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STRUCTURES SOCIALES ET RITES D'ADOLESCENCE DANS LA GRÈCE ANTIQUE

Author(s): Louis Gernet


Source: Revue des Études Grecques , 1944, Vol. 57, No. 269/273 (1944), pp. 242-248
Published by: Revue des Études Grecques

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44272002

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VARIÉTÉS

STRUCTURES SOCIALES ET RITES D'ADOLESCE

DANS LA GRÈCE ANTIQUE

On s'excuse d'examiner ici avec un si grand retard l'ouvrage de M


maire (1) : les circonstances y sont pour qúelque chose. AU surplus
que demi-mal, car il ne paraît pas souvent sur « l'antiquité helléniq
livre qui ait autant de portée. Sous une forme qui manque peut-êtr
mais qui est singulièrement lucide et entraînante, il y a là une tentative
pour retrouver dans les pratiques initiatiques intéressant la jeunesse une des
origines authentiques de l'hellénisme, et* dans l'organisation militaire qui est en
rapport avec elles la base même sur laquelle s'est constituée la cité grecque.
Le champ de l'enquête est élargi à la mesure d'un dessein aussi vaste : elle porte
tout ensemble sur les témoignages d'institutions et sur les représentations reli-
gieuses ou les données héortologiques.
En 1913, l'auteur avait donné une étude très suggestive d'une institution assez
mystérieuse, la cryptie lacédémonienne : il l'interprétait comme appartenant à
fout un système d' « éducation » nettement reconnaissable à -travers l'ethno-
graphie et comportant, avec ségrégation de la jeunesse, épreuves et rites d'habi-
litation pour les futurs guerriers La question restait de savoir si l'organisation
spartiate devait être considérée comme une survivance isolée et par conséquent
comme un type aberrant parmi les sociétés helléniques, ou s'il fallait y voir le
prolongement d'un état qui aurait été général dans la préhistoire de la Grèôe.
Depuis, l'attention de l'auteur s'est portée sur le témoignage des poèmes homé-
riques, où l'on peut reconnaître des formes et des habitudes sociales qui donnent
lieu de penser que le cas spartiate n'est pas une singularité. L'existence d'une
elasse guerrière spécialisée, la place prééminente qu'elle tient dans l'économie
de la « société homérique », le rôle qui lui est attribué dans certaines théories
des anciens sur les origines de la cité, amenaient à se demander si la Grèce
préhistorique n'a pas*connu des pratiques initiatiques destinées au recrutement
de cette classe et dont le caractère dit « primitif » avait déjà été entrevu pour
Sparte. Mais le système de ces initiations, ou, plus généralement, de ces rites

(1) Jeanmaire (H). Couroi et Couretes% Essai sur l'éducation spartiate et sur
les rites d'adolescence d&ns l'antiquité hellénique. Bibliothèque universitaire,
Lille, 1939. In-8°, 638 p.

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STRUCTURES SOCIALES ET RITES D'ADOLESCENCE 243

d'adolescence, ne pouvait être reconnu en Grèce que s'il était identifié dans
l'humanité : autrement dit, il y avait lieu de revenir méthodiquement sur les
analogies présentées par des sociétés africaines, dont certaines avaient déjà été
appelées en témoignage dès 1913, mais dont l'intérêt documentaire est établi
maintenant dans un chapitre spécial. Ainsi orientée, la recherche devait être
poursuivie dans les différentes zones où le passé hellénique pouvait avoir laissé
des traces. Telle est la suite de considérations dont le présent essai est sorti.
Tout un chapitre, disons-nous, et assez long, est consacré à l'Afrique contem-
poraine, à ses « rites d'éphébie » et à ses « classes d'âges ». Il ne vient pas le
premier, bien entendu ; il ne vient, si l'on peut dire, que lorsque le problème
est» mûr. Le problème, c'est celui de la légitimité de la méthode comparative;
mais c'est aussi, ou plutôt c'est en même temps, celui des aires de civilisation :
il ne s'agit pas de comprendre un ensemble institutionnel en le situant à telle
ou telle étape d'un prétendu développement unilinéaire de l'humanité, mais d'y
reconnaître la caractéristique et comme le « facies » d'une de ces « cultures »»
qu'on voit s'étendre à certaines époques sur un vaste domaine géographique.
Les aires se trouvent définies par le fait que les modes d'organisation et de
pensée qui s'y attestent sont « trop particuliers pour a*oir pu germer spontané-
ment et sporadiquement dans des sociétés sans liens les unes avec les autres » ;
et d'autre part, elles correspondent - jeu de mots inévitable - à des eres . Ces
moments de civilisation ont pu se prolonger en certaines parties du domaine
primitif alors qu'ils ne laissaient ailleurs que des traces : c'est ainsi que l'Afrique
noire, relativement isolée, a conservé dans ses rites d'initiation, dans ses confré-
ries à masques et dans ses mystères un état de civilisation qui, dans la Grèce de
l'histoire, était déjà plus ou moins recouvert par d'autres strates.
Ce n'est pas d'emblée qu'on peut pénélrer dans ce passé. Mais l'étude du plus
ancien état social attesté peut y introduire. Il y a chez Homère deux termes
caractéristiques, de sens défini et en rapport étroit l'un avec l'autre : ceux de
couroi et de laos. Le premier désigne une classe d'âge par opposition aux géronies ,
celle des jeunes, et qui est vouée au métier des armes; le second désigne les
guerriers, qui constituent le seul élément actif de la société homérique, car le
mot dèmos, qui ne prendra que plus tard une acception politique, n'a qu'une
valeur territoriale. Les membres du laos sont entretenus par le roi dont ils sont,
pour emprunter une expression au moyen-âge, les « nourris ». Inféodation,
commensalité, compagnonnage sont des termes connexes qui peuvent également
s'appliquer ici : la société homérique apparaît comme une société militaire de
nature féodale - et d'ailleurs sans noblesse proprement dite. (Je résume ici,
au risque de le schématiser, un exposé qui vaut, dans l'ensemble, par une rigueur
philologique remarquable. Il va de soi que le témoignage homérique a besoin
d'être interprété, et M. J. s'en explique : il admet qu'il nous permet d'atteindre
à des coutumes et traditions sociales antérieures à la rédaction de Ylliade et de
VOdyssée, et il ne s'interdit pas de le mettre en rapport, à l'occasion, avec les
données les plus récemment acquises de la protohistoire. On pourrait souligner,
en ce sens, que le mot laos est étranger à l'ionien ancien et qu'il subsiste comme
une espèce de fossile dans la langue des aèdes. Naturellement, il y a la contre-
partie : bien des choses ont été brouillées ; et, par exemple, il faudrait recon-
naître que nous ne trouvons pas chez Homère, normalement, des investitures
proprement dites qui procéderaient du « roi »).
En abordant ce qui est la partie essentielle de l'ouvrage, on a un peu la sen-
sation d'un tournant brusque. 11 n'y a rien chez Homère qui indique ou suggère
un régime d'initiations - et peut-être aurait-il mieux valu donner la seconde

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place et non pas la dernière au chapitre consacré à Sparte,
le motif de la disposition adoptée. Une remarque de voc
grande portée, sert en quelque sorte d'introduction. Le mo
fication sociale très définie dans Homère ; mais, d'autre p
qui lui est apparenté et qui a pu en être le doublet dans c
désigne couramment, dans la tradition religieuse, une con
mythique associée au Zeus crétois ; et il convient d'ajoute
suivant une théorie remarquable de Strabon (analysée de très près dans un
appendice de l'ouvrage), seraient à considérer comme une espèce d'un «genre
auquel appartiennent non seulement Corybantes, Dactyles, Telchines, mais
Satyres, Silènes et autres suivants de Dionysos. Ce qui rend compte de l'homo-
nymie, c'est que les institutions qu'on a reconnues en étudiant le rôle des couroi
dans l'ancienne société hellénique « ont comme conséquences assez normales
des attitudes de caractère religieux ». D'où le dessein de rechercher, « dans
divers éléments des complexes rituels et mythiques auxquels s'accorde la vie reli-
gieuse des anciens Grecs », la trace des'« initiations à la puberté » et des « initia-
tions liées au développement des fraternités et compagnonnages ».
En fait, dans la plupart des sociétés grecques, l'ancienne structure u'est plus
directement reconnaissable : c'est à travers des schèmes rituels qu'on peut encore
l'apercevoir. A Athènes, deux Gycles de cérémonies, à deux moments de l'année
- printemps et début de l'automne - représentent symétriquement, et pour les
deux sexes, un commencement et une fin de « retraite » et de « noviciat » des
jeunes. En particulier, les fêtes du 1 Pyanopsion, Oschophories et Pyanepsies,
sont à interpréter comme un retour de la jeunesse masculine après un temps de
ségrégation et d'épreuves, et la légende de Thésée - le couros par excellence -
s'y est trouvée associée à titre d'illustration ; à la même époque et parallèlement,
les Thesmophories ont leur correspondant mythique dans les figures divines de
la Mère et de la Fille, successivement séparées et réunies. A Delphes, le rite du
Septérion, célébré tous les huit ans, est un souvenir d'épreuves de jeunesse. La
légende des jeux Olympiques comporte l'histoire de Pélops, qui a les caractères
d'un mythe de seconde naissance, autrement dit de résurrection initiatique : les
jeux sont ici le pendant des mystères qui, à Eleusis, offrent un élément du même
ordre dans la légende de Démophon.
Les deux derniers chapitres, sur la Crète et sur Sparte, ferment le cercle. La
Crète est le pays des Courètes, dont les danses se rattachent au plus ancien
fond de la civilisation locale par leur caractère primitif « à la fois religieux et
orgiaque », tel qu'il apparaît dans le fameux hymne de Palaeokastro. Or la Crète
est également caractérisée par des institutions où la jeunesse tient une place à
part et est soumise à une éducation de genre spartiate. Quant à Sparte elle-même,
elle offre l'image d'un État où la situation d'une classe militaire dotée d'un statut
privilégié s'explique, non point par un fait de conquête, mais comme le prolon-
gement (moyennant les accommodations que l'histoire nous fait deviner) d'une
institution de type, homérique : celle d'un laos fieffé, corrélative à celle d'une
royauté qui préside à des compagnonnages. Tel est du moins le cadre dans
lequel il faut comprendre les résidus institutionnels que l'« énigme de Sparte »
a toujours proposés à la curiosité des historiens : et ce ne sont pas seulement
les classes d'âge et un noviciat où les traits archaïques ne manquent certes pas;
c'est aussi l'organisation des fêtes spartiates, où se reconnaît une tradition de
mascarades et de probations rituelles ; ce sont également les données qui per-
mettent d'apercevoir chez les couroi lacédémoniens, et dans la sélection dont
ils sont l'objet, des pratiques de sociétés secrètes symbolisées par le mot même

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STRUCTURES SOCIALES ET RITES D'ADOLESCENCE 24S

de cryptie : au terme, il est licite d'interpréter le nom de Lycurgue par un sou-


venir de « lycanthropie », c'est-à-dire de confrérie à masques.
Si on essaye de faire le point, on constate que trois erdres de faits ont été
retenus : institutions « homériques », institutions spartiates (et crétoises),
schèmes rituels avec les thèmes mythiques qui leur sont associés. Et de l'un à
l'autre, on progresserait, pour ainsi dire, par paliers successifs. Mais l'hétéro-
généité aussi est sensible. D'où l'importance qu'il y a lieu de reconnaître, dans
l'élaboration de la thèse, à un emploi de la « méthode comparative » qui vise
non pas seulement á repérer des similitudes, mais à définir des accointances :
l'hypothèse de 1' « aire de civilisation » semble bien avoir joué le rôle d'élément
cristallisateur. L'observation simpóse à qui veut saisir l'unité de la construction
- et M. J. construit fortement; mais au demeurant, il n'est pas assuré que
la validité de la thèse soit suspendue à celle de l'hypothèse, et de toute façon
l'argumentation relative aux faits helléniques peut être appréciée en elle-même*
Bien qu'il soit très arbitraire en l'espèce d'opérer des coupures, on peut dire
en gros, étant donné lé matériel des faits, que les résultats de l'analyse concer-
nent, d'une part, la structure politico-sociale ; d'autre part, les « rites d'adoles-
cence » eux-mêmes, avec les croyances et les images auxquels ils ont donné lieu.
Sur le premier plan, et en prolongement de l'étude à laquelle ont été soumises
les institutions homériques et les institutions « doriennes », l'idée maîtresse est
celle que l'auteur oppose à la conception traditionnelle, d'après laquelle la ciié
serait une « extension de la famille » et se serait constituée par la synthèse de
groupements gentilices. : pour M. J., elle est issue d'une société militaire, dont
les classes d'âges, les « sociétés des hommes » et le compagnonnage sont les
éléments fondamentaux. On retiendra en particulier ce qui peut être considéré
comme le centre de la démonstration, à savoir l'étude qui est faite des groupe-
ments du type « phratrie », lesquels ne reposent pas, dans le principe, sur la
filiation naturelle ou adoptive, mais sur le principe de l'association, tel qu'il
fonctionne dans Vhétairie homérique dont on leur voit perpétuer le nom en Crète.
Sur un autre plan, ce sont les liturgies saisonnières qui ont été analysées par
M. J. aux fins de son enquête. C'est sans doute la partie qui sera ie plus critiquée :
il est permis de penser que c'est la plus riche - et aussi bien, ce n'est pas un
compte-rendu qui peut en donner une idée. Ce qui la caractérise dans l'ensemble,
c'est un effort décidé, - et, dans l'ensemble, à rendement certain - en vue
d'une interprétation positive de toute une série de thèmes inséparablement rituels
et mythiques. De la mythologie, le naturisme faisait un jeu arbitraire, quelque
chose comme un acte gratuit de l'imagination ; et les théories sur la « religion
agraire », si suggestives qu'elles aient pu être, n'en étaient qu'un dérivé ; même
dans l'essai de miss Harrison, qui rencontre souvent des notions comme* celles
qui apparaissent chez M. J., la pratique, la croyance et l'imagination restent
suspendues, en fin de compte, à une espèce de métaphysique. En retrouvant
dans une série de rites annuels ou ennaétériques le souvenir (ou parfois le
témoignage) des rites probatoires et des mascarades sacrées par quoi se réalise
la promotion périodique des jeunes, l'auteur a certainement atteint un élément
concret d'explication; et en montrant qu'il était possible de déceler, à travers un
rituel hétérogène et une mythologie rebrassée, un certain tiombre de thèmes
fondamentaux qui font transparaître un système d'initiations primitives et
entrevoir quelque chose de leur mécanisme, il a montré du même coup commént
l'étude de la « religion » pouvait fournir une contribution essentielle à la con-
naissance de la plus ancienne histoire sociale.
Dans le détail, ou même sur ce qu'on pourra trouver parfois d' « unilatéral *

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dans la conception ou dans la présentation de


mise. Aussi bien, l'auteur n'oublie-t-il pas qu
et de mythes dont nous n'avons qu'une connai
mieux connu, ne nous permettrait pas de rec
pratiques préhistoriques ; seulement, on comp
entraîner aux interpolations. Sur certains poi
quence : que le « jeu du Septérion » comport
somme toute ne nous l'indique, et le rappr
d'Àrtémis Orthia à Sparte apparaît forcé ; n
l'usage, plus riche au demeurant que ne la fai
l'intéresse. Ailleurs, les difficultés peuvent, ê
un parallélisme entre les Thesmophories et
à-dire les cérémonies du 7 Pyanepsion et leu
s'agirait de la commémoration du « retour »
l'issue d une période de retraite, d'épreuves et
les Thesmophories sont une fête de femmes m
on peut estimer que l'auteur a un peu trop h
leur donner comme signification essentielle c
amène à une observation plus générale : il ne
intentions de M. J. - mais il irait mieux « en
nesse un rôle exclusif ou même nécessaireme
général, dans cette réalité ancestrale par exce
où elle a d'ailleurs sa place par définition.
Mais, encore une fois, c'est l'ensemble qu'il f
il faut retenir une série de faits convergents
sommes- dès maintenant introduits et dont l'
suivie. Aussi bien j'estime qu'un travail de c
dedans : autrement dit, je crois qu'il est plus
le sens de certaines notions avec lesquelles l
« objections » sur tel ou tel point.
11 y a d'abord le cadre préhistorique. On n'é
d'une communauté de civilisation entre le mo
méditerranéen, encore que la conception posi
que l'a formulée M. Mauss, invoqué par M.
contacts, sinon des relations suivies, qu'en l'e
sommes réduits à postuler. (D'autre part, l'au
notion même d' « aire de civilisation » : ext
bien entendu, et sur quoi il s'explique assez po
sur quoi aussi il y aura sans doute lieu de rev
dont il s'agit, ou l'apparentement, devrait se sit
bien antérieure au « mycénien », où le témoig
rectement et d'où M. J., pour certaines analys
une perspective aussi vaste, il y aurait à teni
que celui-là, et plus récents. Car il y a, tout de
il y a des similitudes, avec le monde germani
posent d'elles-mêmes à l'esprit, et, à propos d
voir M. J. s'interdire presque «n règle, et sau
accjjdentel (p. 556 sq.), ce genre de « comparai
prendre dans la construction de sa thèse, mai
n'était peut-être pas indispensable. Les acc
l' a Orient » sont l'objet de quelques allusio
doute pas d'enseignements aussi concrets à en

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STRUCTURES SOCIALES ET RITES D'ADOLESCENCE 247

Mais ce qui intéresse directement l'explication même du passé hellénique, ce


sont les formes sociales que M. J. a en vue et les pratiques qu'il y reconnaît.
En ce qui concerne la structure « politique » - pour la période relativement
récente où nous atteignons encore, indirectement, par des témoignages littéraires,
- M. J. emploie volontiers le terme de « féodalité », qui se trouve défini chez
lui autant qu'il peut l'être pour un état aussi mal connu, et d'ailleurs en fonction
d'une royauté : dans une Sparte primitive, une « chevalerie » tiendrait d'une
concession royale, et sous condition de service militaire, ses xXfipoi qui seraient
proprement des fiefs. L'état homérique, ou du moins les inductions que le témoi-
gnage d'Homère" autorise, donnerait une idée qui s'accorde avec celle-là. Et la
théorie est fortement étayée. La royauté apparaît ici comme le pouvoir d'un chef
de guerre - à l'occasion même, comme celui d'un chef de bande, dont la réalité
historique, vers la fin du IIe millénaire, est brillamment illustrée (p. 59 sq.).
Cependant, la royauté spartiate a des attributs religieux caractérisés. Les deux
institutions ne sont pas incompatibles, mais la question se pose de leur rapport.
Elle se pose aussi du rapport entre une royauté qu'on peut dire déjà protohisto-
rique et celle dont l'idée transparaît parfois dans une tradition héortologique où
les thèmes ďavénement et de restauration périodique du pouvoir semblent bien
jouer un rôle important (p. 366 sq., 393). Et on ne peut oublier que le monde
égéen a connu une royauté d'un type qui a dû être très défini et dont le caractère
particulier est attesté par une titulature abondante, adoptée par les Hellènes.
Quant aux « rites d'adolescence », l'idée qu'en donne M. J. est assez complexe.
Il lui arrive de parler d'initiations tribales, et assez souvent. Sans doute, il insiste
ďautre part sur la « plasticité » des pratiques initiatiques, et, dans son exposé
des données que fournissent les sociétés africaines, il indique biąn, dans l'usage
d'une institution fondamentale, différents aspects. On serait tenté de dire : diffé-
rents étages. Faut-il comprendre qu'à partir de formes élémentaires comportant
périodiquement la promotion religieuse des jeunes de tout le groupe, des spécia-
lisations se sont produites quant aux sujets et quant à l'objet de l'initiation ?
M. J. répondrait que nous sommes trop curieux et que, dans l'état « désespéré-
ment fragmentaire » de l'information, on peut se tenir pour satisfait d'avoir
repéré des schemes institutionnels dont les équivalents se reconnaissent dans
toute une province ethnographique. C'est vrai ; mais, si nous posons la question,
c'est que l'auteur lui même semble osciller, à propos de l'Afrique précisément,
entre un pluralisme, qui s'accommode d'avance de la diversité spontanée d'une
institution aussi « plastique », et une conception qui, sans être nécessairement
génétique ou évolutive, admettrait une distinction nécessaire entre des états de
société également caractérisés par un régime d'initiations collectives. Et ce sont
bien, en fait, des états différents qu'on croit reconnaître - ou entrevoir - dans
les indications qu'il fournit. L'idée que suggère son examen des données héorto-
logiques - ou, si l'on veut, l'impression qu'on en garde - n'est pas précisément
celle d'un système de rites probatoires à l'intention d'une jeunesse guerrière
spécialisée; et pas davantage, malgré les affinités qu'il y a en effet entre les
techniques de la magie guerrière et 1' « orgiasme », l'idée, qui nous est proposée
à maintes reprises, d'un système de consécrations initiatiques que continuerait
toute la série cultuelle (vulgo : dionysiaque) où la dominante est « l'enthou-
siasme ». Au surplus, il est formellement admis, à propos de la danse des Cou-
rètes crétois (p. 428), que le caractère guerrier de la pyrrhique de l'époque
historique lui a été surajouté. - D'autre part, et bien que l'observation ethno-
graphique atteste la facilité, la spontanéité avec laquelle l'initiation tribąle peut
évoluer en institution de confrérie - et atteste aussi à l'occasion la possibilité

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d'un choc en retour - la diversité encore est à retenir. On a insisté sur la


plurality des types d'initiation dans le monde indo-européen (M. Dumézil, notam-
ment Mythes et dieux des Germains , p. 92) : il est notable que M. J. soit amené
à faire, pour le monde égéen, une observation parallèle et, par exemple, à nous
faire entrevoir, à propos du conte de Glaukos (p. 446), « quelque corporation
spécialisée dans une technique de maitre à disciple et en particulier une initia-
tion aux sciences divinatoires ». Ce n'était pas son propos de suivre la veine qui
s'indique à ce moment. Mais le genre d'organismes auquel il fait allusion est de
ceux dont on peut présumer l'importance singulière dans le passé de la Grèce.
Et bien qu'il ait heureusement marqué, dans le gouvernement de Sparte, la per-
sistance d'une tradition de « sociétés secrètes », et bien qu'il rappelle l'aptitude
de ces sociétés secrètes à des fonctions de police (au double sens du mot), il n'y
a peut-être pas là des réalités de même ordre, ou du moins .de même niveau.
On peut s'interroger enfin sur le sens général de la thèse, en tant que la thèse
a pour objet d'éclairer les origines de l'hellénisme. M. J. souligne, à plusieurs
reprises, une opposition entre les sociétés qui ont plus ou moins continué un
type ancien d'organisation, et les cités « ioniennes » où la transformation a été
profonde» On peut même dire radicale, au moins quant aux modes de pensée : le
fait de mutation subsiste, il est même accentué. Car la spécificité de l'hellénisme,
ce n'est certainement pas Sparte qui l'atteste, elle résulte au contraire de cette
transformation. U reste que des éléments constitutifs de la civilisation grecque,
et jusqu'à des thèmes platoniciens (p. 456 sq.), peuvent être considérés comme
« autant de développements à partir d'un complexe qui s'apparente aux rites de
solennisation de l'adolescence » (p. 590). Et pour ce qui est de l'élaboration même
de l'hellénisme,, on retiendrait comme spécialement suggestive une indication
que l'auteur donne « sur un plan un peu différent » : c'est que le développement
des formes d'association, si caractéristique de la Grèce et d'une telle fécondité
pour ce qu'il faut bien appeler l'esprit grec, procéderait d'une tendance préhisto-
rique, telle qu'elle s'est manifestée dans des « compagnonnages » qui, bien en-
tendu, n'ont pas été seulement militaires.
Louis Gbrnrt

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