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Bibliographie
1- P. GRIMAL, Dictionnaire de la mythologie, Paris, PUF, 1963
2- C. G. SCHWENTZEL, M. DANA, S. LEBRETON, F. PRETEUX, Les diasporas grecques VIIIe-
IIIe s., Atlande 2012
3- M.-Th. SCHETTINO, "Les Grecs sur le départ : légendes, pensées, utopies et désirs
d'expérimentation", Les diasporas grecques du VIII à la fin du III siècle av. J.-C. : actes du
e e
Colloque de la SOPHAU, Charles de Gaulle-Lille3, 11-12 mai 2012 Lille, Pallas, 89, 2012, p.
35-56.
4- I. MALKIN, The small Greek world, Oxford University Press, 2011 = I. Malkin, Un tout
petit monde. Les réseaux grecs de l'Antiquité, Les Belles Lettres, Paris, 2018
5- M.-C. D'ERCOLE, « La légende de Diomède dans l'Adriatique préromaine », in :
DELPLACE C, TASSAUX A., Les cultes polythéistes dans l'Adriatique préromaine, 2000, p.
11-26
6- J. HALL, Hellenicity. Between Ethnicity and culture, Londres/Chicago, The University of
Chicago Press, 2002
1- Autour d'Ulysse
Pour le mythe d'Ulysse, relire l'Odyssée et lire le poème de Lycophron
(IVe s. av. J.-C. né à Chalcis), l'Alexandra, qui rend présents en Etrurie Ulysse
et ses fils Télémaque et Télégonos, tradition qui d'après D. Briquel est à
attribuer aux Etrusques qui souhaitaient ajouter à l'origine pélasgique d'autres
liens avec la Grèce3. Il faut aussi tenir compte de l'histoire propre à certains
compagnons d'Ulysse, comme le rappelle L. Mercuri, à propos des Ausones,
habitants locaux qui avaient tué Politès, compagnon d'Ulysse (Odyssée, X, 224
lors de l'épisode de Circé) Ulysse avait débarqué à Témésa et Politès, ivre, avait
violé une jeune fille du pays)4
Odyssée X, 220-231 « La troupe d'Euryloque s'arrête sous les portiques de la déesse à la
belle chevelure, et écoute Circé, qui, dans l'intérieur du palais, chante d'une voix mélodieuse
en tissant une toile immense et divine, une toile semblable aux magnifiques travaux délicats et
éblouissants des divinités célestes. Politès, l'un des chefs, et celui de tous mes compagnons
que j'honorais le plus, parle en ces termes : « Ô mes amis, j'entends une femme, déesse ou
mortelle, chanter avec délices dans l'intérieur de ce palais en tissant une grande toile (les
parois en retentissent); hâtons-nous donc d'appeler cette femme ». Il dit, et tous mes
compagnons élèvent la voix. Circé accourt aussitôt, ouvre ses portes brillantes, nous invite à
la suivre, et tous mes guerriers entrent imprudemment dans le palais. » (trad. remacle.org)
Strabon VI, 1, 5 : « La première ville que l'on rencontre dans le Brutium, à partir de Laüs,
est Témésa, ou, comme on l'appelle aujourd'hui, Tempsa. Fondée par les Ausones, cette ville
fut rebâtie plus tard par les Aetoliens, compagnons de Thoas ; puis, les Brutiens chassèrent les
Aetoliens, mais pour se voir à leur tour ruinés par Annibal et par les Romains. C'est près de
Temesa, au fond d'un bois épais d'oliviers sauvages, que s'élève l'hérôon de Polite, de ce
compagnon d'Ulysse mort victime de la perfidie des Barbares, mais de qui les mânes irrités
exercèrent alors de telles vengeances sur tout ce pays que les habitants, après avoir pris
conseil de quelque oracle, en furent réduits à lui payer un tribut annuel, et qu'on en a fait cette
locution à l'adresse des cœurs impitoyables : Le héros de Témésa habite en eux. La tradition
1 M.-Th. SCHETTINO, "Les Grecs sur le départ : légendes, pensées, utopies et désirs d'expérimentation", Les
diasporas grecques du VIIIe à la fin du IIIe siècle av. J.-C. : actes du Colloque de la SOPHAU, Charles de Gaulle-
Lille3, 11-12 mai 2012 Lille, Pallas, 89, 2012, p. 35-56.
2 D. MUSTI, "I Greci e l'Italia", Storia di Roma, I, Turin, 1988, p. 39-51, cf. p. 40-48
3 SCHETTINO, op. cit ; BRIQUEL, D., « Remarques sur les traditions de Nostoi en Italie : l’exemple de la légende
d’Ulysse en Étrurie », ACD, 34-38, 1998-1999, p. 235-252 ; D. Briquel, Les Pélasges en Italie. Recherches sur
l'histoire de la légende, Rome, 1984 ;
4 L. MERCURI, Eubéens en Calabre à l'époque archaïque. Formes de contacts et d'implantation, Ecole française
de Rome, 2004, p. 195-196, 280, 288 ; A. Mele in: Forme di contatto e processi di trasformazione nella
società antiche, Cortona, 1981, Pise-Rome, 1983, p. 852 et p. 875 .
3
ajoute qu'après la prise de la ville par les Locriens Epizéphyriens l'athlète Euthymus descendit
dans la lice contre le héros en personne, et que, l'ayant vaincu, il le força à décharger les
populations du tribut qu'il leur avait imposé. On prétend encore que c'est de cette ville de
Temesa et nullement de la ville de Tamassos dans l'île de Chypre (le nom de chacune de ces
localités affecte indifféremment les deux formes [en a et en os]) que le poète a voulu parler
dans ce vers [bien connu] : «Je vais à Témésa pour y chercher du cuivre» (Od. I, 185). Et, en
effet, on reconnaît ici auprès, malgré l'état d'abandon dans lequel elles se trouvent, les vestiges
d'anciennes fonderies de cuivre.» (trad. remacle.org modifiée par mes soins pour les noms
propres)
Pausanias, VI, 6, 7-11 : « Quant à ce qui regarde Enthymos, athlète célèbre au pugilat, je
ne dois passer sous silence ni ses victoires ni les autres actions qui firent sa réputation. Il était
né parmi ces Locriens d'Italie qui habitent le pays vers le promontoire Zéphyrium; Astyclès
passait pour son père, mais on dit qu'il était fils du fleuve Cæcinos, qui sépare la
Locride du pays de Rhégion, et qui donne lieu à une remarque étonnante au sujet des cigales;
c'est que dans toute la Locride, jusqu'à ce fleuve, les cigales chantent de même que partout
ailleurs, tandis que de l'autre côté, dans le pays de Rhégion, elles sont absolument muettes. On
dit donc qu'Euthimos était fils de ce fleuve. Ayant remporté la victoire au pugilat en la
soixante-quatorzième olympiade, il ne put pas obtenir le même succès dans l'olympiade
suivante; car Théagène de Thasos, qui voulait remporter dans les mêmes jeux le prix du
pugilat et celui du pancrace, eut l'avantage sur Euthymos dans le premier de ces exercices;
mais ses forces se trouvant épuisées par ce premier combat, il ne put pas remporter le prix du
pancrace, et les Helladonices le condamnèrent à cause de cela à un talent d'amende envers le
Dieu, et de plus à un talent de dédommagement envers Euthymos, parce qu'il semblait que
c'était à dessein de lui nuire qu'il avait entrepris de combattre au pugilat ; c'est pourquoi ils le
condamnèrent à lui payer une somme. L'olympiade suivante, Théagène paya l'amende à
laquelle il avait été condamné envers le Dieu, et pour indemniser Euthymos, il ne se présenta
pas au pugilat, dont Euthymos remporta le prix en cette olympiade et en la suivante. Sa statue
est de Pythagore, et c'est un ouvrage de la plus grande beauté. Euthymus étant ensuite
retourné en Italie combattit contre un génie, et voici comment cela se passa. On dit
qu'Ulysse errant sur les mers après la prise de Troie, fut porté par les vents dans différentes
villes d'Italie et de Sicile, et qu'il aborda ensuite à Témésa avec ses vaisseaux. Un de
ses matelots s'y étant enivré viola une fille, et les gens du pays le lapidèrent
en punition de cet attentat. Ulysse, sans faire attention à sa mort s'embarqua et partit;
mais le génie de celui qui avait été lapidé se mit à tuer sans relâche les habitants de Témésa,
n'épargnant aucun âge; ils étaient prêts à déserter l'Italie, lorsque la Pythie leur défendit de
quitter Témésa. Elle leur ordonna d'apaiser le génie en lui consacrant une enceinte, lui
bâtissant un temple, et lui offrant tous les ans pour femme la plus belle des filles de Témésa.
Ayant exécuté tout ce que le Dieu leur avait ordonné, ils n'avaient plus rien autre chose à
craindre de ce génie. Euthymos vint par hasard à Témésa à l'époque où se faisait
l'offrande accoutumée ; il s'informa de ce qui se passait, et eut envie d'entrer dans le temple
pour voir la fille qu'on offrait. A peine l'eut-il vue que d'abord la compassion, et ensuite
l'amour s'emparèrent de lui; et la jeune fille lui ayant juré de l'épouser s'il parvenait à la
délivrer, il s'arma, attendit ainsi l'arrivée du génie et le vainquit. Chassé de Témésa, le génie
disparut en se plongeant dans la mer. Voilà comment Euthymus fit un mariage
célèbre, et comment le pays fut pour toujours délivré de ce génie. J'ai aussi
appris au sujet d'Euthymos, qu'il parvint à la vieillesse la plus avancée, et que cherchant à
éviter la mort, il disparut d'une autre manière du nombre des mortels. J'ai su d'un commerçant
qui avait été par mer à Témésa, que cette ville était encore habitée. Tout cela, je l'ai appris par
ouï-dire ; mais voici ce que j'ai vu. Un tableau que j'ai eu sous les yeux, copie d'une peinture
très ancienne, représentait le jeune Sybaris, le fleuve Calabros, la fontaine Calyce, la ville de
Héra et celle de Témésa, ainsi que le génie qu'Euthymos chassa. Il est fort noir de figure, vêtu
d'une peau de loup, et d'un aspect très effrayant. Une inscription qui est sur le tableau lui
donne le nom de Libas. Mais c'en est assez sur ce sujet. » (trad. remacle.org modifiée par mes
soins pour les noms propres)
4
2- Diomède
La légende de Diomède est raconté par Mimnerme (2e moitié du VIIe s.
av. J.-C., originaire de Colophon en Lydie, ou de Smyrne), Ibycos (début VIe s.,
né à Rhégion), Lycophron (IVe s. av. J.-C., Alexandra, v. 594-629), Strabon
(époque d'Auguste), Nicandre (grammairien, poète et médecin, IIe s. av. J.-
C.), Antoninus Liberalis (seconde moitié du IIe s. ou IIIe s. ap. J.-C.)5. Fils de
Tydée et de Déipyle (une des filles d'Adraste roi d'Argos) et époux de sa tante
Aegialé, ce héros étolien a été l'un des prétendants d'Hélène et participe donc à
la guerre de Troie, où il blesse la déesse Aphrodite. Dès lors cette dernière le
poursuit de sa vengeance : l'épouse de Diomède lui est infidèle et lui tend des
pièges lors de son retour à Argos (sa patrie d'adoption), pièges auxquels il
échappe de peu. Diomède s'enfuit en Italie chez le roi Daunus (= un des 3 fils
de L'illyrien Lycaon. Il a pour frère Iapyx et Peucétios. Avec ses frères il
s'installe en Italie et en chasse les Ausones), dont il combat les ennemis mais
Daunus le prive de la récompense promise. Furieux, Diomède voue le pays à la
stérilité quand il n'est pas cultivé par des Etoliens (récit dans l'Alexandra). Le roi
Daunus finit par tuer Diomède et les compagnons de Diomède sont transformés
en oiseaux féroces sauf quand ils rencontrent des Grecs6.
Mimnerme VIIe s. av. J.-C., Scholie de Lycophron, Alexandra, 610 : « Aphrodite,
selon ce qu'a dit Mimnerme, ayant été blessée par Diomède, incita Aeagialé à de nombreux
adultères, la rendant amoureuse d'Hippolyte Komètos fils de Sthénélos. Diomède étant revenu
à Argos, elle conspira contre lui. Puis, celui-ci s'étant réfugié à l'autel d'Héra, et s'étant enfui
avec ses compagnons, alla en Italie chez le roi Daunos qui le tua par la ruse » (trad.
personnelle)
NB = Sthénélos est un des amis de Diomède et a participé à la guerre de Troie.
126
5
3- Héraclès et Melqart
Enfin, d'après I. Malkin Héraclès (héros grec, demi-dieu) et Melqart (dieu
phénicien tutélaire de Tyr, Melk = prince + Qart/Qrt = ville) ont aussi un rôle
important : quand les Grecs et les Phéniciens de la période archaïque exploraient
les routes maritimes, commerçaient et établissaient des emporia et des colonies
territoriales, les emprunts culturels qui se firent entre eux et les populations
locales dépassèrent l'espace commercial pour créer un réseau à l'échelle de la
Méditerranée. Ces emprunts n'étaient le résultat ni d'un impérialisme culturel, ni
d'un programme pour créer des empires phénicien ou grec coloniaux. Plusieurs
des nouveaux établissements furent des entités relativement petites,
indépendantes et Grecs et Phéniciens n'ont sans doute contrôlé qu'une petite
portion de l'hinterland. C'était le contexte de l'émergence d'un milieu colonial
intermédiaire, le "terrain d'entente colonial" (middle ground) qui facilitait les
échanges culturels, tout particulièrement avec les réseaux régionaux. Cet
échange s'exprimait pour les Grecs et les locaux matériellement, par ex dans
l'architecture, l'art, ou la poterie, et dans les cultes, les mythes et les filtres de la
perception. Le réseau des mythes et des cultes pouvait en particulier faciliter la
coexistence ou permettre la médiation pacifique entre les groupes ethniques et
leurs revendications territoriales. A l'inverse, les mêmes mythes et réseaux
culturels pouvaient justifier des antagonismes et des appropriations12. Comme
nous le voyons, les filtres cultuels et mythiques de perception formaient un
milieu intermédiaire de compromis pour d'une part les populations natives,
d'autre part pour les colons grecs et phéniciens, mais pouvaient aussi fonctionner
comme des chartes fondées sur des identités appropriées pour la conquête et
l'établissement. Sur place, les deux réseaux reflétaient et créaient des structures
d'interactions. Avec les changements dus aux circonstances historiques,
l'interprétation de telles structures était laissée aux participants. Héraclès grec et
Melqart phénicien, offraient des cadres d'identité et foyers d'appartenance à un
lieu13. Chez les Grecs, Héraclès était d'abord un héros de la culture. A travers ses
précédents actes, nettoyer la terre de monstres, comme Antaios/Antée en Libye,
il a ouvert une voie pour les humains suivant la civilisation. Héros civilisateur, il
devient médiateur entre le monde hellénique et le monde indigène 14 . Pour
Malkin, l'Héraclès de la période archaïque n'était normalement pas un héros
colonisateur. Il restait rarement dans un lieu pour établir quelque chose. Il était
plutôt le grand voyageur, errant dans un monde d'êtres humains et de créatures
fantasmagoriques. Quelquefois il atteignait les confins de la terre où aucune
charte coloniale n'était concevable15. Ce n'était pas non plus un héros maritime,
comme les héros des Nostoi (= retours de la guerre de Troie) comme Ulysse.
C'était essentiellement un héros terrestre, éliminé de la liste des Argonautes
(mythe faisant de la Colchide le point de jonction entre l'Orient et l'Occident,
monuments commémoratifs du passage des Argonautes à Aia près du Pont
11 D'ERCOLE, op. cit., p. 15
12 I. MALKIN, Un tout petit monde. Les réseaux grecs de l'Antiquité, Les Belles Lettres, Paris, 2018, p. 171
13 MALKIN, op. cit., p. 172.
14 MALKIN, op. cit., p. 172.
15 MALKIN, op. cit., p. 172.
7
16 MALKIN, op. cit., p. 172-173.
17 SCHETTINO, op. cit.; MUSTI, op. cit. ; GIANGIULIO, M., « Greci e non greci in Sicilia alla luce dei culti e delle
leggende di Eracle », in: Modes de contacts et processus de transformation dans les sociétés antiques, Actes
du colloque de Cortone (24-30 mai 1981) organisé par la Scuola normale superiore et l’École française de
Rome, avec la collaboration du centre de recherches d’histoire ancienne de l’Université de Besançon, Pise-
Rome, 1983; p. 785-845.
18 I. MALKIN, op. cit., p. 173 ; et pour le rappel de ce héros, cf. Grimal, op. cit., sv. Héraclès, p. 187-203
19 I. MALKIN, op. cit., p. 173
20 I. MALKIN, op. cit., p. 173
8
fonction des Héraclides est rapportée non seulement aux origines de la Sparte
dorienne et à sa revendication de terre mais aussi à la définition et à la
légitimation de ses maisons royales. Tous étaient descendants d'Héraclès, et
voyaient ainsi leur statut royal légitimé. Le terme archaïque archegétai transmet
la double signification de fondateurs et de dirigeants24. Le mythe d'Héraclès a
souvent été exploité à des fins politiques, comme le fit Dorieus en 510/509 pour
fonder Héracleia sur le site d'Eryx (il doit en repartir moins de cinq ans après sa
tentative à cause des Carthaginois), en faisant usage des droits d'Héraclès sur la
Sicile occidentale et en établissant une revendication héraclide sur cette partie de
l'île. Le mythe avait une signification pour les personnes qui suivirent Dorieus et
pour celles qui furent menacées par lui. Pour Héraclès lui-même, disait
Antichares, il avait acquis la totalité de la région d'Eryx pour ses descendants. Il
réactivait alors le mythe du retour des Héraclides en l'appliquant non au
Péloponnèse mais à la partie occidentale de la Sicile. Tout Héraclide l'aurait fait
et Pentathlos de Cnide avait probablement utilisé Héraclès 70 ans auparavant
mais il fut mis en échec par les habitants de Ségeste/Egeste. La charte du mythe
circulait dans le monde grec et était acceptée par un devin éolien, un "achéen"
(Philippos) de Crotone (qui rejoint Dorieus avec son navire) et par les propres
partisans doriens spartiates de Dorieus25. Les Spartiates pour leur part avait été
rendus sensibles à ce type de légitimation dans la mesure où ils ont combiné le
droit légitime et généalogique d'un chef héraclide à la possession commune et
politique de nouvelles terres, la formation d'un nouvel Etat et d'une nouvelle
identité. Héraclès avait en effet fait revenir Tyndare de son exil et l'avait placé
sur le trône comme gardien. Ses descendants les Héraclides revenaient, dirigeant
une multitude de Doriens et actualisant leur héritage. Maintenant un autre
Héraclide partait faire exactement la même chose26.
que pour établir la frontière entre Cyrène et Carthage, on avait prévu d'envoyer à
la rencontre des hommes sortis de chacune des deux villes et que le point où ils
se rejoindraient déterminerait la limite du territoire. Les frères Philènes, partis de
Carthage, parcoururent une distance beaucoup plus longue, offrant ainsi un plus
vaste territoire à leur pays. Ils furent accusés de tricherie par les Cyrénéens, et
pour prouver leur bonne foi, acceptèrent d'être enterrés vivants au point où ils
étaient arrivés. En reconnaissance, les Carthaginois érigèrent les autels des
Philènes, à 6 km du promontoire vers l'intérieur du pays, sur le site de Ras el
Aali. L'auteur du Pseudo Scylax au IVe s. av. J.-C. qui les cite, n'y voit pas la
frontière de Cyrène mais celle des Nasamons libyens. Pour Hérodote, cette
région est la fin de celle des Nasamons et le début des pays des Maques (sur la
côte) et des Psylloi (plus à l'intérieur du pays)27. I. Malkin pense que le lieu des
autels des Philènes, à l'extrême sud de la Grande Syrte servit d'abord de frontière
naturelle. Un peu plus tard ce lieu fonctionnait comme la limite entre plusieurs
ethnies libyennes et il y a eu ensuite un conflit entre Nasamons et Psylloi qui
permit l'expansion côtière des premiers au détriment des seconds. Les autels des
Philènes devinrent à partir du IVe s. av. J.-C., d'après Malkin, la frontière
occidentale de Cyrène, permettant de distinguer les Nasamons à l'est, les Psylloi
à l'ouest et les Maques au sud est. Une inscription du IIIe s. (SEG, IX, 77)
évoque une dîme payée par les Maques et les Nasamons" payée aux Grecs et
offerte à Apollon. Il a donc fallu un long processus pour localiser et définir une
frontière, lié à la répartition des tribus libyennes dans leur cadre géographique,
le développement de la colonisation cyrénéenne, la formation de la Cyrénaïque
ptolémaïque et l'émergence du pouvoir carthaginois, jusqu'à ce que les autels des
Philènes désignent la frontière territoriale entre Carthage et Cyrène28.
le CRATA, 9-11 mars 2006, réunis par Jean-Marc Luce, Pallas, 73, 2007
10
ainsi qu'entre mythes et hellénicité, nous devons nous tourner vers les sources
écrites et les analyses qui en ont été faites par JM Hall.
Deucalion
Hellen Erechthée
_____________________________________________
Aiolos Doros Kreousa = Xouthos
_______________________
Aigimios Ion Achaios Diomède
___________________
Dymas Pamphylos
30 Ibid.
31 F. Croissant : in Identités ethniques dans le monde grec antique ; Actes du colloque international de
Toulouse organisé par le CRATA, 9-11 mars 2006, réunis par Jean-Marc Luce, Pallas, 73, 2007
32 C. Muller : Identités ethniques dans le monde grec antique ; Actes du colloque international de Toulouse
organisé par le CRATA, 9-11 mars 2006, réunis par Jean-Marc Luce, Pallas, 73, 2007
33 J. HALL, Hellenicity. Between Ethnicity and culture, Londres/Chicago, The University of Chicago Press,
femmes n'était pas le seul moyen par lequel des relations entre groupes
ethniques grecs étaient configurées. Dans un fragment d'Hécatée de Milet ( I
FGrH 16) il est dit que Ion est le frère aîné de Lokros (éponyme pour les
Locriens de Grèce centrale) et fils de Physcos, un héros dont l'origine est reliée
plus tardivement par Aitolos à Orestheus, le frère d'Hellen34. Cette généalogie
est aussi transmise par le Pseudo-Scymnos
Deucalion
_______________
Orestheus Hellen
Phytios
Oineus
Aitolos
Physcos
___________
Ion Lokros
Zeus Erechthée
______________________________
Aiolos
Apollon Kreousa (Créuse) = Xouthos
Ion _______________
Doros Akhaios
_______________________________
Geleon Hopletes Argades Aigikores
34 HALL, op. cit., p. 27-28 et fig. 1.2 p. 28
35 HALL, op. cit., p. ; Grimal, op. cit., sv. Ion, Xouthos et Créuse
12
dériver l'origine de Xouthos d'Aiolos, lequel est décrit comme le fils d'Hellen et
non de Zeus.
Si la généalogie pseudo-hésiodique n'était pas unique dans l'Antiquité,
nous pouvons être assez certains de sa domination dans la construction de
l'identité hellénique durant l'époque archaïque. Martin West, 1985, p. 169-170
pense que le Catalogue des femmes a été écrit vers la fin du VIe s. par un
Athénien, d'une part en raison du dialecte utilisé, d'autre part à cause de la
sélection du matériel mythologique (par exemple la paternité d'Erechthée sur
Sicyon : Sicyon est le second fondateur et l'éponyme de la ville de Sicyone dans
le Péloponnèse. Cette ville avait été fondée par Aegialée un roi autochtone dont
les descendants s'étaient maintenus au pouvoir jusqu'à Laomédon. Le plus
souvent Sicyone passe pour le frère de Dédale, le fils de Métion et le petit fils du
roi d'Athènes Erechthée. Sicyon répondit à l'appel de Laomédon pour combattre
les Argiens Archandros et Architélès 36 . Laomédon lui fit épouser sa fille
Zeuxippè, dont Sicyon eut une fille Chthonophylè) que West considère comme
une réflexion de l'irrédentisme athénien (NB = « origines de l'irrédentisme dans une
37
doctrine qui revendique en 1870 l'unification politique de l'ensemble des territoires de langue
italienne ou ayant fait partie des anciens états italiens (…) Par extension, l'irrédentisme est
une doctrine nationaliste qui prône l'adjonction à un État de certains territoires parce qu'ils en
ont autrefois fait partie ou parce que leur population est considérée comme historiquement,
ethniquement ou linguistiquement apparentée » ). Ce poème n'était pourtant pas
38
Oxford,1985
38 définition, cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Irr%C3%A9dentisme
39 HALL, op. cit., p. 27-28 et fig. 1.3 p. 29
40 HALL, op. cit., p. 29
13
44 HALL, op. cit., p. 69
45 HALL, op. cit., p. 69-70