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Les écrivains DU BAC dictions furent celles de la France d’alors et


sont peut-être encore les nôtres.
> Les hussards noirs

E
nfant pauvre et petit bonhomme sé-
BIBLIOGRAPHIE
Presque toute l’œuvre publiée a d’abord paru
> Charles d’Orléans rieux, il s’attira la bienveillance de
dans les Cahiers de la Quinzaine (consultables
l’abbé Bardet, le vieux curé de Saint-
Charles
C
sur le site de l’Université de Toronto). Les « pré-
harles Péguy contribua à sa propre Aignan, comme, plus tard, celle des institu- cahiers » (1897-1899) et les trois premières sé-

PÉGUY
légende, ne celant rien d’une en- teurs qui eurent à le former. Il grandit avec ries ont été reproduits par Slatkine. Mais le plus
fance qu’il évoqua notamment dans la Troisième République qui vit la France de commode est d’acquérir les volumes de la
Pierre (1898) et dans L’Argent (1913). Le Jules Ferry se couvrir de ces espèces de « nids Pléiade rassemblant aussi d’importants textes
fils unique de Désiré Péguy et de Cécile rectangulaires » que furent les Ecoles norma- posthumes. Œuvres en prose complètes I, La
Quéré vit le jour dans une petite maison les. « Par quel recroisement fallut-il que ce Pléiade, Gallimard, 1987 ; tome II, 1988 ; tome III,
basse d’Orléans, au 48 faubourg Bour- fut dans le vieux faubourg, à trois ou quatre 1992. Une nouvelle édition de référence révisée
Tué à l’ennemi en septembre 1914, Péguy, écrivain engagé, dreyfusard et socialiste, gogne. Désiré était menuisier, reconverti cents mètres de la maison de ma mère, peut- et enrichie des Œuvres poétiques complètes
est sous presse. Par ailleurs, en format de po-
puis nationaliste, fut entre sainteté et amertume, un polémiste redoutable, un poète pour raison de santé en fonctionnaire d’oc- être à moins, car j’avais les jambes courtes,
che, on trouve en Folio et en Poésies/Gallimard
troi. Ce sympathisant communard ne s’était qu’on venait d’achever ce palais scolaire
méconnu, un penseur énergumène enfin, convaincu que « tout ce qui élève unit ». en effet jamais remis d’une maladie, peut- qu’était alors l’Ecole normale des instituteurs
les principaux textes poétiques.
être contractée en 1870 alors qu’il était mo- du Loiret. [... ] On me mit à l’Ecole normale8. » Biographies, essais et portraits :
bile de la Loire. Il mourut l’année de la nais- Mais le destin de Péguy ne fut pas unique- De très nombreux essais témoignent de la vitalité

H
de l’œuvre péguyenne. Citons :
sance de Charles. Celui-ci fut donc élevé ment redevable à ce hasard et à ces « jeunes
Emmanuel Mounier, Charles Péguy philosophe,
omme d’un bloc et bloc BIOGRAPHIE par sa mère et sa grand-mère, paysanne maîtres [qui] étaient beaux comme des hus- 1930. Jean Delaporte, Péguy dans son temps
de contradictions, Péguy analphabète de l’Allier avec comme valeur sards noirs9 ». L’enfant Péguy fut d’abord un et dans le nôtre, Plon, 1944 ; rééd. en 10/18.
déconcerte. Il y a un Pé- 7 janvier 1873 : naissance essentielle : le travail (et l’épargne). Cécile élève exceptionnel, studieux, appliqué. Le di-
à Orléans. Bernard Guyon, Péguy, Hatier, 1960. Hans Urs
guy de gauche, le Péguy Pâques 1885 : entrée au lycée Péguy, qui « avait eu le coup de génie (sic) recteur Théophile Naudy – « mon maître et von Balthasar, La Gloire et la Croix, 2, II, Styles,
socialiste, anticlérical, ré- d’Orléans. d’apprendre le métier de rempailleuse de mon père » – le remarqua et obtint pour de Jean de la Croix à Péguy, Aubier, 1972. Jean
volutionnaire, tout sauf 31 juillet 1894 : admission chaises », lui donna l’exemple du travail Péguy une bourse municipale, passeport sine Bastaire (dir.), Péguy, Cahier de l’Herne, 1977.
un installé, et un Péguy de droite, louant la tra- à l’Ecole normale supérieure. bien fait. Apprentie bourgeoise, elle survé- qua non pour continuer sa scolarité. A Pâques Simone Fraisse, Péguy, Ecrivains de toujours,
dition, la famille, le sacrifice de soi, thuriféraire 31 octobre : licence ès lettres cut à ce fils qui la déçut par ses choix de car- 1885, le « petit Péguy » entrait ainsi au lycée Seuil, 1979. Géraldi Leroy, Péguy entre l’ordre et
de la chrétienté et de l’ancien peuple de France (philosophie). rière et, à force de placements judicieux, Pothiers d’Orléans. « Le fils de la bourgeoisie la révolution, Presses de Sciences po, 1981.
avril 1895 : « Je me suis Henri Guillemin, Charles Péguy, Seuil, 1981 – un
auquel il s’enorgueillissait d’appartenir. Il y a, elle était à sa mort propriétaire de plusieurs qui entre en sixième comme il a des bonnes portrait sans complaisance. Jean-Michel Rey,
image forgée par ses soins, un Péguy toujours officiellement classé avec maisons à Orléans. […] ne peut pas se représenter ce point de
les socialistes. » Colère de Péguy, Hachette, 1987. Jean Bastaire,
fidèle à ses idéaux, humble artisan des lettres, Péguy vit rétrospectivement dans l’hum- croisement que pouvait être pour moi d’en- Péguy, l’inchrétien, Desclée de Brouwer, 1991.
28 octobre 1897 : épouse
dreyfusard paradoxal exigeant que la Répu- civilement Charlotte Baudouin.
ble labeur dont il fut, enfant, le témoin quo- trer ou de ne pas entrer en sixième ; et ce Alain Finkielkraut, Le Mécontemporain, Gallimard,
blique s’élevât à une mystique qui mît la justice novembre : démission de l’ENS. tidien, la marque de la grandeur d’un peuple point d’invention, d’y entrer. J’étais déjà parti, 1992, rééd. Folio. Jean Bastaire, Péguy tel qu’on
au-dessus des compromis politiques et que 1898 : Péguy s’engage dans bâtisseur de cathédrales : « Nous avons j’avais déjà dérapé sur l’autre voie, j’étais l’ignore, Folio, 1993. Marc Tardieu, Péguy,
l’Eglise fît la révolution temporelle que sa jus- l’affaire Dreyfus. connu un honneur du travail exactement le perdu quand M. Naudy, avec cet entêtement François Bourin, 1993. Robert Burac, Charles
tice même exigeait. 5 janvier 1900 : premier numéro même que celui qui, au Moyen Age, régis- de fondateur, avec cette sorte de rude bruta- Péguy, la révolution et la grâce, Robert Laffont,
La gloire posthume de Péguy, commen- des Cahiers de la Quinzaine. sait la main et le cœur. C’était le même, lité qui faisait vraiment de lui un patron et un 1994. Michel Leplay, Charles Péguy, Desclée de
octobre 1905 : Notre patrie. Brouwer, 1998. Jean Bastaire, Péguy contre
cée par le nationalisme barrésien, fut fâcheu- conservé intact en dessous [...]. Nous avons maître, réussit à me ressaisir et à me renvoyer
mars 1907 : annonce son retour Pétain, Salvator, 2000. Romain Vaissermann,
sement recyclée par le pétainisme alors connu cette piété de l’ouvrage bien faite, en sixième. […] “Il faut qu’il fasse du latin”, Charles Péguy, l’écrivain et le politique, Rue
même que, de l’autre côté, Péguy était re- au catholicisme. poussée, maintenue jusqu’à ses plus extrê- avait-il dit. […] Ce fut pour moi […] l’éton-
janvier 1910 : Le Mystère d’Ulm, 2004. Jean-Noël Dumont, Péguy, l’axe
vendiqué par la Résistance. En janvier 1945, mes exigences. J’ai vu, toute mon enfance, nement, la nouveauté devant rosa, rosæ, l’ou- de détresse, Michalon, 2005. Bernard Collignon,
de la charité de Jeanne d’Arc.
il fut question de le faire entrer au Panthéon, juillet : Notre jeunesse. rempailler des chaises exactement du même verture de tout un monde, tout autre, de tout Pourquoi ont-ils tué Péguy ?, Le Bord de l’eau,
avec Henri Bergson et Romain Rolland. février 1913 : L’Argent. esprit et du même cœur, et de la même un nouveau monde […]. Le grammairien qui 2005. Philippe Grosos, Péguy philosophe, La
Cela ne se fit hélas pas. Il en a de nouveau mai : La Tapisserie de Notre Dame. main, que ce même peuple avait taillé ses une fois la première ouvrit la grammaire latine Transparence, 2006. Claire Daudin, Dieu a-t-il
été question récemment, mais Péguy décembre : Eve. cathédrales6. » Péguy se percevait ainsi sur la déclinaison de rosa, rosæ n’a jamais su besoin de l’écrivain ? Péguy, Bernanos, Mauriac,
« clive » encore trop : trop de nation, trop de Charles Péguy 5 septembre 1914 : « tué à moins comme issu d’un milieu paysan ou sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme Cerf, 2006. Rémi Soulié, Péguy de combat, Les
morale, trop de république, trop de christia- en 1897. l’ennemi » près de Villeroy. ouvrier que d’un milieu artisan. « Il fallait de l’enfant10. » Provinciales, 2007. Arnaud Teyssier, Charles
Péguy, une humanité française, Perrin, 2008 ;
nisme, trop de Jeanne d’Arc… Bref, il qu’un bâton de chaise fût bien fait. C’était Tempus, 2014. Laurent-Marie Pocquet du Haut-
mécontente encore trop de monde. Péguy entendu. C’était un primat. Il ne fallait pas > Normalien atypique Jussé, Charles Péguy et la modernité, Artège,
attendra donc, l’époque n’est pas à ce qu’il fût bien fait pour le salaire ou moyen-

P
2010. Michel Laval, Tué à l’ennemi, Calmann-
Cassandre contempteur de « l’humanité dans > Mécontemporain rétorsion, ni un point de révulsion3 » – il nant le salaire. Il ne fallait pas qu’il fût bien éguy est beaucoup moins disert sur son Lévy, 2013. Charles Coutel, Petite Vie de Charles
son âge moderne » où la technique indus- considérable reste difficile à croire au vu d’une vie où bien fait pour le patron ni pour les connaisseurs, adolescence. N’affirmait-il pas : « Tout Péguy, Desclée de Brouwer, 2013. Marie
trielle a forgé « plus qu’une pambéotie, plus des points de bifurcation entraînèrent leur ni pour les clients du patron. Il fallait qu’il est joué avant que nous ayons douze Boeswillwald et Claire Daudin, Comprendre

Q
que la pambéotie redoutable annoncée, plus uatre avant sa mort, Péguy niait lot d’engagements sans retour, de ruptures, fût bien fait lui-même, en lui-même, pour ans ; vingt ans, trente ans d’un travail acharné, Péguy, Max Milo, 2013. Damien Le Guay, Les
que la pambéotie redoutable constatée : une l’évidence : « On peut commencer parfois accompagnées d’un « débordement lui-même, dans son être même. Une tradi- toute une vie de labeur ne défera pas ce qui Héritiers Péguy, Bayard, 2014. Jean-Pierre Rioux,
panmuflerie sans limites ; un règne de bar- demain matin la publication de mes de haines » qui avait « presque constam- tion, venue, montée du plus profond de la a été fait, ce qui a été défait une fois pour tou- La Mort du lieutenant Péguy, Tallandier, 2014.
Benoît Chantre, Péguy point final, Le Félin, 2014.
bares, de brutes et de mufles ; une matière œuvres complètes. […] Il n’y a pas, dans tous ment, comme point de départ, un ressenti- race, une histoire, un absolu, un honneur tes avant nous, sans nous, contre nous11. » Du
Enfin Les Cahiers du Cerf, Péguy, sous la direc-
esclave ; sans personnalité, sans dignité ; sans ces vieux cahiers, un mot que je changerais. ment personnel4 ». Pour comprendre Péguy, voulait que ce bâton de chaise fût bien fait. lycée où il collectionnait les prix, il sortit avec tion de Camille Riquier.
ligne ; un monde non seulement qui fait des […] Non seulement nous n’avons rien à dé- il ne faut ni occulter ces contradictions, ni Toute partie, dans la chaise, qui ne se voyait un caractère trempé, une volonté opiniâtre, Un documentaire a été réalisé par Jean-Paul
DOMAIN PUBLIC

blagues, mais qui ne fait que des blagues, et savouer, mais nous n’avons rien dont nous les édulcorer, fût-ce pour les sublimer, mais pas, était exactement aussi parfaitement une tendance aussi à l’autoritarisme. Du haut Fagier (éditions Ex Nihilo/France 3, 1995) pour
qui fait toutes les blagues, qui fait blague de n’ayons à nous glorifier2. » Il a beau affirmer les situer dans la vie et l’œuvre de ce « mé- faite que ce qu’on voyait7. » Péguy écrivain de son mètre soixante, ce nageur, ce footbal- la série Un siècle d’écrivains.
tout1 ». ne s’être jamais rétracté – « ni un point de contemporain »5 considérable. Ces contra- eut à cœur d’écrire avec ce même scrupule. leur, ce marcheur en imposait et souffrait mal

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Les écrivains DU BAC


qu’on lui résistât. Il lut les classiques, avec une fameux vers mis dans la bouche de Jeanne : Collège de France les cours de Bergson qu’il nalisme charnel une impulsion nouvelle. Notre d’honneur à ne pas se coucher sous le feu en-
prédilection pour Homère, Ronsard, Cor- « Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon admirait. Esprit libre, esprit exigeant, Péguy patrie exposait les motifs de ce retournement nemi. Le Rothose Péguy ne se coucha pas et,
neille, La Fontaine, se forgeant un style qui enfance,/Qui demeures aux prés, où tu coules se heurta vite aux diverses tendances des intérieur, ressourcement comparable à sa lorsqu’une balle le frappa à la tête, « il tomba
ne répugnait pas aux effets de répétition. tout bas./Meuse, adieu : j’ai déjà commencé socialistes, aux guesdistes doctrinaires qui conversion au socialisme. En septembre 1908, sans un cri, sans un souffle, en disant simple-
L’histoire joua un rôle essentiel, Péguy ma partance/En des pays nouveaux où tu sacrifiaient la justice au « luttisme de classe », Péguy confessait aussi son retour à la foi de ment : “Oh ! mon Dieu, mes enfants !”21 » On
l’abordant toujours à la lumière des événe- ne coules pas13. » Théoriquement boursier au « parti intellectuel », notables embourgeoi- son enfance : « Je ne t’ai pas tout dit. J’ai en était au début de la contre- attaque de la
ments contemporains. d’agrégation, il ne pouvait publier sous son sés du socialisme, et au-delà à ceux qui à la retrouvé la foi. Je suis catholique20. » Cette Marne. « Heureux ceux qui sont morts pour
La trajectoire de ce fort en thèmes ne fut nom, aussi prit-il le pseudonyme, non de suite du père Combes virent dans l’affaire foi parut quelque peu suspecte, Péguy, tou- la terre charnelle,/Mais pourvu que ce fût dans
cependant pas rectiligne. Alors qu’il était khâ- Pierre Deloire comme il le faisait pour les Dreyfus l’occasion d’en finir avec l’armée et jours si peu clérical, demeurant un drôle de une juste guerre. […]/Heureux ceux qui sont
gneux, « demi-boursier d’internat » au lycée articles qu’il donnait à la Revue socialiste, l’Eglise. Péguy rompit ainsi avec Lucien Herr, paroissien. Celui qui s’était présenté « comme morts dans les grandes batailles,/Couchés des-
Lakanal de Sceaux, il échoua à avec Léon Blum et avec Jean athée de tous les dieux » et qui pourfendait sus le sol à la face de Dieu […]/Heureux les
l’Ecole normale supérieure, à un Jaurès, traître à la nation à cause de une modernité « autothée » se lança dans une épis mûrs et les blés moissonnés22. » Dans une
point de l’admissibilité ! Vexé, son pacifisme et de son interna- réécriture de la première partie de sa Jeanne lettre du 11 août, Bergson s’était engagé à sui-
Péguy assez débrouillard pour ar- tionalisme. Tous étaient coupa- d’Arc. Le Mystère de la charité de Jeanne vre les études des enfants Péguy au cas où.
ranger ses affaires, profita de l’op- bles de manquer surtout à ce que d’Arc, paru en 1910, ne dissipa guère les in- Un fils posthume, Charles-Pierre, naquit en
portunité de la « loi volontariat Péguy appelait la « mystique », di- quiétudes, les doutes de Jeanne semblant bien février 1915. Le grand Bergson tint sa pro-
d’un an » qui permettait aux fils de mension qui exigeait de ne pas dis- être ceux de Péguy. Plus solaire, moins an- messe.
veuves d’effectuer, en devançant tinguer entre la fin et les moyens Dreyfus traduit devant le Conseil de goissé, sinon plus joyeux, Le Porche du mys-
guerre de Rennes, 1899.
l’appel et moyennant un engage- et de ne sacrifier ni à l’esprit de tère de la deuxième vertu (1911) aurait pu > En étrange Péguy
ment à suivre des stages réguliers parti ni à l’opportunisme. Cette convaincre davantage, mais, entre-temps,

P
comme officier de réserve, leur ser- dimension faisait d’ailleurs tout Notre jeunesse (1910) avait été une mise éguy ne fut pas un penseur à la doctrine
vice militaire en une année au lieu autant défaut aux réactionnaires France, de Daniel Halévy, de Georges Sorel au point par trop empreinte de mystique ré- arrêtée : « Il y a quelque chose de pire
des trois requises. La discipline mi- catholiques qui, en pharisiens et de beaucoup d’autres. « Une revue n’est volutionnaire et de philosémitisme à travers que d’avoir une mauvaise pensée. C’est
litaire ne lui déplaisait pas trop, rentiers de l’éternel, délaissaient vivante que si elle mécontente chaque fois un l’hagiographie posthume du dreyfusard d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque
même s’il pensait alors la mettre la création refusant de voir l’ini- bon cinquième de ses abonnés17. » Péguy y Bernard Lazare, pour en faire un de ces chose de pire que d’avoir une mauvaise âme
surtout au service d’une révolu- quité d’ici-bas et de comprendre arrivait sans avoir à forcer son talent de po- convertis exemplaires de l’époque. A quoi et même de se faire une mauvaise âme. C’est
tion espérée, attendue, pressen- que « celui qui manque trop du lémiste. Plus difficile était de mener de front s’était ajoutée l’admiration professée pour un d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque
tie. Par la suite, Péguy confessa aimer pain quotidien n’a plus aucun goût au cette mission de sentinelle intellectuelle et ses Bergson, qui alors sentait un peu le fagot, et chose de pire que d’avoir une âme même per-
se retrouver au milieu des soldats. pain éternel14 ». L’Affaire n’ayant pas obligations de père. Après Marcel né en 1898 dont témoignent la Note sur M. Bergson (avril verse. C’est d’avoir une âme habituée23. »Si
Classe de préparation à l'Ecole normale
Après un deuxième échec à l’ENS en juillet du lycée Sainte-Barbe en 1894. De gauche débouché sur un mouvement historique (qui s’illustra assez malheureusement en pré- 1914) et la Note sur M. Descartes. Péguy y sa poésie peut paraître inégale, elle ne mérite
1893, il entrait au collège Sainte-Barbe à Paris. à droite au premier rang : Henri Roy, Marcel « d’une ampleur comparable à la Révolution gagna certes l’estime du philosophe, mais, pas l’oubli, sinon le mépris dans lequel on la
Sa foi catholique ayant été ébranlée par l’at- Baudouin, Charles Péguy ; à la cinquième française ou à la révolution chrétienne15 » et malgré tous ses efforts souvent maladroits tint. Comme chez tout grand poète, la trou-
place, Charles Lucas de Pesloüan. Au « IL Y A QUELQUE CHOSE DE PIRE
titude de l’Eglise à l’égard des ouvriers, il s’en- deuxième rang : Ernest, dit Jérôme Tharaud, désormais bien seuls, Péguy et les amis qui lui QUE D’AVOIR UNE pour obtenir une reconnaissance qui se faisait vaille géniale côtoie parfois des vers qui sen-
gagea dans l’action sociale, distribuant de bon écrivain, et Léon Deshairs, historien d'art. restaient se lancèrent dans une entreprise édi- MAUVAISE PENSÉE. attendre, il ne rassura jamais entièrement les tent le procédé. On l’a dit, il fut un écrivain
matin la soupe populaire pour la Mie de pain toriale : les Cahiers de la Quinzaine. C’EST D’AVOIR UNE bien-pensants. de la répétition, de la litanie, de la cadence et
de la Butte-aux-Cailles. mais de Pierre Baudouin, du nom de celui qui PENSÉE TOUTE FAITE » de la marche. Péguy se voulait aussi vision-
était alors son confident, Marcel Baudouin. > Les Cahiers de la Quinzaine > Le champ d’honneur naire : « Il faut toujours dire ce que l’on voit :
> Socialiste et dreyfusard Personnage discret, celui-ci venait de suc- sentant son père, en pleine Révolution natio- surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile,

L I
comber en juillet 1896 à une fièvre typhoïde e 1er janvier 1900, parut le premier des nale, comme l’inventeur du national-socia- l partit au front en adressant à la fille de voir ce que l’on voit24. » Cela a conduit cet

E
nfin admis rue d’Ulm, les convictions contractée sous les drapeaux. Après que 229 numéros des Cahiers. Péguy y pu- lisme), Germaine (née en 1901), Pierre (né Jules Favre cette profession de foi para- esprit intuitif plus que démonstratif à tenir
socialistes de Péguy s’affermirent au Baudouin eut échoué à l’ENS, Péguy lui avait blia l’essentiel de son œuvre d’écri- en 1903) donnèrent pour Péguy un sens con- doxale : « Grande amie, je pars soldat de des propos provocateurs. A un certain créti-
contact de Lucien Herr, le bibliothé- conseillé de devancer l’appel. Culpabilité vain, le reste, considérable, étant édité après cret à sa formule : « Il n’y a qu’un aventurier la République pour le désarmement général nisme contemporain qui se prétend « multi-
caire influent de l’Ecole, et du groupe de jeu- inconsciente, piété amicale, élan du cœur ? sa mort. La revue se donnait pour mission de au monde, et cela se voit très notamment dans et la dernière des guerres. » Il mourut héroï- culturel » et qui considère que respecter l’au-
nes normaliens qui s’était formé autour de ce Péguy épousa la sœur de son ami en octobre « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vé- le monde moderne : c’est le père de famille18. » quement comme nombre d’officiers des pre- tre consiste à lui demander de ressembler à
dernier. Ce fut sa « conversion » au socia- 1897. rité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeuse- Péguy faisait l’éloge de celui qui a fait le sa- miers des temps d’une guerre qu’on voulait tout le monde, à bien vouloir se fondre dans
lisme : « Pour moi cette conversion demeure Quand éclata l’affaire Dreyfus, Péguy ment la vérité ennuyeuse, tristement la vérité crifice de sa liberté souveraine pour d’autres, croire « fraîche et joyeuse ». Il mourut un peu un magma indifférencié, bref à lui demander
peut-être le plus grand événement de ma vie s’engagea résolument aux côtés des dreyfu- triste16 ». Du point de vue économique, l’en- souverain assujetti en quelque sorte, « bour- absurdement aussi. Le samedi 5 septembre de n’être personne, Péguy répondait par
morale12. » Les prémices de cette religion sé- sards. On l’arrêta même pour avoir fait le treprise fut un échec. relé de remords », jamais indifférent au 1914, sa compagnie reçut l’ordre d’enlever avance : « Je ne veux pas que l’autre soit le
culière avaient été semées du temps de son coup de poing avec la police lors du second monde dans lequel ses enfants auront à vivre. « à la baïonnette » le village de Monthyon. Il même. Je veux que l’autre soit autre. C’est à
enfance par la fréquentation de Louis Boitier, procès Zola. La réhabilitation d’un innocent, « PÉGUY S’ENGAGEA RÉSOLUMENT « Il veut toujours instituer et c’est un spectacle fallait traverser des champs à découvert sous Babel qu’était la confusion, dit Dieu, cette
un maréchal-ferrant, ancien quarante-huitard fût-il un bourgeois, fût-il juif, devait être, a AUX CÔTÉS DES touchant, lamentable et ridicule que celui de la mitraille allemande. Un capitaine et un lieu- fois que l’homme voulut faire le malin25. »
autodidacte qui lui fit découvrir Hugo et joua fortiori pour des socialistes, indissociable du DREYFUSARDS. LA ce pauvre garçon qui ne sait pas bien com- tenant étaient déjà tombés – les officiers au Décidément irrécupérable, Péguy.
un temps le rôle de père de substitution. Alors salut moral de la France. Péguy démissionna RÉHABILITATION D’UN ment il fera pour donner du pain l’année pro- pantalon garance mettaient alors un point Jean Montenot
que tout aurait dû inciter Péguy, déjà licencié de l’ENS pour se consacrer pleinement à sa INNOCENT ÉTAIT INDISSOCIABLE DU chaine à sa femme et à ses enfants, mais qui
en philosophie, à entamer une carrière de pro- double vocation de militant et d’écrivain. SALUT MORAL DE LA FRANCE » attend comme une bête de somme que la vie 1. Deuxième Elégie XXX (septembre 1908, p. 786. 9. Ibid., p. 801. 10. Ibid., p. 786. Pléiade III, p. 656. 19. Entre deux trains,
posthume), Œuvres en prose complètes, 11. Ibid., p. 785. 12. A Théo Woehrel, Œuvres en prose, Pléiade I, 1992, p. 509.
fesseur, il obtint, en novembre 1895, une an- Démarquant en partie les idées de Jaurès, ingrate lui laisse l’espace d’instituer des dia- Pléiade II, p. 960. 2. Notre jeunesse, Folio, 7 août 1895. 13. Jeanne D’Arc, A Domre- 20. A Joseph Lotte, 10 sept. 1908. 21.
née de congé grâce à un certificat médical de qu’il admirait alors, il mit au net sa société so- Depuis une fameuse petite boutique, fai- logues, des histoires, des poèmes, des drames p. 144 ; Œuvres en prose, Pléiade III, p. 42. my, Œuvres poétiques complètes, Pléiade, Témoignage de Victor Bourdon à la RTBF.
convenance. cialiste, notamment dans Marcel, premier dia- sant face à une Sorbonne honnie, Péguy, fon- ainsi que pouvaient le faire les auteurs des 3. Un nouveau théologien : Fernand Lau- p. 80. 14. Le Mystère de la charité de 22. Eve, Œuvres poétiques, p. 1028. 23.
det, Œuvres en prose, Pléiade III, p. 549. Jeanne d’Arc, 1910. 15. A Camille Bidault, Note conjointe sur M. Descartes et la phi-
Il retourna à Orléans pour y rédiger logue de la cité harmonieuse (1898). Ces an- dateur, animateur, homme à tout faire, mena âges moins pressés19. » 4. Romain Rolland, Péguy I, p. 260. 5. Ce 10 oct. 1895. 16. Cahier I, Lettre du pro- losophie cartésienne (1914, posthume),
ROGER-VIOLLET

ROGER-VIOLLET

Jeanne d’Arc, un drame poétique en trois piè- nées d’intense activité militante se soldèrent contre vents et marées les combats qu’il esti- Péguy, depuis son « poste de solitude », mot-valise se lit dans Victor-Marie, comte vincial, Œuvres en prose, Pléiade I, p. 291. Œuvres en prose, Pléiade III, p. 1388. 24.
Hugo, Œuvres en prose, Pléiade III, 17. L’Argent, Œuvres en prose, Pléiade III, Notre jeunesse, Œuvres en prose, Pléiade
ces (A Domrémy, Les Batailles, Rouen), sujet par un échec à l’agrégation de philosophie. mait nécessaires, accueillant les signatures sut se ménager son « espace » pour écrire. En p. 344. 6. L’Argent, Œuvres en prose, p. 1136-1137. 18. Dialogue de l’histoire et III, p. 139. 25. Le Mystère de l’enfant pro-
paradoxal pour un anticlérical. On y lit ces Péguy continua néanmoins de suivre au notamment de Romain Rolland, d’Anatole 1905, l’affaire de Tanger donna à son natio- Pléiade III, p 790. 7. Ibid., p. 791. 8. Ibid., de l’âme charnelle, Œuvres en prose, digue, Œuvres poétiques, Pléiade, p. 1569.

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