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Biographie du Père
de l’Histoire
Par Airton Pollini, maître de conférences d’histoire de l’Antiquité grecque à l’université
de Haute-Alsace – Mulhouse
La vie d’Hérodote vaut bien le détour : exil pour raisons politiques dès
sa jeunesse, plusieurs séjours dans différentes cités grecques, y compris
l’Athènes de l’époque de Périclès, voyages dans une bonne partie de
l’Empire perse, puis immigration en Italie du Sud et obtention d’une
nouvelle citoyenneté.
“Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête…” (I, 1). C’est
ainsi que commence l’œuvre d’Hérodote dans les neuf manuscrits médiévaux
conservés. D’après les sources anciennes, il est certain qu’Hérodote naquit à
Halicarnasse et qu’il y vécut une partie de sa vie, lors de sa jeunesse. La plus
ancienne source incontestable sur son origine est une inscription sur la base d’une
statue qui ornait la bibliothèque de Pergame, édifiée par Eumène II dans la pre-
mière moitié du IIe siècle av. J.-C. (Altertümer von Pergamon, Inschr. No 199). À
l’époque romaine, presque tous les auteurs qui le citaient, Denys d’Halicarnasse
(De Thucydide, 5), Strabon (XIV, 2, 16), Plutarque (De La malignité d’Hérodote, 35
= 868 A ; De exilio, 13), Lucien (Herodotus uel Aetion, 1 ; De domo, 20), don-
naient Halicarnasse comme sa ville natale. Enfin, la Suda, sorte de grande ency-
clopédie historique byzantine du Xe siècle, donne également le même renseigne-
ment.
Carien : peuple habitant la Carie, région
côtière dans le sud de l’Asie Mineure, actuelle
Turquie. Halicarnasse, la cité natale d’Hérodote,
Dates approximatives de sa vie
se situait au contact avec les Cariens. Le plus Si son lieu de naissance semble assuré, la date ne l’est pas. En l’absence de témoi-
célèbre des Cariens était Mausole, dynaste du gnage précis et fiable sur la date de naissance d’une personnalité de l’Antiquité,
IVe siècle av. J.-C., célèbre pour son magnifique nous sommes obligés de nous fonder sur des indices, qui ne sont pas toujours très
tombeau, le Mausolée d’Halicarnasse, l’une des
sûrs. Une tradition présente dans la littérature ancienne donne certains éléments :
Sept Merveilles du monde antique (voir Histoire
antique, Hors-Série nº16, jan-mars 2008, p. 50- Denys d’Halicarnasse dit qu’Hérodote serait né avant la bataille de Salamine
57). (datée de 480 av. J.-C.), qu’il aurait atteint le faîte de sa carrière, généralement éta-
bli à l’âge idéal de quarante ans, vers 444 et, enfin, qu’il aurait cinquante-trois ans
Sophiste : orateur, personnage qui s’exprime
au début de la Guerre du Péloponnèse (en 431 av. J.-C.). Tout cela nous donnerait
avec éloquence et sait persuader son auditoire
(traduit du grec ancien par “spécialiste du une date de naissance vers 485 ou 484 av. J.-C. Cette date est néanmoins approxi-
savoir”). mative, puisque les Anciens n’utilisaient pas le même degré de précision que nous
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aujourd’hui et que souvent ils calculaient l’âge des hommes
illustres par rapport à des assertions péremptoires, comme celle
d’établir le sommet de la carrière d’un homme, l’akmè en grec, à
l’âge de quarante ans.
Pour la date de sa mort, nous avons encore moins d’éléments. Les
spécialistes s’attachent à analyser quels furent les derniers événe-
ments évoqués dans son ouvrage pour établir la date de sa mort
peu de temps après : en l’occurrence, c’était la mise à mort d’am-
bassadeurs spartiates livrés aux Athéniens par le roi thrace Sitalkès
(Histoires, VII, 137), événement aussi raconté et précisément daté
par Thucydide (La Guerre du Péloponnèse, II, 67) à l’été 430 av.
J.-C. D’après l’analyse de certains passages de son ouvrage, on
suppose également qu’il n’aurait pas vécu jusqu’à la défaite athé-
nienne face aux Syracusains, en 413 av. J.-C. (voir Histoire
antique, nº40, nov.-déc 2008, p. 20-25). En définitive, on peut dire
qu’il vécut approximativement entre 485 et 420 av. J.-C., ce qui
correspond à la durée normale de vie d’un homme de lettres et de
bonne famille.
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H É R O D O T E V O YA G E U R
très favorable aux Samiens, mais les exemples d’une prise de position pro-athé-
Hérodote, III, 119 : “Mais la femme nienne sont encore plus nombreux, ce qui lui a valu plusieurs critiques depuis
d’Intaphernès s’en venait chaque jour l’Antiquité.
gémir et pleurer sans relâche à la porte
Indépendamment des incertitudes sur les séjours d’Hérodote à Athènes, l’anecdote
du palais ; sa persévérance émut enfin
sur l’origine de l’inspiration de Thucydide révèle un caractère important de la vie
Darius, qui lui fit porter ce message :
et de l’époque d’Hérodote. Le Ve siècle av. J.-C. était, pour une bonne part, un
‘Femme, le roi Darius t’accorde la vie de
monde de l’oralité. Il était courant que les intellectuels de l’époque récitent une
l’un de tes parents prisonniers, à choisir
partie de leurs œuvres en public et qu’ils soient payés pour cela. Outre les philo-
entre tous’. La femme réfléchit et répon-
dit : ‘Si le roi ne consent à épargner sophes, les sophistes et d’autres intellectuels, Hérodote faisait également partie de
qu’une seule vie, entre eux tous, je choi- ceux qui gagnaient de l’argent pour déclamer leurs œuvres en place publique, à
sis mon frère’. Instruit de son choix, l’Agora. Ainsi, l’un des objectifs des séjours d’Hérodote à Athènes, comme certai-
Darius s’en étonna : ‘Femme, lui fit-il nement dans d’autres cités grecques, était de faire des présentations publiques de
dire, le roi demande ce qui te fait aban- son œuvre : c’est par ce biais qu’il pouvait susciter l’intérêt des Grecs pour ses
donner mari et enfants pour choisir la récits à propos des guerres médiques et des différents pays qu’il visita durant sa vie.
vie de ton frère, qui t’est moins proche
que tes enfants, et moins cher que ton Les voyages d’Hérodote
mari’. Elle répondit alors : ‘Seigneur, Le fait le plus extraordinaire de la biographie d’Hérodote réside certainement dans
peut-être pourrais-je avoir, si telle est la ses voyages. Encore une fois, pour cela, il faut se fier aux conjectures issues de
volonté du ciel, un autre mari et quelques éléments présents dans son œuvre. Mais les détails de quelques descrip-
d’autres enfants, si ceux-ci me sont tions sont suffisamment importants pour que les doutes, émis par bon nombre de
enlevés. Mais, puisque mon père et ma philologues très sceptiques, soient écartés aujourd’hui par la majorité des spécia-
mère ne sont plus de ce monde, je ne listes. La liste des pays certainement visités par Hérodote est impressionnante :
saurais avoir d’autre frère. Voilà pour- Babylone, Colchide, Cyrène, Égypte, Macédoine, Olbia de Crimée, Péonie, Syrie.
quoi j’ai parlé comme je l’ai fait’.” Les récits d’Hérodote se fondent le plus souvent sur deux procédés, sur le regard
et sur l’ouïe (opsis et akoè en grec) : ce qu’il a vu et ce qu’il a entendu dire (voir
Sophocle, Antigone, vv. 904 et sui- l’article sur la méthode historique d’Hérodote). À ce propos, tout le livre II, qui
vants : “Si j’avais eu des enfants, si
rapporte la conquête de l’Égypte par le roi perse Cambyse, est d’une extrême
c’était mon mari qui se fût trouvé là à
richesse de détails dans la description du pays et des coutumes locales. En parti-
pourrir sur le sol, je n’eusse certes pas
culier, un petit passage montre bien la présence de l’historien en Égypte (II, 150),
assuré cette charge contre le gré de ma
ainsi qu’une sorte d’itinéraire qu’il aurait pu suivre lors de ses voyages. Outre l’É-
cité. Quel est donc le principe auquel je
gypte, une autre description très détaillée et célèbre d’Hérodote est celle consa-
prétends avoir obéir ? Comprends-le
bien : un mari mort, je pouvais en trou- crée à Babylone (I, 178-187). Il fait la description géographique de la ville, son
ver un autre et avoir de lui un enfant, si étendue, le rempart qui l’entourait, les quartiers qui la composaient, le sanctuaire
j’avais perdu mon premier époux ; mais, et les offrandes qui y figuraient ; puis, il décrit les mœurs et coutumes des
mon père et ma mère une fois dans la Babyloniens, ainsi que l’extrême richesse de la ville (I, 192-200) : “C’est le plus
tombe, nul autre frère ne me fût jamais riche pays de tous les pays que nous connaissons”, dit-il (I, 193).
né. Le voilà, le principe pour lequel je Encore une fois, les dates de ses voyages ne sont pas connues. Comme on a vu,
t’ai fait passer avant tout autre.” (trad. une des méthodes pour déduire des fourchettes chronologiques est l’analyse des
P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, derniers événements racontés par Hérodote : cela constituerait un terminus post
1962 et éd. Gallimard, “Folio quem, c’est-à-dire une date après laquelle l’historien serait passé par ces lieux. En
Classique” nº360). revanche, la date de la presque totalité de ces événements n’est pas connue ou
bien elle est contestée. Mais vraisemblablement les voyages d’Hérodote durent se
Hérodote, II, 150 : “Les gens du pays réaliser dans les années 450-445 av. J.-C., justement à l’époque supposée du faîte
disent encore de ce lac [lac Moéris] qu’il de sa carrière.
déverse dans la Syrte de Libye par un
conduit souterrain et qu’il s’enfonce à L’akmè d’Hérodote
l’ouest dans l’intérieur du pays, le long Selon une note de la Chronique d’Eusèbe et un témoignage de Plutarque, entre
des montagnes qui sont au-dessus de 446 et 444 av. J.-C., à la suite d’une lecture publique, Hérodote aurait été honoré
Memphis. Comme je ne voyais nulle par le conseil d’Athènes (la boulè). C’est sans doute un des incidents les plus glo-
part la terre enlevée lors du creusement
rieux de la carrière de l’historien. L’hypothèse même qu’une lecture publique de
de ce lac, j’ai demandé aux riverains, la
l’œuvre d’Hérodote serait à l’origine du décret honorifique a été mise en doute par
chose m’intéressant, où se trouvait la
certains spécialistes, mais d’autres exemples nous sont connus, comme des hon-
terre tirée de l’excavation. Ils m’expli-
neurs rendus à d’autres hommes de lettres, tels Pindare et Cleidèmos (cités par
quèrent ce qu’on en avait déjà fait et je
les crus sans peine, car j’avais déjà Isocrate, Antidosis, 166 et Tertullien, De anima, 52). La notice d’Eusèbe est un peu
entendu parler d’un fait analogue qui ambiguë et laisserait croire qu’Hérodote aurait lu l’intégralité de son œuvre, ce qui
s’est produit à Ninive, en Assyrie.” est impossible ; mais cette ambiguïté n’est pas suffisante pour discréditer entière-
ment la notice, et il est tout à fait vraisemblable que l’auteur d’une œuvre célé-
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brant les victoires athéniennes contre les Perses ait été honoré publiquement.
Le témoignage de Plutarque (De la malignité d’Hérodote, 26 = 862A) est aussi
clair à propos de la récompense reçue des Athéniens, dont le montant est sans
doute exagéré par Plutarque ou par sa source : “Pourtant, le présent de dix talents
qu’alents qu’il [Hérodote] reçut d’Athènes, sur décret proposé par Anytos, c’est
Diyllos, un historien athénien que est loin d’être méprisé, qui en a parlé.”
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