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Dialogues d'histoire ancienne

Les communautés villageoises dans l'Égypte ancienne


Monsieur Ciro F. Cardoso

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Cardoso Ciro F. Les communautés villageoises dans l'Égypte ancienne. In: Dialogues d'histoire ancienne, vol. 12, 1986. pp. 9-
31;

doi : https://doi.org/10.3406/dha.1986.1706

https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1986_num_12_1_1706

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Abstract
This paper discusses a former text published by Aristide Théodoridès. Against the latter's view, it
purports to demonstrate the existence and considerable importance of village communities in
pharaonic Egypt, by using iconographie and written sources. Those communities acted through local
councils and had three main features : 1) within them elements of economic and social cohesion
(association of agriculture and crafts, gifts exchanged among the families, and so on) could be found ;
2) they controlled irrigation and the agrarian cycle at the local level; 3) finally they had local
governmental, judicial and notarial capacities, under the control of the provincial and central
administrations of ancient Egypt.

Résumé
Par le biais de la discussion de l'opinion contraire d'Aristide Théodoridès et s'appuyant sur des sources
écrites et iconographiques, l'article essaie de démontrer et l'existence et l'importance des
communautés villageoises dans l'Egypte des pharaons. Ces communautés, dont l'action était réglée
par des conseils locaux, avaient trois caractères essentiels : 1) l'existence à leur intérieur d'éléments
de solidarité économique et sociale (union de l'artisanat et de l'agriculture, dons et contre-dons entre
les familles, etc.) ; 2) elles exerçaient le contrôle de l'irrigation et du cycle agraire au niveau local ; 3)
enfin elles avaient de nombreuses fonctions administratives, judiciaires et notariales, sur la
surveillance et le contrôle des gouvernements provincial et central.
DHA 12 1986 9-31

LES COMMUNAUTÉS VILLAGEOISES DANS L'EGYPTE ANCIENNE

Ciro F. CARDOSO
Université de Niteroi
(Brésil)

Le 20e Congrès de la Société Jean Bodin (Varsovie, 1976), définit la


communauté rurale, comme «tout groupe d'hommes vivant ensemble, ou les
uns près des autres, dans un cadre territorial restreint, en exploitant en
commun tout ou partie du sol» (1).
On a voulu, sans doute, établir un cadre suffisamment large pour des
débats sur les sociétés les plus diverses. Mais, du coup, la définition adoptée,
du moins pour l'Antiquité, s'avère limitée. De vraies communautés rurales
peuvent exister sans qu'il y ait exploitation commune du sol. En Afrique
noire et en Amérique précolombienne, l'ethnologie et l'ethnohistoire ont
révélé plutôt des communautés où à la propriété commune du sol s'associait
l'exploitation par des familles restreintes - bien que les travaux préparatoires
(l'abattage des arbres pour préparer le brûlis, par exemple) puissent être
exécutés en commun, puisqu'ils excédaient les possibilités de chaque famille
prise isolément. En outre, au Proche-Orient, le contrôle de l'eau pouvait
former des liens communautaires solides en l'absence de toute culture menée en
commun. J'aurais aimé, également, que l'on discute de l'association intime
de l'agriculture et de l'artisanat en tant qu'élément de définition des
communautés villageoises antiques, ainsi que des formes d'accès à la terre et à
l'eau.
Le danger possible d'une approche volontairement étroite comme celle
qu'a choisie la Société Jean Bodin, c'est de donner l'impression que
l'inexistence des communautés rurales a été «prouvée» pour ce qui est de certaines
sociétés anciennes, quand il n'en est rien. Tout au plus aura-t-on démontré
l'absence de la culture en commun de la terre (ou l'absence de preuves
documentaires concernant celle-ci).
10 CF. CARDOSO

II est clair, d'autre part, qu'il ne s'agit pas seulement de problèmes


dérivant de la définition de départ, mais surtout de l'affrontement de positions
théoriques et méthodologiques opposées. H suffit, par exemple, en ce qui
concerne la Mésopotamie ancienne, de comparer, dans le recueil de la Société
Jean Bodin, l'article de W.F. Leemans (p. 43-106) à ceux de J. Klima ( p.
107-132) et de M. Dandamayev (__ p. 133-145), pour percevoir des différences
qu'il faut expliquer principalement par des façons distinctes d'envisager le
fonctionnement des sociétés humaines.
En ligne générale, je serais d'accord plutôt avec Klima et Dandamayev.
Mais il faut avouer aussi que, bien souvent, l'existence et les caractères des
communautés de village du Proche Orient ont été postulés et non prouvés.
C'est ainsi qu' Ahmad Sadek Saad, parlant de l'Egypte pharaonique, prend
la «commune rurale», qu'il décrit, comme quelque chose d'évident, dont
apparemment il ne ressent pas le besoin de démontrer l'existence (2).
Il n'est pas facile de faire la preuve documentaire, lorsqu'il s'agit des
communautés villageoises antiques. L'écriture n'était employée la plupart
du temps, au Proche Orient, que pour des raisons bien précises, ayant trait
à l'administration et aux temples. Si nous ajoutons les hasards de la
conservation des documents, il est aisé de comprendre que, même si nous étions tous
d'accord pour croire en l'existence des communautés villageoises, nous ne
trouverions que peu de sources (et bien peu explicites) pour étayer nos
analyses. Il n'y a aucune raison d'espérer que les écrits officiels - les plus nombreux -
livrent leur structure interne. L'archéologie, pour sa part, sauf lorsqu'il s'agit
de la préhistoire, ne fouille pas souvent les villages. Ainsi, les auteurs déjà
prédisposés dans ce sens par leur position idéologique ou théorique peuvent
comprendre facilement «ce qui est un déséquilibre documentaire» comme étant
«un déséquilibre réel» (3), et donc nier l'existence même des communautés
villageoises.
Or, si la Mésopotamie a été abordée, dans le recueil de la Société Jean
Bodin, par des auteurs ayant sur la communauté rurale des opinions
différentes, l'Egypte, elle, n'a fait l'objet que d'un seul article, celui d'Aristide
Théodoridès, clairement sceptique quant à leur existence dans l'antiquité
égyptienne - du moins dans les termes de la définition proposée aux
participants du colloque de 1976 (4). La lecture attentive du texte de A.
Théodoridès m'a convaincu qu'il n'a pas utilisé toute la documentation, et que sa
position découle d'une interprétation contestable de l'histoire de l'Egypte,
dérivée des idées de Jacques Pirenne.

DEUX PARADIGMES

II y a un point de méthode énoncé par J. Pirenne en 1961 avec lequel


je suis tout à fait d'accord. Il disait alors que Pégyptologie s'attachait «plutôt
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 11

à l'étude du détail qu'à celle de la vue d'ensemble, à la technicité qu'aux


recherches historiques», tandis qu'à son avis «l'histoire, pour progresser, doit
se fonder à la fois sur l'analyse et sur la recherche synthétique» . Il revendiquait
aussi, pour l'historien, le droit d'aller au-delà de la description, de rechercher
l'explication causale (5).
L'accord s'arrête là. Car on s'aperçoit très vite que la synthèse prônée
par l'auteur ne relève pas d'une méthode scientifique. П était convaincu que
sa vision «cyclique» de l'histoire de l'Egypte ancienne n'était pas
hypothétique, mais plutôt «un fait historique» - cédant donc à l'illusion courante chez
les historiens traditionnels, si bien combattue par Lucien Febvre -, et il
espérait que, malgré des corrections de détail, cette vision serait acceptée par les
spécialistes. Dès lors, son affirmation du travail scientifique comme étant
«toujours provisoire» est contredite par sa croyance à des «faits historiques» qui
s'imposeraient de dehors, tout prêts, à l'historien, par le truchement de la
documentation qu'il utilise et critique - croyance nullement scientifique,
bien entendu (6).
Un deuxième sujet de désaccord au niveau de la méthode surgit à cause
de la modernisation systématique de l'histoire de l'Egypte ancienne à laquelle
il procède. J. Pirerme croyait, en effet, «que l'évolution de la civilisation est
aussi rapide dans l'Antiquité la plus lointaine qu'aux autres périodes de
l'histoire»,etquelespeuples ayant vécu dans l'Egypte ancienne «ont connu des
problèmes sociaux, économiques, politiques, juridiques de même ordre que ceux
qui ce sont posés aux âges plus proches du nôtre» (7). Le résultat de tels
principes est que les anachronismes foisonnent dans son ouvrage, où nous
voyons défiler, le long des cycles et des volumes, des «féodalités» (l'une d'elles
complète avec des «contes de chevalerie»), des «bourgeoisies» (et même des
«républiques marchandes»), des «clergés», des «absolu tismes», etc. Or, tout
cela n'a rien d'historique, mais relève plutôt d'une interprétation idéologique que
les sources n'étayent pas. Par exemple, pour me convaincre de ce que les «villes
marchandes» du Delta fondèrent des «colonies» en Moyenne et en Haute
Egypte à la fin de la période prédynastique, il faudrait bien davantage que les
hypothèses périmées de K. Sethe sur l'évolution des cultes locaux. Mais on
chercherait vainement, chez J. Pirerme, des preuves du caractère urbain des
agglomérations du Delta à cette époque, de leur nature marchande, ou du fait qu'elles
aient vraiment fondé des colonies dans la vallée (8). Ce ne sont là que des
postulats, et nous sommes en fait dans le royaume de la philosophie de l'histoire,
nullement de l'histoire. L'idéologie qui voit dans les périodes d'apogée de la
civilisation pharaonique le triomphe de r«individualisme» né dans le milieu
«bourgeois» des «villes marchandes» ne serait pas difficile à découvrir.
Enfin, voici un autre point qui nous sépare : J. Pirerme croyait à
l'existence d'éléments de civilisation purement «spirituels et moraux», dont
l'évolution serait indépendante du milieu social (ou plus exactement de «l'organisa-
12 CF. CARDOSO

tion juridique, économique et sociale») et même de toute préoccupation


sociale. Cette évolution aurait été, en Egypte, non cyclique, mais linéaire,
allant vers une spiritualisation croissante jusqu'à la XXVIe dynastie (9). Je
crois pour ma part, avec Georges Duby, au danger contenu dans le fait que
certains auteurs «ont été parfois conduits à s'éloigner du concret, à attribuer
aux structures mentales une trop large autonomie à l'égard des structures
matérielles qui les déterminent, faisant ainsi insensiblement dévier l'histoire des
mentalités vers des développements semblables à ceux de la Geistesgeschichte»
(10).
Laissant les considérations méthodologiques, voyons maintenant quel est
le contenu du paradigme établi par J. Pirenne et suivi par ses disciples, tels
G. Dykmans et A. Théodoridès.
A la base de l'interprétation mentionnée se trouve le déterminisme
géographique. Le Delta, capable de nourrir une population importante, serait
une région propice à la culture individuelle - notamment à une formation
«naturelle» de la petite exploitation. L'existence d'un surplus important et
les contacts maritimes auraient animé des échanges et l'apparition d'une
civilisation bourgeoise, urbaine et marchande, «nettement orientée vers
l'individualisme» et le droit contractuel. En revanche, dans la vallée du Nil, au sud du
Delta, mince ruban fertile entouré de déserts, l'important serait d'élargir la
surface cultivée par l'irrigation : oeuvre collective, dont le contrôle exigerait
un pouvoir central puissant et organisé. En Haute Egypte, région moins
urbanisée, dès l'affaiblissement du pouvoir central, la tendance serait à ce que
s'établisse un «système seigneurial». Ces éléments permanents détermineraient
la configuration de la civilisation égyptienne et son évolution (11).
Comme J. Pirenne, Théodoridès croit à l'existence d'une «bourgeoisie
urbaine» du Delta, à laquelle il attribue la rébellion du début de la Première
Période Intermédiaire (12). Et il reprend, en se fondant sur un livre intéressant,
mais irrémédiablement vieilli - celui de J. Baillet en 1912-1913 - l'idée que
l'irrigation exigeait un travail coordonné à l'échelle de tout le pays et par
conséquent une administration centrale solide; en somme, que «c'est donc
le Nil qui a créé en Egypte l'Etat centralisé». Nous aurions ici peut-être l'une
des raisons de l'inexistence d'une communauté rurale, puisque, si
l'administration royale organisait l'ensemble du pays, on ne peut imaginer des groupes
locaux ayant leurs règles à eux (13).
Or, ces deux opinions, naguère très populaires - celle d'une sorte de
«priorité» du Delta, qui aurait déjà avant l'unification de l'Egypte une
civilisation plus avancée et une population plus dense que la Vallée, et celle que
l'on pourrait appeler «l'hypothèse causale hydraulique» -, ne sont plus te-
nables.
Comme le dit J. Yoyotte, tant les «bourgeoisies libérales» d'un Delta
commerçant et maritime que les «féodaux» du Sud sont imaginaires : ces
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 13

conceptions résultent simplement «d'une extrapolation arbitraire de certaines


données de notre histoire médiévale» (14). Le Delta, non seulement pendant
l'époque pré dynastique, mais au cours de la plus grande partie de l'histoire
pharaonique, connut un peuplement beaucoup plus dispersé que celui de la
Haute Egypte : il fut ainsi une région de colonisation, où les rois des
premières dynasties fondèrent des vignobles et où des fonctionnaires furent à
l'origine de nouveaux yillages ; en même temps, c'était la plus grande zone
d'élevage extensif. L'Ancien Empire colonisa le Delta méridional et moyen ;
le Nouvel Empire peupla et organisa les limites occidentale et orientale de la
grande plaine du Nord. Il est possible qu'à l'époque ramesside la population
du Delta fût déjà comparable à celle du Sud, mais encore moins dense que
celle-ci (15). Je discuterai ailleurs la question du commerce en Egypte
ancienne. Pour le moment, je rappellerai seulement que rien ne permet de parler,
avant le Nouvel Empire, de l'existence d'un commerce privé ayant une
importance quelconque - ce qui n'a rien à voir, bien entendu, avec les contacts
culturels bien établis entre le Delta et l'Asie occidentale dès la période où
fleurit le site de Ma'adi, près du Caire (16).
De même, «l'hypothèse causale hydraulique» a dû être abandonnée - et
pas seulement pour le cas de l'Egypte ancienne - à la suite de recherches
archéologiques qui ont tenu compte des données de la paléoécologie, et d'une
lecture plus attentive des sources disponibles (l'iconographie, par exemple). Le
système d'irrigation égyptien, fondé sur des bassins naturels régularisés et
ensuite plus ou moins modifiés, se caractérisait par le fait que chacun des
ensembles de bassins était tout à fait indépendant pour l'approvisionnement en eau.
On ne peut donc admettre qu'il fallait un contrôle de l'irrigation et de la
distribution de l'eau sur l'ensemble de la Vallée : en fait c'était au niveau des
nomes et des communautés locales que ce contrôle s'exerçait. K. Butzer croit
même que la communauté villageoise, en tant qu'«unité sociale de cohésion»,
ne fut détruite qu'à la fin du XIXe siècle après Jésus-Christ, quand le pays
connut pour la première fois un système d'irrigation permanent (et non plus
saisonnier). Tout indique donc que, si un surplus agricole important est bien
une condition nécessaire pour l'apparition de l'Etat, de l'urbanisation et
d'autres aspects de ce que l'on appelle «civilisation», il n'y a pas de rapport direct
de cause à effet entre l'agriculture irriguée et le développement de l'Etat
centralisé de l'époque pharaonique. Bien entendu, l'Etat s'intéressait
nécessairement à la bonne marche de l'irrigation, véritable base de l'économie
égyptienne. Avant 3000 av. J.-C, nous voyons déjà le roi Scorpion participant à un rite
ayant trait à l'agriculture irriguée/de même, les pharaons prenaient part, au
long des siècles, aux rites de la récolte (qui n'était pas pour autant menée à
bien par l'Etat lui-même). Avant les travaux de la Xlle dynastie dans la région
du Fayoum, permettant d'obtenir quelque 350 Km^ de nouvelles terres
agricoles, il n'y a aucune preuve d'une intervention effective du gouvernement
14 CF. CARDOSO

central dans les décisions et les travaux concernant l'irrigation : c'était au


niveau des nomes et des villages que, pour l'essentiel, cela s'arrangeait, même
après le Moyen Empire - les initiatives de l'Etat restant limitées et ne consistant
qu'en une surveillance très générale (17).
Partant de ces éléments «permanents», J. Pirenne voyait l'histoire
égyptienne comme une série de trois grands «cycles» . Il faut dire que, même si l'on
acceptait ses principes de base, le troisième (de la XXIe dynastie à l'époque
gréco-romaine) paraîtrait bien peu solide ; on ressent ici un malaise dans son
exposé , car il se voit forcé de changer les règles de son propre jeu. Quoi qu'il
en soit, selon cet auteur nous verrions des phases d'union et des phases de
dispersion, formant des cycles. A chaque fois, l'unité trouvée ou retrouvée
serait accompagnée par l'imposition à tout le pays d'une conception
«individualiste» de la société et du droit. Cette idée est centrale pour J. Pirenne.
C'est ainsi, qu'il interprète le fait que l'on trouve au niveau local, des conseils
dont les membres étaient choisis par les habitants, comme étant le résultat
d'un tel «individualisme» : sur ce point A. Théodoridès va beaucoup plus
loin, voyant dans ces conseils tout bonnement l'un des rouages de l'appareil
centralisé de l'Etat (avec une exception présentée comme un cas atypique).
Mais, en général, dans tout le système de J. Pirenne, il semble s'attacher surtout
à cette notion d'individualisme. Or, la conception du droit égyptien en tant
que droit essentiellement individualiste et contractuel n'est pas acceptée par
d'autres spécialistes, qui l'ont critiquée pour de très bonnes raisons (18). J'ai
tâché, pour ma part, de montrer qu'il est bien étrange d'insister sur le caractère
libre et contractuel des rapports de travail, lorsqu'fl s'agit de l'Ancien Empire,
époque où fleurissait le travail forcé pour l'Etat que nous appelons «corvée
royale» : voilà une forme de travail forcé pour des périodes limitées sans
doute, mais qui se comprend très mal dans une société où régnent les rapports
libres et contractuels... (19). Le vrai problème est celui de décider si les sociétés
humaines sont des totalités ayant une certaine cohérence interne, ou bien un
bric-à-brac, une juxtaposition anarchique d'éléments disparates.
Etrange me paraît aussi l'effort pour créer ex nihilo un «grand
commerce» en tant qu'élément explicatif de l'histoire égyptienne. Avant la XVHIe
dynastie la langue égyptienne ne paraît pas avoir eu de terme pour désigner
le commerçant. De nos jours on rappelle avec insistance que P. Montet avait
trouvé une mention de ce mot datant de l'Ancien Empire (20) : même si c'est
vrai, qu'est-ce qu'une mention isolée pourrait bien prouver sur un «grand
commerce» ? Au Nouvel Empire même, la plupart des commerçants dont parlent
les sources travaillent pour les temples. Le palais organisait autrement, à ce
qu'il paraît, ses transactions (21). Ici encore, on insiste sur l'existence de
quelques marchands privés. C'est possible, mais rien n'annule la constatation
judicieuse faite par Edgerton : même à l'apogée de la période impériale, «nous ne
connaissons pas de carrières fondées sur la richesse privée ou sur l'habileté
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 15

professionnelle, en dehors du service de l'Etat» (22).


Et pourtant, Barry Kemp s'acharne à vouloir trouver, contre l'ensemble
des indications disponibles, un «système marchand complexe et étendu» déjà
sous l'Ancien Empire (sans en apporter la preuve) ; et, s'agissant de la ville
d'Akhetaten (XlVe siècle av. J.-C), il interprète les grands silos qui existaient
à l'intérieur des résidences ou domaines urbains de personnes importantes de
la cour d'Akhenaten comme destinés à la vente de céréales - alors qu'ils étaient
bien plus vraisemblablement liés à la distribution de rations à des dépendants
pour payer leurs services, en plus du ravitaillement de la famille des
propriétaires. Dans les conditions du système économique égyptien, «commerce» et
«marché» n'avaient aucune possibilité de devenir des éléments vraiment
importants (23). Il est probable que l'explication d'un tel acharnement doive être
cherchée dans l'insistance de la théorie économique - de certaines théories
économiques plutôt - à vouloir fonder l'explication du fonctionnement de
l'économie surtout sur les faits du marché. Des auteurs formés dans cette
ambiance intellectuelle pourraient facilement être amenés à croire qu'une
civilisation brillante comme celle de l'Ancien Empire égyptien par exemple devait
forcément présenter une économie marchande florissante : pour eux, c'est la
logique même, puisqu'ils conçoivent n'importe quelle économie en partant des
notions qui expliquent l'économie de notre monde contemporain.
*
* *
A ce paradigme dérivé de Pirenne, qui me paraît inadéquat, j'en
opposerai un autre, dont l'esprit est admirablement résumé au début d'un article
de Bernadette Menu et Ibram Harari (24) : «L'Ancien Empire égyptien est
caractérisé par le passage progressif, puis définitif, de l'organisation tribale à
l'organisation administrative centralisée autour d'une royauté unique.
L'édification de l'empire unifié s'est réalisée grâce à la conjonction de deux forces :
dirigisme économique et persistance de structures communautaires. D'une
manière plus générale, le maintien de certaines coutumes ancestrales, en
présence de formes d'autorité plus récentes, a marqué cette période d'un dualisme
que l'on observe principalement dans le domaine politico-économique et dans
le domaine religieux, tous deux étroitement liés.»
Je crois, néanmoins, que ces caractères s'étendent bien au-delà de
l'Ancien Empire (où ils furent sans doute plus marqués).
L'Egypte fut le premier royaume unifié de l'histoire. Du coup, son
évolution diffère profondément de celle de la Basse Mésopotamie, où, comme
le dit B.G. Trigger, les fruits de la civilisation furent partagés entre plusieurs
cités et, à l'intérieur de celles-ci, entre de nombreux groupes sociaux . En
Egypte, au contraire, ces fruits furent longtemps concentrés dans la cour
royale (et, secondairement dans certains centres régionaux puissants). Ainsi,
tandis qu'en Mésopotamie le commerce privé eut un développement impor-
16 CF. CARDOSO

tant, en Egypte il fut contrôlé de tout temps, pour l'essentiel, par l'Etat (y
compris les temples). En ce qui nous concerne, l'effet le plus important de
l'unification précoce est que, pour les villages, les changements intervenus
dans le pays à la fin du IVe millénaire eurent des conséquences plutôt
limitées, puisqu'ils ne modifièrent rien aux techniques et au mode de vie. En
d'autres mots, l'Egypte unifiée restait avant tout, comme le dit Hoffman,
une village farming society. On peut supposer que l'entraide paysanne, surgie
dans le passé en fonction du contrôle local de l'irrigation, muée en corvée
royale, connut une certaine intensification et fut désormais demandée à des
fins beaucoup plus nombreuses ; et que la réciprocité typique des sociétés
lignagères et tribales prit, dans les rapports entre l'Etat et les villages, l'aspect
de distributions de rations lors du travail pour l'Etat, peut-être aussi de
largesses en boisson et viande à certaines occasions, avec l'intention de paraître
assurer la continuité avec les structures de la période antérieure à l'unification.
Enfin, on peut supposer qu'à côté du domaine eminent qu'au moins en théorie
le souverain exerçait sur le sol, et des premières formes de propriété de
fonction et de propriété privée qui commençaient à apparaître, des formes plus
anciennes d'accès à la terre, au niveau des villages, mais aussi des personnes de
rang élevé dans chaque région, purent se maintenir (25).
L'adoption d'un tel paradigme implique, non un droit «individualiste»,
mais au contraire, des activités juridiques «encore marquées de caractères
collectifs». En fait, dit B. Menu, «un droit privé à proprement parler ne se
développe que sous le Nouvel Empire» (26).
Evidemment, bien des éléments de l'évolution résumée ci-dessus ne
peuvent pas être prouvés, à cause de l'état de la documentation et aussi parce
qu'ils dépendent en partie de l'interprétation des structures prédynastiques
pour laquelle il n'y a pas de sources écrites, et que souvent l'archéologie ne
peut éclairer suffisamment. Ce qu'il faut demander, c'est si le paradigme
adopté s'accomode bien de l'ensemble des faits connus, et si on peut en déduire
des conséquences qui, elles, puissent être prouvées. Or, je suis convaincu
qu'il répond à ces exigences beaucoup mieux que le schéma dérivé de J.
Pirenne.
Une erreur encore fréquente consiste à confondre l'existence de
communautés rurales avec l'idée que celles-ci doivent être égalitaires.
L'archéologie montre bien que la société - ou plutôt les sociétés - du Prédynastique final
de l'Egypte n'étaient pas égalitaires. Des spécialistes ont supposé avec
vraisemblance qu'avant l'unification complète du pays, des systèmes locaux ou
régionaux de centralisation et de redistribution de biens (des céréales en particulier)
devaient déjà exister, pour que des travaux communs dont l'existence est
prouvée par les fouilles devinssent possibles (27). Bien plus, des études de cas où
la documentation explicite sur les communautés locales ou villageoises ne
manque pas ont montré que l'existence de communautés solidaires ayant cer-
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 17

taines institutions propres à caractère collectif n'implique nullement l'absence


de stratification sociale ou de différences de richesse et de pouvoir à l'intérieur
de ces communautés (28).
Au point de vue théorique, certains auteurs italiens ont su, à mon avis,
offrir une bonne synthèse des caractères essentiels des sociétés du Proche
Orient ancien. Je pense surtout à M. liverani et à C. Zaccagnini (29).
M. Liverani propose de considérer ces sociétés à deux niveaux différents,
quoique liés : le «mode de production domestique» (ou «villageois») et le
«mode de production palatial» . Dans le premier cas, nous aurions affaire à une
organisation économique et sociale générée en plein Néolithique : ses traits
seraient l'économie de subsistance, sans progrès de la division ni de la
spécialisation du travail (chaque village unissant l'agriculture à l'artisanat), sans structure
de classes sociales, la propriété de la terre étant en partie au moins
communautaire. Quant au «mode de production palatial», il résulterait de ce que Gordon
Childe appelait la «révolution urbaine», entraînant, entre autres changements,
l'apparition des temples et des palais en tant que centres d'une nouvelle
organisation de l'économie et de la société. Ce mode de production serait caractérisé
par la concentration et la transformation des surplus extraits (sous forme de
tributs et de corvées) par la contrainte fiscale exercée sur les producteurs
directs résidant pour la majeure partie dans des villages, par la division et la
spécialisation du travail, par l'apparition de spécialistes qui dépendaient des palais
et des temples, par l'existence de classes sociales, par un système déjà complexe
de propriété. Les communautés villageoises (et, dans des régions marginales,
des communautés tribales également), considérées en elles-mêmes,
apparaîtraient comme un résidu d'un mode de production plus ancien ; mais elles
seraient aussi et surtout la base sur laquelle le «mode de production palatial»
put se développer : c'est en exploitant le mode de production «villageois», en
effet, en l'adaptant, le dominant, l'utilisant à leurs propres fins, que les
nouveaux groupes dominants furent à même de s'affirmer.
D'après C. Zaccagnini, c'est à l'ensemble articulé des structures
villageoises et palatiales que convient l'appellation de «mode de production
asiatique» (30). Il croit d'autre part que, dans les grandes vallées irriguées et
urbanisées - telles l'Egypte et la Basse Mésopotamie -, la forte centralisation
palatiale aurait causé, dès le IHe millénaire, une diminution radicale de
l'importance économique et de l'autonomie des communautés. En revanche,
dans les régions moins centrales du Proche-Orient - en Palestine, en Syrie,
en Asie Mineure, dans certaines parties de la Haute Mésopotamie -, les
communautés villageoises auraient survécu en grande mesure jusqu'aux environs
de 1200 av. J.-C. Nous verrons néanmoins que, pour l'Egypte, il y avait malgré
tout des communautés villageoises reconnaissables en tant que telles même
beaucoup plus tard.
18 CF. CARDOSO

Fig. 1 : Le chef du village reçoit des grains pour les semailles (Relief dans un
tombeau près d'El-Bersheh, vers 2330 av. J.-C).

VU ^v^i^Vfif\
/ 1 d V '. Лл I

Fig.
Source
2 : : Des
de
Cyril
181,
Ti,
maires
Fig.
Aldred,
Sakkarah,
50.de The
villages
début
Egyptians,
menés
de la Ve
devant
Londres,
dynastie)
les scribes
Thames(1)& (Relief
Hudson,du 1961,
mastaba
p.

Source : Adolf Erman, Life in ancient Egypt, trad, de H.M. Tirard, New York,
Dover Publications, 1971, p. 100.
Fig. 3 : Des maires de villages menés devant les scribes (2) (Relief d'un
tombeau de l'Ancien Empire, Ille millénaire av. J .-C).

Source : A. Erman et H. Ranke, La civilisation égyptienne, trad, de Charles


Mathien, Paris, Payot, 1952, p. 132, Fig. 33.
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 19

LES COMMUNAUTÉS VILLAGEOISES DANS L'EGYPTE ANCIENNE

II arrive souvent que la recherche historique portant sur les communautés


villageoises du Proche-Orient ancien soit viciée par le procédé qui consiste à les
comparer, clairement ou implicitement, à un modèle donné de communauté,
en fait construit d'après des réalités historiques bien différentes - celles du
Moyen Age européen, de l'Afrique noire précoloniale ou contemporaine, de
l'Amérique précolombienne, etc. Il serait plus utile de chercher, au contraire,
quels sont les éléments communautaires que l'on peut déceler dans
l'organisation des aires rurales du Proche-Orient même, les formes dont les communautés
y marquaient la vie sociale (31). J'essayerai de suivre cet excellent conseil de
méthode de С Zaccagnini pour ce qui est de l'Egypte pharaonique. Ce n'est
que dans la conclusion de cet article qu'une vision d'ensemble sera proposée.
Les figures 1, 2 et 3 représentent des reliefs de mastabas de la seconde
moitié du Hle millénaire. Dans le premier de ces reliefs, un scribe des greniers
de l'Etat livre à un maire de village - ou bien au «chef» ou gérant d'un
domaine rural - des grains pour les semailles. Dans les autres reliefs, nous avons
des exemples d'une scène très courante sur les murs des tombeaux de l'Ancien
Empire : des maires de villages, ou bien des gérants de domaines, sont menés
de force devant des scribes pour être châtiés à cause d'irrégularités dans le
payement des impôts dus sur la récolte (32). L'importance de ces sources
iconographiques et des textes courts qui les accompagnent, nous permettant
d'identifier les personnages, c'est qu'ils démontrent que l'administration et la
répression agissaient comme si les villages étaient des totalités solidaires en ce qui
concerne le cycle agraire et l'impôt - ce qui n'était souvent plus le cas sous le
Nouvel Empire, quand l'Etat pouvait s'en prendre à des familles paysannes
individuellement (33). On pourrait objecter que, dès l'Ancien Empire, de
simples paysans sont aussi punis individuellement (34) : mais le contexte
montre que, dans ces cas, il s'agit d'un châtiment dû à des détournements de grains
effectués au cours même de la récolte, du travail dans l'aire et du transport des
céréales aux greniers, plutôt que du règlement de l'impôt.
Il me semble donc clair que les représentations du Ille millénaire offrent
un argument de poids dans le sens du caractère communautaire, solidaire, des
villages égyptiens, quant à d'importants aspects de la vie agricole et des
rapports avec le pouvoir de l'Etat. Ces villages pouvaient bien sûr être insérés dans
de grands domaines royaux, ou dans ceux des temples ou du culte funéraire
des hauts fonctionnaires : certains de ces villages étaient anciens, d'autres
fondés récemment, mais tout cela ne change rien à ce que je viens de dire. Il
semblerait même que le fort mouvement de création de villages nouveaux, lié
à la colonisation du Delta pendant le Ille millénaire, se fît en reproduisant le
système villageois traditionnel - bien que certaines différences puissent être
perçues quant à l'administration, au statut juridique et au degré de complexité
20 CF. CARDOSO

des domaines (35).


Il est intéressant ainsi que, dans bien des cas, les maires des villages ne
sont pas distinguables des autres paysans : il se peut que certains d'entre eux
au moins fussent choisis parmi les habitants du village eux-mêmes, selon un
procédé que nous ignorons.
Ce genre d'iconographie disparaît sous le Moyen Empire, ce qui
pourrait être important, mais pourrait également n'être dû qu'au fait bien connu
que les scènes agricoles de cette époque sont moins nombreuses et se
trouvent souvent en mauvais état de conservation.
Le Ille millénaire - à la fin de la Ve et pendant la Vie dynasties - fut
aussi la période où prit forme l'ensemble que nous appelons les Textes des
pyramides, lesquels semblent inclure des éléments de différentes époques et
traditions, quelques-uns probablement d'origine préhistorique. Parmi ces
textes, nous devons faire attention aux passages qui se réfèrent aux «buttes»
(dans ce contexte il s'agit de villages) d'Horus et de Seth:par.598 a-b, par. 943 a-c,
par. 948 c, par. 2099-2100 (36). Si on les compare à des textes plus récents
qui parlent de l'attribution faite à ces dieux, à un moment donné de leurs
disputes et combats, de «portions», soit par les dieux réunis en conseil, soit
par le dieu de la terre Geb, il serait possible de poser, avec Griffiths,
l'hypothèse selon laquelle ces passages rappellent des temps préhistoriques où le sol -
- communautaire - était attribué en tenures aux familles par des conseils
tribaux. Griffiths insiste, cependant, sur ce que, aux temps historiques, cela
n'arrivait plus, se fondant sur des documents du Nouvel Empire (37). Nous
pouvons nous demander, cependant, si au Ille millénaire, lorsque furent rédigés
les Textes des pyramides, les conseils villageois dont je parlerai par la suite ne
gardaient encore quelque pouvoir de décision quant à l'attribution de lots en
usufruit aux familles des villages.
Sans rien dire sur la distribution de parcelles de terre, la littérature
funéraire plus tardive se réfère, néanmoins, à l'existence de conseils locaux qui
avaient le pouvoir de décider sur des questions d'héritage, sur le travail de la
terre et sur l'irrigation. Cela tant dans les Textes des sarcophages que dans
le Livre des morts postérieur, ce dernier suivant sur ce point d'assez près le
contenu des textes du Moyen Empire (38).
Le plus ancien de ces conseils s'appelait djadjat : l'écriture de ce mot
en hiéroglyphes incluait en tant que signes déterminatifs un homme avec
l'indication du pluriel ou coUectif , un vase et un terrain coupé de canaux - ce qui
indique qu'il se référait à l'eau, à l'irrigation - ; étymologiquement il est
possible que le mot désignât n'importe quelle réunion formelle d'hommes (ou de
dieux). Il s'agissait de conseils locaux, dont la juridiction s'étendait sur une
province, une ville ou un village. Pendant l'Ancien et le Moyen Empires, ses
fonctions étaient celles d'un corps administratif et consultatif et aussi d'un cour de
justice pour des causes civiles et criminelles. Déjà sous la IVe dynastie, une ins-
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 21

cription découverte à Gizeh en 1910, relative à un procès suivant la vente


d'une maison dans la ville de la pyramide de Khufu, montre que la dfadjat
exerçait également des fonctions notariales (39). Les jugements de ce conseil,
lorsqu'il siégeait en cour de justice, devaient être confirmés par le
gouvernement central, surtout si la peine de mort était décidée. Des scribes et des
envoyés du vizir en surveillaient le fonctionnement.
Depuis la période des rois d'Hérakléopolis (fin de la Première Période
Intermédiaire), nous trouvons mentionné un autre conseil local, la quenebet.
Il semblerait qu'à la fin du Moyen Empire, tandis que la dfadjat se spécialisait
dans les fonctions de justice, la quenebet avait des fonctions plutôt
administratives. Pendant le Nouvel Empire, la dfadjat finit par disparaître, remplacée à
tous les niveaux par la quenebet (40).
Les membres de ces conseils locaux étaient appelés des «vieillards» (ou-
rou) ou des «notables» {serou) : ce dernier terme finit par désigner également
certains fonctionnaires de l'administration centrale (41).
Il y a ici un problème à résoudre : A. Théodoridès, se séparant sur ce
point de J. Pirerme, affirme que les membres de ces conseils n'étaient que des
fonctionnaires nommés par le roi, et nullement des conseillers élus à l'intérieur
de leurs communautés. La seule exception serait celle des artisans qui
construisaient les tombes royales de Thèbes, dans leur établissement de Deir El-Medina,
mais A. Théodoridès voit leur self-government comme une concession
exceptionnelle à des gens privilégiés (42).
Mais A. Théodoridès semble tenir sur ce sujet une position isolée. Les
autres auteurs sont unanimes, à ce que je sache, à soutenir la position déjà
défendue par A. Moret : ces conseils émanaient des communautés elles-mêmes,
tout en étant soumis au contrôle du gouvernement pharaonique (43). Cela se
comprend : des éléments nombreux appuient ce point de vue, au moins pour
le Nouvel Empire. Des hommes et des femmes de la collectivité même
intégraient ce conseil, dont la composition pouvait changer du jour au lendemain,
ce qui montre bien qu'il ne s'agissait nullement d'un corps de fonctionnaires
d'Etat nommés par le roi. L'argument de A. Théodoridès portant sur le sens
du terme srw (serou) dans certains textes n'est guère concluant, car clairement
ce terme a pris une acception assez large, n'étant pas appliqué exclusivement
aux membres des conseils locaux, mais également à des gens qui étaient des
fonctionnaires de l'administration centrale (44).
De l'avis de la plupart des spécialistes nous pouvons donc affirmer que,
dans les villes et villages égyptiens (nous ne savons pas si cela est vrai dans tous
les villages), il y a avait des conseils dont les membres étaient des «vieillards»
(dans un sens honorifique plutôt que réel) ou des «notables», choisis par la
population locale parmi ses propres membres, peut-être aussi confirmés par le
pouvoir central auquel les conseils étaient naturellement subordonnés. Les
fonctions des conseils étaient, d'après l'étude de A. Théodoridès lui-même sur
22 CF. CARDOSO

Dear El-Medina - dont les caractères peuvent être généralisés -, variés : ils avaient
une compétence notariale, exerçaient localement une juridiction contentieuse
et une compétence répressive limitée, interprétaient la loi courante (leurs
décisions pouvant faire jurisprudence) (45). Dans les villages ruraux, ce qui n'est
pas le cas à Deir El-Medina, ils avaient également des décisions à prendre
concernant l'irrigation et le cycle agraire, comme il ressort de la littérature
funéraire déjà citée. La possibilité qu'au Ше millénaire ces conseils pussent encore
régler l'accès des familles des villages à l'usufruit de portions de terre ne repose
que sur l'interprétation de certains passages peu clairs des Textes des
pyramides : il s'agit donc d'une hypothèse mal étayée par les données disponibles. En
tout cas, les renseignements sûrs que nous avons à propos des conseils locaux
vont certainement dans le sens des idées de M. Iiverani et de С . Zaccagnini que
j'ai mentionnées.
Suzanne Berger, commentant des scènes représentées dans quatre tombes
du Nouvel Empire, tout spécialement celle de Khaemhat, et un fragment d'une
scène de même genre conservé au British Museum (n° 37982) et qui contient
aussi une inscription, se réfère à un événement relatif au mesurement des terres
couvertes de céréales déjà mûres, avant la récolte, pour la fixation du montant
de l'impôt dû sur chaque champ. Un personnage âgé, tenant un bâton cérémo-
niel, y apparaît prêtant serment auprès d'une stèle. Dans l'interprétation de S.
Berger, il s'agirait d'un fonctionnaire âgé dont la fonction consisterait à vérifier
si les bornes des champs, dont il connaissait l'emplacement, n'avaient pas été
déplacées - ce qui pourrait interférer avec les calculs des impôts champ par
champ. Il me semble, cependant, qu'il n'y a aucune raison pour considérer qu'il
s'agit d'un fonctionnaire. Dans la peinture de la tombe de Menna, par exemple,
ce personnage est habillé de façon tout à fait identique à un paysan qui
apparaît, à droite, apportant de la nourriture pour les fonctionnaires qui mesurent
les champs - habillés, eux, de façon très différente. Le fait qu'il tienne un
bâton spécial doit être lié à la cérémonie même du serment. Je pense que nous
avons affaire ici à un vieux paysan appelé à prêter serment sur une question
ayant trait aux limites des champs : le serment, comme le dit S. Berger,
servirait à assurer que la stèle limitrophe n'avait pas changé de place. Ce qui est en
jeu c'est une question liée à des limites de juridiction, de propriété ou de
responsabilité fiscale. Je vois donc dans le paysan, un représentant de la
communauté rurale, appelé à témoigner sous serment sur l'invariabilité d'un aspect
précis de la structure agraire, utile à l'établissement correct de l'impôt sur la
récolte (46).
Au fait déjà indiqué de la prise de décisions par les conseils de village au
sujet de l'irrigation, il convient d'en ajouter un autre que la littérature funéraire
permet aussi de constater : en Egypte ancienne l'éthique des travaux
d'irrigation avait un caractère fortement collectiviste, au contraire de ce qui arrivait,
par exemple, en Basse Mésopotamie sous Hammourapi, dont les lois vont
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 23

dans le sens d'arbitrer des problèmes causés par des propriétaires de digues
et canaux qui auraient porté préjudice à d'autres propriétaires privés, leurs
voisins. Dans le cas égyptien, dans les Textes des sarcophages, nous entendons
dire au dieu primordial Atoum-Re qu'il créa la crue du Nil «pour que le pauvre
et le grand fussent forts». Le système d'irrigation était envisagé comme une
oeuvre coUective, un bien commun, dont le fonctionnement au profit de tous
ne devrait point être gêné par des décisions ou des intérêts privés. C'est ainsi
que, dans l'envoûtement no 125 du Livre des morts, le défunt déclare ne pas
avoir interféré avec le flux de l'eau «dans ses saisons», ni construit une digue
pour interrompre le cours de l'eau courante, ni marché dans l'eau - ce qui la
salirait et pourrait peut-être détériorer les canalisations les plus petites (47).
D'autre part, Bernadette Menu démontre comment, dans la société
égyptienne «encore proche du collectivisme», le prêt - fréquemment de
céréales - était envisagé comme une faveur à un membre de la communauté qui se
trouvait dans une situation difficile, et que par conséquent, pendant des
millénaires, fl resta en principe gratuit, fondé sur la réciprocité entre les familles,
ou bien pratiqué entre la communauté (village, nome) et le débiteur. A
partir du Nouvel Empire, avec le développement d'une différenciation sociale
plus poussée, et également avec l'influence de droits étrangers, l'idée de
l'intérêt comme rémunération surgit progressivement, avec l'établissement de
garanties en faveur du créancier et l'exigence d'un document écrit formel et
officiel, alors qu'au début le prêt était un acte purement privé (48). Cette
analyse de B. Menu, appuyée sur une documentation solide, va dans le sens
de l'idée que je défends. D'une manière analogue, on a pu prouver que, même
à des époques assez tardives, les transactions commerciales locales se fondaient
sur le principe de la réciprocité : J. Romer affirme que ces transactions étaient
menées souvent «non dans l'esprit d'un commerce véritable», à la recherche
d'un profit marchand, mais en tant que l'un des éléments des processus divers
d'échanges ayant heu entre les membres d'une même communauté. De même,
Jac. Janssen montre qu'il existait, au sein des communautés égyptiennes, un
système de présents réciproques entre les familles (dons et contre-dons) (49).
L'union de l'artisanat et de l'agriculture dans les villages égyptiens ne
fait pas de doute. Les paysans avaient rarement accès aux produits de
l'artisanat spécialisé des ateliers du palais, des temples ou des grands propriétaires,
sauf par le biais des distributions - d'habits et de sandales par exemple - opérées
lors de leur participation aux corvées de l'Etat (50). Ils devaient donc fabriquer
eux-mêmes ou bien obtenir par troc avec leurs voisins ce dont ils avaient
besoin, y compris les instruments de production. Même les artisans privilégiés
de Deir El-Medina n'échangeaient que ce qu'ils produisaient eux-mêmes ou
bien des objets qu'ils avaient reçus de l'Etat : dans les milliers d'ostraca trouvés
sur le site, il n'y a aucune mention de marchands (qui existaient pourtant au
Nouvel Empire)(51).En énumérantles éléments constitutifs de la rémunération
24 CF. CARDOSO

in nátura des travailleurs ruraux sur les terres d'un seigneur, un conte du début
de la Troisième Période Intermédiaire mentionne des joncs et des roseaux, avec
lesquels les paysans faisaient des nattes, de la vannerie, des bancs, des coffres,
etc. Le paysan du Papyrus Lansing (XXe dynastie) pendant la journée taillait
ses instruments agricoles et la nuit il fabriquait de la corde, en se préparant
pour les semailles (52). Le rapport tributaire était à sens unique et n'avait
donc que peu d'impact sur la tendance autarcique des villages : voilà un
facteur puissant pour le maintien des structures communautaires traditionnelles.
Non seulement le flux des tributs agraires n'avait pas comme
contrepartie un flux de produits artisanaux des villes vers les villages, mais aussi,
dans la mesure où ces rapports sociaux locaux n'interféraient pas avec le
niveau «officiel» des structures économiques et sociales - par exemple le
rapport entre l'Etat et les tributaires -, ils étaient en grande mesure abandonnés
aux instances locales elles-mêmes et aux coutumes. C'est un fait connu, par
exemple, que le mariage en Egypte n'avait aucune sanction religieuse ou légale
et était régi par des coutumes - probablement assez variables selon les régions
(53).
Pour ce qui est du Nouvel Empire, il y a des signes d'un affaiblissement
des communautés rurales en ce qui concerne quelques-unes de leurs
attributions. L'important papyrus agraire Wilbour, de la XXe dynastie (1151 av. J.-C.
à peu près), ne contient aucun élément d'une organisation communautaire
du travail ou de l'accès à la terre. П faut dire cependant que ce document ne
couvre pas la totalité du pays, ni même la totalité des terres de la partie de la
Moyenne Egypte qu'il concerne. D'autre part, le paysan du Papyrus Lansing
n'a pu recourir à aucune institution communautaire dans ses démêlés. Nous
pourrions conjecturer qu'il s'agissait, dans ce cas, d'un paysan isolé, petit
propriétaire ou occupant des terres à bail - une catégorie sociale courante à
l'époque. Mais la même constatation peut être faite dans le Papyrus Pushkin
127, où sans doute nous avons des paysans travaillant dans le cadre d'une
grande exploitation rurale : aux prises avec un seigneur malhonnête, ils le
bravent individuellement, mais jamais en groupe (54).
Il semblerait donc que le progrès des forces productives (l'impact du
shadouf, introduit d'Asie au XlVe siècle, à ce qu'il paraît, sur les travaux
d'irrigation, par exemple), considérable à partir des Hyksos, l'affirmation
des familles restreintes au détriment des formes plus larges d'organisation,
la différenciation sociale croissante au sein des villages, et peut-être aussi les
grands changements intervenus dans les structures agraires sous les XIXe et
XXe dynasties, aient été tous des facteurs qui allaient dans le sens de cet
affaiblissement relatif des communautés dès la seconde moitié du Ile
millénaire (55).
Les communautés villageoises ne disparurent pourtant pas. Sous Cam-
byse (Vie siècle av. J.-C), M. Dandamayev, sur la base de tablettes babylo-
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 25

niennes, montre que des Egyptiens émigrés en Basse Mésopotamie y formaient


des communautés rurales avec leurs propres canaux, des «conseils de vieillards»
réglant l'irrigation et le cycle agraire. A première vue cela pourrait paraître
témoigner sur la persistance de communautés villageoises en Mésopotamie plutôt
qu'en Egypte. Dandamayev montre, cependant, que les minorités étrangères en
Basse Mésopotamie fonctionnaient, sous les Achéménides, comme les poli-
teumata hellénistiques postérieurs : c'est-à-dire qu'elles gardaient leurs propres
droits et coutumes et avaient un niveau considérable d'autonomie locale (56).
En Egypte hellénistique il y avait des communautés rurales ayant à leur
tête des «vieillards» ; elles formaient des unités solidaires devant l'impôt, et,
quoi qu'en disent certains auteurs, gardaient aussi des fonctions coUectives
précises pour le contrôle local de l'irrigation et du cycle agraire, même s'il est vrai
que la centralisation monarchique était devenue beaucoup plus poussée en
matière d'administration agricole sous les Lagides (57).

CONCLUSION

Je perçois trois aspects essentiels où se manifestaient les principes d'une


organisation villageoise communautaire dans l'Egypte des pharaons.
1) II y avait, tout d'abord, des éléments de solidarité économique et
sociale dans un sens large : l'union de l'artisanat et de l'agriculture maintenant la
tendance autarcique des villages ; des formes de crédit, d'échange entre les
familles et de «présents» (dons et contre-dons) ayant un fort caractère
communautaire ; le fait que le contrôle social, au niveau local, était laissé aux
instances propres des communautés, dans la mesure où cela n'affectait pas le système
des rapports organisés par le palais et les temples.
2) II existait aussi un contrôle de l'irrigation et du cycle agraire, exercé
par des organisations communautaires locales : contrôle de l'eau et des
installations d'irrigation ; peut-être aussi, au début, distribution de tenures en usufruit
aux familles (cela constituant cependant le point le plus douteux); contrôle des
labours et des semailles, et des questions de limites qui avaient une incidence
sur l'impôt ; solidarité villageoise devant les tributs et les corvées.
3) Enfin, de nombreuses fonctions administratives, judiciaires et
notariales incombaient aux instances dérivées des communautés elles-mêmes,
quoique sous la surveillance et le contrôle des gouvernements provinciaux
et surtout du gouvernement central : compétence notariale (enregistrement
des transactions et des testaments, par exemple), juridiction contentieuse,
compétence répressive limitée, interprétation des lois, compétence
administrative.
Les conseils locaux - djadjat, puis quenebet - réglaient l'action
communautaire. Ils étaient constitués par des membres des communautés elles-
mêmes, nommés par elle et, à ce qu'il semble, confirmés par le gouvernement
26 CF. CARDOSO

central.
Il faut beaucoup insister sur le fait que les communautés villageoises
égyptiennes n'étaient pas égalitaires, mais au contraire présentaient des degrés
considérables de différenciation sociale interne, tout en gardant des traits
communautaires et manifestant de la solidarité vis-à-vis des gens du dehors
et du pouvoir.
L'ensemble des trois aspects mentionnés ne se présente qu'au Ille
millénaire. Par la suite, ce fut le troisième qui put se maintenir le plus longtemps.
Le premier aspect - la solidarité économique et sociale des villages - perdura
aussi mais avec un amoindrissement de quelques-uns de ses traits à partir du
Nouvel Empire, avec les progrès du droit privé et de l'économie marchande :
mais l'union de l'agriculture et de l'artisanat dans les villages continua à
exister, ainsi apparemment que le système de dons et contre-dons entre les familles
villageoises - et ce sont là des éléments qui pouvaient assurer un fort sentiment
d'identité communautaire. Enfin, ce fut le second aspect - celui du contrôle
économique - qui souffrit le pluset le plus rapidement de l'impact de la
centralisation d'Etat, de la propriété privée et des changements techniques et
économiques du Nouvel Empire : mais le contrôle local de l'irrigation, au moins, ne
fut j amais vraiment entamé .
Même si la documentation disponible est fort incomplète, elle suffît à
montrer que l'affirmation de l'inexistence ou du peu d'importance des
communautés villageoises dans l'Egypte ancienne est inacceptable. Encore faut-il voir
cette question dans une perspective chronologique, et aussi ne pas manier des
définitions rigides et étroites de ce qu'il convient d'appeler une «communauté
rurale» , puisque celle-ci peut exister sur la base de tous ou bien de certains
seulement des «éléments communautaires», pour reprendre encore une fois
l'expression de С Zaccagnini.

Ciro FJS. CARDOSO


Université fédérale Fluminense
(Niteroi, Brésil)
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 27

NOTES

1. Les communautés rurales, Deuxième partie, Antiquité, Recueils de la Société


Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions, XII, Paris 1983, 527 p.
2. Ahmad Sadek SAAD, L'Egypte pharaonique (Autour du mode de production
asiatique, Cahiers du C.E.R.M. n° 122, Paris, Centre d'Etudes et de Recherches Marxistes,
1975, p. 3, 6-7,9,15.
3. Cf. Mario LIVERANI, Communautés rurales dans la Syrie du Ile millénaire a.C,
in Les communautés rurales, 2ème partie, p. 147-148.
4. Aristide THÉODO RIDES, Les communautés rurales dans l'Egypte pharaonique,
2ème partie, p. 9-42.
5. Jacques PIRENNE, Histoire de la civilisation de l'Egypte ancienne, 3 vol., Neuchâ-
tel/Paris 1961, vol. I, p. 14.
6. Ibidem,!, p. 14.
l.Idem,l,-p.\2.
8. Idem, I, chapitres II et III.
9.1dem,ï, pp. 29-30.
10. Georges DUBY, Les sociétés médiévales : une approche d'ensemble, Annales ESC,
XXVI, 1971, p. 2-3. L'auteur parle ici de l'histoire des mentalités appliquée aux études
médiévales, mais ce qu'il dit est aussi très pertinent pour des savants comme J. Pirenne, S.
Morenz et bien d'autres égyptologues.
11 . J. PIRENNE, Histoire de la civilisation..., I, p. 29-30.
12. A. THÉODORIDES, The concept of law in ancient Egypt, in J.R. HARRIS (éd.),
The legacy of Egypt, 2e édition, Oxford 1971, p. 300-301.
13. A. THÉODORIDES, Les communautés rurales..., p. 11-12.
14. Jean YOYOTTE, Economie, in Georges POSENER et al, Dictionnaire de la
civilisation égyptienne, Paris 1970 (2e éd.), p. 92.
15. Cf. Karl W. BUTZER, Early hydraulic civilization in Egypt. A study in cultural
ecology, Chicago 1976, p. 94-95, 108-109; Hermann KEES, Ancient Egypt. A cultural
topography, trad, de Ian FD. Morrow, Chicago 1961, p. 184-189; J. YOYOTTE et P.
CHAUVIN, Le delta du Nil au temps des pharaons, L'Histoire, n° 54, 1983, p. 52-62;
John BAINES et Jaromír MÁLEK, Atlas of ancient Egypt, Oxford 1980, p. 17-18.
16. Winifred NEEDLER, Predynastic and Archaic Egypt in the Brooklyn Museum,
New York 1984, p. 19-20.
17. K. BUTZER, op. cit., p. 109-111; Michael A. HOFFMAN, Egypt before the
pharaohs. The Prehistoric foundations of Egyptian civilization, Londres 1979, p. 30-32,
312-317; Robert M. ADAMS, Early civilizations, subsistence, and environment, in S.
STRUEVER (éd.), Prehistoric agriculture, New York 1971, p. 591-614 ; Charles M.
NIMS, Thebes of the pharaohs, Londres 1965, p. 34.
18. J. PIRENNE, Histoire de la civilisation..., passim ; J. PIRENNE, La population
égyptienne a-t-elle participé à l'administration locale ?, Revue d'Egyptologie, XXIV,
28 CF. CARDOSO

1972, p. 137-141 ; A. THÉODORIDES, Les communautés rurales..., p. 21 ; Bernadette


MENU, Droit-économie-société de l'Egypte ancienne. Chronique bibliographique 1967-
1982, Versailles 1984, p. 74, 86 : B. Menu doute de la conception d'«individualisme»
du droit égyptien, et en cela me semble avoir tout-à-fait raison.
19. Ciro F S. CARDOSO, О trabaïho compulsorio m Antiguidade, Rio de Janeiro
1984, p. 21-22.
20. Jac. J. JANSSEN, Two ancient Egyptian ship's logs. Papyrus Leiden I 350 verso
and Papyrus Turin 2008 + 2016, Leiden 1961, p. 100-104 : cet auteur n'exagère
cependant pas le rôle du commerce ; A. THÉODORIDES, A propos de Pap. Lansing, 4, 8-5,
2 et 6, 8-7, 5, RIDA, V, 1958, p. 65-119.
21. J. JANSSEN, Idem. Sur la façon dont le palais organisait probablement ses
transactions, cf. Mounir MEGALLY, Recherches sur l'économie, l'administration et la
comptabilité égyptienne à la XVIIIe dynastie d'après le papyrusE. 3226 du Louvre, Le Caire 1977.
22. William F. EDGERTON, The government and the governed in the Egyptian
empire, Journal of Near Easten Studies, Chicago, VI, 1947, p. 159.
23. Barry J. KEMP, Old Kingdom, Middle Kingdom and Second Intermediate Period
с 2686-1552 ВС, in B.G. Trigger et al, Ancient Egypt. A social history, Cambridge 1983,
p. 81 ; Barry J. KEMP, Temple and town in ancient Egypt, in PJ. UCKO et al. (eds.),
Man, settlement and urbanism, Londres 1972, p. 670-672.
24. Bernadette MENU et Ibram HARARI, La notion de propriété privée dans
l'Ancien Empire égyptien, Cahier de Recherches de l'Institut de Papyrologie et d'Egyptologie
de Lille, 11, 1974, p. 125.
25. B.G. TRIGGER, The rise of Egyptian civilization, in B.G. TRIGGER et al,
Ancien Egypt, cit., p. 51, 57-58, 61; B.G. TRIGGER, Beyond history. The methods
of Prehistory, New York 1968, chapitre 6; HOFFMAN, op. cit., p. 17; L. KRADER,
Formation of the state, Englewood Cliffs, 1968, chapitre 4.
26. В . MENU, Droit-économie-société..., p. 96.
27. HOFFMAN, op. cit., p. 319 ; Juan José CASTILLOS, A study of the spatial
distribution of large and richly endowed tombs in Egyptian Predynastic and Early
Dynastic cemeteries, Toronto 1983 ; Michael A. HOFFMAN et al., The Predynastic ofHierakon-
polis. An interim report, Cairo 1982, p. 144-145.
28. Par exemple : Johanna BRODA, Las comunidades indigenas y las formas de
extraction del excedente : época prehispanica y colonial, in E. Florescano (éd.), Ensayos
sobre el desarrolh economico de Mexico y America Latina, Mexico 1979, p. 54-92.
29. Mario LIVERANI, «La struttura politica»; et «II modo di produzione», in
S. MOSCATI (éd.), L'aha délia civiltà, Turin 1976, I, p. 277-414; II, p. 3-126; Carlo
ZACCAGNINI, Modo di produzione asiatico e Vicino Oriente antico. Appunti per una
discussione, Dialoghi di Archeologia, III, 1981, p. 3-65.
30. Sur les discussions récentes à propos du «mode de production asiatique», voir:
L. KRADER, The Asiatic mode of production, Assen 1975 ; Anne BAILEY et Josep R.
LLOBERA (eds.), The Asiatic mode of production, Londres 1981.
31. ZACCAGNINI, op. cit., p. 22.
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 29

32. Autres exemples : Jacques VANDIER, Manuel d'archéologie égyptienne, cit.,


VI, partie III, 1978, planche 14 - 2 (mastaba d'Akhtihotep, Sakkarah) ; PRITCHARD,
The ancient Near East in pictures, Princeton 1969, p. 73, Fig. 231 (mastaba de Mereruka,
Sakkarah, vers 2300 av. J.-C.).
33. Papyrus Anastasi V, 16, 1 à 17, 3 : Alan H. GARDINER, Late-Egyptian
miscellanies, Bruxelles 1937, p. 64-65 (texte) ; Ricardo A. CAMINOS, Late-Egyptian
miscellanies, Londres 1954, p. 247 (traduction).
34. J. VANDIER, op. cit., VI, partie III, p. 154 (relief de la tombe de Neferbauptah)
et p. 186 (relief du mastaba de Kaemremet).
35. Helen К. JACQUET-GORDON, Les noms des domaines funéraires sous l'Ancien
Empire égyptien, Le Caire 1962, p. 3-25 .
36. Kurt SETHE, Die Altaegyptischen Pyramidentexte, 2 vols., Leipzig 1908-1910.
La meilleure traduction est celle de R.O. Faulkner, The ancient Egyptian pyramid texts,
Oxford 1969.
37. J. Gwyn GRIFFITHS, The conflict of Horns and Seth, Liverpool 1960, p. 147-
148. Pour une interprétation tout à fait différente : J. LECLANT, Les Textes des
Pyramides, documents nouveaux à Saqqara, apud B. MENU, Droit-économieSociété..., p. 153.
38. R.O. FAULKNER, The ancient Egyptian coffin texts, 3 tomes, Warminster,
1973-1978 : envoûtement (dorénavant : E) 337, tome I, p. 272 ; E 338, 1. 1, p. 273 ; E
339, t. I, p. 274 ; E 353, T. I, p. 285; E 405, t. II, p. 56. Thomas George ALLEN, The
book of the dead or coming forth by day, Chicago 1974 : E. 18, par. S 4 et 8, p. 33;
E 19, par. S 4 et 8, p. 35; E 20, par S 4 et 8, p. 35-36; E 57л, pax S 2, p. 54; et surtout :
E 149.О, par S, p. 146. Voir aussi GA. WAINRIGHT, The sky-religion in Egypt, Westport
1971 (première éd. : 1938), p. 26-32.
39. Henri SOTTAS, Etude critique sur un acte de vente immobilière du temps
des pyramides, Paris 1913, surtout p. 9, 14, 19-20 ; A. THÉODORIDES, L'acte (?) de
vente d'Ancien Empire (26e siècle av. J.-C.), RIDA , XXVI, 1979, p. 31-85.
40. William С HAYES, A Papyrus of the Late Middle Kingdom in the Brooklyn
Museum,New York 1955, p. 4546, 53, 119, 140.
41. Henri George FISCHER, Epithets of seniority, in H.G. FISCHER, Varia, New
York 1976, p. 81-95.
42. A. THÉODORIDES, Les Egyptiens anciens, 'citoyens', ou 'sujets de Pharaon'?,
RIDA, XX, 1973, p. 51-112 ; A. THÉODORIDES, Les ouvriers - 'magistrats' en Egypte
à l'époque ramesside (XIXe-XXe dyn.; 13e-10e s. av. J.-C.), RIDA, XVI, 1969, p. 103-
188.
43. Alexandre MORET, Le Nil et la civilisation égyptienne, Paris, 1937, p. 162-163,
322-323, 555 ; P. LAB IB, Die Stellung des Wesirs der Verwaltung des Ramessiden-Reiches,
Mitteilungen des deutschen archaologisches Instituts. Abteilung Kairo, XXV, 1969, p. 68-
78; Ibram HARARI, Le principe juridique de l'organisation sociale dans le décret de Séti
1er à Nauri, et Schafik ALLAM, L'apport des documents juridiques de Deir El-Medineh, in
A. THÉODORIDES (éd.), Le droit égyptien ancien, Bruxelles 1974, p. 57-73 (surtout p.
30 CF. CARDOSO

69-70) et p. 139-162 (surtout p. 148).


44. Alan H. GARDINER, Four papyri of the 18th Dynasty from Kahun, Zeitschrift
fur Aegyptische Sprache und Altertumskunde, XLHI, 1906, p. 2747; I. LOURIE, A note
on Egyptian law-courts, Journal of Egyptian Archaeology, XVII, 1931, p. 62-64 ; S.
ALLAM, Un droit pénal existait-il stricto sensu en Egypte pharaonique?, Journal of
Egyptian Archaeology, LXIV, 1978, p. 65-68 ; A. THÉODORIDES, Les communautés
rurales..., p. 23-28 (sur le Papyrus Chester-Beatty III).
45 . A. THÉODORIDES, Les ouvriers- 'magistrats'..., cit.
46. Suzanne BERGER, A note on some scenes of land-measurement, Journal of
Egyptian Archaeology, XX, 1934, p. 54-65 ; Edward BROVARSKI et al, Egypt's Golden
Age, Boston 1982, p. 4445 ; Charles K. WILKINSON, Egyptian wall paintings, New York
1983, p. 48-49.
47. E. BOUZON, О codigo de Hammurabi, Petropolis 1980, (3e éd.), p. 4243,
101-102. FAULKNER, The ancient Egyptian coffin texts, E 1130, vol. Ш, p. 167 ;
ALLEN, The book of the dead ...., E 125 .a, par. S 2, p. 97 et 125 .b, par S 36, p. 99. Il se peut
que la corvée royale fût envisagée comme un tribut demandé en échange du droit
d'utilisation des installations d'irrigation (considérées donc comme appartenant à l'Etat) : W.C.
HAYES in Cambridge Ancient History, vol. II, Partie I, Cambridge 1980, p. 384 ;
cependant, avec le temps la propriété privée fut aussi admise sur ces installations : A.
GARDINER, The Dakhleh stela, Journal of Egyptian Archaeology, XIX, 1933, p. 19-30
(document de 940 av. J.-С.).
48. В. MENU, Le prêt en droit égyptien, Cahier de Recherches de l'Institut de
Papyrologie et d 'Egyptologie de Lille, 1, 1973, p. 59-141 .
49. Alan B. LLOYD, The Late Period, in B.G. TRIGGER et al, op. cit., p. 313-
314 ; John ROMER, Ancient Lives. The story of the Pharaohs tombmakers, Londres 1984,
p. 100 ; Jac. J. JANSSEN, Gift -giving in ancient Egypt as an economic feature, Journal of
Egyptian Archaeology, LXVIII, 1982, p. 253-258.
50. Pour un exemple de la Vie dynastie : Alan H. GARDINER, An administrative
letter of protest, Journal ofEgyptian Archaeology , XIII, 1927, p. 75-78.
51. Jac. J. JANSSEN, The economic system of a single village, Royal
Anthropological Institute News, XV, 1976, p. 17-19 ; Jac. J. JANSSEN, Commodity prices from the
Ramesside period. An economic study of the village of necropolis workmen at Thebes,
Leiden 1975, p. 455-562.
52. Ricardo A. CAMINOS, A tale of woe. Papyrus Pushkin 127, Oxford 1977 :
4, 7 et 4, 8, p. 72 et planches 9-10 ; GARDINER, Late-Egyptian miscellanies, p. 104-
105 (texte) ; CAMINOS, Late-Egyptian miscellanies, p. 389-390 (traduction) : Papyrus
Lansing 5, 7 et 6, 1.
53. JANSSEN, Gift-giving..., p. 253; S. ALLAM, Quelques aspects du mariage dans
l'Egypte ancienne, /ourna/ of Egyptian Archaeology, LXVII, 1981, p. 116-135.
54. Alan H. GARDINER, The Wilbour Papyrus, II. Commentary, Oxford 1948,
p. 56 ; GARDINER, Late-Egyptian miscellanies, p. 104-105 (texte) ; CAMINOS, Late-
Egyptian miscellanies, p. 389-390 (traduction) : Papyrus Lansing 5, 7 à 7, 6 ; CAMINOS,
DIALOGUES D'HISTOIRE ANCIENNE 31

A tale of woe, p. 71-72 et planches 9-10 : Papyrus Pushkin 127, 4, 1 à 4, 15.


55. Cf. Ciro F .S. CARDOSO, A corvéia no contexto econômico-social do Egito
faraônico, Historia em Cadernos (Rio de Janeiro), П, n° 1, 1984, p. 19-25 ; Ciro F.S.
CARDOSO, Sociedades do antigo Oriente Proximo , Sao Paulo 1986, chapitre 3.
56. M. DANDAMAYEV, Aliens and the community in Babylonia in the 6th 5th
centuries B.C., in Les communautés rurales, H. Antiquité, cit., p. 143-145 ; sur les poli-
teumata : Claire PRÉAUX, Le monde hellénistique, Paris 1978, II, p. 453456.
57. Cl. PRÉAUX, Idem, I, p. 398, II, p. 483; Hélène CADELL, Le village fayoumique
aux époques ptolémaïque et romaine, in Les communautés rurales, II, p.365-390 ; assez
sceptique quant aux communautés rurales, sauf quant à la solidarité devant l'impôt ; voir
néanmoins M.M. AUSTIN, The Hellenistic world from Alexander to the Roman conquest,
Cambridge, 1981, p. 413 (document de 257 av. J.-C.).

Résumé

Par le biais de la discussion de l'opinion contraire d'Aristide Théodoridès et s'appuyant sur


des sources écrites et iconographiques, l'article essaie de démontrer et l'existence et
l'importance des communautés villageoises dans l'Egypte des pharaons. Ces communautés,
dont l'action était réglée par des conseils locaux, avaient trois caractères essentiels : 1)
l'existence à leur intérieur d'éléments de solidarité économique et sociale (union de
l'artisanat et de l'agriculture, dons et contre-dons entre les familles, etc.); 2) elles exerçaient
le contrôle de l'irrigation et du cycle agraire au niveau local ; 3) enfin elles avaient de
nombreuses fonctions administratives, judiciaires et notariales, sur la surveillance et le contrôle
des gouvernements provincial et central.

This paper discusses a former text published by Aristide Théodoridès. Against the latter's
view, it purports to demonstrate the existence and considerable importance of village
communities in pharaonic Egypt, by using iconographie and written sources. Those
communities acted through local councils and had three main features : 1) within them
elements of economic and social cohesion (association of agriculture and crafts, gifts
exchanged among the families, and so on) could be found ; 2) they controlled irrigation and the
agrarian cycle at the local level; 3) finally they had local governmental, judicial and notarial
capacities, under the control of the provincial and central administrations of ancient
Egypt.

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