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LE STATUT DE CASSANDREE À L'ÉPOQUE HELLENISTIQUE

M. B. Hatzopoulos

Il y a plus de vingt ans, à l’occasion du premier colloque sur la Macé-


doine antique, J. A. Alexander présenta un commentaire épigraphique sur
Cassandrée à l'époque hellénistique’. Cette communication, dont l’intérêt
fut relevé par Jeanne et Louis Robert?, complétait utilement l’article, d’a
peine deux ans antérieur, d’E. Meyer au Supplément X de la Real-Encyclo-
padie*. L'importance de l'étude d’Alexander ne se limitait pas, cependant, à
ses contributions prosopographiques. Elle signalait aussi des inscriptions iné-
dites vues sur place par l’auteur avant la dernière guerre et soulevait, ne serait-
ce qu'en passant, quelques questions capitales sur cette importante cité de
Macédoine. Nous voudrions nous arrêter à deux d’entre elles qui concernent
plus particulièrement le statut de Cassandrée à l’époque hellénistique et aux-
quelles ne fournissent pas de réponse les pages, par ailleurs très instructives,
qu’un an après la parution des actes du colloque M. Zahrnt‘ consacrait à

Abreviations
Alexander: J. A. Alexander, “Cassandreia during the Macedonian Period, an Epigraphical
Commentary”, Ancient Macedonia 1 (Thessalonique 1970) 127-46.
Hatzopoulos, Actes: M. B. Hatzopoulos, Actes de vente de la Chalcidique centrale ("Μελε-
τήµατα” 6; Athènes 1988).
Hatzopoulos, Donation: M. Β. Hatzopoulos, Une donation du roi Lysimaque ("Μελετήµα-
ta” 5; Athènes 1988).
Herzog-Klaffenbach: R. Herzog et G. Klaffenbach, Asylieurkunden aus Kos (Berlin 1952).
Kolbe: W. Kolbe, compte rendu du livre de W. W. Tarn, Antigonos Gonatas, dans GG A
178 (1916) 433-75.
Tarn: W. W. Tarn, Antigonos Gonatas (Oxford 1913).
Zahrnt: M. Zahrnt, Olynth und die Chalkidier (“Vestigia” 14; Munich 1971).

1. Alexander 127-46.
2. BullEpigr 1971, 405.
3. E. Meyer, “Poteidaia-Kassandreia”, RE Suppl. X (Stuttgart 1965) 628-39.
4. Zahrnt 112-19.
576 M. 8. Hatzopoulos

cette ville: Faut-il attribuer la présence des stratèges et des nomophylaques


dans un décret de la cité datant de 243/2 à un changement constitutionnel
initié par Antigone Gonatas pour réduire les pouvoirs du prêtre éponyme ou
même pour lui substituer cos deux collèges? Que signifie le fait que les Cas-
sandréens n’utilisent presque jamais l’ethnique Maxedav*?

Dans son étude sur Olynthe et les Chalcidiens, Zahrnt avait déjà souligné
que Cassandrée avait été l’héritière d’Olynthe’. De notre côté, dans notre
monographie sur une donation du roi Lysimaque, nous avons attiré l’atten-
tion sur le fait que la cité de l’isthme de Pallène avait hérité “des territoires de
toutes les cités de la Ligue (Chalcidienne) au sud d’Anthémonte et de Stagire,
y compris, notamment, de ceux de Sinos, Spartolos, Olynthe, Sermylia et
Strepsa”#. Aussi Cassandrée est-elle l’héritière d’Olynthe dans la mesure où
cette dernière était la capitale de la Ligue et que son nom était utilisé couram-
ment à la place de celui de l'Etat fédéral. C'est en ce sens qu’à l’époque une
bonne partie de l'opinion publique macédonienne vit dans la fondation de
Cassandrée la restauration des “Olynthiens, des pires ennemis des Macédo-
niens”, et exigea sa destruction immédiate, sous peine de déclarer Cassandre
ennemi public®. Cette interprétation n’était ni un simple effet de la propagande
d’Antigone le Borgne ni le résultat de quelque paranoia collective, mais se
fondait, sur une triple continuité: géographique, humaine et institutionnelle
entre la Ligue Chalcidienne et Cassandrée. En effet, la fondation de Cassandre
ne semble pas seulement avoir hérité de pratiquement tous les territoires que
possédait la Ligue au moment de sa destruction par Philippe II. L'étude de
l’onomastique et de la prosopographie confirment aussi la continuité du
peuplement rapportée par Diodore!®. Sur 136 Cassandre:ns attestés à l’épo-
que hellénistique, que nous avons pu dénombrer dans la cité et son territoire
ou à l'étranger, à peine une vingtaine ont soit un nom soit un patronyme qui
permet de leur supposer une origine mac&donienne!!, Les autres, à l'exception

5. Alexander 129-130.
6. Alexander 131.
7. Zahrnt 119.
8. Hatzopoulos, Donation 46. Pour un élément de continuité institutionnelle entre
Potidée et Cassandrée, voir Hatzopoulos, Donation 60.
9. Diod. 19.61.2-3.
10. Diod. 19.52.2-3,
11. Nous voudrions remercier Chr. Habicht de nous avoir autorisé à consulter ses riches
fiches prosopographiques, ce qui nous a permis de compléter notre prosopographie externe
de Cassandrée. Le sujet ne peut être épuisé dans une note, mais fait l’objet d'étude de notre
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d’une douzaine, au sujet desquels on pourrait avancer l'hypothèse d’une


lointaine origine corinthienne, sont porteurs d’anthroponymes qui attestent
leur origine ionienne. Dans quelques cas, et en particulier dans les couches
sociales les plus élevées, il est même loisible de reconnaître dans la nouvelle
fondation de Cassandre!? des descendants d'anciennes familles de la Ligue.
Mais c’est dans le domaine institutionnel que cette continuité est la plus
claire.
Quand Alexander avançait l'hypothèse d’un changement constitutionnel
après la prise de Cassandrée par Antigone Gonatas en 276, il raisonnait seule-
ment à partir de trois documents publics de la cité: la donation de Cassandre!?,
le décret en l'honneur d’Androbolos" et le décret sur l’Asklépieion de Cos!f.
Ce qui frappait le savant américain c’était que le prêtre éponyme qui servait
à dater les deux premiers documents ne figurait pas sur le troisième, mais
qu'en revanche, deux collèges, celui des stratèges, et celui des nomophylaques
introduisaient le décret au Conseil!®. Depuis, le nombre des documents publics
de Cassandrée a plus que doublé et nous en connaissons aujourd’hui sept:
deux donations et cinq décrets, auxquels on pourrait ajouter une dédicace
des agoranomes de la cité, publiée jadis par D. M. Robinson!’. Ces docu-
ments se disposent ainsi par ordre chronologique: 1) la donation de Cassandre
datée par le prêtre Kydias et qui doit appartenir aux années 306/5-298/718;
2) la donation du roi Lysimaque datée par le prêtre Timésios que nous avons

collègue Argyrô Tataki. Ces vingt personnes sont: le prêtre éponyme Kydias et les béné-
ficiaires de donation Polémokratès, Koinos, Perdikkas et Ptolémaios, qui figurent sur la
donation de Cassandre (voir Hatzopoulos, Donation 23), Harpalos et son père Limnaios,
qui figurent sur la donation de Lysimaque (Hatzopoulos, Donation 17-18), Antipatros et
son père Sosikratés (D. M. Robinson, TAPA 62 [1931] 53-54, no 5), Antigona et son père
Euphanès (SEG 29 [1979] 631), Antiochos et son fils Epicharès (D. M. Robinson, TAPA
69 [1938] 59-60, no 12), Meidias et son père Démétrios (D. M. Robinson, TAPA 69 [1938]
60, no 13), et Agrippas (/G VII 2726). Il n'est pas certain si l’épitaphe de Léonidas fils de
Derdas (D. M. Robinson, TAPA 65 [1934] 132-33, no 8) date d'avant ou d’après la fonda-
tion de Cassandrée.
12. Par exemple, Archon, le prêtre éponyme, peut-être d'Asclépios, d'un décret de
Cassandrée (Hatzopoulos, Donation 27) doit être un descendant d’Archon le théarodoque
d'Asclépios d’Epidaure à Olynthe vers 360 (16 IV 15, 94-95, Ib, L. 14).
13. Hatzopoulos, Donation 22-26,
14. Hatzopoulos, Donation 18-21.
15. Herzog-Klaffenbach 15-16, no 6, L. 1-17.
16. Alexander 129-130.
17. D. M. Robinson, “A New Greek Inscription from Macedonia”, AJA 37 (1933) 602-
604 avec les observations de L. Robert, OMS IIL 1570-71.
18. Voir Hatzopoulos, Donation 22-26.

37
578 M. B. Hatzopoulos

située en l’année 285/41"; 3) le décret contemporain en l’honneur d’Andro-


bolos daté par le même prêtre et le mois Démétrion et introduit par Pantainos
fils de Symmachos du déme des Hippolyteis®°; 4) le décret en l’honneur
d’Ammonios datant du 5 (ou du 15) du mois Xandikos de l’année de la pré-
trise d’Antiléon et introduit par les deux collèges des stratèges et des nomo-
phylaques (ou soulement par celui de ces derniers)?!, et 5) le décret en l’hon-
neur de Doros datant du 15 du mois Hyperbérétaios de la même année, et
introduit par le collège des stratèges, que nous situons vers la fin du règne
d’Antigone Gonatas??; 6) le décret sur l’Asklépieion de Cos, introduit par les
collèges des stratéges et des nomophylaques, qui ne comporte pas de date#,
mais que grace au décret daté et de contenu analogue d’Amphipolis on peut
situer en 242%; 7) le décret de contenu inconnu daté du 15 du mois Hyper-
bérétaios de l’année de la prétrice d’Archon et introduit par un collège indé-
terminé d’au moins trois membres, que nous nous proposons de situer dans
la deuxième partie du Ille siècle et plus particulièrement sous le règne de
Démétrios II ou celui d’Antigone Doson.
A la lumière des documents nouveaux l’hypothèse d’une réforme consti-
tutionnelle qui aurait substitué les collèges des stratèges et des nomophylaques
au prêtre éponyme se trouve privé de tout fondement, le premier et les seconds
coexistant, probablement depuis la fondation de Cassandrée, comme il est
d’ailleurs normal dans une cité à constitution grecque. Ce qui ressort, en re-
vanche, de l'étude de l’ensemble du matériel épigraphique ce sont les modi-
fications dans la façon de dater les documents. Si Timésios, aussi bien sur la
donation que sur le décret qui sont datés d’après lui, est qualifié de prêtre de
Lysimaque, Kydias, Antiléon et Archon ne reçoivent aucun qualificatif. Après
des discussions qui durent près d’un siècle, la plupart des savants s'accordent
aujourd’hui pour penser que Kydias n'était pas le prêtre de Cassandre ex-
clusivement, mais de tous les fondateurs, légendaires aussi bien qu’historiques

19. Hatzopoulos, Donation 17-18.


20. Hatzopoulos, Donation 18-21.
21. Inédit. L'édition de ce décret, ainsi que la réédition du décret suivant font l’objet
d'un article que nous publions dans /foixiia ("Μελετήματα” 10, Athènes 1990) 135-55.
22. Th. Pazaras, “Τὸ ᾿διατείχισμα᾽ τῆς Κασσανδρείας”, Πρακτικά τοῦ πρώτου Πανελ-
ληνίου συμποσίου ἱστορίας καὶ ἀρχαιολογίας τῆς Χαλκιδικῆς, Πολύγυρος, 7.9 εκεμβρίου
1984 (Thessalonique 1987) 178, n. 38 et fig. 25: cf. BullEpigr 1989, 457.
23. Herzog-Klaffenbach 15-16, no 6, 1-17.
24. Il s'agit du décret d’Amphipolis. Herzog-Klaffenbach 16, no 6, L. 19-34.
25. Hatzopoulos, Donarion 26-28.
Le statut de Cassandrée à l'époque hellenistique 579

de Cassandrée et de ses prédécesseurs Olynthe et Potid&e®. Nous avons nous-


même avancé l'hypothèse qu’Archon, qui doit être un lointain descendant
du théarodoque homonyme d'Asclépios à Olynthe vers 360, était un prêtre
éponyme d’Asclépios, comme les prêtres éponymes des autres cités macé-
doniennes?’. Nous avons appuyé cette hypothèse sur le fait que le même
document ne laissait aucun doute sur l'adoption par Cassandrée du calendrier
macédonien à la place de celui qu'elle avait au moins jusqu’au règne de Lysi-
maque. Nous avons vu, en effet, que le décret en l'honneur d’Androbolos,
le document le plus ancien de Cassandrée qui comporte la mention d’un mois,
porte l'indication Δημητριῶνος, alors que les décrets datés les plus récents,
que nous avons attribués aux règnes d’Antigone Gonatas et de Démétrios IT
ou d’Antigone Doson, portent les indications Ξα[νδικοῦ πέμ]πτηι (ou πἐμ]-
πτηι [ἐπὶ δέκα]), Ὑπερβερετα[ί]/ου πένπτηι ἐπὶ 5[é) [κα et ["Yrepßepe] /ταίου
πέμπτηι ἐπὶ [δέκα] respectivement. Or Démétrion est un mois de type ionien
qui n’a aucune place dans une cité macédonienne. On le retrouve d’une part
en Eubée à Histriée et d’autre part à Démétrias??. Nous venons de le recon-
naître aussi maintenant sur un acte de vente de la Chalcidique centrale daté
par un prêtre fédéral de la Ligue Chalcidienne®. Dans notre réédition de ce
dernier document nous avons avancé les deux hypothèses qui permettent
d’expliquer sa présence à Cassandrée: soit il fait partie, au même titre que la
datation par le prêtre éponyme, de l'héritage institutionnel de la Ligue Chalci-
dienne, soit, de même que le mois homonyme de Démétrias, il constitue une
création nouvelle des rois macédoniens, en l'espèce de Cassandre. En effet,
comme nous le soutenons ailleurs*!, les institutions des trois fondations
royales, Philippes, Cassandrée et Démétrias, présentent un certain nombre
de ressemblances (culte éponyme des fondateurs, présence des collèges des
stratèges et des nomophylaques, calendrier dérivé du nom des douze dieux,
subdivisions de la cité nommées d’après de dieux ou de héros), dont nous

26. Voir Hatzopoulos, Donation 28, avec références.


27. Hatzopoulos, Donation 28; cf. M. B. Hatzopoulos et Louisa D. Loukopoulou,
Morrylos cité de la Crestonie (“MeAethpata” 7; Athènes 1989) 65.
28. Nous préférons maintenant cette restitution à la lumière du document no 5 publié
par Pazaras.
29. Cf. A. E. Samuel, Greek and Roman Chronology, Calendars and Years in Classical
Antiquity (“Handbuch der Altertumswissenschaft” I, 7; Munich 1972) 85 et 98.
30. Hatzopoulos, Actes 34-36 et 65-66; cf. D. Hennig, “Kaufverträge über Haüser und
Ländereien aus Chalkidique und Amphipolis”, Chiron 17 (1987) 158-59.
31. M. B. Hatzopoulos, Macedonian Institutions under the Kings: a Historical and Epi-
graphic Study (a paraitre).
580 M. B. Hatzopoulos

pensons avoir établi l’origine platonicienne. Quelque explication qu’on adopte,


le calendrier originel de Cassandrée met cette cité à part des autres cités de
Macédoine. Or le calendrier, qui règle la vie religieuse et civique, ne constitue
pas un aspect secondaire du caractère de la cité, mais un critère d'importance
primordiale. C’est le calendrier qui, en même temps que l’ère, permet de
distinguer les cités macédoniennes à proprement parler, faisant partie du
koinon, du reste de la province et de tracer les frontières de la Macédoine
proprement dite à l'époque romaine**. Il n’y aucune raison de penser que le
calendrieı constitue un critère moins déterminant pour l'époque précédente.
Comme nous le soutenons ailleurs®, les terres contrôlés par les rois des Macé-
doniens pouvaient apartenir à trois catégories différentes: le“territoire national”
apartenant aux cités macédoniennes (χώρα Μακεδόνων), la terre royale
(βασιλικὴ χώρα) et les territoires des cités théoriquement indépendantes et
alliées. Tout au long de l’histoire de la Macédoine, le “territoire national”,
par la fondation de nouvelles cités macédoniennes sur la terre royale ou par
l’incorporation des cités existantes, tendit à devenir coextensif avec les terres
contrôlées par le roi. Cependant, jusqu’à la conquête romaine les possessions
des rois continuérent à être plus étendues que le “territoire national”. C'est
dans ce contexte que se pose la question du caractère macédonien ou non-
macédonien de Cassandrée, mais aussi de Philippes et de Démétrias, qui
avaient un calendrier et, plus généralement, des institutions, qui, tout en les
rapprochant entre elles les mettaient à part des cités macédoniennes à propre-
ment parler, et de la signification qu'il faut accorder au fait que les Cassan-
dréens n’utilisent presque jamais l’ethnique Μακεδών.
W. W. Tarn fut le premier à relever que, contrairement aux citoyens de
Thessalonique, les citoyens de Cassandrée ne sont jamais qualifiés de Macé-
doniens®, mais c’est W. Kolbe qui en tira le premier la conclusion lourde
de conséquences que “die Bewohner von Kassandreia im staatsrechtlichen
Sinn nicht Makedonen gewesen sind” et qu’on devait distinguer entre deux
catégories de cités: celles qui faisaient directement partie de l'Etat macédonien
(comme Pella et Thessalonique) et celles qui, telle Cassandrée, n'avaient avec
lui qu’un rapport d'alliance*é, Cette théorie n’a pas été unanimement acceptée.

32. Cf. Fanoula Papazoglou, Les villes macédoniennes à l'époque romaine, BCH, Sup-
plément XVI (Athènes-Paris 1988) 75 et 86.
33. Dans la monographie citée à la note 31.
34. Cf. Herzog-Klaffenbach 18, no 7, L. 6.
35. Tarn 186.
36. Kolbe 434-35.
Le statut de Cassandrée à l'époque hellénistique Sal

Elle a été notamment contestée par Paola Zancan?”. La publication des décrets
sur l’asylie de Cos de Cassandrée, Amphipolis, Philippes et Pella a incité H.
Bengtson à renouveler la discussion, en ajoutant Philippes, à côté de Cas-
sandrée aux cités alliées de Kolbe, avec précisément le même argument:
l'usage consistant de l’ethnique Κασσανδρεῖς ou Φιλιππεῖς, qui contraste
avec, par exemple, Μακεδόνες ἐξ ᾿Αμφιπόλεωςϑϑ. Cet usage avait déjà été
relevé par P. Perdrizet, qui l'avait interprété de manière analogue, sans pour
autant en tirer des conclusions aussi &tendues®®. Alexander, dans sa communi-
cation au premier colloque sur la Macédoine antique, confirmant l’observa-
tion de Tarn, ajouta 19 cas supplémentaires au 18 relevés par le savant britan-
nique, où l’ethnique de la cité est employé à l'exclusion de celui de l’erhnos®.
En même temps il ne pouvait pas ne pas remarquer que dans le décret d’asylie
la cité de Cos reçoit l’éloge public pour sa bienveillance envers le roi Antigone,
la cité de Cassandrée et tous les autres Macédoniens. Il y voyait une expres-
sion de la dualité des Cassandréens, qui était fiers à la fois de l'autonomie de
leur cité et de son appartenance au royaume mac&donien®!. Plus récemment,
G. T. Griffith reste quelque peu indécis sur la question®?. En revanche, Fanoula
Papazoglou rejette catégoriquement, toujours sur la base des mêmes décrets
qui ont inspiré les vues diamétralement opposées de Bengtson et les hésita-
tions de Griffith, la thése selon laquelle Cassandrée et Philippes avaient un
statut différent des autres cités macédoniennes®. A notre avis, les témoigna-
ges dont nous disposons imposent des conclusions plus nuancées selon les
époques et les lieux. Nous n’évoquons que pour mémoire Démétrias, qui,
étant donné son éloignement, n’a jamais été sérieusement considérée comme
faisant partie de la Macédoine proprement dite. S’il en était besoin, l’usage
exclusif de l’ethnique Δημητριεὺς et, encore plus, l'emploi régulier de
l'ethnique Μακεδὼν dans les inscriptions découvertes sur son territoire ne

17. Paola Zancan, /l monarcato ellenistico nei suoi elementi federativi (Padoue 1934)
115, n. 1.
38. H. Bengtson, “Randbemerkungen zu den koischen Asylieurkunden”, Historia 3
(1954/5) 462-63.
39. P. Perdrizet, “Proxénes macédoniens à Delphes”, BCH 21 (1897) 109; cf. P. Collart,
Philippes ville de Macédoine (Paris 1937) 178.
40. Alexander 131, n. 17.
41. Alexander 131.
42. G. T. Griffith dans N. G. L. Hammond et G. T. Griffith, A History of Macedonia
(Oxford 1979) 359-60.
43. Fanoula Papazoglou, “Sur l'organisation de la Macédoine des Antigonides”, Ancient
Macedonia ΠῚ (Thessalonique 1983) 202-205.
582 M. 8. Haizopoulos

laissent aucun doute que la fondation de Démétrios ne fut jamais une cité à
proprement parler macédonienne. Le cas de Philippes est plus ambigu: d'un
côté aucun document d'époque hellénistique n'utilise l’ethnique Μακεδών:
aucun document d'époque hellénistique n’emploie le calendrier macédonien
ni ne porte trace d’une institution macédonienne; le décret d’asylie semble
ranger d’un côté la cité de Philippes et les autres Grecs et d'un autre côté le
roi Antigone et les autres Macédoniens“; mais d’un autre côté, Phlégon de
Tralles utilise deux fois l’expression Μακεδὼν ἀπὸ Didinnwv; l'ère et le
calendrier macédoniens sont normalement employés à l'époque républicaine*.
Aussi semble-t-il que Philippes, qui en 242 ne faisait pas encore partie de la
Macédoine proprement dite, y a été incorporée à une date ultérieure. Certains
indices nous font exprimer l’opinion, mais sans la moindre certitude, que ce
changement eut lieu sous les derniers Antigonidest?.
Le cas de Cassandrée est, à notre avis, plus clair. D'un côté, tant le
calendrier utilisé sur le document daté le plus ancien* et les autres institutions
originales de Cassandrée que les réactions que sa fondation a suscitées chez les
Macédoniens et les mesures que Cassandre dut prendre pour les apaiser ne
laissent pas de doute que Cassandrée fut fondée à l’origine en tant que cité
non-macédonienne, théoriquement indépendante et alliée de la Macédoine*®.
D'un autre côté, si le nombre des documents portant exclusivement l’ethni-
que Κασσανδρεὺς a plus que doublé depuis l’époque où écrivait Kolbe®°,
notre documentation s’est aussi enrichie de deux cas qui mettent en doute
le caractère absolu de cette règle. Dans une inscription funéraire de Démétrias
le soeur d’un Cassandréen est qualifiée de Macédonienne (Maxéta)*!. et dans
une dédicace de Thèbes on lit le nom de Proitos fils de Chairémon Maxedav
ἀπὸ [Κασ]σανίδρείας)Ρ2. L'inscription de Thèbes est peut-être postérieure à
la conquête romaine, mais celle de Démétrias est datée par son éditeur entre
275 et 250. D'un autre côté, nous possédons maintenant trois documents

44. Herzog-Klaffenbach 16-17, no 6, L. 41-42 et 46-48.


45. Phiegon, FGrHist 257, F 37, no 47 et 49.
46. Le document le plus ancien de Philippes utilisant le calendrier macédonien fut publié
par Chaido Koukouli-Chrysanthaki, Delrion 31 (1976), Chronika 301: cf. BullEpigr 1987, 713,
47. Voir la discussion détaillée de la question dans notre monographie signalée à la
note 31.
48. Le décret pour Androbolos, Hatzopoulos, Donation 18-21.
49. Diod. 19. 61.2-3; cf. Hatzopoulos, Donation 46; cf. 53-54.
50. Voir note |.
51. A. Arvanitopoulos, ϑεσσαλικὰ μνημεῖα, L (Athènes 1909) 133-36, no 11.
52. IG VIT 2484; cf. Ch. Edson dans /G X 2, 1, 1031 et Alexander 131, n. 17,
Le statut de Cassandrée à l'époque hellénistique 583

du troisième quart du Ille siècle qui utilisent le calendrier macédonien®. En-


fin, le décret d’asylie range sans aucune ambiguité les Cassandréens avec les
autres Macédoniens5t. La seule façon de concilier ces deux séries de données
contradactoires est de supposer que Cassandrée, fondée en tant que cité in-
dépendante, fut incorporée à la Macédoine proprement dite entre 285/4 et
242. La date exacte de cette transformation il faudra la chercher dans l’histoire
tumultueuse de la cité pendant le premier quart du Ille siècle. Il suffit d'en
rappeler les épisodes les plus marquants®®. Cassandrée donna refuge à Démé-
trios Poliorcète, quand ce dernier fut chassé de Macédoine par Pyrrhos, ct
devint la scène du suicide de sa femme, la reine Phila (288). Il semble que
Lysimaque ait procédé à une nouvelle fondation de la cité et que ce soit en
reconnaissance des faveurs qu’il lui a prodiguées qu'il y a reçu des honneurs
divins (286-281). Après sa mort, Cassandrée demeura fidèle à sa veuve Arsinoé
et Ptolémée Kcraunos ne put s'en emparer que par la ruse (281). Quelques
années plus tard elle donna refuge à une autre reine, Eurydice, la mère de
Ptolémée Kéraunos, qui lui imposa une garnison de mercenaires. Elle recouvra
sa liberté et un dégré inégalé d'indépendance, traitant comme une puissance
souveraine avec Antiochos Soter ou les Lacédémoniens, mais tomba victime
de la tyrannie sanguinaire du stratège Apollodoros (278-276). Le tyran fut
finalement expulsé, quand après un siège de dix mois Antigone Gonatas
conquit la ville. Kolbe pensait que le nouveau roi traita Cassandrée avec
égards et lui permit de conserver son statut particulier®. A notre avis, Tarn
est plus près de la réalité quand il affirme qu'elle fut une source majeure d’in-
quiétude pour Antigone’. Apollodoros et sa grande politique internationale
avaient dû raviver pour les Macédoniens les pires souvenirs de la Ligue Chalci-
dienne. Le roi dut prendre des mesures. L’une fut sans doute la fondation
d’Antigonee sur les territoires nord-ouest de Cassandrée, dans le double but
d’affaiblir et de surveiller de près cette dernière, l’autre fut la suppression
de l’indépendance, même formelle, de la fondation de Cassandre et son in-

53. Ce sont les documents 4, 5 et 7 cités plus haut.


54. Herzog-Klaffenbach 15-16, no 6, L. 5-7: πρός te top βασιλέα Αν /τίγονον καὶ τὴν
Κασσανδρέων πόλιν καὶ πρὸς τοὺς λοιποὺς Μακεδόνας / πάντας et L. 13-14: πρός te τὸμ
βασιλέα ᾿Αντίγονον καὶ τὴν ἡμετέραν πόλιν καὶ Μακεδόνας πάντας.
55. On trouvera un aperçu de l’histoire de Cassandrée pendant cette période, ainsi que
les références indispensables, dans l’article d’E. Meyer signalé à la note 3, col. 628-31; cf.
Tarn 128, 134-35, 159-60, 171-72, 186.
56. Kolbe 43.
57. Tarn 186.
58, Tarn 197-98; Hatzopoulos, Donation 47,
584 M. B. Hatzopoulos

corporation a la Macédoine. Des éléments de son ancienne constitution


“platonicienne”, tels que les collèges des stratèges et des nomophylaques,
survécurent pendant quelque temps, mais l'introduction du calendrier macé-
donien ne devait laisser subsister aucun doute que les Cassandréens, quoiqu ‘ils
affectassent de ne se désigner que par ce nom, officiellement étaient entiére-
ment assimilés πρὸς τοὺς λοιποῖς Μακεδόνας navtac®.

59. Herzog-Klaffenbach 16, no 6, L. 6-7.

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