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Chapitre 1 : L’ANTIQUITE

L’antiquité désigne conventionnellement la période comprise entre l’apparition de


l’écriture, qui clôt la préhistoire, et la chute de l’empire romain d’Occident en 476.

Représentation graphique du langage sur des supports variés, l’écriture est apparue au
Moyen Orient simultanément en Mésopotamie et en Egypte dans la deuxième moitié du
IVe millénaire avant J-C. Elle est d’abord au service d’une administration de plus en plus
complexe. Dans la foulée, vont se mettre sur pied des systèmes éducatifs en Asie orientale
(Chine, Inde, Perse, Israël) et en Egypte. Ces systèmes éducatifs sont destinés à la
formation des fonctionnaires dont a besoin l’administration des gouvernements de ces
pays. Ainsi le scribe (sesh) en Egypte ; le mandarin, en Chine ; le sôpher, chez les
Hébreux ; le dubsar en Mésopotamie.

Quant aux Grecs, ils pratiquaient diverses formes d’éducation, de paidea. Ils lui
reconnaissaient une grande importance et en faisaient un objet privilégié de réflexion.
Platon sera à l’origine d’une théorie de l’éducation extraordinairement féconde et
influente : il s’agit d’une éducation libérale, ambitieuse synthèse de positions
épistémologiques, politiques, anthropologiques et normatives. C’est elle – reprise,
remodelée, débattue – que la Grèce lègue à l’Occident, à travers la civilisation romaine,
puis la civilisation médiévale. Mais l’œuvre de Platon est la résultante de nombreuses
influences dont Homère (fin VIIIe siècle avant J.-C), les cités-Etats (Sparte et Athènes),
les sophistes et Socrate.

1. Homère et l’éducation
Homère décrit une civilisation dans laquelle une classe aristocratique de guerriers-
citoyens règne sur une classe de paysans. L’éducation de ces paysans est très sommaire :
apprentissage du métier paternel pour les garçons et des activités maternelles pour les
filles, intériorisation des normes sociales.

La classe des nobles aspire, quant à elle, à un idéal patriotique et militaire. On y valorise
le courage, l’habileté, l’endurance, l’exploit, et on promeut un certain idéal
« agonistique » de la vie, dans lequel la victoire, le combat, la compétition occupent une
place centrale. Mais, en même temps que ces valeurs, on aspire à un idéal de « courtoisie
chevaleresque » où priment l’honneur, l’obéissance et la droiture. Ce double idéal est
décrit en grec par l’expression kalos kagathos, qui signifie littéralement « bel et bon », et
ce terme sera constamment utilisé en Grèce antique pour décrire l’idéal éducationnel.

1
Chez Homère, l’éducation est transmise par l’exemple par un plus âgé à un plus jeune. La
gymnastique et l’athlétisme pour le corps, la musique et la poésie pour l’âme, sont alors
les moyens privilégiés de cultiver beauté et droiture.

Homère esquisse également les contours d’un autre concept qui nourrira la réflexion sur
l’éducation dans l’antiquité : celui d’arètè. Ce mot est souvent traduit en français par
vertu. Mais, il faut dire qu’il est dénué de la connotation moralisante qu’il prend souvent
en français. Il a plutôt, explique Baillargeon (2014), une connotation dynamique et il
renvoie à l’excellence (d’un être, d’une chose) et à son plein accomplissement.

On retrouve quelque chose de ces sens dans les emplois vieillis du mot vertu, on parle de
la vertu d’un médicament. L’éducation, la paidea, pour les Grecs, concerne au plus près
l’arètè de l’homme, et la définition, comme la pratique de l’éducation, engage une
réflexion sur la vertu. Ainsi, par la réflexion sur la vertu, la Grèce place résolument la
pédagogie dans la perspective axiologique et normative qui lui est indispensable.

Mais voici qu’émerge bientôt l’idée nouvelle de cité-Etat. Celle-ci s’incarne souvent
comme la réunion de personnes libres provenant indifféremment de la campagne ou de la
ville et décidant en groupe (dont sont exclus les femmes, les esclaves, les étrangers), et
selon diverses modalités, de l’orientation des affaires qui ont une incidence sur
l’ensemble de la collectivité ; ces décisions sont prises en suivant un corpus de lois connu
de tous. Cette idée s’imposa lentement à partir de 800 av. J.-C. et se réalisa de façon
particulière selon chaque cas.

L’éducation a pris elle aussi un grand nombre de formes dans les nombreuses cités
grecques qui sont alors fondées. On s’arrêtera ici sur deux modèles : Sparte et Athènes.

2. L’éducation à Sparte
La cité de Sparte est située dans une région du Péloponèse appelée Laconie. On l’appelait
« la dompteuse d’hommes » dans l’Antiquité, et l’adjectif « spartiate » signifie toujours
en français quelque chose de cette austérité et de cette rigueur pratiquée à Sparte,
notamment en éducation.

A la suite de victoires et de conquêtes militaires, Sparte a fini par réduire en esclavage


une part des populations environnantes, les Grecs ioniens. Elle a aussi soumis, mais sans
en faire des esclaves ni les traiter avec la même dureté, les populations d’origine

2
dorienne. Les Spartiates sont eux aussi des Doriens, venus du Nord de la Grèce ; ces
populations non asservies seront appelées les Périèques.

Nous sommes vers le VIIIe siècle av. J.-C., Sparte doit contrôler des populations
nombreuses que ce que la cité compte d’habitants. La solution à ce problème sera de
transformer toute la population de Sparte en une armée, de faire de chaque citoyen un
soldat.

La légende attribue à Lycurgue (IX-VIIIe siècle av. J.-C.) la définition des institutions et
la promulgation des lois de Sparte. La cité est une aristocratie d’égaux, qui seuls ont des
droits. Les Périèques peuvent exercer des métiers, mais au bénéfice des Egaux, tandis que
les esclaves, appelés Hilotes, sont condamnés à une brutale servitude et forcés de cultiver
des lots équivalents tirés au sort – appelés kléros – et que l’Etat met à la disposition de ses
citoyens.

A Sparte, l’éducation est la responsabilité d’un paidonomos ou pédonome. On y pratique


l’eugénisme ; on encourage la procréation hors mariage si elle peut favoriser la naissance
d’enfants plus forts ou plus sains ; on élimine tous les nouveau-nés difformes ou de
mauvaise santé : garçons et filles sont élevés ensemble par les femmes jusqu’à l’âge de
sept ans, et ils vivent déjà sous un régime strict et dur. A sept ans commence la formation,
celle des garçons pour la vie civique et militaire, et celle des filles pour le rôle de mère.

Cette éducation appelée agogè (littéralement « dressage ») se poursuit jusqu’à l’âge de


vingt ans et elle est dispensée exclusivement par l’Etat. Les garçons vivent constamment
ensemble ; ils sont confiés à des surveillants plus âgés qui les élèvent durement et les
soumettent à un régime de fer : ces enfants marchent pieds nus, n’ont qu’un vêtement par
année, mangent peu et sont maintenus sous une surveillance de tous les instants.

A Sparte, il n’est pas interdit de voler, mais c’est une grande honte que d’être surpris à le
faire. On pratique évidemment des exercices physiques – mais sans viser à prendre part
aux compétions sportives – ainsi que des exercices militaires et le maniement des armes.
Les jeunes gens participent aussi à la Krypteia, qui consiste en expéditions nocturnes
destinées à terrifier – et parfois tuer – des Hilotes. Les enfants apprennent à chanter et à
danser en mesure, ces activités jouant un rôle important dans les fêtes de la Cité, mais la
formation qu’on appelait intellectuelle était très minime. Devenu soldat à vingt ans, le
Spartiate le reste jusqu’à soixante. A trente ans, il doit se marier. L’éducation de sa
femme aura également été rude.

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Sparte rompt avec le modèle éducatif homérique au moins en deux points. Le premier est
que l’éducation n’y est plus centrée sur l’individu et ses accomplissements, mais sur la
polis, sur la communauté, dont seul compte le succès. Le deuxième est que cette
éducation ne s’inscrit plus dans un rapport interindividuel ; elle est plutôt confiée à un
système, celui de la cité, qui prend l’individu en charge à ses propres fins.

Par ces deux traits, l’indispensable dimension politique de la pédagogie est mise en
évidence. Cette composante sera incorporée à la théorie éducative de Platon.

2. L’éducation à Athènes

Fondée entre le VIIIe et le VIIe siècle av. J.-C., la cité est dotée par Solon (640-558 av. J-
C), en 594 av. J.-C., de lois et d’institutions démocratiques ayant pour but de garantir
l’égalité des citoyens et leur contrôle des affaires publiques.

La démocratie athénienne doit cependant être comprise au sens restreint de ce terme,


puisqu’elle ne concerne exclusivement que les hommes libres nés de père et de mère
athéniens. Cela représente environ 10% de la population de la cité.

Pourtant, c’est en cette période qu’Athènes vivra son âge d’or (Ve et IVe siècle av. J.-C.)
sur une toile de fond historique paradoxalement conflictuelle aussi bien à l’extérieur qu’à
l’intérieur.

Les avancées intellectuelles et culturelles accomplies sont notables, sur tous les plans et
dans toutes les sphères d’activités : le théâtre (Eschyle, Sophocle, Euripide) ; comédie
(Aristophane, Ménandre), poésie (Pindare) ; histoire (Hérodote, Thucydide, Xénophon) ;
littérature et rhétorique (Xénophon, Lysias, Isocrate), arts et architecture (Phidias) ;
sculpture (Myron, Polyclète) ; mais aussi sciences (mathématiques, astronomie) et bien
entendu philosophie).

Il y a d’abord eu, entre le VIe et le Ve siècle av. J.-C., l’apparition des penseurs, appelés
plus tard présocratiques, qui ont posé les jalons d’une formidable mutation intellectuelle.
Un nouveau rapport au monde s’élabore. Il tend à se fonder non plus sur le mythe, sur la
croyance ou sur l’opinion, mais sur la mesure, sur l’argument, sur le savoir. C’est un
rapport au monde inédit reposant sur le logos : le discours, la raison, la vérité. Athènes
devient le creuset d’accomplissement de ce « miracle grec ». La théorie de la
connaissance consiste à rendre compte du logos, à dire ce qu’est le savoir, comment il
s’obtient, d’en préciser la valeur et de justifier cette attribution.

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Tous ces bouleversements (démocratie, nouvel ordre intellectuel) vont profondément
transformer l’éducation athénienne.

Il y a certes un fil conducteur dans l’éducation athénienne qui réside dans la formation
d’un citoyen qui soit « bel et bon » en conformité avec l’idéal ancien du kalos kagathos.
En se l’appropriant, Athènes va le tendre dans des directions originales. C’est ainsi que
les exercices militaires ainsi que les visées essentiellement pratiques ou utilitaires vont
diminuer de façon drastique à partir du Ve siècle avant J.-C.

L’éducation du jeune athénien (celle des jeunes filles n’étant pas structurée) prévoyait à
sept ans l’enseignement du grammatiste, qui lui apprend à lire et à écrire ; à cela s’ajoute
des rudiments de géométrie. Puis il reçoit une éducation musicale donnée par un
cithariste : il apprend à jouer de la flûte et de la lyre, à chanter et à déclamer des vers en
s’accompagnant. Vers douze ou quatorze ans, l’enfant est confié au pédotribe : la
formation du corps donnée à la palestre par ce maître spécialisé est régulée par un idéal
d’harmonie et de beauté bien plus que par des motivations pratiques ou guerrières. Un
service militaire était enfin prévu pour couronner cette éducation : on lui donnait le nom
d’ « éphébie ». L’entrée à l’éphébie était conditionnée par un examen à l’entrée : Cet
examen portait sur la vérification de l’ascendance et sur l’âge des jeunes (dix-huit ans). A
l’issu de cet examen, les éphèbes devaient prêter serment de la manière suivante :

« Je ne déshonorerai pas mes armes sacrées et je n'abandonnerai pas mon voisin là où je serai
en rang ; je défendrai ce qui est sain et sacré, et ne remettrai pas à mes successeurs la patrie
amoindrie, mais plus grande et plus forte, agissant seul ou bien avec tous, j'obéirai à ceux qui,
tour à tour, gouvernent sagement, aux lois établies et à celles qui sagement seront établies. Si
quelqu'un entreprend de les détruire, je ne le laisserai pas faire, agissant seul ou bien avec tous,
et j'honorerai les cultes ancestraux. Que connaissent de ce serment, les dieux, Aglauros, Hestia,
Enyo,, Ényalos, Arès, et Athéna, Areia, Zeus, Thallô, Auxô, Hégémone, Héraclès, les bornes de la
patrie, lesblés, les orges, les vignes, les olives, les figues »1

Texte relevé sur une stèle du IVe siècle av. J.-C.


A l’issu de leur inscription, l’assemblée élisait trois parents (pères) de plus de quarante
ans par tribu pour diriger les éphèbes. Dans chaque groupe de trois, était choisi le
sophroniste de la tribu. Le cosmète, magistrat désigné à main levée parmi les citoyens de
plus de quarante ans, veille sur tous les éphèbes. « Le peuple nomme encore à main levée
deux paedotribes et des maîtres qui leur apprennent le maniement des armes pesantes, de

1
Bertrand, Jean-Marie, Inscriptions historiques grecques, Paris, Belles Lettres (col « Roue de livres »), 1992 cité
dans Wikipédia, consulté le 05/09/2018 à l’URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ph%C3%A8be

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l'arc, du javelot, et l'exercice de la catapulte. Chaque sophroniste reçoit pour sa nourriture
une drachme par jour; chaque éphèbe, quatre oboles. Le sophroniste, dans chaque tribu,
touche la solde de sa compagnie et se charge de pourvoir aux besoins de la table
commune (car les éphèbes prennent leur repas par tribu). Il doit aussi prendre sur la masse
pour subvenir à toutes les antres dépenses »2. Telle était l’occupation des éphèbes en
première année. En seconde année, après s’être exercé au théâtre devant le peuple
assemblé, les éphèbes recevaient chacun de la cité une lance et un bouclier pour le service
de la patrouille. Ils sont ensuite casernés dans les forts. A la fin de cette formation, les
éphèbes menaient la vie des autres citoyens.

Mais l’éphébie était aussi une institution qui a vu se développer des relations affectives
entre les adultes et les plus jeunes. C’est la pédérastie grecque, une composante de leur
pédagogie.

Par ailleurs, les dimensions militaires de l’éphébie vont peu à peu à s’estomper. Les
jeunes vont de plus en plus être occupés par les débats d’idées. C’est que la démocratie
athénienne naissante va demander de nouveaux savoirs et supposer l’acquisition de
nouvelles compétences. Pour combler cette demande, des professeurs d’un genre nouveau
vont proposer leur service : ce sont les sophistes.

3. Sophisme et éducation

Parmi les sophistes célèbres, la postérité a retenu entre autres, Hippias d’Elis (443, il était
toujours en vie en 399) Protagoras d’Abdère (485-420 av. J.-C), Gorgias de Léontium
(vers 480 av. J.-C, on lui prête plus de 108 ans de vie). Ils vont de cité en cité pour faire
commerce de leur art. Ils promettent contre forte rétribution, d’enseigner l’arètè.

Afin de se faire connaître et de recruter des élèves, ils donnent entre autres de
spectaculaires séances pour prouver leur savoir-faire, des séances publiques au cours
desquelles ils s’engagent à traiter n’importe quel sujet au choix de l’auditoire ! Ils
émerveillent le public par des jeux verbaux et logiques qui permettent, par exemple,
d’enferrer un adversaire et de le contraindre à se contredire ou à avouer qu’il ne sait plus
ce qu’il voulait dire. Leur enseignement avait donc pour but de convaincre et de séduire.
Ce sont là deux compétences très importantes pour l’avocat, le rhéteur, le politique et le
citoyen en général.

2
Aristote, La constitution d’Athènes, XLII

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Platon juge leur pratique indéfendable, moralement, parce qu’elle peut faire triompher
l’injuste, épistémologiquement parce qu’elle est relativiste et s’interdit de distinguer le
vrai du faux et donc de poser le problème de la connaissance.

Exemple les deux antilogies célèbres de Protagoras :

1. «L'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu'elles sont ; de celles
qui ne sont pas, du fait qu'elles ne sont pas.»

2. «Pour ce qui est des dieux, je ne peux savoir ni qu'ils sont ni qu'ils ne sont pas, ni quel est
leur aspect. Énormément de choses empêchent de le savoir : en premier lieu l'absence
d'indications à ce propos, ensuite la brièveté de la vie humaine. »

La première est rapportée et discutée par Platon dans son Théétète et la deuxième est
rapportée par Eusèbe de Césarée (vers 265-339) dans sa Préparation évangélique, XIV,
III,7.

4. Socrate et l’éducation

Socrate (469-399) tenu pour l’ancêtre de la philosophie occidentale par l’historiographie,


n’a pourtant rien écrit. Les sources non concordantes qui le concernent ne sont pas
nombreuses (Platon, Xénophon, Aristophane et quelques lignes d’autres auteurs). Il est
mis en scène par Platon dans la plupart de ses écrits. Il s’y dégage un portrait émouvant,
même s’il n’est pas forcément le plus fidèle au Socrate historique.

Déambulant sur les rues d’Athènes, Socrate interroge les prétendus experts sur leur sujet
d’expertise, entretenant avec eux un échange dialectique dans l’espoir de parvenir à une
définition du sujet (la justice, la beauté, la vertu…).

Socrate inscrit aussi au cœur de la philosophie le thème du rapport de la connaissance


avec la morale et celui de l’exigence du retour sur soi. « Connais-toi toi-même » est sa
devise, qu’il a lue sur le temple de l’oracle des Delphes. Les penseurs antérieurs s’étaient
préoccupés de la nature ; Socrate recentre la réflexion sur l’humain et le fait dans une
perspective et avec des visées opposées à celles des sophistes. On peut en ce sens parler
de renversement socratique. « Il ne mène pas une vie d’homme, celui qui ne s’interroge
pas sur lui-même », lui fait dire Platon. Pour Socrate, l’excellence humaine est liée à
l’exercice de cette vertu propre aux humains qui a sa source dans l’âme et qui permet de

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connaître le Bien, puis de le faire. Ce faisant, la réflexion de Socrate s’inscrit de manière
profonde, originale et radicale dans la réflexion grecque sur l’arété et inaugure également
une manière, historiquement fort influente, de penser et de pratiquer la philosophie, la
morale et l’éducation.

Socrate soutient en effet, les trois thèses suivantes : unité de la vertu – toutes les vertus
sont une en un certain sens ; identification de la vertu au savoir – la vertu est le savoir ;
paradoxe de la mal-ignorance – nul n’est méchant volontairement.

Ces thèses commandent une conception de l’éducation dans laquelle il n’y a pas, à
proprement parler, de transfert d’information d’un maître supposé à un disciple présumé,
mais bien une démarche par laquelle le disciple est invité à voir la vérité par et pour lui-
même en tournant son âme vers elle. Socrate peut ainsi légitimement affirmer : « Je n’ai
jamais été le maître de personne. » (Apologie, 33a).

Ces thèses tracent également comme seul horizon praticable à l’éducation, le dialogue par
lequel l’âme humaine peut se tourner vers la vérité et auquel absolument rien ne saurait se
substituer. Toute chose qui donne la possibilité à Platon d’élaborer sa théorie de
l’éducation.

5. PLATON ET LA VISION LIBERALE DE L’EDUCATION

Selon Platon (428-327), l’éducation est la mise en contact avec les savoirs qui ne sont
pas que de simples opinions, mais des opinions vraies et justifiées. Cette conception déploie
une épistémologie idéaliste.

L’idéalisme platonicien est la position philosophique qui assure que la vie est possible
parce qu’elle porte bien sur des idées ou des formes intelligibles, immuables et éternelles.
Au-delà du monde sensible, qui est celui de l’opinion (la doxa), il y a ainsi, selon Platon, un
autre monde, le monde intelligible, qui contient les objets sur lesquels porte le savoir
authentique (l’épistémè). Ce savoir porte sur ces idées et les réalités sensibles n’ont elles-
mêmes d’existence que par leur participation au monde des idées.

Les objets du monde sensible ne sont que l’ombre des idées, ils n’existent que par
participation à celles-ci et la connaissance authentique porte sur elles. Apprendre, de ce point
de vue, c’est se souvenir, et celui qui fait apprendre aide au fond à se rappeler. Tel est le sens
de la théorie de la réminiscence qu’illustre la célèbre interrogation d’un esclave, Menon par
Socrate, qui se rappelle ainsi guidé par des questions d’un certain théorème de géométrie. Tel

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est également le sens de cet art de poser ces questions, cette maïeutique qui est l’art
d’accoucher les esprits.

S’éduquer c’est, selon la puissante métaphore que Platon déploie dans La république,
¨échapper aux ténèbres de l’ignorance, de la doxa, des conventions et s’élever au savoir qui
libère de tout cela¨. Cette épistémologie a une autre importante dimension normative, éthique
cette fois. De la manière que le soleil permet aux objets du monde sensible d’être vus et
connus, et qu’il leur fournit ce qui rend possible leur existence, il y aura dans le monde des
idées, une idée suprême, laquelle joue ce rôle pour les autres idées, une idée inconditionnée,
leur soleil en quelque sorte, qui leur permet d’être et d’être connues. Platon l’appelle l’un-
bien et il pense que le fait d’accéder au savoir, d’être éduqué, est une forme de moralisation.
De plus, la capacité à être ainsi éduqué varie selon les individus. L’éducation sera distribuée
selon les capacités. Puisqu’elle débouche sur la moralisation et sur la contemplation des
idées, les mieux éduqués seront ceux et celles qui seront responsables de l’organisation de la
cité : ce qui est la fonction des philosophes-rois et reines. Platon dispense cette éducation
supérieure aux les hommes et aux les femmes. Elle amène à construire un être moralement
juste qui pourra alors s’épanouir dans la cité tout en participant à la moralité de celle-ci.

Plus concrètement, dans La République, Platon soutient qu’on ne peut éduquer qui
que ce soit sans préalablement fixer un télos à l’éducation. L’éducation suppose une fin. Chez
Platon cette finalité est double. Elle permet d’accéder aux essences, à l’Un-Bien. Elle doit
également « corriger et revitaliser le régime athénien en rendant possible la préservation, dans
la cité, de la justice ». Il en découle que l’action de l’Etat parfait chez Platon est éducative, un
Etat juste éduque à la vertu.

En se basant sur une observation anthropologique et une analyse comparée de la


société comme macrocosme et de l’âme comme microcosme, Platon établit que la nature et
l’éducation déterminent la formation de la concupiscence, de la colère ou de la raison. Par
nature, il entend l’ensemble des forces et tendances innées en l’homme. L’éducation quant à
elle désigne l’ensemble des « influences du milieu social, soit sous l’effet d’une culture ou
instruction, méthodique, soit sans culture et pour ainsi dire au hasard ».

La nature et l’éducation doivent coexister harmonieusement pour façonner l’homme


dans la vertu. La nature joue un rôle déterminant dans l’éducation : la capacité d’un homme à
faire de grandes choses en dépend : « mais jamais l’homme d’un naturel médiocre n’a de
grand effet sur personne, ni sur un particulier, ni sur une cité » (La République, Livre VI,

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495b). C’est pour la même raison que nul homme ne pourra être éduqué à la philosophie
« s’il n’est pas naturellement doué de mémoire, de facilité à apprendre, de grandeur d’âme, de
grâce, et s’il n’est ami et allié de la vérité, de la justice, de la bravoure, de la tempérance »
(Livre VI, 487a).

Il appert de là que la solution du problème politique, dans lequel s’inscrit l’éducation,


est nécessairement liée à la nature de l’homme : « la nature a fait les uns pour s’attacher à la
philosophie et commander… et les autres pour s’abstenir de philosopher et obéir à celui qui
commande » (Livre V, 474b-c).

Mais une excellente nature seule ne suffit pas. Il est nécessaire que la rencontre du
naturel excellent et de l’éducation qui lui convient rende possible l’accès à la vertu sous
toutes ses formes (Livre VI, 492a).

S’il faut que les hommes soient justes pour que la cité le soit, il faut bien que celle-ci
le soit pour que ces derniers soient à même de le devenir. L’Etat doit alors être construit sur
un modèle et que les philosophes deviennent rois ou les rois philosophes [Livre V, 473d].

En rappelant que la cité naît de la nécessité de satisfaire les besoins vitaux [Livre V,
473d], Platon rend nécessaire l’application du principe de la division du travail. C’est ainsi
que Platon distingue une première classe, celle des artisans et des marchands qui assurent la
nourriture et les vêtements…tandis que les soldats et les gardiens se chargeront de diriger la
cité. Ces classes correspondent aux fonctions fondamentales du politique : production,
sécurité et gouvernance.

En fait la tripartition de la cité correspond à la tripartition de l’âme et celle de l’Etat :


« il y a dans l’âme, les mêmes parties et en même quantité que dans la cité » (Livre IV,
441cd)

Classes Dispositions de l’âme Vertus


Artisans concupiscence tempérance
Guerriers colère courage
archontes intelligence sagesse

La justice consistant, chez l’individu, en un juste équilibre des différentes parties de


l’âme, de même « un Etat est juste en ce que chacun des trois ordres qui le structurent assure

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sa fonction » [Livre IV, 441d ; 432 b-c]. La justice est donc ici affaire d’harmonie et
d’équilibre.

Si la cité est ce que les citoyens en font, en retour les citoyens sont aussi ce que la cité
les fait être.

L’harmonie est la juste proportion d’un tout dont les parties s’accordent
convenablement [harmonia est fille de Mars, dieu de la guerre, et de Venus, déesse de
l’amour]. Seuls les hommes harmonieusement éduqués seront à même de sauvegarder la cité.

La politique éducative de Platon établit d’accorder le plus grand soin à l’éducation des
enfants car en toute chose le commencement est le plus important [Livre II, 377a]. Il
recommande de bannir de l’éducation des enfants, certaines fables tout justes bonnes à les
effrayer. Pour cela, les récits mythologiques doivent être soumis à la censure la plus stricte.

Le mythique est la contradiction même du philosophique. Les mythes sont menteurs,


mauvais et laids.

Les enfants sont influençables et vulnérables. Par conséquent, il faut corriger les récits
mythographiques (Livre III, 385-388]. Platon a en ligne de mire les poètes, surtout Hésiode et
Homère. Il faut d’une part « obliger » les poètes à composer des fables qui puissent favoriser
l’apprentissage de la vertu, et d’autre part, contrairement à Homère et Hésiode, enseigner la
bonté et la magnanimité exemplaire des dieux.

Cette vision libérale de l’éducation fournit un cadre suffisamment riche et souple pour
en tirer de nombreuses variantes. Nous allons étudier trois de ces variantes :

 Isocrate (vers 436-338 av J.C)


 L’épicurisme et le stoïcisme
 Le scepticisme
6. ISOCRATE (436-338)

Ami et rival de Platon, Isocrate est un jeune homme timide dont la voix était faible. Il
se détournera du champ de la politique active à laquelle il se destinait, pour exercer plutôt le
métier de logographe. Celui-ci consistait à rédiger pour un client ayant une cause au tribunal,
un plaidoyer convenable pour cette cause particulière et adapté au plaideur lui-même, lequel
prétendait en être l’auteur. Il fit ce travail pendant une douzaine d’années, puis vers 393, il
ouvrit à Athènes sa propre école de rhétorique, qu’il dirigea jusqu’à sa mort.

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Son école s’opposait autant à celle des sophistes, où de l’avis d’Isocrate, on accordait
une importance exagérée au vêtement verbal au détriment de la pensée, qu’à celle de Platon
et d’Aristote, qu’il jugeait trop métaphysique et trop peu soucieuse de l’efficacité pratique.

La vision de l’éducation que propose Isocrate est en effet pragmatique, au sens


courant et non philosophique. Elle s’articule autour du concept de politéian, par quoi, il
entend le politique, le religieux et l’économie. Ce mot désigne en fait la modalité particulière
de l’organisation de telle ou telle communauté politique en vue de la réalisation de la justice
dans la distribution des biens, des honneurs et des pouvoirs, selon les définitions que cette
communauté donne de chacun de ces termes. Le contenu de l’éducation est donc subordonné
à la forme de politeian en vigueur dans la société, il en est déduit. Si cette perspective nous
rappelle certains thèmes de la sophistique, Isocrate n’a eu de cesse de s’en démarquer.

Dans Contre les sophistes, il dénonce leur mercantilisme, leur prétention exagérée et
infondée, leur mépris du savoir et de la vérité. Isocrate pense que l’éducation dans une cité
démocratique doit permettre que soient satisfaites les conditions d’un débat raisonnable entre
citoyens et par là, contribuer à assurer la pérennité de sa politeian. C’est la rhétorique telle
que la conçoit Isocrate qui est au cœur de cette éducation. C’est elle qui permet la formation
intellectuelle morale de l’homme et du citoyen, l’éloquence et la maitrise du langage étant la
conséquence d’une formation intellectuelle complète :

« Pour les autres qualités que nous avons, nous ne différons en rien des animaux, mais
nous sommes inférieurs à beaucoup d’entre eux par la rapidité, par la force et par les autres
facultés ; mais quand il nous fut donné de persuader les uns et les autres, et de nous donner à
nous-mêmes les autres indications au sujet de ce que nous voulons, non seulement nous nous
éloignâmes de la vie sauvage, mais encore, nous étant réunis, nous fondâmes des cités, nous
établîmes des lois, nous découvrîmes des arts et c’est la parole qui prépara presque tout ce
que nous avons fabriqué, c’est elle en effet qui a établi des lois au sujet du juste et de
l’injuste, du bien et du mal, sans l’institution desquelles nous ne serions pas capables de vivre
les uns avec les autres ; et c’est par elle que nous confondons les mauvais et louons les bons ;
c’est grâce à elle que nous éduquons les ignorants et que nous approuvons des hommes
sensés ; en effet, d’une parole honnête nous faisons le signe le plus évident d’une bonne
pensée, et un discours vrai, correct et juste est l’image d’un esprit bon et digne de
confiance. » (Isocrate, Sur l’échange, 253-255)

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Isocrate se distingue également de la pensée de Platon. Pour ce dernier, la philosophie
était le couronnement des études ; on ne l’abordait que dans l’enseignement supérieur,
réservé à une élite. Isocrate la relègue sous le nom d’éristique, c’est-à-dire d’art de
discussion, à ce qu’on appellerait l’enseignement secondaire. Il souhaite que l’on dispense cet
enseignement à tous, comme celui des sciences, mais seulement à titre de propédeutique au
véritable enseignement supérieur qui sera consacré à l’art oratoire enseigné avec un constant
souci d’efficacité pratique. Ces disciplines ont leur intérêt, mais il n’est moindre que ce que
prétendent zélateur et plus grand que ce que soutiennent leurs adversaires. Isocrate écrit :

« A mon avis, les princes de l’éristique et les professionnels de l’astronomie, de la


géométrie et des autres sciences du même ordre, ne font pas du mal, mais du bien à leurs
élèves, moins qu’ils ne le promettent, mais plus que ne le croient les gens. En effet, la plupart
des hommes pensent que les sciences de cet ordre ne sont que bavardage et futilité […] Pour
moi, sans adopter cette opinion, je ne m’en écarte pas absolument ; ceux qui jugent cette
étude inutile pour l’action, me paraissent raisonner juste ; et ceux qui en font l’éloge me
semblent être dans le vrai. Si j’emploie des termes contradictoires, c’est que ces sciences sont
aussi d’une nature contraire aux autres matières que l’on nous enseigne. Ces dernières
doivent naturellement nous être utiles une fois que nous en avons acquis la connaissance ; les
premières au contraire ne peuvent faire nul bien à ceux qui les ont approfondies, à moins
qu’ils ne veuillent en vivre, et c’est pendant qu’on les apprend qu’on en profite. » (Isocrate,
Sur l’échange, 261-269)

Terminons par un mot sur la rhétorique, cet art de la parole et de l’écriture, telle
qu’elle est codifiée, enseignée et pratiquée dans le temps. Voici les articulations :

 L’inventio : inventaire des matériaux à utiliser


 La dispositio : leur disposition logique
 L’elocutio : adaptation du style en fonction des destinataires et recherche de
figures de style appropriées
 La memoria : la mémorisation
 La pronuntiatio : rendu part gestes, intonation, silence.
7. L’épicurisme, le stoïcisme et l’éducation

L’épicurisme (Epicure, 341-270 av J-C) met de l’avant une conception matérialiste de


l’univers, d’où la compréhension se déclinant en physique, en épistémologie, en logique, doit
libérer des peurs à commencer par celle de la mort et celle des dieux et de la recherche

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inconsidérée des plaisirs vains et non naturels, impossibles à satisfaire : ces savoirs doivent
procurer chez celui qui les acquière cette tranquillité appelée « ataraxie » vers laquelle tend
tout système.

Il en résulte une vision intellectualiste de l’éducation et de ses effets. Elle est également très
individualiste et semble exclure toute préoccupation pour le politique. Mais, c’est un
individualisme tempéré par l’idée d’une réunion élective de semblables. Tel est le sens de
l’amitié (la philia) épicurienne : « parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la
félicité de la vie toute entière, de beaucoup, la plus importante est celle de l’amitié. »

Le stoïcisme, fondé par Zénon de cittium (335-263 av J-C) aura d’illustres représentants à
Rome parmi lesquels un esclave, Epictète (50-125 ap J-C) et un empereur Marc-Aurèle (121-
180 ap J-C). La doctrine doit son nom à un portique d’Athènes sous lequel se réunissaient les
premiers stoïciens.

Le stoïcisme propose lui aussi une philosophie débouchant sur cet état de sagesse et de
tranquillité, l’ataraxie. Il accorde ainsi une grande importance à la raison, laquelle permet de
connaitre l’ordre du monde, de la nature, et de s’y soumettre sans se laisser troubler par ses
émotions et ses passions, amenant à distinguer ce qui dépend de soi et ce qui n’en dépend
pas. Sur le plan politique, les stoïciens inventent et exaltent le cosmopolitisme. Ce mot
semble avoir été créé par Diogène le cynique (IV e siècle av J-C), qui répondait à qui lui
demandait, qu’il était citoyen du monde (Kosmopolitès). Le cosmopolitisme stoïcien est
l’idée d’une commune humanité à laquelle par-delà nos allégeances particulières, nous
appartenons tous, en vertu de l’usage de la raison, le cosmos étant alors considéré comme une
sorte de grande cité. Epictète écrit alors « tu réunis en toi des qualités qui demandent chacune
des devoirs qu’il faut remplir. Tu es homme : tu es citoyen du monde ; tu es fils des dieux, tu
es le frère de tous les hommes. Après cela tu es sénateur ou dans quelque autre dignité ; du es
jeune ou vieux, tu es fils, tu es père, tu es mari. Pense à quoi tous ces titres t’engagent et
tâches de n’en déshonorer aucun. » (Entretien, livre 2,25)

Et Marc-Aurèle : « De même que, dans les êtres individuels, les membres du corps ont entre
eux une certaine relation ; de même, les êtres raisonnables ont malgré leur isolement, un
rapport analogue, parce qu’ils sont faits pour coopérer à un seul et même but. Cette pensée
acquerra dans ton âme d’autant plus de poids que tu te diras à toi-même : « je suis un membre
de la famille des êtres raisonnables. » » (Pensée raisonnable, VII, A3)

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On devine la postérité de cette idée et l’idéal qu’elle porte en puissance. A l’époque romaine,
Epictète écrira ; « tu es citoyen du monde et fais partie de ce monde, non pas une des parties
subordonnées, mais une des parties dominantes car tu es capable de comprendre le
gouvernement divin et de réfléchir à ces conséquences. Or, de quoi fait profession le
citoyen ? De n’avoir aucun intérêt personnel, de ne jamais délibérer comme s’il était isolé. »
(Entretien, livre 2, 10)

8. Le scepticisme et l’éducation

Le scepticisme est une école de pensée dont la paternité de la fondation est généralement
attribuée à Pyrrhon d’Elis (365-275 av J-C). Ces disciples célèbres reconnus sont Philon
d’Athènes, et Timon de Philonte. La vie de Pyrrhon n’est pas très connue des historiographes.
Sa doctrine elle, est connue à travers les hypotyposes (figure de style consistant à décrire une
scène de manière frappante, qu’on croit la vivre) ou des Esquisses pyrrhoniennes de Sextus
Empiricus (200-250). Un autre philosophe, Aristoclès, selon le témoignage de Marcel Conche
(Pyrrhon ou l’apparence, PUF, 1994, 328 p), résume la doctrine de Pyrrhon en ces
termes : « Pyrrhon d’Elis n’a laissé aucun écrit mais Timon son disciple dit que celui qui veut
heureux doit considérer ces trois points. Premièrement, quelle est la véritable nature des
choses (ou que sont les choses les choses en elles-mêmes) ? Deuxièmement, quelle doit être
notre disposition d’âme, relativement à elles. Enfin, que résultera-t-il pour nous de ces
dispositions ? Les choses sont toutes sans différence entre elles, également incertaines et
indiscernables. Aussi, nos sensations et nos jugements ne nous apprennent-ils ni le vrai ni le
faux. Par la suite, nous ne devons-nous fier ni aux sens ni à la raison, mais demeurer sans
opinion, sans incliner ni d’un côté ni de l’autre, impassible. Quelle que soit la chose dont il
s’agisse, nous dirons qu’il faut l’affirmer et la nier à la fois, ou bien qu’il ne faut ni l’affirmer,
ni la nier. Si nous sommes dans ces dispositions, dit Timon, nous atteindrons d’abord
l’aphasie. C’est-à-dire que nous n’affirmerons rien-puis l’ataraxie (c’est-à-dire que nous ne
connaitrons aucun trouble). » (Cf. Wikipédia)

Cet enseignement a donné lieu à plusieurs développements et formulations qui échappaient à


son fondateur. Les hypotyposes rassemblent dix-sept tropes de cet enseignement.

S’agissant de l’enseignement, le scepticisme s’efforce de montrer qu’on ne peut savoir si


quelque chose peut s’enseigner s’il y a un maitre et un disciple ; s’il y a ou non un mode
d’instruction et même un art de vivre qui ferait l’objet d’un enseignement. Nous nous

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arrêterons ici sur deux passages des hypotyposes. Le premier questionne la possibilité
d’enseigner :

« La matière enseignée est évidente et obscure. Si elle est évidente, elle n’aura pas besoin
d’enseignement car l’évident apparaît également à tous. Si elle est obscure, puisque l’obscure
est insaisissable en raison d’un désaccord irréductible à ce sujet comme nous l’avons souvent
fait voir, elle ne pourra être enseignée ; comment pourrait-on enseigner ou apprendre ce que
l’on ne saisit pas ? Si la matière enseignée n’est ni évidente, ni obscure, rien n’est enseigné.
La matière enseignée est corporelle ou incorporelle ; l’une et l’autre qui est soit évidente soit
obscure, ne peut être enseignée comme nous l’avons dit un peu plus haut. Rien n’est donc
enseigné. »

Le deuxième tend à déterminer s’il y a un mode d’instruction : « la méthode d’enseignement


c’est l’évidence ou le discours […] L’enseignement ne se fait pas par évidence puisque
l’évidence appartient à ce qui se montre. Ce qui se montre est évident à tous ; ce qui est
évident, par son évidence, peut être compris de tous ; ce qui peut être compris de tous en
général ne peut être enseigné ; donc on ne peut rien enseigner par l’évidence. Toutefois, on
n’enseigne rien par le discours. Celui-ci signifie quelque chose ou ne signifie rien. S’il ne
signifie rien, il n’est pas apte à enseigner, s’il signifie quelque chose, c’est par nature ou par
convention. Sa signification n’est pas naturelle parce que tous ce qui écoute ne comprennent
pas tous ceux qui parlent, par exemple, les grecs ne comprennent pas les barbares et les
barbares les grecs. Si sa signification est conventionnelle, évidemment ceux qui ont saisi
d’avance ce qui a reçu une dénomination le conservent, non pas parce qu’elle leur apprendra
ce qu’ils ignoraient, mais parce qu’ils se rappellent ce qu’ils savaient et en renouvellent le
souvenir. Mais ceux qui désirent appendre ce qu’ils ignorent, faute de savoir ce qui a reçu une
dénomination, ne pourront rien concevoir. Par conséquent, il ne pourrait y avoir de méthode
d’enseignement. »

9. L’enseignement à Rome

Fondée selon la légende par Romulus, en 753 av J-C, Rome est d’abord une cité
d’agriculteur. L’éducation ici est essentiellement conservatrice. Elle est donnée dans la
famille et y est résolument inscrite dans les mores majorum, les coutumes ancestrales, qu’il
s’agit de transmettre. Elle est largement centrée sur le paterfamilias et elle ambitionne des
vertus au premier rang desquelles la pietas qui est une dévotion envers les dieux, l’état, la
tradition, la famille ; la gravitas, faite de gravité, mais aussi de solennité, de dignité et de sens

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de responsabilité. En 509 av J-C, Rome devient une République et en 200 av J-C, des écoles
y apparaissent. Cette époque est aussi celle de la conquête de la Grèce (entre 200 et 168 av J-
C), et ce contact avec la civilisation grecque conduira bientôt à une certaine hellénisation de
Rome. Sa culture s’en trouvera marquée, y compris l’éducation, selon les paroles de Horace
restées célèbres : « la Grèce conquise conquit à son tour son farouche vainqueur. »

L’idéal pédagogique antique qu’incarne la rhétorique nous sera transmis et restera un élément
marquant de l’éducation telle que la concevra l’occident. Elle sera exemplairement
représentée par Cicéron (106-43 av J-C) et surtout par Quintilien (35-96 ap J-C)

Lorsqu’il s’écroule, l’empire romain a construit un vaste réseau d’écoles semées dans des
régions conquises, destinées entre autre à romaniser les populations locales. Ce réseau
disparaitra avec lui.

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Bibliographie

Athénée de Naucratis, Deipnosophiste ou le Banquet des sophistes

Kaspzyk, Dimitri, & Vendries, Christophe (2012). Spectacles et désordre à Alexandrie :


Dion de Pruse, Discours aux Alexandrins. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.

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