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CHAPITRE III : DE LA RENAISSANCE AUX LUMIERES

S’il est conventionnellement admis que la Renaissance commence avec la chute de


Constantinople en 1553, cette période semble débuter un siècle plus tôt en Italie. C’est
d’abord sous la forme d’un mouvement culturel au milieu du XVème siècle que la
Renaissance prend son envol en Italie. La Renaissance italienne se veut une réflexion sur
les arts classiques de l’Antiquité grecque et romaine avec un accent prononcé sur la
poésie, la sculpture et l’architecture. Elle dura deux cents ans avec trois principales
périodes : le Quattrocento (1420-1500), la haute Renaissance (1500-1520), le
Cinquecento (1520 vers 1600). Cette dernière période coïncide avec la généralisation du
mouvement à l’échelle européenne.

A l’échelle européenne, la Renaissance se saisit comme une réappropriation passionnée


de l’Antiquité avec des grandes découvertes, la diffusion du livre grâce à la technique de
l’imprimerie, apprise chez les Chinois, la mise en place des grands traits de la science
moderne – physique, mathématiques, biologie et médecine avec Nicolas Copernic (1473-
1543), Jérôme Cardan (1501-1576) et Ambroise Paré (1509-1590) etc. Tout cela
contribue à une restructuration des idées et des idéaux.

La Renaissance, ainsi que le XVIIe siècle qui lui succède en réalisant la révolution
scientifique, constituent des moments de véritable mutation culturelle qui s’incarneront
durablement en éducation.

Bon nombre d’intellectuels et d’artistes de l’époque ont d’ailleurs pleinement conscience


de cette mutation et se situent volontiers dans la continuité rétablie avec une Antiquité
idéalisée. Erasme 1469-1536) écrira : « Le monde se ressaisit, comme s’il se réveillait
d’un sommeil » (cité par Baillargeon, 2014, p. 65). C’est dans ce large contexte que
naîtront l’humanisme, la Réforme protestante, la Contre-réforme Catholique (avec les
ordres religieux éducateurs) et des auteurs novateurs tels François Rabelais (vers 1494-
vers 1553, Michel de Montaigne (1533-1592), Jean Amos Coménius (1592-1670).

3.1. L’humanisme

L’humanisme est un mouvement qui constitue le thème normatif et axiologique à partir


duquel se comprend au mieux l’apport durable et fécond de la Renaissance à l’idée
d’éducation.

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L’humanisme tire son nom de l’expression latine studia humanitatis, qui signifie « étude
de l’humanité ». Au cœur de l’humanisme se place en effet cette idée d’une dignité de
l’homme et d’une importance centrale accordée à ses facultés, à ses intérêts, à ses
préoccupations, à son bien-être général. Cette nouvelle perspective normative commande
une axiologie qui influence profondément l’idée qu’on se fera de l’éducation.

La nouvelle éducation que la Renaissance s’efforce de mettre en place veut respecter cette
humanité et contribuer à la faire advenir au plus haut point. Rien d’étonnant, dès lors, à ce
que la Renaissance voie se multiplier ces écoles humanistes, concurrentes des universités
scolastiques et dont le dessein est de promouvoir cette nouvelle éducation.

Le plus souvent, les humanistes se sont opposés fortement à la discipline traditionnelle et


à ses excès, à commencer par les coups portés aux enfants : « ce ne sont pas des
éducateurs de la jeunesse, mais des bourreaux et des bouchers », dira Erasme en
condamnant les maîtres qui y ont recours. La nouvelle éducation tendra plutôt à
préconiser la douceur, les jeux, et cherchera à se doter de moyens qui préfigurent ceux
des méthodes actives.

Mais l’humanisme va encore puiser son inspiration et ses modèles aux sources de
l’Antiquité, d’où l’importance centrale accordée aux langues anciennes (latin, grec,
hébreu) et, plus largement encore, à la langue et aux mots. Verum prior, rerum potior, dit
Erasme, c’est-à-dire : si la connaissance des choses est importante, celle des mots doit
précéder. Cette importance accordée à la langue se manifestera par la multiplication des
traductions, commentaires et études de toutes sortes consacrées aux œuvres anciennes,
ainsi que par la préparation de « manuels » ou de morceaux choisis destinés aux élèves.
Erasme sera un acteur de premier plan dans cette importante activité éditoriale et
pédagogique.

S’il rejette le plus souvent le Reductio atium ad theologicam, c’est-à-dire le fait de tout
ramener à la théologie, et s’il est typiquement critique de l’Eglise institutionnelle et de ses
excès, l’humanisme n’est pourtant pas antireligieux. Il demeure même le plus souvent
profondément religieux, percevant dans l’Antiquité une propédeutique à la foi. On
remarque même une tendance de conciliation de l’humanisme et de la foi. On note
cependant des nuances qui conduiront certains croyants aux portes du scepticisme, du
déisme, voire de l’agnosticisme.

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3.1.1. François Rabelais (vers 1494 – vers 1553)

François Rabelais, connu également sous le pseudonyme Alcofribas Nasier, est né aux
environs de 1494 à Seuilly près de Chinon en Touraine. Ecrivain, chrétien (clerc, moine
passé dans plusieurs abbayes et couvents, dont les Franciscains et les Bénédictins, puis
prêtre séculier), médecin et humaniste, François Rabelais est une personnalité
paradoxale aux multiples casquettes. En 1532, il édite les Aphorismes du médecin grec
Hippocrate. La même année paraît Pantagruel. En 1534, il publie Gargantua. Si
Pantagruel connut un grand succès, avec Gargantua, les critiques et les condamnations
sont si nombreuses que Rabelais fut contraint de se cacher au point de perdre toute trace
de lui. Il mourra vers 1553-1554.

Pantagruel s’inspire des livrets populaires de son époque qui racontent les histoires des
géants. Mais, Rabelais donne au genre une profondeur si étonnante que ses récits ont
finalement bien peu à voir avec les modèles originaux.

Les géants de Rabelais symbolisent les capacités de l’être humain, son potentiel.
Autrement dit, ils incarnent toutes les promesses que l’humanisme place alors en lui. Cet
artifice littéraire permet en outre à Rabelais d’exposer ses idées sur son époque et de
prendre position sur les enjeux qui la singularisent, parmi lesquels l’éducation.

Rabelais critique l’ancienne éducation parce qu’elle ignore la vraie nature de l’enfant.
C’est une éducation artificielle et qui en reste aux mots ; elle surcharge inutilement la
mémoire et elle ne fait appel ni au jugement ni à l’intelligence ; elle épuise les forces de
l’élève en le rivant à des lectures insipides et à des exercices scolaires idiots. Au final,
celui qui a subi cette éducation en ressort abêti, l’esprit engourdi et hébété.

La nouvelle éducation que Rabelais propose est une éducation humaniste. Sa racine est
une profonde confiance en l’homme et en la raison, une certaine idée de l’enfance, du
respect qui est dû à cet âge. Rabelais se fait le défenseur des méthodes attrayantes, des
« leçons de choses » (object teaching, object lesson), des classes-promenade, les
conversations et les entretiens. C’est en jouant que Gargantua apprendra l’arithmétique,
c’est en herborisant et en observant qu’il étudiera la nature. Il visitera des ateliers
d’artisans, s’instruira partout om il le peut et ne négligera rien.

3.1.2. Michel de Montaigne (1533-1592)

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Après avoir exercé pendant treize ans comme conseiller à la cour de Périgueux,
Montaigne se retire se retire pour se consacrer à l’administration de ses terres et à
l’écriture de ses Essais, dont une partie traite de l’éducation.

Montaigne puise largement dans sa propre expérience pour forger cette nouvelle image de
l’enfance et dégager les conséquences pédagogiques. C’est que, comme il le raconte dans
Les Essais, il a reçu sa première éducation d’un père partisan de la liberté et de la
douceur, qui a souhaité que son fils soit tenu à l’abri des rigueurs qui caractérisent trop
souvent les méthodes pédagogiques d’alors, une attitude qui n’exclut pas cependant la
fermeté et n’implique aucunement la complaisance. Montaigne parlera de « sévère
douceur » pour décrire cette attitude lorsqu’il la préconisera à son tour.

Riche en souvenir de sa propre éducation, Montaigne va préconiser des méthodes


nouvelles adaptées aux finalités qu’il fait siennes, mais aussi aux exigences inhérentes à
une certaine vision de l’enfance. Sa pédagogie mise sur l’activité de l’élève, que le
précepteur doit « laisser parler à son tour » et « faire trotter devant lui pour juger de son
train ». Loin de la verbosité qu’il déplore, loin de l’éducation purement livresque qu’il
refuse lui aussi, l’éducation qu’envisage Montaigne sera pratique, à la fois dans ses
méthodes et dans ses fins, au nombre desquelles, il faut compter l’apprentissage de la vie
et de la mort.

Comme Rabelais, Montaigne fait place à la fréquentation des hommes, aux voyages, à
l’observation des choses, à tous ces moyens qui invitent à l’exercice du jugement et
permettent de faire émerger les capacités humaines chez l’enfant en le plongeant dans
l’humanité.

Montaigne s’insurge contre les pédants et assigne à l’éducation la dure exigence de


penser par soi-même. Par pédants, Montaigne entend des gens dont le rapport au savoir
les laisserait en plus mauvaise posture encore que s’ils étaient ignorants, n’ayant rien tiré
de lui que l’apparat, faute de l’avoir réellement assimilé (Voir Livre I des Essais, chapitre
XXIV).

Le problème qu’il décèle avec le pédantisme est formulé sous forme d’énigme : « d’où
vient qu’une âme riche de la connaissance de tant de choses n’en devienne pas plus vive
et plus éveillée, et qu’un esprit grossier et vulgaire puisse loger en soi, sans s’amender, les
discours et les jugements de plus excellents esprits que le monde ait porté, j’en suis
encore en doute » (De l’institution des enfants, Livre I, Chapitre XXV). Montaigne

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propose comme solution : assigner à la formation du jugement une place prépondérante
parmi les fins de l’instruction des enfants : une tête bien faite :

« Qu’il [le précepteur] ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais
du sens et de la substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de
sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent
visages et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien
fait sien, prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes de Platon. C’est
témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée.
L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on
lui avait donné à cuire. […] Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine et ne loge rien en sa
tête par simple autorité et à crédit ; les principes d’Aristote ne lui soient principes, non
plus que ceux des stoïciens ou épicuriens. Qu’on lui propose cette diversité de
jugements : il choisira s’il peut, sinon, il en demeurera en doute ».

3.2. La Réforme protestante

La Réforme s’annonce le 31 octobre 1517 alors que, sur les portes de la chapelle de
Wittenberg, un moine allemand du nom de Martin Luther placarde 95 propositions
(thèses) dénonçant le commerce des indulgences, par lesquelles l’Eglise accordait une
remise de peine au pécheur pardonné, qu’on pouvait même arracher à l’enfer ou au
purgatoire… Les concessions sont faites aux réformateurs, mais elles sont révoquées par
la diète de Spite (1529). Des princes allemands, ainsi que quelques villes, protestent
contre cette mesure : les réformés s’appelleront dès lors les protestants. La réforme se
répand d’abord en Allemagne, puis en France avec Jean Calvin (1509-1564), avant de
s’étendre en Europe, puis dans le Nouveau Monde.

Les principes de base du protestantisme sont formulés dans les nombreux écrits signés par
Luther ainsi que dans les Confessions d’Augsbourg (1530), rédigée par Philippe
Mélanchon : autorité souveraine de la Bible et exigence d’une relation sans intermédiaire
du croyant avec Dieu ; sacerdoce universel ; justification par la foi. La Bible protestante
exclut les livres dits deutérocanoniques considérés comme apocryphes. De plus, les
protestants avancent que la Bible est accessible à quiconque a la foi et est en mesure de la
lire. C’est notamment par ce biais que le protestantisme exercera une immense influence
sur l’éducation.

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En instituant comme sujet cet individu souverain entretenant avec Dieu une relation
personnelle, sans intermédiaire, puis en le rendant seul responsable d’une foi dont lui seul
est juge de l’authenticité, le protestantisme soulève cette question posée par Luther et y
répond par l’affirmative : « Ne serait-il pas raisonnable que chaque chrétien sût
l’Evangile à l’âge de neuf ou dix ans ? »

Il faut pour cela que les textes soient disponibles dans la langue vernaculaire et qu’on
apprenne à lire au plus grand nombre. Avec le protestantisme, c’est donc le principe
d’une éducation primaire universelle qui est posé, justifié par des fins religieuses.

Mais Luther va plus loin en demandant à l’Etat d’instituer des écoles publiques. Dès
1524, dans une célèbre lettre Aux magistrats de toutes les villes allemandes pour les
inviter à ouvrir et à entretenir des écoles chrétiennes, il justifie cette demande. Son
argumentaire est d’une importance historique. C’est au bras séculier qu’il en appelle pour
que l’éducation des enfants (filles et garçons) ne dépende plus exclusivement des parents.
Luther insiste encore sur les bienfaits que les cités tireront de l’éducation, allant bien au-
delà des seules considérations religieuses :

« C’est pourquoi, il appartient à l’autorité et au conseil d’apporter le plus grand soin à la


jeunesse. Car étant donné que les biens, l’honneur, les corps et les vies de toute la ville
sont confiés à leur administration, ils se montreraient infidèles devant Dieu et devant le
monde, s’ils ne recherchaient pas jour et nuit, et par tous les moyens, la prospérité et
l’amélioration de la ville. Or la prospérité d’une ville ne consiste pas uniquement dans le
fait qu’on amasse de grands trésors, qu’on bâtit de solides remparts et belles maisons,
qu’on fabrique beaucoup d’armes à feu et d’armures. Et même là où il y a une grande
provision de ces choses et que des fous furieux en disposent, le dommage est d’autant
plus grave et plus grand pour la ville en question. Pour une ville, ce qui représente, ce qui
représente la plus belle et la plus grande des prospérités, le salut et la force, c’est de
compter beaucoup de citoyens érudits, intelligents, honorables et bien éduqués qui
peuvent ensuite amasser, conserver et bien utiliser les trésors et tous les biens »1

3.3. La Contre-réforme Catholique : les Jésuites et la formation de l’élite politique

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Luther, Martin, Aux magistrats de toutes les villes allemandes pour les inviter à ouvrir et à entretenir des
écoles chrétiennes, in Œuvres, t. IV, Genève, Labor et fides, 1960, p. 102.

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