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Article paru dans Les Idées passent-elles la Manche ?

Savoirs,
représentations, pratiques (France-Angleterre, Xe-XXe siècle). Actes du
colloque de la Sorbonne, 18-20 septembre 2003, dir. J.-Ph. Genet, F.-J.
Ruggiu, Paris, 2007, p. 287-303.

Martin AURELL

LA MATIÈRE DE BRETAGNE VERS LE CONTINENT AU XIIe SIÈCLE

Au XIIe siècle, la Manche est-elle barrière ou corridor ? Isole ou unit-elle les


hommes de l’île et ceux du continent ?
Les spécialistes du royaume anglo-normand et de l’Empire des Plantagenêt ont
longuement débattu à ce sujet. Les uns insistent sur le caractère artificiel et accidentel du
regroupement de principautés que ces deux vastes formations territoriales impliquent de
part et d’autre de la mer1. Les autres soulignent, en revanche, la proximité des côtes et le
facile brassage des populations qui en résulte2.
Les conditions de navigation ont souvent retenu l’attention de ces polémistes.
Pour les premiers, l’Atlantique, toujours déchaînée, est une mer dangereuse coulant trop
souvent les frêles esquifs qui osent la défier : si besoin était, le naufrage de la Blanche
Nef (1120) avec l’héritier d’Henri Ier (1100-1135), entraînant la guerre civile et la
séparation de l’Angleterre et de la Normandie, en apporte la preuve irréfutable. Pour les
seconds, par contre, le Chanel fournit un moyen de communication rapide, bien plus
efficace que les défaillantes voies terrestres : de solides navires, conduits par des marins
expérimentés (et moins ivres que ceux de la Blanche Nef !), l’empruntent sans cesse ; en
dépit de la brève séparation contre-nature, due à l’“ anarchie ” des années 1130-1140, la
survie plus que centenaire du royaume anglo-normand unitaire témoigne en faveur de la
thèse d’une communauté d’intérêts et de cultures des deux côtés opposés de la Manche.

Force est d’apporter un autre argument de poids aux partisans de la facilité des
échanges. Les intellectuels anglais sont nombreux à avoir entrepris des études sur le
continent. L’épitaphe de Richard Palmer (†1195), archevêque de Messine, en Sicile,
témoigne de ces voyages en quête de savoir : “ L’Angleterre m’enfanta, la Gaule
m’éduqua et la Trinacrie m’aima : je lui laisse donc mes cendres3. ” De même, l’exemple
de Jean de Salisbury (1115-1180), le penseur le plus en vue de la Renaissance du XIIe
siècle, est sans appel : son admiration envers ses maîtres chartrains n’a d’égal que sa
passion pour Paris, “ paradis ” (le jeu de mots qu’il développe lui-même) de sa jeunesse,
ville phare où, dit-il, les anges montent et descendent comme sur l’échelle de Jacob4. Les
1
C.W. Hollister, “ Normandy, France and the Anglo-Norman regnum ”, Speculum, 51, 1976, p. 202-
242, J.C. Holt, “ The End of the Anglo-Norman Realm ”, Proceedings of the British Academy, 61,
1975, p. 223-265.
2
J. Le Patourel, Feudal Empires: Norman and Plantagenet, Londres, 1984, The Norman Empire,
Oxford, 1976.
3
E. Salter, English and International: Studies in the Literature, Art and Patronage of Medieval
England, Cambridge, 1988, p. 18.
4
The Letters of John of Salisbury, t. 2, The Later Letters (1163-1180), éd. et trad. angl. W.J. Millor,
C.N.L. Brooke, Oxford, 1979, n° 136, t. 2, p. 6-7.

1
écoles cathédrales du continent fournissent alors un contingent, aussi nombreux que bien
formé, de légistes et artiens qui travaillent dans l’administration d’Henri II (1154-1189).
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a deux fois plus de titulaires d’une licencia
docendi auprès du roi d’Angleterre que de Philippe Auguste (1180-1223), alors que les
meilleures écoles se trouvent dans le royaume de France5. Cette prépondérance des
lettrés dans la bureaucratie donne au moins un siècle d’avance à la monarchie anglaise
dans la genèse d’un État de type moderne6.
Le but du présent exposé n’est pas, toutefois, d’analyser ce groupe de litterati,
clercs entendant le latin, imbus de culture classique et ecclésiastique, qui traversent si
souvent la Manche7. Il y sera plutôt question de chevaliers, bardes et jongleurs, ilitterati
ou “ illettrés ” au sens médiéval du terme. En effet, la langue de leur création littéraire
n’est pas celle de Cicéron ou de Sénèque, auteurs dont les prêtres admirent alors la
morale stoïcienne, mais les parlers vernaculaires ou, avec une connotation plus
péjorative, vulgaires. Les thèmes qu’ils développent et les personnages qu’ils mettent en
scène relèvent, en outre, de la fiction divertissante plutôt que de la théologie spéculative,
de l’éthique pratique ou de la norme juridique. Enfin, la voix véhicule leur œuvre, conçue
davantage pour l’oral que pour l’écrit, pour la performance que pour la lecture. Cette
littérature courtoise est, en définitive, plus profane que sacrée.
A l’époque, son expression la plus accomplie est sûrement la légende arthurienne.
Cette matière de [Grande-]Bretagne connaît une large diffusion sur le continent. De ce
côté-ci de la Manche, tout au long des XIIe et XIIIe siècles, poètes et romanciers se
l’approprient, la traduisant ou plutôt la “ transférant ” (translater, en ancien français) à
leur langue, pour l’adapter aux conditions géographiques et sociales spécifiques de leur
auditoire. Les canaux par lesquels ils ont eu connaissance des faits et gestes du roi
Arthur et des chevaliers de la Table ronde sont multiples, tout comme les intermédiaires
culturels qui leur ont apporté ces thèmes littéraires qu’ils ont, par la suite, adaptés à leur
guise. Nous ne pouvons cependant commenter ici que trois exemples, l’un relevant de la
communication orale et les autres de la circulation écrite : le voyage d’un barde gallois à
Poitiers et la réception de deux manuscrits anglo-normands dans l’Empire romano-
germanique.

La voix : un barde en Aquitaine

Composée vers 1200, une partie de la Continuation-Perceval, roman prolongeant


le Conte du Graal (1181-1190) de Chrétien de Troyes, est parfois attribuée à Wauchier
de Denain, un auteur de vies de saints proche du comte de Flandre. Au milieu de ce récit,
on trouve un surprenant appel à une source d’inspiration des aventures de Perceval :
“ Je veux vous exposer ses gestes, ainsi que les raconte Bleddri (Bleheris), qui fut né et
engendré au Pays de Galles. Je rapporte son conte, qu’il récitait au comte de Poitiers,
qui aimait cette histoire et qui la gardait, plus qu’aucun autre, en mémoire8. ” Ce conteur
5
J.W. Baldwin, “ Studium et Regnum. The Penetration of University Personnel into French and English
Administration at the Turn of the 12th and 13th Centuries ”, Revue islamique, 44, 1976, p. 199-211.
6
J.-Ph. Genet, La Genèse de l’Etat moderne. Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003.
7
Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à M. Aurell, L’Empire des Plantagenêt, Paris, 2003.
8
W. Roach, The Continuations of the Old French Perceval of Chrétien de Troyes, Philadelphie (Pen),
1971, t. 4, p. 392, édition qui ne retient pas cette lecture, mais qu’elle présente dans l’apparat critique
avec les variantes des manuscrits M, P, T et V. Voir plutôt J.L. Weston, “ Wauchier de Denain and
Bleheris (Bledhericus) ”, Romania, 34, 1905, p. 100-105.

2
gallois est cité de façon moins précise dans deux autres textes augmentant, à la même
époque, le Conte du Graal : la Continuation-Gauvain et l’Elucidation, prologue ajouté a
posteriori aux histoires de Perceval9.
L’apparition du barde Bleddri relève-t-elle d’un procédé rhétorique pour captiver
l’attention de son public ? Est-ce un personnage fictif, sorti tout droit de l’imagination
des continuateurs de Chrétien de Troyes pour authentifier leur récit ? La mention de ses
performances à la cour du comte de Poitiers ne serait-elle qu’une captatio benevolentiæ
de plus ? Son nom gallois, qu’on traduit par “ roi de loups ” ou “ roi similaire aux
loups ”, très répandu dans son pays 10, ne serait-il qu’une imposture, trompant non
seulement l’auditeur médiéval, mais l’érudit contemporain ?

Depuis la fin du XIXe siècle, le problème a été, maintes fois, débattu par les
philologues. Publiée en 1967, un article de Pierre Gallais apporte cependant
d’importants éléments en faveur de l’historicité du séjour de Bleddri auprès de
Guillaume IX (1186-1126), duc d’Aquitaine et premier troubadour connu : une étude
minutieuse des cartulaires poitevins de l’époque lui permet, en particulier, d’observer
l’adoption du prénom Gauvain, à partir des années 1090, par l’aristocratie locale. Cette
nouvelle mode onomastique pourrait coïncider avec le passage en Poitou, sinon de
Bleddri, du moins avec des bardes issus de son milieu11.
Une conclusion similaire pourrait être tirée de la mention précoce d’Arthur, dans
la dernière strophe d’une chanson contre les mauvais maris et les pires amants,
composée par le jongleur Marcabru (1130-1149), qui regrette le duc Guillaume X
d’Aquitaine (1126-1137) : “ Puisque le Poitevin me manque, je serai désormais perdu
comme Arthur12. ” Ces vers renferment peut-être une allusion à “ l’espoir breton ”,
l’attente du retour du roi légendaire, provisoirement disparu, qui permettra aux Gallois
et autres Celtes insulaires de renouer avec la victoire contre les envahisseurs anglo-
saxons ou normands13. Cette mention d’Arthur doit être datée de quelques semaines
après le 9 avril 1137, jour de la mort de Guillaume X en pèlerinage à Saint-Jacques de
Compostelle14. Elle ne s’inspire donc pas de Geoffroi de Monmouth, dont L’Histoire
des rois de Bretagne n’est véritablement connue des autres écrivains et du public avant
janvier 1139 15. Elle est extrêmement précoce, et elle ne peut trouver son origine que

9
Éd. Roach, The Continuations…, t. 3, part I, p. 422, v. 6552, et p. 423, v. 6550, et The Elucidation.
A Prologue to the Conte del Graal, éd. A.W. Thompson, New York, 1931, p. 86, v. 12, et p. 91, v.
162.
10
R. Bromwich, “ First Transmission to England and France ”, The Arthur of the Welsh, dir. R.
Bromwich, A.O.H. Jarman, B.F. Roberts, Cardiff, 1991, p. 287.
11
“ Bleheri, la cour de Poitiers et la diffusion des récits arthuriens sur le continent ”, Moyen Age et
littérature comparée, Paris, 1967, p. 47-79.
12
Marcabru. A Critical Edition, éd. S. Gaunt, R. Harvey, L. Paterson, Cambridge, 2000, n° 4b
(d’après le ms A, seul à conserver ces vers), v. 59-60, p. 84. Voir p. 68-69 et 87 n.
13
Voir F. Pirot, Recherches sur les connaissances littéraires des troubadours occitans et catalans des
XIIe et XIIIe siècles, Barcelone, 1972, p. 439-441.
14
Elle peut même être antérieure, si l’on considère que l’absence du Poitevin n’est pas due à sa mort,
mais au voyage entrepris par Marcabru de Gascogne en Castille, dont il est question dans cette strophe.
15
Robert de Torigni, Chronicle, dans Chronicles of the Reigns of Stephen, Henry II, and Richard I, éd.
R. Howlett (RS 82), Londres, 1889, t. 4, p. 64-75. Voir J.S.P. Tatlock, The Legendary History of
Britain, Berkeley, 1950, p. 433-437, et The Historia Regum Britannie of Geoffrey of Monmouth: Gesta
Regum Britannie, ed. et trad. N. Wright, Cambridge, 1985-1991, t. 1, p. XI-XVI.

3
dans les récits pré-galfrédiens en langue galloise16. On n’en connaît, en effet, sur le
continent aucune autre pour la première moitié du XIIe siècle, à l’exception de l’épisode
de la délivrance de Guenièvre (Winlogee) par Arthur, sculptée sur le portail de la
Pescheria de la cathédrale de Modène (Émilie) dans les années 1120-1140 17.
A la cour de Guillaume IX et de Guillaume X, Marcabru a fréquenté Cercamon, un
autre poète occitan dont le nom (“ Celui qui cherche, qui parcourt, le monde ”) rappelle
le voyage inlassable des bardes et jongleurs. Comme lui, ce dernier jouit de la protection
de Guillaume X, pour lequel il a composé un planh à sa mort18. Comme lui aussi,
Cercamon est familier de la matière de Bretagne, et plus précisément de la légende de
Tristan et d’Iseut. Il affirme, en effet, dans un sirventes moral contre les amants
hypocrites : “ J’ai encore le cœur de Tristan19. ” Rédigé avant 1150, ce poème contient
la toute première mention écrite de la légende de l’amour fatal du neveu et de l’épouse
du roi Marc20. Or, il est intéressant de constater que Thomas d’Angleterre dit, dans son
Tristan (1172-1176), que les conteurs ne rapportent plus cette histoire “ selon Bleddri,
qui savait les gestes et les contes de tous les rois et de tous les comtes qui vivaient en
Bretagne ”21. À nouveau, l’enquête sur la diffusion continentale de la légende arthurienne
retrouve la piste du barde gallois et de ses prestations à la cour poitevine.

Bleddri est bien attesté sur l’île22. Le Cambro-normand Giraud de Barri (1146-
1223), dans sa Description du Pays de Galles (1193-1194), le présente comme famosus
ille fabulator, “ le conteur célèbre ”, ou plus vraisemblablement avec une pointe d’ironie
“ le fameux affabulateur ”. Il lui attribue un mot d’esprit au sujet des pêcheurs gallois
qui transportent sur leur dos leurs barques d’une rivière à l’autre : “ Il y a parmi nous
des gens qui, quand ils partent à la recherche de butin, transportent leurs chevaux sur les
épaules à l’endroit qu’ils vont piller : ils montent alors sur eux et, dès qu’ils ont pris leur
butin, ils les rapportent à nouveau sur leur dos chez eux23. ”
Quelle valeur accorder encore à ce témoignage ? Quoiqu’en latin, ce texte nous
transmet une anecdote drôle, que Giraud de Barri a pu entendre de la bouche d’un
conteur. Son facétieux Bledhericus deviendrait alors aussi invraisemblable que deux
conteurs dont le nom présente des assonances proches du sien : Bledgabred, roi-poète

16
Voir, en dernier lieu, une anthologie commode, The Celtic Sources for the Arthurian Legend, dir.
J.B. Coe, S. Young, Felinfach (Llanerch), 1995, ainsi que The Arthur of the Welsh…
17
J. Stiennon, R. Lejeune, “ La légende arthurienne dans la sculpture de la cathédrale de Modène ”,
Cahiers de Civilisation Médiévale, 6, 1963, p. 284-286.
18
Les poésies de Cercamon, éd. A. Jeanroy, Paris, 1922, n° 6, p. 19.
19
Et ai n’enqer lo cor Tristan, Il trovatore Cercamon, éd. et trad. it. V. Tortoreto, Modène, 1981, p.
141, VI, 38. F. Pirot (Recherches…, p. 450-458), traduit plutôt “ Je me suis mis dans l’état de subir le
cœur de Tristan ”, et argumente longement son choix en raison des débats auxquels l’interprétation de
ces vers a donné lieu. Pour M. Delbouille, en effet, il faudrait plutôt lire “ cœur triste ”, que “ cœur de
Tristan ”, et cette traduction est aussi adoptée par V. Tortoreto, la plus récente éditrice de Cercamon : ne
ho ancora il cuore rattristato, ibid.
20
Les sculptures de la porte francigena de Saint-Jacques de Compostelle, où quelques historiens de l’art
croient pouvoir déceler des scènes du cycle de Tristan, dateraient de 1105-1112, A. Stones, “ Arthurian
Art since Loomis ”, Arturus Rex, dir. W. van Hoecke, G. Tournoy, W. Verbeke, Leuven, 1987-1991, t.
2, p. 33, d’après les travaux de S. Moralejo. Contrairement aux personnages de Modène, accompagnés
d’inscriptions épigraphiques d’époque, cette identification ne peut être formulée qu’à titre d’hypothèse.
21
Le Roman de Tristan par Thomas, éd. J. Bédier, Paris, 1902, t. 1, p. 377, v. 2121-2123.
22
A cause de cette documentation, on ne saurait certainement pas adhérer à l’affirmation de Ph. Walter,
voyant dans Bleddri “ un nom sans visage ” (Arthur, l’ours et le roi, Paris, 2002, p. 43).
23
“ Descriptio Kambriæ ”, Giraldi Cambrensis Opera, éd. J.F. Dimock (RS 21), Londres, 1868, t. 6,
p. 202, I, 17.

4
mis en scène dans l’Histoire des rois de Bretagne (1136-1138) de Geoffroi de
Monmouth24, et Blaise, confesseur de la mère de Merlin et source d’autorité à laquelle le
pseudo-Robert de Boron dit, dans le Didot-Perceval (1205-1210), avoir puisé des
détails, inconnus de Chrétien de Troyes, sur les aventures d’Arthur et ses chevaliers25.
Pourtant, même s’il rapporte, à d’autres occasions, des anecdotes fictives sous le sceau
de l’authenticité, Giraud de Barri, se fait souvent l’écho de la réalité de son temps. Dans
le même passage de la Description du Pays de Galles, il donne ainsi un renseignement
chronologique précis sur Bleddri, qu’il dit avoir vécu peu avant lui.
C’est pourquoi chercher Bleddri dans les chartes et chroniques galloises des
années 1100, pour les comparer aux textes littéraires que nous venons d’analyser, ne
paraît pas déplacé sur le plan strictement épistémologique. Plusieurs érudits s’y sont
essayés depuis la fin du XIXe siècle, et il importe de livrer ici leurs découvertes
documentaires26. Bleddri est né, vers 1080, de Cadifor Fawr et d’Elinor qui appartient,
comme son mari, à l’une des lignées royales du Pays de Galles. Le Brut y Tywysogion,
chronique de la fin du Moyen Age en langue cymrique, nous apprend de Cadifor qu’il
est “ seigneur suprême de la terre de Dyfed ”27, le plus occidental des cinq royaumes
gallois. Cadifor meurt en 1091, et l’aristocratie de sa région est alors prise dans des
guerres intestines : à cette date, ses fils combattent sans succès, à la bataille de
Llandudhoch, Rhys (1075-1093), roi de Deheurbarth, qui étend son influence, depuis
son domaine septentrional, sur le Dyfed. Ces luttes entre Gallois permettent finalement
aux Normands de prendre possession de la partie méridionale du Glamorgan et du
Dyfed.
C’est dans ce contexte que Bleddri hérite de ses terres. Pour les préserver, il doit
entretenir des relations de bon voisinage avec les nouveaux venus, ce qui n’est pas
toujours facile. Dans les années 1130, les Pipe rolls mentionnent ainsi les vingt sous que
Bleddri “ le Gallois ” doit verser au trésor en compensation du meurtre d’un des
Flamands installés dans la région avec les hommes de Guillaume le Conquérant (1066-
1087). En dépit de cet incident, Bleddri semble avoir plutôt collaboré avec l’envahisseur
normand : en 1116, il se voit confier la garde du château d’Aber Cofwy par Robert
Courtemain, au moment même où Gruffud, fils du roi Rhys de Deheurbarth, réclame par
les armes ses droits sur le Dyfed28. Cette bonne entente avec les Normands pourrait être
corroborée par la donation d’une terre que, entre 1129 et 1134, Bleddri accorde à l’église
de Saint-Jean de Carmarthen, récemment transformée en prieuré augustin par Hugues de
Lacy29. A l’image de cette maison canoniale, toute la ville-forteresse de Carmarthen,
près de laquelle s’étend le domaine de Bleddri, est alors contrôlée par les Normands, qui
en font le centre névralgique de leur domination sur le Pays de Galles méridional30. C’est

24
The Historia…, t. 1, §52.
25
The Didot-Perceval according to the mss of Modena and Paris, éd. W. Roach, Philadelphie, 1941,
p. 220.
26
Voir, en dernier lieu, T. James, “ Bleddri ap Cadifor ap Collwyn, Lord of Blaencuch and Cil-Sant.
Fabulator or Arthurian romance ? ”, The Carmarthenshire Antiquary, 33, 1997, p. 27-42, que nous
suivons largement ici.
27
Version Hergest du Brut y Tywysogion or the Chronicle of the Princes, éd. et trad. angl. Th. Jones,
Cardiff, 1955, t. 3, p. 99-101.
28
Magnum rotulum Scaccarii vel rotulum pipæ, anno tricesimo primo regni Henrici primi, éd. J.
Hunter, Londres, 1833, p. 89-90 et 147.
29
Cartularium sancti Johannis Baptiste de Caermathen, éd. Th. Phillips, Cheltenham, 1865, n° 33,
acte reéditée par James, “ Bleddri… ”, p. 29.
30
R.R. Davies, Conquest, Coexistence and Change: Wales, 1063-1415, Oxford, 1987, p. 37 et 196.

5
dans cette même “ Cité de Merlin ” (Caer-Myrddin) qu’on fixera par écrit, dans les
années 1250, une partie des légendes arthuriennes largement véhiculées jusqu’alors de
façon orale dans sa région31. Le pays de Carmarthen est vraisemblablement le berceau et
l’épicentre de la diffusion de la matière de Bretagne.

La charte de donation de 1129-1134 est intéressante à un autre titre : elle accole au


génitif l’épithète professionnelle de latimer ou latinier au nom de Bledericus. Ce
personnage appartient donc à la catégorie des interprètes et traducteurs, bien attestés en
Grande Bretagne au XIIe siècle32. La littérature abonde en exemples sur eux. Vers 1100,
Culwch ac Olwen met ainsi en scène Gwrhyr, qu’il qualifie de gwalstawd, transcription
celtique du mot anglo-saxon Wealhstod désignant l’interprète : au service d’Arthur, ce
ployglotte, “ qui savait toutes les langues ”, doit dialoguer avec le berger Custenhin le
Châtré, avec le portier acariâtre de Wrnach le Géant, ou avec l’oiseau, l’aigle et le
saumon, animaux les plus anciens du monde ; il part même, sous forme d’oiseau, en
Irlande, pour parlementer avec le sanglier Twrch Trwyth, que son maître se chargera
ensuite de chasser33. Le merveilleux est, en revanche, absent de la description de
l’interprète anonyme qui, dans l’Histoire des rois de Bretagne de Geoffroi de
Monmouth, traduit les premiers mots doux échangés entre le Celte Vortegirn et la
Saxonne Ronwen, contribuant ainsi à enflammer la passion fatale qui ouvrira bientôt l’île
aux envahisseurs34. Traduisant ce passage dans son Roman de Brut (1155), Wace
enrichit la description de l’interprète, donnant une tout autre envergure à ce personnage,
peut-être en raison d’une certaine solidarité professionnelle à son égard ; il lui attribue le
nom aux résonances armoricaines ou galloises de Kérédic, et il dit à son sujet : “ il était
breton et bon latimer ; ce fut le premier des Bretons à connaître la langue des Saxons35. ”
Ces trois textes littéraires nous introduisent, en somme, dans le monde d’interprètes et
traducteurs, nombreux dans la société plurilingue de l’île.
Ils ne sont guère contredits par les documents des archives administratives des
rois d’Angleterre. Débarqué sur l’île en 1066, Guillaume le Conquérant utilise, lui-même,
continuellement un traducteur. Le Domesday book (1086) mentionne jusqu’à sept
interpretes ou latimarii, recevant parfois des terres de la royauté en rémunération de leur
travail. Sous les rois angevins, les Pipe rolls contiennent leurs gages : en 1212, par
exemple, Wrenoc, fils de Meurig de Powis, reçoit une terre par sergenterie ut sit
latimerius inter Anglos et Walenses36. Ce personnage appartient à la haute aristocratie :
il est, en effet, le petit-fils d’Emma, fille naturelle de Geoffroi le Bel (1131-1151), comte
d’Anjou ; Henri II avait marié celle-ci, sa demi-sœur, à Daffydd de Gwynedd, l’un de
ses plus fidèles soutiens au Pays de Galles37. L’ascendance de Wrenoc est donc un
savant mélange, concocté par la royauté elle-même, d’éléments angevins, normands et
gallois.
31
A.O.H. Jarman, “ The Legend of Merlin and its Association with Carmarthen ”, The Carmanthenshire
Antiquary, 22, 1986, p. 15-25, et “ The Arthurian Allusions in the Black Book of Carmarthen ”, The
Legend of Arthur in the Middle Ages, dir. P.B. Grout, Cambridge, 1983, p. 100-101.
32
C. Bullock-Davies, Professional Interpreters and the Matter of Britain, Cardif, 1966.
33
Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Age, trad. fran. P.-Y. Lambert,
Paris, 1993, p. 135, 137-139, 149, 151-153 et 160.
34
The Historia…, § 100.
35
Wace’s Roman de Brut, A History of the British, éd. et trad. angl. J. Weiss, Exeter, 2002 (1ère éd.
1999), v. 6957-60, p. 174.
36
Bullock-Davies, Professional…, p. 9 et 14-18.
37
W.L. Warren, Henry II, Londres, 1973, p. 167, n. 3.

6
Composée entre 1190 et 1200, La Geste des Engleis en Yrlande est plutôt une
chronique rimée qu’une chanson de geste, relatant la conquête de l’île par les guerriers
cambro-normands de Strongbow au cours des années 1170-1175. Son auteur anonyme,
jongleur arrivé sans doute avec eux du Pays de Galles, dit, dans le prologue, tirer
l’essentiel de ses informations de Maurice Reagan, latimer de Diarmait Mac Murchada,
roi du Leinster, qui a fait appel aux Normands pour régler ses différends avec les princes
de Connacht et Osraige. Reagan apparaît souvent comme ambassadeur de Diarmait, qui
l’envoie au Pays de Galles recruter des troupes ou qui lui fait négocier la reddition du
Norvégien Asculf Mac Turcaill à Dublin. La Geste mentionne également l’interprète de
Strongbow, qui part de l’Irlande pour arranger au Pays de Galles le mariage de la sœur
de son maître avec Raimond le Gros38.
Tous ces exemples montrent les compétences linguistiques des latimers. Maurice
Reagan parle le gaëlic, l’anglo-normand et peut-être même les dialectes scandinaves des
Norvégiens d’Irlande. Ces interprètes proviennent parfois de la noblesse, à l’image de
Wrenoc, apparenté à Henri II. Leur plurilinguisme et leur rang social élevé les désignent,
tout naturellement, pour mener des ambassades lointaines ou pour négocier sur place
avec des groupes ethniques divers. Remarquons, enfin, l’opportunisme politique de ces
personnages, qui collaborent facilement avec l’envahisseur normand, comme si la
maîtrise de sa langue impliquait une fascination aveugle et une attirance inéluctable à son
égard. Sur ce point, la biographie de Bleddri, gardien au nom des Normands du château
d’Aber Cofwy ou donateur au prieuré augustin de Carmarthen, est des plus
instructives39. Parce qu’ils descendent d’un mariage mixte entre Normands et Gallois ou,
tout simplement, parce qu’ils parlent le français, ils endossent facilement l’habit du
collaborateur au service d’un roi étranger.

Les maîtres de la parole qui sont les latimers ne sauraient limiter leurs
compétences au strict domaine de l’interprétariat, voire de la plus prestigieuse
diplomatie. Ils savent aussi raconter et mettre en scène des contes et histoires, à la façon
de Bleddri ou de Maurice Reagan. Ils appartiennent, en effet, à l’aristocratie, pour
laquelle la composition et l’interprétation de chansons est fortement valorisante aussi
bien dans l’île que sur le continent. Cette culture élitiste donne, à celui qui la possède, un
surplus de distinction et de reconnaissance sociale. Comme pour les troubadours
occitans, bien plus documentés, les bardes, chanteurs-compositeurs, sont en majorité
des nobles. À leur contact, quelques jongleurs professionnels, dont la modestie du rang
confine à la marginalité, ont certainement assimilé leur art pour devenir des créateurs à
part entière, mais leur fonction première était d’interpréter les compositions de grands
personnages, plutôt que d’en réaliser eux-mêmes.
Dans la littérature, Tristan, fils du roi de Léonois, fournit un bel exemple de
chanteur polyglotte. Vers 1210, Gottfried de Strasbourg le présente en train de chanter
le Lai de Thisbé en breton, gallois, latin et français 40. Ce personnage de fiction rappelle
le plus réel Bleddri, issu comme lui d’une lignée royale britannique, latimer au service du
roi d’Angleterre et barde traversant la Manche pour chanter auprès du duc d’Aquitaine.

38
The Deeds of the Normans in Ireland. La Geste des Engleis en Yrlande, éd. et trad. angl. E. Mullally,
2002, p. 27-28 et p. 53, 63-64, 95, 130, v. 1-10, 420-426, 1657 et 2992.
39
Voir Davies, Conquest, Coexistence…, p. 101, où Bleddri apparaît comme le type social même du
collaborateur gallois, cherchant des avantages à court terme de son alliance avec les Normands.
40
Gottfried de Strasbourg, Tristan, Trad.angl. A.T. Hatto, Londres, 1960, p. 313.

7
Intermédiaire culturel, il diffuse en anglo-normand la matière de Bretagne dans une cour
bilingue, située aux lisières du monde d’oïl et d’oc. Ce “ passeur ” d’idées et modes n’est
certainement pas exceptionnel, dans un monde où nobles conteurs et jongleurs
armoricains, parlant avec aisance le breton continental, le cornique ou le cymrique,
langues sœurs, mais aussi plusieurs langues romanes, voyagent sans cesse de part et
d’autre du Chanel.

Le livre : deux manuscrits vers l’Empire romano-germanique

Entre 1194 et 1203, Ulrich von Zatzikhoven termine ainsi son en langue
allemande :
“ À présent, vous avez tous compris que j’arrive à la fin de l’histoire de Lancelot.
Je demande donc pour chaque personne de valeur, quelle qu’elle soit, ayant écouté
le poème dès le début et désirant de la joie et un bonheur profitable, qu’elle
obtienne ce plaisir selon les souhaits de son cœur comme une récompense pour ne
pas avoir parlé mal de ce poème. Comme je vous le dis, il n’y a rien d’ajouté ou
d’enlevé à cette histoire telle que l’expose un livre français (welschez Buoch) dont
nous eûmes pour la première fois connaissance, quand le roi d’Angleterre fut
capturé, selon la volonté de Dieu, par le duc Léopold, qui lui imposa une lourde
rançon. Ce roi captif lui donna des otages, nobles seigneurs de très haute naissance,
comtes, barons et autres, venus de terres lointaines. Mais l’empereur Henri les
envoya dans plusieurs territoires germaniques à sa discrétion. Le nom de l’un de ces
otages était Hugues de Morville, et c’est en sa possession qu’apparaît pour la
première fois le livre français de Lancelot. Ensuite, la prière d’amis chers poussa
Ulrich von Zatzikhoven à assumer la tâche de narrer en allemand, le mieux qu’il
41
pût, cette longue histoire étrangère, dans le seul but d’être plus estimé des bons . ”

Cet épilogue cite explicitement l’œuvre traduite et adaptée par l’auteur du


Lancelot allemand et son étrange parcours jusqu’aux rives du lac de Constance. Il
s’agirait donc d’un “ livre français ”, apporté en Allemagne par Hugues de Morville,
otage livré à l’empereur Henri VI (1190-1197) à la place de Richard Cœur de Lion
(1189-1199), vraisemblablement autour du 4 février 1194, date de la libération du roi
d’Angleterre à Mayence.
Les événements liés à la captivité de Richard Ier sont bien connus. L’adaptateur
du Lancelot ne s’y trompe, d’ailleurs, guère quand il cite ses geôliers : Léopold V de
Babenberg, duc d’Autriche entre 1177 et 1194, qui s’empresse de l’arrêter en décembre
1192, alors qu’il traverse ses terres, et l’empereur Henri VI, qui le garde à partir de mars
1193. Le premier s’était brouillé en Terre sainte avec le roi en raison de la conquête
d’Acre, dont tous deux revendiquaient la gloire. Henri VI, le second, lui en voulait pour
avoir soutenu la succession de Tancrède de Hauteville au trône de Sicile, au détriment
des droits de son épouse Constance ; il avait même conclu une alliance contre Richard
avec Philippe Auguste, lors de son passage à Milan, fin 1191, à l’occasion de son retour
précipité de Terre sainte. Henri VI était, de plus, l’ennemi déclaré d’Henri le Lion
(†1195), duc de Saxe et de Bavière, beau-frère du roi, et de ses fils pour le contrôle de la

41
Ulrich von Zatzikhoven, Lanzelet, éd. et trad. en allemand moderne W. Spiewok, Graifswald, 1997, v.
9309-9349, p. 366-368.

8
dignité impériale, conflit qui crée les partis gibelin et guelfe dont les luttes se prolongent
des décennies durant42.
Ce n’est donc qu’au prix de longues négociations que Richard Cœur de Lion peut
regagner ses terres. En février 1194, il est libéré en échange d’une lourde rançon. En gage
des 50.000 marcs d’argent qui restent à payer, des otages sont alors livrés à l’empereur.
Les chroniques anglaises et allemandes permettent d’en connaître plusieurs d’entre eux.
Elles mentionnent de très hauts personnages, comme deux des fils d’Henri le Lion : le
futur empereur Othon IV (1198-1218) et Guillaume (†1213), plus tard duc de
Brünswick-Lüneburg, livrés à la suite d’âpres marchandages. Un autre otage, le beau-
frère de Richard Cœur de Lion, fils du roi de Navarre, jouit du même rang. Ces sources
citent également le nom de quelques Anglo-normands : Gautier de Coutances,
archevêque de Rouen, le chancelier Guillaume Longchamps, évêque d’Ely, l’évêque
Savary de Bath, Baudouin Wacke, et peut-être Robert de Thorneham ; elles
mentionnent, en outre, sans les nommer, des “fils des comtes et de ses barons” ou
“beaucoup de nobles”43. Roger de Howden ajoute que Robert de Nunant, frère de
l’évêque Hugues de Coventry, fut incarcéré par Richard Cœur de Lion, pour avoir refusé
d’être son otage sous prétexte qu’il était le vassal de Jean Sans Terre. En définitive, mis
à part les trois princes de lignée royale, ces garants proviennent de l’aristocratie ou du
haut clergé anglo-normand. La présence d’Hugues de Morville dans ce groupe détonne
d’autant moins que l’archevêque de Rouen, principal porte-parole du roi auprès de
l’empereur dans cette affaire et responsable des otages, est originaire du Cotentin, dont
provient aussi sa famille.
La chronologie de tous ces événements n’est pas contradictoire avec la seule
apparition dans les sources diplomatiques d’un Ulrich vivant à proximité du village de
Zatzikhoven, situé sur les rives du lac de Constance : il s’agit de l’acte du cartulaire de
Saint-Gall, mentionnant, en 1214, le capellanus Uolricus de Cecinhovin en charge de la
paroisse de Lommis, actuellement dans le canton suisse de Thurgau44.
Plus important pour notre propos est de cerner Hugues de Morville, diffuseur de
la matière de Bretagne dans ces contrées méridionales de l’Empire. Ce personnage
appartient à la haute aristocratie anglo-normande. Sa famille est, en effet, originaire du
pays de Valognes, dans le Cotentin. Après la conquête, elle s’implante dans le Nord-
Ouest de l’Angleterre. C’est là que l’un de ses membres, Hugues de Morville, né après
1158, détient l’essentiel de ses terres à Burgh by Sands, dans le Cumberland, région

42
U. Vones-Liebenstein, “ Une ‘femme maîtresse du jeu politique” : Aliénor d’Aquitaine et les
Hohenstaufen “, Aliénor d’Aquitaine, dir. M. Aurell, Nantes, Conseil régional, 2004 (numéro 81 hors
série de la revue 303, arts, recherches et création), p. 74 ; J. Gillingham, Richard I, New Haven (Ct),
1999, p. 222-253.
43
Ansbert, Historia de expeditione Friderici, éd. A. Chroust (MGH SS in rerum germanicarum, n.s. 5),
Berlin, 1928, p. 107 ; Annales Stederburgenses, éd. G.H. Pertz (MGH SS, t. 16), Berlin, 1859, p. 230 ;
Giraud de Barri, “ Vita Galfredi, archiepiscopi Eboracensis ”, Giraldi Cambrensis Opera, éd. J.S.
Brewer (RS 21), Londres, 1857, t. 4, p. 416 ; Roger de Howden, Chronica, éd. W. Stubbs (RS 51),
Londres, 1868-1871, t. 3 p. 233, Raoul de Diss (de Diceto), “ Ymagines historiarum ”, Opera
Historica, éd. W. Stubbs (RS 68), Londres, 1876, t. 2, p. 110, 113, 115 et 118, Guillaume de
Newburgh, “ Historia rerum Anglicarum ”, Chronicles of the Reigns of Stephen, Henry II, and Richard
I, éd. R. Howlett (RS 82), Londres, 1884-1885, t. 1, p. 404, IV, 41. Ursula Vones-Liebenstein m’a
généreusement aidé à retrouver ces sources : qu’elle en soit sincèrement remerciée.
44
W. Richter, “ Der Lanzelet des Ulrich von Zatzikhoven ”, Deutsche Forschungen, 27, 1934, p. 12-16.
Voir les notes et l’introduction de R.S. Loomis, à Ulrich von Zatzikhoven, Lanzelet, trad. angl. de
K.G.T. Webster, New York, 1951, p. [3], 179, n. 67, et p. 232, n. 256-257.

9
pour laquelle il est le forestier du roi45. La mère et la fille de ce personnage s’appellent
Ada : ce nom, introuvable ailleurs dans la littérature arthurienne, est porté, dans le
roman d’Ulrich, par la geôlière de Lancelot, bienveillante au point de devenir sa mie46.
Est-ce un clin d’œil du traducteur allemand envers son inspirateur, ou tout simplement
une allusion de l’auteur anglo-normand à la famille de son mécène ? Hugues meurt en
1202. Rien d’étonnant que ce noble, officier du roi d’Angleterre, ait servi comme otage
pour son compte auprès de l’empereur.

Comme pour l’authenticité du voyage poitevin de Bleddri, il importe de soulever


une question. La source écrite anglo-normande du Lanzelet ne serait-elle un leurre pour
tromper le lecteur en quête de véracité ? Ne relèverait-elle pas du procédé rhétorique
facile, mis dans l’épilogue parmi tant d’autres lieux communs ? Si besoin était, le liber
vetustissimus […] sermonis britannici, invoqué par Geoffroi de Monmouth pour
avaliser le bien-fondé de son Histoire des rois de Bretagne, montre qu’une telle méthode
est déjà de mise dans l’un des livres fondateurs, maintes fois plagié et adapté, de la
littérature arthurienne47. Pourtant, ce “ très vieux livre en langue galloise ” n’est pas une
supercherie éhontée, mais plutôt l’allusion à de nombreuses sources qui, comme les
généalogies galloises ou comme les traditions orales du pays de Carmarthen, ont inspiré
l’œuvre de Geoffroi.
Il est vrai que l’histoire de la captivité de Richard Cœur de Lion, rentré en cachette
de Terre sainte et retenu en dépit de la protection pontificale dont jouissait tout croisé,
avait de quoi plaire aux lecteurs et auditeurs de Lanzelet. Elle excitait l’imaginaire
collectif depuis que le roi prisonnier avait composé et diffusé un sirventes enjoignant à
ses sujets de se mobiliser pour le libérer48. Aussi populaires étaient les trois lettres
rédigées par Pierre de Blois (vers 1130-1212), l’un des meilleurs latinistes du Moyen
Age, par lesquelles Aliénor d’Aquitaine implorait, de façon poignante, au pape de tout
mettre en œuvre pour lui ramener son fils49. Encore au XIIIe siècle, la légende du
ménestrel de Reims rapportant la découverte du cachot du roi par Blondel de Nesles
(avant 1175-après 1210), l’un de ses jongleurs, qui l’aurait entendu chanter par l’un de

45
Nicholas Vincent a démontré qu’il ne faut pas confondre ce personnage avec son parent homonyme,
assassin de Thomas Becket, exilé ou décédé peu après 1170, “ The Murderers of Thomas Becket ”,
Bischofsmord im Mittelalter, Murder of Bishops, dir. N. Fryde, D. Reitz, Göttingen, 2003, p. 224-225.
Natalie Fryde n’adhère cependant pas à ce point de vue et préfère continuer de voir en lui l’un des
meurtriers de l’archevêque,Why Magna Carta? Angevin England revisited, Münster, 2001, p. 61, n.
258,
46
R.S. Loomis, introduction à Ulrich von Zatzikhoven, Lanzelet…, p. [5] et 179, n. 67.
47
The Historia…, t. 1, §2 et 208. La bibliographie est très abondante sur ce sujet. Elle permet de
séparer, à des degrés différents, les “ celtisants ”, partisans de cette source antérieure, et les
“ positivistes ”, qui en font une invention purement rhétorique de Geoffroi de Monmouth. Pour les
premiers, voir Walter, Arthur…, p. 38-42, G. Ashe, “ ‘A Certain Very Ancient Book’. Traces of an
Arthurian Source in Geoffrey of Monmouth’s History”, Speculum, 56, 1981, p. 301-323, R. Southern,
“ Aspects of the European Tradition of Historical Writing ”, Transactions of the Royal Historical
Society, 20 (5e série), 1970, p. 173-196, B.F. Roberts, “ Geoffrey of Monmouth and Welsh Historical
Tradition ”, Nottingham Medieval Studies, 20, 1976, p. 29-40, L. Fleuriot, Les Origines de la
Bretagne, Paris, 1980, p. 236, 245-246, 277, 285. Pour les seconds, voir J.S.P. Tatlock, The
Legendary History of Britain, Berkeley, 1950, p. 422-425 et S. Echard, Arthurian Narrative in the
Latin Tradition, Cambridge, 1998, p. 33-34.
48
“ Richard Cœur de Lion et la poésie lyrique ”, éd. Y.G. Lepage, Mélanges J. Dufournet, Paris, 1993,
p. 893-910.
49
Epistulæ, PL, t. 206, n° 2, 3 et 4, col. 1268-1272. Voir les traductions françaises de J. Flori, Aliénor
d’Aquitaine, la reine insoumise, Paris, 2004, p. 232-235.

10
ses soupiraux, témoigne de la longévité du thème50. Enfin, le nom d’Hugues de Morville
évoque pour beaucoup celui de son cousin homonyme, assassin de Thomas Becket,
l’archevêque dont le culte atteint alors son paroxysme. L’anecdote de l’épilogue rappelle
certainement la captivité du roi croisé et le meurtre dans la cathédrale de Cantorbéry,
événements fascinants de la fin du XIIe siècle.
Faut-il pour autant rejeter cette histoire sous prétexte de la puissance d’attraction
qu’elle pouvait exercer dans les veillées aristocratiques ? D’autres éléments tendraient,
en effet, à confirmer l’existence d’un Lancelot anglo-normand original. Certes, quelques
détails, comme l’aigle impériale peinte sur l’écu du protagoniste, sont probablement du
crû d’Ulrich, qui fait en cela davantage œuvre de “ translateur ” que de traducteur. Mais
ce dernier n’en appelle pas moins, au fil de son récit, cinquante-trois fois à l’autorité du
welschez Buoch. Plus décisif encore : il ponctue, son roman de nombreux mots français
empruntés au dialect anglo-normand : buhurt, turnei, pavilun, garzun51… L’existence
d’un Lancelot diffusé parmi les nobles de l’entourage d’Henri II, d’Aliénor d’Aquitaine
ou de Richard Cœur de Lion, dont on connaît l’intérêt pour la légende arthurienne52, n’a
donc rien de saugrenu.
Les spécialistes du Lanzelet font également remarquer qu’il est antérieur ou
indépendant au Chevalier de la Charrette (1177-1181) de Chrétien de Troyes. En effet,
l’absence d’aventure de Lancelot avec Guenièvre, libérée par le magicien Malduc, le
mariage final du héros avec Iblis, dont il a tué le père, le fier baiser au dragon transformé
en princesse ou le court manteau testant la vertu de la dame, éléments clefs de la
narration d’Ulrich, l’en éloignent de façon considérable53. Chacun de ces deux romans
obéit, en définitive, à des sources différentes. Rien n’empêche que celle qui a inspiré la
version allemande soit anglo-normande.
Plusieurs indices tirés du Lanzelet étayent cette hypothèse. En effet, la création de
ce texte a pu être localisée, grâce aux toponymes qu’il mentionne, dans le pays des
Morville54. Limors, lieu de la première aventure de Lancelot, est le nom d’un bois du
Cotentin, situé au sud de leurs terres. Il a été cédé à l’abbaye de Blanchelande par les
beaux-parents du puissant Richard du Hommet (†1179), connétable de Normandie. Ce
haut personnage, seigneur du Hommet et de Varenguebec-en-Limors, détient de
nombreux domaines dans cette région. De plus, en Angleterre, il reçoit d’Henri II
Dudingston (Northampton) et plusieurs fiefs dans le Bedfordshire, alors que, dans le
roman d’Ulrich, Arthur accorde à Lancelot Dodone et Behforest : une si étroite
homonymie répond difficilement au hasard, mais à un hommage à peine voilé envers un
puissant. Ces quelques noms de lieu ne sont certes pas nombreux. Mais ils nous
ramènent encore aux guerriers anglo-normands de l’entourage des rois angevins
d’Angleterre.

50
Récit du ménestrel de Reims au XIIIe siècle, éd. N. de Wailly, Paris, 1876, XII.
51
Loomis, introduction…, p. [5].
52
A. Chauou, L’Idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace
Plantagenêt (XIIe-XIIIe siècles), Rennes, 2001 ; C. Daniel, Arthurianisme et littérature politique, thèse
inédite de doctorat de l’université de Paris XII, 2002.
53
Loomis, introduction…, p. [6], H. Sparnaay, “ Hartmann von Aue and His Successors ”, Arthurian
literature in the Middle Ages, a collaborative history, dir. R.S. Loomis, Oxford, 2001 (1ère éd. 1959),
p. 438, R. Barber, King Arthur, hero and legend, New York, 1986, p. 87.
54
R. Bansard, G. Susong, “ Notes inédites sur le Lanzelet d’Ulrich von Zatzikhoven ”, Les Romans de
la Table ronde, la Normandie et l’au-delà…, dir. G. Cziffra, Condé-sur-Noireau, 1987, p. 135-147,
réfèrence aimablement indiquée par Freddy Sibileau.

11
Pour finir, nous évoquerons un exemple attribuant encore à un manuscrit la
diffusion de la matière de Bretagne dans l’Empire romano-germanique. Écrit
vraisemblablement à la fin du XIIe siècle55, le Tristrant d’Eilhart von Oberg contient une
préface qui insiste sur le manuscrit authentifiant le récit : “ Taisez-vous maintenant, car
c’est ma volonté de vous conter ici, sans la moindre intention de vous tromper, la
véritable histoire, telle que je l’ai trouvée dans le livre de Tristan56. ” Dans de nombreux
autres passages, l’auteur monte à nouveau en épingle la véracité de sa source écrite qui
lui permet d’accréditer des détails de son histoire, comme la durée de quatre ans, et non
pas de trois, de l’efficacité du philtre, ou au contraire de discréditer tous ceux qui
rapportent de façon différente à la sienne les amours de Tristan et Iseult57.
À la manière d’Ulrich de Zatzikhoven, Eilhart semble avoir modifié des détails de
ce texte original pour le rendre plus accessible à un public de culture germanique. S’il lui
emprunte des toponymes français, il n’en fait pas moins appel à des Allemands, comme
Dietricht et Hildebrand, parangon des guerriers auxquels nul ne saurait se comparer, ou
au Rhin, qu’il aimerait voir engloutir Antret, incarnation du lausangier ou flagorneur
jaloux58. Un procédé classique de “ translation ” est ici à l’œuvre.
Derrière le Tristrant, les philologues devinent l’Estoire de Tristan anonyme,
rédigée dans les années 1150 et aujourd’hui perdue. À la fin du XIIe siècle, Thomas et
Béroul la reprennent en anglo-normand dans leur Tristan respectif, que nous conservons
seulement de façon fragmentaire. Une description élogieuse de Londres pour Thomas et
le mot anglo-saxon de lovendrins ou lovendrant (“ philtre ”) pour Béroul placeraient ces
deux auteurs en Angleterre, et la critique de songer à la cour d’Henri II et d’Aliénor
d’Aquitaine59. Il est vrai que leur modèle, l’Estoire de Tristan, telle qu’elle nous est
connue par Eilhart von Oberg, fait intervenir Riol de Nantes, vassal rebelle au roi
Havelin de Petite-Bretagne, sur lequel triomphe Tristan, événements qui pourraient
rappeler les siège et l’occupation de la ville de Nantes par Henri II dans les années 1156-
115860.
À partir de ces indices, aussi ténus soient-ils, les spécialistes ont établi, de longue
date, le lien entre Eilhart von Oberg et Henri le Lion, duc de Saxe et de Bavière, mari
depuis 1168 de Mathilde d’Angleterre, fille d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine61. Le
goût pour les lettres de ce ménage est confirmé par le traducteur allemand de La
Chanson de Roland qui dit, en 1170, travailler à la demande d’Henri le Lion ; le
manuscrit français dont il dispose provient certainement de l’île, où Roland est des plus
populaires. Pour revenir à la matière de Bretagne, une étude récente corrobore
l’hypothèse du rapport entre Eilhart von Oberg, dont le nom ne peut être que celui d’un

55
D. Buschinger (introduction à Eilhart von Oberg, Tristrant, trad. fr. D. Buschinger, W. Spiewok,
Paris, 1986, p. 23-24) avance la date d’environ 1170 et R. Lejeune (“ Rôle littéraire de la famille
d’Aliénor d’Aquitaine ”, Cahiers de Civilisation Médiévale, 3, 1958, p. 329) de 1185-1189. Les indices
dont on dispose pour établir cette fourchette chronologique sont très faibles et fondés, à leur tour, sur des
constructions hypothétiques.
56
Trad. fr. D. Buschinger, W. Spiewok, Paris, 1986, p. 45-46, v. 1-46.
57
Ibid. p. 147, v. 4709-4754.
58
Ibid. p. 32 et p. 114, v. 3160-3165.
59
Bonne mise au point par J.-M. Fritz, “ Béroul ” et “ Thomas d’Angleterre ”, Dictionnaire des Lettres
françaies. Le Moyen Age, dir. M. Zink, G. Hashenor, Paris, 1992, p. 163-164 et 1429-1430.
60
Trad. fr. D. Buschinger, W. Spiewok, p. 165-176, v. 5583-6103.
61
Sur ce personnage, voir K. Jordan, Heinrich der Löwe. Eine Biographie, Munich, 1979.

12
ministerialis (membre de la chevalerie de service) saxon de l’ost du duc62. Enfin, mis à
mal par l’empereur Frédéric Barberousse (1152-1190), Henri le Lion doit se réfugier
auprès de sa belle-famille : on le retrouve à Argentan (Normandie) entre 1182 et 1184,
puis au sud de l’Angleterre jusqu’en 1185. Cet exil témoigne, une fois de plus, de
l’étroitesse des liens entre le duc et les Plantagenêt, tout comme, sur le plan symbolique,
une célèbre miniature de son évangéliaire, où il se fait représenter en compagnie de
l’impératrice Mathilde, d’Henri II et peut-être d’Aliénor et sous la protection des saints
anglais63.

L’on aura cependant compris combien cette circulation du manuscrit de Tristan


par le biais des rois angevins doit être avancée avec prudence. Elle n’est qu’une simple
hypothèse, qui ne repose sur aucune évidence documentaire, mais seulement sur la mise
en parallèle d’indices épars. Il est, dès lors, inexact d’affirmer qu’“ elle [Mathilde
d’Angleterre, épouse d’Henri le Lion] a procuré elle-même à Eilhart une copie de
l’Estoire ”, ou de voir dans la structure en sept blocs du Tristrant une allusion au
chandelier en sept branches, chers à Henri et Mathilde : “ le choix du nombre sept est un
hommage d’Eilhart à ses protecteurs64. ” En dépit de ces exagérations, l’historien peut
constater, faute de mieux, que le patronage littéraire des Brunswick sur Eilhart est
vraisemblable. Mais cet écrivain avait bien d’autres moyens de se procurer l’Estoire. Les
difficultés méthodologiques rencontrées pour retracer le voyage des livres et des thèmes
littéraires au XIIe siècle sont considérables.

Il n’empêche que les trois cas étudiés permettent d’affirmer l’efficacité des
“ passeurs ” de la légende arthurienne à travers la Manche au XIIe siècle. Contrairement
à la culture cléricale, que les intellectuels anglais s’empressent d’aller quérir sur le
continent pour la rapporter chez eux, la matière de Bretagne naît dans l’île et se diffuse à
partir d’elle sur le continent. Tout logiquement, les intermédiaires de ce savoir profane
et romanesque sont des laïcs. Ils appartiennent à la haute aristocratie, à une époque où la
lecture et encore plus la possession de livres sont un trait de distinction nobiliaire. À
quelques nuances près, il en va de même avec la performance orale des œuvres qui
permet de briller à la cour, même si des jongleurs assument, à titre professionnel, cette
fonction. Cet élitisme, excluant marchands et paysans de la littérature, transparaît, par
exemple, dans le prologue du Roman de Thèbes, écrit en Normandie vers 1150 : “ Que
tout le monde se taise à ce sujet, sauf clercs et chevaliers, car les autres ne peuvent rien
apprécier, si ce n’est comme un âne à la harpe65. ” Or, au même titre que les savants
cléricaux associés à la noblesse dans ce roman, les sires anglo-normands, dont les fiefs
s’étendent trop souvent de part et d’autre de la Manche, sont des habitués de la
traversée du Chanel et des voyages sur le continent.
Ajoutons pour finir la dimension politique de leurs déplacements. Ceci est
particulièrement vrai pour Hugues de Morville, remplaçant Richard Cœur de Lion en
captivité à sa demande et accomplissant ainsi l’un des devoirs de la vassalité. Le départ
de Bleddri pour Poitiers n’est peut-être pas étranger au rejet et aux tensions que ce
62
J. Ehlers, “Der Brief Heinrichs des Löwen an König Ludwig VII. von Frnkreich”, Retour aux sources.
Etudes et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 239-252.
63
O.G. Oexle, “ Lignage et parenté, politique et religion dans la noblesse du XIIe s. : l’évangéliaire
d’Henri le Lion ”, Cahiers de Civilisation Médiévale, 36, 1993, p. 339-354.
64
D. Buschinger, introduction à Eilhart von Oberg, Tristrant…, p. 24 et 31.
65
Éd. G. Raynaud de Lage, Paris, 1966-1968, v. 13-16, t. 1, p. 1.

13
collaborateur des Normands connaît au Pays de Galles. Enfin, Eilhart von Oberg est un
courtisan d’Henri le Lion et de Mathilde d’Angleterre, grâce auxquels il fait
probablement connaissance d’un manuscrit sur Tristan. La performance, l’adaptation et
la traduction de la matière de Bretagne sont, avant tout, divertissement élitiste et forme
de distinction aristocratique. Elles servent, en outre, des intérêts partisans. Exalter le
passé de la Grande-Bretagne, de ses princes et de ses nobles, célébrer leur raffinement et
leur courtoisie, retombent de façon positive sur la royauté anglaise. Le prestige des
Normands, puis des Plantagenêt, en profite d’autant plus que ceux-ci apparaissent, aux
yeux de beaucoup, comme les promoteurs d’une littérature issue de la grande civilisation
dont ils sont les légataires. Les nobles de leur entourage qui diffusent sur le continent la
légende arthurienne font, de façon plus ou moins consciente, de la propagande à leur
service.

14

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