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Thème 1 : Le monde méditerranéen : empreintes de l’Antiquité et du Moyen Âge

Chapitre 1. La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines

L’Antiquité méditerranéenne est le creuset de l’Europe. Dans cet espace et à ce moment, se sont déployées les trois
influences qui ont forgé l’Europe.

« Eh bien, je considérerai comme européens tous les peuples qui ont subi au cours de l’histoire les trois influences que
je vais dire.

« La première est celle de Rome. Partout où l’Empire romain a dominé, et partout où sa puissance s’est fait sentir ; et
même partout où l’Empire a été l’objet de crainte, d’admiration et d’envie ; partout où le poids du glaive romain s’est
fait sentir, partout où la majesté des institutions et des lois, où l’appareil et la dignité de la magistrature ont été
reconnus, copiés, parfois même bizarrement singés, – là est quelque chose d’européen. Rome est le modèle éternel
de la puissance organisée et stable. […]

« Vint ensuite le christianisme. Vous savez comme il s’est peu à peu répandu dans l’espace même de la conquête
romaine. […] Mais, tandis que la conquête romaine n’avait saisi que l’homme politique et n’avait régi les esprits que
dans leurs habitudes extérieures, la conquête chrétienne vise et atteint progressivement le profond de la conscience.
[…]

« Ce que nous devons à la Grèce est peut-être ce qui nous a distingués le plus profondément du reste de l’humanité.
Nous lui devons la discipline de l’Esprit […]. Nous lui devons une méthode de penser qui tend à rapporter toutes
choses à l’homme, à l’homme complet […]. « De cette discipline la science devait sortir, notre science, c’est-à-dire le
produit le plus caractéristique, la gloire la plus certaine et la plus personnelle de notre esprit. L’Europe est avant tout
la créatrice de la science. Il y a eu des arts de tous pays, il n’y eut de véritables sciences que d’Europe.

Paul Valéry, Variété I, extraits des Essais quasi politiques, "La crise de l’esprit", Deuxième lettre. 1938

A) « Ce que nous devons à la Grèce antique » :


1) Athènes, la plus « grande » des cités grecques…
2) …exerce une hégémonie sur le monde grec.
3) Une méthode de pensée, à l’origine de la science.

B) « Rome, modèle éternel de la puissance organisée et stable  » ?


1) un vaste ensemble territorial dirigé par …
2) …un empereur, clé de voûte de l’ensemble institutionnel.

C) « Le christianisme s’est ensuite peu à peu répandu dans l’espace même de la conquête romaine  ».
1) Le christianisme : « un chef d’œuvre » ?
2) L’autorité des Empereurs et de l’Eglise ont-ils pesé plus lourd que les mérites propres du
christianisme ?
A) « Ce que nous devons à la Grèce antique » :

Les Grecs, sans doute dès la fin du VIe siècle av. J.-C., ont divisé le monde connu en « parties », trois à l'époque,
l'Europe, l'Asie et la Libye. Au IIIe siècle av. J-C le monde tel qu’il est décrit par Eratosthène (astronome et géographe
grec ) peut être cartographié ainsi :

Ce que l’on appelle le monde grec est au centre de cette représentation ; il n’est donc pas un monde «européen » à
proprement parler puisqu’il s’organise principalement autour de la mer Egée et son extension se fait vers l’Ouest de
la Méditerranée par la fondation de colonies en Italie du Sud et en Gaule _ _

1) Athènes : la plus grande des cités grecques…

La cité grecque (polis) est une communauté de citoyens entièrement indépendante, souveraine sur les citoyens qui
la composent, cimentée par des cultes et régie par des nomoi  [lois] ». La « cité (polis) » désigne ainsi une ville (asty)+
son territoire (chorâ).

Au vrai, la cité grecque, dès qu'elle est constituée comme forme politique, ne cesse d'être en crise. Dès le milieu
du VIIe siècle, la plupart des cités importantes sont déchirées par des conflits internes qui opposent tantôt les
« nobles » et le peuple, tantôt les grandes familles entre elles. Tyrans et législateurs interviennent et, pour un temps,
établissent un équilibre provisoire. À ces contradictions s'ajoutent les rivalités entre cités voisines, qui ne cessent de
guerroyer entre elles.

a) Grande par sa superficie et sa population…

Athènes est la plus grande du monde grec : sa chorâ l’Attique faisait environ 2500 km2. Du Nord au Sud, le territoire
s’étendait en effet sur environ 80 km ; d’Est en Ouest sur un peu plus de 40 km de Marathon à Athènes. La ville
d’Athènes proprement dite était reliée à la mer par des remparts (« les longs murs ») qui protégeaient l’accès au
port du Pirée.
La population ? Entre 300 000 et 350 000 habitants au V e. Sous ce climat méditerranéen (étés chauds et arides),
l’activité économique principale est l’agriculture et la richesse provient de la possession de terres  : olives pour
l’huile, blé (base de l’alimentation), la vigne. Un peu d’élevage est aussi pratiqué. Le relief montagneux est difficile
les échanges commerciaux dans le monde grec sont surtout maritimes.

b) …par le régime politique original qu’elle a inventé : la démocratie.

L’Athènes pré-démocratique était une cité oligarchique, inégalitaire et en crise (comme nombre d’autres cités)

…inégalitaire et divisée : la propriété de la terre était tout entière entre les mains des riches (quelques familles) et de
nombreux athéniens devenaient les esclaves des riches ; certains pouvaient même être vendus.

… en crise (stasis) : le peuple était ainsi exploité, réduit en esclavage et souffrait de ne pas avoir de terres ; il n’avait
aucun droit face aux riches  la tension était permanente.

La mise en place d’un régime démocratique comme solution à la stasis en deux grandes étapes : le réformateur ou
« législateur » Solon au VI e siècle : (vers 569 av JC) interdit l’esclavage pour dettes et annule même les dettes

Il se présente ainsi comme le chef du « démos », du « parti démocratique » car Il fait ces réformes dans l’intérêt de la
majorité et contre la minorité (riches) la cité est ainsi gouvernée conformément à l’intérêt de la majorité.

Mais ce sont les réformes de Clisthène qui permettent véritablement la mise en place de la démocratie (vers 507 av
JC). Clisthène a voulu mêler davantage les citoyens les uns aux autres et faire participer un plus grand nombre
d'hommes à la vie politique en opérant un découpage territorial de l’Attique et permettant aux habitants de se
« rencontrer » au sein d’un regroupement appelé « tribu » pour l’élection des conseillers ou pour la guerre.
Clisthène a permis l’émergence de la démocratie en faisant en sorte que les citoyens tirent désormais leur statut de
leur appartenance au territoire et en créant logiquement une égalité de droit entre eux (isonomie).

c) … dont le fonctionnement « fait le bonheur des hommes et suscite l’admiration des cités voisines » (selon
Périclès) :

"Notre constitution politique n'a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins ; loin d'imiter les autres, nous
donnons l'exemple à suivre.  »
«  En un mot, je l'affirme, notre cité dans son ensemble est l'école de la Grèce  »(…)

THUCYDIDE : Discours de Périclès (Guerre du Péloponnèse II, 35)

Périclès (vers 495-Athènes 429 avant J.-C.) descend de deux familles riches d'Athènes. Vers l'âge de 30 ans, Périclès
fait son entrée en politique. Il dirige ensuite l'État en tant que stratège, magistrature à laquelle il est réélu à quinze
reprises au moins entre 443 et 429. Il poursuit la démocratisation de la vie politique athénienne : la charge
d'archonte (magistrat) est ouverte à tous les citoyens et le tirage au sort étendu à de nombreuses autres
magistratures ; une indemnité est versée aux magistrats, simples citoyens et métèques (étrangers résidant à
Athènes) en campagne ; les indigents bénéficient de la gratuité des spectacles. Mais il n'indemnise pas les citoyens
assistant aux séances de l'ecclésia, et institue les « procès d'illégalité » pour annuler les décisions de cette assemblée
du peuple qui vont à l'encontre des lois existantes.

EN QUOI LE GOUVERNEMENT DE PÉRICLÈS NOUS RENSEIGNE-T-IL SUR LE FONCTIONNEMENT DE LA CITE


DEMOCRATIQUE  ?

 La cité est donc dirigée par des magistrats (élus ou tirés au sort)

Principaux magistrats de la cité, les stratèges (du grec stratos, armée, et agein, conduire) détiennent le véritable
pouvoir exécutif, dépossédant l'archontat, réduit, comme l'ancien conseil aristocratique de l'Aréopage, à des
attributions juridiques et religieuses.

 L'ecclésia, l'assemblée du peuple, décide de tout ; elle est aidée dans sa tâche par la boulê (conseil), qui doit
débattre des questions soumises à l'assemblée et émettre un avis préalable.

 Le tribunal populaire de l'héliée (6 000 héliastes tirés au sort) juge de presque toutes les causes.

Tout citoyen athénien peut donc décider du destin de sa cité à l'assemblée, siéger au tribunal, être bouleute
(membre de la boulê) et exercer une magistrature au moins une fois dans sa vie.

2) Athènes, cité hégémonique du monde grec.

a) La montée en puissance d’Athènes.

Au cours du V e s Athènes est une cité puissante à la tête d’une alliance (ligue) militaire basée à Délos (île de la mer
Egée où se trouve un trésor auquel contribuent toutes les autres cités… sauf Athènes. La Ligue de Délos, créée en
478 av JC par Athènes pour continuer jusqu'à la victoire finale la guerre contre la Perse, perd sa raison d'être avec la
conclusion de la paix de Callias en 448 av JC. Elle apparaît dès lors pour ce qu'elle est devenue peu à peu sous
l'impulsion de Cimon, puis de Périclès : l'instrument de l'hégémonie d'Athènes en mer Egée, dont les cités lui paient
un tribut annuel.

b) Un véritable impérialisme athénien ?


Après avoir mis au pas les alliés récalcitrants, tels les Eubéens en 447 -446 avant I.-c., les Samiens en 440-439 ou
encore les Mytiléniens en 428, les Athéniens imposaient en effet dans les cités conquises des régimes démocratiques
et des clérouquies - c'est--à-dire des garnisons de soldats athéniens installées sur une partie du territoire des cités
révoltées. Conservant leur citoyenneté athénienne d'origine, les clérouques résidaient en armes sur les terres
confisquées aux alliés et les cultivaient pour eux ! Ce système profitait indéniablement aux plus pauvres des
Athéniens, les thètes, qui pouvaient par ce biais s'élever dans la hiérarchie politique et sociale.

c) Le « piège de Thucydide »

«  Ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable»

Les hostilités commencent en — 431 entre Athènes et l'alliance continentale conclue par les cités de Béotie et du
Péloponnèse menées par Corinthe et Sparte ; elles constituent, à l'échelle du monde grec, une guerre de près de
trente ans, riche en péripéties dramatiques, que le grand historien athénien Thucydide a décrites avec une lucidité
sans complaisance : la guerre du Péloponnèse de 431 av JC à 404 av JC

 Ce piège identifié par Thucydide est même devenu un concept de relations internationales qui désigne une situation
où une puissance dominante entre en guerre avec une puissance émergente, la première étant poussée par la peur
que suscite chez elle cette dernière du fait de sa montée en puissance

Les cités grecques vont s'y affaiblir irrémédiablement : Athènes en sort brisée, sans que Sparte victorieuse puisse
assumer longtemps le rôle directeur qui lui échoit.

3) Les Grecs ont inventé « une méthode de pensée, à l’origine de la science ».

a) La « raison grecque » est fille de la cité.

Les cités grecques ont connu en des temps reculés la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme
(rois de l’époque mycénienne) puis elles ont été gouvernées (à partir des invasions doriennes) par des aristocraties
héréditaires puis électives : ce pouvoir soumis au contrôle périodique de l’élection dépouillé de toute aura religieuse
a été pour les Grecs une source d’enseignements intellectuels.

Les Grecs des cités pratiquent ainsi la délibération et la décision collectives sur la place publique, l’agora, où l’on
discute des grands problèmes d’intérêt général et où il s’agit moins de vaincre que de convaincre ; de plus le savoir
(science) doit être partagé et non plus être l’affaire de quelques initiés gardant jalousement leurs secrets

L’organisation en cité (Polis) aurait donc permis de se dégager d’une mentalité religieuse et d’assurer par cette
laïcisation de la pensée politique, l’avènement de la philosophie et de la science.

b) Le « miracle grec »
Dans quelques cités-États de la péninsule grecque prend place une révolution culturelle sans précédent. Architectes,
sculpteurs, peintres produisent des œuvres d’une exceptionnelle beauté : le temple du Parthénon et la statue du
Discobole en sont les chefs-d’œuvre les plus connus. La floraison littéraire est tout aussi brillante avec la grande
période du théâtre tragique (Eschyle, Sophocle, Euripide) ou de la comédie (Aristophane). De leur côté, Hérodote
et Thucydide inventent le genre historique : Hérodote en racontant dans ses Enquêtes les mœurs des peuples
étrangers et l’histoire des guerres médiques, Thucydide avec sa Guerre du Péloponnèse.

À la même époque, une autre discipline intellectuelle apparaît : la philosophie. Aux dires des Grecs eux-mêmes, elle
serait née en Ionie avec Thalès de Milet. Mais c’est un siècle plus tard et toujours dans cette période cruciale que la
nouvelle discipline se déploie vraiment, avec les présocratiques (Héraclite, Parménide, Zénon d’Élée, Empédocle,
Anaxagore, etc.), puis avec Socrate et Platon. La philosophie est une nouvelle façon de questionner le monde. Elle
s’interroge sur les principes premiers de toute chose – l’être humain, la société, l’univers – et sa démarche repose
sur l’argumentation et la recherche de preuves. Cette philosophie ne se sépare pas vraiment, à l’époque, de ce que
l’on nomme aujourd’hui la science.

B) « Rome, modèle éternel de la puissance organisée et stable  » ?


Pour l’observateur et pour l’historien, l’empire romain pose plusieurs questions. La plus importante est celle de
savoir pourquoi cet empire a connu une telle durée (plus de quatre siècles) et une telle stabilité dans ses frontières,
alors que les difficultés qu’il a eu à affronter n’ont pas manqué…

L’étonnement est d’autant plus grand que cet empire est divers dans ses composantes ethniques et que les rapports
sont bien lointains entre les « barbares » de Bretagne et les lettrés de l’Orient grec…

Parler de l’empire romain, c’est donc décrire un ensemble de territoires, groupés autour de la Méditerranée et
réunis sous la direction d’un même pouvoir politique, celui de Rome. Ce dernier est représenté et symbolisé par
[’homme qui est à sa tête, « l’ empereur », que les Romains désignent sous les appellations d’Auguste ou de César ou
encore d’imperator, de dominus, de pater... Mais le mot qui évoque le mieux cette souveraineté est celui de
princeps, le « prince » qui marque la primauté de ce mortel parmi les dieux, et son dérivé sémantique principatus, le
« principat. 

1) Un vaste ensemble territorial

L’empire comme ensemble de territoires, existe depuis de nombreuses années quand Auguste arrive au pouvoir. Il
est déjà d’une grande étendue. En 31 av. J.-C., en Occident, Rome et l’Italie, jusqu’à ses frontières naturelles de l’arc
alpin, forment le territoire des citoyens romains au statut privilégié. Tout le reste des possessions romaines entre
dans la catégorie juridique des provinces, les terres conquises et administrées directement par Rome.

Au début du IIe siècle, l’Empire romain a sa forme quasi définitive : il est extrêmement étendu, soit 3 millions de km2
et comprend environ 70 millions de personnes. Il forme un espace géographique unifié centré sur la Méditerranée
qui va de l’Euphrate à l’Atlantique. Cette extension considérable est le résultat de conquêtes successives et sa
cohésion est assurée par une organisation en provinces.

Les frontières de l’Empire sont surveillées sur 5 000 km, c’est le « limes romain » qui s’étend depuis la côte
Atlantique au nord de la Grande- Bretagne, traversant l’Europe jusqu’à la mer Noire et, de là, jusqu’à la mer Rouge et
l’Afrique du Nord, pour revenir à la côte Atlantique. Le limes littéralement « sentier entre deux champs » est une
zone défensive établie le long de la frontière et consistant en une route reliant entre eux des forts et des camps. Le
limes témoigne de la volonté de Rome de pacifier ses confins.

a) Une administration diversifiée et adaptée :

Tous les territoires qui forment l’empire n’ont pas le même statut juridique, ni la même organisation

*provinces impériales, provinces sénatoriales.

Cette distinction repose pour l’essentiel sur la différence de mode de désignation du gouverneur provincial. Dans les
provinces impériales, le légat est nommé directement par l’empereur qui peut le révoquer, il est donc le
représentant du prince. Dans les provinces sénatoriales, c’est le Sénat qui nomme le gouverneur ( après tirage au
sort comme c’était fait sous la République). Les provinces impériales sont celles qui sont les plus récemment
conquises et qui au départ étaient les plus mal pacifiées. Dans la pratique, l’Empereur peut quand même intervenir
dans tous les types de province.

*une fédération de cités :

Comme en Grèce au Ve siècle avant notre ère, la cité (la civitas) est le cadre politique le plus répandu. L’Empire
romain est une fédération de cités. Chaque homme libre est citoyen de sa cité. Chaque cité a des caractères
communs :

• un territoire délimité ;

• un centre urbain organisé autour d’un forum (place centrale équivalent de l’agora de la cité grecque) ;

• des institutions stables avec une assemblée, un sénat local, des magistrats.

Mais il existe une hiérarchie dans les statuts juridiques des cités, ce qui veut dire que tous les habitants de l’Empire
ne sont pas citoyens romains. Leur citoyenneté dépend de leur lieu de naissance :

* Cités de citoyens romains : au sommet de la hiérarchie. Leurs habitants ont la pleine citoyenneté romaine.
Leurs institutions sont globalement calquées sur celles de Rome. Les habitants ont donc une double
citoyenneté : la citoyenneté romaine + la citoyenneté de leur cité.

*Cités latines : les habitants qui exercent des charges municipales (la noblesse locale) reçoivent, à la sortie de
leur fonction, la citoyenneté romaine. Ce qui veut dire que tous les membres du sénat local deviennent
progressivement citoyens romains : c’est le système de la promotion civique. citoyenneté au mérite.

*Cités pérégrines : c’est l’échelon inférieur. Elles sont considérées comme étrangères et conservent leur
système d’administration antérieur à la conquête romaine. Les pérégrins (étrangers) sont des sujets de Rome
et non des citoyens, ils paient un lourd impôt en tant que cité assujettie.

b) Assurer une cohésion à ce vaste ensemble.

Tous les empereurs sont à la recherche du bien pour l’ensemble des habitants du monde romain. Il leur est
nécessaire de s’intéresser de très près à l’administration générale des hommes et des terres. Leur action est
entreprise dans des buts bien précis qui ont été affichés ouvertement dès Auguste : supprimer ou, tout au moins,
limiter les abus des gouverneurs qui avaient rendu les Romains si impopulaires dans tant de régions à la fin de la
République ; rendre l’administration efficace, c’est-à-dire attentive aux besoins locaux et sachant faire rendre au
territoire le maximum de ses ressources sans porter atteinte aux hommes ; conduire tous les habitants d’une région
à adopter le genre de vie romain sans les y contraindre, mais par la vertu de l’exemple et en faisant des élites locales
les vecteurs essentiels de cette adoption. Le but ultime de tous les empereurs a toujours été de créer une cohésion,
la plus forte possible, du monde romain et de ne faire ultimement de ce monde romain qu’une seule « cité »,
habitée uniquement par des citoyens romains.
Pour obtenir ce résultat Rome utilise deux moyens : la romanisation et l’accès à la citoyenneté.

La romanisation passe par la diffusion d’un mode de vie urbain dont témoigne l’existence de grandes villes qui
reproduisent le modèle urbain de Rome et où on retrouve des monuments et bâtiments publics (théâtres, thermes,
arcs de triomphe, statue de l’empereur…) identiques à ceux de Rome.

Mais c’est certainement l’octroi* (*octroyer = accorder) progressif de la citoyenneté romaine aux peuples conquis
qui fut la condition essentielle de la durée de l’Empire romain ;

En 212, l’empereur Caracalla décide de donner la cité romaine à tous les hommes libres vivant dans l’empire.

2) L’empereur, clé de voûte de l’empire :

Le régime politique impérial naît avec le « principat » d’Octave-Auguste en 27 av JC et il repose sur une ambiguïté  : il
ne s’est jamais affiché comme tel.

a) De la République au « principat » :

La figure d’Auguste est au centre d’une période charnière de l’histoire de Rome qui vit la disparition du régime
républicain et l’avènement d’une monarchie connue sous le nom de principat. Un tel bouleversement résulte de
l’action d’un général ambitieux qui imposa son autorité à partir de sa victoire à Actium en 31 av. J.-C. Mais il n’était
pas facile de rompre avec un système républicain vieux de près de cinq siècles qui constituait toujours la référence
en matière politique. Conscient de cette difficulté, Auguste donna à son régime une forme institutionnelle originale
qui associa à une composante monarchique le respect des principes traditionnels de l’ancien ordre républicain. De ce
fait, le principat reposa sur deux fondements en apparence contradictoires : une politique de restauration de la
République ; l’affirmation d’un pouvoir personnel justifié par le charisme du prince.

 Restauration de l’ordre républicain…

Le règne d’Octave commence, alors qu’il est de nouveau consul, avec le transfert de son pouvoir absolu acquis
pendant la guerre civile au Sénat et au Peuple Romain. Il reçoit alors la couronne civique pour avoir apporté la paix
puis le titre d’Augustus, un terme religieux qui en fait un protégé des dieux et un être au-dessus des autres.

Dans les années suivantes la République semble ainsi fonctionner normalement : chaque année, deux nouveaux
consuls sont désignés par le Sénat, Octave-Auguste étant systématiquement un des deux…

 …ou établissement d’une monarchie « déguisée » ?

En 23 av JC, des difficultés apparaissent : épidémie de peste, problèmes de ravitaillement de la ville de Rome.
Auguste opère alors des modifications à son pouvoir :

- Il renonce au consulat et obtient la puissance tribunicienne ainsi qu’un imperium proconsulaire c’est-à-dire
un pouvoir militaire étendu à toutes les provinces de l’empire. En 19 av JC il reçoit la puissance consulaire à
vie et un imperium qui peut s’exercer sur le territoire de la capitale de l’Empire même.

L’empereur est bien le personnage tout puissant de l’empire, comme un chef sur un champ de bataille qui a droit
de vie et de mort sur ses soldats et qui ne distingue pas entre désobéissance et délit. Cela lui donne un droit de vie
et de mort sur chacun, y compris les sénateurs et la naissance de l’empire s’accompagne donc de la levée de toutes
les protections et garanties judiciaires du citoyen. Lorsqu’un Caligula, un Néron ou un Hadrien feront mourir des
sénateurs, ces actes tyranniques seront donc tout à fait légaux dans ce nouveau régime. Caligula tendait son pied à
baiser à des sénateurs…

Il était d’usage, à Rome, d’honorer un défunt en inscrivant son éloge sur sa tombe. Auguste le rédige lui-même de
son vivant. Il fut gravé sur des plaques de bronze fixées dans son mausolée. L’original est perdu, mais a pu être
reconstitué à partir de trois copies sur pierre, retrouvées en Orient.
J’ai été acclamé 21 fois imperator. Le Sénat m’ayant, dans la suite, décerné plusieurs triomphes, je les ai déclinés […].
J’avais été consul 13 fois quand j’écrivais ce qui précède, et j’étais dans la 37e année de ma puissance tribunicienne
[…]. J’ai été prince du Sénat pendant 40 ans, jusqu’au moment où j’écrivais ces lignes. J’ai été pontife suprême […].
Pendant mon sixième consulat, après avoir éteint la guerre civile en vertu des pouvoirs absolus que m’avait conféré le
consentement universel, j’ai fait passer la République de mon pouvoir dans celui du Sénat et du peuple romain. Pour
honorer cet acte méritoire, par sénatus consulte [avis du Sénat], j’ai été nommé Auguste […]. Dès lors, je l’ai emporté
sur tous en autorité, mais je n’ai pas eu plus de pouvoirs qu’aucun de mes collègues dans mes diverses magistratures.

Res Gestae Divi Augusti (Les hauts faits d’Auguste divinisé), Ier siècle av. J-C.

b) L’empereur, un mortel parmi les dieux ?

De son vivant, un culte pouvait être rendu à l’empereur et à son génie particulier : il était alors représenté dans une
attitude et avec des attributs traditionnellement associés aux héros ou au dieux gréco-romains. A sa mort seulement
un processus de divinisation pouvait être enclenché.

 De l’hommage du vivant de l’empereur, dans une province de l’Empire…

Inscription sur un autel dédié à Auguste à Narbonne. Cet autel a été financé par la plèbe de Narbonne (les
citoyens les moins riches).

« Bon, bénis et heureux soient l’empereur César Auguste, fils de César divinisé, père de la Patrie, pontife
suprême, son épouse, ses enfants et sa lignée, le Sénat et le peuple romain. La plèbe1 de Narbonne a placé sur
le forum un autel, auprès duquel, chaque année [avant le début du mois] d’octobre […] trois chevaliers2
romains recommandés par la plèbe et trois affranchis3 immoleront individuellement des victimes et à leur frais,
ce jour là, assureront l’encens et le vin aux colons4 pour adresser des prières à sa puissance divine ; [au début
du mois de] janvier, également, jour où il a inauguré son pouvoir [imperium] sur le monde habité, ils
adresseront leurs prières par l’encens et le vin, ils immoleront individuellement des victimes, et ce jour ils
assureront aux colons et aux domiciliés l’encens et le vin ».
1 La plèbe désigne les citoyens les moins riches.

2 Les citoyens les plus riches sont chevaliers ou sénateurs.

3 Esclaves devenus libres.

4 Citoyens d’origine romaine, installés dans la cité

D’après l’inscription sur l’autel dédié par la plèbe de Narbonne à l’empereur Auguste (27 av. J-C – 14 ap. J-C)

Traduction : R. Étienne, Le Siècle d’Auguste, A. Colin, 1970

 …à sa divinisation

Les funérailles de l’empereur Auguste.

Mort le 19 août à Nole [près de Naples], son corps est transporté à Bovillae [près de Rome] par les magistrats
de chaque cité traversée. […] Le corps de l’empereur est remis par les décurions de la cité à des chevaliers
romains qui le portent à leur tour jusqu’à Rome. Le lendemain, 3 septembre, le Sénat en deuil se réunit pour
écouter la lecture du testament d’Auguste, et propose un certain nombre d’honneurs supplémentaires au
défunt. […] Les funérailles en tant que telles se déroulent le 8 septembre, selon un cérémonial grandiose. Deux
cortèges parcourent la ville : l’un transporte le corps de l’empereur sur lequel a été placée une effigie en cire
revêtue de la toge du triomphateur ; l’autre transporte une effigie en or et un quadrige triomphal. Les deux
convois font la jonction sur le forum […], gagne ensuite le Champ de Mars, où le corps est déposé sur un
bûcher. Pendant l’incinération, un ancien préteur certifie avoir vu Auguste s’élever vers les cieux, porté par un
aigle : c’est l’apothéose, par laquelle l’empereur va rejoindre les dieux. Le 13 septembre les cendres de
l’empereur sont déposées dans le mausolée, le 17 septembre, le Sénat adopte un sénatus-consulte qui inscrit
l’empereur parmi les divinités. Auguste est ainsi le deuxième personnage de Rome à être divinisé après César.

Extraits de Yannick Clavé, Le monde romain, DUNOD, 2014, p 117.

Dans la partie orientale de l’Empire plus que dans sa partie occidentale (où la tradition romaine est hostile à la
divinisation des mortels de leur vivant demeure forte) se met en place un véritable culte à la personne de
l’empereur : les empereurs romains sont assimilés à des dieux grecs. Cette singularité s’explique par la pratique
antérieure de la vénération des souverains de leur vivant depuis l’époque hellénistiques. Avec le temps ce culte
devient un puissant facteur d’intégration des provinces dans le monde romain.

C) « Le christianisme s’est ensuite peu à peu répandu dans l’espace même de la conquête romaine ».

En trois siècles, le christianisme, religion minoritaire, illégale et parfois persécutée, dispersée et très hétérogène, a
acquis le statut d’une puissante religion d’empire dotée d’une Église unifiée. Comment un tel événement a-t-il pu se
produire ? Est-il le fruit d’un changement brutal et inattendu ? Est-ce l’empereur Constantin qui transforma une
secte parmi d’autres en religion d’État ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une évolution de longue durée, menée par des
chrétiens qui surent mettre à profit réseaux et moyens de communication pour médiatiser le message évangélique,
comme saint Paul par exemple ?

Sur la longue durée, à l’échelle de l’ensemble de l’empire, pendant près de deux siècles, jusque vers 180-200, le
christianisme, sans végéter complètement, est longtemps resté au niveau d’une secte très minoritaire, obscure,
confinée aux milieux les plus modestes de la société, et donc de peu d’importance sauf en quelques secteurs comme
l’Asie Mineure ou Rome, il s’est au contraire répandu partout au cours du IIIe siècle et surtout après 250-260.

1) 1ére hypothèse : «  la conquête chrétienne vise et atteint progressivement le profond de la conscience  »


(Paul Valéry)

a) Le christianisme est « un chef d’œuvre » ! (selon Paul Veyne 2007)

Au début du IV e siècle, le christianisme dans l’empire n’est la religion que de 5 à 10 % des 70 millions d’habitants.
Au II e s se développe un néoplatonisme : on s’inquiète des hautes vérités et de la destinée de l’âme et au cours des
années 200-300, le christianisme devient une question brûlante qui intéresse une avant-garde lettrée. De plus
l’époque est réceptive aux « hommes divins » (influence du culte impérial ?)

C’est pourtant encore une religion sommaire mais qui va l’emporter sur le paganisme : elle est plus exigeante de ses
fidèles que prometteuse de bonnes récoltes ou de guérisons (en effet on n’adore pas le dieu des chrétiens avec des
offrandes et des sacrifices mais en obéissant à sa Loi.
C’est aussi une religion d’amour, qui exige une discipline et oriente le croyant vers un être absolu et éternel, un Dieu
créateur du ciel et de la terre. C’est plutôt « Dieu t’aime », un Dieu miséricordieux qui se passionne pour le sort de
l’humanité et le sort de chaque âme que la promesse d’immortalité de l’âme qui entraîne les conversions. Le Dieu
des chrétiens a aussi une capacité à exorciser les démons.

Les chrétiens de l’Empire se sont constitués en contre- société, en une église prosélyte, à la différence du paganisme
et du judaïsme, ce qui leur a valu des persécutions. Cette église est un organisme complet avec des sacrements, des
Livres saints, des réunions liturgiques, des homélies, une morale, des dogmes ; il faut croire aux dogmes et aux récits
sacrés (Chute, Rédemption, Résurrection)

b)…mais a progressé plutôt lentement dans l’Empire.

En 312, les chrétiens n’étaient assurément qu’une minorité dans l’empire. Il est clair en effet que la christianisation,
tout en n’atteignant pas des seuils élevés, a quand même beaucoup progressé au cours du IIIe siècle. Parallèlement,
on voit bien aussi, par de multiples indices qu’il a commencé à la même époque à sortir des milieux plébéiens et à
progresser au sein des élites : il existait très vraisemblablement en 312, à Rome même, un clan de familles
sénatoriales christianisées.

Le rythme de progression de l’évangélisation avait donc bien changé depuis le milieu du IIIe siècle, même si l’on
constate une inégalité très forte de la christianisation d’une province à l’autre, et surtout le caractère encore
globalement très minoritaire des chrétiens dans l’Empire.

2) 2e hypothèse : l’autorité des Empereurs et de l’Eglise ont pesé plus lourd que les mérites propres du
christianisme.

a) En 312, L’empereur Constantin autorise le culte chrétien dans l’empire : est-ce par calcul politique ?

La bataille du pont Milvius opposa le 28 octobre 312 Maxence à l'Auguste de l'Ouest Constantin. La victoire de ce


dernier consacre le début d'une nouvelle ère pour l'Empire tout entier. Elle doit son nom au pont Milvius qui
enjambe le Tibre à quelques kilomètres au nord-est de Rome. C'est peu avant le début de la bataille que Constantin
déclare avoir eu une vision, qui lui est apparue sous la forme d'un chrisme, symbole formé de la conjonction des
lettres grecques Chi et Rho (XP), soit les deux premières lettres du mot Christ ; Constantin a vu ou entendu
également Εν Τουτω Νικα, traduit en latin par In hoc (signo) vinces — Par ceci (ce signe) tu vaincras. Bien qu'encore
païen à cette époque de sa vie, Constantin décide de faire apposer ce symbole sur les boucliers de tous ses soldats.
Cette vision est rapportée par l'historien et archevêque de Césarée, Eusèbe de Césarée, qui atteste l'avoir apprise de
la bouche même de Constantin.

Pourquoi Constantin a-t-il fait ce choix audacieux  ?

L’explication, du moins c’est notre thèse, doit plutôt être cherchée sur un autre plan, qui est celui de l’idéologie, et
qui met en jeu plus précisément le phénomène de sacralisation du pouvoir impérial en vigueur à cette époque.
Depuis la grande crise du IIIe siècle, qui avait vu une incroyable succession d’usurpations, les empereurs avaient
cherché en effet à consolider le pouvoir impérial en l’appuyant plus fortement sur un support religieux. Aurélien, en
274, avait promu à cet effet le Dieu suprême Sol Invictus, dont il se disait l’élu et le vicaire. Dioclétien, en fondant la
Tétrarchie, avait été plus loin à partir de 287, en prenant le surnom de Jovien, et en donnant à son collègue
Maximien celui d’Herculien : les empereurs étaient officiellement les fils de Jupiter et d’Hercule, qui agissaient à
travers eux. Tous les actes impériaux étaient des actes voulus par la divinité. Dans les deux cas, le message politique
de ces proclamations religieuses était clair et ouvertement énoncé : il s’agissait à l’avance d’enlever toute légitimité
aux usurpateurs éventuels. Seul l’empereur était élu des dieux, et seul le successeur qu’il désignait était légitime,
parce que lui-même choisi, à travers l’empereur, par la divinité. Or Constantin, lorsqu’il réalisa entre 306 et 312 son
ascension politique, en éliminant peu à peu tous les empereurs concurrents en Occident, était lui-même un
usurpateur. Certes, il était par le sang le fils d’un Tétrarque, Constance Chlore, mais il n’avait pas été désigné par les
Tétrarques pour leur succéder. En 306, à la mort de son père, il se fit illégalement acclamer par l’armée, et s’il alla
ensuite de succès en succès, ce fut cependant toujours en étant confronté à un constant problème de légitimité.
C’est cela d’abord qui explique, dès 307-308, son retour au culte solaire, et sa vision d’Apollon en 310 : en guerre
contre les Tétrarques, il ne pouvait invoquer Jupiter ou Hercule, et il avait dû chercher une autre légitimation divine
Mais le problème pour lui en 312, lorsqu’il décida d’attaquer Maxence, maître de l’Italie, c’est qu’il trouva alors, sur
le terrain de la légitimité divine païenne, quelqu’un d’encore plus fort que lui. Maxence lui aussi était un usurpateur
depuis 306. Et comme Constantin il avait dû chercher des soutiens divins nouveaux. Mais il avait un avantage unique.
Maître de Rome, il contrôlait en effet tous les grands temples des dieux protecteurs des empereurs et de l’Etat :
Jupiter, Hercule, Vénus, et aussi Apollon et Sol Invictus, la grande divinité solaire. Or tout ce que nous savons de la
politique de cet empereur montre précisément qu’il manifesta une dévotion extraordinaire envers tous ces dieux.
C’est même un des grands paradoxes de l’histoire romaine que de constater que les faveurs publiques au paganisme
ont atteint dans la capitale leur sommet juste avant l’entrée du premier empereur chrétien. Les traces en sont
toujours visibles à Rome aujourd’hui : sur le forum, outre l’énorme basilique dite « de Constantin », en fait une
construction lancée par Maxence et qui devait abriter sa statue géante, le plus grand temple de la Ville, face au
Colisée, est le temple de Vénus et de Rome, parce que Maxence le fit reconstruire entre 306 et 312 en lui donnant
des dimensions gigantesques. On perçoit dès lors mieux ce que fut, sur le plan idéologique et religieux, la guerre de
312 : un conflit entre deux ambitieux, qui cherchaient à légitimer leur position par tous les artifices de la religion,
mais avec un avantage certain en ce domaine pour Maxence. Face à cela, Constantin avait un véritable handicap. Il
lui fallait rehausser sa prétention au pouvoir suprême par une légitimité divine, mais celle-ci ne pouvait, pour se
justifier, provenir que d’une divinité qui cumulerait deux qualités : être une divinité toute puissante, supérieure à
elle seule à tous les dieux de la Rome païenne ; et être une divinité universelle, de tout l’empire, qui
transcenderait les frontières. Or devant cela, Constantin n’avait guère de choix. Il pouvait, certes, célébrer le dieu
des néo-platoniciens, l’Un de Plotin, inconnaissable et inaccessible, que seuls les philosophes évoquaient : mais
l’impact politique d’un tel choix aurait été quasiment nul. Ou il pouvait s’appuyer sur le dieu des chrétiens, que tout
le monde désormais connaissait, parce que les chrétiens étaient présents partout, parce que la persécution venait de
montrer la foi ardente que ce dieu suscitait, et parce que même Galère, le plus fanatique des Tétrarques, sur son lit
de mort, en 311, venait de reconnaître l’échec de la politique de persécution, en reconnaissant dans un édit officiel
l’existence légale des chrétiens, qu’il invitait désormais à prier pour le salut de l’Empire. En l’état actuel de nos
connaissances, le doute n’est guère possible : Constantin, indépendamment de ses convictions personnelles, a choisi
en octobre 312 le christianisme parce qu’il lui donnait une légitimité politique nouvelle et complètement à part, au-
dessus de toutes les autres

Il a pris ses adversaires totalement de court avec ce ralliement, le succès n’a certainement ensuite fait que le
renforcer dans ses convictions. Cette explication n’exclut évidemment pas une évolution continue de l’empereur
après 312 : nul doute en effet que, parti de ce choix politique et idéologique, Constantin a ensuite appris
progressivement à mieux connaître le dogme, consolidant ainsi peu à peu son adhésion initiale.

Extrait de l’entretien avec Yves Modéran, Professeur à l’Université de Caen, publié dans la revue Historiens &
Géographes n° 426 parue en 2001. http://aphgcaen.free.fr/chronique/426/ym-constantin.pdf.

b) Constantin : un croyant sincère qui a voulu « changer le monde »?

Non, Constantin ne s’est pas adressé au dieu chrétien par superstition, parce qu’il se serait imaginé, on ne sait
pourquoi que mieux que d’autres dieux, celui des chrétiens lui donnerait la victoire  ; (…) il n’a pas fait appel au christ
à la façon d’un païen passant un contrat de vœu avec quelque dieu (…)Constantin s’est converti parce qu’il a cru en
Dieu et en la Rédemption, tel fut son point de départ, et cette foi impliquait à ses yeux que la Providence préparait
l’humanité à la voie du salut ( il l’écrira lui-même bientôt en ces propres termes).

Par là, l’importance de Constantin dans le cours de l’histoire humaine se révèle gigantesque ( …) il est [selon lui] la
créature humaine qui a joué le plus grand rôle depuis Adam et Eve.

Paul Veyne p 771-775 et surtout 772

CCL : comment l’empire est-il devenu totalement chrétien au IV e s ?

L’empereur converti a-t-il voulu aussitôt faire de son empire un empire chrétien ? En ce qui concerne Constantin, on
l’a vu, la thèse doit être soutenue avec prudence. Il couvrit de faveurs l’Eglise, mais il fit très peu pour faire reculer le
paganisme, dont il ménageait manifestement les fidèles. C’est avec ses fils, surtout Constant empereur d’Occident
de 340 à 350 et Constance II empereur d’Orient de 337 à 361 que cette volonté de christianiser l’empire fut vraiment
manifeste. Mais elle se traduisit en fait encore par peu de gestes. Le tournant ne se produisit vraiment que sous
Théodose entre 379 et 395, lorsque les cultes païens furent finalement partout interdits : alors naquit véritablement
la persécution chrétienne du paganisme. Sur les causes de ce processus inégal mais réel de progression de l’Eglise au
IVe siècle, deux thèses continuent en effet à s’affronter : pour les uns, la machine tournait toute seule en quelque
sorte : sur l’élan acquis dans la deuxième moitié du IIIe siècle, l’évangélisation a de manière naturelle gagné les
masses. Et pour d’autres, c’est l’avènement d’un christianisme religion d’Etat qui a permis vraiment la mort du
paganisme. Or, au regard de ce qui précède, on comprend qu’une réponse unique est impossible : à considérer la
Gaule ou la Bretagne, ce sont les partisans de la deuxième explication qui semblent avoir raison. A considérer
l’Afrique ou l’Egypte, ce sont ceux de la christianisation spontanée qui paraissent l’emporter. Le vrai problème, c’est
qu’il faut vraiment cesser de considérer l’empire romain comme un tout. Nous nous extasions trop souvent devant
cette magnifique construction politique, cette unité européenne avant l’heure, vivifiée par une citoyenneté égale
pour tous depuis l’édit de Caracalla. En réalité l’empire romain est toujours resté extraordinairement diversifié.
Même au Bas-Empire, avec un appareil d’Etat renforcé, il a fonctionné fondamentalement comme un immense
conglomérat de cités, intégrées à des provinces qui chacune gardait une personnalité culturelle très particulière

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