5a xa-
X i~l if\ neXoTZOWno-tp » (Ch4Lkokondylis, éd. Darko, I, p. 193).
(34) Id., I, p. 204, et Sphrantzis, pp. 24-26.
(35) Chalkokond\lis, I, p. 91 ; Pseudo-Sphrantzis, p. 204 ; Manuel II, Oraison funèbre de
son frère Théodore, P.G. 156, col. 240 B.
(36) Chalkokondylis, I, p. 193 ; cf. J. Tsaras, « La fin d'Andronic Paléologue, dernier
despote de Thessalonique », Revue des Etudes sud-est européennes, 1965, III, pp. 419-432.
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vent préférer à d'autres régions (37) » : pour lui, la principauté est devenue
le dernier réduit où, au prix d'une réorganisation fondamentale des
structures socio-économiques, les souverains grecs pourront résister
victorieusement à l'assaut ottoman. Constantin Dragasès, précisément
disciple de Pléthon, devait tenter de donner à la Morée ces structures
capables d'assurer sa cohérence : nomination de gouverneurs, comme
Sphrantzis à Mistra, Jean Cantacuzène à Corinthe, Alexis Laskaris à
Patras (38), création auprès de lui d'un poste de premier ministre (xaSoXucè;
u.eaàÇcov) confié à un grand représentant de l'aristocratie locale, Sophia-
nos Eudémonoiôannis, qu'il comptait ainsi à la fois contenter et
surveil er (39), réorganisation militaire, enfin, surtout avec la réparation de l'Exa-
milion, mur protecteur qui barrait l'isthme de Corinthe. Sans doute, s'il
en eût eu le temps, eût-il aussi amorcé des réformes plus profondes, comme
ce transfert de sa capitale à Corinthe, que lui conseillait Bessarion (4°),
ou la refonte complète de la société et de l'économie que ce même
Bessarion lui rappelait, en se fondant sur les idées de leur commun maître
Pléthon. Malheureusement, la guerre contre les Francs d'Athènes, qui
devait entraîner une désastreuse riposte turque, remit tout en question
à la fin de 1447 (41).
(50) « £uu.qKov£ai Yeyovaotv. oil b jtèv Sea-ornc xgù aùGévrnç u-ou tlç t6v Mopêav
kQxi xcâ tov toitov 7;âvxa xoû Sectt^tou xupoû 0eo5wpou \à$x\' éxeïvos 5è ziç ttjv
IIôXiv eXe-rj xcù tt)V Z,r\k\>ix$pia.v XàPfl. a 5tj xod êréveTO» (Sphrantzis, p. 66) ; Chalko-
KOXDYLIS, II/l, p. 80.
(51) Scholarios, loc. cit., pp. 85-90 ; Chalkokondylis, II/l, pp. 111-112.
(52) Cf. la notice publiée par Sp. Lambros, « UaktokoytLa Y.O.I Il£Xo7:ovvT)ffiaxà »> lv>
p. 90 ; Sphrantzis, p. 72.
(53) Sur le régime politique de la principauté de Kiev, cf. S.-B. Yushkov, Obchtestvenno-
polidtchestkij stroj i pravo Kievskogo gosudarstva (Le régime socio-politique et le droit
de l'Etat de Kiev), Moscou, 1949, part. pp. 65-75 ; sur ses implications foncières, I.-Ja. Fro-
jamov, Knjazheskoe zemlevladenie i khozjajstvo na Rusi X-XII vekov (Domaines princiers
et économie en Russie aux x»-xn« siècles), in Problemy Istorii Feodal'noj Rossii, Leningrad,
1971, p. 43-52.
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(54) C.-P. Wood, « The French Apanages and the Capetian Monarchy, 1224-1328 », Harvard
Historical Monographs, LIX, 1966, pp. 146-151 ; J.-W. Barker, art. cit., p. 117.
(55) II est significatif que les « Albanais » soulevés en 1453 aient fait de leur chef. Manuel
Cantacuzène, un « despote » comme l'écrit Sphrantzis, p. 104 : « ' E^avetTTTQaav ot TOÛ
Mopéwç ' AX-PavÏTat, xcnà xwv Secttioiûv xoâ aûGevxojv aOxwv xaî xôv. oùx ol5a xi
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