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DOCUMENTS, TRAVAUX ET COMMENTAIRES

L'éducation-et les conceptions pédagogiques au Moyen Age

De nombreux traités de pédagogie permettent de Dans les titres des traités de pédagogie du Moyen

1 montrer l'intérêt que les hommes et les femmes du


Moyen Age portaient à l'éducation des enfants. Entre
le XII• et le XV• siècle, les grands principes de la
pédagogie médiévale et humaniste privilégient la parole,
les conseils et l'exemple comme vecteurs principaux au
Age, les mots les plus souvent employés, en ancien
français et en latin, sont eruditio (faire sortir l'homme de
sa ruditas naturelle), regimen (notion qui comporte l'idée
d'autorité, de« gouvernement» dans l'action pédago-
gique), « instruction » (indique surtout une valeur in-
détriment des châtiments corporels. Ces derniers sont tellectuelleattribuéeàl'éducation)et« doctrine>> (terme
certes attestés mais toujours à utiliser avec modération qui se rapporte plus traditionnellement à une instruc-
et en dernière instance. Il s'agit surtout, d'un discours tion religieuse, un catéchisme).
pour l'éducation des garçons. Peu présentes dans ces
traités, les filles sont surtout à «garder>>, autre forme
d'éducation qui vise à leur enseigner ce qu'elles devront Les traités de pédagogies
faire dans leur vie maritale. La pédagogie humaniste de
la fin du Moyen Age, reprenant pour l'essentielles idées Le but n'est pas ici de faire un inventaire exhaustif
médiévales, insiste sur la nécessité de redécouvrir les mais de citer les quelques traités médiévaux qui ont
auteurs antiques, le plus fort souci du corps, marqué la pédagogie, d'indiquer aux lecteurs les prin-
l'apprentissage en groupe, et s'insurgeparfois contre les cipaux ouvrages ayant pour fonction de former les
pratiques qui visent à enseigner par la peur. jeunes- enfants ou adolescents- en s'adressant directe-
ment à eux ou, plus fréquemment, aux parents ou aux
éducateurs. Signalons qu'il existe également, pour l'épo-
Pendant très longtemps, à la suite des travaux de que médiévale, de nombreux ouvrages consacrés à la
Philippe Ariès, on a considéré que l'éducation et la formation des novices pour leur enseigner la bonne
pédagogie n'étaient pas un souci de l'époque conduite à tenir dans le monastère. Faute de place et
médiévale (•). Depuis, de nombreux travaux (voir parcequ'ils'agitd'untypedepédagogiequines'adresse
bibliographie) ont montré, au contraire, le grand intérêt pas aux laïcs, nous les avons écartés dans le cadre de
que les hommes et les femmes du Moyen Age ont porté cette étude. Les traités de pédagogie sont rédigés essen-
à l'enfant, l'entourant d'une profonde affection et tiellement par des clercs,longtemps les seuls à maîtriser
cherchant à l'éduquer avec le plus grand sérieux. Dans l'écrit, mais aussi, de plus en plus à mesure que l'on
la mesure où la documentation est beaucoup plus s'avance dans le Moyen Age, par des laïcs, ce qui
abondante pour la fin de l'époque médiévale, nous modifie sensiblement les conceptions.
proposons de centrer l'étude sur les XII•- xv• siècles, ce Le juriste Philippe de Novare écrit Des lill tenz d'aage
qui ne signifie pas, bien entendu, qu'avant cette période d'orne (Les Quatre âges de l'homme) vers 1260, ouvrage
le souci éducatif n'était pas également vif (Riché, 1962). dans lequel il consacre 31 chapitres à l'enfance et 61 à la
jeunesse. Gilles de Rome rédige, vers 1285,le De Regimine
principum, traduit très rapidement en français (Le Livre
Des mots pour le dire du Gouvernement des princes). L'auteur, l'un des plus
grands intellectuels du XIII• siècle, appartient aux or-
En ancien français, pas moins de cinquante termes dres mendiants (ermite de Saint-Augustin) ; il se fait
désignent le fait d'éduquer ou d'enseigner : alever, vite remarquer par l'entourage royal et Philippe III
amender, somondre, amonester, doctriner, reprendre, l'appelle pour diriger l'éducation de son fils, le futur
chastier, discipliner, monstrer, enseigner, endoctriner, Philippe le Bel. C'est pour l'instruction du jeune prince,
conduire, govemer... Cette richesse sémantique traduit âgé de 17 ans en 1285, que G. de Rome compose ce traité
une réalité quotidienne. En ancien français, le terme dans lequel il développe des idées aristotéliciennes
«éducation »ouleverbe« éduquer »n'apparaissentqu'au
XIV•siècleetdemeurentensuited'unemploiassezrare.En
(*) Arits Ph., L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Paris,
revanche, en latin, existe le terme eduCilre : (ex. duCilre), qui Plon, 1960, rééd., Point Seuil, 1973. L'auteur écrivait, en particulier, «la
signifie littéralement «conduire en dehors de», exercer civilisation médiévale avait oublié la païdeïa a'éducation, l'humanitas) des
une direction pour sortir d'un état jugé inférieur à celui Anciens et elle ignorait encore l'éducation des modernes. Tel était le fait
dans lequel on cherche à faire entrer une personne. essentiel, elle n'avait pas l'idée de l'éducation» (p. 463).

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(Aristote est redécouvert en Occident à partir de la fin sur la nature de la femme. Chez les pédagogues les plus
du XII" siècle). Le dominicain Vincent de Beauvais écrit influencés par Aristote, on constate un sexisme beaucoup
le De eruditione filiorum nobilium vers 1249, traduit en plus fort que chez les autres.
français à la fin du xw· siècle, également très influencé
par Aristote. Le Catalan Raymond Lulle, un laïc, com-
pose la Doctrina pueril (Doctrine d'enfant) entre 1278 et Une éducation par l'exemple et la parole
1283. On dispose également du Livre du Chevalier de l.Jl
Tour l.Jlndry pour l'enseignement de ses filles, écrit par un Tous les pédagogues insisten.t sur l'idée que ce l'on
homme issu de la petite noblesse aux confins du Poitou apprend en enfance marque durablement, s'imprime à
et de la Bretagne, vers 1371-1372, recueil de conseils jamais dans l'esprit des tout-petits. On aime à évoquer
donnés à ses filles sur les manières de se tenir en société, l'image de la cire molle où l'empreinte demeure à
l'éducation religieuse, les soins à apporter à leurs futurs jamais ou celle du pot, de l'amphore en citant les vers·.
enfants... d'Horace: <<L'amphore neuve conservera longtemps le
Au xv• siècle, de grands intellectuels français comme parfum dont elle aura été initialement imprégnée ».Berthold
le chancelier de 1'Université de Paris, Jean Gerson (1363- de Ratisbonne (XIII• siècle) explique, lui aussi, qu' << un
1429) ou Christine de Pizan (1364-1429) ont composé pot garde toujours l'odeur de ce qu'on a mis dedans en
des traités de pédagogie: le premier, le De parvulis ad premier. Çest pourquoi, continue-t-il, si on apprend d'abord
Clzristum ducendis (Guide de l'enfant à Jésus-Christ), le la vertu et la discipline, les enfants en gardent toujours
second, Les Enseignements moraux; Enfin, la fin de la quelque chose... ».Gaston Phébus, dans Le livre de la chasse
période médiévale est marquée par les écrits des péda- (1387-1388), écrif: <<ce qu'on apprend dans sa jeunesse, on.
gogues humanistes italiens. Citons, par exemple, Matteo le retient dans sa vieillesse». Il convient donc de montrer
Palmieri qui rédige la Vita Civile entre 1431 et 1438, à l'enfant des images édifiantes. Ainsi, au début du XN•
Giovanni Conversini le Rationarium vitae à la fin du siècle, le cardinal Giovani Dominici conseille aux parents
xw• siècle, ou encore Maffeo Vegio de Lodi le De de posséder, chez eux, de nombreuses images de saints
educatione liberorum et eorum claris moribus en 1444. et de saintes pour que leurs enfants puissent les
Pour l'ensemble de ces auteurs, l'éducation se pr~ contempler quotidiennement (encadré ci-dessous).
sente comme la victoire de la culture sur la nature. R. Lulle explique qu'il fa~t profiter de tous les instants
L'infantia (avant l'âge de sept ans) retient beaucoup duquotidienpourinculquerdebonsexemplesàl'enfant,
moins leur attention. L'enfant qui les intéresse est donc en particulier ceux qui permettent de retenir les
essentiellement le puer, celui qui possède <<l'âge de rudiments de la foi. Ainsi invite-t-il l'enfant à penser à
raison»,<< l'âge convenable», étape de la vie qui mar- l'enfer lorsqu'il regarde bouillir une poignée de fèves
que incontestablement, dans les conceptions pédagogi- ou de pois, image des damnés qui souffrent des peines
ques en tout cas, une rupture, le passage d'un monde où infernales. On sait, par ailleurs, que les enfants,
il faut plutôt laisser faire la nature à un monde où accompagnés de leurs parents, se rendent à l'église très
l'enseignement contraignant commence. jeunes et s'imprègnent des sculptures, bas-reliefs ou
Dans ces traités, les pédagogues donnent des conseils images représentant les scènes scripturaires. La mère
relatifs aux bonnes manières, à 1'éducation du corps, au joue ici un rôle tout à fait essentiel. Mais le père n'est pas
jeu, à la fOrmation intellectuelle, morale, professionnelle, en reste.
esthétique ou religieuse. Ils insistent également sur la Jean Gerson, au début du xv• siècle, rappelle un
nécessité de discipliner les sens, dès le plus jeune âge. souvenir qui montre à quel point l'exemple paternel l'a
Ces conseils s'adressent essentiellement au garçon, marqué dans son enfance: << Lorsque j'étais enfant (infans),
même si parfois quelques chapitres sont consacrés à mon père étendait ses bras sur la muraille, dans l'attitude du
l'éducation des jeunes filles. Mais, très souvent, lorsque crucifié en me disant: "Vois, mon fils, comment fut crucifié
les pédagogues évoquent l'éducation des filles, c'est et mourut ton Dieu qui t'a créé et racheté". Cet exemple, le
prétexte à disserter, de manière fortement misogyne, premier dont je garde le souvenir de mon jeune âge, resta

Images édifiantes à montrer aux enfants (1401-1403)

«II faut avoir à la maison des peintures de jeunes saints ou de jeunes vierges, où l'enfant, encore dans les langes,
se reconnaîtra et prendra du plaisir à se mirer( ... ). Il faut qu'il se mire dans le saint Baptiste, vêtu d'une peau de
chameau, petit enfant qui pénètre dans le désert, joue avec les oiseaux, suce la sève des plantes, dort à même le sol
(... ). II faut nourrir les petites filles du spectacle des onze mille vierges, avec leurs discours, leurs prières, leur
combat.J'aimerais qu'elles vissent Agnès et le mouton gras, Cécile couronnée de roses, Elisabeth couverte de roses,
Catherine sur sa roue.» (Giovani Dominici, Regola delgovemo di cura familiare, Florence, A. Garinei, 1860, p. 130).

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La colère d'une mère face à la sévérité d'un maitre (début du XII• siècle)

«Un jour,enclasse, j'avais été battu: classe qui n'étaitautrechosequ'unecertaine salle de notre demeure( ... ) j'étais
venu aux pieds de ma mère, après avoir été gravement battu, plus assurément que je ne l'eusse mérité. Elle se mit
à me demander, selon son habitude, si ce jour-là j'avais été frappé; et moi, pour ne point paraître dénoncer mon
précepteur, je niai catégoriquement. Alors, malgré moi, elle m'enleva mon vêtement de dessous (qu'on appelle
tunique,ou bien encore chemise),etelleputcontemplermes petits bras marqués de bleus, et la peau de mon pauvre
dos enflée un peu partout à la suite des coups de verges. Gémissant profondément à la vue de ces sévices infligés
à mon âge tendre, troublée, agitée, les yeux plein de larmes de tristesse, elle me dit: "Puisqu'il en est ainsi, tu ne
deviendras jamais clerc : tu n'auras plus de châtiment à subir pour apprendre le latin !" » (Guibert de Nogent,
Autobiographie, éd. E. R. Labande, Paris, Les Belles Lettres, 1981, pp. 39-41).

gravé dans mon âme, qui était un miroir encore propre, Il leur reproche d'être (( pervertis et incorrigibles » alors
et reste, dans la vieillesse et la sénilité, souvenir qui s'accroît qu'ils sont fouettés jour et nuit. Saint Anselme essaie de
à mesure que passent les années». lui prouver que ses méthodes n'ont aucune efficacité. Il
L'exemplarité, c'est aussi faire attention aux fré- lui dit : (( C'est parce qu'ils ne sentent en vous aucun amour,
quentations de ses enfants. Ainsi Matteo Palmieri, dans aucune pitié, aucune bienveillance ou douceur, parce qu'ils
la Vita Civile, écrit: « Le père doifdonc veiller à ce que ses n'espèrent pas voir venir de vous quelque chose de bon mais
camarades soient bien élevés, aient un langage châtié, soient qu'ils croient que tout ce que vous faites est provoqué par la
plus attirés par les bonnes manières que par les vices et la haine et la colère. Et il arrive malheureusement que lorsqu'ils
mollesse, car trop de douceur gâte souvent les enfants, et, grandissent, la haine et la défiance grandissent en eux et
devenus grands, ils continuent à rechercher les plaisirs dont qu'ils soient à jamais tournés vers les vices ».
leur enfance a été nourrie ».Au Moyen Age, l'exemplarité Les humanistes, eux aussi, condamnent les châti-
apparaît bien comme un mode de transmission essen- ments cruels. Selon Giovanni Conversini, pour bien
tiel des valeurs de parents à enfants. apprendre, l'affection est nécessaire entre le maître et
son élève. Il faut que règne entre eux (( une douce coexis-
tence», Maffeo Vegio de Lodi (1444) écrit, quant à lui :
Brutalité et douceur des pratiques (( C'est une erreur fréquente chez les parents que de croire
pédagogiques que les menaces et les coups apportent une grande contribu-
tion à l'éducation des enfants, alors que la peur qu'ils en
Battre son enfant est un procédé encouragé par éprouvent est si forte qu'ils auront du mal à la vaincre même
l'Ecriture dans un but salutaire : (( Ne ménage pas à adultes ».Il écrit aussi : (( Que les parents prennent garde à
l'enfant la co"ection, si tu le frappes de la baguette, il n'en ne corriger leurs enfants qu'avec les plus grandes précau-
mourra pas ! » (Proverbes 23 : 13). Philippe de Novare tions. Les réprimandes trop violentes et les coups rendent
écrit (( Ilfautfaire plier la verge quand elle est encore grêle et l'esprit servile ».Il écrit encore : (( Il faut louer de temps en
tendre ». Au début du XII• siècle, Guibert de Nogent temps l'enfant de ses mérites, ignorer le plus souvent ses
raconte la terrible colère de sa mère découvrant qu'il a erreurs, et ne le co"iger qu'avec douceur, en mêlant les
été sévèrement battu par son maître (encadré 2). Le louanges aux reproches».
châtiment corporel est un procédé éducatif utilisé éga-
lement par les parents, mais la très grande majorité des
L'éducation des filles
éducateurs conseillent d'y avoir recours en dernière
extrémité, lorsque les conseils n'ont pas été suivis, et ils
plaident pour une grande modération des coups. Ainsi, Dans les traités de pédagogie du Moyen Age, la
Guibert de Tournai, au milieu du XIII• siècle, reconnaît place réservée aux filles est bien faible. Lorsqu'il les
l'utilité du châtiment corporel mais en conseillant de évoque, à la fin de la partie sur l'enfance, Philippe de
l'utiliser lorsque l'exhortation n'a pas suffi. Il écrit: ((Il Novare (XIII" siècle) disserte en fait, avec une grande
existe trois manières de réprimander : "faire appel à l'intel- misogynie, sur les caractères spécifiques de la femme.
ligence, donner des ordres par des mots et co"iger par des Les recommandations des moralistes sur l'éducation
actes"''· des filles se confondent très souvent avec celles qui
L'idée, chère à Erasme (v. 1469, 1536) est déjà pré- s'adressent aux femmes, comme si celles-ci n'étaient
sente chez les pédagogues médiévaux : il faut se faire jamais majeures. Globalement, les pédagogues invitent
aimer de son élève pour qu'il apprenne. A la fin du XI• les parents à ((garder » la fille, à la protéger des dangers
siècle, un abbé particulièrement sévère et brutal se extérieurs jusqu'au mariage (qui marque souvent pour
plaint à saint Anselme des enfants élevés dans le cloître. elle le changement d'une dépendance à une autre), alors

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qu'ils prônent, pour les garçons, une pédagogie plus l'homme aux différentes étapes de sa vie ; il faut acqué-
active, plus ouverte sur le monde extérieur. Vincent de rir une bonne connaissance des besoins de chaque âge,
Beauvais, comme beaucoup d'autres éducateurs, cite la dit-il, pour que l'éducation soit plus efficace. D'où, un
célèbre phrase de l'Ecclésiastique (7, 22): «As-tu des fils ? débat connexe, celui de l'âge de l'entrée à l'école, débat
Fais leur éducation et fais leur plier l'échine dès l'enfance. que l'on ne trouvait pas ou peu auparavant : selon
As-tu des filles ? Veille sur leur corps et ne leur montre pas Maffeo Vegiode Lodi (1444), «Dès qu'ilsaurontseptans,
un visage rieur ».Philippe de Novare écrit:« Et la femme, ils seront confiés à un maître sans tarder davantage ».Selon
si elle est chaste de son corps, toutes ses autres fautes restent d'autres humanistes, cet âge dépend de la nature de
cachées(.. .) c'est pourquoi il ne convient pas de donner autant chaque enfant. Enea Silvio Piccolomini (futur pape
d'instruction aux filles qu'auxgarçons ».Les pédagogues, Pie Il), dans son épître au roi de Hongrie écrite à Vienne
à l'image du Chevalier de La Tour Landry (fin du XNe en février 1450 et qui constitue aussi un véritable traité
siècle), enseignent aux filles comment se protéger des d'éducation, en bon humaniste, va chercher les répon-
garçons jusqu'au mariage, tenir un foyer, coudre, filer, ses dans les écrits des auteurs antiques :il passe en revue
tisser et insistent sur l'obéissance qu'elles devront à leur les idées des Anciens concernant l'âge auquel il faut
mari. apprendre. Selon Quintilien, il n'existe pas de période
Faut-illeur apprendre à lire et à écrire ? Les pédago- sans instruction (elle doit commencer dès le berceau);
gues, sur ce point, ne sont pas tous d'accord. Vincent de mais il cite aussi Hésiode qui pense qu'il ne faut rien
Beauvais pense que c'est nécessaire. Il s'en explique:« Il faire avant six ans.
convient de les initier aux lettres, afin qu'appliquées assida- De nombreux humanistes sont également favora-
ment à cette honnête occupation, elles évitent les mauvaises bles à l'éducation et à l'instruction en groupe, à l'école
pensees et repoussent les voluptés de la chair et les vanités ». et non seul, avec un précepteur. Maffeo Vegio écrit :
En revanche, Philippe de Novare écrit: « On ne doit pas « Quand ils seront plus grands, ilfaudra les faire instruire au
apprendre aux jeunes filles à lire et à écrire à moins que ce ne sein d'un groupe, dans une école, et non pas à la maison, avec
soit pour devenir nonne>>. Car, continue-t-il, elles en un précepteur... ».
profiteront pour avoir un échange épistolaire avec leur Les pédagogues humanistes manifestent aussi un
amant. Même si le conseil est diamétralement opposé, plus grand souci du corps. Même si celui-ci n'est pas
le but recherché chez les deux pédagogues est le même absent des préoccupations des pédagogues des xne-
et rend compte toujours de la grande méfiance des xwe siècles, la place de l'exercice physique prend une
clercs vis-à-vis du sexe féminin : il faut garder la fille de grande importance dans la pédagogie humaniste : vers
son mauvais penchant naturel, son attirance pour les 1433-1434, Léon Battista Alberti Ul Libri della famiglia)
choses de l'amour. Les sources de la pratique indiquent écrit:« L'exercice peut beaucoup pour le corps, et encore plus
globalement que, dans la noblesse ou le patriciat urbain pour l'ame si nous veillons à le pratiquer avec raison ».Il faut
de la fin du Moyen Age, de très nombreuses filles savent que médecins et éducateurs collaborent, thème récur-
lire et écrire et ont une éducation et une instruction très rent du xve siècle, d'où de nombreuses métaphores
soignées. médicales. G. Conversini écrit:<< Ilfaut toujours adminis-
trer aux élèves des notions qui sont au-dessous de leurs
capacités : de même que l'estomac ne digère bien que si la
L'apport des humanistes quantité d'aliments absorbée est inférieure au niveau de sa-
tiété, de même la leçon donnée doit être inférieure à la capacité
Comme nous venons de le voir, avant l'essor de la d'apprendre. Une leçon claire et non pesante s'imprime avec
pédagogie humaniste, un grand souci éducatif existe. facilité dans l'esprit, une leçon compliquée et lourde rassa-
Cependant, les humanistes se montrent novateurs sur sie mais ne nourrit pas ... ».
un certain nombre de points, en particulier dans leur Mais nuançons ces nouveautés humanistes, car,
volonté de faire connaître à l'enfant (dans un milieu comme il existait des discours contradictoires au xne
somme toute, assez restreint) les textes et les langues siècle ou des pédagogues<< d'avant-garde», il y a des
antiques. <<réactionnaires» au xve siècle. Entre 1401 et 1403
Dans le domaine plus spécifique de l'éducation, les paraît la Regola del governo di cura familiare du domini-
humanistes sont particulièrement sensibles à établir cain et cardinal Giovani Dominici, violent pamphlet
des distinctions nettes entre les différents âges de l'en- contre la culture et l'éducation humanistes diffusées à
fance. On le voit chez Giovanni Conversini dans le Florence par le chancelier Coluccio Salutati. Pour le
Rationarium vitae (fin du xwe siècle) qui manifeste une cardinal, il faut avant tout que l'enfant soit un bon
conscience accrue de distinguer des étapes dans chrétien et qu'il ait devant lui des modèles : les saints
l'enfance et donc d'adapter le comportement et le dis- (encadré 1). Il s'insurge contre les trop beaux vêtements
coursdel'adulteàl'âge.G.Conversiniutiliseabondam- que les enfants portent, contre les lectures d'Ovide et de
ment Quintilien et Avicenne pour savoir ce qu'est Virgile qui attisent le désir charnel. Selon lui, rien ne

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DOCUMENTS, TRAVAUX ET COMMENTAIRES

vaut un bon psautier. aussi que, sous les traits d'un homme, il guette la nuit les
Enfin,leshurnanistesonttendanceàs'insurgercontre enfants au chevet de leur lit ... >>.
l'utilisation des croquemitaines dans les pratiques Certes, l'ensemble des conseils que nous venons de
pédagogiques - habitude qu'ils cherchent à ranger du décrire s'adressent presque tous à un milieu très
côté des usages« populaires » -à tou mer cette croyance privilégié, noblesse et patriciat urbain, et il est bien
en dérision, au nom de la raison. diffidle de savoir avec précision comment est éduqué
Maffeo Vegio de Lodi se fait le porte-parole de ce l'enfant du peuple. Cependant, on a pu dégager des
mouvement:« Il nefaut pas évoquer devant eux les sorcières, grandes tendances présentes dans les conceptions
dont une croyance récente du peuple raconte qu'elles viennent pédagogiques médiévales et ainsi montrer combien, au
tuer les petits enfants sous la forme de chats ... ». C'est MoyenAge,l'éducationdesenfantsestpriseencompte.
pourquoi, poursuit-il, il nefaut pas leur parler... d'Orcus qui
dévore les gens, ni de Sylvain qui se niche au plus haut du toit DilliuLdl
des maisons, ni des démogorgones, ni des fies, ni des déesses Agr~g~ d'Histoire, Maitre de conf~ renees en Histoire m~di~vale
de la vengeance, ni de Morphée dont les femmes s'imaginent à 1'unillersit~ de Versailles -Saint-Quentin-en-Yvelines.

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