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La Recherche en danse
Du même auteur :
La Recherche en danse
Collection dirigée par Jean-Claude Serre
La danse, aux origines, est un rite sacré. Les plus anciens documents figurés,
seuls témoins des civilisations les plus anciennes, le montrent unanimement, qu'il
s'agisse soit de pratiques mettant l'homme en une situation perçue comme un contact
avec la divinité, soit de gestuelles insolites destinées à attirer l'attention des dieux.
C'est l'histoire de ces rituels, des sensibilités, des idées qui les sous-tendent
que l'on voudrait tenter ici de décrire. Les documents figurés eux-mêmes ont dicté
la méthode de travail : ils s'organisent spontanément en séries typologiques. Leur
répétition à travers les cultures dans toute l'Antiquité garantit l'originalité de leur
gestuelle et met en évidence leur valeur religieuse, généralement apotropaïque. Il
faut relever et suivre leur fil conducteur.
On a évité de les interpréter et de les décrire - ce qui est déjà une façon de les
gauchir - selon les concepts, les techniques, le vocabulaire de la danse académique de
notre époque. Notre ambition a été de rendre compte, autant que faire se peut, des
gestes orchestiques tels qu ils se sont produits dans la réalité, selon le vieux principe
du père de la critique historique moderne, Leopold von Ranke : "Wie es eigentlich
gewesen", le fait dans son exactitude brute.
Sans doute, l'historien actuel se doit d'aller plus loin : construire, d'après
les données historiques qu'il compare, les "faits" historiques. Selon la formule de
J. Le Goff (dans sa présentation de la réimpression de la Vie en France au Moyen
Age par C.V. Langlois, Paris, 1981, p. II.), il : "(...) transforme les éléments
documentaires en une information posant un problème d'interprétation". Mais il est
évident que, si elle ne s'appuie pas sur une exigeante recherche préalable, cette
interprétation ne peut être que construction vide, imagination menteuse.
C'est aussi pourquoi l'on ne trouvera pas ici de chapitre sur les danses des
"primitifs". La première raison est qu'il n'existe plus aujourd'hui de primitifs
"purs" qui soient observables ; tous, ils ont eu des relations avec le monde "civilisé"
et leurs coutumes ont perdu peu ou prou de leur authenticité. La deuxième est
l'absence quasi générale de documents figurés présentant leurs danses à l'état
originel. Elles ne sont rapportées, pour la plupart à une période récente, que par des
ethnologues plus soucieux, comme le veut leur discipline, de décrire des
comportements sociologiques, des structures mentales que des techniques gestuelles
dans leurs détails musculaires. Pourtant, on notera que, de façon générale, les danses
qu'on peut supposer être restées les plus fidèles à elles-mêmes - danses de possession,
danses d'initiation - emploient, pour mettre les exécutants hors d'eux-mêmes, des
procédures gestuelles - dont le tournoiement sur place - qui s'inséreraient aisément
dans les séries typologiques connues dès la préhistoire dans la culture
franco-cantabrique et celles du bassin de la Méditerranée orientale.
Enfin, on n'a pas traité des folklores qui, actuellement, sont le plus souvent
des interprétations à fidélité variable de traditions d'ancienneté indéterminée. Il eût
été tentant - mais n'était-ce pas quitter notre propos ? - de discuter leurs origines, de
vérifier si elles sont le masque déformé de rites païens proscrits p a r la
christianisation, si elles furent alors ravalées, selon la forte expression de Pierre
Chaunu, dans le Temps des Réformes, à "une culturelle résiduelle", "une culture de
résidus sociaux plus ou moins relégués au pied d'une échelle sociale ou géographique
des valeurs".
Le mythe incarne les terreurs de l'homme, ses besoins, ses refus, ses désirs,
dans un héros imaginé qui, éventuellement assumera le risque de transgresser les
règles communautaires. En célébrant ce héros dans des cérémonies, l'homme se
défoule, se délivre. Formule de Freud dans Totem et Tabou : "Une fête est un excès
permis, une violation solennelle des interdits". Or, ces cérémonies, ces fêtes ont tou-
jours, dans les cultures anciennes, comporté, comme partie obligée, un rite
orchestique. L'une des fonctions de l'orchestique ancienne fut, on le verra, de
purger le trop-plein des pulsions plus ou moins inconscientes des hommes, libération
que les Grecs nommeront katharsis.
La danse est toute désignée pour assumer ce rôle social : elle exprime
l'homme non dans la précision et la limitation du "dit", mais dans l'indéterminé,
l'illimité du "non-dit". Elle lui permet de signifier sans risque, voire sans
responsabilité, sa réalité profonde, celle qui est confusément ressentie comme
immature ou dangereuse pour l'ordre et le confort communautaires.
LA DANSE MAGDALENIENNE
EST THEOLOGIE
L'ancêtre des danseurs
Dans la falaise calcaire qui borde la rive gauche de l'Isle, à l'entrée de la ville
de Mussidan (Dordogne), s'ouvre la grotte de Gabillou. A partir de la cave d'une
maison paysanne, un couloir sinue sur une trentaine de mètres seulement en l'état
actuel, des carriers du XVIIIème siècle ayant détruit l'entrée primitive. Couloir ?
Boyau plutôt, large d'un mètre au mieux et dont la hauteur originelle sous plafond
variait de cinquante à quatre-vingts centimètres (1).
Au jugement d'André Leroi-Gourhan : "Par la qualité de sa décoration, par sa
conservation, par sa contemporéanité avec Lascaux, le Gabillou est une des grottes
françaises les plus importantes" (2), il offre : "(...) un des plus remarquables
ensembles de tout l'art paléolithique".
Sur la roche beige pâle, très tendre, sont gravées - on dirait mieux dessinées au
trait - des centaines de figurations d'animaux et de signes (3), juxtaposés ou
superposés. Leur parenté de style avec les images de Lascaux - notamment les
chevaux - date l'ensemble du début de la période magdalénienne, soit, selon les
auteurs, du XIVème au XIIème millénaire avant notre ère.
A partir de l'entrée actuelle, marquée par deux images de félins, court en frise
et au plafond une association essentiellement de chevaux et de bovidés. A
mi-parcours, sans transition, ce sont les cervidés, cerfs et rennes, qui dominent ; en
même temps se font plus nombreux les signes "blasonnés" - que Leroi-Gourhan
nomme "signes rectangulaires féminins" -. Une brève abside en cul-de-four creuse
sa conque dans l'extrême fond du boyau.
Là, sur la paroi de gauche, nettement isolé des autres figurations,
accompagné de deux "signes rectangulaires féminins" (4), est dessiné, de profil, un
être qu'il faut examiner attentivement avant de le reconnaître pour humain.
Sa tête s'encapuchonne dans celle de la dépouille d'un bison qui la cache
entièrement. Le mufle de l'animal est énorme par rapport au volume de l'homme et
les cornes, présentées de trois-quarts comme dans le style de Lascaux, gigantesques.
A l'évidence, la bête était d'une taille exceptionnelle et l'on peut se demander si elle
n'avait pas été choisie pour vêtir un homme dont la fonction était exceptionnelle
aussi. Du moins en a-t-il paru ainsi aux découvreurs qui l'ont appelé le "sorcier du
Gabillou" (fig. I).
Le corps de l'homme est montré de profil vers la droite. La peau du bison pend
jusqu'à mi-hauteur des cuisses. Les avant-bras, non couverts par la peau et humains
sans conteste, sont portés en avant, coudes cassés. Le tronc est incliné à quelque
trente degrés sur la ligne des hanches. Les jambes, évidemment humaines, sont
fléchies et placées sur deux plans. La droite, la plus basse, est terminée par un pied
mal visible qui fait avec elle un angle ouvert : anatomiquement, il ne peut
qu'attaquer le sol avec les orteils. La jambe gauche, placée plus haut, n'est pas
achevée, à moins qu'on admette qu'une légère bosse de la roche ait paru suffisante
- comme il est arrivé dans bien d'autres cas - au graveur magdalénien pour
représenter le pied gauche ; cette saillie fait un angle à peu près droit avec la jambe
(5).
Cet homme, écrasé par un masque d'une dimension surprenante, accomplit un
mouvement dont l'élan est immédiatement perceptible, mais dont la nature exacte ne
se révèle qu'à la réflexion critique. La position des bras ni celle des jambes ne sont
compatibles avec un déplacement latéral. Les jambes marquent tout autre chose
qu'une translation rectiligne en avant ou en arrière. Le poids du masque tout comme
le placement du corps excluent le bond en hauteur. Reste une seule hypothèse : un
mouvement sur place, un tournoiement de plain-pied, le moment saisi étant celui où
le corps, qui prend appui sur la jambe gauche, est poussé dans sa giration par le pied
droit. La première figure dansante que l'on rencontre dans l'histoire de l'humanité
tournoie de la droite vers la gauche (sens contraire aux aiguilles d'une montre).
Non seulement c'est le seul mouvement qui puisse s'expliquer par l'anatomie si
l'on examine le placement du corps du personnage, mais, de plus, il se lit aisément si
l'on restitue la ligne de sol sous le pied gauche (6). On ne peut la placer qu'ici ; la
mettre sous le pied droit basculerait le personnage sur le dos. En outre, la
configuration des lieux imposait au graveur de travailler couché sur le dos, sa tête
butant contre la paroi du fond, le coude coincé sur le sol au ras duquel, presque, est
inscrite la figure. En somme la posture la moins commode qui soit, imposée par le
choix délibéré de l'emplacement. Le dessin s'en trouve développé légèrement en
Fig. 1 : le personnage dansant de Gabillou (photo et relevé du Dr. J. Gaussen).
o b l i q u e v e r s la droite.
Q u a n d o n p r e n d e n c o m p t e la l i g n e d e sol, o n c o n s t a t e q u e l ' e n s e m b l e du
p e r s o n n a g e , à p a r t i r des h a n c h e s , e s t p e n c h é t e l l e m e n t e n a v a n t q u e son é q u i l i b r e ne
p e u t ê t r e a s s u r é q u e p a r un t o u r n o i e m e n t rapide. C ' e s t la r e c h e r c h e d e cette rapidité
q u i e x p l i q u e - et elle s e u l e - la p r o j e c t i o n des b r a s e n a v a n t , a s s u r e la v i t e s s e de la
r o t a t i o n e n d é p l a ç a n t le c e n t r e d e g r a v i t é et l ' e n t r e t i e n t c o m m e un v o l a n t inertiel.
D i e u x d a n s e u r s o u d a n s e u r s p o u r les d i e u x ?
U n e r o n d e l l e cassée
Un autre document, daté lui aussi du Xème millénaire, mais marquant une
variante dans la typologie des danseurs magdaléniens, est fourni par une gravure sur
la moitié d'une rondelle d'os cassée. Elle a été trouvée dans la grotte du Mas d'Azil et
est conservée au Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, d'où
son nom habituel de "demi-rondelle de Saint-Germain".
Cette fois, il ne s'agit pas d'un personnage porteur de cornes ou de ramure. Sa
tête est serrée dans un masque d'animal non identifiable : museau assez pointu,
oreilles assez larges et retombantes, rien qui évoque une bête de chasse connue. Sur
le corps, présenté de profil à gauche, est ajustée une peau à poils ras suggérés par
des hachures. Les bras sont portés en avant comme dans les documents précédents,
mais la cassure de la rondelle les interrompt avant le poignet.
Le personnage est ithyphallique, trait qu'il est le premier à présenter, mais
qu'on retrouvera fréquemment par la suite chez les exécutants de danses rituelles de
fécondité/fertilité.
La position des membres inférieurs pose problème. Si l'on admet, comme on
serait tenté de le faire de prime abord, que le personnage prend appui sur le pied
droit et qu'on redresse en conséquence l'ensemble de l'image, on s'aperçoit qu'elle
bascule en arrière dans une position de déséquilibre. Il faut donc nécessairement
placer la ligne de sol sous le pied gauche. Alors, nous retrouvons le schéma
habituel : le tronc se casse sur la ligne des hanches ; le pied droit pousse des orteils le
corps dans une giration qui va de la droite vers la gauche (fig. III).
Remis en place, le personnage de la demi-rondelle, loin de tomber, tournoie,
lui aussi, de plain-pied.
Fig. III : la demi rondelle du Mas d'Azil, conservée au Musée de Saint-Germain-en-Laye (photo
J.C. Fernandès).
La gestuelle de ces trois personnages suffit à donner des indications sur leur
contenu mental tant il est vrai qu'on ne peut séparer âme et corps.
Leur corps, à tous, est placé complètement "en-dedans" selon la terminologie
des techniciens de la danse : les articulations des épaules, des hanches, des genoux,
des chevilles sont "fermées" vers le centre du corps.
Sur le plan physiologique, on sait que, comprimée, la cage thoracique ventile
moins d'air, moins d'oxygène, ce qui ralentit l'élan biologique. Sur le plan
psychologique, il y a relation constante entre cette position "coincée" et l'hypotonie,
l'état dépressif, le repliement sur soi-même ; c'est aussi le placement habituel des
gens apeurés. Ce sont là des données générales, valables pour tous les hommes, en
tous temps, en tous lieux. Il n'y a pas de raison valable pour que les Magdaléniens
aient fait exception.
La théologie du Magdalénien
(1) Le sol d'argile a été déblayé sur une profondeur de un mètre cinquante environ par les soins du
Dr Gaussen, propriétaire de la grotte, le niveau du sol primitif étant rappelé par un trait noir continu
sur les parois. La cavité peut ainsi être étudiée sans risque de dommage pour les gravures fragiles
qui se trouvent maintenant placées à hauteur d'oeil.
Voir : Dr J. Gaussen, La grotte ornée de Gabillou, Bordeaux, 1964.
(2) A. Leroi-Gourhan, Préhistoire de l'art occidental, Paris, 1965, p. 309.
(3) Les "signes" sont des combinaisons non figuratives de lignes, en nombre et directions variables,
parallèles ou non, combinées entre elles ou non, se recoupant ou non, formant des triangles, des
quadrilatères ou des figures sans régularité. Ils constituent jusqu'à 15 % des représentations sur les
parois des cavernes et sur les objets mobiliers. Leur signification n'est pas élucidée. Certains
préhistoriens de la première moitié du siècle y voyaient des schémas d'habitations, de pièges, voire
des formules "magiques". Beaucoup les ont catalogués selon leurs formes approximatives :
pectiformes, tectiformes, blasons... D'aucuns y ont vu des idéogrammes.
A. Leroi-Gourhan a mené une étude systématique prenant en compte leur emplacement dans
les cavités et leur association avec des figures. Il les considère comme des symboles sexuels qu'il
répartit en signes masculins et féminins ; la première catégorie groupe les "signes allongés" - tirets,
bâtonnets, lignes de points... -, la seconde rassemble les "signes pleins" - ovales, triangles,
rectangles,,accolades -. Leroi-Gourhan, Les religions de la préhistoire, Paris, 1971, p. 92 sq..
(4) Leroi-Gourhan y voit la confirmation de sa théorie sexuelle des signes. Il écrit : "Au Gabillou, le
dérnier groupe de la caverne est constitué par un homme à tête de bison, relié par un trait à deux
signes vulvaires, ce qui, dans une autre forme, rejoint l'idée du plus viril placé au plus féminin de la
cavité.", o.c., p. 114.
(5) Relevé de la figure par le Dr Gaussen, o.c., pl. 35, fig.2.
(6) La notion de ligne de sol, indispensable à notre oeil moderne, ne l'était pas pour les artistes
magdaléniens ; elle ne commence vraiment à s'affirmer qu'avec l'art du Levant espagnol au
Néolithique.
Il est nécessaire de la restituer pour comprendre ce que l'auteur paléolithique a voulu
exprimer. Le principe est qu'au Magdalénien, la ligne ne dépendait pas du souci de stabiliser la
figure représentée ; il suffisait qu'elle paraisse stable aux yeux de l'artiste qui l'exécutait quelle que
soit la position qu'il occupait pendant son travail. Or, l'artiste travaillait souvent dans des conditions
difficiles, insinué dans un boyau qui, comme à Gabillou, laissait peu d'amplitude à son geste. Dans
d'autres cas, agrippé à des prises pariétales, il était obligé d'utiliser les dimensions, la conformation
et les accidents de la roche, bien souvent avec une virtuosité et une imagination confondantes. Dans
des exemples célèbres, comme les plafonds d'Altamira ou des Trois-Frères, la ligne de sol, pour
chaque figure, superposée ou non à une autre, dépend du choix arbitraire de l'auteur comme le
montre l'hétérogénéité de leurs placements.
(9) La grotte des Trois-Frères qui est une partie du vaste ensemble des cavités du Volp, se trouve
sur le territoire de la commune de Montesquiou-Avantès (Ariège). Elle a été découverte en 1914,
dans la propriété de leur père, le comte Bégouën, l'un des pionniers des recherches sur le
Paléolithique, par ses trois fils, d'où son nom. Elle a été étudiée à partir de 1919 par l'abbé Henri
Breuil qui en a exécuté les relevés.
(10) A. Leroi-Gourhan, o.c., p. 97.
(11) L'abbé Breuil décrit sa rencontre avec le "dieu cornu" dans une lettre à M. et Mme Bottet, datée
du 12 août 1919 à Montesquiou-Avantès (publiée dans Henri Breuil, catalogue pour l'exposition
organisée par la fondation Singer-Polignac, Paris, 1966) : "Dominant l'étage supérieur, un
extraordinaire dessin à 4 mètres du sol : c'est un homme gravé et partiellement peint en noir.
Pour l'atteindre, il faut prendre à plat ventre un étroit boyau dont toutes les parois sont
couvertes de merveilleux graffiti de bisons et de chevaux ; il donne dans un petit réduit également
orné... De ce petit réduit, une rampe secrète à parois magnifiquement ornées de chevaux, bisons et
gentils petits ours, accède à la hauteur de la figure humaine ; mais, pour se placer en face d'elle et
l'étudier, il faut placer son pied sur un éperon rocheux, assurer sa main droite en un seul point
possible à saisir, faire une volte-face et s'asseoir en face.
Alors seulement, on peut apprécier que ce personnage étrange est muni d'une belle queue de
cheval, que sa tête, de face, est surmontée d'une superbe ramure de renne gravée...
Du haut de sa tribune, cette figure préside à tout l'ensemble des graffiti des animaux de
chasse : Génie des chasseurs, Dieu de la chasse où le déguisement avec peaux de bêtes était usité,
figure de sorcier qui faisait là des incantations destinées à assurer la bonne chasse aux tribus fidèles
à ses rites. Quelque chose comme cela, assurément. N'est-ce pas émouvant de retrouver là l'esprit
même des anciens hommes et des plus graves de leurs préoccupations ?".
(14) Ce personnage a souvent été considéré comme le premier musicien représenté dans l'histoire de
l'humanité : à mi-longueur de son avant-bras droit, en effet, se présente une ligne que l'on a décrite
comme un "arc musical". La figure se trouve dans un emplacement de la grotte où l'observation est
très difficile et très peu fréquente. De l'avis de M. Max Begouën, l'un des trois frères, interrogé par
l'auteur, il s'agirait d'une fissure naturelle du plafond abusivement interprétée.
(15) Leroi-Gourhan, Préhistoire in Histoire de l'art, Paris, La Pléiade, 1961, tome I, p. 5 sq..
(19) P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, 1959, tome
IV, p. 353.
(20) "Des animaux sont représentés percés de flèches symboliques (bisons et bouquetins de Niaux,
chevaux de Lascaux). Des maquettes d'argile sont trouées de coups de sagaies (A Montespan, lion
et ours sans tête qui paraît avoir reçu, à diverses reprises, une peau fraîche), faits qui évoquent
l'idée d'envoûtement (...). Des figures humaines, affublées de masques d'animaux ou grotesques,
évoquent des cérémonies de danses ou d'initiations de peuples actuels, ou représentent les sorciers
ou les dieux de l'âge du renne". H. Breuil, Le Paléolithique in l'Art et l'Homme, sous la direction
de R. Huyghe, Paris, 1957, tome I, p. 37.
Selon la théorie de Leroi-Gourhan, les "flèches" vues par l'abbé Breuil sont des "signes
droits masculins". Toujours selon le même auteur, l'espace, à Montespan, est trop étroit pour qu'on
puisse donner des coups de sagaie sur le relief d'ours en argile ; les traces de ces "coups" ne sont
que des accidents de surface du matériau et "(...) rien ne prouve qu'on vêtait l'ours de peaux
fraîches pour l'utiliser comme quintaine ou "poupée" d'envoûtement.". Pour la réfutation de la
méthode ethnographique, voir aussi Leroi-Gourhan, Les religions de la préhistoire, p. 78 sq..
(22) B. et G. Delluc, Faune figurée et faune consommée in Histoire et Archéologie, n° 87, oct.
1984, p. 28-29.
(26) P. Faure, La vie quotidienne en Grèce au temps de la guerre de Troie, Paris, 1975, p. 109.
(28) Leroi-Gourhan, dans La France au temps des Mammouths, ouvrage collectif, Paris, 1969,
p. 190.
(29) Le soufisme est un mouvement qui s'est manifesté à l'intérieur de l'Islam à partir du VIIlème
siècle de notre ère, associant ascétisme et mysticisme. L'orthodoxie musulmane a condamné ses
pratiques où étaient dénoncées des influences chrétiennes, néo-platoniciennes, indoues. Le
soufisme s'est développé jusqu'au XIIeme siècle. Il a inspiré des oeuvres souvent plus lyriques que
théologiques. En sont issues des confréries diverses, pour la plupart hétérodoxes, dont beaucoup
recherchaient des excitants étrangers à la pensée et à l'usage coraniques, comme la danse, et
utilisaient des stupéfiants (kif, haschisch).
(30) Le "Sâma" est une danse cérémonielle que les derviches tourneurs exécutent selon un rituel
strict dans un lieu qui, comme une mosquée, comporte un "mihrab" (niche orientée en direction de
La Mecque) et un "minbar" (chaire à prêcher). Les derviches sont séparés du public par une
balustrade.
Avant la danse, on récite des prières, on chante la louange du Prophète, on exécute un prélude
de musique suivie de chants. Munis de la permission rituelle de leur cheikh et après lui avoir baisé la
main, les derviches, vêtus d'une robe blanche, se mettent en files sur deux orbites dans l'espace à
l'intérieur de la balustrade. Chacun lève un bras, paume vers le ciel, étend l'autre, paume vers le
sol et tournoie sur lui-même, tête penchée sur l'épaule droite. Le pied gauche est à plat sur le sol ;
l'impulsion est donnée par le pied droit ; la danse tourne donc de droite à gauche. En même temps,
les files tournent lentement sur leurs orbites dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. La
danse dure tout le temps d'un chant rituel, soit environ 30 minutes avec des moments d'accélération
qui font s'épanouir les robes. La séance se termine comme elle a commencé avec des prières, de la
musique et des chants.
(31) Son tombeau s'y trouve dans le couvent des derviches. Il est encore le centre d'un pélerinage
très fréquenté et très fervent.
(32) Mâwlanâ ("Notre Maître") Djalal el Din Rûmi (1207-1273), Odes mystiques, Paris, 1973.
E. de Vitry-Meyerovitch, Rûmi et le soufisme, Paris, 1977.
M. Molé, La danse extatique en Islam in Les danses sacrées, Paris, 1963.
(33) S. Giédion, L'éternel présent - La naissance de l'art, Bruxelles, 1965, p. 376 sq..
AU NEOLITHIQUE
Ere - nouvelle, danse nouvelle
L'aube du Néolithique s'est levée vers le début du VIIIème millénaire sur les
pays en bordure de la côte orientale de la Méditerranée, ce qu'on appelle le
"Croissant fertile" - aujourd'hui Palestine, Liban, Syrie, Anatolie du sud, Irak,
nord-ouest de l'Iran
Les populations qui les habitaient étaient neuves, non figées dans des
structures, des habitudes, des mentalités paléolithiques comme celles qui avaient
brillé pendant la culture franco-cantabrique et qui s'éteignent alors dans l'obscurité
d'un statut dépassé. Il fallait un type nouveau d'hommes pour poser des types
nouveaux de problèmes. Ce sont leurs migrations qui réanimeront l'ouest de
l'Europe quelque trois millénaires plus tard.
Le mot Néolithique n'est plus employé maintenant dans le sens d'âge "de la
pierre polie" qu'il avait lors de son invention en 1865. Il désigne l'ère pendant
laquelle s'est accomplie la révolution majeure dans l'histoire de l'humanité,
révolution que nous vivons encore.
Pendant les millénaires paléolithiques, les hommes avaient survécu en tuant des
animaux, en détruisant des plantes ; ils étaient des prédateurs. Désormais, ils
découvrent l'agriculture, désormais ils s'exercent à l'élevage ; ils seront des
producteurs.
Le propos n'est pas ici de faire l'histoire des progrès économiques pour
eux-mêmes, mais d'évaluer l'évolution culturelle qu'ils présupposent et qu'ils
engendrent, la longue chaîne d'expérimentations, l'accumulation d'expériences qui,
posant de façon répétitive le même problème, obtiennent le même effet : par sa
praxis quotidienne, l'homme néolithique est amené peu à peu à percevoir la notion
de causalité, base de tout acquis intellectuel.
Danser pour Artémis, 160 ; Danser pour Demeter, 165.
Reperes chronologiques, 169. Notes, 171.