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A) Martin Luther ouvre en 1517 le temps des réformes  

de l’Eglise.

Martin Luther (1483-1546)

Né dans une famille de petits-bourgeois d'origine paysanne, Martin Luther passe ses premières années entre un père
rude et une mère sensible et superstitieuse, à Eisleben, puis à Mansfeld, en Saxe. Sa foi d'enfant est très fortement
marquée par les colères et les châtiments paternels, en quoi il ne tarde pas à voir des échos de la sévérité et du
jugement divins et, par la croyance de sa mère, de l'omniprésence des esprits bons et malins de la création invisible.

Après avoir fréquenté l'école de Mansfeld, il part, à quatorze ans, pour Magdebourg et passe un an chez les Frères
de la vie commune, qui lui font découvrir la Bible. À quinze ans, il poursuit ses études à Eisenach, où sa culture
s'épanouit, en particulier dans le domaine musical. À dix-sept ans, en 1501, il entre à l'université d'Erfurt, pour y
devenir juriste ; il y fréquente un cercle d'humanistes . À vingt ans, il est chancelier ; à vingt-deux, « maître ès arts » :
un brillant avenir l'attend. Ses condisciples le décrivent comme « un jeune compagnon de bonne et joyeuse nature,
adonné aux études et à la musique  ».

Cependant, derrière cette façade paisible et prospère, une question le hante, celle du sens de l'existence. Luther se
tient incessamment face à celui qu'il reconnaît comme son créateur et son juge. Sa piété, encore hantée par les
superstitions maternelles, l'amène à vivre plus dans la crainte que dans la joie et la simplicité évangéliques  : « Nous
pâlissions au seul nom du Christ, car on ne nous le présentait jamais que comme un juge sévère, irrité contre nous.
On nous disait qu'au jugement dernier il nous demanderait compte de nos péchés, de nos pénitences, de nos œuvres.
Et, comme nous ne pouvions nous repentir assez et faire des œuvres suffisantes, il ne nous demeurait, hélas, que la
terreur et l'épouvante de sa colère…  ».

Alors même qu'il vient d'être fait « maître en philosophie » et aborde la carrière juridique, Luther entre soudain au
couvent des Augustins d'Erfurt en juillet 1505, surprenant tous ses amis et remplissant son père de fureur. Ce n'est
pas une rupture pourtant que cette décision de se vouer à l'idéal monastique, mais bien, dans la ligne de toute son
époque, une tentative honnête et désespérée de « devenir vraiment chrétien ». Sans doute des événements
extérieurs précipitent-ils cette évolution (accident et blessure au cours d'un voyage, mort d'un ami, la foudre
déracinant un chêne à côté de lui…) ; mais ce qui le pousse vers la vie monacale, c'est avant tout son inquiétude
existentielle, tout entière résumée dans la question pathétique : « Wie krieg ich einen gnädigen Gott  ? » (mot à mot :
« Comment est-ce que j'obtiens un Dieu miséricordieux  ? »).
Tous les témoignages concordent : il a été un bon moine, trop bon même sans doute, car il s'applique à suivre la
règle avec une scrupuleuse rigueur, en rajoutant constamment sur le minimum prescrit. Il est évident qu'il vise la
perfection, sinon la sainteté, car il sait que nul pécheur ne peut vivre devant Dieu. Et plus il vise haut, vers l'absolu de
son idéal spirituel, plus la conscience de son péché le tourmente et le terrorise. Admis à prononcer ses vœux à vingt-
trois ans, il est ordonné prêtre l'année suivante (avril 1507) mais est submergé de panique lors de la célébration de
sa première messe, le 2 mai 1507.

Ses supérieurs l'observent et l'accompagnent avec sollicitude : à vingt-cinq ans, il se voit confier un cours sur
l'éthique d'Aristote, au couvent de Wittenberg. Deux ans après, en 1510, il fait à Rome un voyage, dont le résultat
est de créer en lui une aversion définitive à l'égard de la capitale du monde catholique et de l'entourage pontifical.
De retour à Wittenberg, il est, à vingt-neuf ans, nommé contre son gré sous-prieur du couvent, puis acquiert le titre
de docteur en théologie. Désormais, il est chargé de donner à ses frères un cours d'explication biblique  : au prix d'un
énorme labeur, il parcourt en deux ans les Psaumes, puis au long des trois années suivantes les Épîtres aux Romains,
aux Galates et aux Hébreux. L'ascension spectaculaire qu'il vient d'effectuer explique la célébrité dont il commence à
jouir : dès lors, ses gestes et ses écrits ont un retentissement considérable.

Il n'a pas pour autant conquis la paix intérieure. Formé par ses maîtres à une conviction théologique insistant avant
tout sur le caractère libre et même arbitraire de la volonté divine et, en même temps, sur la nécessité pour l'homme
de se préparer à la grâce par l'action bonne dans l'espoir que celle-ci soit agréée par le bon plaisir divin, il ne peut, en
ce qui concerne son destin propre, arriver à aucune conclusion positive : si Dieu est absolument imprévisible,
comment être certain que l'on est accepté par lui ?

Redoublant d'observances, de confessions et de pénitences, il en arrive petit à petit à une assurance mortelle : rien
ne peut lui donner la certitude de la grâce. L'enfer est là, dans sa vie actuelle, comme une intolérable présence  : «  Je
ne savais plus si j'étais vivant ou mort, Satan m'avait jeté dans un désespoir tel que je me demandais s'il existait un
Dieu. J'avais cessé de le connaître. La tentation de l'incrédulité est une souffrance si grande que nulle parole ne
saurait l'exprimer.  » Il résume son agonie dans un cri : « Satan est réellement homicide  ! ».

Petit à petit, il se convainc que l'Écriture, témoignage rendu au Christ, doit redevenir pour l'Église la seule règle de
foi.

Il faut donc tout examiner à la lumière de l'Écriture, tout soumettre à son jugement ou, plutôt, laisser la Parole, qui
jaillit toujours de nouveau de l'Écriture, tout remettre en cause dans l'enseignement et les structures de l'Église,
comme dans la vie du chrétien et l'histoire du monde.

Luther comprend peu à peu que le fait de désespérer en doutant de sa propre justice – c'est-à-dire de sa propre
capacité à mériter le salut – ne peut venir que de Dieu. Comment se croire damné, si ce n'est pour avoir été
confronté avec la sainteté de Dieu, si ce n'est pour s'être reconnu en vérité au miroir de l'Évangile  ? En n'ayant
aucune complaisance envers soi-même, en se regardant tel qu'il est avec réalisme, il ne fait, en réalité, que
d'accorder le jugement qu'il porte sur soi avec celui que Dieu porte sur tout homme :

Être juste, ce n'est donc pas accumuler confessions, pénitences et bonnes œuvres, c'est se soumettre au verdict de
la justice de Dieu. Encore faut-il être certain qu'elle est aussi la justice qui pardonne et délivre : « J'avais brûlé du
désir de bien comprendre un terme employé dans l'Épître aux Romains au premier chapitre, là où il est dit : “ La
justice de Dieu est révélée dans l'Évangile ” ; car jusqu'alors j'y songeais en frémissant. Ce mot “ justice de Dieu ”, je
le haïssais, car l'usage courant et l'emploi qu'en font habituellement tous les docteurs m'avaient enseigné à le
comprendre de façon philosophique. J'entendais par là la justice qu'ils appellent formelle ou active, celle par laquelle
Dieu est juste et qui le pousse à punir les pécheurs et les coupables. Malgré le caractère irréprochable de ma vie de
moine, je me sentais pécheur devant Dieu […]. Enfin, Dieu me prit en pitié. Pendant que je méditais, jour et nuit, et
que j'examinais l'enchaînement de ces mots : “ La justice de Dieu est révélée dans l'Évangile, comme il est écrit : le
juste vivra par la foi ”, je commençais à comprendre que la justice de Dieu signifie ici la justice que Dieu donne et par
laquelle le juste vit, s'il a la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : l'Évangile nous révèle la justice de Dieu, mais la
“ justice passive ”, par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, nous justifie au moyen de la foi. Aussitôt je me sentis
renaître, et il me sembla être entré, par des portes largement ouvertes, au paradis même. »

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